Master

Romanche et traduction : un état des lieux

BÜHLER, Nicolas

Abstract

Si ce mémoire est d'abord destiné à nuancer la représentation de la réalité linguistique romanche (plusieurs langues, indépendantes les unes des autres) en Suisse romande, l'auteur espère également intéresser les traducteurs à ces langues minoritaires et aux œuvres littéraires provenant des régions romanches. Dans une première partie, le travail tente de montrer les liens entre l'histoire, la géographie et l'économie, d'une part, et la représentation des langues romanches par leurs locuteurs, ainsi que leur utilisation dans la vie de tous les jours, d'autre part. Un second chapitre présente diverses situations de traduction (allemand-rumantsch grischun; allemand-idiome; idiome-français; idiome-idiome), ainsi que des critiques relatives à des solution de traduction, mais aussi des regards originaux sur le travail ou la mission du traducteur. Une troisième partie a été construite à la suite d'une enquête par questionnaire, les traducteurs étant appelés à décrire leur situation et leurs activités professionnelles (retour: 55%).

Reference

BÜHLER, Nicolas. Romanche et traduction : un état des lieux. Master : Univ. Genève, 2010

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:10829

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Nicolas Bühler

Romanche et traduction: un état des lieux

Mémoire présenté à l’École de traduction et d’interprétation pour l’obtention du Master en traduction, mention traduction spécialisée Directeur de mémoire: Madame Valérie Dullion Jurés: Prof. François Grin, Prof. Clau Solèr (Faculté des lettres)

Université de Genève juin 2010 Table des matières résumée

TABLE DES MATIERES RESUMEE ...... 2

ABREVIATIONS...... 3

INTRODUCTION...... 4

1 ORIGINES, DEVELOPPEMENT ET PROTECTION INSTITUTIONNELLE DU ROMANCHE...... 8

1.1 ORIGINES ET DEVELOPPEMENT DU ROMANCHE ...... 8

1.2 PROTECTION INSTITUTIONNELLE DU ROMANCHE ...... 26

1.3 LE ROMANCHE A L’ECOLE ...... 34

1.4 LE ROMANCHE DANS DIVERS DOMAINES DE LA VIE EN SOCIETE...... 37

1.5 RUMANTSCH GRISCHUN, IDIOMES ET TRADUCTION ...... 45

2 LE ROMANCHE: DES SITUATIONS DE TRADUCTION FORT DIVERSES ...... 49

2.1 LE ROMANCHE COMME LANGUE D’ARRIVEE ...... 50

2.2 LE ROMANCHE COMME LANGUE DE DEPART ...... 87

2.3 LA TRADUCTION OU TRANSPOSITION ENTRE IDIOMES OU ENTRE IDIOMES ET RG ...... 95

2.4 LES OUTILS A DISPOSITION DES TRADUCTEURS ROMANCHES ...... 99

2.5 LA TRADUCTION VERS LE ROMANCHE, UNE NECESSITE?...... 102

3 LES TRADUCTEURS DU ROMANCHE, PAR EUX-MEMES...... 105

CONCLUSION ...... 126

BIBLIOGRAPHIE...... 137

PERSONNES CONSULTEES (ENTRETIEN OU PAR COURRIER ELECTRONIQUE)...... 147

SITES INTERNET PRINCIPAUX...... 148

TABLES DES MATIERES COMPLETE...... 149

ANNEXES ...... 153

I. CARTES...... 153

II. QUESTIONNAIRES ET LETTRES D’ACCOMPAGNEMENT ...... 156

REMERCIEMENTS / ENGRAZIAMENT / RINGRAZIAMENTO ...... 172

2 Abréviations

ANR Agentura da novitads rumantscha [agence de presse romanche], Coire ATF Arrêts du Tribunal fédéral BPA Bureau de prévention des accidents, Berne CC Code civil suisse CO Code des obligations CP Code pénal suisse CPO Centre des publications officielles Cst. Constitution fédérale (aCst.: ancienne constitution fédérale) DFF Département fédéral des finances DFI Département fédéral de l’intérieur DOZ Dolmetscherschule Zürich [aujourd’hui: ZHAW] DRG Institut dal Dicziunari Rumantsch Grischun ETI Ecole de Traduction et d’Interprétation, Université de Genève EPT Equivalent plein temps GiuRu Giuventetgna rumantscha [association de la jeunesse romanche] JAAC Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération LLC Loi fédérale du 5 octobre 2007 sur les langues LLing Loi cantonale grisonne du 19 octobre 2006 sur les langues LPubl Loi fédérale du 18 juin 2004 sur les publications officielles LQ La Quotidiana [quotidien romanche] LR Lia Rumantscha [Ligue romanche] LRTV Loi fédérale du 24 mars 2006 sur la radio et la télévision OFC Office fédéral de la culture, Berne OFS Office fédéral des statistiques, Neuchâtel ORTV Ordonnance du 9 mars 2007 sur la radio et la télévision OSL Œuvre Suisse des Lectures pour la Jeunesse RG Rumantsch Grischun [langue romanche unifiée] RS Recueil systématique des lois fédérales RSI Radiotelevisione svizzera RTR Radiotelevisiun Rumantscha [radio et télévision romanches], Coire SAL Schule für Angewandte Linguistik, Zurich SF Schweizer Fernsehen SRR Societad Retorumantscha SSR Société suisse de radiodiffusion et télévision (SRG SSR idée suisse) RTS Radio Télévision suisse UNIL Université de Lausanne ZHAW Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften, Winterthur / Wädenswil / Zurich

3 Introduction

Le romanche est mal connu de la plupart des Suisses1. Même parmi celles et ceux qui passent volontiers leurs vacances sur les sentiers ou les pistes du canton des , peu se préoccupent de l’existence ou du sort de la «quatrième langue nationale». Du reste, le simple fait de parler du romanche, comme s’il n’y avait qu’une langue ou un idiome en jeu, est déjà révélateur. Le romanche, ça n’existe pas: c’est, pour reprendre le terme d’Arthur Baur dans son ouvrage Allegra genügt nicht, un «Sammelbegriff», un simple terme générique. Et, comme le rappelle Clau Solèr, il n’y a jamais eu de «nation romanche»: les divers idiomes sont autonomes et distincts les uns des autres, à l’image des régions dont ils sont issus. Au-delà de la réflexion sur des questions strictement liées à la traduction, ce travail se veut donc une occasion de s'interroger sur la représentation que nous avons des langues romanches (représentation dont dépendent, notamment, des choix de politique linguistique et de traduction) et de la remettre en question.

Diverses discussions que nous avons eues durant les années passées à l’ETI nous ont montré que la plupart des traducteurs francophones qui y effectuent leur formation n’ont que des connaissances incomplètes ou approximatives de la situation linguistique romanche. Même si elle n’en est bien entendu pas la cause principale, la méconnaissance de la réalité linguistique des diverses populations romanches par une majorité de concitoyens contribue au déclin de «nos quatrièmes langues»2. Notre intention est de mieux faire connaître ce petit monde, fascinant par ses

1 Pour des raisons pratiques, nous avons utilisé, dans tout le présent mémoire, le masculin générique pour évoquer hommes et femmes d'un même groupe. 2 Casanova 2009, p. 1: «Le romanche n’est pas que du folklore; il est encore bien vivant et doit être traité avec respect.»

4 beautés et sa complexité, à nos collègues francophones3. Comme le soulignait le professeur Bruno Moretti à l’occasion d’une conférence sur la langue italienne donnée le 22 avril 2010 à l’Institut du Plurilinguisme de l’Université de Fribourg4, l’intérêt porté à une langue minoritaire par des gens de l’extérieur contribue à rehausser le prestige de cette dernière auprès de ses locuteurs.

Le paysage linguistique romanche actuel est autant le produit d’une évolution historique marquée par de nombreuses étapes que le reflet d’une réalité géographique toute particulière, devant laquelle on ne peut manquer de s’interroger sur la place et le rôle de la traduction: entre les cinq idiomes romanches traditionnels et la langue romanche de chancellerie, on dénombre déjà pas moins de trente directions (potentielles) de traduction différentes… Le calcul, un peu naïf, n’a bien entendu qu’une valeur anecdotique, mais il permet, pour les traducteurs, de remettre immédiatement en question la représentation courante du romanche.

Notre intention est d’effectuer un état des lieux, autant en rassemblant des informations sur les directions et pratiques de traduction (par exemple auprès de mandants comme la Confédération, ou de services de traduction comme celui de la chancellerie cantonale grisonne) qu’en interrogeant les traducteurs eux-mêmes sur leur perception personnelle de leurs situations de travail (pour ce faire, nous avons choisi de procéder à une enquête par questionnaire).

Nous commencerons le présent travail par une présentation générale: l’origine des idiomes romanches, leur évolution respective et leur

3 À l’intention de nos collègues pratiquant également l’allemand, nous mentionnons ici le très intéressant mémoire de Madame Laura Keller, présenté à l’ETI: Die Abwendung des Schicksals von Tamangur oder ein übersetzerischer Ansatz zur Erhaltung der chara lingua da la mamma (avril 2010). 4 La situazione dell’italiano in Svizzera e l’elaborazione di un indice di vitalità per lingue di minoranza.

5 distinction d’avec les autres langues néo-latines, en particulier celles de l’arc alpin, leur situation aujourd’hui, ainsi que l’incontournable question de leurs chances de survie, en fonction de la scolarisation des locuteurs, de la situation économique dans l’aire romanche traditionnelle et de leur protection institutionnelle actuelle, sans oublier la création et l’utilisation – sujets toujours très sensibles aujourd’hui – de la langue écrite administrative servant de «quatrième langue nationale» aux administrations fédérales et cantonales, le fameux rumantsch grischun (RG).

Dans une deuxième partie, nous présenterons dans les grandes lignes des situations de traduction pouvant se présenter avec les langues romanches: traduction des textes officiels fédéraux et grisons d’allemand en RG (avec des exemples de choix de traduction, mais aussi des critiques formulées par Matthias Grünert et Clau Solèr), traduction d’œuvres littéraires vers les idiomes romanches et portraits de quelques traducteurs de la Surselva et de l’Engadine, traduction de quelques œuvres littéraires de l’idiome original romanche en français et, enfin, transposition d’un texte d’un idiome à l’autre ou en RG. Cette partie du travail se terminera par une présentation des dictionnaires (spécialement en ce qui concerne les traductions romanche-français et français-romanche) et, sachant l’importance qu’ils revêtent pour le traducteur d’aujourd’hui, de divers moyens informatiques à disposition des traducteurs de langues française et romanche.

La troisième partie permettra de se pencher sur la position du traducteur romanche d’aujourd’hui. Notre intention est ici avant tout de laisser les traducteurs romanches se présenter, évoquer leur formation, leur quotidien de traducteur, les ressources dont ils disposent pour traduire et réviser, leur regard sur les langues vers lesquelles ils traduisent, leurs

6 motivations, le rôle qu’ils estiment jouer dans la société romanche et helvétique d’aujourd’hui, ainsi que leurs espoirs et revendications pour le futur. À cet égard, nous avons d’emblée choisi de considérer deux groupes distincts de traducteurs: un premier groupe traduisant principalement des textes officiels en RG pour la Confédération ou le canton des Grisons et un second, composé de traducteurs œuvrant le plus souvent vers l’un ou l’autre idiome. Ces deux groupes se recoupent bien entendu partiellement, mais nous sommes partis du point de vue que les motivations des membres de l’un et de l’autre pouvaient, selon la situation de traduction, être assez différentes. Par de brèves synthèses des diverses réponses des traducteurs, nous espérons également pouvoir mettre en lumière et dégager certaines tendances, constituer une base documentaire intéressante à toute personne s’intéressant au sujet et qui désirerait poursuivre ultérieurement la réflexion, sur l’aspect de son choix.

7 1 Origines, développement et protection institutionnelle du romanche

Notre intention est ici de remonter aux origines des divers idiomes romanches des Grisons, de montrer comment et dans quel cadre ils se sont développés et ont trouvé leur forme écrite respective, avant de connaître un recul toujours plus prononcé, à la fois devant la langue allemande et le dialecte alémanique, d’évoquer les fondements de la protection institutionnelle dont ils jouissent aujourd’hui, et d’aborder la question de l’usage d’une langue minoritaire au quotidien, en décrivant quelques cadres d’utilisation de cette dernière, notamment dans le monde professionnel.

1.1 Origines et développement du romanche

1.1.1 Le romanche avant la Réforme

1.1.1.1 Le monde rhète Les montagnes aujourd’hui grisonnes étaient, il y a un peu plus de deux mille ans, habitées par les Rhètes, un peuple dont les origines incertaines divisent encore les historiens5. L’empire romain, désireux de mettre un terme aux incursions rhètes dans la plaine du Pô6, d’assurer ses frontières et de maîtriser les cols7, était parti à la conquête des territoires alpins déjà vers la fin du IIe siècle avant J.-C. Cette campagne militaire trouva son épilogue sous l’empereur Auguste dont les armées, conduites par Drusus et Tibère, conquirent la Rhétie en l’an 15 avant notre ère8.

5 L’hypothèse la plus probable est l’origine celtique du peuple rhète: Gross 2004, p. 16; Mützenberg 1991, p. 11; Rougier/Sanguin 1991, p. 28; Catrina 1983, p. 15; Camartin 1989, pp. 137-138; Catrina 1984, p. 11; Redfern 1971, p. 21; Vital/Parli 1987, pp. 14-16; Lips/Martin-Clamadieu 1983, p. 6; Gregor 1982, p. 34. Qui s’intéresse à cette période de l’histoire des peuples alpins, commune à la Suisse et à l’Italie du nord, lira avec intérêt les diverses pistes (parfois surprenantes, comme l’hypothèse sémitique) explorées par Linus Brunner et Alfred Toth (Brunner/Toth 1987). 6 Mützenberg 1991, p. 12; Robert von Planta, in: Vom Lande der Rätoromanen, 1931, p. 38. 7 Collenberg/Gross 2003, p. 49; Rougier/Sanguin 1991, p. 29. 8 Gross 2004, p. 16; Mützenberg 1991, p. 12; Rougier/Sanguin 1991, p. 28; Brunner/Toth 1987, p. 51; Vital/Parli 1987, p. 18.

8 1.1.1.2 L’intégration à l’empire romain Réorganisant la région conquise, Rome fonda la province de Rhétie, une entité politique dont le nom de l’actuelle capitale grisonne, Coire, a conservé la trace9. Les habitants de cette province furent fortement romanisés au cours des 400 ans qui suivirent10: les vaincus furent en effet obligés d’adopter petit à petit la langue du nouveau maître; la structure de la société fut profondément modifiée, latinisée, notamment à travers le recrutement de jeunes Rhètes par l’armée romaine11. Sous les empereurs Dioclétien et Constantin, la province de Rhétie fut détachée de l’Empire, puis scindée en deux: Curia Raetorum resta chef-lieu de la Raetia Prima, tandis qu’Augusta Vindelicorum, l’actuelle Augsburg, devint capitale de la Raetia secunda12. Au fil des générations, la langue rhète des autochtones se mélangea au latin parlé par les marchands, les fonctionnaires et les soldats de l’empire, jusqu’à l’apparition d’une variante rhétique du latin vulgaire, qui devint, au cours des siècles, ce que l’on appela par la suite le romanche13. Le territoire rhéto-roman allait, lors de son extension maximale, de l’Allemagne du sud (Danube supérieur) jusqu’à l’Adriatique14. Cependant, l’apparition de la langue romanche, fruit d’une lente évolution, coïncida précisément avec l’effondrement de l’Empire romain (ce qui l’a d’ailleurs immédiatement exposée à de premières menaces)15. Issu du latin, le

9 (nom allemand de Coire) vient du latin Curia Raetorum, l’ancienne capitale de la Rhétie romaine. 10 Collenberg/Gross 2003, p. 49. 11 Rougier/Sanguin 1991, pp. 31 et 32; Mützenberg 1991, p. 13. Mentionnons également que le lecteur désirant s’informer de manière ludique sur cette période de l’histoire grisonne trouvera des informations intéressantes en lisant les bandes dessinées disponibles auprès de la Lia Rumantscha (LR), Sgartin & Fermentin ed ils gials da Mercur et Sgartin & Fermentin aint il pajais da Tukinu, Arusa & Eluku, par les auteurs Peter Haas et Felix Giger. Il s’agit d’une production originale en romanche. 12 Decurtins 1993, pp. 91 ss; Lansel 1936, pp. 1-2; Collenberg/Gross 2003, p. 49; Catrina 1984, p. 11. Cela donne une idée assez claire de la taille du territoire concerné. 13 Gross 2004, p. 16; Baur 1996 pp. 13-14; Catrina 1984, p. 11; Robert von Planta, in: Vom Lande der Rätoromanen, 1931, p. 39. 14 Billigmeier, p. 28; Gross 2004, p. 16. Selon Baur 1996, p. 15, des toponymes témoignent de ce passé, p. ex. Ragaz, Sargans, Vaduz, Bregenz ou Konstanz, aujourd’hui cités ou villages de langue allemande. Catrina cite pour sa part (1983, p. 16) les communes de Quinten, Quarten et Terzen, situées au bord du lac de Walenstadt (d’ailleurs appelé Lai Rivaun en RG). 15 Catrina 1983, p. 16.

9 romanche fait indubitablement partie de la famille des langues néo-latines, au même titre que le roumain, l’italien, l’espagnol, le portugais, le catalan, le français ou l’occitan16. Il est tout particulièrement apparenté à des langues présentes dans les Alpes italiennes, le ladin des Dolomites17 et le frioulan18.

1.1.1.3 Le Moyen-Âge Après la chute de l’empire romain, la seconde province de Rhétie fut occupée et germanisée très tôt par les Bajuraves et les Allamans19. Ces derniers passèrent plus tard le Rhin et s’installèrent sur le plateau, coupant ainsi définitivement la Rhétie des autres territoires celtes romanisés, situés plus à l’ouest20, alors que d’autres populations germaniques franchirent le col du Brenner pour élire domicile dans le nord-est de l’Italie actuelle: cela explique que l’aire romanche des Grisons soit aujourd’hui séparée aussi bien des zones dolomitique et frioulane que de la Suisse romande21. Même si les premiers mouvements des populations germaniques n’avaient fait qu’effleurer l’ancienne première Rhétie romaine22, une série d’événements historiques contribuèrent par la suite à renforcer leur immigration et à faire entrer les parlers germaniques toujours plus avant dans la zone rhéto-romane. Même si l’annexion de la Rhétie par les Francs en 536 s’accompagnait d’une certaine autonomie23, un facteur essentiel avait changé: le pouvoir vers lequel la région était orientée se trouvait

16 Solèr 1991, p. 25; Walter 1994, p. 119; Rougier/Sanguin 1991, p. 13. Rohlfs 1975, p. 1, rappelle toutefois que, pour des raisons historiques, elle n’a pas le même statut (il présente la langue romanche comme la Stieftochter [dans le sens de «parent pauvre»] des langues romanes). 17 À ne pas confondre avec le ladin de l’Engadine, regroupant les idiomes puter et vallader. 18 Walter 1994, pp. 171-3; Rohlfs 1975, pp. 2-3; Brunner/Toth 1987, p. 51; Decurtins 1959, p. 9; Halter/Semadeni 1974, p. 67; Redfern 1971, p. 15; Furer 2001, p. VII; Solèr 1991, p. 25. 19 Catrina 1983, p. 16. 20 Catrina 1983, p. 16; Rougier/Sanguin 1991, p. 33; Walter Haas, in: Schläpfer 1985, p. 39. 21 Gross 2004, pp. 14 et 16; Rougier/Sanguin 1991, p. 13; Mützenberg 1991, p. 14; Robert von Planta, in: Vom Lande der Rätoromanen, 1931, p. 41. On voit ainsi apparaître les premiers contours de la future «Suisse quadrilingue». 22 Mützenberg 1991, p. 15; Walter 1994, p. 171. 23 Gross 2004, p. 16.

10 maintenant au nord24. Cette tendance ne fit que se renforcer au fil des siècles: en 806, Charlemagne introduisit en Rhétie le système administratif franc. Au lieu du praeses local, élu par la population, ce fut dès lors un comte germanique qui dirigea Coire et sa région25. En 843, lors du partage de Verdun entre les petits-fils de Charlemagne, la Rhétie fut attribuée à Louis-le-Germanique, puis détachée en 847 de l’évêché de Milan pour être attribuée à celui de Mayence26. En 916, la Rhétie fut incorporée dans le duché de Souabe27: les liens administratifs avec le sud en furent définitivement rompus28 (dans une moindre mesure cependant pour les vallées du sud: Engadine, Bregaglia et Poschiavo). Au fur et à mesure que des nobles germanophones s’installaient au fond des vallées, l’allemand devint la langue administrative et judiciaire29. Le pouvoir carolingien encouragea l’installation de colons de langue germanique en Rhétie, comme il le faisait du reste dans d’autres régions30. Au cours des siècles qui suivirent, le territoire rhéto-roman ne cessa de se réduire, l’allemand remontant toujours plus haut dans les vallées, repoussant toujours plus au sud la frontière linguistique31. Outre l’immigration alémanique provenant du nord, il faut également mentionner celle des Walser qui, dès 1235, contribua également au recul de la zone rhéto-romane: arrivant de la vallée de Conches, située à l’ouest, ces Hauts-Valaisans de langue alémanique s’installèrent en divers lieux des Grisons, selon les besoins des seigneurs locaux qui avaient requis leurs services pour défricher la terre, créant ainsi des enclaves de langue allemande32. Au-delà de la langue

24 Gross 2004, p. 81. 25 Gross 2004, p. 16; Decurtins 1959, p. 21; Vital/Parli 1987, p. 24. 26 Collenberg/Gross 2003, p. 58; Liver 1999, p. 76; Decurtins 1959, p. 21; Vital/Parli 1987, p. 24. 27 Rougier/Sanguin 1991, p. 37. 28 Mützenberg 1991, p. 16; Gross 2004, p. 16; Catrina 1984, p. 11. 29 Billigmeier 1983, p. 53; Mützenberg 1991, p. 16; Catrina 1983, p. 16. 30 Rougier/Sanguin 1991, p. 40, au ton toutefois polémique et partisan, assez «anti-alémanique». 31 Catrina 1983, p. 18. 32 Zinsli 1976, pp. 27 ss; Lansel 1936, p. 3; Collenberg/Gross 2003, pp. 97-99; Rougier/Sanguin 1991, pp. 43-45, avec un tableau intéressant de la migration des Walser dans toute la Suisse; Catrina 1983, p. 18; Vital/Parli 1987, p. 30; Mützenberg 1991, p. 16; Liver 1999, p. 77; Robert von Planta, in: Vom Lande der

11 (d’ailleurs différente de celle des Alémaniques grisons), ces immigrés importèrent également un modèle économique qui ne resta pas sans influence sur les rapports entre les diverses communautés peuplant les Grisons33. Coire, déjà devenue bilingue sous la poussée continue de l’allemand, brûla presque entièrement le 27 avril 1464. Reconstruite par des artisans et ouvriers principalement alémaniques qui s’y installèrent par la suite, la ville devint exclusivement germanophone au cours des décennies qui suivirent: les Romanches avaient perdu leur centre linguistique et culturel34. À la même période, l’allemand remplaçait progressivement le latin dans les documents écrits35.

1.1.2 La Réforme: naissance du romanche à l’écrit La décision de trouver à la langue romanche une forme écrite est venue non pas des seigneurs ni de leurs fonctionnaires, acquis à l’allemand36, mais des réformateurs. À l’instar de Luther, qui prônait l’enseignement de la parole divine dans la langue du peuple et traduisit la Bible en allemand37, les prédicateurs romanches voulurent à leur tour traduire les saintes écritures dans les idiomes de leurs régions respectives, pour

Rätoromanen, 1931, p. 44; Jäger 1984, pp. 33 et 35, avec une carte très précise des colonies fondées par les Walser dans les régions grisonnes. 33 Catrina 1984, p. 11; Rougier/Sanguin 1991, p. 37-38. 34 Catrina 1983, p. 18; Gross 2004, p. 17; Mützenberg 1991, p. 17; Rougier/Sanguin 1991, p. 52; Cathomas 1977, pp. 46-51; Catrina 1984, p. 11. Rohlfs 1975, p. 2, Furer 2001, p. IX, Decurtins 1959, p. 21 et Gregor 1982, p. 2, rappellent du reste qu’un centre politique et économique, qui est absolument déterminant pour le développement d’une langue unifiée, a précisément fait défaut aux Romanches. 35 Liver 1999, p. 78 (à noter qu’une seconde édition de cet ouvrage a été publiée début 2010). 36 Certains germanophones manifestaient un certain mépris envers le romanche, considéré comme une forme de latin dégénéré, allant jusqu’à le qualifier de «langue qui ne s’écrit pas». Rougier /Sanguin 1991, p. 40, et Liver 1999, p. 105, se font l’écho de ce préjugé tenace, qui ne restera pas sans influence, au cours des siècles, sur le regard porté par certains Romanches sur leur propre langue. À noter la création, en allemand, de termes démontrant l’incompréhension, mais aussi le mépris envers le romanche: Kauderwelsch (provenant de Churwelsch, welsch ayant le sens original d’«étranger»: «langue étrangère de Coire»), Geissenspanisch («espagnol des chèvres») ou encore Staibocktschingga (Tschingga, venant de cinque, est utilisé en dialecte alémanique pour désigner les italophones, de Suisse ou d’Italie), allusion au bouquetin du drapeau grison. Baur 1997, p. 15, mentionne Kuaspanisch («espagnol des vaches») ou encore Gröllhaldenänglisch (litt. «anglais des éboulis»), qui laisse songeur… Nous renonçons à mentionner ici d’autres «surnoms» au caractère franchement injurieux. 37 Baur 1997, p. 31.

12 s’assurer que la nouvelle foi fût plus accessible à leurs ouailles38. La Réforme ayant trouvé ses premiers adeptes grisons en Engadine, il n’est pas étonnant que les idiomes de cette vallée aient été mis par écrit avant les autres, sous les plumes de Jachiam Bifrun (idiome puter, de l’Engadine du haut, 1550), traducteur du Nouveau Testament, et de Duri Chiampel (idiome vallader, de l’Engadine du bas, 1562), qui imprimera d’ailleurs lui- même sa traduction des Psaumes39. D’autres suivirent, à l’exemple de Stiafen Gabriel, passé d’Engadine vers les vallées du Rhin pour y propager la Réforme et considéré comme le père du (idiome de la vallée du Rhin antérieur)40. Les deux autres idiomes, le surmiran (centre des Grisons) et le sutsilvan (vallée du Rhin postérieur)41, n’ont reçu leur norme orthographique que plus tard42. Le développement indépendant de chacun des cinq idiomes, mais aussi leur conservation, sont essentiellement dus à une topographie très difficile (les Grisons méritent leur surnom de pays des 150 vallées)43, les régions restant isolées une bonne partie de l’année, sans rapports économiques entre elles44.

1.1.3 Le développement du romanche à la suite de la Réforme La création des ligues grisonnes45 (alliances de communes, en réponse à la menace constituée par les Habsbourg), puis leur entente qui déboucha, en 1524, sur la création de la République des Trois-Ligues, occasionna un

38 Gross 2004, pp. 17 et 72; Mützenberg 1991, p. 17; Liver 1999, p. 79. 39 Gross 2004, p. 72; Mützenberg 1991, pp. 27-28 et 29-30; Baur 1997, pp. 111-112 et 114-115; Tomaschett 2004, p. 6, soulignant la production littéraire depuis la Réforme. 40 Il fut notamment pasteur à Flims et : Baur 1997, p. 118. Voir en outre Baur 1996, p. 28; Decurtins 1959, pp. 23-24. À noter que le mouvement de la Contre-Réforme a utilisé le sursilvan comme arme, en créant une nouvelle version à l’orthographe légèrement différente. Les deux versions resteront dos à dos jusqu’au début du XXe siècle: Baur 1997, p. 32. 41 On trouvera des explications sur les cinq idiomes chez Baur 1996, p. 28, ou encore Catrina 1983, p. 20, Liver 1999, p. 42, et bien entendu dans Gross 2004, p. 27. 42 Le dernier, le sutsilvan, en 1944 seulement, comme le relève Solèr (1991, p. 25; 2002, p. 251). 43 Liver 1999, p. 41; Catrina 1983, p. 20, qui cite la comparaison (malicieuse) d’un professeur américain entre les montagnes grisonnes et le Kansas! Baur 1997, p. 31, rapporte quant à lui une légende qui explique les nombreuses différences entre les idiomes. 44 Solèr 1991, p. 25. 45 Collenberg/Gross 2003, pp. 84-89 et 109-114; Catrina 1984, p. 11; Rougier/Sanguin 1991, p. 53: Ligue de la Maison-Dieu, 1367; Ligue grise, 1395; Ligue des Dix-Juridictions, 1436. Ces trois ligues regroupaient des territoires composant aujourd’hui, en grande partie, le canton des Grisons.

13 changement politique et social radical (remplacement du régime féodal par un système de communes autonomes, fonctionnant démocratiquement)46. Cependant, la situation de la langue romanche en politique n’en fut pas modifiée, le nouvel Etat comme chacune des ligues recommandant, pour des raisons pratiques, l’usage de l’allemand comme langue de communication et de chancellerie47. Cela étant, chaque commune restait libre de définir la langue qu’elle utilisait avec ses citoyens. Ce système politique très respectueux des particularismes locaux permit aux Grisons alémaniques, italophones et romanchophones de vivre ensemble ou, à tout le moins, de rester dos à dos sans se battre – si l’on excepte la période troublée des Bündner Wirren48 – à une époque où les querelles religieuses déchiraient l’Europe49. En 1794, trois ans seulement avant sa chute, la République des Trois-Ligues reconnaîtra également l’italien et deux idiomes romanches (sursilvan et vallader), et proclamera le trilinguisme de l’Etat50. Malgré la relative harmonie politique qui a caractérisé la période de la République des Trois-Ligues, un élément a toujours conditionné l’existence des communautés montagnardes (des Grisons et d’ailleurs): l’émigration, pour des motifs économiques. La montagne ne pouvant nourrir tous ses enfants, beaucoup devaient quitter leur village natal, pour un temps ou pour toujours51. Si certains sont rentrés dans leur contrée natale, fortune faite, bien d’autres ne sont jamais revenus52: la nostalgie de la terre natale

46 Catrina 1984, pp. 11-12; Vital/Parli 1987, pp. 54 et 60. 47 Rougier/Sanguin 1991, pp. 56-57; Walter Haas, in: Schläpfer 1985, p. 58. 48 Baur 1997, p. 41; Vital/Parli 1987, pp. 76-84; Prader-Schucany 1970, p. 260, qui rappelle les affres de la Guerre de Trente Ans et le rôle joué par l’Engadine à cette époque, qui vit les Grisons aux prises avec une bonne partie des grandes puissances européennes. 49 Liver 1999, p. 80, qui relève l’opposition séculaire entre l’Engadine réformée, tournée vers l’Italie, et la Surselva restée très largement catholique, orientée vers le monde alémanique. 50 Gross 2004, p. 17; Rougier/Sanguin 1991, p. 57; Catrina 1984, p. 12; Gregor 1982, p. 8. 51 Collenberg/Gross 2003, pp. 262 ss. 52 Catrina 1984, p. 19; Catrina 1983, pp. 42-46; Schreich 2006, p. 197, et Mützenberg 1991, p. 84, reviennent sur les fameux pâtissiers engadinois, partis aux quatre coins de l’Europe. Ceux qui faisaient fortune et revenaient passer les étés en Engadine étaient surnommés les «Randulins», dérivé de «randulina», l’hirondelle: voir Hofmann Estrada 2008, p. 28. Roman Bühler dédie son ouvrage Bündner im Russischen Reich aux ressortissants grisons (également alémaniques et italophones) qui ont dû s’exiler en

14 et la tristesse de l’inéluctable départ sont toujours très présentes dans la culture romanche53. En raison des difficultés liées à la topographie, de l’absence d’une grande ville (qui aurait pu devenir un centre politique, économique et culturel), la communauté romanche, au surplus fort exposée sur son propre terrain à la montée en puissance de l’allemand et du dialecte alémanique, n’a pas connu un essor démographique comparable à celui des autres groupes linguistiques suisses. Les réformes scolaires entreprises aux Grisons dans la seconde moitié du XVIIIe siècle montrent le peu de prestige dont jouissait alors le romanche, destiné à demeurer une langue parlée54 et même perçu comme un obstacle à la diffusion du savoir55!

1.1.4 Le XIXe siècle Après les guerres napoléoniennes, durant lesquelles ils ont perdu leur qualité d’Etat indépendant puis subi une intégration forcée dans la République helvétique imposée par la France56, les territoires grisons ont été finalement intégrés à la Confédération helvétique en 1803, sous le nom de «canton des Grisons»57. Cette nouvelle situation, puis la défaite de Napoléon58, a encore renforcé la position et le prestige de la langue

des terres lointaines pour gagner leur vie (carte des migrations entre le XVIIIe et le XIXe: Bühler 1991, 243). Dolf Kaiser a fait de même dans son livre Cumpatriots in terras estras, avec un accent spécial sur l’émigration engadinoise. Kaiser 1985, p. 8, souligne pour sa part que le travail momentané à l’extérieur représentait, pour les Grisons, une source appréciable de revenus: concernant le travail des «Schuobacheclers» (jeunes Romanches travaillant chez les paysans souabes entre 1800 et 1914), voir le film de Gion Tschuor, Was kost’ des Büeble?, disponible sur le site de la LR: http://fm.rumantsch.ch/lr/rm/FMPro?-db=cudeschs.fp5&-format=ven_detagls.html&- token=12587480&-lay=endatar&RecID=2471&-find. Du XXe siècle à nos jours, l’exil est devenu intérieur, comme le relèvent Baur 1997, p. 88, Furer 2007, p. 65 ou encore Catrina 1983, p. 48. Les Romanches se déplacent plutôt vers les villes suisses – comme Zurich, qui en accueille actuellement environ 1 000, à peine moins que Coire – pour y faire carrière. Comme l’indique le 4ème rapport périodique relatif à la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires, rendu fin 2009 par la Suisse, la moitié des Romanches vit en dehors de l’aire linguistique traditionnelle et un quart d’entre eux hors des Grisons: Rapport Charte 2009, p. 14. Voir également Lechmann 2005, p. 73 et Gregor 1982, pp. 14-15. 53 Florentin Lutz, in: Schläpfer 1985, p. 216; Deplazes 1991, pp. 196-248. 54 Liver 1999, p. 80; Kundert 2007, p. 121. 55 Baur 1996, p. 82. 56 Bundi 2003, p. 140; Catrina 1983, p. 31. 57 Solèr 1991, p. 25; Liver 1999, p. 81. 58 Catrina 1983, p. 32.

15 allemande: comment se faire une place dans ce nouvel Etat à l’immense majorité germanophone59 sans maîtriser l’allemand, à l’écrit comme à l’oral (dialecte)60? À l’interne, même si le nouveau canton affiche officiellement une certaine bienveillance61 à l’égard de ses citoyens de langues romanche et italienne (reconnaissance des trois langues, droit de s’exprimer dans sa langue, publication des textes officiels), on constate cependant, dans les faits, une indubitable volonté de germaniser la population romanche62. De plus, l’immigration germanophone aux Grisons, conjuguée à l’émigration romanche63, a définitivement renversé les proportions: encore majoritaire par rapport aux germanophones au début du XIXe siècle, la population grisonne de langue romanche est minoritaire lors du recensement de 186064. Depuis cette époque, le recul n’a jamais cessé65 et le lien géographique entre les diverses régions de langue romanche est même rompu66, ces dernières devenant petit à petit des enclaves67. Avec le développement du réseau routier68, puis ferroviaire69, et l’apparition du tourisme70, un nombre toujours plus important d’allophones

59 Bundi 2003, p. 145. 60 Liver 1999, p. 81; Billigmeier 1983, p. 131; Viletta 1984, p. 102, soulignant le passage à un statut de minorité. 61 Liver 1999, p. 81. 62 Billigmeier 1983, p. 150, portant son regard sur l’école; Gross 2004, p. 17; Rougier/Sanguin 1991, p. 60, qui citent à cet égard la volumineuse étude consacrée par Pieder Cavigelli à la germanisation de la commune de Bonaduz (Die Germanisierung von Bonaduz in geschichtlicher und sprachlicher Schau, Huber, Frauenfeld, 1969). Voir également Mathias Kundert, qui analyse dans une étude très récente la germanisation de l’aire traditionnelle de l’idiome sutsilvan (Der Sprachwechsel im Domleschg und am Heinzenberg (19. Und 20. Jahrhundert), Desertina, Chur, 2007). 63 Solèr 2008, p. 142. 64 Liver 1999, p. 81; Kundert 2007, p. 15; Solèr 2007, p. 401. 65 En pourcentage, comme le rappelle Solèr 2009, p. 157, point 6. Cf. également Catrina 1983, p. 18, et Rougier/Sanguin 1991, pp. 62-64, qui citent les exemples de germanisation progressive de la petite région de Samnaun, en Basse-Engadine, et de celle d’Ilanz, en Surselva. 66 Par la conversion de la région du Schons à l’allemand: Rougier/Sanguin 1991, p. 71. 67 Solèr 2008, p. 142. 68 Collenberg/Gross 2003, pp. 301 ss; Kraas 1992, p. 150. 69 Vital/Parli 1987, p. 102; Lips/Martin-Clamadieu 1983, p. 9; Rougier/Sanguin 1991, p. 68, qui soulignent le rapport de cause à effet entre l’apparition du chemin de fer et la percée de l’allemand, comme Decurtins 1993, p. 21. Voir également à ce sujet, mais sous l’angle strictement architectural, le très intéressant ouvrage de Paul Caminada sur la construction des chemins de fer rhétiques: Der Bau der Rhätischen Bahn, Orell Füssli, Zurich, 1980. 70 Collenberg/Gross 2003, pp. 288 ss, qui soulignent le danger que constitue, pour le maintien du romanche, cette brusque affluence de nombreuses personnes désireuses d’admirer les paysages alpins et d’y séjourner, plus ou moins régulièrement, mais pour un temps limité.

16 s’installent aux Grisons ou y voyagent. Certains Romanches en viennent à considérer leur langue comme un obstacle à la modernisation du cadre économique: langue et culture sont désormais menacées71. Contre cette tendance, une réaction se fait jour, que l’on qualifiera de «Renaissance romanche»72: des personnalités, parmi lesquelles Caspar Decurtins73, appellent à la défense de la langue74. Comme le relève Liver, l’enseignement scolaire revêt une importance capitale pour la survie d’une langue de minorité75. Les premiers manuels scolaires romanches paraissent dans les années 30 et 40 du XIXe siècle: il s’agissait d’abord de traductions de manuels créés en allemand, puis de manuels originaux. L’ordonnance scolaire de 1859 prévoit que l’enseignement primaire se fera dans la langue locale. En 1860, le romanche est introduit au Lehrerseminar (formation des enseignants du niveau primaire)76. La seconde moitié du XIXe siècle voit également la naissance de la première société de défense et de promotion de la langue romanche, la Societad Retorumantscha (SRR), en 188677, ainsi que la fondation de plusieurs journaux romanches78, dont certains à la vie assez brève. La littérature romanche profane prit son essor à cette période également79. Auparavant, l’essentiel de la production relevait de la religion80 (dans le

71 Gross 2004, p. 17; Catrina 1984, p. 11; Kundert 2007, p. 121; Halter/Semadeni 1974, p. 59. Solèr 2007, p. 401, évoque la stigmatisation du romanche, langue considérée comme «retardée» et «paysanne». 72 Collenberg/Gross 2003, pp. 328 ss. 73 Mützenberg 1991, pp. 58-61: Caspar Decurtins sera également conseiller national et l’un des cofondateurs de l’Université de Fribourg, contribuant ainsi à réaliser un vieux souhait des cantons catholiques… et de la Surselva. 74 Catrina 1983, pp. 25-26; Gross 2004, p. 17; Billigmeier 1983, p. 167; Catrina 1984, p. 11; Decurtins 1959 p. 27. L’on citera ici le fameux cri du cœur du poète sursilvan Giachen Hasper Muoth: «Stai si Romontsch e defenda tiu vegl lungatg…» [Lève-toi, Romanche, et défends la langue de tes pères…], mentionné notamment par Liver 1999, p. 83. 75 Liver 1999, p. 82; Baur 1996, p. 145. 76 Liver 1999, p. 82. 77 Solèr 2009, p. 155; Catrina 1984, p. 12; Liver 1999, p. 82; Gross 2004, pp. 84-85, qui précise que la SRR a pour «but principal […] de recueillir, conserver et publier le patrimoine linguistique romanche». 78 Billigmeier 1983, p. 174. 79 Liver 1999, p. 83; Gross 2004, p. 72. Furer 2001, p. IX, souligne la remarquable qualité de la littérature romanche, si l’on se rapporte au nombre de locuteurs et d’auteurs. 80 Mützenberg 1991, p. 42.

