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V Is Io N S Bai-Kaniques R E V O L U T Io N Grecque

V Is Io N S Bai-Kaniques R E V O L U T Io N Grecque

* U N 1VERSITE pE GEN&VE 1NST1TUT UNIVERSITAIRE DE HAutE® ETUDES INTERNATIONALES

VISIONS BAI-KANIQUES ■1 DANS LA PREPARATION •9 D E l A REVOLUTION GRECQUE C1-7 S a - i 82 1 )

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7 Aladjahissar 10 Kirit 19 Salonique 2 Andrinople 11 Kirk- KilissS 20 Serbs 3 Belgrade 12 Kiistendil 21 silistrie 4 Bereft 13 Lepante 22 Skodra 5 Cartilie 14 Monastlr 23 Sofia 5 Delvino 15 Monte 24 Tchirmsn 7 Gallipoli 16 Novi-Pazar 25 Trikkala 8 Hertzek 17 Ohrida 26 Uskilb 9 Janina 18 Roustchouk 2 7 Vidine 28 Negrepont ■ * « £ ■ -v UNIVERSITY DE GENEVE^ ^ $S INSTITUT UN1VERSITAIRE DE HAUTES ETUDES I(^R lO k ffa N k iiE S ^ * • M « /' | Z \ -V. VISIONS BALKANIQUES DANS LA PREPARATION DE LA REVOLUTION GRECQUE

(1789-1821)

THESE

p r £ s e n t £ e a l u n i v e r s i t E e d e G E N lV E

POUR L’OBTENTION DU GRADE DE DOCTEUR £S SCIENCES POLITIQUES

PAR

N O T IS BOTZARIS D'ATHENES (GRtCE)

THESE N° 138

EN VENTE CHEZ:

LIBRA1RIE E. DROZ 8. RUE VERDAINE GENEVE

1962 La Commission Mixte, composee des Doyens des Facultes de Droit, des Lettres, et des Sciences economiques et sociales, et du Directeur de l’lnstitut Universitaire de Hautes Etudes Internationales, sur le preavis de M. Jacques I'reymond, professeur a l’Universite et a I’Institut Universitaire, de M. Maurice Baumont; professeur a l’lnstitut et de MM. Henri Burgelin et Jean Siotis, charges de cours a l’lnstitut, autorise l’impression de la presente these, sans entendre par la exprimer d’opinion sur les propositions qui y sont enoncees.

Geneve, le 27 mars 1962.

Pour la Commission Mixte :

Jacques Freymond, Directeur de l’lnstitut Universitaire.

These N« 138. AVANT-PROPOS

Le mouveinent d'emancipation des peuples balkaniques a fait l’objet de nombreuses etudes, tant sur le plan politique national que sur celui des problemes diplomatiques engendres par lesdits mouvements. L’in- fluence des peuples balkaniques les uns sur les autres a rarement ete etudiee et, alors, seulement d’une maniere partielle. L’objet done du present ouvrage est de presenter une image de 1’influence exercee par certaines idees de cooperation balkanique dans la preparation de la revolution grecque de 1821. La preparation de cette revolution commen^a le lendemain ineine de la conquete ottomane, ce qui est reconnu aussi par les historiens turcs. Cette preparation dura pendant des siecles car le peuple grec avait et6 tres affaibli demographiquement par ses luttes seculaires contre les divers envahisseurs et la perte annuelle d’un grand nombre d’enfants qui allaient grossir les rangs des janissaires, socialement par la fuite d’une grande partie de son elite culturelle en Europe occidentale, eco- nomiquement par les exactions continuelles du conquerant. De son cote, 1’Empire Ottoman se trouvait au sommet de sa puissance et l’Europe entiere tremblait devant lui. Ainsi, pour les Grecs, le XV" sidcle, qui com- menga si brillamment en ce qui concerne la literature et les arts, se termina lamentablement, le xvr siecle fut une longue decadence, ou l’on ne rencontre que de rares figures de grande envergure, coinme le pa- triarche Cyrile Loucaris et El Greco. La mention de ce peintre de re- nommee universelle offre une occasion de comparer la floraison dans les domaines litteraire et artistique des regions grecques occupies par les Venitiens avec la stagnation des regions occupees par les Turcs. Le x v ii” siecle fut une periode de stabilisation et les premiers signes de la renaissance commencerent alors a se montrer. Avec le x v iir siecle la situation changea radicalement. La puissance de l’Empire Ottoman bais- sait de jour en jour, les janissaires n’etaient plus recrutes parmi les en- fants chretiens et une veritable renaissance hellenique dans tous les do­ maines commenga, timidement au debut, puis de plus en plus fortement, a se manifester. La revolution fran^aise et son message de liberte, ega- lite et fraternite eut un retentissenient considerable qui influenga enor- mement tout ce mouvement politique, economique, social, litteraire et artistique qui prepara les Grecs a la revendication de leurs droits. On peut dire, sans exagerer, qu’elle annonQa le debut d’une nouvelle epoque 11 n’avait pas echappe a certains personnages clairvoyants que cette revolution que Ton preparait en Gr6ce pourrait se faire plus facilement VIII

si les Grecs obtenaient la cooperation des autres nations balkaniques pour faire une revolution generate en vue de former soit un Etat balka- nique soit une association d’Etats balkaniques, association dont la forme variait suivant les auteurs des plans. En general ces plans demeurerent des visions : ils ne purent etre executes pour diverses raisons, ce qui a eu comme rSsultat que leur etude a £te delaissee jusqu’a present. Plusieurs facteurs poussaient ces personnages a rechercher la co­ operation des nations balkaniques pour cette oeuvre. 11 y avait d’un cote le facteur geographique, tres important vu que les limites de ces peuples n’6 tait pas clairement tracees et qu’une interpenetration assez pouss£e avait lieu dans certaines regions. En plus, il y avait le fait que tous ces peuples subissaient le meme sort de la part des O tto m a n s . Une cooperation done entre eux se presentait comme tout k fait logique- Un troisi£me facteur qui certainement joua son role fut le complexe d’in- fSriorite dont les peuples soumis souffraient vis-a-vis de leur conquerant, ce qui poussait les personnes preparant la revolution grecque de cher- cher des allies parmi les autres peuples balkaniques, ce qui aurait eu comme r£suitat un 6parpillement des forces militaires ottomanes. Le present ouvrage ne pretend pas a etre ni coniplet ni parfait. Le fait que son auteur ne possede les langues balkaniques (sauf le grec naturellement) que d’une maniere tr6 s limitee a eu comme effet qu’il a dQ limiter ses efforts bibliographiques dans ces langues a quelques on- vrages-clefs et ne permit pas I’utilisation de documents dans CCS langues qui n’auraient pas 6 t6 publies encore. Je tiens tout particulierement a exprimer ma profonde gratitude pour 1’aide qui m’a 6te fournie par feu le Professeur Maurice B o u r q u in ainsi que par MM. le Professeur Jacques Freymond, directeur de l’lnstitut Universitaire de Hautes Etudes Internationales a Geneve et L 6and re Vranoussis des Archives Mtklievales de I’Acaddmie d’Ath^nes. De plus, je desire remercier chaleureusement les biblioth£caires, archivistes et traducteurs qui tous, d’une fagon ou d’une autre, ont contribu6 k I’ela- boration du present ouvrage. J’espere qu’il incitera d’autres personnes k s’occuper, d’une maniere plus d^taillde, des divers problemes histo- riques pos£s par les visions de cooperation balkanique pendant les socles passes.

Notis Botzaris. INTRODUCTION

Au cours de l’histoire il y a eu de nombreux empires fondes sur des conquetes, mais aucun d’entre eux n’a presente les caracteristiques de 1’Empire Ottoman. Aucun d’entre eux n’a montre tant d’indifference et de mepris envers les peuples conquis, leurs besoins et leurs aspirations; tant de negligence envers l’exploitation rationnelle des richesses natu- relles des regions soumises, livrees ainsi aux caprices d’une oligarchic desireuse de s’enrichir sans cependant connaltre les meilleurs moyens de le faire ; tant d’insouciance en face de la situation politique interne de l’Etat, regardant plus les formes que la r£alite. Ces trois facteurs, combines avec les idees nouvelles propagees par la Revolution fran^aise,' causerent la ruine de l’Empire Ottoman au cours du xix' siecle. A I’epoque de la Revolution frangaise personne dans l’Empire Ottoman, pas meme les Turcs, n’avait d’int£ret a garder le statu quo. L’anarchie inhCrente aux Etats despotiqucs faiblcs s’aggravait ct les rdvoltes se succ6 daient, chacune plus forte que la precddente, pouss£es par un na- tionalisme croissant pour aboutir enfin aux guerres d’ou sont sortis les Etats actuels des Balkans. Probablement la ruine de 1’Empire Ottoman se serait accomplie plus tot et plus facilement si les peuples balkaniques avaient pu s’entendre. Mais le fait qu’ils avaient des interets diff£rents et parfois inconciliables 1 et qu’ils etaient a des stages tres divers devolution politique, econoini- que et sociale eut comme r£sultat que l’entente entre les peuples balkani­ ques fut impossible. Ce fut un ideal que quelques personnes essayerent de realiser mais sans jamais parvenir a concilier les divers peuples bal­ kaniques dont l’inimitie est explicable non seulement par l’existence de ces differences mais aussi par certaines antipathies dont les origines sont fort lointaines et dont il ne faudrait certes pas exagerer l’importance qu’elles ont pu avoir a cette epoque oil les passions nationalistes etaient encore endormies. Le systeme gouvernemental ottoman etait fortement decentralise, feo- dal presque. En theorie, les pachas etaient les representants du Sultan dans les differentes provinces ; en pratique, ils etaient de veritables sei­ gneurs locaux presque independants du pouvoir central. Ils agrandis- saient leurs pachaliks autant que ceci etait en leur pouvoir, aux depens de leurs voisins plus faibles, ou tombaient victimes de ces memes voi-

i Les revendications territoriales (surtout en ce qui concerne la Mace­ doine) sont un exemple parfait d’interets diametralement opposes. — 2 -

sins, les resultats de cette lutte etant enregistres patiemment chaque annee par le Divan, lors du renouvellement des berats d’investiture. ,Le resultat etait une immense trame d’intrigues et de petites guerres loca­ les, rappelant etonnamment l’epoque feodale en Europe. On congoit facilement les resultats d’un tel etat de choses. Les de- penses excessives auxquelies devaient faire face tous ces potentats, grands ou petits, pour mener a bien leurs intrigues, les forgaient a pressurer de plus en plus durement les populations sous leur garde. Si sous l’Empire Ottoman les impots2 n’etaient pas demesurement eleves, par contre les contributions extraordinaires sous forme de « dons », de tribut de patronage ou franchement d’exactions parce que tel etait le bon plaisir du mattre, rendaient souvent intolerable la situation econo- mique des populations soumises. Ce qui du point de vue moral etait plus grave encore, c’etait que ce systeme favorisait enormement la corrup­ tion. Un veritable barline de prix s’etait constitue et absolument tout office et toute faveur etait a vendre au plus offrant. Cette venality avait gagne toutes les couches de l’administration, depuis le Sultan lui-meme jusqu’au plus petit ayan ou autre fonctionnaire de l’administration locale. A cette instability chronique allait se joindre le manque de volonte de la population rurale d’ameliorer economiquement son sort. Constam- ment ravagees par le passage des armees, les cainpagnes etaient de moins en moins cultiv£es, la population devenait de plus en plus pauvre et commengait a envisager des solutions de plus en plus desesperees en se livrant au brigandage pour acquerir des moyens de subsistance plus convenables. Extremement nombreuses, surtout dans les montagnes, ces bandes de hors-Ia-loi 3 subirent tres vite une transformation complete. Elies s’organiserent en societes libres, avec une hierarchie du comman- dement, des lois et des coutumes qu’elles respectaient. Fort epris de liberte, sans toutefois verser completement dans l’anarchie, les brigands se transformerent rapidement en protecteurs des opprimes et c’est sous cette forme qu’ils nous sont presentes par les nombreux poemes popu- laires qui furent composes pour celebrer leurs exploits. On comprend aisement que lorsque commenga le mouvement d’eniancipation des peu­ ples balkaniques leurs bandes jouerent un role de tout premier ordre et qu’ensuite, au cours des guerres d’independance serbe et grecque, elles formerent Ie noyau des troupes des insurges.

2 Le montant officiel des impots a payer variait suivant les regions a cause des exemptions accordees aux districts privilegies. 3 Celles-ci furent souvent form^es par des gens ayant souffert des humi­ liations aux mains des Turcs et animus de sentiments violents contre eux, objet usuel de leurs vexations. Les Chretiens n’£taient pas exempts de leurs vexations, mais comme les riches etaient les seuls qui valaient la peine d’etre devalises, les hors-Ia-loi acquirent la reputation de donner aux pauvres ce qu’ils prenaient aux riches. Les ecctesiastiques etaient en general respects. Ces hors-la-loi etaient appel^s klephtes en Grece, hai'douks en Serbie et hai'doutes en Bulgarie. — 3 —

Naturellement, ces bandes etaient combattues le plus possible par 1& Turcs, mais sans resultat. Alors les Ottomans utilis^rent le moyen desespere d’armer les Chretiens pour se defendre contre leurs attaques. AAais si ce moyen etait bon en theorie, en pratique la situation ne clian- geait pas beaucoup. En effet les Turcs avaient organise des troupes de gendarmes armes, nomines , et avaient divise une grande partie de I’Empire en armotoliks 1 commandes par un capitaine, l’ar- matolos proprement dit. Cependant le fait que l’armatolos etait en ge­ neral le clief de la bande la plus puissante de la region et gardait des relations plus ou moins bonnes avec les autres chefs de bande avait comme resultat un manque de s^curite tout aussi grand que si les ar- matoliks n’existaient pas. Telle est done I’image generate offerte par l’Empire Ottoman a la fin du xvin" siecle : un panorama d’anarchie tempere par quelques tlots d’ordre et de calme relatifs formes par certaines coinmunautesR qui avaient acquis le droit d’avoir une autonomie plus ou moins complete d ou des ecoles florissaient, preparant la future independance nationale par une education systcinatique et poussee qui offrait un grand con- traste avec les possibilities educatives limitees offertes par la plus grande partie de l’Empire Ottoman. Le fait qu’au x vnr siecle les peuples balkaniques se trouvaient a des stages tres divers de developpement politique, economique et social est reconnu par tous les historiens. Les causes de cette variete sont mul­ tiples, mais une des plus importantes est certainement la difference de la structure sociale. Tous les peuples balkaniques (sauf les Grecs) etaient essentiellement des peuples d’agriculteurs et de bergers, tandis que les Grecs y ajoutaient aussi le commerce et la marine, deux professions qui obligent ceux qui les pratiquent a entrer en contact avec beaucoup d’etrangers, devenant ainsi des porteurs d’idees nouvelles ; au contraire les autres, prives de tels contacts, vivant dans des societes assez fermees, restent stables et constants, sans beaucoup evoluer. Un autre facteur jouant un grand role dans le developpement des peuples est celui de l’existence ou non d’une elite nationale. II est frap- pant de constater que les Bulgares et les Serbes en etaient complete- ment depourvus a cette epoque ; que celle des Bosniaques et des Alba- nais s’etait identifiee avec 1’envahisseur ottoman en adoptant sa re-

•* I-’origine lolntaine des arniatoliks parait etre byzantine. Cette institution fut ensuite adoptee par les Venitiens (sous la forme des martolosi de Dalmatie) et par les Turcs qui gen£raliserent leur emploi dans l’Empire Ottoman. Pendant Poccupation venitienne de certaines parties de la Grece ce regime fut reorganise sous sa forme definitive des armatori qui pr£- valut en Gr6ce pendant tout le xvur siecle, tel qu’il fut adopte par l’admi- nistration ottomane. f> II est curieux de remarquer que la plupart de ces communautes auto- nomes se trouvaient en Grece, ce qui explique, en partie, la suprematie culturelle heltenique a cette epoque. iigion6 ; que l’eiite roumaine s’etait plus ou moins hell6nis6e au long du XVI ii® siecle et que seuls les Grecs en poss£daient une qui leur appafr- tenait vraiment. Une autre circonstance qui a aide dans la differentiation des niveaux politiques, economiques, sociaux et culturels des peuples balkaniques a 6te les invasions ou occupations etrangeres. L’occupation p6riodique des Principautes danubiennes par les Russes, de la Serbie par les Autrichiens et de certaines parties de la Grece par les venitiens a beaucoup aide la circulation d’idees nouvelles. La Bulgarie et 1’Albanie, n’ayant pas subi ces invasions, ne subirent pas non plus l’influence d ’iddes differen- tes apportees par les armies d’occupation. II serait inutile — et meme risqu^ — de discourir sur la question de savoir si certains de ces peu­ ples balkaniques ont des aptitudes naturelles leur permettant d’atteindre des niveaux politiques, economiques, sociaux ou culturels plus 61ev£s que d’autres moins fav©ris6s. Cette question a fait l’objet de tellement de ddmagogie et de propagande mal fondle, que toute etude scienti- fique peu d£taill£e paratt exclue. II est maintenant n6cessaire de faire une courte etude de la situation politique, economique, sociale et culturelle de chaque peuple balkanique k la fin du xvm " siecle, en commen?ant par les Albanais, peuple ayant la structure sociale la plus primitive, passant ensuite aux Bulgares et aux Serbes en jetant un rapide coup d’ceil sur les Montenegrins7, pour terminer avec les Roumains et les Grecs 8 qui etaient considers comme les plus evolues. En avan^ant dans la description, on verra les structures sociales devenir plus complexes, les divisions en classes plus nettes, pour arriver enfin k des societes assez evolu^es, dont les classes avaient des interSts assez diversifies. Les Albanais sont un peuple qui joua dans PEmpire Ottoman un role tout k fait disproportionne a sa faiblesse numerique. Ceci est dQ au fait qu’une grande partie des Albanais s’etait convertie k l’lslam, ouvrant ainsi ei leur penetration un champ immense d’activites. Toute une serie de grands vizirs, de pachas 9, de beys et d’agas etait d’origine albanaise. Comme les Grecs avaient reussi k accaparer la plupart des charges qu’un Chretien avait le droit d ’exercer, de meme les Albanais occuperent un grand nombre de places ouvertes aux Musulmans, sans toutefois jam ais en obtenir le monopole.

8 Critere determinant, d’apres le droit ottoman, si un individu est un raya ou pas. 7 Le Montenegro n’appartenait pas a 1’Empire Ottoman, bien que son inddpendance ne fut reconnue par les grandes puissances qu avec le traite de Berlin en 1878. Cependant les Turcs avaient reconnu des 1799, par un firman, que le Montenegro n’avait jamais fait partie integrante de 1’Empire Ottoman. 8 Tous les ecrivains paraissent d’accord sur cette superiorite des Grecs. 9 Citons notamment parmi les grands vizirs ceux de la familie des Koprulu au xvu” stecle et, parmi les pachas, Ali pacha de Janina et Moham­ med Ali pacha d’Egypte. Ce n’est point ici notre tache de discuter sur 1’origine controversy dfcs Albanais, il suffit de dire qu’ils etaient divises au x vm e si6 cle (et ie sont encore) en deux grands groupes : les Guegues et les Toskes, subdivises eux-memes en d’autres plus petits. Ces deux groupes offrent assez de dissemblances, les principales etant la situation geographique et la religion (les Guegues liabitent le Nord de l’Albanie et"sont Musul- mans ou Catholiques ; les Toskes habitent le Sud et sont Musulinans ou Orthodoxes) et leurs dialectes sont assez differents. Mais s’ils presentent de telles dissemblances, plus ou moins superficielles, leurs similarites sont bien plus profondes. L’anarchie feodale, qu’on a deja signalee comme existant dans tout 1 Empire Ottoman, etait a son comble en Albanie a cause de la structure sociale particuli£re de ce pays qui avait comme base le clan patriarcal. Tous ceux qui le pouvaient se proclamaient chefs de clans et avaient le plus possible de soldats a leur solde. En guerre continuellement entre eux, ces chefs etaient aussi une menace pour les Turcs, qu’ils m£pri- saient profondement. Soldats courageux, ils fournissaient des contin­ gents importants a l’armee ottomane et leur sp£cialite etait la repres­ sion des revoltes. Tous les pachas, beys, agas, ayans, etc., tachaient d’avoir des mercenaires albanais a leur solde pour pouvoir intimider soit la population qu’ils etaient cens6 s gouverner, soit les seigneurs dont ils convoitaient les terres. Un trait particulier des Albanais etait le peu d’importance qu’ils attachaient a la discrimination religieuse ; chose encore plus remar- quable si I on considere le fait que toute la theorie de I’Etat ottoman etait batie autour de l’existence de fideles et d’infideies. Pour I’AIba- nais, ce qui comptait, c’etait le fait d’etre ou non Albanais et non d etre Musulman ou Chretien. En ceci ils etaient uniques dans les Bal­ kans et c’est presque le seul trait d’un nationalisme naissant que Ton rencontre chez eux a cette epoque. Les Albanais avaient envahi la Grece 10 a plusieurs reprises durant 1’occupation ottomane et certains districts etaient presque complete- ment habites par eux. Les Albanais Musulmans formdrent une caste a part, tres puissante ; les Albanais Chretiens s’helleniserent petit k petit et ce fut comme Grecs qu’ils devaient jouer un role considerable pendant la guerre de l’independance hellenique. 11 D ’autre part, les Albanais utilisaient tr£s souvent le Grec non seulement comme langue diplomatique mais aussi comine langue litteraire.

10 Ces ^ invasions eurent lieu surtout au xvir, mais aussi au xvm' siecle. II n’y eut pas de nouveaux etablissements apres la revolte de la Mor£e en 1769/1770. 11 Voir a ce sujet la proclamation revolutionnaire des Hydriotes (p. 236-7) qui etaient, pour la plupart, d’origine albanaise. On doit souligner cependant que les relations entre ces Albanais hel!£nis£s et les autres Grecs ne peuvent pas etre consid£rees comme des rapports gr£co-albanais mais simplement comme des relations entre deux parties d’un meme peuple ayant les memes sentiments, nationaux ou autres. — 6 —

Pour les Albanais la domination ottomane qu’ils meprisaient tene­ ment n’6 tait pas quelque chose dont il fallait se debarrasser coute qfle coute. La seule condition necessaire au maintien du statu quo politique 6 tait que nulle intervention ottomane dans leurs affaires de clans ne serait toleree. En general, ils etaient parfaitement satisfaits de leur role au sein de 1’Empire Ottoman. On entre dans un cadre completement different avec les Bulgares. Ceux-ci, par le simple fait qu’ils etaient pres de , avaient subi toute la durete de la domination ottomane. Leur structure sociale avait £te rdduite a sa plus simple expression. Ils etaient des paysans, generalement des serfs travaillant dans les grandes proprietes des Turcs (les tchifliks), et toute autre activite leur etait presque totalement in- connue. Le commerce etait aux mains des Grecs ainsi que le haut clerge, pour la plupart. L’education grecque avait reinplace l’education bul- gare dans les villes ou<.les Grecs etaient fort nombreux. Seuls certains monasteres, notamment celui du mont Rila, gardaient encore 6veillees les vieilles traditions. Ce fut vers la fin du x v n r siecle que commenga, lentement et timidement, la renaissance culturelle des Bulgares. Cette renaissance, dont les effets ne se feront sentir avec force que deux generations plus tard, doit sa premiere impulsion au moine Paissy et a son Histoire slaveno-bulgare des Peuple, Tsars et Saints Bulgares. C’est un petit livre d’ou la veracite historique est souvent absente, mais ce fut le premier livre qui permit aux Bulgares d’apprendre leur histoire, quoique imparfaitement, et son importance ne peut etre assez soulignee. Si la renaissance bulgare init tant de temps a murir, la faute en est imputable non seulement aux Turcs qui n’encourageaient nulle part les lettres et les arts parmi les rayas, mais aussi aux Grecs qui, naturellement, encourageaient surtout la fondation d’ecoles a eux (sans cependant ddcourager systematiquement tout effort veritable de creer une education bulgare) et, surtout, a ces Bulgares qui etaient arrives au point d’avoir honte d’etre Bulgares12. Dans ces conditions-la, il est bien naturel, non seulement d ’avoir un retard dans 1’evolution cul­ turelle de ce peuple, mais aussi qu’il subit avec passivite le joug otto­ man. Ajoutons que les difficultes des Bulgares etaient accrues par le fait que leur pays fut ravage pendant des ann6 es par les Kirjalis - bandes parfois nombreuses de renegats Chretiens et Musulmans ■ qui etaient arrives au point de pouvoir attaquer avec succcs et impunite des villes entieres et les d£truire. Les Kirjalis ne furent que de vulgaires bandits operant sur une vaste echelle et il ne faut pas les confondre avec les ha'idoutes qui existaient dans les montagnes. II ne faut pas cependant croire que les Bulgares ne jouerent abso- lument aucun role dans les differentes affaires de la fin du xvill* siecle

12 II s’agit ici des rares Bulgares 6tablis dans les villes et qui s’etaient hellenises. II ne faut pas les confondre avec les Grecs habitant ces memes villes. et du debut du XIX'. On en retrouve en Valachie dans l’armee de 1 hospodar Alexandre Ypsilanti, en Serbie pendant la revolution de ce pays et dans les Principautes danubiennes pendant les revolutions de 1821. Ces Bulgares etaient en general des hai'doutes et on a dej& vu quelle importance il fallait attacher a ces bandes dans tous les essais de liberation des peuples balkaniques. Ce qui manqua completement, ce fut une organisation generate, malgre les beaux plans qui furent eiabores en ce sens par des etrangers desirant obtenir une collaboration des Bulgares dans un mouvement general d’emancipation des Balkans. Les Serbes etaient plus evolues que les Bulgares et ceci fut du, en grande partie, i deux facteurs : l’occupation d’une grande partie de leur pays par les Autrichiens (1718-1739 et 1787-1793) et le fait qu’un grand nombre de Serbes vivaient sous la domination autrichienne qui etait bien plus douce que celle des Ottomans et qui, surtout, permet- tait une certaine evolution politique et sociale et, principalement, eco- nomique et culturelle. Les contacts entre les deux groupes etaient per­ manents et nombreux et le resultat etait que les Serbes de Turquie avaient toujours sous les yeux des choses leur permettant de faire des comparaisons peu avantageuses pour l’Empire Ottoman. Comme les Bulgares, les Serbes etaient presque tous des paysans. Ceux-ci, cependant, vivaient sous un regime social completement diffe­ rent. Les tchifliks etaient peu nombreux, sauf en Bosnie et en Herze- govine. Le regime social etait communautaire et patriarcal, caracterise par I’existence de la zadrouga, grande famille habitant la meme maison et composee de deux, trois et meme quatre lignees de freres et cousins germains et ayant un patrimoine commun. Les Serbes posse- daient une administration locale car chaque village avait son chef ou cneze et chaque region son oborcneze. Mais ceci etait tout. Ils n’avaient presque pas de bourgeoisie et leur aristocratie etait tombee sur le champ de bataille de Kossovo-polje (1389). Les hautes charges de l’Eglise etaient, pour la plupart, aux mains des Grecs, tandis qu’en Ser­ bie autrichienne existait une Eglise autocephale ou tout le clerge etait serbe. En Serbie ottomane seuls quelques monasteres gardaient encore eveilies les souvenirs des gloires du passe. Dans la Serbie ottomane il n’y eut ni mouvement litteraire, ni mou- inent artistique a cette epoque. Mais dans la Serbie autrichienne il y avait une culture assez poussee. II y avait des ecrivains ceiebres, tels l’historien Obradovitch, qui encourageaient non seulement les lettres chez leurs compatriotes, mais aussi chez les Roumains qui habitaient les memes regions. « Ces Serbes... etaient une excitation permanente pour leurs co-nationaux de Turquie. » 13 Une emigration continue se faisait de la rive droite & la rive gauche du . Mais, malgre cela, les Serbes n’etaient pas prets pour une revolte. Certains de leurs gouverneurs, comme Hadji Moustapha pacha de Belgrade, avaient ete bons et adroits,

13 Iorga, Histoirc des Etats balcaniques jusqu’en 1924, p. 126. — 8 — et il fallut tous les exces du regime des janissaires pour que les Serbes se r£voltassent contre eux, tout en restant momentan6 ment fideles Sultan. Cette fideiite au Sultan est un trait caracteristique que Ton ren­ contre tout au long de l’histoire de Femancipation serbe au temps de Karageorges et de Miloch Obrenovitch. Les Montenegrins n’appartenaient pas a l’Empire Ottoman qu’ils combattaient presque continuellement pour sauvegarder leur indepen- dance. Guerriers farouches, ils etaient tr^s courtises par les puissances ayant des difficult^ avec la Turquie. 11 est done bien naturel que leur concours fut demande par les Grecs 14 quand ceux-ci voulurent preparer leur guerre de l’independance. Le gouvernement mont£negrin etait pa- triarcal et theocratique, le vladika (prince-eveque) en etant le chef. Les Montenegrins etaient divises en clans, mais la zadrouga ne se ren­ contre que rarement. Pays montagneux, le Montenegro etait un pays pauvre, sa structure sociale etait encore primitive et son niveau culturel n’etait pas tres eieve ; mais ses habitants, courageux, patriotes et belli- queux, pourraient etre d’un grand secours pour toute tentative de revolte contre l’Empire Ottoman. Plus evolues que les Serbes, les Roumains avaient l’avantage de ne pas vivre dans un pays controie directement par les Turcs. En effet, la Moldavie et la Valachie ne faisaient pas partie integrante de l’Empire Ottoman mais formaient deux principautes vassales de la Porte qui y envoyait seulement des princes 1B. Le resultat avait ete qu’au debut de la domination ottomane la structure sociale des Roumains n’avait pas ete detruite, comme l’avait ete celle des autres peuples balkaniques. On y frouvait done deux classes principales : les paysans qui etaient surtout des bergers et les boyards ou nobles. En plus, il faut y ajouter deux classes de Grecs : les commergants et les administrateurs membres de la cour princiere. Le prince lui-meme ou hospodar etait generalement un Phanariote. Les Phanariotees feront l’objet d’une etude a part, leur role dans les Principautes ne formant qu’une partie de leurs activites ; il suffit de dire qu’ils etaient obliges d’acheter aux encheres leurs trones, que leurs regnes etaient trds courts et que pour amasser les sommes necessaires au paiement de leurs dettes et pour soudoyer continuellement les mem- bres du Divan imperial ils pressuraient sans pitie leurs administres. Ce­ pendant les Roumains leur doivent leurs premieres lois ecrites, l’encou- ragement de l’education, des arts et des lettres ainsi que l’introduction de la culture du mais.

14 11 est int£ressant de constater que le Montenegro etait le seul pays des Balkans ou les Grecs etaient completement absents, qu’il s’agit soit de l’admi- nistration, soit du commerce ou meme des hautes charges eccl£siastiques. 15 La Porte avait commence par simplement reconnaitre ces princes, eius par les boyards ; puis ce fut elle qui les envoya. Des le debut du xv111° siecle, ces princes furent des Phanariotes, d’ou le nom d'epoque phana­ riote donne a cette periode. — 9 —

Comme partout dans l’Empire Ottoman, la corruption r6 gnait en maitresse dans les Principautes et aggravait d’ann£e en annee la misdre des paysans. A l’origine, les boyards avaient ete une aristocratie mili- taire mais a cette epoque ils ne formaient plus qu’une noblesse desoeu- vrde, possedant la plus grande partie des terres et briguant les charges n’ayant pas de rapports avec les affaires etrangeres et les finances (celles-ci etant aux mains des Grecs). Les boyards possedaient une certaine culture et avaient une preference marquee pour la culture fran- gaise. Le grec et le frangais etaient consideres comme les langues de la bonne societe. La litterature frangaise etait tres appr^ciee et on jouait parfois dans des theatres improvises des pieces frangaises. Cette predi­ lection pour la culture frangaise explique en grande partie la facilite avec laquelle les idees de la Revolution frangaise se propag6 rent dans les Principautes. La culture roumaine n’est representee a cette epoque que par des poemes comme ceux de Jean Vacaresco et des chroniques historiques telles que celle du « Roumain zele ». Cependant une oeuvre de renais­ sance se poursuivait silencieusement dans le domaine de l’education ou de nombreuses ecoles furent fondees. On ne trouve pas entre la Molda- vie et la Valachie, d’une part, et la Transylvanie, d’autre part, ce contact culturel continu si frappant chez les Serbes. Ceci est du, en grande partie, au fait que la difference du niveau culturel entre la Moldavie, la Valachie et la Transylvanie n’etait pas aussi grande qu’entre la Serbie ottomane et la Serbie autrichienne. Les Principautes roumaines avaient non seulement des ecoles grecques florissantes, mais aussi des ecoles roumaines ou on pouvait atteindre un certain niveau de culture pas tr£s different de celui atteint en Transylvanie et meme, parfois, superieur & celui-ci. Les paysans etaient courbes sous le fardeau d’impots et d’exactions, comme partout dans les Balkans a cette epoque. Tres souvent ils etaient des serfs attaches a la terre qu’ils cultivaient au profit des boyards. Ignorant que leurs spoliateurs etaient eux-memes spolies par les Turcs, ils etaient possedes d’une haine assez comprehensible contre les clas­ ses superieures, soit roumaine soit grecque, qui allait exploser en 1821 avec l’insurrection de Theodore Vladimiresco. Les boyards, eux aussi, n’aimaient pas les Grecs qui avaient obtenus les charges10 les plus remuneratrices, mais ils cachaient soigneusement leurs sentiments. Ils firent si bien que les Phanariotes furent completement dupes et crurent qu’ils seraient aides par eux dans une eventuelle revolte generale contre le pouvoir ottoman. Les Grecs possedaient trois traits caracteristiques : ils avaient la structure sociale la plus compliquee ; ils etaient etablis un peu partout dans les Balkans et ils possedaient de puissantes colonies a l’etranger,

16 ii est caracteristique des Principautes que le haut clerge comptait pro- portionneilement moins de Grecs que dans les autres regions non grecques de 1’Empire Ottoman. 2 — 10 — notamment a Vienne, en Italie et dans le sud de la Russie. On pouvait distinguer chez le peuple grec six grandes classes sociales : les Phaha- riotes, les ecclesiastiques 17, les primats, les commergants, les paysans et les marins. Chacune de ces classes avait des interets differents et des niveaux de culture differents. II nous faudra done les examiner a part. Les Phanariotes etaient d’origines diverses. Plusieurs d’entre eux descendaient d’anciennes families aristocratiques byzantines, d’autres etaient de riches marchands ou banquiers venus a Constantinople au cours du xvi” et du x v i i ° siecles, d’autres encore etaient d’origine alba- naise ou roumaine et s’etaient hell^nises par une politique de mariages. Leur influence considerable dans les affaires ottonianes date du milieu du X V II0 siecle quand les Turcs, comprenant que la force militaire seule ne suffisait plus dans leurs relations internationales, durent s’adresser a des interpretes pour conduire leur diplomatic car leur religion leur inter- disait d’apprendre les' langues des peuples infideles 18. Les Phanariotes accaparerent cet emploi et le garderent pendant presque deux siecles. Aux postes de grand dragoman de la Porte et de dragoman de la flotte furent plus tard ajoutes les postes de prince de Moldavie et de Vala- chie. Ils ne limitaient pas cependant leurs activites a ces postes mais occupaient aussi de nombreuses charges de moindre importance comme aussi des dans le Saint Synode du Patriarcat CEcum6- nique de Constantinople ou continuaient leur metier de banquiers. Comme tous les hommes, les Phanariotes offrent entre eux des diver­ gences considerables de caract£re ; ils se ressemblaient cependant dans le fait que presque tous ils ont mine l’Empire Ottoman, payant ce fait de leur t£te ou par l’exil, et qu’ils etaient passes maitres dans Part de Pintrigue. De nombreux ecrivains ont parle des qualites ou des defauts des Phanariotes ; aucune classe sociale dans I’histoire n’a eu de detrac- teurs aussi acharnds et des d£fenseurs aussi fanatiques. Les qualites que leur trouvent generalement leurs ddfenseurs sont leur sens diplo­ matique, leur grande culture et leur action en faveur de l’education, tandis que les defauts les plus graves que leur reprochent leurs detrac- teurs etaient leur goQt des intrigues et leur manque de scrupules dans Pacquisition de leurs fortunes. Leurs defauts etaient en general le resul- tat de leur ambition d’acceder aux charges ci-dessus enumerees ; leurs qualites — et elles etaient nombreuses — leur avaient ete inculquees par une education fort poussee, visant a les rendre conscients de leurs devoirs envers leurs compatriotes moins fortunes.

17 On a tendance pafois a compter les ecclesiastiques parmi les Phana­ riotes. Ceci est inexact, vu que tres peu de Phanariotes embrassaient la carriere ecciesiastique et vu les querelles qui eclataient souvent entre les deux classes. 18 Telle est I’explication donnee toujours. On peut se demander alors pourquoi les Albanais musulmans utilisaient le grec comme langue diploma­ tique et litteraire. La reponse nous est donnee probablement par la faiblesse deja signaiee du sentiment religieux parmi les Albanais. — 11 —

Malgre l’aberration des Turcs qui leur confiaient les affaires les plus dSlicates de leur Empire, les Phanariotes en general ne desiraient pas le demembrement de l’Empire Ottoman mais son remplacement par un Etat qui adopterait le systeme gouvernemental des Etats europ£ens de I’epoque 10. Le fait que dans divers traites certains Phanariotes ont cede a des strangers des territoires ottomans parfois considerables n’est qu’en contradiction apparente avec la ligne g6 nerale de leur conduite politique, car ces cessions se faisaient en faveur de puissances qui, ils csperaient, pourraient les aider dans leurs desseins. Un trait caracteris- tique d’ailleurs de leur politique etait que tres souvent ils etaient (ou faisaient semblant d’etre) les serviteurs dociles d’une grande puissance dont ils protegeaient les interets et dont ils etaient & leur tour proteges. En general les puissances protectrices etaient la France et la Russie mais aussi, quelquefois, l’Autriche et la Prusse. La Grande-Bretagne n’a exerce que peu d’influence sur les Phanariotes. L’Eglise Orthodoxe jouait un role important dans l’Empire Ottoman par le simple fait que cet Etat ne reconnaissait pas de differences de nationalites mais seulement des differences de religions. Les sujets Chre­ tiens du Sultan n’etaient pas des Grecs, des Roumains, des Serbes ou des Bulgares, mais simplement des membres de la nation « romaine », du roum milleti20. L’Eglise avait done du jouer un role politique pour lequel elle n’etait pas prepare. Du point de vue ecclesiastique21, ceci eut comme resultat que le Patriarche de Constantinople, les autres Pa- triarches et prelats devaient recevoir de la Porte des berats d’investi- ture les confirmant dans leurs charges et contenant la liste des droits et privileges accordes a leurs ouailles, ce qui necessitait une interven­ tion dans les affaires ecciesiastiques d’une puissance non chretienne. Connaissant les methodes par Iesquelles les Turcs vendaient tous les emplois, il n’est pas surprenant que le patriarcat et les sieges episco- paux dussent aussi etre achetes suivant un tarif dont les prix augmen- taient avec le passage du temps et qu’aucun preiat ne restait tres Iong- temps au meme eveche. On comprend la frequence des abus que ce systeme comportait en lui et le nonibre assez considerable de preiats indignes de leur poste. D’apres les lois ottomanes le Patriarche de Constantinople etait le chef de la « nation romaine » et son representant aupres du Sultan ainsi que Pintermediaire entre celui-ci et ses sujets chretiens, les eveques etant a peu pres dans la meme position vis-^-vis des pachas de leurs

10 Ce vague terme d’epoque est utilise d£liberement car les idees des Phanariotes evoluaient suivant les id£es europeennes preponderates. 20 Souvent les Europ£ens suivaient la meme tactique en parlant des Chre­ tiens des Balkans : ils les nommaient tous « Grecs » sans faire de distinction entre les clivers peuples. Les juifs, eux aussi, peu nombreux sauf dans cer- taines villes, formaient un millet ayant cependant moins de droits que les Chretiens. si Le Patriarche de Constantinople, comme chef du roum milleti, etait oblige d’intervenir, contrairement aux canons, dans les affaires des autres patriarcats. — 12 — dioceses. Le Patriarche et les prelats n’avaient pas seulement des devoirs politiques mais aussi des obligations juridiques. Ils jugeaient les litiges entre Chretiens et meme ceux entre Musulmans quand ceux-ci le leur demandaient. En general, la justice episcopate etait meilleure que la justice ottomane. Le fait que l’Eglise regut des pouvoirs politiques et juridiques- 2 eut comme resultat que des laics furent appeles a sieger au Saint Synode. Ainsi naquit une rivalite facheuse entre les meinbres laics et les mem- bres ecclesiastiques du Saint Synode. Les membres laics, qui etaient ordinairement des Phanariotes, avaient tendance a vouloir augmenter le plus possible leur influence et voulurent intervenir dans des questions nettement ecclesiastiques. Cette rivalite augmenta continuellement pen­ dant les deux premiers tiers du x v n r siecle et ce ne fut qu’en 1775 que l’affaire fut regime par une victoire complete des ecclesiastiques. Les Grecs jouissaient d’une assez grande autonomie locale due au fait qu’une grande partie du territoire grec avait ete donnee comme fief a divers membres de la famille imperiale ou a des membres de la Cour. Ces fiefs jouissaient de toutes sortes de privileges politiques et economiques variant suivant le cas. Les villages ou villes formant ces fiefs etaient gouvernes soit par des voivodes turcs aides par des primats grecs, soit, plus generalement, par ces primats eux-memes. L’usage de confier le gouvernement local a des primats qui faisaient office de mai- res et de percepteurs d’impots s’etait repandu dans toute la Grece et avait donne naissance a une oligarchic composee d’un petit nombre de families ayant le droit de devenir des primats. L’usage etait particu- lierement repandu au qui avait aussi le droit d’envoyer des d61egu6s permanents (les Morayans) aupres du pacha de Mor£e a Tripolitsa ainsi que d’autres (les vekils) k Constantinople. Les pri­ mats etaient tres prudents dans leurs plans pour revolutionner l’Empire Ottoman. Ceci etait du, en partie, au fait que c’etait sur eux que tom- beraient les plus dures represailles turques si une eventuelle revolte echouait et aussi parce qu’ils connaissaient la faiblesse reelle de leurs moyens vis-a-vis des forces infiniment supdrieures des Turcs et des Albanais musulmans. Les commergants voyageaient beaucoup, non seulement a l’interieur de 1’Empire Ottoman, mais aussi a l’etranger. Ils etaient en relations directes avec les colonies grecques de l’etranger ainsi qu’avec les com­ mergants etrangers etablis en Turquie ; de cette fagon ils entraient en contact avec les idees qui avaient cours en Europe. Ce contact fut tres important et il ne faut pas sous-estimer sa valeur. En ce qui concerne I’etat futur des Balkans, les commergants avaient a peu pres les me­ rries idees que les Phanariotes, mais pour des raisons differentes : ce qui les interessait n’etait pas le pouvoir mais la liberte du commerce. Ils

22 Ces pouvoirs, ainsi que divers privileges, lui furent confids par le Sul­ tan Mahomet II apres la prise de Constantinople par un firman dont le texte a ete perdu. Les privileges etaient souvent enfreints par les Turcs mais apres chaque infraction ils etaient de nouveau reconnus comme existants. — 13 —

etaient cependant plus impatients et plus enthousiastes que les Phana- rietes : la chute de PEmpire Ottoman leur semblait imminente. Les paysans etaient approximativement dans la meme situation que les autres paysans balkaniques. Comme eux, ils souffraient des diverses degradations et exactions. On doit cependant noter qu’ils souffraient moins du regime des tchifliks qui ne prit jamais la meme extension en Gr^ce que dans d’autres regions balkaniques a cause de la configu­ ration g£ographique du pays qui ne favorise pas les grandes propri£tes. Mais tandis que les autres paysans balkaniques d£siraient recevoir tout au plus une certaine autonomie qui leur garantirait plus de liberte, les paysans grecs desiraient l’ind£pendance pure et simple avec l’abolition du servage 1& oil il existait. L’intensit6 de ce ddsir allait augmenter sous Pinfluence des idees de la Revolution frangaise pour aboutir enfin a la guerre de l’independance hellenique en 1821. Les marins provenaient surtout des petites ties de la mer Egee23. Ces ties possedaient une administration locale de type oligarchique tres d6velopp6e. Officiellement, elles etaient gouvernees par le capoudan pacha (le commandant en chef de la flotte ottomane) mais celui-ci n’in- tervenait presque jamais dans les affaires int£rieures des lies, exigeant seulement le service d’un certain nombre d’insulaires comme marins dans la flotte ottomane. Les nombreux armateurs des lies avaient profite du fait que leurs navires avaient le droit de battre pavilion russe pour se constituer des flottes importantes de navires marchands. Les guerres napoldoniennes avec leurs blocus r£ciproques et l’arret du commerce frangais dans le Levant eurent comme r^sultat l’enrichissement des insu- laires et l’acquisition d’experience a manier les canons dont leurs navi­ res etaient munis pour se d£fendre contre les pirates et surtout pour forcer les blocus. Apres les guerres napol£oniennes les insulaires devin- rent un facteur extremement important en ce qui concerne la prepara­ tion d’une eventuelle revolte non seulement A cause de leurs moyens financiers mais surtout a cause de l’existence de tous ces navires armes, noyau d’une future flotte de guerre. L’education en Grece etait assez poussee, comparativement avec le reste des Balkans 24. Certes, [’instruction des paysans 6 tait elementaire et faite avec des moyens de fortune, mais les autres classes avaient une education parfois tres poussee, surtout les Phanariotes. Certaines des grandes ecoles ou academies, comme celles de Constantinople, de Chios, de Bucarest et de Jassy etaient presque aussi importantes que des uni­ versity. Generalement l’education faisait l’objet de beaucoup de soins. L’Eglise faisait tout en son pouvoir pour favoriser la construction de

-3 Les habitants des grandes iles Etaient generalement des agriculteurs et pas des marins. Ils etaient administres par des pachas dependant du capoudan pacha. 2-4 « Degraded as the condition of the was politically, it is probable that a larger proportion could read and write than among any other Christian race in Europe » (Finlay, History of the Greek Revolution, vol. I, p. 20). — 14 — nouvelles ecoles, tout en combattant l’enseignement de la philosophie et de certaines autres matieres. Les Phanariotes aussi fondaient des ecoles ou faisaient des dons genereux aux ecoles existantes. Le resultat etait que le nombre de ceux qui savaient lire et ecrire etait assez conside­ rable et que la diffusion de livres et de tracts revolutionnaires etait beaucoup plus facile que dans le reste des Balkans. La plupart des historiens ont souligne le fait que les Grecs desiraient restaurer l’Empire Byzantin. En realite leurs desirs n’allaient pas si loin, mais pour bien comprendre ce qu’ils voulaient il faudrait examiner ce que fut l’Empire Byzantin en theorie, ce qu’il fut en pratique et ce que les Grecs croyaient qu’il fut, trois choses completement differentes. En theorie l’Empire Byzantin n’a jamais existe. Ce que nous appe- lons par ce nom fut simplement l’Empire Romain pendant une periode de son histoire. Les Byzantins s’appelaient toujours « Romains » 25 et consideraient tout autre appellation comme une injure. La theorie de l’Etat chez les Byzantins etait celle de l’Etat universel dont certaines parties ont ete momentanement conquises par les barbares. Cette theo­ rie explique la repugnance des Byzantins a donner le titre de « basi- leus » aux souverains etrangers ainsi que leur pratique de leur conferer des titres byzantins de noblesse. Un tel Etat pretendant a la domination universelle n’aurait pu exister qu’en theorie, meme au Moyen Age ; a l’epoque moderne de telles pretentions auraient ete inadmissibles et in- soutenables, vu la theorie de l’egalit6 des Etats comme sujets du droit international. Telle fut la theorie. En pratique, l’Empire Byzantin evolua malgre son immobility apparente et on peut distinguer trois grandes phases dans cette evolution : la phase nettement « romaine » se terminant avec l’apparition de l’lslam et la perte de l’Afrique du Nord, de la Syrie et de la Palestine ; la phase « balkano-asiatique » finissant avec la prise de Constantinople par les Croises (1204) ; la phase nettement « helle- nique » se terminant avec la prise de Constantinople par les Turcs (1453). L’Empire de la phase « romaine » est un Empire multi-national lut- tant pour effectuer la reconquete des provinces perdues lors des invasions barbares. C’est l’Etat qui en pratique s’approche le plus de la theorie byzantine de l’Etat et restera l’ideal k atteindre. L’Empire de la phase « balkano-asiatique » n’est plus un Etat re- conquerant des provinces perdues, malgre les Mac£doniens et les Com- nenes. II est sur la defensive, il est plus conscient de la reality des faits et subit de multiples influences exterieures. L’Empire de la phase « hell£nique » garde toutes les fictions juridi- ques mais perd completement sa multi-nationalite. II est devenu un veri­ table Empire grec, car toutes les autres nationality se sont separees de lui. On alia jusqu’a proposer le changement du nom de l’Empire en Em­

25 Cet usage fut continue par les Turcs qui appelaient « Romains » leurs sujets chr^tiens et, plus particulierement, leurs sujets grecs. — 15 — pire Hellenique, mais cette evolution fut arretee par la prise de Cons­ tantinople par les Turcs. Ce fut naturellement cette derniere phase qui resta la plus vivante chez les Grecs. Hantes par le souvenir des gloires du passe, ils ne pou- vaient que rever de la reconstitution de l’Empire Byzantin sous la forme qu’ils concevaient de lui, c'est-a-dire d’un Etat groupant tous les Grecs et pas d’un Etat multi-national. Or ceux qui preconisaient justement un Etat multi-national furent les ecclesiastiques et les Phanariotes. S’il £tait nature! pour l’Eglise de desirer la reconstitution de l’Empire Byzantin, tel n’etait pas le cas pour les Phanariotes. 11 ne faut pas oublier que ceux-ci, et en general tous les lettr£s, subissaient fortement l’influence occidentale et qu en Europe, surtout depuis la publication de /’Histoire du Declin et de la Chute de I’Empire Romain de Gibbon, l’Empire yzan in etait considere comme un Etat decadent et parfaitement m£- prisable. ^ ^ or.*s ^ onc certaines personnes en faveur de la creation d’un a a anique, soit par la destruction violente de PEmpire Ottoman, soit par une reforme fondamentale de cet Etat, n’ont pas eu leur origine dans le desir de refaire un Empire Byzantin qui, en son genre, serait presque aussi anachronique que PEmpire Ottoman, mais dans le d6 sir e creer un Etat moderne, un Etat base sur les memes id£aux politiques que es autres Etats europeens. Si l’Etat dont ils revaient n’a jamais pu f/fini61".’ r -C1 CSt au. noinbre de personnes possed^es par cet lnirpc ^ lnconipr6 hension qu’ils rencontraient parmi les masses popu- i < sur out, au developpement extraordinaire du sentiment natio- H’nn Ftnt* CS. PeuP.es balkaniques, ce qui rendait impossible I’existence d un Etat multi-national et supra-national. C h a p it r e p r e m ie r

RHIGAS VELESTINLIS ET SES CONTEMPORAINS

Depuis le commencement de l’occupation ottomane de nombreuses personnes parcoururent les pays occup£s pour semer les germes d’une revolte et pour preserver en eux leur conscience nationale. Leur reussite fut presque totale, grace a la complete indifference des Turcs envers les agissements des peuples subjugues. Mais d’autres personnes, tout aussi nombreuses, s’£taient constitutes les agents officieux de puissances etrang^res d£sirant le soulevement des rayas comme aide pendant leurs guerres frequentes contre la Turquie. Toutes ces personnes, desinte- ressees ou non, devaient contribuer beaucoup au reveil du peuple hell£ne pendant la deuxieme nioiti£ du xvm° siecle. Dans ce mouvement de r£g£n6 ration une des places les plus impor- tantes revient a Rhigas dit Velestinlis qui y contribua, non seulement en traduisant plusieurs ouvrages du frangais en grec, mais surtout en com- posant plusieurs poemes d’inspiration revolutionnaire qui devinrent vite tr£s populaires et qui survecurent dans la conscience populaire a toutes ses oeuvres pour devenir de veritables hymnes nationaux. Mais le fait le plus int£ressant est que Rhigas ne fut pas seulement un poete et un tra- ducteur mais aussi, probablement, le premier a concevoir la possibility d’une r£volte pan-balkanique contre l’Empire Ottoman et la creation d’un Etat balkano-asiatique, et c’est sous cet angle que nous etudierons sa vie et son oeuvre. On ne connaTt pas la date exacte de sa naissance (on croit qu’il na- quit vers 1757) ; on ne connait meme pas son vrai nom 1 (Rhigas n’est qu’un nom de plume) ; mais on sait qu’il est n£ k en Thessalie. Tres vite des legendes se sont creees autour de lui et ainsi il est tres difficile de le suivre pendant sa jeunesse 2. 11 fit ses etudes a Ampelakia

1 Cordatos (cf. Rhigas Pheraios) appelle Rhigas Constantin Kyriazis, mais il est trfes improbable que Rhigas s’appelait Constantin car il avait un frfcre qui portait justement ce prenom. Daskalakis (cf. Rhigas Velestinlis) nous dit seulement que le nom de son pere etait Kyriazis. Vranousis (cf. Rhigas) croit que Rhigas etait son vrai prenom, tandis que Kyriazis (ou Kyritzis) etait le nom de son pere. Le consul de France a Trieste dans une lettre au (rouverneur de Trieste lors de l’ajrestation de Rhigas l’appelle Antoine Rhigas Villestindis (sic !). Rhigas lui-meme avait utilise le pseudonyme Antoine de Zagora pour son activite clandestine lors de son sejour dans les Principautes. 2 Les traditions sur la jeunesse de Rhigas ont ete recueillies par N. Politis dans son article / neotis tou Rhiga (Hestia, vol. XIX, 1885, pp. 13-16). — 18 — suivant une tradition, a Zagora suivant une autre. II suffit de signaler que les deux localites mentionnees etaient a l’6 poque les centres sco- laires les plus reputes de la Thessalie. Puis, pendant un certain temps, il fut — malgrd son jeune age — instituteur dans un village. Mais tres vite, a une date indeterminee, h la suite d’un incident tragique dont on posscde plusieurs versions, il dut quitter la Thessalie et se rdfugier a Constantinople, ou il pouvait facilement faire perdre ses traces parmi la foule anonyme et cosmopolite de la capitale. La-bas il prit le nom par lequel nous le connaissons et reussit a etre presente a plusieurs Phanariotes, entrant ainsi dans un groupe d’hommes connaissant parfaitement les affaires ottomanes et etant en relations suivies avec l’etranger. 11 completa son education en apprenant le fran- gaiset l’arabe. Puis le grand dragoman de la Porte, Alexandre Ypsilanti, le nomma son secretaire particulier, ce qui etait un poste tres recherche a l’epoque. Rhigas faisait partie maintenant de l’entourage d'un homme desirant le relevement de sa nation et la penetration de ses compatriotes dans tous les aspects de la vie ottomane jusqu’a ce que, insensiblement, les rayas devinssent les maitres de leurs conquSrants d’hier. Rhigas ne suivit pas son maitre lorsque celui-ci devint hospodar de Valachie en 1774, mais resta a Constantinople aupres des fils du prince, en compagnie desquels il completa son Education. Vers 1780 il s'installa a Bucarest de nouveau comme secretaire d’Alexandre Ypsilanti. Mais en 1782 la Porte decouvrit un complot contre elle, dirigS par Constantin et Demetrius Ypsilanti 3, les fils de l’hospodar. Les chefs purent s’enfuir en Transylvanie ; Alexandre Ypsilanti d<§missionna et rentra k Constan­ tinople pour se justifier. On ignore completement la part prise par Rhigas dans cette affaire car aucun document ne le mentionne, mais on peut supposer que son role fut minime car il ne quitta meme pas la Valachie. Apres une courte p£riode oil il fut secretaire d’un boyard valaque l’helleniste Grdgoire BrSncoveanu, Rhigas devint, en 1787, secretaire particulier du nouvel hospodar de Valachie Nicolas Mavroyeni, peu apr6 s la fuite en Russie d’Alexandre Mavrocordato, hospodar de Moldavie, et

3 Alexandre Ypsilanti avait reorganise complement les formes armies de Valachie. Auparavant elles avaient et6 composees d’irr£guliers mal arm£ et indisciplines. II les reforma, leurs fournit des uniformes, des armes et une soide reguliere et les utilisa comme gardes-fronti&res. En plus, il crea une armee reguliere form£e de 60 compagnies de 200 hommes chacune et servant sous ses ordres personnels. 58 de ces compagnies <§taient formSes de Grecs la 59s de Bulgares et la 60° de Serbes. Certains officiers grecs crurent qu’une 'nierre contre la Turquie aurait comme rSsultat de d£truire l’Empire Ottoman et ils resolurent de forcer la main de 1 hospodar. Ils formerent done une societe secrete dans laquelle entrerent Constantin et Demetrius Ypsilanti et un grand nombre d’officiers et de soldats. Quand Constantin Ypsilanti devint a son tour hospodar de Valachie il continua la politique de son pere en 1’amplifiant. En 1806 un corps militaire grec de 6000 hommes, parmi lesquels de nombreux Serbes, Bulgares et Roumains, prit part aux operations russes contre les Turcs mais fut dissout en janvier 1808. — 19 — en Autriclie d’Alexandre Ypsilanti, successeur ephem6 re de Mavro- cordato 4. Le Sultan Abdul Hamid 1" nomma Nicolas Mavroyeni, en qui il avait grande confiance, commandant en chef des troupes ottomanes pendant ia guerre austro-russo-turque de 1787. Le prince eleva alors Rhigas a la dignite de ban (gouverneur) de avec comme mission princi­ p a l, outre ses devoirs administratifs ordinaires, de veiller & la securite de ses administres en arretant toute tentative de pillage par les troupes ottomanes. Ce fut alors que Rhigas fit la connaissance d’Osman Pasva- noglou dont il sauva la vie. II n’occupa pas longtemps ce poste, un des plus eleves de la hierarchic valaque, car, apres quelques mois de combats, les Russes entrerent £ Bucarest et les Turcs abandonnerent les Principautes, entrainant avec eux Nicolas Mavroyeni qui fut execute, sur les bords du Danube, par ordre du grand vizir qui lui-meme fuf execute plus tard, par ordre du nouveau Sultan, Selim 111, mecontent de la tournure qu’avaient pris les evenements. 5 A la fin de la guerre austro-russo-turque, en 1790, on retrouve Rhigas comme secretaire du grand serdar Christodule Kirlianos, baron de Langenfeld, qu’il accompagna a Vienne. II resta la-bas seule­ ment quelques mois, ce s6jour est remarquable parce que Rhigas fit alors ses debuts litteraires. Son premier livre fut une traduction libre de romans sentimentaux frangais, L’Ecole des amants d&licats, qu’on doit considerer comme un simple exercice de traduction, destine a la jeunesse dor£e phanariote. Une oeuvre beaucoup plus serieuse fut Les elements de physique publi£e peu apres. II s’agit d’un livre de vulgarisation de cette science dont 1’enseignement n’etait pas favorise par les Turcs d’une part et l’Eglise d’autre part. Des maintenant Rhigas s’efforce de parfaire Peducation de ses compatriotes, tache qui etait la plus grande preoccu­ pation de tous les Grecs qui s’int£ressaient a la regeneration de leur pays, et notamment d’Adamantios Coray et de Jean Capodistrias. Des 1791, Rhigas retourna en Valachie ou il dut s’occuper de ses proprietes et ou il fonda une maison de commerce. II fit de nombreux voyages, dont un a Trieste en 1794. Cette periode de sa vie est impor- tante parce que c est alors qu il tomba sous l’influence des idees revo- lutionnaires frangaises 0 qui etaient propagees a cette epoque h travers

•t Alexandre Mavrocordato avait ete accuse a Constantinople d’etre a la tete d’un vaste complot contre 1’Empire Ottoman. Alexandre Ypsilanti avait soumis a l’Empereur Joseph II un projet preconisant l’emancipation des pays balkaniques, la coexistence pacifique des Turcs avec les Grecs et les Slaves tout en reservant le sceptre du nouvel Etat a un petit-fils de Catherine if La ressemblance de ce plan avec le « projet grec » de Catherine II est frap- pante. I est naturellement impossible de dire aujourd’hui quelle part il laissait a la politique russe dans le nouvel Etat. s La correspondance confisquee dans les bagages de Nicolas Mavroyeni lors de son arrestation fut publiee par N. Iorga dans la collection Hurmuzaki (Documen t, vol. XIV, part. Ill, pp. 258-464). Elle contient beaucoup de details interessants sur cette campagne. o il avait deja mentionne les evenements de France a Pasvanoglou lors- qu’ils etaient a Craiova. — 20 — tous les Balkans par de nombreux agents secrets. Les activity de Rhigas pendant cette epoque sont assez mal connues. II fut probablement secre­ taire du nouvel hospodar de Valachie, Michel Soutzo, et puis dragoman du consulat de France k Bucarest. Tout p6n6tre des idees nouvelles ce fut depuis cet instant que Rhigas commenga k rediger ses oeuvres les plus s^rieuses. II ne resta pas longtemps a Bucarest. En aofit 1796 on le retrouve a Vienne ou il commenga k preparer fi6vreusement ses entreprises rSvolu- tionnaires. Sa premiere activity fut de publier les cartes qu’il avait pre­ pares pendant son s£jour en Valachie. Probablement il avait eu l’appui, sinon economique du moins moral, des deux hospodars pour cette t&che. Ces cartes furent: la Nouvelle Carte de la Valachie et d’une partie de La Transylvanie, la Carte Ginirale de la Moldavie et surtout la Grande Carte de la Grece7. Celle-ci, son oeuvre cartographique la plus importante, etait compos£e de douze feuilles repr6sentant surtout la partie europeenne de sa future R6publique HellGnique. 11 s’agit d’une oeuvre dont Pimportance scientifique est indiscutable, malgre ses erreurs cartographiques dues en majeure partie k l’insuffisance des connaissan- ces topographiques de l’epoque. Mais du point de vue revolutionnaire aussi son importance etait enorme car elle etait beaucoup plus qu’une carte, elle etait aussi un manuel d’histoire. Elle indiquait non seulement les emplacements des grandes batailles mais aussi les lieux ou furent signes certains traites importants comme, par exemple, ceux de Passa- rowitz, de Sistov et de Ktitchuk Kai'nardji. De plus elle contenait des portraits de beaucoup d’hommes celebres et elle reproduisait un grand nombre de monnaies anciennes. Cette carte fut le resultat d’un travail minutieux et consciencieux qui dura des annees entires. Malheureuse- ment, aujourd’hui, il n’en reste que peu d’exemplaires. Mais Rhigas ne s’est pas borne a publier des cartes. Un jeune etu- diant avait commence k traduire en grec moderne Le Voyage du jeune Anacharsis de l’abbe Barth61emy. L’etudiant ne put traduire que les trois premiers volumes de cette oeuvre, Rhigas et Georges Vendotis, un de ses compagnons, en traduisirent le quatrieme. Cependant, I’evenement le plus important de son activite revolutionnaire a cette epoque est la premiere audition du Thourios chante par Rhigas lui-meme devant ses compagnons en octobre 1796. II nous est actuellement impossible de determiner la date exacte de la composition de ce po^me 8, le plus cei£- bre de Rhigas, qu’il incorpora ensuite dans sa brochure revolutionnaire contenant la constitution de la Republique Helienique.

