La Tribu Mazarin. Un Tourbillon Dans Le Grand Siècle
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LA TRIBU MAZARIN DU MEME AUTEUR La France des gogos (Fayard) En collaboration avec Gilbert Guilleminault. Rouge Elisabeth (Stock) Prix Jeanne-Boujassy 1977, de la Société des Gens de Lettres. Votre pavé, citoyen, roman (Stock). Un Louvre inconnu (Quand l'Etat y logeait ses artistes) (Perrin). La Promenade italienne, roman (Ledrappier). YVONNE SINGER-LECOCQ LA TRIBU MAZARIN Un tourbillon dans le Grand Siècle Librairie Académique Perrin 8, rue Garancière Paris La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Librairie Académique Perrin, 1989. ISBN 2-262-00624-5 Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit. LA ROCHEFOUCAULD Maxime 209 Note liminaire Rendre vie et couleurs à la famille qui dut sa gloire première à celle du cardinal Mazarin, tel est le sujet de ce livre. Il se suffit à lui-même, tant cette tribu, au sens de familles groupées sous l'autorité d'un même chef, est riche en fortes natures, en destins agités. Mazarin n'y apparaît qu'en relation avec les siens, sa vie privée et publique ayant déjà fourni matière à de nombreux ouvrages. 1 L'ORDRE DE L'ONCLE 1647 En cette journée de printemps, deux missives au contenu presque identique, adressées à Laura Margherita Martinozzi et à Hieronyma Mancini, bouleversent, à peine lues, deux maisonnées romaines. Le cardinal Mazarin y enjoint à ses deux sœurs de lui envoyer, afin qu'il les élève en France, trois de ses nièces et un neveu : Anna-Maria Martinozzi, qui a sept ou huit ans ; et, pour les Mancini, Laura Vittoria, onze ans, Paolo, dix ans, et Olimpia, neuf ans. C'est un ordre que l'on ne saurait songer à discuter. Les deux sœurs sont en bonne part redevables de leurs brillants mariages à la gloire, déjà affirmée à l'époque, de leur frère Giulio. La première a épousé Geronimo, le fils unique du comte Vincenzo Martinozzi, majordome 1. Mazarin avait un frère et quatre sœurs, dont deux seule- ment eurent une descendance. Des deux autres. Anna-Maria fut religieuse ; Cleria, mariée au marquis Muti. n'eut pas d'enfant. 2. Les dates de naissance des neveux de Mazarin n'ont pu être établies avec une précision absolue. D'une part l'église parois- siale des Mancini a disparu, de l'autre, les biographes ont inter- verti les âges des sœurs Martinozzi parce que, contre tous les Mazarin a d'abord fait venir près de lui la cadette. usages,Enfin, l'époque ne se souciait guère d'exactitude en ce domaine. du cardinal Antonio Barberini, neveu du pape Urbain VIII et à l' époque l'une des puissances de Rome. La seconde s'est mariée avec le baron Michele Lorenzo Mancini. Elles savent l'une et l'autre qu'à Paris l'oncle prépare pour ses neveux un avenir plus prestigieux que Rome ne pourrait jamais leur offrir. Dans les deux foyers, la brisure est irrévocable, défi- nitive, entre les parents et les enfants, les frères et sœurs. Dans plusieurs années il y aura des retrouvailles, mais les rapports seront changés du tout au tout. Pour Anna-Maria Martinozzi, c'est la fin d'une enfance d'abord calme et triste, puis marquée par la honte et l'inquiétude. Elle n'a pas même connu son père, mort quelques mois avant sa naissance. Sa sœur aînée, Laura, avait alors deux ans. C'est en effet la plus jeune que Mazarin fait venir à Paris, car il a pour l'aînée des pro- jets de mariage en Italie. Depuis trois ans et pour des motifs bien dissembla- bles, leurs grands-pères n'ont pas été en mesure de leur apporter un peu d'affection paternelle. Le grand-père paternel, Vincenzo Martinozzi, s'est trouvé au cœur même du conflit sans merci qui oppose le pape Innocent X, depuis son élection en 1644, aux frères Barberini, et à travers eux à Mazarin. Les deux cardinaux Barberini, Antonio et Francesco, ont pourtant « fait » ce pape, mais c'est en vain qu'ils ont attendu le prix de leurs puissantes manœuvres. Toutes les grâces, les bénéfices, les honneurs sont allés aux neveux du nouveau pontife. Quand les Barberini ont protesté avec véhémence, ils se sont retrouvés accusés, non sans rai- son, de concussion et pillage des biens de l'Eglise. Mazarin s'est fait leur protecteur, au point de favoriser leur fuite hors des Etats pontificaux et de les accueillir en France. Pour lui, c'est la plus