17 sillage de la Réforme et de la Contre-Réforme), mais aussi des domaines judiciaires ou scolaires81. Au cours du XIXe siècle, puis du XXe, divers personnages avaient réfléchi à la possibilité de créer un romanche unifié, dans l’espoir de freiner le recul des divers idiomes – souffrant depuis toujours de leur dispersion82 – en leur insufflant un nouvel élan commun. Les projets du père bénédictin Placidus a Spescha, du maître secondaire Gion Antoni Bühler (romontsch fusionau) ou, plus près de nous, de Leza Uffer (Interrumantsch) n’ont toutefois pas emporté l’adhésion, en raison de leurs défauts respectifs ou simplement du peu d’empressement des locuteurs des divers idiomes à se lancer dans l’aventure83. Sur le plan académique, les premières études linguistiques consacrées au romanche voient le jour84.

1.1.5 Le romanche jusqu’à la première décennie du XXIe siècle Entre 1896 et 1991 furent fondées pas moins de six associations régionales qui s’étaient donné pour objectif de soutenir et de promouvoir les divers idiomes romanches85. La Lia Rumantscha (LR), leur organisme faîtier, est fondée à Coire en 191986. Parmi ses priorités figure la préparation d’ouvrages linguistiques de référence87. De nombreux dictionnaires de qualité sont donc parus au siècle passé, toujours bilingues avec l’allemand. Il s’agissait, dans ce domaine, de rattraper un important retard, rien

81 Gross 2004, p. 72. 82 Liver 1999, p. 68. 83 Decurtins 1993, pp. 347-363; Liver 1999, pp. 39 et 68; Baur 1996, pp. 121-123; Baur 1997, p. 35; Billigmeier 1983, pp. 295-305, au sujet du projet de G. A. Bühler. 84 Decurtins 1964, pp. 34-38. 85 Baur 1996, p. 78; Liver 1999, pp. 82-83; Lansel 1936, p. 5; Baur 1997, p. 73: Romania, 1896; Uniun dals Grischs, 1904; Uniun Rumantscha da Surmeir, 1921; Renania, 1922; Cuminanza rumantscha radio e televisiun, 1946; Uniun da scripturas e scripturs rumantschs, 1946; Uniun dallas Rumantschs e dals Rumantschs en la Bassa, 1991, regroupant des Romanches de la diaspora. En 2005, fusion de l’Uniun Rumantscha da Surmeir et de la Renania de Sutselva, pour créer l’Uniun rumantscha Grischun central; enfin, en 2006, fusion de la Romania avec la Renania de Surselva, pour créer la Surselva romontscha. Voir également Solèr 2009, p. 155. 86 Catrina 1983, p. 28; Lechmann 2005, pp. 92 ss; Solèr 2007, p. 402; Solèr 2009, p. 155. 87 Baur 1996, p. 101.

18 n’ayant été réalisé dans ce domaine au cours des siècles précédents88. Comme le souligne Baur, les dictionnaires constituent l’unique moyen de saisir une langue dans son ensemble, de la rendre visible et accessible, et font partie des instruments indispensables pour donner une norme à la langue, en imposant une forme orthographique. Citant Weinreich, il ajoute qu’aucune petite langue européenne ne peut se permettre de vivre sans un dictionnaire moderne et adapté aux besoins89. C’est précisément pour cette raison que fut fondé, en 1904, sous l’impulsion de Robert von Planta, l’Institut dal Dicziunari Rumantsch Grischun (DRG), avec l’objectif premier de créer un ouvrage où répertorier et définir tous les mots de tous les idiomes romanches des Grisons90. Plus d’un siècle après les premières recherches, le travail est toujours en cours: le dernier volume publié se conclut sur le terme «Manzögna» (fascicule 167/168, tome 13; novembre 2009)91, et on estime qu’il faudra encore entre 60 et 80 ans pour arriver au terme de la lettre Z92. On peut comparer cet ouvrage au Glossaire des patois de la Suisse romande, basé à Neuchâtel93. Aujourd’hui financé en grande partie par le Fonds national, le DRG dispose également d’un très important matériel documentaire sur les Grisons et sur la civilisation alpine en général94. Un élément important en faveur du romanche fut sans conteste sa reconnaissance comme langue nationale suisse, à la suite de la votation constitutionnelle fédérale de 193895. Acceptée par une majorité écrasante de citoyens, ce scrutin n’a pas, à lui seul, freiné le recul généralisé du

88 Baur 1996, p. 100. 89 Baur 1996, p. 100. 90 Tomaschett 2004, p. 2. 91 www.drg.ch/main.php?l=r. 92 Tomaschett 2004, p. 21, qui déplore qu’il ne soit pas possible de mettre plus de moyens à disposition. 93 Tomaschett 2004, p. 16. Voir également le site Internet du DRG, www.drg.ch/main.php?a=lin&l=r, indiquant également les pages Internet du Glossaire des patois romands et des institutions équivalentes pour la Suisse alémanique et la Suisse italienne. 94 Tomaschett 2004, p. 17. On peut télécharger le document relatant les cent ans d’activité du DRG à l’adresse www.drg.ch/main.php?a=dow&l=r (disponible en romanche et en allemand). 95 Catrina 1984, p. 12; Lechmann 2005, pp. 512-516; Gregor 1982, p. 8.

19 romanche96, mais il a au moins permis de mettre un terme à une injustice97, de mieux faire connaître la langue, et d’augmenter quelque peu son prestige98, sans toutefois permettre de créer une «identité panromanche»99. Pour le reste, la portée interne est restée plutôt symbolique100, alors que sur le plan international, un message très clair était adressé aux nations fascistes voisines: la Suisse entendait bien rester une Willensnation101. Dans les années quarante du siècle dernier, dans la foulée de la votation fédérale, de nombreux villages romanches décidèrent de reprendre, pour l’usage officiel, leur nom original romanche. Auparavant, l’on utilisait exclusivement le nom allemand102. Jusqu’aux années quatre-vingt, on observe un accroissement de l’intérêt du public pour la cause romanche: publication d’ouvrages103, création de cours de langue à des fins d’intégration et de matériel d’enseignement, soutien à la production littéraire et au chant choral, engagement d’institutions ou

96 Sur ce point, peu étaient dupes, même si le résultat en a bien entendu réjoui beaucoup: Catrina 1983, p. 30, qui cite un témoin de l’époque; Gion Luregn Cagianut, in: RUS 1938/6, p. 325, qui insiste sur tout le travail à effectuer une fois le jour de fête passé. 97 Catrina 1983, p. 30, qui souligne la prédominance séculaire de l’allemand en Suisse. 98 Cathomas 2008, p. 22, donnant des définitions et des exemples de ce que l’on entend par prestige d’une langue. 99 Solèr 2002, pp. 257-258. 100 Comme le souligne Viletta 1984 p. 105, si la base constitutionnelle est créée, il reste néanmoins à lui donner un véritable contenu (euphémisme poli pour dire que l’on n’a rien fait). Solèr 2008, p. 141, ironise sur la présence-alibi du romanche dans les logos d’institutions ou sur les pages d’entrée de sites Internet. Camartin 1989, p. 254, dit clairement toute la difficulté qu’il y a à fournir une aide… et à la recevoir: «Quand on appartient à une minorité, l’ignorance infatuée de ceux qui veulent vous prendre sous leur aile protectrice est à la longue difficile à supporter. Les belles déclarations d’intention perdent de leur crédibilité quand leurs auteurs n’ont aucune idée de ce dont il s’agit. […] Si parfois les minorités accueillent avec une méfiance mêlée de ressentiment ce que la majorité fait pour elles, c’est que, dans l’aide qu’on leur offre, il y a plus de condescendance que de véritable intérêt pour ce que l’on prétend soutenir.» À ce sujet, voir également Grin 2005 A, p. 452. 101 Barbara Tscharner, in: Handbuch der Bündner Geschichte, 3e tome, 2000, p. 201; Viletta 1984, p. 107. Collenberg/Gross 2003, pp. 237 et 313, Gregor 1982, p. 9 et Rohlfs 1975, pp. 6-7, évoquent les théories linguistiques soutenant l’irrédentisme italien et la volonté de la Suisse d’afficher son indépendance. Grin 2002, p. 270; Oscar Alig, in: RUS 1938/6, p. 343; Fritz Fleiner, in: Vom Lande der Rätoromanen, 1931, p. 30; J. Jud, in: Vom Lande der Rätoromanen, 1931, pp. 47 ss; Coray 2008, p. 288. Voir en outre Solèr 1991, p. 29, qui souligne les effets de cette conception politique sur la pratique de la traduction. Voir enfin Lansel 1936, p. 6, avec son fameux cri: «Ni Talians, ni Tudais-ch! Rumantschs vulains restar!». 102 Gross 2004, p. 18, ainsi que Baur 1997, p. 98, qui explique en détail les choix – parfois difficiles – opérés par les communes et fournit une liste d’exemples. 103 Nombre d’ouvrages cités dans le présent travail remontent effectivement aux années quatre-vingt du siècle passé, cf. bibliographie.

20 associations externes au canton en faveur du romanche104, mais aussi utilisation accrue du romanche dans la vie économique105. En 1982, le projet déjà ancien de langue unifiée est enfin réalisé: le professeur Heinrich Schmid, de l’Université de Zurich, crée sur mandat de la LR une langue écrite romanche commune, le RG106. De conception pragmatique, les leçons des échecs précédents – dus notamment à de chatouilleux particularismes locaux107 – ayant été tirées, la nouvelle langue, facilement compréhensible pour les Romanches de toutes les régions108, sera adoptée par la Confédération pour la communication écrite avec les citoyens suisses de langue romanche en 1986 déjà109. Malgré toutes ses qualités et les bonnes intentions de son créateur, aujourd’hui décédé, la nouvelle langue a trouvé des détracteurs parfois virulents: nous y reviendrons brièvement dans le sous-chapitre 1.5.1 ci-après, en énumérant quelques arguments. L’évolution économique déjà esquissée ci-dessus n’a fait que s’accélérer au cours du XXe siècle. Fondée sur l’agriculture de montagne et le transit110, la société romanche traditionnelle – berceau des cinq idiomes régionaux – n’y était absolument pas préparée111. En un peu plus d’un siècle, le tourisme de masse112 s’est imposé comme secteur principal de l’économie113. L’industrie plus traditionnelle a également trouvé sa place, du moins là où

104 Gross 2004, p. 18, qui mentionne Quarta Lingua, Stapferhaus et Pro Helvetia. Solèr 2010, p. 1, qui voit en cet engouement un effet post-soixante-huitard. 105 Solèr 2010, p. 1. 106 Solèr 2008, p. 146; Walter 1994, p. 172; Collenberg/Gross 2003, pp. 342 ss; Catrina 1984, p. 18; Liver 1999, p. 68. 107 Liver 1999, p. 69; Baur 1997, pp. 36-39, avec des explications intéressantes sur la méthode utilisée. 108 Liver 1999, p. 40; Gross 2004, pp. 92 ss, expliquant la méthode utilisée. 109 Gross 2004, pp. 18 et 93. 110 Lips/Martin-Clamadieu 1983, pp. 8-9; Columberg 1966, p. 9, concernant la Surselva. 111 Ce que souligne Decurtins 1993, p. 21, à propos de l’arrivée du chemin de fer dans les vallées. 112 Lips/Martin-Clamadieu 1983, p. 9 et 20-22; Daniel Kessler, in: Handbuch der Bündner Geschichte, 3e tome, 2000, pp. 89-114; Baur 1997, p. 87; Caflisch 1964, p. 20, citant Antoine Velleman. 113 Ou l’industrie grisonne par excellence, comme le relève Jürg Simonett dans l’introduction du 3e tome du Handbuch der Bündner Geschichte, 2000, p. 9.

21 le permettait la topographie114. Ce qui a profondément modifié la société romanche115, l’architecture de ses villages ou, plus généralement, les paysages de montagne n’est donc pas non plus resté sans effets sur la langue, quasiment exclue du développement des services touristiques puisqu’incomprise – voire purement et simplement méconnue – de la plupart des visiteurs. Les recensements ont montré que la population des villages romanches encore «intacts» d’un point de vue linguistique diminue, alors que les centres touristiques pris d’assaut par un public allophone en subissent évidemment les conséquences sur ce plan116, comme si la situation se présentait sous la forme de la triste et inéluctable équation: pas de mieux-être économique sans perte aux niveaux linguistique et culturel. Lorsqu’on sait la pauvreté qui régnait dans ces régions de montagne avant l’irruption du tourisme, on comprend toutefois mieux certains choix, ou la simple résignation… Si l’on veut prendre des mesures en faveur de la langue et de la culture, il faut donc aussi réfléchir aux conditions d’existence à offrir à la population afin qu’elle puisse continuer de vivre à l’endroit qui l’a vue naître117: en d’autres termes, cela implique(rait) une intervention de l’Etat dans l’économie locale118. La population romanche dispose aujourd’hui de médias modernes utilisant les divers idiomes romanches et le RG. En voici un bref aperçu: - la presse écrite: depuis 1997 existe un quotidien paraissant cinq fois par semaine, La Quotidiana (LQ), dans lequel on trouve des articles dans les

114 Rougier/Sanguin 1991, p. 68; Gregor 1982, p. 31; Columberg 1966, pp. 3-4 (dont les lignes concernent spécifiquement la Surselva) qui souligne également la retenue de la population par rapport au «développement économique». 115 Baur 1997, p. 88, relève qu’on ne trouve plus que 6,5% de la population dans le secteur de l’agriculture de montagne: depuis la parution de cet ouvrage, ce pourcentage a forcément encore diminué. Concernant cette évolution, voir également Lips/Martin-Clamadieu 1983, p. 4. 116 Rougier/Sanguin 1991, pp. 68-69, qui décortiquent le phénomène en analysant les conséquences de la politique d’engagement de grands hôtels, à l’image de l’établissement créé par Badrutt à St-Moritz, et dénoncent le «règne sans partage du Kurortdeutsch». 117 Dörig/Reichenau 1982, p. 69. 118 À l’époque qui est la nôtre, on peut facilement imaginer à quel point cette idée ferait grincer des dents sur la droite de l’échiquier politique…

22 différents idiomes et en RG119. La fondation de cet organe de presse, attendu depuis des décennies, a été rendue possible par la création l’année précédente d’une agence de presse romanche, l’Agentura da Novitads Rumantscha (ANR), qui n'aurait pu voir le jour sans le soutien de la Confédération120. Mentionnons également le mensuel Punts, créé en 1994 par des jeunes pour des jeunes, dans le but de dépasser les clivages linguistiques locaux121. - la radio: existant en tant que telle depuis 1992, émettant aujourd’hui 24 heures sur 24122 et disposant de ses propres locaux à Coire, très appréciée de ses auditeurs, Radio Rumanstch est le média connaissant le meilleur taux de pénétration dans les foyers romanches123. Que de chemin parcouru depuis la première émission de radio en langue romanche, diffusée depuis Zurich en 1925124! - la télévision: depuis la première émission en romanche, en 1963, l’offre s’est beaucoup étoffée (émissions Telesguard et Cuntrasts désormais diffusées tout au long de l’année)125, mais sans que la Televisiun Rumantscha dispose (encore?) d’un canal propre: les émissions en romanche sont diffusées sur les chaines de télévision de SF, RTS et RSI126, à des heures parfois assez défavorables. Radio et télévision romanches sont une unité de la SRG SSR idée suisse127, dont le cadre général autorise la solidarité avec les minorités linguistiques. - Internet: le romanche est présent sur la Toile, que ce soit par le biais du site de la LR (www.liarumantscha.ch), de portails d’associations, à l’image de www.rumantsch.ch, du site de la radio-télévision romanche

119 Les personnes s’intéressant au passé de la presse écrite romanche consulteront avec intérêt l’ouvrage d’Anna Maria Cantieni, Geschichte der rätoromanischen Presse in Graubünden, Fribourg, 1984. 120 Gross 2004, p. 65; www.laquotidiana.ch. 121 Gross 2004, p. 64; www.punts.ch. 122 Programmes sur Internet: www.rtr.ch/rtr/radio/index.html?siteSect=30000. 123 Solèr 2008, p. 144. 124 Gross 2004, pp. 69-70. 125 Gross 2004, p. 70. 126 Furer 1996, p. 21. 127 SRG-R.

23 (www.rtr.ch), de Wikipédia (http://portal.wikimedia.ch/wikipedia/lang,rm) et de Google (où l’on peut sélectionner la version en RG), ou encore de plate-formes mettant à disposition des outils linguistiques comme le Pledari Grond ou les dictionnaires Pledari (voir le sous-chapitre 2.5.1 ci- dessous). Mentionnons à titre d’exemple le site de Simsalabim128, créé à l’intention des plus jeunes, que l’on sait si friands d’Internet. Il n’en reste pas moins que les médias de langue allemande sont très fréquemment lus, écoutés et regardés dans les familles romanches, ce qui a pour conséquence une exposition très précoce (surtout par le biais des programmes de télévision) des enfants romanches à l’allemand et au dialecte alémanique. Une autre réalité du monde romanche moderne, qui est également une conséquence des éléments mentionnés ci-dessus, est qu’à l’exception des très jeunes enfants129, toutes les personnes de langue romanche sont aujourd’hui bilingues (ce qui est loin d’être le cas de tous les Suisses) avec le dialecte alémanique130. Si on l’identifiera assez facilement comme Grison, on ne reconnaît plus aujourd’hui un Romanche à son accent lorsqu’il s’exprime en dialecte alémanique, sauf peut-être lorsqu’il s’agit de personnes âgées131. Ce bilinguisme indispensable pour des raisons économiques132 a longtemps été considéré comme un péril pour le romanche133 et c’est effectivement le cas si l’on accorde trop de valeur au dialecte alémanique qui, passant pour la langue «du progrès, du succès et

128 www.simsalabim.rtr.ch/Minisguard.1635.0.html. 129 Furer 1996, p. 21. 130 Avec l’allemand et le dialecte alémanique: Solèr 1991, p. 25, qui relève que l’allemand sert aujourd’hui de langue d’extension à tous les Romanches. Selon lui, c’est même l’unique point commun entre Romanches des différentes régions: Solèr 2007, p. 399; Cathomas 1977, p. 8; Gross 2004, p. 37. 131 Florentin Lutz, in: Schläpfer 1985, p. 221. 132 Furer 1996, p. 21, qui souligne la structure de l’économie et les liens avec la Suisse alémanique, en premier lieu Zurich. 133 Gross 2004, p. 37. Il s’agit là d’un point de vue qu’on retrouve par exemple sous la plume de Rougier/Sanguin 1991, p. 41, même si leur propos («insertion rampante et larvée du bilinguisme») concerne une réalité bien plus ancienne.

24 de l’ascension sociale»134, exclut petit à petit les idiomes romanches du monde du travail, par exemple pour des raisons purement terminologiques135, ou du monde politique136. En raison de l’augmentation de la mobilité, les couples et familles bilingues sont toujours plus nombreux137. Comme le constate Furer, le romanche passe toutefois le plus souvent à la trappe après deux générations138. Néanmoins, on constate que la langue romanche jouit d’une sympathie certaine auprès de ses jeunes locuteurs, ce qui n’était pas forcément le cas il y a trente ou quarante ans139. La moitié des personnes de langue romanche vivent hors de l’aire linguistique traditionnelle (un quart dans la partie alémanique des Grisons et un quart en Suisse ou à l’étranger), mais leur nombre a aujourd’hui tendance à diminuer. À l’instar du reste de la population suisse, les Romanches ont aujourd’hui moins d’enfants: moins de personnes viennent donc grossir l’effectif des «Romanches de la Plaine»140. Malgré l’avantage indéniable du bilinguisme avec l’allemand sur le plan professionnel141, on constate que la représentation des personnes de langue

134 Florentin Lutz, in: Schläpfer 1985, p. 223. Solèr 2007, p. 399, qui met cependant en garde contre l’erreur fondamentale consistant, à son avis, à considérer le romanche comme un langue complète et, sur une telle base, créer une «ethnie romanche», alors qu’on aurait essentiellement affaire à un langage parlé, décliné en plusieurs formes régionales sans grand contact les unes avec les autres, et utilisé parallèlement à l’allemand, langue complète et répondant à tous les besoins économiques, sociaux et culturels. Dans ses études, Solèr a montré que l’utilisation du romanche dépend de la situation de communication, mais aussi des interlocuteurs: voir par exemple Solèr 2010, p. 6. 135 Solèr 2002, p. 255. 136 En présence d’un Alémanique, on passera facilement à la langue allemande: Solèr 2008, p. 145. Cette dynamique d’«exclusion minimale» n’est pas propre au seul romanche, mais elle en accélère évidemment le déclin: voir Grin 2007, p. 60. 137 Furer 1996, p. 21; Baur 1996, p. 45. Le bilinguisme allemand-romanche est joliment croqué par Jacques Guidon: Guidon 1981, p. 55 en haut. Plus positive (dans le sens de complémentaire) et moins conflictuelle est la vision de Clau Solèr, qui compare l’allemand et le romanche à une voiture et un vélo (Solèr 2009, p. 159). 138 Furer 2007 p. 87. 139 Solèr 1991, p. 31, qui souligne en outre le facteur d’identification que constitue la langue. 140 Les Romanches de la diaspora sont regroupés, pour celles et ceux qui le désirent, dans l’association «Rumantschs dalla Bassa», fondée en 1991. Mentionnons également que les Romanches ont par exemple créé des associations de chant dans les grandes villes suisses, qui leur permettent de se retrouver et de vivre ensemble leur culture chorale (cf. Gross 2004, p. 75): Chor viril rumantsch da Berna, Chor viril grischun da Turitg, Chor viril romontsch Lucerna/Zug. 141 Cathomas/Carigiet 2008, p. 50; Lechmann 2005, p. 349.

25 romanche dans l’administration fédérale n’est – proportionnellement – pas plus élevée que celle des représentants des autres minorités latines142. En 2006, le Parlement fédéral a tenu sa session d’automne à Flims, en Surselva, ce qui a constitué une occasion, pour les Romanches, de se faire connaître d’un plus large public143. Mentionnons encore, pour terminer, une réalité qui n’a cessé de conditionner l’évolution des idiomes romanches: au contraire des autres langues nationales, ces langues ne peuvent s’appuyer sur aucun «arrière- pays» où elles seraient alors majoritaires et jouiraient d’une tradition littéraire bien établie et d’un prestige élevé144. Comme l’écrivait fort justement Alexi Decurtins à cet égard: «les Romanches ne savent souvent plus à quel Saint se vouer»145.

1.2 Protection institutionnelle du romanche Si l’on opère une comparaison avec les autres langues minoritaires en Europe, la protection institutionnelle actuellement accordée aux idiomes romanches et au RG est très étendue146. Il vaut donc la peine de retracer les grandes lignes de son évolution historique, aux niveaux cantonal, fédéral et international.

1.2.1 Le Canton des Grisons

1.2.1.1 Avant 1880 En 1803, le canton des Grisons, occupé à son intégration dans une nouvelle constellation fédérale encore presque intégralement composée d’entités germanophones, n’a pas intégré dans sa constitution147 la reconnaissance de ses langues latines, pourtant opérée par la défunte République des

142 Courron 2008, p. 32, qui parle d’une «présence symbolique». 143 Cf. www.gr.ch/RM/publicaziuns/MMStaka/2006/Seiten/RM_16995.aspx. 144 Solèr 2008, p. 141. 145 Decurtins 1959, p. 14. 146 Gross 2004, pp. 10-11; Solèr 2008, p. 141, avec un brin d’ironie. 147 Collenberg/Gross 2003, p. 208.

26 Trois-Ligues moins de dix ans auparavant148. La constitution cantonale de 1854 ne prévoit rien non plus dans ce domaine.

1.2.1.2 Les constitutions cantonales grisonnes de 1880 et 1892 Les Grisons reconnaissent l’allemand, le romanche et l’italien comme «Landesprachen» («langues du Pays», c’est-à-dire au niveau cantonal) dans la constitution de 1880. Le canton garantit, à l’article 46 de la constitution cantonale de 1892, la qualité de langues cantonales aux trois langues du pays149.

1.2.1.3 La constitution cantonale grisonne du 1er janvier 2004 Un siècle plus tard, l’actuelle constitution grisonne, s’inspirant des lignes directrices de la constitution fédérale de 1999, donne, à son article 3, plus de précisions sur les contours linguistiques du canton150. Cependant, à la suite du décret du gouvernement grison du 2 juillet 1996, le romanche utilisé pour les publications officielles du canton est désormais le RG, devenu forme officielle du romanche au niveau cantonal151, non plus les idiomes régionaux. Cette décision trouve confirmation dans l’ordonnance du 26 juin 2001 sur l’emploi du RG pour tout le matériel imprimé en vue des votations cantonales et pour les dispositions publiées au recueil cantonal de législation152. L’article 90 de la constitution impose en outre au canton et aux communes de tenir compte de la diversité linguistique et des caractéristiques

148 Gross 2004, p. 17. 149 Barbara Tscharner, in: Handbuch der Bündner Geschichte, 3e tome, 2000, p. 200; Gross 2004, p. 41, où l’on précise en note qu’on entendait par là, dans la pratique, l’allemand, l’italien et les cinq idiomes romanches: sursilvan, sutsilvan, surmiran, puter et vallader. La distinction entre «langue officielle» et «langue nationale» n’existait pas à l’époque, mais la seule langue grisonne qui avait, en ce temps-là, le statut de «langue officielle» au sens où on l’entend aujourd’hui pour la Confédération (art. 70 al. 1 Cst. Féd.), était l’allemand… 150 Gross 2004, p. 41. 151 Gross 2004, p. 93. 152 Gross 2004, pp. 41 et 42.

27 régionales lors de la promotion d’activités artistiques, culturelles et scientifiques153.

1.2.1.4 La loi cantonale sur les langues du 19 octobre 2006 L’adoption de la loi cantonale grisonne sur les langues, le 16 juin 2007, au terme d’une campagne passionnée, parfois même haineuse154, a constitué un acquis très important pour les Romanches155. Cette disposition prévoit en effet, à son article 16 al. 2, que les communes dont au moins 40% des concitoyens font partie de la communauté linguistique traditionnelle (romanche ou italienne) doivent être considérées comme des communes monolingues, du point de vue de la langue officielle communale. L’alinéa 3 prévoit pour sa part qu’entre 20% et 40%, on doit considérer que la commune est plurilingue et que la langue traditionnelle doit être l’une de ses langues officielles. On espère de ce principe de discrimination positive qu’il contribue à freiner le recul de la langue156. Une autre disposition intéressante de cette loi est l’article 1 al. 1 let. f, qui prévoit que l’un des objectifs de la loi est de jeter les bases d’un futur institut cantonal grison du plurilinguisme: nous avons donc pris contact avec l’administration cantonale grisonne pour nous renseigner sur l’avancement des travaux dans ce domaine157.

153 Gross 2004, p. 41. 154 Solèr 2008, p. 150, relevant les tentatives d’intimidation et même de diffamation ayant marqué cette campagne. 155 Etape saluée par les instances dirigeantes de la LR dans leur rapport annuel 2007, tout en soulignant qu’une loi n’est pas en mesure de tout faire et que la survie d’une langue passe avant tout par l’engagement de ses locuteurs. Conséquence d’une campagne difficile, l’adoption de la loi par le souverain grison y est en premier lieu présentée comme la victoire d’un vrai trilinguisme cantonal, à vivre au quotidien. Clau Solèr est d’avis que, dans le meilleur des cas, cette loi contribuera à maintenir le statu quo (Solèr 2008, p. 155). 156 Concernant le principe d’asymétrie et la référence à Rawls, voir Grin 2002, p. 281; Grin 2005 A, p. 455. 157 Selon les renseignements reçus le 13 avril 2010 de Madame Barbara Strebel, du service grison de promotion des langues, c’est un bureau du multilinguisme (Fachstelle Mehrsprachigkeit) qui a ouvert ses portes en septembre 2009, intégré à la haute école pédagogique grisonne (SAPGR). Ce bureau est notamment chargé de lancer, d’accompagner et de soutenir des projets et des travaux scientifiques (p.ex. en matière de scolarité bilingue) et de faire en sorte que la situation linguistique des Grisons et les travaux y relatifs trouvent une place dans la recherche, au niveau national et international. Selon Clau Solèr, une collaboration avec l’Institut du Plurilinguisme de Fribourg est envisagée.

28 1.2.1.5 Autres dispositions sur le plan cantonal On trouvera dans la brochure Facts and Figures, éditée par la LR, une liste des dispositions cantonales mentionnant le romanche dans des situations particulières (organisation des tribunaux, code de procédure pénale, état civil, etc.)158.

1.2.2 La Confédération suisse

1.2.2.1 Au XIXe siècle Ni le constituant de 1848, ni celui de 1874, à l’occasion de la révision totale, n’avait pensé à mentionner le romanche dans l’article énumérant les langues nationales. Cela n’est pas trop étonnant, dans la mesure où les constitutions grisonnes successives de l’époque du XIXe siècle ne le faisaient pas non plus. Même si, de manière pragmatique, il pouvait arriver que des textes juridiques importants fussent parfois traduits et mis à disposition des citoyens de langue romanche159, le romanche ne jouissait cependant d’aucune reconnaissance officielle sur le plan fédéral.

1.2.2.2 Le scrutin de 1938: une quatrième langue nationale suisse! C’est le 20 février 1938 que le peuple suisse accorda au romanche le statut de langue nationale. La création de cette base constitutionnelle (art. 116 al. 1 aCst) eut la conséquence suivante: la langue romanche, reconnue comme telle, se voyait accorder une certaine protection dans son aire géographique d’utilisation160. Mais le nouveau texte ne permettait en principe pas à une personne de langue romanche de s’exprimer – oralement et par écrit – dans

158 Gross 2004, p. 4. Consulter également le site de l’Université canadienne de Laval consacré aux minorités, qui recense bon nombre de dispositions légales et donne de nombreux détails: www.tlfq.ulaval.ca/axl/EtatsNsouverains/Grisons.htm. 159 Iso Camartin, in: Schläpfer 1985, p. 255, qui mentionne que le Tribunal fédéral (TF) acceptait néanmoins les requêtes en romanche en les faisant traduire à ses frais; Fritz Fleiner, in: Vom Lande der Rätoromanen, 1931, pp. 34-35, lequel relève toutefois qu’une reconnaissance du romanche comme langue nationale entraverait exagérément l’appareil législatif suisse. Le titre du récent article de Courron, «Entre respect de la diversité et exigence d’efficacité» reflète bien cette préoccupation. Iso Camartin, in: Schläpfer 1985, p. 257, évoque avec esprit «la loi plus impérieuse du réalisable». 160 Barbara Tscharner, in: Handbuch der Bündner Geschichte, 3e tome, 2000, p. 200.

29 sa langue devant les autorités161. L’article 116 de la constitution fédérale établissait, dans sa nouvelle teneur, une distinction entre les langues «nationales» et les langues «officielles», le romanche n’appartenant pas à cette seconde catégorie. Pour ce qui est d’un soutien institutionnel ciblé aux idiomes romanches, l’adoption de l’article 116 révisé revenait, à quelques détails près, à une reconnaissance de principe. L’inaction fédérale n’a évidemment pas échappé aux Romanches qui, par exemple dans le rapport «La Svizra – 2 ½ lungatgs?», ont formulé des revendications précises afin de soutenir et promouvoir le romanche, mais aussi l’italien, dans les Grisons162.

1.2.2.3 Directive fédérale en faveur du RG En 1986, quatre ans après la création du RG par le professeur zurichois Heinrich Schmid, la Confédération adopte une directive selon laquelle les futures traductions de textes officiels vers le romanche se feront exclusivement dans cette langue. Cette décision, ainsi que les travaux en cours devant mener à la révision de l’article 116 de la constitution de 1874, mobilisent certains adversaires de cette langue au sein même de la population romanche163. L’opposition culminera en 1991 avec la remise au Conseil fédéral d’une pétition signée par quelque 2 500 Romanches, avant tout de la Surselva, contre l’utilisation du RG comme langue de chancellerie!

1.2.2.4 1996: révision de l’article 116 aCst Le 10 mars 1996, le peuple suisse accepte avec 76% des voix la révision de l’article 116 de l’ancienne constitution fédérale, qui confère désormais au

161 Viletta 1984, p. 110, qui rappelle que les Romanches attendent encore les traductions promises, en échange, par la Confédération. On comprend mieux pourquoi il affirme que la Suisse n’a jamais résolu le problème politique relatif au multilinguisme: elle a tout fait pour éviter la question (p. 106). L’aspect démographique condamnera-t-il la Suisse romanche à rester définitivement la «Cendrillon de la Suisse», selon la formule de Decurtins? 162 Dörig/Reichenau 1982, pp. 160-161, avec une liste de dix recommandations. 163 Coray 2008, p. 133.

30 romanche le statut de langue officielle partielle de la Confédération164. Presque soixante ans après la reconnaissance de principe des langues romanches, chaque personne de langue romanche peut désormais exiger de l’Etat fédéral l’utilisation de sa langue dans la procédure administrative et faire établir les actes officiels qui la concernent également dans cette langue165. L’alinéa 4 de l’article 116 aCst prévoyait en outre que «La Confédération soutient les cantons plurilingues dans l’exécution de leurs tâches particulières», ce qui constituait une grande nouveauté. L’alinéa 5 mentionnait expressément le soutien aux mesures prises par les cantons des Grisons et du Tessin en vue de la sauvegarde et de la promotion du romanche et de l’italien166. En 1996 toujours, dans une affaire opposant la bourgeoisie de Scuol à l’exécutif cantonal grison, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt rédigé en RG167.

164 Grin 2002, p. 270; Coray 2008, p. 164, qui relève un taux d’acceptation plus bas par le canton des Grisons, encore plus bas en Surselva (et même un rejet dans quatre circonscriptions habitées par des Walser). 165 Iso Camartin, in: Schläpfer 1985, p. 255. 166 Gross 2004, p. 38. 167 ATF 122 I 93, qui est resté à ce jour le seul arrêt du TF en langue romanche: Gross 2004, p. 19. On trouve également à la JAAC (jurisprudence des autorités administratives de la Confédération) un arrêt rendu suite à un recours contre une émission d’information de Radio Rumantsch (JAAC 67.29, dont un extrait est disponible à l’adresse http://www.vpb.admin.ch/deutsch/doc/67/67.29.html#_regesteRM). L’extrait est rédigé en idiome sursilvan, non en RG. Concernant l’ATF 122 I 93, Giusep Nay, ancien Président du Tribunal fédéral, nous a expliqué qu’il avait, à l’époque, rédigé lui-même l’arrêt en sursilvan, puis confié sa traduction en RG à la LR. Il a ensuite traduit l’arrêt en allemand, à l’intention de ses collègues (traduction également publiée). Si un cas semblable se reproduisait, la procédure suivie serait probablement la même: si le juge fédéral (ou le juge suppléant) concerné n’est pas de langue romanche, il pourra demander l’aide d’un greffier de langue maternelle romanche. Si les sentences du TF en romanche sont rarissimes, c’est qu’elles sont déjà extrêmement peu fréquentes dans les Grisons mêmes: si la langue de l’arrêt du Tribunal cantonal grison attaqué devant le Tribunal fédéral est l’allemand, la sentence du TF sera obligatoirement rendue en allemand. Selon M. Nay, les avocats romanches ne sont pas toujours disposés à écrire en romanche (ni toujours en mesure de le faire). Si la partie adverse (ou l’avocat de cette dernière) est de langue allemande, on en tiendra très vite compte, en s’adaptant. D’un point de vue strictement lexical, l’usage du romanche devant les tribunaux ne pose pas de problème: la terminologie juridique et administrative est bien développée, des outils sont à disposition et les lois cantonales (et les principales lois fédérales) sont disponibles en RG. Voir en outre les articles publiés (en allemand) par Giusep Nay sur l’utilisation du romanche devant les tribunaux: - Die Stellung des Romanischen als Gerichtssprache, in: Gesetzgebung heute, 1991, pp. 18-26; - Verfassungsrechtliche Vorgaben bündnerischer Sprachenpolitik, in: ZGRG 18 (1999), pp. 70-74. La loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF, RS 173.110) prévoit, à son art. 54, que «la procédure est conduite dans l’une des langues officielles (allemand, français, italien, Rumantsch Grischun), en règle générale dans la langue de la décision attaquée».

31 1.2.2.5 La nouvelle constitution fédérale La nouvelle constitution fédérale, acceptée le 18 avril 1999, a repris ces dispositions, désormais scindées en deux articles: le quadrilinguisme de la Suisse (langues nationales) est prévu par l’article 4, alors que les langues officielles de la Confédération et les principes y afférents figurent maintenant à l’article 70. L’article 69 prévoit en outre une compétence fédérale dans le domaine de la culture. À la fin décembre 2009, la loi sur l’encouragement à la culture, structurant de manière plus appropriée la politique culturelle au niveau suisse, était désormais sous toit.

1.2.2.6 Loi sur les langues La loi fédérale sur les langues de 2007 est entrée en vigueur le 1er janvier 2010168. Le Conseil fédéral a ordonné au Département fédéral de l’intérieur (DFI) d’en préparer l’ordonnance d’application pour la fin juin 2010. L’entrée en vigueur de l’ordonnance aura pour corollaire l’abrogation de la loi fédérale sur les aides financières pour la sauvegarde et la promotion des langues et des cultures romanche et italienne, en vigueur depuis 1995169 et dont les dispositions ont été reprises par le nouveau texte. Les dispositions pertinentes de la loi fédérale sur les langues, concernant le romanche, sont les articles 11, 12 et 22.

1.2.2.7 Autres dispositions fédérales Comme pour les dispositions cantonales, on se rapportera à la brochure Facts and Figures pour des détails relatifs à diverses dispositions constitutionnelles ou légales (liberté de la langue, organisation judiciaire, représentation des locuteurs des langues officielles au Tribunal fédéral,

168 Loi fédérale du 5 octobre 2007 sur les langues nationales et la compréhension entre les communautés linguistiques (Loi sur les langues, LLC, RS 441.1): www.admin.ch/ch/f/rs/c441_1.html. 169 www.news.admin.ch/message/index.html?lang=fr&msg-id=30531.

32 procédures diverses)170. Mentionnons également ici une disposition qui revêt une importance décisive pour la traduction de textes en romanche, et dont il sera question dans la deuxième partie au moment de définir le cadre des traductions officielles en RG: l’article 11 de l’ordonnance sur la traduction au sein de l’administration générale de la Confédération, section 3171.

1.2.3 Protection sur le plan international La Suisse a ratifié la Charte européenne des langues régionales et minoritaires172 en 1997 qui l’oblige à remettre un rapport trisannuel sur la situation de ses langues, lequel est ensuite examiné par un comité d’experts. Le Comité des Ministres peut formuler, à l’adresse des Etats parties, des «recommandations visant l’amélioration de leurs législations, politiques et pratiques concernant les langues»173. À noter que, de manière assez curieuse, le rapport suisse sur la Charte 2009, tout en reprenant le tableau et les chiffres du document de 2006, passe sous silence la situation toujours plus difficile du romanche: les «chiffres […] alarmants dans l’optique de la sauvegarde du romanche» figurant au rapport 2006 ont purement et simplement disparu du commentaire (devenu fort laconique) de la version 2009174, comme d’ailleurs la phrase mentionnant «l’importance que revêt désormais, pour la sauvegarde du romanche, la pratique de cette langue minoritaire en dehors de sa région de diffusion traditionnelle.» Interrogé sur ce point, l’Office fédéral de la culture (OFC) nous a répondu en date du 5 février

170 Gross 2004, p. 40. 171 RS 172.081: www.admin.ch/ch/f/rs/c172_081.html. 172 Grin 2005 A, p. 457; Lechmann 2005, pp. 88 ss; Solèr 2008, p. 141. 173 Quatrième rapport périodique de la Suisse relatif à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 4 décembre 2009, p. 2. Le rapport est disponible en quatre langues à l’adresse suivante: www.bak.admin.ch/themen/sprachen_und_kulturelle_minderheiten/00506/00509/index.html?lang=fr (OFC). 174 On peut toutefois légitimement douter d’une soudaine embellie.

