de Martine Chéradame et Horst Schwickerath J Entretien Deuxième partie Deuxième Alain Floquet

¦Avant de poursuivre, et pour bien Uchi Deshi du célèbre et raffiné Kyuzo futur fondateur de l’ qui, l’ayant comprendre, pouvez-vous nous expli- Mifune Sensei, immense spécialiste du pris comme assistant, lui demandait quer pourquoi la pratique de Minoru Sutemi Waza, et disciple du Professeur d’expliquer aux autres élèves les tech- Mochizuki, que vous appeliez Aïkido Jigoro Kano. niques qu’il venait de démontrer. A , n’est pas de l’Aïkido ? Au sein du Kodokan, le Professeur Jigo- ce propos, je me souviens qu’un jour, ro Kano avait créé en 1928 une section me rapportant quelques anecdotes La pratique du maître Maitre Mochizu- spécifique destinée à l’étude des Arts sur cette période, Mochizuki Sensei ki s’appuie sur une expérience martiale me dit : « Ueshiba Sensei faisait les hors du commun et pour une grande techniques mais ne les expliquait pas, partie acquise avant que le Professeur alors il regardait les autres élèves en Jigoro Kano ne lui confie la mission disant: « Mochizuki va vous expliquer » d’aller étudier le Daïto Ryu au et je m’exécutais ». Dojo du Maître Ueshiba en 1930. Cette même année, il étudia égale- Après avoir pratiqué le et le ment le Jodo Muso Shinto avec Shi- dans son enfance, il fut accepté mizu Ryuji Sensei. Au mois d’aout 1931 en 1924 comme élève dans la sec- il tombe gravement malade et est fut tion judo du dojo du Professeur Toku hospitalisé. En novembre il reprit le Sanpo, puissant judoka disciple du chemin du Dojo et enseigne le Judo, Judo Kodokan, par ailleurs escrimeur le Kobudo et l’Aiki-Jujutsu dans un hors pair, avec qui il put pratiquer le Dojo fondé par son frère à Shizuoka. Kendo. Kendo qu’il étudia également En 1933, Maitre Ueshiba lui décerna avec Nakayama Hakudo Sensei, élève (C) Paris – 2013 Horst Schwickerath, Alain Floquet pen- le Kôde – Okuden – Menkyo de Daito dant notre entrevue. du célèbre escrimeur Takano Sasaburo. Ryu Jujutsu. Il s’était également engagé dans l’école de Jujutsu « Gyokushin Ryu: esprit Martiaux anciens, le Kobudo Kenkyu A son retour de Chine, en 1946, et après sphérique) » où il étudia sous la direc- Kaï. C’est dans ce cadre que certains de avoir reconstruit son dojo de Shizuoka, tion du Soke Oshima Sanjuro et dont ses Yudansha, dont le « Yoseikan », il reprit l’enseignement il reçut en 1925 le Mokuroku Menkyo. et Sugino Yoshio, avaient été chargés de ses disciplines - Judo, Katori Shinto Ce fut pour lui une exceptionnelle d’étudier notamment le Katori Shinto Ryu, Kendo, Karaté, Jodo et l’Aiki-Ju- occasion d’étudier les Te Waza (tech- Ryu et le Daïto Ryu Jujutsu, avec mis- jutsu. Au cours du temps cette excep- niques de bras), les Koshi Waza (tech- sion de lui rendre compte chaque tionnelle expérience martiale fusionna niques de hanches) et surtout ce qui mois. en lui et donna naissance à l’Aiki-Ju- deviendra une des richesses de l’Aiki- jutsu du Yoseikan. do-Jujutsu du Yoseikan (et donc de Mochizuki Sensei étudia donc le Katori l’Aikibudo) les Sutemi Waza. Shinto Ryu avec les Shihan historiques De son coté, au cours des deux dé- de cette l’école d’armes dès 1928, ainsi cennies qui se sont écoulées depuis Dans l’environnement de Toku Sanpo que, durant l’année 1930, le Daïto Ryu 1931, l’enseignement et la pratique du Sensei, il devint disciple principal et Jujutsu avec le Maître Ueshiba Morihei, grand maître Ueshiba Morihei avaient

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… mais j’avais dépassé la notion de jujutsu, ma pratique n’était pas de l’Aïki-Jujutsu.

