ASSOCIATION DES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES PAYSANNES (A.O.P.P )

DIAGNOSTIC PARTICIPATIF DE LA QUESTION FONCIERE AU Volume I : Rapport général

Rapport élaboré par Bakary Diakité et Chéibane Coulibaly Décembre 2003-Janv 2004.

UNIVERSITE MANDE BUKARI (UMB) Lafiabougou ACI 2000 (entre le Lycée Mamadou Sarr et la Mairie de la Commune IV) BP : 3041 (Mali) Tel. : (223) 29 30 84 – Fax : (223) 29 24 76 ; E-mail : [email protected]

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SOMMAIRE.

INTRODUCTION

METHODOLOGIE D’APPROCHE

I. RAPPEL HISTORIQUE DE L’EVOLUTION DE LA QUESTION FONCIERE AU MALI 1.1.I. US ET COUTUMES OU DU STATUT COMMUNAUTAIRE DE LA RESSOURCE FONCIERE. 1.1.2. Les coutumes foncières dans les régions du Nord 1.1.3. Les structures traditionnelles de gestion foncière 1.1.4. Les pratiques foncières coutumières. I.2. L’invasion marocaine : Origine lointaine du malaise foncier dans le septentrion I.3. LA codification de la gestion du foncier par la Dina. 1.3.1. La codification du système de gestion foncière et des ressources naturelles. 1.3.2. Les structures d’application du code. I.4. L’évolution de la question foncière sous la colonisation 4.1. Les Nouvelles réglementations foncières coloniales 1.4.2. Quelques perturbations des régimes fonciers locaux par la colonisation

1.5. LA QUESTION FONCIERE DEPUIS L’INDEPENDANCE. 1.5.1. Le règne du flou législatif en matière de gestion foncière (1960- 1986). 1.5.2. Le Code Domanial et Foncier de 1986. 1.5.3. Démocratie et tentatives d’amélioration du dispositif législatif sur le foncier.

II. CARTOGRAPHIE DE LA SITUATION ACTUELLE DU FONCIER. 2.1. Fiche signalétique des zones sensibles. 2.2. Fiche signalétique des zones à disponibilité foncière relativement forte.

III. LES CONFLITS FONCIERS : TYPOLOGIE ET LOCALISATION. 3.1. Les facteurs de conflits 3.2. Typologie et localisation des conflits 3.2.1. Conflits entre exploitants appartenant au même système de production 3.2.2. Conflits entre exploitants appartenant à différents systèmes de production. 3.2.3. Conflits entre communautés villageoises. 3.2.4. Conflit entre collectivités territoriales et représentant de l’Etat 3.3. Les modes de gestion des conflits fonciers.

IV. INSUFFISANCES ET INADAPTATION DES TEXTES LEGISLATIFS SUR LE FONCIER ET LA GESTION DES RESSOURCES NATURELLES. 4.1. Le Code Domanial et foncier 4.2. La charte pastorale. 4.3. Les textes forestiers. 4.4. L’ensemble des textes législatifs sur le foncier.

V. LE FONCIER AGRO PASTORALE 5.1. Compétitions pour l’espace agro pastoral : ou de l’occupation anarchique des terres. 5.2. La transhumance du bétail.

2 VI. FONCIER HALIEUTIQUE. 6.1. De la propriété coutumière du foncier halieutique. 6.2. Facteurs de détérioration des conditions de pêche. 6.3. Les zones de conflits.

VII. LES PROBLEMATIQUES LIEES AUX TERRES AMENAGEES DE L’ETAT : LE CAS DE L’OFFICE DU NIGER 7.1. Historique. 7.2. Les objectifs successifs de l’Office du Niger. 7.3. Gestion et sécurité foncière à l’Office du Niger.

VIII. LE FONCIER MINIER. 8.1. Les cessions de concessions minières. 8.2. L’implantation des grosses sociétés d’exploitation minière.

IX. PRINCIPALES CONCLUSIONS

X. ANNEXES

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SIGLES.

AOPP. Association des Organisations Professionnelles Paysannes.

SEXAGON Syndicat des exploitants agricoles de l’Office du Niger

ON Office du Niger

RN Ressources Naturelles

CDF Code Domanial et Foncier

OP Organisation Paysanne

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INTRODUCTION. La gestion durable du foncier rural s’avère d’autant plus problématique que la compétition pour l’accès à la terre s’intensifie de jour en jour sous les effets conjugués de la pression démographique et pastorale, la fréquence des déficits pluviométriques et l’évolution inquiétante du processus de dégradation de l’environnement. Par ailleurs, la superposition du droit positif et des droits coutumiers complique davantage la question foncière en ouvrant la porte à toute sorte de confusions, spéculations, conflits et procès judiciaires qui ne cessent de compromettre à la fois, la sécurité foncière et la stabilité sociale des communautés rurales. Conséquemment, les inquiétudes et incertitudes paysannes se multiplient et s’amplifient, malgré la dynamique actuelle qui se développe autour du foncier à travers entre autres, des concertations locales, régionales, nationales, de nombreux séminaires et ateliers de réflexion. Les paysans demeurent inquiets et sceptiques face à toute cette agitation qui n’a que peu, voire pas d’impact tangible sur leur situation foncière constamment perturbée par des conflits multiples et parfois sanglants, des expropriations légalisées à travers des cessions de concessions rurales, l’urbanisation galopante qui dévore de plus en plus de terre. L’imminence de l’avènement du NEPAD représente aussi, une autre épée de Damoclès pour le mode d’appropriation collective de la terre et particulièrement pour la survie de la petite exploitation agricole de type familial. Or, le principal projet de société que les organisations paysannes visent, consiste dans le maintien et la modernisation de l’agriculture familiale. Ce projet s’avère d’autant plus pertinent que la petite exploitation familiale qui résorbe près de 70% de la main d’œuvre active, fait de l’agriculture familiale le socle du développement rural. Désarticuler cette structuration sociale de base de l’économie rurale au profit de l’agro business prôné par le NEPAD, serait d’un gâchis inestimable. Face à cette situation précaire de la question foncière, les organisations paysannes à travers (l’AOPP) sont montées au créneau, en prenant l’initiative de procéder à un diagnostic de fonds de la situation actuelle ; en vue d’entreprendre des actions de plaidoyer pour une gestion plus consensuelle et performante des ressources foncières rurales.

Objectifs du Programme Les objectifs de cette démarche visent l’élaboration par les paysans eux – mêmes, d’une série de propositions relatives à la relecture des textes de loi sur le foncier d’une part ; et la formulation de propositions de politiques foncières et de gestion durable des ressources naturelles allant en priorité, dans le sens du maintien et de la modernisation de l’agriculture familiale d’autre part. L’objectif final est de soumettre à l’Etat, aux acteurs économiques et sociaux, un ensemble de propositions permettant d’engager des négociations sur la révision des politiques et législations foncières en vigueur au Mali.

METHODOLOGIE D’APPROCHE DE L’AOPP. La méthodologie retenue par l’AOPP pour atteindre ces objectifs s’articule autour des approches.

• Mise en place du comité de pilotage. L’AOPP a procédé d’abord par la mise en place d’un comité de pilotage composé de représentants : - du Ministère de l’agriculture de l’élevage et de la pêche ; - du Ministère de l’administration territoriale et des Collectivités Locales ;

5 - du Ministère des domaines de l’Etat et des affaires foncières ; - du ministère de l’environnement ; - de l’Assemblée permanente des chambres d’agricultures du Mali ; - du CCA- ONG - du SECO- ONG - de l’Association des Municipalités du Mali - de l’Association féminine CAFO - de l’association des femmes juristes - de l’AOPP. Maître d’ouvrage du Programme, les missions du Comité de Pilotage ont été définies comme suit : - préciser les grandes orientations du diagnostic et veiller à leur exécution correcte, - effectuer des voyages d’études et d’échanges d’expériences avec d’autres pays (Sénégal, Niger, Maroc) - mener la campagne de plaidoyer sur la base des résultats du processus de diagnostic.

• Appel à l’expertise extérieure. Pour l’exécution du programme, il a été également fait appel à l’expertise d’un consultant principal à travers l’Université Mandé Bukari qui a fourni à cet effet, des spécialistes du développement rural pour concevoir les outils nécessaires à l’animation et l’exécution de l’ensemble du processus à travers les principales étapes ci-dessous exposées. a). La revue documentaire. Elle a consisté dans l’exploitation de la documentation portant sur le sujet pour tenir compte des résultats de travaux antérieurs sur la question, en vue d’élaborer une base argumentaire pour la tenue des ateliers régionaux. A cet effet, il faut signaler que les recommandations de l’Atelier National de Concertation sur le foncier rural tenu à Ségou du 28 au 31 Mai 2001 (MDRE/CPS ), ont été fortement exploitées pour la relance des débats au cours desdits ateliers. b).Les ateliers régionaux. Un atelier de diagnostic participatif de trois jours sur la question foncière fut tenu respectivement dans les régions de Ségou, Koulikoro, Mopti, Kayes, Sikasso, , Tombouctou et le district de Bamako. Pour assurer la représentativité effective de l’ensemble des catégories d’acteurs locaux à ces ateliers, deux missions de préparations furent effectuées par région. Ces missions préparatoires ont porté sur une meilleure diffusion de l’information auprès des structures ciblées : organisations paysannes locales, associations des femmes, municipalités, services techniques déconcentrées, services judiciaires etc. Au cours des ateliers, les participants ont d’abord pris connaissance de la synthèse de la revue documentaire, et ont été invités ensuite à travailler par groupes sur une série de thèmes portant sur la question foncière en général ; et particulièrement sur la situation foncière de leur région respective.

c). Les enquêtes sur le terrain. Sur la base des contraintes foncières identifiées et de la cartographie des zones sensibles dégagées au cours des ateliers régionaux, des enquêtes plus approfondies ont été effectuées dans les terroirs où la question foncière s’avère particulièrement brûlante. Les zones visitées à cet effet se repartissent comme suit par région : - Kayes : cercles Kayes, Kita, Diéma et Kéniéba - Koulikoro : cercles de Kangaba, Dioïla, Koulikoro, - Sikasso : cercles de Bougouni, Sikasso et Kadiolo,

6 - Ségou : cercles de Niono, Baroueli, San, Ségou, - Mopti : cercles de Koro, Djénné, Youvarou et Ténenkou, - Gao : cercles de Ménaka, , et Gao, - Tombouctou : cercles de Tombouctou, Goundam et Diré. d) L’Atelier National. Les informations collectées à ces différents niveaux de diagnostic (revue documentaire, ateliers régionaux, enquêtes terrain), furent traitées et consignées dans un document provisoire ou rapport de diagnostic qui a servi de base argumentaire pour l’animation de l’ Atelier National tenu les 26, 27 et 28 janvier 2004 au CRES. Cet atelier a enregistré la présence de délégués paysans venus des différentes régions, des représentants de services techniques, d’ONG, d’Associations féminines de l’intérieur du pays et du district de Bamako. Après l’exposé des résultats de la recherche, des débats en plénière furent engagés soit pour critiquer le document, soit pour contribuer à son amélioration. Ensuite, les participants furent de nouveaux repartis en groupes de travail pour amender et valider la synthèse thématique des ateliers régionaux et traiter d’autres thèmes portant entre autres sur le marché foncier, le statut de la petite exploitation familiale, la réalisation du cadastre au niveau communal, l’immatriculation des terres de l’exploitation familiale, le titre foncier au niveau rural. Nous exposons dans les pages qui suivent, les principaux résultats de ce processus de diagnostic qui résument la complexité de la question foncière au Mali.

I. RAPPEL HISTORIQUE DE L’EVOLUTION DE LA QUESTION FONCIERE .

1.1. LA PERIODE PRE COLONIALE. La référence à cette période si éloignée peut paraître superflue, surtout à propos de la question foncière qui est tant d’actualité. Cependant nous pensons comme T.S.Elliot, qu’il faut « non seulement tenir compte de la présence du passé dans le passé ; mais aussi de sa présence dans le présent ». Cette présence plus ou moins oubliée se manifeste à travers l’ubiquité de multiples pratiques ancestrales qui continuent d’influencer les modes actuels de gestion foncière. L’analyse de la question foncière pendant cette période sera donc centrée sur ces pratiques anciennes et deux évènements historiques importants qui ont profondément marqué de leurs empreintes, les modes de gestion du foncier rural au Mali : - les us et coutumes, - la modification du régime foncier dans le septentrion malien sous l’occupation marocaine (1591). - La codification du système de gestion foncière par la Dina de Chékou Amadou (1818-18 63)

1.1.I. US ET COUTUMES OU DU STATUT COMMUNAUTAIRE DE LA RESSOURCE FONCIERE. Contrairement aux seigneurs féodaux d’Occident, les souverains du Mali d’antan n’ont pas institué la propriété individuelle de la terre, et ne se sont pas octroyés de vastes domaines fonciers au détriment de leurs peuples. Ils détenaient certes le pouvoir politico/militaire et pouvaient s’arroger des droits fonciers dans les pays qu’ils administraient. Loin de tomber dans cette tentation comme d’autres le feront plus tard, ils ont pour la plupart, géré le foncier sur la base de la coutume suivant laquelle, le premier (clan, famille, fraction ) qui défriche un espace, acquiert de facto « le droit de hache » qui lui confère le statut de chef des terres de ce terroir. Malgré quelques altérations survenues ça et là, ce droit du premier occupant prévaut

7 toujours, comme le témoignent la tradition orale et les références courantes aux aïeuls (premiers à défricher la terre), pour prouver l’authenticité du statut de chef de terre de tel clan ou de telle famille. Ce droit de propriété était collectif. Autrement dit, la terre était la propriété de la communauté et sa gestion était assurée par le doyen d’âge du lignage fondateur qui, dans bien des cas, assurait aussi la chefferie du Village ou de la fraction. L’administration coloniale a trouvé cette coutume sur place et n’a pas manqué de la signaler. Dans l’étude portant sur le régime foncier chez les indigènes de l’A.O.F, l’administrateur colonial du cercle de Bougouni déclarait en 1907, que dans « le droit coutumier indigène…, le véritable propriétaire du terrain… n’est au demeurant que le représentant ou l’administrateur de ce bien, dont l’usufruit et la jouissance sont la propriété de tous les membres de la collectivité….».

1.1.2. Les coutumes foncières dans les régions du Nord • En milieu sédentaire Jadis, le septentrion malien constitué des régions actuelles de Tombouctou, Gao et Kidal, ne faisait pas exception aux règles de gestion coutumière du foncier. Sous l’Empire Songhoï, la gestion du foncier se faisait aussi sur la base de la coutume, avec cette particularité, que dans ces régions, elle était beaucoup plus détaillée et explicite. En effet, chaque communauté avait en son sein trois chefs différents, respectivement investis du pouvoir de gestion d’une ressource précise : - le chef Gandakoye maître de la terre, - le chef Issakoye maître des eaux, - le chef Sadjikoye maître des forêts. Chaque chef réglementait la gestion de la ressource qu’il administrait au mieux des intérêts de toute la communauté. • En milieu nomade L’appropriation des espaces de pâturage se faisait aussi sur la base d’un droit coutumier fortement apparenté au droit de hache : « le droit d’ouverture du premier puits sur l’espace pastoral ». Selon cette coutume qui a toujours force de loi dans la zone, celui qui a été le premier à ouvrir un puits sur un espace pastoral, est de facto, propriétaire de cet espace sur un rayon de 20 à 40 km. Pour s’installer, les nouveaux arrivants doivent respecter les limites territoriales du premier occupant et creuser leur puits à 20 km au moins du premier puits. Les vastes espaces désertiques du Nord sont ainsi occupés et en la matière, aucune autre législation n’a été prise depuis pour remplacer ce droit coutumier.

1.1.3. Les structures traditionnelles de gestion foncière. • Les chefs coutumiers La coutume portant sur le droit de hache fut si profondément ancrée dans les mentalités qu’elle a pu résister à des guerres qui ont pourtant renversé des pouvoirs au niveau local. En effet, dans plusieurs cas de conquêtes territoriales, le vainqueur s’arrogeait le pouvoir politique et laissait la gestion de la terre aux détenteurs du droit de hache. Du coup apparut une sorte de bicéphalie dans la gestion foncière illustrée par la cohabitation d’au moins deux chefs dans plusieurs villages : le chef de village et le chef de terre (région de Ségou, Sikasso, Koulikoro ), ou encore le chef de village et le maître des eaux (Mopti, Tombouctou, Gao) qui jouent des rôles différents . Le chef de village gère avec son conseil, les affaires sociales, économiques, politiques et administratives de la localité. Avec son conseil, il sert également de structure de conciliation des conflits fonciers. C’est seulement après l’échec des tentatives de conciliation de cette structure qu’on avait alors recours à la solution extrême à travers l’autre chef : le chef de terre.