33 2010175. Jean-Jacques Furer affirme haut et fort que le romanche est discriminé aussi bien sur le plan fédéral que cantonal grison176, et rappelle que si des mesures sérieuses ne sont pas prises, la langue et la culture romanches vont purement et simplement disparaître177. François Grin qualifie le déclin du romanche de dramatique et exprime sa préoccupation quant à la modestie des interventions fédérales dans ce domaine178.

1.3 Le romanche à l’école On ne soulignera jamais assez l’importance de l’acquisition de bonnes bases en langue maternelle, que ce soit pour l’avenir des locuteurs ou de la société en général179. En-dehors de la famille et du cercle d’amis180, l’école revêt une importance capitale dans ce domaine181. Après deux ans d’école enfantine en romanche182, les enfants des villages romanches sont actuellement scolarisés pendant trois ans en romanche, c’est-à-dire les trois premières années de l’école primaire, avant que l’allemand soit introduit comme matière ou devienne tout de suite la

175 Selon l’OFC, le choix d’éliminer certaines phrases du rapport ne découle pas d’une volonté politique de la Confédération de diminuer son soutien au romanche, l’aide fédérale étant restée inchangée depuis plusieurs années. Le Comité des ministres a déjà pris position sur la partie du rapport faisant office de constat et a formulé des recommandations précises aux autorités suisses pour sauvegarder cette langue. Au surplus, le passage d’où les phrases ont été supprimées ne figure pas, selon l’OFC, dans la partie la plus importante du rapport. Dont acte. On remarquera cependant que si l’autorité mentionne le maintien de son aide au romanche ces dernières années, elle se garde bien d’évoquer toute augmentation de cette dernière dans le futur… Le soutien aux langues minoritaires, en Suisse comme ailleurs, est aujourd’hui compliqué par le fait que les locuteurs ne vivent plus exclusivement dans la région où la langue a son assise territoriale traditionnelle: si l’Etat devait financer des cours de romanche destinés aux enfants des familles romanches habitant dans la partie alémanique des Grisons ou dans les autres cantons de langue allemande (ces deux catégories regroupant pas moins de la moitié des locuteurs des idiomes romanches), le coût serait évidemment très important. 176 Furer 2007, p. 88. 177 Furer 2007, p. 89; Solèr 2007, p. 399, qui rappelle toutefois, en citant Ramun Vieli («Un peuple vit s’il veut vivre»), que la survie d’une langue dépend en premier lieu de son utilisation par ses locuteurs. Il insiste également sur l’importance de la dimension émotionnelle dans la relation à la langue et la possibilité de s’identifier à cette dernière. Ces facteurs sont, selon lui, bien plus importants que l’utilité de la langue sur le plan économique, la volonté politique ou l’idéologie: Solèr 2010, p. 10. 178 Grin 2002, p. 270. 179 Decurtins 1959, pp. 26 (citation de Placi a Spescha) et 30; Halter/Semadeni 1974, p. 62. 180 Cathomas 2008, pp. 61-64. 181 Baur 1996, p. 145. 182 La fameuse «scoletta» dont Rougier/Sanguin 1991, p. 190 et Solèr 2007, p. 403, évoquent les origines.

34 langue générale d’enseignement183. Lorsque c’est le cas, le romanche devient une branche parmi d’autres, ou, dans certaines classes supérieures, une langue d’enseignement de l’une ou l’autre matière, comme la biologie184. L’exposition «complète» au romanche est donc très courte et les élèves ne dépassent pas, à l'écrit, un degré d'apprentissage relativement rudimentaire, au regard du cursus scolaire complet185. Cela correspond aux attentes formulées envers l’école, qui doit trouver un équilibre difficile entre la défense de la petite langue locale et la nécessaire maîtrise de la grande langue qui l’englobe totalement186: le résultat en est un bilinguisme qui semble porter ses fruits187. De plus, au vu des moyens didactiques et techniques à disposition, équivalents à ce que l’on trouve ailleurs en Suisse, la situation à l’école est incomparablement meilleure que ce qu’elle était voici un siècle188. Les auteurs soulignent néanmoins l’importance de la pratique du romanche dans le milieu familial et rappellent que l’école ne peut totalement y suppléer189. En matière d’enseignement de la langue maternelle, on voit que la situation scolaire des petits Romanches est complètement différente de celles des enfants du même âge en Suisse romande et au Tessin, organisée selon le strict principe de la territorialité190. Jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, les jeunes Romanches ont trois heures de romanche par semaine. Les communes où l’enseignement est

183 Gross 2004, p. 53. 184 Rougier/Sanguin 1991, p. 186. 185 Rougier/Sanguin 1991, pp. 185 ss; Tista Murk, in: La traducziun litterara, 1983, p. 208. 186 Baur 1997, p. 59. 187 Cathomas/Carigiet 1996, p. 16, relèvent que les élèves accordent beaucoup d’importance à leur connaissance du romanche, ce qui semble montrer que l’ancienne attitude négative par rapport à la langue a disparu. Et, comme le relève Baur 1997, p. 64, les connaissances d’allemand des jeunes Romanches sont au moins aussi bonnes que celles des Germanophones au terme du secondaire obligatoire. Voir également le modèle graphique proposé par Cathomas/Carigiet 2008, p. 23. Sur un plan beaucoup plus large, voir le projet DYLAN (www.dylan-project.org), qui s’intéresse au lien entre la diversité linguistique de l’Europe et le développement de la connaissance et de l’économie. 188 Bruno Fritzsche/Sandra Romer, in: Handbuch der Bündner Geschichte, 3e tome, 2000, p. 355. 189 Rougier/Sanguin 1991, p. 171; Baur 1996, p. 145. 190 Rougier/Sanguin 1991, p. 185, voyant dans le bilinguisme scolaire le moteur de l’assimilation des Romanches! Furer 2001, p. XIX, concernant la Surselva.

35 donné en langue allemande ou italienne peuvent choisir d’enseigner le romanche comme branche à option191. Depuis 1983, le romanche est une branche de maturité192. Depuis 1999, les gymnasiens grisons peuvent passer une maturité bilingue allemand- romanche (deux matières enseignées en romanche en plus du romanche comme branche)193. Au niveau universitaire, il est possible d’étudier le romanche aux Universités de Zurich, Fribourg et Genève, l’Alma Mater fribourgeoise étant toutefois la seule où les étudiants peuvent l’étudier en première branche et y rédiger leur mémoire en langue romanche194. Concernant la formation des traducteurs, ni l’École de traduction et d'interprétation (ETI) de Genève, ni la Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften (ZHAW)195 de Winterthur n’offrent de cursus ou de modules spécifiquement destinés aux Romanches. Par contre, la Schule für Angewandte Linguistik (SAL)196 de Zurich, qui dispose d’une dépendance à Coire, permet à des traducteurs romanches, en collaboration avec la LR qui met les enseignants à disposition, de suivre des cours de langue romanche, de passer le Diplom Grischun da Rumantsch197 ou même un diplôme ultérieur spécifique, sanctionnant un cursus comprenant des cours de grammaire, de RG, d’expression écrite et orale, de littérature, de

191 Gross 2004, p. 50. Aux Grisons, l’autonomie communale en matière d’enseignement est presque totale, ce que confirment Rougier/Sanguin 1991, p. 186, et Furer 2007, p. 59. 192 Baur 1996, p. 149. 193 Gross 2004, p. 50. 194 Gross 2004, p. 52; Solèr 2008, p. 143; Baur 1996, p. 150, qui mentionne la chaire de romanche, occupée depuis 1991 par le professeur Georges Darms: www.unifr.ch/spc/UF/94fevrier/darms.html. 195 www.linguistik.zhaw.ch/de.html. 196 Schule für angewandte Linguistik, www.sal.ch/News.aspx?m=5&amid=5. Gross 2004, p. 51. 197 Diplôme grison de romanche: selon la documentation de la SAL, il s’agit d’une certification comparable au diplôme d’allemand de la Chambre de commerce de Zurich ou au Diplôme supérieur de l’Alliance française. À noter que cette formation s’adresse aux personnes de langue maternelle romanche, mais aussi à des candidats pouvant justifier de connaissances assez approfondies pour suivre sans difficulté les cours proposés: grammaire normative, morphologie et syntaxe; atelier d’écriture; littérature et culture romanches; traduction allemand-romanche, introduction à la théorie et à la pratique de la traduction; traduction romanche-allemand; rumantsch grischun, connaissances de base et exercices pratiques.

36 traduction (théorie et pratique), de linguistique comparée, d’analyse de textes et de didactique198.

1.4 Le romanche dans divers domaines de la vie en société Après l’école, où se fait l’enseignement des bases linguistiques, nous examinons brièvement certains secteurs du monde du travail. Pour survivre, la langue d’une minorité doit être utilisée dans différents domaines de la vie quotidienne, y trouver une utilité pour ses locuteurs, mais aussi jouir d’un certain prestige199. Si ce dernier est bien entendu lié à une riche tradition littéraire, à l’histoire millénaire du pays ou de la région qui en est le berceau, ou encore à des personnages historiques bien présents dans la mémoire collective, il est surtout lié aux opportunités concrètes que la langue offre à ses locuteurs pour gagner leur vie200: dans ce domaine comme dans d’autres, on ne prête qu’aux riches! La question économique ne saurait donc être éludée201. La question de la survie des idiomes romanches passe d’une part par l’intérêt que peuvent lui porter ses propres locuteurs202, mais dépend d'autre part aussi de celui d’allophones qui, dans l’espoir d’une meilleure intégration dans une localité où ils possèdent un appartement de vacances, pour des raisons strictement professionnelles ou tout simplement par intérêt linguistique, seraient amenés à en entamer l’apprentissage (cf. sous-chapitre 1.4.6.2 ci-dessous).

198 Selon les informations reçues du service de linguistique appliquée de la LR, en date des 3 et 22 février 2010. Il y est en outre précisé que les traducteurs reçoivent également une formation pratique à l’interne, au fil des mandats très divers exécutés par la LR (encadrement, révision en commun, mise à disposition d’une méthode de révision élaborée par le service de linguistique appliquée). Les langues de la SAL sont l’allemand, l’anglais, le français, l’italien, le russe, l’espagnol et le romanche. 199 Collenberg/Gross 2003, p. 347, qui en soulignent l’importance. 200 Kundert 2007, p. 122; Florentin Lutz, in: Schläpfer 1985, p. 223. 201 Baur 1996, p. 60; Solèr 1991, p. 30, qui affirme même que «le romanche dans toutes ses formes est une langue sans (aucune) importance économique, si on ne considère pas les gens qui gagnent leur vie dans des institutions de maintien du romanche […]». Voir également Grin 2005 B, pp. 1 et 10-11. 202 D’où l’effort porté, depuis ces dernières années, sur la pratique du romanche au sein de la famille, comme on peut le relever dans le rapport annuel 2007 de la Lia Rumantscha, sous la plume de son actuel secrétaire général (Urs Cadruvi, in: LR 2007, p. 9).

37 Des études permettent de vérifier dans quels cercles une langue a encore sa place ou est au contraire en train de perdre pied, mais aussi d’observer à quelles occasions les locuteurs (surtout lorsqu’ils maîtrisent une autre langue à compétence égale, sinon supérieure, ce qui est précisément le cas des Romanches avec la langue allemande) sont autorisés ou s’autorisent eux-mêmes à l’utiliser203. Si l’on considère les quelques domaines abordés ci-après, l’on s’aperçoit que la position du romanche varie très fortement d’un cas à l’autre.

1.4.1 Quelques secteurs de l’économie

1.4.1.1 Le tourisme Comme on l’a déjà exposé précédemment, la «monoculture du tourisme» a beaucoup contribué au recul du romanche. Il n’a qu’une petite place dans la publicité204 et fort logiquement aucune dans la communication directe avec le client205, son emploi se limitant essentiellement à la communication entre employés206. Les villages se transformant – parfois de manière sauvage207 – en centres touristiques voient le pourcentage des personnes parlant le romanche diminuer208. On lui garde volontiers une place à titre folklorique209, mais on ne prendra en aucun cas le risque de rebuter un

203 Billigmeier 1983, p. 226, sur l’usage de l’allemand dans le tourisme. Cathomas 2008, p. 21, développant le concept de «loyauté» ou de «déloyauté» à la langue. 204 Gross 2004, p. 63. 205 Gross 2004, p. 62, rappelant le principe séculaire de l’adaptation des romanchophones au destinataire du message. 206 Gross 2004, p. 81. 207 Billigmeier 1983, p. 224, évoquant l’attribution peu consciencieuse de permis de construire, pratique dont les Grisons n’ont évidemment pas l’apanage… 208 Halter/Semadeni 1974, p. 58, qui soulignent que ces villages appartiennent ensuite bien vite à la diaspora romanche. Seuls semblent solides les villages romanches qui ont trouvé un bon équilibre entre agriculture, tourisme et industrie. 209 Baur 1997, p. 89, citant les expressions très prisées «Allegra» («bonjour» en engadinois) et «Viva la Grischa» («santé», au moment de lever son verre). L’on peut également s’en rendre compte à la lecture du contenu des sites Internet de certaines communes, qui n’intègrent le romanche que pour faire «couleur locale» et dont les pages romanches restent longtemps «en construction», ce qui en dit long sur l’utilité qu’on leur prête. Exemple: Ilanz (www.ilanz.ch) ou Schlarigna/Celerina (www.gemeinde- celerina.ch/000basefrm/frm300rum.htm). Très peu de pages affichent, comme celle de (www.disentis.ch/viadi/index.html), la fierté de faire partie des locuteurs du romanche ou, comme c’est le cas de Scuol (www.scuol.net) ou de Trun (www.trun.ch), donnent simplement une part égale au romanche et à l’allemand. Il n’existe pas de site communal purement romanche: l’allemand est toujours présent,

38 visiteur en l’exposant à une langue à laquelle il n’entend rien210… Cela fait dire à Baur que, contrairement aux représentants d’autres contrées également exposées au tourisme de masse, les Romanches n’ont pas su tirer profit du tourisme pour eux-mêmes211.

1.4.1.2 L’industrie Venue de la zone germanophone de la Suisse, installée essentiellement au fond des vallées (donc dans des régions de langue allemande) pour des raisons topographiques évidentes212, l’industrie grisonne n’a pas fait beaucoup de place au romanche, plutôt considéré à l’époque comme un frein au progrès213. À l’exception notable de l’entreprise Ems-Chemie, sise à Domat/Ems, dans la plaine du Rhin, la grande industrie n’existe pas aux Grisons214. Localement, on trouve dans les vallées des industries de plus petite taille dont les employés, de langue romanche, sont en contact avec une clientèle locale; l’entreprise Tarcisi Maissen SA, à Trun (Surselva) en est un exemple215. On mentionnera également la production d’électricité (les Grisons produisant, avec leurs barrages, une partie importante de l’électricité hydraulique suisse) et de bois216.

souvent comme première langue, en raison de l’importance du tourisme. Concernant les sites Internet, voir Grünert 2008 B, pp. 355 ss. 210 Baur 1997, p. 90; Tschuor 1998, p. 138, qui souligne qu’il faut absolument arrêter de considérer le romanche comme un obstacle au tourisme, alors qu’on pourrait y voir une chance d’intéresser des visiteurs pour qui des termes tels qu’«identité» ont un sens. 211 Baur 1996, p. 59; Billigmeier 1983, p. 225, s’étonne pour sa part que les jeunes Engadinois aient continué à s’expatrier lors de l’expansion du tourisme, alors que les hôtels recrutaient à tour de bras des employés de langue allemande ou italienne. En p. 228, il cite Chasper Pult, qui exige que les Romanches redeviennent maîtres chez eux, en sachant user du tourisme à leur profit, sans sacrifier leurs traditions. 212 Lips/Martin-Clamadieu 1983, p. 9. 213 Halter/Semadeni 1974, p. 59, soulignaient que des parents travaillant dans l’industrie expriment une préférence pour l’école en allemand, afin que soit enseignée aux enfants une langue qui leur permette de gagner leur vie, comme si le romanche était un handicap. Cette tendance n’a pas disparu… 214 Baur 1996, p. 59. 215 Cf. le site Internet de cette entreprise, www.maissen-sa.ch, où le romanche a tout à fait sa place. Cathomas 2008, p. 64, relève que l’usage du romanche au travail dépend très fortement du lieu de travail et de l’activité professionnelle de la personne intéressée. 216 Lips/Martin-Clamadieu 1983, pp. 9-10 et 18-20.

39 En matière d’adaptation à l’industrie, un aspect important à prendre en considération est celui du lexique: au XIXe siècle, la LR n’existait pas encore. C’est elle qui crée aujourd’hui de nouveaux termes dont les locuteurs peuvent avoir besoin pour appréhender tel ou tel nouveau secteur d’activité, industriel, technique ou autre217. Les Romanches ont par exemple utilisé, encore longtemps après l’apparition du chemin de fer dans les vallées, le mot «banhof» avant qu’il soit petit à petit remplacé, dans l’usage, par le terme «staziun»218.

1.4.1.3 Le commerce de détail Le client est roi: seuls les magasins fréquentés en majorité par des clients de langue romanche (c’est-à-dire des magasins de village, en retrait ou hors des périodes du tourisme de masse) «affichent la couleur». Dans les magasins fréquentés par les touristes, la langue romanche a un caractère décoratif, ou se cache et ne se pratique alors qu’entre interlocuteurs connus.

1.4.1.4 Les transports Les Chemins de fer rhétiques n’ont introduit qu’il y a quelques années les annonces en romanche (idiomes locaux) dans leurs trains, et seulement dans les «territoires romanches»219. La compagnie du Matterhorn- Gotthard-Bahn l’a fait, plus récemment encore, sur le petit secteur romanche de la ligne, entre Disentis/Mustér et le col de l’Oberalp220. Dans les bus postaux, la langue utilisée dépend des lignes parcourues, mais aussi de la provenance des chauffeurs.

217 Solèr 2002, p. 259, qui note néanmoins que les expressions romanches ne sont créées que plus tard, à une période où les termes allemands sont déjà bien implantés dans la vie quotidienne, une dynamique d’ailleurs identique pour toutes les langues minoritaires et dont le succès n’est au mieux que partiel. 218 Solèr 2002, p. 259, avec une liste d’exemples. 219 Gross 2004, p 81. «Territoires»? On ne peut pas ne pas penser aux réserves indiennes… Le message enregistré romanche vient d’ailleurs toujours après l’allemand. 220 Le reste de la ligne (Oberalp – Andermatt – Oberwald – Brig – Zermatt) est en effet situé en territoire exclusivement germanophone (Uri et Haut-Valais).

40 1.4.2 L’Eglise À l’origine de la mise à l’écrit des trois premiers idiomes romanches, l’Eglise qui a, par son autorité, ses figures marquantes221, comme par ses publications qui ont constitué pendant des siècles les seules lectures disponibles en langue romanche, longtemps été l’un des piliers de la langue, se trouve aujourd’hui en retrait222. La société a changé, et l’institution comme le bâtiment ne sont plus au centre de la vie sociale223. De plus, il arrive de plus en plus souvent que les pasteurs et prêtres soient des germanophones engagés en plaine ou à l’étranger, faute de relève locale, ou que l’on avance le tourisme comme raison d’engager un homme d’église venant de l’extérieur224. Gion Deplazes va même plus loin, affirmant qu’aujourd’hui, l’Eglise contribue en partie au déclin de la langue225. Quoi qu’il en soit, l’évolution est préoccupante: même à une époque où l’on accorde moins d’importance à la foi ou au fait religieux, l’utilisation d’une langue par l’Eglise est encore essentielle à son prestige226.

1.4.3 L’armée Même si, tout comme l’Eglise, l’institution militaire est également en retrait dans la société suisse d’aujourd’hui, en termes de prestige et de fréquentation, elle n’en continue pas moins de concerner, chaque année, bon nombre de jeunes citoyens suisses. Un premier pas vers l’utilisation officielle du romanche à l’armée avait été effectué au début des années 80 du siècle dernier, avec la traduction du règlement de service vers le sursilvan et le vallader227.

221 Rougier/Sanguin 1991, p. 197. 222 Baur 1996, p. 152. 223 Baur 1996, p. 152; Solèr 2008, p. 150. 224 Baur 1996, p. 152. Certains hommes ou femmes d’Eglise mettent toutefois un point d’honneur à apprendre le romanche, comme le rappellent fort justement Rougier/Sanguin 1991, p. 197. 225 Cité par Baur 1997, p. 65. 226 Baur 1996, p. 153. 227 Palaia 2009, p. 20, les traductions ayant été effectuées par les écrivains Gion Deplazes (sursilvan) et Andri Peer (vallader), le RG n’existant pas encore à l’époque.

41 De plus, vers la fin de cette même décennie, le brigadier Rudolf Cajochen tenta de mettre sur pied des compagnies d’infanterie de montagne commandées en romanche228. Cela n’a cependant duré que quelques années, l’un des obstacles – outre la difficulté de recruter suffisamment de cadres aptes du point de vue linguistique229 – ayant été la difficulté éprouvée par certains Romanches de l’Engadine et de la Surselva de s’associer à un même projet230. Un sentiment de discrimination de la part de soldats alémaniques, mais aussi de hauts gradés qui ne comprenaient pas le romanche, s'était également fait jour231.

1.4.4 L’administration et les services publics Au niveau fédéral, le romanche est notamment présent sur les billets de banque, les documents d’identité et les brochures d’information éditées en vue des votations. Certaines lois et ordonnances sont traduites et figurent au recueil systématique des lois fédérales. Sur le plan privé, on note l’utilisation du romanche sur des en-têtes ou pour des formulaires de banques ou d’assurances, ou dans des revues ou journaux d’entreprises232. Au niveau cantonal, outre l’administration cantonale grisonne, on note l’utilisation du romanche par des entreprises privées pour certaines publicités et étiquettes233. Depuis le milieu des années 90 du siècle dernier, le romanche est langue officielle obligatoire de certaines communes où il est encore bien implanté234.

228 Palaia 2009, p. 29. 229 Palaia 2009, p. 45. 230 Palaia 2009, p. 50. Cette difficulté de certains Romanches de s’associer en vue de défendre une cause commune laisse parfois pantois. Elle s’explique toutefois assez facilement par l’histoire des diverses régions romanches, mais aussi par la perception que nous avons des Romanches (impression, erronée, qu’il s’agit d’une seule communauté). Que l’on se souvienne un instant des difficultés rencontrées par les cantons de Vaud et Genève lorsqu’il s’agit par exemple de conclure des accords administratifs… 231 Palaia 2009, p. 25. 232 Gross 2004, p. 61. 233 Gross 2004, p. 62. 234 Gross 2004, pp. 62-63.

42 Pour plus de détails, on se rapportera à la brochure Facts and Figures, contenant des informations détaillées sur l’utilisation du romanche par les secteurs public et privé235.

1.4.5 Les médias Soutenus par la Confédération dans le cadre du soutien à la langue et à la culture, contribuant eux aussi au prestige de la langue par une présence quotidienne et une utilité certaine, les médias et l’agence de presse romanches236 ont une position à part, du fait qu’ils ne dépendent pas des seules règles du marché237. Un soutien étatique est par ailleurs indispensable, car le nombre fort réduit de lecteurs, d’auditeurs et de téléspectateurs ne suffirait jamais à rendre l’un ou l’autre média économiquement rentable. À cet égard, le système décentralisé de la SRG SSR idée suisse est idéal238.

1.4.6 La culture

1.4.6.1 Les activités culturelles par et pour les Romanches Dans ce domaine également, les fonds mis à disposition par la Confédération permettent l’édition d’ouvrages de divers types en romanche239, la mise sur pied de spectacles, de concerts240, de pièces de théâtre241, ou d’expositions, ainsi que le tournage de films242, la création et la gestion de bibliothèques243.

235 Gross 2004, pp. 61-63. 236 Gross 2004, pp. 64-69. 237 Gross 2004, p. 66. 238 Gross 2004, p. 67, revenant sur la conception suisse de service public. L’art. 24 al. 2 de la loi fédérale du 24 mars 2006 sur la radio et la télévision (LRTV, RS 784.40) prévoit du reste que «La SSR diffuse au moins un programme de radio pour la Suisse d’expression romanche. Par ailleurs, le Conseil fédéral fixe les principes régissant la prise en compte des besoins spécifiques de cette région linguistique en matière de radio et de télévision.» 239 Gross 2004, pp. 71-74: roman, poésies, contes, livres pour enfants et bandes dessinées. 240 Gross 2004, pp. 75-76: le chant choral relève d’une tradition séculaire dans les villages romanches. 241 Tschuor 1998, qui relève en quatrième de couverture de son ouvrage consacré au théâtre à Laax que de nombreux autres villages romanches mettent sur pied des spectacles. Il signale, en p. 233, l’anthologie consacrée par Guglielm Gadola à l’histoire du théâtre romanche (Ischi 1930, 1932 et 1961) et l’article publié par Stiafen Loringett en 1944 dans les Annalas da la Societad Retorumantscha.

43 Cela permet aux artistes, musiciens et autres créateurs, à l’image de Giovanni Netzer de Savognin, d’écrire, de produire (au moins partiellement) et de mettre en scène des œuvres en romanche, alors que les strictes règles du marché ne les autoriseraient à ne le faire qu’en allemand et sous d’autres cieux, pour atteindre un public beaucoup plus nombreux244.

1.4.6.2 Les cours de romanche et le matériel d’apprentissage Des efforts sont également effectués pour faire connaître la langue romanche, jouissant d’une certaine sympathie auprès du grand public, et intéresser des membres des autres communautés linguistiques suisses – Alémaniques surtout – d’en tenter l’apprentissage245. La LR propose des cours de langue (idiomes ou RG)246, ainsi que diverses associations régionales, comme la Fondaziun Retoromana organisant chaque été un cours de sursilvan à Laax, pour plusieurs dizaines de participants, sur sept niveaux247. Des cours sont également donnés dans certaines grandes villes alémaniques, par exemple par l’Ecole-Club Migros.

242 Il n’y a pas de longs métrages entièrement romanches, mais on notait avec plaisir la sortie, en 2007, du film de Bruno Moll, Le chemin vers St-Jacques de Compostelle, dont le protagoniste principal, Roman Weishaupt, parle sursilvan. En 1993 était sorti le film La Rusna pearsa, de Dino Simonett, retraçant une partie de l’histoire de la Val Schons, avec des acteurs amateurs s’exprimant en sutsilvan. Mentionnons également les films documentaires d’Ivo Zen, Maurus, Nadia, Flurina (2009) et Pizzet (2004), réalisateur qui nous a par ailleurs informé de la création de l’association de cinéastes romanches CIR (www.realisateurs.ch/de/cir), ainsi que de la tenue d’un festival de films romanches en mai 2010 à Vnà et Ramosch, en Basse-Engadine. Mentionnons également que la Televisiun Rumantscha propose la vente, sur DVD, de films sur des minorités linguistiques européennes, reportages ou documentaires en romanche, dont beaucoup sont disponibles avec une version française (voix off et/ou sous-titres): www.rtr.ch/rtr/butia/dvds/index.html?siteSect=70005. 243 Gross 2004, p. 78. 244 Même si un artiste comme le chansonnier Linard Bardill écrit ses textes aussi bien en allemand qu’en dialecte alémanique et en romanche vallader, on constate que le romanche est presque complètement absent de son site. Cf. www.bardill.ch. 245 Solèr 1991, p. 30, qui souligne avec ironie que c’est le cas tant que l’on peut l’entendre pendant ses vacances aux Grisons, sans qu’il soit toutefois nécessaire de l’apprendre pour profiter pleinement de son séjour… 246 Voir Lechmann 2005, pp. 406 ss, ainsi que le site Internet de la LR: www.liarumantscha.ch/sites/servetschs_e_products/curs_da_rumantsch.html. 247 www.frr.ch/pages/il-cuors-romontsch-sursilvan.php.

44 À Fribourg, la chaire de romanche de l’Université offre un cours hebdomadaire aux étudiants d’autres facultés désireux de se familiariser avec l’un des idiomes romanches. Sur son site www.rumantsch.ch, l’association Pro Svizra Rumantscha propose un CD-Rom, Allegra rumantsch, destiné à familiariser le public alémanique avec la langue romanche et certains aspects de la vie de tous les jours dans les régions traditionnellement de langue romanche. Il n’existe malheureusement pas de version française de ce CD-Rom, mais on trouve des cours de romanche destiné au public de langue française248. La version française de la brochure Facts and Figures est téléchargeable gratuitement sur le site Internet de la LR249. Les lecteurs plus spécifiquement intéressés aux outils destinés à la traduction se rapporteront au sous-chapitre 2.5.1 ci-dessous.

1.5 Rumantsch grischun, idiomes et traduction On rappellera ici que la traduction, dont l’une des conséquences est l’importation de contenus et l’agrandissement du corpus disponible en langue d’arrivée, est un facteur influençant inévitablement l’avenir de cette dernière. De ce point de vue, la communauté romanche se trouve dans une situation tout à fait particulière: du fait de l’utilisation exclusive du RG pour les traductions des textes officiels par la Confédération et le canton, les corpus des idiomes locaux ne sont, dans ce domaine, plus que très peu alimentés (la traduction administrative en idiome est réservée au plan communal250) et se voient largement privés d’un registre qui avait

248 Vers le RG et le vallader (cf. http://openlibrary.org/books/OL19775134M/J'apprends_le_romanche) seulement. Toute personne désireuse d’apprendre un autre idiome devra passer par l’allemand (ou par l’italien, pour le puter): http://fm.rumantsch.ch/lr/rm/FMPro?-token=12586379&-db=cudeschs.fp5&- format=ven_instruc.html&-lay=endatar&-error=ven_error.html&-findall. 249 www.liarumantscha.ch/sites/purtret/facts_figures.html. 250 Cf. le sous-chapitre 2.1.2 ci-dessous.

45 l’avantage de toucher une grande partie de la population, ce qui n’est pas forcément le cas de la littérature251. Désirant compléter ce qui précède, nous aimerions encore présenter de manière aussi concise (et impartiale) que possible la querelle entre défenseurs et détracteurs du RG, dont les fondements peuvent échapper à l’observateur extérieur.

1.5.1 Paysage linguistique romanche: idiomes et RG Le RG, presque exclusivement langue de traduction252, fait aujourd’hui partie du paysage linguistique grison et suisse. Le débat toujours ouvert sur sa raison d’être et ses domaines d’utilisation monopolise l’attention253. Nous nous bornerons à présenter ci-après quelques aspects de la question. Le RG a été initialement conçu comme langue de synthèse, relativement simplifiée254, pour assurer une place au romanche là où il n’a des chances d’exister que sous une seule forme, mais sans toucher à l’usage oral et écrit des idiomes locaux. Cette conception des choses n’avait pas soulevé d’opposition notable chez les locuteurs des divers idiomes romanches255. La tendance actuelle, prônée par le canton des Grisons et la LR, veut toutefois voir le RG (dans un avenir proche, au moyen de l’enseignement scolaire) devenir la langue écrite unifiée de tous les Romanches256. Contre cette conception, l’opposition populaire – en Surselva257 surtout – est importante: alors que les Romanches disposent déjà de l’allemand comme langue d’extension258 (aspect pratique) et sont, pour le reste, très attachés

251 Solèr 1990, p. 25. 252 Grünert 2008 A, p. 17. 253 Sur les divers épisodes de la querelle relative au RG, voir Baur 1996, pp. 129-134, auquel l’auteur donne le joli nom de «Neue Bündner Wirren»… 254 À quelques détails près, cf. Furer 2007, p. 89. 255 Furer 2007, p. 89; Viletta 1984, p. 126. 256 Solèr 2009, p. 158, qui dénonce les différents moyens mis en œuvre pour faire accepter le RG. Voir également Solèr 2007, p. 407; Solèr 2008, p. 146. 257 Baur 1996, p. 129, qui fait allusion à la pétition adressée au Département fédéral de l’intérieur (DFI) au début des années 90. 258 Solèr 2008, p. 148, qui rappelle que c’est également le cas des citoyens grisons de langue italienne.

46 à l’idiome local259, reste-t-il encore une place pour une langue romanche administrative unifiée? En d’autres termes: le RG, avenir et dernière chance du romanche260, ou fossoyeur de ce dernier261? S’il ne fait aucun doute que la situation du romanche serait meilleure aujourd’hui s’il connaissait, depuis des siècles déjà, une seule forme littéraire ou administrative, les uns affirment que tenter d’imposer une forme contre l’avis d’une majorité de locuteurs représente un risque extrêmement élevé à une époque où la situation des idiomes romanches est déjà très précaire262. D’autres placent de grands espoirs dans la création progressive d’une conscience interromanche263, pour laquelle une langue unifiée constituerait un support indispensable. Dans cette seconde optique, tenter de sauvegarder une majorité a clairement la priorité sur le maintien d’îlots éparpillés264. Néanmoins, cette conception se heurte à une autre, bien ancrée (et qui s’est plusieurs fois vérifiée dans l’histoire), selon laquelle tout rapprochement entre les idiomes est forcément voué à l’échec, notamment en raison de particularismes locaux séculaires et de l’absence de conditions culturelles, politiques et économiques favorables265. Coray rappelle avec raison que ces avis très divergents reposent sur des conceptions diverses de la langue: soit on considère que cette dernière a un caractère organique, qu’elle dépend étroitement du milieu qui l’a vue naître et évoluer266, soit on la considère d’un point de vue plus

259 Solèr 1991, p. 26. 260 Lechmann 2005, pp. 547 ss; Baur 1996, p. 132. 261 Lechmann 2005, pp. 557 ss. L’une des personnes interrogées par questionnaire nous a répondu à cet égard: «Le RG? La mort des idiomes et, par là même, celle du romanche». Voir également la page Internet www.swissinfo.ch/fre/Controverse_autour_du_rumantsch_grischun.html?cid=221652. 262 Furer 2007, p. 90; Solèr 2007, pp. 406-7, condamnant fermement la propagation «stupide et obstinée» d’un RG dont la majorité ne veut pas, ce qui risque tout bonnement de «pousser les Romanches vers l’allemand». Selon lui, il serait plus utile de reconnaître la diglossie allemand-romanche pour ce qu’elle est vraiment, en réduisant l’importance accordée à l’écrit pour concentrer les efforts sur la communication orale au sein de la communauté. Selon lui, il y a un énorme décalage entre la politique officielle et les besoins de la population romanche. 263 Collenberg/Gross 2003, p. 347; Viletta 1984, p. 126, qui met cependant en garde contre tout «optimisme euphorique». 264 Rougier/Sanguin 1991, p. 213. 265 Rougier/Sanguin 1991, p. 210; Solèr 1991, p. 25. 266 Solèr 2009, p. 158 ou 2008, p. 147, qui traite ironiquement le RG de «produit hors-sol».

47 pragmatique, moins émotionnel267, comme un simple instrument de communication268. Pour sa part, Solèr souligne qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucune instance responsable du contrôle de la forme standard de cette langue269. Quoi qu’il en soit, utilisé aussi bien par la Confédération que par le Canton des Grisons, le RG est aujourd’hui une réalité quotidienne pour les traducteurs romanches270.

1.5.2 Romanche(s) et trilinguisme grison On l’aura compris à la lecture de cette première partie, les divers idiomes romanches constituent, avec le RG créé il y a à peine plus d’un quart de siècle, un paysage linguistique unique, qui ne laisse d’étonner le traducteur et tout observateur curieux des langues. Le canton trilingue des Grisons, «Suisse dans la Suisse271», abrite trois communautés linguistiques principales, elles-mêmes subdivisées en plus petites entités selon des critères historiques, géographiques et politiques. Au vu des choix qui ont été faits lors des dernières votations, les autorités politiques et une majorité de la population grisonne entendent clairement maintenir et favoriser le trilinguisme dans leur canton272.

267 Rey 2009, p. 28. 268 Coray 2008, p. 545. 269 Solèr 2008, p. 147. 270 Baur 1996, p. 129, qui relate les succès du RG dans les premières années et la hausse consécutive du nombre de mandats de traduction adressés à la LR. 271 Rougier/Sanguin 1991, p. 65; Lips/Martin-Clamadieu 1983, p. 6. 272 Message du Grand conseil grison à l’occasion de la votation du 17 juin 2007 sur la loi sur les langues. Cela dit, des voix critiques s’élèvent, qui qualifient le trilinguisme grison de «monolinguisme avec deux langues étrangères»: Solèr 1990, p. 25.

48 2 Le romanche: des situations de traduction fort diverses

Comme on l’a vu dans la première partie, la traduction du romanche ou vers ce dernier reflète une situation géolinguistique complexe. Selon la situation de traduction – notamment le type de texte et le cercle des personnes auxquelles celui-ci est destiné – et l’identité du mandant, le couple de langue ne sera pas le même. Dans un premier sous-chapitre, nous nous intéresserons au romanche comme langue d’arrivée, en distinguant deux cas: la traduction de l’allemand vers le RG, par la Confédération ou sur mandat de cette dernière, par le Canton des Grisons ou par la LR, concernant des textes officiels (p. ex. lois, ordonnances, matériel d’information en vue de votations populaires, documents d’information) et la traduction de l’allemand vers divers idiomes, soit dans un cadre administratif essentiellement local ou communal, soit pour ce qui concerne la traduction d’œuvres littéraires, de pièces de théâtre ou de livres pour enfants273. Dans un deuxième sous-chapitre, nous nous intéresserons à la traduction de l’un ou l’autre des idiomes romanches vers une autre langue, principalement en matière de traduction littéraire vers le français, mais aussi dans le domaine particulier de la traduction des sous-titres destinés à des émissions de télévision. Dans un troisième sous-chapitre, nous évoquerons brièvement une situation de traduction moins courante aujourd’hui: la traduction d’un idiome à l’autre, ainsi que la transcription d’un idiome vers le RG. Enfin, nous tenterons dans un quatrième sous-chapitre de présenter, de la manière la plus complète possible, les ressources techniques274 dont disposent les traducteurs romanches d’aujourd’hui, avant de terminer sur

273 Dans ce dernier cas, d’autres langues de départ que l’allemand sont également prises en compte. 274 Notamment informatiques, dont on sait l’importance croissante en termes de productivité, relevée par exemple par Deborah Fry, in: Hieronymus 1/2010, p. 27.

49 une question polémique: le bien-fondé de la traduction vers le romanche.

2.1 Le romanche comme langue d’arrivée

2.1.1 La traduction en RG par la Chancellerie grisonne et la LR Même s’ils ne sont bien entendu pas les seuls traducteurs du RG, les plus gros mandats en matière de traduction vers la langue romanche de chancellerie sont exécutés par le canton des Grisons (dont la chancellerie traduit également, en sus des quelques dispositions fédérales traduites en RG, l’intégralité de sa propre législation dans la langue romanche de chancellerie) et la LR. Après avoir présenté ci-dessous les principaux mandants et mandataires, nous aborderons quelques questions de traduction, des solutions publiées ayant été analysées, notamment par Matthias Grünert et Clau Solèr.