évolué et donné naissance à un art de celles de ma vie professionnelle. (FFAD) association présidée par le Doc- nouveau, l’Aïkido, qui fut formalisé Le 25 mars 1971 un protocole d’accord teur Warcollier. En février 1976, notre sous ce nom en 1947. a été signé entre l’ACFA et la FFJDA groupe CERA rejoignait à son tour la Aussi, lorsque Mochizuki Minoru Sen- avec création de l’Union Nationale FFAD sous l’appellation « École CERA ». sei, qui avait des liens affectifs très forts d’Aïkido (UNA). Au sein de cette UNA, En 1978, afin de répondre aux exi- avec le Maître Ueshiba et un immense Tamura Sensei avait mis en place une gences ministérielles en vue d’une respect pour celui-ci, reçut de ce der- méthode « nationale » d’Aikido. Cette habilitation, nous avons créé une nier le très haut titre – pour l’époque méthode fut imposée à l’ensemble nouvelle structure, la Fédération Fran- – de 8ème d’Aïkido, il donna le nom des pratiquants – annonce faite à çaise d’Aïkido et de Kobudo (FFAK), qui d’Aikido-Jujutsu à son art de l’Aiki-Ju- l’INS le 1er décembre 1973 devant 300 regroupera alors trois écoles : le CAB jutsu (indûment mais souvent appelé représentants de l’ensemble des prati- (Cercle Aïki-Budo) de Maître Nocquet, en France Aïkido Yoseikan ou Aïkido quants. le Ki no Michi de Maître Noro et le Mochizuki) … CERA. Toutefois, l’Aïkido-Yoseikan n’étant pas ¦Revenons à la nouvelle réorganisation de l’Aïkido, au sens de l’Art enseigné à Cette même année, un événement de l’Aikido au sein de la FFJDA. l’Aïkikaï, nos pratiquants ne s’y retrou- survint par l’entremise d’un ami, Mon- vaient pas. Par conséquent, après une sieur Marc Bigoureau, propriétaire Lorsque l’ACFA, dirigée technique- ou deux années d’essais, un très grand du magasin d’art martiaux la SEDIREP, ment par Tamura Nobuyoshi Sensei, nombre d’entre eux abandonnèrent authentique mécène qui apporta son a intégré la CNA au sein de la FFJDA, progressivement la FFJDA pour se ras- aide à bien d’entre nous, et qui m’a no- Hiroo Mochizuki Sensei travaillait déjà sembler : tamment beaucoup aidé à l’époque au développement du Yoseikan Budo, • soit au sein de l’association CERA, où je relançais le Kendo en France et concrétisant dans cet art naissant l’uni- berceau de l’Aikibudo, que je créai en en avais ouvert une section à l’ASPP, té de ses compétences martiales. décembre 1974, avec l’aide de Claude l’association sportive de la Préfecture Jalbert et d’anciens tels que Bernard de Police de Paris. Moi-même ne dis- Quant à moi, je poursuivais mon action Ghesquière et Hervé Villers à l’admi- posant que de très faibles moyens en faveur de l’Aïkido-Jujutsu du maître nistration, Alain Roinel, André Tellier, financiers, Monsieur Bigoureau m’a Mochizuki Minoru. Toutefois, ma pra- Edmond Royo et bien d’autres à la procuré à très bas prix de très belles tique se modifiait progressivement et technique et en région, armures de Kendo et tout le matériel prenait de plus en plus une forme en • soit autour de Mochizuki Hiroo Sen- ad hoc pour cette pratique. adéquation avec ma recherche qui se sei au sein de l’Association Yoseikan voulait traditionnelle et évolutive. Ma Budo, qu’il créa officiellement en 1975. En 1978, donc, Monsieur Bigoureau, pratique, depuis 1963, n’était déjà plus qui avait des très nombreuses rela- la même que celle rapportée du Yosei- André Nocquet, destitué de sa légi- tions avec le monde des arts martiaux, kan par Jim Alcheik, en 1958, qui avait timité à la tête de l’Aikido Ueshiba, me fit savoir que le président de l’UNA évolué d’abord au contact de Mochi- soutenu par son groupe, quitta égale- souhaitait s’entretenir avec moi. Il zuki Hiroo Sensei puis peu à peu sous ment l’UNA et alla se réfugier au sein organisa donc une rencontre autour l’effet de mes expériences martiales et de la Fédération Française d’Aïkido d’un amical déjeuner, où le président