7 Cette carte a fait l’objet de l’article d’Ubicini, La Grande Carte de la Grece par Rhigas dans la Revue de Giographie, 1881 vol VIII et IX Les sources utilisees par Rhigas dans son travail cartoeranh’imie nnt etudiees par G. Laios (Oi chartes tou Rhiga, Bulletin de la Societe His torique et Ethnique de Grice vol. XIV, 1960 pp. 231-312); ce sont e'n general des cartes frangaises et allemandes. A la meme epoque a peu pr£s Rhigas publia une gravure representant Alexandre le Grand ’ s Voir son texte en appendice « A », pp. 205-209. — 21 —

Les reunions secretes organises par Rhigas etaient assez fr£quentes. Cfn y chantait des chansons r6volutionnaires, on y discutait des projets rdvolutionnaires ; l’ambiance en g6n6ral 6tait impr6gn£e des nouvelles id£es frangaises que les compagnons de Rhigas, jeunes gens bouillants, avaient embrass£es avec enthousiasme. Ce fut pendant une de ces reu­ nions que fut compost le chant connu sous le nom de Marseillaise grecque ®. Rhigas ne se borna pas k convoquer des reunions secretes ou on chantait des airs r&volutionnaires. En secret il travaillait k son projet de constitution destinSe k la R6publique Hell£nique qu’il dGsirait fonder. Ayant pris comme base les constitutions frangaises de 1793 et 1795, il essayait d’£crire une constitution pour un Etat qui r£unirait Turcs et Balkaniques dans un Etat d£mocratique fond£ sur le respect des droits de l’homme et de la devise frangaise « Liberty, Egalit6, Fraternity ». Le temps approchait ou Rhigas devrait se rendre en Gr£ce pour pre- cher la revolution. II en £tait parfaitement conscient et il devait travailler avec une hate febrile qui a laiss£ des traces dans son oeuvre. Cette hate peut aussi etre expliquee par le vif desir de Rhigas de quitter un pays dont la police 6tait continuellement aux aguets et ou il risquait chaque jour d’etre arrety pour menses rSvolutionnaires. II imprima done sa bro­ chure r6volutionnaire en deux nuits consGcutives et, le 1" d6cembre 1797, demanda son passeport. II emballa ses oeuvres dans trois caisses et les envoya par l’entre- mise de deux de ses amis k un certain Coronios, marchand grec de Trieste, en 1’avisant par deux lettres de leur arriv£e. Malheureusement, Coronios10 6tait absent et les lettres tomb£rent aux mains de son asso- ci6, D6m£trius Oeconomou, qui d6sapprouvait les projets de Rhigas. Oeconomou lut les lettres et d£nonga toute l’affaire au gouverneur de Trieste, le comte Brigido, en lui livrant en meme temps les deux lettres incrimin£es. La police autrichienne agit vite. Les caisses furent sasies et Rhigas lui-meme, k peine arriv6 a Trieste, fut arrgte en m§me temps que son compagnon de voyage, Christophe Perraivos. Rhigas put d£- truire la plus grande partie des papiers compromettants qu’il portait sur lui et obtenir la liberation de Perraivos. De son c6t6, le gouverneur de Trieste pr£vint en tout h&te le gouvernement de Vienne afin que

® Ce chant a 6t6 attribue a Rhigas. 11 ne s’agit pas d’une traduction de la Marseillaise, seuls les deux premiers vers et le refrain 6tant des traduc­ tions de ce pofcme. Le poeme est £crit en langue savante, ce qui est absolu- ment contraire a la pratique de Rhigas qui utilisait la langue populaire. 11 est done probable que ce chant ne soit pas de la composition de Rhigas, d’autant plus qu’il ne peut pas etre facilement chants sur la musique de Rouget de L Isle. II convient aussi d’observer que la Marseillaise avait fait une vive impression sur les Grecs. Plusieurs pontes anonymes, ainsi que quelques-uns dont nous connaissons les noms, ont ecrit des pofemes dans ce style, mais sans jamais faire de traduction exacte de la Marseillaise. i° Rhigas savait que Coronios 6tait absent et que CEconomou 6tait contre ses projets. Dans cette affaire de caisses et de lettres il se montra extreme- ment imprudent. — 22 — celui-ci puisse prendre ses precautions. Ayant deja eu quelques soup- 9 0 ns, la police arreta une douzaine de Grecs 11 soupgonnes d’avoir pris part dans les conspirations de Rhigas. En apprenant qu’il devait etre transports k Vienne et craignant qu’il n’avouat sous les tortures, Rhigas tenta •— sans succes — de se suicider. Pendant sa convalescence Rhigas put entrer en contact avec le consul de France de Trieste qui multiplia les demarches en sa favour, cc qui n’etait pas fait pour calmer les apprehensions de la police autrichienne. Le prisonnier fut done transfere en hate a Vienne des qu’il fut transpor­ table. La, l’ambassadeur de France general Bernadotte (le futur mare- ehal de France et roi de Suede) ne put rien faire pour lui, occupe comme il l’etait pas divers problemes delicats. Les accuses etaient maintenant au nombre de dix-huit, dont deux seu­ lement n’etaient pas Grecs. 12 Tous, sauf Rhigas lui-meme et un certain Doucas, etaient de jeunes gens n’ayant pas ddpasse la trentaine. Pendant leur incarceration ils firent preuve du plus grand courage et firent tout leur possible pour rendre Penquete difficile. Aussi un grand nombre de points sont restds obscurs, vu que Penquete est notre source la plus importante en ce qui concerne les projets revolutionnaires de Rhigas. Si les accuses reconnaissent leur sympathie pour les idees rdvolutionnai- res frangaises, ils ne vont pas plus loin que <;a. Certains d entre eux avouent avoir aide Rhigas dans ses projets ou avoir eu connaissance du Thourios. Mais jamais P e n q u e te ne put etablir avec preuves a l’appui quels etaient les projets de Rhigas. Elle ne put formuler que des hy­ potheses. L’enquete terminee, il restait a savoir ce qu’on ferait des accuses. Le gouvernement autrichien avait l’idee fixe que le complot decouvert, bien que concernant particulierement PEmpire Ottoman, pourrait avoir des consequences graves pour les pays hereditaires de la maison d’Autriche. 11 decida done d’exiler ceux des accuses qui etaient sujets imperiaux. Quant aux autres, ils seraient livres k la Turquie apres un marchan- dage approprie. Bien avant la fin de Penquete, le ministre des Affaires Etrang£res d’Autriche avait informe l’internonce imperial a Constantinople de l’af- faire en lui indiquant qu’un marchandage diplomatique etait de toute premiere necessite pour rdgler certains differends austro-turcs. 11 y en avait deux qui etaient assez importants. Le premier concernait certains Polonais, sujets imperiaux, qui s’etaient refugids dans les Principautes danubiennes et dont l’Autriche demandait en vain Pextradition L’autre

11 Cette decouverte se fit par etapes et ainsi plusieurs coniures m.rent s’echapper. La police procedait avec une extreme circonspection car comme l’avoue plusieurs fois Penquete, elle avait peur de causer de graves nerhTr bations dans le commerce autrichien avec PEmpire Ottoman si de t«ro nom- breux Grecs etaient arretes. H 12 L’un etait Serbe, bien que Daskalakis le conteste (Rhieac Velestinlis p. 161) et I’autre etait Allemand. WMgas veiestinlis. — 23 — concernait Pex-Republique de Venise. Grace au traite de Campo Formio, r’Autriche avait h£rit£ des immeubles de la legation et des consulats ve- nitiens ainsi que de toutes les autres proprietes de l’Etat venitien en Turquie qui, elle, se les etait appropriees. De plus une situation confuse r£gnait en ce qui concerne les navires battant pavilion venitien. En ap- prenant la dissolution de la Republique de Venise les capitaines de ces navires avaient hisse le pavilion autrichien, mais leurs papiers de bord devenaient caducs. Or, 1’Autriche avait acquis par traite avec les Bar- baresques 1’immunite pour ses navires ; devant cette situation juridique delicate, les pirates ne respectaient pas le pavilion autrichien des na­ vires ex-v£nitiens et se saisirent de plusieurs de leurs equipages qu’ils vendirent en esclavage. Naturellement, l’Autriche protesta aupres de la Porte mais celle-ci, selon son habitude, fit beaucoup de promesses mais rien de plus. Avertie par le gouvernement autrichien de 1’arrestation de huit de ses sujets pour menees revolutionnaires, la Porte demanda l’extradition im­ mediate des coupables car les Autrichiens avaient decouvert (disaient- ils) des liens entre cette conspiration et certaines velleites de revolte de la Moree et de 1’Epire. Le Cabinet de Vienne repondit tres poliment et avec beaucoup de circonlocutions qu’il le ferait d6 s que la Porte per- mettrait l’extradition des fugitifs polonais et assurerait la liberte de trafic pour les navires ex-v6 nitiens. Pour obtenir ce qu’il desirait, l’internonce, baron von Herbert Rath- keal, prdsenta la conspiration sous les couleurs les plus noires, tout en pr£sentant discretement les desiderata autrichiens, tandis que de son cote la Porte faisait semblant de ne pas attacher une grande importance aux revelations de von Herbert Rathkeal. Les difficultes que l’internonce rencontrait etaient aggravees par le fait que le prince Constantin Ypsi­ lanti qui avait ete, comme on l’a vu, ami de jeunesse de Rhigas, etait a ce moment grand dragoman de la Porte. L’internonce essaya de se passer de l’entremise d’Ypsilanti mais ne put empecher celui-ci d’avoir connaisance de l’affaire. Ypsilanti entra tout de suite en relations avec le baron von Herbert Rathkeal. Avec beaucoup de doigte il reussit k le convaincre de ses sen­ timents pro-autrichiens, le trompant ainsi completement sur ses senti­ ments veritables. Entre de cette maniere dans la confiance du diplomate autrichien, le prince ne lui menagea pas ses conseils que von Herbert Rathkeal regut avec une confiance croissante. Le cabinet de Vienne fit parvenir k l’internonce une liste de Grecs habitant la Turquie qui etaient suspects de participation dans la conspiration de Rhigas. Ypsilanti put dissuader von Herbert Rathkeal de son projet de presenter cette liste a la Porte en faisant valoir que l’Autriche serait rendue responsable par les Grecs des condamnations, confiscations et autres vexations qu’ils su- biraient si la Porte etait invitee k prendre des mesures repressives. Le commerce en Mediterranee orientale etant en majeure partie aux mains des Grecs, les interets autrichiens souffriraient de l’impopularite de l’Au- I

— 24 — triche parmi les Grecs 1S. L’internonce cominuniqua done les documents de l’affaire k Ypsilanti qui se chargea de leur traduction, comme c’£tait son devoir de le faire. II est fort probable que cette traduction ait forte- ment defigur£ le rapport autrichien en l’amenuisant considerablement et en supprimant notamment la liste ci-dessus mentionnee. L’affaire des navires ex-v6nitiens ayant ete liquid6e, il ne restait plus que l’extradition des rdfugies polonais qui fut enfin accordde. En contrepartie, Rhigas et ses sept compagnons furent livrds aux Turcs. Ils partirent de Vienne le 26 avril et arriverent a Belgrade le 9 mai 1798. La nouvelle excita un dmoi considerable parmi les Grecs. Les Pha­ nariotes eux-memes esssayerent de convaincre les Turcs que les accu­ ses etaient les victimes innocentes d’une calomnie absurde et leurs ar­ guments furent tellement persuasifs qu’un ministre ottoman y crut. En plus les Phanariotes marchanderent pour sauver leurs vies en offrant des sommes considerables. Ypsilanti aussi agissait dans toutes les di­ rections possibles et imaginables, surtout aupres de Pinternonce. II tacha de mettre les inculpes sous la protection du patriarche Gr£goire V, per- sonnage fort respects dont les sentiments anti-revolutionnaires etaient bien connus. Mais tous ces efforts demeurerent sans rdsultat pratique. Cependant, les Grecs n’etaient pas les seuls a agir en faveur des ac­ cuses 14. Pasvanoglou, le maitre rebelle de Vidine qui devait sa vie k Rhigas, occupait ou surveillait les routes de Belgrade k Constantinople pour delivrer les conspirateurs pendant leur transfert k la capitale. De son cotd, Ali pacha de Janina s’agitait. A sa cour il y avait meme un membre de la conspiration et le ruse pacha decida qu’il lui serait utile d’avoir Rhigas entre ses mains. II demanda done au caimacam de Bel­ grade de lui livrer les conspirateurs. Tres gene par cette demande, le caimacam repondit qu’il ne pouvait rien faire, se trouvant devant un fait accompli. En effet, le Divan imperial, parfaitement au courant de toutes ces intrigues, voulait en finir avec toute cette affaire. II ordonna done au caimacam de Belgrade d’executer Rhigas et ses compagnons dans le plus grand secret et qu’ensuite il rdpandrait le bruit de leur evasion Durant la nuit du 24 au 25 juin 1798 Rhigas et ses sept compagnons furent etrangles et leurs corps jetes dans le Danube. La Porte fit circuler l’an- nonce de leur evasion, mais personne ne fut dupe. Ainsi perit Rhigas et avec lui son reve d’une Republique balkann asiatique.

13 ^ ’importance que le gouvernement autrichien accordait au com m erre avec 1 Orient est frappante ; continuellement il insistait sur la ^ c e s S de ne pas lui porter des coups en arretant trop de Grecs netebbire ae 14 Daskalakis, Rhigas Velestinlis, pp. 176-177. C h a p it r e II

LA CONSTITUTION ET LES PROJETS DE RHIGAS

L’oeuvre de base pour l’etude des projets de Rhigas en ce qui con- cerne le statut futur des Balkans est n6cessairement la Constitution de la Republique Hellenique. C’est ce texte qui a ete la cause principale de l’arrestation de Rhigas par les Autrichiens. Malheureusement, Ie gouvernement autrichien confisqua presque toutes les brochures le contenant et des 200 exemplaires qui lui £chapp6rent aucun n’est par­ venu jusqu’a nous. Cependant l’historien P. Chiotis a pu retrouver dans des archives privies de Zante un manuscrit contenant le texte complet de la brochure *. En plus, on a trouv6 dans les archives de Vienne une traduction allemande de la Constitution contenant tout le texte proprement dit, sauf le commencement et la fin2. On a pu ainsi reconstituer la brochure originale, la « Griechische Proclamation » comme l’appellent les documents autrichiens. Celle-ci contenait une Proclamation Revolutionnaire, une Declaration des Droits de VHomme et du Citoyen, la Constitution proprement dite et le Thourios qui lui servait comme complement. Sauf le Thourios et la Proclamation Revolutionnaire, le reste est une libre adaptation des constitutions frangaises de 1793 et 1795, avec certaines variations de details. La Proclamation Revolutionnaire est une diatribe violente contre PEmpire Ottoman du x vm ' siecle. Elle d£peint sous les couleurs les plus noires l’anarchie, le chaos et la corruption existant dans cet Etat. Certains passages sont tr£s lyriques, peut-etre meme trop ; mais le tout est d’une puissance extraordinaire. Un point de la plus haute importance — et qui eclaire bien la pens£e de Rhigas — est que les Turcs, contrairement aux idees de l’epoque, sont aussi repr£sent£s comme souffrant de la « tyrannie insupportable de l’abominable des- potisme ottoman ». II faut souligner le fait que d£jci dans cette pro­ clamation qui est un appel supreme a la revolte Rhigas enonce avec force son axiome de l’egalite et de 1’unite de tous les peuples balka­ niques, y compris les Turcs.

iCe texte fut public par P. Chiotis dans la revue Parthenon, vol. 1, pp. 507-512. 2 Ce texte fut publie par C. Amantos, Anecdota engrapha peri Rhiga Velestinli, pp. 45-82. 3 — 26 —

Une etude attentive de la Constitution de Rhigas nous montre cer­ tains points caracteristiques qui la diff£rencient nettement des Consti­ tutions frangaises pr6citees. Lesdites Constitutions etaient destinees a £tre les lois supremes de la nation francaise, celle de Rhigas etait, de plus et surtout, un cours de droit constitutionnel. Cette difference de buts peut €tre expliqu£e par le fait que les Frangais possedaient deja une experience politique datant de longs siecles, tandis que les peuples balkaniques avaient ete prives de toute education civique et politique pendant tres longtemps (trois a quatre siecles en moyenne). 11 fallait done expliquer a ces peuples les notions les plus eiementaires des droits de Phomme, des devoirs des citoyens et la fagon de gouverner un Etat democratique. Ainsi on peut s’expliquer que Rhigas n’ait pas attendu la creation effective de cet Etat pour preparer une Constitution et encore plus pourquoi il n’a pas laisse cette t3che 2l une Assemble Constituante. On comprend pourquoi le texte frangais est tellement amplifie dans sa version grecque par des exemples. Voilci done la cause principale pour laquelle Rhigas a ecrit le texte de sa Constitution dans le langage grec populaire, afin qu’il soit a la portee de tous les Grecs. On ne connait pas de traduction contemporaine de la Consti­ tution dans les autres langues balkaniques ; rien cependant ne prouve que dans la pensee de Rhigas il n’y eut pas le dessein de preparer de telles traductions des son arrivee en Grece. Comme il ne put mettre ses projets en execution, on ne sait quel aurait ete le sort futur de sa Constitution. II peut paraitre etrange que Rhigas n’ait pas fait de sa Republique un Etat federal. Les Balkans sont un tel amalgame de races et de religions que cette solution aurait paru de prime a or comme la meilleure, mais un examen approfondi de la question aurait fait appa- raitre de serieux arguments contre un tel rigillW. La solution fed6ralc aurait certainement ete preferable si tous les peuples balkaniques avaient eu des limites geographiques nettes. Mais ceci n’etait pas le cas ; le compartimentage naturel n’avait absolument aucun rapport avec son compartimentage racial qui n’etait pas du tout net et bien deiimite, vu que les divers peuples s’interpenetraient souvent profon- dement. 8 De plus, les mouvements massifs de populations sous I’Empire Byzantin et ses successeurs avaient tellement melange les populations de certaines regions que des limites federates auraient ete impossibles a tracer en utilisant simultanement des criteres nationaux et geogra­ phiques. Toute division basee sur des criteres purement geographiques aurait ete arbitraire et n’aurait eu comme resultat que de^creer une foule de minorites eternellement mecontentes. L’Etat unitaire etait done une necessite, malgre les difficultes creees par les differences si souvent

3 La formation des Etats nationaux et les echanges de populations ont permis la formation de limites plus ou moins nettes entre les diverses nationalises, mais ceci ne s’accomplit que plus de cent ans apr£s Rhigas. — 27 —

citees des diverses nationality en ce qui concerne leur developpement politique, dconomique et social. Voyant l’impossibiliti de creer un regime fidiral, Rhigas voulut creer un regime ayant un pouvoir Iigislatif forteinent decentralisi et un pouvoir exicutif fort et centralist : l’oppose de ce qui se faisait dans 1’Empire Ottoman de son ipoque. Rhigas disirait que les peuples balkaniques aient pleinement conscience du fait qu’ils exerceraient eux- mSmes, directement, le pouvoir legislatif et que nulle loi ne pourrait leur etre imposde sans leur consentement. Le souvenir de l’oppression ottomane est meme si fort qu’il prifirerait avoir la quasi-unanimite du peuple en faveur de chaque loi votee. Le point faible de la Constitution de Rhigas fut certainement le pouvoir ligislatif dont le fonctionnement itait extremement lourd. Le Corps Ligislatif proposerait la loi qui devrait etre acceptie par les neuf-dixiemes des membres des assemblies primaires de la majoriti absolue des departments4. On peut penser que les lois acceptees auraient ite tres peu nombreuses. Certes la raison de cette stipulation est claire. II ne fallait pas que qui que ce soit puisse pritendre Stre opprime ou que son avis n’ait pas i t i entendu. Ainsi aucun peuple du futur Etat ne pourrait dire qu’il dtait specialement favorise ou difa- vorisi ; point tres important vu la susceptibilite particuliire des peuples balkaniques a cet igard. Contrairement a ce qui se passe aujourd’hui, le pouvoir executif n’est pas celui qui prend l’initiative de proposer les lois ; il n’est que I’organe executant les decisions du Corps Legislatif et ne peut prendre aucune initiative. Les changements frequents des membres du Corps Legislatif et du Directoire exicutif itaient consideres a l’ipoque comme nicessaires ; aujourd’hui on aurait prifire un gouvernement et un parlement plus stables. Certes, Rhigas ne fait que copier (et meme quelquefois maladroitement) les Constitutions frangaises de son epo­ que, mais au fond il ne desire pas que le Corps Legislatif et le Direc­ toire Exicutif deviennent trop puissants ; il veut a tout prix iviter la possibility d’une dictature. Ainsi le pouvoir restait dans les mains des assemblies primaires qu’on ne peut que comparer aux landsgemeinde de certains cantons suisses. On serait meme tente de voir dans ces assemblies primaires des survivances d’idies antiques si on avait trouvi de telles institutions dans les Balkans a cette ipoque mais, en realiti, si de telles idies ont survicu, c’est seulement par le truchement des Constitutions frangaises. Le systime judiciaire preconise par Rhigas forme probablement la partie la plus riussie de sa Constitution. Certes le systeme d’ilection des juges a de nombreux difauts mais, surtout en droit civil, la maniire de rigler les differends de moindre importance est parfaitement adaptie aux circonstances et a la pratique de l’ipoque. Les juges ou arbitres

4 Articles 56-60 de la Constitution de la Rdpublique Hell£nique dont le texte complet se trouve dans l’appendice « A », pp. 183-207. — 28 — eius remplaceraient simplement dans ces fonctions judiciaires ou, plus exactement, conciliatrices et arbitrates, les primats et les cours eccle- siastiques. La Republique balkano-asiatique revee par Rhigas aurait-elle pu se realiser ? Le fait que les tentatives de Rhigas ont completement echoue et que ses projets ne furent connus que par de rares inities ne nous permet pas d’etre categoriques, soit dans l’un, soit dans l’autre sens. On peut cependant douter qu’un tel Etat aurait ete viable. Les tormes de gouvernement etablies en France par les Constitutions de 1793 et 1795 ont particulterement peu dure et n’ont pas pu resister aux visees d’un seul homme, et cela dans un Etat expert en affaires gouverne- mentales et habite par un seul peuple. Or les Balkans etaient habites par plusieurs peuples souvent ennemis les uns des autres et qui, de toute fagon, etaient a des stades tres divers de developpement poli­ tique. Pour etablir le nouvel Etat, il aurait fallu detruire de fond en comble les institutions existantes et rendre independants des peuples depourvus d’eiites politiques. Seuls les Grecs font partiellement exception a cette derniere remarque, avec les Phanariotes, mais les Phanariotes (ou du moins la plupart d’entre eux) n’etaient nullement inspires par des ideaux democratiques a cette epoque et auraient bien ete tentes de faire k leur profit un coup d’Etat de Brumaire. Naturelle- ment tout ceci n’est que pure speculation, mais en tout cas on peut supposer qu’au moins le systeme legislatif imagine par Rhigas aurait vite ete transforme en un mecanisme plus simple et plus efficace. Si on voit cependant les choses d’un point de vue optiniiste, on peut dire que la Republique Hellenique aurait ete, peut-etre, viable si les institutions existantes de gouvernement local etaient unifi^es et adaptees aux no uv e lle s conditions ; si le systeme tegislatif preconise subissait une rfeforme radicale consistant en un assouplissement con siderable de son fonctionnement ; si la mentalite unitariste des Phan riotes triomphait de leurs ambitions personnelles ; si le pouvoir tral se faisait aussi invisible que possible afin d’effacer le plus °e-n~ possible la mefiance profonde des peuples balkaniques envers i n i pouvoir etatique qui fut le resultat du mauvais gouvernement ottom A ces conditions la Republique pourrait, peut-etre, survivre mais eu' serait assez differente de l’Etat reve par Rhigas. ’ La brochure revolutionnaire clandestine se termine avec le Th rios5. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un poeme martial °S~ valeur litteraire reside surtout dans les premiers et les derniers v le reste etant une longue exhortation & la revolte de tous les peuol^ europeens et asiatiques de l’Empire Ottoman, Turcs y compris av

s « Thourios » est un mot du grec antique signifiant, a peu pres « marche militaire ». C’est l’umque cas ou Rhigas emploie un mot antique’ bien au’il existe un mot moderne ayant la meme signification. Le fait est d’autant plus remarquable que Rhigas met ce mot au masculin, tandis qu’ordinairement it est neutre. — 29 —

certaines references particulieres aux pachas ayant des velleitis d’in- dependance. Peu d’exemplaires de l’ddition originate purent ichapper a la police autrichienne. Mais, tandis que la Proclamation Revolutionnaire et la Constitution de la Ripublique Hellinique rest£rent presque inconnues, le Thourios eut tr£s vite une popularity extraordinaire. Ceci est du au fait que le Thourios est un poime, qu’aussi il pouvait facilement etre appris et transmis de vive voix et que de nombreuses copies manuscrites circulirent dans tous les Balkans, sans oublier toutefois que la transmission orale joua un role primordial. La premiere Edition dont on possede un exemplaire fut faite a Corfou, probablement en 1798, par Ch. Perraivos. Celui-ci0 pretend avoir sauvi un exemplaire du texte original. Ceci est tr6s probable et Ton peut considerer cette edition de Corfou comme la plus fiddle au texte original. Dans sa Courte Biographic de Rhigas, Perraivos publia de nouveau le Thourios. A ce moment il ne possedait plus le texte original et il donna le texte tel qu’il l’avait garde dans sa mdmoire. Les differences entre les deux editions sont insignifiantes. La plupart des nombreuses editions grecques du Thourios suivent la version de la Biographie. C. Fauriel, dans ses Chants populaires de la Grece moderne7, fit la premiere traduction frangaise. II apporta plusieurs changements au texte en purifiant la langue et en omettant plusieurs vers qu’il jugeait peu importants ou nuisibles. Nepomucine Leinercier icrivit aussi une traduction en vers, de meme que Minoi'de Minas qui y ajouta plusieurs vers qui manquaient dans l’edition de Fauriel. Le Thourios devint extremement populaire, non seulement & l’epo- que, mais garda sa popularite jusqu’a nos jours. II fut chante meme devant les Turcs qui aimaient Pentendre, bien qu’ils ne puissent pas coinprendre les paroles, ce qui etait d’ailleurs heureux pour les chanteurs. On peut dire que le Thourios et sa mort furent les principales contributions positives de Rhigas ci la cause de la liberation de ses compatriotes. Ayant vu la Constitution de la future Republique Helienique, ainsi que les exhortations a la adressees a tous les peuples de PEmpire Ottoman, il convient maintenant d’etudier quels etaient les plans de Rhigas pour arriver a ses fins. Malheureusement pour nous, Rhigas ne devoila jamais ses projets aux Autrichiens et on est force d’utiliser seulement les maigres bribes qui ont ete rassembiees par les enqueteurs de ce qu’ont laisse echapper ses^ compagnons et des rares indications fournies par Perraivos. L’en- quete resume ainsi le projet revolutionnaire : « Rhigas avait decide de se rendre dans la presqu’ile de Moree, dans la Miditerranee, au pays

« Perraivos, Syntomos viographia tou aidimou Rhiga Pheraiou, p. 40. 7 Volume II, pp. 20-29. 30

(les rebelles Grecs Maniates, descendants des anciens Spartiates, afin de gagner leur confiance, de proclamer partout la libertd, puis, grace a leur aide, de liberer par la force la presqu’ile de Morde du joug turc. Aprds la liberation de la Moree, il avait l’intention d’envahir l’Epire, d’affranchir aussi ce pays, d’unir les Maniates aux autres rebelles Grecs, les Cacosouliotes 8, qui habitent prds'des cotes de la mer Adria- tique puis, avec toutes ces forces rdunies, d’avancer vers l’Orient, d’dmanciper la Macddoine, l’Albanie, la Grdce centrale et les autres provinces turques par une revolte generale » Comme on le voit, c’est extremement peu de chose mais, admettant que ces suppositions des enqueteurs correspondent a la pensee reelle de Rhigas et en y ajoutant quelques renseignements fournis par d’au­ tres parties de l’enquete ainsi que d’autres sources telles que la Marche militaire, on peut arriver a plusieurs conclusions gdndrales. Un probldme se pose d’abord : Rhigas a-t-il fonde une socidte secrete, une Hitairie ? L’enquete autrichienne soupgonne vaguement l’existence d’une telle societe, mais elle ne peut rien prouver. Perraivos 10 est le premier qui nous informe, en peu de mots, de son existence. Nicolas Ypsilanti, dans ses Memoiresn , le confirme ; Jacques Rizos Neroulos 12 aussi ; mais tous ces auteurs desiraient etablir un lien entre l’hypothetique Hdtairie de Rhigas et l’Hdtairie des Amis fondde en 1814 en considerant celle-ci comme une simple continuation de 1 Hdtairie de Rhigas, ce qui est completement incorrect. Les historiens plus recents sont d’opinions trds divisdes, certains d’entre eux se rangeant a l’avis de Perraivos 13 tandis que d’autres nient categoriquement l’exis­ tence de cette Hdtairie 14.

8 Les ou Cacosouliotes etaient en r£alit6 etablis prfes de la mer lonienne. !> « Riga seye namlich entschlossen, nach der Halbinsel gegen das mitteHandische Meer zu den dort wohnenden rebellischen Griechen, Mainotlen, Abkommlingen der alten Spartaner, sich zu begeben, das Zutrauen derselben sicli zu erwerben, die Freyheit iiberall zu predigen und sodann mit Hilfe derselben die ganze Halbinsel mit Gewalt vom tiirkischen Joche zu befreyen. Wenn nun Morea befreyet ist, so wolle er dann in Epiro einfallen, diese Land- schaft auch befreyen, die Mainotten mit den andern rebellischen Griechen, Cacosulioten gensunt, die an die Seekusten des adriatischen Meeres sind’ vereiningen und mit dieser Vereiningung weiter gegen Osten vorriicken und sodann die tiirkischen Provinzen Mazedonien, Albanien das eigentliche Grie- clienland, dann die iibrigen mittelst eines allgemeinen Aufstandes befreyen » (Proces-verbal de l’enquete, date du 24 mars 1798, publie par E. Legrand Documents inddits concernant Rhigas Velestinlis, p. 70.) ’ 10 Apomnimonevmaia Polemika, Introduction et Syntomos viographia tou aidimou Rhiga Pheraiou, p. 23. 11 D. Kambouroglou, Memoires du prince Nicolas Ypsilanti, pp. 101-102. 12 Cours de Litterature Grecque Moderne, p. 179. is Cf, par exemple, J. Cordatos, Rhigas Phcraios kai i Valkaniki Omos- pondia, pp. 35-85. 14 Cf., par exemple, C. Amantos, Anecdota engrapha peri Rhiga Veles- finli, pp. xil-xiII. — 31 —

On pourrait assez difficilement appeler Hetairie la reunion des collaborateurs de Rhigas. On ne voit nulle part des traces d’organisa- tion secrete, encore moins d’une organisation secrete ressemblant plus ou moins a l’Hetairie des Amis. Certes, il existait & 1’dpoque de nom­ breuses societes secretes ayant comme but Paffranchissement des Chre­ tiens du joug ottoman 14. Elies etaient particuli£rement nombreuses dans les Principautes, ce qui rend tr£s probable l’appartenance de Rhigas ci certaines d’entre elles mais non pas necessairement qu’il en fonda une. On sait que Rhigas fut franc-inagon et qu’il fonda des loges ; il est plus que probable que s’il fonda reellement une Hetairie elle aurait eu un caractere magonnique. On peut, d’ailleurs, supposer qu’elle resta dans un stage embryonnaire car elle a disparu sans nous laisser aucun document ou autre signe de son existence. Les recherches des historiens sur ce sujet sont d’autant plus ardues que le desir de s assurer 1 autorite que conferait le nom respecte de Rhigas poussait plusieurs des societes secretes fondees apres sa mort k se pretendre fondees par lui. Si on laisse de cote ce point particulierement controverse et que 1 on aborde le plan proprement dit, on voit que celui-ci ne parle que des provinces grecques et de l’Albanie dans le premier stade de la revolution. Le plus important est que Rhigas pensait aller au Magne non pas pour commencer immediatement son action revolutionnaire, mais pour gagner la confiance des Maniates. En effet, ci l’epoque, aucun Maniate n avait entendu parler de Rhigas. Les freres Stephanopoli qui venaient justement de faire un voyage au Magne sur ordre de Kona- parte ne Ie mentionnent guere. Le fils du bey du Magne se trouvait en 1796 & Trieste sans entendre parler de Rhigas et, ce qui est encore plus serieux, quand eut lieu en 1798 l’assembiee de M arathonisi16, & laquelle prirent Part des deiegues de toute la Grece, personne n’avait entendu parler de Rhigas. II etait done necessaire que Rhigas commence un travail serieux de propagande. II l’avait d’ailleurs compris et ce fut pour cela qu il emmena avec lui les caisses remplies de sa brochure revolutionnaire. Un facteur sur lequel Rhigas devait beaucoup compter etait l’aide eventuelle frangaise1T. Maitres des lies Ioniennes depuis le traite de

1B Voir au Chapitre VI. Cette assemble eut lieu en presence des Stephanopoli. Elle decida qu’un soulevement general aurait lieu mais que les circonstances n’etaient pas propices encore et qu’il fallait attendre. Hi4r'fnrf1V^)S ^ !'} tomos viographia tou aidimou Rhiga Pheraiou, pp. 24- pnvnva rnmmo^ 1 gas’ voulant interesser Bonaparte a son entreprise, lui Tpmn£ Rnmnar+o >eau une .taba*'ere faite en bois de laurier provenant de ntre k lui adres-Jr6 f1emer^Ia ?n termes si chaleureux que Rhigas fut encou- mnhprnps consirlprpnf m^moire sur la situation en Grece. Les historiens Trpc nrohihlempnt Ip ™ t 1 comme etant une pure invention de Perraivos. pnvnvn pn pffpt n R c* entre Rhigas et Bonaparte fut unilateral. Rhigas ni^iPnU lettres nni n ? 31 • par 1’?ntrem'se du consul de France a Trieste £ e“r* np tfn.mp n Parvmrent jamais, parait-il, k leur destinataire. En effet, on ne ouve aucune reponse dans la correspondance napoleonienne — 32 —

Campo Formio, les Frangais avaient commence une campagne de pro- pagande de grande envergure, surtout en Morie mais aussi dans toute la Grece occidentale. Le voyage surtout des Stephanopoli au Magne avait fait un grand bruit. Tres probablement Rhigas en avait eu con- naissance, ainsi que de l’assemblee de Marathonisi. Cette assemblee avait declare aux Stephanopoli que la Grice entiere etait prete a se revolter mais sous condition que le general Bonaparte lui-mc‘ine, venant de Corfou, se mettrait a sa t£te. Le vainqueur d’ltalie cependant avait d’autres plans qui tous restirent sans execution. Un des plus grands problemes auxquels Rhigas devait faire face etait le problime financier. La Moree, par ou devait commencer son entreprise, avait ete completement ruinee par la rivolte avortee de 1769-1770 et les continuelles incursions albanaises qui Font suivie18. Elle n’itait done pas en etat de financer les achats d’armes et de muni­ tions nicessaires. Le commerce renaissait a peine. Les enqueteurs autrichiens trouvent comme seule source de moyens financiers les riches monastires. Ceux-ci, peu nonibreux d’ailleurs, n’avaient de richesses que celles qui provenaient soit de dons faits par des fiddles et qui etaient invendables, soit de proprietes agricoles dont les produits etaient vendus & des prix extremement bas. Certes, les Grecs etaient d£j& plus ou moins armes, mais ils ne possidaient pas de reserves d’armes et de munitions pour des operations de longue haleine. Le probleme financier devait sembler insoluble, d’autant plus que les Grecs itablis a l’itranger n’avaient pas encore acquis les fortunes qui permirent de financer en partie la guerre de 1821. Les exhortations aux insulaires contenues dans le Thourios montrent que Rhigas comptait aussi sur eux pour former une flotte. De nouveau, ici, on se heurte au probleme financier. La flotte de 1821 avait eu son origine dans les divers blocus des guerres napolioniennes qui avaient force les armateurs grecs d’armer leurs navires. La hausse considerable des fr£ts et le manque de competition avaient permis a de nombreux insulaires de faire fortune et le risultat fut qu’en 1821 les lies avaient une prosperite economique qui leur permettait de pos- seder des flottes de guerre. Or tel n’etait pas encore le cas en 1798. En ce qui concerne les autres peuples balkaniques, est-ce quo Rhigas aurait pu compter sur leur aide ? II est probable qu’avec un peu de propagande de sa part les Serbes, qui s’insurgeront de toute facon en 1804, se seraient souleves. Pour les autres peuples balkaniques les choses auraient ete plus compliquees et plus problimatiques. En effet

tandis que toutes les tractations de Bonaparte avec les Maniates sont men tionnees, souvent avec beaucoup de details. Perraivos icrivit sa Bioeranhie de Rhigas longtemps apres les evinements qu’il ddcrit et il est probable qu’il inclut cette histoire (dont il avait peut-etre entendu parler) en croyant qu’elle etait authentique. Ce n’est pas d’ailleurs la seule inexactitude que Ton ren­ contre dans les oeuvres historiques de Perraivos. is Meme vingt ans plus tard un des grands soucis des chefs de I’Hetairie fut de trouver l’argent necessaire pour payer les armes acheties par le bey du Magne. — 33 — on pourrait douter de l’insurrection des Roumains ou des Bulgares du moment qu’ils n’avaient pas pleinement conscience de la n£cessite de la revolte. Dans les Principautes, Rhigas disposait d’amis puissants, notamment en Valachie ou son ancien protecteur, Alexandre Ypsilanti, etait de nouveau hospodar. En Bulgarie, l’hoinme le plus puissant du moment £tait Osman Pasvanoglou, pacha de Vidine, ami de Rhigas. Celui-ci, en graves difficultes avec la Porte, pourrait lui etre fort utile. En g6n6ral les seuls Turcs qui voudraient l’aider seraient ceux qui etaient en rdvolte plus ou moins ouverte contre la Sublime Porte ; quant aux autres, leur reaction violente aux tentatives de reformes du Sultan Selim III montra que Rhigas n’aurait rien pu esperer de leur part. L’entreprise de Rhigas, si elle avait eu lieu, aurait ete longue et dure et la cooperation sur laquelle il comptait n’aurait et£ que sur une ychelle tr£s r£duite, du moins au commencement de la r£volte. il est tr£s difficile de dire s’il aurait ou non reussi. Les difficulty de toute sorte qu’il aurait rencontrdes, le manque de moyens financiers, le peu de probability de cooperation pan-balkanique, tout aurait £t£ contre lui. La seule chance qui lui restait, c’£tait les eternels souiyvements de divers pachas in£contents qui forgaient la Porte & ne plus avoir con- fiance en personne et & etre constamment sur le qui-vive, sans meme etre sftre de la loyaute de ses propres troupes. On peut done rever aujourd’hui sur la reussite ou la d£faite de Rhigas ; ce n’est pas cela qui compte puisque la tentative n’a jamais eu lieu ; ce qui est impor­ tant, e’est que Rhigas est le premier qui ait voulu unir tous les peuples balkaniques en un seul Etat inoderne et d£mocratique : rSve vraiment digne de ce grand id£aliste. C h a p it r e III

LA CRISE DU « NIZAM-I DJEDID»

Malgre le fait que la faiblesse militaire de l’Empire Ottoman avait ete r£v£lee aux yeux des puissances europeennes par les guerres russo- turques de la deuxi^me moitie du xvni” siecle, les rayas etaient toujours influences dans leur appreciation de la force militaire de l’Empire Ottoman par ses victoires anterieures et par la repression impitoyable de leurs revoltes. Cependant les puissances europlennes avaient com- pris la veritable valeur de la machine militaire decadente et vetuste de la Turquie. La notion de « l’homme malade » et de ses htritiers n’avait pas encore ete formulae mais, en fait, la succession de 1’Empire Otto­ man 6tait ouverte avec deux grands heritiers possibles, l’Autriche et la Russie, qui recevraient la part du lion, tandis qu’elles abandonneraient de petits restes aux autres puissances. Cette situation n’avait pas completement 6chapp6 aux yeux des Turcs, quoique la plupart d’entre eux etaient trop occup£s par leurs intrigues continuelles pour songer k y remddier. La tradition aussi etait tellement forte que les reformes necessaires paraissaient k leurs yeux plutot comme des forces destructrices que constructives. On se debattait dans un cercle vicieux car laisser l’Empire Ottoman dans l’etat ou il se trouvait equivalait k une trahison mais le reformer sui­ vant des ideaux europeens — done infideies — serait aussi une trahison, envers PIslam cette fois. Deux hommes eurent le merite d’in- troduire les reformes qui devaient changer cet etat de choses, malgre la reaction violente dans laquelle la premiere devait sombrer, deux homines au caract6re completement oppose : les Sultans Selim III et Mahmoud II. Selim III fut surtout un idealiste, incapable de comprendre la force statique que representait la tradition ; Mahmoud II fut un realiste n’hesitant pas k utiliser tous les moyens pour arriver ik ses buts ; Selim III fut un esprit franc et ouvert; Mahmoud II fut un dissimula­ t e s qui reussit k tromper tout le monde sur son veritable caractere ; le resultat fut que les reformes trop brusques de Selim III ne lui sur-

i Le caractere de Mahmoud II a fait l’objet d’interpr£tations diverses. En general, les Grecs ne voient en lui qu’une brute sanguinaire k cause des mas­ sacres avec lesquels il essaya de r£primer l’insurrection grecque, tandis que les etrangers sont beaucoup plus nuances dans leurs jugements. — 36 — vecurent pas, entrainees par le courant contre-revolutionnaire qui causa sa perte, tandis que celles de Mahmoud II, tout aussi brusques mais mieux adaptees a la situation de l’epoque, eurent une influence durable qui ne fut pas minee par des velleites contre-revolutionnaires. Au con- traire, elles furent le commencement de cette lente transformation qui aboutit au hatti-houmayoun de Gulkhane et & l’6re du Tanzimat. Selim III, monte sur le trone en pleine guerre austro-russo-turque, avait eu comme objectif principal une rcforme generale de l'armee et de l’Etat pour faire de celui-ci une puissance moderne a tous les points de vue2. On peut resumer ainsi ce qu’il desirait faire: transformer l’armee (et surtout les janissaires) en troupes a l’europeenne ; reformer le systeme financier et surtout la perception des impots ainsi que le systeme douanier ; reorganiser le systeme des vakoufs, des tchifliks et des timars ; reformer le Divan imperial en augmentant son role politique. II s’agissait done, surtout, de reorganiser l’armee et les finances. Les janissaires surtout formerent le centre des preoccupations de Selim III, comme ils devaient l’etre de celles de Mahmoud II. Le temps on ils avaient ete des soldats renommes pour leur courage, leur ferocite et leur discipline etait passe depuis longtemps. Ils etaient tombes au rang de simples gardes pr£toriennes, indispensables aux differentes revolutions de palais, mais completement inutiles sur le champ de bataille. Beaucoup d’entre eux n’etaient meme plus soldats mais des boulangers, bouchers, epiciers et, en general, de petits commenjants. Ils etaient aussi charges d’aller dans les Principautes danubiennes pour transporter a Constantinople les vivres que ces malheureuses provinces devaient obligatoirement fournir a la capitale. Ceux d’entre eux qui etaient encore des soldats formaient des troupes indisciplinees et mal £quipees et leur presence etait un desastre pour la province qui devait les subir. Comment ils furent la cause de la revolution serbe de 1804 cela sera etudie dans un autre chapitre. Les finances de l’Etat avaient besoin d’une reforme complete. Le systeme fiscal etait non seulement archaique mais les sommes qui arri- vaient enfin au miri ou caisse de l’Etat etaient beaucoup plus petites que les sommes percues k l’origine. Chaque pacha devait verser au miri une certaine somme comme tribut annuel, quelques provinces devaient livrer aussi certains biens en nature8. Le miri affermait la perception des impots aux encheres, les plus offrants etant en general de hauts personnages de la cour. Le resultat etait qu’une partie seule­ ment de l’impot pergu arrivait enfin du miri. Pour pouvoir payer

2 Ceci ne veut pas dire qu’il voulait faire de l’Empire Ottoman un Etat democratique suivant les lddaux frangais : le regime absolutiste ne sera pas aboli par ses reformes. 3 En general, les provinces privilegiees, appartenant soit a un membre de la famille lmp^riale, soit & un membre de la cour, payaient comme tribut une certaine quantite de biens en nature, couvrant de cette maniere les besoins de la cour. — 37 — leurs tributs, les pachas demandaient des contributions, quelquefois extraordinaires, aux collectivites, quitte ensuite aux priinats de decider de la maniere de perception1. Naturellement, quand un pacha se revoltait, il ne payait plus son tribut et essayait d’arreter aussi le payement du tribut des autres pachas de la region. Le resultat etait que les ressources financieres de l’Etat diminuaient chaque fois que la Porte en avait le plus grand besoin. II etait bien naturel de vouloir reformer toute cette structure fiscale mais on devait s’attendre aussi a une resistance des pachas qui auraient certainement perdu le droit de percevoir plus d’impots qu’ils n’en envoyaient. Ne pouvant imposer aux pachas sa volonte, Selim III s’occupa sur- tout a regler le fermage des impots afin d’augmenter la part du miri dans les recettes fiscales ; mais son effort principal se porta sur les impots indirects, pergus sous la forme de taxes douanieres. Comme dans plusieurs pays europeens a la meine epoque les taxes douanieres n’£taient pas pergues seulement lors de 1’entree des produits dans l’Etat mais aussi dans les limites de l’Etat. Selim III etablit des per­ ceptions mod£rees sur la plupart des matieres premieres et des denrdes alimentaires lors de leur entree dans Constantinople et les autres grandes villes de l’Empire Ottoman. Un impot fut pergu sur les bois- sons alcooliques, ce qui scandalisa les pieux Musulmans parce qu’on sanctionnait ainsi la vente publique de ces boissons interdites par le Coran. Les revenus des douanes furent triples par ces procedes. La reforme du regime des vakoufs (biens eccl£siastiques fonciers musulmans) des tchifliks5 ou grandes propridtes et des tirnars (pro­ p riety tenues en fief par des soldats), avait comme but aussi d’augmen­ ter les revenus en augmentant les domaines de la Couronne. L’origine de ces diverses proprietds fut examinee et les droits de la Couronne furent maintenus. La Porte voulut ainsi diminuer les ressources financieres des pachas, augmentant ainsi leur dependance envers elle et aidant & leur oter leur caract6re feodal. Naturellement, des mesures prises dans ce sens ne pouvaient que mecontenter les pachas et les uldmas ou docteurs de la loi, autorites religieuses musulmanes tres importantes, qui avaient une tres grande influence, non seulement sur l’opinion publique musulmane, mais aussi en mature politique comme la suite de l’histoire des reformes de Selim III le demontra. Le Divan imperial etait compose du sadrazam ou grand vizir, du kehaya-bey ou ministre de l’lnterieur, du defterdar ou ministre des Finances, du reis-effendi ou ministre des Affaires Etrangeres, du beylikdji ou secretaire du Divan, du nisandji ou gardien des sceaux, du tchaouch-bachi ou ambassadeur extraordinaire et aide- de-camp du Sultan et du capoudan pacha ou commandant en chef de la flotte impdriale. Selim III augmenta le pouvoir de ce conseil en

4 Ce regime avait l’avantage, pour les pachas, de rendre fort impopu- laires les primats. s Ali pacha de Janina et ses fils possedaient 880 tchifliks dont la liste nous est fournie par Aravantinos, Historia Ali pacha, pp. 601-610. — 38 — ordonnant que toutes les affaires devraient y etre delibtrees, tandis qu’auparavant le grand vizir agissait souvent sans consulter le Divan. Ainsi Ie Divan imperial devenait un veritable conseil des ministres et Pautorite du grand vizir s’en trouvait fort diminuee vu que le Sultan assistait quelquefois aux stances du Divan et que le principe de la responsabi!it6 collective du conseil ministeriel n’etait point reconnu.

L’ensemble des rtformes de Selim 111 est connu sous le 110111 de Nizam-i Djedid (Nouvelle Ordonnance), mais ce 110m est applique surtout a la rtforme militaire et, en partie, aux troupes regulitres recrutees en execution des nouveaux reglements. Avant de proceder aux reformes ntcessaires pour changer la structure militaire de l’Etat, il etait necessaire de proctder a des reformes economiques, afin de se procurer les moyens financiers pour proceder a la modernisation de I’armde qui £tait le but essentiel de toutes ces reformes. On dtablit done une nouvelle caisse nommde iradi djedid0. La plus grande partie des revenus de cette caisse provenait de la confiscation des timars dont les proprittaires n’avaient pas accompli leurs obligations mili- taires telles qu’elles etaient stipulees dans les actes octroyant ces fiefs. Les revenus de cette caisse ttaient assez considerables pour permettre l’accomplissement des rtformes militaires a un rythme rapide. Ce fut en 1792 que fut promulgue le Nizam-i Djedid ou nouvelle ordonnance. Pour bien se rendre compte de ce que signifiait cette reforme il faut se rappeler qu’il s’agissait d’armer, vetir, entratner et discipliner des troupes a PeuropSenne. Or, non seulement les Turcs dtdaignaient les armes europeennes (il fut extremement difficile de leur apprendre Pusage de la bai'onnette et de les persuader de s’en servir), mais ils n’avaient aucune notion de tactique et la discipline faisait completement ddfaut. 11 ne s’agissait pas seulement de leur changer leurs uniformes et de leur donner des armes plus modernes mais aussi de leur inculquer un nouvel etat d’esprit, ce qui etait beaucoup plus difficile. On proctda done lentement. On fit circuler des brochures de pro- pagande et on organisa un petit nombre de troupes qui furent destinees a la protection des grands ouvrages hydrauliques de Constantinople. Gr^ce k l’absence du yenitser-aga (commandant en chef des janissaires) il n’y eut pas d’opposition ouverte, bien qu’on eut de la difficulty a trouver des volontaires pour ces troupes. Heureusement, Selim III etait seconde par l’tnergique capoudan pacha Klitchuk Hussein pacha qui apporta toute son attention a cette tache. Le plan des rtformateurs avait ytt de remplacer petit k petit les janissaires par ces troupes qui servi- raient ainsi de contrepoids aux troupes levies par les pachas suivant le systeme ftodal alors en usage et qu’il aurait et£ difficile, et meme dan- gereux k cause de la reaction certaine des pachas, de vouloir changer d’un jour k l’autre.

6 Encyclopedic de l’lslam, s.v. Selim HI, vol. IV, pp. 227-228. — 39 —

Selim III porta aussi toute son attention sur l’artillerie. Les fonde- ries de canons furent modernisees, a 1’aide d’officiers frangais7, en adoptant de nouvelles methodes de fonte des canons ainsi que de nouveaux calibres8. Prudemment on laissa aux officiers de l’artillerie les mSmes privileges dont jouissaient les officiers des janissaires et la solde des soldats fut doublde. Les fortifications aussi furent l’objet de beaucoup de soins. Le Sultan avait meme demand^ k Constantin Ypsi­ lanti de traduire les oeuvres de Vauban. Celui-ci fit la traduction demand£e qui fut consid6r£e par Selim III comme un module d’expose clair et precis. Citons aussi parmi les reformes la reorganisation com­ plete de recole d’ingenieurs de Slilidj6 ainsi que l’ouverture d’une ecole de navigation. La marine aussi ne fut pas negligee. Sous l’impulsion de l’energique capoudan pacha Kiitchuk Hussein la marine fut completement moder- nisee. Des ingenieurs-constructeurs frangais furent appeles afin de donner aux nouveaux vaisseaux turcs la coupe, les proportions et les greements des vaisseaux frangais. Les arsenaux furent modernises et Pacheminement des matieres premieres necessaires au bon fonction- nement de la flotte fut assure. La discipline fut rendue plus severe et la flotte devint une arme sur laquelle le Sultan Selim III pouvait enfin compter. Les guerres precedentes avaient eu des resultats desastreux et ainsi les reformes furent accueillies plus chaleureusement qu’en temps ordi­ naire ; surtout la reforme de l’artillerie fut regue avec grande satis­ faction ; il restait cependant un fort courant d’opposition. Ce furent surtout les janissaires et les ulemas qui s’opposerent aux reformes. II etait naturel que les janissaires soient contre les troupes du Nizam-i Djedid qu’ils consideraient — avec justesse d’ailleurs — comme des rivaux dangereux. Les uiemas, c’est-a-dire les docteurs de la Loi, etaient contre ces reformes pour la simple raison qu’il s’agissait de choses dont le Coran ne parlait guere ou interdisait. Or, d’apres eux, le Coran etait le seul guide sur du bon Musulman qui doit s’y fier en toute chose, y compris la guerre. Le fait que Selim III avait fait appel k des Frangais pour accomplir ses reformes montrait, d’apres les uie­ mas, que PEmpire Ottoman s’eioignait de la foi musulmane en confiant son salut a des infideles. Ils consideraient cet eioignement comme une atteinte h leurs propres interets et & leur influence sur la politique otto­ mane et se mirent k combattre avec passion cette influence etrangere qui diminuait la leur qui — d’apres eux — devait etre tout-puissante ®.

7 Selim III £tait en excellentes relations avec la France sauf, naturelle- ment, pendant l’expedition de Bonaparte en Egypte. La plupart des techni- ciens qu il utilisa pour accomplir ses reformes etaient des Frangais. Juchereau de Saint-Denis, Revolutions de Constantinople, vol. I, p. 65. b « Selim 111, en empruntant aux Europ^ens des reformes qui pouvaient creer un esprit nouveau susceptible de porter atteinte a la loi du Coran, passait aux yeux des ulemas sinon pour impie, du moins pour un souverain imbu d’idees contraires a la constitution politico-religieuse de l’Empire » (H. Ganem, Les Sultans Ottomans, p. 190). — 40 —

II y avait certes quelques ulemas plus progressistes mais ils n’etaient que peu nombreux. II paraTt cependant que le pretexte religieux servait a couvrir d’autres buts car la Turquie d’Asie traditionaliste regut la reforme avec plus de facilite que la Turquie d’Europe ou il y avait de nombreux chefs qui ne cherchaient qu’un prdtexte pour se revolter ; et quel pretexte pouvait etre meilleur que celui du strict rcspect de la religion dans PEmpire Ottoman theocratique dont les bases memes reposaient sur la religion ? Militairement les nizam-i djedid eurent au d£but quelques suc- ces lorsqu’ils furent envoyes combattre les brigands qui infestaient la Roumelie 10. Ces victoires blesserent l’amour-propre des janissaires qui avaient combattu sans succts ces memes brigands et l’opposition aux rdformes devenait maintenant plus dangereuse, car elle trouva un chef dans Osman Pasvanoglou, un de ces chefs ftodaux que le Nizam-i Djedid avait comme objectif principal de combattre. Osman Pasvanoglou etait ne en 1758 a Kirsa en Bosnien . Son grand-ptre, un janissaire de basse extraction, s’dtablit a Sofia ou il fut nomme gardien du marche. Son courage, lors d’un incendie, le porta a l’attention du grand vizir qui sejournait alors dans cette ville. II le nomma done aga et l’etablit a Vidine. Son fils rdussit k amasser une grande fortune et k etre nomme ayan. II regut le titre de bairaktar (porte ttendard) comme recompense de sa bravoure durant la guerre austro-russo-turque. Osman, un des fils du nouvel ayan, se montra vite rebelle a toute autorite, meme k celle de son pere. II se rtfugia done a Belgrade d’ou il revint lors de la mort de son ptre. Osman perdit alors toute la fortune paternelle et ceci eut comme rtsultat qu’il se fit bandit. II trouva un terrain extremement favorable a ses activites vu que la Bulgarie £tait ravagte par des bandes de Kirjalis qui avaient meme reussi k s’emparer de plusieurs villes qu’ils dtvasterent complete­ ment 12. Pasvanoglou trouva en eux des allies tr6s utiles. II forma done une troupe composte de Kirjalis et de janissaires et commenga & dtvaster le pachalik de Vidine. II voulut ensuite combattre le pacha de Vidine pour des raisons de vengeance personnelle. Le Sultan etait plus que jamais impuissant pour intervenir dans cette affaire, absorbs comme il l’etait par ses reformes. D ’ailleurs Osman Pasvanouglou, comme e’etait Phabitude en de pareilles circonstances, jouait double jeu en protestant de sa loyaute envers la Sublime Porte tout en denongant Pinfidelite de son adversaire. Le pacha de Vidine succomba enfin sous ses attaques et Pasvanouglou s’empara de cette ville ou il cominenca tout de suite a s’organiser en seigneur presque independant. Pasvanoglou etait irascible et assoiffe de sang, courageux et entre- prenant, minutieux, spontane, astucieux et prodigue quand il le fallait sage et intelligent. II avait done tout ce qu’il lui fallait pour pouvoir

10 Pouqueville, Histoire de la Regeneration de la Grice, vol. I, pp 279-280 11 Theophilowa, Die Rebellion des Pascha Paswan-Oglou und ihre Be- deutung fur die Bulgarische Befreiungsbewegung im XIX. lahrhundert p 36 12 Jirecek, Geschichte der Bttlgaren, p. 485. ' — 41 —

s’imposer k ses hommes. II s’etait assure l’appui des Musulmans par une opposition formelle k toute idee de reforme et surtout par son oppo­ sition au Nizam-i Djedid 1S. II sut s’attirer la loyaute des janissaires dont il devint le defenseur le plus acharne chaque fois qu’il s’agissait de mettre en question leur existence ou leurs privileges. II s’etait fait des allies des Kirjalis qui continuaient leurs devastations dans les pachaliks voisins de celui de Vidine. II gagna la confiance de la population musulmane en s’opposant k toute augmentation des impots, augmentation que le peuple considerait comme une suite inevitable des reformes de Selim III. La banniere de Pasvanoglou devint le point de ralliement des janis­ saires qui etaient d’autant plus mecontents que leur solde n’etait plus payee. Pasvanoglou eut done sous ses ordres plus de 30.000 hommes et, maTtre de la citadelle de Vidine, etait devenu trop puissant pour que Selim III put ignorer son existence. Le Sultan envoya done contre le rebelle une armee sous le commandement du beylerbey de Roumeiie, mais cette armee fut completement defaite. Voyant done l’impossibilite de venir k bout du rebelle par les armes, Selim III essaya de trouver un pretexte pour donner une amnistie au rebelle. Ce pretexte lui fut offert par deux arz mahsar ou petitions envoyees, l’une par l’hospodar de Valachie Alexandre Mourouzi et ses boyards demandant l’amnistie de Pasvanoglou qui etait un homme juste et ferait beaucoup de bien au pays, et l’autre du metropolite de Vidine Gregoire14 et des principaux primats chretiens de Vidine demandant de meme l’amnistie de Pasvanoglou qui etait un homme juste et Ie protecteur de tous les rayas. Selim III octroya done cette amnistie et reconnut Pasvano­ glou comme ayan de Vidine, tandis qu’un pacha nomme par Ie Sultan siegerait dans la citadelle de cette ville. La rebellion de Pasvanoglou encouragea beaucoup de pachas et de potentats de tout grade k suivre son exemple et une periode de grande confusion commenga en Roum61ie, Pasvanoglou aidant d’ailleurs k augmenter le chaos. Le Sultan fut force d’envoyer une deuxidme fois une armee contre Pasvanoglou, cette fois sous les ordres du capoudan pacha Klitchuk Hussein pacha. Comme auparavant, cette armee fut defaite et le Sultan dut reconnaitre Pasvanoglou comme pacha de Vidine en lui conferant le rang de pacha k trois queues. Pasvanoglou etait arrive au sommet de sa puissance ; en empietant sur les territoires d’autres seigneurs, il etait devenu Ie maTtre de la plus grande partie de la Bulgarie.

is Ibid., p. 487. 14 Le metropolite Gregoire de Vidine jouissait d’un grand prestige aupres de Pasvanoglou. II avait et£ metropolite de Lac£d6mone ou il avait aide autant qu’il le pouvait les klephtes. A Vidine aussi il aida le plus possible les rayas a ameiiorer leur sort et on ne peut pas douter que la politique favorable au rayas de Pasvanoglou est due, en tr£s grande partie, a l’in- fluence du metropolite. Celui-ci devint metropolite de Derci en 1801 et membre du Saint Synode. II fut execute en 1821 par les Turcs lors de la revolution grecque.