2.1.1.1 Les traductions demandées par la Confédération Nous nous sommes adressé à la Chancellerie fédérale pour connaître les grands axes de la politique fédérale de traduction vers le romanche, et nous informer des critères selon lesquels un texte est traduit ou non vers le RG. Le lecteur trouvera ci-après une synthèse des informations reçues de M. Franco Fomasi, chef de la section de terminologie des services linguistiques centraux de la Chancellerie fédérale, en date du 26 mars 2010. Alors que l’intégralité de la législation fédérale est disponible en allemand, en français et en italien, le recueil systématique des lois fédérales ne contient qu’un très petit nombre de dispositions traduites en RG275: la Constitution fédérale (Cst.), le droit des obligations (CO) et quelques lois fédérales importantes. Le code civil (CC) suisse sera à disposition en RG dès le mois d’avril 2010. Les prochaines traductions prévues sont le code pénal (CP), la loi sur la formation professionnelle et l’ordonnance relative à cette dernière. Les actes soumis à référendum et

275 Textes légaux disponibles en RG sur le site du RS: www.admin.ch/ch/r/rs/rs.html.

50 qui doivent être traduits parce que cités dans les explications préparées par le Conseil fédéral à l’intention des citoyens appelés à voter sont désormais également publiés en romanche. Les dispositions légales pertinentes concernant la traduction vers le RG sont, depuis le 1er janvier 2010, l’article 11 LLC276 et l’article 11 de l’ordonnance sur la traduction au sein de l’administration générale de la Confédération, section 3277: Art. 11 LLC

Les textes d’une importance particulière ainsi que la documentation sur les votations et les élections fédérales sont également publiés en romanche. La Chancellerie fédérale désigne ces textes, après avoir consulté la Chancellerie d’Etat du canton des Grisons et les services fédéraux concernés.

Art. 11 de l’ordonnance sur la traduction, section 3

1 Le Conseil fédéral émet des directives réglant les tâches de traduction en romanche qui incombent à la Confédération. 2 La Chancellerie d’Etat du canton des Grisons collabore à la traduction en romanche de textes et d’actes importants du droit fédéral.278

Actuellement, le choix des actes normatifs d’une importance particulière à traduire en RG est effectué (en fonction des ressources disponibles) selon les priorités suivantes: - grands codes; - textes normatifs: - soumis à votation populaire,

276 Qui a remplacé l’ancien art. 14 LPubl, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009. 277 Entrée en vigueur le 1er juillet 1995, www.admin.ch/ch/f/rs/c172_081.html. Voir en outre Lechmann 2005, p. 218. 278 Les directives mentionnées à l’alinéa 1, édictées en 1986 par le Conseil fédéral, seront abrogées lors de l’entrée en vigueur de l’ordonnance sur les langues, prévue en principe pour juillet 2010. En voici les éléments principaux: article 3, mentionnant la traduction d’inscriptions, de panneaux indicateurs ou d’avertissement dans l’aire rhéto-romane; article 4, définissant les critères fondant une décision de traduction d’un texte fédéral vers le romanche: poids politique du texte, volonté d’une large diffusion en raison de l’intérêt ou de l’actualité du texte, lien avec l’aire rhéto-romane, durée de validité du texte et existence d’un marché. L’art. 4 lettre d mentionne également la traduction des documents personnels (papiers d’identité, certificats, diplômes, etc.); article 8, prévoyant que la langue de traduction est en principe le RG; article 10, fondant la collaboration avec le canton des Grisons.

51 - dont la traduction en romanche existe déjà pour moitié ou plus en raison de traductions obligatoires en vue de votations populaires, - d’un intérêt pratique et immédiat pour les locuteurs du romanche - indispensables pour faciliter l’utilisation du romanche devant les tribunaux; - textes faisant l’objet d’attentes particulières des locuteurs romanches. Etant donné que les textes normatifs en romanche sont (encore) peu nombreux, il est capital de s’assurer de leur mise à jour en cas de modifications législatives. À cette fin, ces textes sont publiés sur le site du Centre des publications officielles (CPO)279: ainsi, les services centraux de la Chancellerie fédérales sont avertis de toute modification et peuvent ordonner au plus vite la mise à jour de la version romanche de l’acte modifié. Le site Internet de la Confédération, www.admin.ch, n’est que très incomplètement traduit en romanche. Le site www.ch.ch reporte le plus souvent le lecteur romanche à des documents disponibles dans beaucoup de langues, sauf la sienne. Le volume annuel moyen de la traduction vers le RG sur mandat de la Confédération s’élève, depuis quelques années, à environ 660 pages280. Il n’existe aucun rapport formel sur les traductions données en mandat, mais la Confédération tient une liste à usage interne, contenant les détails sur les traductions vers le RG effectuées chaque année. La Confédération n’effectue elle-même aucune traduction vers le RG. Les organismes chargés de la traduction (Chancellerie d’Etat grisonne et LR281) sont également responsables du contrôle de la qualité des textes fournis,

279 www.bk.admin.ch/org/bk/00332/00335/index.html?lang=fr#sprungmarke_1_4. 280 À titre de comparaison, entre 2 000 et 2 400 pages sont traduites chaque année en anglais par les services de la Chancellerie fédérale depuis 2005. CC, CO et CP devraient être disponibles en anglais à la fin 2010. Les principaux critères de choix des textes à traduire vers l’anglais sont les suivants: acte normatif important, réel besoin du texte anglais, intérêt public, investissement utile à long terme, création d’une valeur ajoutée, collaboration et image de notre pays sur la scène internationale. 281 La LR a offert très tôt ses services à la Confédération en matière de traduction vers le RG: voir Lechmann 2005, pp. 218-219.

52 voire de donner le bon à tirer pour les publications traditionnelles sur papier. Il est néanmoins prévu de créer, encore dans le courant de l’année 2010, un poste de traducteur/coordinateur pour la langue romanche dans les services linguistiques de la Chancellerie fédérale. Cette personne aura la charge de coordonner et de centraliser toutes les activités de traduction de l’administration fédérale vers la quatrième langue nationale, de planifier les futures et nécessaires traductions vers le romanche, en concertation avec la Chancellerie d’Etat du canton des Grisons, d’enrichir le volet romanche de la banque terminologique TERMDAT et, bien évidemment, de traduire elle-même des textes, en fonction de ses disponibilités. La seule autorité fédérale présente dans le canton des Grisons est le corps suisse des garde-frontières (Région III, St-Gall-Liechtenstein-Grisons), rattaché au Département fédéral des finances (DFF): les documents courants pour les Grisons sont à disposition seulement en allemand et en italien, car ils ne font pas partie des documents d’une importance particulière mentionnés à l’article 11 LLC. Des documents de recrutement ont toutefois été traduits dernièrement en romanche282.

2.1.1.2 Les traductions en RG effectuées par la Chancellerie grisonne La base légale des traductions en RG effectuées par la Chancellerie cantonale grisonne est la loi cantonale sur les langues (LLing, RS grison 492.100) et son ordonnance d’application (RS grison 492.110)283. En vertu des dispositions de cette loi, les traductions ne se font que vers le RG, forme standard du romanche. Selon les informations reçues du service de traduction romanche de la Chancellerie cantonale grisonne en date du 3 février 2010, ce dernier

282 Sur les 230 collaborateurs actuels de la Région III, 19 sont de langue maternelle romanche. 283 www.gr-lex.gr.ch/frontend/texts_of_law?locale=rm: introduire le numéro de la loi dans l’espace de saisie en haut à droite de la page de recherche du RS. Le texte légal est disponible en allemand, en italien et en RG.

53 dispose de trois équivalents plein temps (EPT): deux collaborateurs à 100% et deux autres à 50%. Trois mois par année, les traducteurs au bénéfice d’un contrat fixe sont en principe épaulés par un stagiaire, mais il ne semble pas qu’il soit possible de pourvoir le poste chaque année: les Romanches ne sont pas nombreux, et les traducteurs encore moins... En 2009, le service a traduit l’équivalent de 3 649 pages (volume calculé sur un taux moyen de mots traduits). Il est en principe chargé de toutes les traductions en romanche dont a besoin l’administration grisonne. Ses activités ne font pas l’objet d’un rapport séparé: l’administration, depuis la mise en vigueur de GRiforma (programme de réforme de l’administration grisonne), se contente d’indiquer si les objectifs assignés au service ont été atteints ou non. Les documents traduits sont très divers: dispositions légales de toutes sortes, lettres, brochures, documents divers, pages Internet, décisions, etc. Concernant la révision, le principe des quatre yeux est bien entendu appliqué: les traductions sont relues et font l’objet d’une discussion entre traducteur et réviseur. Dans la mesure du possible, des formations sont proposées aux traducteurs du service, parfois en collaboration avec la LR. En 2009, Matthias Grünert, maître assistant de la chaire de romanche de l’Université de Zurich, est ainsi venu à Coire faire un exposé sur diverses questions de traduction, à la suite de la publication d’un article (abondamment cité dans le sous- chapitre 2.1.1.5.1. ci-dessous) où il analysait des problèmes de transfert entre l’allemand et le RG.

2.1.1.3 Les traductions en RG effectuées par la Lia Rumantscha Selon les informations reçues de la LR, les traducteurs de cette dernière effectuent des traductions en RG pour des corporations publiques (divers départements et offices de la Confédération, divers offices cantonaux grisons, la Région de Surselva et des communes romanches), pour des

54 entreprises (La Poste, les Chemins de fer rhétiques, la SRG SSR idée suisse et sa filiale RTR, Rätia Energie (REPOWER), Publicitas, Banque cantonale grisonne, Banque Raiffeisen, le journal romanche La Quotidiana) ou encore des associations et fondations d’intérêt public (Pro Helvetia, Pro Infirmis, Pro Juventute, Pro Senectute, Procap, BPA, Fondation suisse pour paraplégiques, Fondation «Concours suisse de musique pour la jeunesse» ou Association suisse des châteaux). Ses services sont également sollicités par des bureaux de traduction, tels que Syntax, Interserv ou Inter-Translations. Selon la LR, il n’existe pas de statistique du volume de traduction en RG, au niveau suisse284. En raison du grand nombre de traducteurs vers le RG (chancellerie cantonale grisonne, Radio Televisiun Rumantscha, enseignants traduisant des méthodes scolaires, divers départements fédéraux ou bureaux privés), il serait difficile d’en établir une. En collaboration avec la SAL de Zurich, la LR offre aux journalistes, traducteurs et collaborateurs de chancelleries communales la possibilité de se former à l'usage professionnel de la langue romanche, notamment par le biais de cours ayant lieu le soir ou le week-end, ou encore d’une filière où les candidats peuvent assimiler la matière à leur rythme et reçoivent ponctuellement l’assistance d’un enseignant. Après un cours préparatoire, il est possible de demander l’aide de la LR pour trouver une place de stage. Cependant, en raison du petit nombre de personnes pour qui la traduction est l'activité principale285 (environ deux à la LR et quatre à la Chancellerie cantonale grisonne, la traduction constituant une activité à temps partielle, souvent auxiliaire, pour la plupart des autres) et du coût des formations proposées, il n’y a pas chaque année de candidats aux formations susmentionnées.

284 Interrogé sur ce point également dans le courant de l’automne 2009, l’Office fédéral de la statistique (OFS) n’était pas non plus en mesure de fournir de chiffres à ce sujet. 285 Selon le professeur Clau Solèr, l’apparition de traducteurs professionnels vers le romanche est récente. Auparavant, on considérait des connaissances linguistiques d’allemand et de romanche comme une condition suffisante pour effectuer les traductions (entretien du 12 janvier 2010).

55 Outre les formations à l’externe, le travail de traduction au sein de la LR est organisé de manière à ce que les collaborateurs, stagiaires, étudiants ou indépendants se forment petit à petit, par la pratique, grâce au large éventail de textes à traduire. Les textes traduits font l’objet d’une relecture en commun. Le principe des quatre yeux est appliqué pour toutes les traductions. Un manuel d’aide à la révision, élaboré à l’interne, est remis à tout nouveau collaborateur286. De plus, en matière de formation continue, la LR organise chaque année pour ses traducteurs (mais aussi ceux de la Chancellerie cantonale) des ateliers, exposés ou rencontres spécifiques sur des thèmes relatifs à la traduction. Enfin, les traducteurs de la LR ont mis sur pied un réseau d’experts (juristes, médecins, techniciens spécialistes, etc.) auxquels ils peuvent s’adresser en cas de besoin287.

2.1.1.4 Types de textes traduits en RG En premier lieu, il s’agit de textes pour la Confédération et le canton des Grisons. Pour la première, sont traduits en RG la législation fédérale, les messages du Conseil fédéral à l’intention des citoyens romanches à l’occasion des votations fédérales, ou encore la brochure «La Confédération en bref»288; pour le second, ce sont les lois et ordonnances cantonales, les décrets pris par le gouvernement grison, les directives de ses divers départements, les messages du gouvernement relatifs aux votations cantonales, le matériel électoral et divers discours et allocutions d'hommes politiques. De nombreux clients étant des entreprises, des institutions289 ou des associations, les traductions portent également sur des textes, annonces et

286 Basé, entre autres, sur l’ouvrage québécois de Paul Horguelin et Louise Brunette, Pratique de la révision, 3e édition, Linguatech, Brossard (Québec), 1999. 287 L’un des traducteurs interrogés précise dans le questionnaire qu’il nous a renvoyé qu’il n’est pas toujours possible de trouver un spécialiste dans le domaine concerné. 288 La Confederaziun en furma concisa: www.admin.ch/dokumentation/00104/index.html?lang=rm. 289 Par exemple Pro Juventute, Pro Helvetia ou divers musées.

56 slogans à caractère publicitaire, des rapports annuels290, des communiqués de presse et textes en lien avec les relations publiques, des brochures et affichettes éditées par ces entreprises, des légendes figurant sur l’emballage de certains produits qu’elles commercialisent et bien entendu les pages de leur site Internet291. Concernant l’édition, on trouve divers livres (guides292, littérature, livres pour enfants293, manuels scolaires294, livres d’art), pièces de théâtre et, dans le domaine religieux, des livres de catéchisme et la Bible. Pour les médias, sont traduits toutes sortes d’articles pour des journaux et revues, mais aussi des pièces radiophoniques et des prédications diffusées sur les ondes. Enfin, il existe des travaux de traduction à caractère terminologique295.

2.1.1.5 Analyses de questions de traduction Comme déjà mentionné plus haut, et nonobstant la rédaction occasionnelle d’articles et d’ouvrage, le RG est presque exclusivement une langue de traduction, dans l’immense majorité des cas depuis l’allemand296. Il est donc intéressant d’examiner les conséquences que peut avoir ce rapport à la langue majoritaire fédérale et cantonale sur l’évolution qualitative de la langue romanche de chancellerie297, notamment quant

290 Par exemple de la banque cantonale grisonne pour ses clients romanches, la banque Raiffeisen, Publicitas, Microsoft. 291 Par exemple www.fontana-passugg.ch/rm/; www.graubuenden-reformiert.ch. [Sprache: Rumantsch] 292 Par exemple le Guid dals utschels en Svizra (guide ornithologique suisse). 293 Par exemple pour l’Oeuvre Suisse des Lectures pour la Jeunesse (OSL): www.sjw.ch/rm/aktuell.htm. 294 Par exemple, Stadi e economia (l’Etat et l’économie) ou Viver en il Grischun. Lexicon istoric retic, accessible en ligne: www.e-lir.ch/. 295 Par exemple, dans les domaines du football et des noms d’animaux. 296 Solèr 1990, p. 14, qui souligne que la rareté de la rédaction originale en langue maternelle romanche réduit les capacités du traducteur à rédiger sans aide, de manière intuitive. À la page 27, il précise que les possibilités d’employer une structure différente de celle de l’allemand se perdent, par le fait qu’on les utilise de moins en moins et qu’on en perd ainsi l’habitude. Voir en outre Solèr 1991, p. 29; Solèr 2010, p. 2 (note 5); Solèr 2008, p. 146, où l’auteur précise que le français et l’italien ne servent que rarement de langue de départ. 297 La question de l’impact de l’allemand existe évidemment aussi pour le français et l’italien, comme on peut le lire dans Gendron 2009, p. 39. Mais il s’agit là de langues jouissant d’une pleine autonomie et bien pourvues en rédaction originale, ce qui n’est pas le cas du romanche.

57 aux expressions idiomatiques. Nous évoquons ci-après les analyses de deux auteurs concernant la production de traduction vers le romanche.

2.1.1.5.1 Une analyse de la traduction en RG par Matthias Grünert Matthias Grünert, maître assistant auprès du département de romanche de l’Université de Zurich, a publié en 2008 un article sur certains problèmes de traduction qu’il a relevés dans des textes traduits de l’allemand en RG298. La question à la base de l’étude de Grünert est celle de savoir quand et dans quelle mesure la production non originale de textes (en langue d’arrivée) est influencée par le modèle (en langue de départ)299. L’une des caractéristiques des textes administratifs est leur parution simultanée dans plusieurs versions, ce qui permet de les comparer. Le texte traduit doit donc être au plus près de l’original, du point de vue de la sémantique comme de celui du registre. Il est toutefois difficile d’empêcher des interférences, par exemple des calques300, surtout si l’exigence de fidélité au texte original est comprise de manière trop superficielle. Ce sera le cas si l’on néglige le fait que des expressions apparemment équivalentes peuvent, par extension, receler des implications sémantiques différentes, de même que des expressions correspondantes sur le strict plan sémantique peuvent ne pas relever des mêmes registres301. Le texte traduit doit être conforme à l’usage général de la langue d’arrivée, spécialement dans le cas d’une langue minoritaire dont la forme écrite est moins répandue, moins développée: s’éloigner trop de la norme orale donne au texte traduit un caractère étranger302. L’auteur souligne également un élément caractéristique du romanche qui est le contact très étroit (nous serions presque tenté de surenchérir: l’imbrication) entre le romanche et

298 Grünert 2008 A, pp. 17-38. 299 Grünert 2008 A, p. 17. 300 Gendron 2009, p. 40. 301 Grünert 2008 A, p. 17. 302 Grünert 2008 A, p. 18.

58 l’allemand, en raison duquel il est parfois difficile d’isoler, dans une traduction, ce qui appartient à l’allemand de ce qui relève d’un usage particulier du romanche303. Malgré ces possibles incertitudes, Grünert est d’avis que, dans la majorité des textes qu’il a analysés, la traduction romanche reste trop proche de l’original allemand au niveau de la sémantique lexicale et de la syntaxe. Il relève également l’utilité d’une comparaison avec la version italienne (et, lorsqu’il s’agit d’un texte fédéral, avec la version française) pour obtenir une plus grande distance d’avec l’original en langue allemande304. Concernant la sémantique, Grünert relève d’abord le phénomène fréquent de l’élargissement du champ sémantique de certains termes romanches, en raison de l’influence de termes allemands à la correspondance seulement partielle, dont voici quelques exemples: - traduction de «Rollenverständnis der Frau» (conception du rôle de la femme) par «enclegientscha da la rolla da la dunna», alors que «maniera d’encleger la rolla da la dunna» aurait mieux convenu, pour exprimer l’idée de conception305, l’acception exacte d’«enclegientscha» étant plutôt celle de la capacité de comprendre; - dans deux textes différents, l’expression allemande «Ehe schliessen» (contracter mariage, se marier) a été traduite par «ina lètg vegn serrada» ou «– concludida». Dans ces cas, les verbes «serrar» et «concluder» ne sont pas adaptés: alors que le premier est utilisé pour signifier la fermeture d’une porte au moyen d’une serrure, ou la fermeture d’un espace, le second signifie terminer ou tirer des conclusions de quelque chose. Grünert propose donc l’utilisation du verbe «sa maridar» (se marier) ou de

303 Grünert 2008 A, p. 18. 304 Grünert 2008 A, p. 18. Partout où cela était nécessaire, nous avons rajouté une traduction française des exemples allemands-romanches de Mathias Grünert, afin de permettre au lecteur francophone de suivre plus aisément le cheminement de son exposé. 305 Les traductions françaises, placées entre parenthèses, sont ajoutées par l’auteur du présent travail aux exemples donnés par Mathias Grünert dans l’article cité.

59 tournures exprimant différemment la même idée («unir» ou «registrar», dans le sens d’une inscription de l’union nouvelle à l’état civil)306; - en matière d’asile politique, la tournure allemande «die Schweiz freiwillig verlassen» (quitter la Suisse de son plein gré) a été rendu par «bandunar la Svizra en moda facultativa», qui donne l’impression d’un choix alors que le départ de la Suisse est, pour le justiciable concerné, la conséquence obligatoire d’une décision administrative ou judiciaire307; - dans un texte traitant du conflit d’intérêt entre le calme recherché dans nos montagnes par les touristes et le bruit causé par les avions militaires, le texte allemand parle d’«Einsatzflüge mit Kampfjets» (vols militaires)308, que le traducteur romanche a rendu par «sgols d’acziun cun aviuns da cumbat», alors que «sgols» (éventuellement «sgols da cumbat») aurait suffi. Sur le plan syntaxique, Grünert s’est intéressé à l’usage des prépositions, notamment de l’utilisation trop fréquente de «tar» pour rendre l’allemand «bei». Cela fonctionne certes si le sens de «bei» est «auprès de» ou «chez», mais pas lorsqu’il faut le rendre par «en ce qui concerne» ou «au sujet de»: dans ce dernier cas, le traducteur romanche devrait plutôt utiliser «quai che pertutga» ou «areguard», ou tourner la phrase autrement. La phrase «Bei der Porta Alpina handelt es sich nicht um eine zusätzliche Haltestelle» (la Porta Alpina309 n’est pas un arrêt supplémentaire) peut être simplement rendue par «La Porta Alpina n’è betg ina fermada supplementara», en renonçant à utiliser une préposition, laquelle risque

306 Grünert 2008 A, p. 19. 307 Grünert 2008 A, p. 19. 308 Grünert 2008 A, pp. 19-20. Ici, nous laisserions au contexte le soin de préciser qu’il s’agit d’avions à réaction bruyants, tout en excluant clairement qu’il puisse ici s’agir de l’autre acception du mot «vol»! Etant donné que les avions militaires ne servent pas pour des sorties de plaisance, mais que leur utilisation est limitée au strict entrainement des pilotes, le terme «vols» devrait suffire, quitte à préciser, dans certains cas précis, qu’il s’agit de «missions de surveillance de l’espace aérien». 309 Gare souterraine initialement projetée dans le nouveau tunnel du Gothard (dont le percement sera achevé à l’automne 2010), pari technologique et objet de nombreuses discussions politiques ces dernières années aux Grisons. Le canton y a expressément renoncé en 2007 en raison des risques financiers liés à l’exploitation d’une telle station souterraine, qui aurait été accessible depuis le village de Sedrun (haut de la Surselva) par un puits d’une profondeur de 800 mètres, au moyen d’un ascenseur.

60 d’amener le traducteur à un calque de l’allemand: «Tar la Porta Alpina na sa tracti betg d’ina fermada supplementara»310. Dans l’expression «bei Problemen», la préposition allemande a le sens de «en cas de», et le romanche peut exprimer cette idée par «en cas da problems», solution identique à celles du français et de l’italien311. Un autre point délicat est celui des verbes allemands à particule séparable, entraînant la formation en romanche de calques dont beaucoup sont passés dans l’usage courant, surtout parlé312. Grünert donne l’exemple de la tournure allemande «auf Gesuche wird eingetreten» (des demandes sont examinées), rendue par «sin dumondas vegn entrà», et propose d’utiliser une formulation proche de l’italien «Le domande […] continueranno ad essere esaminate»: «Dumondas […] vegnan examinadas er […]»313. Autre exemple, la structure allemande «aus [A] wird [B]», reprise telle quelle en romanche: «or dad [A] daventa [B]: «Aus einem Nebeneinander von kantonalen Bildungssystemen […] soll ein überblickbares Gesamtsystem werden», qui avait été traduit par «Or dals sistems chantunals ch’existan in sper l’auter […] duai daventar in sistem general e survesaivel»314. Grünert propose de remplacer ce calque en disant la même chose autrement: «Ils sistems chantunals ch’existan in sper l’auter […] duain vegnir integrads en in sistem general e survesaivel»315.

310 Grünert 2008 A, p. 21. 311 Grünert 2008 A, p. 22. 312 Grünert 2008 A, p. 22; Solèr 1990, pp. 26-27. Exemples fréquemment entendus par l’auteur du présent travail: «cala si!», qui vient de «Hör auf!» (arrête!), «dar giu», calque de «abgeben» (rendre quelque chose à quelqu’un, cf. également Grünert 2008 A, p. 31), «spitgar sil tren», pour «auf den Zug warten» (attendre le train) et «far giu», calque de «abmachen» (convenir de quelque chose, p. ex. d’un rendez-vous. Cette dernière forme existe du reste aussi dans le dialecte italien de Poschiavo: fa giò). 313 Grünert 2008 A, p. 23. On objectera que cela fonctionne tant qu’il ne faut pas formellement parler d’«entrée en matière», que l’italien rend alors à son tour par «entrata in materia». On parlera aussi de «non-entrée en matière» (Nichteintreten, non entrata in materia), par ex. dans le domaine de l’asile politique: www.vpb.admin.ch/franz/doc/61/61.99.html. 314 Texte relatif à l’adoption d’une loi visant à simplifier l’entrelacs de systèmes cantonaux de formation. 315 Grünert 2008 A, p. 23. L’argument central étant que le projet, s’il est adopté, permettra de mettre sur pied un système de formation intercantonal, commun et transparent. La deuxième version permet au lecteur de se concentrer sur l’information fournie par le texte, sans buter sur le calque. On notera par ailleurs que l’adjectif romanche «survesaivel» est un calque de l’allemand «übersichtlich». À celles et ceux que cela pourrait faire sourire, nous affirmons avoir vu le délicieux néologisme «survue» sous la plume d’un ancien collègue de travail francophone (non-traducteur), pour rendre le substantif

61 Un autre élément souligné par l’auteur de l’article est l’usage immodéré de la structure [substantif + préposition «da» + substantif] pour rendre les substantifs composés, typiques de l’allemand, dont la traduction ne va pas sans poser certaines difficultés: «Erweiterungsbeitrag» (contribution à l’élargissement) devient «contribuziun d’engrondiment», «Kohäsionsbeitrag» (contribution à la cohésion, à une meilleure cohésion), «contribuziun da cohesiun», alors que le principe (figurant au Pledari Grond) veut que, pour exprimer la destination ou le destinataire de la contribution, il faille utiliser, comme en français, la préposition «a», et non «da». Grünert mentionne également les exemples de «Holzfeuerungen» (chauffages au bois), «stgaudaments da laina», et de «Feinstaubbelastung» (concentration en particules fines), «impestaziun da pulvra fina»: dans le premier cas, on aurait pu utiliser la préposition «cun» («avec», ici dans le sens d’«au moyen de»), alors que dans le second, on avait le choix entre «cun» et «tras» (en français, «par»). Il souligne que lorsque la relation logique entre les éléments du substantif composé allemand présente une certaine complexité, il faut parfois procéder à une retraduction vers l’allemand pour comprendre le sens des termes en romanche316. Grünert traite ensuite de problèmes survenus à la suite de traductions littérales de syntagmes ou de phrases entières, spécialement lorsque la version allemande était déjà inutilement compliquée317.

allemand «Übersicht» (très fréquemment utilisé pour parler de «vue d’ensemble», «contrôle», «résumé», «coup d’œil», «analyse», «panorama»). Le calque n’est jamais loin, surtout s’il permet une compréhension plus rapide, plus instinctive de la version traduite aux personnes dont la langue maternelle est la langue majoritaire, comme le relève Gendron 2009, p. 40. Il fait violence aux termes traditionnels et à la syntaxe de la langue d’arrivée, mais il a indubitablement une fonction communicative et, de ce fait, passe petit à petit dans l’usage. 316 Grünert 2008 A, pp. 23-26, avec l’exemple très parlant de «economia da debits» pour l’allemand «Schuldenwirtschaft» («endettement», «système économique fondé sur l’endettement», éventuellement «spirale de l’endettement», selon le contexte), tournure compréhensible exclusivement en repassant par l’allemand. Voir également Solèr 1990, p. 18, qui analyse des exemples de tournures avec prépositions en idiome sursilvan, trouvés dans le journal officiel. Sur le substantif composé allemand, voir également Spescha 1986, p. 7. 317 Inutile complexité sur le plan syntaxique, redondances, lexique trop abstrait (Grünert 2008 A, p. 35). L’une des personnes qui nous a renvoyé le questionnaire dénonçait d’ailleurs la piètre qualité de certains textes allemands utilisés dans l‘enseignement (!), des textes qu’on ne peut selon elle presque pas traduire.

62 Voici un exemple dans les trois langues officielles grisonnes, concernant une requête cantonale soumise à un office fédéral:

«In ihrer Vernehmlassung an das Bundesamt für Verkehr zum Konzessions- und Plangenehmigungsgesuch der Corvatsch AG vom Dezember 2007 für den Bau einer Zweier-Sesselbahn mit festen Klemmen ‘Rabgiusa-Curtinella’ auf Gebiet der Gemeinden Sils i.E./Segl und Silvaplana beantragt die Regierung, die Konzession zu erteilen.»

«En sia consultaziun a l’uffizi federal da traffic davart la dumonda da concessiun e d’approvaziun dal plan da la Corvatsch SA dal december 2007 per la construcziun d’ina sutgera da dus cun cludigls fixs ‘Rabgiusa-Curtinella’ sin il territori da la vischnanca da Segl e da Silvaplauna propona la regenza da dar la concessiun.»

«Nella sua presa di posizione a destinazione dell’Ufficio federale dei trasporti in merito alla domanda di concessione e di approvazione dei piani della Corvatsch AG del dicembre 2007, il Governo chiede il rilascio della concessione per la costruzione di una seggiovia a due posti ad attacchi fissi ‘Rabgiusa-Curtinella’ in territorio dei Comuni di Sils i.E./Segl e Silvaplana.318

Alors que la version en RG reproduisait l’allemand syntagme par syntagme, la version italienne a placé les éléments différemment: le sujet, le verbe et l’objet sont placés au centre de la phrase, et le complément placé en début de phrase dans les versions allemande et romanche («In ihrer

Vernehmlassung an das Bundesamt […]») a été scindé en deux parties, une au début et l’autre à la fin du paragraphe. Grünert s’inspire de cette solution pour proposer une nouvelle version en RG:

«En sia consultaziun a l’uffizi federal da traffic pervi da la concessiun e l’approvaziun dal plan da la Corvatsch SA dal december 2007 propona la regenza da dar la concessiun per la construcziun d’ina sutgera da dus cun cludigls fixs ‘Rabgiusa-Curtinella’ sin il 319 territori da la vischnanca da Segl e da Silvaplauna.»

Cela donne une langue qu’elle appelle joliment «ina lingua plain ‘Füllsel’» (littéralement: une «langue pleine de termes bouche-trous»), pour dénoncer le manque flagrant de contenu des textes en question! 318 Grünert 2008 A, pp. 29-30. 319 Grünert 2008 A, p. 30. Notons qu’un petit détail est resté inchangé entre les deux versions en RG: le mot «vischnanca» (commune) est resté au singulier, alors que les versions allemandes et italiennes le

63

Grünert poursuit avec l’analyse de problèmes de registre: si la traduction de l’allemand a pour conséquence l’utilisation de termes relevant d’un registre administratif élevé, le texte d’arrivée en romanche ne sera peut- être pas compris par une majorité de ses lecteurs. Dans le contexte de la chasse et du contrôle des populations d’animaux, il prend comme exemple le syntagme «Effectivs da selvaschina» (selvaschina est un terme générique désignant les animaux sauvages), estimant que «dumbers d’animals» (quantités d’animaux) ou simplement, selon les cas, «animals» serait plus adapté pour faire passer l’idée320. En matière d’asile, lorsqu’il est question de l’obligation faite aux requérants de remettre leurs papiers d’identité à l’autorité, l’allemand parle de «Identitätspapiere abgeben» et le romanche, de «consegnar documents d’identitad» (remettre ses papiers). Selon Grünert, «preschentar» serait meilleur en RG. Et dans le domaine de la pharmacie et de la vente de médicaments au public, pourquoi dire «consegnar medicaments» alors que «vender» suffirait?321 Même dans les cas où on ne peut noter un véritable changement de registre, il arrive que des mots romanches soient trop compliqués ou trop peu courants pour être compris du grand public. En parlant d‘un projet de loi dont on attend beaucoup, le syntagme allemand «eine moderne und zukunftsweisende Vorlage» a été traduit par «in project modern e prospectiv»: seul un nombre restreint de personnes comprendra le sens du second adjectif322. De même, traduire «Luftfahrzeuge» (aéronefs) par

mettent au pluriel (Segl et Silvaplauna sont deux communes distinctes). On pourrait donc, pour des raisons de logique, exprimer ainsi la localisation géographique du télésiège projeté: «sin ils territoris da las vischnancas da Segl e da Silvaplauna». En français, on peut tenter la formulation suivante: «Dans sa prise de position remise à l’Office fédéral des transports, relative à la demande de concession et d’approbation des plans déposée en décembre 2007 par l’entreprise Corvatsch SA, le gouvernement demande que soit accordée une concession en vue de la construction du télésiège ‘Rabgiusa – Curtinella’ (sièges à deux places, système à pinces fixes) sur les territoires des communes de Sils i.E./Segl et Silvaplana.» 320 Grünert 2008 A, p. 31. 321 Grünert 2008 A, p. 32. Voir également Giger 1983, p. 25 in fine. 322 Grünert 2008 A, p. 32. Cela dit, la solution de rechange, «orientà vers l’avegnir», est tout aussi proche de l’allemand, l’adjectif «zukunftsorientiert» étant extrêmement prisé des rédacteurs alémaniques.

64 «eromobils» est en soi correct du point de vue terminologique, mais la plupart des lecteurs auraient bien mieux compris «aviuns» ou «eroplans», même si on y perd une certaine précision323. D’autres exemples montrent qu’en utilisant des adverbes plus courants, ou en s’assurant simplement de leur utilisation correcte dans le texte considéré, on obtiendrait des textes plus facilement lisibles. En se basant sur les exemples précédents, Grünert affirme que le romanche (RG) utilisé en tant que langue administrative sur le plan cantonal et fédéral ne s’est pas encore suffisamment détaché de l’allemand324. Pour les traducteurs, il est d’autant plus difficile de trouver des solutions romanches satisfaisantes qu'ils ne disposent quasiment pas de textes de référence et qu’ils doivent inventer eux-mêmes le langage relatif à un domaine. Dans une telle situation, adopter dans chaque cas une formulation à l’italienne irait à l’encontre du bon sens: une telle solution n’est acceptable que si elle correspond également à un usage romanche. Au fond, le critère de l’usage a la priorité, même si cela amène le traducteur à opérer des modifications. Si la première priorité est l’acceptation du texte par ses lecteurs325, il convient de privilégier des solutions consacrées par l’usage, en se détournant d’une forme trop distinguée ou reflétant, dans certains cas, une inutile complexité du texte de départ (allemand)326.

2.1.1.5.2 Analyse de la traduction vers le romanche par Clau Solèr Sociolinguiste, professeur de romanche auprès de la Faculté des lettres de l’Université de Genève et collaborateur de la Radio e Televisiun Rumantscha (RTR) à Coire, Clau Solèr a publié de nombreux articles sur des questions de traduction vers le romanche. Pour éviter de revenir sur

323 Grünert 2008 A, p. 32. 324 Il n’est pas le seul, si l’on en croit Gendron 2009, p. 40, au sujet du français fédéral. 325 Solèr 1990, p. 25, met en avant cette condition. 326 Grünert 2008 A, p. 36.

65 des aspects abordés précédemment, nous avons choisi de nous intéresser ici à la création lexicale, au purisme, à la traduction de ce que l’auteur appelle les «mots vides» et à la transposition de diverses structures de l’allemand vers le romanche. L’une des conséquences de la traduction vers le romanche est la création de nouveaux termes, afin d’adapter un contenu en romanche dans un domaine où la terminologie nécessaire fait défaut (le romanche dispose en effet de peu de matériel de référence)327. À cet égard, Solèr distingue la création exolingue (construction d’un terme depuis l’allemand) de l’endolingue (construction d’un terme depuis d’autres langues romanes, par exemple le français ou l’italien)328. L’analyse sur une longue période tend selon Solèr à démontrer que seules les formes exolingues entrent vraiment dans l’usage, alors qu’on note une résistance envers les formes endolingues, qui sont abandonnées ou, dans certains cas, réservées à un registre élevé329: cette tendance ne fait évidemment qu’accentuer l’entrée de l’esprit germanique dans le romanche330… Dans la foulée, l’auteur note d’ailleurs que le français et l’italien ne constituent plus aujourd’hui des langues de référence dans les régions romanches des Grisons, où l’on pense aujourd’hui en allemand331. Dans un tel cadre, une attitude puriste332, tentant de forcer l’intégration de nouveaux termes ou de formules peu courantes, est selon lui vouée à l’échec333. Dans une situation linguistique où les interférences sont courantes, et où le traducteur ne prend pas toujours une distance suffisante d’avec la

327 Solèr 1990, p. 10. 328 Solèr 2002, p. 259. En p. 260, il donne l’exemple du terme allemand «Typenprüfung», rendu soit par «omologaziun» (endolingue, registre élevé), soit par «examinaziun dal tip» (exolingue). 329 Solèr 2002, p. 260. Ce serait le cas de «precipitaziuns» pour l’allemand «Niederschläge», ou encore de «mocheta» pour «Spannteppich» (moquette). 330 Tista Murk, in: La traducziun litterara, 1983, p. 210, citant le linguiste italien Ascoli: «spirito tedesco in materia romana». Une telle évolution ne peut que faire réagir le traducteur francophone, pour qui l'allemand n'est pas une première langue. 331 Solèr 2002, p. 260; Gendron 2009, p. 39, concernant l’administration fédérale. 332 Reflet d’un courant de pensée présent depuis environ un siècle, dont le fondement est la volonté de rendre à la langue son authenticité, en l’expurgeant notamment de ses germanismes et italianismes. 333 Solèr 2002, p. 260, avec l’exemple des adverbes à la terminaison en «-main», à l’image du français (-ment) et de l’italien (-mente).

66 langue de départ, il est ensuite intéressant de se pencher sur la traduction de certains termes bien présents dans les mots composés allemands, «mots vides», tels «Wesen», «Anlage» ou «Betrieb»334. Solèr fait une comparaison intéressante entre deux traductions romanches (sursilvan et vallader) du syntagme allemand «Erlass eines Gesetzes über das Bergführer- und Skisportwesen (Vorlage 2)»: le traducteur sursilvan a fait l’impasse sur le terme «Wesen» (Relasch d’ina lescha davart il guids da muntogna ed il sport da skis [project 2]), alors que le traducteur engadinois se sentait obligé de conserver ce terme dans la version en vallader (Relasch d’üna ledscha davart ils affars da guidas da muntogna e’l sport da skis [proget 2]). Dans le même ordre d’idée, on trouve le syntagme «menaschis d’ustria» (probablement pour «Gastbetriebe») alors qu’ «ustrias» suffirait en principe335. Ou encore «Staziun da tren» pour l’allemand «Bahnhof», alors que «staziun» suffit amplement336. Solèr souligne que de nombreux romanchophones sont convaincus que les mots composés allemands doivent être rendus, en romanche, avec le même nombre d’éléments qu’en version originale: cette opinion est répandue en raison du manque ou de la perte progressive des compétences en langue maternelle, mais aussi de l’absence de possibilités d’étayer les choix de traduction par des exemples sérieux337. Dans certains cas, en se concentrant sur le mot à mot plutôt que sur le sens, on en arrive à créer de toutes pièces des solutions d’autant plus curieuses que des termes corrects existaient depuis toujours: «lavina da crappa» pour «Steinlawine» (éboulement, glissement de terrain), alors que le mot traditionnel correct est «bova» (le terme «lavina» étant traditionnellement réservé aux avalanches); «pistun da tirc» pour «Maiskolben» (épi de mais), au lieu de «betschla da tirc», où l'on a utilisé

334 Solèr 1990, p. 19. Nous sommes confrontés au même problème dans les traductions françaises, lesquelles permettent très rarement une formulation littérale. 335 Solèr 1990, p. 20. 336 Solèr 2010, p. 3. 337 Solèr 2010, p. 3.