8 Ce second chef s’occupe des cérémonies rituelles relatives à la terre, notamment à la veille de chaque campagne agricole. Généralement, la bicéphalie du pouvoir dans la gestion des terres est maintenu dans les villages fortement attachés à la tradition animiste où l’on pense que les ancêtres avaient conclu des conventions avec des génies aux premiers moments de l’occupation des lieux. En conséquence, les descendants de la famille détentrice du droit de hache, y sont toujours considérés comme les dépositaires de ces conventions qu’ils sont chargés de perpétuer à travers des cérémonies rituelles. Investis de ce pouvoir ancestral, ces héritiers assument encore dans la plupart de ces villages, la gestion des conflits fonciers selon la procédure animiste dont l’issue peut être fatale pour la partie qui veut injustement s’arroger la terre de son voisin. La forte conviction en l’impartialité et l’infaillibilité de cette procédure judiciaire locale, faisait d’elle jadis, un instrument efficace de gestion des conflits. Présentement, pour la contourner, certains protagonistes refusent d’y recourir sous le prétexte de leur appartenance à la religion musulmane qui n’admet point de telles pratiques animistes et maléfiques. Il faut noter enfin que ces chefs coutumiers définissaient les règles de gestion foncière et promulguaient les sanctions à infliger aux contrevenants éventuels. Variables d’un terroir à l’autre, d’une ressource à l’autre, ces règles de gestion étaient assorties de valeurs culturelles qui consolidaient leur force de dissuasion. Ces réglementations pensait-on, étaient prises à la suite de consultations occultes avec les génies ou les mânes des ancêtres…, présumés être les gardiens invisibles de la prospérité du village. Toute indiscipline par rapport à ces décisions qui régentaient les comportements individuels et collectifs, pouvait provoquer la colère de ces gardiens et causer des torts à la communauté entière. Individuellement, on évitait de provoquer cette colère et collectivement, des sanctions étaient infligées aux contrevenants afin d’éviter un mauvais sort au village. Ce caractère culturel des réglementations locales de surcroît assortie de cérémonies rituelles, a fortement contribué à les perpétuer à travers des pratiques foncières à forte coloration coutumière. Enfin il faut signaler que les chefs coutumiers étaient assistées aussi par des groupes de jeunes pour l’application des réglementations édictées en matière de gestion des ressources naturelles. Parmi ces groupes, les Alamodiou et les Ogokana qui survivent encore dans plusieurs villages des cercles de Bankass et Koro étaient particulièrement performants. • Les groupes traditionnels de gestion des RN (Alamodiou et Ogokana) D’origine mandingue, les Alamodiou et Ogokana sont des structures traditionnelles qui seraient arrivées dans la région de Mopti à la faveur l’émigration dogon. A la tête de l’organisation se trouve le Hogon chef traditionnel du clan. Il est également investi du statut de chef spirituel chargé de l’entretien des valeurs culturelles et de la gestion des conflits majeurs. Généralement, son autorité couvre une dizaine de villages se réclamant tous de la même descendance patrilinéaire. Les Alamodiou et Ogokana étaient directement rattachés au hogon, sous le couvert duquel, ils menaient leurs activités. Autant dire donc, que même les chefs de village ne pouvaient s’opposer à leurs activités et encore moins invalider leurs décisions. L’organisation est dirigée par le Seri (chef), assisté d’un Saga (adjoint). Elle dispose en outre d’un Soroma (messager) et de bras actifs : Alamodiou (signifiant vilain visage). Cette appellation, résulte de la laideur de leurs maquillages qu’ils ont adopté à dessein afin qu’ils ne soient identifiables au cours de leur mission. La mission des Alamodiou et Ogokana, consistait à veiller sur la bonne gestion des ressources naturelles : fixation des dates de cueillette et de pêche, interdiction de couper les arbres fruitiers, lutte contre la pollution des marigots et mares, gestion des conflits mineurs portant sur la gestion des ressources naturelles. Ils demeuraient vigilants en brousse aussi bien qu’au village afin de traquer les contrevenants éventuels. Quelque soit le statut social du contrevenant, il était arrêté par l’agent Alamodiou et soumis à des sanctions variables selon la

9 nature de l’infraction commise (paiement d’un bouc, mouton ou bœuf). A cet effet, il faut signaler que le paysan n’avait même pas le droit de couper une espèce ligneuse défendue par les Alamodiou, fut- elle située dans son champ. L’association se réunit deux fois par an : en début d’année pour fixer les conditions d’exploitation des ressources naturelles, et en fin d’année pour faire le bilan. Cette institution fut respectée par tous les pouvoirs antérieurs y compris l’Etat théocratique de Sékou Amadou. Par contre, elle fut combattue par les gouvernements successifs du Mali indépendant. La non reconnaissance de l’autorité du hogon par l’Etat malien fut le premier coup dur porté à l’organisation Alamodiou. Sans la couverture de ce chef spirituel, l’organisation est devenu un serpent sans tête. Néanmoins les Alamodiou ont continué à fonctionner dans une sorte de clandestinité vis-à-vis de l’Etat, mais en toute légitimité vis-à-vis des populations. Cela, parce que au-delà de leur mission de police environnementale, les Alamodiou jouent aussi des rôles socio - culturels à travers des activités tradi - thérapeutiques, des cérémonies rituelles de leur fétiche (la queue de vache) et l’organisation de réjouissances populaires de fin de campagne. Avec le service des Eaux et Forêts ce fut la guerre totale qui a sérieusement menacé la survie même de l’organisation. Pour ce service, il ne pouvait avoir deux législations dans le même pays à propos des ressources naturelles. Les organisations Alamodiou furent interdites. Le paradoxe d’une telle situation est troublant. Un service national qui bénéficie d’auxiliaires naturels bénévoles et qui leur fait la guerre au lieu de se les approcher, relève plutôt de l’absurde. A voir de près, cette guéguerre résultait simplement de la taxation que les forestiers ne pouvaient tolérer de la part de ces structures informelles. la méfiance des organisations Alamodiou par rapport au service des eaux et forêts durera jusqu’en 1993, date à laquelle l’ONG S.O.S Sahel s’est impliquée pour calmer la crise et même amorcer un processus de collaboration entre les deux types de structures. L’appui de cette ONG a surtout consisté à renforcer la capacité technique d’une quinzaine de Alamodiou à travers des séances de formation sur les méthodes de restauration des forêts, des sols, la lutte anti érosive, les brise vent etc. En plus, S.O.S s’est investi pour l’établissement de rapports de collaboration entre le service local des Eaux et Forêts et les Alamodiou de Bankass. L’intervention de S.OS. étant arrivé à terme en 2000, ce partenariat a replongé dans la morosité que l’ONG Care Mali tente de corriger présentement. D’autres structures plus ou moins similaires, existent dans quelques terroirs tels que les Welde Kelka du cercle de Douentza 1.1.4. Les pratiques foncières coutumières. • Les actes coutumiers d’accès à la terre. Le principe généralement admis que la terre soit un patrimoine communautaire a longtemps permis et permet encore aux communautés rurales de réglementer l’accès à la terre à travers des modes coutumiers qui s’avèrent simples et peu onéreux : accès par voie de donation (contre paiement symbolique de noix de cola, gerbe de mil..), ou par le biais de prêt généreux à durée indéterminée. Ces actes qui résultaient de l’abondance de la ressource foncière des temps passés, sont de plus en plus compromis par leur inadaptation au contexte actuel. Depuis l’accession du pays à la souveraineté nationale, la réflexion a été très peu développée sur les stratégies envisageables pour mettre ces pratiques coutumières en conformité avec l’environnement juridique et les exigences de développement des temps modernes. L’absence de support juridique aux actes de prêt et de donation de terre favorise l’émergence de multiples contestations et revendications de droits de propriété sur des terres acquises à travers la procédure coutumière. • Le système traditionnel de délimitation.

10 Le système traditionnel de délimitation des terres entre différents acteurs, de même qu’entre des villages voisins reposaient sur des objets naturels comme des marigots, mares, valons, arbres, sentiers etc. Là où ces éléments n’existaient pas on plaçait de gros cailloux avec interdiction de déplacer. Jusqu’à présent, ce système de délimitation est maintenu dans la majorité des terroirs du pays et contribue à exacerber les conflits fonciers à cause de multiples contestations des limites établies entre les parcelles de cultures ou entre des domaines villageois. • Les réglementations locales de gestion des ressources naturelles. La force des réglementations coutumières a permis jadis de gérer les ressources naturelles au mieux des intérêts de toute la communauté. De nos jours aussi les réglementations locales de la cueillette et de la pêche permettent encore dans certains terroirs : - d’éviter le gaspillage des ressources par leur exploitation précoce (il faut attendre que les fruits soient mûrs et que le cycle de reproduction du poisson soit à terme pour autoriser l’ouverture de la cueillette et de la pêche ); - d’éviter des exclusions en autorisant toute la population villageoise à pratiquer ces activités, une fois qu’elles sont ouvertes ; - de renforcer les liens de proximité par l’invitation de villages voisins à participer à la pêche annuelle sur un cours d’eau appartenant coutumièrement à un autre village etc. Remarques Ces institutions et réglementations ont entamé leur processus d’affaiblissement avec l’invasion Marocaine, les conquêtes de l’Etat théocratique de Sékou Amadou, la colonisation française et l’accession du pays à la souveraineté nationale.

I.2. L’INVASION MAROCAINE : ORIGINE LOINTAINE DU MALAISE FONCIER DANS LE SEPTENTRION MALIEN.

L’émergence de seigneurs féodaux, détenteurs de vastes domaines fonciers, a commencé sous l’occupation marocaine dirigée par le Pacha Djouder à partir de 1591. Pour mieux asseoir son pouvoir tant contesté et perturbé par des rebellions fréquentes à l’époque, l’occupant marocain a transformé les droits coutumiers communautaires, en des titres de propriétés individuelles qu’il attribuait à ceux qui lui faisaient allégeance. C’est ainsi qu’il usurpa des terres de plusieurs communautés qui lui étaient hostiles, pour les attribuer à ses « barons » qui pouvaient être des chefs autochtones soumis, ou des lieutenants allochtones chargés de l’administration de certaines contrées. Ces actes de donation de terres étaient légalisés, transcrits en arabe et consignés dans des « tarikhs » : genre d’annales contenant toutes les décisions administratives, judiciaires et autres hauts faits du pouvoir marocain. Du coup, la notion de chef de terre, au sens de gardien/gestionnaire de ressources communautaires, fut progressivement compromise en maints endroits du territoire conquis. Cette perturbation du régime foncier local, provoquera de profondes mutations sociales aux répercussions douloureuses et difficiles à supporter par les communautés victimes. • Dépossédées de leurs terres, plusieurs communautés ont préféré quitter leur site d’implantation initiale pour émigrer vers des zones où leur situation foncière demeure toujours précaire.(1) • Les fameux tarikhs de l’envahisseur ne donnaient non plus aucune précision sur les limites physiques des terres attribuées. De nos jours encore, la propriété foncière de certains chefs locaux est désignée en terme de zone couvrant des milliers d’hectares abritant, dans bien des cas, des villages et campements dont les populations sont prises au piège de la subordination au maître de séant.

11 • Cette subordination se traduit le plus souvent en terme d’alignement inconditionnel au maître qui est libre d’imposer le métayage, ou de pousser l’outrecuidance jusqu’à exiger de ces populations, de voter pour son parti politique sous peine de se voir expulser Ce triste héritage de l’invasion marocaine sera plus ou moins renforcé par les occupants successifs des régions du Nord : le royaume théocratique de Chékou Amadou, quelques puissantes tribus Touaregs, et le pouvoir colonial français. Avec l’accession à la souveraineté nationale, des tentatives de reformes agraires seront opérées, mais ne parviendront pas à bout de ce mode de tenure foncière qui demeure de nos jours encore, un sujet tabou que tous les politiques feignent d’ignorer, ou en tout cas, de gérer sans trop déranger les susceptibilités locales.

I.3. LA CODIFICATION DE LA GESTION DU FONCIER PAR LA DINA. Les secondes reformes foncières les plus significatives enregistrées pendant la période pré-coloniale, furent opérées par l’Etat théocratique de Chékou ou Sékou Amadou (1818 - 1863). Initialement limitées à l’Etat théocratique seul, ces reformes influenceront progressivement tout le Delta intérieur du Niger (depuis Mopti, jusqu’aux régions de Tombouctou et Gao). Les deux faits majeurs imposés par la Dyna et qui influenceront la gestion du foncier furent la sédentarisation forcée des nomades (pasteurs et pêcheurs) et la codification du système de gestion foncière. 1.3.1. La codification du système de gestion foncière et des ressources naturelles. Loin d’être une négation totale de l’ordre préétabli, les changements opérés par la Dyna ne furent en fait, qu’une codification écrite et réglementée de droits anciens établis sur des espaces de production, des groupes de producteurs et des ressources naturelles. Cette codification reposait essentiellement sur deux types de règles : les règles dites « d’accès libre » et celles dites « d’accès limité » aux ressources naturelles. Les règles de « libre accès » étaient appliquées aux ressources foncières, forestières, et aux pâturages des zones exondées. Autrement dit, les ressources naturelles de la zone exondée (foncières, ligneuses, et fauniques) n’ont fait l’objet d’aucune réglementation nouvelle. Elles pouvaient être utilisées par tous, conformément aux réglementations coutumières locales. Toutefois, pour des raisons économique ou islamique, la Dyna a interdit la coupe du Balanzan et toute infraction dans ce sens était punie de la peine de mort. Par contre, les règles dites « d’accès limité » portaient uniquement sur les terres agricoles, les pacages et les pêcheries situées dans la zone inondée. A cet effet, le Delta fut divisé en une trentaine de Léydi (unité territoriale), et chaque Léydi était subdivisé en zones agricoles, agro-pastorales, pastorales et piscicoles. Dans chaque Léydi, l’application des règles de gestion édictées par la Dyna, était confiée à un Dioro correspondant généralement à l’homme le plus âgé du lignage fondateur, également investi de l’autorité de gestion sur les pâturages. Le Dioro, généralement Peuhl de classe noble, avait sous son autorité les pâturages de plusieurs villages appartenant au même clan. A ce titre, il était plus ou moins assimilable à un patriarche ou un chef de canton chargé de contrôler le nombre de troupeaux étrangers admis à suivre ceux du clan dans les pâturages du Léydi, en fonction bien sûr de leur état et de leur qualité ; de fixer les dates d’entrée et de sortie des animaux desdits pâturages et de percevoir des redevances sur les troupeaux étrangers autorisés à y paître avec ceux du clan. Les terres de culture en zone inondée étaient gérées, soit par le Diomsaré, bras droit du Dioro, dans les hameaux de culture peuplés de Rimaïbé (de classe servile), soit par des communautés Bambara ou Marka à travers leur chef lignager respectif.

12 Les harimas ou pâturages proches des villages, étaient gérés par l’Amirou (chef de village et son conseil de sages). Une ou plusieurs portions de ces terres pouvaient être négociées par la population pour leur affectation à des fins agricoles. Les pêcheries étaient sous l’autorité du maître des eaux (Djitu), qui était généralement de l’ethnie Bozo ou Somono. Après consultation avec les sages, le maître des eaux réglementait l’accès aux pêcheries pendant les saisons sèche et de décrue et coordonnait les pêches collectives. Ce maître servait également d’intermédiaire entre les pêcheurs et le génie local de l’eau avec lequel une alliance avait été conclue. A ce titre, il se chargeait de faire respecter les interdits fixés par le génie de l’eau pour assurer la prospérité de la pêche, de décider de la mise en défens, d’autoriser l’exploitation des eaux à des pêcheurs étrangers contre paiement de redevances et enfin d’arbitrer les litiges éventuels. 1.3.2. Les structures d’application du code. Pour l’application de ce code, le pouvoir théocratique était représenté par les Dioro et les Marabouts, délégués par lui dans les différents terroirs. Ils constituaient le collège de gestion (Batu Mawdô) qui faisait office de conseil et avait la charge de gérer, entre autres, les « terres vacantes et sans maître » (Baytil Mâl). La dévolution, par transfert de certains pouvoirs aux Amirous et différents autres petits maîtres, permettait à la théocratie peuhle de se perpétuer et d’être présente dans tous les terroirs (villages et campements). Ce pouvoir très hiérarchisé, à travers des structures socio- ethniques verticales, était soutenu par des relations parentales savamment tissées et chacune des ressources était sous l’autorité d’un maître assisté par son clan. Sous la Dina, les autorités locales (Dioro, marabouts, Diomsaré, Amirou, Djitu ) avaient non seulement les pouvoirs ; mais aussi les moyens de faire respecter les règles de gestion, qui avaient l’avantage d’impliquer les communautés rurales parce qu’elles préservaient les intérêts de tout le clan. De nos jours encore, les Dioro demeurent incontournables dans la gestion des bourgoutières de la région de Mopti. Mais dans le contexte actuel de décentralisation et de crise, cette gestion des Dioro, de même que celle des maîtres des eaux, sont de plus en plus décriées parce qu’elles occasionnent de nombreux conflits fonciers qui ne cessent d’endeuiller annuellement la région (voir plus loin).