délectable des revanches sur le temps pas si lointain où il était lui-même leur obligé, plus souvent humilié que félicité. Par contre, pour le malheureux majordome Martinozzi, c'est un calvaire. Il n'a épargné aucun effort pour cal- mer le jeu entre les cardinaux Barberini, son parent Mazarin, et l'administration papale. Mais la partie était trop forte pour lui, et de plus envenimée par la belle- sœur du pape, la vindicative et avide Olimpia Maldachini. Celle-ci a tout pouvoir sur le pontife de soixante-quinze ans, parce qu'elle est sa maîtresse, assu- rent les Romains. Tous les biens des Barberini ont été saisis, leur palais, l'un des plus somptueux de Rome, entièrement vidé de ses meubles et œuvres d'art. Le per- sonnel, des secrétaires aux marmitons, est jeté en prison. Pourtant, il n'est pas fait mention du majordome, plus proche de ses maîtres qu'eux tous. Et plus proche encore de Mazarin. Ce qui est sans doute la clé du mystère. Le pape n'a pas dû oser s'attaquer à un parent de l'homme le plus puissant de France. Martinozzi n'aurait pu être arrêté sans fracas. Le silence à son sujet peut s'expliquer par un discret départ de Rome, probablement pour sa demeure familiale de Fano, sur l'Adriatique, au-dessous de Rimini. Dans la Ville Eternelle, ces années-là, il n'est pas trop confor- table de s'appeler Martinozzi et d'être lié à Mazarin. Pour le grand-père maternel, c'est une autre histoire. Pietro Mazarini a occupé naguère un poste équivalent à celui de Martinozzi chez le connétable Filippo Colonna. Après la chute des Barberini, les Colonna demeurent la plus importante famille de Rome. A soixante-dix ans, Mazarini vit dans le palais de Monte-Cavallo acheté par Giulio, son fils préféré, sa fierté. La retraite ne lui a pas apporté les douceurs du farniente. Il est plus que jamais pour Giulio un efficace conseiller et médiateur en affai- res italiennes. 1. Appelé aujourd'hui colline du Quirinal. Afin de ne pas dérouter le lecteur, nous avons adopté, pour les noms propres étrangers non francisés, la graphie fran- çaise actuelle (ex. : Monte-Cavallo pour Montecavallo ; Anna- Maria pour Annamaria). Depuis trois ans, Mme Martinozzi ne rend à son père que les visites indispensables. Depuis qu'il s'est remarié, l'année même de son veuvage 1 avec Porzia, une beauté de dix-sept ans, soit un bon demi-siècle de moins que lui. C'est une Orsini, mais la fortune a depuis longtemps quitté cette famille autrefois rivale des Colonna et qui a donné trois papes à l'Eglise. La jeune personne est si imbue de la supériorité de son sang qu'elle ne manque pas une occasion de la faire sentir à sa nouvelle famille2. Comme ses cousins Mancini et plus encore qu'eux, Anna-Maria Martinozzi a donc pris conscience très tôt des traverses de l'histoire. Pour elle, leur effet le plus immédiat est d'avoir limité sa connaissance de Rome aux austères itinéraires maternels : les églises voisines, la tombe de son père, les deux monastères successifs de la tante Anna-Maria qui lui a donné ses prénoms. La tante était depuis un an abbesse de Citta di Castello quand a éclaté l'affaire Barberini. Sur ordre du pape, elle dut alors quitter à la fois ses fonctions et son abbaye pour redevenir simple nonne au couvent Santa- Maria in Campo-Marzo Les rires, les galopades, le grain de folie indispensa- bles à l'enfance, les petites Martinozzi les trouvent chez leurs cousins Mancini, aussi remuants qu'elles-mêmes sont placides. La grande maison des Mancini donne sur la via del Corso, l'artère principale de Rome, celle qu'empruntent les carrosses étrangers pour entrer dans la Ville Eter- nelle, et ceux des nobles romains pour s'y promener. Depuis le rouge palais de Venise qui marque la frontière 1. D'Ortensia Bufalini, filleule de Filippo Colonna, de noblesse romaine, très belle, et poétesse réputée comme sa mère. 2. Mazarin, pour sa part. dut toujours regretter que ce second mariage de son père soit resté sans héritiers. A quels mariages n'eût-il pu prétendre avec des demi-frères ou sœurs descen- dants des Orsini ! 3. Elle en deviendra prieure en 1657, deux ans après la mort d'Innocent X. d'avec la Rome antique, elle va tout droit entre quantité d'églises et de palais aux balcons couverts, à l'écart du Vatican, comme à l'abri du pouvoir derrière les méan- dres du Tibre.