67 par erreur une acception mécanique et non botanique de «Kolben» («piston», et non «épi»)338. Selon Solèr, cette pratique surprenante a ses raisons: l’allemand et le romanche cohabitent dans l’esprit du locuteur romanche, en une sorte de «symbiose mentale» autorisant une production linguistique plus ou moins correcte dans une langue ou dans l’autre339. Si l’on est d’abord surpris par ces créations étranges (il faut parfois une rétrotraduction vers l’allemand pour en comprendre le sens340), elles entrent très vite dans l’usage, même si l’école et une certaine mauvaise conscience des locuteurs freinent quelque peu ce mouvement341. Néanmoins, une attitude trop puriste n’est pas utile, car les solutions appartiennent alors en grande partie à un registre trop élevé et ne sont pas adaptées du point de vue de la communication342. Si le public cible d’une traduction en RG ne comprend pas le texte à cause de termes savants ou peu usités, cela éveille son aversion et le repli sur l’idiome local sera encore plus fort. Selon Solèr, les chances de survie du romanche seraient meilleures si l’on adoptait, dans le plupart des cas, des solutions de traduction appartenant à un registre moins élevé, plus populaire et conforme à l’usage343. À cet égard, il dénonce l’utilisation toujours plus fréquente, en romanche, de quatre types de structures syntaxiques entravant la compréhension d’un texte: - locution verbale au lieu d’un verbe: «RumantschAs fan diever dal rumantsch» (les Romanches font usage du romanche) au lieu de «RumantschAs discurran rumantsch» (les Romanches parlent romanche)344;

338 Solèr 2010, p. 4. 339 Le romanche est qualifié par Clau Solèr de «langue en contact». Dans une telle constellation, il est compréhensible que des interférences se produisent, que l’on constate des influences d’une langue sur l’autre: Solèr 2010, p. 6. 340 Solèr 2008, p. 150, qui ajoute à cet égard que le sens de la langue se perd petit à petit. 341 Solèr 2010, p. 4. 342 Solèr 2002, p. 260. 343 Solèr 2010, p. 5, mais aussi Giger 1983, pp. 21-22. 344 Solèr 2010, p. 7, non sans se moquer au passage de la tendance affichée par les médias à utiliser des formules creuses, qui ne veulent rien dire («Floskeln»), mais dont on espère qu’elles feront forte

68 - utilisation d’une périphrase au lieu d’un verbe de modalité: «es il center ladin dependent da l’agüd da las scolas» (le centre ladin est dépendant de l’aide des écoles) au lieu de «ston las scolas güdar il center ladin» (les écoles doivent soutenir le centre ladin); - utilisation de verbes à particule séparable: «els as tegnan sü in lur regiun» (ils résident dans leur région; du verbe allemand: sich aufhalten) au lieu de «els sun / vivan en lur regiun» (ils habitent / vivent dans leur région). - préférence pour les «phrases en cascade» en lieu et place d’une formulation plus directe et plus simple: «finamira dalla strategia ei da nezegiar meglier ils potenzials ch’ein avon maun» (l’objectif de cette stratégie est de tirer un meilleur parti du potentiel à disposition) au lieu de «ins vul nezegiar meglier il potenzial» (on veut mieux utiliser le potentiel à disposition). Concernant les expressions idiomatiques, Solèr remarque qu’elles font défaut en RG au motif qu’on écrit beaucoup trop peu en cette langue, et que les expressions idiomatiques ne trouvent leur consécration que petit à petit, par un usage répété, tout simplement inexistant dans ce cas345.

2.1.2 La traduction administrative par les communes Nous avons écrit à dix-huit communes romanches parmi les plus importantes des cinq régions du point de vue du nombre d’habitants, pour leur demander des informations sur leur pratique de la traduction. Dix communes nous ont répondu, ce qui nous permet de mettre en lumière quelques caractéristiques, avant d’aborder plus en détail le cas de Scuol, en Basse Engadine, dont nous avons reçu une réponse très complète et intéressante à plusieurs égards.

impression sur le lecteur. À ce sujet, voir également Giger 1983, p. 23, dénonçant un langage prétentieux cachant (mal) l’approximation. 345 Solèr 2008, p. 146.

69 2.1.2.1 La traduction en idiome dans les communes romanches Nous avons demandé aux secrétaires ou fonctionnaires communaux si des traductions d’allemand en romanche étaient effectuées dans leur commune. Partout, la réponse a été affirmative, même si certains ont d’emblée précisé que la traduction en romanche ne concernait qu’une partie des actes officiels, ou même une (très) petite partie (à Pontresina, où la langue officielle est exclusivement l’allemand, seules sont traduites en romanche des affichettes de la commission culturelle). Nous avons ensuite demandé si les communes avaient édicté un règlement communal réglant spécifiquement la traduction par l’autorité communale. Toutes les communes nous ont répondu par la négative, mais ont pour la plupart immédiatement indiqué l’existence d’un règlement communal sur la langue officielle de la commune (Disentis, Tujetsch, La Punt) ou d’une «constitution» communale (loi d’organisation politique communale, comme à Samedan et Scuol, mais aussi à Medel). Ces dispositions indiquent la ou les langue(s) dont on peut se servir dans la marche des affaires communales et pour certains volets de la vie quotidienne. Le règlement de Disentis346 prévoit non seulement l’usage, mais le maintien et la promotion de la langue romanche, par exemple en n'autorisant aux entreprises locales que les publicités en langue romanche (art.7); la constitution de Scuol347 prévoit (art. 20 et 28) que la langue utilisée à l’assemblée communale et au conseil communal est le «romanche», c’est-à-dire l’idiome vallader, et que les procès-verbaux sont rédigés dans cette langue. Concernant la traduction, les règlements des communes de Tujetsch348 et de Disentis précisent (chaque fois à l’art. 3) que lorsqu’un texte existe en plusieurs versions, seule la version romanche fait foi. C’est également le cas pour Scuol, selon les renseignements reçus de l’administration communale et

346 www.disentis.ch/scripts/index.asp?Lang=R&L1=5&L2=17&L3=47&ID=guichet/guiGesetze.asp&Tit=Cart as%20dil%20di. 347 www.scuol.net/xml_1/internet/rm/application/d132/f151.cfm. 348 www.tujetsch.ch/xml_1/internet/rm/application/d16/f36.cfm.

70 d'après le site Internet de la commune349. En Haute Engadine, la position du romanche est moins forte. Comme il est indiqué plus haut, la langue officielle de Pontresina est l’allemand uniquement (même si l’idiome puter y est enseigné à l’école). Le règlement communal de La Punt reconnaît l’allemand et le puter comme langues officielles, tout comme la constitution de Samedan, à son article 6. Selon les renseignements reçus du préposé au bilinguisme de cette commune, les autorités peuvent décider si les publications se font en une ou en deux langues, mais le plus souvent, les publications se font en allemand seulement. Nous avons ensuite demandé aux communes si elles s’étaient dotées d’un service de traduction. Cela n’était le cas dans aucune de celles qui ont répondu à notre courrier électronique, mais des informations supplémentaires nous ont été fournies sur la manière de procéder lorsque des traductions doivent être effectuées: certaines délèguent cette activité à une association de promotion et de maintien de la langue (Savognin, à l’Uniun rumantscha da Surmeir; Disentis et Tujetsch, en partie à la LR). Une autre, en l’occurrence Samedan, confie les mandats de traductions au préposé communal au bilinguisme. Dans une grande partie des communes, les traductions nécessaires sont effectuées par les fonctionnaires communaux, souvent par le secrétariat communal, selon les besoins et les disponibilités. Certaines, comme Disentis, font également appel à des membres du corps enseignant ou à des personnes intéressées par cette activité. Pontresina fait également appel à des enseignants pour les traductions demandées par la commission culturelle. Nous avons également questionné les communes quant au volume annuel approximatif de la traduction vers l’idiome local, en pages A4. Comme c’était d’ailleurs le cas pour le RG au niveau fédéral global, il ne semble pas

349 Lequel mentionne expressément: «Per l'interpretaziun da ledschas chi'd existan in rumantsch e tudais- ch vala la versiun rumantscha.»

71 que des statistiques soient tenues sur ce point: alors que certaines communes n’ont pu, pour cette raison précise, fournir ne serait-ce qu’une estimation, d’autres ont articulé un chiffre approximatif, compris entre 20 et 100 pages A4, selon la taille et les besoins en traductions des administrations concernées. Concernant la nature des documents traduits, il s’agit en premier lieu de lois et règlements communaux, de circulaires et informations envoyées par la commune à ses habitants, d’avis et de messages officiels, de lettres envoyées par la commune à des destinataires de langue romanche, de rapports de gestion, de procès-verbaux de réunions, mais aussi, dans certains cas, de factures, de décisions administratives ou de contrats. Interrogées sur l’utilisation du RG ou la traduction en RG, les communes ont toutes répondu par la négative: leurs règlements et constitutions ne prévoient que l’utilisation de l’idiome local, même lorsque son appellation (puter, vallader, surmiran, sutsilvan ou sursilvan) ne figure pas expressément dans le texte pertinent. Nous avons également demandé aux communes si et dans quelle mesure des documents étaient rédigés d’abord en romanche350. Cela est le cas principalement là où le romanche est encore bien implanté et où le nombre de locuteurs est proportionnellement important (Disentis, Tujetsch; Scuol), alors que dans les communes où la position du romanche est faible (Samedan, la Punt), la question n’a pas lieu d’être puisque tout se fait d’abord en allemand. Nous avons ensuite demandé si ces textes romanches étaient traduits vers l’allemand: cela semble être fréquemment le cas à Scuol et à Laax, en partie seulement dans les communes de Savognin, Medel et Tujetsch, et rarement à Disentis351.

350 Point évoqué par Grünert 2008 A, p.17, qui souligne que la rédaction en romanche n’existe pas dans les niveaux supérieurs de l’administration étatique (c’est-à-dire sur le plan cantonal). 351 Voir en outre Solèr 1990, p. 17, qui analyse un avis officiel, publié en romanche et en allemand par la commune de Ladir (Surselva), concernant l’achat de sapins de Noël auprès du service forestier communal: même si le texte original est censé être la version romanche, on y sent l’influence de l’allemand. Dans le même ordre d’idée, nous citerons le texte d’un panneau routier aperçu récemment en Surselva, indiquant

72 On voit donc bien, selon les réponses fournies par les diverses communes, que la traduction allemand-idiome est, presque partout, une réalité quotidienne et que les solutions mises en œuvre sont souples et pragmatiques.

2.1.2.2 La traduction en vallader par la commune de Scuol Nous avons reçu de la commune de Scuol des réponses extrêmement détaillées, qui allaient souvent bien au-delà des questions que nous lui avions adressées, notamment concernant la demande de traduction, la méthode suivie et certaines ressources utilisées. Nous mentionnons ci- après les points qui nous paraissent les plus intéressants. Outre la constitution évoquée précédemment, la commune de Scuol352 applique deux dispositions qui exercent une influence sur l’usage de la langue: un règlement qui oblige les entreprises à indiquer la nature de leurs activités (p. ex. devantures de magasins) et à faire leur publicité en romanche ou combiné avec une seconde langue (qui est presque toujours l’allemand), mais aussi un règlement intercommunal adopté il y a une quinzaine d’années par les onze communes de la Basse-Engadine, qui y règle de manière détaillée l’usage du romanche (idiome vallader) comme langue officielle. La Chancellerie communale effectue non seulement les traductions dont la commune a besoin presque quotidiennement, mais également, de temps à autre, des traductions sur demande de tiers, personnes morales ou physiques résidant dans la commune ou en dehors. Dans ce dernier cas, le transfert se fait aussi bien du romanche à l’allemand que dans l’autre sens.

que l’accès à un chemin vicinal est réservé aux détenteurs d’une autorisation. Le texte romanche est «Lubiu cun lubientscha» (littéralement: «autorisé avec autorisation»), dans lequel on reconnaît l’allemand «Mit Bewilligung gestattet». Le hic est ici que «gestatten» est traduit par «lubir», et «Bewilligung», par «lubientscha»… 352 En chiffres: www.scuol.net/xml_1/internet/rm/application/d118/f120.cfm. Carte: http://map.search.ch/scuol.

73 Pour les organisations et entreprises, les documents sont le plus souvent des statuts, des rapports annuels, des annonces, des publicités ou des panneaux d’information. Les privés adressent parfois à la commune des demandes inattendues: traduction en romanche de cartons d’invitation à une fête ou à un mariage, d’extraits d’allocutions, de sgrafits (inscriptions ornant la façade des maisons traditionnelles engadinoises)353 ou même des paroles d’une pièce chorale romanche, à l’intention d’un chœur d’une autre région du pays! Dans la mesure du possible, la chancellerie communale de Scuol essaie de satisfaire à ces demandes, dans l’espoir de promouvoir l’usage du romanche et d’assurer bienveillance et sympathie à son égard. Interrogé sur l’utilisation du RG, le secrétariat ajoute un élément intéressant à sa réponse négative. Si le RG n’est jamais utilisé dans les textes publiés par la commune, il sert néanmoins de «langue auxiliaire» au moment de leur préparation, et ce par deux canaux distincts: d’une part, le dictionnaire RG-allemand Pledari Grond (www.pledarigrond.ch, cf. le sous- chapitre 2.5 ci-dessous consacré aux outils à disposition des traducteurs romanches) est utilisé pour la terminologie technique, administrative ou juridique. Les termes adoptés en RG sont ensuite «transformés en vallader» (sans autre précision sur le processus exact de «transformation»); d’autre part, il arrive que des textes en RG (par exemple des lois cantonales) soient utilisés pour opérer une transposition en vallader, qui semble être plus simple et plus pragmatique qu’une traduction intégrale depuis l’allemand. La méthode utilisée pour les traductions en vallader est également décrite avec soin: la secrétaire de la chancellerie communale précise qu’elle traduit de l’allemand au romanche phrase par phrase et, lorsque les circonstances le permettent, qu’elle prend le temps de laisser reposer un moment le texte

353 Voir à ce sujet le film au titre éponyme, réalisé en 2006 par Susanna Fanzun, dont un résumé en allemand est disponible sur le site de la télévision romanche: www.rtr.ch/rtr/index.html?siteSect=71005&sid=7354163&cKey=1233772689000.

74 romanche avant de procéder à d’éventuelles corrections. Outre le contenu, elle attache une grande importance à la forme romanche et à l’accessibilité du texte, qui doit être égale à celle de la version allemande. Lorsque des textes doivent être créés de toutes pièces, ils le sont d’abord en romanche, avant d’être traduits vers l’allemand. Les dictionnaires utilisés sont le dictionnaire de Gion Tscharner354, ainsi que le Pledari Grond évoqué plus haut. Il arrive que la personne responsable des traductions s’inspire de solutions à disposition dans des textes rédigés dans d’autres langues romanes, par exemple en français et en italien. Enfin, concernant la révision, le principe des quatre yeux est appliqué puisque les traductions sont relues par le chancelier communal. La secrétaire de la chancellerie qui nous a décrit ce processus de travail nous a également précisé, après coup, qu’elle n’est pas traductrice de formation, et que sa langue maternelle n’est pas l’idiome vallader, mais l’allemand. Dans ce cas, nous pouvons dire que la situation est empreinte d'un grand pragmatisme, mais aussi que la personne concernée applique une méthode structurée assurant au produit une certaine qualité355.

2.1.3 La traduction littéraire vers les idiomes La traduction littéraire vers les idiomes a une grande tradition. Nous avons choisi de présenter ci-dessous trois traducteurs romanches, également écrivains, et leur conception de la traduction. Les opinions de ces auteurs étant très intéressantes et pertinentes, nous avons jugé utile d'en traduire de larges extraits afin de les rendre accessibles au lecteur francophone. Chaque présentation se terminera par un extrait en

354 Dicziunari puter – tudas-ch, Wörterbuch deutsch – puter, 3a ediziun revaisa, Meds d’instrucziun dal Grischun, Cuira, 2007. 355 Bien entendu, on ne peut que rappeler qu’on est loin des critères de qualité prônés par l’ETI ou d’autres écoles équivalentes, notamment en ce qui concerne l’exigence de langue maternelle. Mais ces critères sont-ils vraiment applicables à la situation décrite? Nous répondons par la négative.

75 romanche d'une œuvre de chacun d'entre eux, pour laisser aux auteurs le mot de la fin.

2.1.3.1 Trois figures contemporaines de la traduction romanche Nous désirons immédiatement rappeler que bien d’autres traducteurs, contemporains ou non, auraient pu être cités dans ce travail. Le choix, forcément partial, a été celui du cœur356. Nous invitons le lecteur intéressé à connaître d’autres noms de la traduction romanche récente à consulter l’ouvrage «La traducziun litterara», publié en 1983 sous la responsabilité d’Iso Camartin, Clo Duri Bezzola et Felix Giger, ainsi que le magnifique livre de Gabriel Mützenberg, consacré à la littérature romanche357.

2.1.3.1.1 Ursicin Gion Gieli Derungs Né en 1935 à Vella (Val Lumnezia, Surselva), élève de l’écrivain Toni Halter, puis professeur et écrivain358, traducteur d’œuvres de Dante, Goethe et Shakespeare359, Ursicin Gion Gieli Derungs a des choses très intéressantes à dire sur les langues, le romanche et la traduction. Voici tout d’abord une remarque sur la diglossie caractérisant les locuteurs romanches:

«Der unvermeidliche Bilinguismus der Rätoromanen, der eigentlich eine Chance ist, führte zu einer weit in die Geschichte zurückreichende Aufteilung der Kompetenzen. Der rätoromanischen Sprache stand vorwiegend der Alltag, das religiöse und politische Leben, die volkstümliche Heimatliteratur zu, während das und dem deutschen Sprachbereich zugehörte.»360

356 Deux d’entre eux mettent en avant le rôle d’«artisan de la paix» du traducteur (évoqué lors de certains cours à l’ETI) et le troisième, l’amour de la langue maternelle. 357 La traducziun litterara, 6/2, édité par l’union des écrivains romanches, Coire, 1983 (ouvrage disponible aux Archives littéraires suisses de la Bibliothèque nationale suisse, à Berne). Gabriel Mützenberg, Destin de la langue et de la littérature rhéto-romanes, l’Age d’Homme, Lausanne, 1991. 358 Mützenberg 1991, pp. 198-199. 359 Derungs 2008, p. 123; mais aussi du célèbre Se questo è un uomo, de Primo Levi (traduction qui n’a malheureusement pas été publiée). 360 Tschuor 1998, pp. 145-146, citant Urcisin Gion Gieli Derungs.

76 Ce qui fait dire à l’auteur qu’il est logique qu’il ne soit jamais venu à l’idée d’un Romanche (si une traduction était un jour disponible) de lire Tolstoï dans son idiome, ou même d’imaginer qu’une telle traduction puisse un jour exister, alors qu’il lira le plus normalement du monde cet auteur dans l’une de ses traductions allemandes361. Dans un article paru en 2008 aux Annalas da la Societad Retoromontscha, intitulé Translatar: creativitad e cumpromiss362, Urcisin Gion Gieli Derungs nous parle de son expérience de la traduction littéraire mais, d’abord, de la littérature: «La littérature est, en soi, de la traduction. Où donc est l’original? De manière un peu superficielle, on pourrait répondre: il est partout. Par exemple dans nos têtes, dans les têtes de ceux qui écrivent. Ce que nous mettons sur le papier est une transposition de ce que nous avons dans la tête, une vraie traduction363. Et, comme toute traduction, celle-ci ne sera pas toujours la meilleure version possible. Elle peut être bonne ou médiocre. Si elle est médiocre, c’est peut-être parce que l’‘original’ est médiocre. En d’autres termes: médiocre, parce que nous n’avons pas grand- chose à dire, ou encore parce que nous ne faisons qu’effleurer de notre plume un sujet qui mériterait plus d’attention, de tranchant, de précision et de force.»364 Par la suite, Derungs décrit le caractère obligatoire de la traduction pour toute personne appartenant à un monde minoritaire: «Toute personne appartenant à une minorité doit, tôt ou tard, ‘traduire’ pour vivre. Elle doit comprendre dans sa langue ce qui provient de la langue étrangère. Elle devient bilingue. Il peut s’agir d’un bilinguisme très primaire, complémentaire, dans le sens qu’un langage s’immisce dans les

361 Tschuor 1998, p. 146, citant Urcisin Gion Gieli Derungs. 362 “La traducziun: creativitad e cumpromiss”, in: Annalas da la Societad Retorumantscha, 2008, vol. 121, pp. 105 – 130. 363 Berman 1993, p. 47, citant Hamann: «Parler, c’est traduire – d’une langue angélique en une langue humaine.» 364 Derungs 2008, p. 105 (traduction de l’auteur du présent mémoire). À ce sujet, voir également Berman 1993, p. 47, citant Hamann.

77 lacunes de l’autre. Un bilinguisme imparfait, mais commode, qui traduit aussi peu que possible.»365 Et l’auteur d’illustrer son propos avec l’exemple de phrases romanches truffées de termes allemands366. Il poursuit: « […] On peut penser que tout Romanche est appelé, tôt ou tard, à devenir traducteur professionnel. Il est en tout cas traducteur, peut-être en raison des circonstances, le plus souvent sans en être conscient.»367 Il s’interroge sur sa motivation, sur les raisons qui le poussent à traduire: «En quoi consiste cette envie, à quoi tient ce besoin? Peut-être à celui de se ‘dire à soi-même’ ce qu’on entend de la bouche des autres. C’est peut-être cela, au fond, que l’on entend par ‘traduction’: se dire à soi-même et, au gré des circonstances, le dire aussi à d’autres.»368 Concernant la signification pratique de la traduction, il nous explique ce qui suit, en citant Schleiermacher et Rosenzweig: «Traduire, c’est porter le texte (étranger) au lecteur, mais c’est aussi le contraire: porter le lecteur au texte (étranger). Ou, en d’autres termes: le traducteur doit servir deux maîtres: l’étranger, dans son œuvre, et le lecteur, dans son désir de comprendre.»369 Dans la conclusion de l’article, Ursicin Gion Gieli Derungs évoque d’autres regards possibles, éthique, sociologique, anthropologique, sur la traduction: «Il y aurait encore tant à dire: aujourd’hui plus que jamais, à une époque où la rencontre entre représentants de divers peuples, provenant de continents différents, n’a pas pour seule conséquence d’effrayer, mais aussi de fasciner. Une nouvelle culture de la coexistence, du partage, devient nécessaire. À son service, la traduction, plus ancien moyen de

365 Derungs 2008, p. 107. Voir également Solèr 2002, p. 261, qui qualifie ce système, caractérisé par de nombreuses interférences, de «mentale Symbiose». 366 Voir également Furer 2001, p. XXI. On en trouve un exemple amusant chez Solèr 2002, p. 255, concernant le chemin de fer: «Anguoscha da Dieu! Schnell istige! Il Zugführer ho gia tschüvlo per la abfahrt. Na, que eira be per la Berninabahn. Allura puodessans tuottüna istige perché il zug es sowieso überfüllt.» Il poursuit avec une liste de verbes à particules et de substantifs adaptés de l’allemand, par exemple «il ferstan» pour rendre le substantif allemand «der Verstand», alors que le mot romanche original est «igl entelletg» (pp. 256-257). 367 Derungs 2008, p. 107. 368 Derungs 2008, p. 108. 369 Derungs 2008, p. 128; Pym 1997, pp. 21 et 106, concernant spécifiquement le client.

78 communication entre étrangers et indigènes, peut recevoir une signification nouvelle. Aussi et avant tout pour les minorités. Le philosophe français Paul Ricœur appelle la traduction hospitalité linguistique. En tant que telle, elle serait partie intégrante de l’hospitalité entre les peuples, au sens le plus large.»370 Voici, pour conclure, un extrait du Saltar dils morts (la danse des morts), écrit en sursilvan par Ursicin Gion Gieli Derungs:

«Sperar ei per aschia dir semiar cun egls aviarts de caussas realas. Mo nus che avein restrenschiu la realitad sin las paucas fatschentas de mintgadi che nus numnein productivas, nus che senumnein pervia da quei loschamein ‚realists’, vein piars la mesadad dil mund real e perquei la speronza. Sche la via digl uffiern ei sulada cun speronzas satradas, lu sa quella dil parvis mo consister enten cavar si las speronzas e dar

veta ad ellas.»371

2.1.3.1.2 Andri Peer Né en 1921 à Sent372, décédé en 1985 à Winterthur, professeur de français et d’italien au gymnase de Winterthur, chargé de cours à l’Université de Zurich (langue et littérature rhétoromanes), poète, écrivain, dramaturge et membre actif des associations romanche et suisse des écrivains373, traducteur notamment de Dante, Maurice Chappaz ou Gian Fontana374, Andri Peer est l’auteur de plusieurs essais, nouvelles, pièces de théâtre et recueils de poèmes375, mais aussi de livres pour enfants. Voici le sous-titre – très parlant – de l'un de ses articles paru dans La traducziun litterara en

370 Derungs 2008, p. 130; Lefevere 1992, p. 17, citant Schlegel: «[…] cosmopolitan center for mankind». 371 «Espérer, c’est pour ainsi dire rêver, les yeux ouverts, de choses réelles. Mais nous qui avons ramené la réalité aux quelques affaires du quotidien, celles que nous appelons productives, nous qui, pour la même raison, nous qualifions de «réalistes», nous avons perdu la moitié du monde réel et, pour cette raison, l’espérance. Si le chemin des enfers est pavé d’espoirs enterrés, alors celui du paradis ne peut consister qu’à les faire sortir de la terre et leur redonner vie.» Derungs 1982, p. 115 (traduction de l’auteur du présent mémoire). 372 Mützenberg 1991, p. 141: magnifique passage sur la jeunesse d’Andri Peer. 373 http://rm.wikipedia.org/wiki/Andri_Peer. 374 Solèr 1990, pp. 32-33. 375 Mützenberg 1991, p. 141: www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Peer/175944.

79 1983: «Traduire, reproduire, introduire. Valeur, dignité et importance accordée à la traduction littéraire.»376 Voici comment Andri Peer y décrit sa conception de la traduction littéraire: «La traduction littéraire, un sujet si vaste qu’il a de quoi faire peur. Mais aussi un réconfort, une raison de manifester sa reconnaissance, un moyen grandiose d’œuvrer à ce que les peuples de cette Terre apprennent à se connaître, de les amener à se surpasser et, comme on peut l’espérer, à s’aimer et à s’entendre, pour échapper aux conflits habituellement dictés par l’ignorance et par l’envie. Nous nous inclinons devant les grands traducteurs, médiateurs d’un esprit universel, diplomates eux aussi; leur voix est malheureusement trop peu entendue, mais toujours présente lorsque le bon sens régit les relations avec le monde étranger, pour rendre cet ailleurs plus familier, lui donner un visage plus avenant.»377 Après avoir rendu hommage aux traducteurs romanches du passé378, Andri Peer dit toute l’importance de la traduction pour les gens de langue romanche: « […] Une littérature minoritaire (qui plus est partagée, à l’écrit, entre plusieurs idiomes) ne peut se passer de compléter sa propre production, forcément modeste […] Renoncer à nous nourrir [de la littérature des pays alentour] alors que nous en sommes si proches, alors que nous y avons accès par le biais de traducteurs plus ou moins capables, reviendrait à nous asphyxier, nous, petit peuple romanche si ouvert sur le monde et impliqué dans l’histoire, non seulement de la Suisse, mais de l’Europe entière.»379 Puis Andri Peer nous livre, en quatre points, sa définition du traducteur idéal: «- Il maîtrise sa langue maternelle, celle vers laquelle il traduit, jusque dans les plus petits détails et sait tirer parti de toutes ses ressources.

376 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 174 (traduction de l’auteur du présent mémoire). 377 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 174 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire). 378 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 175 in fine. 379 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 176 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire).

80 - Il connaît à fond la langue depuis laquelle il traduit et, confronté à quelque incertitude, s’informe au gré des besoins (en interrogeant l’auteur lui-même ou des spécialistes, en consultant des dictionnaires […]). - Il est conscient qu’en traduisant bien, ou même à la perfection, il ne transmet pas seulement des informations, des événements et des faits, racontés dans une langue peu accessible, mais un monde, un univers rendu dans son entier, dans toute sa complexité. Ce n’est qu’à cette condition que son lecteur pourra éprouver la même joie que celui qui est en mesure de comprendre le texte original. - C’est pour cette raison que les meilleurs traducteurs ne sont pas ni n’ont été des auteurs à la verve originale, à la personnalité forte. Ils ont bien sûr écrit de leur côté, mais jamais dans l’intention de rivaliser avec leurs ‘clients’, les auteurs qu’ils ont traduits.»380 Et Andri Peer ajoute: «Traduire: pour apprendre, s’enquérir du monde, rendre hommage; pour informer, servir et adhérer à une cause.»381 Et, à l’intention de ceux qui douteraient du bien-fondé de la traduction, parce qu’y voyant une forme de concurrence déloyale à l’égard de la production littéraire locale: «[…] Nos traductions romanches d’œuvres de la grande littérature européenne […] n’ont jamais mis en danger notre production littéraire locale, aujourd’hui moins que jamais, à une époque où beaucoup lisent plus facilement l’allemand que le romanche […]»382.

380 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, pp. 178-179 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire). 381 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 185 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire). 382 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 193 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire).

81 Nous ajoutons, en guise de conclusion, un poème en vallader d’Andri Peer, Quai ch’ins mangla, dont les traductions française (par Jean-Jacques Furer) et allemande (par Bruno Oetterli) sont publiées sur Internet383:

Quai chi’ns mangla Quai chi’ns mangla, amis,! Ais curaschi. ! Curaschi da tour il pled ! Intant ch’el ais bugliaint;! Da nomnar la peidra peidra! E’l sang sang! E la temma temma. Ün di gnarà la naiv gronda, ! E lura, aint il sbischöz,! Saraja grev! Da’s dar d’incleger.384

2.1.3.1.3 Tista Murk Né en 1915 à Müstair, décédé en 1992 à Trun, Johann Baptista «Tista» Murk a été poète, écrivain, metteur en scène, traducteur notamment de pièces de théâtre, bibliothécaire et pionnier de la radio et de la télévision romanches385. Voilà ce qu’il dit, dans un savoureux dialogue avec lui-même, sur son activité de traduction: «– Traduire est pour moi comme respirer, consciemment, pour envoyer de l’oxygène dans tout mon corps, jusqu’aux plus fins capillaires. En traduisant, je sais comment se porte ma langue, et quand elle a besoin, pour se régénérer, de respirations plus profondes. Comme, de temps à autre (surtout lorsqu'un mal se manifeste), j’aère et purifie mon corps en respirant vingt fois profondément, posément. Traduire revient à prendre le

383 www.culturactif.ch/poesie/peer.htm. Pour qui s’intéresse au personnage d’Andri Peer, la LR a édité un DVD que l’on peut commander à l’adresse http://fm.rumantsch.ch/lr/rm/FMPro?-db=cudeschs.fp5&- format=ven_detagls.html&-token=12587285&-lay=endatar&RecID=2432&-find. 384 Ce qui nous manque // Ce qui nous manque, amis, / c’est le courage. / Le courage de prendre la parole / tant qu’elle est bouillante; / de nommer pierre la pierre / et sang le sang / et peur la peur. // Un jour viendra la grande neige, / et alors, dans la tourmente, / il sera difficile / de se faire entendre. (traduction de Jean-Jacques Furer) 385 www.buchstart.ch/de/autoren/Murk_Tista/789.html.

82 pouls du langage, pour en vérifier, dans l’expression, l’habileté et la souplesse. Traduire, c’est être capable d’utiliser un vocabulaire adéquat, s’y exercer pour parvenir à dire les choses de manière simple et claire. En traduisant avec sensibilité, l’on sera compris des sots comme des sages386, tout en s’assurant de rester soi-même, quelle que soit la situation. – Tu n’exagères pas un tantinet, là? – Si, si, c’est comme ça: je n’ai vraiment appris – et ne continue d’apprendre – ma langue maternelle qu’en traduisant d’autres langues»387. L’auteur explique que c’est la rencontre avec un enseignant, le père Maurus Carnot, qui aura été décisive pour son amour du romanche. Cet enseignant de la Surselva, lui-même auteur et traduit plus tard de l’allemand en vallader par Murk, a su lui faire comprendre que ce qui relève des sentiments s’exprime mieux en langue maternelle, mais aussi que pour maîtriser celle-ci, il faut s’astreindre à quelque effort, et que c’est en traduisant en romanche des textes rédigés dans d’autres langues que l’on y parvient le mieux388. Ecoutons encore Tista Murk: «Traduire nous rend sensibles aux beautés, à la finesse de notre langue maternelle, à sa force, également. Traduire permet d’en dessiner les contours, d’y rendre sensibles sa langue, ses oreilles, son cœur et son âme. La traduction nous amène aux sources profondes de notre langue. D’ailleurs, chaque littérature a débuté par la traduction d’œuvres provenant d’autres mondes linguistiques. Les Romains seraient-ils devenus ce qu’ils ont été sans avoir traduit et adapté des œuvres, sans en avoir assimilé la sagesse? Les Allemands, pour ne mentionner qu’eux, ont aussi appris de la traduction, surtout du français et de la littérature classique. […]

386 Mützenberg 1991, p. 144, cite Andri Peer, exprimant en ces termes une semblable préoccupation: «Trouver un sentier à travers l’éboulement». 387 Tista Murk, in: La traducziun litterara, 1983, p. 208 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire). 388 Tista Murk, in: La traducziun litterara, 1983, pp. 208-209.

83 Pour ma part, je ne maîtrise pas encore assez bien le romanche pour arrêter de me baigner dans les langues étrangères, si possible néo- latines. Parce qu’à cause de cette «germanite» qui se répand, je crains de perdre mon identité latine. Même si la traduction n’est pas chose facile, c’est comme ça que je procède.»389 L’auteur exprime son espoir de voir traduits en romanche plus d’auteurs s’exprimant dans des langues néo-latines, traductions qui auraient selon lui l’avantage (outre celui de mieux les connaître pour elles-mêmes) de montrer aux Romanches, par effet de miroir, à quels points ils sont germanisés. Nous laisserons également le mot de la fin à Tista Murk:

«E surtuot, quai chi quinta per far üna buna traducziun sun forza e creatività dal

traductur. Tradüer es plü grev co scriver svess.»390

2.1.3.2 La traduction de pièces de théâtre Comme nous l’évoquions brièvement dans la première partie, les activités théâtrales font partie de la vie de nombreux villages391. Dans son ouvrage «Laax ed il Teater», Mariano Tschuor, journaliste, auteur, metteur en scène et traducteur392, revient sur quelques spectacles montés dans ce village. Concernant la pièce mise en scène en 1987, «Romulus le Grand» de Friedrich Dürrenmatt393, il note qu’il n’est pas facile de traduire Dürrenmatt en romanche pour le faire jouer dans le cadre d’une troupe amateur. Quoi qu’il en soit, vu le nombre extrêmement restreint de pièces

389 Tista Murk, in: La traducziun litterara, 1983, pp. 209-210 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire). 390 Tista Murk, in: La traducziun litterara, 1983, p. 210. «Et puis, ce qui compte surtout pour faire une bonne traduction, ce sont la force et la créativité du traducteur. Il est plus difficile de traduire que d’écrire.» (Propos traduits par l’auteur du présent mémoire) 391 Tschuor 1998, p. 146, citant Urcisin Gion Gieli Derungs; Mützenberg 1991, pp. 116-117, qui note toutefois un certain déclin de ces activités rassemblant toute une communauté autour d’un événement. Voir également la page du site de la LR consacrée aux textes de théâtre: http://fm.rumantsch.ch/lr/rm/FMPro?-token=12587479&-db=cudeschs.fp5&-lay=web&- format=ven_resultats.html&-error=ven_resultats.html&-max=20&-lop=AND&-op=cn&Idiom=*&- op=cn&Gener=teater&-sortfield=Titel&-sortorder=ascending&-find. 392 Actuel directeur de la RTR: www.srgssrideesuisse.ch/fr/srg-ssr/organes/comite-de- direction/mariano-tschuor/. 393 Romulus der Grosse, 1948.

84 de théâtre écrites en langue romanche394, il ne reste à une troupe romanche un peu plus ambitieuse que de chercher des œuvres écrites dans d’autres langues395. Pour Romulus, une première traduction avait été effectuée en 1985 par Madame Anna Janki, sur mandat de la LR. Puis le metteur en scène Mariano Tschuor a revu le texte et en a livré une version partiellement modifiée, qui sera utilisée pour monter le spectacle396. En 1988, Mariano Tschuor a monté à Laax la pièce Roméo et Juliette, un projet très ambitieux qui a mobilisé beaucoup de monde à Laax et obtenu un grand succès397. La traduction du texte original de Shakespeare a été confiée à Urcisin Gion Gieli Derungs, qui avait par ailleurs déjà traduit Andorra, de Max Frisch, pour le théâtre de Domat/Ems en 1981. Alors qu’il envoie à Mariano Tschuor un extrait de la traduction romanche, Derungs note qu’il n’est pas chose aisée de traduire Shakespeare vers le romanche parce qu’on ne traduit normalement pas, dans cette langue, à un niveau supérieur de celui du parler quotidien398. En septembre 1987, metteur en scène et traducteur travaillent ensemble à raccourcir le texte traduit, afin de limiter le spectacle à deux heures399. L’exemple des pièces de théâtre montées à Laax montre que des thèmes politico-historiques peuvent également être abordés: pour le spectacle de 1994, Mariano Tschuor traduit une célèbre pièce de l’Allemand Erwin Sylvanus400, qui revient sur la tragique période de l’occupation nazie en Pologne et du ghetto de Varsovie401. Dans une lettre adressée aux acteurs qui attendent la version romanche du texte, Tschuor confie que la traduction en romanche n’a pas été facile, moins pour des questions

394 Tschuor 1983, p. 16. 395 Tschuor 1998, p. 126. 396 Tschuor 1998, p. 122. 397 Tschuor 1998, p. 153. 398 Tschuor 1998, p. 144. 399 Tschuor 1998, p. 145. 400 Korczak und seine Kinder, dont la première eut lieu en 1957 à Mönchengladbach. Cette pièce, dont le cadre historique est la Shoah, a été traduite en quatorze langues. 401 L’affiche du spectacle donné à l’époque en Surselva reprend d’ailleurs la célèbre et triste photographie montrant un jeune garçon juif, bras levés devant les soldats allemands qui le tiennent en joue…

85 linguistiques qu’en raison du contexte historique, précisant qu’à maintes reprises, il avait eu la gorge serrée et les larmes aux yeux402. Au-delà du choix des pièces par les diverses troupes de théâtre romanches, Tschuor souligne toute l’importance de la pratique théâtrale par rapport à la conservation de la langue403.

2.1.3.3 La traduction de bandes dessinées et de livres pour enfants On trouve relativement peu de bandes dessinées traduites en romanche: il n’est pas facile de convaincre un grand éditeur étranger (ni de trouver les fonds nécessaires) pour un tirage qui restera de toute manière très limité! On peut néanmoins mentionner l’existence de deux albums de Tintin (Il giomberet cun las forschs d’aur et L’insla naira)404, de trois albums d’Astérix (Asterix il legiunari, Il foss grond et Asterix ed ils Helvets)405 ainsi que l’album Jo, de Derib, qui avait été édité dans toutes les langues nationales dans le cadre d’une campagne contre le sida406. Concernant les traductions dans l’un ou l’autre idiome de livres pour enfants, on trouve par exemple des contes des frères Grimm, Il Prenci pignet d’Antoine de St-Exupéry, Pinocchio de Carlo Collodi, Heidi de Johanna Spyri, Emile e’ls detectivs d’Erich Kästner, Gion e Clo [Max et Moritz] de Wilhelm Busch ou encore Nils Karlsson-poldschin [Bertrand au pays des lutins] d’Astrid Lindgren. Mentionnons pour terminer que, depuis quelques années, des livres pour enfants sont également traduits en RG407.

402 Tschuor 1998, p. 211. 403 Tschuor 1983, p. 18. 404 Respectivement Le crabe aux pinces d’or et L’île noire, disponibles sur le site de la LR. 405 Respectivement Astérix légionnaire, Le grand fossé et Astérix chez les Helvètes, aujourd’hui épuisés, selon Gross 2004, p. 75. 406 Disponible sur le site de la LR. 407 Gross 2004, p. 74: série «Egls averts», adaptée de l’anglais.