I.4. L’EVOLUTION DE LA QUESTION FONCIERE SOUS LA COLONISATION Le processus de perturbation /complication de la situation foncière va s’intensifier davantage sous la domination coloniale française (1857 – 1960). Très tôt après la pénétration, le gouvernement colonial français a perçu l’importance stratégique du foncier comme moyen de consolider son pouvoir fraîchement acquis et très souvent menacé par l’insoumission, des soulèvements et attaques périodiques : - insoumission de plusieurs fractions nomades dont celle de l’aménokal Firhoun qui a combattu les colonnes françaises de 1893 jusqu’au 23 janvier 1903, date à laquelle, elle a fini par se soumettre, - soulèvements de Ouélessébougo, du Bélédougou, des Bobos et des Dogons qui furent sauvagement réprimés dans le sang. Dans le pire des cas, le ou les villages supposés être les instigateurs de telle ou telle révolte, étaient déportés loin de leur site initial d’implantation, afin de briser toute autre tentative de récidive dans la zone de perturbation. Les communautés villageoises ainsi extraites de leur terroir, ont été implantées dans d’autres zones où leur situation foncière demeure encore très précaire. Elles ne peuvent accéder à la propriété foncière que très difficilement, parce que cette propriété est coutumièrement détenue par les collectivités d’accueil qui veillent jalousement sur leurs droits et n’autorisent l’accès de « ces étrangers » à

13 la terre que par voie de prêt. Des cas de ce genre sont nombreux dans la région de Mopti, suite au soulèvement Dogon. 1.4.1. Les Nouvelles réglementations foncières coloniales Fort des vertus de « l’arme foncière » et pour des raisons économiques évidentes, l’administration coloniale s’est engagée dans le processus d’accaparement du pouvoir de gestion foncière à coup de décrets, dont l’un des plus déterminants fut celui du 23 octobre 1904, portant organisation du domaine en Afrique Occidentale française. Dans son titre premier, article 1, ce décret définit les composantes du domaine public dans les colonies et territoires de l’AOF comme suit : le rivage de la mer jusqu’à la limite des plus hautes marées…, les cours d’eau navigables…, et cours d’eau non navigables…, les lacs, lagunes et étangs.., et généralement, les biens de toute nature que le code civil et les lois françaises déclarent non susceptibles de propriété privée etc. Ce vaste domaine aux limites imprécises, parce que l’article 10 du même décret, y ajoute aussi les terres vacantes et sans maître, était soumis à la gestion exclusive de l’administration coloniale à travers le ministère des colonies, les Gouverneurs Généraux et les Lieutenants- Gouverneurs de colonie. A cet effet, l’article 6 du décret stipule que le Lieutenant Gouverneur accorde les autorisations d’occuper le domaine public et d’y édifier des établissements quelconques suivant les conditions déterminées par les règlements généraux prévus par l’article 8. Cet article 8 stipule à son tour, que des règlements généraux arrêtés par le Gouverneur général en conseil de Gouvernement édictent les règles relatives à la police, à la conservation et à l’utilisation du domaine public ainsi qu’à l’exercice des servitudes d’utilité publique et des servitudes militaires. Du coup, commença la superposition du droit dit positif avec les droits et pratiques coutumiers et en cas de nécessité ou de litige, le premier (droit colonial français) s’imposait forcement aux seconds (droits coutumiers indigènes). Effectivement, l’article 11 du même décret précise dans ses alinéas 2 et 3 que : - les concessions portant sur une étendue comprise entre 200 et 2000 hectares sont accordées par le Gouverneur général, sur proposition du Lieutenant – Gouverneur, après avis du conseil Administratif, - les concessions portant sur une étendue supérieure à 2000 hectares sont accordées par décret rendu sur le rapport du Ministre des Colonies, sur la proposition du Gouverneur Général, et après avis de la Commission des Concessions Coloniales Avec de telles marges de manœuvre laissées à l’administration coloniale, la situation foncière au Mali sera profondément perturbée en fonction des besoins et caprices des administrateurs coloniaux. Les droits coutumiers en furent très affectés, parce qu’ils étaient de plus en plus piétinés, voire ignorés. A ce propos, cette déclaration du Gouverneur Général Van Volhanoven est assez édifiante : « Désormais vos chefferies et vos coutumes n’existent plus ; c’est ce que veut la France qui se fera ici ». Et c’est ce que la France a voulu qui a été fait ici, notamment par l’institution des chefs de Canton, qui ravirent la vedette aux chefs coutumiers traditionnels, et par l’application de bien d’autres reformes parmi lesquelles, celles ci-dessous exposées nous semblent suffisamment significatives.

1.4.2. Quelques perturbations des régimes fonciers locaux par la colonisation. • Dans le Nord du pays. a) Pour consolider son pouvoir, l’administration coloniale s’est alliée les dignitaires locaux de type latifundiste, propriétaires de vastes domaines fonciers attribués par l’envahisseur marocain. A cet effet, elle a reconduit et légitimé certaines de ces concessions par des actes écrits appelés « conventions » dont les premières furent délivrées en 1906. Ces

14 conventions qui sont surtout nombreuses dans la région de Tombouctou, sont restées en vigueur même après l’accession du pays à l’indépendance. b). Face aux nombreux conflits fonciers qui perturbaient la stabilité sociale dans la zone de la vallée (région de Gao), l’administration coloniale a procédé en 1952, à un vaste recensement des zones agro-pastorales à l’issue duquel, elle délivra des carnets de terre à chaque village et chef de famille pour mettre fin aux multiples revendications foncières qui troublaient l’ordre social. La superposition de ces cahiers de terre avec les conventions datant de 1906 et au-delà, contribua davantage à la confusion autour du foncier rural dans le nord du pays. • Dans le centre du pays. la création de l’Office du Niger le 5 janvier 1932, et la dévolution à l’Etat français et à l’Office du Niger de toutes les terres aménageables du delta (décret du 15 novembre 1935), représentent les premiers cas d’expropriation foncière collective et d’imposition d’un modèle d’exploitation agricole jamais connu auparavant dans le pays, même si les villages pré- existants à l’ON ont bénéficié d’indemnisations non négociées la plupart du temps.

• Et partout ailleurs. De nombreux cas de spoliations foncières opérées par des administrateurs coloniaux au profit de certains protégés, représentent actuellement un des facteurs majeurs de conflit dans plusieurs zones rurales. Le conflit qui oppose présentement les villages de Sakala et Makana (cercle de Bougouni), est une illustration éloquente de ce type de manœuvre coloniale. Le conflit a rebondi en 2000/2001, quand Makana est revenu à la charge en réclamant son droit de propriété sur une mare que Sakala considère comme étant aussi sa propriété. En vérité le titre de propriété de la mare aurait été attribué au village de Sakala par l’administrateur colonial, en guise de récompense au chef de Canton de l’époque et cela, au détriment de Makana présumé être le propriétaire authentique. Avec l’avènement de la décentralisation, le conflit a rebondi, et Makana s’est allié trois villages amis pour mener la guerre contre Sakala. Durant une année entière, les coalisés interdirent l’accès de la foire hebdomadaire de Kéléa (chef lieu d’arrondissement) aux habitants de Sakala. Malgré l’intervention de toutes les sensibilités politiques et coutumières, ce conflit perdure toujours. • En matière de foresterie. Pour tirer le maximum de profits des ressources forestières, le colonisateur procédera au classement des premières forêts par l’adoption du texte forestier du 4 juillet 1935. Ces classements, qui soustrayaient de facto lesdites forêts à l’exploitation indigène, assuraient sa mainmise sur les ressources en question. Ainsi, il créa des chantiers de coupe de bois pour approvisionner les machines à vapeur du chemin de fer Dakar- Niger ainsi que les machines de la Messagerie Africaine qui assurait le transport fluvial de Koulikoro à Gao.

1.5. LA QUESTION FONCIERE DEPUIS L’INDEPENDANCE. 1.5.1. Les insuffisances et incohérence de la législation foncière (1960- 1986). Paradoxalement, les législations foncières nationales en Afrique au Sud du Sahara sont restées largement tributaires de l’héritage colonial que la plupart des Etats africains ont plus ou moins reconduit, en ignorant ou en abolissant les règles et pratiques foncières locales, en favorisant la généralisation de la propriété privée ou bien en accordant à l’Etat, garant de l’intérêt général, le monopole foncier ( cf. Bibliographie et Lexique du foncier en Afrique noire : Milica et Catherine Goislard, Karthala, 1998, p.13). Ceci est d’autant plus vrai pour le Mali, qu’ici, les législations foncières ne connaîtront pas de modification significative 26 ans durant après l’indépendance, c'est-à-dire de 1960 à 1986.

15 Avant 1986, la législation fut caractérisée par la multiplicité de textes difficiles à retrouver et manquant souvent de concordance (textes coloniaux, lois de la Première République, ordonnances du CMLN…). Comme l’écrivait Rochegude (1976 : t.III, p. 14) : « Personne n’était capable de faire un exposé correct de la législation foncière au Mali ». C’est justement pendant cette période de flou, que la question foncière connaîtra de nouvelles dimensions avec l’explosion démographique progressive, l’urbanisation galopante, les sécheresse des années 70, assorties de réduction de l’espace productif, l’implantation de grandes Opérations de Développement rural qui va sensiblement améliorer le niveau d’équipement technique agricole avec lequel les paysans poursuivront leurs pratiques d’extension des surfaces cultivables etc. En outre, il faut signaler la politique d’incitation du régime socialiste de la Première République visant à encourager les fonctionnaires à s’investir dans l’agriculture, et dont le Président Modibo Kéita donna l’exemple à travers son champ de Moribabougou. Cette politique fut le prélude au processus d’attribution des concessions rurales dont l’actuel quartier de Korofina Nord constitue une des illustrations les plus marquantes. Ce quartier était initialement destiné à la promotion de l’agro pastoralisme, entre les mains d’acteurs avertis (les fonctionnaires), avec lesquels pensait-on, ce secteur serait propulsé au plus haut niveau de performance. Avec la disparition rapide de la première République, le quartier phare de Korofina est devenu une zone résidentielle de haut niveau. Changement de temps, adoption de nouvelles tendances! Sous l’effet combiné des facteurs ci-dessus énoncés, la terre commença à acquérir timidement mais sûrement, de nouvelles valeurs (surtout marchande) que les paysans ne lui connaissaient pas auparavant. Et quand le Comité militaire pris les affaires en main, dans un tel contexte, la ruée des fonctionnaires, commerçants et autres sur le foncier, s’amplifia dans les zones urbaines et péri urbaines. Les zones rurales n’échapperont pas à ce regain d’intérêt soudainement passionné pour le foncier. La réduction de l’espace productif exploitable suite aux sécheresses répétitives, provoquera dans maints terroirs, la ruée des paysans vers les rares zones aptes à sécuriser les cultures : bas fonds, plaines, et les rivages des cours d’eau (mares, fleuves et bras de fleuves). Du coup, la compétition pour l’accès à ces terres, s’exacerba entre éleveurs et agriculteurs. En même temps, des revendications de propriété sur les terre se multiplièrent. Dans ce contexte chaotique, les commandants de cercle et chefs d’arrondissement qui avaient la charge de la gestion foncière sur l’ensemble du territoire national, ont très souvent brillé par leurs abus de pouvoir dans le règlement des conflits fonciers. Avant 1986 en effet, les litiges fonciers dans le monde rural étaient portés devant le chef d’arrondissement ou le commandant de cercle qui dressait un procès verbal de conciliation. Si l’affaire ne pouvait pas être réglée ou si elle resurgissait, elle était portée devant la section administrative de la Cour Suprême. Ce système présentait certains avantages mais aussi des inconvénients. Les paysans, éleveurs et pêcheurs, ayant à régler un litige, pouvaient le faire à proximité de leur résidence, sans frais supplémentaires et souvent sans avoir le sentiment d’être criminalisés. Mais l’existence d’une seule possibilité de recours et seulement dans la capitale, n’a pas favorisé l’évolution d’une jurisprudence foncière constante. Les parties en litige préféraient généralement ré-ouvrir leur affaire après le remplacement de l’administrateur.

1.5.2. Le Code Domanial et Foncier de 1986. Le premier texte véritable du dispositif législatif pris après l’indépendance est, sans aucun doute, le Code Domanial et Foncier (CDF) qui, selon T. Sanogo (1990 : 2) « se veut être une grande charte d’occupation de l’espace à des fins agro-sylvo-pastorales, industrielles et de logement ». Ce Code, comprenant en tout 344 articles, divisés en sept titres et 13 chapitres, et réglementant un grand nombre de thèmes différents, fait de la domanialité un principe de

16 base, principe que l’on retrouve également dans le Code Forestier (CF) et la Loi fixant le régime des eaux. Grâce à la définition extensive du Domaine privé de l’Etat (art. 37 CDF), qui englobe non seulement les terres immatriculées au nom de l’état, mais aussi toutes les terres non immatriculées, la propriété étatique a été érigée en principe général de droit. Cela veut dire que l’Etat malien se considère également comme maître et gérant de toutes les terres non immatriculées, détenues en vertu de droits coutumiers et de toutes « terres vacantes et sans maître » (art. 127 CDF). Il en est de même du domaine forestier classé et du domaine forestier protégé (art. 15 CF), tandis que l’Etat a un regard strict sur le domaine forestier des collectivités et des particuliers (art. 52 CF). L’Etat malien a également décrété la domanialité des eaux (cf. la Loi fixant le régime des eaux qui réglemente le domaine hydraulique de l’Etat). Bien que le CDF ne consacre pas de dispositions expresses au pastoralisme, il est généralement admis que les pâturages, les axes de transhumance, les points d’eau du bétail, etc. appartiennent également à l’Etat (cf. Décret 65 PGRM du 21 Mai 1973 portant réglementation des pâturages et points d’eau du Gourma). A côté de la propriété de l’Etat, le régime foncier connaît des procédures d’accès progressif au titre foncier au nom d’une personne physique ou morale. Dans le monde rural c’est la concession rurale qui vise la conversion d’un droit d’usage provisoire en un droit réel de propriété privée (art 39-70 CDF). Depuis l’introduction du CDF en 1986, la compétence de la section administrative de la Cour Suprême se limite uniquement à la constatation de la validité des concessions rurales (art. 70 et 125 CDF). La grande majorité des litiges fonciers en milieu rural étant d’ordre «coutumier », ils relèvent désormais, en vertu de l’article 134 CDF, de la compétence du juge judiciaire. En matière de foresterie, l’administration continuait à jouer un rôle important : le chef d’arrondissement et le commandant de cercle étant des officiers de police judiciaire, constataient les infractions forestières. Ils étaient aidés par les agents forestiers et les chefs de village (cf. CDF art. 53-58).

1.5.3. Démocratie et tentatives d’amélioration du dispositif législatif sur le foncier. • Le début du processus des reformes Les améliorations enregistrées en matière de législation foncière au Sahel résultent d’un long processus de revendications, dont le coup d’envoi est parti du CILSS, pour s’étendre ensuite à tous les pays membres. Au Mali, ce long cheminement fut jalonné par trois principales étapes. D’abord le séminaire du CILSS en novembre 1991( premier séminaire national sur le foncier), qui a permis de faire le constat des insuffisances du code domanial et foncier de 1986, Ensuite, les Etats Généraux du monde rural tenus en décembre 1991, Enfin, une seconde conférence nationale sur le foncier tenue en janvier 1994. Mais depuis les Etats Généraux du monde rural de 1991, les politiques agricoles d’inspiration plus ou moins coloniale, furent largement décriées par les représentants du monde rural. Les acteurs ruraux présentèrent plusieurs doléances parmi lesquelles, celle relative au changement du type de rapport avec l’Etat fut exigée avec vigueur. Ce rapport était perçu comme un moyen pour caporaliser les ruraux en ne faisant d’eux que de simples exécutants de politiques agricoles conçues pour eux mais sans eux. Cette réaction d’un leader paysan affirmant « que tout ce qui est décidé pour nous mais sans nous, est contre nous », illustre bien la frustration des ruraux face à ce type de rapport avec l’Etat. Dans le même rapport, la question foncière notamment à l’Office du Niger, fut l’objet de vives critiques, ce qui déclenchera du coup la remise en cause de la législation foncière en général, qui n’était à leurs yeux, qu’un mimétisme de la législation coloniale tout court. Depuis, des tentatives d’amélioration de la question foncière, notamment à l’Office du Niger, seront engagées,

17 suivies plus tard, par d’autres reformes assez significatives en matière de réglementation foncière en général. • Le second coup de pousse du CILSS. A la faveur de la démocratie qui avait pratiquement amorcé son ancrage dans presque tous les pays sahéliens, le CILSS et le Club du Sahel soumettront à nouveau la question foncière à réflexion à travers l’organisation d’une Conférence régionale sur la problématique foncière et la décentralisation, tenue à Praia au Cap Vert, du 20 au 24 juin 1994. A l’issue des travaux, fut lue et publiée la « Déclaration de Praia » dont voici quelques grandes conclusions et recommandations. L’état des lieux de la question foncière a permis d’identifier les problèmes essentiels suivants : - l’inaccessibilité des textes pour les utilisateurs ; - l’éloignement des institutions chargées de gérer les ressources naturelles et celles chargées de régler les différends fonciers ; - la méconnaissance des pratiques et règles locales par les institutions qui gèrent les questions foncières ; - la non-reconnaissance de la légitimité des institutions locales dans la plupart des pays sahéliens ; - des textes législatifs ne rendant pas suffisamment compte de la complexité des situations foncières ; - des potentialités inégales des terroirs et l’absence d’une politique d’aménagement équilibré du territoire, ce qui accentua la compétition et les conflits dans certaines zones, provoquant ainsi une exploitation des ressources non compatible avec leurs capacités de renouvellement.