4 II est caracttristique de sa politique qu’il adopta coinme devise les mots « liberty £galit£ ». En ce qui concerne les Chretiens, il promit qu’il reviendrait aux dispositions du Sultan Suleyman I°r le Magnifique15. II leur promit la plus grande tolerance, il supprima l’utilisation insul- tante du mot raya et il rSduisit le plus possible, par ce moyen, I’antagonisme existant entre Chretiens et Musulmans. II est certes curieux de constater que cette declaration fut faite aux Grecs et pas aux Bulgares, ce qui montre une fois de plus le peu d’importance que Ton accordait k ces derniers a cette tpoque, malgrt Ie fait que des haidoutes bulgares servaient dans l’armie de Pasvanoglou10. Cette politique aurait pu etre particulierement heureuse si elle ne contenait pas une contradiction formelle entre sa politique envers les Musulmans et celle envers les Chretiens. D’un c8t£, il restait le plus possible dans Ie respect des traditions et dans l’antagonisme envers les rtformes de Selim III ; de l’autre cot£, par la suppression meme de l’utilisation du terme raya et de cette distinction entre sujets de premiere classe et de deuxi£me qu’elle impliquait, on amorgait une politique rdvolu- tionnaire (malgre les r£f£rences au retour k la politique du Sultan Suleyman le Magnifique et Ie soi-disant d£sir de renouer avec le passd) qui aurait certes eu plus de succts si elle avait 6t£ combinte avec les r6formes du Nizam-i Djedid prises dans leur sens le plus large. Or une telle union dtait impossible. On comprend maintenant les allusions de Rhigas & Pasvanoglou dans son Thourios17. Comme on l’a vu, Rhigas connaissait Pasva­ noglou et lui avait sauvd la vie ; il est meme possible que ce soit lui qui lui ait donnd ses id£es liberates au sujet des Chretiens, quoique rien ne soit moins certain. Rhigas voyait en Pasvanoglou le rebelle contre l’autorit6 ltgitime du Sultan telle qu’elle £tait investie dans la personne du pacha de Vidine. De 1& k penser que Pasvanoglou serait pr£t a secouer le joug de « l’abominable despotisme ottoman » il n’y avait qu’un pas qui fut aistment franchi. Or, Pasvanoglou ne connaissait pas les projets de Rhigas comme le prouve sa politique future envers les Principautes danubiennes et sptcialement la Valachie qui eut tellement k souffrir de ses incursions et de ses exactions. Rhigas n’avait pas eu Ie temps de preparer avec Pasvanoglou un plan d’action dont le Thou­ rios dtvoile que la premiere partie aurait £t£ la prise des forteresses du Danuble qui etaient alors au pouvoir de seigneurs plus ou moins independants tels que Tersenikoglou, Ilikoglou et Moustapha Bairaktar, qui etaient tous des ennemis de Pasvanoglou. La fondation de la R£pu- blique Helltnique de Rhigas aurait eu comme rtsultat la fin du pouvoir de Pasvanoglou, ce que celui-ci n’aurait certainement pas desire. On pourrait done douter qu’il aurait jamais collabor6 sincerement avec Rhigas pour la fonder. Sa conduite lors de l’emprisonneinent de Rhigas a Belgrade nous prouve qu’il gardait envers lui des sentiments d’amitie

15 Theophilowa, op. cit., p. 44. 18 Jirecek, op. cit., p. 488. 17 Thourios de Rhigas, vers 88-95. — 43 —

et de reconnaissance pour le fait qu’il lui avait sauve la vie, mais rien de plus. II avait ete dans la pens£e de Rhigas de fonder un nouvel Etat dans les Balkans en s’inspirant des modeles frangais ; Pasvanoglou desira ameiiorer Ie sort des Chretiens pour s’attirer leur loyaute en mettant en pratique ces memes principes frangais, naturellement d’une fagon tres attenu£e ; en Valachie Constantin Ypsilanti travaillait pour une reno­ vation des institutions de 1’Empire Ottoman qui l’aurait transform^ en un Etat nioderne, democratique et liberal, ce qui aurait eu comme resultat Emancipation des populations chretiennes et la mise sur pied d’£galite des Chretiens et des Musulmans 18. Constantin Ypsilanti naquit & Constantinople en 1760. On a d£j& vu qu’il avait eu Rhigas comme compagnon d’etudes et comment Selim III I’avait charge de la traduction des oeuvres de Vauban ainsi que l’excel- lente impression produite par ce travail qui eut comme resultat la nomi­ nation de Constantin Ypsilanti au grand dragomanat de la Porte. L&, Ypsilanti eut la possibility d’aider son pere dans la realisation de son grand dessein : transformer les Principautes danubiennes en des Etats a l'europeenne et remplir l’Empire Ottoman de telles Principautes, ce qui aurait eu comme resultat un changement complet de la situation existante. II put montrer tous ses talents dans les negotiations qui aboutirent aux traites instituant la Republique des Sept-lles Unies. Celle-ci serait sous la protection de la Russie et la suzerainete de la Porte, prete done a etre reunie a l’Etat qui reinplacerait en pratique l’Empire Ottoman sans que celui-ci cesszit d’exister en theorie. Peu apres la fin de ces negociations il fut nomme hospodar de Moldavie mais resta A ce poste seulement pendant deux ans au cours desquels il ne put faire aucune reforme dans le sens preconise par son p6re et lui, se bornant simplement a retablir l’ordre et a resserrer ses liens avec la Russie. Les premieres annees du XIX' siecle furent extremement orageuses pour la Valachie. Les incursions de Pasvanoglou furent continuelles : Craiova fut brfliee et pillee et, une fois, ses bandes arriv6rent aux envi­ rons de Bucarest. L’hospodar et les boyards s’enfuirent en Transyl­ vanie. Les boyards, reunis a Brasov (Kronstadt en Transylvanie), envoyerent un arz mahscir a la Porte demandant que Constantin Ypsilanti soit mis sur le trone de Valachie 10. Constantin Ypsilanti avait travailie beaucoup au rapprochement entre la Russie et la Turquie dont le resultat fut une alliance russo-turque contre la France. De nouvelles negociations aboutirent au hatti-cherif de 1802, communique officielle- ment k la Russie, par lequel le droit russe de parler en faveur des Prin­ cipautes, stipule par Ie traite de Kiitchuk Kainardji, et qui avait ete plus tard qualifie de droit d’intervention, etait change en la disposition que les hospodars ne seraient plus desormais deposes sans l’assenti-

is Son p£re, Alexandre Ypsilanti, avait d£ja adress£ un m^moire au Sul- tanlf? D.6 Photeinos, Historia tis palai Dacias, vol. II, p. 470. — 44 — ment de la Russie. De plus il etait stipule que la duree des principats serait fixee k sept ans et que les envoyes russes pourraient faire des representations aux hospodars en ce qui concerne les impots et les privileges des Principautes. Assure done d’un regne de sept ans et connu pour ses sentiments russophiles, Constantin Ypsilanti esperait pouvoir commencer la reali­ sation de ses plans. Ypsilanti ne s’appuyait pas seulement sur la Russie dont il ne servait les interets que quand ils etaient en accord avec les siens, il restait encore en bons termes avec l’Autriche (nous avons vu son role dans l’affaire de l’arrestation de Rhigas) et avec la Prusse. Pendant un certain temps il fut francophile, mais ceci ne fut que de courte duree. Pour Ypsilanti les choses urgentes a faire afin d’arrivcr oil il desi- rait etaient20 : detruire la puissance des seigneurs riverains du Danube, c’est-ci-dire de Pasvanoglou, Ilikoglou, Moustapha Bairaktar et autres ; unir la Moldavie et la Valachie en un seul Etat21 ; la formation, pour les deux Principautes, d’une armee competente sous sa direction per­ sonnels ; entretenir 1’anarchie dans les provinces voisines et faire en sorte qu’il regut des renforts desdites provinces pour son armee ; marcher contre Constantinople, mais seulement lorsque la politique des grandes puissances serait telle qu’elles ne seraient nullement oppostes a une telle mesure. Les incursions de Pasvanoglou en Valachie etaient une grande source de soucis pour Ypsilanti, tandis que les demandes exorbitantes de ce pacha pouvaient lui causer de graves ennuis financiers. Devant une telle situation Ypsilanti ne pouvait commencer son oeuvre de reor­ ganisation des Principautes avant d’avoir dcarte le danger que repr6- sentait pour lui Pasvanoglou et ses bandes. II rtussit done a unir contre lui tous les seigneurs riverains du Danube qui avaient raison de craindre une trop grande puissance de Pasvanoglou et celui-ci fut contraint d’accepter a ne plus faire d’incursions en Valachie. Ypsilanti employa ensuite la meme tactique contre les autres seigneurs riverains et des accords du meme genre furent conclus22 facilites par la solide amitie unissant Ypsilanti avec Tersenikoglou, ayan de Roustchouk.

20 Philimon, Hellinilci Epanastasis, vol. II, p. 23. 2* En 1801, Alexandre Mourouzi avait ete, pour peu de temps, hospodar des deux Principautes rtunies, ce qui pouvait fournir un precedent dont C. Ypsilanti ferait usage. 22 Ces accords paraissent couvrir des projets plus vastes. Le comte Rein- hard, consul general de France dans les Principautes, tcrit dans son rapport du 30 aout 1806: « Les deux Princes deposes (Ypsilanti et Mourouzi) n ao- partenaient plus a l’Empire Ottoman ; ils y mtditaient une revolution dont les troubles de Servie paraissaient etre le signal, et a laquelle ils esperaient faire concourir les Montenegrins, une partie de la Bulgarie et tous les Grecs rtpandus dans l’Empire. L’Ayan de Roustchouk, qui vient d’etre assassin^ par ses soldats, etait ouvertement uni a leurs projets ; il etait devenu l’ami intime du Prince Ypsilanti, et il se disposait, au moment de sa mort, a marcher avec une armee de quatre-vingt mille hommes contre les troupes du Grand Sei­ gneur » (Hurmuzaki, Documente, vol. XVI, p. 747). — 45 —

S’etant done assure la paix du cote du Danube, Constantin Ypsi­ lanti voulut organiser l’arm£e reguliere dont la creation lui paraissait indispensable. L’armde cr£de par son pere, Alexandre Ypsilanti, n’exis- tait plus, ayant ete detruite pendant la guerre austro-russo-turque. 11 fallait done commencer de nouveau. Or la Porte ne desirait nullement la creation d’une telle armee. Selim III avait justement organise les corps de nizam-i djedid pour eiiminer les armies des pachas et ne pouvait pas accepter que des seigneurs locaux, meme s’ils etaient hospodars de Moldavie et de Valachie, possddassent aussi des armees equipdes de fagon moderne. Pendant longtemps Ypsilanti fit des demarches aupres des grandes puissances — et surtout aupres de la Prusse et de la Russie — afin qu’elles intervinssent en faveur de la creation d’une telle armee qui serait presentee k la Porte comme une n£cessite absolument vitale pour le maintien de l’ordre dans les Principautes. Ces negotiations n’eurent aucun resultat, surtout a cause de l’opposition du cabinet de Saint- Petersbourg qui ne desirait nullement la creation d’une armee reguliere pour defendre deux provinces sur lesquelles il avait etabli son pro- tectorat et qu’il considerait comme lui appartenant. La revolte serbe devait occuper toute son attention. Des le premier instant Constantin Ypsilanti vint en aide aux Serbes pour plusieurs raisons. Preincrement il entretenait l’anarchie dans une province voi- sine ce qui etait — comme on l’a vu — une des bases de sa politique. Ensuite, en aidant les Serbes et en attirant l’attention de la Russie sur ce qui se passait li-bas, il pourrait creer une nouvelle region autonome (eventuellement une Principaute phanariote) ce qui etait aussi dans ses plans. Enfin, il voulait venir en aide k un peuple combattant les allies de Pasvanoglou et qui pouvait ainsi contenir un potentat dont la puis­ sance Pinquietait serieusement. Cependant, de son cote, Selim III eprouvait de graves difficultes. En mars 1805 un hatti-cherif ordonna une levee generate parmi le peuple pour former de nouvelles troupes nizam-i djedid. Ce hatti-cherif fut regu avec fureur dans les provinces (a Janina on le brula) et le Divan imperial n’osa meme pas le promulguer k Constantinople. Les janissaires enfin se revolterent ouvertement. Ils se rassemblerent a Andrinople et Kirk-Kilisse et defirent completement les nizam-i djedid qui furent envoyds contre eux. Heureusement le mufti put calmer les esprits mais Selim III vit que les reformes devaient etre abandonnees provisoirement. Le parti reformiste cependant donnait des signes d’une activite qui annongait de nouvelles reformes et ce fut alors qu’un complot s’ourdit pour deposer Selim III. Le caimacam du grand vizir et le mufti exci- terent certaines troupes irregulieres qui avaient regu l’ordre de revetir des uniformes du nizam-i djedid. Ces troupes se revolterent ; le cai- macam et le mufti s’efforgaient de persuader Selim III que rien d’extraordinaire ne se passait et une propagande contre le Sultan se faisait parmi le peuple. Le chef des revoltes arriva trois semaines plus — 46 — tard k Constantinople ou il mit k mort tous les membres connus du parti r6formiste. Esperant encore sauver son trone, Selim III abolit le Nizam-i Djedid par un hatti-cherif. Le lendemain, 29 mai 1807, le Sultan abdiqua. L’tre du Nizam-i Djedid etait terminee. Trois hommes done poursuivaient une oeuvre de renaissance et de renovation : Selim III, Osman Pasvanoglou et Constantin Ypsilanti. Leurs buts cependant etaient completement differents : Selim III voulait renover l’Empire Ottoman, Pasvanoglou voulait simplement aftermir son autorite et Ypsilanti voulait transformer l’Empire Ottoman en un Empire Balkanique. Ces differences inconciliables eurent comme rtsul- tat qu’au lieu de s’entr’aider les trois hommes se combattirent et le? efforts de tous trois furent vains, n’ayant eu aucun effet durable, sauf en ce qui concerne Pappui prete par Ypsilanti k la revolution serbe. Le Nizam-i Djedid fut certes un effort grandiose de renovation mais il ne correspondait pas du tout aux desiderata des rayas. II ne contenait rien qui put ameiiorer leur sort, sauf la diminution de 1’anarchie feodale qui aurait etc la consequence de son application. En affermissant le pouvoir ottoman, le Nizam-i Djedid aurait rendu toute insurrection des peuples balkaniques beaucoup plus difficile, peut- etre meme impossible, car les forces de 1’Empire Ottoman renove n au- raient jamais pu etre vaincues par les troupes mal equipees et indis- ciplinees qui etaient tout ce qu’auraient pu lever les Balkaniques insur­ ges. De leur point de vue l’abolition du Nizam-i Djedid fut un bien- fait. Les efforts precites de Pasvanoglou et d’Ypsilanti etaient con- formes k revolution de l’Empire Ottoman, telle qu ils la voyaient et non seulement ils ne re n d a ie n t pas plus difficile la liberation des peuples balkaniques — isoiement ou ensemble mais, portes k leur fin logique, auraient eu comme r ts u lta t cette liberation et la destruction definitive de l’Empire Ottoman. C h a p it r e IV

LA PREMIERE CRISE SOULIOTE

Si le pouvoir ottoman etait plus ou moins bien etabli dans les plaines et les regions eotieres de la Grece, tel n’etait pas le cas pour les regions montagneuses. Dans les montagnes il y avait des districts entiers qui echappaient completement au controle des Turcs et dont les habitants avaient forme de veritables petits Etats independants dont le plus important fut la Confederation Souliote qui exista pendant pr6s de deux cents ans et rdussit k avoir des relations suivies avec 1’etran- ger et notamment avec Venise et la Russie. Malgre sa petite superficie et sa petite population, la Confederation Souliote put jouer un role important a l’epoque d’Ali pacha de Janina (dont elle fut l’ennemi acharne) car elle pouvait menacer la grande route menant de l’Albanie au sud de la Gr6ce via Janina. La date de la fondation de Souli est inconnue ; on suppose que eelle-ci eut lieu au debut du x v ir siecle. II parait certain que des Epi­ rotes, fuyant la tyrannie ottomane, fonderent dans une region inculte et sauvage la Confederation Souliote,1 protegee de toute part par des montagnes abruptes et inaccessibles. Les Souliotes etaient divises en clans assez semblables a ceux de l’Ecosse. Ces clans nommes phares avaient chacun son chef, generalement le membre le plus age ou le plus respecte du clan. Le pouvoir executif et judiciaire etait exerce par le Senat, corps forme de tous les chefs de clans. Les decisions d’une grande importance, surtout celles concernant la guerre ou la paix, etaient prises par une Assemble composee de tous les hommes souliotes. II ne parait pas y avoir existe un pouvoir strictement legislatif car les differends etaient regies soit selon les coutumes locales, soit suivant le droit d’Armenopoulos 2, tel qu’il etait

1 II n existe pas d’histoire recente et complete de Souli. On trouve plusieurs histoires ecrites durant le siecle dernier mais celles-ci, ainsi que les relations par les voyageurs etrangers, ont plut6t le caractfcre d’histoire anecdotique. Les bouliotes ne possedaient pas d’archives, ce qui rend difficile la t&che de l’historien qui est force de se baser sur des archives etrangeres et sur de simples recits de faits vecus. Constantin Armenopoulos etait un ceiebre juriste byzantin du xiv® siecle. Son ceuvre la plus connue etait 1 ’Hexabiblus, recueil des lois de la dynastie Macedonienne. Sous 1 occupation ottomane, les cours ecciesiastiques jugeant les litiges civils entre Chretiens rendaient leurs decisions suivant YHexabiblus. — 48 — interprets par les prttres. Les femmes, tres respectees, jouaient sou- vent Ie role de conciliatrices. En temps de guerre, c’est-a-dire presque continuellement, les Souliotes elisaient un polemarque. Celui-ci, choisi a tour de role parmi les membres des phares de Tzavellas et de Bot- zaris, etait non seulement le chef militaire supreme mais aussi exer- gait le pouvoir executif. Le seul metier des Souliotes etait celui des armes car l’agriculture etait impossible dans leur region et ils n’auraient jamais pu tirer de l’elevage les ressources dont ils avaient besoin pour vivre. Des qu’ils en eurent la possibility, ils etendirent leur pouvoir sur les villages d’alentour qui durent leur payer un impot tout en continuant a payer le kharadj au Sultan. Les habitants de ces villages, nommes Para- souliotes, n’etaient pas egaux en droits avec les Souliotes proprement dits car ils n’etaient pas reprSsentSs dans le SSnat ou l’Assemblee, mais devaient etre representes par les phares souliotes dont ils etaient les clients, ce qui rappelle beaucoup l’ancienne pratique romaine. Telle etait l’organisation politique de la Confederation Souliote3. Son histoire est celle d’une longue et lente expansion pendant les XVII' et xvIu* siecles et de nombreux raids de ses habitants dans les fertiles bassins et vallees d’alentour, ainsi que vers la grande route unissant Janina et le sud de la Grece. Harasses par ces raids conti­ nued, r£p£t£s chaque annte, les Turcs et les Turcalbanais des envi­ rons tenttrent a plusieurs reprises des expeditions punitives contre Souli, attaques qui furent toutes repoussees. Ce fut alors qu’apparut Ali de Tebeien, pacha de Janina. Ali pacha fut un personnage extraordinaire dont la legende s’est trts vite em p ale. 11 ne poursuivait que deux buts essentiels : aug- menter son pouvoir et ses tresors. Pour atteindre ses buts il utilisait tous les moyens, depuis la corruption jusqu’au meurtre. Sa cruaute et sa duplicite n’avaient pas de bornes mais ne s’exergaient que lorsqu’il s’agissait d’atteindre un des buts precites. Vindicatif a l’ex- tr£me, il savait se mattriser et dissimuler sa haine aussi longtemps qu’il etait necessaire. Avare a un point inouT, il pouvait, a l’occasion, distribuer ses tresors h profusion. 11 etait juste, mais seulement lors- que ses interets n’etaient pas en jeu. 11 encouragea le commerce, tout en l’etouffant par des impots deinesures. 11 gardait jalousement pour lui-meme le privilege d’etre le seul bandit dans ses Etats et organisa une bonne police. II protegea les lettres et sous son gouvernement Janina devint un des plus grands centres scolaires des Balkans. Etant

Apres la guerre d’independance, sous le gouvernement de J. Capodistrias YHexabiblus fut officiellement adoptee comme code civil. Ce recueil est plein de lois contradictoires, incompletes et peu claires, ce qui ntcessitait une inter­ pretation de la part du juge. 3 Pour plus de details sur l’organisation politique et le caractere des Sou­ liotes, voir L. Koutsonikas, Historia ton Souliou, pp. 21-25 ; Ch. Perraivos, Historia tou Souliou kai Pargas, pp. 11-16 et surtout P. Aravantinos, Historia Ali pacha, pp. 69-72. — 49 —

ath6e, il ne faisait aucune discrimination religieuse entre Musulmans et Chretiens et accordait k ceux-ci, principalement aux Grecs, de nom­ breux postes dminents dans l’administration et & sa cour. Ali pacha naquit vers 1744, k T6belen, et pour cela on le nomine parfois Ali Tdbdlenli. Orphelin des son enfance, il fut elevS par sa m£re Khamco, parente du puissant Kurd pacha de Berat. Toute sa jeunesse fut extremement mouveinentee. Avant quatorze ans Ali devint un voleur de chdvres et de moutons, profession consideree comme trfes honorable a l’epoque. II amassa ainsi petit a petit une fortune assez considerable. II commit un tel nombre de vols que Kurd pacha dut envoyer contre lui des troupes qui le firent prisonnier. Ali promit de rester ddsorinais tranquille et tint cette promesse jusqu’a la mort du pacha. II einploya ce temps a augmenter son influence en s’acqu6rant des amis puissants. En meme temps il conunenga une longue serie de meurtres par l’assassinat de son beau-fr^re Ali pacha de Delvino et du successeur de celui-ci, Selim pacha. II avait represente ce dernier k la Porte comme coupable de haute trahison et le Sultan Abdul Ha­ mid I", pour le recompense^ le nomma nazir (prdvot des routes) de RouinfHie et gouverneur de Thessalie. Arrive en Thessalie, Ali pacha debarrassa cette province des bandes de voleurs qui 1’infestaient et les transforma en arinatoloi dans les montagnes. En apprenant la pacification de la Thessalie et les bons rdsultats de son gouvernement, la Porte le nomma pacha de Trikkala. II resta £ ce poste deux ans et fit connaitre partout les resultats de son bon gouvernement. La securite etait retablie sur les routes, le pou­ voir des petits beys qui opprimaient auparavant la population avait et6 supprimd: par la forte main d’Ali et la Thessalie connut une ere de paix et de prosp£rite telle qu’elle n’en avait encore jamais vue sous la domination ottomane. Ali ne laissa echapper aucun moyen pour faire de la publicity sur ses exploits administratifs et surtout pour se faire de la propagande en Epire. II fit si bien, et le contraste entre la Thes­ salie tranquille et l’Epire ravag£e par toutes sortes de bandes (dont certaines envoyees par Ali lui-meme) etait si frappant, que les Epi­ rotes demanddrent k la Porte l’annexion du sandjak de Janina au liva de Trikkala, ce qui fut fait en 1788. Etre mattre indirect de Janina ne suffisait pas a Ali. Cette ville com- mergante et riche etait gouvern£e par des beys qui, comme toujours, intriguaient l’un contre l’autre. Ali vit que son pouvoir serait raffermi et sa bourse mieux remplie s’il devenait lui-meme gouverneur de Ja­ nina. II utilisa done les grands moyens. D ’un cote le parti qu’il entre- tenait dans la ville reclamait a grands cris sa nomination, d’autre part ses emissaires k Constantinople faisaient de meme et Ali se mit per- sonnellement en campagne sous pretexte qu’il fallait chatier les bandits de l’Epire. Arrivd ci Janina, il campa a peu de distance de la ville puis fit secretement son entree de nuit dans la ville. 11 envoya aussitot des dei£gu£s k la Porte avec un rapport disant qu’il etait entre de par la volonte des habitants. Les deieguds depenserent judicieusement — 50 — les sommes donnees par Ali et le sandjak de Janina fut proclamt arpalik (conquete) du liva de T rikkala4. Ayant nomme gouverneur de Trikkala son fils Veli, Ali commenga la reorganisation de sa nouvelle province. II avait deux buts princi- paux dont le plus important, pour le moment, etait la pacification de I’Epire. Son premier acte fut de rtduire les divers beys a l’impuissance et leurs troupes a l’obeissance. La pacification ne fut pas complete car il existait encore des bandes chretiennes et surtout celles des Sou­ liotes qui avaient redouble d’activite. Quand Catherine II proclaina en 1787 la guerre contre la Turquie, elle envoya, comme d’habitude, de nombreux agents dans les provinces helieniques pour inciter les Grecs a la revolte. Mais ceux-ci se souvenaient de 1770 et de leur abandon par les Russes et ne se revolterent pas. 11 n’y eut que deux exceptions : l’organisation d’une petite flotte par l’armatolos de Livadia Lambros Catsonis et les expeditions souliotes. Rien ne pouvait etre moins agreable aux Souliotes que l’etablisse- ment d’un personnage energique et ainbitieux, comme Ali, a Janina. Le fait que leur patrie etait situee a quelques lieues $l peine de cette ville et qu’ils etaient a peu de distance des grandes voies de communication terrestres ne pouvait qu’inquieter Ali qui, comme on l’a vu precedem- ment, atatchait une grande importance & la securite interieure. Ainsi les deux adversaires ne pouvaient qu’etre anxieux en face des possibilites d’action de chacun des deux ennemis. C’est dans ces eaux troubles que vinrent pecher les emissaires de l’lmperatrice Catherine II et exciter les Souliotes a augmenter la violence de leurs attaques contre les popula­ tions voisines5. Ceux-ci suivirent les conseils des emissaires mais en meme temps envoyerent une ainbassade en Russie pour demander offi- ciellement de l’aide a l’lmperatrice. Celle-ci refusa de l’accorder, vu la situation geographique de Souli, et leur donna simplement un dra- peau, des titres, des rangs d’officiers dans 1’armee russe et un peu d’argentc. Ali pacha, occupe a detruire la puissance des beys, n’entreprit rien contre les Souliotes au debut de son gouvernement. Quand la guerre austro-russo-turque eclata, il rejoignit, apres un certain deiai, l’armee ottomane mais, au debut de 1791, il retourna en Epire sans avoir ac­ compli grand’ chose du point de vue militaire. II commenga alors des preparatifs serieux pour son expedition contre Souli. Voyant la diffi_ culte de l’attaquer de front, Ali decida de s’en emparer par surprise II fit lentement et minutieusement ses preparatifs pendant le reste de

4 Aravantinos, Historia Ali pacha, p. 56. Cette courte biographie a ma tirte surtout de Pouqueville, Histoire de la Riginiration de la Grice i pp. 1-42 et Aravantinos, op. cit., pp. 1-57. ' ■ *> 5 Pouqueville, op. cit., vol. I, p. 90 ; Aravantinos, op cit p 79 • p roto- psaltis, I epanastatiki kinisis ton Hellinon kata ton deuteron epi Aikaierinh ll Rosotourkikon polemon dans le Bulletin de la Society Historique et Ethniaue de Grece, vol. XIV, 1960, pp. 33-145. H 6 Koutsonikas, op. cit., p. 27. — 51 —

l’annec 1791 et au debut de Pannee 1792 il proclaina qu’il attaanprait les beys d’Argyrocastro. Ensuite il envoya une lettre ~ aux canH ' Lambros Tzavellas et Georges Botzaris, chefs de leurs pliares res^ec55 tives, les invitant de se joindre a lui. Les deux chefs eonvoanprpnt I’Assemblee qui decida que Tzavellas et une petite troupe seioin- draient au pacha afin de ne pas l’irriter inutilement. Un jour apres leur arrivee au camp d’AIi, les Souliotes furent tous faits prisonniers, sauf deux qui reussirent a s’£chapper et a porter la nouvelle a Souli, dont les habitants se reunirent en Assem" blee, elurent Georges Botzaris polemarque et se retirerent aux endroits les plus aisement defendables de leurs montagnes. Arrive devant S l Ali pacha promit a Tzavellas la liberte s’il Paidait & s’emparer de Si'*’ Le capitaine lui rdpondit qu’il ne pouvait rien faire seul mais a u e °U’ I etait libere, il pourrait aller & Souli pour conseiller aux habitants d rendre. II laisserait son fils comine otage aux mains d’AIi GhSe Celui-ci consentit et le capitaine partit pour Souli. Arrive l&-basP M rt Ie contraire de ce qu’il avait propose k Ali et lui envoya m em e'une lettre s le menagant d’une terrible vengeance si son fils 6 tait tu£ Furieux d ’avoir ete trompe de cette manure, Ali ne tua pas Photos Tzavellas son otage, mais attaqua le village de Kiapha d’ou il fut repousse h trois reprises et enfin fut completement defait dans une embuscade Voyant alors toutes les difficultes qu’il rencontrerait pour prendre Souli et craignant que les Souliotes (et les allies que leur avait attird leur victoire) attaquassent Janina, Ali se decida a demander la paix Celle-ci fut conclue aux termes suivants0 :

1 ) Ali pacha c£derait aux Souliotes tout le territoire situ£ entre leurs anciennes possessions et le village de Dervizana 10 ; 2 ) Tous les Souliotes faits prisonniers (y compris Photos Tzavellas et ses compagnons) seraient mis en liberte ; 3) Le pacha paierait une rangon de 100.000 piastres pour les nri- sonniers faits par les Souliotes. p

Les Souliotes conclurent une paix s£paree n avec les beys de Para mythia, allies d’AIi. Les conditions furent qu’a l’avenir ils seraient al" ,i£s et que dans toutes les circonstances ou les Souliotes auraient une guerre & soutemr les beys de Paramythia leur fourniraient des secours t’n hommes, en armes et en munitions.

7 Le texte se trouve dans W. Eton, Tableau historianp

106-'07' D 'aprts 11,1 8 Le texte de la lettre a ^te publie par Pouqueville, op cit vol I n et par E ton, op. at., p. 118. ’ ur-' *■ P- 115 9 Les termes du traiti mais non le texte lui-mSme, nous sont donnes par Fton, op. at-, P- 125 et Aravantinos, op. cit., p. 8 6 . p 10 Village situe a l’Est de Souli. 11 Cette paix separ6 e est cit£e seulement par Eton, op cit p 125 — 52 —

Cette campagne eut deux rtsultats importants : d’un cote, Ali pacha comprit toute la difficult^ de venir k bout de Souli et, de l’autre cote, les Souliotes avaient montre qu’il etait possible de faire des alliances avec des Musulmans, malgre la difference des religions. C’est alors qu’Ali commen^a des intrigues qui de l’interieur devaient aboutir k une diminution s6rieuse des forces souliotes. A cette 6poque Ali intriguait de tous les cotes et surtout contre les pachas de Delvino et de Berat tout en nouant des liens familiaux avec ce dernier. Mais en 1794 les pachas de Skodra et d’Ohrida se revol- t&rent contre le Sultan Selim III qui ordonna k Ali pacha, entre autres, de marcher contre le pacha d’Ohrida. Tandis qu’Ali pacha etait vain- queur de Kara Moustapha d’Ohrida, tel ne fut pas le cas pour les troupes imp6riales envoyees contre Kara Mehmed de Skodra. La Porte alors offrit une amnistie au rebelle et lui donna la charge tr£s impor- tante de beylerbey de Roumeiie. Toute cette affaire ne pouvait qu’impressionner Ali et lui montrer la v6ritable impuissance de la Porte. Petit a petit, done, par des ope­ rations judicieuses, il augmentait le nombre de territoires sous sa domination. En 1797, par le trait* de Campo Forimio, 1 es lies lonien- nes et leurs dependances devinrent frangaises . Au debut Ali resta en bons termes avec les Fran?ais«, mais tres vite il reprit ses projets d’expansion, cette fois-ci au depens des dependances de terre ferme des lies Ioniennes. Butrinto fut la premiere attaquee et tomba assez vite entre ses mains. La seconde fut Prevtza14. Pendant toutes ces annees les Souliotes continuaient leurs raids dans les plaines de l’Epire mais souffraient aussi d’une dissension interieure qui allait avoir le plus mauvais effet. La cause premiere de celle-ci fut la mort de Lambros Tzavellas et le fait que la poiemarchie fut donnee k son jeune fils Photos au lieu du vieux capitaine Georges Botzaris. Celui-ci, fort courrouce de ce qu’il considerait comme une injustice, se retira dans ses propres villages et ne prit plus part aux affaires publiques16. Ali naturellement voulut profiter de cette situation et gagner pour lui l’amitie du vieux chef. Parmi les familiers du pacha etait le propre gendre du chef et celui-ci fut envoye par Ali k Botzaris pour lui rep6ter constamment les avantages d’une alliance avec Ali pacha. Lorsqu’il y eut des violations du traite par les Souliotes le vieux chef sortit de son isolement volontaire pour demander satisfaction

12 Sur l’occupation frangaise des lies Ioniennes ainsi que les relations frangaises avec Ali au sujet des dependances, voir Rodocanachi, Bonaparte et le

pour Ali pacha. Ceile-ci fut accordee mais les relations de Georges Botzaris avec les autres Souliotes devinrent de plus en plus tendues. Apres avoir ete insulte un jour en pleine Assemblee, le vieux chef quitta Souli avec sa famille et son clan et se fixa au village de Vour- garelli ou Ali pacha Ie nomma armatolos des Tzoumerka. Peu de temps apr£s, Ie vieux chef mourut alors qu’Ali allait lui ordonner de prendre part avec lui dans sa campagne contre Souli. Entre temps, pendant toute Pannee 1798 et Ie debut de 1799, Ali avait mobilise lentement des troupes destinies, disait-il, & combattre les Frangais en Egypte. Par ce moyen il s’assura l’aide des beys de Paramythia qui avaient une alliance avec les Souliotes. Ayant declare par la voix d’un derviche le veritable but de la campagne10, il divisa son armee en plusieurs parties qui encerclerent la Confederation Sou­ liote et couperent ses voies de communication. Leurs querelles intes- tines n’avaient pas permis aux Souliotes de faire des preparafifs com- plets pour la guerre qui venait justement de commencer, mais ils evacuerent leurs villages et se retirerent aux endroits les plus strate- giques. Plusieurs batailles eurent lieu qui se termin6 rent toutes victo- rieusement pour les Souliotes. L’armee d’AIi ayant completement perdu son moral, le pacha cessa les operations et retourna a Janina, apres avoir donne l’ordre d’elever des forts pour bloquer Souli. Pendant 1’hiver eurent lieu de nombreuses petites £chauffourees en­ tre les Souliotes et les garnisons des forts, dans une desquelles Photos Tzavellas fut gridvement blesse. La perte momentanee de ce brave et sage polemarque et Ie manque grandissant de munitions inciterent les Souliotes a essayer de conclure une alliance avec des seigneurs mu­ sulmans. Un accord17 fut done signe entre les Souliotes, les pachas de Delvino et de Berat et divers beys de Thesprotie, d’apres lequel les Musulmans fourniraient aux Souliotes une aide financiere et autre et devraient prendre part aux hostilites. II etait expressement stipule qu’aucune des deux parties ne ferait la paix sans l’assentiment de l’autre. Cette alliance ne dura pas longtemps car Ali forga les pachas a abandonner leurs allies tandis qu’il neutralisait les beys. Vers la fin de 1801 il pr£parait une nouvelle campagne contre Souli lorsque le Divan imperial lui ordonna de marcher contre le pacha rebelle d’An- drinople. Faisant semblant d’etre malade, Ali envoya contre Andri- nople son fils Moukhtar, derni£rement nomine pacha de L£pante.

io II est impossible de donner ici des details sur cette campagne, comme d’ailleurs sur toutes les guerres souliotes. Le lecteur est done renvoyg aux ouvrages d£ja cites d’Aravantinos, Koutsonikas et Perraivos. Pouqueville au^si raconte la guerre avec beaucoup de details mais commet plusieurs fois des erreurs. Les ecrivains etrangers ont, en general, copie Pouqueville. 17 Perraivos, op. cit., p. 80. C’est Perraivos qui negocia l’alliance avec le nacha de Delvino. Aravantinos (op. cit., p. 147) fait manifestement erreur en disant que les Musulmans fourniraient une aide militaire seulement si ceci devenait necessaire.

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Ali voulait en finir avec ces montagnards qui contrecarraient toute sa politique mais sans devoir faire l’effort militaire necessaire. Pen­ dant toute l’annte 1801 et le debut de 1802 il leur envoya des tniis- saires qui essaytrent, sans rtsultat, de semer de nouvellcs dissensions. Comme prix d’une treve, ii regut vingt-quatre otages qui furent em- prisonnds sur son ordre. Les Souliotes manquaient de vivrcs et de munitions lorsque, en avril, un navire frangais arriva a Parga avec des armes et des munitions pour eux. Ils envoyercnt done un petit corps exptditionnaire k Parga qui porta les munitions et les armes a Souli. Ali alors reprtsenta a la Porte les dangers que les secours frangais faisaient courir & l’Epire et regut 1 ordre de preparer, aux frais du gouvernement imperial, une nouvelle expedition contre les Souliotes. Les pachas de Delvino et de Berat regurent l’ordre de 1’aider dans cette circonstance. Sous le commandement de Veli, fils d’Ali, la nouvelle armde vint renforcer le blocus. Ali ne desesptrait pas de devemr maitre de Souli sans combat. Connaissant le desir des Botzaris de retourner chez eux, il envoya leur chef, le fils de Georges Botzaris, Kitzos, a Souli pour ouvrir des ndgociations de paix1**. Les Souliotes acceptferent mais les dissensions recommencerent, une des conditions 6tant le depart de Photos Tzavellas et de ses compagnons. Apr6s des discussions ora- geuses dans l’Assemblde, Tzavellas et plusieurs de ses compagnons quitterent Souli. Apprenant ce fait, Ali pacha 1’invita a Janina ou il lui offrit d’aller negocier la paix qui garantirait aux Souliotes une amnistie et k Ali la possession de Souli. En ajoutant comme condition sine qua non le depart de K. Botzaris et de ses compagnons, Ph. Tzavellas retourna k Souli. Trouvant les termes trop durs, les Soulio­ tes refuserent de les accepter et Tzavellas19 dut retourner a Janina ou il fut mis aux arrets k cause de son insucces. De m£me Botzaris dut quitter Souli et retourner a Vourgarelli sans avoir rien accompli. Tandis que le blocus continuait, les Souliotes firent plusieurs sor­ ties et r£ussirent ainsi a s’approvisionner en vivres, armes et muni­ tions. Ils avaient 61u poldmarque le rnoine Samuel 2° qui avait fait tout ce qu’il avait pu pour calmer les dissensions precipes. Telle fut la situation jusqu’en septembre 1803 oil les troupes formant le blocus furent renforgees. Peu apres, les Souliotes, grace a la trahison de l’un des leurs, durent se rSfugier sur les hauteurs fortifies. Veli, qui avait subi dans toute cette campagne de grandes pertes dont ie resultat avait 6t6 une grave baisse de popularity de son pere, voulut 6viter un

is II s’agissait d’une offre de paix, d’apr£s laquelle Ali leur payerait un impot et les Souliotes ne prendraient plus les rScoltes de ses villages (Perrai- V0S19° Pouf s’assurer de la fid£lit£ de ses ambassadeurs, Ali avait gard£ comme ntapes des membres de leurs families. Hadji Sekret dans son pofcme dpique sur Ali pacha insinue que K. Botzaris jouait double jeu et qu’il trompait Ah oacha ce qui est fort probable. 20 a cause du fait qu’il employait souvent la phrase « le Jugement Der­ nier » dans ses predictions, on l’avait surnommS Samuel le Jugement Dernier. — 55 —

assaut general. II assiegea done £troitement les collines de Koungi et de Bira. Le si6 ge continua pendant trois mois, les Albanais tentant vainement d’escalader les collines. Enfin la faim obligea les Souliotes a traiter. Les termes proposes etaient le depart, avec leurs armes, des Souliotes. Ceux-ci demand^rent d’aller k Parga et Tzavellas y alia afin de ndgocier leur 6 tablissement la-bas ou leur passage aux lies Ioniennes. Craignant d’avoir des en­ nuis avec Ali, les Pargiotes voulurent demander l’avis des autorites russes de Corfou, mais cette communication tarda k cause de vents contraires et quand Tzavellas retourna a Souli la paix avait ete sign£e21. Les Souliotes Etaient prets k partir lorsque le polemarque Samuel, pr£f£rant la mort k la soumission, fit sauter le fort de Koungi et perit dans ses decombres. Les Souliotes quitterent leur pays et

21 Voici le texte de l’accord de paix, d’apres Pouqueville, op. cit., vol. I, pp. 225-228 : Moi, Veli, pacha de Delvino, fils d’AIi, fils de Veli, fils de Moukhtar, fils de Salik Tdb£len, au nom d’AIi T£belen, gazi, Janina valisi, toparque de la Thessalie, Dervendji pacha, membre du conseil supreme de la Porte de F£licite du monarque des monarques, le glorieux Sultan, distributeur des couronnes aux rois qui r£gnent avec sa permission sur les trones du monde ; j’accorde aux Chrdtiens de Souli I’acte suivant : A. Les Souliotes auront la liberty de sortir du pays qu’ils occupent avec armes, bagages, munitions, vivres et ce qu’ils voudront emporter pour se rendre soit hors de l’Albanie, soit dans l’Albanie, et partout ou bon leur semblera. B. Je m’engage a leur fournir, et faire fournir gratuitement, les betes de sommes ndcessaires au transport de leurs effets, vivres, munitions de guerre, blesses, malades, femmes, vieillards et enfants, au lieu ou ils ddsireront se retirer. C. Les otages re?us en vertu des ordres du vizir mon pere seront rendus aux Souliotes. D. Ceux des Souliotes qui voudront rester dans l’Albanie et s’y fixer, auront gratis, en toute popri£t£, des terres, des villages, et trouveront a jamais honneur, surety et protection aupres de mon pfere et de notre famille. E. Je jure que ce traits est sacrd, qu’aucun des Souliotes ne sera jamais molestd, insults ni recherche pour sa conduite pass£e, par qui que ce soit. Si je contrevenais a ce pacte, ou s’il £tait viole par quelqu’un des notres, je me soumets, pour moi et les miens a mdriter le titre de musulman aposta’t. Puissions-nous alors etre abandonnes par nos femmes, qui feraient le grand serment, et que nous soyons obliges de les reprendre apr£s les avoir repudides trois fois. Pour preuve de ma loyautd, copie de ce pacte sera ddlivree aux Souliotes ; et que Dieu m’dcrase de sa foudre si j’y contreviens. D£lib£r£, arr£t£, ratifid, et sign£ par moi et mes freres d’armes, Musulmans sunnites. Souli, 12 decembre 1803 V£li pacha Ali zad£. (Suivent les signatures des « freres d’armes ») N. B. Lorsque ce texte mentionne l’Albanie il comprend aussi dans ce terme I’Epire. A l’dpoque les termes « Albanie » et « Epire » Etaient interchangeables et etaient employes pour designer l’Epire et PAlbanie conjointement. — 56 — arriv^rent a Parga apres mille peripeties, dues a des violations repe- tdes de l’accord par Ali. Les Souliotes ne devaient pas rester longtemps a Parga. Les habi­ tants de cette ville recevaient continuellement des lettres mena<;antes d’Ali et des seigneurs locaux et, pour ne pas causer des ennuis aux Pargiotes, les Souliotes se transporterent k Corfou ou ils entr6rent au service de la Russie et puis de la France lorsque celle-ci reprit les lies Ioniennes. En Epire les beys etaient de plus en plus mecontents contre Ali qui s’6tait approprid plusieurs de leurs terres et ils avaient form£ une alliance pour sauvegarder leurs droits. Ils resolurent d’entrer en con­ tact avec les Souliotes et ceux-ci envoy6rent a Parga les chefs des phares les plus importantes qui, le 2 juillet 1804, sign6rent avec lesdits beys un accord d’alliance22. Les Souliotes envoycrent en Epire un petit corps expeditionnaire mais Ali pacha ayant, comme toujours, seme la discorde entre les allies, ledit corps rentra a Parga et puis

22 Voici le texte de cet accord, d’apres Aravantinos, op. cit., pp. 171-172 : Parga, le 2 juillet 1804 Nous les soussignds, avec la parole de notre Odjak et ayant certify de notre main : Premierement, nous les tres glorieux Agas et Margaritiotes et capitaines Souliotes avons jure (et sommes devenus frferes malgr6 notre religion difte- rente) que nous serons unis pour le bien comme pour le mal contre notre ennemi, qui est a present le Vizir Ali pacha, et contre quiconque deviendra notre ennemi ; que les deux parties n’en fassent qu’une et que nous l’atta- quions ; et aujourd’hui ou nous £crivons notre accord et notre serment nous d^cidons de nous battre contre notre ennemi le Vizir Ali pacha et que Dieu tout-puissant nous en fasse sortir en notre honneur, nous et tout notre sand- jak ; que nous sauvions nos biens, nos maisons et notre honneur et que Dieu le confonde, lui le coupable ! Oui, mon Dieu 1 L’accord que nous avons fait les uns avec les autres contient les clauses ci-dessous, comme attestent nos signatures et le serment que nous avons fait entre nous au village Agia et a Margariti : nous nous soutiendrons mutuel- lement afin que nul de notre alliance ne soit attaqu£ et si quelqu’un d’entre nous quitte notre alliance et t&che de faire du mal a notre Vilayet et h notre alliance et serve bien Ali pacha, qu’il perde sa foi et son honneur I Meme si Ali pacha nous propose la paix s£par£e sans qu’elle soit propos£e a tous, nous les soussignds ne ferons pas la paix jusqu’a ce que nous lib6rions les Turcs et les Romains qu’il a fait prisonniers ; d’abord le trfcs glorieux Islam Aga Pronio et les autres Turcs, petits et grands, et aussi Ie fils de Botzaris, le capitaine Notis, et les autres Romains qui sont emprisonn^s et que si nous ne lib£rons pas les susdits nous ne fassions pas la paix. Encore nous mettons au clair que si Dieu nous donne la force d’e n W p r Souli des mains de I’ennemi, les Souliotes devront avoir leur pays leurs mW; sons, et la citadelle devra rester aux mains des tres glorieux Agas’ Ha4n7™ et autres, et etre en leur pouvoir comme maitres et que nous ca’rdions entre nous l’ordre pour assurer la tranquillite. De ce jour et dor^navant, nous, les Souliotes, grands et petits desirons et d<§cidons que nous demeurerons allies des Agas pour qu’ils nous aident et que nous les aidions, nous aussi les uns les autres, pour libdrer notre pays et que certains d’entre nous aiilent les aider, oil ils auront besoin comme — 57 —

a Corfou, sans avoir accompli grand’chose. Pour avoir d£truit la puis­ sance souliote, Ali regut de la Porte le titre de beylerbey de Roum61ie et Veli celui de pacha de Moree. Les guerres souliotes avaient montre qu’une alliance entre Chre­ tiens et Musulmans etait possible mais qu’il s’agissait de quelque chose d’extremement fragile. Tant que les interets des deux parties contractantes etaient tout k fait identiques il y avait des possibility de pouvoir s’entendre mais, des que les interets divergeaient, l’alliance se rompait. Jamais elle ne fut assez forte pour resister aux intrigues d’AIi malgre l’inimiti£ profonde qui unissait les allies contre lui. Une alliance albano-souliote 6tait done possible, mais seulement pour des questions d’int£ret local et il etait vain de vouloir — k cette epoque — fonder sur cette alliance une cooperation plus etroite entre les Grecs et les Albanais en vue d’une insurrection commune contre PEmpire Ottoman. La fragilite de cette alliance lui otait une grande partie de sa valeur.

representants de notre groupe. De meme, si nous avons besoin d’aide qu’ils nous la donnent. Meme si une ordonnance impdriale nous parvient, nous resterons allies, et nous nous rdunirons pour d£lib£rer en commun et agir suivant notre decision. Toujours dans nos deliberations pour le bien comme pour le mal nous entre- rons en contact avec les Agas que nous avons dans notre alliance ; et que nous soyions toujours avec nos hommes dans les combats. Et si Hasan Aga est occupd ailleurs et doit se rendre quelque part pour affaire de notre asso­ ciation, que son fils Mousa aga et Metaga et les autres Agas restent avec nous. Ainsi, et nous le certifions de notre main. 5 Chapitre V

LA REVOLUTION SERBE ET LES GRECS

L’insurrection serbe pr£sente la caracteristique particuliere d’avoir 6t6 dirig£e non pas contre le S ultan1, mais contre les janissaires eta- blis dans le pachalik de Belgrade en d£pit des ordres formels du Divan imperial. Apr£s avoir repris cette province aux Autrichiens par Ie traite de Sistov (1793) la Porte y avait interdit l’etablissement des janissaires. Cette interdiction fut proclam^e dans le cadre des reformes inaugur£es par le Sultan Selim III mais elle devrait etre consid£ree aussi comme un privilege accorde aux Serbes pour contrecarrer leur exode continu vers les pays autrichiens. D ’autres privileges leur furent accord£s en matiere d’impots et d’autonomie locale. Les janissaires, ne pouvant plus r£sider dans le pachalik de Belgrade, s’unirent avec Pasvanoglou, le rebelle de Vidine, comme on l’a vu prec£demment2. Vers la fin de 1800 ils entreprirent une attaque contre Belgrade qui fut repouss£e par le pacha Hadji Moustapha, aide par un corps serbe sous la conduite du cneze Alexis Nenadovitch. L’ann6e suivante, les janissaires attaqu^rent de nouveau la ville et cette fois entrerent dans Belgrade. Le pacha fut tu6 peu apres. La Porte ne reconnut pas le nouvel etat de choses officiellement mais, suivant son habitude, elle n’entreprit rien contre les janissaires. Ceux-ci gouvernaient la region par Fentremise de quatre chefs, les dahis. La plus affreuse tyrannie commenga a peser sur les habitants, Musulmans et Chretiens. Voyant que le Divan etait impuissant, les spahis musulmans entrerent en negotiations3 avec les cnezes chretiens pour renverser par la violence le regime des dahis. Ceux-ci eurent con- naissance de ces plans et resolurent de massacrer tous les cnezes. Ceci eut lieu effectiveinent en janvier 1804 ou 72 cnezes furent tues, mais un assez grand nombre r£ussit & s’£chapper et la revolte commenga sous la direction du marchand de pores Georges Petrovitch, surnomme Kara- georges, et du haidouk Stanoye Glava.

1 Elle ne garda pas longtemps ce caract£re qui lui avait ete donne par les cnezes ddsirant la cooperation des Musulmans contre les janissaires. 2 Voir le Chapitre 111. 3 Comme a I’dpoque des guerres entre Ali pacha de Janina et les Sou­ liotes, cette alliance fut des plus fragiles et ne dura pas longtemps. — 60 —

Dirigde exclusivement contre les dahis, l’insurrection s’etendit rapi- dement, grSce k la neutrality bienveillante des Musulmans et a l’indif- fdrence de la Porte. Pendant des mois celle-ci ne fit rien et ce ne fut qu’en juillet 1804 qu’elle envoya Bekir pacha de Bosnie comme repre- sentant. Apprenant cette demarche, les dahis essayerent de fuir mais tous furent tues. De leur cote, les Serbes demanderent le retablisse- ment des privileges accordes en 1793 et que ces privileges soient garantis par l’Autriche, condition inacceptable pour la Porte. Tel fut le debut de l’insurrection serbe. Elle ne pouvait manquer de causer une grande Emotion parmi les Grecs qui apprenaient facilement ce qui se passait en Serbie car la route des emigrants grecs en Autriche et en Hongrie passait par Belgrade. Les intellectuels grecs conside- r£rent la revolution serbe comme un exemple qui m6riterait d’etre suivi par les Grecs et on trouve un grand nombre d’allusions k l’insurrection serbe dans les Merits revolutionnaires de l’epoque, surtout dans le fulgurant pamphlet revolutionnaire que fut VHelliniki Nomarchia. Du c6t£ du peuple et de ses reprdsentants guerriers, les armatoloi et les klephtes, il y eut certaines expeditions ou revoltes faites, soit dans le but d’aider les Serbes, soit dans celui de fomenter une insurrection en Gr6ce qui ne manquerait pas d’etre aidee par le fait que celle des Serbes avait lieu simultanement. Elies eurent toutes une fin tragique. Ce qui avantagea le plus les Serbes, ce fut 1’aide que leur fournirent les Phanariotes, aide qui certes n’etait pas militaire mais politique et financiere et qui vraiment a eu une grande importance pour la renais­ sance politique de la Serbie. Ce fut surtout le cas pour l’aide fournie par les Phanariotes des Principautes danubiennes, et en premier lieu il faut mettre la politique de l’hospodar de Valachie Constantin Ypsilanti en faveur des Serbes. II n’y eut pas d’action concertee entre les arma­ toloi et les Phanariotes ; on doit done examiner leurs roles separement. Le fameux haidouk Veliko Petrovitch etait lie comme fr£re de sang 4 avec le grand armatolos Georges Olympios. II l’invita done, ainsi que les autres armatoloi de Thessalie et de Macedoine qui etaient a l’epoque persecutes par Ali pacha de Janina, a se rendre en Serbie5. Sous le commandement de Georges Olympios, de Karatasos et de Niko-Tsaras se forma une compagnie de trois mille armatoloi qui traversa pacifi- quement la Macedoine en pretendant qu’ils etaient des renforts envoyes aux Turcs de Belgrade. Les armatoloi se joignirent k Veliko k la fron­ tier serbe et attaquerent, de concert avec les Serbes, les positions turques. Les Ottomans durent abandonner le champ de bataille et tout leur materiel qui tomba aux mains des insurges. Apr£s cette bataille Niko-Tsaras et Karatasos retourn6rent au mont Olympe via le mont

_ 4 L’institution de la fraternity du sang etait tr^s repandue dans toute la penmsule balkamque Les freres de sang, ainsi appeles parce qu’a la c£r£- monie de fraternisation on m£langeait leur sang, etaient considers comme de veritables frferes devant s entr aider dans le besoin. II ne leur etait pas necessaire d appartemr a la meme nation ou a la meme religion. 0 Kandiloros, O armatolisinos tis Peloponnisou, pp. 270-271. — 61 —

Athos, tandis que Georges Olympios se joignit a Karageorges et forma une compagnie sous son commandement. Plus tard il epousa la veuve de Veliko. Ainsi se nou£rent les relations etroites d’OIympios avec les Serbes, relations qui furent particuli£rement prdcieuses k I’epoque de l’Hetairie. Cette expedition ne fut pas la seule. Pendant toute cette epoque les esprits etaient tres excites. De nombreux projets d’aide se formaient, mais ils n’etaient pas mis a execution. L’anarchie etait indescriptible a cause des reformes de Selim III et surtout k cause du Nizam-i Djedid. II est tout k fait naturel que la revolte serbe exasp6rat les esprits en Grece du Nord et les Turcs durent prendre leurs precautions en desarmant, en avril 1806, les Grecs de la Macedoine Orientale. C’est le consul de France k Salonique 6 qui nous donne ces informations mais malheureusement il n’indique pas s’il y eut des negotiations grSco- serbes en vue d’une collaboration etroite. Cependant, meme si de telles negotiations eurent lieu effectivement, elles resterent probablement sans resultat puisqu’il n’y eut pas d’activite extraordinaire en Grece pendant l’annee 1806, sauf dans !a mer Egee ou des armatoloi, ayant comme chef Jean Stathas et son lieutenant Niko-Tsaras, s’etaient transformes en corsaires, attaquant les navires turcs; tandis que les insulaires se plaignaient k la Porte de l’insecurite des mers, tenant Ali pacha de Janina comme responsable des mefaits des corsaires. Avec le commencement de la guerre russo-turque les choses chan- gerent. Comme toujours, les Russes envoyerent en Grece un grand nombre d’agents secrets ayant comme mission de fomenter une nouvelle insurrection. Cette fois-ci les agents eurent moins de succes que d’ha- bitude. Les Grecs se rappelaient la revolte avortee de 1769-1770 et les souffrances qui avaient ete les leurs apres la retraite des troupes russes et, en general, ils n’avaient aucune envie de recommencer sans avoir fait des preparatifs serieux. La Moree surtout, qui avait ete la principale victime des repressions de 1770, resta tranquille. Dans la Grece du Nord la situation etait differente. Les Epirotes resterent plus ou moins tranquilles sous la main de fer d’AIi pacha de Janina, mais les Thessaliens et les Macedoniens etaient beaucoup plus influences par ce qui se passait en Serbie. Le centre de toutes ces activites revolu- tionnaires etait naturellement le mont Olympe qui depuis longtemps etait devenu un des repaires les plus inaccessibles des klephtes. Les habitants des plaines resterent impassibles, etant trop exposes aux represailles d’AIi pacha. La plus importante des revoltes fut incontestablement celle de Niko- Tsaras 7 qui avait ete en Serbie en 1804 avec l’expedition precitee de Georges Olympios. Homme connu pour sa^ bravoure qui frisait la temerite, Niko-Tsaras se rendit k Tenedos ou il entra en contact avec

c Correspondance consulaire, Salonique, vol. XV bis, 1795-1807. i La source principale pour l’expedition de Niko-Tsaras reste toujours Satiias (Tourkokratoumeni Hellas, pp. 579-582). - 62 —

I’amiral russe Siniavine. Son plan etait de reunir un corps d’arinatoloi, passer k travers la Macedoine et la Bulgarie, s’unir avec les armees russes qui se trouvaient dans les Principautes et puis passer en Serbie afin de s’unir avec les insurges serbes de Karageorges 8. Siniavine l’en- couragea dans ses desseins et lui promit de le soutenir en naviguanl au large de la Macedoine et de le secourir s’il en avait besoin. Fort de cette promesse Niko-Tsaras se rendit en Grece Centrale oil il forma un corps de 250 armatoloi et, avec eux, se rendit a l’ile de Scopelos oil il engagea un nombre egal de Thessaliens, Macedoniens et insulaires. Son corps etant au complet, Niko-Tsaras debarqua, en cte 1807, en Macedoine et, bannieres turques en tete, il annonra qu’il avait ete envoye par Ali pacha pour renforcer les troupes turques combattant en Serbie. II reussit ainsi a s’approcher de Salonique sans coup fern mais le pacha de cette ville eut des soupgons au sujet de la waie mission de ces troupes et Niko-Tsaras fut oblige de lever ses propres etendards et d’avancer, harcele continuellement par les troupes turques. II arriva enfin pr6s de l’actuelle fronti^re gr6co-bulgare ou il fut immo­ bilise — pres du village de Zichna — par des troupes beaucoup plus nombreuses que les siennes. La bataille dura trois jours mais enfin Niko-Tsaras dut se retirer vers le Sud et arriva, harceie de tous les cotes par les troupes ottomanes, jusqu’& la mer oil cependant il ne trouva pas la flotte russe. Toujours en combattant, il put se refugier sur le mont Athos et de 1& se rendit k 1’Tle de Scopelos. La les armatoloi se tran sfo rm an t de nouveau en corsaires. Cette fois-ci ils n’attaquaient pas seulement les navires turcs mais debar- quaient sur les rivages de la mer Egee et attaquaient les villages turcs. Le Divan imperial envoya contre eux des navires de guerre qu’ils detrui- sirent avec l’aide d’une fregate anglaise. Le Divan alors ordonna la retraite des Albanais envoyes par Ali en Thessalie et sur l’Olympe tandis que de son cote le Patriarche Gregoire V ordonna aux corsaires de se disperser sous peine d’excommunication, tout cn les absolvant de leurs crimes 9. L’annee suivante des envoy£s russes arriverent sur le mont Olympe apportant des lettres de Karageorges et de l’envoye de Russie aupres des Serbes, le Grec Rodofinikine, exhortant les armatoloi et les klephtes de prendre les armes pour Iiberer la Grece en suivant l’exemple de la Serbie 10. II ne s’agissait done plus de renforcer simplement les armees serbes mais d’une revolte completement independante. La Thessalie, pays de grands tchifliks, etait prete a se soulever en une insurrection paysanne a cause des devastations causees par les Albanais d’Ali. Pour eux il s’agissait de sauvegarder un minimum de subsistance. On n’at- tendait que des chefs et, en effet, les armatoloi et klephtes de l’Olym pe11 se souleverent, ayant a leur tete 1’armatolos-pretre Euthyme Blachavas.

s Sathas, op. cit., p. 580. » Ibid., p. 587. i° Ibid., p. 588. ii Pouqueville, op. cit., vol. I, pp. 193-194 ; Sathas, op cit., p. 588.

i — 63 —

Naturellement la r<$voIte se tournait en premier lieu contre Ali pacha de Janina qui avait permis k ses soldats albanais de d£vaster la Thes­ salie comme reprdsailles de la revolte de Niko-Tsaras. Blachavas conscient de la puissance de ce seigneur, chercha a se procurer des allies. II en trouva d’un cote parmi les Albanais et les Turcs qu’AIi avait m£content£s et de l’autre cote parmi les armatoloi de la Grece Centrale, les Souliotes et autres r<§fugies 12 qui habitaient depuis quel­ ques annees les lies Ioniennes. Ces derniers, m£contents des Frangais « alors maftres des Sept-Iles, d&iraient retourner au continent pour y fonder une nouvelle patrie et ils entrerent avec joie en rapports avec Blachavas. Ils avaient esp£r£ pouvoir dcbarquer en Acarnanie mais leurs plans furent reduits k n6ant par une trahison et Blachavas fut laisse seul. Celui-ci avait traverse la Thessalie en direction de l’Epire mais fut arrete aux Mdteores par une armee numeriquement sup^rieure conduite par Ie fils d’AIi, Moukhtar pacha de Lepante. Defait, aban- donn<§ par une large partie de ses partisans, Blachavas dut battre en retraite et put enfin se refugier, avec ce qui restait de ses troupes, k Scopelos ofi i( arma une flotille et, avec Niko-Tsaras et d’autres arina- toloi, faisait la course aux navires turcs dans la mer Eg£e ainsi que des raids sur les cotes de la Thessalie. Ces mefaits inquieterent fort la Porte qui, enfin, leur accorda une amnistie tout en ordonnant k Ali d’arrSter ses operations militaires en Thessalie. De son cSte Ie Patriarche exhorta Blachavas d’abandonner une carriere deshonorante pour un pretre, tout en l’absolvant de ses pech£s. Blachavas et les armatoloi profitdrent de l’amnistie accordde vu qu’AIi avait retire ses Albanais mais celui-ci s’empara par trahison de Blachavas, Ie tortura et l’ex£cuta. Hadji Sekret dans son Alipachade raconte en 357 vers cette insur­ rection. II mentionne Pambassade venue de Karageorges et il prete k Blachavas Ie d£sir de prendre Salonique, ce que, d’apres Ie po£te, Ali ne pouvait toierer et le combattit violemment. II faut no ter que Hadji Sekret est le seul k mentionner Pint£ret que portait Karageorges £ cette affaire ainsi que le lien etabli par Blachavas entre son insur­ rection et celle de Karageorges, tout en consid£rant les Russes comme etant les v6ritables instigateurs de la revolte. Pouqueville, Ie consul de France a Janina et futur historien de la regeneration de la Grece, qui fut pourtant un temoin oculaire de la mort de Blachavas, ne mentionne pas les Serbes : il considere cette revolte comme une jacquerie tournee exclusivement contre Ali pacha qui, lui, croyait que cette revolte avait ete montee contre lui par Ie metropolite de Hongrovalachie (c’est-a-dire de Bucarest) Ignace, qui avait ete auparavant metropolite d’Arta en Epire. En plus de ces expeditions ou revoltes il faut noter la presence de nombreux Grecs (comme aussi de Roumains et de Bulgares) dans les

12 Une alliance entre les armatoloi et klephtes de I’OIympe et ceux de la Grece centrale avait d£ja existe au xviu0 siecle. Elle avait ete de courte duree 13 Us ne voulaient pas se battre contre les Russes. — 64 — armees serbes. Plusieurs d’entre eux, comme 1 Epirote ^ontas, 'es MacSdoniens Zaglas et Yankos furent particulierement ^m a q ‘ Q negociateur du traite serbo-turc de 1806, Pierre Isko, a e m -w par la Grece, la Bulgarie et la Roumanie : il etait originate de Mace­ doine. De leur cote, les Grecs des Principautes danubiennes envoycrent aux Serbes a plusieurs reprises une aide financi6 re e jout , en plus, un role politique considerable. Naturellement, l'hospodar de Valachie Constantin Yps.lant, se trouva meie, bon gre mal gre, k ce qui se passait en Ser ie, n plus que Turcs et Europeens lui attribuaient les plans les p u s tiques en ce qui concerne le commencement de cette insurrec ion e a situation future de la Serbie. On faisait d Ypsilanti ins,1^.a^ a revolte14 ; on lui attribuait la paternite de 1 idee de s aux Russes15 ; c’dtait lui qui avait inspire aux Serbes le massacre des Turcs de Belgrade10 apres la prise de cette ville en 1 8 0 7 , il avait fourni des quantites enormes d’armes et de munitions aux . ct il desirait unir sous son sceptre la Moldavie, la Valac ie e 'e '' Tout ceci etait ecrit le plus s6 rieusement du monde dans des rapports officiels. La realite etait beaucoup moins machiavtfique. ■ x nlto c’int^resser a la revolution serbe pour ueux Ypsilanti ne pouvait q s’agissait d’une action contre ies S “ l,es%«enTfd\narchie\. d= .roubles, partisans ou allits de Pasvanoglou dont les ddprcdatlons ruinaient la Valachie. Lctablisse- ment de Pasvanoglou a Belgrade aurait ete une tragedie pour la Vala­ chie car ceci aurait augmente considerablement son pouvoir. La deuxieme raison etait qu’une excellente occasion se pr6 sentait d’in- tervenir entre les Turcs et les Serbes^ comme mediateur ou arbitre et d’assurer ainsi une plus grande liberte aux Serbes et cr£er 6ventuelle- ment une troisifeme principaute danubienne, ce qui, comme bon Phana- riote qu’il etait, ne lui deplairait pas. Mais le plus important etait qu’il desirait voir s’agrandir le plus possible le nombre des regions privi- legiees, ce qui avait comme avantage de diminuer la puissance de la Porte sans que cette diminution soit suivie de l’anarchie et du chaos Des le debut de son principat, Ypsilanti etait entre en rapports aver le metropolite de Belgrade Leontios et avec plusieurs des chefs serh^c et avait su gagner leur confiance. Ainsi, quand les Serbes et i Musulmans du pachalik de Belgrade envoyerent au Sultan une nptit- eS d£sesper£e, Y p s ila n ti consentit a la transmettre & la Porte et i 1(^n soutenir, avec l’aide des ambassadeurs d’Autriche et de Frnnm ciiice, aux_

14 Le consul de France a Bucarest (rapport du 20 mpssirlnr vi. Hurmuzaki, Documente, vol. XVI, p. 661), Ie g£n£ral francnis : t*ans la Russie, comte de Langeron, gouverneur d’Odessa niiirmti/nl/i n Crvice t,e Supp. i, vol. Ill, p. 1091 Ju dm m u de Saint rE /S T ’ P oc'" ^ n tc , m Kl II, p :<6) M nt tie tef avi* VlhM m a * ,s (Jn agent secret francais le faisait. A ce sujet, voir plus loin, p. 69. 17 Rapport du consul britannique a Bucarest (Hurmuzaki, Documentp *>upp. II, vol. II, p. 383). — 65 —

. p „ meme temps, Ypsilanti proposa a la Forte de se quels il etait lie. operations contre les dahis. Cette proposition fut charger 1ui-rrigme^ae^ une simple eventualite et n’eut pas de suite. |e massacre des cnezes et la revolte commenga. Peu apres eut n ^ manque de munitions ne permit pas aux Y p silan ti craigni q ^ jcacement aux dahis et il leur envoya des muni- S e rb e s de s opposer conlprjs deux canons. La Porte ne pouvait pas tio n s et des arme , y ^ Qn ge trouva en face d,une concor_ d^sapprouver ce o0ntiques co m p lem e n t diffSrentes : les Serbes dance Strange . la porte dSsirant se dSbarrasser des dahis et d S s i r a n t leur a affaiblissement du pouvoir central partout oil ce ypsilanti d£sirant affaimn, donc avec a la c r it 6 dansHson r61e dMn. term^dSre voyaSt dans cette situation confuse un terrain idSal pour «oiirsuivre ses desseins. ^ P mmnl^te des dahis avait eu comme resultat l’augmen- La dSfait J^ons des Serbes et la Porte commenga k avoir des tation des reven future obeissance des Serbes. Ypsilanti donc Que.qu'un en Serbie de concert avec un regut 1orar® aurait comme mission de persuader les Serbes envoys du / ^ t n a ’ En effet, Ypsilanti envoya en Juin 1804 le de mettre ba borna au role de simple observateur. Deux boyard Manolac t q ^ Bucarest portant avec lui une lettre des chefs " ,0i? •?'au? lui demandaient de leur prefer son appui „roral. >« serbes q j.}nternationalisation du problSme serbe. L'annSe ^ Serbes commencerent k devenir plus Apr6 s >a renendant penser encore a acquSrir leur independance. ambitieux, sa d Z oser ies armes sans avoir de garanties formelles Ayant peur ^ cPraient respectds par la Porte, ils commencerent a <.*■“ " Pur W e r v S «ranglre. Deux possibility d’aide se prt- souha'ter de I’Autriche ou de la part de la Russie. L’Au- sentaient . embarrass6 e. D’un cot6 elle desirait que les triche, c f ’ ti£res de la Turquie soient aussi faiblement protegees provinces ^ p0 ursuivre, quand elle le dSsirerait, sa route vers que poss , I’autre cote, il ne lui convenait pas que les Serbes le Sud. i ^ pendants ou meme trop autonomes et ceci a cause de deviennen ^ ^ ^ propre territoire et qui restaient en rela- ceUX Ig n ite s avec leurs compatriotes en Turquie. Elle avait peur que tionL ii-nn en Serbie si elle se tournait contre le Sultan, ne puisse tout 13 ■ hien se propager de l’autre c6 td de la frontiere, parmi les sujets W E m p e r e u r Frangois II. Dans une telle situation, l’Autriche ne pou- oas adopter une politique ferme. V Russie se trouvait dans une position differente. Elle ne desirait 11 ment intervenir militairement, ses guerres frequentes contre la

Lascaris, Hellines kai Servoi, pp. 30-31 ; Vukicevie, Cerny Djordje, t. 11, 18 pp. H9-150. — 6G —

Turquie ayant completement affaibli ses finances. Politiquement, il parait que ses informations sur l’insurrection etaient tr£s incompletes. Le premier qui renseigna le gouvernement russe sur ce qui se passait fut l’Ambassadeur a Vienne le 10/22 Fevrier 1804 10. Le 7 mars, le gouver­ nement russe regut un rapport du prince Ypsilanti qui fut suivi par des rapports de l’ambassade russe k Constantinople ainsi que des consu­ l t s de Bucarest, Jassy et Raguse. Les rapports russes traiterent l’in- surrection comme si elle 6tait une de ces revoltes periodiques dont l’Empire Ottoman etait si souvent le theatre. Seul Ypsilanti indiqua la future importance de ce mouvement. Ce prince etait bien connu pour ses sentiments russophiles et la Cour de Saint-Petersbourg ecoutait volontiers ses avis, d’autant plus que les relations entre l’ambassadeur k Constantinople et les consuls dans les Principautes etaient assez ten- dues. Le prince avait ainsi les moyens de rendre acceptables ses vues, non seulement aupres de la Porte, mais aussi aupres du gouvernement russe. On congoit facilement l’importance de ce fait. Dans un m6- moire20 envoye vers la fin de 1804 a Saint-Petersbourg il donne un apergu de ses idees concernant l’etat futur de la Serbie. Celle-ci devrait: devenir une principaute jouissant de privileges analogues k ceux de la Moldavie et de la Valachie ; eiire elle-meme son prince ; payer un tribut annuel qui remplacerait tous les impots payes jus- qu’alors par les Serbes ; fournir obligatoirement a la Porte un corps arme en temps de guerre ; ne pas payer les impots non pergus jus- qu’alors 21. Nous voyons ainsi assez bien quelles etaient les bases de la poli­ tique d’Ypsilanti. II ne s’agit nullement d’accorder l’independance a la Serbie mais d’augmenter simplement le nombre des regions autonomes. Le fait de jouir des memes privileges que les Principautes danubiennes est tres important: rappelons qu’un de ces privileges etait l’interdiction aux Turcs d’y resider, sauf dans certaines villes. Le resultat pratique de cette extension du regime princier aurait ete l’extension des regions ou le pouvoir politique etait exerce par les habitants de la region et non par les Turcs. Pousse k sa fin logique, c’etait celle de l’Empire Ottoman. On ne peut pas dire aujourd’hui si cette fin aurait eu comme resultat la desagregation de cet Empire en plusieurs Etats oil si un Etat unique 1 aurait remplace. II est curieux de constater qu’Ypsilanti envisageait les deux possibility. La premise peut etre remarquee dans son projet de creer un Etat Dace, compose de la Moldavie et de la Valachie (peut-etre comprenant aussi la Transylvanie), mais cette idee est posterieure au commencement de la guerre russo-tiirm.P Hp isnfi- elle est ie rfsu.tat du fait qu’i! a do rtfugier en Russ.e. La crtat.on de l'Etat unique etait la base m6me de

i» Vukicevic, op. cit., p. 182.