86 2.2 Le romanche comme langue de départ

2.2.1 La littérature romanche La littérature romanche est bien vivante, et on en découvrira les diverses facettes avec bonheur en se laissant guider par Gabriel Mützenberg408, Iso Camartin ou Arthur Baur. Si ces trois auteurs ne sont pas forcément d’accord sur la valeur à accorder à la littérature du pays romanche (ou, à tout le moins, sur la fréquence à laquelle on peut en attendre une œuvre de haute qualité)409, il n’en demeure pas moins que des auteurs romanches ont été traduits, principalement vers l’allemand (dans certains cas, les auteurs ont traduit, adapté leur texte romanche en allemand, ou l’ont écrit conjointement en allemand410). Les traductions vers le français sont, elles, bien moins fréquentes, mais les œuvres de quelques auteurs ont été traduites à l’intention des lecteurs de cette langue.

2.2.1.1 La traduction littéraire du romanche vers le français

2.2.1.1.1 Les auteurs traduits du romanche en français Sans prétendre à l’exhaustivité, nous mentionnerons ici les auteurs sursilvans Gian Fontana, Ursicin Gion Gieli Derungs et Leo Tuor, ainsi que les Engadinois Clà Biert, Oscar Peer, Andri Peer, Luisa Famos et Rut Plouda.

2.2.1.1.2 À la mémoire d’une traductrice du romanche… Parmi les traducteurs des auteurs mentionnés ci-dessus, on trouve Marie- Christine Gateau-Brachard, malheureusement disparue il y a quelques années, à qui l’on doit les versions françaises de Fain manü (Fine fleur, 1997, éditions Zoé) de Clà Biert, d’Accord (Coupe sombre, 1999, éditions

408 Voir son Anthologie rhétoromane publiée à l’Age d’Homme, Lausanne, 1982, ainsi qu’un entretien (en français) avec l’écrivain Flurin Spescha: www.culturactif.ch/invite/mutzenbergentretien.htm. 409 Camartin 1989, pp. 233-234, pour qui «bien des choses très valables pour l’usage interne deviennent fades et superficielles en passant le mur de la traduction.» 410 Exemple tout récent: Sez Ner, d’Arno Camenisch, écrit en sursilvan et en allemand, traduit de l’allemand au français par Camille Luscher (Sez Ner, Editions d’en bas, 2010, édition trilingue).

87 Zoé)411, La Rumur dal flüm (La rumeur du fleuve, 2001, éditions Zoé), Eva (Eva, 2004, éditions Zoé) d’Oscar Peer, ainsi que du Cavalut verd (Le poulain vert, 2003, éditions de l’Aire) d’Ursicin Gion Gieli Derungs. Oscar Peer, dans l’hommage qu’il rend à sa traductrice, raconte de manière très touchante sa réaction à la lecture de la première traduction en français d’une de ses œuvres («une singulière et belle surprise»)412. Il ajoute également, à propos de la collaboration avec feu Madame Gateau- Brachard: «Elle m'envoyait un chapitre à la fois, je corrigeais certains mots ou certaines tournures qu'elle avait mal compris, qu'elle ne pouvait pas connaître ni trouver dans le dictionnaire (essayez donc de comprendre la langue des paysans!). Je faisais des propositions, celle-ci surtout: ne pas s'arrêter trop rigoureusement à chaque détail de ma phrase ladine, se permettre une certaine liberté, car dans ce cas l'essentiel n'est pas la fidélité littéraire, mais un bon français, lisible pour les francophones. Elle le savait, bien sûr, mais le travail sur le texte d'un auteur était pour elle une question de conscience.» Et, quelques épisodes de leur collaboration lui revenant en mémoire: «Je pense au mystère de nos rencontres inattendues. Nous parlons de ‘hasard’, sans savoir dans le fond ce que hasard veut dire ni d'où il vient. À Marie-Christine, je suis redevable de la rencontre avec un monde plus vaste, avec la Suisse romande, avec les lectrices et les lecteurs de cette région de notre pays que nous connaissons trop mal, nous autres montagnards; une rencontre avec l'une des grandes langues culturelles de l'Occident, riche de tradition. Mais cela a surtout été une rencontre avec un être d'exception.»

411 Œuvre présentant la particularité, comme d’ailleurs le Giacumbert Nau de Leo Tuor, d’être traduite vers l’allemand, le français et l’italien. 412 www.culturactif.ch/traducteurs/gateaubrachard.htm.

88 2.2.1.1.3 Difficultés spécifiques de la traduction du romanche au français Gunhild Hoyer, traductrice de Sco scha nüglia nu füss de Rut Plouda (Comme si de rien n’était, 2003, Editions d’en bas), indique dans la postface les trois difficultés auxquelles on doit s’attendre en entreprenant la traduction française d’un texte romanche413: - l’abondance, en romanche, de mots désignant des objets très précis de la vie quotidienne. La traductrice met en œuvre trois stratégies, selon la situation: utilisation du mot français le plus proche, d’une périphrase ou (dans un cas) du mot romanche original, avec l’insertion d’une note du traducteur chaque fois que c’est nécessaire414; - l’utilisation très fréquente d’adverbes placés à la suite des verbes, usage que la traductrice nous explique en ces termes: «Presque toutes les phrases romanches contiennent des adverbes de temps et surtout de lieu ‘avant’, ‘après’, ‘en bas’, ‘en haut’, ‘ici’, ‘là-bas’, ‘à côté’, ‘en biais’, ‘en face’. Ce nombre élevé d'adverbes est une caractéristique du romanche. Une traduction mot à mot en français aurait été illisible. La traduction a tenté de prendre en compte toutes les idées et de les intégrer dans une phrase française ordinaire qui ne rebuterait pas la lecture courante ou qui n'agacerait pas par toutes ces précisions inhabituelles en français»415; - l’inversion verbe-sujet, à l’image de l’allemand. À cet égard, la traductrice applique le principe suivant: «La traduction du romanche en français ne doit pas conserver la place du sujet après le verbe, comme le fait le romanche, même dans une prose aussi poétique que celle de Rut Plouda. Une telle servitude de la traduction aboutirait à un français artificiel et maniéré.» Et à construire des phrases françaises à l’image du vers: Sous le

413 Gunhild Hoyer, in: Plouda 2003, pp. 103 ss. 414 Gunhild Hoyer, in: Plouda 2003, pp. 103-104, prenant l’exemple de la «palorma» (littéralement: le «pour-l’âme», verre d’eau-de-vie bu par le chasseur pour l’âme du chamois qu’il a abattu). 415 Gunhild Hoyer, in: Plouda 2003, p. 104.

89 Pont Mirabeau coule la Seine. Gunhild Hoyer précise: «On peut parfois imiter Apollinaire, mais pas dans toutes les phrases.»416 Orientant ses explications vers le récit de Rut Plouda, poème en prose relatant à travers mille détails le deuil de son enfant par une mère, la traductrice souligne également les limites de la traduction: «La mise en français d'un texte aussi complexe dans sa simplicité ne supporte pas le mot à mot. Si la traduction colle toujours au texte romanche, elle a aussi veillé à ne pas dérouter le lecteur francophone qu'il faut parfois, à l'aide d'une petite modification, orienter vers le sens du texte. C'était une nécessité pour conserver l'essentiel d'un poème en prose qui raconte les sursauts d'une mémoire douloureuse et tenace. Ce deuil avec mille et un détails quotidiens présente au lecteur un texte plus poignant que bien d'autres expressions rhétoriques de la douleur. La traduction en demeure imparfaite; nous avons simplement essayé de servir cette prose poétique et de la rendre accessible à un lecteur habitué aux rationalités contraignantes de la langue française.»417

2.2.1.1.4 Allemand, romanche et français Arnold Spescha a consacré un article aux différences de structures entre le romanche, l’allemand et le français418. Ses lignes, opposant souvent l’allemand au romanche et au français, sont intéressantes et précieuses pour les traducteurs vers ces deux langues. Son propos rappelle les ouvrages de stylistique comparée (il cite d’ailleurs l’ouvrage d’Alfred Malblanc, Stylistique comparée du français et de l’allemand). L’auteur analyse le traitement à donner aux substantifs composés allemands (deux substantifs reliés par une préposition, un substantif accompagné d’un adjectif, un substantif unique), aux termes collectifs, aux

416 Gunhild Hoyer, in: Plouda 2003, p. 104. 417 Gunhild Hoyer, in: Plouda 2003, p. 106. 418 Publié aux Annalas da la Societad Retorumantscha, 1986, vol. 99, pp. 7-39.

90 adjectifs et aux adverbes, notamment de lieu et de direction, qui constituent l’une des difficultés majeures du romanche419. Cet article a aussi le mérite de rappeler toute l’influence de la langue maternelle sur le regard porté par une personne sur le monde qui l’entoure: elle est «in instrument, cul qual nus mesirein il mund, cul qual nus vesein il mund»420.

2.2.1.2 Un livre romanche qui a fait le tour du monde: Uorsin421

Uorsin, c’est une histoire pour enfants, celle d’un jeune Engadinois qui, bravant le danger et surmontant sa peur, rapportera tout seul de l’alpage l’imposante sonnaille qui lui permettra de marcher en tête du traditionnel cortège du Chalandamarz422. Les auteurs d’Uorsin (plus connu en Suisse alémanique sous le nom de Schellenursli) sont Selina Chönz (1910 – 2000) et Alois Carigiet (1902 – 1985). Au début des années 40, Selina Chönz, jardinière d’enfant engadinoise établie alors à Zurich, désireuse d’offrir aux enfants citadins dont elle s’occupe une lecture susceptible de les plonger dans un univers montagnard et de leur transmettre des valeurs tout en les distrayant de la guerre, écrit l’histoire d’Uorsin (en romanche de l’Engadine) et décide que la personne la plus apte à l’illustrer est bien le peintre sursilvan Alois Carigiet423, à la notoriété déjà bien établie à l’époque. Ce dernier se fait longtemps prier, puis accepte, et séjourne alors régulièrement dans le petit village de Guarda, en Basse Engadine, s’inspirant aussi bien des maisons du lieu et des scènes de la vie quotidienne qu’il observe de sa fenêtre, que de ses propres souvenirs d’enfance à Trun, en Surselva. Il faut toute la patience et l’obstination de Selina Chönz pour mener à bien le projet: la

419 Spescha 1986, p. 33. 420 Spescha 1986, p. 10: «[…] un instrument avec lequel nous voyons le monde et le mesurons.» 421 Gross 2004, pp. 74-75. 422 Gross 2004, p. 79, avec une photo. Pour une analyse psychologique du personnage d’Uorsin, cf. www.place-neuve.ch/pages/ursli.html. 423 Mützenberg 1991, pp. 156-157. Cf. www.carigiet.net/bio.php.

91 collaboration intermittente avec l’artiste Alois Carigiet dure pas moins de cinq ans avant que le livre soit prêt, puis la recherche d’un éditeur s’avère extrêmement longue et fastidieuse. C’est finalement grâce à l’appui de la LR que le livre pourra enfin être publié, en 1945. La première édition est rapidement épuisée: bien d’autres suivront, jusqu’à notre époque. Le livre a été immédiatement traduit dans les autres idiomes romanches, mais aussi en ladin des Dolomites. Suivirent des traductions en allemand, français (Une cloche pour Ursli424, traduction de Maurice Zermatten, dont le titre original était toutefois Jean des Sonnailles), néerlandais, italien, suédois, anglais, coréen, japonais, et même en braille425! Selina Chönz avançait en 1985 le nombre de 1,5 million de livres vendus dans le monde entier. L’éditeur actuel, Orell Füssli426, écoule encore chaque année 10 000 exemplaires en allemand. Les deux auteurs, qui ont publié deux autres livres par la suite427, ont été récompensés par quatre prix. Cette incontestable réussite a fait d’Uorsin le plus grand succès de l’édition romanche. David Truttmann a réalisé en 2007 un intéressant film documentaire pour la télévision romanche, Uorsin Superstar, sur la magnifique collaboration entre Selina Chönz et Alois Carigiet428, dont sont tirées la plupart des informations qui précèdent.

2.2.1.3 La traduction littéraire du romanche est-t-elle justifiée? Reflétant d’abord le quotidien de la paysannerie de montagne, la littérature romanche s’est petit à petit orientée vers des thèmes sociaux plus actuels, rendant nécessaire la maîtrise d’une terminologie nouvelle429.

424 www.ofv.ch/index.php?ID=bkDet&nr=258. 425 Mützenberg 1991, p. 157; Solèr 1990, p. 28. 426 www.ofv.ch/index.php?&ID=bkDet&nr=2878. 427 Mützenberg 1991, p. 157: Flurina et La Naivera. 428 Ce film de 25 minutes, sous-titré en allemand seulement, peut être commandé auprès de la LR ou de la RTR. 429 Solèr 2001, p. 29.

92 Clau Solèr est sceptique quant à l’intérêt et à la justification de la traduction d’œuvres romanches vers d’autres langues, le plus souvent l’allemand: il critique la valeur intrinsèque de la plupart des textes une fois qu’ils ne bénéficient plus du génie particulier de la langue de départ, où réside selon lui le seul intérêt de telles lectures430. Nous rappelons ici Iso Camartin qui remet également en cause la valeur de la plupart des œuvres originales romanches en-dehors de la société qui leur a servi de cadre431. À l’inverse, Gabriel Mützenberg s’engage avec vigueur et passion en faveur de la production littéraire romanche, dont il souligne au fil de ses pages la qualité et l’intérêt432. Furer souligne quant à lui «la quantité et la qualité de la meilleure partie de la littérature romanche, étonnantes lorsqu’on songe au petit nombre de Romanches.»433 Sans chercher à savoir si les Romanches sont exagérément critiques avec leur production littéraire ou si les analystes extérieurs manifestent un enthousiasme déplacé, nous vous invitons simplement à la découvrir et à vous en faire une idée434.

2.2.2 Le sous-titrage d’émissions de télévision Les émissions d’information de la Televisiun Rumantscha, Telesguard435 et Cuntrast436, sont sous-titrées en allemand à l’intention du public alémanique (diffusion régulière de ces émissions sur la chaîne SF), afin de permettre aux téléspectateurs alémaniques qui le désirent de se faire une idée du monde romanche. Actuellement, cinq collaborateurs romanches (un

430 Solèr 1990, p. 28. 431 Camartin 1989, pp. 233-234. 432 Gabriel Mützenberg, Destin de la langue et de la littérature rhéto-romanes, éditions l’Age d’Homme, Lausanne 1991. 433 Furer 1996, p. 302. 434 À cet égard, voir le site www.culturactif.ch/invite/mutzenberg.htm, avec une liste d’écrivains et de poètes en divers idiomes romanches. 435 Archives: www.rtr.ch/rtr/televisiun/telesguard/index.html?siteSect=40003. 436 Archives: www.rtr.ch/rtr/televisiun/cuntrasts/index.html?siteSect=40004.

93 enseignant, quatre étudiants) partageant un EPT se relaient pour réaliser les sous-titres de ces émissions. Pour une émission Telesguard de dix à onze minutes, il faut compter trois à quatre heures de travail de sous- titrage437. Les personnes chargées de la création des sous-titres allemands doivent effectuer les traductions (de citations, de commentaires et de titres) depuis les cinq idiomes et le RG. Le sous-titrage en français de ces émissions a malheureusement été supprimé début 2010 pour des raisons budgétaires, selon les informations reçues de M. Gion Linder, coordinateur national du sous-titrage auprès de l’entreprise Swiss Text, à Bienne438. On ne peut que le déplorer, d’autant plus que le volume des émissions sous-titrées au niveau national n’avait jamais été aussi élevé, l’art 7 al. 1 ORTV imposant aujourd’hui à la SRG SSR idée suisse d’arriver progressivement au sous-titrage d’un tiers de sa programmation439. Aucun sous-titrage italien d’émissions romanches n’a jamais été effectué pour les téléspectateurs des chaines de la Suisse italienne.

2.2.3 Autres traductions du romanche vers une autre langue Comme on l’a déjà évoqué plus haut, il arrive également que des communes romanches traduisent des textes rédigés en romanche, à l’intention des habitants de langue allemande ou des vacanciers. D’après les réponses reçues des communes romanches, cette situation ne semble toutefois pas très fréquente et ne se présente, par la force des choses, que dans les quelques communes où le romanche a encore une position de force: à défaut, tout est créé en allemand.

437 Lors de notre visite du 3 mars 2010 dans les studios de la télévision alémanique à Zurich, nous avons suivi le sous-titrage d’une émission Telesguard, réalisé ce jour-là par M. Marc Friberg. Les textes étaient envoyés dans le courant de l’après-midi, les traductions devant être préparées pour l’émission en direct, vers 17h45. Après une première traduction et une relecture, le traducteur a renvoyé les textes allemands aux journalistes de la RTR à Coire, qui ont demandé certaines corrections ou, dans un cas, envoyé un texte romanche modifié, ce qui a nécessité des modifications de dernière minute de la version allemande. 438 Jusqu’à la fin de l’année 2009, le sous-titrage en français était effectué sur la base d’une traduction des sous-titres allemands (seconde traduction de l’original romanche). 439 www.sous-titrage.ch/Chiffres.aspx; www.admin.ch/ch/f/rs/784_401/a7.html.

94 Il peut également arriver que des actes officiels rédigés en romanche (acte de naissance, certificat de mariage, testament440, décision, jugement) doivent faire l’objet d’une traduction vers une autre langue, très souvent l’allemand. Enfin, des livres d’enfants sont parfois traduits vers d’autres langues, comme Grischetta441, ce qui permet d’en assurer plus facilement le financement, grâce à un tirage plus important que ce qu’il aurait été si l’ouvrage était réservé aux seuls enfants romanches442.

2.3 La traduction ou transposition entre idiomes ou entre idiomes et RG

2.3.1 Le monolinguisme romanche, une situation révolue Jusqu’au début des années 80 du siècle dernier, des transpositions entre idiomes443 ont été effectuées pour des ouvrages créés dans un idiome, afin de les rendre accessibles à des lecteurs d’un autre idiome. Voici le texte du Notre-Père444 dans les cinq idiomes et en RG, ce qui permet de se faire une idée de leurs différences morphologiques, lexicales et syntaxiques:

Vallader (idiome de l’Engadine du bas)

Bap nos, tü chi est in tschêl! Fat sonch vegna teis nom! Teis regina[o]m vegna nanpro! Tia vöglia dvainta sco in tschêl [uschè] eir sün terra! Nos pan d'iminchadi [da minchadi] dà a nus [no] hoz! E parduna'ns noss debits, sco cha eir nus [no] pardunain a noss debitaduors! E nun ans manar in provamaint, ma[o] spendra'ns dal mal! Perche teis es il regina[o]m e la pussanza e la gloria in etern. Amen.

440 Par exemple dans le cas où les héritiers concernés ne comprennent pas ou plus assez bien le romanche (hypothèse évoquée dans l’un des questionnaires qui nous ont été renvoyés). 441 Le livre Grischetta si culm (Grischetta au mayen), de Fortunat Cagienard et Valentin Vincenz, est quadrilingue (allemand, français, italien, RG) et conte l’histoire d’une petite souris désirant passer l’été sur un alpage (éditions Desertina, Disentis 1984). 442 Solèr 1990, p. 28. 443 La LR préfère parler de «transposition» que de traduction dans une situation où la langue de départ et celle d’arrivée est un idiome romanche. 444 Notre Père, qui es aux cieux! Que ton nom soit sanctifié. Que ton règne vienne. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour! Et pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous soumets pas à la tentation. Délivre-nous du mal! Car c’est à toi qu’appartient le règne, la puissance et la gloire. Amen.

95 Puter (idiome de l’Engadine du haut)

Bap nos, tü chi est in tschêl! Sanctificho vegna tieu nom! Tieu reginam vegna tiers nus! Tia vöglia dvainta in terra scu in tschêl! Nos paun d'iminchadi do a nus hoz! E parduna'ns noss dbits scu cha eir nus pardunains a noss debitaduors! E nun ans mner in appruvamaint, ma spendra'ns dal mel! Perche tieu es il reginam e la pussaunza e la glüergia in etern. Amen.

Surmiran (idiome du centre des Grisons)

Bab noss, tgi te ist ainten tschiel. Santifitgia seia igl ties nom. Igl ties reginavel vigna. La tia viglia davainta sen tera scu ainten tschiel. Igl noss pan da mintgade dô a nous oz. E pardun'a nous igls noss dabets, scu er nous vagn parduno agls noss debituors. Betg laschans crudar an malapruamaint, ma spendra nous digl mal. Amen.

Sutsilvan (idiome de la vallée du Rhin postérieur)

Bab noss, igl qual ca tei es an tschiel! Sontg vigni fatg igl tieus num! Il tieus raginavel vigni na tier nus! La ti viglia davainti sen teara sco an tschiel! De a nus oz igl noss pàn da mintga di! A pardùna igls noss putgeas sco nus pardunagn ear aglis noss culpànts. A betga nus manar an ampruamaint, ma nus spendra digl mal. Partge ca tieus en igl raginavel, la pussànza a la gliergia a semper! Amen.

Sursilvan (idiome de la vallée du Rhin antérieur)

Bab nos, ti che eis en tschiel, sogns vegni fatgs tiu num, tiu reginavel vegni neutier, tia veglia daventi sin tiara sco en tschiel, nies paun de mintga gi dai a nus oz, e perduna a nus nos puccaus, sco era nus perdunein a nos culponts, e meina nus buc en empruament, mo spendra nus dil mal, (pertgei tes ein il reginavel, la pussonza e la gliergia a semper). Amen.

Rumantsch grischun (langue de chancellerie standardisée, créée en 1982)

Bab noss, ti che es en tschiel! Sanctifitgà vegnia tes num! Tes reginavel vegnia tar nus! Tia veglia daventia sin terra sco en tschiel! Noss paun da mintgadi dà a nus oz! Ed ans perduna noss debits, sco era nus perdunain a noss debiturs! E n'ans maina betg en empruvament, ma spendra nus dal mal! Pertge tes èn il reginavel, la pussanza e la gliergia en etern. Amen.

À une époque où les Romanches étaient majoritairement monolingues, que l’instruction obligatoire était beaucoup plus courte qu’aujourd’hui et que l’allemand n’était pas encore maîtrisé par la totalité des locuteurs, la compréhension d’un autre idiome n’allait pas de soi et se révélait, pour la plus grande partie des gens, trop laborieuse445 pour envisager la lecture

445 Solèr 1990, p. 29, note que les idiomes écrits constituent déjà une standardisation quelques fois assez éloignée d’une variante parlée (ex: le tuatschin, du haut de la Surselva, assez loin du sursilvan standard). Cela ne simplifie pas la compréhension d’un texte. Voir également Gregor 1982, p. 3.

96 profitable d’un texte dans un autre idiome. Une transposition était donc nécessaire pour diffuser une œuvre dans une autre région.

2.3.2 La littérature traduite ou transposée jusqu'en 1980 On note que c’est surtout entre le sursilvan et le vallader, idiomes les plus éloignés446 sur les plans géographique et linguistiques, mais aussi ceux comptant le plus de locuteurs, que des transcriptions ou traductions inter- idiomes ont été effectuées447, à l’époque où cela était encore nécessaire pour les lecteurs. Selon Clau Solèr, moins de traducteurs sont aujourd’hui disposés à faire ce genre de traductions, accordant la priorité à la publication de leurs propres textes en tant qu'auteurs448.

2.3.3 Le RG, futur canal commun de la littérature romanche? Dans le cas où le RG deviendrait la langue d’alphabétisation de tous les jeunes Romanches, on peut se demander ce que deviendra la littérature et la poésie romanche, dont l’immense majorité a été créée (et continue d’être créée) dans les idiomes, sursilvan et vallader en tête. Doit-on envisager de traduire ou de transcrire certaines œuvres en RG, pour en assurer la compréhension par les générations futures? Pour Clau Solèr, qui juge très sévèrement la politique linguistique cantonale grisonne449, la question n’a pas de portée pratique: selon lui, «tout sera fini avant»450, dans le sens que le RG sera introduit d’abord près de la frontière linguistique avec l’allemand, et que c’est là que le romanche tombera en premier. Dans les régions où le romanche est plus fermement implanté, le RG mettra de toute manière du temps à se répandre et, en raison du petit nombre d’enfants, les jeunes locuteurs du romanche iront

446 Solèr 1990, p. 29. 447 Exemple d’œuvre traduite du sursilvan au vallader: Mistral Gion Flury, de Gian Fontana  Mastral Jon Flury, traduction d’Andri Peer. 448 Solèr 1990, p. 31. 449 «Manucure coûteuse qui fait tort [à la langue] là où elle vit encore», selon le courrier électronique reçu du prof. Solèr en date du 22 mars 2010 (traduction de l’auteur du présent mémoire). 450 Selon notre entretien du 12 janvier 2010 avec le prof. Solèr.

97 de toute manière dans des centres scolaires situés en territoire alémanique: à terme, il n’y aura plus d’écoles romanches451. Clà Riatsch, professeur de romanche de l’Université de Zurich, pense que «traduire tout le corpus de littérature en RG est absurde, impossible» et que la conséquence du choix du RG comme langue d’alphabétisation sera double: - la seule utilité de la littérature actuelle, écrite dans les divers idiomes, sera celle d’une étude dialectologique à caractère historique; - même si on peut tout à fait créer des œuvres littéraires en RG, le fait de l’imposer comme norme unique à l’écrit aura pour seule conséquence de venir rompre une tradition littéraire déjà bien affaiblie, sans aucune garantie de parvenir à en créer une nouvelle452. Pour Madame Anna Alice Dazzi Gross, de la LR, l’introduction du RG se fera de manière progressive. Actuellement, le matériel didactique à disposition en RG concerne surtout les classes du primaire. Le problème posé par certains textes est, au-delà de la stricte question linguistique, qu’ils ne sont plus aussi facilement accessibles qu’à l’époque de leur parution en raison des thèmes qui y sont traités. Dans un avenir plus lointain, la question sera de savoir quand il faudra mettre à disposition une version adaptée à la convention d’écriture contemporaine et quand on pourra utiliser la version originale avec des notes explicatives, comme on le ferait en français avec Rabelais ou en anglais avec Shakespeare453.

2.3.4 La transposition entre idiomes et RG ou entre RG et idiomes Pour des raisons pratiques, il peut également arriver qu’on opère une transposition entre un idiome et le RG (par exemple pour anonymiser un texte ou le mettre à disposition de tous les Romanches) ou l’inverse, par

451 Selon le courrier électronique reçu du prof. Solèr en date du 22 mars 2010. 452 Selon le courrier électronique reçu le 3 mars 2010 du professeur Clà Riatsch. 453 Selon le courrier électronique reçu le 22 mars 2010 de Madame Anna Alice Dazzi Gross, chef du département de linguistique appliquée de la LR.

98 exemple pour adapter en idiome un texte déjà existant en RG, comme on l’a vu avec la commune de Scuol.

2.4 Les outils à disposition des traducteurs romanches

2.4.1. Les dictionnaires

2.4.1.1. Aucun dictionnaire romanche monolingue En faisant le tour des dictionnaires disponibles en romanche, le traducteur est immédiatement frappé par un élément capital: il n’existe aucun dictionnaire romanche monolingue! Le Dicziunari Rumantsch Grischun (DRG) a le caractère d’une encyclopédie. Et, outre qu’il n’est pas encore complet, ses premiers volumes ont déjà un certain âge454. On sait toute l’importance que revêtent de tels ouvrages, et les dictionnaires en général, comme le rappelle Ursisin Gion Gieli Derungs455: le handicap est donc de taille pour le traducteur romanche, qui ne peut s’appuyer que sur des ouvrages bilingues, dans l’immense majorité des cas avec l’allemand456.

2.4.1.2 Les dictionnaires romanche - français Pour les francophones, l’annonce sur le site de la Fundaziun retoromana de la préparation du dictionnaire français – sursilvan pour 2013457 par le Jurassien Jean-Jacques Furer, linguiste et expert du romanche, est une excellente nouvelle: il viendra compléter le dictionnaire sursilvan – français du même auteur, paru en 2002. Il n’avait jamais existé auparavant de dictionnaire permettant de passer du sursilvan au français: cet ouvrage permet à la fois à un Romanche de la Surselva d’avoir accès au

454 Furer 2001, p. XIII. Voir également le sous-chapitre 1.1.5 ci-dessus. Le DRG est rédigé en allemand. 455 Derungs 2008, p. 108. 456 Voir la page de la LR consacrée aux dictionnaires: http://fm.rumantsch.ch/lr/rm/FMPro?- token=12587288&-db=cudeschs.fp5&-format=ven_lingua.html&-lay=endatar&-error=ven_error.html&- findall. 457 www.frr.ch/pages/vocabulari-franzos-romontsch-sursilvan.php.

99 français et à un francophone de traduire des mots romanches directement, c’est-à-dire sans passer par l’allemand458. L’Américain Gilbert Taggart a publié en 1990 un petit dictionnaire ladin – français / français – ladin, le seul publié après celui d’Antoine Velleman, père fondateur de l’ETI459 et citoyen d’honneur de la commune de Zuoz, dont il dirigea également le Lycée Alpin460. Pour les francophones, les trois autres idiomes romanches ne sont accessibles qu’à travers l’allemand461. À part un minuscule dictionnaire de poche, il n’existe actuellement pas non plus de dictionnaire permettant d’aller du RG au français.

2.4.2 Les outils informatiques

2.4.2.1 Le Pledari Grond D’abord disponible sur un CD-Rom que l’on pouvait acquérir par l’entremise de la LR, le grand dictionnaire RG – allemand / allemand – RG a été par la suite mis gratuitement à disposition des internautes par la LR et la GiuRu, l’association de la jeunesse romanche462. Comptant actuellement environ 200 000 entrées, il est mis à jour chaque trimestre. Le Pledari Grond contient bien quelques explications grammaticales et des tableaux de conjugaison de verbes et d’abréviations463, mais ne saurait en

458 Kattenbusch 2002, p. 6. 459 Datant de 1929, cet ouvrage ouvrait les portes du romanche de l’Engadine non seulement aux francophones, mais aussi aux anglophones, ce que l’auteur qualifie à juste titre d’événement: Velleman 1929, p. VIII. On peut regretter que son exemple n’ait pas été suivi à une époque ultérieure. 460 Caflisch 1964, pp. 16 et 30. À noter qu’Antoine Velleman a appris le romanche de l’Engadine après sa prise de fonctions à Zuoz. Voici ce qu’il en a dit: «Le son de la langue me parut beau et sonore, et quand je lus quelques pages d’un livre d’école, je fus surpris par la richesse de son vocabulaire et les belles tournures de ses phrases.» (Caflisch 1964, p. 19.) Après avoir quitté Zuoz et s’être installé à Genève, Velleman a en outre publié une grammaire ladine, dont les deux volumes sont parus en 1915 et 1924 (Caflisch 1964, p. 22). 461 Taggart 1994, p. 1. Furer 2001, p. XIII: cela condamne en outre l’utilisateur francophone à ce qu’il qualifie de «consultation triangulaire de dictionnaires», en en rappelant du reste les dangers, comme Velleman l’avait fait dans la préface de son dictionnaire, déplorant l’importante perte de temps et toute l’imprécision auxquelles est exposé le lecteur (Velleman 1929, p. VIII). 462 Cf. www.giuru.ch 463 Grünert 2008 A, p. 23: voir note 8, concernant l’usage du verbe «periclitar» (mettre en danger).

100 aucun cas remplacer un dictionnaire monolingue. En outre, malgré sa mise à jour permanente, il n’est pas complet464. Il est critiqué par Solèr, qui lui reproche d’indiquer des solutions sans donner de précisions sur le contexte465.

2.4.2.2 Monpledari, MeinPledari, MioPledari, MyPledari, мойPledari Création du Gallois Mike Evans, résidant à Landquart, MonPledari est un dictionnaire en ligne évolutif permettant d’aller du français aux idiomes romanches ou l’inverse (www.monpledari.ch). On trouve également MeinPledari (allemand), MioPledari (italien), MyPledari (anglais) et le petit dernier, мойPledari (russe, comptant environ mille entrées). Le dictionnaire MonPledari (encore très incomplet, puisque la version française compte actuellement environ 7 000 entrées) permet non seulement d’aller du français au romanche ou du romanche au français, mais également de trouver des correspondances entre les divers idiomes romanches et le RG, puisque les six langues y sont représentées. Le travail sur ces ouvrages est bénévole, ce qui explique que leur évolution soit assez lente, mais ils constituent déjà un outil pratique pour qui s’intéresse au romanche (respectivement, au français) et recherche des termes relativement simples et courants. Pour un traducteur, leur utilité est évidemment encore très limitée.

2.4.2.3 Office rumantsch L’expérience de la traduction et de la mise à disposition d’Office 2003 s’étant révélée positive, la collaboration entre Microsoft et la LR a été reconduite à la fin 2008, afin qu’Office 2007 et Windows Vista soient également mis à disposition du public de langue romanche. Selon les

464 Reproche exprimé par plusieurs traducteurs dans les questionnaires: le Pledari Grond ne permet pas de trouver une réponse à toutes les questions. 465 Solèr 2010, p. 3.

101 indications fournies par Microsoft, la version 2003 avait été téléchargée environ 8 000 fois466. Solèr reconnaît l’utilité de la mise à disposition d’un correcteur orthographique de RG pour Office, mais s’interroge sur la nécessité de la traduction en romanche de toutes les commandes du programme Windows, dès lors que les Romanches sont à même d’utiliser sans problème les versions existant en allemand467.

2.4.2.4 Google rumantsch Depuis la fin mars 2005, la page de recherche Google Suisse est également utilisable en RG, afin que la quatrième langue nationale suisse soit aussi présente sur Internet. Un petit groupe d’étudiants de divers idiomes romanches avait alors prêté son concours pour la traduction des légendes et des boutons de la page Google Suisse, durant quelques soirées de travail (démarche analogue à celle adoptée plus récemment pour la traduction de la page romanche de Wikipédia, confiée à des étudiants).

2.4.2.5 Grammaire du RG en ligne La chaire de romanche de l’Université de Fribourg a mis en ligne une grammaire du RG élaborée avec différents collaborateurs internes et externes: www.unifr.ch/rheto/projects-r.php.

2.5 La traduction vers le romanche, une nécessité?468 Il paraîtra peut-être un peu iconoclaste de poser cette question. L’occulter ne serait cependant pas correct, car l’actuelle politique de traduction vers

466 Voir la page de Microsoft, revenant sur les différentes étapes de la collaboration et soulignant l’importance de l’accès aux technologies comme facteur d’intégration sociale: www.microsoft.com/switzerland/mediacorner/fr/PressRelease.aspx?title=Office_2007_et_Vista_Rumants ch_&id=470a3bba-7891-4556-95b0-00c4067cb321. 467 Solèr 2008, p. 151. 468 Sur la question du «Faut-il traduire?», voir Pym 1997, pp. 11-16.

102 le romanche a aussi des détracteurs469. Il faut cependant distinguer la traduction administrative en RG de la traduction littéraire. Sur le plan de la communication des textes officiels, il ne fait aucun doute que tout texte légal ou administratif rédigé en allemand est immédiatement accessible à une personne romanche adulte470 (alors que ce sera pas le cas de textes français ou italiens, loin s’en faut)471. Si la traduction de textes allemands à caractère administratif n’est donc pas «nécessaire» en termes de communication, elle l’est pour des raisons institutionnelles et juridiques: dans certains domaines, la loi (au sens large) exige que le texte soit mis en romanche à disposition des personnes de langue maternelle romanche, c’est-à-dire en RG. Cette exigence peut parfois aller à l’envers du bon sens: pourquoi diable traduire à tout prix en romanche ce qui est absolument compréhensible en allemand? L’argent investi dans ces traductions pourrait être investi utilement ailleurs, mais s’il s’agit de domaines où la loi ne le prévoit pas, ce n’est pas possible. La route n’est donc pas facile à tracer, entre les impératifs de la communication et la volonté politique ou idéologique d’assurer au romanche une place et une présence institutionnelle. En matière de traduction littéraire, Camartin se demande si l’on ne ferait pas mieux de réserver la traduction aux œuvres en français et en italien, ou à celles provenant de cultures plus éloignées, vu que tous les

469 L’un des destinataires de notre questionnaire nous a répondu (avec grande gentillesse) qu’il renonçait à le compléter, parce qu’il estime que l’on traduit beaucoup trop vers le romanche, comme si l’on avait encore affaire à un public qui comprenait mal l’allemand, alors qu’à ses yeux, c’est le contraire qui est vrai, la plupart des Romanches lisant mieux l’allemand que leur propre langue maternelle. Ces propos rejoignent ceux de Tista Murk, in: La traducziun litterara, 1983, lequel en donne aussi les raisons, en revenant sur sa propre scolarité (p. 208: «[…], il temp decisiv per fuormar il sen linguistic per mai es stat buollà dal tudais-ch»), marquée par l’allemand. Voir également Solèr 2010, p. 156, dénonçant des traductions «absolument inutiles». 470 Solèr 2010, p. 1. 471 D’autant moins, pour le français, que le canton des Grisons l’a retiré, depuis quelques années, des matières obligatoires, au profit de l’anglais, suivant en cela l’exemple des cantons de Zurich (voir Grin 2002, p. 278), Argovie et St-Gall. Voir Solèr 1990, p. 31, au sujet des traductions à partir du français et de l’italien. Concernant les motivations des élèves à apprendre l’anglais, lire l’article de François Grin, “Pourquoi donc apprendre l’anglais? Le point de vue des élèves”, in: Droit et Cultures, 54, 2007/2, pp. 75- 95.

103 Romanches comprennent l’allemand472. Mais il redit également toute l’importance que peut revêtir la traduction, rappelant l’espoir, entretenu par les petites langues, que «la traduction, cette ‘seconde maturation de la parole étrangère’, ‘enfantera la parole propre’»473. Ursicin Gion Gieli Derungs constate que la traduction de grandes œuvres étrangères en romanche n’est pas fréquente, mais objecte immédiatement que le seul moyen d’y remédier, c’est de se lancer: il faut bien commencer une fois474. Quoi qu’il en soit, même si l’avenir du romanche ne dépend pas de la seule traduction, cette dernière peut à l’évidence le nourrir puis, en sens inverse, en transmettre le rayonnement475, à l’intérieur de nos frontières et – nous en sommes fermement convaincu – au-delà.

472 Camartin 1989, p. 247. 473 Camartin 1989, p. 248; Lambert/Lefevere 1993, pp. 27 ss. Dans l’un des questionnaires qui nous a été renvoyés, cet aspect a également été souligné: «La traduction (de textes fort divers) a exercé – et exercera toujours – une influence déterminante sur la survie de la langue romanche ainsi que sur sa littérature.» (Propos traduits par l’auteur du présent mémoire). Berman 1993, p. 39, affirme que «La traduction ensemence la culture.» Lambert/Lefevere 1993, p. 34, rappellent toutefois qu’à elle seule, une bonne traduction ne saurait garantir le succès et la grande diffusion d’une œuvre. 474 Tschuor 1998, p. 147, citant Ursicin Gion Gieli Derungs: «Einmal ist immer das erste Mal.» 475 Berman 1993, p. 39: «[…] la traduction ensemence la culture[…]».

104 3 Les traducteurs du romanche, par eux-mêmes

La troisième partie du présent mémoire est l’occasion de donner la parole aux traducteurs romanches et de les entendre décrire leur rapport à la langue romanche, leur bilinguisme et leur rapport à la langue allemande, leur activité et ses divers enjeux pour la langue et son évolution, ou encore exprimer l’un ou l’autre espoir – ou revendication – par rapport à leur cadre de travail, aux ressources disponibles en matière de formation, de perfectionnement, de contrôle de la qualité, etc. Le regard que l’on porte sur l’activité de traduction dépend étroitement de celui que l’on a sur sa langue (ainsi que, comme c’est le cas avec le romanche, sur l’autre langue, omniprésente: l’allemand), sur les langues et sur l’acquisition et les finalités des compétences linguistiques. Nous avons ici choisi deux catégories de traducteurs, qui se recoupent partiellement, mais que nous avons choisi de traiter séparément: les traducteurs «institutionnels» allemand – RG, d’une part, et les traducteurs vers les idiomes romanches, d’autre part, qui sont en partie des traducteurs littéraires. Notre intention était de relater des réponses originales, plutôt que d’opérer des comparaisons systématiques entre les réponses fournies par les membres des deux groupes. Bien entendu, et l’une des personnes interrogées l’a souligné d’emblée, on pourrait envoyer des questionnaires sur la traduction allemand-romanche à une grande partie de la population romanche: de nombreuses personnes sont confrontées très tôt à la nécessité de traduire, en raison de la situation même du romanche, depuis longtemps en contact étroit avec le grand espace germanique476. Au niveau professionnel, la personne interrogée évoque les journalistes, bien entendu, mais aussi les enseignants, les secrétaires communaux, les cadres ou directeurs d’entreprises, lesquels

476 Solèr 2002, p. 255; Solèr 2010, p. 6.

105 traduisent des livres et brochures scolaires, des documents d’information destinés à la population, des publicités, etc.