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Mon évolution s’étant faite sous sa bienveillance et sur les bases de l’art, de l’esprit …

Mochizuki Sensei, Sugino Yoshio Sen- accompagné tout au long de ce che- sei, et était présidée par son Excellence min se nommait officiellement Aïki- le Prince Naruhiko Higashi Kuni, oncle budo. C’est ainsi que s’écrit l’histoire de de l’Empereur du Japon et ancien 1er l’Aïkibudo. Ministre. ¦Ce qui m’interpelle, c’est que ce soit C’était une époque où ces Maîtres Minoru Mochizuki, qui ne pratiquait venaient diriger des stages en France pas l’Aïkido, qui vous ait dit : « Ce que tu et en divers pays européens. C’est ain- fais, ce n’est pas de l’Aïkido », alors que, si que le 19 mai 1983, lors d’un stage apparemment, les autres personnes qui que nous avions organisé à Paris avec étaient autour de vous, soit ne s’étaient les Sensei Mochizuki Minoru, Sugino pas permis de vous le dire, soit… Yoshio, Torigai Yoshi, l’UNA FFJDA orga- nisa en l’honneur de Mochizuki Sensei, Il est clair que cette réunion était orga- dans les salons de l’hôtel Maillot, un nisée à cette fin, car sous le nom alors cocktail auquel je fus invité. Sur place, « générique » d’Aikido je pratiquais, Alain Floquet pendant notre entrevue. je retrouvais Minoru Mochizuki Sensei, et ce depuis l’origine, un art diffé- Mochizuki Hiroo, Tamura Nobuyoshi rent issu de l’Aikido-Jujutsu du Maître de l’UNA m’a suggéré qu’il serait Sensei, le président de l’UNA, diverses Minoru Mochizuki, art dont la nature bien que je revienne au sein de l’UNA autres personnalités. A un moment, profondément humaine et évolutive FFJDA où il serait concevable que je Mochizuki Minoru Sensei m’interpella s’affirmait de décennie en décennie. développe une section Aïki-Jujitsu et l’on se réunit autour de moi. Là, il Pour tous, tant pour le Maître Minoru dont je serais le directeur technique me dit : « Alain, ce que tu fais, ce n’est Mochizuki, que pour mes élèves et alors que Tamura Sensei serait le direc- pas de l’Aïkido. Il faut changer le nom ». moi, que pour les dirigeants de l’UNA teur technique de l’Aïkido. Pourquoi Il propose alors : « Yoseikan Budo ? ». et tous les pratiquants d’Aikido, il fallait pas, mais j’avais dépassé la notion de Bien sûr, Hiroo Mochizuki Sensei et définitivement éclaircir cette situation jujutsu, ma pratique n’était pas de l’Aï- moi répondons spontanément et en et clore ce débat qui durait depuis le ki-Jujutsu et si elle devait changer de écho : « Non, ce n’est pas possible ! ». retour en France, en 1957, de Jim Al- nom, celui-ci ne pouvait être qu’Aïki- Le Sensei propose alors Aïki-Jujutsu. cheik et d’André Nocquet. budo. Aikibudo en un seul mot. Ma réponse est : « Non, ça ne va pas ! », et nous échangeons sur ce sujet. Je dis Mon évolution s’étant faite sous sa Parallèlement, sur la même période, alors : « Ce qui correspond à ce que je bienveillance et sur les bases de l’art, Minoru Mochizuki Sensei m’avait de- fais, c’est Aïkibudo ». Mochizuki Mino- de l’esprit et de l’éthique du Maître mandé de m’occuper de l’IMAF (l’Inter- ru Sensei répondit : « C’est bien ». puis Minoru Mochizuki, c’est lui qui avait national Martial Art Fédération) France les autres Sensei présents répondirent l’autorité et la légitimité pour me et Europe. Cette fédération de Budo l’un après l’autre : « C’est bien ». demander de changer de dénomina- Japonais regroupait de nombreuses Dont acte, à partir de cet instant ma tion pour désigner ma pratique et cela personnalités de haut niveau, tels pratique et celle de ceux qui m’ont publiquement.