I'pS 26l4^fm^r,ean,^r?sVaidte(Philemon,6 2i Philimon, op. cit. ; Lascaris, op. cit., p. 3 4 . — 67 —

sa politique. Le cas de la Serbie n’etait pas le premier : il avait desire le meme sort pour les lies Ioniennes en 1799-1800. Les Serbes avaient espere que la Russie les aiderait a cause de sa religion et avaient envoye k Saint-Petersbourg une delegation vers la fin de 1804; mais la Russie22 refusa d’intervenir directement pour les raisons enumerees ci-dessus, preferant laisser ce soin k l’Autriche. Une fois les deiegues retournes en Serbie, apres avoir passe par Bucarest, Karageorges convoqua une assemble des cnczes qui se reunit en avril 1805 k Ostroujnitza. L& on regia les questions financieres et puis on decida d’envoyer une deputation 23 & Constantinople pour presenter au Sultan leurs revendications. Celles-ci etaient plus moderees que les idees ernises par Constantin Ypsilanti. Les Serbes desiraient avoir un prince elu et la Serbie devrait payer seulement un impot general et unique, analogue au tribut preconise par Ypsilanti. La liberte du culte serait garantie mais la Serbie ne recevrait pas les privileges accordes aux Principautes danubiennes 2‘. Ils demandaient aussi instamment que les rebelles turcs25 soient chasses du pachalik de Belgrade. Les chefs serbes allaient justement clore leurs deliberations quand se pre- senterent devant eux des envoyes des hospodars de Moldavie et de Valachie qui leur apportaient les ordres du Sultan lui-meme. La Porte avait bien compris la situation fausse 26 dans laquelle elle se trouvait vis-^-vis des Serbes et voulut arranger les choses. II ne faut pas oublier que si les Serbes agissaient tout a fait legalement, au nom du Sultan, contre les sujets insoumis de la Porte, ils etaient aussi des Chretiens, des infideies, combattant contre des Musulmans, ce qui ne pouvait pas plaire au Caliphe. D’ailleurs la Porte avait envoye en Serbie Bekir pacha de Bosnie et elle n’avait done plus besoin des Serbes pour combattre les rebelles. La Porte s’adressa done aux hos­ podars de Moldavie et de Valachie pour que ceux-ci l’aident k sortir de 1’embarras ou elle se trouvait, car elle n’ignorait pas que s’il etait facile de dire aux Serbes de deposer les armes, e’etait beaucoup plus difficile de les y obliger. Les hospodars27 envoyerent done des deiegues a l’assembiee d’Ostroujnitza qui recommanderent aux Serbes d’obeir au Sultan. Mais tandis que les deiegues moldaves suivirent a la lettre les instructions recues de Constantinople, les deiegues valaques furent charges par Ypsilanti de tenir la meme attitude en public, mais de

22 Le Tsar leur conseilla simplement de s’adresser a Ypsilanti qui leur donnerait des conseils et qui, le cas echeant, « leur accorderait ses bons offi­ ces aupres de la Porte». (Hurmuzaki, Documente, Suppl., t. II, p. 313.) 2f La deputation Iiabita au palais patriarcal et le Patriarche Kallinikos soutint leurs revendications. 2i Ainsi la Russie n’aurait pas le droit d’intervenir aussi facilement dans les affaires serbes que dans les affaires moldovalaques. 25 C’est-a-dire ce qui restait des janissaires et les bandes de Pasvanoglou. 26 Cette situation fausse etait encore aggrav£e par le fait que les Chre­ tiens n’avaient pas le droit de porter des armes. 27 Ypsilanti ne put jamais entreprendre avec Alexandre Mourouzi ou son successeur, Scarlate Callimachi, une politique commune en ce qui concerne la Serbie. — 68 — suivre les instructions que la Russie leur fournirait dans leurs entre- tiens privSs 28. A la mi-mai on vota une resolution remerciant l’Empereur de Russie pour tout ce qu’il avait fait pour les Serbes et une deputation partit pour Constantinople. ArrivSe a Bucarest, elle fut regue a plusieurs reprises par le prince, auquel elle exposa les demandes formulas a l’egard de la Porte. Ypsilanti approuva leurs plans, tout en indiquant comme souhaitable que les Serbes demandassent que les garnisons des forteresses situSes en territoire serbe ne soient pas composees de Turcs. Apr£s avoir rencontre aussi le consul russe a Jassy ils partirent pour Constantinople, portant avec eux une lettre de reconimandation du prince k son kapoukShaya2®. Entre temps la Porte avait change de politique. De plus en plus les Serbes oubliaient l’objet primordial de leur rdvolte et se tournaient contre la population musulmane dont les plaintes commencerent a emouvoir la Porte. Elle envoya donc Hafiz pacha de Nich avec mission de pacifier la contree. Avec leur determination de resister a l’armde de Hafiz pacha les Serbes accomplissaient le dernier pas vers la revolution nationale. Quand enfin la deputation serbe arriva & Constantinople, elle etait tout h fait ignorante du changement de la politique ottomane envers les Serbes. Les ddputSs furent regus avec beaucoup d’egards par le kShaya- bey qui leur proposa meme de nommer un prince Phanariote en Serbie. Cette proposition fut dSclinSe30. Ce fut la demande d’abandon par les garnisons turques des forteresses du pachalik de Belgrade qui suscita les plus grandes difficulty31. Non seulement la Porte mais aussi la Russie ne desiraient nullement cette retraite et la Porte voulut aussi que le Patriarche demandat la reddition des Serbes, ce qu’il fit. Italinsky, l’ambassadeur russe k Constantinople, avait regu comme ordres de son gouvernement de prier la Porte de nommer un Phana­ riote comme Prince de Serbie, mais en meme temps de persuader les Serbes de ne pas accepter un prince Phanariote. II devait appuyer les intrigues phanariotes jusqu’a l’instant oil elles sembleraient aboutir pour ensuite faire volte-face. Mais Italinsky ne put pas executer coni- plStement ses ordres car la Porte etait de plus en plus persuadee que les Serbes obeissaient aux Russes et que le prince Ypsilanti Stait lui- meme trop fid&le k la Russie. Le prince ne pourrait plus servir comme mSdiateur entre les Serbes et la Porte. De leur cote, les deputes serbes

28 Vukicevic, op. cit., pp. 237-240. 29 Les kapoukehayas etaient des charges d’affaires des princes de Mol- davie et le Valachie aupres de la Porte. Ils jouissaient des privileges et immu- nites diplomatiques. so Karageorges avait d£ja fait part (en des termes violents) de cette repu­ gnance aux envoyds princiers a Ostroujnitza. 31 Ceci aurait constitu£ un avantage strategique pour les Autrichiens Les Russes desiraient £viter tout ce qui pourrait diminuer la puissance de resis­ tance turque contre 1’Autriche. — 60 —

se trouvaient en danger. Ils durent done s’evader sur un navire allant a Odessa et, apres avoir passe par Saint-Petersbourg, ils arriverent au camp serbe. Une nouvelle assemblee se reunit a Ostroujnitza ou Ton decida d’envoyer une nouvelle petition a Constantinople, protestant toujours qu’ils ne s’6 taient revoltes que contre les mauvais pachas et pas contre le Sultan. Cette petition fut envoyee au prince Ypsilanti avec priere de la faire parvenir & l’ambassadeur russe & Constantinople qui la remettrait a la Sublime Porte, ce qui compromettrait tout le monde. Entre temps Ypsilanti entra en rapports avec le Grec Rodofinikine, envoye russe aupres des Serbes. II lui representait la necessite absolue pour la Russie d’aider les Serbes sous peine de se voir supplantee par la France qui venait justement d’acqu6 rir les Provinces Illyriennes. D 6 sirant voir la Russie garder son influence en Serbie tout en restant en bons termes avec la Porte, il convainquit Rodofinikine qu’il fallait que l’Autriche fournisse a la Serbie des armes et des munitions qui seraient payees par la Russie. Effectivement Rodofinikine proceda a cette demarche. La Porte avait eu connaissance de la correspondance d’Ypsilanti avec les Russes et le destitua. Heureusement informe de cette decision, le prince put se r£fugier en Transylvanie avant que le firman de desti­ tution lui soit remis. De la il passa en Russie. Les Russes d£clar6rent la guerre a la Turquie a cause de cette destitution qui violait l’accord de 1802 et entrfcrent quatre mois plus tard & Bucarest. Ypsilanti non seulement remontait sur le trone de Valachie mais dtait proclame aussi prince de Moldavie. Rentre k Bucarest il renoua ses relations intimes avec les Serbes en leur envoyant h deux reprises le boyard Manolachi qui deja l’avait represents auprds des r<§voItes. De plus en plus main- tenant il desirait que les Serbes soient tout a fait compromis vis-a-vis de la Porte et ce fut lui qui leur inspira le terrible massacre27 des Musulmans de Belgrade quand cette ville toinba entre leurs mains. Ne trouvant pas suffisante l’aide accord£e aux Serbes par les Russes, Ypsilanti leur envoya de grandes quantites de farine et autres approvisionnements dont ils avaient besoin. II tacha aussi de faire transporter en Serbie la « legion hell£nique », ce corps forme de volon- taires Grecs, Valaques, Bulgares et Albanais qu’il avait forme en imi- tant l’exemple de son p£re Alexandre Ypsilanti. II ne put reussir en ceci et seul un petit corps sous le commandement de Georges Olympios se joignit effectivement aux Serbes. En aoOt 1807 Ypsilanti fut contraint d’abandonner Bucarest a cause de ses difficultes avec les gen£raux russes et se retira a Kiev ou il habita jusqu’& sa mort. En novembre de la meme annee, le Sultan demanda la mediation du Patriarche CEcumenique Gregoire V dans l’affaire serbe. Celui-ci envoya en Serbie un prelat qui invita les Serbes

32 II avoue lui-meme que tel etait son but dans une lettre au prince Czar- toryski (Panaitescu, Corespondenta lui Constantin Ipsilanti cul guvernul rusesc, p. 101). — 70 —

& rendre obeissance au Sultan qui, de son cote, promettait sa grace et l’oubli du passe. Cependant l’affaire avait tellement Svolue que les Serbes maintenant refuserent ce qu’ils avaient demand^ quelques annees auparavant. Ils acceptaient d’avoir un gouvernement autonome sous un prince serbe (et sous aucun pretexte phanariote) et que le nouvel etat de choses soit garanti par la France et la Russie. Ceci naturellement donnait a ces deux puissances le droit d’intervenir dans les affaires serbes, ce qui etait contraire aux ddsirs de la Porte. Apres cette mission les Phanariotes n’intervinrent plus dans l’affaire serbe pour plusieurs annees, et meme lorsqu’ils interviendront leur r61e sera tout a fait secondaire. Ceci est dG a trois faits : le fait que les Phanariotes constantinopolitains ne pouvaient plus esperer devenir princes de Serbie ; le fait que les Principautes etaient occupees par les Russes et que les communications entre celles-ci et la Serbie n’etaient plus assez bonnes pour permettre le transport de « paquets de secours » ; le fait que Constantin Ypsilanti qui avait joue le role prin­ cipal dans les relations avec les Serbes s’etait retire de la vie politique. Chapitre VI

LES SOCIETES SECRETES ET LE MOUVEMENT UTTERAIRE REVOLUTIONNAIRE

Les societes secretes ayant quelque connection avec les Balkans fourmillaient a la fin du xvnr siecle *. Les Principautes etaient le non seulement de plusieurs loges magonniques, dont une reputee fondee par Rhigas, mais aussi de nombreuses societes secretes. La raison pour laquelle ces societes avaient une predilection particuliere pour les Principautes danubiennes peut s’expliquer par le fait que les Turcs ne pouvaient pas les surveiller 1^-bas et que les hospodars etaient plus ou moins au courant des idees de ces societes, les approuvaient et n’y apportaient pas trop d’entraves a leurs activites. Au xix' siecle des societes philanthropiques et litteraires furent aussi fondees. Celles- ci fonctionnaient en general hors des Balkans mais, meme lorsque leur siege etait dans l’Empire Ottoman, elles formaient un trait-d’union entre les Balkans et le reste de l’Europe, sortant ainsi de leur but purement philanthropique ou litteraire qui, generalement, n’etait qu’une fagade couvrant des desseins beaucoup plus revolutionnaires. Toutes les societes & buts revolutionnaires de cette epoque ont laisse extremement peu de traces de leurs activites. Les documents s’y rapportant sont tres peu nombreux et souvent de caractere dou- teux. Les historiens contemporains restent presque completement muets sur elles et leurs informations sont souvent contradictoires. Nos con- nalssances actuelles sont done minimes, mais on peut affirmer que beaucoup de ces societes qui ont disparu sans laisser, presque, de traces n’eurent qu’une activite tres reduite. En general elles n’etaient que des « clubs » de personnes aimant discuter des projets grandioses sans cependant avoir les moyens pour les mettre en pratique. On ne doit done pas leur accorder une trop grande importance. II est certain que parmi toutes ces societes secretes dont Taction est aujourd’hui couverte de tant de mysteres et de contradictions, la franc-magonnerie jouait un role de tout premier ordre, d’autant plus important qu’il aide k nous faire comprendre l’action des societes secretes precitees.

i Elles existaient d£j& bien auparavant. L’existence d’une societe secrete est attest£e en Grece d£s la fin du xvii' stecle. — 1 2 —

L’existence d’une loge est attestee a Corfou en 1740 et a Constan­ tinople en 1745 ou elle s’attira les foudres de 1’Eglise2. En 1780 fut fondSe a Vienne la societe des Bons Cousins ayant comme but la fondation de loges magonniques dans les Balkans pour encourager l’union des Balkaniques en vue de leur liberation de la domination ottomane. Cette societe fut dissoute en 1798 lors de l’arrestation de Rhigas qui fut un de ses membres. Vers la fin du siecle des loges existaient k Belgrade8, Athenes, Vidine4 et Bucarest dont on ne con- nait que tr6 s peu de choses mais dont la distribution gSographique est tr£s suggestive. En 1807 ie Grand Orient de France fonda k Corfou la loge Philoginie dont le but etait de travailler pour secouer le joug ottoman pesant sur les Grecs. Contrairement & la pratique ordi­ naire des franc-magons, cette loge travailla assez ouvertement et s’at­ tira les foudres du Pape, ce qui eut comme resultat le changement du nom de la loge en celui, fort significatif, de Saint . En 1811 le comte Denis de Roma fonda le Serenissime Orient de Grece et Orient de Corfou qui ne dura pas longtemps, se transformant l’annee suivante en Grande Loge Nationale de Grece. Celle-ci eut une activity tr£s importante. Elle fonda une loge a Leucade, k Paris (le noyau de la societe de 1 'Hotel Grec et de celle d’Athena), a Moscou (le noyau de la societe du Phdnix) et partout ailleurs ou il y avait des com- munaut£s grecques. Elle joua aussi un role de premier plan dans l’HStairie dont les principaux membres etaient francs-magons. Parmi les societSs d’une certaine importance, mentionnons la societe Athina et la societe du P h in ix 5. Sur toutes deux nos informations sont tr£s vagues. Pour la premiere elles nous ont ete fournies, pour la plupart, par un certain Calevras0, originaire de la region de Brousse, qui se rSfugia a Odessa en 1807 lors de la deposition du Sultan Selim III. Lk, en 1811, il connut E. Xanthos. II se transforma en commergant lorsque le gouvernement russe demanda, peu avant l’expedition napoleonienne, aux marchands de constituer des reserves de vivres a Moscou. Calevras voulut donc transporter des marchan- dises d’Odessa k Moscou mais fut fait prisonnier en route par les Frangais. Libere par l’entremise d’un officier Albanais, il arriva & Moscou ou il fut l’hote du grand commergant Grec Z. Zosimas. Lors­ que celui-ci abandonna la ville par suite de l’approche des Frangais, il confia k Calevras sa fortune, ses bibliotheques et ses depSts pleins

2 P.B. Hadjipanou, Hellinikos Eleutherotektonismos, p. 10. 3 Hadji Moustapha pacha de Belgrade que les Serbes appelaient « le p£re des rayas » parait avoir ete franc-magon. 4 D’apres la tradition, Pasvanoglou aurait ete le fondateur de cette loge s Ces deux societes avaient des origines magonniques tres prononcees et il serait plus correct, peut-etre, de les considerer comme des loges macon- niques, ainsi que le fait Hadjipanou, Hellinikos Eleutherotektonismos, p. 12. Calevras ne mentionne pas ces origines magonniques. o Calevras a ecrit des rapports manuscrits sous forme de lettres qui ont ete conser"4-1' A Biblioth^que Nationale de Grece a Athenes.

I — 73 —

de vivres. L’arrivee des troupes frangaises ainsi que la situation cre6e a Moscou par cetet arriv£e etant bien connues, il suffit de dire que Calevras offrit l’hospitalite et des vivres a deux Grecs, eclaireurs de la Grande Armee. Reconnaissants, les deux eclaireurs initi£rent Cale­ vras aux mysteres d’une societe nominee Athena qui etait, d’apres eux, la continuation de l’Hetairie de Rhigas et qui comptait, toujours d’apres eux, le grand lettre Coray7 parmi ses membres. Entre autres, ils lui declarerent que Napoleon attaquerait l’Empire Ottoman une fois la paix conclue avec la Russie, libererait la Grece et placerait sur le trone de Constantinople son frere Joseph. Une fois les Frangais par­ tis, Zosimas retourna a Moscou oil Calevras lui revela tout ce qu’il savait sur la societe Athena mais Zosimas desapprouva son im- mixtion dans les affaires de cette societe, car il considerait que la societe Athena n’avait nullement comme but la liberation de la Grece, mais qu’elle desirait rendre la Grece dependante de l’Empire Frangais. Zosimas lui revela, de son cote, l’existence de la society secrete du Phenix qui avait aussi comme but la liberation de la Grece et a laquelle participaient plusieurs grands personnages. Ces plans que les deux eclaireurs grecs attribuaient a Napoleon avaient ete effectivement proposes par un employe du Ministere fran­ gais des Relations Exterieures nomme P. Codrikas 8. D’apres lui, l’Em- pire Ottoman devrait etre divise en deux parties : l’une, europeenne, avec Constantinople pour capitale, serait donnee a un des princes impSriaux ; l’autre, asiatique, serait laissee au Sultan qui reprendrait le titre de Caliphe et aurait Bagdad pour capitale ; les deux empires seraient sous la garantie supreme et la tutelle de l’Empereur des Frangais. Ces plans furent consideres comme chimeriques par les Fran­ gais et l’idee n’eut pas de suite. On peut cependant supposer que Co­ drikas 6 tait en liaison avec la society Athena, peut-etre un de ses membres. Ce plan n’etait pas nouveau. En effet, le 24 brumaire an VII (14 novembre 1798), le Directoire creait une agence commerciale frangaise a Ancone. Une lettre de Talleyrand a son collegue de la Marine9, datee du 7 frimaire (27 novembre), nous informe que cette agence avait en realite comme but « d’etre une societe revolutionnaire pour les Grecs d’Albanie, de Moree, etc. dirigee contre la Porte Ottomane ». Le 13 germinal an VIII (2 avril 1799) l’agence d’Ancone envoya au Ministere des Relations Exterieures un rapport demandant l’envoi d’agents secrets en Moree, en Thessalie, en Epire et meme a Constan­ tinople. L’agence demanda la fondation d’une society secrete en Cepha- lonie composee de Grecs patriotes qui imprimeraient des journaux, des proclamations et autres tracts revolutionnaires. La societe veille-

7 Kandiloros, Philiki Hetairia, pp. 61-63. s Driault et L’Heritier, Histoire Diplomatique de la Grece, vol. I, pp. 39-40. o Citee dans Sp. Pappas, Hen historikon simeion aenoston, Harmonia, vol. HI, 1903, p. 131. 6 — 74 — rait aussi a la formation d’un corps arme, compose des homines des regiments « Royal Macedonien » et « Albanais » qui se trouvaient au service du roi de Naples. Quinze jours plus tard, C. Stamaty, l’agent d’Ancone, demandait la permission de Talleyrand pour creer une societe secrete ayant comme but de correspondre avec les Grecs de Moree et specialement avec le bey du Magne. Le 29 nivose an VIII (18 janvier 1800) Stamaty envoya un rapport a Talleyrand10 disant que ladite societe avait ete fondee, qu’il correspondait avec l’dveque catholiquc de Skodra, que la cooperation d’un seigneur albanais puissant lui avait et6 promise et que les habitants de la Moree etaient prets a s’insurger conjointement avec les habitants d’autres regions balkaniques. Notons qu’en ce qui concerne l’organisation politique future des Balkans, les plans frangais prevoyaient la fondation d’une Republique Grecque sous la protection immediate de la Republique Frangaise, de la meme maniere que la Republique Batave ou la Republique Cisalpinen . Une autre societe secrete, qui n’est peut-etre qu’une ramification de la societe Ath&na, est celle que Gobineau appelle la deuxieme hetairie12. Cette societe avait ete fondee en Italie septentrionale en 1806. Elle aurait compte sur l’aide de Napoleon — qui n’en eut con- naissance qu’en 1810 — pour realiser ses projets qui etaient la libe­ ration de la Grece. Plusieurs des armatoloi et klephtes qui connurent Capodistrias k Leucade etaient membres de cette hetairie mais ils ne l’informerent pas de leurs plans. De meme, quand il traversa l’ltalie pour aller se mettre au service de la Russie, les hetairistes hesitdrent k le mettre au courant, craignant ses attaches russophiles et desirant l’aide de la France au lieu de celle de la Russie. De toute fagon, ils consideraient l’aide etrangere comme necessaire. On considere generalement le prince Alexandre Mavrocordato, que sa fuite de Moldavie en 1787 avait fait surnommer Firaris (le fuyard), comme mel£ dans plusieurs affaires assez vagues concernant soit des societes secretes, soit des projets ayant comme but le renversement de PEmpire Ottoman. Sa fuite semble avoir ete le resultat de la decou- verte par la Porte d’une conspiration greco-russe ayant comme but le soulevement des Grecs et des Roumains contre l’Empire Ottoman. Le fait que plusieurs boyards le suivirent dans cette fuite semble appuyer cette these. Rien n’atteste cependant qu’il ait fonde a cette epoque une societe secrete ; on peut supposer neanmoins que Rhigas etait entre en contact avec lui. Pendant son exil en Russie, Alexand Mavrocordato Firaris joua le role de mecene. II soutint les savant^ contribua a la diffusion de leurs ceuvres et publia lui-meme de noi S’

Ibid., p. 133. u Memoire anonyme, date de fevrier 1798, cite dans Sp. Pappas La Pnli tique Grecque du Directoire, dans L'Hellenisme Contemporain, 1947, p. 242 i2 Gobineau, Deux Etudes sur la Grece moderne, Capodistrias pp. 11-13 II est probable qu’une Hetairie dont on a retrouve des traces a Livourne soit une branche de celle-ci. — 75 — breux ouvrages. D ’apres Phrantzis 13, il fonda une Hetairie Helltnique dont il r£digea les statuts. D’apres Hadjipanou 14, il fonda la societe du Phenix dont il ne fut qu’un membre, suivant Kandiloros16, Alexandre Mavrocordato Firaris avait public anonymement en 1810 une collection de poihnes, le Bosphore sur le Borysthene, dans laquelle il dtait cense prophetiser10 la reconstitution de l’Empire Byzantin au sein de l’Empire Russe. D’apres Calevras17, N. Skouphas, meni- bre du Phenix, enleva de cette collection tout ce qui pourrait etre dangereux, Iaissant seulement des po6 mes ecrits comme enigmes, dilem- mes et reveries 18. D’apres Stourdza 10, Alexandre Mavrocordato Firaris voulait que la Grece se libere par elle-meme, sans aide exterieure, et que cette liberation soit atteinte par une education poussee. En 1802, il fonda une societe dont le but apparent etait purement educatif mais, qui secretement travaillait pour l’independance helienique20. Les plans d’Alexandre Mavrocordato Firaris aurait ete communiques apres sa mort par sa fille Catherine a son professeur Ba'ili de Zagora qui les aurait remis a son ami intime N. Skouphas qui, lui, les aurait fait parvenir k Jean Capodistrias21. Les informations que nous possedons sur la societe de YHdtel Grec sont un peu plus precises. Elles nous sont fournies par Sathas22 et surtout par Philimon 23 qui les a regues de Pierre Skylitzis Homeride qui fut un de ses membres. Un capitaine hydriote mourut k Paris en 1813 et son corps fut jete par la police hors de la cite. Ceci provoqua

13 Epitomos Historia tis Hellinikis Epanastaseos, vol. 1, pp. 71-72. D’apres Phrantzis, il porta ces plans a la connaissance de C. Ypsilanti quand celui-ci s’enfuit en Russie. Ensuite, il soumit ces plans a Capodistrias qui y apporta plusieurs changenients. De son c6 t£ C. Ypsilanti montra ces memes plans a son fils Alexandre et a N. Skouphas qui jouissait de toute sa confiance. n Hadjipanou, op. cit., p. 12. Le phenix figurait sur les armes des Mavro­ cordato. in Kandiloros, op. cit., p. 63. io Les « propheties » etaient tres a la mode parmi les Grecs. 11 en existait de vdritables collections qui etaient extremement r£pandues parmi la popu­ lation. On ne connait generalement pas leurs auteurs, mais elles avaient comme but de faire de la propagande en faveur d’une grande puissance, generale­ ment de la Russie. En reality, le Bosphore sur tc Borysthene n’a rien de commun avec ces collections de propheties. 17 Epistolai, pp. 11-12. is Ces informations vagues sont extremement suspectes car nous n’avons nulle part ailleurs des informations sur une rencontre d’Alexandre Mavrocor­ dato Firaris avec N. Skouphas. i° Stourdza, L’Europe Orientate et les Maurocordato, pp. 264-266. 20 Cette information est tir£e d’un m£moire sur les causes de la revolution grecque, ecrit en 1824, qui a ete publie par Iorga (Acte si fragmente cu privire la istoria Romdnilor, vol. II, pp. 684-685). 11 s’agit vraisemblablement d’une confusion entre les Philomuses et le Phenix. 21 Ceci est manifestement incorrect, vu que Skouphas est mort a la meme epoque que Mavrocordato Firaris (1819). L’erreur a probablement eu son origine dans le desir de vouloir reunir les diverses societes secretes en une seule qui aurait simplement change de nom et de siege. -’2 Tourkokratoumeni Hellas, p. 608. 23 Helliniki Epanastasis, vol. IV, pp. m-xi. — 76 - une vive emotion parmi les Grecs et parmi ceux des Francais qui s’in- teressaient aux affaires grecques. Ils se reunirent donc et promirent de ?e rencontrer chaque dimanche dans un hotel pour echanger des infor­ mations et s’entr’aider. Le comte de Choiseul-Gouffier, ex-ambassadeur de France aupres de la Sublime Porte, eut connaissance de cette de­ cision et leur proposa d’organiser une societe ayant comme but la liberation de la Grece. Les Grecs accepterent cette idee et forinerent le lendemain une commission composee du comte de Choiseul-Gouffier, du savant G. Zalykis24, du commergant Skylitzis Homeride et des etu- diants S. Hadjimoschos et A. Tsakalof. La commission redigea les sta- tuts de la nouvelle societe qui prit le nom d'Hotel Grec. Choiseul- Gouffier fut nomine lieutenant (e’est-a-dire president), Zalykis fut nomine hotelier et le charge d’affaires de la Porte a Paris, Angelopou- los, fut nomine secretaire provisoire. Comme on l’a vu, la societe reunissait des Grecs et des etrangers. Tous les membres restaient en contact etroit par le moyen d’une cor- respondance dont trois pieces ont ete publiees par Philimon 23. Les membres de cette societe ne furent jamais plus d’une trentaine au maximum. Choiseul-Gouffier etant mort en 1817, on n’entendit plus parler de YHotel Grec. Deux de ses membres frangais, Seguier et Clermont-Tonnerre, furent les fondateurs, en 1825 du comite philhelle- nique de Paris. A. Tsakalof, en allant de Paris a Moscou en 1815, initia aux mysteres de la societe plusieurs habitants de Bucarest et a Moscou fit de meme de N. Skouphas. En fournissant ces renseigne- ments a Philimon, Skylitzis Homeride etablissait un lien entre l’He- tairie Amicale et 1 'Hotel Grec, celle-la n’etant que la continuation de celui-ci. II est certain qu’il y a des similarites frappantes entre les deux societes dans la maniere de se reconnattre, dans les lettres d’ini- tiation et meme dans les noms des differents grades. II ne faut pas cependant supposer que l’Hetairie etait simplement YHotel Grec sous un autre nom car elle est la continuatrice de YHotel Grec seulement par ces similitudes et par le fait qu’un de ses fondateurs, Tsakalof, fut aussi membre de YHotel Grec. Kandiloros20 croyait que YHotel Grec n’avait nullement pour but la liberation de la Grece. D’aprSs lui il ne s’agissait que d’une society de bienfaisance. Cette opinion parait inj ustifiee si on pense a toutes les ceremonies d’initiation, aux catalogues secrets, aux codes chiffres, toutes ces choses caracterisant les societes secretes mais pas les societes de bienfaisance. L’existence de plusieurs eminents membres

24 Celui-ci avait publie un dictionnaire grec-frangais. II etait un colla- borateur du comte de Choiseul-Gouffier dans un grand ouvrage que celui-ci comptait publier sur les Grecs. Pendant la revolution grecque il traduisit en grec moderne le Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau oeuvre qui ne fut publiee que plusieurs annees plus tard. 23 Op. cit., vol. IV, pp. iv-vi. 28 Op. cit., p. 67. — 11 — frangais n’infirme nullement cette thSorie car on a bien souvent vu combien on tenait k l’aide etrangere, celle-ci etant souvent consid£r£e comme une condition sine quo non de toute tentative revolutionnaire. De plus, il parait que cette society a eu des origines magonniques comme tant d’autres societes secretes de cette epoque. L’absence parmi ses membres de Coray peut paraitre strange a premiere vue, mais elle peut s’expliquer par son inimitie pour Zalykis dans les questions littd- raires. Toutes ces societes paraissent avoir eu certains liens entre elles, liens dont 1’origine magonnique semble, jusqu’a nouvel avis, indiscu- table. C’est un fait que les memes noms rSapparaissent constamment, bien que leur role soit parfois different. II nous est malheureusement impossible, dans 1’etat actuel de nos connaissances, de definir exacte- ment ces liens et il serait a souhaiter qu’une etude approfondie de ce sujet soit faite afin de jeter de la lumiere sur les antecedents de TH6- tairie Amicale et sur l’existence meme de toutes ces societes, ainsi que leur organisation et leur action et, surtout, la verification de nos con­ naissances actuelles, si fragmentaires. Le fait meme que la plupart des historiens n’etaient pas des membres des societes qu’ils decrivent et ne connaissaient probablement pas le symbolisme des divers actes de ces societes ou de leurs membres a eu comme resultat qu’ils ont vraisem- blablement mal interprete ces actes. Sans une etude tres approfondie du sujet, ce qui sortirait du cadre de cet ouvrage, il est impossible d’etre categorique sur ces societes et surtout sur leur role secret, revolution­ naire, dans les Balkans.

Une des conditions fondamentales pour que la regeneration de la Grece reussisse etait (’amelioration et l’extension de l’education. Des hommes aussi differents dans leurs caracteres et leurs idees que Rhigas et Capodistrias, Coray et le Patriarche Gregoire V avaient comme idee fixe que l’education et le systeme scolaire devaient etre ameiiores pour que la regeneration de la Grece soit accomplie. On a deji vu que les Cirecs etaient k un niveau culturel superieur k celui des autres peuples balkaniques et que plusieurs ecoles superieures existaient mais elles etaient numeriquement insuffisantes et des regions entieres etaient sans ecoles. La plupart d’ailleurs de celle-ci etaient des institutions tout k fait rudimentaires, les eieves n’apprenant qu’a lire et k ecrire et quel­ ques regies de grammaire. Ce qu’on appellerait aujourd’hui des ecoles secondaires etaient aussi tres rares, k peine quelques unites par province et tres inegalement dis- tribuees. Le resultat etait que les savants, les hommes de lettres, etaient peu nombreux, malgre la presence des Phanariotes qui etaient tous tres cultives et des ecclesiastiques dont certains avaient des educations fort poussees. De meme, les imprimeries faisaient presque completement de- — 78 — faut et le nombre des Iivres imprimes etait tres petit. Les imprimeries 27 ne commencerent a se multiplier qu’& la fin du xvui' siecle et an debut du xix”, surtout apres la fin de l’occupation vSnitienne des lies Ioniennes. Avant le x v n r siecle, l’Sducation etait rest£e figee dans une seche memorisation de la grammaire et de textes ecclesiastiques. La deuxieme moitie du xviiie siecle fut l’occasion d’une veritable renaissance. De nouvelles matieres furent ajoutees aux matures enseignees mais, surtout, le nombre des ecoles auginenta rapidement sous l’impulsion de l’Eglise et des Phanariotes. Cependant elles n’Staient toujours pas assez nombreuses pour suffire aux besoins toujours grandissants. En­ fin, le 11 septembre 1807, fut publiee une encyclique du Patriarche GrSgoire V exhortant le soutien des ecoles existantes et, surtout, la creation de nouvelles. La these de cette encyclique28 est que l’dduca- tion a comme resultat l’elevation de l’ame par la possibilite de l’etude approfondie de la Bible. Le Patriarche voulut donc trouver une raison religieuse pour expliquer la necessite d’ameliorer l’education; un argu­ ment dont il pourrait faire usage aupres des Turques, si ceux-ci lui cau- saient des ennuis, tandis que les arguments nationaux auraient tout aussi bien edifi£ ceux a qui s’adressait l’encyclique mais auraient pu causer de graves ennuis au Patriarche si les Turcs en prenaient con- naissance, ce qui ne pouvait pas manquer d’arriver. Toute autre etait l’attitude d’hommes comme Coray et Capodistrias. Pour obtenir Pamelioration de l’education, ils n’utilisaient nullement des arguments religieux mais indiquaient clairement que l’amelioration de 1’Sducation avait comme but 1’emancipation de la nation grecque, Eman­ cipation qui, d’apres Coray29, serait inevitable une fois la renaissance culturelle accomplie. Si Coray travailla pour l’emancipation de la nation hellenique sur­ tout au point de vue litteraire, tel ne fut pas le cas d’ et de Jean Capodistrias qui eurent aussi, surtout le deuxiSme, une carriere politique, le premier etant membre de l’Hetairie et le second ministre des affaires etrangeres de Russie. Anthimos Gazis est n£ en 1764 en Thessalie, pas loin de Velestino ou est n6 Rhigas. 11 devint ecclesiastique tres jeune et fut toujours connu pour sa soif d’approfondir ses connaissances. Son plus vif d£sir, aprSs la liberation de sa patrie, fut de fonder une grande ecole — une « Academie » comme on disait alors — au mont . D6s 1789 on le trouve k Vienne ou il eut peut-etre connaissance des projets de Rhigas. En 1806, Stant de passage a Venise, il voulut, sans succSs, fon­ der un journal litteraire. En 1811 il fonda le Mercure Savant, ayant

27 I! y eut a plusieurs reprises des imprimeries au Patriarcat, mais elles ne duraient pas longtemps, etant souvent d^truites par les Turcs. 2&rs Voi£ Ie texte de cette e"cyclique dans Kandiloros, Grigorios Pemptos pp. 97-100. ' 20 Thereianos, Korais, vol. Ill, p. 156. — 79 — regu des encouragements de la part de Coray. Ce journal litteraire eut vite une influence considerable sur la vie litteraire heI16nique de P6 poque et surtout sur les milieux grecs de Bucarest dont il regut Pap- pui constant. Bucarest avait alors comme metropolite l’ex-metropolite d’Arta Ignace30 qui protegeait et encourageait de son mieux les lettres. 11 fonda la-bas la Sociite Philologique qui eut comme president le savant boyard Gr. Brancoveanu. Tous les membres de cette society ai- d£rent Gazis tant financierement que moralement. Le comte Jean Capodistrias 31 est certainement un des plus grands liommes d’Etat de la Grece moderne. 11 eut une carriere tres vari^e dont on ne pourra examiner ici que quelques aspects. Son plus vif desir fut toujours la liberation de la Grece. II ne croyait pas, comme le faisait Coray, que la renaissance culturelle suffirait pour l’emanci- pation mais il pensait que Emancipation devrait se faire apres la re­ naissance culturelle, toute revolte pr£maturee etant vouee k un echec qui pouvait avoir des consequences d£sastreuses. Ne a Corfou en 1776, il etudia la medecine k Padoue, les lies Ioniennes n’ayant pas, sous Toccupation venitienne, des ecoles superieures ou une universite. Re- tourne a Corfou, il s’int£ressa a la fondation de plusieurs ecoles su­ perieures 32 dans chacune des lies Ioniennes. Quittant la medecine pour la politique, il fut envoye par le Gouvernement ionien comme m£dia- teur en Cephalonie oil deux villes rivales se disputaient. Mais quand, en 1807, Ali pacha de Janina se prepara a attaquer Leucade, le gou­ vernement ionien chargea Capodistrias de la defense de cette ville. Ce fut alors qu’il connut, par l’entremise de l’ex-metropolite Ignace d’Arta, les armatoloi, klephtes et Souliotes refugies. Ensuite, quand les Fran­ gais rentr^rent en possession des lies Ioniennes, Capodistrias quitta son pays et, accompagne d’Ignace d’Arta, se rendit en Russie oil il en- tra au service du Tsar. En 1811, il fut nomme attache surnumeraire k l’ambassade russe a Vienne oil il fit la connaissance de Gazis. II prit ensuite part aux negociations qui aboutirent au traite de Bucarest (1812). Cependant, peu apres, se fondait une societe litteraire pour laquelle Capodistrias allait montrer le plus vif interet. En septembre 1813 trois Atheniens fonderent, a Athenes, la societe des Philomuses33. Cette societe avait comme buts la fondation

30 11 est reste dans l’histoire comme Ignace d’Arta et c’est ainsi que nous l’appellerons malgrd les changements de dioceses. 31 Les historiens Strangers employent souvent I’orthographe Capo d’Istria qui est celle que le comte utilisa jusqu’a sa venue en Grece. A ce moment il l’a changee en celle utilisee ici qui est celle employee ordinairement par les historiens grecs. 3-- Au sujet de l’activite de Capodistrias en ce qui concerne l’education, voir Koukou, O Capodistrias kai i paideia, passim. ‘ 3 E. Protopsaltis, Nea stoicheia peri tis en Athinais « Hetaireias ton Philo- mousonf, dans Athena, vol. LXI, 1957, p. 253. Un des fondateurs etait, bien qu'Atnenien, consul britannique a Athenes. Les visites de voyageurs an- glais a Athenes etaient tres frequentes a l’epoque. Citons, entre autres, celles faites par et Lord Elgin, puis celle faite par la princesse de Galles. — 80 — d’ecoles superieures, la collection et la conservation des antiquites dans des musees, la pratique de fouilles archeologiques, l’octroi de bourses a des jeunes gens pauvres mais intelligents pour aller etudier en Europe, l’aide aux voyageurs etrangers qui visitaient la Grece34. Cette societe fut, en majeure partie, le resultat de l’initiative anglaise, la Grande- Bretagne etant maitresse alors d’une grande partie des lies Ioniennes commengait une vaste campagne pour ravir aux Frangais et aux Russes une partie de l’influence que ces puissances exercaient depuis des siecles dans l’Empire Ottoman. Les Anglais vivant en Orient de- vinrent tous des membres de la societe, qui compta meme parmi ses membres la princesse de Galles. Frederick North, futur Lord Guilford, qui fut ensuite le fondateur de l’Academie Ionienne, fut eiu president de la societe en 1814. Celle-ci demeura active jusqu’en 1826. La societe des Philomuses prit une extension beaucoup plus grande a Poccasion du Congres de Vienne. Capodistrias, qui participait aux travaux de ce Congres, avait appris de Gazis que celui-ci voulait fon­ der une Academie au mont Peiion. Voyant d’autre part que c’etait une occasion unique pour rappeler aux monarques europeens l’existence des Grecs, il fonda a Vienne sous les auspices d’Ignace d’Arta, une « succursale », si on peut 1’appeler ainsi, de la societe des Philomuses, ayant comme but la fondation d’une Academie a Athenes et de l’Aca­ demie du Peiion. Tous les souverains reunis & Vienne, ainsi que les hommes d’Etat qui les accompagnaient, donnSrent genereusement des sommes a cette societe et ainsi Capodistrias reussit dans son projet. Mais Metternich eut le soupgon, appareinment injustifie, que sous les buts en apparence si legaux de cette societe se cachaient des projets r£volutionnaires ; il fit donc dissoudre la societe de Vienne qui se trans­ porta a Munich. Le soupgon de Metternich fut ensuite partage par bien d’autres personnes quand l’existence de 1’Hetairie Amicale fut connue. La Societe des Philomuses et l’Hetairie furent confondues en une seule et cette faute fut meme repetee par plusieurs ecrivains, dont Pouque­ ville35 ne fut ni le dernier ni le moindre. Soutenu de cette maniere par les societes et par les individus, le mouvement educatif et litteraire prit une telle importance, qu’il com-

34 Article IV de la charte de la societe. 35 Dans son Histoire de la Regeneration de la Grece (vol. 1, pp. 479- 480) il ecrit : « Les Grecs ... portaient leurs regards vers le congres reuni a Vienne... Et pour la premiere fois, on entendit articuler en Epire le nom de societe des Hetairistes ou amis. Ses statuts, si Ton croit les Grecs, avaient ete rediges a Vienne sous les auspices d’un grand monarque ; plusieurs rois de la Sainte Alliance y avaient adhere en fournissant des sommes consi­ derables ; sa caisse etait a Munich. Elle avait pour but de repandre narmi les Chretiens de l’Orient les dons de la societe biblique, destines nar la propagation de l’Evangile a reunir tous les enfants de la redemption sous le signe auguste de la Croix. » Tout ceci est contraire aux faits tels aue nous les connaissons. Non seulement les deux societes etaient confondues mais on y pergoit de vagues traces de l’encyclique predtee de Gregoire v! De plus, peut-on s’imaginer que les signataires de la Sainte Alliance pou- vaient vraiment fonder ou adherer a une societe revolutionnaire ? — 81 —

menga a influencer les autres peuples balkaniques. Pendant le xvni' siecle 1’influence grecque dans la litterature serbe est nettement visible, representee par des savants comme V. Rakitch, Ch. Zefarovitch et sur­ tout, D. Obradovitch. De nombreuses ceuvres littdraires et scientifiques grecques furent traduites en serbe tandis que les journaux grecs et serbes etaient imprimes sur les memes presses et des journalistes grecs essayerent de fonder un journal en langue serbe. Cette influence fut beaucoup plus forte en Bulgarie ou existaient seulement des ecoles grecques. Cependant, « il ne faut pas supposer que les Bulgares oublierent leur nationality dans les ecoles grecques et se greciserent. Ils retournerent au pays avec une conscience nationale fortifiee et avec un vif d£sir de travailler au reveil de leur nation et de s’opposer a tout ce qui arreterait leur renaissance culturelle. Les legons dans les ecoles grecques se faisaient en grec, mais les matieres de (’education elargissaient les horizons spirituels des Bulgares et les fai­ saient s’int£resser & une education plus elevee » 30. Le metropolite de Tirnovo, Hilarion, joua un role de tout premier ordre dans la fondation de la premiere ecole bulgare en 1836 et aida de plusieurs manieres la renaissance culturelle de ce peuple 37. Dans les Principautes enfin, l’influence exercee par les Academies princieres de Jassy et de Bucarest ne peut etre sous-estimee, vu que ces Academies recevaient aussi des eleves roumains. L’influence du metropolite de Hongrovalachie, Ignace d’Arta, fut tellement puissante que quand celui-ci se retira k Pise on accorda des bourses k des Rou­ mains pour aller etudier a Pise. Ce qui est encore plus important, c’est que les oeuvres scientifiques, philosophiques ou autres, qui etaient traduites en roumain, etaient traduites tres souvent non suivant le texte original mais suivant le texte de la traduction grecque. Depuis la Revolution frangaise, et meme avant celle-ci, la plupart des ceuvres grecques tant scientifiques que litteraires, avaient un carac- tere nettement revolutionnaire qui exerga une puissante influence sur les peuples balkaniques. De ce point de vue, le mouvement litteraire revolutionnaire ainsi que les diverses societes secretes eurent comme consequence le reveil du nationalisme des peuples balkaniques. Ceci amena l’affaiblissement du sentiment d’union balkanique, supra-na- tional, d’origine plutot religieuse, qui existait auparavant. II n’est plus question maintenant de former un seul Etat balkanique; tout au plus peut-on parler d’une cooperation des nations balkaniques dans leur lutte pour l’ind£pendance. Un tournant decisif a ete franchi.

30 B. Penev dans son histoire de la litterature bulgare moderne, cite par D petropoulos, Pneumatikai scheseis Hellinon kai Voulgaron ton XIX aiona, 17 P' 37 11 a ete accuse (C. Jirecek, Geschichte der Bulgaren, pp. 514-515) ,, voir fait brfller la bibliotheque des anciens patriarch,es bulgares de Tir- vo Ceci est faux ; ce fut la proclamation revolutionnaire de Rhigas qui y f°t bruise, par ordre du Patriarcat de Constantinople. Chapitre VII

LA FONDATION DE L'HETAIRIE AMICALE

Tandis que toutes les informations concernant les societes secretes citees dans Ie chapitre precedent sont tres vagues et tres fragmentaires, on est assez bien informe en ce qui concerne l’HEtairie Amicale fondee en 1814 a Odessa, peu avant l’ouverture du Congres de Vienne. Les raisons de cette difference sont le fait que cette Hetairie a eu une grande activite qui dura pendant des annees, que le nombre de ses membres etait indiscutablement plus eleve que eelui des adherents des autres societes, qu’une grande partie des archives de la societe a ete conservee et le fait qu’apres la guerre de l’independance hellenique quelques-uns des chefs de l’Hetairie se sont disputes sur l’importance du role joue par chacun d’eux, publiant des memoires et des documents pour soutenir leur these. Tous ces facteurs ont eu pour resultat que l’on connait assez bien I’ceuvre de l’Hetairie et cependant les erreurs les plus grossieres ont ete faites sur son compte, surtout en ce qui con­ cerne son origine et son role precis dans la preparation de la revolution «recque. On a deja signale au chapitre precedent diverses theories au sujet des rapports plus ou moins complexes de l’H6 tairie avec les so­ cietes secretes preexistantes ; son role a ete minimise par des ecri- vains aussi differents dans leurs points de vue que Pouqueville et Finlay, le premier ne la mentionnant que rarement et le second n’£met- tant que des appreciations ironiques & son sujet. Les fondateurs de l’Hetairie furent trois coinniergants, Nicolas Skouphas, Emmanuel Xanthos et Athanase Tsakalof. Tous trois avaient d6ja ete membres de societes secretes, Skouphas ayant probablement et£ membre du PMnix, Xanthos ayant ete franc-magon et Tsakalof membre de YHotel Grec et, peut-etre, franc-magon. Dans l’organi- sation de l’Hetairie on peut donc discerner l’influence des societes se­ cretes de la franc-magonnerie bien que l’influence de cette derniere ait ete beaucoup moins forte qu’on ne l’a suppose x, malgre le fait que la plupart des membres eminents de l’Hetairie aient ete des francs-magons.

i Le prince Nicolas Ypsilanti, dans ses Memoires publies par Kambouroglou (p. 5), afiirme categoriquement que l’Hetairie ne suivit nullement les lois des francs-ma?ons ou celles des Carbonari mais fut organisee suivant le systeme du Christ et propagee par le systeme apostolique. N. Ypsilanti etait lui-mSme un franc-magon. — 84 —

On pourrait peut-etre discerner des traces de cette influence dans les ceremonies d’initiation aux divers grades. Le but des trois fondateurs etait « de reunir dans une societe se­ crete tous les compatriotes selects et braves pour accomplir seuls ce qu’ils avaient attendu si longtemps de la charite des Rois Chretiens » Ainsi, au debut, l’Hetairie fut une societe exclusivement grecque, sans visees plus generates. Ce ne fut que plus tard qu’elle prit un role et une importance balkanique. D ’autre part, le mot « seuls » semble ex- clure toute intervention fetrangere et il faut bien dire que l’Hetairie fut toujours tres vague en parlant d’une aide etrangere et que si de nom­ breux hetairistes s’attendaient a une intervention russe, ils prenaient simplement leurs desirs pour des realites, influences comme ils I’etaient par la propagande russe, sans que l’Hetairie elle-meme y soit pour quelque chose. Pour atteindre ces buts, les Hetairistes voulurent compter parmi leurs membres des representants de toutes les classes sociales. On commencerait par initier les commergants qui fourniraient les fonds necessaires pour mener a bien l’entreprise, puis les marins et surtout les capitaines de vaisseaux, puis les prelats et les primats dont le con- cours serait tres utile a cause de leur influence sur le peuple. L’organisation et la structure de l’Hetairie avaient et£ adoptees par Skouphas et Tsakalof (Xanthos etant absent) durant le Congres de Vienne. Ils avaient pr£vu quatre grades : les frires de sang3 et les recommandes, les pretres4, les pasteurs et les chefs supremes ou Arche. 1) Les freres de sang formaient le grade inferieur. Seuls les analphabetes avaient le droit d’acceder a ce rang et les ceremonies d’initiation etaient tres simples. 2) Les recommandes faisaient egalement partie du rang inferieur. Ils devaient savoir lire et ecrire. On les appelaient recommandes parce que, lors de leur initiation, ils devaient donner & celui qui les initiait une lettre de recommandation. Leur initiation comportait, entre autres, un interrogatoire et une prestation de serment. Ni les freres de sang ni les recommandes ne connaissaient les noms des personnes appartenant aux rangs sup£rieurs. Ils ignoraient aussi les buts revolutionnaires de l’Hetairie car on leur revelait seulement que la societe travaillait pour promouvoir le bonheur de la nation. Les freres de sang et les recommandes ignoraient mutuellement leur existence reciproque 5. 3) Les pretres etaient les seuls qui avaient le droit d’initier qui- conque au rang de jrere de sang, de recommande ou meme de

2 Xanthos, Apomnimonevmata peri tis Philikis Hefairias, p. 5 . s 11 ne faut pas confondre ces freres de sang avec les freres de sang ordinaires dont on a deja parl6 ailleurs. Naturellement, les pretres n’etaient pas n£cessairement des ecclesiastiques. s Kandiloros, Philiki Hetairia, p. 98. — 85 —

pritre. L’initiation au rang de pretre etait plus complexe que les pr£c6dentes. Elle comportait une interrogation, la prestation de plu­ sieurs serments et des ceremonies symboliques. On ne retrouve rien qui ressemblerait aux Spreuves subies par les francs-magons k certains stages de leur initiation. Une fois regu comme pretre, l’initie subis- sait un deuxieme interrogatoire, apprenait Ie code secret de l’Hetairie et puis ecrivait une lettre dite de dedication qui etait destinde k PArche. II recevait ensuite du pretre qui 1’avait initie une lettre dite de superiority qui etait une simple attestation du fait que Pinitie etait effectivement un pretre 6. 4) Les pasteurs se distinguaient des pritres par une initiation encore plus solennelle. Ils avaient aussi le droit d’initier. Ils devaient jurer de ne permettre k aucun ivrogne, joueur, avare ou personne aux mceurs dissolues d’entrer dans PHetairie. Pour devenir un pas- teur il n’etait pas nScessaire de passer par le grade de pritre, car on pouvait y accSder directement du grade de recommande 7. 5) Au-dessus de tous il y avait VArche, P Autorite Supreme. Per­ sonne ne connaissait Pidentite de ses membres ni leur nombre (sauf, bien entendu, les membres de 1’Arche eux-mgmes). II n’y eut jamais de reunion pl6ni6re de ses membres. L’Arche n’indiqua jamais son siege et, en general, se maintint toujours dans le secret le plus absolu. Le resultat fut que les Hetairistes faisaient k son sujet les hypotheses les plus saugrenues, arrivant parfois k croire que le Tsar Alexandre I" etait le veritable chef de l’Hetairie. La raison pour laquelle PArche gardait si jalousement son secret etait que ses membres ne possedaient nullement {’influence necessaire pour imposer leurs volontes aux He­ tairistes si ceux-ci avaient su qui etaient les membres de 1’Arche. En plus, la securite des membres de ce conseil etait accrue. Les devoirs des Hetairistes etaient d’obeir aveugiement k PArche et k tous leurs superieurs. Ils devaient naturellement garder Ie secret le plus absolu sur PHetairie. II leur etait interdit de se reunir et de se concerter. En ceci ils differaient des francs-magons. Cette disposi­ tion avait pour but de prevoir les rivalites personnelles entre Hetai­ ristes. II n’existait pas de caisse et les fonds pergus passaient des inities aux initiants et de ceux-ci k leurs propres initiateurs, et ainsi de suite, jusqu’a ce qu’ils arrivent a PArche. Cette disposition avait le grave inconvenient de permettre des detournements de fonds, ce qui necessita plus tard une revision complete du systeme financier.