3.1 Les questions abordées dans les questionnaires477

Après une première partie consacrée aux données personnelles des traducteurs, à la place de la traduction dans leur vie professionnelle et à leurs souvenirs du premier contact avec la traduction, nous nous intéressons à leur formation et à la formation continue, puis à des questions liées à leur pratique de la traduction (difficultés rencontrées, instruments utilisés en révision) et à leurs motivations personnelles, puis à la relation que les personnes concernées ont avec l’allemand, notamment à travers l’incontournable question du bilinguisme et la liberté de «juger» le texte de départ. Nous interrogeons les traducteurs sur d’éventuelles traductions vers l’allemand, avant d’aborder la question de la formation universitaire à la traduction, qui n’existe pas pour les praticiens de langue romanche, devant toujours passer par l’allemand, si l’on excepte les cours proposés par la SAL, haute école basée à Zurich et à Coire: nous voulions donner la parole aux traducteurs du romanche également sur ce point et leur donner la chance d’exprimer l’un ou l’autre vœu, par exemple envers une école comme l’ETI. Le questionnaire se clôt par quelques questions relatives aux mandants, en laissant un espace d’expression libre à chaque personne interrogée, au cas où un aspect selon elle essentiel à la traduction vers le romanche aurait été oublié ou par trop négligé.

477 Les questionnaires envoyés aux traducteurs vers le RG et aux traducteurs vers un idiome romanche figurent en annexe du présent mémoire.

106 3.2 Les réponses envoyées par les traducteurs478

3.2.1 Les traducteurs vers le RG

3.2.1.1 Chiffres Début février 2010, 37 questionnaires ont été envoyés aux traducteurs vers le RG travaillant pour la chancellerie cantonale grisonne et la LR (à l’interne ou sur mandat); en date du 9 mars 2010, 22 documents avaient été complétés et renvoyés.

3.2.1.2 Thèmes abordés

3.2.1.2.1 Informations générales À trois exceptions près, toutes les personnes qui ont répondu se définissent comme bilingues romanche (un ou deux idiomes) – allemand479. Pour une majorité d’entre elles, la traduction est une activité auxiliaire, dont le taux d'activité se situe entre 5 et 40%480. Seules quatre personnes ont indiqué la traduction comme «activité principale», à un taux compris entre 30 et 100%481. 18 traducteurs sur 22 font également des traductions vers un idiome482 et 19, des traductions vers l’allemand483. Enfin, 14 traduisent vers le romanche ou l’allemand également depuis d’autres langues:

478 Pour des raisons pratiques, nous avons choisi le masculin générique pour évoquer les traductrices et traducteurs qui nous ont renvoyé le questionnaire: que les traductrices veuillent bien nous pardonner! La traduction française des réponses reçues a été effectuée par l’auteur du présent mémoire. 479 Une personne n’a pas donné de réponse à cette question, une autre ne se définit pas comme vraiment bilingue parce que n’ayant parlé l’allemand qu’après l’entrée à l’école et la troisième déclare ne pas être de langue maternelle romanche, tout en ayant de très bonnes connaissances d’un idiome. 480 Dans ces cas, les activités principales citées sont très diverses: étudiant(e), employé(e) de l‘une des Eglises officielles, chef de projet, linguiste, retraité(e), fonctionnaire, mère de famille. 481 Dans ce cas, une seule personne a encore cité une activité auxiliaire, d’ailleurs connexe à la traduction: des travaux de terminologie. 482 Quatre personnes déclarent le faire rarement, douze de temps à autre et deux souvent. Les documents traduits en idiome sont très divers: pièces de théâtre, essais, allocutions, lettres, invitations, articles de journaux, publicités, textes publiés sur des sites Internet, annonces, publications officielles communales, annonces mortuaires, livres pour enfants et adolescents, règlements communaux, rapports, affiches, livret de comédie musicale. 483 Dix personnes déclarent traduire rarement du romanche en allemand et neuf, de temps à autre. Les documents traduits en allemand sont: communiqués de presse, chanson, poésies, lettres, testaments, textes de presse, documents bilingues, rapports annuels, procès-verbaux, messages de l’administration, contrats, vieux textes communaux, articles du journal La Quotidiana, contes, textes publiés sur des sites Internet, projets scolaires.

107 français (10), italien484 (9) ou anglais (11)485. Ces langues, ainsi que l’espagnol, le catalan et le portugais, mais aussi le grec et le latin, sont également mentionnées de temps à autre comme soutien en matière de révision.

3.2.1.2.2 Premier contact avec la traduction et motivation personnelle Pour certaines des personnes interrogées, le premier contact avec la traduction remonte à l’école: la situation de communication entre élèves les a alors obligées à «dire la même chose avec d’autres mots», en fonction de la langue de l’interlocuteur. Plus tard, des exercices de traductions ont été effectués dans le cadre scolaire: les traditionnelles versions latines486, mais aussi des traductions allemand-romanche ou français-allemand. Lorsque les traducteurs évoquent leur premier contact avec la traduction dans un contexte professionnel, on peut distinguer deux grands aspects: d’une part, on note l’intérêt pour les langues (et en premier lieu le romanche) et la fascination pour la traduction, travail intéressant et exigeant, qui représente une forme de défi (recherche de la perfection) et permet de rendre service à autrui, tout en acquérant des connaissances linguistiques et terminologiques487; de l’autre, la traduction est également perçue comme un «travail à faire», faisant obligatoirement partie des tâches courantes ou projets en cours (puisque le canton a décidé en 1996 ne plus vouloir se servir que du RG pour tous ses textes romanches) et

484 Une personne a en outre mentionné qu’elle traduit plus facilement l’italien que l’allemand. 485 Ces personnes traduisent les types de documents suivants: textes techniques (MS Office 2003), livres pour enfants ou adolescents, chansons, poésie, catéchisme, articles et légendes de dictionnaires, textes d’information de la Confédération ou de la SRG SSR idée suisse, textes destinés à l’enseignement scolaire, articles pour des revues, sites Internet, textes demandés pour des raisons privées. 486 Dont une des personnes interrogées nous a écrit de fort jolie manière ce qu’elles lui inspiraient à l’époque: «sgarscheeeeeeeeeeivel lungurus», ce qui peut se traduire par «horriiiiiiiiiiblement ennuyeux». 487 Plusieurs traducteurs ont également noté que le travail de traduction correspond à leur personnalité («un travail qui me va comme un gant», «un travail important, mais dans les coulisses, pas sous les feux de la rampe») ou à leurs convictions («par idéalisme», «pour offrir aux Romanches des informations dans leur langue»).

108 naturellement une possibilité de gagner sa vie ou, à tout le moins, de financer une partie de ses études.

3.2.1.2.3 Formation à la traduction Seule une minorité de traducteurs mentionnent une formation en école de traduction488. Les traducteurs sont donc, pour la plupart, venus à la traduction par la pratique489, après ou parallèlement à une autre formation: licences universitaires (littérature [diverses langues] et/ou diplôme de maître secondaire, journalisme, théologie; pharmacie; éthique); cursus de journalisme de la SAL; formations en communication, en direction de projet; séminaire pédagogique pour l'enseignement primaire; apprentissage suivi d’une école technique; école de commerce; maturité fédérale ou cursus gymnasial en cours). Certains ont en outre mentionné une formation continue dans le domaine de la traduction: cours de traduction auprès de la LR et/ou de la SAL; cours de RG destinés au maîtres d’école, cours de rédaction; prise en compte des remarques des réviseurs; lectures personnelles sur la traduction; discussions avec des proches. Lorsqu’une formation continue n’a pas été effectuée, les raisons évoquées sont soit l’insuffisance de l’offre490, soit le manque d’intérêt de la personne concernée (la traduction est ou restera une activité accessoire seulement; une formation continue ne serait pas «rentable», d’un point de vue pratique ou financier). Nous avons voulu savoir si la création (hypothétique) d’une formation académique de traduction était une question intéressant les traducteurs

488 Deux personnes indiquent la DOZ (l’ancienne école d’interprètes de Zurich, aujourd’hui ZHAW, à Winterthur), une autre la SAL et une dernière un «séminaire de traduction à l’université», sans autre précision. 489 18 personnes sur 22. À cet égard, le terme «learning by doing» a été plusieurs fois utilisé. 490 Un traducteur précise qu’il n’existe pas de cours de traduction à un niveau professionnel pour les Romanches. Le canton des Grisons et la LR mettent sur pied des formations, mais il n’est pas facile de trouver un enseignant qualifié. Des contacts existent avec les cantons bilingues, Berne surtout, qui organise tous les deux ans une «Journée des langues» avec des exposés et ateliers relatifs à la traduction et à l’usage de plusieurs langues. Malgré tout l’intérêt d’une telle rencontre, il n’est pas toujours possible d’en tirer un profit direct pour le travail quotidien de traduction.

109 romanchophones. C’est le cas491 et les avis sont manifestement très partagés: parmi les dix personnes favorables à la création d’une filière académique pour traducteurs de langue romanche, on note les arguments suivants: la qualité du produit (2), le maintien d’un bon niveau linguistique (1), l’avantage de ne pas devoir «commencer à zéro», mais de commencer sa pratique en bénéficiant de l’enseignement reçu (1), la professionnalisation de la traduction et la réflexion sur cette dernière492 (1), une nécessaire réponse à la baisse générale de la capacité d’expression à l’écrit en romanche (1), une meilleure reconnaissance de la valeur du travail de traduction493 (2), l’importance pour la langue en général, vu qu’une large majorité des textes disponibles en romanche sont des traductions494 (1). Quatre traducteurs ont en outre formulé des propositions, recommandations ou remarques concernant un éventuel enseignement universitaire de traduction pour romanchophones: l’un d’entre eux propose de créer un enseignement combiné avec celui de la traduction allemand- français, tout en soulignant que cela ne serait possible qu’à condition d’avoir de très bonnes connaissances de français495 et de surmonter les problèmes de terminologie, le vocabulaire français étant plus fourni que le romanche dans certains domaines. Un autre souligne l’importance d’une solide formation linguistique générale (grammaire, stylistique, etc.) mais également de bonnes connaissances dans d’autres langues, ainsi que d’une spécialisation dans certains secteurs et appelle de ses vœux la création d’un module spécial de traduction vers le romanche. Le troisième objecte que l’ETI a l’inconvénient d’être très loin des contrées romanches. Selon lui, la SAL propose des cours de qualité pour les Romanches: le problème

491 Une seule personne sur 22 n’a pas répondu à cette question. 492 Même si la personne sondée ajoute immédiatement que cela ne constitue pas une priorité pour le monde romanche. 493 Egalement pour lutter contre l’idée reçue que tout un chacun est capable de traduire. 494 La personne interrogée précise ici qu’outre les capacités linguistiques, de bonnes connaissances de la matière sont indispensables. 495 Ce qui, au vu des choix d’enseignement évoqués plus haut, ne sera plus le cas que d’une infime minorité de personnes.

110 est que ces cours sont très chers et que cette école est trop peu fréquentée par des étudiants en traduction de langue romanche. Enfin, si le dernier objecte que l’offre de la SAL est tout de même limitée en ce qui concerne la traduction vers le romanche496, il affirme qu'elle présente l’avantage d’être accessible à une personne qui n’aurait pas obtenu la maturité fédérale, ce qui n’est pas le cas d’une formation universitaire. Trois personnes estiment qu’il vaudrait mieux améliorer l’offre déjà disponible que créer quelque chose ex nihilo. Nous avons également reçu des réponses négatives partielles (refus d’une formation académique au profit d’un cursus en haute école) et complètes (remise en cause de la nécessité et surtout coût d’une telle formation). Dans la première catégorie des réponses négatives, un traducteur exprime ses soucis quant à la difficulté initiale de trouver des étudiants disposés à étudier le romanche, ces derniers étant de toute manière très peu nombreux. Comment créer une formation spécifique dans ces conditions? La plupart des personnes interrogées estiment qu’une telle formation, même si elle serait à coup sûr bénéfique et intéressante, n’est en aucun cas envisageable du point de vue financier: comment la payer avec un trop petit nombre de candidats, surtout si le marché forcément très restreint ne permet qu’à peu de traducteurs, par la suite, de vivre de cette activité? Il vaudrait mieux, selon certains d’entre eux, intégrer un cours de traduction au cursus actuel d’études de romanche à Fribourg ou à Zurich, même si ce système ne permettrait pas de former des traducteurs spécialisés497, ou l’intégrer à un cursus d’une haute école. Un autre suggère qu’on laisse la formation universitaire aux linguistes et que la traduction, activité pratique, soit intégrée à une haute école, où elle a plus sa place, afin de favoriser une formation aussi pratique que possible. Un dernier estime

496 Après un cours d’introduction, une spécialisation en traduction à la SAL n’est possible que dans d’autres langues (italien, français, espagnol, anglais). 497 L’une des personnes interrogées précisent que les étudiants en romanche sont plutôt des «généralistes» («allrounders»), touchant un peu à la linguistique, à la littérature et à la traduction, mais pas de manière aussi approfondie que dans les filières spécialisées.

111 qu’outre une formation, les futurs traducteurs doivent pouvoir effectuer des stages dans un bureau ou un service de traduction professionnel. Parmi les personnes qui s’opposent à la mise sur pied d’une formation de traduction vers le romanche, on note deux arguments principaux: la taille du marché romanche de la traduction, mais aussi un doute quant à une formation ressentie comme trop théorique pour les besoins concrets de la traduction romanche: la traduction devrait être réservée à qui sait se servir de sa langue maternelle, ce qui n’est pas forcément le cas d’une personne diplômée. Une personne préférerait une formation offerte sous formes d’ateliers ponctuels. Une autre estime que la traduction ne doit pas «devenir une fin en soi» et qu’une formation de traducteur n’est pas utile si, comme elle le déplore, de bonnes capacités linguistiques en romanche ne sont pas acquises durant la scolarité. Nous avons également demandé l’opinion des traducteurs quant à la langue à utiliser pour une formation de traduction vers le romanche, si elle devait être créée un jour. Une majorité des personnes favorables à une formation appropriée (académique ou non) donne la préférence au RG, langue standard permettant à tous de participer sur un pied d’égalité, mais en soulignant souvent qu’il serait utile d’y intégrer aussi les idiomes, au moins à l’oral, l’un des traducteurs soulignant l’opportunité d’échanger ainsi entre locuteurs de divers idiomes, ce qui ne se fait, selon lui, pas assez souvent. Deux personnes estiment que seul le RG devrait être utilisé, l’une d’entre elles précisant que les traductions en idiomes n’auront plus de sens à l’avenir. Deux autres pensent au contraire que les idiomes devraient être pleinement intégrés à un tel cours, parce que les diverses régions ont encore besoin de textes dans leurs idiomes respectifs et que la connaissance des expressions idiomatiques originales en idiome sera indispensable, dès lors que le RG est un langage artificiel. Une dernière estime que la qualité de la formation est plus importante que la langue ou l’idiome utilisé-e.

112 3.2.1.2.4 Utilisation des ouvrages de référence par les traducteurs L’outil le plus fréquemment mentionné est le dictionnaire en ligne Pledari Grond (19 personnes sur 22). Des dictionnaires allemand-romanche imprimés sont également indiqués par les traducteurs, employés par exemple pour y chercher un terme qui ne figurerait pas encore au Pledari Grond ou vérifier l’usage d’une préposition: sutsilvan (4/22), sursilvan (matériel le plus récent, 11/22), ladin (puter et/ou vallader, 4/22), surmiran (4/22). Le Dicziunari Rumantsch Grischun (3/22) et la Crestomazia498 (1/22) figurent également parmi les ouvrages évoqués, ainsi que l’un des dictionnaires Pledari (1/22). Pour ce qui concerne les dictionnaires d’autres langues, le LEO499 jouit d’une certaine popularité (4/22), un dictionnaire anglais-allemand en ligne500 (1/22) est mentionné, ainsi que des «dictionnaires italien, français, espagnol, portugais, catalan et anglais, imprimés ou en ligne», sans autres précisions (1/22). Concernant le contrôle orthographique, plusieurs personnes ont indiqué utiliser le correcteur romanche mis à disposition par Microsoft (9/22). L’une des personnes sondées relève toutefois que le système ne reconnaît pas toutes les fautes et qu’une relecture finale s’impose. Pour le contrôle grammatical, le site de la chaire de romanche de l’Université de Fribourg est mentionné comme ressource par quatre personnes, la grammaire du sursilvan (ouvrage imprimé) ne l’est que par une seule. Plusieurs personnes indiquent se référer à d’autres langues (4/22), par exemple en s’inspirant des versions française et italienne du texte ou autres pages du site de la Confédération, s’il s’agit d’une traduction pour la Confédération (2/22). Concernant la recherche de documentation, les réponses des traducteurs mentionnent Wikipedia (2/22), Google (2/22), Internet en général, pour des

498 La Rhätoromanische Chrestomathie de Caspar Decurtins. 499 http://dict.leo.org/. 500 www.dict.cc.

113 informations diverses (2/22), TERMDAT (2/22), les ouvrages spécialisés (1/22) et le glossaire mis en ligne par l’UBS (1/22). Une personne a en outre précisé toute l’importance d’une bonne documentation sur le sujet, de la discussion avec des spécialistes de la branche concernée et de la lecture régulière de ce qui est édité en romanche, surtout en RG. L’utilisation de mémoires de traductions (SDL Trados et Multiterm) a été mentionnée deux fois. Lorsqu’une aide extérieure a été évoquée, il a été rappelé l’importance du principe des quatre yeux (3/22) et de la discussion entre collègues (2/22). Ont également été mentionnés l’aide par les assistants d’une chaire de romanche (1/22), un guide de la révision (1/22) ou une directive de standardisation de la formulation (1/22).

3.2.1.2.5 Rapport avec le RG Nous avons demandé aux traducteurs de définir ce qu'est le RG pour eux501. Les réponses sont extrêmement diverses: une «langue utilisée pour l’écriture, à l’image du Hochdeutsch» (six personnes sur 22), une «langue maternelle» (2/22), le RG est un «langage appris» (1/22), une «langue romanche standard» (1/22), une «langue de travail» (1/22) ou encore un «outil à prendre en main tous les jours» (1/22), une «langue de compromis» (1/22), une «version artificielle écrite de ma langue maternelle» (1/22), «ma langue préférée pour la communication écrite, trait d’union entre les idiomes, pour mieux se comprendre» (1/22), la «langue maternelle à l’écrit» (1/22), un «autre bel instrument linguistique» (1/22), une «autre forme» (1/22), une «langue qui facilite la communication interromanche» (1/22), une «langue qui vient soutenir les idiomes (vocabulaire)» (1/22), une «création linguistique très intéressante» (1/22), une «construction nouvelle et plus artificielle que l’idiome, selon moi, quelque chose que l’on n’a pas

501 La question était: «Le RG est-il pour vous une langue maternelle? Une langue étrangère? Quelque chose d’autre?»

114 autant ‘en soi’ parce que l’on n’y est pas habitué depuis tout petit. Le RG est quelque chose dont je me rends compte qu’il me devient petit à petit sympathique» (1/22). Nous avons également voulu savoir si les personnes interrogées traduisaient en RG plus par obligation (décision cantonale de 1996) que par intérêt pour la langue romanche standard502. Là également, les réponses étaient très diverses. Les douze personnes qui ont dit préférer le RG donnent les raisons suivantes503: le RG est construit selon des règles claires (1/11) et il est compréhensible pour tous les Romanches (2/11)504; il est un instrument pratique et bien fait (1/11); la perspective d’un monde romanche où tout le monde utiliserait la même langue a quelque chose de fascinant (1/11); l’élégance du RG (2/11); la plus grande sûreté du traducteur dans cette langue que dans son idiome (2/11); à long terme, une traduction en RG est accessible à plus de lecteurs (1/11); le désir d’être compris de tous les Romanches (1/11); écrire en RG, c’est faire un pas en direction des idiomes, s’approcher d’eux (1/11); écrire en RG permet également d’utiliser des mots issus d’autres idiomes (1/11); le plaisir d’utiliser divers instruments linguistiques (1/11); la liberté d’expérimenter de nouveaux registres en romanche (1/11); la conviction que le RG va renforcer le statut de la Rumantschia, vers l’intérieur et vers l’extérieur, pour la prochaine génération (1/11). Quatre personnes ont déclaré qu’ils auraient une préférence pour la traduction en idiome, à la place du RG, si cela était possible. Voici leurs arguments: l’idiome est plus familier au traducteur concerné (2/4)505; les lecteurs comprennent généralement mieux les idiomes et les lisent plus souvent et plus volontiers que le RG, mal accepté par une grande partie de

502 La question était: «Si les circonstances le permettaient, traduiriez-vous plus volontiers vers votre idiome que vers le RG?» 503 Deux personnes ont simplement déclaré préférer le RG, sans indiquer de motif particulier. Certaines personnes ont en outre indiqué plusieurs motifs pour lesquels leur préférence va au RG. 504 Sur ce point, une réponse précise: «s’ils le veulent bien.» 505 La personne précise néanmoins que cela dépend du sujet et du type de texte.

115 la population (1/4); l’idiome a une plus grande richesse lexicale et stylistique, il offre plus de moyens d’expression (1/4); en traduisant vers l’idiome, le travail irait plus vite, plus facilement (1/4). Quatre personnes étaient partagées entre RG et idiome: en RG ou en idiome, l’essentiel est d’abord de s’exprimer correctement (1/4); le RG est compréhensible pour tous, mais pour des textes à caractère régional, le traducteur a une préférence pour l’idiome (1/4); cela dépend du contexte, et tout spécialement du destinataire du texte traduit: si l’on sait qu’il n’apprécie pas le RG, on traduira plutôt en idiome (1/4); même si le RG est approprié pour donner plus de présence au romanche, le traducteur préfèrerait tout de même traduire plus vers son idiome; finalement, tout cela est une question d’habitude (1/4). À la question de savoir s’ils travaillent en RG avec la même sûreté que dans leur idiome respectif, les traducteurs sont également partagés. Six personnes déclarent se sentir également à l’aise en RG que dans leur idiome506. Six autres déclarent se sentir même plus sûres en RG que dans leur idiome respectif. Elles indiquent les raisons suivantes: leur travail se fait exclusivement ou en grande partie en RG; le RG est utilisé pour tout le travail par écrit, l’idiome étant réservé à l’expression orale; le RG a permis au traducteur de développer différents registres qu’il n’avait pas en idiome; il y a plus de matériel technique à disposition en RG pour accompagner le travail rédactionnel. Dix personnes déclarent connaître plus de difficultés avec le RG qu’avec leur idiome. Elles l’expriment ainsi: malgré le travail en RG, l’idiome est resté plus familier; dans le domaine littéraire, le vocabulaire actif du traducteur, ainsi que la maîtrise de l’orthographe, sont plus importants en idiome; un traducteur se sent moins libre en RG qu’en idiome, déplorant la disparition de l’esprit de pionnier au profit d’un certain conformisme: trop

506 À noter que l’une d’entre elles précise qu’il n’est pas facile de répondre à cette question, parce que l’introduction du RG est encore un processus en cours.

116 de choses sont fixées d’avance, standardisées; en écrivant en RG, il faut aussi tenir compte de l’influence des autres idiomes sur la langue standard, afin que le produit soit compréhensible pour tous les lecteurs de langue romanche; il est parfois difficile de savoir si une expression courante en idiome peut être transposée telle quelle en RG: de ce point de vue, on se sent plus à l’aise en idiome; il faut vérifier plus souvent l’orthographe des mots en RG que cela ne serait le cas en idiome.

3.2.1.2.6 Problèmes rencontrés lors des traductions en RG Un problème souvent évoqué est celui de la création de néologismes: une des solutions consistera à regarder ce qui existe déjà en français et en italien. Souvent, les traducteurs remarquent qu’un mot allemand sera traduit par plusieurs mots romanches507. Une autre préoccupation, liée notamment au bilinguisme avec l’allemand508, qui revient souvent dans les réponses des traducteurs, est de pouvoir trouver une expression authentiquement romanche, de respecter la syntaxe romanche, de ne pas trop «coller» au texte allemand, afin d’éviter une traduction trop servile, de prêter suffisamment d’attention à la position des mots dans la phrase509, ainsi qu’au type de mot510, et aussi de

507 Un traducteur estime qu’il est difficile, dans de tels cas, de trouver en romanche une solution aussi concise et élégante que celle de l’allemand. Un autre relève par contre qu’il arrive que la version allemande soit bien compliquée. 508 Lequel est tout de même perçu par la grande majorité des traducteurs comme un avantage, permettant de mieux comprendre le texte de départ. 509 L’un des traducteurs évoque à cet égard la succession des compléments direct et indirect: «Jau dun al bab il cudesch» ou «Jau dun il cudesch al bab» [Je donne le livre à papa] 510 Un des traducteurs précise que le romanche s’exprime plus par les verbes, l’allemand plus au moyen de substantifs. Un autre souligne la difficulté de trouver le bon équilibre dans la chasse aux germanismes: prendre une distance suffisante de l’allemand certes, mais sans perdre de vue que dans certains domaines, le romanche est tout de même plus proche de l’allemand que du français ou de l’italien. Comme le relève un traducteur, l’allemand est simplement omniprésent dans la vie quotidienne romanche. Un autre ajoute que le contact séculaire avec l’allemand a influencé le romanche: selon lui, la communication se fait plus «à la germanique», de manière plus directe et lapidaire. En outre, l’adoption de formules ou de termes proches de l’italien ou du français pose souvent des problèmes de registre: la traduction est linguistiquement correcte, mais d’un niveau élevé, créant un effet indésirable de préciosité, et peu ou pas compréhensible pour la plupart des locuteurs de langue romanche. Une autre personne mentionne les difficultés posées par des adjectifs allemands, p. ex. «flächendeckend» ou «nachhaltig», ou des substantifs combinés interminables comme «Zimmerschlüsselanhängeraufbewahrungsschranktürenscharnier». D’autres aspects évoqués concernent l’usage des prépositions, ainsi que les modes et les temps verbaux.

117 scinder les propositions allemandes exagérément longues afin de faciliter la lecture en romanche511. Un traducteur évoque en outre l’impossibilité, pour les traducteurs romanches, de se spécialiser dans un secteur spécifique comme le font les traducteurs des «grandes langues»: les traducteurs du RG doivent donc être capables de traduire des textes de tous domaines et de tous registres. Ici, deux problèmes sont fréquemment évoqués: celui des néologismes, de la création de nouveaux termes512, mais aussi – une fois la terminologie adéquate créée ou trouvée – de la nécessité de traduire des textes complexes de manière à les rendre accessibles au lecteur moyen de toutes les régions (la plupart des romanchophones n’utilisent pas le romanche dans la vie professionnelle, mais plutôt dans le cercle de la famille et des amis, où la langue est moins formelle et moins technique), de trouver le registre adéquat pour chaque destinataire513. À cet égard, un traducteur dit arriver aux limites de ses capacités. Outre les interférences avec l’allemand, évoquées plus haut, des interférences avec l’idiome sont également mentionnées: vu le processus de construction du RG, on ne peut pas toujours traduire en produisant un calque de la formulation que l’on adopterait dans son idiome. Une autre préoccupation des traducteurs (universellement partagée) est la pression du temps mais aussi, dans certains cas, la piètre qualité du texte de départ, une formulation hasardeuse ou maladroite exigeant du traducteur une vigilance accrue, des recherches complémentaires sur l’objet du texte et, souvent, un contact avec le mandant pour lui signaler les problèmes rencontrés dans le texte de départ514.

511 L’un des traducteurs souligne qu’une lecture ultérieure de la traduction, après un certain temps et à tête reposée, permet alors de repérer les germanismes. 512 L’un des traducteurs prend l’exemple du langage théologique, pas encore standardisé en RG. Un autre mentionne le lexique juridique. 513 Par exemple des élèves du secondaire, comme le relève un traducteur. Un autre évoque le «slang», probablement pour évoquer une forme de jargon qu’il faut rendre intelligible. 514 Plusieurs traducteurs ont indiqué avoir un regard critique sur le texte de départ: en cas de problèmes, ils informent le mandant ou l’auteur (et, parfois, lui proposent une correction ainsi qu’une traduction de

118 Un utilisateur de mémoires de traductions mentionne également des problèmes techniques de compatibilité entre un logiciel de traitement de texte et une base de données de traduction. L’un des traducteurs précise qu’il ne devrait pas y avoir plus de problèmes lors de traductions en RG que vers d’autres langues, le RG étant selon lui bien normé515.

3.2.1.2.7 Eléments supplémentaires évoqués par les traducteurs Quelques personnes ont encore évoqué des questions qui auraient, selon elles, mérité plus d’attention dans le questionnaire, par exemple les néologismes, le romanche devant très fréquemment créer de nouveaux termes, notamment techniques, pour «suivre le mouvement». Une autre estime que la Confédération et le canton des Grisons ont décidé d’adopter le RG comme langue romanche standard sans vraiment se demander si cela était vraiment désiré par la population romanche, sans former suffisamment les gens ni leur donner les règles de conversion entre leur idiome et le RG: si cela avait été le cas, le RG serait peut-être mieux accepté. Enfin, une personne relève la trop grande simplicité du questionnaire, un sujet aussi complexe que la traduction ne pouvant évidemment pas se résumer en quelques mots: comment expliquer en peu de mots des choses aussi compliquées que la «forme du jour» ou «l’état d’âme du moment»? Certains jours, on traduit bien, et d’autres, moins bien. Ou comment résumer une préférence personnelle pour tel type de textes ou telle sorte de langues? Nous ne pouvons que donner raison à ce traducteur, tout en rappelant que le public cible du présent mémoire est avant tout cette dernière, afin qu’il puisse faire son choix), souvent heureux de cette initiative. Bien entendu, dans certains cas, le texte de départ ne peut pas ou plus être modifié. Le plus souvent, en cas de problème dans l’énoncé original, la traduction en RG se fait, selon les traducteurs, plus librement, dans le sens d’une simplification visant une meilleure compréhension par le lecteur. Un traducteur a déclaré que dans des cas trop compliqués, il lui arrive de refuser le mandat. Un autre se réjouit de livrer un produit de meilleure qualité que l’original, même si ce dernier ne peut plus être modifié. 515 Cette remarque (spontanée) était peut-être destinée à répondre aux critiques dont le RG fait parfois l’objet. En effet, nous n’avons pas posé de question aux traducteurs telle que «Pensez-vous que la traduction allemand-RG pose plus de problèmes qu’un autre couple de langues?».

119 constitué de lecteurs francophones désireux de découvrir les particularités de la traduction vers les diverses langues romanches ou de ces dernières vers d’autres langues, avant tout l’allemand et le français.

3.2.2 Les traducteurs vers les différents idiomes

3.2.2.1 Chiffres 28 questionnaires ont été envoyés aux traducteurs vers l’un ou l’autre idiome. Les lignes qui suivent se basent sur les 17 documents complétés reçus des traducteurs en date du 18 mars 2010.

3.2.2.2 Thèmes abordés

3.2.2.2.1 Informations générales Onze personnes sur les dix-sept qui ont répondu se définissent comme bilingues romanche (un ou deux idiomes)-allemand516. Pour tous les traducteurs interrogés, la traduction est une activité auxiliaire517, dont le taux d'activité varie entre 5 et 50%518. Seuls trois traducteurs sur 17 indiquent également faire des traductions vers le RG, alors qu’onze mentionnent des traductions au moins occasionnelles vers l’allemand519. Huit traducteurs indiquent faire des transpositions dans leur idiome depuis d’autres idiomes ou depuis le RG520. Enfin, 14 traduisent vers le

516 Une personne n’a pas répondu à cette question; une autre se définit comme germanophone monolingue, ayant appris un idiome romanche local à l’âge adulte, après s’être installée dans une région romanche; trois se définissent comme Romanches avant tout, principalement parce que leur apprentissage du romanche s’est effectué à l’école; enfin, une personne se définit comme trilingue, rajoutant le français à l’allemand et au romanche. 517 Certains traducteurs ont parfois simplement indiqué: occasionnellement, comme hobby, de temps à autre, sur demande… Une seule personne mentionne avoir pratiqué la traduction à temps complet, durant une période antérieure. 518 Les activités principales des traducteurs sont très diverses: alors que certains sont déjà retraités, d’autres indiquent les professions d’infirmière, de maître d’école primaire et secondaire, bibliothécaire, stagiaire auprès d’une entreprise, théologien, journaliste ou écrivain. 519 Six traducteurs disent le faire rarement, quatre de temps à autre et un seul, souvent. Les documents traduits en allemand sont des textes d’une administration communale (textes d’information, lettres, avis officiels), de la littérature, des articles traduits pour des journaux publiés en allemand, des textes demandés par des personnes faisant partie du cercle des connaissances du traducteur (chansons, poèmes) et des documents destinés à des cours de romanche. 520 Les textes transposés sont, selon les traducteurs interrogés, des pièces de théâtre, des lois ou des chansons.

120 romanche ou l’allemand également depuis d’autres langues: français (10), italien521 (9) ou anglais (11)522. Ces langues, ainsi que l’espagnol, le catalan et le portugais, mais aussi le grec et le latin, sont appelées à la rescousse de temps à autre en matière de révision.

3.2.2.2.2 Premier contact avec la traduction et motivation personnelle Cinq personnes sur 17 expliquent êtres arrivées à la traduction par leur travail d’enseignant523 ou leurs activités pour l’Eglise: ils ont par exemple dû traduire du matériel didactique, mais aussi des articles pour un journal destiné à la jeunesse. Une personne explique s’être intéressée au romanche – et l’avoir appris – sur le tard, après son installation dans une région romanche: comme la langue tient une place importante dans sa vie, elle est venue petit à petit à la traduction. Quatre autres (de langue romanche) mettent en avant l’amour, la passion de la langue et l’intérêt de travailler dans cette langue524, une tradition de bi- ou trilinguisme familial, ou le besoin de retrouver sa langue romanche après une formation effectuée en terre alémanique. Deux personnes mentionnent l’aspect financier et le besoin de financer leurs études. Deux autres traducteurs mentionnent la traduction de pièces de théâtre ou de poèmes. Un autre mentionne sa participation à un projet écologique régional, par le biais duquel il a été amené à traduire pour la première fois. Enfin, deux personnes mentionnent leur collaboration avec un journal régional romanche, activité par laquelle elles ont commencé à produire des traductions. Le travail, l’engagement en faveur de sa minorité525 apparaît dans plusieurs

521 Une personne a en outre mentionné qu’elle traduit plus facilement l’italien que l’allemand. 522 Ces personnes traduisent les types de documents suivants: textes techniques (MS Office 2003), livres pour enfants ou adolescents, chansons, poésie, catéchisme, articles et légendes de dictionnaires, textes d’information de la Confédération ou de la SRG SSR idée suisse, textes destinés à l’enseignement scolaire, articles pour des revues, sites Internet, textes demandés pour des raisons privées. 523 L’une d’elle précise que, comme enseignant, on est «prédestiné» à la traduction, parce que les gens s’adressent naturellement à vous s’ils ont un mandat. 524 Une personne mentionne le défi consistant à chercher la meilleure solution. 525 Par exemple pour augmenter l’offre à la disposition de cette dernière.

121 questionnaires. Une personne déjà relativement âgée mentionne l’intérêt de l’exercice pour garder une bonne forme intellectuelle. Une autre souligne qu’il est beau de pouvoir rendre possible la communication. Une autre encore souligne le rapport qui existe entre les mots et la musique. Il est également question chez un traducteur de trouver (grâce au partage entre sa profession principale et la traduction) le bon équilibre entre le corps et l’esprit.

3.2.2.2.3 La formation de traducteur Trois personnes sur 17 ont indiqué suivre ou avoir suivi une formation spécifique en traduction: une à l’ETI (formation ponctuée de stages pratiques durant les études) et deux à la SAL. Parmi les personnes n’ayant pas suivi une telle formation, mais indiquant avoir effectué une formation continue dans le domaine de la traduction, une personne indique avoir suivi les cours de traduction d’une institution analogue aux universités populaires, située dans une région romanche. Une autre mentionne des cours suivis auprès de la LR, et une troisième des cours, mais sans en préciser la nature. Tous les autres traducteurs répondent qu’ils n’ont pas effectué de formation continue, pour les raisons suivantes: leur profession principale requérant de toute manière de bonnes compétences rédactionnelles, cela ne semblait pas nécessaire; manque de temps; coût trop élevé au regard des perspectives ou de la manière dont est considérée l’activité de traduction (hobby); plurilinguisme dès l’enfance526; méconnaissance des filières disponibles ou offre insuffisante. Plusieurs traducteurs sont donc enseignants (primaires ou secondaires) ou travaillent pour l’Eglise (certains sont déjà retraités). Les autres travaillent dans le journalisme, le domaine médical ou au sein d’une

526 Réponse très éclairante sur la manière dont on voit l’école de traduction: une école où l’on apprend les langues.

122 administration communale, sont encore aux études ou font un stage auprès d’entreprises, travaillent comme bibliothécaire ou femme au foyer. Sur la nécessité ou l’intérêt d’une formation académique de traduction en romanche, les opinions sont assez partagées: alors que huit personnes sur 17 appellent de leurs vœux une telle formation, sept sont contre527. Les traducteurs favorables à une telle filière y voient un effet positif de professionnalisation528, une amélioration de la qualité du produit529 ou encore la création d’un domaine d’étude intéressant et important. L’augmentation de l’offre disponible serait la bienvenue, selon un troisième, mais plutôt selon le modèle de la SAL (modules et travail pratique en matière de langue et de communication). L’intérêt d’un autre est cependant assorti d’une crainte (celle que les sonorités originales de la langue se perdent) et d’une certaine méfiance (on ne doit pas rechercher une trop grande professionnalisation). Le dernier saisit l’occasion offerte pour souhaiter qu’on envoie à de tels cours les journalistes de la presse écrite et de la radio romanches! Sur la question de savoir si une telle formation devrait se donner en RG ou dans les divers idiomes, deux des traducteurs expriment une préférence pour le RG, trois estiment que la formation devrait se faire dans les idiomes, deux préféreraient une solution médiane530 et le dernier ne se prononce pas sur cette question. Une personne opposée à une formation académique n’y voit pas d’intérêt pour elle-même531, une autre estime que cela serait exagéré, une troisième est d’avis que mieux maîtriser le romanche suffirait amplement. Deux objectent que ce n’est pas à l’université que l’on peut apprendre le «sens de la langue»: on l’a ou on ne l’a pas! Deux autres estiment que c’est avant

527 Deux personnes sur dix-sept n’ont pas répondu à cette question. 528 L’un deux ajoute que les traducteurs ont très souvent un autre métier, une autre activité, et que, de ce point de vue, des cours seraient les bienvenus. 529 À ce point, le traducteur objecte néanmoins que ce serait tout de même «trop demander», en raison de la taille du marché et des compétences en allemand de la plupart des locuteurs romanches. Il ajoute que s’interroger sur ce sujet revient à réfléchir sur l’avenir même du romanche. 530 Tout en soulignant immédiatement que cela serait irréalisable financièrement. 531 Elle souligne que, pour elle, la traduction a plus le caractère d’un hobby.

123 tout par la pratique qu’on est ou devient traducteur, et qu’il faut connaître la matière. Une dernière estime que le vocabulaire romanche restera de toute manière restreint, et que c’est avant tout la langue populaire qu’on devrait s’attacher à maintenir.