- la précarité de la situation foncière de plusieurs catégories sociales : femmes, pasteurs, minorités, métayers, migrants, réfugiés etc. La conférence a défini, en conséquence, les pistes suivantes de solutions : - la nécessité préalable de définir un statut clair pour le foncier et pour tous les acteurs : agriculteurs, éleveurs et pêcheurs notamment ; - le besoin urgent pour chaque pays d’élaborer une législation d’ensemble qui fixe les orientations générales d’une gestion foncière fondée sur l’équité et sur la justice sociale. Il reviendrait ainsi aux populations locales, à travers leurs institutions, à rechercher les modes d’application qui prennent en compte leurs réalités sociales et culturelles ; - la nécessité de définir des cadres contractuels clairs et durables qui améliorent les conditions d’accès aux ressources naturelles des catégories marginalisées, fixent les rapports entre les propriétaires fonciers et les usagers et procurent la sécurité nécessaire à la libération des énergies de ces derniers ; - la nécessité d’envisager l’aménagement du territoire pour la sauvegarde de l’environnement et des cadres de vie, en s’inspirant des expériences positives (locales ou ayant fait leurs preuves ailleurs), en se fondant sur des avantages comparatifs, sur des techniques performantes, accessibles et adaptées ; - le constat que les pratiques locales qui s’inspirent des règles traditionnelles pénalisent les femmes en limitant leur accès à la propriété foncière. Les effets réels des nouvelles lois, apparemment égalitaires, sont considérablement atténués par la circulation très limitée de l’information, par le niveau technique et les capacités de gestion des femmes ;

18 - l’urgence d’élaborer des programmes d’information, de sensibilisation et d’éducation des utilisateurs, en rapport avec l’objectif des législations visant à améliorer les comportements et les relations entre les différents acteurs ». La Conférence a vivement recommandé aux Etats du Sahel d’inscrire ces conclusions dans leurs politiques et a insisté sur leur conjonction avec les recommandations de la Convention Internationale sur la Désertification. Environ dix ans après, l’ évaluation de ce programme CILSS (Praia plus 9) signale les changements ci après. • L’adoption de l’Ordonnance N0 00 – 027/ P – RM du 22 Mars 2000 portant code domanial et foncier en remplacement du code domanial et foncier de 1986. • La promulgation en Mars 2002, d’une série de décrets relative à l’application du nouveau code. • En matière de ressources fauniques et forestières, on assista à un véritable toilettage des anciens textes. Ainsi, 18 nouveaux textes forestiers sont adoptés dont 5 Lois, 7 Décrets et 6 Arrêtés. • En matière pastorale, la Loi N0 01 004 du 27 février 2001 portant Charte pastorale a été adoptée. • la création d’une commission technique nationale de suivi des questions foncières, au sein de la CPS du MDRE, • l’organisation par la CPS de l’Atelier National de Concertation sur les questions foncières, tenu a Ségou du 28 au 31 Mai 2001 etc.

19 II. CARTOGRAPHIE DE LA SITUATION ACTUELLE DU FONCIER. La situation foncière nationale est loin d’être uniforme. Elle se caractérise par la juxtaposition d’une mosaïque de zones à disponibilité foncière très inégale et qu’on peut répartir en deux grandes catégories. Catégorie A. Zones sensibles à faible disponibilité foncière caractérisées par : o la fragilité écologique assortie d’une forte dégradation des sols, o la fréquence des déficits pluviométriques, o la forte compétition pour l’accès aux rares espaces aptes à sécuriser les activités agricoles et pastorales. o la prévalence des conflits résultant de modes anachroniques de tenure foncière, de revendications de droits de propriétés, etc. Catégorie B. Zones à disponibilité foncière relativement abondante caractérisées par : o une moyenne pluviométrique généralement suffisante pour les besoins des cultures, o des sols peu dégradés au couvert végétal abondant et renfermant par endroits des gisements d’or. o l’abondance des terres cultivables permettant par endroits la pratique de la jachère. 2.1. Fiche signalétique des zones sensibles. Les poches géographiques où la situation foncière demeure très sensible, se répartissent entre six régions du pays. o Kayes. - Cercles de Yélimané, Nioro, Diéma et Kayes. Dans ces circonscriptions, la sensibilité de la question foncière résulte essentiellement de la dégradation des sols, la fréquence des déficits pluviométriques, des revendications conflictuelles de droits de propriété sur les rares espaces aptes à sécuriser les activités agricoles et pastorales. o Koulikoro. - Cercles de Nara, Kolokani. Les facteurs de sensibilité de la question foncière résultent des mêmes raisons de dégradation des sols et de forte compétition pour les rares espaces aptes à sécuriser les activités agricoles et pastorales. - Cercles de Koulikoro et Kati. La prolifération des concessions rurales et l’urbanisation galopante qui dévore de plus en plus de terre, représentent les plus grosses menaces pour la sécurité foncière des acteurs ruraux de ces zones. o Ségou. - Cercles de Tominian où la question foncière demeure confrontée à l’épineux problème de la transhumance des troupeaux de Mopti, des revendications de droits de propriété, la dégradation des sols. - Le cercle de Niono se caractérise par la présence d’immenses terres non aménagées et la permanence de l’insécurité foncière qui plane sur les petits exploitants de l’O.N. o Mopti. La question foncière est si brûlante dans cette région qu’aucun cercle n’est épargné. Néanmoins, les circonscriptions administratives suivantes ont été identifiées comme étant les plus affectées par l’acuité de la question foncière. - Cercles de Koro pour des revendications de droits de propriétés résultant de l’évolution de la pénurie foncière et du rétrécissement des aires de pâturage. - Cercle de Youvarou et Tenenkou pour des revendications conflictuelles de droits de propriété sur des pêcheries, o Tombouctou et Gao. - L’ensemble de la zone de la vallée qui intéresse les cercles de Nyafunké, Diré, Goundam, Tombouctou, G Rharous, Bourem, Gao et Ansongo. L’acuité de la question foncière dans la vallée du fleuve, résulte de la forte concentration de toutes les activités de production sur cette seule zone dans les régions de Tombouctou et Gao. La nature sableuse du reste du territoire de ces deux régions est peu propice au

20 développement de l’agriculture. Ainsi, pêcheurs, éleveurs et agriculteurs ne cessent de s’affronter dans cette zone pour avoir accès à ces terres.

2.2. Fiche signalétique des zones à disponibilité foncière relativement forte. Région de Kayes : cercles de Kita, Kéniéba, Bafoulabé où l’abondance de la ressource foncière permet encore de pratiquer la jachère. Toutefois de graves problèmes environnementaux se posent dans le cercle de Kéniéba à cause de l’exploitation des gisements d’or. Région de Koulikoro : cercles de Kangaba et Dioïla. La disponibilité foncière et l’abondance du couvert végétal sont encore très significatifs dans ces deux circonscriptions. Kangaba se particularise en la matière, puisqu’il est de nos jours une des rares zones qui accueillent annuellement un nombre impressionnant de troupeaux transhumants. Région de Ségou : cercle de Baroueli, San, Ségou, Bla, Macina. Bien que ces cercles ne soient pas encore frappés de pénurie foncière, les possibilités de nouveaux défrichements et la pratique de la jachère sont de plus en plus réduites à cause du fort taux d’occupation des terres cultivables. Région de Sikasso : Cercles de Bougouni, Yanfolila, Kadiolo. Ces trois circonscriptions disposent de ressources foncières abondantes et d’un couvert végétal riche et varié qui attirent de nombreux éleveurs allochtones à venir transhumer ou s’implanter définitivement. Mieux, le sous-sol des cercles de Bougouni, Yanfolila et Kadiolo regorge de gisements d’or dont l’exploitation pose de plus en plus des problèmes d’ordre social et environnemental. Par contre, le fort taux d’occupation des terres agricoles des cercles de Koutiala, Sikasso et Yorosso a considérablement réduit leur disponibilité foncière. Comme on peut le constater, malgré la disponibilité foncière relative de ces zones, elles connaissent des problématiques spécifiques qui peuvent compromettre du jour au lendemain, la sécurité foncière et la stabilité sociale (transhumance, problèmes de délimitation, exploitation du sous-sol…).

21 III. LES CONFLITS FONCIERS : TYPOLOGIE ET LOCALISATION.

3.1. Les facteurs de conflits La gestion du foncier rural est de plus en plus tumultueuse. Il en résulte une avalanche de conflits qui endeuille annuellement le pays. Ces conflits résultent de facteurs multiples et complexes parmi lesquels, ceux liés aux modes coutumiers d’accès à la terre, aux réglementations locales et aux systèmes de production sont déterminants. • Les facteurs résultant des modes coutumiers d’accès à la terre. L’absence de support juridique aux actes coutumiers d’accès à la terre, de même que les insuffisances et contraintes de certaines pratiques foncières sont des facteurs potentiels de conflit à cause : o du mode coutumier de délimitation des terres qui demeure très imprécis, o du caractère informel des droits de propriété foncière non authentifiés ni certifiés par écrit, o de l’insécurité foncière des exploitants de terres empruntées depuis des décennies et qui sont de plus en plus sommés de déguerpir, o des tentatives de spoliation de terres prêtées, o des ventes illégales de parcelles communautaires par des chefs de village, o du métayage institué par de gros propriétaires fonciers sur de vastes domaines, o des modalités de répartition de l’héritage foncier qui conduit parfois à la scission des familles et au morcellement du capital foncier familial. • Les facteurs liés aux réglementations coutumières de gestion des RN.

L’affaiblissement progressif et manifeste de ces réglementations locales illustrées entre autres, par la corruption dans le rang des gestionnaires traditionnels de ressources communautaires et l’incivisme grandissant des acteurs, favorise l’adoption de comportements préjudiciables aux intérêts communautaires et susceptibles de ce fait de provoquer des conflits: o la cueillette précoce des fruits sauvages, o la pêche clandestine dans des cours d’eau mis en défens par des villages, o la surexploitation de massifs forestiers villageois par des opérateurs allochtones, o l’utilisation d’engins de pêche non conventionnels, o la multiplication de la location de points d’eau à des pêcheurs allochtones par des gestionnaires traditionnels de l’eau, o la violation des réglementations locales des bourgoutières par des dioros pour des raisons pécuniaires. • les facteurs liés aux modes de production. Le mode extensif de production auquel obéissent l’agriculture et l’élevage exigent l’occupation de vastes espaces et conduit forcément à l’épuisement des réserves de terres agricoles de même qu’au rétrécissement des aires de pâturage. Conséquemment, la compétition entre éleveur et agriculteur s’amplifie et s’envenime pour l’accès à la terre à cause de : o l’occupation anarchique des espaces de pâturage par les agriculteurs, o l’obstruction des couloirs d’accès du bétail aux points d’eau et terres salées, o la divagation des animaux et les dégâts qui en résultent, o le faible développement des cultures fourragères, o l’accès de plus en plus difficile des troupeaux aux résidus de récoltes que les agriculteurs eux-mêmes récupèrent pour les besoins de leur bétail ou pour des raisons commerciales.

22 3.2. Typologie et localisation des conflits De la panoplie de conflits fonciers qui compromettent la stabilité sociale dans les zones rurales, l’étude a retenu trois principaux types. 3.2.1. Conflits entre exploitants appartenant au même système de production. Ils résultent généralement du mode imprécis de délimitation, du partage de l’héritage foncier, des revendications de droits de propriété sur des terres agricoles, sites de pâturage ou de pêche etc. Ces types de conflits sont fréquents dans tous les terroirs mais particulièrement plus accentués et violents dans les zones pastorales et de pêche, comme le témoigne certains cas de conflits recensés au cours des enquêtes Exemple type n°1 : conflit entre les tributs Oulad Amrane et Oulad Bouhanda La tribu Oulad Amrane a demandé et obtenu l’autorisation des Kel Antassar de Goundam, de creuser un puits sur leur territoire afin d’y laisser pâturer ses troupeaux. La tribu sœur Oulad Bouhanda avait accès à ce même puits. La tribu Oulad Amrane, qui s’est relativement enrichie depuis, s’est investie dans l’achat de bétail, et ses troupeaux se sont agrandis. Elle a dès lors refusé l’accès de son puits aux troupeaux de la tribu Oulad Bouhanda. Ces derniers, à leur tour, ont demandé et obtenu l’autorisation de creuser un puits sur le même territoire et dans la même zone de pâturage de la tribu Oulad Amrane. Pour des raisons objectives, parce que conforme à la coutume, ce nouveau puits ne peut être construit qu’au delà d’une distance de 20 km. Or à cette distance, la qualité du pâturage n’est plus aussi intéressante. Le Groupe Bouhanda refuse et commence à creuser son puits à proximité. Le conflit éclate. Le groupe Oulad Amrane agresse les puisatiers, tue un d’entre eux et détruit les équipement. La justice a soutenu Oulad Bouhanda considérant que la construction du deuxième puits n’entraînait pas un risque de surpâturage dans la zone. Mais ce faisant, elle a ignoré la coutume en la matière, vexant la tribu Oulad Amrane au plus profond de son être. Le conflit s’empira. Des membres de la tribu Oulad Amrane sont arrêtés et emprisonnés. Les autorités locales (judiciaires, administratives et politiques) ont pris peur par la suite, face au risque d’aggravation du conflit qui semblait si imminent. Les prisonniers ont été libérés. La décision de justice ne peut être exécutée. Le conflit reste aujourd’hui sans solution. Exemples type n° 2 Dans les zones agricoles, le même type de conflit existe mais il généralement Le cas d’un jeune paysan originaire de Kolondiéba mais installé dans un village de la commune de Sido est assez édifiant. Par son ardeur au travail, ce jeune paysan répondant au nom de Abou koné fut reconnu par la CMDT comme étant le plus gros producteur de son secteur avec ses 40 ha. Mais quand il a décidé d’étendre ses parcelles de 10 ha, des conflits l’opposèrent aux autochtones. Malgré les interventions de la CMDT, de l’administration locale et de la chambre d’agriculture de Bougouni, il finit par être expulsé de la zone et retourna dans son village d’origine à Kolondiéba. - Quand le conflit oppose des allochtones, il dégénère fréquemment en des actes de vandalisme comme ce fut le cas dans le village de Flaboula (commune de Bougouni), où un jeune exodant de retour au bercail a entrepris une plantation d’anacardier sur 10 ha. La deuxième année, quand le champ avait commencé a bien pousser, il fut entièrement détruit lors d’un conflit foncier. Des gens auraient trouvé que ce champ était situé sur les terres d’une autre famille. - Un cas similaire s’est produit à Garalo et a porté sur la destruction de 5 ha d’anacardier . Partout ailleurs, Bankass, San, Barouéli, Bourem, Diéma, Kayes, Kita, etc, des conflits de ce type ont été signalés mais ils sont généralement maîtrisés au niveau local.

23 3.2.2. Conflits entre exploitants appartenant à différents systèmes de production. Ils résultent des divagations d’animaux et de l’occupation des aires de pâturages ou des sites de pêche par des exploitants agricoles. Ces types de conflits sont courants dans toutes les régions. Ils sont particulièrement fréquents et parfois violents dans les cercles de : o Kangaba, Doïla, Nara (région de Koulikoro) o Tominian (région de Ségou) o Kita, (région de Kayes) o et sur l’ensemble des régions de Sikasso et Mopti. A Mopti, la prévalence de la divagation des animaux a conduit plusieurs villages à instituer leurs propres législations, brigades de poursuites et fourrières. La prolifération de ces institutions aux exigences différentes d’un village à l’autre, conduit à des conflits multiples et permanents dans la région.

3.2.3. Conflits entre communautés villageoises. Ils résultent des revendications de droits propriétés sur des terres, des pâturages ou des pêcheries. Généralement très violents et meurtriers ces types de conflits sont courants dans les régions de : Mopti, cercles de Koro, Youvarou, Teninkou, Tombouctou, cercles de Goundam, Gourma Rarhous, Tombouctou Gao, cercle d’Ansongo Kayes, cercle de Yélimané, Nioro, Kayes. Conflit opposant les villages de Kéla (commune de Kangaba) et Salamalé (commune de Kéniégué) : 4 morts dont deux de chaque côté. Objet : une vaste plaine marécageuse que les deux villages réunis ne peuvent entièrement exploiter même dans 10 ans. Sur cet espace sont implantés depuis des années un hameau de culture du village de Kéla, et un hameau de culture du village de Salamalé ; distants l’un de l’autre d’environ 200 m. Un conflit de limite entre parcelles a opposé les deux hameaux voisins depuis bien avant l’institution des communes. Ce problème a duré à la justice sans pouvoir être tranché. Entre temps les communes furent instituées. Depuis, l’un des maires s’est positivement impliqué dans la gestion de cette crise en tentant une médiation à l’amiable. Puisque l’espace contesté ne dépasse guère 30 mètres, il a joué sur la corde de la parenté avec le village de Salamalé dont sa mère est originaire, en demandant à ces oncles, de lui céder ce petit espace pour qu’il le donne aux gens de Kéla afin que le conflit cesse. Peine perdue. Il fit la même démarche auprès des gens de Kéla qui sont dans sa commune, en demandant de lui céder les 30 m pour les remettre aux gens de Salamalé afin de mettre fin au conflit Là, il obtint gain de cause. Mais, plus tard, les gens de Salamalé revinrent à la charge, dépassèrent les 30 m pour pénétrer davantage dans les limites de leur voisin. Le conflit rebondit et même s’aggrava. Il ne s’agissait plus de revendication d’espace contesté ; mais plutôt de droit de préséance de tel ou tel village sur l’ensemble de la zone. Pour les habitants de Salamalé, la zone leur appartient parce qu’ils l’ont eu avec les Kéita de Kéniégué. Pour Kéla, la zone est leur propriété par ce qu’ils l’ont eue avec les Camara de Kangaba. A la Justice où cette affaire traîne depuis des années, on change de stratégie avec cette nouvelle donnée. Le juge envoie une lettre aux chefs de villages voisins afin de connaître leur avis sur la question. Il n’obtiendra aucune réponse. Alors il tente une conciliation en disant aux deux parties de surseoir au procès parce qu’ils ne sont pas les vrais propriétaires coutumiers de la zone mais plutôt les Kéita et les Camara. Il informe ces derniers et fixe une date de procès. Avant cette date, les protagonistes informés ont eu peur de tout perdre lors de cette confrontation. Des actes de vandalismes seront commis dans les bananeraies plantées