« Entre autres, Ie futur pritre devait jurer qu’il n’appartenait a aucune autre societe secrete. II est vraisemblable que ceci n’etait pas observe pour les francs-magons. 7 Les Archives de la Bibliothfeque Nationale de Grfece a Athenes contien- nent plusieurs exemplaires de toutes les diferentes lettres mentionnees ici ainsi que d’autres documents r6v61ant les signes de reconnaissance des divers grades, le texte des serments prStes ainsi que les ceremonies d’initiations. — 86 —

Une fois l’Hetairie fondee Skouphas fut son principal animateur, Tsakalof et Xanthos restant plus ou moins inactifs. Des l’automne de 1814 Skouphas s’adressa a des commergants grecs de Moscou mais n’eut aucun succes, ce qui est du en grande partie au fait qu’il avait fait faillite et ainsi n’inspirait pas confiance aux commergants qui le prenaient pour un escroc. Tres degu par ce premier echec, Skouphas voulut entrer en contact avec les intellectuels qui pourraient ensuite, esperait-il, convaincre et initier les commergants. Le premier initie fut done G. Sekeris, etudiant a Paris, dont deux freres etaient parmi les plus influents commergants de l’epoque. Sekeris fut charge d’entrer en relations avec Gazis et Coray. Le jeune homme ne put donner aux deux savants que tellement peu d’informations sur l’Hetairie qu’ils res- terent indifferents. Malgre ce nouvel echec, Skouphas put initier les commergants Comizopoulos8 et A. Sekeris, ainsi qu’Anagnostopoulos qui, tous, devaient ensuite devenir membres de l’Arche. II attendait impatiemment Gazis qui etait parti de Vienne pour aller fonder son Academie du Pelion. Pour lui l’initiation de Gazis etait l’evenement qui lui ouvrirait la porte vers l’initiation en masse des commergants. Mais Gazis tardait a venir car il devait s’occuper des problemes pratiques que posait la fondation de son Academie. Enfin, en juin 1816, il arriva a Odessa. Mais quand Skouphas voulut lui parler de l’Hetairie Gazis declara qu’il n’etait pas d’accord avec lui, sans toutefois desap- prouver tout a fait son initiative °. Gazis refusa de devenir membre de l’Arche mais accepta de correspondre avec elle 10. Meme cette demi- adhesion fut un grand bien pour l’Hetairie. Ce fut a la meme epoque qu’arriva a Odessa un jeune noble Itha- cien nomme Nicolas Galatis qui se pretendait parent de Capodistrias qu’il devait rencontrer. Capodistrias membre de l’Hetairie aurait ete un bienfait incalculable pour celle-ci, tel etait son prestige parmi les Grecs. Skouphas initia done Galatis et lui promit de le faire membre de l’Arche s’il reussissait a initier Capodistrias. Le jeune homme pro­ mit avec enthousiasme de le faire. 11 envoya done une lettre a Capo­ distrias en lui disant qu’il avait des choses tres importantes a lui reveler. Capodistrias l’invita done, sur l’ordre expres du Tsar, a aller a Saint-Petersbourg. En passant par Moscou Galatis initia A. Mavro­ cordato Firaris et plusieurs grands negociantsn . 11 arriva enfin a Saint-Petersbourg oil il fit la connaissance de l’ancien compagnon de Rhigas Ch. Perraivos. Ensuite il se presenta a Capodistrias, lui revela

8 Celui-ci devint immediatement membre de l’Arche. Skouphas ne lui rev^H pas le petit nombre d’initiations accomplies jusqu’alors, pretendant au ron traire que les inities etaient nombreux, tactique qui sera ensuite suvie par Galatis. o Philimon, Philiki Hetairia, p. 186. 10 Kandiloros, Philiki Hetairia, p. 121. 11 Ce succes, si different de l’insucces de Skouphas, doit etre exnlimie nar le fait que Galatis ne permettait a personne cl’ignorer sa soi-disant parente avec Capodistrias et s’etait aussi affubie du titre de comte auciuel il n’avnit aucun droit. M — 87 —

1’existence d’une societe ayant comme but la liberation de la Gr£ce et lui offrit de devenir chef de ladite societe. Capodistrias refusa nettement d’entendre parler de societe secrete et fut tellement vex6 par les revelations de Galatis qu’il en tomba malade 12. Les causes de cette colere sont assez claires. Capodistrias consi- derait toute tentative de r6voIte a cette epoque comme un veritable suicide national. 11 ne voulait donc pas s’associer a une societe secrete ayant de tels buts, vu d’ailleurs qu’il partageait pleinement l’antipathie des hommes d’Etat de son epoque envers toutes ces societes secretes. En plus, il craignait que toute liaison avec l’Hetairie ne lui permettrait plus de s’occuper de la societe des Philomuses qui aurait ete gravement compromise. Nullement deconcerte par le refus de Capodistrias, Galatis resta a Saint-Petersbourg ou il fit de nombreuses initiations a tort et a travers et commit aussi de nombreuses indiscretions. Le resultat fut qu’on Ie jeta en prison. Rel£che ensuite par l’entremise de Capodistrias qui craignait les suites desastreuses que pouvait avoir pour les Grecs la connaissance par la Turquie de 1 existence de l’H6tairie, Galatis fut conduit hors de Russie. II regut l’ordre de s’installer k Jassy ou il serait maintenu sous observation par le consul de Russie. Avec l’installation de Galatis dans les Principautes une nouvelle pdriode commence pour l’Hetairie car, jusqu’alors, personne dans l’Empire Ot­ toman n’avait ete initie, si Ton excepte Xanthos et Gazis. Cependant, par le simple fait que les futurs nouveaux inities proviendraient des Principautes, un element nouveau etait apporte aux desseins de l’He- lairie. Les premieres bases dans la transformation de l’HEtairie d’une societe k base et a interets purement helieniques en une societe k inte­ rets balkaniques etaient jetees. Toutes les donnEes se trouvaient bou- leversees par ce simple fait et tout le probl£me devait etre repr'is suivant les donnees nouvelles. Malheureusement les chefs n’eurent pas connaissance du nouvel etat de choses. De son cote, Galatis, suivant son habitude, commenga a faire des initiations sans faire attention a la qualite morale des per­ sonnes qu’il initiait. II eut cependant la chance d’initier deux hommes dont le concours serait precieux pour I’H6tairie : le dragoman du con- sulat russe de Jassy G. Leventis et le grand comis 13 du prince de Mol- davie Scarlate Callimachi, Th. Negris. Tous deux etaient des hommes de grande valeur, connus pour leur patriotisme. C’est Leventis 14 qui eut l’idee de faire simultanement avec la revo­ lution en Grece une revolution en Serbie et d’essayer d’entrer en rela­

i2 Capodistrias raconta toute cette affaire avec beaucoup de details dans son autobiographic. is C’est-a-dire secretaire general. 14 Lascaris (Hellines kai Servoi kata tous apeleutherotikous auton agonas, p. 65) consid£re que probablement l’idee de faire de Karageorges un hetairiste fut de Galatis et pas de Leventis, un tel projet etant tout a fait conforme au caractere de Galatis. — 8 8 —

tions avec Karageorges15 qui dtait toujours r£fugi6 en Bessarabie. Karageorges desirait toujours voir sa patrie libre et indfipendante et il etait restd en contact avec les Serbes ie, surtout avec ceux qui Staient mecontents du gouvernement autoritaire de Miloch Obrenovitch. De ces mecontents le plus important £tait le cneze Vouitcha Voulitchevitch qui correspondait fr6quemment avec Karageorges par l’entremise de Geor­ ges Olympios qui, etant sujet russe, pouvait voyager k travers les Principautes sans 6veiller trop de soupgons. II £veilla cependant ceux de l’hospodar de Valachie, Jean Karadja, qui pria le consul russe de Jassy de Penvoyer en Bessarabie et de ne plus permettre l’entrde en Valachie d’Olympios. A Jassy, celui-ci fit la connaissance de Leven- tis 17 et lui expliqua toute l’affaire en lui avouant qu’il transportait la correspondance entre Karageorges et Voulitchevitch. Olympios expli­ qua l’inimiti£ de l’hospodar a son egard par son d£sir d’etre agr£able k la Porte en l’informant qu’il avait fait avorter une revolution serbe, tout en menageant la Russie dont Olympios £tait un ressortissant. Le- ventis 1’envoya en Bessarabie tout en £crivant k Skouphas pour l’infor- mer des grandes possibility offertes k l’H6tairie par cette d6couverte. Skouphas, qui aimait les initiatives hardies, donna carte blanche k Leventis. Celui-ci initia Olympios comme membre de l’H6tairie et lui assigna les negotiations avec le chef serbe. Karageorges d&sirait retour­ ner en Serbie ; il n’etait pas du tout content de voir Miloch Obreno­ vitch occuper sa place comme chef des Serbes ; il se mGprenait sur les veritables sentiments d’Obrenovitch18 k son Ggard ; il avait pro-

15 II entra aussi en pourparlers secrets avec le chef Bulgare Hadjitnichaii et le trouva pret a se r£volter. Le cadre balkanique prenait toute son ampleur. 16 Apres !a retraite de la politique de Constantin Ypsilanti, les Serbes continuerent avec tant de bonheur leur guerre contre les Turcs qu’en 1812 tout le pachalik de Belgrade etait libre. Mais, devant la menace napol£onienne, la Russie dut faire la paix avec la Turquie. Par le traits de Bucarest la Porte accordait une amnistie aux Serbes et « promit que leur tranquillity ne pourra etre troublee a cause des ev£nements passes ... La Porte accorde aux Serbes les memes avantages que ceux dont jouissaient ses sujets des iles de l’Archipel ... elle leur laisse ... le soin de 1’administration interieure du pays en recevant immediatement d’eux le montant des impots models qu’elle lfcvera sur eux.» (Article 7). Malheureusement les Serbes voulurent tergiverser au lieu de n£gocier avec les Turcs sur l’application de cet article ambigu et les Turcs voulurent resou- dre 1’affaire par les armes. En 1813 l’armee turque envahit la Serbie et en deux mois ecrasa toute resistance. Karageorges s’enfuit en Autriche et de la s’etablit en Bessarabie. En 1815 les Serbes se r£volt£rent de nouveau sous la direction cette fois de Miloch Obrenovitch. Celui-ci parvint a negocier avec les Turcs un modus vivendi qui le Iaissa mattre de la Serbie. Cet accord fut oral et la situation resta toujours trfcs delicate. 17 La seule source pour les relations de Karageorges avec 1’Hetairie est l’autobiographie de Leventis. Non termin6e a sa mort, elle fut Dubliee Dar sa fille dans le journal grec Clio de Trieste le 30 juillet/11 aofit et le 6/18 aofit 1865. Auparavant Philimon avait utilise Ie manuscrit rian

bablement des remords a cause de la facilite avec laquelle il abandonna la lutte en 1813 19. Tous ces facteurs eurent comme resultat que Kara­ georges fut assez vite persuade de coop6rer avec les hetairistes qui devaient le protEger pendant son passage par la Moldavie et lui four­ nir l’argent n6cessaire pour soudoyer les garde-frontieres. Enfin, en mai 1817, Karageorges passa le Pruth et rencontra <1 plusieurs reprises Leventis, Galatis et Olympios dans une propriete pres de Jassy appartenant aux Ypsilanti. Lk, Karageorges et son secre­ taire furent initiis comme membres de 1’Hetairie et le chef serbe jura une amitie eternelle et sincere pour la Grece et haine eternelle k l’enne- mi commun. II eut ensuite des conversations avec Leventis auquel il promit qu’une fois arrive au pouvoir il donnerait de nombreux exem- ples de sa Ioyaute envers l’Hetairie et ses buts. Pour assurer le secret de leurs conversations, Leventis prit des mesures tellement strictes que malgre le fait que plusieurs Serbes rencontrerent alors Kara­ georges, le gouvernement moldave ne se douta de rien. Les plans dresses pendant ces conversations prevoyaient que Kara­ georges s’emparerait du pouvoir en Serbie ; que si les Turcs lui con- feraient le principat il 1’accepterait; qu’il creerait des ecoles et des fabriques de munitions tout en faisant semblant d’etre fiddle a la Porte ; qu’il resterait en contact etroit avec l’Hetairie pendant la pre­ paration de la revolte generale ; que la revolte commencerait simulta- nement en Moree et en Serbie ; que Karageorges se chargerait des negociations avec les Bulgares (et surtout avec Hadjimichali) afin qu’ils se revoltent aussi ; que si la Porte lui faisait la guerre, alors la Grece et la Bulgarie se souieveraient plus t6t que prevu. En ce qui concerne les moyens pour arriver en Serbie, il fut decide qu’un hetairiste rece- vrait un passeport pour aller dans une certaine ville d’eau en Hongrie prfis de la frontiere serbe, emmenant avec lui comme domestiques Karageorges et son secretaire Naoum. Olympios les accompagnerait pendant une partie du trajet. Ces plans avaient un point terriblement faible : la prise du pou­ voir par Karageorges. II parait que personne n’avait pens6 que la reac­ tion normale de Miloch serait de traiter Karageorges comme un ennemi et un rival dangereux. La base de la politique de Miloch Obrenovitch etait de paraitre aux yeux des Turcs comme un simple raya fideie, ce qui ne lui interdisait pas, d’ailleurs, d’augmenter le plus possible son pouvoir reel, imitant en ceci les pachas turcs. Or le retour de Kara­ georges, devant lequel les Turcs tremblaient, ne pouvait que lui causer des ennuis et avec les Serbes au sujet de savoir qui exercerait le pouvoir et avec les Turcs qui exigeraient probablement qu’on leur livrfit Karageorges. A part ce point, le reste est logique et executable si l’on ne brusquait pas les choses. 11 etait particulierement astucieux de vou- loir entrer en relations avec les Bulgares par l’entremise de Kara-

i» Ibid., p. 348. — 90 — georges qui avait une influence nettement plus grande parmi eux que n’importe quel autre hetairiste. Passe en sQrete par les territoires hongrois, Karageorges arriva enfin en Serbie ou il fut l’hote de Voulitchevitch. II declara a son ami qu’il venait, d’apres les instructions de la Russie, commencer une nou­ velle revolution qui aurait comme consequence la venue d’une grande armee russe, pour les aider. II pria ensuite Voulitchevitch de mettre Obrenovitch au courant de tout ce qui se preparait et de l’inviter a venir discuter avec lui sur la maniere d’executer ces plans. Voulitchevitch fit ce que lui demandait Karageorges. Malheureusement, Obrenovitch ne crut pas que c’etait la Russie qui avait envoye Karageorges 20 ; de plus, la police autrichienne avait informe le pacha de Belgrade de l’arrivee de Karageorges en Serbie et celui-ci demandait k Obrenovitch de lui apporter sa tete. Pousse par le desir de ne pas se compromettre en rompant ses bonnes relations avec les Turcs, ce qui pouvait etre dangereux, il forga Voulitchevitch de tuer Karageorges pendant la nuit du 12 au 13 juin 1817. Sa tete fut ensuite envoyee au Sultan. Avec la mort de Karageorges toute l’idee de la cooperation grdco- serbe s’effondrait. L’idee de la cooperation balkanique subissait une grande d£faite. II fallait maintenant tout recommencer sans avoir les memes avantages qu’auparavant. Mais l’idee de la cooperation greco- serbe etait tellement bien ancree maintenant dans les esprits des hetai­ ristes des Principautes qu’ils ne voulaient pas cesser leurs efforts en sa faveur. Malheureusement pour eux, ils avaient & faire maintenant avec un homme auquel les aventures revolutionnaires deplaisaient sou- verainement et auquel ils n’etaient unis par aucun lien d’amitie. Le resultat de leurs efforts sera examine dans un chapitre suivant. Pour Skouphas la mort de Karageorges fut un coup dur. Rien n’al- lait & son idee. Capodistrias avait dcrit aux Grecs les plus hauts places de Russie en leur disant de faire attention et de ne pas se laisser attirer dans une societe secrete dont les buts ne pouvaient que causer des malheurs a la nation. Les Russes connaissaient les nonis des mem­ bres de l’Arche21 qui ainsi n’etaient plus en surete. Dans les Princi­ pautes les hospodars etaient contre toute tentative revolutionnaire. II fallait done changer de siege ; s’etablir quelque part dans 1’Empire Ottoman, de preference en Grece, et commencer 1^-bas des initiations systematiques. Tsakalof, beaucoup plus prudent que le bouillant Skou­ phas, proposa de se rendre en Grece mais de ne pas commencer imme­ diatement les initiations22. D ’abord on devrait faire une enquete sur les possibilites de faire une insurrection. Si les possibilites n’etaient

20 il avait raison. La Russie n’avait pas la moindre idee de ce qui se passait (Philimon, op. cit., vol. I, p. 9). Est-ce que Leventis lui avait permis de croire qu’il aurait effectivement Paide de la Russie, ou etait-ce une simple ruse de Karageorges lui-mSme ? 21 Kandiloros, op. cit., p. 156. 22 Xanthos, Apologie, f. 16. — 91 —

pas assez grandes, alors PHetairie devrait abandonner ses projets et se dissoudre. Skouphas conseilla a Tsakalof de se rendre & Constan­ tinople et de mettre Xanthos au courant de ses idEes tandis que lui- meme prEparerait ses propres plans. D ’apres lui, la meilleure methode pour etendre le nombre d’initia- tions a travers chaque province de l’Empire Ottoman Etait d’initier a l’HEtairie quelques hommes tres connus qui prendraient la responsa- bilite des initiations dans chaque province. Tel fut le dEbut de ce que Nicolas Ypsilanti a appelE tres justement le « systEme apostolique» en le comparant logiquement a la maniere dont fut propagee la reli­ gion chretienne. Les apdtres dont le concours serait extremement important etaient les suivants : Georges Olympios pour la Serbie, ayant combattu autrefois avec les Serbes lors de leur revolte de 1804 ; Demetrius Vati- kiotis pour la Bulgarie 2:!, ayant la possibilite d’avoir l’aide de 14 mille Bulgares dont les chefs avaient ete inities par lui ; il serait naturelle­ ment aide par Hadjimichali ; Leventis et Negris, Gatsos et Pentedekas etaient justement ce qu’il fallait pour les Principautes ; Jean Pharma- kis, ancien coinpagnon de Blachavas, grand ennemi d’AIi pacha de Janina24, pourrait entrer en relations avec les armatoloi et klephtes de POlympe et d’une partie de la Macedoine et de l’Epire. Le siege de l’Hetairie serait fixe au Peiion25 qui Etait considErE comme un endroit sur. Pendant que Skouphas faisait ses preparatifs pour quitter Odessa qui devenait maintenant un endroit dangereux pour lui a cause d’une visite prochaine du Tsar Alexandre Ier, arriverent a Odessa trois hommes : deux Maniates noinmes Chrysospathis et DEmE- tropoulos et le fameux klephte . Les deux premiers se­ raient utiles pour l’initiation du Magne, quant au troisiEme, il serait trEs utile pour Pinitiation de ses confrEres rEfugiEs alors aux lies Ionien- nes & cause des persEcutions dont ils Etaient victimes de la part d’AIi pacha de Janina et de son fils Veli pacha de MorEe. Tous trois furent done initiEs vers la fin de 1817. Les Maniates promirent d’initier le nouveau bey du Magne, Pierre Mavromichalis 20, et les chefs des famil­ ies les plus importantes du Magne. Quant a Anagnostaras, il promit d’initier le chef des armatoloi et klephtes rEfugies aux lies Ioniennes, Th. Colocotronis, et les principaux parmi les armatoloi et klephtes se trouvant aux lies. De plus, a la meme epoque, fut initiE un certain l.ouriotis qui, d’apres les plans de Skouphas, Etait destinE a l’ltalie27, ou il avait un frere.

23 Philimon, Philiki Hetairia, p. 186. 24 On n’avait pas encore eu 1’idEe de se servir d’AIi pacha dans une even- tuelle rEvolte. 2® Xanthos, Apologie, f. 13. 2<5 AppelE Petrobey suivant l’usage de l’epoque. 27 II ne s’agissait pas de soulever les Italiens mais d’initier les Grecs d’ltalie dont plusieurs etaient fort influents et d’autres des militaires au service du royaume de Naples. Puis il y avait aussi l’espoir de nouer des liens avec les « Carbonari » italiens. — 92 —

Tandis qu’& Odessa les plans de Skouphas se precisaient, a Jassy Galatis devenait de plus en plus irr£flechi et leger dans ses activites. Ayant fouette un jour un cortege de mariage, il fut expulse de Al- davie et dut s’installer a Bucarest. Ses papiers tomberent aux mains de l’hospodar Scarlate Callimachi mais furent heureusement brules avant que l’hospodar en ait eu connaissance. Enfin, en mars 1818, Skouphas quitta Odessa pour Constantinople oil il habita chez Xanthos. Tsakalof etait alle au Peiion pour s’enten- dre avec Gazis au sujet de l’etablissement la-bas du siege de I’Hetai- rie, mais Gazis lui indiqua comme endroit beaucoup plus approprie le Magne oil cependant, personne encore n’avait ete initie, Chrysospa- this et D 6m£tropouIos etant encore ci Moscou avec Anagnostaras 2H. A cette epoque Skouphas tomba malade et ne put partir pour la Moree. Les initiations cependant continuerent et une des plus importantes fut celle de l’archimandrite Gregoire Dikaios, dit , qui devait rendre k l’Hetairie les plus grands services. Ce fut pendant cette maladie qui devait lui etre mortelle que Skou­ phas avec Xanthos mit au point le systeme apostolique. Pour des rai­ sons dont le symbolisme est facile k deviner les apdtres furent au nombre de douze : Olympios, pour la Serbie ; Vatikiotis, pour la Bul­ garie ; Pentedekas, pour les Principautes ; Louriotis, pour l’ltalie oil il devait rencontrer Ignace d’Arta ; Anagnostaras pour les ties de la mer Egee et celles de la mer lonienne ; Chrysospathis, pour le Magne et la Messenie ; Pharmakis, pour la Thrace et la Macedoine ; Crokidas (envoy£ d’Ali pacha aupres de la Porte), pour 1’Epire ; Pelopidas, pour la Moree en general ; Hypatros, pour I’Egypte ; Catacazis, pour la Russie ; Camarinos, pour initier . Les quatre derniers n’avaient pas encore ete inities quand le catalogue fut pre­ pare ; ils le furent done en toute hate et la grande tournee de pro- pagande commenga. Plusieurs Hydriotes furent initios et ceci fut un grand pas en avant de l’Hetairie qui commengait ainsi a s’etendre rationellement en Grece. Peu apr£s (fin juillet 1817), Skouphas mourut. Pendant les quatre premieres annees de l’existence de l’H6tairie ce fut Skouphas qui sup- porta la plus grande partie des charges de l’Arche. Enthousiaste et optimiste, il avait eu a lutter contre une malchance continue et il eut la force morale necessaire pour perseverer dans son oeuvre malgre tant de difficultes qui auraient decourage la plupart des homines. Ce ne fut que grace a son optimisme et a sa perseverance que l’Hetairie put survivre aux difficultes de ses premieres annees.

28 Ils allerent ensuite a Odessa pour presenter une requete au Tsar. Lk Anagnostaras connut Capodistrias et, croyant avoir devant lui le chef de l’Hetairie, il lui fit les signes secrets de reconnaissance auxquels Capodistrias repondit de la meme fa?on, connaissant les signes depuis l’epoque de sa rencontre avec Galatis. Chapitre VIII

LA « DIRECTION COLLECTIVE» DE L'HETAIRIE

La situation dans les Balkans etait particuli£rement propice pour une rapide propagation du mouvement hetairiste, surtout en Gr£ce et dans les Principautes. La supr£matie commerciale hellenique en Orient qui resulta des guerres des annees pnkedentes se maintint pendant les annees de paix, permettant l’accumulation de capitaux assez conside­ rables qui seront utilises pour financer l’insurrection. Une fievre revo­ lutionnaire semblait s’etre enipar£e des Grecs, surtout de ceux de l’etranger, qui envoyaient continuellement des capitaux en Gr£ce, prets a etre utilises quand le moment serait venu. Le mouvement litteraire revolutionnaire prenait plus d’ampleur et tous les preparatifs se faisaient avec plus d’energie. Dans les Principautes la situation etait un peu differente. II etait naturel que les Grecs fussent secou6 s de la m£me flamme revolution­ naire que leurs autres compatriotes. Quant aux Koumains, d’un cote ils subissaient l’influence de ce meme courant mais, surtout, ils etaient agites par une vague crise sociale qui prendra peu a peu de l’ampleur dans les annees ci venir. Cette crise a eu pour cause une grande misfere economique due, preincrement, h la guerre russo-turque et, ensuite, a la politique fiscale des nouveaux hospodars qui avaient beaucoup augmente les impots. Une revolte donc se preparait sourdement, prete k eclater au premier signal, mais elle ne devait pas necessairement etre amicale envers l’Hetairie et ses buts. A l’epoque de la mort de Skouphas Ie grand objectif de l’Hetairie etait l’initiation de Petrobey Mavromichalis, bey du Magne Son ini-

1 Peninsule isolee de la Moree, le Magne ou Ma'ina formait un Etat vassal de la Porte a laquelle il payait un tribut annuel de 4.000 piastres. Les Mania­ tes ou Mamotes etaient divises en de nombreuses families rappelant les phares NTL-r • S' ^"es ^am'Hes Etaient divisees en deux grandes classes : les iNiknanoi ou aristocrates et les « fameliers» ou serviteurs. Chaque village °“. ava,t son chef, Ie capitaine, qui etait toujours membre des Niklia- noi. c aque groupe de villages eiisait aussi son capitaine parmi les capitaines ceu*-ci a leur tour eiisaient Ie bach-capitaine qui etait le chef de l ttat. Les capitaineries etaient hereditaires de pere en fils (mais pas par ordre de primogeniture) et un capitaine pouvait etre depose s’ii n’etait pas a la hauteur de sa tache. Apres la revolte de 1769/1770 le systeme fut change. En 1776 le dragoman de la tlotte, Nicolas Mavroyeni (le futur hospodar de Valachie), vint au - 94 —

tiation serait un grand pas en avant, car il disposait de nombreux guerriers et d’un territoire pratiquement inattaquable par les Turcs pour des raisons geographiques ci cause du fait qu’il leur etait interdit de s’etablir dans le Magne ou d’y entretenir des garnisons. Le premier pas fut 1’initiation des fils du bey, alors otages a Constantinople. Ensuite, Camarinos fut envoye a Kytriai, capitale du Magne, ou le bey fut enfin initie au debut d’aout 1818. Mavromichalis dcploya immedia­ tement une grande activite. Avant son avenement les luttes intestines etaient arrivees & prendre des proportions de guerre civile 2. Le resultat avait ete l’appauvrissement complet d’une contree dej£ pauvre et l’en- dettement du bey a cause des nombreux presents qu’il etait oblige de faire au capoudan pacha. Le Magne avait done besoin d’une aide financiere considerable que le bey soilicitait de la part de PHetairie pour l’etablissement d’ecoles, pour la creation d’un corps de soldats reguliers, pour la creation d’une petite flotte marchande et pour remettre en marche le commerce interieur qui seul pourrait assurer au bey les revenus necessaires pour payer ses dettes et les futurs presents demandes par le capoudan pacha. Mavromichalis croyait que l’Hetairie etait etablie en Russie et que sa caisse etait bien fournie. Malheureusement pour ses esperances, le contraire etait le cas. Les premiers chefs des hetairistes etaient pauvres, les nouveaux inities ne donnaient en general que de petites sommes ou promettaient d’en donner une fois l’insurrection coinmencee. Les som­ mes donnees par les riches hetairistes ne pouvaient suffire a couvrir les depenses des deplacements des chefs, des apdtres et, en plus main­ tenant, les sommes legitimes mais exorbitantes reclamees par Mavro­ michalis 3. La plus grande partie des sommes necessaires alors au bon fonctionnement de l’Hetairie provenaient du troisieme frere Sekeris, Panayotis, qui se ruina par ses donations. Cependant le bey ne recevait toujours pas les sommes dont il avait besoin et il annonga enfin qu’il ecrirait a Capodistrias — qu’il croyait etre le chef de l’Hetairie — pour lui expliquer la situation et lui demander l’aide economique et militaire de la Russie. Comprenant la situation desastreuse qui s’ensuivrait si le bey poursuivait son dessein, les chefs de l’Hetairie utiliserent les grands

Magne pour negocier le nouveau statut de cet Etat. Le chef de 1’Etat serait te bey, nomme par la Porte. II serait personnellement responsable de toute tentative revolutionnaire, ainsi que de la securite publique. En cas de deso- beissance des capitaines, le bey avait Ie droit de demander le secours de troupes turques, mais ce droit ne fut jamais exerce. Le Magne etait mis sous le gouvernement du capoudan pacha qui administrait deja les iles de la mer Egee. Le bach-capitaine continuait a etre eiu par les capitaines : il etait leur intermediaire aupres du bey. Les vendettas et guerres civiles etaient frequentes au Magne et les regnes etaient ordinairement trfes courts. 2 II fit la description de la situation au Magne dans un long rapport a l’Arche date du 2/14 f<§vrier 1819 dont le texte fut publie par Philimon (Helliniki Epanastasis, vol. I, pp. 153-155). 3 Anagnostopoulos etait meme alle jusqu’a proposer que si les armatoloi et les klephtes ne pouvaient pas faire l’insurrection, alors l’Hetairie devrait se dissoudre. — 95 — moyens. Le Patriarche Gregoire V etait en relations etroites avec Mavromichalis ; les hetairistes le prierent donc d’6crire au bey pour l’encourager a fonder des ecoles4. Cette lettre eut des resultats depas- sant ses espdrances ; non seulement la menace etait momentanement conjuree, mais les Maniates, enthousiasmes par cette lettre dans laquelle ils voyaient toute une serie de sous-entendus inexistants en realite abandonnerent leurs luttes intestines et les trois families autre­ fois ennemies des Mavromichalis, Grigorakis et Troupakis sign£rent un pacte d’amitie et d’union5. Entre temps, 1’Arche avait commence une reorganisation de l’Hetai- rie. L’Arche resterait toujours aussi mysterieuse qu’auparavant, le grade de pasteur serait rarement accorde, on creait en faveur des capitaines d’armatoloi et de klephtes les grades de consacres et de chefs de consacrds qui furent donnes pour la premiere fois & Anagnostaras, Pharmakis, Chrysospathis et Demetropoulos. Le si6 ge de l’Arche resta a Constantinople ou P. Sekeris serait son membre resldant. Le transport de son siege au Magne fut annuie par suite de la mort de Skouphas et des difficultes financieres avec Mavromichalis. Les apdtres regurent l’ordre de ne pas se borner & faire des initiations mais d’entreprendre en meme temps une enquete sur les nombres respectifs des Grecs et des Turcs dans chaque province, surtout le nombre de ceux qui etaient capables de porter les armes, surtout parmi les Maniates, les Sphakiotes0 et les Souliotes et ils devaient aussi envoyer une liste des capitaines d’armatoloi et de klephtes ainsi que des principaux primats de chaque region. Une fois la reorganisation partielle de l’Hetairie accomplie, celle-ci eut k s’occuper de la situation dans les Principautes. Les hetairistes 1&- bas avaient aussi l’idee fixe que Capodistrias etait le chef de l’Hetairie et Galatis qui seul connaissait la realite, etant membre de l’Arche, fit tout pour encourager cette idee. La conduite de Galatis devint de plus en plus inconsciente et legfere, il ne gardait nullement les regies en faisant des initiations et il essaya de faire un chantage & l’Arche en menagant de denoncer toute la conspiration aux Turcs si elle ne lui fournissait plus d’argent. Pentedekas dut donc se rendre d’urgence dans les Principautes pour limiter les degSts et conduire Galatis au Magne oil il pourrait etre mis en surveillance plus facilement et oil il ferait moins de mal. Les deux hommes retournerent ensemble h Cons­ tantinople. Arrive 14-bas, Galatis envisagea de vendre les hetairistes aux

Les hetairistes utilisaient ordinairement ce terme dans la signification de preparation de revolution. Le Patriarche ne parait pas avoir et! au courant de cette signification secrete mais il etait naturel que Mavromichalis le crut memore fle I Hetairie et connaissant ainsi les termes secrets. On retrouve le texte de cette lettre dans Philimon (op. cit., vol. 1, pp. 157-158) et Kandiloros (Grigorios Pemptos, pp. 169-170). 5 Texte de ce pacte curieux dans Philimon, op. cit., vol. 1, pp. 158-161. c Habitants du sud-ouest de la Crete, ils jouissaient d’une independance presque complete et etaient renomm£s pour leur caractere belliqueux et leur bravoure. — 96 —

Turcs. L’Arche dut done l’envoyer au plus vite an Magne mais, soup- gonnant une nouvelle tentative de trahison, son compagnon de route D£m£tropouIos Ie tua sur l’instigation de Tsakalof pendant le voyage. A peu pr£s k la meme epoque ou Mavromichalis etait initie les divers apdtres commencerent leurs peregrinations. Jean Pharmakis se rendit en Macedoine ou il proceda k de nombreuses initiations, sur­ tout de preiats. En passant par le mont Athos il voulut initier aussi l’ex-Patriarche Gregoire V 7 dont l’influence parmi les Chretiens con- tinuait k etre tres grande malgre son exil. 11 lui revela le secret de l’existence de l’Hetairie et ses buts, mais Gregoire V refusa de prefer les serments necessaires pour devenir membre 8. Les raisons pour lesquelles Gregoire V refusa de devenir membre de l’Hetairie sont multiples. 11 y avait premierement le fait qu’il etait repugnant k sa conscience d’ecciesiastique (et d’ailleurs inapplicable en pratique s’il remontait sur le trone patriarcal) de jurer une obeissancc aveugle aux ordres de ses superieurs de I’Hetairie. 11 ne faut pas oublier que les Patriarches etaient dans une situation tres delicate. D’un cote ils etaient les chefs de PEglise de Constantinople qui comptait parmi ses fideies la plupart des Chretiens soumis k la Porte, mais de l’autre, en tant que millet-bachis®, ils n’etaient que de hauts fonc- tionnaires ottomans. En tant que tels Us devaient avoir une politique tres souple et au-dessus de tout soupgon, car tout soupcon contre eux pouvait avoir les plus graves consequences pour l’Eglise et aussi pour ses fideies, l’habitude ottomane etant de ne pas faire des enquetes tres approfond'ies mais de frapper souvent a tort et k travers, ce qui avait comme consequence que les innocents payaient aussi les crimes des coupables. On peut done bien s’imaginer ce qui se passerait si le nom de Gregoire V etait decouvert par l’administration ottomane dans une liste hetairiste. Aussi il ne faut pas oublier que Gregoire V etait un de ces hommes qui preferaient voir la renaissance de leur nation se faire par les lettres et non par les armes. II avait une aversion pro- fonde pour les revolutions car il se rappelait la revolte avortee de 1769-1770 et la repression brutale qui s’ensuivit. Pour toutes ces rai­ sons Gregoire V refusa de devenir hetairiste mais cependant ne refusa pas son appui k l’H6 tairie 10. En quittant le mont Athos, Pharmakis fit encore quelques initiations. De son cote, Anagnostaras, se trouvant a oil il proceda k quel­ ques initiations, envoya quelqu’un a Colocotronis pour lui reveler l’exis­ tence de l’Hetairie. Anagnostaras voulut ensuite initier Ltlzurc Coun- douriotis, un des plus imporlailts primats d’Hydra, mais comme celui-ci

7 Gregoire V monta sur le trone patriarcal trois fois : son premier patriar- cat fut de 1797 a 1798, son deuxieme de 1806 a 1808 et son dernier de decembre 1818 a avril 1821. s Kandiloros, Grigorios Pemptos, p. 123. 9 C’est-a-dire chefs de peuple, ethnarques comme on disait en grec. 10 Kandiloros, op. cit., loc. cit. ; Philimon, Philiki Hetairia, p. 2 0 2 . — 97 — demandait une lettre autographe de Capodistrias, il dut renoncer a son projet11. Tandis que Pelopidas, Chrysospathis et Mavromichalis lui-meme fai­ saient de nombreuses initiations en MorEe, Catacazis partit pour la Russie. ArrivE A Kichinev12 il entreprit d’initier les frferes Ypsilanti 18 dont il Etait le beau-frere. Le premier k etre initiE fut Nicolas qui cependant voulut connaTtre les noms des chefs de l’HEtairie. Catacazis ne put lui rEpondre, ne les connaissant pas lui-meme. Le second fut D 6 m6 trius, il fut initiE par son frEre Nicolas. Le troisteme, Alexandre, parut connaTtre l’existence de 1’HEtairie, ayant ete a Saint-PEtersbourg lors de l’arrestation de Galatis, mais ne voulut pas Stre initiE tant qu’il ne saurait pas tout. Tous les trois essayerent d’apprendre qui Etaient les membres de 1’ArchE mais toutes leurs recherches furent vaines. Avec l’initiation des Ypsilanti l’Hetairie entrait dans le groupe des families princiEres du Phanar et Ton concoit l’importance de ce fait. L’ArchE comprit enfin que pour initier les prElats, les primats et les Phanariotes il ne suffirait pas de declarer simplement qu’une Arche mystErieuse existait quelque part en Russie14. Ces hommes avaient besoin de preuves. 11 etait naturel qu’ignorant les demarches de Skou­ phas, 1’ArchE s’adressSt a Capodistrias15 que la plupart des hetairistes croyaient etre en reality le chef. Xanthos10 fut chargE de faire les demarches nEcessaires. 11 dut se rendre au PElion pour que Gazis lui donne une lettre de recommandation pour Capodistrias, car il ne le connaissait pas personnellement. En meme temps, les chefs d<§cid6 rent d’augmenter le nombre des membres de I’ArchE. Ils envoyErent Tsakalof en Italie pour initier Ignace d’Arta et le grand postelnic Alexandre Mavrocordato (qu’il ne faut pas confondre avec Alexandre Mavrocor­ dato Firaris) et Anagnostopoulos aux Principautes pour promouvoir a l’ArchE Th. Negris et G. Leventis. Ensuite, la promotion de Negris fut abandonnEe pour des motifs d’animosite personnelle. Entre temps les initiations continuaient. En Valachie, l’hospodar Jean Karadja avait pris k son service Georges Olympios et l’avait nommE commandant de sa garde. Quelque temps apres, a la fin septem-

u Philimon, op. cit., loc. cit.

(HeUirriki Tpana^ads, v o l^ 'p . dCS YPsilanti- comme dit PhiHmon memoife? tous fe T d ftK d ^ f a 'c & m S .38 n°US d°nne danS SGS 14 Xanthos, Apologie, f. 18.

, 15. Cnrtfo !f ni!Iiaient que u’aait Ie Tsar Alexandre 1" (Philimon, op. cit. » 4»Quelques membres de l’ArchE avaient pensE k Jean Karadia’ hospodar de Valachie, a cause de son immense fortune ' 16 XAlnt5 r f :avni',r0 Pr5^ que CaP°distrias soit reconnu comme chef poli­ tique, Alexand e psilanti comme chef militaire, mais sa proposition ne fut pas retenue bien qu ainsi on rEunirait deux des noms les mieux considErEs de la Gr£ce d alors. — 98 — bre 1818, il s’enfuit17 en Autriche avec toute sa famille et toute sa fortune. Jean Karadja n’etait pas un hetairiste, mais plusieurs membres de sa famille (y compris son fils Constantin) et de son gouvernement avaient ete initios. II est certain d’ailleurs que Karadja, contrairement & son successeur, montrait de la sympathie pour l’Hetairie autant qu’il le pouvait sans se compromettre. II se dirigea ensuite vers l’ltalie oil il s’etablit, pr£s d’Ignace d’Arta, a Pise. Son successeur fut Alexandre Soutzo qui devait mourir k la veille de la revolution de 1821. Pendant le reste de l’annee il y eut peu d’initiations mais elles furent toutes de personnages importants. Signalons done qu’alors furent initios les freres Spiliotopoulos qui entreprirent la construction de fabriques de munitions a Dimitsana18 dans le Peioponnese. Mais une initiation encore plus importante fut celle du metropolite de Germanos, le premier preiat de Moree qui devenait hetairiste. Celui-ci fut initie par Pelopidas & qui il promit de s’occuper de l’initiation des pr£lats et des primats de Moree. Une autre initiation de toute premiere importance fut celle de Theodore Colocotronis par Anagnostaras. Un inconnu initia la puissante famille des Troupakis du Magne. Anagnos­ taras initia aussi l’armateur J. Tombazis, futur amiral de la flotte hydriote et essaya d’initier le futur amiral A. Miaoulis, mais il echoua. En 1819 commenga l’activite hetairiste d’Aristide Papa, initio depuis 1818, qui devait devenir un des plus grands apdtres. A Corfou il entra en relations avec les Souliotes r£fugi£s et initia Viaro Capodis­ trias, frere de Jean Capodistrias. En meme temps, Xanthos et Anagnos- topoulos quitt£rent Constantinople pour les Principautes ou les affaires allaient mal de nouveau, surtout a cause du grand zeie de Gr. Dikaios Papaflessas qui faisait des initiations sans preter trop d’attention k la quality des gens qu’il initiait. Xanthos devait continuer son voyage jusqu’& Saint-Petersbourg oil il devait rencontrer Capodistrias qui cependant etait absent, en visite chez ses parents k Corfou. Avant que Xanthos quitte les Principautes les deux chefs fond£rent la premiere ephorie, sorte de comite ayant comme devoirs d’inscrire les noms des inities, de correspondre avec eux, d’eiire les futurs pretres et recommandis, d’encaisser les sommes versees en faveur de l’Hetairie, de decreter des punitions pouvant aller jusqu’& la peine de mort,

17 Les raisons pour lesquelles Karadja s’est enfui sont obscures. II etait tres soupgonneux (avec raison d’ailleurs) et Olympios avait tu£ deux kapoudji- bachis venus de Constantinople pour d£capiter le prince. (Goudas, Vioi Paralli- loi, vol. V, p. 411). Sa fortune colossale devait faire naitre bien des envies & Constantinople et son mandat d’hospodar expirait prochainement d’apres les hatti-cherifs de 1802. De plus il ne jouissait pas du soutien des Russes et ses exactions avaient ete telles qu’il devait considerer une intervention russe dirigee contre lui comme imminente (voir au sujet de la politique de J. Karadja: P. Argyropoulo, Correspondance Diplomatique de I’Hospodar de Valachie ]. Caradja avec le baron Stroganof — 1816-1818, passim). is Dimitsana etait la patrie de Gregoire V et de Germanos de Patras. Centre scolaire important, elle appartenait a la sultane valide a laquelle elle payait un tribut annuel de mille piastres. — 99 — de sieger h des jours fixes et de correspondre entre elles et avec l’Arche10. La cause de cette reforme salutaire fut les querelles entre hetairistes des Principautes et le desir de mettre plus d’ordre dans les affaires financi£res de l’Hetairie. Les membres de ces £phories etaient, en general, les hetairistes les plus respects de la region. Capodistrias etait retourne S la capitale quand Xanthos arriva enfin a Saint-Petersbourg. Xanthos se pr£senta chez lui et lui donna la lettre de recommandation qu’il avait regue de Gazis. Le comte lui demanda des explications au sujet de certaines lettres qu’il avait regues de quel­ ques hetairistes qui croyaient qu’il etait le veritable chef de l’Hetairie. Xanthos les lui donna et ensuite lui declara que l’Hetairie avait besoin d’un grand personnage pour continuer ses activites. Sans avoir rien dit de plus explicite la conversation se termina et Capodistrias lui d it de revenir dans quelques jours. En effet, quelques jours plus tard, Xanthos se presenta de nouveau chez Capodistrias a qui il reveia les noms des membres de 1’Arche, l’augmentation d u nombre des inities, toute l’histoire de ce qui s’etait passe jusqu’alors et que tous voulaient l’avoir pour chef, sinon en personne au moins qu’il preparat un plan d’action. En plus il pria Capodistrias de demander au Tsar une aide financi^re et militaire 20. Capodistrias lui repondit qu’etant ministre du Tsar il ne pouvait pas accepter la demande de Xanthos afin de ne pas compromettre le Tsar qui aurait ete considere par tous les gouvernements europeens comme le veritable instigateur de l’Hetairie. II conseilla aussi & Xanthos que les chefs de l’Hetairie arretent leurs activites jusqu’S ce que la politique europ^enne ait change, celle-ci etant actuellement contre toute revolution. D’ailleurs, dans leur situation actuelle, il ne considerait pas que les Grecs etaient capables de se liberer tout seuls, sans aide etran- g£re. C’est pour cela qu’il desirait qu’on attendit la prochaine guerre russo-turqueA ces arguments Xanthos repondit que le soulevement des Grecs etait inevitable, qu’ils se rendaient de plus en plus compte de la disparite existant entre eux et les Turcs. Capodistrias lui repon­ dit alors que les hetairistes devaient utiliser d’autres moyens (manifes- tement non-revolutionnaires) pour atteindre leurs buts. II eut ensuite une longue et amicale conversation avec Xanthos et le vit d’ailleurs plusieurs fois encore, mais sans qu’il soit plus question pour lui de devenir chef de 1’Hetairie 22 Tr^s de?u du refus de Capodistrias, Xanthos voulut faire ce qu’il avait propose autrefois: offrir la direction de l’Hetairie au prince

19 Philimon, Philiki Hetairia, pp. 236-238 ; Kandiloros, Philiki Hetairia, n 268. 20 C’est-a-dire que le Tsar lui fournirait des armes et des munitions. 21 En 1812, h Bucarest, les Russes avaient negocie le traite de paix de telle faQon qu’ils pourraient toujours, les ambigmtfe de ce traite aidant, pre- tendre que 'es Turcs ne l’appliquaient pas, ce qui serait un excellent pretexte our une nouveUe guerre qu’iVs desiraient pour pouvoir annexer definitive- ment les Principautes a l’Empire Russe. 22 Toute cette scene a ete longuement decrite par Xanthos, Apologie, f. 28. _ 100 —

Alexandre Ypsilanti.w -1 +! 11 II s’adressas adressa d’abordu ^ a un parent ^ ^ de fut celui-ci, fm t_ 1’hEtairiste Jean Mano, poui q gut une conversation avec le Ypsilanti Etant en convaJ®®“ nd ‘ t lui r£veler sa mission. II fut trEs prince Ypsilanti, sans P ^ ^ ,n k la disposition de la encourage Par la ^ Xanthos offrit officiellement la direction de l’He- nation. Le lendema n Xant reflechir. Le lcndemain tairie a Ypsilanti ^ et Ypsilanti lui dEclara qu’il donc Xanthos fut de nouveau con ^ ^ ^ fit part

acceptait. Le pr aucune objection ni rien d’autre pouvant de son a*10"’ ^ d’aller informer le decourager p demander son aide. Ypsilanti donna done Tsar de son action e Ja remettrait k Alexandre I Sa foment SriH uqerait uSe telle action opportune. 11 restait cependant au moment ou il jug initier Ypsilanti pour en faire un membre de une chose h faire enc . Fffectivement on a vu que lorsque les m « a lr ie dont ,1 sera' V | . f ' J i tii Seu Alexandre ne voulut pas les „eres YPS1 V,,^0 1 "outl 1 a virtis sur rHdtairie *». umter avant q rt'Alexandre Ypsilanti au poste de cliel de Avec la ,’om" 'a ?,'.„™ius ,a ..direction collective.. Ce fut une l’HEtairie se termine epi q personnes de toutes classes et de tous pEriode grosse de result . Phanariotes, les prElats et les rangs avaient) Ete savants, aux marins, aux capi-

p r i m a t s jusqu aux c ^ ^ L,organisation de FHEtairie avait ete taines dI arm^oloi ^ domaine financier. Enfin un chef avait ete ameliorEe, sJrt0J . nl p0Uvait etre repandu partout. L’anonymat r « ' , c M t i t d f e o l i s un'eCose du passe. de 1 Arcne cependant au tableau : les relations avec les Un point noir e' La mort de Karageorges avait eu comme autres natrons b;J*rS L a«on avec les Serbes ; la il faliait tout rfeultat la fin de Vatikiotis avait fait de meme pour la coopi- recommencer. L ^ n>al,ait pas se relever de ce coup. En ce ration avec.les RS umajns on les voit totalement Etrangers, pour le qui COI?ceI " e mouvement hEtairiste dans les Principautes. En gEneral, moment, au ^ une c0 0 p^rati0n balkanique contre We Ottoman on ne faisait rien pour la promouvoir. Cet etat de allait changer avec la direction d’Ypsilanti ; la coopEration •nterbalkanique allait devenir un des grands points du programme hEtairiste et les plans dressEs par les hetairistes a cette epoque seront rEdigEs de telle fagon que l’Element balkanique y tiendra une place prEpondErante.

23 Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. I, pp. 31-33. C h a p itr e IX

ALEXANDRE YPSILANTI ET LES PLANS DE L'HETAIRIE

D 6 s qu’Alexandre Ypsilanti 1 fut proclame chef avec le titre de Lieutenant Gdndral de /’Arche, il dut s’occuper de reformer l’organisation de 1’Hetairie. Cette reorganisation porta sur les points suivants2 : 1) Les grades des freres de sang et des recommandes furent abolis car Ypsilanti ne voulait plus initier des personnes des basses classes sociales, pr£ferant se limiter aux prelats, primats et capitaines qui seraient naturellement suivis en cas de revolution par le peuple, ainsi qu’aux marchands qui fournissaient le principal appui financier de l’Hetairie. Le nombre des inittes etait devenu si grand qu’Ypsilanti craignait d’£ventuelles trahisons si les initiations se poursuivaient parmi des personnes dont l’adh£sion n’etait pas indispensable. 2) Les grades des pretres et des pasteurs etaient gardes, celui de pasteur £tant particulidrement reserve aux membres des ephories et du haut clerge. 3) Le grade des archipasteurs, institue par Anagnostopoulos lors de son sejour dans les Principautes, fut abandonne comme etant superflu. En r6 alite ce grade ne servait pas a grand’chose et sa dispa- rition ne causa aucun trouble dans l’ordre hierarchique de l’HStairie. 4) La c£remonie d’initiation des consacris fut changee en initiation chevaleresque ntedtevale. 5) Un r£glement militaire fut publie, ordonnant la discipline la plus absolue.

6 ) Le systeme des ephories fut etendu un peu partout dans les regions pdripheriques de la Gr£ce car sa valeur pour la gestion des finances de l’htetairie avait 6 te amplement d£montr£e.

1 .Alexandre Ypsilanti naquit a Constantinople en 1792. 11 suivit son pere a Saint-Petersbourg ou il entra dans l’£cole militaire des cadets de la garde imp^riale. En 1810 il devint membre de la garde du Tsar avec rang de capitaine. II combattit courageusement dans l’arm^e russe pendant les guerres napol^oniennes et perdit son bras droit & la bataille de Kulm. .11 regut ensuite le grade de general et fut nomm6 aide-de-camp du Tsar Alexandre I". 2 Philimon, HclUniki Epanastasis, vol. I, pp. 36-37. — 102 —

Pendant deux mois Ypsilanti et Xanthos travaillerent ensemble pour permettre au premier non seulement d’accomplir toutes ces reformes mais aussi de prendre connaissance des details pratiques de la maniere d’agir de PHetairie. Ensuite il detida de quitter Saint-Petersbourg pour la Russie m6 ridionale afin de se rapprocher de Constantinople. Ypsilanti voulait que la revolte commengat le plus tot possible pour profiter de la rebellion d’Ali pacha de Janina. On peut d’ailleurs suppo- ser qu’il craignait que de grandes trahisons ne se produisent a cause de l’inaction de PHetairie et de ce point de vue il avait parfaitement raison. Mais il voulait aussi avoir la cooperation de la Serbie qui, cependant, a cause des tergiversations de Miloch Obrenovitch, n’etait pas du tout certaine. Ainsi se pr6 sentaient, d’un cote, le desir d’aller vite pour profiter de la rebellion d’Ali pacha, mais de l’autre cote, la necessite d’aller lentement, a cause des negotiations delicates avec Obrenovitch. II est digne de remarquer qu’Ypsilanti dut toujours choisir entre le desir d’aller vite sur le plan strictement helienique et la neces­ site d’aller lentement sur le plan balkanique. Ce fut a cette epoque que plusieurs plans d’insurrection furent soumis k Ypsilanti. On en trouve de toutes sortes depuis des plans au sujet d’affaires tout a fait secondaires jusqu’i des plans revolution­ naires generaux. On comptait aussi des plans pour l’augnientation des ressources financieres de l’Hetairie. Les plans d’insurrection les plus importants furent trois, deux ayant comme objectif le souievement des Chretiens de tous les Balkans contre les Turcs, le troisieme ayant comme but la prise de Constantinople et de la flotte ottomane. Les deux premiers etaient des plans qui pourraient etre executes apres une preparation minutieuse, le troisieme etait tout k fait irr^alisable car il reposait sur de fausses donnees. On considerait la capture de la flotte ottomane comme une chose parfaitement faisable par quelques cen- taines de marins hydriotes et, surtout on sous-estimait tout a fait Ie nombre et la valeur militaire des troupes composant la garnison de Constantinople. Voici done le resume de ces plans :

A. Plan general3.

I. Pour endormir la mefiance des Turcs, il est necessaire d’abord de persuader les Serbes de se revolter conjointement avec nous. II. Si la rebellion d’Ali pacha dure encore et si les Serbes Drennent les armes, alors les forces de l’ennemi seront divisees les FnirntPs prendront confiance et les Hetairistes resteront m ipris/s pa les Tu c

S ” eoa ta esfaS "f riCn, faire COntre '"*• Si la rtbelUon pacha est reprimee, alors il importe encore plus d ’envoyer

3 Philimon, op. cit., vol. I, pp. 47.5 5 . — 103 —

quelqu’un pour persuader les Serbes de se revolter, ce qu’ils ne man- queront pas de faire, ayant les Grecs pour allies4. III. II serait encore plus utile d’envoyer quelqu’un pour persuader les Montenegrins 5 de s’allier avec les Serbes et les Grecs et d’attaquer Skodra car les habitants de ce pachalik pourraient etre tres dangereux pour les Epirotes0. II faudra done envoyer au Montenegro A. Lysippos (e’est-^-dire G. Leventis). Les Montenegrins auront besoin d’une aide financi^re qu’il faudra leur accorder. IV. La Moree etant prete k se revolter des que le prince Ypsilanti se presentera, Perraivos n’est plus necessaire actuellenient au Magne 7 ; il devrait aller en Epire ou l’Hetairie est encore inconnue8. Les capi­ taines d’armatoloi et de klephtes doivent apprendre les desseins mal- veillants de la Porte k leur egard ainsi que l’alliance avec la Serbie. V. Si Ali pacha resiste encore a l’arrivee de Perraivos en Epire, celui-ci ne doit pas tout reveler au pacha mais simplement lui offrir l’aide des capitaines et l’informer de Palliance de la Serbie avec la GrSce. VI. La Moree etant prete a se revolter, il est necessaire qu’Ypsilanti se presente 14-bas pour prendre la direction des operations.

VII. Les Serbes ne doivent pas se revolter apr6s les Grecs car alors, ne trouvant pas d’ennemis devant eux, ils pourraient avancer trop en Grece et en Thrace9. Les Serbes doivent done se revolter avant les Grecs ou, tout au plus, en meme temps qu’eux 10. VIII. II faut faire attention k ne pas etre trompes par les Serbes qui pourraient succomber aux tentations offertes par la Porteu . L’alliance avec les Serbes et les Montenegrins doit etre faite aussi forte

* Le fait d’avoir ies Grecs pour allies engagerait les Serbes a se soulever si leurs negotiations avec la Porte restaient infructueuses ou si Miloch Obre­ novitch se persuadait que les avantages d’une r^volte seraient plus consi­ derables que ceux de I’accession & l’autonomie par petites etapes. Le plan ignore completement cet aspect de la question et son auteur semble voir la revolte comme se faisant avec des mobiles purement sentimentaux. o L’alliance avec le Montenegro etait particulierement importante et les Grecs y insisterent beaucoup, tant avant qu’aprfe 1821. L’aide financifere dont parle le plan ne put jamais etre octroyee, ce qui fut la raison principale de la non-realisation de l’alliance. 6 Le danger consistait dans le fait qu ils etaient susceptibles de fournir de gros renforts aux armees du Sultan qui combattraient en Epire. 7 II y faisait fonction de conseiller aupres du bey. 8 II y a manifestement erreur dans cette assertion car Ali pacha avait eu connaissance vaguement de l’existence de l’Hetairie. Pour cette question, voir le chapitre XI. » 11 s’agit probablement de la Roumelie, e’est-a-dire, ici, de la Bulgarie. 10 Ici sont visees d’eventuelles revendications territoriales serbes (proba­ blement en Macedoine) qui seraient jugees comme excessives par les Grecs. 11 Le manque de confiance des hetairistes envers Miloch Obrenovitch est parfaitement demontree ici ainsi que la difference entre les deux mouvements revolutionnaires. — 104 — que possible afin que ceux-ci puissent aussi jouir des fruits de la victoire. IX. La flotte ottomane est trop forte pour que nos navires puissent faire quoi que ce soit tant qu’elle existe. Elle doit done etre incendide k l’arsenal malgr§ le dommage que pourraient subir les habitations du voisinage 12. X. Ce serait magnifique si on pouvait capturer la flotte mais ceci serait une chose extremement difficile malgrS la presence de marins Grecs servant sur ses navires. Comment leur faire comprendre ce que nous voulons faire? En admettant que les marins grecs abandon- nent la flotte, les Turcs embaucheraient d’autres marins qui leurs seraient fournis par les ennemis secrets de la Grfece. 11 faudrait done incendier la flotte un peu avant le commencement de Pinsurrection, mais les plans detailtes devront etre pr£par£s plus tard k Constantinople, si 1’idSe est accepts. XI. La flotte ottomane ayant ete incendtee, dix navires grecs hisse- ront le pavilion heltenique et alors les autres navires grecs s’uniront a eux pour former une flotte capable de sauvegarder les lies, de menacer l’lonie et tous les littoraux jusqu’en Syrie et en Egypte, et attaquer Constantinople en temps voulu. XII. M. D£ntetrius Calamatianos13 devra Stre nomm£ amiral de la flotte de la mer Noire et des Principautes. II aura comme objectif de capturer les navires ottomans naviguant sur le Danube et de menacer les forteresses de ce fleuve. Si I’ennemi est immobilise par la destruc­ tion de sa flotte et la guerre de Serbie, alors l’amiral aura la possibility de parcourir la mer Noire afin de terroriser les habitants des c6tes tur­ ques. Si l’ennemi n’est pas immobilise, 1’amiral devra rester sur le Danube pour observer les forteresses et, si l’occasion se prSsente, s’en emparer. XIII. MM. Georges Olympios, Theodore Vladimiresco et Savvas avec leurs troupes bulgares, serbes, valaques et albanaises14 devront dSfendre les Principautes. Si les Turcs avangaient contre eux ils enfreindraient les traites et la Russie leur dSclarerait la guerre’ En restant tranquilles, les Principautes pourront fournir une grande aide financtere. Lesdits commandants pourront aussi aider M. Calamatnnnc k s’emparer des forteresses du Danube.

12 On rejoint ici le plan pour Constantinople. La peur que l’on avait de la flotte ottomane se rev£Ia ensuite comme etant injustice. is Marin et commergant, D. Calamatianos s’etait etabli a n «>ntra dans l’armee russe en 1814 et fut initie h l’H£tairie par Gr Dikairxs Pana- flessas en 1818. Sa flotille, compos^e de petits chebecs turcs k armement rudimentaire, ne put entrer en action lors de la revolution de 1821. !■» II s’agit des Arnaoutes, des troupes albanaises servant dans les gardes princieres. — 105 —

XIV. Les commergants grecs d’Egypte ont promis de verser la somme de 300.000 piastres, somme qui pourrait §tre double si on leur d£montrait les progrSs accomplis. Ceci devrait etre fait par Antoine Pelopidas. XV. Mohammed Ali a k son service plus de 2.000 soldats grecs. Ceux-ci devront £tre persuades de quitter son service et de s’embarquer pour le Magne. XVI. II faut envoyer en Egypte quelqu’un, un m&lecin de pr6f6- rence, pour convaincre Mohammed Ali de nous aider ou, du moins, de rester neutre1B. XVII. Mgr. Cyprianos, archeveque de Chypre, a promis de fournir de 1’argent ou des vivres. Ypsilanti devrait lui dcrire pour l’encourager dans ses projets et le conseiller dans la mantere de proteger ses ouailles contre les Turcs de Hie. XVIII. M. Theodore Negris, malgr£ son ddviationnisme, peut etre tr£s utile k cause de ses relations avec les Callimachi. Ypsilanti doit done le garder enthousiaste et Ie convaincre de rechercher le drago- manat de Chypre ou celui de la Mor£e, postes qui le rendraient trfes utile ci la Nation. XIX. Le prince Ypsilanti doit donner des permissions Gcrites aux Ephores G6n6raux de Constantinople afin qu’ils puissent encaisser les sommes offertes k I’Hdtairie. XX. Mgr. Ignacele, metropolite de Hongrovalachie, et Ie grand postelnic Mavrocordato17, doivent se rendre en Gr6ce apr6s avoir demand^ au prince Jean Karadja de contribuer une large somme pour la cause. S’ils ne veulent pas venir en Grece, qu’ils restent en Italie et qu’ils nous envoient leurs demissions. XXI. Le corps arme grec se trouvant k Naples18 devra Stre trans­ ports au Magne, non seulement pour combattre avec nous mais aussi pour apprendre la tactique k nos soldats. XXII. M. A. Tsounis devra etre envoye en Crim£e pour convaincre les officiers grecs se trouvant au service de la Russie d’obtenir une permission afin de pouvoir venir en Grece avec leurs hommes. XXIII. La Grece aura besoin de 10.000 fusils pour armer ceux qui n’en ont pas et de 500 sabres pour les officiers. Toutes les sortes de munitions sont absolument indispensables.

15 Un m£decin aurait plus ais£ment accfes & Mohammed Ali et pourrait gagner sa confiance plus vite et plus facilement qu’un autre homme. L’histoire ult£rieure de la revolution grecque d£montra combien la neutrality de l’Egypte etait necessaire. is Ignace d’Arta. 17 Alexandre Mavrocordato, qu’il ne faut pas confondre avec A. Mavrocor­ dato Firaris. is Le regiment « Royal Macedonien ». 8 Le plan se termine par une courte recapitulation des principaux points et par la recommandation de bien traiter les prisonniers de guerre.

B. Plan de Savvas 19.

I. Les premiers k se revolter seront les Serbes qui essayeront de s’emparer de la citadelle de Belgrade ; s’ils n’y arrivent pas ils l’assie- eeront et enverront un corps de troupes vers la Bosnie dont les habi­ tants20 seront contenus par les Herzegoviniens. Les Turcs de la Vieille Serbie viendront au secours des Bosniaques mais seront attaques a leur tour par les Montenegrins. Les Albanais Mirdites21 empecheront le pacha de Skodra d’aider les Turcs. Un deuxieme corps avancera vers Sofia oil il sera attaque par les Turcs de Roumelie Orientale qui, eux, seront attaqu£s par les Bulgares et les Grecs de Roumelie Orientale. Le troisieme corps avancera en suivant la rive du Danube en Bulgarie septentrionale, dont les habitants l’aideront a combattre les Turcs. En meme temps, l’Albanie, la Macedoine, la Thessalie, l’Epire et la Gr£ce centrale se soul£veront. II. Les Turcs entreraient en action contre les Macedoniens qui se seraient revoltes en m§me temps, mais seraient eux-memes pris par derriere par les Chretiens de cette meme province. A son tour, la gar- nison de Constantinople entrera en action mais ne pourra rien faire car la flotte hellenique ravagera le plus possible les rivages de la iner Egee et de la mer de Marmara22. Les Turcs seront donc obliges de laisser une garnison toujours k Constantinople pour la sauvegarde de la capitale et du Sultan. Une autre partie de la flotte grecque se por- terait vers Salonique tout en detruisant toute chose turque qu’elle ren-

19 Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. 1, pp. 77-81. La difference fonda- mentale entre ce plan et celui qui pr£c£de est que Ie plan general est un plan de preparation du soulfevement, tandis que le plan de Savvas est un plan d’action, un plan de campagne une fois la revolution commencee. C’est nourquoi on ne trouve rien dans ce plan qui nous montre comment Ie sou- l&vement serait prepare, ni meme comment il eclaterait. Le plan de Savvas est d’accord avec le plan general en accordant aux Serbes un role de tout premier ordre et en assignant aux Principautes une part plus ou moins passive dans tout le mouvement, mais il en differe par toute une serie de ooints (l’importance accord<§e par le plan de Savvas aux Albanais, aux Mace­ doniens et aux Bulgares est en contradiction flagrante avec le plan general de meme que Ie silence de Savvas au sujet des Peioponnesiens et de la rebellion d’AIi pacha) qui montre que les deux plans ont ete etablis inde- pendamment I’un de l’autre sans qu’une entente prealable ait ete assume ni meme une coordination ulterieure. 20 Savvas n’attend aucune cooperation des Musulmans, pas meme d’AIi pacha ; il est meme certain que les Bosniaques Musulmans n’hesiteraient pas a venir en aide aux Turcs. 21 Albanais Catholiques habitant le pachalik de Skodra. 22 Les operations de la flotte grecque (c’est-a-dire des navires marchands des iles transformes en navires de guerre comme cela se passera en realite en 1821) presupposent la destruction prealable de la flotte ottomane, c’est- a-dire l’execution du plan pour Constantinople. — 107 —

contrerait au passage. Une troisieme partie de la flotte aurait comme mission de protSger les lies de l’Archipel et d’observer Mohammed Ali pacha d’Egypte ainsi que les pirates barbaresques. III. 11 serait utile qu’un des hospodars soit initie a l’Hetairie. II pourrait veiller sur les approvisionnements des revolts et former une troupe de cavalerie qui veillerait au maintien de l’ordre dans les Prin­ cipautes. Pour la realisation de nos plans il n’est pas utile que les Soutzo28 restent hospodars. IV. Une fois liberee, toute la nation hellenique24 devra demander un Souverain appartenant A la famille imp^riale russe pour qu’il n’y ait pas des intrigues et du m6contentement parmi les Hellenes. On devrait aussi demander au Tsar de faire des demarches aupres des Persans afin qu’ils declarent la guerre a l’Empire Ottoman qui serait oblige d’envoyer contre eux une partie de ses troupes.