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Il peut être parfois dit, par simplifica- que O Sensei avait donné un grade, et tion, généralisation ou ignorance, que avait dit : « Tu vas en Europe et tu fais l’Aïkibudo est un courant ou un style de l’Aïkido, maintenant. ». Et il n’y a pas d’Aïkido. C’est comme si quelqu’un di- longtemps, son fils m’a dit clairement : sait que l’Aïkido était un courant ou un « Mon père ne fait pas de l’Aïkido ». style de Daito Ryu Aiki-Jujutsu. Les faits que j’ai rapportés précédemment cla- Je ne vois là ni problème, ni incohé- rifieront peut-être les idées à ce sujet. rence, l’histoire rapportée précédem- ment s’en explique et les déclarations

La source technique de l’Aikibudo d’Hiroo Mochizuki Sensei ne peuvent © Horst Schwickerath. Demonstration de Aïki-budo Paris. - NAMT 2011, est différente de celle de l’Aïkido, être mises en doute. C’est un fait : la Écoles, des arts et non des sports. En même si dans les deux cas il s’agit du pratique de Mochizuki Minoru Sensei cela, l’Aïkido n’est pas inintéressant et Budo japonais et de l’universalité de n’était pas de l’Aïkido au sens de l’art j’ai d’ailleurs l’occasion, au cours de ma l’Homme. Elle est issue de la formation connu sous ce nom aujourd’hui. vie, d’échanger sur nos arts respec- martiale du Maitre Minoru Mochizuki tifs avec des maîtres de l’Aïkido tel le (Judo, Kendo, Jujutsu, Katori Shinto …¦ le 8ème dan d’Aïkido qui lui a été regretté Maître André Nocquet dont Ryu, Daïto Ryu Jujutsu, Karaté) et de donné était en quelque sorte une le chemin a si souvent croisé le mien y son expérience de vie. De mon coté, « équivalence »… compris sur les tatamis de Bercy. Mais j’ai aussi pratiqué ces divers arts mar- tiaux, certes bien plus modestement On pourrait dire ainsi, mais c’est que le Sensei, tout cela est bien connu. bien plus compliqué que cela. Il C’est d’ailleurs avec le Kendo que j’ai faut peut-être le voir comme un vécu ma plus importante expérience geste du cœur, un acte inspiré tel martiale sur la disponibilité mentale. que le Maître Ueshiba en avait. Cela aussi a déjà été rapporté par ail- leurs. Enfin, l’Aikibudo a également Tous les joueurs de foot jouent au foot une nature et une construction prag- dans la mesure où les règles sont les matiques, issue de mon expérience mêmes. Mais tous les pratiquants de de vie, construite mentalement et sabre ne le pratiquent pas de la même physiquement sur le terrain de la vio- façon. C’est toujours du mais lence où le geste ne peut être simulé jamais totalement le même. Chaque (comme dans le Dojo), l’intervention école est marquée par la personna- simplement tentée et la vigilance prise lité de ceux qui la fondent et la trans- en défaut, sous peine de risques irré- mettent. Le Kashima Shin Ryu n’est versibles tant pour l’intégrité physique pas le Katori Shinto Ryu. Et le Katori de que pour la vie. Maître Otake n’est pas celui que m’a enseigné Maître Sugino. Ce sont des

…¦ le problème, c’est Suite page 13 Si vous vouliez lire volontiers plus – nous vendons AJ : https://www.aikidojournal.eu/Edition _ francaise/2013

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