24 dans la zone. Les esprits se surchauffent et il s’ensuit un affrontement qui laissera trois morts le premier jour de la bataille : 2 du côté de Salamalé et 1 du côté de Kéla. Le lendemain, pour équilibrer le nombre de mort de part et d’autre, les gens de Salamalé sont allés s’embusquer derrière le hameau de Kéla situé dans la zone. Aussitôt que le chef de famille de ce hameau sort sa tête de la fenêtre, un coup de fusil lui enlève la vie. Depuis, 21 des belligérants sont en prison en attendant d’être jugés. Conflit foncier opposant les villages de Goléa (commune de Boura) et de Séina (Commune d’Ansongo). Cause du conflit : revendication de propriété sur la base d’actes falsifiés, mauvais jugement, responsabilité coupable de l’administration qui accepte de délivrer des actes falsifiés et de la justice qui tranche sur la base de faux documents.. Le village de Goléa dispose d’un Bétal (aire de pâturage) qu’il a décidé de cultiver à cause certainement de la sécheresse qui a réduit son espace agricole. Après quelques campagnes bien réussies, des habitants du village voisin de Séina viennent solliciter des terres cultivables sur le même site à leurs voisins de Goléa qui acceptent. Quelques années après, les habitants de Séina revendiquent la propriété du béital, munis à cet effet d’un acte ou d’un cahier de terre obtenu on ne sait comment. Le conflit s’installe. Un premier jugement est rendu par la justice d’Ansongo qui reconnaît la propriété de Séina sur le Bétal. Par la suite, Goléa fait appel et entre-temps, le juge qui avait conduit le premier procès est affecté ailleurs. Celui qui le remplace tranche à nouveau l’affaire et reconnaît la propriété, cette fois ci, de Goléa sur le site, à partir du cahier de terre dont l’authenticité semble incontestable. Du coup et de retour dans leur village respectif, la bataille éclate. Résultat : 4 morts à raison de deux par village. Exemple type n° 3 : Conflit entre les villages de Tonou (commune de Koporona ) et Sogourou (commune de Pel ) cercle de Koro région de Mopti. Objet : demande de déguerpissement d’une zone agricole prêtée depuis plusieurs décennies Résultat : Les deux villages avaient aligné sur-le-champ de bataille deux groupes de 300 combattants armés, distants l’un de l’autre de quelques centaines de mètres et prêts à s’affronter quand arriva, comme par miracle, la délégation d’intermédiation conduite par le préfet. Cette intervention in extremis a permis d’éviter de justesse cet affrontement qui, s’il avait eu lieu, aurait pu se solder par un carnage Pour comprendre l’ampleur de ce conflit qui aurait pu tourner au drame, il faut rappeler certaines pratiques locales en matière de gestion foncière et de relation sociale chez les dogon D’abord la pratique du prêt généreux de terre à des parents plus ou moins proches et à des époques où l’abondance de la ressource permettait ces types de prêt. Ensuite la durée indéterminée de ces types de prêts ( c’est le cas de cet espace) Entre temps, la crise foncière s’est installée dans le terroir. Du coup le prêteur ou ses héritiers demandent le retrait de leur terre, Enfin si le conflit éclate, les deux villages demandent l’assistance de leur clan respectif. Chaque village dogon appartient à un clan composé d’une dizaine de villages ou plus. Les villages du clan entretiennent entre eux un contrat de solidarité et d’assistance mutuelle en cas de guerre ou de catastrophe. C’est ce qui explique l’importance numérique des combattants dénombrés sur le lieu de l’affrontement. Mais d’autres arrivaient et n’ont pas été enregistrés. Si l’affrontement avait eu lieu, toute la circonscription aurait pu s’embraser, parce que chaque clan a aussi des clans alliés par le truchement des mariages et autres. Ces derniers auraient pu entrer dans la danse, en compromettant pour très longtemps, la stabilité sociale de la circonscription. En vérité, ce conflit foncier a pu être circonscrit grâce à la médiation de la structure locale de conciliation dirigée par le chef de village de Koro, le respectable Atimé Niangaly. C’est lui et son équipe de sages, qui se sont investis après la neutralisation de l’affrontement, auprès des villages de chacun des deux clans. Suivant des logiques propres

25 aux terroirs et jouant avec les pratiques rituelles en la matière, ils sont parvenus, après plusieurs jours de négociation à réunir les notabilités de la trentaine de village, au bureau de la préfecture de Koro. A l’issue de cette rencontre, la hache de guerre fut enterrée et l’on versa de l’eau par terre, pour ainsi montrer que l’incident était définitivement clos. Il faut remarquer cependant, que ces rares types de structures locales de conciliation sont très peu outillés et ne bénéficient pas de l’appui nécessaire que les autorités doivent leur apporter. Pour sillonner tous ces villages, la structure a du recourir au véhicule de la préfecture, parce que la menace d’embrasement de la circonscription était manifeste. Pour d’autres cas mineurs, l’obtention d’une telle facilité n’est pas évidente. S’il y a des leçons à tirer de cette guerre avortée, ce serait d’abord un conseil : dire aux magistrats de ne pas s’amuser avec le feu, en prolongeant inutilement les procédures judiciaires, en tentant de tirer profit de situations incendiaires capables de compromettre la stabilité sociale d’une circonscription, voire d’une région entière. Il serait souhaitable aussi que les instances locales de conciliation soient consultées et impliquées dans les procès portant sur les conflits fonciers en lieu et place des « fameux assesseurs » choisis pour la forme. Si le juge de Koro avait impliqué la structure du vieux Atimé, il aurait été possible, pense t-on, d’éviter tout le gaspillage d’énergie et de temps qu’a occasionné la gestion de ce conflit. 3.2.4. Conflit entre collectivités territoriales et représentant de l’Etat Exemple type le cas de Bourem (région de Gao) La circonscription de Bourem était très riche en faune rampante notamment les « aguizaman », espèce de reptile ressemblant fort au lézard, avec une belle coloration qui fait sa beauté. Cette espèce vivait en parfaite harmonie avec les populations et représentait un genre d’ornement naturel et spécifique au cercle de Bourem. Brusquement, apparut dans la circonscription, des prédateurs de cette espèce de reptile à partir de 1996. Pire, au fil du temps, ils ne se limitaient plus aux « aguizaman » ; mais s’attaquaient aussi à tous les autres reptiles. Munis de permis spéciaux de capture délivrés à Bamako, ils raflent tout au cours de leur séjour. Pour cette sale besogne, ils ont recours à des acteurs locaux auxquels ils proposent les prix suivants par unité de reptile capturé : - 1 aguizaman 500 Fcfa, - 1Varen 3000 - 1 serpent 5000 Face à l’élimination systématique de ces espèces, les populations et autorités communales n’ont pas cessé de protester devant chaque délégation régionale ou gouvernementale qui passait dans la circonscription. Lesdites délégations sont restées de marbre devant leur cri de détresse. De même sont restées vaines, les multiples interventions des maires auprès des services administratifs et techniques régionaux. Exaspéré, le Maire de Bourem est passé une fois à l’action, en s’opposant catégoriquement à toute intervention d’une de ces équipes de capteurs sur le territoire communal. L’administration locale et le service de la DNCN se sont immédiatement opposés à cette décision communale, en prétextant que le Maire n’était pas qualifié pour interdire cette activité dans la mesure où les domaines de compétence des maires n’étaient pas encore définis. Toutes les terres et les ressources qu’elles portent demeurant toujours propriété de l’Etat, ils ont autorisés ces prédateurs à ramasser le tout petit peu de reptiles restant dans la commune. Présentement, les reptiles des communes de Bourem et de Téméra étant épuisés, ces équipes opèrent désormais dans les communes de Bamba et de avec l’autorisation et la bénédiction des services locaux de l’Etat : Préfet et DNCN ! Dépité, le Maire de la commune de Bourem, concluait en disant « ainsi, nous assistons impuissants au pillage de nos ressources fauniques et sans retombée économique certaine sur la circonscription. Pour nos populations, continue Mr le Maire ; la disparition de ces reptiles serait en relation directe avec

26 la sécheresse résiduelle de ces dernières années. C’est pourquoi, les populations demeurent réticentes aux propositions de reboisement de la DNCN, prétextant que s’il faut veiller à la promotion de la foresterie, il faut aussi veiller à la protection de la faune qu’elle abrite. Sans commentaire !

3.3. Les modes de gestion des conflits fonciers. • La procédure de conciliation locale. Elle est généralement assurée par le chef de village et son conseil qui tentent de concilier les parties en conflit sur la base des réglementations locales en la matière. Suivant l’ampleur où la complexité des cas, cette structure de conciliation peut faire appel à l’assistance de personnes ressources influentes dans la localité (Imam, Marabout, etc.) Cette procédure est très souvent efficace, car elle permet de réconcilier des protagonistes sans laisser de rancœur et sans occasionner de frais de justice. Toutefois, elle a des faiblesses et des limites qui réduisent la portée de son efficacité et qui ne lui permettent pas de gérer plusieurs types de conflits graves. • La procédure animiste de gestion des conflits fonciers. Dans plusieurs terroirs des régions de Koulikoçro, Ségou, Sikasso et Mopti, les populations ont aussi recours aux chefs de terre après l’échec de la conciliation tentée par le conseil de village. Investi de pouvoir occulte, ce dernier gère le conflit selon la procédure animiste dont l’issue peut être fatale pour la partie qui veut injustement s’arroger la terre de son voisin. La forte conviction en l’impartialité et l’infaillibilité de cette procédure judiciaire locale, en fait un instrument efficace de gestion des conflits. Pour la contourner, beaucoup de protagonistes refusent de s’y soumettre sous le prétexte de leur appartenance à la religion musulmane qui n’admet point de telles pratiques animistes et maléfiques. • La procédure judiciaire Elle représente le dernier mode de gestion des conflits fonciers auquel les populations ont recours après épuisement des procédures locales précitées. Cette voie de recours est d’autant plus risquée qu’elle comporte de nombreuses contraintes et lacunes qui peuvent aggraver les conflits fonciers au lieu de les calmer : Des assesseurs de justice. Lors de l’atelier régional sur le foncier tenu à Koulikoro, on a déploré le fait que « les assesseurs désignés n’aient pas une maîtrise suffisante des droits coutumiers pour mieux éclairer la cour ». Partout ailleurs, cette lacune a été plus ou moins signalée, donnant ainsi l’impression que les assesseurs ne font que de la représentation quasiment inutile, en tout cas en matière de procès portant sur les conflits fonciers. • Lenteur des procédures judiciaires, et partialité des magistrats. Dans bien des cas, la lenteur des procédures judiciaires et le comportement des juges favorisent l’aggravation des conflits fonciers. Par ignorance des réalités locales, ou par une partialité manifeste, les conflits sont mal jugés et l’application des décisions de justice crée d’autres conflits plus graves et plus meurtriers que les conflits initiaux. Tous les conflits recensés au cours de la mission d’enquête sont restés plus de deux ans à la justice. • La non exploitation des opportunités locales. . Si l’inefficacité de la procédure judiciaire en matière de gestion des conflits fonciers n’est pas à démontrer, l’efficacité des procédures locales de conciliation demeure très peu exploitée. Pourtant, on pourrait éviter certaines catastrophes sociales, en recourant aux procédures locales de conciliation des conflits fonciers, comme en témoignent les cas ci après. . L’exemple de Ouan A Ouan (chef lieu de commune rurale, cercle de Tominian, région de Ségou), un conflit foncier opposant deux familles a dégénéré en affrontement sanglant soldé par la mort

27 d’un des protagonistes. L’affaire fut portée devant la justice de Ségou. Après avoir longtemps traîné les pieds, la justice a finalement rendu son verdict qui n’a pas du tout satisfait la partie incriminée et sommée de payer 5 millions à titre de frais de dédommagement pour le défunt. De retour au village, le procès fut ré-ouvert pour être à nouveau tranché suivant la procédure animiste locale. Après les pratiques rituelles appliquées en la matière, les parties adverses ont été invitées à manger une pincée de terre de l’espace contesté. Trois jours après, le verdict est tombé : celui qui avait gagné lors du procès a perdu au niveau local. Depuis, l’espace en question est revenu à son propriétaire authentique et ne fait plus l’objet de litige. • L’absence d’avocat dans la région de Tombouctou. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il n’y a aucun bureau d’avocat dans la région de Tombouctou. En cas de besoin, les habitants de la région recourent aux bureaux d’avocat de Mopti ou Gao. Le faible revenu des paysans ne leur permet pas d’accéder à cette assistance lors des procès sur le foncier. Avec des assesseurs ignorant les règles et pratiques coutumières de gestion foncière, l’absence d’avocat pour assister les parties en conflit, les protagonistes sont à la merci de la toute puissance du juge (dixit le président du conseil de cercle de Tombouctou).

28 IV. INSUFFISANCES ET INADAPTATION DES TEXTES LEGISLATIFS SUR LE FONCIER ET LA GESTION DES RESSOURCES NATURELLES.

4.1. Le Code Domanial et Foncier. Les textes de loi sur le foncier sont généralement initiés, votés et adoptés en l’absence des acteurs de la base. Les législateurs qui sont parfois peu ou pas informés de la diversité des pratiques foncières locales, ne perçoivent pas souvent l’importance des droits et pratiques coutumiers qui sont faiblement pris en compte dans le CDF. . Le CDF comprend 277 articles dont seulement 6 traitent véritablement du foncier rural coutumier et 2 sont relatifs au cadastre rural. Ainsi, dans le titre III consacré au « domaine privé immobilier de l’Etat », nous avons un chapitre III qui traite des droits fonciers coutumiers. L’essentiel des dispositions figure à la section I « De la confirmation et de la constatation des droits fonciers coutumiers ». Dans son article 43, ce texte se limite à stipuler que « Les droits coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur les terres non immatriculées sont confirmés ». Comment interpréter une telle législation qui ne définit pas les droits coutumiers si multiples et dont certains sont particulièrement iniques. Faut-il confirmer des droits de propriété acquis à la suite de spoliations foncières opérées par l’envahisseur marocain, ou le colonisateur français, au profit de leurs alliés et au détriment de communautés entières ? Que faire alors des multiples revendications de droits de propriété relatives à des terres, dont des individus, familles, villages ou fractions ont été dépossédées suites aux basses manœuvres des colonisateurs d’antan ? Faut-il aussi confirmer des droits de propriété d’une minorité (chef de terre ou de village), sur des terres qu’elle ne craint ni n’hésite à brader au détriment du reste de la communauté, alors que, comme signalé plus haut, le droit de propriété que cette minorité détient sur lesdites terres, est purement un droit communautaire? Si cette minorité peut être autorisée à vendre ces terres, l’argent de la vente doit il aller dans la caisse du village ou dans « la poche du chef de village » ? Autant de questions se posent, auxquelles, l’Etat « propriétaire de toutes les terres » se doit d’abord de répondre, au lieu de se perdre dans les élucubrations d’une législation atteinte de myopie tant vis-à-vis de l’histoire que des réalités socioculturelles du pays. Mais ce n’est pas tout ! L’alinéa 1 du même article stipule que « Nul individu, nulle collectivité, ne peut être contraint de céder ses droits si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnisation. Nul ne peut en faire un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Si cette loi était respectée, les populations seraient sûrement soulagées, et les récriminations enregistrées au cours des ateliers régionaux sur le foncier n’auraient pas eu lieu. L’un des paradoxes de la législation foncière au Mali, réside justement dans le non respect des textes par l’Etat lui-même qui semble, dans bien des cas, ne pas être sujet de droit. Les réactions des participants à l’atelier du district de Bamako, confirment cette attitude de l’Etat vis-à-vis des textes de loi sur le foncier. Dans ses conclusions, l’atelier constate « qu’à Bamako, c’est le non respect des textes par les autorités elles mêmes qui est déroutant, notamment le non respect des zones de servitudes définies sur chaque rive du fleuve. Ces zones de servitudes, devant servir de couloir d’accès pour l’abreuvage du bétail, où comme sites pour les pêcheurs et exploitants de sable, sont très souvent attribuées à des opérateurs privés qui y bâtissent industries ou habitations, au mépris de la loi et des activités ci-dessus citées. Les déguerpissements qui en résultent sont rarement suivis de dédommagement malgré ce fameux alinéa si rassurant en la matière ». L’art. 44 quant à lui poursuit en disposant que” Les droits coutumiers ….peuvent faire l’objet d’une enquête publique et contradictoire donnant lieu à la délivrance d’un titre opposable aux tiers qui constate l’existence et l’étendue de ces droits”.

29 En outre l’alinéa 2 du même article ajoute que: “ la procédure de constatation des droits coutumiers se déroule devant une commission de conciliation dont la composition et les attributions sont fixées par Décret pris en conseil des Ministres. Le comble pour ces dispositions est que leur applicabilité est subordonnée ou conditionnée à l’adoption de Décrets qui fixent d’abord les formes et conditions de la procédure de constatation( art. 44 al.1). Avec les exemples du CDF adopté en 2000 et qui n’eut de décret d’application qu’en 2002, et celui de la Charte Pastorale adopté en 2001 et dont le décret d’application n’est pas encore pris, on peut bien douter de l’applicabilité et de l’efficacité d’une telle loi. • Autres insuffisances et lacunes du CDF. Ce qui frappe encore par rapport à ce texte, ce sont les quelques décrets d’application relatifs à certains articles de cette loi. Nous signalerons au passage que plusieurs dispositions du CDF demeurent encore sans décret d’application. Les quelques décrets pris sont les suivants : - Décret N0 111 – P – RM du 06 Mars 2002 déterminant les conditions de gestion des terrains des domaines publics immobiliers de l’Etat et des collectivités territoriales - Décret N0 112/ P – RM du 06 Mars 2002 déterminant les formes et conditions d’attribution des terrains du domaine privé immobilier des collectivités territoriales - Décret N0 113/P – RM du 06 Mars 2002 fixant les modalités d’organisation et de confection du cadastre. - Décret N0 114/ P – RM du 06 Mars 2002 portant fixation des prix et des redevances de terrains ruraux du domaine privé de l’Etat, à usage commercial, industriel, artisanal, de bureau, d’habitation ou autres. - Décret N0 02 – 115/ P - RM du 06 Mars 2002 portant fixation des barèmes généraux de base des prix de cession des redevances des terrains ruraux appartenant à l’Etat et détermination de la procédure d’estimation des barèmes spécifiques. D’ailleurs tous ces Décrets ont été pris le même jour (06 mars 2002), c'est-à-dire deux mois environ, avant la fin de la deuxième législature du Président sortant. Face au décalage entre l’adoption de l’ordonnance et la promulgation de ces décrets, on peut bien se poser des questions. Pourquoi ce décalage ? Pourquoi quelques décrets seulement ? Y avait – il d’autres raisons qu’un observateur moins avisé ne saurait « décrypter» ? Dans tous les cas, le constat d’amertume des usagers du foncier face à ce code est tel que sa relecture partielle est vivement souhaitée. Ceci, parce qu’à leurs yeux, ce code inadapté à la diversité des réalités locales, demeure un bijou législatif séduisant mais inefficace.