C. Plan partiel, pour Constantinople 25.

I. Cinq des capitaines les plus exp6riment£s seront nommes chiliarques et nommeront leurs officiers subordonnSs qui se chargeront du recrutement des hommes. II. Les officiers sup£rieurs devront donner a leurs subordonn6s l’argent necessaire chaque mois pour la solde de leurs hommes. Les enfants et les Spouses de ceux qui tomberont sur le champ de bataille recevront une pension de la caisse nationale de la Gr£ce tandis que les soldats qui l’auront merits recevront une recompense analogue a leurs actes. III. Avant Ie debut de la revolution les officiers devront observer l’Arsenal, le nombre des vaisseaux qui s’y trouvent ainsi que leur etat. De plus ils devront observer les navires marchands ancres & Galata, tant grecs que turcs. IV. Si le capitaine C. Gioustos26, commandant de la flotte, est vraiment un patriote, nous le nommons amiral, mais s’il ne l’est pas, nous laissons cette nomination a la discretion des ephores de Constan­ tinople. V. S’il y a quelques vaisseaux de la flotte a Besiktas, ils devront etre captures en meme temps que les autres vaisseaux de la flotte.

23 Alexandre Soutzo en Valachie et Michel Soutzo en Moldavie. Alexandre Soutzo etait contre toute tentative de soulevement, ce qui n’etait pas le cas pour Michel Soutzo qui aidera la revolution de 1821 de toutes ses forces. 24 Par ce nom il semble nommer tous les r£voltes. 11 s’agirait done d’un Etat balkanique unitaire a la fagon de PEmpire reve par Catherine 11. 25 Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. I, pp. 59-68. 2(5 Hetairiste hydriote qui commanda le vaisseau-amiral du capoudan-pacha de 1812 a 1816 et de 1820 a 1821. 11 avait des doutes serieux sur la praticabi- lite de ce plan. -- 108 —

VI. Durant la veille de l’entreprise, les soldats devront se rassembler et se cacher dans des maisons amies, pres de la mer, afin d’etre prets a agir au moment opportun. Les marins, de meme, se ras- sembleront sur les navires amis. VII. Pendant la nuit, 20 ou 25 navires, armes de 8 a 16 canons chacun 27, bloqueront le Bosphore et executeront un bonibardement afin d’interdire la sortie de vaisseaux turcs. VIII. La nuit devra etre sombre et un fort vent du nord devra souffler afin d’attiser les incendies que nous allumerons et nous aider dans nos manoeuvres. IX. Si les gardiens de la flotte28 sont peu nombreux, alors il con- vient de s’emparer de la flotte avant d’allumer les incendies ; si lesdits gardiens sont nombreux, on allumera d’abord les incendies afin que les gardiens abandonnent leurs postes pour aider a les eteindre. X. Des incendies devront aussi etre allumes dans les environs afin de ne pas permettre a leurs habitants de venir en aide aux Constanti- nopolitains 29. XI. La liberation des bagnards devra etre organisee afin qu’ils puissent nous aider dans la prise de 1’Arsenal. XII. Les bouchers les meilleurs seront nommes officiers et joui- ront du meme traitement que les officiers de la marine. XIII. Lesdits officiers devront executer des reconnaissances du cote de l’Arsenal afin de trouver les endroits dont ils s’empareront pour bloquer l’Arsenal qui n’est pas fortifie du cote de la terre. XIV. Les troupes seront composees de Roumeliotes sachant manier les armes ainsi que de ceux des environs qu’on aura pu prevenir a temps. XV. Deux chiliarques devront prendre l’arsenal de l’artillerie et un troisieme les casernes des artilleurs. XVI. Quatre des navires cites auparavant devront remonter le Bos­ phore pour vaincre la resistance ennemie ; ceci fait, ils retourneront a Constantinople et se placeront pres du S6rail afin de faire prisonnier le Sultan si celui-ci essayait de s’enfuir par mer.

27 II s’agit de navires marchands qui portaient des cannons pour se defendre contre les pirates. 28 En general les equipages ne dormaient pas dans les navires qui etaient gardes par tres peu d’hommes. 29 L’insistance sur ces incendies est parfaitement comprehensible car outre la panique qui s’ensuivrait et qui aiderait les insurg^s, le Sultan et le’ grand vizir Etaient obliges par la loi a veiller personnellement’ sur les efforts d’6tein- dre les incendies. — 109 —

XVII. Les depots ennemis d’armes et de munitions devront aussi etre pris afin de pouvoir en donner a ceux des notres qui en auraient besoin. XVIII. Ceux des notres qui ne prendront pas part a l’execution de ce plan devront etre avertis par le Patriarche afin de s’unir avec nous. La revolte de Constantinople devra se faire en meme temps que 1’in- surrection dans les provinces afin qu’on puisse aider les revoltes de Constantinople si ceci devenait n^cessaireso.

***

En analysant attentivement ces plans on observe tout de suite cer­ tains faits frappants :

1) La cooperation de la Serbie etait consider£e comme essentielle vu que c’est en Serbie que la revolte commencerait. Les troupes serbes devaient jouer un role de tout premier ordre, mais on avait peu de confiance dans la constance de l’attitude de Miloch Obrenovitch.

2 ) La cooperation des Principautes n’etait pas tellement impor- tante sur le plan militaire. En general elles ne devaient fournir que des vivres, des munitions, un petit nombre de troupes et, surtout, une aide financi£re. Elles devaient former la base meme des operations. Cette conception du role des Principautes etait realiste, surtout si Ton pense k ce qui s’est passe la-bas en realite en 1821 et le peu d’appui que regurent les hetairistes des populations roumaines. 3) La cooperation des Bulgares, sur laquelle se base une partie du plan de Savvas, n’etait pas du tout certaine, vu que les contacts avec les Bulgares n’etaient pas du tout frequents et que ceux-ci n’avaient pas de personnalites eminentes avec qui on pourrait entrer en contact et assurer ainsi la cooperation de la population.

En general, les deux plans generaux montrent bien que si la revo­ lution en Grece avait ete bien prepare, surtout en Moree, tel n’etait pas le cas pour les autres pays balkaniques. L& un travail serieux restait a faire et Ypsilanti allait porter toute son attention a cette tache. Une chose est digne de remarque : la revolution ne commencerait pas dans les Principautes. Les raisons pour le chang^ment de plans en ce qui concerne Ie debut de l’insurrection et qui eut comme resultat le com­ mencement de la revolution dans les Principautes seront exposees plus bas.

30 Le pan n’explique pas comment serait surmontee la disparite num£- rique entre les insurges et la garnison turque. En effet, les effectifs des insurges (d’apres le plan) ne depasseraient pas 15.000 hommes tandis que la garnison de Constantinople en comptait 100.000. — 110 —

Le plan au sujet de Constantinople etait irrealisable en pratique31 ; malgr£ ceci Ypsilanti y insista beaucoup a cause de la necessite de porter un coup dur k la tete meme de l’Empire Ottoman. 11 ne l’aban- donna que devant les instances repet£es des ephores de Constan­ tinople. La chose etrange est que ce fut ce plan, promu en complot par les autorites ottomanes, qui servit de pretexte aux Turcs pour le mas­ sacre d’avril 1821 k Constantinople. D’apres Pouqueville V2, un delateur nomme Assiniakis avait tout denonce a l’ambassadeur de Grande- Bretagne qui en avisa la Sublime Porte. De son cote, Assimakis en avait informe le medecin de Halet effendi qui s’empressa de tout dire son mattre, les deux hommes ayant espere recevoir une grande recompense pour leur prompte action. * **

Les activites de l’Hetairie dans les Principautes, en Serbie et a la cour d’Ali pacha feront l’objet de chapitres k part. On resumera ici en quelques lignes I’activite de l’Hetairie en Grece. Ypsilanti s’occupa done de l’organisation des ephories dans les ties et de la reconciliation des deux grands partis auxquels appartenaient les primats de Moree. Cette dernifere tSche etait particulierement importante car les discussions etaient devenues trfes apres entre les diverses factions et pouvaient avoir des r6 sultats fort graves. Cependant toutes ces activites etaient secondaires devant la necessite d’intensifier les activities balkaniques vu que les hetairistes ne songeaient nullement a abandonner l’id£e de faire une revoluiton rapide, triple, qui eclaterait au Magne, en Epire et en Serbie, le « plan general » etant approuve en son ensemble. La necessite de mettre fin aux discussions incessantes au sujet du plan d’action de l’Hetairie poussa Ypsilanti k convoquer, en octo- bre 1820, k Ismail, sous sa presidence, la premiere et derniere confe­ rence des membres les plus influents de l’Hetairie3S. La premiere chose qui fut discutee fut le « plan general » peloponnesien decrit ci- dessus qui regut l’approbation generate. Mais les deux grands pro- blemes k resoudre etaient le lieu du debut de l’insurrection et la date de celle-ci. II fut decide que tous les preparatifs devraient etre termines dans un deiai de six semaines afin que la revolte commengat d£s l’ar- rivee d’Ypsilanti au Magne. Seul Perraivos trouva les preparatifs insuffisants mais ses objections furent vaines et ne furent pas ecoutees. Olympios et Savvas regurent l’ordre d’etre prets des la fin du mois d’octobre. Les raisons qui pousserent Ypsilanti a hater ses preparatifs furent le fait qu’on ne pouvait pas savoir combien de temps Ali pacha pourrait resister aux troupes imp£riales ainsi que le fait que Miloch

31 Ce plan fut souvent utilise au debut de la revolution de 1821 pour relever le moral des hetairistes en les informant que diverses parties de ce plan avaient ete ex^cutees avec succ£s. 32 Histoire de la Regeniration de la Grece, vol. II, pp. 400-401 33 Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. I, pp. 82-84. — Ill —

Obrenovitch se trouvait en difficult^ momentanees avec la Porte. De plus certaines actions suspectes des Turcs laissaient supposer qu’il y avait eu une trahison. On discuta aussi les possibility de recevoir une aide de l’etranger. Celle-ci, et sp6cifiquement l’aide de la Russie, fut exclue et dans la proclamation qu’il adressa d’Ismail aux Peioponne- siens Ypsilanti les exhorta k n’esperer aucune aide de l’etranger mais de secouer seuls le joug ottoman, ce qui aurait comme resultat que Palliance de la Gr£ce serait recherchee par tous les Etats europ6ens. Quelque temps plus tard Alexandre Ypsilanti decida que l’insur- rection devrait commencer par les Principautes. Malgrd le fait qu’il savait que la Russie ne l’aiderait pas activement, il voulut miser sur l’impossibilite pour les Turcs de passer le Danube sans en meme temps enfreindre les tra ils s’ils n’avaient pas la permission de la Russie pour entreprendre ce passage ; or Ypsilanti croyait que la Russie n’ac- corderait pas cette permission. De plus il avait appris que la situation en Moree n’etait pas aussi encourageante qu’il le croyait. II donna donc a Savvas Phokianos et a Georges Olympios, ses generalissimes pour les Principautes, ses ordres qui comprenaient des coups d’Etat k Bucarest et k Jassy. II demanda aussi a Obrenovitch que les armies serbes se mettent en campagne pour nettoyer la Serbie des quelques Turcs qui s’y trouvaient et, surtout, il envoya des d£peches pressantes 4 Constantinople pour apprendre les causes du retard qu’6 prouvaient les iphores de cette ville a mettre a execution les phases preiiminaires de son plan pour Constantinople. L’heure du com­ mencement de la revolution approchait. Chapitre X

ALI PACHA DE JA N IN A

On a vu qu’apres la reduction de la Confederation Souliote en 1803, Ali avait ete promu au rang de beylerbey de Roumelie 1 par la Porte reconnaissante. Comine toujours, il entreprit de debarrasser sa nouvelle province des haidouts qui l’infestaient et reussit si bien que la Porte eut peur de lui et lui ota son rang de beylerbey de Roumelie, ce qui n’etait pas pour lui deplaire car cette charge etait tres one- reuse et ne presentait pas de gros avantages financiers ou autres. Ali retourna donc a Janina avec comme seul resultat de cette campagne une augmentation de ses tresors par suite des exactions ehontees qu’il fit dans les villes qu’il traversait2. Desirant comme toujours etendre son pouvoir il annexa les ex- dependances 3 de terre ferme venitiennes dont seule Parga lui echappa, etant consideree toujours comme dependance de Corfou. Ensuite il eut des demeles avec les Albanais qui s’etaient allies contre lui avec les Souliotes. Ce ne fut qu’un bref entr’acte avant qu’il n’entreprit de nou­ velles tentatives d’expansion, cette fois vers les lies Ioniennes, surtout vers Corfou et Leucade. Ces lies servaient de refuge a tous les armato­ loi, klephtes et Souliotes qui s’etaient attires l’inimitie d’AIi. II en fit assassiner plusieurs, mais les lies resterent toujours l’objet de ses convoitises et c’est pour cette raison qu’il fut toujours l’ennemi de la puissance occupante, que ce fut la France, la Russie ou la Grande-Bre- tagne. Sa tentative contre Leucade echoua, comme on l’a vu prece- demment. Puis il se mit en campagne contre Ibrahim pacha de Berat dont il occupa presque tout le pachalik, tout en informant la Porte que ledit pacha etait un trattre. La Porte, sous l’influence des arguments dores d’AIi, lui confia le gouvernement de Berat. Pour mieux assurer

1 Le terme de « Roumelie» etait utilise par les Turcs pour designer la partie europeenne de leur Empire et, plus particulierement, la Bulgarie Meri- dionale et la Thrace. Les Grecs appelaient « Roumelie» la plus grande partie de la province appelee aujourd’hui Gr£ce Continentale ou Grece Cen­ trale. Sauf avis contraire, le terme est utilise dans le present ouvrage avec sa signification turque. 2 Aravantinos, Historia Ali pacha, pp. 176-178. 3 En 1800 ces dependances avaient ete cedees a la Porte. Regions privi- legiees, elles etaient gouvernees par un representant de la Porte qui fut assassine par ordre d’AIi. — 114 — son succ&s Ali fit emprisonner Ibrahim dans les cachots de son serail de Janina. , En Moree Veli pacha avait ete le digne fils de son pere. II sema la discorde pkrmi les Turcs et parmi les Grecs et par ses exactions se m une grosse fortune. Comme son pere il sev.t sans pit,e con re les klephtes qui s’etaient organises en une sorte de confed6ration dont le c h e f fut’ longtemps le fameux klephte Zacharias*, puis, apres sa mort, le tout aussi fameux Colocotronis. La lutte dura des annees, mais enfin, en 1806, les klephtes durent se refugier aux lies Ioniennes, la plupart & Zante. , La politique de Veli en mati&re financiere avait eu le resultat de dresser contre lui non seulement les Chretiens, mais aussi les Musul­ mans et, surtout, les Albanais parmi ces derniers5. Le resultat fut qu’en 1809 eut lieu une tentative d’alliance greco-albanaise, dirig£e contre le pacha et son fils. Celle-ci eut son origine dans une querelle entre Ali Pharmakis, chef des Albanais Musulmans de Lala en Moree, et Veli pacha6. La querelle devait etre reglee par les armes, Ali Pharmakis demanda l’aide de Theodore Colocotronis, les deux families etant en bonnes relations. Colocotronis qui se trouvait alors & Zante le secourut effectivement et puis retourna a Zante pour y etre rejoint par Ali Pharmakis quelque temps apr£s. Ce fut alors que Colocotronis commenga k preparer une expedition greco-albanaise contre Ali pacha de Janina. II comptait sur l’aide que lui fourniraient les armatoloi, les klephtes et les Souliotes refugtes aux lies Ioniennees ainsi que sur celle qui lui serait fournie par les Albanais Musulmans de Moree (dont il recevrait l’appui par l’entremise d’Ali Pharmakis) et les Albanais Musulmans d’Epire dont il recevrait l’aide par l’entremise de Hasan Tchapari7. Mais il ne se limita pas k ses propres forces, car il voulut avoir l’aide de la France dans son entreprise.

i La similarity est frappante entre le drapeau utilise par Zacharias et ceux proposes par Rhigas et N. Ypsilanti. Dans les trois cas il s’agissait d’un drapeau tricolore de trois bandes horizontales dont celle d’en haut 6tait rouge, celle du milieu blanche et celle d’en bas noire. Au milieu de la bande blanche figurait un embl£me qui 6tait: pour Rhigas une massue d’Hercule et trois croix ; pour Zacharias une croix entour£e de la devise « ou sang, ou liberty, ou la mort» ; pour N. Ypsilanti k l’obvers un phenix surgissant des flammes, surmontd d’un ceil rayonnant et entourd de la devise « je renais de la cendre » et au revers une croix entourde de la devise « sois victorieux par ce signe ». II serait curieux de savoir s’il y a eu aucun lien entre ces trois id£es ou si cette coincidence de couleurs ne fut qu’un pur hasard. s Yakoub aga de Lala, le plus puissant seigneur albanais de Mor£e qui entretenait des relations secretes avec les Frangais ecrivait le 12 mai 1809 au Commissaire Imperial des lies Ioniennes, Bessieres : « les Turcs et les Grecs sont dans une grande agitation et rdunis contre notre tyran (c’est a-dire Veli pacha). Ils sont prgts a agir des que vous le voudrez» (Texte de la lettre publiee par J. Savant, Napol&on et la Liberation de Grice dans L’Hellenisme contemporain, 1950, p. 477. ’ « Kandiloros, Armatolismos tis Peloponnisou, pp 395-401 D. 7 Th-. Colocotronis avait rencontri Hasan Tchapari en compagnie d’Ali Pharmakis afin de n<§goc.er cette alliance. (Tr. Evangelidis, Historia Ali pacha, p. 511.) — 115 —

Ali pacha fut toujours, comme nous l’avons deja dit, l’ennemi de tous ceux qui possedaient les lies loniennes qu’il voulait ajouter a ses Etats et la France etait, en 1809, la puissance possedante. Colocotronis voulut donc, amenant avec lui Ali Pharmakis, aller a Paris n£gocier directement avec l’Empereur Napoleon Ior, mais il fut ddtourne de cette entreprise par le gouverneur general des lies loniennes, general Donze- lot. Mais si celui-ci n’avait aucun espoir dans le soutien par Napoleon d’une revolte dans l’Empire Ottoman, il n’en desirait pas moins la diminution ou bien l’an6antissement du pouvoir d’AIi pacha qui venait justement de tenter de mettre la main sur Leucade. 11 declara donc qu’il ecrirait personnellement a l’Empereur et que jusqu’a ce qu’il ait regu une reponse il ferait, avec Colocotronis et Pharmakis, les plans de Fexpedition 8. D’apres ces plans, Donzelot donnerait aux insurges cinq cents homines de l’artillerie avec des canons ainsi que ceux des Grecs qui etaient au service de la France, au nombre de 5.000 hommes. En plus, s’il etait necessaire, il permettrait aux insurges de recevoir des renforts des lies loniennes. 11 leur donnerait aussi les moyens pour que les habitants de l’Albanie, de l’Epire et de la Grece centrale puissent s’enroler dans l’arinee des insurges qui recevraient aussi le renfort d’un corps de Corses9. Elle devrait etre assez forte pour que les gar- nisons des forteresses de Mess6nie, de Patras et de Monemvassie capi- tulassent. Ensuite on enverrait un rapport au Sultan qui affirmerait que l’insurrection n’etait nullement dirig^e contre lui, mais seulement contre Veli pacha. En meme temps Donzelot Ecrirait au general Sebastiani, ambassadeur de France aupres de la Sublime Porte, pour le prier d’appuyer les insurges en soutenant aupres du Sultan Mahmoud II leurs pretentions. Quant au gouvernement futur des contrees r£volt£es, il fut decide qu’un gouvernement democratique serait instaure, compose de douze membres musulmans et de douze membres chretiens. Aucune discrimination de race ou de religion ne serait toleree ; les lois seraient prepares a Corfou, c’est-a-dire, en pratique, par les Frangais et il est permis de supposer que le nouvel Etat serait completement sous la tutelle frangaise. Du point de vue politique, ce plan etait realisable. La co-existence greco-albanaise n’etait pas du tout une utopie, malgre les differences de religion. II etait traditionnel parmi les klephtes de Moree de recher- cher de bonnes relations avec les Albanais Musulmans, surtout ceux de Lala. Du point de vue militaire, ce plan etait-il valable ? II l’etait tres probablement, si les Frangais aidaient effectivement les insurges et si les Albanais se joignaient k eux comme prevu. La seule chose qui apparatt trop optimiste est la capitulation immediate des forteresses qui ne serait due qu’au mecontentement de leurs garnisons contre Veli

s Colocotronis, Syntomos Diigisis peri ton symvanton tis Hellinikis Philis v. I, pp. 37-38. 9 Aravantinos, Chronographia tis Ipirou, p. 312. pacha. Donzelot fournit done a Colocotronis et Pharmakis les moyens financiers necessaires pour les preparatifs ; il ne semble pas cependant avoir pris tr£s au s£rieux toute cette affaire. De l’argent et des armes furent envoyes au Magne et Coloco­ tronis et Pharmakis partirent pour l’Epire et 1’Albanie. La-bas ils entrerent en contact avec les Albanais mecontents contre lesquels Ali pacha avait d£ja du prendre des mesures a plusieurs reprises. Pr£s de 3.000 hommes furent enr61es et envoyes k Parga. Tous les plans et activites revolutionnaires devinrent vains lors de la prise de Zante par les Anglais en septembre 1809. Les Frangais, dont le gouvernement etait devenu impopulaire u , avaient peu d’hommes pour defendre les autres lies, dont la plupart tomberent tres facilement aux mains des Anglais. Dans ces conditions il ne pouvait etre question d’activites revolutionnaires auxquelles les Francais donneraient leur aide. Ali cependant continuait sa politique d’expansion en attaquant le pacha de Delvino et le privant de ses territoires et attaquant ensuite le village de Gardiki dont il massacra les habitants. Ensuite il se tourna contre Parga, qu’il convoitait depuis longtemps. Cette conquete lui apporterait tres peu d’avantages politiques, economiques ou meme strategiques. Mais il la voulait parce qu’elle avait ete le port du Souliote hai et parce qu’elle avait toujours echappe k ses desseins contre elle. Aussi par sa liberte meme elle fournissait un mauvais exemple aux populations soumises a Ali. II envoya done contre elle une flottille, mais Parga echappa de nouveau car ses habitants, voyant quelques vaisseaux de guerre anglais dans les parages, s’emparerent de la forteresse et hisserent le pavilion britannique. Cependant le repit de Parga12 devait etre court. Bien que consi- deree comme une dependance de Corfou, Parga n’etait pas mentionnee dans la convention de Paris instituant la Republique des Sept-Iles Unies Ioniennes sous la protection britannique. Ali entra done en relations avec Sir Thomas Maitland, Lord Haut-Commissaire des lies Ioniennes. Enfin, en mars 1817, la convention cedant Parga h Ali fut signee et celui-ci promit de verser une indemnite a ceux des habitants qui desi- reraient quitter la ville. Tous les habitants desirerent quitter la ville et ainsi les travaux pour revaluation de l’indemnite due tramerent jus- qu’au debut de 1818, car Ali ne desirait pas verser une piastre de plus qu’il n’etait necessaire. Enfin, le 15 avril 1818, les habitants quit-

io Pour une etude detaiHee des rapports entre les Frangais des lies Ionien­ nes et les Grecs et Albanais de Mor<§e (et surtout Yakoub acra de I ala f X . d’Ali Pharmakis a cette epoque, voir J. Savant Napolion etltihtlr f la Grice, L’HellMsme Contemporain, 1950, pp 320-341 et pp. 66-76 et 389-414; 1952, pp. 103-152 474-485; 1951, n II est intfressant de noter que tous ceux qui gouvernaient sous une v?te Jm^opuiaires ,0n'enne8 JSs

precMt et sum la cession de Parga^de Boss Baggally, Ali pacha and Great Britain. 8 d the Ioman ls ' — 117 — terent Parga qui fut ensuite evacuee par la garnison britannique. La cession de Parga fit sur les Grecs une impression extremement doulou- reuse. Ce fut a cette epoque qu’AIi atteignit le sommet de sa puissance. II poss6dait, — soit directement, soit indirectement par ses fils — toute l’Epire, toute la Thessalie, la Macedoine occidental, la Grece cen­ trale (sauf l’Attique et une partie de la Beotie) et toute la Moree, le capoudan pacha ayant cede, bon gr£ mal gr6, le Magne a Veli. Sa puissance etait si grande qu’il commengait a inspirer de la m£fiance au Sultan ainsi qu’au Divan. Le Sultan Mahmoud II etait tres jaloux de la puissance des turbulents pachas et un de ses plus chers desirs fut toujours de la diminuer. Pour arriver & ses fins il saisissait toutes les occasions. Ali pacha avait voue une haine particuliere a un certain Ismael Pacho bey, ami de son fils Veli, qui le protegea autant qu’il le put. A plusieurs reprises, le bey avait ete persecute par le pacha qui avait meme voulu le faire assassiner plusieurs fois. En 1820 un attentat eut lieu contre Ismael Pacho bey dans sa maison qui etait pres du Serail Imperial. L’emotion ressentie au Serail fut d’autant plus grande qu’lsmael Pacho bey etait Ie favori de Halet effendi qui jouissait de toutes les faveurs du Sultan. Le Divan decida donc de renvoyer de Constantinople les kapoukehayas ou deiegues d’AIi pacha et puis d’enlever aux fils du pacha leurs pachaliks. Ensuite on enleverait a Ali pacha les pachaliks de Berat et de Delvino en lui laissant seulement le pachalik de Janina qui, plus tard, lui serait aussi enleve 13. Ce plan est du a Ismael Pacho bey qui fut nomme derechef pacha de Janina et de Delvino, au titre d 'arpalik 14. Tentant une derniere fois sa chance, Ali voulut paraTtre comme le plus fideie des pachas. II informa donc la Porte de l’existence d’une societe secrete 15 ayant comme but le renversement de l’Empire Otto­ man. Sous l’influence des ennemis d’AIi pacha, et surtout d’Ismael pacha, le Divan ne preta aucune attention aux avertissements d’AIi. Voyant que tout etait inutile, Ali se rebella ouvertement. II entra en relations avec les Serbes et les Montenegrins 16 et il fit tout pour s’attirer la sympathie des personnes qui pourraient l’aider. II convoqua a Pre- veza une reunion de primats grecs, de capitaines d’armatoloi et de klephtes pour leur demander leur concours contre le Sultan. II leur promit17 de leur fournir des armes s’ils en avaient besoin ; de leur permettre de s’acquitter k terme de leurs dettes fiscales ; de donner aux families de ceux qui combattraient avec lui une certaine quantite de

13 Aravantinos, Historia Ali pacha, pp. 276-277. 14 II fut desormais intitule Pacho Ismael pacha. 15 C’est-a-dire 1’Hetairie. 18 Aravantinos, op. cit., p. 280. II les nomme « Bulgares» dans une de ses lettres aux Souliotes, ce qui montre combien les nationalites etaient mal definies a cette epoque. n Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. II, p. 237. — 118 — ma'is ; de payer ses soldats chacun suivant sa valeur ; de leur permettre d’utiliser leurs propres drapeaux ; de leur donner le quart du butin ; de les exon£rer apres la victoire, de tous impots, sauf la dime. Cette offre n’eut pas les resultats escomptes, surtout a cause du fait que nul ne croyait qu’AIi tiendrait effectivement ses promesses. II convoqua donc un grand divan (conseil) ou furent convoques les prelats d’Epire ainsi que les chefs principaux des Musulmans et des Chretiens. Ce fut a cette curieuse reunion qu’AIi prononca son apologie 18 et offrit ensuite d’octroyer une Constitution. Sans avoir tres bien compris ce qu’il leur promettait, les Albanais resolurent de lui rester fideles, sur­ tout a cause des nombreux cadeaux qu’ils devaient recevoir ; quant aux Grecs, dont plusieurs etaient hetairistes, ils lui resterent fideles car de cette fagon ils pouvaient faciliter la revolution hellenique attendue. Apres un deiai assez long, Ali pacha fut declare firmanli par un hatti-cherif en juillet. Cette sentence declarait « qu’AIi Tebeien, declare coupable de tese-majeste, ayant obtenu k diverses reprises le pardon de ses felonies, etait mis comme relaps au ban de 1’Empire, s’il ne se presentait au seuil de la Porte de Felicite, dans le deiai de quarante jours » w. Naturellement Ali ne se presenta pas, fut proclame « Kara » (c’est-a-dire « le noir », surnom donnd aux rebelles) et la guerre com­ menga. Bien que les hostilites tarderent & commencer, les succes des impe- riaux furent nombreux. En peu de temps la Grece centrale orientale tomba aux mains des imperiaux, Veli ayant abandonne la forteresse de Lepante. Tandis que la Grece centrale occidentale tombait A son tour entre les mains des imperiaux, une autre armee avancait de Monastir vers Berat. Les defenseurs de cette ville, Moukhtar et Salih, fils d’AIi, l’abandonnerent sans coup ferir et se refugierent a Argyro- castro. Une flottille imperiale, sous le commandement du capoudan bey 2° Ali bey, remonta les cotes de PEpire dont elle s’empara. Le Sultan Mahmoud II desirait finir le plus tot possible avec 1’in- surrection d’AIi et chercha a trouver le plus d’allies possible. Ali bey manda donc des emissaires aux Souliotes etablis a Corfou. Ceux-ci lui envoyerent une delegation qui demanda le droit de reconquerir Souli eux-memes. Ce droit leur fut accorde et les Souliotes rejoignirent le camp imperial devant Preveza assiegee ou se trouvait Veli. Cette ville se rendit peu apr£s, Veli se constituant prisonnier, ainsi que l’avaient dej£ fait ses freres a Argyrocastro. Preveza ayant capitule, les Souliotes se rendirent au camp de l’armee assiegeant Janina et demanderent la permission de reconquerir Souli comme il avait ete convenu, mais Ismael pacha le leur refusa. Les divers beys et agas albanais de sa suite lui avaient demontre que la

is Texte dans Pouqueville, Histoire de la Regeneration de la Grece vol. II, p p . 35-40. is Ibid., vol. II, p. 12. 20 Contre-amiral. — 119 —

possession de Souli par ses anciens habitants serait contraire a leurs int6 rets. Ils se rappelaient les continuelles depredations des Souliotes et avaient peur que ceux-ci, une fois rentres chez eux, recommen- ceraient leurs razzias. Malgre leur deception les Souliotes resterent, suivant les ordres d’Ismael pacha, pr6 s du camp des imperiaux, espe- rant que le commandant en chef changerait d’avis. Cependant les beys albanais considererent que le seul moyen de se debarrasser des Sou­ liotes etait de les tuer tous et Ismael pacha y consentit sous reserve que Ie massacre ne se ferait pas au camp. 11 informa donc les Souliotes que leurs services n’etaient plus necessaires et qu’ils devaient retourner aux lies loniennes mais que, par une faveur insigne, il gardait vingt membres de chacune des phares les plus importantes. Ali pacha, assiege dans Janina, etait tenu au courant par ses espions de ce qui se passait au camp des imperiaux. 11 resolut donc de profiter de l’indignation des Souliotes contre Ismael pacha. 11 entra astucieuse- ment en relations avec eux 21 et l’alliance entre les anciens ennemis fut decidee, les conditions etant que les Souliotes recevraient Souli, la forteresse de Kiapha et les quarantes villages qu’ils avaient possedes autrefois, leurs parents aux lies loniennes recevraient 2 0 0 .0 0 0 piastres et des otages seraient echanges. Avant d’accepter ces termes, les chefs Souliotes eurent une entrevue avec Ismael pacha qui les insulta ; alors les Souliotes, craignant qu’lsmael pacha n’executat les plans nefastes k leur egard dus aux conseils de ses beys et agas albanais, envoyerent N. Botzaris signer l’accord avec Ali. Remarquons aussi que les Alba­ nais allies des Souliotes en 180422 Firent de meme la paix avec Ali, sans quitter cependant le camp imperial et sans qu’lsmael pacha se doutat de rien 23. Les echanges d’otages ayant ete faits, les Souliotes rentrerent en possession de Souli, sauf la forteresse de Kiapha qui leur fut rendue seulement presque deux mois plus tard. Ce retard fit naitre des soup- 9 0 ns parmi les Souliotes au sujet de la sincerite des sentiments d’AIi pacha a leur egard. La rentree des Souliotes dans leur patrie fut consi- deree par les hetairistes comme etant un evenement de toute premiere importance et Alexandre Ypsilanti envoya k Colocotronis des directives au sujet de la politique souliote future. Ces directives etaient de garder l’alliance avec Ali, mais de telle maniere qu’il ne puisse plus avoir la puissance d’autrefois ; combattre visiblement aux cotes d’AIi pacha mais faire de sorte que les armees imperiales soient chassees de l’Epire dont les garnisons seraient alors formees de Grecs lorsqu’eclaterait l’in- surrection helienique ; feindre la plus grande amitie envers Ali mais

21 Ses canons jetaient des obus pr£s du camp souliote. Voyant qu’ils n’explosaient pas, les Souliotes les ouvrirent et trouverent dedans de l’or au lieu d’explosifs et aussi des billets les invitant a des negotiations. Les Sou­ liotes envoyerent donc Botzaris avec deux autres et les negociations eurent lieu par l’entremise de l’homme de confiance d’AIi, Alexis Noutsos, hetairiste, qui les informa des projets d’Ismael pacha contre eux. 22 C’est-a-dire Silichtar Potta, Ago Mouliourdar, Tahir Abazi, etc. 23 Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. II, p. 243. — 120 — de telle maniere qu’il se detourne des Turcs qui l’entouraient 24. Telles furent d’ailleurs les grandes lignes suivies par les Souliotes envers Ali pacha. On comprend bien quelle serait l’importance pour la revo­ lution future d’avoir une province d£j& libre des troupes ottomanes : elle pourrait servir de base d’operations, d’autant plus qu’elle etait tres proche de Corfou et, dans un degre moindre, de l’ltalie. Quelques semaines plus tard, les Souliotes furent rejoints par leurs allies Albanais de 1804 qui etablirent leur campement a Souli apres avoir reussi a sortir du camp imperial sans etre arretes. Un nouvel accord d’alliance fut sign£ entre eux et les Souliotes le 15/27 janvier 1821 2B. Ces defections augment^rent enorm£ment le nombre des enne- mis d’Ismael pacha qui dut envoyer contre Souli une armee de 7.000 hommes, tandis que les Souliotes envoyerent un corps pour couper la route d’Arta k Janina aux Cinq Puits, point strategique tres important. On coupait ainsi les communications du pacha. Une fois en possession de Souli et les premieres attaques ennemies repoussees, les Souliotes reconstituerent leur Confederation telle qu’elle avait ete avant 1803, mais avec la difference importante que les Para- souliotes furent regus comme citoyens, possedant desormais les memes droits et les memes devoirs que les Souliotes proprement dits 28. Notis Botzaris fut eiu pol£marque et le drapeau donn£ autrefois par Cathe­ rine II fut d£ploye de nouveau27. Ainsi on tint compte de revolution des esprits depuis vingt ans et les Souliotes regurent les services de nombreux hommes qui avaient ete persecutes par les beys et agas du voisinage, ainsi que ceux de plusieurs armatoloi et klephtes. Les imperiaux n’avaient pas desespere de ramener les Souliotes dans leur camp. De leur cote, ceux-ci se voyaient entoures par des ennemis de beaucoup superieurs en nombre. Ils entrerent done volontiers en negociations avec eux et surtout avec le capoudan bey Ali bey. La rencontre des envoyes souliotes B. Zervas et G. Zervas avec le capoudan bey eut lieu sur le vaisseau amiral. Ils declarerent au capoudan bey que les Souliotes n’avaient aucun dessein contre le Sultan, que ce fut Ismael pacha qui les forga a s’allier avec Ali pacha en ne tenant pas ses promesses et en desobeissant aux ordres expres du Sultan. Acceptant la soumission k la Porte, les deux Zervas vou-

24 Texte dans Philimon, op. cit., vol. II, pp. 347-348. as Voici le texte de I’accord, d’aprfes Philimon, op. cit., vol. II, p. 246 : « Nous, soussign£s, Agas Albanais et Capitaines Souliotes, jurons chacun sur sa Foi de garder le present £crit ferme, sur et sans changement; et comme notre Seigneur Ali pacha est etroitement assi£g£ par Ismael et les autres pachas, d’etre freres avec un corps et une ame et de verser notre sang pour la cause de ce Seigneur; et si un de nous autres Turcs [e’est-a-dire Musul­ mans] devient infidele et parjure, alors qu’il soit mis hors du « din-islam » et qu’il meure comme Juif ; et si un de nous autres Romains [est parjure] qu’il renie le Christ. Nous voulons tous ceci et comme ci-dessus nous signons avec serment. Souli, le 15 janvier 1821 ». (Suivent les signatures). 26 Les Souliotes adopterent comme Constitution de leur Confederation un texte presente par Perraivos qui nous le fournit dans ses M&moires Militaires, pp. 69-71. 27 Pouqueville, op. cit., vol. II, p. 198. — 121 — lurent avoir par ecrit les propositions du capoudan bey28 et un deiai leur fut accorde pour qu’ils presentent leurs propositions aux Sou­ liotes et pour qu’une r6ponse soit pr£paree. Les propositions d’AIi bey lui furent rendues avec une reponse negative, mais les Souliotes avaient gagne le temps dont ils avaient besoin, presque trois semaines s’etant ecoulees avec ces negociations. Ce fut a cette epoque qu’eurent lieu premi^rement la campagne du metropolite d’Arta Porphyre contre les Souliotes qu’il avait excom- munies et qui se termina par une debacle totale pour le prelat et, ensuite, les negociations avec Bekir Djocador, voivode de Preveza. Celui-ci avait envoyd une lettre aux Souliotes exprimant le d£sir d’ou- vrir des negociations. Apres une deliberation au Conseil, N. Botzaris lui repondit qu’avant toute negociation les arrieres de solde des Sou­ liotes devraient etre verses. Ceci fait, Bekir Djocador proposa aux Souliotes une amnistie et l’oubli du passe mais ceux-ci refuserent d’ac- cepter ces propositions et demanderent au voivode que la Porte recon- nut leur independance. Le voivode n’ayant pas l’autorisation necessaire pour accepter une telle proposition, les negociations furent ajournees sine die, un armistice etant conclu pour un mois mais celui-ci fut bientot vioie par les Turcs. 29 A la meme epoque, en mars 1821, eut lieu la disgrace d’Ismael pacha et la nomination de Khourchid pacha de Moree comme serasker, beylerbey de Roumelie, seigneur des trois pachaliks de l’Epire et der- vendat nazir. Connu pour son fort caractere, homme capable et ener- gique, Khourchid pacha mit tout de suite de la discipline parmi ses troupes. Lui aussi essaya de ramener les Souliotes dans son camp, mais sans succes30. De son cote, Ali pacha voulut aussi negocier avec Khourchid. 11 lui ecrivit donc une lettre en le priant d’intervenir aupr6s de la Porte pour qu’il regoive l’amnistie de la part du Sultan Mahmoud II k qui il a toujours ete fideie et que la coiere imperiale etait due aux machinations injustes d’Ismael pacha31, Khourchid pacha

28 Void le texte de ces propositions, d’apr£s Philimon, op. cit., vol. II, p 252 : « Ali bey, Haut Capitaine, commandant la flotte ottomane dans les parages de l’Epire, etc. aux Capitaines Souliotes et autres. I.‘ Je leur permets d’habiter leurs maisons, de jouir de leurs biens tant mobiliers qu’immobiliers et de jouir de leur securite, libres en tout, sans peur. II La forteresse de Kiapha restera entre mes mains et j’y mettrai seule­ ment dix Turcs avec la banniere imperiale. III. Je laisse au pouvoir des Souliotes les quarante villages qu’AIi pacha leur avait donnes. IV. Les Capitaines Souliotes viendront d’abord me rendre hommage et ensuite iront faire de meme a Khourchid pacha, vali de Roumelie, et ainsi seront libres d’aller habiter leurs maisons. V. Je veux le petit-fils d’AIi pacha, Hussein pacha, que vous gardez comme otage depuis longtemps. VI. Je veux six otages de vos principales families afin de les envoyer a Constantinople. 29 Pouqueville, op. cit., vol. II, pp. 275-276. so Aravantinos, op. cit., p. 316. 3i Aravantinos, op. cit., p. 317 ; Philimon, op. cit., vol. II, p. 254. — 122 — lui repondit s£chement que pour assouvir la colere du Sultan, Ali devrait se soumettre sans conditions. Ali pacha comprit alors qu’il ne pouvait rien faire contre la haine du serasker, haine qui provenait en grande partie du fait que Khourchid pacha considdrait Ali comme responsable de la revolte qui venait d’eclater dans son pachalik de Moree. Les combats continuaient a faire rage autour de Souli et la victoire etait tr£s indScise lorsque Silichtar Potta, un des Albanais allies, passa aux imperiaux82. Cet acte menaca de faire sauter l’alliance toujours fragile entre les Souliotes et les Albanais, malgre les tentatives conci- liatrices d’Alexis Noutsos, le representant d’Ali aupres des Souliotes et des Albanais. Le pretexte de cette trahison fut l’arrivee de Perraivos portant avec lui les proclamations revolutionnaires d’Alexandre Ypsi­ lanti et la nouvelle du commencement de l’insurrection. Ce fut alors qu’Ali pacha et Perraivos echangerent des lettres qui sont un monu­ ment rare d’hypocrisie poussee a son plus haut degre. La raison de cette correspondance est claire : Perraivos voulait encourager Ali pacha a resister aussi longtemps que possible afin que les positions des insurges de Mor£e soient consolidees avant que Khourchid puisse envoyer une arm£e entiere contre eux et Ali, de son cot6, desirait une augmentation de I’activite des Souliotes afin de le soulager d’une partie, au moins, de la pression exercee sur lui par Khourchid pacha. Malgre cette defection de Silichtar Potta, qui allait plus tard etre suivie d’autres, les Souliotes continu&rent i essayer de trouver des allies parmi les Albanais. Ainsi fut sign£, le 27 mai/8 juin 1821, le traite de Glyky entre les Souliotes et les agas de Margariti33. Ce traite fut le resultat d’une expedition victorieuse des Souliotes avec leurs allies albanais dans la region de Margariti. Ses termes etaient que les agas mentionn6s ci-dessus rendraient plus difficile toute tentative de Khour­ chid pacha contre Souli dans la region de Glyky ; que si lesdits agas desireraient rejoindre l’armee de Khourchid, qu’ils n’attaquent pas les Souliotes du cote de Glyky ; que les Souliotes, de leur cote, ne devaient molester ni les Musulmans ni les Chretiens du cdt6 de Glyky. Ce traite etait mutuellement avantageux : tout un secteur de la fronttere de Souli £tait maintenant en s£curite sans avoir besoin d’une garde s6v£re tandis que les habitants de la region de Glyky n’avaient plus h craindre les razzias des Souliotes. Entre temps, la situation d’Ali devenait de plus en plus difficile. Ses soldats dSsertaient, son armee fondait a vue d’ceil, les demises for­ teresses qui lui restaient tombaient l’une apres l’autre aux mains de Khourchid, la trahison £tait partout. Les Souliotes etaient incapables de l’aider : chacune de leurs expeditions pour secourir Janina etait intercepts. Ali se retira enfin dans la forteresse d’ltch-Kale, la derniere qui lui restait et ia plus forte de toutes. 11 decida enfin de se faire

82 Cette trahison fut due au fait que Silichtar Potta avait recu d’Ali la mission d’apporter aux Souliotes 1’or dli pour payer leur solde Potta nr<§fera garder l’or pour lui-m£me. ' 33 Philimon, op. cit., vol. II, pp. 258-259. — 123 — sauter avec les munitions se trouvant dans la forteresse, mais Khourchid apprit cette decision nee du desespoir et lui envoya des emissaires auxquels Ali declara qu’il sauterait avec la poudre s’il ne lui etait pas permis de se presenter au Sultan Mahmoud II pour se justifier et lui donner tous ses tr£sors. Ayant appris cette decision, Khourchid pacha demanda des instructions au Divan et, en les attendant, conclut un armistice de facto avec Ali. Quelque temps apres, Khourchid pacha lui declara que sa demande n’avait ete regue qu’avec beaucoup de diffi- cultes & Constantinople et que pour montrer le respect necessaire envers le Sultan il devrait quitter Itch-Kaie. Se fiant aux paroles de Khourchid, Ali quitta sa forteresse et se refugia sur une tie du lac de Janina, pre- nant avec lui sa femme et ses gardes. Khourchid lui envoya des vivres et des musiciens pour egayer ses loisirs et les diverses personnalites du camp imperial lui rendaient visite regulierement. Peu de jours apres arriva de Constantinople Ie firman ordonnant la mise a mort d’AIi. Khourchid declara & Ali qu’il devait entrer en pos­ session d’ltch-Kaie, ce qui fut fait. Enfin, le soir du 24 janvier/5 fevrier 1822, des barques pleines de soldats s’approcherent de 1’Tle, les soldats debarquerent, echangcrent quelques coups de feu avec les gardes d’AIi, arriverent au monastere de Saint-Panteie'fmon, ou celui-ci avait habite pendant toutes ces journees, et la il fut tue par une balle tiree au hasard. Sa tete fut ensuite coupee et envoyee a Constantinople. Toute sa famille le suivit bientot au tombeau, executee par ordre de Mahmoud II. Ainsi se termina miserablement la prodigieuse carriere d’AIi pacha Tebeienli qui, a cote de grandes choses, commit toutes les folies et tous les crimes possibles et imaginables, II fut la personnalite domi- nante dans les Balkans de la fin du xvin0 et du debut du xix' siecle et on retrouve son nom meie a toutes les trahisons, a toutes les revoltes, a tous les desordres de cette periode turbulente. Inconsciemment il joua un role de tout premier ordre dans la preparation de la revolution helienique. La moindre probablement de ses idees fut celle de la crea­ tion d’un Etat independant. Quant a l’idee d’octroyer une constitution a ses administres, on ne peut que ne pas la prendre au serieux. II s’agissait certainement d’un expedient et ce n’aurait pas ete la pre­ miere promesse qu’il aurait vioiee. Le succes de la revolution grecque pendant sa premiere annee fut du, en grande partie, a Ali et sa revolte. Par le simple fait qu’il immobilisa pendant toute l’annee 1821 toute une armee ottomane a Janina il permit a la revolution de s’etendre et, surtout, de se consolider. L’Hetairie avait justement compte sur ce resultat lorsqu’elle fit dependre si etroi- tement la date du debut de l’insurrection de la situation dans laquelle se trouvait Ali. II s’agit maintenant d’etudier de plus pres le role de l’Hetairie en Epire qui devint ainsi, indirectement, un des secteurs les plus importants de son activite. Chapitre XI

L'HliTAIRIE ET L'^PIRE

Les hetairistes avaient tr£s vite compris le r61e important que pou­ vait jouer l’Epire dans la realisation de leurs projets

1 Heltiniki Epanastasis, vol. II, pp. 404-420. Ce rapport n’est pas date mais il a ete ecrit apres la mort d’Ali pacha. — 126 —

Deja a cette epoque Ali pacha commengait a avoir des craintes pour sa securite future et il entra en negociations avec toutes les grandes puissances a la fois. 11 en cherchait une qui ferait la guerre a la Porte pendant que lui se revolterait et qui, ensuite, assumerait la suze- rainete sur ses territoires qu’il continuerait d’adininistrer mais comme vassal de ladite grande puissance2. En entendant ce plan qui lui fut revele, sur ordre d’AIi pacha, par C. Marinoglou, son secretaire qui etait charge des relations avec la Russie3, Paparrigopoulos declara a son interlocuteur que le Tsar Alexandre I°r n’approuverait guere ces plans, etant en paix avec 1’Empire Ottoman mais que, si une guerre russo-turque eclatait, l’affaire pourrait s’arranger. Cependant Ali pacha avait dej& envoye dans les Principautes danubiennes et en Russie un certain C. Ducas qui devait expliquer aux autorites russes la facilite de (’execution d’un tel plan, mais sans leur dire qu’il venait de la part d’AIi pacha. En 1818 Ali pacha lui-meme informa Paparrigopoulos de ses plans, lui disant que le Sultan Mahmoud II etait un ingrat qui voulait faire fuer celui qui lui avait construit tant de serails a Constantinople. Pour cette raison, Ali pacha voulait etre en bonnes relations avec les Russes qui le prendraient sous leur protection. Paparrigopoulos dut alors expliquer personnellement a Ali ce qu’il avait deja dit a son secretaire Marinoglou. Paparrigopoulos n’osait pas approuver ouvertement ce que disait Ali pacha car, connaissant le caractere perfide du pacha, il avait peur que celui-ci ne r£velat tout a la Porte, en faisant seniblant que la proposition lui avait ete faite par la Russie. En novembre 1818 Ali pacha informa Paparrigopoulos qu’il avait appris l’existence d’une societe secrete4 dont le siege etait en Russie et dont il lui fit les signes de reconnaissance5. Alarme, Paparrigopoulos lui dit qu’il ignorait tout de l’existence d’une telle societe. Une fois de retour k Patras il init au courant le metropolite de Patras Ciermanos rhi ini strait tie lien avee l’Afdit. Mais les dioses devaient cliangcr a partir d’une tentative d’assassinat d’Ismael Pacho bey °. Le metropolite

2 Rapport Paparrigopoulos, dans Philimon, op. at., vol. II, p. 405 3 Ali avait des secretaires sp£ciaux charges, a 1 insu I un de I autre, des relations avec chacune des grandes puissances. ___ 4 II s’agissait naturellement de l’Hetairie. Les hetairistes Epirotes croyaient que si Ali etait initie a leur societe il pourrait I aider a accomplir sa tache. Les hetairistes se reunissaient souvent dans la maison de Crokidas, absent a Constantinople. Ils n’oserent cependant pas reveler a Ali existence de l’H6tairie mais Ali eut des soupfons, causes par certaines paroles de ses secretaires, qui se changerent en certitude lorsqu’un certain Diogos, ayant le grade de recommandi, lui avoua l’existence de 1’Hetaine ainsi que les signes de reconnaissance utilises par ses membres. All re^ut aussi quelques renseignements sur l’Hetairie de la part du Lord Haut-Commissaire des lies loniennes, Sir Thomas Maitland. , ...... i 5 En 1818 la plupart des habitants influents de Janina furent inities a l’Hetairie. 0 II ne s’agit pas de l’attentat de Constantinople mais d’un autre qui eut lieu a Dram a. — 127 —

Germanos avait bien compris que la politique du Sultan Mahmoud II etait de se debarrasser des pachas trop puissants ; Ali devait done se proteger. Mais pour le faire il ne pouvait pas compter exclusivement sur des troupes musulmanes qui, par scrupule religieux, pourraient refuser de combattre contre les armees du Sultan-Caliphe. II lui serait done necessaire d’utiliser aussi des Chretiens ce qui, en pratique, signi- fiait des capitaines d’armatoloi et de klephtes et leurs bandes7. On devrait naturellement faire observer k Ali que ces bandes, oubliant la persecution dont elles avaient ete l’objet autrefois de sa part, le procla- meraient volontiers seigneur independant. A l’dpoque ou Jean Capodistrias etait alle a Corfou visiter ses parents Ali pacha entreprit de lui dcrire en utilisant Paparrigopoulos comme messager. Capodistrias lui repondit, par l’entremise de Papar­ rigopoulos, que pour arriver k ses fins il lui faudrait etre loyal envers son souverain et bon et juste envers ses sujets8. Cependant Ali voulut que Paparrigopoulos allat en Russie pour presenter au Tsar ses plans de revolte, par dcrit si e’etait necessaire. Paparrigopoulos consentit d’y aller, mais seulement si Ali demandait la permission necessaire a son superieur hierarchique, le baron de Stroganof, ambassadeur de Russie aupres de la Sublime Porte ; s’il deployait son armee sur ses frontteres orientates ; s’il prenait a son service les capitaines d’armatoloi et de klephtes qu’il avait si violemment combattus autrefois et s’il rdunissait tous les primats et capitaines Grecs et Musulmans pour leur demander leur aide °. Ali fut d’accord avec cette proposition mais il voulut ensuite en connaitre davantage sur l’Hdtairie. II fit de nouveau les signes secrets de reconnaissance et ddclara k Paparrigopoulos qu’il avait 6t6 initio par son secretaire et confident M. GEconomou qui etait rdellement un hetairiste. Mais de nouveau Paparrigopoulos fit semblant de tout ignorer d’une telle societe, vu qu’il n’etait qu’un simple fonctionnaire du consulat russe de Patras. ^.G ^ cette Epoque que le secretaire le phis influent d’Ali pacha, Alexis Noutsos, fut initig par Cli. (Eeononiou (fr^ro de M. doonomou) 6 pf r “ rokldas- Les secretaires d’Ali fetaient tous au courant, comme aussi I etaient ses medecins, comme Ie futur homme d’Etat grec, Jean Colettis. Les ex-capitaines d’annatoloi et de klephtes qu’Ali pacha avait enrolds dans sa maison militaire avaient tous £t6 initi6s & l’Hetairie 10. Parmi eux, il s’en trouvait beaucoup qui allaient s’illustrer pendant I’in- surrection grecque. Mais tandis que les Grecs etaient mis au courant ou inities, l’un apres l’autre, tel n’etait pas le cas pour les Albanais,

7 Goudas, Vioi Paralliloi, vol. IV, p. 108. r annHi«fri.0orto aparrigop?u.los- dans Philimon, op. cit., vol. II, pp. 410-411. ^f°re une ,is a2‘t suivant sa politique d’£viter les revolutions qu il nsiderait comme d^sastreuses pour la Grece. II ne perdit cependant pacha °CCaS10n ssayer d’ameiiorer le sort des populations soumises a Ali 9 Rapport Paparrigopoulos, dans Philimon, op. cit., p. 414. C’est a Papar- rigopoulos done qu Ali doit l’idee de la convocation du grand divan d’Epire. 10 Kandiloros, Philiki Hetairia, pp. 336-337. — 128 — tant ceux qui frequentaient la cour d’AIi que les autres. La tactique de l’H6tairie en Epire, si contraire a ce qu’elle fut ailleurs dans les Bal­ kans, Stait de ne pas initier les populations non-grecques. On avait probablement peur d’une trahison ou d’un chantage si les beys et les agas albanais etaient inities. Quittant Ali pacha, Paparrigopoulos visita Stroganof qui n’attacha aucune importance aux promesses d’AIi. Ensuite, il partit pour Saint- Petersbourg pour rencontrer Capodistrias et lui parler des plans d’AIi. II arriva la-bas peu apres la proclamation d’Alexandre Ypsilanti comme chef de l’Hetairie. De Constantinople, de Saint-Petersbourg et de Moscou Paparrigopoulos ecrivait a Ali que tout allait bien en ce qui concernait ses plans et qu’il pouvait esperer en une aide russe. Ceci n’etait que pure invention, mais Paparrigopoulos desirait prolonger le plus possible la resistance d’AIi et voulait ainsi l’encourager par de fausses nouvelles. Au printemps de 1820, le fameux armatolos hetairiste 0. Androutsos vit que le pacha de Lepante Veli, fils d’AIi, savait tout sur l’Hetairie n , y compris les signes de reconnaissance des membres. Nous avons deja vu au chapitre precedent comment Ali, voulant retrouver la faveur du Sultan Mahmoud II, lui rev£la l’existence de l’Hetairie et comment Mahmoud II ne fit pas attention aux avertissements de son puissant vassal, croyant que ce n’etaient que des mensonges destines a le faire rentrer en faveur aupres de lui. Quant au divan d’Epire, son appel a 1’aide des primats et des capitaines eut le resultat que l’on connatt, mais ce fut alors qu’Alexis Noutsos et 0. Androutsos, tous deux hetai­ ristes, lui conseillerent de se faire baptiser12 pour avoir ainsi plus d’in- fluence parmi les Chretiens. Naturellement cette idee ne fut pas retenue par Ie pacha ; on peut d’ailleurs douter du serieux de ce conseil. Cependant les armements des Chretiens ne se limitaient pas seule­ ment du cote d’AIi pacha. Le Divan avait ordonne a tous les sujets d’AIi de prendre les armes contre lui. Le commandant de l’avant-garde des troupes imperiales, Suleyman pacha de Trikkala, avait comme secretaire un hetairiste nomme Anagnoste Laspas13 qui lui conseilla de porter a la connaissance des Grecs le firman annongant la mise au ban de l’Empire d’AIi pacha et qu’il se chargerait de la traduction. Or la traduction rendit le texte m£connaissable. II declarait naturelle­ ment qu’AIi etait proclame firmanli, avec toutes les consequences que ceci comportait, mais ajoutait des exhortations guerrieres : « C’est a vous, mes fideles rayas, que j ’ai recours 1 Levez-vous, les jours de colere sont arrives... Armatoloi, aux armes ! Paysans, saisissez vos

11 Kandiloros, op. cit., p. 373. 12 Philimon, Philiki Hetairia, p. 243. 13 Pouqueville ne connait que son prenom. II fut l’auteur, avec le savant professeur A. Psalidas et A. Karamichos, d’un plan prevoyant le soulevement des Epirotes de l’Ouest qui, s’unissant avec les Souliotes, marcheraient sur Argyrocastro tout en soulevant les habitants des regions par ou ils passeraient, y compris les Albanais (Vranousis, , pp. 66-67). — 129 — faux et vos instruments aratoires ! Femmes audacieuses d’Agrapha, a d£faut de fusils prenez les haches qui vous servent k couper l’asphaga dans les montagnes ; que les adolescents tressent leurs frondes, et que les quenouilles meme des jeunes filles deviennent des instruments de mort contre l’ennemi commun. Telle est la volonte du Padischach et de la Sublime Porte de FSlicite » 14. La traduction de ce firman fut lue publiquement partout en Grece et eut un retentissement considerable. Les raisons de cet acte d’Ana- gnoste Laspas sont faciles a deviner. D’abord Laspas ha'fssait profon- dement Ali pacha pour des raisons de famille ; ensuite, on a deja vu que l’Hetairie ne desirait nullement qu’Ali devint trop puissant et on trouvait ainsi un moyen pour diminuer sa puissance ; enfin, les Otto­ mans eux-memes donneraient des armes aux Chretiens qui pourraient les utiliser plus tard contre l’Empire Ottoman. La Porte, d’ailleurs, eut connaissance de cette etonnante traduction, de sorte que Suleyman pacha fut destitue et mis k mort et Laspas dut se refugier en Macedoine. Tout en pr£parant la defense de ses Etats, Ali voulut en savoir plus sur l’Hetairie ; il rassembla done ceux de ses secretaires et cour- tisans qu’il savait appartenir k l’Hetairie 15 et les pria, les larmes aux yeux, de lui reveler tout ce qu’ils connaissaient sur l’Hetairie, ses buts et ses moyens d’action. II jura qu’il servirait fidelement l’Hetairie pour qu’elle atteigne ses buts, il en deviendrait membre et lui donnerait tous ses tresors. Les hetairistes lui rdpondirent qu’ils ne pouvaient rien faire de leur propre initiative mais qu’il fallait s’adresser k qui de droit, a Corfou16. Ali pacha entra en rapports avec Ignace d’A rta17 qui se trouvait alors k Pise. II lui demanda des conseils et de l’aide. Le metropolite lui manda qu’il pouvait lui envoyer 10.000 Grecs de Naples18 mais qu’il aurait besoin d’une certaine somme pour pouvoir le faire. En meme temps il £crivit a des chefs albanais dont il avait fait la connaissance lorsqu’il Stait metropolite d’Arta pour les exhorter de s’unir avec les Souliotes et les autres Epirotes, vu qu’ils descen- daient tous du roi Pyrrhus et de Skenderbeg10. Cette curieuse argu­

34 Voir le texte complet dans Pouqueville, op. cit., vol. II, pp. 31-32. is Alexis Noutsos et Manthos Oeconomou furent parmi les invites, is On manquait tellement de confiance envers Ali qu’il ne lui fut pas revele qu’une ephorie hetairiste existait a Janina. 17 Ali s’etait brouille autrefois avec le metropolite et avait tente de l’assas- siner. Des 1818 Moukhtar pacha avait renoue ses relations avec Ignace par le moyen d’une correspondance dont nulle piece n’est parvenue jusqu’a nous (E. Protopsaltis, Ignatios mitropolitis Houngrovlachias, p. 163). is II s’agit du regiment « Royal Mac£donien» et de ceux qui servaient dans d’autres regiments napolitains. On peut douter de la sincerity de cet offre vu qu Ignace savait que ces hommes seraient necessaires pour la defense de leur propre pays. Ce qui rend aussi suspecte toute cette transaction est le fait qu’lgnace desapprouva l’insurrection de fevrier/mars 1821, la trouvant pre- maturee. 10 Les Epirotes modernes, en tant que descendants des Epirotes de l’anti- quit£, pouvaient se targuer de descendre de Pyrrhus dont la renommee sub- sistait, mais ceci n’etait pas le cas pour les Albanais, descendants des Illy- — 130 —

mentation ethnographique — fausse d’ailleurs — n’eut pas les resultats escomptes et pas de suite. Ali chargea donc un de ses secretaires hetairistes nomme Colovos d’aller a Corfou et de la en Italie pour donner au metropolite la somme promise et pour apprendre plus de details sur l’Hetairie. Malheureu- sement pour les plans d’AIi, Colovos fut arrete a son retour par des Albanais rebelles a l’autorite d’AIi pacha et fut livre par eux au capou- dan bey Ali bey dont la flotille venait justement de faire son apparition dans les parages de l’Epire 20. La somme donnee arriva cependant aux mains du metropolite de Patras Germanos qui l’utilisa pour les besoins de la cause. Les hetairistes ne se bornerent pas k initier les personnes appar- tenant a la cour, l’administration ou l’armee d’AIi. Ils voulurent initier aussi les Souliotes, mais nos informations sur ce sujet sont extreme- ment peu nombreuses. Dans une note d’Aristide Papa du 22 septembre 182021 celui-ci parle des capitaines souliotes comme s’ils etaient deja inities. II s’agissait probablement de 1’initiation des chefs des phares seulement, bien que Perraivos, dans ses Memoires Militaires, declare que nul Souliote n’etait initie lors de son arrivee en Epire 22. Un mois avant l’envoi de ce rapport d’Aristide Papa qui traite de choses s’etant passees en 1819, Ypsilanti avait nomme Ch. Perraivos generalissime de l’armee d’Epire23. Celui-ci se rendit en Epire apres le retour des Souliotes dans leur patrie et leur apporta les instructions d’Ypsilanti, qu’ils suivirent d’ailleurs parce que c’etait la seule politique qu’ils pouvaient suivre dans ces circonstances. Malgre sa residence aupr£s des Souliotes ou il joua un role de conseiller politique, Perraivos n’exerga jamais ses prerogatives de generalissime de l’armee d’Epire, la responsabilite de la conduite des operations militaires tombant sur le polemarque de Souli N. Botzaris, avec lequel il ne se trouvait pas en bons termes. Ceci etait du, en partie, k la difference de la politique pronee par les deux hommes au sujet des Albanais allies des Souliotes. Tandis que Perraivos se montrait indifferent envers les Albanais dont 1’alliance ne lui semblait pas tout k fait necessaire, Botzaris au con- traire considerait l’alliance albanaise comme etant d’importance pri- mordiale car on augmentait ainsi de beaucoup les forces militaires de la Confederation Souliote sans qu’un amoindrissement politique de la Confederation s’ensuive.