3.2.2.2.4 Types de textes traduits Les traducteurs indiquent des textes très différents les uns des autres: pièces de théâtre, textes et livres pour enfants, romans, poésie, textes pour la presse régionale et locale, communiqués, lois, ordonnances et règlements de communes, statuts, textes de portée juridique ou scientifique, articles relatifs à l’histoire de l’art, menus pour hôtels et restaurants, documents en rapport avec le tourisme, affiches, circulaires, rapports annuels, matériel didactique pour les écoles ou le lycée (p. ex. dans les domaines de la biologie, physique, chimie, histoire), textes pour pièces chorales.

3.2.2.2.5 Problèmes rencontrés lors de traductions Les sujets évoqués à cet égard par les traducteurs relèvent de la terminologie (p. ex. néologismes), mais aussi du registre (dans certains cas, il n’est pas facile de trouver un équivalent romanche532 ou encore d’en choisir un qui fasse partie de la langue de tous les jours), de la syntaxe et de l’idiomaticité (comment s’assurer que la formulation choisie soit bien romanche, étant donné l’influence de l’allemand non seulement sur chaque locuteur, mais également sur son idiome533), de l’orthographe (une personne mentionne les différences entre le dialecte jauer du Val Müstair et le vallader standard de Basse Engadine), de l’usage fréquent des substantifs et de la forme passive en allemand534.

532 Un traducteur note la difficulté de traduire des mots ou expressions tels que «beeinträchtigen» ou «geprägt durch». 533 Une personne relève que dans son idiome, de très nombreuses expressions viennent de l’allemand. 534 Les traducteurs sont également confrontés à ces caractéristiques.

124 Les traducteurs témoignent également de la difficulté de recréer, en romanche, le rythme et la mélodie de la langue étrangère, de la si grande différence entre les langues535, mais aussi de celle de traduire un texte allemand qui laisse à désirer… L’un s’interroge également sur la liberté qu’il peut s’octroyer dans la traduction, un autre décrit le besoin de simplifier le texte d’arrivée en idiome, surtout si ses destinataires sont des élèves qui ne font du romanche qu’à l’école.

3.2.2.2.6 Opinion sur le RG Comme nous l’avons vu plus haut, une très petite partie des traducteurs ont déclaré faire des traductions également vers le RG536. 6 sur 17 l'ont appris537. Voici les opinions exprimées sur la langue de chancellerie: «une langue d’appoint, dans certains cas»; «pas une langue étrangère, mais pas une langue maternelle non plus. Un langage qui n’est pas parlé par les membres de la communauté, je ne peux pas le considérer comme ma langue maternelle»; «une langue qui m’accompagne tous les jours, à travers la presse»; «une langue en partie très proche, en partie étrangère»; «une langue bien entendu plus proche [de ma langue] qu’une langue étrangère, mais qui contient des éléments étrangers à ma langue, p. ex. du point de vue de la syntaxe ou de la grammaire, du vocabulaire»; «quelque chose entre deux [entre la langue maternelle et une langue étrangère]… Avec le RG, il manque l’identification émotionnelle, mais ce n’est tout de même pas une langue étrangère»; «une langue romanche… Avec la même base [que mon idiome], mais avec des variations»; «ma langue romanche à l’écrit! Si je fais des travaux de traduction, je le fais plus volontiers pour tout le canton [que seulement pour ma région]».

535 À cet égard, l’un des traducteurs évoquait également la traduction d’œuvres d’auteurs latins classiques. 536 Les types de textes indiqués étaient alors des chansons, des poésies, de la prose, mais aussi des lois, des livres scolaires, des affiches ou des brochures publicitaires. Dans un cas, le traducteur a précisé qu’il s’agissait de transcription en RG depuis un idiome, non de traduction depuis l’allemand. Parmi les personnes qui n’ont pas appris le RG, l’une déclare le comprendre, une autre estime qu’elle devrait l’apprendre et l’utiliser. 537 Par le biais de cours proposés par la LR, de cours offerts aux enseignants ou à l’université.

125 Conclusion

Au travers des trois chapitres du présent mémoire, nous nous sommes intéressés à l’influence de l’histoire, de la géographie et de l’économie sur la langue et la perception de cette dernière par ses locuteurs, nous avons présenté quelques situations de traduction, tout en laissant le mot de la fin aux traducteurs vers le RG et vers les idiomes. Nous revenons ci-dessous sur quelques points particuliers. Il n’est pas inintéressant d’examiner des problèmes de transfert pouvant se présenter dans la direction de traduction allemand-romanche, comme miroir par rapport à notre propre pratique de francophone (ou d’italophone). Lorsqu’on s’étonne de certaines tournures romanches, à consonance très germanique, adoptées lors d’une traduction, une question mérite toutefois d’être posée: si le monde francophone était réduit à la Suisse romande, si (comme c’est le cas pour les Romanches) nous n’avions pas de soutien linguistique et culturel de la part de pays voisins, en premier lieu de la France, quel serait notre regard sur «notre» français et comment évoluerait-il par rapport à l’allemand alémanique? Qu’en serait-il si une majorité des membres de la communauté alémanique ne pratiquait pas au moins un peu le français et si nous autres francophones étions tous bilingues français-allemand dès nos plus jeunes années? La question de la pratique du français en Suisse alémanique peut paraître très académique aujourd’hui, mais elle le sera beaucoup moins dans un quart de siècle, lorsqu’une bonne partie de l’élite politique et économique d’outre-Sarine non seulement ne pratiquera plus le français, mais ne le comprendra tout simplement plus. Une telle situation se présentait dans le passé, dans d’autres circonstances évidemment: le souvenir nous revient ici d’un vigneron de la Côte vaudoise,

126 aujourd’hui décédé, qui nous parlait des «ématlozes» d’Aubonne, joli reliquat de l’administration bernoise du Pays de Vaud…538

Un autre aspect frappant pour le francophone suisse est la relative retenue des Romanches, l’absence de fortes revendications: pour un francophone formé à l’ETI, à qui l’on a martelé durant cinq ans, et à juste titre, l’importance primordiale de la langue maternelle, il est étonnant, voire ahurissant, de lire sous la plume d’un traducteur romanche par ailleurs chevronné que la création d’une filière universitaire de traduction vers le romanche «serait beaucoup demander»… L’étude de l’histoire romanche, les réponses à nos questionnaires, mais aussi des discussions avec diverses personnes de langue romanche au cours des dernières années, nous laissent penser que malgré les énormes efforts consentis pour soutenir les idiomes romanches et en rehausser le prestige (et l’usage, dans certains secteurs), et malgré les traductions qui assurent un meilleur rayonnement des auteurs romanches dans le reste de notre pays, un élément est depuis longtemps incrusté dans les têtes de certains locuteurs romanches: la langue romanche est fondamentalement de moindre importance par rapport à l’allemand. L’examen des divers actes fondant la protection du romanche et l’histoire de leur adoption nous donnent l’impression qu’on cherche à maintenir un équilibre pragmatique entre un curieux mélange d’intérêt poli, d’indifférence, d’ironie teintée d’un léger mépris ou même d’hostilité envers le romanche, et une protection institutionnelle certes parmi les plus étendues que l’on puisse trouver sur le territoire européen en matière de protection des langues minoritaires, mais dont la plupart des bénéficiaires (manifestant pour certains une forme de réalisme teinté de résignation)

538 Terme (à l’orthographe incertaine) venant du terme allemand «heimatlos»: sans patrie, sans lieu d’attache, privé de nationalité. Cf. www.bezg.ch/4_09/dubler.pdf. D’une Neuchâteloise du Haut, nous nous souvenons de la phrase savoureuse «le fatre a pris un chtoque pour chlaguer le catze», qui n’a rien à envier aux exemples de romanche germanisé cités plus haut!

127 n’ont pas l’habitude d’épuiser toutes les possibilités, d’exiger plus encore ou simplement de se plaindre avec véhémence lorsque les dispositions et principes en vigueur ne sont pas respectés539. Désirant laisser ouverte la question de savoir si des revendications plus appuyées viendraient rompre cet équilibre, nous sommes persuadés que cet environnement et ce climat exercent forcément une influence sur les traducteurs du romanche, d’autant plus que la langue de départ est, très souvent, la langue écrite de la grande majorité alémanique540. Comme le souligne Lefevere, «Les traductions ne sont pas effectuées dans un espace vide. Les traducteurs agissent dans une culture et à une époque déterminées. Leur regard sur eux-mêmes et celui qu’ils portent sur leur culture sont des facteurs pouvant influencer leur manière de traduire.»541 L’histoire et l’évolution récente du romanche ont-t-elles également une influence sur l’étonnante sévérité de certains regards sur la qualité de la production littéraire indigène, production constituant pourtant l’un des reflets de cette partie de la population suisse? Rappelons à ce sujet qu’il n’est presque pas possible de penser au romanche sans se référer, tôt ou tard, à l’allemand, d’expliquer tel ou tel contexte romanche sans avoir recours à l’allemand ou même de procéder à une comparaison qui ne soit pas, à un moment ou à un autre, opérée à l’aune de l’allemand, omniprésent et incontournable.

539 Nous nous souvenons à cet égard de cet ami grison, enseignant à Coire, qui avait envoyé avec sa classe une lettre en romanche à Madame Micheline Calmy-Rey, alors Présidente de la Confédération, pour montrer aux élèves que l’Etat fédéral répond également aux citoyens suisses dans la quatrième langue officielle. Cruelle désillusion: Madame Calmy-Rey avait fait envoyer une réponse… en allemand! 540 Celle-là même qui paie les mesures de protection et de promotion du romanche. Il ne s’agit évidemment pas ici de désigner des «coupables» et des «victimes», mais bien de tenter de mettre en lumière un contexte particulier: si celui qui paie commande, quelle est l’autorité de celui qui paie deux fois? Cf. Pym 1997, pp. 117-118, sur la notion de «coût de transaction» en matière de traduction. 541 Lefevere 1992, p. 14 (traduction de l’auteur du présent mémoire). Berman 1993, p. 46, exprime la nécessité de réfléchir au «rapport du traducteur à l’écriture, à la langue maternelle et aux autres langues, ainsi qu’à la traduction elle-même», parce que le traducteur existe, même s’il estime que son activité l’oblige à se faire oublier, à rester «transparent».

128 S’intéresser à la traduction vers le romanche, c’est également réfléchir au processus d’acquisition de la langue maternelle, c’est-à-dire au lien entre la scolarisation des traducteurs et leur pratique future de la traduction. C'est encore se pencher sur la relation entre le cadre social d’utilisation de la langue et l’aversion plus ou moins marquée de certains registres par les locuteurs, et enfin, à travers l’incontournable question du prestige respectif de la langue de départ et de la langue d’arrivée, sur les chances de survie de la langue en général542. Reprenons un instant le miroir: quel serait notre regard sur le français si, dès la quatrième année de l’école primaire, l’essentiel de notre scolarisation se faisait dans une autre langue, dont les locuteurs ne comprendraient rien à la nôtre et trouveraient cela, en fin de compte, absolument normal?543

Abordons maintenant les deux questions formulées par Anthony Pym dans Pour une éthique du traducteur544, celles du «Comment faut-il traduire?» et du «Faut-il traduire»?545 On constate, dans quelques-uns des questionnaires, un assez fort «réflexe antiacadémique», ainsi qu’une inclination marquée pour l’activité pratique, pour l’accumulation d’expérience, par opposition (que la Maison nous pardonne…) au bourrage de crâne546! Derrière cette préférence, on sent le souci de ne pas se laisser «voler» la langue, comme si l’institution universitaire (par ailleurs créatrice du RG) allait s’en emparer, en faire son jouet ou la dénaturer. Derrière certains «non» catégoriques, derrière les appels à conserver au romanche son vernis populaire, on lit une supplique: «Ne venez pas nous prendre le peu qu’il nous reste…»

542 Lambert/Lefevere 1993, p. 28, qui évoquent «l’autorité perçue» d’une culture de départ. 543 «Rätoromanisch versteht eigentlich keiner», écrit Barbara Jung dans la revue Focus 8/2010: une formulation qui en dit long sur la perception des idiomes romanches par la plus grande partie de la population suisse. À quand «Französisch versteht sowieso niemand»? 544 Artois Presses Université, Arras, 1997. 545 Pym 1997, p. 11. 546 Berman 1993, p. 39, qui évoque une aversion de la «théorie», répandue chez les traducteurs, qui se conçoivent comme des artisans, des intuitifs. Voir également Nicole Carnal, in: Hieronymus 1/2010, pp. 8- 9, sur les divergences d’opinions entre théoriciens et praticiens.

129 À l’évidence, la réalité de la traduction dans les régions romanches est, pour la majorité des traducteurs, assez éloignée des principes enseignés dans une école de traduction comme l’ETI, par exemple du fait du bilinguisme des protagonistes: pour la plupart des traducteurs qui ont répondu à notre questionnaire, traduire vers le romanche et vers l’allemand est courant. On peut aborder la question du «Comment…», orientée vers la qualité du travail et du produit, sous deux angles distincts: la formation du traducteur et sa responsabilité personnelle. Tant que l’ETI ne propose pas aux traducteurs romanches une formation équivalente à celle qu’elle offre actuellement aux étudiants de langues allemande, française et italienne, l’application de ses critères aux traductions romanches a-t-elle un sens? L’aura-t-elle un jour, puisque la mise sur pied d’une telle formation ne pourra probablement jamais être réalisée, faute de candidats et de moyens financiers en suffisance? Ne vaudrait-il pas mieux étoffer l’offre d’une école comme la SAL, et la rendre plus accessible, par exemple au moyen d’aides financières ponctuelles aux personnes intéressées? D’un autre côté, comme le relève David Jemielity dans le premier numéro 2010 de la revue Hieronymus547, faire une formation dans une école de traduction n’est pas une condition absolue pour la qualité de la traduction. Dans le cas particulier, vu la taille du marché, la grande majorité pratique la traduction comme une activité en marge d’une profession principale548, ce qui n’incite pas forcément à investir dans une formation longue et coûteuse, qui plus est à l’autre bout du pays. S’il rappelle également que «la compétence traductrice n’est pas la chose la mieux partagée du monde» (et cite Samuel Weber, pour qui le

547 «If it was obvious to everyone that you needed to get a translation degree to be good at the profession, then everyone would get one. But everyone doesn’t. And many of these people turn out to be awfully good. So clearly, you don’t need a translation studies degree to be good at what we do.» David Jemielity, in: Hieronymus 1/2010, p. 40. 548 Réalité évoquée par Pym 1997, p. 12.

130 «professionnalisme» est la capacité d’une personne de rendre un service qu’elle seule, précisément en tant que professionnelle, est capable de fournir549), Pym n’indique pas expressément un lien de cause à effet obligatoire entre la formation en traduction et la qualité d’un produit de traduction.

Au-delà de ce que Pym appelle les «recettes» (connaissance et maîtrise des méthodes et principes de traduction, dont on fait l’apprentissage durant une formation), il existe aussi le critère du sentiment personnel de responsabilité du traducteur550: les trois volets de la responsabilité décrite par Pym ont été évoqués par les traducteurs dans les questionnaires, de diverses manières et dans les termes les plus variés551. Selon Pym, la responsabilité du traducteur commence déjà au moment où il choisit de traduire ou non552. Quelle que soit la voie choisie (académique ou purement pratique, par accumulation de l’expérience professionnelle553), ou le regard privilégié (sourcier ou cibliste), un principe directeur demeure: la traduction est un métier qui ne s’improvise pas554.

Pour les traducteurs issus d’une petite minorité, non seulement la question du «Comment…» a une résonance particulière (puisque les possibilités de formation académique sont limitées ou accessibles exclusivement par l’interface de l’allemand), mais la question «Faut-il traduire?», elle aussi, se pose différemment: au-delà des considérations strictement relatives à la

549 Pym 1997, p. 70. 550 Pym 1997, pp. 67 et 68. 551 Pym 1997, pp. 77 ss: responsabilités envers les choses, envers le client et envers la profession. Par «responsabilité envers les choses», Pym entend la fidélité envers l’énoncé de départ (bonne compréhension), le respect du code d’arrivée (bonne réexpression) et une bonne connaissance de la matière (réalité dont il est question dans le texte à traduire). 552 Pym 1997, p. 65. 553 Dont l’importance est soulignée par Nicole Carnal, in: Hieronymus 1/2010, p. 7. 554 Phrase relevée par Séverine Billon, dans sa revue de sites Internet consacrés à la traduction, in: Hieronymus 1/2010, p. 22.

131 communication utile et nécessaire555 et des lois du marché, il arrive souvent qu’on traduise sur demande de l’Etat, pour assurer à la langue (et, à travers elle, à la communauté de ses locuteurs) une place sur la scène nationale556. Il s’agit là de choix avant tout politiques, particulièrement en ce qui concerne les traductions de textes officiels en RG557, dans un contexte où, selon la situation de communication, l’allemand très bien maîtrisé sert de langue de travail à la majorité des Romanches et le dialecte alémanique, de lingua franca entre Romanches558. Selon la priorité définie (que ces traductions existent ou qu’elles soient utilisées par leurs destinataires559), la réponse à la question du «Faut-il…» ne sera pas la même. Si, comme le propose Pym en reprenant en partie à son compte des considérations d’Andrew Chesterman, la traduction a pour fonction d’améliorer la coopération entre les hommes et de réduire au minimum les malentendus560, les traductions de textes officiels en RG ne seraient pas toujours indispensables, vu que tous les locuteurs romanches comprennent au moins aussi bien l’allemand que leur idiome romanche. Ecoutons Pym: «[…] Réduire les malentendus, cela n’implique pas qu’on doive toujours tout traduire. La réduction des malentendus peut également passer par la non traduction de certains textes, par l’explication de certains autres, par l’enseignement de certaines langues, autant de stratégies possibles de la communication transculturelle. Réduire les malentendus au lieu de produire des équivalences, c’est en premier lieu apprendre à concentrer les efforts traductifs là où les malentendus empêchent la coopération. […]»561 Si la finalité des traductions en RG est, outre le statut du romanche sur le

555 Pym 1997, p. 16. 556 Pym 1997, pp. 130 et 131. 557 Solèr 1991, p. 29. Un tel motif fait également partie des «raison[s] sociale[s] pour le faire»: Pym 1997, p. 97. 558 Pym 1997, p. 109, qui s’interroge sur la nécessité de la traduction quand des interlocuteurs se comprennent également sans son apport. 559 Pym 1997, pp. 89 ss, sur la question de la finalité. 560 Pym 1997, p. 123. 561 Pym 1997, p. 123. Le traducteur devrait, idéalement, être formé pour dire à son client quand la traduction n’est pas nécessaire, que d’autres stratégies peuvent être appliquées: Pym 1997, p. 127.

132 plan national, par exemple de créer un corpus de textes permettant d’asseoir à plus long terme la stabilité de la langue romanche unifiée à l’intérieur et à l’extérieur de la zone traditionnelle de diffusion des idiomes romanches, corpus dans lequel on pourra puiser à loisir plus tard, la traduction se justifie indépendamment de la réception des textes traduits par les locuteurs d’aujourd’hui (à condition qu’ils aient eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet). Un assez grand nombre de traducteurs indiquent en outre, dans les questionnaires, faire de la traduction vers le romanche avant tout par conviction personnelle, même en l’absence de toute rétribution, par exemple pour rendre service à une collectivité ou à des destinataires précis, sur le plan local (habitants d’une commune, paroissiens, membres d’une association, élèves d’une école, secteur professionnel, etc.)562. Lorsqu’on traduit simplement par curiosité, gratuitement, pour savoir quelle mélodie revêtirait tel ou tel texte dans sa langue maternelle, la réponse à la question «Faut-il…» est, en terre romanche comme partout ailleurs, simplement: «oui». Il s’agit là d’une expérience au caractère principalement ludique qui ne débouche pas forcément sur une publication.

Pour revenir une dernière fois à des considérations de formation, pourquoi ne pas mettre un jour sur pied, à l’intention des traducteurs se trouvant déjà dans la vie professionnelle, un atelier de traduction de l’allemand vers le français, l’italien et le romanche (RG et/ou idiomes), pour examiner dans la pratique quelles peuvent être les diverses productions des traducteurs des trois langues romanes de Suisse par rapport à la même version originale allemande? La création d’un cadre adéquat, même relativement informel, pour partager entre Suisses «latins» des expériences de traduction et comparer des solutions nous paraît être un défi intéressant à relever dans les prochaines années: nous avons affaire aux mêmes textes

562 On rejoint ici les traducteurs idéalistes évoqués par Pym 1997, pp. 11-12.

133 fédéraux (et, pour l’italien seulement, cantonaux) et les difficultés rencontrées lors d’une traduction de l’allemand sont, à lire les réponses formulées dans les questionnaires, identiques ou comparables, alors que le rapport des traducteurs à l’allemand est, lui, fondamentalement différent563. Nous pourrions ainsi apprendre, les uns des autres, des choses intéressantes.

Concernant la question de l’interculturalité, Pym a émis l’hypothèse qu’un traducteur – quel qu’il soit – se situe dans un espace formant l’intersection entre deux cultures564. Il représente la situation au moyen d’un schéma composé de deux cercles d’égales surfaces se recoupant partiellement, la zone médiane étant précisément réservée au traducteur. Soulignant que la plupart des auteurs traductologues évitent soigneusement d’aborder cette «zone médiane»565, Pym poursuit avec l’idée que non seulement les traducteurs se trouvent dans l’intersection, mais qu’ils sont eux-mêmes l’intersection566. Le schéma de Pym convient certainement lorsque les deux cultures (et leurs deux vecteurs, les deux langues concernées) jouissent d’une indépendance égale l’une par rapport à l’autre: quand, en d’autres termes, chacune existe d’abord par elle-même. Nous doutons que la relation entre le romanche et l’allemand puisse être représentée de cette manière: à notre avis, le cercle allemand devrait être beaucoup plus gros, le romanche, beaucoup plus petit, et aussi beaucoup plus proche, se retrouvant de fait quasiment englobé dans le cercle allemand. En termes de pourcentage, la

563 Le bilinguisme romanche-allemand des locuteurs romanches correspond-il ce que Pym appelle «[…] se trouve[r] dans plusieurs cultures à la fois, dans un espace interculturel, une intersection entre les cultures […]» (Pym 1997, p. 14)? Voir également Solèr 2002, p. 260. 564 Pym 1998, p. 177. 565 Pym 1998, pp. 178 ss: «unpleasant middle grounds», sous la plume de Lefevere traduisant Schleiermacher. 566 Même si Pym ne lie pas expressément interculturalité et bilinguisme, nous ne pouvons nous empêcher de penser immédiatement au «modèle de l’iceberg», proposé par Cathomas/Carigiet 2008, p. 23: les deux langues sont les pointes (jaune et bleue) qui dépassent de l’eau et la partie commune (verte), presque entièrement immergée, est qualifiée de «Gemeinsames zugrunde liegendes Areal der Erst- und Zweitsprache».

134 partie médiane serait plus importante, mais la partie «purement romanche», extérieure à l’allemand567, serait (est?) alors réduite à une part presque insignifiante. On arrive alors à la conception défendue par Clau Solèr, qui souligne que l’allemand est bien présent dans les têtes568, et que la langue romanche, langue en contact (avec l’allemand), n’a plus, aujourd’hui, de caractère autonome569: l’allemand est bien la langue dominante du trilinguisme grison570.

Les réponses formulées dans les questionnaires, mais aussi le matériel consulté avant et durant la rédaction du présent mémoire ont mis en lumière des thèmes qu’il serait intéressant d’approfondir dans des travaux ultérieurs: le bilinguisme, la diglossie et la traduction; l’évolution de la perception du RG et des traductions en RG par les locuteurs du romanche; la perception des idiomes romanches par leurs locuteurs; une comparaison entre la situation du traducteur romanche et celle des traducteurs du ladin des Dolomites ou du frioulan, les langues d’Italie du nord apparentées aux idiomes romanches; l’avenir de la littérature romanche en idiome et son accessibilité pour les locuteurs eux-mêmes si le RG devient la langue de scolarisation généralisée des jeunes Romanches; les traducteurs romanches et leur rapport à leur langue maternelle, en comparant leur situation à celle d’autres traducteurs européens de langue maternelle minoritaire571; et, bien entendu, la création d’un grand dictionnaire romanche monolingue, lequel fait actuellement défaut, comme d’ailleurs celle d’un Pledari Grond RG-français / français-RG.

567 Permettant aussi d’exercer des compétences langagières totalement en dehors de l’allemand. 568 Solèr 2002, p. 260: «[…] dass man heute im romanischen deutsch denkt.»; Solèr 2010, p. 1: «Deutsch ist heute eine Realität, und zwar eine gewichtige […]»; p. 4: «mentale Symbiose», avec la citation d’Iso Camartin. 569 Solèr 2007, p. 399. 570 Solèr 2008, p. 149: à noter que l’auteur met le mot «trilinguisme»… entre guillemets! 571 Berman 1993, p. 46, décrivant, dans la cinquième tâche de la traductologie, l’étude de la personne du traducteur lui-même, qu’il considère comme le «grand oublié de tous les discours sur la traduction».

135 Que l’on nous permette de revenir enfin aux premières lignes de ce travail: en tentant de brosser un tableau de diverses situations de traduction relatives aux idiomes romanches et au RG, d’en résumer l’histoire et de recueillir les propos d’une partie des traducteurs concernés, nous espérons bien entendu contribuer à faire mieux connaître quelques facettes des «petits mondes romanches»572, de montrer l’intérêt de nos «multiples quatrièmes langues nationales», d’intéresser – bien dans la ligne du slogan Tgi che sa rumantsch sa dapli573 – nos collègues francophones à l’apprentissage de l’une de ces langues et d’éveiller quelques vocations pour de futures traductions du romanche au français.

Avant de terminer, nous tenons à citer une dernière fois Gabriel Mützenberg, qui souligne la richesse et la beauté du parler du rhéto- roman: «La vieille langue rhéto-romane, qui fleure bon son latin d’origine, sait se faire des amis. Elle intrigue l’étranger et éveille sa curiosité, bientôt son intérêt. Même sa rudesse charme. Combien, dès le premier contact sont conquis pour jamais.»574

Enfin, que trouver de plus évocateur que ces lignes, écrites hors de nos frontières, qui disent bien l’estime et le respect envers le romanche: «J’estime profondément ce pays, cette langue, ces gens», écrit le traducteur catalan du Saltar dils morts d’Ursicin Gion Gieli Derungs, Joan Esteve i Riba, qui ajoute: «Je voulais amener la Catalogne à connaître les Grisons. Il m’a semblé que la meilleure manière de procéder était d’apporter aux Catalans un échantillon de la littérature rhéto-romane.»575

Nicolas Bühler juin 2010

572 Expression trouvée dans l’un des questionnaires renvoyés par les traducteurs. 573 Slogan de la RTR (que l’on peut traduire par «Qui sait le romanche en sait plus»), qui figure également sur l’une des locomotives des Chemins de fer rhétiques. 574 Mützenberg 1991, p. 94. 575 Joan Esteve i Riba, in: Derungs 1988, p. 9 (traduction de l’auteur du présent mémoire).

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ZINSLI, Paul, Walser Volkstum : in der Schweiz, in Vorarlberg, Liechtenstein und Piemont : Erbe, Dasein, Wesen, 4e édition, Huber, Frauenfeld, 1976, 558 p. [citation: Zinsli 1976]

Personnes consultées (entretien ou courrier électronique)

- Madame Anna Alice Dazzi Gross, linguiste, chef du département de linguistique appliquée de la LR

- Madame Barbla Etter, linguiste, département de linguistique appliquée de la LR

- Monsieur Franco Fomasi, chef de la section de terminologie des services linguistiques centraux de la Chancellerie fédérale

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- Monsieur Marc Friberg, enseignant, traducteur de sous-titre pour Swiss Text, auprès de SF

- Monsieur Gion Linder, coordinateur national du sous-titrage auprès de l’entreprise Swiss Text

- Monsieur Giusep Nay, avocat, ancien Président du Tribunal fédéral

- Monsieur Clà Riatsch, professeur de romanche à l’Université de Zurich

- Monsieur Clau Solèr, professeur de romanche à l’Université de Genève

Sites Internet principaux www.liarumantscha.ch [Ligue romanche, Coire] www.rumantsch.ch [association Pro Svizra Rumantscha] www.rtr.ch [radio et télévision romanche] www.giuru.ch [jeunesse romanche] www.drg.ch [Institut du Dicziunari Rumantsch Grischun] www.laquotidiana.ch [quotidien romanche] www.punts.ch [revue mensuelle des jeunes Romanches] http://portal.wikimedia.ch/wikipedia/lang,rm [portail Wikipédia en romanche] http://www.gr.ch/RM/chantun/Seiten/Bainvegni.aspx [canton des Grisons] http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/EtatsNsouverains/Grisons.htm [Université de Laval, Québec, page consacrée aux Grisons] http://www.frr.ch [Fundaziun Retoromana] http://www.admin.ch/ch/r/rs/rs.html [textes légaux fédéraux disponibles en RG sur le site du Recueil systématique] www.pledarigrond.ch [dictionnaire en ligne RG-allemand / allemand-RG] http://www.unifr.ch/rheto/projects-r.php [grammaire du RG en ligne, Université de Fribourg]

(dernière consultation de tous les sites figurant dans le présent mémoire: jeudi 6 mai 2010)

148 Tables des matières complète TABLE DES MATIERES RESUMEE ...... 2

ABREVIATIONS...... 3

INTRODUCTION...... 4

1 ORIGINES, DEVELOPPEMENT ET PROTECTION INSTITUTIONNELLE DU ROMANCHE...... 8 1.1 ORIGINES ET DEVELOPPEMENT DU ROMANCHE ...... 8 1.1.1 Le romanche avant la Réforme...... 8 1.1.1.1 Le monde rhète ...... 8 1.1.1.2 L’intégration à l’empire romain...... 9 1.1.1.3 Le Moyen-Âge...... 10 1.1.2 La Réforme: naissance du romanche à l’écrit...... 12 1.1.3 Le développement du romanche à la suite de la Réforme ...... 13 1.1.4 Le XIXe siècle...... 15 1.1.5 Le romanche jusqu’à la première décennie du XXIe siècle ...... 18 1.2 PROTECTION INSTITUTIONNELLE DU ROMANCHE ...... 26 1.2.1 Le Canton des Grisons...... 26 1.2.1.1 Avant 1880...... 26 1.2.1.2 Les constitutions cantonales grisonnes de 1880 et 1892 ...... 27 1.2.1.3 La constitution cantonale grisonne du 1er janvier 2004 ...... 27 1.2.1.4 La loi cantonale sur les langues du 19 octobre 2006 ...... 28 1.2.1.5 Autres dispositions sur le plan cantonal ...... 29 1.2.2 La Confédération suisse...... 29 1.2.2.1 Au XIXe siècle ...... 29 1.2.2.2 Le scrutin de 1938: une quatrième langue nationale suisse! ...... 29 1.2.2.3 Directive fédérale en faveur du RG ...... 30 1.2.2.4 1996: révision de l’article 116 aCst...... 30 1.2.2.5 La nouvelle constitution fédérale...... 32 1.2.2.6 Loi sur les langues ...... 32 1.2.2.7 Autres dispositions fédérales ...... 32 1.2.3 Protection sur le plan international ...... 33

1.3 LE ROMANCHE A L’ECOLE...... 34 1.4 LE ROMANCHE DANS DIVERS DOMAINES DE LA VIE EN SOCIETE ...... 37 1.4.1 Quelques secteurs de l’économie...... 38 1.4.1.1 Le tourisme ...... 38

149 1.4.1.2 L’industrie...... 39 1.4.1.3 Le commerce de détail...... 40 1.4.1.4 Les transports...... 40 1.4.2 L’Eglise...... 41 1.4.3 L’armée...... 41 1.4.4 L’administration et les services publics...... 42 1.4.5 Les médias ...... 43 1.4.6 La culture ...... 43 1.4.6.1 Les activités culturelles par et pour les Romanches ...... 43 1.4.6.2 Les cours de romanche et le matériel d’apprentissage ...... 44 1.5 RUMANTSCH GRISCHUN, IDIOMES ET TRADUCTION...... 45 1.5.1 Paysage linguistique romanche: idiomes et RG ...... 46 1.5.2 Romanche(s) et trilinguisme grison...... 48

2 LE ROMANCHE: DES SITUATIONS DE TRADUCTION FORT DIVERSES ...... 49 2.1 LE ROMANCHE COMME LANGUE D’ARRIVEE...... 50 2.1.1 La traduction en RG par la Chancellerie grisonne et la LR...... 50 2.1.1.1 Les traductions demandées par la Confédération ...... 50 2.1.1.2 Les traductions en RG effectuées par la Chancellerie grisonne ...... 53 2.1.1.3 Les traductions en RG effectuées par la Lia Rumantscha ...... 54 2.1.1.4 Types de textes traduits en RG ...... 56 2.1.1.5 Analyses de questions de traduction...... 57 2.1.1.5.1 Une analyse de la traduction en RG par Matthias Grünert ...... 58 2.1.1.5.2 Analyse de la traduction vers le romanche par Clau Solèr ...... 65 2.1.2 La traduction administrative par les communes ...... 69 2.1.2.1 La traduction en idiome dans les communes romanches...... 70 2.1.2.2 La traduction en vallader par la commune de Scuol...... 73 2.1.3 La traduction littéraire vers les idiomes...... 75 2.1.3.1 Trois figures contemporaines de la traduction romanche...... 76 2.1.3.1.1 Ursicin Gion Gieli Derungs ...... 76 2.1.3.1.2 Andri Peer ...... 79 2.1.3.1.3 Tista Murk...... 82 2.1.3.2 La traduction de pièces de théâtre ...... 84 2.1.3.3 La traduction de bandes dessinées et de livres pour enfants ...... 86

2.2 LE ROMANCHE COMME LANGUE DE DEPART ...... 87 2.2.1 La littérature romanche...... 87 2.2.1.1 La traduction littéraire du romanche vers le français ...... 87 2.2.1.1.1 Les auteurs traduits du romanche en français...... 87

150 2.2.1.1.2 À la mémoire d’une traductrice du romanche…...... 87 2.2.1.1.3 Difficultés spécifiques de la traduction du romanche au français ...... 89 2.2.1.1.4 Allemand, romanche et français ...... 90 2.2.1.3 La traduction littéraire du romanche est-t-elle justifiée?...... 92 2.2.2 Le sous-titrage d’émissions de télévision ...... 93 2.2.3 Autres traductions du romanche vers une autre langue ...... 94

2.3 LA TRADUCTION OU TRANSPOSITION ENTRE IDIOMES OU ENTRE IDIOMES ET RG ...... 95 2.3.1 Le monolinguisme romanche, une situation révolue...... 95 2.3.2 La littérature traduite ou transposée jusqu'en 1980 ...... 97 2.3.3 Le RG, futur canal commun de la littérature romanche?...... 97 2.3.4 La transposition entre idiomes et RG ou entre RG et idiomes ...... 98

2.4 LES OUTILS A DISPOSITION DES TRADUCTEURS ROMANCHES...... 99 2.4.1. Les dictionnaires ...... 99 2.4.1.1. Aucun dictionnaire romanche monolingue...... 99 2.4.1.2 Les dictionnaires romanche - français ...... 99 2.4.2 Les outils informatiques...... 100 2.4.2.1 Le Pledari Grond...... 100 2.4.2.2 Monpledari, MeinPledari, MioPledari, MyPledari, мойPledari...... 101 2.4.2.3 Office rumantsch ...... 101 2.4.2.4 Google rumantsch...... 102 2.4.2.5 Grammaire du RG en ligne...... 102 2.5 LA TRADUCTION VERS LE ROMANCHE, UNE NECESSITE?...... 102

3 LES TRADUCTEURS DU ROMANCHE, PAR EUX-MEMES...... 105 3.2.1 Les traducteurs vers le RG...... 107 3.2.1.1 Chiffres ...... 107 3.2.1.2 Thèmes abordés ...... 107 3.2.1.2.1 Informations générales...... 107 3.2.1.2.2 Premier contact avec la traduction et motivation personnelle ...... 108 3.2.1.2.3 Formation à la traduction...... 109 3.2.1.2.4 Utilisation des ouvrages de référence par les traducteurs...... 113 3.2.1.2.5 Rapport avec le RG...... 114 3.2.1.2.6 Problèmes rencontrés lors des traductions en RG...... 117 3.2.1.2.7 Eléments supplémentaires évoqués par les traducteurs ...... 119 3.2.2 Les traducteurs vers les différents idiomes...... 120 3.2.2.1 Chiffres ...... 120 3.2.2.2 Thèmes abordés ...... 120 3.2.2.2.1 Informations générales...... 120

151 3.2.2.2.2 Premier contact avec la traduction et motivation personnelle ...... 121 3.2.2.2.3 La formation de traducteur...... 122 3.2.2.2.4 Types de textes traduits...... 124 3.2.2.2.5 Problèmes rencontrés lors de traductions ...... 124 3.2.2.2.6 Opinion sur le RG ...... 125

CONCLUSION ...... 126

BIBLIOGRAPHIE...... 137

PERSONNES CONSULTEES (ENTRETIEN OU PAR COURRIER ELECTRONIQUE)...... 147

SITES INTERNET PRINCIPAUX...... 148

TABLES DES MATIERES COMPLETE...... 149

ANNEXES ...... 153 I. CARTES...... 153 1. Carte géographique des Grisons...... 153 2. Langues suisses ...... 153 3. Carte politique des Grisons ...... 154 4. Diffusion réelle des langues romanches ...... 154 5 Les régions rhéto-romanes traditionnelles...... 155 II. QUESTIONNAIRES ET LETTRES D’ACCOMPAGNEMENT ...... 156 1. Lettre d’accompagnement du questionnaire «RG»...... 156 2. Questionnaire «RG»...... 157 3. Lettre d’accompagnement du questionnaire «idiomes»...... 164 4. Questionnaire «idiomes»...... 165

REMERCIEMENTS / ENGRAZIAMENT / RINGRAZIAMENTO ...... 172

152 Annexes

I. Cartes

1. Carte géographique des Grisons (source: http://www.weltkarte.com/europa/schweiz/karte_kanton_graubuenden.htm)

2. Langues suisses (source: Fact & Figures 2004, p. 23)

153 3. Carte politique des Grisons

4. Diffusion réelle des langues romanches

154 5 Les régions rhéto-romanes traditionnelles (source: Fact & Figures 2004, p. 27)

155 II. Questionnaires et lettres d’accompagnement

1. Lettre d’accompagnement du questionnaire «RG»

156

2. Questionnaire «RG»

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3. Lettre d’accompagnement du questionnaire «idiomes»

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4. Questionnaire «idiomes»

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171 Remerciements / engraziament / ringraziamento

Il me tient très à cœur de remercier ici plusieurs personnes qui ont contribué, chacune à sa manière, à l’aboutissement du présent mémoire:

Madame Valérie Dullion (directeur de mémoire), Monsieur François Grin et Monsieur Clau Solèr (jurés), pour leur soutien, leur encadrement et leurs précieux conseils,

Dunna Anna Alice Dazzi Gross e Dunna Barbla Etter, dalla Lia Rumantscha, per lur agid e cussegls prezius,

Madame Michèle Ernst Stähli, qui a relu le questionnaire et proposé de nombreuses clarifications et améliorations,

Las translaturas romontschas ed ils translaturs romontschs, per lur rispostas e lur pazienzia cun il questiunari,

Les enseignants et les membres du personnel administratif et technique de l’ETI, pour ces six belles années d’apprentissage et de découverte,

Madame Sophie Wolf et Madame Anita Rochedy, pour leur relecture attentive du présent mémoire et leurs conseils pertinents,

Signur Werner Carigiet, miu emprem scolast da romontsch,

Madame Kristine Reynaud, qui m’a amené sur les chemins de la traduction,

Monsieur Jonny Kopp, pour sa compréhension et sa générosité envers son traducteur,

Mon papa, entre-temps décédé, sans l’aide initiale duquel je n’aurais pu me lancer dans ma formation de traducteur,

E mia figlia Annesa, sole della mia vita, che festeggia i suoi nove anni proprio il giorno della difesa di questo lavoro!

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