4.2. La charte pastorale. Même la charte pastorale dont les initiateurs ont eu au moins le mérite de procéder préalablement à « l’inventaire des normes et coutumes en matière de foncier pastoral », ne tient pas très souvent compte des droits et pratiques coutumiers. L’atelier national d’analyse du projet de charte pastorale a identifié plusieurs insuffisances ou lacunes qui confirment cette remarque. La gestion des bourgoutières (art. 33, 38, 39 et 40) prête à confusion, car la définition précise des termes « communautaire et privé » n’est pas donnée. Pour les bourgoutières privées, s’agit-il de bourgoutières régénérées et faisant l’objet d’un titre formel de propriété, ou de bourgoutières où les Dioro ont des droits d’usage quasi exclusifs ? La Charte reste en effet totalement silencieuse sur cette question. Les espaces pastoraux non domaniaux. L’art. 42 de la Charte sur l’ouverture des champs récoltés au profit des pasteurs n’est pas réaliste. En effet, dans la pratique, les résidus de récolte sont la propriété de l’exploitant qui peut en disposer comme bon lui semble. Il aurait été plus intéressant que la Charte renforce ici le principe habituel de la négociation entre

30 usagers (à travers par exemple les contrats de fumure habituellement négociés entre agriculteurs et pasteurs). En son art. 57, le principe d’une reconnaissance de la mise en valeur sur la base de l’occupation habituelle et prolongée peut se révéler être en contradiction avec les pratiques habituelles de la mobilité pastorale telle que vécue dans plusieurs zones du pays - le nord notamment - où la propriété coutumière de l’espace pastoral n’est pas forcement liée à l’occupation fixe et prolongée. Gestion des conflits. En matière de prévention et de gestion des conflits, des ambiguïtés existent entre les art. 71 à 76 de la Charte et les articles 45, 48, 52 et 72 de la loi 95-034. En effet selon cette loi, le maire est officier de police judiciaire (art.52) ; les attributions du maire sont entre autres la publication et l’exécution des lois et règlements (art.45) ; la prévention ou la réparation des dommages en cas de divagation des animaux (art. 48) ; en outre les conseillers de village, de fraction et de quartier sont obligatoirement consultés en ce qui concerne les litiges domaniaux et fonciers (art.72). Mais la Charte dévolue plutôt la gestion des conflits aux comités de gestion des conflits que les collectivités territoriales devront mettre en place. La coexistence de ces différents niveaux de gestion peut conduire à des conflits de compétence et aboutir à des imbroglio juridiques sans issue.

4.3. Les textes forestiers. Le principal reproche formulé à l’endroit des textes forestiers porte généralement sur l’incompatibilité de certaines lois d’avec quelques réalités locales. L’exemple ci dessous cité est une illustration éloquente de ce type d’inadaptation. Le classement du N’galama dont l’exploitation est défendue représente une contrainte sérieuse dans la circonscription de Bankass (région de Mopti), où elle demeure l’espèce ligneuse la plus développée et donc la plus disponible comme combustible. En dépit de la loi, les populations l’exploitent, et vue la réalité du terrain, les agents chargés de la réglementation et du contrôle, ferment généralement les yeux.

4.4. L’ensemble des textes législatifs sur le foncier. D’autres reproches formulés lors de tous les ateliers régionaux portent sur : La méconnaissance des textes. « Nous ne sommes informés de l’existence de telle ou telle loi que lors des procès » a affirmé un acteur de la région de Koulikoro, la difficulté de déchiffrer le jargon juridique dans lequel les textes sont libellés, la non traduction et transcription des textes de loi dans les langues locales, la faible diffusion des textes dont l’accès demeure difficile aux usagers du foncier qui sont pour la plupart analphabètes. De façon spécifique, nous signalerons le peu, voire la non prise en compte du foncier pastoral dans les zones désertiques du Nord. Selon, les usagers du foncier rencontrés à Tombouctou, « les lois foncières ne portent que sur les terres de la vallée. Que faire alors de ces textes si inadaptés aux réalités sociales, si méconnus par les usagers du foncier et si souvent piétinés par l’Etat lui-même ? Là- dessus, les interlocuteurs rencontrés sont unanimes : il faut procéder à leur relecture suivant des itinéraires d’approche qui impliqueraient tous les usagers du foncier rural. Cela a certes un coup qui peut paraître exorbitant. Mais, il nous semble nécessaire de faire ce sacrifice pour apaiser, voire circonscrire l’avalanche de conflits fonciers qui ne cessent de perturber la stabilité sociale.

31 V. LE FONCIER AGRO PASTORALE.

5.1. Compétitions pour l’espace agro pastoral : ou de l’occupation anarchique des terres. Habituellement, les parcours d’élevage étaient définis par les villages suivant un système de rotation dans le terroir. Durant, un certain nombre d’années, le village décidait d’affecter une partie du terroir aux besoins de pâturage des troupeaux et autorisaient les cultures sur une autre partie opposée à la première. Les pâturages désignés couvraient généralement des terres en jachère et favorisaient leur régénération . Au fur et à mesure que ces pâturages s’épuisaient, les troupeaux progressaient plus loin dans la brousse. Depuis belle lurette, ce mode de rotation dans la gestion de l’espace agro - pastoral n’est plus qu’un lointain souvenir dans la plupart des terroirs. Sous la pression de la démographie galopante, la fréquence des déficits pluviométriques et des sécheresses, l’espace agro - pastoral est devenu l’objet de compétitions passionnées entre agriculteurs et éleveurs. Des exemples cités lors de la rencontre locale sur le pastoralisme à Sofara, en Août 2003, illustrent bien la complexité de l’occupation de l’espace. Auparavant : - de Diamvéli à Logori (parcours journalier d’un homme saint), il n’y avait aucun champs ; - de Diaba à Bacoro, il n’y avait pas de champs pas de village ; - de Kombaka à Tchépérindougou c’était la même situation ; - de Tchépérindougou jusqu’à Tioulé, il n’y avait ni champs ni village. Aujourd’hui : - de Diamvéli à Logori, il y a plus de 15 villages et hameaux ; - de Diaba à Bacoro, il y a 5 villages et hameaux ; - de Kombaka à Boundouré il n’y a pas un seul espace vide où l’on peut attacher un un mouton pour qu’il puisse brouter. Près d’ici, le cas de l’espace compris entre Bamako et Kati est tout aussi révélateur de la forte occupation de l’espace pour des besoins de logement ou de cultures. Très généralement, ces occupations ne tiennent pas compte des aires de pâturages préalablement définies et encore moins des couloirs de passage désignés pour favoriser l’accès des animaux aux points de pâturages ou d’abreuvage. Des mares, rivières, plaines d’inondation…, jadis réservées au besoin de pâturages sont de plus en plus exploitées à des fins agricoles ou de maraîchage. Les troupeaux sont laissés pour compte. Mais comme ils doivent survivrent, ils se fraient obligatoirement des couloirs de passage pour accéder aux points d’eau, même si pour cela, ils doivent traverser des champs. Ainsi, la prolifération de conflits entre agriculteurs et éleveurs s’intensifie et perturbe constamment la stabilité sociale dans toutes les régions du Mali.

5.2. Les modes de transhumance du bétail. Dans les pays du Sahel en général et au Mali en particulier, la transhumance est une vieille pratique revêtue des formes suivantes : - la transhumance transfrontalière - la transhumance interne, autrement dit d’une zone à l’autre du territoire national Qu’elles soient transfrontalières ou internes, les différentes formes de transhumance pratiquées au Mali, résultent généralement de facteurs climatiques qui jouent négativement sur le niveau et la qualité des ressources pastorales locales, obligeant les troupeaux à partir à la recherche de pâturage de soudure en saison sèche. Ce phénomène s’est considérablement amplifié de nos jours sous l’effet des déficits pluviométriques alternés avec les sécheresses répétitives des trois dernières décennies. Toutes les régions du pays sont intéressées par ce phénomène, soit en tant que zone de départ du mouvement, ou en tant que zone d’accueil des

32 troupeaux transhumants. Toute fois, les problèmes liés à la transhumances varient d’une zone à l’autre. • La transhumance des troupeaux mauritaniens sur le territoire national. La réciprocité d’accès des troupeaux mauritaniens et maliens aux ressources pastorales situées de part et d’autre de la frontière est une pratique plus que séculaire. Mais depuis près de 30 ans, cette pratique tend à s’inverser sous l’effet des aléas climatiques ci-dessus énoncés. Les troupeaux maliens vont de moins en moins vers la Mauritanie où les pâturages semblent beaucoup plus affectés qu’au Mali. Par contre, l’afflux des troupeaux mauritaniens vers le Mali n’a pas discontinué. Bien au contraire, cette transhumance transfrontalière s’est amplifiée en revêtant de nouvelles dimensions qu’on ne lui connaissait pas auparavant. a) Les vols d’animaux. De tels actes ne sont pas nouveaux dans ces zones frontalières. Ils étaient perpétrées par les transhumants des deux pays et surtout, quand leurs troupeaux se mêlaient à ceux des populations des zones d’accueil. Il y avait aussi de petits vols fréquents de part et d’autres de la frontière, auxquels les populations étaient habituées. Généralement, quand ils étaient constatés, les victimes procédaient à la recherche de leurs bêtes fussent-elles de l’autre côté de la frontière. Depuis près de deux décennies cependant, ces rapts d’animaux ont pris de nouvelles dimensions, à travers la fréquence des vols, l’ampleur des effectifs enlevés et surtout le caractère meurtrier de certains vols. Ce phénomène est particulièrement inquiétant et mérite une attention particulière des deux Etats. b) La transhumance précoce. La seconde nouvelle dimension de cette pratique réside dans la descente prématurée des troupeaux mauritaniens au Mali. Habituellement, cette descente commençait vers fin décembre – début janvier. De plus en plus la ruée des troupeaux mauritaniens vers le Mali commence beaucoup plus tôt, ouvrant ainsi la porte à toute une série de tensions et de frictions entre agriculteurs soucieux de la protection des récoltes non encore engrangées et bergers perdant très souvent le contrôle de leurs troupeaux. A titre d’illustration, nous signalerons que malgré la bonne pluviométrie de cette saison jugée comme exceptionnelle, la présence de troupeaux transhumants mauritaniens était déjà effective dans les terroirs de Diéma, Nara et Kolokani depuis le mois de novembre 2003, c) Le surpâturage. Suite à une amélioration sensible de l’élevage de part et d’autre, le nombre de troupeaux transhumants et leurs effectifs ont fortement gonflé. Quand ces effectifs viennent s’ajouter aux effectifs locaux également en croissance, le surpâturage se produit dans les zones limitrophes de Nioro, Diéma, Nara, Kolokani. Très tôt, les points d’abreuvage (mares, marigots) s’assèchent plus vite que d’habitude, de même que le tapis herbacé local est rapidement lessivé. En saison sèche, selon les populations de la ville de Diéma, il faut parcourir 35 à 75 km pour trouver du fourrage pour les animaux non admissibles à la transhumance (vaches laitières, moutons et chèvres de case, ânes et chevaux). Dans ces zones pour la plupart dépourvues de sources d’eau permanentes, les épreuves de certaines saisons sèches deviennent parfois si insupportables qu’elles conduisent à la catastrophe. Ce fut le cas de la saison sèche 2003, où les troupeaux (locaux et transhumants) des circonscriptions ci-dessus citées, ont été fortement décimés. Dans ces conditions, les troupeaux des zones d’accueil, de mêmes que les troupeaux étrangers, sont obligés de transhumer pour accéder à de nouveaux pâturages situés dans les régions sud du pays.

33 d). La descente vers les zones sud. Ensemble, troupeaux mauritaniens et maliens desdites zones entament la descente vers les zones sud de Kita, Dioila, Kangaba et les cercles de la région de Sikasso (Bougouni, Sikasso, Yanfolila, Kadiolo..). Les deux principaux itinéraires de transhumance sont la route du Serpent qui va de Nara, en passant par Banamba, Barouéli, Dioila, pour aboutir soit en 4eme région ou dans la circonscription de Kangaba. Le second itinéraire va de Yélimané ou Nioro, en passant par Diema, Kolokani, pour s’arrêter à Kita. A coté de ces principaux itinéraires, de multiples petites voies d’entrée au Mali et d’évolution à l’intérieur du pays sont tout aussi pratiquées. Dans ces terroirs d’accueil, la transhumance devient de plus en plus redoutable à cause des désagréments qu’elle fait subir aux populations et aux ressources naturelles .

A Kita. Les plaintes des populations portent généralement sur les transhumants mauritaniens qu’elles accusent de viol, d’agressions des paysans lors de conflits résultant des divagations, d’empoisonnement de puits etc. On leur reproche également leur descente précoce qui s’avère dommageable aussi bien pour les champs que la faune sauvage. A ce propos, les populations affirment que la présence massive des troupeaux fait fuir la faune sauvage. Néanmoins, les autorités villageoises appuyées par les maires parviennent à contrôler tant bien que mal la situation et à gérer les multiples conflits occasionnés par cette transhumance sauvage.

A Kangaba par contre, la situation demeure très explosive et inquiétante. D’abord un antécédent judiciaire. Un Peul allochtone qui s’était établi dans le cercle avec son troupeau, entre en conflit avec un paysan autochtone, à la suite de dégâts causés sur les cultures de ce dernier. Durant le conflit, le Peulh tue le paysan à coup de fusil. L’affaire est portée devant le tribunal de Kangaba qui reconnaît la culpabilité du Peulh et le met en prison. Moins de trois ans après, le peul est libéré et il quitte la circonscription. La population est fortement choquée par cette libération. Ensuite, un constat amer d’envahissement des terroirs villageois par des troupeaux transhumants impressionnants par leur nombre et leur effectif respectif. Pour comprendre ce phénomène, il faut rappeler l’épuisement rapide des pâturages intermédiaires des zones de parcours qui pousse les troupeaux à affluer vers le cercle de Kangaba, dont l’abondance des ressources en a fait un des derniers points de retranchement des troupeaux transhumants. Cette forte concentration de troupeaux dans ce petit cercle, conduit à des dégâts importants sur les massifs forestiers, notamment par des feux de brousse, la destruction de certaines espèces ligneuses appétées par les animaux, la fuite de la faune sauvage. La conjonction de ces différents éléments, assortie de certaines interprétations locales de la décentralisation a créé un sentiment de révolte vis-à-vis des transhumants. Présentement, cela se traduit par les faits suivants : - des brigades de chasseurs ont été constituées par plusieurs villages pour faire déguerpir les troupeaux transhumants. Ces cas sont surtout nombreux dans les communes de Nongon, Naréna, Séléfougou, Bankadé. Avec leur façon de comprendre la décentralisation, certaines brigades prélèvent des taxes sur les troupeaux transhumants dans leur terroir. Cela ne les empêche point de les expulser à la moindre incartade. - Dans certains cas, l’accès aux terroirs est purement interdit et toute indiscipline peut conduire au drame avec ces brigadiers chasseurs à la gâchette facile. - Dans plusieurs cas, des bergers ont été battus, des bêtes confisquées, des amendes imposées.

34 A Dioila, la situation est presque semblable. Le président de la chambre d’agriculture a été clair là-dessus : « Si l’Etat n’intervient pas pour réglementer la transhumance, des affrontements sanglants seront inévitables à court terme chez nous ». Cette crainte se fonde sur la base de l’importance des dégâts que les troupeaux provoquent dans les champs. e). Remarques. Face à ces constats, l’on peut vraiment douter de l’avenir de cette pratique pastorale de moins en moins bien accueillie et de plus en plus conflictuelle. Qui accuser ? Les paysans ne peuvent pas rester indifférents aux gaspillages de leurs ressources naturelles locales au détriment de leurs propres troupeaux et encore moins aux destructions de leurs champs. Les éleveurs transhumants ne peuvent non plus rester avec leurs troupeaux dans des zones qui, en certains moments de l’année, sont totalement dépourvues de toute ressource pastorale. Que faire alors ? Les réponses enregistrées à ce propos se présentent comme ci après. - Respecter la coutume qui, auparavant, consistait pour le berger, d’avoir un logeur dans le village d’accueil. Ce dernier lui prodiguait des conseils par rapport aux pratiques et réglementations locales qu’il devait respecter pour ne pas avoir de problèmes lors de son séjour. Sur la base de cette relation, le berger pouvait même conclure des contrats de fumure qui facilitaient son intégration dans le terroir. Cette pratique n’est plus respectée. Les bergers parachutent dans les terroirs, ne se soucient pas d’avoir des attaches au niveau local, et se comportent très mal souvent. - S’orienter vers l’intensification de l’élevage par le développement des cultures fourragères, la construction des équipements d’hydraulique pastorale, afin de réduire la mobilité pastorale. - Réglementer la transhumance transfrontalière en précisant les dates de descente et de sortie des troupeaux mauritaniens du territoire national. - Renforcer la présence des forces de sécurité aux frontières mauritaniennes pour dissuader les malfaiteurs.