riens de l’antiquite. Cette confusion etait faite tres souvent a '^P0^116- d’Arta voulait, probablement, souligner par ces arguments les liens existan entre les Albanais et les Epirotes. 20 Aravantinos, Historia Ali pacha pp. 284-285. ^ 21 Texte du rapport dans Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. 1, P- 22 II est probable qu’il a fait cette declaration simplement pour augmemer 1 importance de son oeuvre parmi les Souliotes. Ce n’est pas d’ailleurs la seuie inexactitude dans son oeuvre. 23 Le pian original avait 6te de transporter les Souliotes de Corfou au Magne ou ils prendraient part k l’insurrection projet6e. Ce plan ne fut pas execute car les Souliotes rentrferent entre temps chez eux. — 131 —

II nous est malheureusement impossible de savoir exactement quelle fut I’influence exercde par l’Hetairie dans l’affaire du changement de camp des Souliotes, bien que ce changement fGt tout k fait conforme a la politique hetairiste de renforcement d’Ali pacha. Le fait cependant que ce fut Alexis Noutsos, un hetairiste, qui conduisit les negociations de la part d’Ali pacha nous laisse supposer que l’Hetairie joua un grand role dans cette affaire. II paralt d’ailleurs qu’une des choses qui pous- s£rent Ali pacha k rendre aux Souliotes la forteresse de Souli fut qu’il regut une soi-disant lettre de Capodistrias qui, en reality, avait ete prepare par des hetairistes. Les hetairistes en general consideraient les Albanais musulmans comme etant des allies naturels des Turcs et ne firent que peu d’efforts pour les entratner de leur cote. Le role cependant joue par l’Hetairie en Epire est un des moins connus et aussi un des plus meconnus. Des historiens aussi eminents que Pouqueville et Finlay ne disent rien sur ce sujet bien que le premier ait ete en Epire a l’epoque comme consul de France k Janina. Quant k Finlay, non seulement il ne parle pas du tout du role de l’Hetairie en Epire et surtout & la cour d’Ali pacha, mais il nie formellement qu’il y ait eu des hetairistes en Epire. Le role joue par l’Hetairie en Epire fut complexe. II ne s’agissait pas simplement de preparer un soulevement des rayas contre l’Empire Ottoman, mais il s’agissait d’aider dans sa revolte un pacha pour que lui aussi, par le simple fait de sa resistance accrue, aide inconsciem- ment l’insurrection des rayas. U fallait done que la revolte d’Ali reusstt mais il fallait aussi qu’elle reusstt de telle maniere que la destruction de ce potentat par les rayas ne soit pas trop difficile, une fois la guerre d’independance contre I’Empire Ottoman terminee. En effet, il est parfaitement evident que Ie regime d’Ali pacha etait tout a fait incompatible avec un regime democratique, ou meme avec tout regime non-ottoman. II fallait done pouvoir le detruire aisement, mais il fallait faire aussi de sorte qu’Ali ne puisse meme plus songer k se reconcilier avec la Porte. Ainsi s’explique toute la deception pratiquee par Papar­ rigopoulos au sujet de l’aide russe, deception qui fut facilitee par le fait que tout le monde, y compris Ali pacha, croyait que le siege de l’Hetairie etait en Russie et qu’un haut personnage russe se cachait der- rtere le nom mysterieux de l’Arche. L’aide russe etait la seule chose, d’apres Ali, qui pouvait lui permettre de vaincre les forces imperiales ottomanes, vu que ses sujets meme l’abandonnaient. Une fois l’insur- rection helienique commencee, il vit 1& aussi une lueur d’espoir, mais il etait trop tard. Meme s’ils l’avaient voulu, les Grecs ne pouvaient plus l’aider. C h a pit r e XII

L'HETAIRIE ET MILOCH OBRENOVITCH

On a deja vu quelle fut l’origine premiere des initiations d’etrangers dans l’Hetairie par suite des initiations faites dans les Principautes par Nicolas Galatis. Malgre le coup dur que fut pour l’Hetairie la mort de Karageorges, les hetairistes ne desesperent pas d’obtenir le concours de la Serbie dans leurs entreprises revolutionnaires. La premiere chose a faire etait non seulement d’entrer en relations avec Miloch Obreno­ vitch, mais aussi de lui inspirer confiance. Peu done apr£s la mort de Karageorges Georges Olympios rencontra un certain Bulgare nomme Germano qui etait un agent de Miloch Obrenovitch. 11 lui expliqua qu’il n’avait eu aucun rapport avec Karageorges et qu’il etait simple- ment le truchement par lequel Karageorges correspondait avec Vouitcha Voulitchevitch. Le Bulgare le crut et ecrivit une lettre a Obrenovitch pour l’informer de ce qui venait de se passer *. Apres cette rencontre, il y eut un silence de plus d’une annee et ce ne fut qu’en 1819 que Georges Olympios chercha a renouer les rapports avec Miloch Obrenovitch. II le fit cette fois par 1’entremise d’un certain G. Evangelidis, secretaire d’Obrenovitch, qui transmettait la corres- pondance du chef serbe avec le consul russe de Bucarest. Olympios le chargea done d’une lettre pour Miloch Obrenovitch ecrite pour tater le terrain. La reponse d’Obrenovitch etait qu’il etait d’accord a tout entreprendre2. Peu apres, 1’archimandrite Gregoire Dikaios, dit Papa- flessas, initia Evangelidis a l’Hetairie et celui-ci ecrivit ensuite que l’on pouvait esp£rer initier Miloch Obrenovitch lui-meme 3. Mais on ne considerait pas qu’il suffisait d’une belle promesse pour faire aussi une revolution en Serbie. Retournant de Saint-Petersbourg apres la proclamation d’Alexandre Ypsilanti comme chef de l’Hetairie, Emmanuel Xanthos rencontra dans une ville du sud de la Russie, Stephane Jivkovitch, un des deputes serbes aupres de la Porte en 1805, qui s’etait etabli en Russie apres la catastrophe de 1813. Les deux

1 Resume de cette lettre dans Gavrilovic, Milos Obrenovic, vol. I, p. 331. 2 Texte de cette lettre en appendice « B » p. 210, Goudas, Vioi Paralliloi, vol. V, p. 410, et Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. I, p. 140. 3 Lascaris, Hellines kai Servoi kata tous apeleutherotikous auton agonas p. 72 ; texte de la lettre d’Evangelidis en appendice « B » pp. 210-211, d’apres Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. I, pp. 252-253. — 134 — hommes convinrent que Jivkovitch irait en Serbie pour preparer le terrain pour une 6ventuelle alliance des Serbes avec les Grecs. Mais Jivkovitch n’alla pas en Serbie, son voyage ayant ete rendu impos­ sible par des intrigues4. Les contacts avec la Serbie devaient devenir plus etroits lorsque Ypsilanti decida de commencer la revolution dans les Principautes. 11 lui etait non seulement tres utile d’avoir un second front pr6s des Principautes pour occuper les armies ottomanes, mais aussi il comptait traverser la Serbie pour se rendre dans le Sud balkanique. De son cote, Miloch Obrenovitch etait en difficulte. 11 negociait avec la Porte au sujet d’un principat her£ditaire ainsi qu’au sujet des privileges a accorder a la Serbie, mais ces negotiations etaient arrivees a une impasse. Une reprise des hostilites etait a craindre. Obrenovitch ne vit donc aucune objection a entretenir des relations avec Ypsilanti par l’entremise de Georges Olympios et de Savvas, homme qu’il connaissait depuis longtemps, du moins de reputation. Avant d’entreprendre la tache de conclure une alliance greco-serbe et de faire, si possible, de Miloch Obrenovitch un hetairiste, tous les hommes qui etaient charges d’operations militaires, c’est-a-dire Chris- tophe Perraivos, Savvas Phokianos, Georges Nicolaou (pseudonyme de Georges Olympios) et Jean Pharmakis, sign£rent un document dans lequel ils jurerent de verser jusqu’a la derni£re goutte de leur sang pour la foi, la patrie et les lois5. Ce document fut sign£ quelque part « dans Ie territoire de la Grece » 6 et on Iaissa la premiere place vide pour la signature de Miloch Obrenovitch. Le document fut confie a un certain Bulgare nomme D. Moustakof qui fut charge d’obtemr la signature de Miloch Obrenovitch. Mais Moustakof ne partit pas pour la Serbie en alieguant qu’une revolte avait eu lieu dans ce pays, les strangers etaient considers comme suspects et les routes peu siires7 Avant que Moustakof ait pu partir pour la Serbie, Olympios et Savvas 6crivirent reparement a Miloch Obrenovitch en lui disant qu’ils etaient tout a fait d£vou£s au peuple serbe et a son chef et prets a tout sacrifice8. Obrenovitch repondit9 avec beaucoup de cordialite mais sans toucher du tout le probleme d’une alliance gr6co-serbe. Ainsi commenga une correspondance entre Miloch Obrenovitch d’une part et

4 Xanthos, Apomnimoneumata peri tis Philikis Hetairias, p. 89. Malheu- reusement Xanthos ne donne aucun detail sur ces conversations, ni sur les decisions prises, ni sur la nature des intrigues qui empecherent le voyage de Jivkovitch. s Texte dans Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. I, pp. 251-252. 0 Ils etaient cependant toujours en Roumanie. On voit donc de nouveau l’usage du mot « Gr£ce » avec sa signification balkanique. t Lettre de Savvas a Xanthos, Apomnimoneumata peri tis Philikis Hetairias p. 99. s Philimon, op. cit., vol. I, pp. 253-256. o Texte de la lettre d’Obrenovitch a G. Olympios en appendice « B » p. 211, Philimon, op. cit., vol. I, p. 252. — 135 —

Savvas et Olympios d’autre part. Dans ces lettres 10 Miloch Obrenovitch gardait une attitude tres vague et mal definie. II ecrivait tres cordia- lement mais ne promettait rien, sauf d’etre toujours aux ordres du « Gospodar dont il avait la faveur» n, phrase que Ton retrouve a plusieurs reprises dans ses lettres. Enfin Ypsilanti decida de lui ecrire lui-meme. Dans une lettre datee du 24 octobre/5 novembre 1820 12 il lui disait que la Porte mobilisait en Asie des troupes pour entrer en action contre les Serbes et les Grecs au printemps prochain. C’est pourquoi l’Arch£ avait informe Ypsilanti que la revolution devrait commencer le 15 novembre cl Cons­ tantinople et dans toute la Grece 13. La Serbie devra done etre arm£e et prSte & se rdvolter afin qu’il n’y ait plus de Turcs 1^-bas lorsque Ypsilanti arrivera, vers le 20-25 novembre 14, en Serbie, apportant avec lui des troupes, du fourrage, de l’argent et d’autres necessites de guerre. II lui demanda ensuite d’envoyer des troupes vers la Bulgarie, afin que Ypsilanti trouve la route libre pour aller en Serbie. En plus, il pensait que, les conversations entre la Porte et la Russie n’allant pas bien, il y aurait bientot une guerre russo-turque. On ne sait pas si Miloch Obrenovitch regut jamais cette lettre15, on sait simplement qu’elle resta sans reponse. Son importance consiste en ce qu’elle nous eclaire sur les intentions d’Ypsilanti au sujet de la Serbie. La seule chose qu’il demande aux Serbes est de « nettoyer la Serbie » des Turcs et d’op£rer un divertissement en sa faveur vers la Bulgarie. Au sujet de l’aide russe, il est tres prudent : il dit simple­ ment qu’une guerre russo-turque £tait probable, ce qui n’etait pas du tout vrai car Ie Tsar Alexandre I" n’avait nullement l’intention de faire la guerre k PEmpire Ottoman. D’ailleurs Obrenovitch le savaitlfl. Le fait que la Porte avait permis a Miloch Obrenovitch d’envoyer une deputation k Constantinople et qu’il paraissait possible que Miloch Obrenovitch soit satisfait des resultats acquis par cette deputation forga Ypsilanti k brQler les etapes. II voulait maintenant envoyer quel­ qu’un en Serbie pour n£gocier directement avec Miloch Obrenovitch. II songea d’abord k Jacques Rizos Neroulos, le grand postelnic de Moldavie, mais celui-ci refusa car il trouvait que Ton ne disposait pas

io Textes en appendice « B » pp. 211-4, d’apres Philimon, op. cit., vol. 1, ppp. 253-256. n C’est-a-dire le Tsar. 12 Texte en appendice « B s> pp. 214-5, d’apres Philimon, op. cit., vol. I, pp. 237-238. is Le 14 novembre aurait eu lieu le coup d’Etat de Bucarest (voir le chapitre suivant). n Ce court d£lai d’une semaine a dix jours demontre la facilite avec laquelle Ypsilanti croyait pouvoir faire la revolution des Principautes. is Lascaris, Hellines kai Servoi kata tous apeleutherotikous ciuton agonas. p. 77. ie Lascaris, op. cit., p. 75. — 136 —

de moyens sfirs17. On peut d’ailleurs aussi se demander comment il aurait expliqu£ un tel voyage a la Porte sans se compromettre ou sans inculper les Serbes ; deux possibilites qui pouvaient avoir les pires des resultats. Ypsilanti trouva enfin la personne necessaire en Aristide Papa, un des apdtres qui avaient le mieux travaille pour l’Hetairie. Aristide Papa devait apporter a Obrenovitch un traite d’alliance entre la Grece et la Serbie dont voici le texte :

Au nom de la Tres Sainte Trinite et devant l’oeil qui ne dort pas et qui est vigilant du vrai Dieu partout present, voici que les traites r6ci- proques entre la Grece et la Serbie sont exposes ; les prieres a Dieu et les benedictions traditionnelles ayant et6 ex£cutees d’apres la coutume, la presente decision ecrite des choses approuvees de toute la matiere necessaire, y compris les articles de la promesse, comme suit. En demonstration de la fid£lite et de la security des choses approu­ vees et promises d’un commun accord se portent garants. L’Eminent Prince Monsieur Alexandre Ypsilanti, de la part de la Grece et au nom de toutes les autres provinces confeddrees et allies ; Le Glorieux Sire Miloch Obrenovitch avec les tr£s nobles Cn&zes et les primats locaux, de la part de la Serbie. Les soussignds assurons l’Eminent Prince Monsieur Alexandre Ypsi­ lanti que nous acceptons le lien de l’union ; et pour ceci nous nous unissons avec la Grece et les autres provinces confederdes et alliees par tous les moyens de l’union politique ; et pour cela nous promettons, avec une conscience nette, en Chretiens Orthodoxes et en hommes honnetes, les suivants : 1) Une alliance offensive et defensive, eternelle et indissoluble en tout temps et en toute circonstance. 2) Une protection sincere, sans perfidie, et en general et en particulier. 3) Reception, hospitalite, bienveillance, amitie fraternelle et libre asile a tous ceux que les circonstances auraient forces a se r£fugier de Grece en Serbie. 4) Aide fraternelle et analogue aux peines des circonstances. 5) Respect, honneur et ob£issance sans hesitation a toute decision honorable et legale au sujet des interets communs. 6) Si le cas l’exigeait, libre passage de la Serbie en Grece [des revo- lutionnaires grecs], suivant le cours des 6v£nements. 7) Securite et courtoisie, de toutes les manieres possible, pour 1’envoyS officiel de l’Eminent Prince Monsieur Alexandre Ypsilanti en Serbie. 8) Nous promettons d’etre prets, dans le deiai de trois mois a dater du jour de la signature de la convention, a entrer en campagne contre 1’ennemi avec tous les moyens militaires possibles.

17 Lettre de J. Rizos Neroulos a A. Ypsilanti du 27 decembre 1820/8 jan- vier 1821 dont Philimon (Helliniki Epanastasis, vol. I, p. 119) publia des extraits. — 137 —

9) Nous affirmons que nous ne nous arrSterons pas de combattre l’ennemi de la Religion et de l’Humanitd, avant que l’inddpendance entire soit retablie dans toutes les provinces conf6d£r6es et alli£es. 10) Nous affirmons enfin de la part de toute la Serbie qu’avec une seule opinion, une seule volonte et une seule decision, nous promettons tous de garder sans changement toutes les choses promises, et en plus, tout ce qui pourrait etre consider comme necessaire pour la Foi et la Patrie, vu les circonstances. Ces choses sont promises par la Serbie a la Grfece et aux autres provinces confed£rees et alliees en vue d’une honorable et legale alliance offensive et defensive, pour augmenter et affermir les interfits communs et pour sauvegarder l’ordre legal interieur et exterieur. Ainsi ces choses sont confirmees avec un serment et d’une conscience nette de la part des deux parties contractantes pour avoir la validity necessaire en tout temps et lieu et devant tout tribunal et devant les lois immuables de la nation. » (Sign£) Alexandre Ypsilanti18

Comme le professeur Lascaris Pa tr£s bien d6montr6 19, cette con­ vention est en pratique unilateral car elle ne fait qu’enum6rer les obligations de la Serbie. Elle etait done c o m p ile par une lettre d’Alexandre Ypsilanti & Miloch Obrenovitch dont voici le texte20: Excellence, Je considere comme inutile h l’heure actuelle de faire une mention des actes et des faits heroTques des Serbes liberaux, ainsi que des senti­ ments magnanimes et de la conduite bienfaisante de feu mon p£re, puis- que les noms de tels bienfaiteurs ainsi que leurs actes m£morabIes ont ete inscrits en lettres majuscules dans tout livre d’histoire. L’amitie spe- ciale et hereditaire de la famille de feu le prince Ypsilanti envers les Serbes et specialement les sentiments speciaux de mon cceur envers Votre Excellence, le chef de la Serbie, m’obligent, pour ainsi m’exprimer, d’informer Votre Excellence avec une sincerite fraternelle qu’autant ces actes heroTques des Serbes liberaux devenaient plus grands et plus glo­ rieux, autant ils irritaient plus la haine et I’inimitie du Sultan qui, comme j’en suis persuade, n’a pas oublie et n’oubliera pas la bravoure et les exploits heroTques des Serbes liberaux. Le sage doit anticiper les evene- ments et ne pas etre surpris par eux. Une telle prudence est necessaire, d’apres notre opinion, aux hommes de toutes les classes ; elle est surtout necessaire au chef, de la prudence duquel depend le bonheur d’une nation entiere, pour lequel il est responsable devant Dieu et devant les hommes. Une entrevue personnelle avec Votre Excellence me serait neces­ saire pour vous exprimer mes sentiments cordiaux, surtout en ces ins­ tants critiques, et alors nous aurions pu arriver a des conclusions et en particulier a celles qui sont d’accord avec les seules vues indiquees ;

is Philimon, op. cit., vol. I, pp. I, pp. 117-119 ; Lascaris, op. cit., pp. 78-79 ; Gavrilovic, op. cit., vol. II, p. 19 ; Yakchitch, L’Europe et la Resurrection de la Serbie, pp. 420-421. is Op. cit., p. 80. 20 Lascaris, op. cit., pp. 81-83. 10 — 138 —

mais puisqu’une telle rencontre est impossible actuellement, j’ai considere comme expedient de vous envoyer un dei£gu£, le porteur de la pr£sente, Monsieur Aristide Papa, auquel Votre Excellence peut communiquer tout secret comme k moi-mSme et avoir confiance dans toutes les dis­ cussions et de parler de tout ce qui nous regarde dans les circonstances actuelles. Quant a moi, je ne suis nullement emp§ch£ d’assurer aussi Votre Excellence de la part de la totalite des habitants de la Gr6ce des promesses suivantes : 1) Que la famille de Votre Excellence soit reconnue comme pre£mi- nemment glorieuse21 dans toute la Serbie. 2) Que Votre Excellence ait le titre de chef de toute la Serbie. 3) Que ni Votre Excellence, ni les autres membres de Votre famille ne seraient jamais molest£s par la famille de feu Karageorges ou par les autres Serbes qui se trouvent dans les pays de la Russie. 4) Que si la Serbie est prete a combattre l’ennemi quand les circons­ tances seront consid£r£es comme propices, je donne alors ma promesse d’envoyer en Serbie un de mes freres ou un autre personnage tout aussi important avec une force militaire et des moyens financiers analogues aux circonstances. J’attends impatiemment la r£ponse due, confirmee aussi par autant de personnes qui seraient consid6r£es comme n£cessaires vu la gravity de 1’affaire et les circonstances. La pr£sente sera valide en tout temps et en tout lieu et devant les lois impartiales de la nation. Le fr£re et ami d£voue (Signe) Alexandre Ypsilanti.

Un des points caracteristiques de ce traite est la phrase « pro­ vinces conf£der£es et alli£es ». Par cette phrase on peut voir quelle devrait Stre, dans la pens£e d’Ypsilanti, l’organisation future des Etats des Balkans. II y aurait donc une Confederation d’Etats qui paratt assez ISche, les Etats membres ne paraissant avoir des organes com- muns. On pourrait tout au plus imaginer quelque chose plus ou moins pareil k la Confederation allemande telle qu’elle avait ete organisee par les traites de Vienne, sans cependant avoir une Diete federate. II n’y a rien qui puisse ressembler moins a l’Empire Byzantin que certains historiens22 ont accuse Alexandre Ypsilanti de vouloir creer. En regardant les articles du traite on voit que la stipulation essen- tielle est, d’un c6te, le libre passage des revolutionnaires h travers la Serbie et, de l’autre, la reconnaissance de la dignite hereditaire de « chef de la Serbie » a Obrenovitch. Ainsi Miloch Obrenovitch recevait ce qu’il desirait le plus et Alexandre Ypsilanti obtenait la condition essentielle pour pouvoir poursuivre son oeuvre revolutionnaire en Gr£ce

21 C’est-a-dire pr^eminente. 22 Cf., par exemple, lorga, Histoire des Etats balcaniques jusqu’en 1924, p. 218. I

— 139 — par la descente a travers la peninsule balkanique. Malgre le fait que Miloch Obrenovitch recevait son principat h£r£ditaire on peut douter qu’il aurait accepts de signer ce traite. 11 etait dej& en negotiations avec la Porte a ce sujet ; il y avait une certaine probabilite qu’elle lui accordat ce qu’il desirait. II ne voyait done aucune raison pour se lancer dans une aventure dont on ne pouvait prevoir la fin d’autant plus qu’aucune aide exterieure n’etait attendue. En effet, dans ce traite la Russie n’est meme pas mentionnee (sauf au sujet des emigres serbes) et nulle aide etrangere n’est promise. Tout devrait se faire par les rayas eux-memes. Juridiquement ce traite est assez etrange par son contenu et sa forme : un traite avec des obligations unilaterales et un autre traite, ecrit sous la forme d’une lettre, de nouveau avec des obligations uni­ laterales. Mais le fait le plus unique et particulier e’est qu’il s’agit d un traite entre un Etat inexistant encore (la Grece) et un Etat non souve- rain (la Serbie) qui n’existait qu’en vertu d’une convention orale entre un fonctionnaire subalterne de l’Empire Ottoman et un chef rebelle contre l’autorite de ce m£me Empire. On ne peut done appeler ces accords un traite sans enfreindre plusieurs regies universellement reconnues du droit international. Vu cependant que, pris ensemble, le traite et la lettre contiennent tous deux des enumerations de droits et d’obligations des deux parties contractantes et comme celles-ci utilisent le mot de « traite » dans le preambule, nous avons aussi voulu l’appeler ainsi, tout en attirant l’attention du lecteur sur Pirregularite de ce fait. Le probleme difficile qu’Ypsilanti avait maintenant k r£soudre ®tejt de preparer Ie voyage d’Aristide Papa jusqu’en Serbie. Theodore Vladi- miresco s’etait revolte en Valachie et cela rendait les routes peu sQres a cause de l’activite accrue de bandes agissant sous le pretexte d’ap- partenir aux insurges. La vigilance des autorites turques dans la region bulgare par laquelle devait passer Aristide Papa serait accrue. Toute l’entreprise se faisait dans des circonstances particulierement difficiles. Lassanis avait cru bon de proposer a Aristide Papa de voya­ ger avec un passeport russe, mais celui-ci refusa. Jacques Rizos Neroulos lui accorda toutes les facilites possibles pour son voyage a travers la Moldavie. A Bucarest, Aristide Papa re?ut de la part de Savvas et d’Olympios des lettres de recommandation23 pour Vladi- miresco et de la part de Savvas pour Miloch Obrenovitch. Vladimiresco le re^ut avec beaucoup de cordialite et lui offrit une escorte jusqua la frontiere. II lui avait ete conseilie de passer en Autriche, mais Aristide Papa ne le fit pas, se rappelant probablement ce qui etait arrive a Rhigas. La localite frontiere serbe de Negodine n’etait pas loin de la frontiere valaque, mais entre les deux se trouvait l’ile fortifiee d’Ada- Kaie, appartenant au pachalik de Vidine. Aristide Papa traversa done un des bras du Danube et atterrit a Ada-Kale pour y passer la nuit.

23 Philimon, op. cit., vol. I, pp. 119-120. — 140 —

Le gouverneur d’Ada-Kale, Retchip aga, eut des soupgons en ce qui concernait Aristide Papa et le fit arreter. Tous ses papiers tomberent aux mains des Turcs malgre le fait que les Grecs de l’epoque crurent qu’il avait pu les ddtruire. On possede plusieurs versions de ce qui se passa ensuite. D’apr£s certains24, Aristide Papa se suicida afin de ne rien avouer, d’apres d’autres, il fut torture et puis decapite25. Les documents qu’il avait sur lui furent envoySs a Constantinople ou ils furent donnes au grand dragoman de la Porte Jean Callimachi pour etre traduits. Celui-ci les traduisit de telle fagon que les Turcs crurent qu’il s’agissait de choses pareilles a celles que Rhigas avait voulu faire autrefois. Ils ne prirent pas ces documents au serieux et ne prirent aucune mesure contre les Grecs. Quant aux deputes serbes se trouvant a Constantinople, ils furent interrogSs sur ordre de la Porte mais purent se disculper. Ils furent cependant gardes comme otages au patriarcat et puis, une fois l’insurrection d’Alexandre Ypsilanti commencee, au Serail. De son cot£, quand Miloch Obrenovitch eut connaissance de cette affaire, il envoya a la frontiere un courrier pour avoir des rensei- gnements plus amples. En meme temps, il renforga la garde des dis­ tricts pr£s de la frontiere, craignant que la revolution commencee par Theodore Vladimiresco en Valachie ne s’6tende en Serbie, vu que l’Oltenie ou celui-ci s’etait insurge etait contigug a la Serbie. Ainsi se termina dans le desastre cette mission qui, de toute fagon, ne paraissait pas devoir r£ussir. Savvas, dont la lettre h Miloch Obre­ novitch avait aussi et6 retrouvee, perdit alors tous ses scrupules au sujet du commencement rapide de la revolution et pria Alexandre Ypsilanti de la commencer immediatement. II ignorait encore que celui-ci avait d£ja passe le Pruth k cause de la lenteur des commu­ nications. La nouvelle de la r£volte de Theodore Vladimiresco eut des resul- tats assez etranges pour la Serbie. Au lieu de s6vir avec la plus grande rigueur contre toute tentative revolutionnaire en Serbie comme c’6tait son habitude de le faire, la Porte, pour une fois, mena une politique d’apaisement. Les demandes de la deputation serbe furent assez favo- rablement accueillies, leurs requetes furent entendues et les mesures proposees par eux furent acceptees par la Porte sans trop de difficul­ tes. La seule chose sur laquelle les Serbes rencontr^rent une grande resistance fut exactement le principat h6r£ditaire promis par Ypsilanti dans son traits. La Porte refusa net d’octroyer un firman reconnaissant ce privilege, elle voulut seulement octroyer le principat k vie pour Miloch Obrenovitch et le droit pour les Serbes d’elire leur futur prince. C’etait un progres si on le compare avec le regime des Principautes danubiennes ou le prince etait simplement nomm6 par la Porte, sans

24 Cf. Philimon, op. cit., vol. II, p. 91. ,, *5 Constantinos o ex Oeconomon, Hypomnima historikon ton archon tis ^ philologikci syrtgramata, vol. I, pp. 370-371. Cette opinion est partagee par Lascaris, op. cit.} pp. 84-85. — 141 —

que les opinions des habitants aient ete consultees. Ce n’etait cependant pas ce que voulait Miloch Obrenovitch, car qui pouvait lui garantir qu’apr£s sa mort, les Serbes eliraient son fils comme prince ? Mais Miloch Obrenovitch avait de la patience et il pouvait attendre. Cepen­ dant, quand on apprit a Constantinople le passage du Pruth par Alexandre Ypsilanti et le debut d’une grave insurrection dans les Prin­ cipautes, les negociations furent ajournees28 et les deputes serbes emmenes au Serail. De nouveau, Miloch Obrenovitch se vit place devant un dilemme serieux. Se revolter ou pas? D’un cote les negociations avec la Porte avaient ete rompues par celle-ci et le principat hereditaire ne paraissait pas pres de se realiser, mais avec de la patience et des « arguments dores » on pouvait arriver a tout faire dans l’Empire Ottoman si seule­ ment on se representait comme le plus fidele des fideles rayas. De l’autre cote les choses etaient beaucoup moins certaines. Alexandre Ypsilanti lui promettait la liberte, mais etait-il assez fort pour la lui donner ou est-ce que la Serbie se serait sacrifiee pour une cause qui n’etait pas necessairement la sienne vu que l’independance n’etait pas consider par Miloch Obrenovitch comme quelque chose qui devait etre acquise sans tarder ? La prudence eut le dessus. Obrenovitch ne se revolta pas et, au contraire, fit tout ce qu’il put pour empecher la revolte de s’etendre en Serbie. II apprit cependant que deux chefs Serbes emigres en Russie, M. Stoi'kovitch et P. Dobrniats, avaient pris part k la revolte d’Ypsilanti. 11 leur ecrivit en les informant que s’ils entraient en Serbie ils seraient combattus par les Serbes et par les Turcs. En general on peut dire qu’il utilisa tous les moyens pacifiques possibles, y compris des lettres pastorales ecrites par l’archeveque de Belgrade, pour exhorter son peuple a rester tranquille. II reussit d’ailleurs tres bien, sauf dans le district de Pojarevatz ou deux cnezes se revolterent contre lui. Les mesures qu’il prit contre les revoltes ne furent pas severes, mais elles suffirent a reprimer une revolte qui n’avait pas ete suffisamment pre­ pare. En quelques jours la paix avait ete retablie et ce fut alors que Miloch Obrenovitch regut des preuves de ce qu’il soupconnait deja, c’est-S-dire que cette revolte avait ete faite sous l’instigation des deux chefs serbes qui combattaient en Valachie. Mais il apprit aussi que les insurges avaient eu des rapports avec Marachli Ali pacha de Belgrade qui avait voulu, pendant une revolte generate contre Miloch Obreno­ vitch, reconquerir la Serbie. Naturellement cette revolte qui avait eu lieu contre lui, ota plus que jamais k Miloch Obrenovitch le desir de collaborer avec Alexandre Ypsilanti. II avisa les deputes serbes de ce qui s’etait passe et leur ordonna d’informer la Porte que le peuple serbe resterait fideie au Sultan Mahmoud II. On peut dire que l’insucc&s d’Alexandre Ypsilanti est du en grande partie au fait qu’il ne reussit pas a se procurer la collaboration sincere

28 Yakchitch, op. cit., p. 415. — 142 — de Miloch Obrenovitch et de Theodore Vladimiresco. L’inimitie surtout d’Obrenovitch devait avoir les plus graves effets. Non seulement Ypsi­ lanti 6tait coupe de la Grece par un pays qui lui etait desormais hostile, mais il perdait aussi la cooperation des Bulgares qui, comme on le verra, se souieveraient seulement si Miloch Obrenovitch envoyait des troupes en Bulgarie. On peut cepandant assez s’etonner qu’Ypsilanti ait commence sa revolution sans s’assurer du concours d’Obrenovitch. Or il ne faut pas oublier que la reconnaissance des Serbes pour tout ce que son pere avait fait pour eux jouait un grand role dans sa pensee. II aurait dfi cependant s’assurer que cette reconnaissance etait tellement forte qu’elle les obligerait a se revolter simplement parce qu’il le leur deman- derait. Dans ceci il fit un faux calcul qui ne fut ni le premier ni le plus lourd de consequences. C hapitre XIII

L'HETAIRIE DANS LES PRINCIPALITIES

Le point faible de 1’Hetairie fut toujours les Principautes danubien- nes ou elle fut introduite sans qu’une telle chose ait ete projet6e, par le simple fait que Nicolas Galatis y avait ete expulse de Saint-Peters- bourg. Les Principautes furent toujours le theatre d’initiations faites par des personnes trop enthousiastes pour faire attention k la qualite des personnes initiees1. Le resultat fut que ceux-ci ne furent pas seu­ lement des patriotes mais qu’il y eut aussi parmi eux des gens de la pire esp6ce. Les reglements de l’Hetairie n’etaient pas observes, les hetairistes se reunissant pour discuter des affaires de leur societe, les indiscretions etaient k l’ordre du jour et les detournements de fonds etaient frequents. La situation est tres bien decrite par Th. Negris dans son rapport du 12/24 avril 1819 k l’Arche2, dont voici des extraits: «... La Dacie est ... l’endroit le moins sOr de ceux qui, en Gr6ce» du moins, possfedent des fr£res4 ... Ailleurs l’HelI£ne sauvegarde son carac- t£re national et, aussi passionnS qu’il soit, il a devant les yeux l’admi­ nistration inhumaine et, se concentrant, il sent naturellement de la pitie et de l’aversion ; ici, a cause du gouvernement plus paisible, non seule­ ment il ne voit pas de tels terribles spectacles abhorr£s par Dieu mais aussi, ce qui est pire, son caract£re moral a change. La perte morale pour la Dacie est tr£s grande et les liens sociaux sont trfes imparfaits. En general les Daces recherchent des plaisirs barbares et ne connaissent autre chose que la superiority du plus puissant. Aimant les plaisirs et etant soit esclaves soit seigneurs sous une administration trfes faible comme celle des princes, il s’ensuit donc qu’ils sont vils, arrogants et ruses et aiment l’argent, surtout parce que leurs d£penses d£passent leurs revenus stables®. Mais les Grecs qui viennent ici, n’etant certainement

1 Galatis d’abord et Dikaios ensuite. 2 Le texte complet se trouve dans Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. I, pp. 140-152. 3 Ce mot est utilise dans son sens de partie europeenne de l’Empire Otto­ man. 4 £ est-a-dire des hetairistes s Cette image peu flatteuse des Roumains et des Grecs des Principautes etait, malheureusement, parfaitement exacte (cf. Xenopol, Histoire des Rou­ mains de la Dacie Trajane, vol. II, passim). Les boyards sont surtout vises ici. Notons cependant que Negris ne parle que de leurs defauts ; il passe leurs qualit<5s sous silence. — 144 —

pas 1’elite de la nation mais peut-gtre moralement les pires, n’etant pas riches pour vivre tranquilles et etant done incapables de frequenter les Daces sans arriere-pensee, et etant pauvres, venus pour s’enrichir et entrer avec eux dans des relations de diverses sortes ... naturellement acquierent les defauts de ceux-ci [des Roumains]...

Ces propos sev^res, plus ou moins justifies, nous aident a com- prendre toute la situation qui regnait dans les Principautes. II est d’ailleurs aussi possible de voir certaines des raisons pour lesquelles la revolution hetairiste y etait vou£e a l’£chec. II n’y avait pas cepen­ dant que des ombres au tableau. L’hospodar de Moldavie Michel Soutzo fut initie k FHetairie 6 peu apres la reconnaissance d’Ypsilanti comme chef. Cet £v£nement qui devait avoir de profondes repercussions etait d’une importance capitale car les preparatifs revolutionnaires pouvaient se faire presque ouvertement et l’Hetairie disposait des res- sources de toute une province. Cette initiation avait ete consideree comme absolument necessaire et on etait meme alie jusqu’a proposer de tuer les hospodars si ceux-ci ne devenaient pas hetairistes7. Apres la conference d’Ismai'l en octobre 1820, les Principautes et la Serbie devinrent les principaux centres de l’attention d’Alexandre Ypsilanti. Georges Olympios et le bimbachi Savvas, dit Phokianos8, furent nommes « generalissimes de l’armee du Danube». Dans une lettre du 24 octobre 1820 Alexandre Ypsilanti donnait ses dernieres instructions a Savvas et k Olympios9, d’apres lesquelles, le 14 novem­ bre, les deux chefs devraient faire un coup d’Etat a Bucarest, renverser le gouvernement, emprisonner l’hospodar et installer un gouvernement provisoire forme de boyards Roumains. Ils devraient ensuite s’assurer que les communications entre Bucarest et le reste de la Valachie etaient coupees et envoyer des gens pour preparer un passage a travers le Danube. Le coup d’Etat du 14 novembre n’eut pas lieu, la date du commen­ cement de l’insurrection ayant ete renvoyee, vu que l’on etait certain maintenant qu’Alexandre Soutzo n’avait pas trahi l’Hetairie 10 (dont il n etait pas membre) comme on l’avait suppose k cause de certaines actions suspectes des Turcs. Les preparatifs continuerent mais la dif­ ference de caractere des deux chefs accentuait leurs differences d’opi- nions. Georges Olympios etait beaucoup plus impetieux que Savvas, beaucoup plus optimiste aussi. Savvas, au contraire, etait prudent, re-

6 Philimon, op. cit., vol. I, p. 35. 7 Texte du rapport de D. Papachristou a ce sujet, date du 9 avril 18?ft dans Philimon, op. cit., vol. I, pp. 196-197. ’ s Savvas dit Phokianos etait originaire du Dodecanese.II avaitservi cnn

flechi. II se rendait beaucoup mieux compte qu’Olympios des difficultes de la situation et, surtout, il etait beaucoup moins optimiste au sujet de la cooperation serbe. II savait bien que l’insurrection ne serait pas une simple guerrilla comme I’avaient 6t£ plus ou moins les guerres sou­ liotes, il voyait que Ton aurait besoin d’une artillerie et d’une cavalerie, choses toutes deux inexistantes. II sousestimait les forces des capitaines d’armatoloi et de klephtes mais il se rendait tr£s bien compte que ce seraient eux qui fourniraient le gros des troupes. II pensait que la re­ volte devait 6clater seulement si la Russie lui fournissait une certaine aide pendant le d£but de l’insurrection, ou si elle entrait elle-meme en guerre contre la Turquie11. Ce fut a cette epoque que les hetairistes eurent les premiers soupgons contre Savvas mais ceux-ci etaient en­ core totalement injustices. Sa lenteur et son extreme prudence ne pou- vaient qu’exasperer les autres hetairistes qui etaient tres impatients. Au debut de janvier 1821 Savvas envoya une lettre k Alexandre Ypsilanti12 dans laquelle il lui disait que les Serbes ne se revolteraient pas avant le retour de la deputation qu’ils avaient envoyee k Constan­ tinople ; que la plus grande partie des hetairistes seraient inutiles comme soldats car ils n’avaient aucune experience du metier des armes vu qu’ils Etaient des citadins ; qu’on devrait envoyer des apdtres en Bulgarie pres de la mer Noire13, en Bulgarie pres de Sofia et de Phi- lippoupolis, en Macedoine et specialement & Salonique et ses environs, en Bosnie, au Montenegro, k Skodra et aux Albanais Mirdites (ceux- ci devraient avoir de l’argent avec eux pour acheter le concours des- dits Albanais). On ne sait pas si ces apdtres furent jamais envoy6s, mais il parait que ces iddes de Savvas (comme d’ailleurs aussi son plan d’action) ne furent pas mises en pratique. Elles montrent cepen­ dant la quantite enorme de travail qui restait encore k faire avant que la revolution puisse £clater. Entre temps Ypsilanti commengait k avoir des difficulty avec l’hos- podar de Moldavie, Michel Soutzo14. L’hospodar avait 6te bless6 du fait qu’Ypsilanti avait envoye son secretaire Georges Lassanis en Mol­ davie pour faire les pr^paratifs n£cessaires pour la revolte. Lassanis

11 Savvas expliqua ses id£es a Ch. Perraivos pendant une rencontre h£tai- riste qui eut lieu k Bucarest (Philimon, op. cit., vol. I, pp. 95-96). 12 Texte dans Philimon, op. cit., vol. I, pp. 260-261. 13 Cette id£e fut reprise par un 6phore d’Ismai'l qui 6crivit, en juin 1821, a ses coltegues d’Odessa : « Preparez une force navale aussi grande que possible, embarquez-y des soldats bons pour une campagne, ... avertissez-nous afin que nous prenions les mesures n£cessaires afin que sortent tous les navires qui se trouvent ici ; qu’ils se r£unissent a elle et qu’ils attaquent les ports du littoral de la Roumelie afin que les soldats, ayant attaqu£ et avanc£, s’unissent avec les Bulgares qui, enthousiasm£s comme ils le sont, recevront les bras ouverts ... les soldats et se mettront en campagne pour faire des merveilles, ce qui aidera beaucoup les buts de notre commandant en chef. (Lettre de Carneadis aux ephores d’Odessa du 21 juin 1821, Archives Gene­ rates de l’Etat Heltenique, carton « Philiki Hetairia ». *4 Lettres de Lassanis a Ypsilanti dat£es du l cr et du 2 janvier 1821. Texte dans Philimon, op. cit., vol. I, pp. 269-272. — 146 —

faisait lesdits preparatifs avec tellement d’imprudence qu’Ypsilanti dut lui defendre de ne rien faire sans la permission expresse de Michel Soutzo. L’hospodar se demandait aussi ce qu’il deviendrait quand la Grece se souleverait; est-ce qu’il serait aussi prince de Valachie (sous la protection de la Russie) si Alexandre Soutzo mourrait? Qui d6fen- drait les Principautes lorsque les troupes hetairistes passeraient en Grece? Quelle serait l’attitude des Russes envers l’hospodar ? 16 Las- sanis repondit de fagon evasive, mais les problemes demeuralent entiers. L’hospodar et le grand postelnic Jacques Rizos Neroulos vou­ lurent avoir des reponses nettes que Lassanis ne pouvait cependant pas leur donner. Une nouvelle complication devait naitre lorsque, le 13 janvier 1821, mourut l’hospodar de Valachie Alexandre Soutzo. II y eut des soupgons que ce fut l’Hetairie qui l’empoisonna mais ceci fut trouve inexact, sa mort etant due a l’£rysip£le10. Naturellement, pour l’Hetairie, la meilleure chose aurait ete que Michel Soutzo monte sur le trone de Valachie, comme il le desirait, mais ceci etait tout ci fait impossible car c’etait contraire aux trails ainsi qu’aux instructions que Stro- ganof avait regues de son gouvernement1T. On ignorait tout 4 fait qui serait le nouvel hospodar et quel serait son etat d’esprit vis-^-vis de l’HStairie et d’une £ventuelle revolution. On devait done agir rapide- ment. La mort d’Alexandre Soutzo fut gard£e secrete pendant cinq jours pendant lesquels les hetairistes fabriqu6rent un dScret nommant une calmacamie 18 sous la prSsidence du metropolite de Hongrovalachie Denis Lupu et dont la plupart des membres etaient hetairistes. En m€- me temps Theodore Vladimiresco quitta Bucarest pour commencer son insurrection en OltSnie. Ne pouvant rien faire au sujet de la nomination du nouvel hos­ podar de Valachie, Alexandre Ypsilanti et Michel Soutzo, leurs diffe- rends ayant ete resolus, resterent en contact etroit. L’attitude de la Russie surtout les preoccupait. Ils comprenaient bien que l’empire ne voulait pas se compromettre vis-ci-vis des autres puissances19 mais Michel Soutzo etait certain qu’une fois la revolution commenc6e, la Russie serait forc£e d’intervenir dans les Principautes, ce qui aurait comme resultat leur occupation par les Russes. Cette occupation aurait de son cote comme resultat 1’annexion k la Russie avec comme conse­

15 II ne voulait surtout pas se compromettre vis-a-vis du Tsar (rapport de Lassanis a Ypsilanti du 12 janvier 1821, dans Philimon, op. cit., vol. I, pp. 273-281). 16 Rapport du consul de France a Bucarest du 8 fevrier 1821 dans Hur­ muzaki, Documente, vol. XVI, p. 1033, confirme par Iorga, Istoria Rom&nilor, vol. VIII, p. 283. 17 Lettre de Rizos Neroulos a Ypsilanti du 24 janvier 1821 (Philimon, op. cit., vol. I, pp. 292-293). 18 Texte de ce decret dans A. Otetea et at., Documente privind istoria Romintei — Rascoala din 1821, vol. I, pp. 195-196. D...9 Lettre d’Alexandre Ypsilanti a Michel Soutzo du 30 janvier 1821, dans Hhilimon, op. cit., vol. I, pp. 294-299. — 147 —

quence la fin du regime phanariote, car aucun patriote ne voudrait gou- verner des pays etrangers lorsqu’il pourrait tout aussi bien etre utile k son propre pays20. De leur cote les Russes prefereraient confier l’admi­ nistration des Principautes soit a des Rouniains, soit, plus probable­ ment, a des Russes. En Valachie les difficultes grandissaient a cause des differences de vues deja mentionnees des deux generalissimes. D’apres Sawas, Jean Pharmakis devrait aller en Epire pour initier ceux des capitaines d’ar­ matoloi et de klephtes qui n’avaient pas encore et£ inities. D’apres Olympios, Pharmakis ne devait pas quitter la Valachie car, une fois l’insurrection commencee, si un des deux etait tu£, il devait tout de suite avoir un remplagant a cause de l’inexperience des troupes. Entre temps Savvas faisait sa premiere initiation d’un Roumain en la personne du boyard influent et helleniste em6rite Gregoire Brancoveanu, membre du divan de Valachie et president de la Soci6t6 Philosophique de Bu- carest21.

Du cote roumain de grands progres avaient ete accomplis et la mission de faire la revolution roumaine en Valachie avait ete confiee a un certain Theodore dit Vladimiresco22 avec lequel Georges Olym­ pios etait en relations 6troites depuis plusieurs annees. Vladimiresco avait acquis une certaine renoinmee pendant la guerre russo-turque et avait fait la connaissance du vornic Constantin Samurcach et d’autres grands personnages 2S. Le vornic Samurcach etait un hetairiste, il etait

20 Lettre de Michel Soutzo & Alexandre Ypsilanti du 24 janvier 1821, dans Philimon, op. cit., vol. -I, pp. 285-290. 21 Brancoveanu ne fut pas le seul Roumain qui fut initie a l’H6tairie. Notons parmi eux le metropolite de Hongrovalachie Denis Lupu, les grands vornics Constantin Golesco et Gregoire Baleanu, le grand logoth£te Alexandre Fili- pesco, les vornics Conachi, Georges Filipesco et Nicolas Vacaresco, le logo- th£te Dimico Golesco, le vistier Nicolas Rosetti-Roznovanu et les boyards Georges Floresco, Constantin Nasturel-Heresco, Thomas Bratianu, Alexandre Ghica, Gregoire Stourdza et Sandu Stourdza. 22 Theodore Vladimiresco est n£ au village de Vladimir du district de Gorj en Olt^nie, soit en 1770 soit en 1780. Ses origines sont obscures : il etait soit un paysan ais£ soit un petit boyard. Pour son surnom de Vladimi­ resco on a propose deux explications : il proviendrait soit du village de Vla­ dimir ou il est n£ soit de la decoration russe de Saint-Vladimir qu’il regut pendant la guerre russo-turque de 1806-1812. Tot il embrassa la carrtere des armes et sous Constantin Ypsilanti il regut le rang de sludger qui etait en meme temps un grade militaire et un titre de noblesse de troisi£me rang. Ensuite il servit dans les armies russes pendant la guerre russo-turque et devint officier de l’arm£e russe. En 1811 il regut le commandement d’un d6ta- chement roumain qui participait A l’insurrection serbe. 11 noua alors des rela­ tions personnelles avec plusieurs des chefs serbes et ce fut alors qu’il ren- contra pour la premiere fois Georges Olympios. 23 Parmi les personnages qui recommanderent Vladimiresco pour cette mission il faut compter Gr. Zalykis, ancien hotelier de YHdtel Grec, qui a 1’gpoque £tait le dragoman du consulat de France a Bucarest. — 148 —

membre du divan de Valachie et avait un caractere tres energique. Ce fut lui qui conseilla a Y&phorie de Bucarest de faire faire l’insurrection valaque par Vladimiresco qui, a P6poque, etait dans une grande de- tresse a cause du fait qu’il avait plusieurs proces interminables sur les bras. Des 1819, Olympios avait etabli des relations suivies avec Vladimi­ resco, le poussant a la revolte. II faisait miroiter devant ses yeux les trones des deux Principautes qui seraient ainsi reunies en sa personne et cherchait en toute occasion de flatter la vanity de Theodore Vladi­ miresco. Certes en lui promettant les trones de Moldavie et de Valachie Georges Olympios lui promettait une chose qui n’etait pas en son pou­ voir de lui donner. On pourrait done penser qu’il s’agissait d’une pro- messe qu’il n’avait pas 1’intention de tenir, mais si l’on pense que le regime phanariote avait ete de toute fagon condamne par Alexandre Ypsilanti (ses lettres deja citees au prince Michel Soutzo le prouvent) et que les soldats de Vladimiresco le proclam£rent de toute fagon prin­ ce, on peut supposer que ces promesses ne furent pas faites sans le consentement d’Alexandre Ypsilanti. 11 n’y a done pas de doute qu’il aurait pu devenir prince en r£alite et qu’ainsi il aurait pu r£aliser l’union des Principautes comme elle devait se faire effectivement quarante ans plus tard. Les negotiations entre Georges Olympios et Theodore Vladimiresco (auxquelles J. Pharmakis prit aussi part) eurent comme resultat une convention d’association dont le document original a ete perdu mais dont les archives de Budapest poss£dent une traduction allemande con- temporaine. En voici Ie texte24 : Nous les soussignes, en vertu du present important accord et de l’entente r^ciproque regnant entre nous, d^clarons ce qui est dans les points suivants que nous avons etablis et decides : I. Par la volonte du bon Dieu et avec l’assistance divine nous nous sommes r£unis et, apres une entente tres sincere, avons decide unanime- ment (et meme contre les malveillants) de travailler avec la plus grande activite a la realisation de notre plan pour le bien de nos peuples et de nous lib^rer de I’oppression des barbares par la force de nos armes et de lever le signe victorieux de la Croix, et alors la lumiere du Christ resplendira en m£me temps que les propheties s£culaires des prophetes inspires par le Saint Esprit avec les claires paroles du Saint Evangile. II. Unis pour l’heureuse realisation de notre plan difficile, nous avons decide de reunir toutes nos forces, tant corporelles que spirituelles, et de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour atteindre le but propose et sacrifier pour cela non seulement fortune, honneur et armes et tout ce qui sera necessaire pour la reussite d’une telle entreprise, mais aussi notre chere vie, jusqu’a la derniere goutte de notre sang. Chacun sera done oblige, dans le cas ou un malheur pourrait arriver a un d’entre

, 24 Texte de cette convention dans A. Otetea et at,, Documente privind isto- na Rominiei — Rascoala din 1821, vol. I, pp. 193-194. — 149 —

nous (que Dieu preserve), de lui venir en aide et de contribuer de tout coeur a le sauver et le preserver du malheur qui le menace. III. Afin d’agrandir le nombre de nos membres et pour cr£er par des actions clairvoyantes une bande forte, chacun de nous doit etre en etat de poursuivre et ordonner selon les circonstances ce qui semblera pouvoir contribuer au bien commun de cet accord, fortifie par serment; c’est-a-dire il est autorise de se dissimuler, de provoquer des revoltes, de machiner des complications a l’int£rieur et a l’exterieur et de profiter de toute ruse qui pourrait permettre d’atteindre ce but commun. IV. Vu que cet accord sacre tend au fond a rehausser l’eclat de la foi et est obligatoire pour toute la durde de notre action jusqu’a la com­ plete realisation de notre oeuvre commencee, nous nous unissons avec serment, les uns en face des autres, pour que toutes nos decisions aient une force executive seulement si elles ont ete prises apres discus­ sions et en commun accord entre les membres de notre association reunis en seance pieniere. Aucun de nous n’est autorise de travailler a sa guise sans la connais­ sance et le consentement de tous les freres (sans en excepter aucun) et nous sommes obliges pour cela a nous rdunir une fois par semaine et nous nous entendrons, ainsi que nous sommes obliges de le faire, et nous devons communiquer aussi les decisions prises aux membres absents et obtenir leur assentiment. V. N’importe quel avantage, gain ou perte (que Dieu preserve) qui resulterait de notre entreprise serait partage fraternellement entre nous, comme ont fait les apotres qui possedaient tout en commun. Pour cette raison personne ne doit oser, par des paroles ou par des actes equi­ voques, semer des intrigues comme, par exemple, le Roumain de naissance ne doit pas etre soumis a l’AIbanais, ni I’Albanais au Grec, ni le Grec au Serbe, ni Ie Serbe au Macedonien, mais tous doivent travailler d’un commun accord et unis de cette fagon au devoir qui nous est impose par Ie present accord. VI. Aucun de nous ne doit oser s’ecarter tant soit peu des points susdits ou bien les fouler aux pieds, car celui-la sera expose a etre defere aux tribunaux politiques, militaires et ecciesiastiques, sa memoire sera effacee de la liste des membres de la nation, sa fortune sera confis- quee, il sera maudit et aura le sort de Judas. Si quelqu’un meurt, les autres freres auront le soin de remettre aux heritiers la fortune qu’il aura laissee. Dans le cas ou il n’aurait pas d’heritiers sa fortune revien- dra a notre association pour le bien de notre entreprise. VII. Pour garder le secret de notre association nous renforgons l’ac- cord conclu par un serment sur la Sainte Croix et sur le Saint Evangile et sous la tres lourde responsabilite auquelle celui qui a ecrit cet acte est soumis, nous signons cet accord en presence et avec la benediction du trfes saint archimandrite Veniamin25 et que celui qui foulera aux

25 D’apres les historiens roumains Vladimiresco fut initie a l’Hetairie, soit par Georges Olympios et Savvas, soit par Jean Pharmakis, dans l’eglise Saint- Sava (A. Otetea, si miscarea eterista in Tarile Romdnesti, p. 115 et C.D. Aricescu, Istoria revolutiunii romane de la 1821, p. 39, cite par Otetea, op. cit., loc. cit.). En realite, le serment mentionne dans la convention aurait ete prete a l’eglise Saint-Sava ce qui a pu donner l’impression d’une initiation hetairiste. — 150 —

pieds ce serment soit puni par Notre Seigneur Jesus-Christ quand il apparaitra pour la deuxi^me fois pour juger les vivants et les morts. En pleine confiance, cet accord a £t£ conclu, copid en cinq exemplaires identiques avec nos signatures, pour etre valable en tout lieu et tout temps.

Theodore m.p. Georges m.p. Jean Pharmakis m.p. Bucarest 1821 -u

Cette convention a ete ecrite par les trois parties contractantes en­ semble comme le prouve le style melange de phrases theologiques et de locutions utilises tres souvent par les hetairistes. Par le simple fait de son existence, elle prouve que Vladimiresco n’etait pas membre de l’Hetairie car s’il avait et£ initie une telle convention n’aurait pas 6te necessaire. Elle fut signee afin de consacrer une association crehe pour atteindre certains buts qui ne sont pas specifiquement nommes dans la convention mais qui etaient certainement identiques avec ceux de l’Hetairie car ainsi seulement peut-on expliquer les points III et V. En plus, il fut convenu entre les trois associes que l’insurrection prendrait un caractere social et que Vladimiresco apparattrait comme le protecteur de la nation roumaine opprimee par les boyards et [’ad­ ministration princicre. Celui-ci quitta done Bucarest pendant la nuit du 17 au 18 janvier 1821 pour l’Oltenie, emmenant avec lui la somme de 20.000 thalers autrichiens qui lui avait ete donnee par les hetairistes pour payer les frais de ses troupes 27. II fut accompagne par Georges Olympios, le Valaque macedonien Demetrius Makedonski, les Serbes Jova et Hadji Prodan et les Bulgares Guentcho et Hadjimichali2S. Tous ceux-ci le quitterent bientot pour retourner a leurs postes comme il avait £te prdvu. Arrivd en Oltenie, Theodore Vladimiresco rendit publique une pro­ clamation aux habitants de la Valachie2®, sans distinction de natio­ nality, qu’il avait pr£par£e avec l’aide des hetairistes avant son depart de Bucarest. Cette proclamation, dite de Padech, est composee de deux parties : la premiere est une dissertation plus ou moins th^ologique sur le bien et le mal et sur la question de savoir si la fin justifie les moyens, question a laquelle il repond affirmativement, du moins pour le cas present ; la deuxiSme partie est une exhortation k la revolte

26 La convention a du etre signee avant la mort d’Alexandre Soutzo, e’est- a-dire au d£but de janvier. Otetea, Tudor Vladimirescu si miscarea eterisia in Tarile Romdnesti p. 115. 28 lorga, Istoria Romdnilor, vol. VIII, p. 264. 20 Voir le texte en appendice « C », p. 216-7. Le texte roman est donne par Otetea et at., Documente privind istoria Rominiei — Rascoala din 1821 vol. I, pp. 207-208 et lorga, op. cit., vol. VIII, pp. 262-263. — 151 — contre les boyards qui font du mal au peuple, ce qui inecontente le Sultan. Le caractdre social de la revolution etait affirme avec force tandis que rien n’indiquait son caractere anti-ottoman. Cette procla­ mation eut un grand retentissement parmi les habitants de l’01t£nie qui accoururent pour servir sous ses etendards. Au debut, le divan de Valachie ne prit pas l’insurrection de Vladi­ miresco au serieux a cause de l’attitude de ses membres hetairistes qui essayaient de paralyser toute initiative qui pourrait etre dangereuse pour Vladimiresco tout en evitant soigneusement de s’identifier avec le rebelle. Enfin, Ie divan envoya contre celui-ci le sludjer Consti qui devait enroler des pandours pour combattre Vladimiresco. Suivant les conseils du vornic Samurcach, Consti avanga jusqu'au village de Gorj ou il s’arreta et resta sans rien faire. Ensuite, voyant que le nombre des rebelles augmentait, le divan envoya le stolnic Viichoreanu pour enr61er un grand nombre de pandours qui disperseraient les rebelles et emprlsonneraient Vladimiresco. Cette expedition resta aussi sans resul­ tat car les pandours se joignirent k Vladimiresco et le stolnic dut retourner a Bucarest sans avoir rien accompli. Ensuite les gardes de l’hospodar furent envoyees contre le rebelle mais elles se joignirent aussi k lui. La situation devenait rapidement tres serieuse, Vladimiresco ayant ete proclame domnM (prince) par ses soldats qui augmen- taient continuellement en nombre. Une intervention du grand boyard Nicolas Vacaresco, qui etait un hetairiste, resta sans resultat81. Theodore Vladimiresco envoya alors k la Porte (par l’entremise du commandant de la citadelle de Vidine Dervich pacha) un arz-mahsar32 (petition) de la part de tout Ie peuple de la Valachie, dans lequel il denongait les exactions des hospodars et surtout celles d’Alexandre Soutzo, celles des boyards et celles du metropolite de Hongrovalachie Denis Lupu. La loyaute envers le Sultan etait maintes fois affirmee mais la Porte n’en etait nullement rassuree, se rappelant les debuts de la revolution serbe en 1804. Elle voyait dans toute cette affaire des menees grecques et des visees russes, malgre le fait que les Russes, pour une fois, etaient tout & fait innocents. Ayant son attention tournee vers la rebellion de Janina, la Porte n’accorda pas une grande im­ portance a ce qui se passait en Valachie mais elle chargea le nouvel hospodar Scarlate Callimachi de la repression de l’insurrection. Celui- ci ne s’etait nullement presse pour se rendre k son poste mais avait simplement envoye des cai'macams qui n’avaient pas passe le Danube

30 Les Roumains n’employaient pas le mot hospodar pour nommer leurs princes qu’ils appelaient toujours domn bien que le titre officiel utilise dans la titulature des documents, fut gospodar zemlie vlahiscoie qui signifie, en russe, seigneur de la terre valaque. 31 lorga, Istoria Romdnilor, vol. VIII, p. 264. 32 Voir le texte en appendice « C», p. 217-9, d’apres Ie texte roumain d’Otetea et at, op. cit, vol. I, pp. 208-211. Une traduction grecque de l’ori- ginal roumain a ete publi^e par Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. I, pp. 306-308. — 152 — quand la revolte avait pris un caractere serieux33. De son cote, le divan de Bucarest voulut prendre des mesures plus energiques, mais il etait trop tard pour qu’elles puissent avoir un r£sulat. Le divan envoya done k la Porte un arz-mahsar d6non?ant l’in­ surrection de Vladimiresco34 et demandant des instructions pour faire face k la rebellion et une lettre a l’hospodar de Moldavie Mic el Soutzo35 Pinformant de ce qui se passait en Valachie suivant, natu­ rellement, la version officielle des evenements. Ensuite le divan decida d’envoyer contre les rebelles des troupes plus nombreuses dont il confia une part a Georges Olympios, Jean Pharmakis et Hadji-Prodan. Ces trois commandants camperent k proximite de Vladimiresco et eurent des rapports suivis avec lui, comme d’ailleurs aussi le vornic Samur- cach qui y avait ete envoye avec eux pour le plus grand malheur du divan de Bucarest dont les membres non-hetairistes etaient au comble du desespoir. Toutes les troupes furent mises sous le haut comman- dement de Nicolas Vacaresco mais ne depass^rent guere un millier d’hommes. Ypsilanti considera naturellement le moment propice pour commen­ cer sa propre insurrection, ce qui aurait porte la confusion k son comble. II se heurta cependant aux tergiversations prudentes de Savvas qui ne voulait pas se soulever si la participation de la Serbie et de la Bulgarie n’etait pas assume38. De son cote, Olympios refusait de se soulever sans la participation de Savvas k la revolte. Ypsilanti dut done s’occuper exclusivement des affaires serbes tandis que 1 on faisait un dernier effort du cote bulgare. Les efforts deployes jusqu’alors dans le secteur bulgare avaient ete „ minimes, malgre l’importance attribuee k ce secteur dans le plan de Savvas. Pour expliquer ce fait il faut examiner toute la politique de l’Hetairie vis-a-vis des nations balkaniques non-grecques. Tandis que parmi les Grecs elle desirait avoir le plus grand nombre d adherents possible, tel n’etait pas le cas pour les autres peuples balkaniques. Avec eux l’Hetairie se bornait k initier quelques-uns des personnages les plus influents, comme elle l’avait fait avec le Serbe Karageorges et le Roumain Brancoveanu, ou entrait en rapports avec eux en vue d’une eventuelle revolte commune, comme elle l’avait fait avec Miloch Obrenovitch et Theodore Vladimiresco. Son but principal etait de faire une insurrection generale contre les Turcs mais, reconnaissant l’exis- tence d’un nationalisme naissant, elle entendait laisser chaque nation accomplir cette revolution comme elle l’entendait, sous ses propres chefs, sans que la responsabilite de la conduite de chaque revolution nationale incombe a l’Hetairie. Naturellement, cette politique etait assez

34 Voir le texte en appendice « C » p. 219-21, d’apres Otetea et al, op. cit., vol. I, pp. 214-215. 35 Texte dans Otetea et al, op. cit., vol. I, pp. 220-221. 36 Lettre d’Anagnostopoulos a Xanthos du 25 janvier 1821, dans Philimon, op. cit., vol. I, pp. 310-211. — 153 —

facile a faire en Serbie et dans les Principautes qui possedaient un gou­ vernement organist, mais la tSche devenait beaucoup plus difficile en Bulgarie, ou il n’y avait ni gouvernement autochtone ni elite nationale. Certes Sawas pouvait exercer son influence sur les riverains du Danube , parmi lesquels il avait longtemps sejourn6 et combattu et etait bien connu d’eux. Mais il avait bien compris que ceci ne suffirait pas et on connait ses plans pour un envoi d'apdtres en Bulgarie et ailleurs. Le temps manquait cependant pour executer ces plans qui auraient pris des mois, k cause du mauvais etat des communications et de la lenteur avec laquelle se faisaient tous les voyages. Comme il fallait profiter de la revolte d’AIi pacha de Janina et de la rebellion de Vladimiresco, Ypsilanti ne suivit pas les conseils de Savvas et n’en- voya pas les apdtres. Ce fut Piphorie de Constantinople qui allait s’occuper des Bulgares. Dans un rapport du 2 janvier 1821 8* elle informa Ypsilanti qu’un cer­ tain Stoyan Theodorovitch Djalioglou, un Bulgare de Philippoupolis, -partirait de Constantinople pour sa patrie et promettait qu’il fournirait dix mille hommes quand on les lui demanderait (et meme plus) mais que ceux-ci entreraient en action seulement si dix mille Serbes en- traient en Bulgarie. Pour accomplir ceci, il irait voir Miloch Obreno­ vitch pour entreprendre les negociations necessaires. Cependant un deuxieme rapport88, envoye deux jours apres, nous informe que Dja­ lioglou ni etait pas parti pour Philippoupolis et il est bien probable que sa mission n’eut pas lieu. D’ailleurs l’attitude de Miloch Obrenovitch ne permettait pas d’esperer l’envoi des hommes demandes. Malgre toute la necessite de faire ses preparatifs lentement, Alexan­ dre Ypsilanti dut se hSter car la Porte commen9ait k avoir des soup- gons de plus en plus graves que quelque chose se preparait. Des tra- hisons pouvaient se produire, d’autant plus que les diplomates accre- dites aupres de la Porte informaient le refs-effendi de leurs soupgons. Certes la situation internationale n’etait pas du tout favorable k une telle entreprise. Les souverains membres de la Sainte Alliance89 sie- geaient a Laybach, les revolutions faisaient rage au royaume des Deux- Siciles, en Espagne et dans les colonies espagnoles de l’Amerique du Sud. Tout nouveau foyer de troubles serait donc consider comme par- ticulierement indesirable et la Sainte Alliance prendrait les mesures ne­ cessaires pour 1 etouffer. Alexandre Ypsilanti se rendait parfaitement compte de tout ceci mais il savait aussi qu’en attendant il risquait fort de

37 Texte dans Philimon, op. cit., vol. I, pp. 311-315. 38 Texte dans Philimon, op. cit., vol. I, pp. 315-318. 89 H est curieux de remarquer que les Grecs et les Turcs se faisaient une idee completement fausse de la Sainte Alliance car ils croyaient qu’elle avait comme but la destruction de l’Empire Ottoman. Un Hydriote avait r £ e baptise son navire La Sainte Alliance. Cette idee n’etait pas partaeee par les Phanariotes. Les Grecs et les Turcs comprirent bienvife le u re S S ? une fois la revolution commence. F n Vlie ,eur erreur>

IX — 154 — voir le mouvement ecrase par les Turcs avant qu’il ait pu se manifested II se decida done d’agir et, le 22 fevrier 1821, il passa le Pruth avec quelques compagnons. La revolution hetairiste preparee depuis si long- temps commengait. C h a p it r e XIV

LA REVOLUTION HETAIRISTE DANS LES PRINCIPAUTES

Un des nombreux problemes qui preoccupaient Alexandre Ypsilanti fut de traverser le Pruth sans que les Russes le sachent, ou du moins sans qu’ils s’y opposent. Une telle opposition non seulement aurait gra- vement compromis les plans d’Ypsilanti qui n’emmenait avec lui que peu de partisans, mais aussi le resultat aurait ete deplorable du point de vue psychologique car toute l’equivoque qui planait sur les desseins rus­ ses aurait ete dissipe. Heureusement pour lui, il etait en relations ami- cales avec le commandant de l’avant-garde de l’armee du general Wit- genstein, general comte Orlov, dont il connaissait depuis longtemps les sentiments liberaux. Ypsilanti lui confia done ses projets pour la Grece. 11 voulait persuader le general Orlov de l’accompagner au-dela du Pruth, avec ses troupes si possible. Ceci aurait eu comme resultat la proclama­ tion de la guerre par l’Empire Ottoman a la Russie ou, si le general etait d6savoue par le Tsar, une augmentation considerable des forces inilitaires d’Alexandre Ypsilanti. Orlov fut d’accord avec ces plans mais le projet ne put pas etre execute car le general fut transf£re a un autre poste. Alexandre Ypsilanti passa done le Pruth durant l’apres-midi du 22 fevrier 1821 et entra a Jassy ou il rencontra le prince Soutzo ainsi que le postelnic Rizos Neroulos. L’hospodar voulut demissionner mais resta a son poste sur les instances d’YpsilantiLe jour suivant, Ypsilanti fit une proclamation aux Moldaves2 dans laquelle il leur disait qu’il etait de passage en Moldavie, que les lois devaient etre observees et qu’ils n’avaient rien a craindre pour leurs personnes ou pour leurs biens. n les informait aussi que si les Turcs envahissaient la Moldavie une grande puissance viendrait a leur secours. II n’y a pas de doute qu’il s’agit ici de la Russie en tant que puissance protectrice des Principautes car l’en- tree de troupes ottomanes dans les Principautes sans l’assentiment russe etait interdite par les traites.