• La transhumance dans les zones frontalières avec le Niger et le Burkina : a). La transhumance interne dans le cercle d’Ansongo. Dans cette circonscription à double zone écologique (haoussa et Gourma), la transhumance d’une zone à l’autre est une pratique obligatoire. Dans le haoussa, zone exondée plus ou moins désertique, les animaux séjournent pendant la saison pluvieuse disposant, en ce moment, de mares d’abreuvage et de pâturages abondants. Pendant la saison sèche, les mares tarissent, les pâturages sont plus ou moins épuisés et les animaux sont obligés de se replier dans la zone de la vallée, autrement appelée Gourma, pour ne pas mourir de soif et de faim. Habituellement c’est ce schéma qui était respecté. Mais depuis la dernière rébellion, l’insécurité s’est installée dans le Haoussa. Les vols de bétail sont perpétrés de part et d’autre de la frontière avec le Niger notamment, avec parfois des assassinats de bergers non armés qui tentent de résister aux brigands de nationalité malienne ou nigérienne. Ballottant entre les campagnes de lutte contre le port des armes légères et la lutte avec des bandits armés, les éleveurs sont au comble du désarroi. Mais ce qui semble davantage exaspérant, c’est le constat que les autorités nigériennes s’investissent généralement en pourchassant des voleurs qui sont parfois arrêtés avec leur butin en territoire malien, sont conduits au Niger pour être punis. Par contre les éleveurs regrettent que les autorités maliennes n’agissent pas de la sorte et ont de ce fait le sentiment d’être laissés pour compte. Cette insécurité est à l’origine de la perturbation actuelle de ce type de transhumance dans le cercle d’Ansongo. A cause de cette insécurité ambiante dans le Haoussa, le bétail s’agglutine dans la vallée, ou descend prématurément du Haoussa. Dans tous les deux cas de figure, cette

35 présence massive des troupeaux dans la vallée du fleuve provoque des divagations d’animaux et des conflits multiples qui compromettent la stabilité sociale. b). La transhumance transfrontalière dans les cercles de Ménaka et Ansongo. Dans ces cercles qui font frontière avec le Niger et le Burkina, la réciprocité d’accès aux ressources pastorales est une pratique habituelle fortement ancrée. Des éleveurs Nigériens et Burkinabés sont implantés en territoire malien depuis des dizaines d’années et vice versa. La forte concentration de troupeaux nigériens dans le cercle de Ménaka est liée à la qualité des pâturages de cette localité, et au libre accès aux ressources notamment les terres salées. Compte tenu de la faible vocation agricole de ces deux cercles, la transhumance transfrontalière n’est pas aussi incendiaire comme c’est le cas avec la Mauritanie. Néanmoins, elle souffre énormément des vols d’animaux et de certaines velléités de taxation sur les troupeaux transhumants depuis la décentralisation. Lors des journées nationales du foncier tenues à Ouagadougou du 24 au 25 Octobre 2003, des acteurs burkinabés ont déploré de telles velléités dont la mise en application serait contraire aux pratiques de réciprocité d’accès aux ressources naturelles prévalant entre les deux pays depuis des siècles. • La transhumance dans la région de Mopti Apparemment plus organisée que partout ailleurs, la transhumance n’est pour autant pas moins problématique dans cette région qu’ailleurs. Comme à Ansongo, la région se divise en deux zones écologiques distinctes : la zone exondée et la zone inondée. Les troupeaux de la région sont en transhumance perpétuelle entre ces deux zones selon les saisons. Ceux de la zone inondée vont en transhumance dans la zone exondée pendant la période d’hivernage, à cause de la crue du fleuve accompagnée de prolifération de tiques insupportables par le gros bétail et de l’occupation de l’espace pastoral par les champs etc. En zone inondée, l’absence de sources d’eau permanentes et l’épuisement des pâturages en saison sèche, obligent les troupeaux à se rabattre sur les riches bourgoutières de la zone inondée. Mais qu’est ce une Bourgoutière et comment y accède t-on ? Les bourgoutières sont des prairies aquatiques inondées par la crue du fleuve Niger. Ces prairies sont constituées de graminées dont la plus dominante demeure le bourgou (Echinochloa stignina). Pendant la saison pluvieuse, le fleuve gonfle et sort de son lit pour envahir de nombreux bras et mares. Ce phénomène qu’on appelle montée de l’eau, a lieu entre les mois de juillet et novembre. Le bourgou se rencontre dans les zones où la lame d’eau est comprise entre 1 et 4 mètres. Le retrait des eaux commence en décembre et se termine durant ou après le mois de février. C’est après ce retrait que ces prairies à bourgou deviennent accessibles aux troupeaux. Ces nombreuses et vastes superficies de bourgou constituent des pâturages d’une productivité exceptionnelle et d’une qualité rare. Sans elles, la survie du bétail serait pratiquement impossible pendant la saison sèche. Comme annoncé plus haut, la gestion de ces pâturages demeure sous le contrôle des Dioros et cela, depuis le règne de la Dyna de Chékou Amadou. Ces gestionnaires traditionnels, réglementent l’accès à ces sites par ordre de préséance. Les troupeaux du clan y accèdent d’abord, suivis des troupeaux étrangers. Ces derniers n’y accèdent que contre paiement de taxes versées au Dioro. Les problèmes actuels liés à cette transhumance résident essentiellement dans le non respect des dates d’entrée et de sortie des bourgoutières. Normalement, les troupeaux ne doivent accéder à ces sites qu’après février. Mais pour des contraintes d’ordre divers, les dates conventionnelles d’entrée et de sortie des animaux dans les bourgoutières sont de moins en moins respectées. Lors de la rencontre locale sur la transhumance, tenue à Sofara le 31 Août 2003, les facteurs de perturbation du calendrier de transhumance ont été identifiés comme ci après. D’abord, la non sortie des animaux des bourgoutières. Elle résulte de l’indiscipline des villages riverains, traditionnellement détenteurs du droit de propriété sur ces espaces. Par

36 crainte des contraintes que les animaux et les bergers subissent lors de la transhumance en zone exondée, notamment pendant l’hivernage, ces riverains trichent de plus en plus en maintenant leur troupeaux dans les bourgoutières. Cette pratique nouvelle qui s’instaure hélas est très néfaste pour la régénération du bourgou. Effectivement, les bourgoutières demandent une exploitation discontinue dans le temps. La présence permanente des troupeaux crée une surcharge limitant la régénération du bourgou qui est piétiné au moment de la montaison. Par ailleurs, le constat de cette présence anormale des troupeaux locaux sur ces espaces, crée un sentiment de frustration chez les allochtones également usagers des mêmes sites. Ensuite, le retour précoce des animaux dans les bourgoutières. Il résulte de plusieurs facteurs dont la rareté des points d’eau et leur difficile accès pour l’abreuvage du bétail, la rareté des pâturages à cause de l’extension effrénée des surfaces agricoles, les violences physiques exercées sur les bergers et les troupeaux, et enfin, le mauvais exemple des populations riveraines qui maintiennent leurs troupeaux dans les bourgoutières nonobstant les conventions en la matière. Du coup, et de part et d’autre, cette pratique pastorale est de plus en plus sujette à des problèmes qui compromettent son efficacité. a) depuis le temps de la Dyna, les (burti) ou couloirs de passage des troupeaux pour l’accès aux pâturages, leurs (billé) ou gîtes de repos, de même que les points de traversée étaient connus de tous et respectés par tous. La traversée des animaux offrait l’occasion de se rencontrer, de partager une ressource commune et de fêter ensemble cet évènement. Aujourd’hui, on constate avec amertume que les troupeaux traversent n’importe où et n’importe comment et très souvent dans la grande clandestinité. b) A coté des troupeaux locaux maintenus dans les bourgoutières, on déplore de plus en plus la présence de troupeaux allochtones dont les propriétaires payent de gros tributs aux dioros pour leur séjour illégal dans ces pâturages. c) La descente précoce vers les bourgoutières crée également de multiples conflits entre éleveurs et agriculteurs. Présentement, que ce soit en zone exondée ou inondée, chaque village possède sa législation, sa brigade, sa fourrière en matière de gestion pastorale. L’acuité de ces contraintes est telle de nos jours que les éleveurs ne savent plus où donner de la tête. • La transhumance dans la région de Sikasso. A la faveur de sa pluviométrie relativement élevée et de l’abondance de ses ressources naturelles, la région de Sikasso offre des prédispositions favorables au développement de l’élevage. Ces prédispositions locales corrélées aux exigences de mécanisation de la culture du coton, ont poussé les acteurs ruraux de la région, vers l’agro pastoralisme qu’ils ont tous plus ou moins embrassé. Le cheptel local a considérablement augmenté avec des effectifs évalués à 1.247.973 bovins, 648.266 ovins, 547.448 caprins. En plus de ce cheptel local, la ruée de troupeaux transhumants vers cette région bat le record national. Bien qu’on ne dispose pas de statistique fiable sur l’importance numérique de cette transhumance, les constats suivants ont été signalés : - la tendance de plus en plus affichée des troupeaux transhumants vers la sédentarisation, particulièrement dans les cercles de Kadiolo, Sikasso, Bougouni et Yanfolila, - le surpâturage des aires pastorales sous la double pression du cheptel local et des troupeaux transhumants, assortie bien sûr, de son cortège de dégradation environnementale, de conflits et de procès, - la crainte de plus en plus justifiée des acteurs locaux face à cette cohabitation avec des bergers allochtones très souvent agressifs et disposant de redoutables pouvoirs de corruption.

37 VI. FONCIER HALIEUTIQUE. 6.1. De la propriété coutumière du foncier halieutique. Comme le foncier agricole ou pastoral, le foncier halieutique a aussi ses maîtres traditionnels que sont les Bozo, Somono, sorko…. Tout le long du fleuve Niger est divisé en des zones de pêche appartenant à des maîtres différents qui contrôlent leur accès, en le subordonnant à des réglementations généralement présentées comme venant d’un accord conclu avec le génie local de l’eau. Cette appropriation coutumière des cours d’eau est constatée dans toutes les régions du pays et concerne toutes les sources d’eau (fleuve, rivière, mare, marigot ). Aussi longtemps que les règles d’exploitation des cours d’eau édictées par leurs maîtres ont prévalu, la pratique de la pêche a été plutôt conviviale et moins conflictuelle. Les villages détenteurs d’un marigot, ou d’une mare invitaient les localités voisines à la pêche annuelle dans ce site. La pêche sur les fleuves étaient également possible pour tous (autochtones et allochtones à conditions d’avoir l’autorisation du maître local de l’eau qui n’était pas très exigeant en la matière. Présentement, l’accès aux sources d’eau à des fins de pêche est de plus en plus conflictuelle, et l’invitation des voisins à la pêche annuelle dans tel marigot ou telle mare d’un village détenteur est plutôt rarissime.

6.2. Facteurs de détérioration des conditions de pêche. Ils sont tout aussi multiples que complexes. Ceux identifiés par les acteurs eux – mêmes se présentent comme ci après. - Les déficits pluviométriques, qui ont exacerbé la compétition pour l’accès aux rares pêcheries suffisamment pourvues en eau et poisson. Si pour des raisons d’abondance les conditions d’accès aux pêcheries étaient faciles, la crise pluviométrique a durci ces conditions et a même incité les populations riveraines à interdire l’accès de leur cours d’eau aux allochtones. - Les revendications intempestives de propriété sur les cours d’eau. Elles résultent de la crise pluviométrique mais aussi de l’agrandissement du marché et de la valeur marchande des produits de la pêche. Des cours d’eau qui ne faisaient pas l’objet d’attention particulière pour leur exploitation, ont subitement pris de la valeur en attisant la compétition entre communautés voisines pour leur appropriation. - Le non respect par les allochtones des réglementations locales de la pêche. Cette inconduite des pêcheurs allochtones par rapport aux réglementations locales est illustrée à travers l’utilisation de méthodes ou d’engins de pêches non conventionnels et fortement défavorables aux autochtones. Dans le cercle d’Ansongo par exemple, des pêcheurs migrants (Nigériens ou Maliens) utilisaient des explosifs, des produits chimiques, des filets à petite maille que les maîtres locaux de l’eau ont fini par condamner. Depuis, une vigilance particulière est observée à l’endroit de ces allochtones ; et toute infraction constatée est fortement réprimée à coup d’amende ou d’expulsion. Dans bien des cas, cette répression conduit à des altercations entre pêcheurs en perturbant la stabilité sociale. - L’occupation anarchique des sites de pêche par des agriculteurs. Cette pratique a été constatée et déplorée dans chacune des régions visitées lors des enquêtes sur le terrain. Dans le souci de sécuriser davantage leurs cultures des agriculteurs se sont rabattus sur des sites initialement réservés à l’abreuvage du bétail et à la pêche (marigot, zone marécageuse, bordure de fleuve. ) - Les déguerpissements de pêcheurs de leur lieux d’établissement le long du fleuve Niger dans le district de Bamako. Ces sempiternels déguerpissements sont motivés par

38 la cession de ces sites à d’autres opérateurs économiques au mépris des servitudes définies sur chaque rive du fleuve. - L’abus de certains maîtres d’eau dans la gestion des pêcheries qu’ils louent à des allochtones au détriment de la population locale etc. Ces types d’exaction sont fréquents en cinquième région et particulièrement dans les cercles de Youvarou et Tenenkou. 6.3. Les zones de conflits. Les conflits liés au foncier halieutique se rencontrent un peu partout à travers le pays. Mais généralement sont des conflits mineurs qui sont facilement maîtrisés par les structures locales de conciliation, sauf en cinquième région (Mopti) qui bat le record national en la matière. Les cercles de Youvarou et Ténenkou se singularisent par la multiplicité et le caractère parfois violent des conflits liés au foncier halieutique. A Youvarou, selon l’ensemble de nos interlocuteurs, les principaux conflits sont ceux liés aux pêcheries. Ils opposent principalement les pêcheurs entre eux-mêmes. Malgré l’absence de statistique fiable sur le nombre de conflits, il a été prouvé que de janvier à juillet 2003 (date de passage de l’équipe d’enquête), 30 cas de conflits avaient été enregistrés par la gendarmerie. 27% de ces conflits étaient liés aux pêcheries et opposaient dans : - 45% des cas des groupes de pêcheurs exploitants, - 35% des cas deux villages revendiquant chacun la propriété de la même pêcherie, - 20% des cas des groupes de villages revendiquant la propriété des mêmes pêcheries. A Teninkou, la prévalence des conflits entre pêcheurs est tout aussi manifeste et porte sur les mêmes types de revendication de propriété sur les pêcheries que se disputent des exploitants, des villages ou des groupes de villages. Dans le contexte actuel de déficits pluviométriques répétitifs, les seules mesures susceptibles de circonscrire ces conflits sont le développement de la pisciculture communautaire ou privée, le rappel des maîtres d’eau sur leurs prérogatives initiales dans leur fonction de gestionnaire d’une ressource communautaire qu’ils ne doivent nullement s’attribuer personnellement, l’engagement des autorités communales auprès des populations pour une meilleure réglementation de la pêche à travers l’adoption de conventions locales etc.

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VII. LES PROBLEMATIQUES LIEES AUX TERRES AMENAGEES DE L’ETAT : LE CAS DE L’OFFICE DU NIGER 7.1. Historique. Le projet d’aménagement de 960.000 ha de terre établi en 1929 par l’ingénieur français Emile Belime, conduira à la création de l’Office du Niger le 5janvier 1932. Le projet consistait à remettre en eau les anciens défluents fossiles du fleuve Niger : les fala de Molodo et de Boky-wéré, à partir desquels l’on pourrait irriguer gravitairement le delta. Pour ce faire, il a été nécessaire d’une part ; de construire un barrage sur le fleuve Niger à la hauteur du village de Markala et d’autre part ; de creuser un canal adducteur et deux canaux principaux reliant les fala précités : - le canal du Sahel et Fala de Molodo qui dessert le Kala inférieur et le Kourou Mari - le canal du Macina qui dessert la zone du Macina - et récemment, le canal Costes/Ongoïba mis en service en 1984 pour irriguer les périmètres du Kala supérieur (complexe sucrier et Béwani). 7.2. Les objectifs successifs de l’Office du Niger. A sa création en 1932. La production de coton pour les besoins de l’industrie textile française, La production de riz pour les besoins des territoires français d’Afrique de l’Ouest et du Sud Sahara. A cet effet, le Programme prévoyait l’aménagement de 960.000 ha en 50 ans, dont 510.000 ha de coton et 450.000 ha de riz. De 1935 à 1960 seulement 54.000 ha ont été aménagés pour le riz et le coton et environ 5000 ha pour la canne à sucre. A l’accession du pays à la souveraineté nationale en 1960. Au lendemain de l’accession à l’indépendance, l’Office du Niger sera nationalisé par la République du Mali qui lui fixera les nouveaux objectifs suivants : - l’amélioration du revenu et du niveau de vie des agriculteurs colons, - la participation à l’effort national pour l’auto suffisance alimentaire, - la participation à la lutte contre la pauvreté. En fonction de ces nouveaux objectifs, l’Office abandonnera la culture du coton en 1970, et opta pour l’introduction de la culture de canne à sucre et le développement plus accrue de la riziculture. De 1960 à 1980, l’Office fut considéré comme un « Etat dans l’Etat » parce que conçu et fonctionnant comme un vaste projet intégré, renfermant en son sein toutes les activités nécessaires à son développement : l’aménagement des terres, leur exploitation (en régie ou par des colons), la transformation et commercialisation des produits, le crédit agricole, l’éducation/formation/encadrement des paysans, la santé etc.. Pendant cette période, l’échec de la politique de développement planifiée de l’agriculture irriguée initiée par la première République, la dégradation des infrastructures hydrauliques, la baisse de la production, la mauvaise gestion des relations avec les paysans etc.. ont conduit le Gouvernement de la deuxième République à engager le programme de réformes de l’ON à partir des années 1980. Malgré ces reformes aux résultats timides, le niveau de la production demeurait médiocre et les relations avec les paysans se détérioraient de plus en plus.

40 Depuis Mars 1991. Après la Révolution de Mars 1991, les paysans n’ont pas manqué de clamer haut et fort leur ras le bol avec l’ON et ont exigé de nouveaux types de partenariat pour sortir du carcan d’enfer dans lequel ils vivaient. Mieux, le Gouvernement et ses partenaires ont perçu la nécessité de réhabiliter les infrastructures hydrauliques et de recentrer les missions de L’ON. C’est ainsi que fut décidé en 1994, la restructuration de l’ON qui ne devait plus garder dans son porte feuille que les missions pour lesquelles il est reconnu être le plus compétent. Les autres fonctions dont l’aménagement des terres, le crédit agricole, la transformation et commercialisation du riz, l’élevage… ont été privatisées. Les nouveaux objectifs assignés à l’Office dans ce cadre sont : - la gestion des eaux et la maintenance des aménagements - la maîtrise d’ouvrage délégué pour les études et le contrôle des travaux d’aménagement, - l’entretien des infrastructures primaires - la gérance des terres, - le conseil rural et l’assistance aux exploitants pour l’approvisionnement en intrants et matériels agricoles. 7.3. Gestion et sécurité foncière à l’Office du Niger. Le décret N° 96- 188/P du 1er juillet 1996 portant organisation de la gérance des terres affectées à l’ON traite dans son article 2, de la mission de gérance des terres du Delta central aménagées et équipées et de celles à aménager et à équiper ou pouvant l’être à partir des ouvrages et canaux du barrage de Markala. Conformément aux dispositions de l’article 19, du décret de gérance, l’exploitation des terres en gérance se fait à travers l’un des modes de tenure suivants : - le contrat annuel d’exploitation, - le permis d’exploitation agricole, - le bail ordinaire, - le bail emphytéotique, - le bail d’habitation La tenure se définit comme un mode d’accès à la terre dont la jouissance est accordée à une personne par le propriétaire, pour un temps et moyennant un prix. L’actuel décret de gérance a supprimé la régie directe comme mode de tenure des terres de l’ON. Auparavant, à la faveur de cette régie directe, l’ON exploitait des terres aménagées pour son propre compte et à des fins de production. Profitant de cette latitude qui était laissée à l’ON, beaucoup de ses agents (cadres supérieurs ou moyens) se sont emparés de plusieurs hectares qu’ils exploitaient à leur propre compte. Des hauts « dignitaires » de différents gouvernements successifs, ne sont pas restés indifférents à cette opportunité. Par l’intermédiaire de leurs pions respectifs dans l’administration de l’ON, ils parvenaient aussi à obtenir d’importantes superficies qu’ils faisaient cultiver, à distance, par des ouvriers agricoles. La conséquence de la suppression de la régie directe fut l’attribution des terres au profit exclusif des privés. Ces privés sont des personnes physiques (exploitant agricoles) ou morales ( entreprises de production, de transformation, de commerce, ou toutes autres activités liées à l’agro- industrie). Partant de ce mode actuel de tenure, l’office pense avoir réussi deux régimes de sécurité foncière.

41 La sécurité de l’habitation. Pour l’Office, cette sécurité est assurée à travers le bail d’habitation (articles 38 à 43). Il est stipulé à travers ces articles que ce bail est indistinctement accordé aux exploitants et à toute autre personne menant des activités utiles à la promotion de l’exploitation des terres et/ou adéquats aux besoins économiques et sociaux des habitants de la zone. Ce bail confère à son titulaire un droit de jouissance permanent, cessible et transmissible aux héritiers.

La sécurité des terres agricoles en casier et hors casier ; Selon l’office cette sécurité est assurée à travers le contrat annuel d’exploitation, le permis d’exploitation, le bail ordinaire ou le bail emphytéotique. Le contrat annuel d’exploitation et le permis agricole sont accordés sur des terres aménagées, tandis que les baux portent sur des surfaces non aménagées. Le contrat annuel d’exploitation confère à l’exploitant un droit de jouissance quasi permanent, renouvelable aussi longtemps qu’il n’aura pas été dénoncé par l’une ou l’autre partie. Le permis d’exploitation agricole confère expressément à l’exploitant un droit de jouissance permanent sur les terres. Le bail ordinaire conclu pour une durée de 30 ans peut faire l’objet de renouvellement indéfini. De même, le bail emphytéotique conclu pour 50 à 99 ans est tout aussi renouvelable et peut même faire l’objet d’hypothèque. Tandis que l’Office crie victoire en exhibant ces fameux régimes de sécurité foncière, comme des prouesses, les colons et particulièrement les petits exploitants agricoles ne cessent de décrier l’insécurité foncière qui prévaut à l’ON depuis sa création jusqu’à nos jours. Cette insécurité foncière permanente est maintenue et consolidée présentement par les clauses du décret portant organisation de la gérance des terres affectées à l’ON. Les modes de tenure en vigueur sont particulièrement décriés. A titre d’illustration, le SEXAGON affirme que le paiement partiel de la redevance « eau » peut conduire à l’éviction partielle ou totale de l’exploitant des terres qu’il entretient depuis 20, 30, ou 50 ans. Où est donc la sécurité foncière avec de telles réglementations qui maintiennent les exploitants agricoles sous la menace permanente de l’éviction? Que valent encore de telles réglementations avec lesquelles l’Office a donné 1000 ha en bail à une compagnie chinoise (COVEC) sous le prétexte d’expérimentations de techniques agricoles plus performantes alors qu’ils n’en est rien ? En effet, la mise en exploitation de ce périmètre dont l’aménagement a été assuré par les chinois a commencé en 1998. En lieu et place des expérimentations, COVEC a procédé et procède toujours par la location des parcelles du périmètre à des paysans maliens à raison de 170.000 Fcfa/ha pour la double exploitation annuelle. Sans commentaire ! Face à ces premières manœuvres, les paysans s’attendent au pire avec le développement de la politique de bail aux gros privés de l’agro business. Conséquemment et à travers le SEXAGON, les petits exploitants souhaitent la révision pure et simple du décret de gérance. Cette révision doit se dérouler de façon participative en vue que la nouvelle législation ne soit pas la photocopie retouchée du texte actuel, un genre de farce.

42 VIII. LE FONCIER MINIER. Les problématiques liées au foncier minier résident essentiellement dans l’exploitation des ressources minières du sous sol, et particulièrement dans l’intervention d’acteurs extérieurs que représentent les sociétés de recherche et d’exploitation minières.

8.1. Les cessions de concessions minières. Elles sont opérées comme si les zones concernées n’étaient pas occupées préalablement par des habitants. A partir de Bamako, l’Etat attribue des titres de concessions minières à des opérateurs privés, autorisés à mener des recherches, et des actions d’explorations parallèles pour s’assurer de la présence et de la quantité d’or enfoui dans le sous sol. Hormis les grosses sociétés industrielles de recherche et d’exploitation comme Rand Gold, Anglo Gold, la plupart des petites sociétés se livrent plutôt à l’exploitation qu’à la recherche. Selon des acteurs du secteur rencontrés dans les zones aurifères de Kalana, Kangaba et Kéniéba, ces sociétés ne font que de l’orpaillage sous le prétexte des essais d’exploration. Munis de titres de concession délivrés en « haut lieu », ils débarquent dans les terroirs exhibent leurs « papiers » et font déguerpir les occupants sans dédommagement dans la plupart des cas ; et cela malgré l’existence du CDF. 8.2. L’implantation des grosses sociétés d’exploitation minière. Les constats enregistrés à ce niveau portent sur la faiblesse des actions d’investissement en compensation des dégâts causés à l’environnement local, le non dédommagement, ou la faible compensation des déguerpissements imposés. Dans le premier cas, les investissements effectués par les sociétés minières opérant à Sanso (cercle de Bougouni) et à Sadiola (région de Kayes) se résument pour l’essentiel à des salles de classes, bornes fontaines et quelques actions de reboisement. Au regard des dégâts environnementaux liés aux activités d’exploitation minière, ces investissements ressemblent beaucoup plus à des manœuvres de saupoudrage qu’à de véritables actions de développement. Après le départ de ces sociétés, que pourront faire les villageois avec des terres si profondément mutilées et désormais inexploitables pendant des centaines d’années ? L’Etat et encore moins les sociétés d’exploitation ne se soucient guère de ce lendemain qui sera très pénible pou les populations locales.

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IX. PRINCIPALES CONCLUSIONS

X. ANNEXES 10.1. Bibliographie • Document de présentation du projet de recherche « Diagnostic participatif de la situation foncière au Mali et plaidoyer pour son évolution » (AOPP, 2002).

• Problématique foncière et gestion des conflits en Afrique, tome I (Chéibane Coulibaly édition Cauris d’or 1997).

• Plan National d’Action Environnementale et Programmes d’Actions Nationaux de la Convention contre la Désertification : Volume3 Résumé des Programmes d’Actions Régionaux. (PNAE/PAN-CID, Mai 1998).

• Appui à l’inventaire des normes et coutumes en matière de foncier pastoral (MDRE/FAO, Sept 1999).

• Loi N° 004 du 27 FEV 2001 Portant Charte Pastorale en République du Mali.

• Recueil de textes forestiers (MDRE/DNRFFH)

• Le foncier rural au Mali, Actes de l’Atelier National de Concertation du 28 au 31 Mai à Ségou : Volume 1. Synthèse des communication et des débats (MDRE/CPS Sept 2001).

• Le foncier rural au Mali, Actes de l’Atelier National de Concertation du 28 au 31 Mai à Ségou : communication n°

• Le foncier rural au Mali, Actes de l’Atelier National de Concertation du 28 au 31 Mai à Ségou : communication n°4 Région de Sikasso

• Le foncier rural au Mali, Actes de l’Atelier National de Concertation du 28 au 31 Mai à Ségou : communication n°5 Région de Ségou

• Le foncier rural au Mali, Actes de l’Atelier National de Concertation du 28 au 31 Mai à Ségou : communication n°6 Région de Mopti

• Le foncier rural au Mali, Actes de l’Atelier National de Concertation du 28 au 31 Mai à Ségou : communication n°7 Région de Gao

• Le foncier rural au Mali, Actes de l’Atelier National de Concertation du 28 au 31 Mai à Ségou : communication n°7 Région de Kidal.

44 • La pêche dans le delta central du fleuve Niger (ORSTOM/IER. Edition Karthala. Paris 1994.

• De la Dina à Akkagoun : Capitalisation du projet de conservation de Youvarou (préparé sous la Direction de la mission UICN- Mali 1995)

• Le foncier rural au Mali : références bibliographiques (CEDREF – GED, juin 2000.

10.2. Rapport de synthèse de l’Atelier Nationale. Les 26, 27 et 28 janvier 2004 s’est tenu dans la salle de conférence du Centre Régional d’Energie Solaire (CRES) l’atelier national de validation des résultats du projet Diagnostic participatif de la situation foncière et plaidoyer pour son évolution. L’atelier a réuni environ 80 personnes provenant de différents services techniques, ONG, et des représentations régionales de l’AOPP L’absence du représentant du ministère des domaines de l’Etat a été déplorée pendant les deux premiers jours de l’atelier. Son arrivée le troisième jour, c'est-à-dire quelques heures avant la clôture a été mise à contribution pour éclairer les participants sur plusieurs points relatifs à la gestion foncière de l’Etat. La séance d’ouverture de l’atelier a été marquée par les interventions des Présidents de l’AOPP et de l’APCAM et le discours d’ouverture du représentant du Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche. Dans son allocution, le président de l’AOPP Monsieur Ibrahima COULIBALY a rappelé les motivations qui ont conduit son organisation à initier ce projet, à savoir : contribuer à l’amélioration des conditions entourant la production agricole. Il a ensuite indiqué que l’objectif de ce projet est entre autres de développer le dialogue entre acteurs étatiques et non étatiques autour de la question foncière afin de réduire les nombreux conflits liés au foncier et qui s’avèrent très souvent meurtriers. Quant au président de l’APCAM, Monsieur Sékou Oumar TALL, il a également rappelé toute la complexité de la question, les nombreux conflits liés à la gestion du foncier avant d’assurer de sa disponibilité à œuvrer avec tous les acteurs pour la gestion apaisée du foncier.

45 Dans son discours d’ouverture, Monsieur Bréhima SANGARE représentant du ministre de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche a affirmé que le thème du présent atelier s’inscrit en ligne droit de la déclaration de politique générale du Premier Ministre et des orientations stratégiques du schéma directeur du développement rural. Il a ensuite félicité l’AOPP, et remercié ses partenaires pour souhaiter ensuite plein succès aux travaux. Après ces différentes interventions, une pause a été observée. Les travaux reprendront après par la présentation des participants et l’exposé par le Consultant de l’Université Mande Bukari. L’exposé de Monsieur Bakary DIAKITE a porté sur le résumé de l’étude, les points suivants ont été mis en exergue : - les empreintes du passé sur les modes actuels de gestion foncière à savoir le droit de hache, la réglementation foncière sous la dyna de Cheikou Amadou, les conséquences de l’invasion marocaine sur la gestion du foncier, la superposition du droit positif et des droits et pratiques coutumiers sous l’occupation coloniale française. - L’évolution de la question foncière depuis l’accession à la souveraineté nationale avec l’évocation des différents textes et des tendances actuelles dans le cadre de l’unité régionale et nationale - Les problématiques d’ordre législatif et judiciaire : CDF 2000, la Charte pastorale et textes forestiers - Les problématiques liées aux pratiques coutumières, à la transhumance, à la pêche - La gestion des conflits par la justice. - quelques préoccupations ont été également soulevées notamment le statut des terres du Nord ignoré dans les textes sur le foncier. Cette présentation a été suivie de contributions visant à améliorer le document, et de questions d’éclaircissements La journée du 27 janvier 2004 a été consacrée aux comptes rendus des missions au Maroc, au Niger et au Sénégal, et par Ces différents exposés qui ont été effectués par Messieurs Ibrahim COULIBALY et Moussa KIENTA, ont porté sur l’historique de la question foncière et les tentatives de réformes législatives entreprises dans ces différents pays. Ces missions d’études ont permis au Comité National de Pilotage du Projet, de s’enquérir de l’expérience des pays visités et de rapporter de la documentation consistante pouvant être de sources de référence. Après ces exposés édifiants, il a été procédé à la présentation des TDR pour les travaux de groupes, à la constitution de trois groupes . Les mandats des travaux de groupe étaient : - la validation de la synthèse thématique des ateliers régionaux - la réponse aux 7 questions suivantes :

Les travaux de la dernière journée ont commencé par l’intervention de Monsieur Sangho C.T. au Ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires Foncières. Cette présence a été saluée compte tenu du rôle de ce Ministère dans les questions foncières. Monsieur Sangho a parlé de la création récente de sa structure, des nombreux défis à relever, des acquis (ADF). Il a ensuite souhaité que les résolutions de l’atelier fassent

46 objet d’une présentation aux Etats Généraux des Domaines prévus en février 2004 par la présidente du CPN, Madame HAIDARA Mariam . Ensuite il a été procédé à la présentation des résultats des travaux de groupes. Cette présentation a suscité un débat à la suite duquel la synthèse suivante a été retenue :

Synthèse des résultats des travaux de groupe Au terme de leurs travaux en atelier, les résultats suivants ont été retenus

1- les résultats des ateliers régionaux ont été validés avec quelques rajouts • Page 5 : d) pratiques et contraintes d’ordre divers la non mise en œuvre du schéma directeur en zone Office du Niger

• Page 7 : Région de Ségou : insécurité foncière des exploitants des zones Office du Niger liée aux clauses du contrat • Page 9 Valoriser les conclusions des rencontres précédentes réf. CPS 2001 La liste des acteurs à mettre entre parenthèse Koulikoro : sujet de la mise en place de comité de pilotage et de suivi des résolutions, ajouter le niveau communal au lieu de sous préfectoral Reconsidérer à la hausse le barème de dédommagement des personnes déguerpies suite à l’exploitation minière, construction d’infrastructures routières, lotissement, barrages etc. - impliquer les chefs coutumiers dans la gestion du foncier - par rapport au thème VIII en réponse à la question « comment sécuriser ? » - Préciser par l’éducation environnementale et la sensibilisation par l’utilisation des médias d’Etat et de proximité - Par rapport au thème : au sujet de la relecture du CDF devant se faire à travers des concertations élargies à la base, indiquer le niveau communal au lieu de préfecture et région - La prise en compte de la petite exploitation agricole dans le NEPAD. - Toute délivrance de permis d’exploitation minière doit au préalable faire l’objet de concertation entre les acteurs locaux et l’Etat.

2- pour la deuxième question la tendance générale s’est prononcée pour la non ouverture du marché foncier rural 3- renforcer les anciennes structures de gestion et de concertation foncière par l’implication des chefs coutumiers jusqu’au niveau village et en même temps les formaliser 4- oui à l’immatriculation – non au titre foncier mais un titre de détention coutumière délivré par la commission locale de gestion foncière 5- Oui il faut un cadastre au niveau local. Comment ? A travers la collaboration entre l’Etat, la Commission nationale chargée de la gestion foncière (niveau village, commune, cercle, région et national) et tous les autres acteurs

47 impliqués dans le foncier financièrement par l’Etat, les communautés et les projets intervenant dans le monde rural 6- En cas de morcellement, tenir compte des zones de culture et de spéculations sinon ériger les exploitations familiales en patrimoines invendables et indivisibles 7- Oui il faut un statut pour l’exploitation familiale pour une plus grande sécurité.

Fait à Bamako, le 28 janvier 2004

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