1 Michel Soutzo n’avait pas ete informe de la date du passage du Pruth par Ypsilanti. « Le grand evenement est tombe comme la foudre » ecrit-il a son beau^re Jean Karadja (texte complet de cette lettre dans Laios, Anec­ dotes epistoles kai engrapha tou 1821, pp. 61-62). 2 Voir le texte en appendice « D », p. 225. — 156 —

Un jour apres il langait sa grande proclamation aux Grecs3 dans laquelle il parlait de nouveau de la grande puissance mais en donnant cette fois la possibilite de comprendre clairement de quoi il s’agissait. Cette proclamation etait un fougueux appel aux armes et declarait que non seulement les esprits liberaux de l’Europe (la grande puissance) viendraient a leur aide, mais aussi beaucoup de leurs ennemis. La seule r£f£rence que l’on y trouve k un regime politique futur est l’exhorta- tion d’elire des deputes pour former un Parlement qui assumerait tous les pouvoirs. La troisieme fois oil on retrouve la « grande puissance » est dans une proclamation d’Ypsilanti aux Grecs de Moldavie et de Valachie4. De nouveau il ne mentionne nulle part la Russie mais parle longuement de la Croix qui est « la seule arme victorieuse des Orthodoxes ». Ici done la grande puissance paraTt etre la Croix. On voit ainsi que cette phrase change de signification suivant la proclamation et qu’il n’est pas du tout necessaire de voir en elle une reference voilee a la Rus­ sie5. Or pour examiner pourquoi on a generalement cru que cette phrase se rapportait a la Russie et qu’Ypsilanti promettait une aide russe il faudrait d’abord connaitre le role du facteur russe dans la preparation de la revolution hellenique. On a beaucoup insiste sur la communaute de religion entre les Grecs et les Russes, les uns comme les autres etant Orthodoxes. On y voit la source de cette foi un peu pathetique dans la delivrance des Grecs par les Russes ou, comine on disait alors, par « la race blonde qui vient du N ord». Or le facteur religieux a joue un grand role mais il ne fut pas le seul. II etait courant alors a Constantinople que les diverses puissances prot£gent une Eglise. La France protegeait les Catholiques en vertu des capitulations ; la Hollande etait consid6r£e comme la protectrice des Protestants ; la Russie protegeait les Ortho­ doxes qui formaient l’immense majority des Chretiens de l’Empire Otto­ man. II etait done naturel que le clerge soit pro-russe et la grande influence qu’il exergait parmi le peuple donnait aussi k celui-ci des sentiments pro-russes. D’ailleurs sous 1’Empire Ottoman se faisaient de veritables petites guerres de religion caus£es par les tentatives de

3 Voir le texte en appendice « D », p. 226-228. 4 Voir Ie texte en appendice « D », p. 226. 5 Les Russes eux-memes ne consid£r£rent pas immediatement que la grande puissance d’Ypsilanti etait la Russie. Le general Inzov, gouverneur militaire de la Bessarabie, dans un rapport au general Witgenstein du debut de mars 1821, parle longuement de l’insurrection de Vladimiresco (il le fait Grec, ce qui n’est qu’une allusion a sa religion) sans etablir une connection quelconque entre la Russie et lui. Le lieutenant-colonel Pestel, dans un rapport de la meme epoque au general Kissilev, mentionne et analyse les proclamations d’Ypsilanti sans parler de la grande puissance (texte de ces deux rapports dans Otetea et al., Documente privind istoria Rominiei — Rascoala din 1821, vol. I, pp. 323-328 et 343-352 respectivement). Ce fut Capodistrias qui, en annongant a Ypsilanti le desaveu du Tsar, fit liquation de la grande puis- ave

proselytisme de certaines Eglises et surtout de l’Eglise Catholique6, tandis que la Porte agissait de sorte a aggraver le plus possible ces querelles intestines auxquelles les representants diplomatiques des differentes puissances participaient activement. L’influence russe augmenta beaucoup par suite du traits de Klitchuk Kai'nardji (1774) car le Tsar pouvait maintenant faire officiellement des representations a la Porte en faveur de l’Eglise Orthodoxe. Or nous avons vu que cette Eglise poss£dait aussi des pouvoirs politiques et juridiques, ce qui augmentait 6normement le nombre des sujets de representations aupres de la Porte. D’ailleurs ce mot de « representa­ tions » etait tellement vague qu’on etait arrive a pouvoir intervenir k propos de presque tout pour le plus grand bien de l’augmentation de i’influence russe dans les Balkans. Un facteur qui eut une grande importance et qui explique l’attente par les Grecs d’une aide russe pour se lib£rer du joug ottoman fut le grand nombre de Grecs qui servaient la Russie de diverses manieres. II y avait certes des Grecs un peu partout en Europe mais seule la Russie 7 offrait a ces expatries des emplois vraiment importants. II y avait des Grecs dans l’administration, dans la police — meme le chef de la police de Saint-Petersbourg au temps de l’Hetairie etait un Grec — dans l’armee et la marine, qui parvenaient aux plus hauts grades. Ils restaient cependant en correspondance avec leurs compa- triotes vivant dans les Balkans et le resultat etait une nouvelle aug­ mentation de I’influence russe parmi ces derniers. Les Russes avaient une propagande tres habile dans les pays grecs. De nombreux agents parcouraient le pays, des livres circulaient avec des propheties sur la deiivrance des Grecs par la nation blonde venant du Nord et ainsi de suite. Or les Grecs etaient dans une situation oil ils cherchaient des sauveurs partout; meme Venise et l’Espagne figu- raient parmi les sauveurs que l’on attendait, malgre le fait que depuis longtemps elles n’etaient plus de grandes puissances. Le fait que la Russie avait des visees territoriales sur l’Empire Ottoman qu’elle ne cachait pas dans sa propagande avait eu comme consequence d’aug- menter encore son influence en vue d’une insurrection qui aurait eu lieu en meme temps qu’une guerre russo-turque. Telle fut la cause de la revolte avortee de la Moree en 1769-1770 et la vive deception eprou- vee alors eut comme resultat que les Grecs (k part de rares exceptions) resterent plus ou moins calmes pendant toutes les guerres russo-tur- ques qui suivirent. Les hetairistes avaient bien eu conscience de l’immensite de l’in- fluence ou, plut6t, de la croyance en la Russie comme sauveur de la

o Des documents caract£ristiques de ces querelles religieuses diplomatiques ont ete publics par Ph. Argenti, Diplomatic Archives of Chios, passim. 7 Les Grecs etaient particuliferement nombreux en Russie du Sud, surtout a Odessa ou ils avaient une communaute tres florissante dont le role hetai­ riste fut des plus importants. — 158 —

Grece. L’Arche « siegeait en Russie », Capodistrias devait devenir son chef car il etait le ministre des Affaires Etrangeres du Tsar et Alexan­ dre Ypsilanti devait toute son autorite sur les hetairistes au fait qu’il etait general dans l’armee russe. On comprend que dans ces circons­ tances un mythe de l’aide russe se soit forme sans que l’Hetairie puisse faire grand’chose pour le decourager. L’opinion generate etait que les Grecs ne pourraient pas se liberer sans une aide etrangere et celle de la Russie etait consideree comme la plus probable sans que l’on fasse beaucoup de raisonnements pour voir si cela correspondait ci la realite ou pas. Alexandre Ypsilanti resta a Jassy une semaine pendant laquelle il organisa son armee qui etait composee surtout de Grecs de Moldavie et de Russie, mais aussi de Serbes, de Bulgarie et de Montenegrins8. Les Moldaves brillaient par leur absence qui, d’ailleurs, etait naturelle vu qu’on n’avait rien fait pour les attirer dans l’armee hetairiste. Du point de vue politique et social, Ypsilanti avait voulu abolir les privi­ leges de la noblesse et de PEglise mais en fut dissuade par Rizos Neroulos. L’attente d’Ypsilanti est due au fait que l’arm£e des hetairistes n’existait pas encore et qu’il fallut tout organiser. En plus, il attendait l’execution du plan de Constantinople qui devait, en fin de compte, rester inex£cute. II partit enfin de Jassy9 pour la Valachie et, Foc- sani, se separa de son frere Demetrius qu’il envoya en Moree pour le remplacer. Ce fut a Focsani qu’il op£ra son union avec le general Caravias qui venait justement de s’emparer de Galatz dont il massa- cra les Turcs10. Ce fut aussi h Focsani11 que fut forme le « bataillon sacre » de jeunes etudiants Grecs qui fut la seule partie de l’arm6e &

8 Philimon, op. cit., vol. 11, p. 89. 9 Le ctepart d’Ypsilanti, emmenant avec lui la garde princifere, Iaissait la Moldavie sans defense contre les Turcs. C’est pourquoi Michel Soutzo avait 6crit le 24 fdvrier 1821 une lettre au Tsar dans laquelle il disait, entre autres : « Un corps de troupes serait indispensable pour la sfiretd de la Moldavie. Nous osons esperer que la magnanimity de V. M. 1. ne laissera pas cette province privee de Sa haute protection et qu’Elle daignera donner des ordres a ses generaux de faire entrer en Moldavie ses troupes victorieuses pour la preserver de la ruine dont elle est menac£e. A cet effet, j’ose deposer aux pieds du trone de V. M. I. mon humble requete et l’accompagner de celle des Boyards du pays.» (Texte complet de cette lettre dans Prokesch- Osten, Geschichte des Abfalls der Griechen, vol. Ill, pp. 62-63.) 10 A Galatz on s’empara de 10 chebecs turcs qui formerent la flotille du Pruth. Comme nous l’apprennent des lettres des <§phores de Galatz aux ephores d’Odessa (actuellement au carton « Philiki Hetairia» des Arrhivps Generates de l’Etat Helienique), cette flotille ne put entrer en action car elle manquait de canons et de munitions. On avait proiet£ de la renfnrrer afin qu’elle puisse naviguer sur le Danube conformement au plan S a l de 1 insurrection mais ceci resta inexecute. n De Focsani Ypsilanti langa une proclamation aux Valaaues dont le texte est en appendice « D », pp. 232-233. — 159 —

avoir de la discipline. Toute l’armee ne comptait pas plus de trois mille hommes 12 et avangait lentement vers Bucarest. De son cote, Vladimiresco avait pris Craiova, capitale de I’01t£nie et marchait vers Bucarest. II chargea le vornic Samurcach de porter a Bucarest un document contenant « les requetes du peuple roumain » et de les presenter aux caimacams du nouveau prince de Valachie, Scarlate Callimachi. En voici le texte, interessant vu qu’il presentait officiellement les demandes de Vladimiresco 13 :

Les requetes du peuple roumain

I. Le Prince du pays ne doit pas amener ici au pays de nombreux boyards Grecs, mais seulement quatre, c’est-a-dire un grand conseiller, un chambellan, un administrateur et un secretaire principal. II. Tous les sieges des prelats et tous les monasteres du pays doivent etre completement interdits aux moines Grecs, restant sous la surveillance du pays, comme il a 6t6 legifere et mentionne dans les ecrits de feu l’illustre Sultan Selim en l’an 180214. III. Des six impots etablis par Sa Grandeur le Prince Karadja, que les deux soient supprim£s enticement et que les autres quatre restent en vigueur et qu’ils soient encaisses tous les trois mois. IV. Que tout ce qui a 6t£ £labor£ et fait par feu le Prince Alexan­ dre Soutzo soit annuld et que tous les strangers et toutes les compa­ gnies restent dans le pays, comme il a 6t6 stipule par Sa Grandeur le Prince Karadja ; ainsi que toutes les autres taxes accumul£es dans les provinces par le Prince Soutzo soient d6duites ; ainsi que toutes les petitions et subventions accord£es par des ordonnances dudit Prince soient brOlees devant le peuple, ainsi que les taxes concernant l’61evage des moutons, les c6r6ales et les vignes ; qu’il ne soit pas libre d’aug- menter le prix au-dessus des ordonnances faites par le Prince Karadja. V. Que les taxes de douane sur le betail et les marchandises per- gues depuis un certain temps au noin de la Tresorerie du pays, et les

12 Elle devenait progressivement plus nombreuse mais ne fut jamais trfcs grande, ce qui explique les lenteurs et les hesitations d’Ypsilanti. 13 Texte d’apres Otetea et al., Documente privind istoria Rominiei — Ras- coala din 1821, vol. I, pp. 272-274. Une variante en langue allemande a 6t6 publiee par Hurmuzaki (Documente, vol. XX, pp. 592-594). Elle est assez fiddle au texte original roumain qu’elle amplifie souvent, surtout vers la fin. II ne s’agit pas d’une traduction littdrale mais les passages ajoutfe completent le texte roumain de telle sorte que Ton peut supposer qu’ils ont une origine roumaine. 14 Le point correspondant de la variante allemande ajoute : « Le mStro- polite et les trois 6veques, avec tous les monasteres, seront obliges d’entrete- nir des Ecoles de langue turque, dans lesquelles la jeunesse de Valachie pau- vre ou riche, aurait libre entree et serait instruite aux frais de l’Eg’lise » La mention de la langue turque provient presque certainement d’une erreur — 160 —

autres, ainsi que la taxe de douane sur les villes et les villages, soient completement supprim£es, ces taxes n’etant encaissees qu’a la fron­ tiere seulement du pays de tous ceux qui entrent et sortent avec des marchandises puisqu’A cause de ces impots et de ces taxes de douane le commerce a completement cesse, appauvrissant entitlement le pays. Car ce pays protege par Dieu n’a pas d’autre moyen de vivre que le commerce. Aussi les taxes de douane qui seront pergues a la frontiere devront etre diminuees jusqu’au montant etabli sous le r£gne de feu le Prince Ypsilanti. VI. Que toutes les fonctions du pays, tant laiques qu’ecclesiastiques, de la plus grande k la plus petite, ne soient pas acquises contre paye- ment, afin d’empecher le banditisme dans le pays. Pareillement, la remuneration des pretres doit etre diminuee et fixee par une convention. Et que les pretres ne soient pas ordonnes contre payement mais seulement ceux qui auraient le merite (devraient etre ordonnes) et qu’ils soient places la oil ils seraient utiles. Les controleurs [d’impots] dans les districts ne doivent plus etre deux, mais seulement un et encore il doit etre honnete et originaire du pays, pour ne pas faire du mal. VII. Que les absolutions contre payment cessent completement a se faire avant la messe mais qu’elles se fassent seulement apres la messe. VIII. Que le renouvellement des taxes des sinecures des priviiegies soit baisse en restant au montant etabli par le Prince Alexandre Ypsi­ lanti. Qu’en aucun cas les classes ouvrieres et les employes soient con- gedies, sauf s’il y a un grand besoin pour les necessites du pays et que tout le peuple en soit informe. IX. Que les intermediaires soient completement abolis parce que c’est seulement un abus pour le pays et un profit pour les bandits ; ainsi, que tous les employes des etrangers soient congedies. X. Que les grandes fonctions militaires avec leurs fonctionnaires et leurs subalternes soient completement supprimees car ils font de grands degats au pays, en ce qui concerne les pillages, avec leurs capitaine- ries militaires. XI. Que le pays soit libre d’organiser et d’entretenir quatre mille pandours, avec leurs capitaineries, et deux cents gardes Albanaises, dispenses de tous les impots, et avec un salaire minime qui sera eco­ nomise sur les revenus des monasteres. XII. Que tous les salaires des etrangers soient supprimes. XIII. Que tous les magistrats des tribunaux et les greffiers soient moins nombreux, ne restant qu’autant qu’il en a eu dans le temps passe, et que leurs salaires soient diminues. Pareillement que les plaintes adressees aux tribunaux et les taxes judiciaires soient amoin- dries. — 161 —

XIV. Que le code en faveur des privilegies du Prince Karadja soit supprime, ayant £t£ fait contre la volont£ du pays, et que celui du Prince Ypsilanti soit confirm^ et qu’il reste en vigueur. XV. Que l’actuel metropolite soit congddie, n’ayant pas 6te 61u avec la volont6 du peuple entier, et qu’un autre soit nomnte qui aura 6te choisi par le peuple.

XVI. Que le pain, la viande et tous les aliments que ce pays pro- duit soient vendus dans les villes, Iaissant aux boulangers, aux bou- chers et aux 6piciers un gain de 10 % sur le prix qu’ils verseront direc- tement aux campagnards et que tous les intermediaires des villes dis- paraissent.

XVII. Que toute la famille et tous les hommes de feu le Prince Soutzo soient expulses comme £tant les meurtriers de ce pays1B. XVIII. Que les Bibesco et Viichoreanu soient chasses du pays com­ me 6tant ceux qui ont ose tuer le peuple avec des armes meurtrteres sans lui demander quelle est sa requete. XIX. Que Hadji Enuch qui ne s’est pas comports en bon commer­ gant mais qui s’est associe avec les pillards qui, pour cette raison, ont d6vast6 le pays soit chasse hors du pays et qu’on vende et confisque toute sa fortune.

XX. Que les deux voleurs Jovan Rogobete et Ghita Hotul avec sa bande, ^qui se sont livrds d’eux-memes en cette ann£e et n’ont pas 6t6 arret^s mais sont encore metes k des actes de banditisme, soient mis aux travaux forces k vie ou qu’ils soient executes devant le peuple, comme exemples16.

iB La variante allemande ajoute les points suivants apres celui-ci : « Que des compagnies ne soient plus constitutes parmi les villageois. « Que tous les etrangers venant avec leurs families dans ce pays ne soient soumis a aucun impot pendant un an. Cependant, aprfes l’£coulement de l’ann£e, qu ils payent les impots suivant les ordonnances de Karadja. Que ceux qui ne sont pas marids et n’ont pas de famille, meme s’ils gagnent leur vie en pratiquant un metier, soient exempts jusqu’a leur mariage ; de mSme les bergers, d apres la vieille coutume du pays. « Que nul ne puisse se servir de blasons d’or et d’argent et de grands chapeaux, sauf la famille du Prince. ha Udp n5 / oit demandee pour la construction des ponts des douanes » ’ les d^penses devant etre couvertes par les revenus

I I remi?lac6 dans la variante allemande par les suivants: nn contraire v,"'3 pas rendu de services utiles a la patrie mais, au contraire, a produit beaucoup de malheurs et a trahi la natrip • c.est de cette de son humble etat II M B s di payean) a un etat aussi elevi. Que ce m6me Bivello qui a vote tout le pays et a usurp£ de force la fortune des hommes pauvres (terre et vignes) soit pourchassi et pun. severement car quelle dtait la fortune qu’il posstfait avant — 162 —

D’apres ce document, les revendications de Vladimiresco portaient surtout sur des questions economiques et, en particulier, sur des ques­ tions fiscales. Du point de vue politique elles ne portaient que sur des points de detail car elles n’£liminent que certains abus sans apporter aucun changement fondamental dans la structure gouvernementale, exception faite de la structure militaire oil Vladimiresco parait faire des concessions aux desiderata de ses soldats. Le contraste entre les revendications surtout Economiques de Vladimiresco et les proposi­ tions en majeure partie d’ordre politique d’Ypsilanti, telles qu’elles furent definies dans sa proclamation aux boyards r6fugi£s a Brasov, est frappante 17. Le vornic Samurcach presenta « les requetes du peuple roumain » aux ca'fmacams mais ceux-ci ne daign6rent meme pas rdpondre 18. La nouvelle de l’approche des armEes de Vladimiresco et d’Ypsilanti sema

d’etre nomme k la tete de la Tr£sorerie publique ? D’ou provient ce qu’il possede actuellement ? Tout ce qu’il possede et qu’il n’avait pas auparavant doit lui etre pris et etre utilise pour le bien de la patrie. « Que Messieurs l’aga Alexandre Villara et Chiriac soient exclus pour la vie des fonctions publiques, comme tous les autres qui par diverses tromperies ont pilie sans pitie le pays. < Le sludjer Theodore Vladimiresco qui comme un pfere bienveillant a ete elu par tout le peuple roumain pour etre capitaine et un gouverneur devoue doit avoir soin avec les autres capitaineries pour le bien k l’interieur et h l’exterieur, tous ceux qui sont avec lui doivent servir le pays et le peuple et pour cela qu’ils soient exclus des impflts. Qu’ils soient honores par les autorites superieures et que leurs demandes soient satisfaites. « Toutes les provisions ou articles d’alimentation que le peuple regoit des monasteres doivent etre payds par la Tresorerie. «Tous ces points doivent etre gardes tant par un diplfime ecrit que par serment ainsi que par une confirmation imperiale qui doit etre faite avec l’assentiment de 1’Autriche et de la Russie. Qu’au commencement de chaque gouvernement ou de chaque principat que les boyards et les evgques soient obliges de se presenter avec ces points au bord du Danube devant le nouveau Prince. Le Prince doit etre oblige de les signer et qu’il ne soit admis a entrer dans le pays qu’apr£s avoir fait cela.» 17 En voici I’extrait, le texte complet etant en appendice « D », pp. 233-5. « Le pouvoir supreme de la province dace devrait toujours etre confie aux mains d’un homme du pays et jamais a un etranger. « Le pouvoir legislatif devrait etre sdpare du pouvoir ex6cutif ou fitre confie a un ou deux corps legislatifs constitues par les differentes classes du regime dace. « Le pouvoir judiciaire dace devrait etre independant des deux autres, du legislatif et de Pexecutif. « Les eveques nationaux devraient etre eius par toutes les classes des citoyens. « Les impdts ne devraient pas etre pergus k l’insu des deiegu£s de la nation. Le prince devrait recevoir un traitement annuel fixe et etre consider comme le premier citoyen de la province. « Des ecoles devraient etre fondees d’enseignement mutuel pour les en- fants de tous les citoyens. « Une armee reguliere devrait etre organise pour veiller a la securite de la province. » is Photeinos, Oi athloi tis en Vlachia hellinikis epanastaseos kata to 1821, p. 37. — 163 — la panique a Bucarest qui fut abandonne par les consuls d’Autriche et de Russie ainsi que par les cai'inacams tandis que les boyards com- menc^rent & quitter cette ville pour aller se rEfugier en Transylvanie. De son cote, le 11 mars, Vladimiresco devoila & ses soldats ses liens avec Ypsilanti. « Le prince Alexandre Ypsilanti, dit-il, ayant traverse la Moldavie est entre dans le pays de Valachie avec une assez grande armee ; il est suivi par un grand corps russe qui se trouve au Pruth 10. Nous faciliterons au prince Ypsilanti le passage du Danube pour qu’il aille liberer sa patrie tandis que les Russes nous aideront a nous em- parer des forteresses qui sont autour de notre patrie et, apres cela, nous laisseront libres et autonomes » 20. Les boyards restant a Bucarest voulurent negocier un accord avec Vladimiresco. Celui-ci venait d’apprendre le d6saveu par le Tsar de son entreprise et avait besoin d’allies. L’entente se fit done facilement, Vladimiresco ayant toujours fait une distinction entre « bons» et « mauvais » boyards, et fut portae a la connaissance du pays par une proclamation21. Trois jours plus tard le pacte fut scelie par deux serments que se pret6rent mutuellement Vladimiresco et les boyards22. II occupa alors Bucarest sauf le palais metropolitan ou Savvas s’etait install^ comme commandant de la garnison de cette ville. II y trouva Georges Olympios et Jean Pharmakis et, quelques jours apres, Ypsi­ lanti faisait aussi son entree dans la ville. Ce fut alors qu’Ypsilanti apprit qu’il avait ete, a son tour, reni6 par Alexandre I*r 23. II ne perdit cependant pas espoir, espSrant en un revirement de la politique russe. Pendant une entrevue qu’il eut avec Vladimiresco celui-ci renouvela (probablement) son serment et il fut convenu que Ypsilanti controlerait le haut pays tandis que les districts de la plaine seraient controles par Vladimiresco ; Ypsilanti etablirait son camp a TTrgoviste, ancienne capitale de la Valachie, oil il serait suivi par le divan, tandis que Vladimiresco se retirerait a Pitesti24. Vladimiresco cependant ne permit pas aux boyards et aux prElats de suivre Ypsilanti et la collaboration entre les chefs des deux revo­ lutions fut termin£e. Le chef valaque se tourna alors vers les Turcs, esp£rant pouvoir imiter Miloch Obrenovitch dans sa politique du fiddle raya qui implore la Porte de lui accorder quelques privileges pour son peuple tyrannise par les mauvais seigneurs25. De son cote, Savvas

*9 L’aide russe etait, avec l’execution du plan de Constantinople, un des leit-motivs de la propagande hetairiste & cette epoque ou toutes sortes de rumeurs etaient mises en circuation pour tenir le moral de l’armee eieve. 2° Photeinos, op. cit., p. 54. 21 Texte en appendice « C >, pp. 222-224. 22 Texte des serments dans Otetea et al., op. cit., vol. 1, pp. 395-397. 23 Texte de la lettre de Capodistrias a Ypsilanti en appendice «D », pp. 230-232. 24 Otetea, Tudor Vladimirescu si miscarca eterista in Tarile Romdnesti, p. 378. 2r> Grace a 1 arz mahsar qu’il avait envoye a la Porte il pouvait sou- tenir que son insurrection etait uniquement dirig6e contre les Phanariotes. — 164 — entra en rapports avec Scarlate Callimachi pour l’aider a monter sur le trone de Valachie. Les Turcs d’autre part n’etaient pas restes inactifs. Des qu’ils comprirent la gravite des evenements des Principautes ils demanderent, et obtinrent, la permission de la Russie pour envoyer une armee dans les Principautes, sous le commandement de Selim Mehmet pacha de Silistrie. Les Turcs marcherent contre Bucarest ou Vladimiresco et Savvas intriguaient l’un contre l’autre, Savvas en faveur de Scarlate Callima­ chi et Vladimiresco afin d’etre reconnu prince par les Turcs. En meme temps le chef valaque affermissait sa position aupres de ses troupes bulgares en faisant proclamer un des leurs Roi de Bulgarie-0. Cepen­ dant, les Turcs avaient envahi l’Oltenie et les pandours commencerent a abandonner Vladimiresco pour aller defendre leurs foyers. Ils parta- geaient d’ailleurs le mdcontentement des paysans qui avaient du de nouveau payer des impots sans que le partage des terres des boyards qu’ils attendaient ait eu lieu. Les Turcs ayant refuse de negocier avec Vladimiresco, celui-ci se tourna de nouveau vers Ypsilanti et se mit en route pour aller le rejoindre k Pitesti ou s’etaient concentres les hetairistes. II fut inter- cepte a Golesti par Georges Olympios qui avait eu connaissance de sa correspondance avec les Turcs. Les deux chefs se reconcilierent et Vladimiresco promit de rester fiddle a ses engagements hetairistes et a attaquer les Turcs en Oltenie, Bucarest etant deja entre leurs mains. Malgre cela, Vladimiresco entra de nouveau en rapports avec les Turcs. Cette fois il eut des demeles serieux avec ses propres capitaines et surtout avec Hadji-Prodan et Makedonski qui inform£rent Georges Olympios de la nouvelle trahison de Vladimiresco. Celui-ci, ayant com­ pletement perdu toute autorite sur ses hommes a cause de l’execution de deux de ses capitaines, fut arrete par Olympios et emmene a Tirgo- viste ou, par ordre d’Ypsilanti, il fut juge par une cour martiale, fut trouve coupable d’infraction aux articles 3, 7 et 8 du code penal mili­ taire hetairiste27 et execute pendant la nuit du 26 au 27 mai 1821.

2« Philimon, op. cit., vol. II, pp. 155-156. 27 Photeinos, op. cit., p. 107. Voici Ie texte des articles en question, d’apr£s Photeinos, op. cit., p. 88 : III. Que celui qui abandonnerait son drapeau ou son bataiilon et s’enfui- rait soit deshonore devant l’arm£e (comme etant indigne de l’honneur de servir la patrie) et puis qu’il soit proclame a toute la nation comme etant un homme sans honneur. S’il se refugie a l’ennemi et est pris les armes a la main contre sa patrie, alors qu’il soit eternellement deshonore, anathema­ tise et pendu et que son corps ne soit pas enterre tandis que son nom devra rester anathematise afin que les generations futures s’en detournent avec horreur et inimitie. VII. Que celui qui aurait des communications avec I’ennemi contre sa patrie soit puni selon I’article III. VIII. Que tout complot, secret ou ouvert, et la plus petite mutinerie contre les superieurs et chefs soient punis par la condamnation k mort. — 165 —

Quelques jours apres la decapitation de Vladimiresco l’armee tur­ que quitta Bucarest pour Tirgoviste qui fut abandonne par Ypsilanti, dont la situation etait maintenant tout k fait desesperee k cause de la faiblesse num6rique de son armee, de son indiscipline et des trahisons continuelles. Des la prise de Ttrgoviste par les Turcs Sawas y vint avec ses troupes et se rendit aux Turcs car il avait appris que ses intrigues etaient connues d’Ypsilanti. II regut comme tSche de le pour- suivre et le rattrapa sur la Dimbrovita mais ne put pas traverser cette riviere qui etait en crue. Savvas retourna a Tirgoviste mais le com­ mandant ottoman soupgonna qu’il avait ete trahi k son tour et le fit executer. La bataille decisive eut lieu & Dragatsani le 7 juin et se termina par la defaite totale de l’armee hetairiste, la mort de tous les membres du « bataillon sacr6 » et la dispersion de l’armee hetairiste en petites bandes dont l’une se distingua k Sculeni. Alexandre Ypsilanti passa la frontiere et se refugia en Autriche ou il fut emprisonne sur ordre de Metternich. Pendant des mois la chasse aux petites bandes disper- sees continua jusqu’& ce que toutes aient ete detruites. Signalons ce­ pendant rheroi'que defense de Georges Oiympios dans le monastfere de Secu oil il tomba en mettant le feu aux poudres, des que toute chance de salut fut perdue. Une chose est evidente : Alexandre Ypsilanti n’etait pas l’homme qu’il fallait pour mener cette entreprise k bien. Certes, c’etait un grand patriote, il desirait ardemment le bien de sa patrie mais, etant trop idealiste, il manquait completement de realisme. II se faisait des illu­ sions sur le nombre de troupes qu’il commandait ainsi que sur leur qualite militaire. Habitue aux evolutions d’armees regulieres, il ne put jamais s’habituer aux tactiques de ses soldats irr6guliers, tactiques fondees en grande partie sur des embuscades et des coups de main dont le principal avantage etait la surprise des forces ennemies. II lui etait impossible de comprendre ses hommes et il ne put conserver leur loyaute. Ses preparatifs avaient ete insuffisants. En passant le Pruth il ne trouva ni une armee organisee ni les munitions necessaires. U dut perdre un temps precieux k les preparer et l’eiement de surprise etait perdu. Rien n’avait ete fait pour preparer le passage du Danube et s’assurer de la cooperation des Bulgares riverains, ce qui aurait permis — m£me avec sa petite troupe — d’attaquer les forteresses du Danube qui etaient fort mal defendues. Le refus de cooperation des Roumains et, surtout, des Serbes, eut comme resultat qu’Ypsilanti fut renferme dans les Principautes, terri- toire hostile, entoure de territoires encore plus hostiles. II etait condamne k Pinaction. Entoure par les armees turques, il etait oblige d’errer sans but jusqu’& ce qu’il soit rejoint par les Turcs et ecrase. Le plan d’Ypsilanti avait ete de traverser simplement les Principautes en allant en Serbie et, de 1&, en Grece. II n’avait done rien fait pour s’attirer les sympathies des populations roumaines, sauf en leur faisant des proclamations dans lesquelles il insistait sur le caractere provisoire — 166 — de son passage. En Valachie ses relations avec Vladimiresco etaient allies de mal en pis tandis que celles avec les Valaques en general se d6t6rior£rent rapidement lorsque ceux-ci virent qu’il ne quittait pas leur territoire. Une tr£s grande partie de la responsabilite de la debacle hetai­ riste aux Principautes incombe k Theodore Vladimiresco. Celui-ci s’etait conduit loyalement jusqu’ci l’epoque du reniement d’Ypsilanti par Alexandre I" mais apres, pour atteindre son but personnel qui etait de devenir coute que coute prince de Valachie, il voulut renier ses engagements envers Georges Olympios et Jean Pharmakis et, a travers eux, envers l’Hetairie, payant cette trahison de sa vie. Toute son action revolutionnaire est imbue d’incoherence due au fait que la seule chose qu’il desirait sincerement etait devenir hospodar. II commenga sa revolution par une jacquerie, n’hesita pas a abandonner les pay­ sans pour s’accommoder avec les boyards lorsque ceux-ci voulurent s’entendre avec lui, pour se tourner enfin vers les Turcs lorsqu’il eut perdu tout espoir d’une intervention russe qui, d’ailleurs, n’avait pas ete promise dans la convention qu’il signa avec les hetairistes. II n’etait donc pas surprenant que l’Hetairie Ie qualifiat de traitre et lui infligeat la peine requise en pareille circonstance. Pour l’insurrection qui venait d’eclater dans les provinces grecques cette aventure avait eu certains bons resultats. Du point de vue du moral des insurges, l’annonce de l’avance d’Ypsilanti, exploitee a fond par la propagande des revoltes, fut tres opportune. Du point de vue militaire elle eut 1’avantage d’immobiliser des troupes ottomanes pres du Da­ nube tandis qu’elles auraient pu etre utilis^es contre les Grecs insur­ ges. Mais ceux-ci furent les seuls bons resultats. La debacle dans les Principautes signifia aussi la fin de l’Hetairie qui survecut seulement quelques mois en Russie, transformee en societe de bienfaisance. Elle avait atteint cependant son but : la revolte des Grecs. Chapitre XV

LES DEBUTS DE LA REVOLUTION GRECQUE RAPPORTS GRECO-ALBANAIS

La province hellEnique ou l’Hdtairie avait eu le plus de succes fut la MorEe. Cette province jouissait d'une large autonomie, l’administra- tion locale etant entierement aux mains des primats. Elle possedait meme un embryon de Parlement dans l’assemblee qui se tenait chaque annee a Tripolitsa, siege du pacha de Moree, et a laquelle participaient tous les prelats et les primats du PEloponnEse. Elle envoyait k Constan­ tinople des dEleguEs speciaux nommEs vekils, qui la representaient au- prEs de la Porte. De plus, le nombre des Turcs qui l’habitaient etait rEduit. Les primats et les prElats de MorEe Etaient devenus hetairistes. L’H6tairie eut la chance d’avoir parmi ses membres Ie metropolite de Patras Germanos, homme sage et rEflEchi, jouissant d’une grande po­ pularity tant parmi les prElats et les primats que parmi le peuple. II assuma bient6t la direction des affaires hetairistes en MorEe. Malgre le grand nombre d’hetairistes, les initiEs furent plus prudents en MorEe qu’ailleurs et surent mieux cacher leurs preparatifs. Le fait que le consul gEnEral de Russie a Patras 1 Etait hetairiste permit l’utilisation du courrier diplomatique pour expedier la correspondance de l’HEtairie. La situation Etait tellement calme que quand Khourchid pacha fut nom­ me vali de MorEe il put Ecrire k la Porte que tout Etait tranquille dans sa province. 11 partit done pour son expedition contre Ali pacha de Ja­ nina, laissant & Tripolitsa un caimacam jeune et sans expErience, Mehmet Salih aga. II avait exigE des primats qui etaient venus a Tri­ politsa pour le recevoir qu’ils restassent a Tripolitsa, devenant ainsi des otages pour la bonne conduite de leurs compatriotes pendant son absence. En 1821 le calme disparut et l’on sentait que quelque chose se prEparait. Les Turcs renforcerent la garnison de Tripolitsa et repa- rErent leurs forteresses sans cependant les approvisionner car, celles- ci Etant prEs de la mer, ils pensaient qu’ils pourraient aisEment les approvisionner par mer2. Parmi les Grecs, les primats Etaient beau-

1 On a dEja vu l’activite du dragoman de ce consulat auprEs d’Ali pacha. 2 Finlay, History of the Greek Revolution, vol. I, p. 172. — 168 — coup moins enthousiastes qu’ils ne l’avaient ete auparavant car ils pesaient mieux maintenant les risques de l’entreprise. Quant au peu­ ple, il n’attendait que le signal pour se soulever. De meme a Hydra et Spetzai, qui devaient fournir la flotte des insurges, les primats etaient devenus tr£s prudents et demandaient que la destruction de la flotte ottomane se fit avant qu’ils ne se souldvent.3 Mais si les primats etaient en faveur de l’ajournement du debut de la revolution, tel n’etait pas le cas pour l’archimandrite Gregoire Di- kaios, exarque patriarcal en Moree, qui servait comme deiegue d’Ypsi­ lanti aupres des Peioponnesiens. II avait comme mission de commencer la revolte le plus vite possible malgre le fait que les preparatifs mili­ taires etaient presque inexistants, seules les fabriques de Dimltsana etant en mesure de fournir les munitions necessaires. Les primats re- solurent donc de convoquer une assemble pour decider de leurs ac­ tions futures et empecher Dikaios d’agir jusqu’& la convocation de Iadite assemble. Dikaios eut vent de ce qui se preparait mais il apportait aux pri­ mats et aux preiats des instructions4 redigees par Ypsilanti par les- quelles celui-ci leur demandait de se reunir en assemble afin de pren­ dre des decisions au sujet de ses plans ; que deux primats restent a Tripolitsa afin de ne pas eveiller les soupgons des Turcs, tandis que les autres feraient les derniers preparatifs, chacun dans sa province ; que les vekils soient rappeies de Constantinople afin qu’ils ne soient pas tues par les Turcs quand la revolte commencerait mais qu’ils puis- sent y prendre part; que dans chaque province soit elu un chiliarque qui ferait les preparatifs militaires et servirait sous les ordres d’Ypsi­ lanti lorsque celui-ci arriverait en Moree5 ; que seuls 25.000 hommes devraient etre armes afin que la discipline soit maintenue, les armes existantes etant donnees aux meilleurs soldats ; qu’un emprunt soit lance d’un million de piastres a 6 % d’inter£t, payable lors de la fonda- tion de l’Etat helienique. L’accomplissement de ces instruction avait ete facilite par le depart de Khourchid pacha pour Janina et celui de son reinplacant, nomme pacha de Salonique, pour le meme endroit. L’assembiee6 se reunit a Vostitsa entre le 26 et le 30 janvier 1821. Tres peu de primats etaient presents et seulement trois preiats, tous les absents cependant avaient des representants, comme aussi les chefs militaires. Les primats decla- rerent de nouveau que la revolution devait Stre remise mais les mili­ taires furent en faveur d’une action rapide. Les primats ne desiraient pas commencer l’insurrection sans avoir la certitude de l’aide russe

3 Kandiloros, Philiki Hetairia, pp. 410-411. 4 Texte de ces instructions dans Philimon, Philiki Hetairia, pp. 351-353 e On s’attendait toujours a I’arrivee d’Ypsilanti pour commencer [’insur­ rection. Ce ne fut que beaucoup plus tard que les Peioponnesiens apprirent la decision d’Ypsilanti de commencer l’insurrection dans les Principautes. 0 Cette assemblee a ete longuement decrite par Phrantzis, qui fut present a ses deliberations. — 169 —

mais Dikaios ne leur avait jamais parle d’une telle aide qui avait ete une invention de Paparrigopoulos faite pour ses intrigues aupres d’Ali pacha de Janina. La force de l’habitude etait telle que l’on ne pouvait pas s’imaginer une revolte sans aide exterieure. Le metropolite de Patras demanda done a Dikaios si toute la nation etait en faveur de la revolte ; quels etaient les preparatifs accomplis ; quelle etait la force militaire de la nation ; comment est-ce que la revolution devait commencer ; une puis­ sance etrangere fournirait-elle son aide ; et sous quelle forme ; que ferait-on si une puissance se proclamait leur ennemie, et plusieurs autres questions de la mgme sorte7. Au debut Dikaios ne sut repondre mais ensuite il d£clara que l’arm£e russe etait prete & envahir la Molda­ vie des que les Principautes et la Serbie prendraient les armes, que les munitions et les armes etaient tres nombreuses, que le Sultan serait assassine et que la flotte ottomane serait incendiee et d’autres pro­ messes de ce genre. Germanos ne Ie crut pas et une longue discussion commenga. Di­ kaios dut enfin menacer de se soulever seul avec mille Arcadiens et mille Maniates pour que les primats cessent leurs tergiversations. En­ fin il fut decide de remettre le debut de l’insurrection jusqu’a l’arrivee d’Alexandre Ypsilanti et on choisit comme dates probables le 26 mars, le 23 avril ou le 21 m ai8, celle-ci etant leur dernier deiai. II fut aussi decide d’envoyer des hommes surs a Ignace d’Arta, a Alexandre Ypsilanti, aux ties et a Constantinople pour se rendre compte du point exact ou se trouvaient les preparatifs pour l’insurrection. Cependant Ie caimacam commengait a se douter que quelque chose se priparait. II invita done les preiats et les primats a se rendre k Tripolitsa pour conferer, comme il annonga, sur les mesures a prendre contre les intrigues d’Ali pacha de Janina. Seuls quelques preiats et primats obeirent a cette invitation. Le caimacam reitera ses ordres a plusieurs reprises et enfin les preiats et primats restants durent obeir afin de ne pas eveiller ses soupgons. Ils voyageaient cependant aussi lentement que possible et les preiats et primats d’Achaie se retrouve- rent dans la petite ville de Calavryta. Une reunion eut lieu au monas- tere de Lavra, pres de Calavryta, et il fut decide de ne pas aller a Tripolitsa vu qu’ils seraient certainement tues lorsque l’insurrection commencerait, ce qui ne pouvait plus tarder. De meme, les capitaines du Magne s’etaient reunis et avaient decide de se soulever le plus tot possible. L’orage allait bientot edater. Les premiers signes de la revolte naissante furent des vols et des meurtres de Turcs dans le caza de Calavryta le 18 mars. Des que le caimacam apprit ces faits, il obligea les preiats et les primats se

7 Kandiloros, Philiki Hetairia, p. 414. 8 Toutes trois etaient des fetes religieuses, la premiere etant l’Annon- ciation, la deuxi&me etait la Saint Georges et la troisieme la Saint Cons­ tantin. 12 — 170 — trouvant a Tripolitsa d’ecrire aux primats d’Acha'fe pour les exhorter a rentrer dans le droit chemin. Naturellement les primats de cette pro­ vince ou la rSvolte gagnait chaque jour du terrain ne pretdrent aucune attention a ce qu’on leur ecrivait. Entre temps, le 21 mars, le Magne se soulevait et, le lendemain, Petrobey Mavromichalis mettait le siege de­ vant Calamata qui tomba entre ses mains le jour suivant. Le 28 mars le « S£nat de Mess£nie » qui avait 6t6 constitu£ par les primats de la region fit une proclamation aux nations europSennes annongant le sou- 16vement des Grecs decides a conquerir leur ind6pendance Le 23 mars Patras se soulevait et le metropolite Germanos b£nit le drapeau des revoltes10. Le 26 mars les insurg£s de Patras envoyerent aux consuls etrangers residant dans cette ville une proclamation les informant du soulevement general des Grecs pour conquerir leur independance. Avant la fin du mois de mars toute la Mor£e etait en armes. A peu pres en meme temps que Patras, la Grece centrale orientale se rfivoltait, tandis que la Grece centrale occidentale ne se souleva que deux mois plus tard. Le 3 avril s’insurgeait l’ile de Spetzai, trois jours plus tard l’lle de . Seule Hydra tarda k se soulever, ayant des difficultes interieures a surmonter. Enfin son tour arriva le 16 avril. Avec le concours de ces trois lies les Grecs disposaient maintenant d’une flotte. La Thessalie et la Macedoine s’insurg^rent en mai ; la Cr6te suivit en juin. Seule l’Epire ne se souleva pas, ceci 6tant impos­ sible a cause de la presence de l’armee ottomane qui assiegeait Janina. L’absence d’un soulevement general dans cette province n’empecha pas les Souliotes de rester fiddles k leurs engagements envers Ali pacha et a continuer ^ attaquer constamment Khourchid pacha dont la situa­ tion etait assez difficile a cause de la possibility d’une defection d’une grande partie de ses troupes originaires de Mor6e. Plusieurs des provinces insurgees firent des proclamations 11 dans lesquelles elles expliquerent les causes de cette revolution ou tent£rent de persuader d’autres regions de se soulever aussi. Toutes ces procla­ mations se ressemblent plus ou moins. La revolution avait comme but de combattre 1’injustice et la tyrannie des autoritds ottomanes en pro- clamant la liberte des territoires grecs. Ces proclamations montrent dairement qu’il ne s’agissait pas seulement d’une revolution sociale mais aussi d’une revolution politique. Le lien unissant la Gr£ce avec l’Empire Ottoman etait rompu. Du point de vue balkanique, elles prou- vent l’influence du nationalisme naissant. Les autres nationality

8 Texte dans Prokesch-Osten, Geschichte des Abfalls der Griechen, vol. Ill p. 71 et Driault et L’H£ritier, Histoire Diplomatique de la Grkce vol f p. 138. ’ ' ’ io Ce drapeau n’etait pas celui de l’H<§tairie qui ne fut utilise que dans les Principautes. ^ oir.,en, aPPend'c^ « E les textes de la proclamation des Hydriotes du 16 avril, de la proclamation des Hydriotes aux insulaires catholiques du 18 avril, de la proclamation des Hydriotes aux insulaires de l’Archipel du 2 mai, de la proclamation des Hydriotes aux Chiotes donn£ le 8 mai et de la proclamation aux Thessaliens du 7 mai. — 171 —

balkaniques n’y sont pas mentionnees ; la difference entre elles et les proclamations d’Alexandre Ypsilanti est saisissante. Au lieu d’une insurrection pan-balkanique supra-nationale nous avons maintenant une revolution plus localis£e, nationale. 11 n’y est plus question d’une cooperation balkanique. Les seuls qui joueront un certain role dans la guerre hellenique de l’independance seront les Albanais, pour des raisons particuli£res. Avant cependant d’examiner les rapports gr£co-albanais aux de­ buts de l’insurrection grecque il convient de jeter un coup d’ceil sur la politique turque vis-a-vis de ce meme evdnement, politique int£res- sante a deux egards, d’abord parce que la r£ussite de l’insurrection dependait directenient de la fagon dont la politique ottomane r£agirait a son egard et, ensuite, parce qu’elle influencerait, du point de vue religieux surtout, l’attitude generate des populations musulmanes en­ vers les insurges, vu que les Grecs, reprenant l’idee de Rhigas, vou­ lurent recevoir 1’aide des populations musulmanes contre le Sultan considere comme etant l’oppresseur commun. La premiere reaction de Mahmoud II en apprenant les £v£nements de Moldavie, et surtout le massacre des Turcs de Galatz, avait 6te d’ordonner la mise a mort de tous les Grecs. Cette mesure fut annulte quelques jours apres comme etant contraire au cheri. La Porte com­ menga ensuite a prendre diverses mesures ayant comme objet de pr£- venir tout nouveau soulevement. Ces mesures cependant furent rendues vaines k cause de leur incoherence, de l’inaptitude des fonctionnaires ottomans a les mettre k execution et, surtout, ^ cause du fait qu’elles n’avaient pas comme veritable objet de parer k la crise mais de sauver la tete de Halet effendi, leur inspirateur et le grand favori du Sultan. En effet, Halet* effendi, absorbe a assouvir sa vengeance contre Ali pacha de Janina, ne preta aucune attention aux avertissements qu’il recevait de tous les cotes au sujet de l’effervescence regnante parmi les Grecs et meme lorsque la revolte eclata en Moree il continua & s’occuper surtout du siege de Janina, permettant ainsi aux insurges de consolider leurs gains12. On peut d’ailleurs suivre revolution de la politique ottomane officielle dans les firmans emis pendant cette epoque 1S. Elle devenait de plus en plus dure avec l’extension du mou- vement revolutionnaire, aboutissant enfin k l’ordre de massacrer les rebelles, declarant la guerre sacree contre eux 14 et proclamant la ne-

12 Les historiens Turcs, et notamment Sani Zade,_ historiographe officiel de I’Empire Ottoman lors de la revolution grecque, rejettent la responsabilite du succes du debut de la revolution exclusivement sur Halet effendi (Moscho- poulos, Historia tis Heltinikis Epanastaseos kata tous Tourkous historiogra- phous, p. 122). 13 Voir en appendice « F » le texte de plusieurs de ces firmans, prove- nant des archives turques de Salonique. Ces firmans ne tracent que les lignes generates de la politique a suivre. La Porte elle-meme ne suivait pas ses propres instructions car elle executait tous les suspects sans examiner s’ils etaient innocents ou pas. Ceci rendait impossible toute collaboration entre Grecs et Musulmans. — 172 —

cessite de l’union absolue de tous les Musulmans. On peut voir dans ces firmans la marque de I’influence de Halet effendi qui pronait jus­ tement une telle politique. * *

Lorsque l’insurrection grecque eclata, Ali pacha de Janina eut l’id£e de s’en servir pour ses propres fins. II envoya donc son conseiller Alexis Noutsos aux villages epirotes de , d’oii ce dernier etait originaire, pour qu’il essaye de persuader ces villages a se revolter contre l’Empire Ottoman. Lesdits villages de Zagori refuserent de se soulever ; l’armee de Khourchid pacha etait trop proche et ils seraient sans defense contre elle. Apres cet insucces, Alexis Noutsos quitta Janina pour Missolonghi ou s’etait etabli Alexandre Mavrocordato qui, venu de Pise quelque temps auparavant, etait devenu la plus grande personnalite politique de la Gr£ce centrale occidentale. Le but d’Alexis Noutsos etait de ne- gocier avec les Grecs de la region precitee une alliance avec les chefs albanais amis d’AIi pacha afin d’aider celui-ci dans sa lutte contre les troupes imperiales. Alexis Noutsos avait ete Ie partisan de la creation d’un Etat greco-albanais sous la souverainet£ d’AIi pacha. En ceci il n’avait pas ete le seul mais il etait maintenant trop tard pour penser a de telles combinaisons. Noutsos le comprit et depuis lors entra au service de la revolution hellenique, devenant un des conseillers d’Alexandre Mavrocordato. Cependant l’alliance greco-albanaise qui avait ete la principale rai­ son du voyage d’Alexis Noutsos fut realisee. Le r r septembre 1821, les chefs des troupes irregulieres de la Grece centrale occidentale, les Sou­ liotes et leurs allies Albanais signerent a Peta un accord d’alliance 15

15 Voici le texte de ce traite, d’apres Kokkinos, Helliniki Epanastasis, vol. Ill, pp. 468-469 : « Nous les soussign^s, primats et capitaines, ayant signe ce traite entre Turcs et Romains, d?clarons que nous sommes devenus un corps, que nous nous sommes unis indissolublement et que nous avons l’obligation de marcher avec toutes nos forces, sans machinations et sans faute, pour que notre seigneur, le vizir Ali pacha, soit sauv6, ainsi que nous-memes. Et si quel- qu’un, grand ou petit, Turc ou Romain, toucherait ou attaquerait quelqu’un d’entre nous, nous autres qui avons sign£ et appos£ nos sceaux ici viendrons tous a son secours. Et si peut-etre l’un de nous nous trahirait et se montre- rait notre ennemi nous l’attaquerons et nous le chasserons. Et si le vizir Ali pacha est sauv<§ et voudrait faire du mal a l’un de nous autres, Turcs ou Romains, nous ne l’accepterons pas et nous aiderons tous, Turcs et Romains, celui auquel le vizir Ali pacha aurait voulu faire du mal. Et encore si, ult£- rieurement, il se trouverait quelqu’un, Turc ou Romain, qui voudrait devenir notre allie, nous Ie recevrons aussi dans cette alliance. « De plus, ceux des grands et petits villages que le vizir Ali pacha avait pris comme tchifliks par la force et sans payer seront dortnavant libres comme ils I’<§taient toujours et que ceux qui payaient toujours la dime impg- riale, qu’ils la payent, et que ceux qui donnaient le kesmi, qu’ils donnent le kesmi. Les Chretiens n’auront rien d’autre a payer. Ceci est notre accord, ceci est notre traits et que nous soyions considers comme ren£gats si nous ne fort important car non seulement l’alliance greco-albanaise etait r^affir- m6e de la fagon la plus solennelle mais des mesures etaient prises pour contenir Ali pacha si celui-ci r6ussissait k sortir de l’impasse oil il se trouvait. Ainsi s’dtablirait un lien entre les chefs des troupes irr£guli£res de la Grece centrale occidentale et les chefs des troupes anti-imperiales de l’Epire, lien rendu necessaire par le fait que si Khourchid pacha etait libre de descendre en Moree il devrait passer par la Grece centrale occi­ dentale et ne pourrait laisser les Souliotes et leurs allies Albanais le menacer par derriere. Ali pacha voyait que la resistance de sa forteresse de Janina ne pou­ vait plus durer longtemps et il demanda aux Souliotes d’attaquer Khour­ chid pacha afin qu’Ali puisse tenter une sortie. Les Souliotes demande- rent I’aide des chefs Grecs qui avaient signe l’accord de Peta. Mavro­ cordato eut vent de cette demande. II ne voulait nullement qu’Ali sorte de Janina car il craignait que le vieux pacha ne tienne pas ses pro­ messes et devienne un grave danger pour les insurges. II demanda done aux Souliotes de ne pas faire ce qu’Ali leur demandait. Les Souliotes voulurent neanmoins honorer leurs engagements envers le pacha et ce ne fut que lorsque Marc Botzaris eut ete persuade par un envoye de Ma­ vrocordato de la justice des opinions de celui-ci qu’il entreprit, avec succes, de persuader les Souliotes de ne pas aider Ali mais de se reunir avec les troupes de Mavrocordato qui assiegeaient Arta. Pendant que les Souliotes et leurs allies assiegeaient Arta, Khour­ chid pacha envoya contre eux Omer pacha Vrioni pour secourir cette ville. Omer pacha Vrioni etait Albanais de naissance et il avait connu la plupart des chefs des assiegeants k la Cour d’Ali pacha. II congut done l’idee de dissoudre 1’alliance entre les Souliotes, les chefs de la Grece centrale .occidental et les Albanais. II se tourna d’abord vers les Albanais auxquels il demontra que Ali etait de toute fagon perdu et que les Grecs combattaient pour leur liberte et leur ind6pendance et pas pour sauver Ali pacha. II sema ainsi la mefiance parmi les Alba­ nais qui deciderent enfin d’envoyer un de leurs chefs les plus influents, Tahir A baziie, dans les regions insurgees afin de verifier les dires d’Omer pacha Vrioni. Malgre les tentatives des Grecs pour les calmer les Albanais deve- naient de plus en plus mefiants. De son cote, Thair Abazi, pendant son voyage, vit partout des traces de mosquees bruiees et d’autres signes d’une guerre religieuse. De plus il vit que Mavrocordato ne pouvait en- tenons pas I’accord ci-dessus, que nous soyions mis hors des fideies de Maho­ met et consid£r£s comme avrenti boskendi kiafir (i.e. infideles). Nous faisons le present traite que nous laissons aux mains des primats et des capitaines et des autres chretiens. «A Peta d’Arta, le l er septembre 1821.» (Suivent les signatures) i# La raison officielle de ce voyage fut la necessite d’obtenir plus d’armes et de munitions qui seraient procurees par une mission composee de deux Albanais et d’un Souliote. Le texte des pleins-pouvoirs de cette mission a ete publie par Sp. Lampros (Neos Hellinomnimon, vol. I, 1904, pp. 481-483). — 174 — voyer aux allies ni les armes ni les munitions dont ils avaient le plus grand besoin. A son retour a Arta, l’alliance fut dissoute et les Alba­ nais rejoignirent les troupes imperiales. Les Souliotes cependant conti- nuerent le siege mais furent attaques par Omer pacha Vrioni et les ex- allies Albanais. Le resultat fut que les assi6geants devinrent des assie- g6s. Ils firent cependant une sortie et purent se retirer a Souli sans su- bir de grandes pertes. La mort d’AIi pacha devait permettre a Khourchid pacha de porter toute son attention sur la Moree. II ne pouvait cependant pas quitter l’Epire en laissant les Souliotes derriere lui. II essaya donc de negocier avec eux et leur envoya une lettre 17 leur declarant que toute la respon- sabilite de leur defection des armees imperiales incombait a Ismael pacha et que la Porte l’avait releve de son commandement pour cet acte. L.a Porte donc leur donnerait Souli (qu’ils possedaient deja) sous la condition qu’ils restassent tranquilles. Dans leur reponse les Souliotes demanderent que Khourchid accorde une amnistie a tous les Grecs levoltes et qu’ils accepteraient eux-memes une telle amnistie seulement si elle etait accepts par tous les Grecs. Khourchid n’accepta pas cette proposition et se mit en campagne contre les Souliotes. Ceux-ci firent les preparatifs d’usage et envoyerent en plus Marc Botzaris a Corinthe ou etait alors le siege du gouverne­ ment grec18. Arrive a Corinthe, il demontra au gouvernement que les Souliotes pourraient etre tres utiles dans les plans d’action contre Khourchid pacha car, en leur envoyant quelques renforts, ils pourraient attaquer les armees imperiales qui campaient toujours a Janina, quel­ ques corps seulement etant utilises contre les Souliotes. En plus, une telle campagne pourrait permettre a ces derniers d’entreprendre de nouveau des negociations avec leurs ex-allies Albanais pour les.ramener de leur cote. Le gouvernement, et surtout son president Alexandre Mavrocordato, furent ravis de cette proposition mais les moyens de l’executer man- auaient et elle fut remise a plus tard. Elle n’eut jamais lieu. Mavrocordato envoya aussi une lettre aux Souliotes contenant le texte de la Constitution qui venait d’etre votee par la premiere Assemble Nationale des Hellenes ainsi que la priere, avec celle de Theodore Ne­ gris, d’etre nomme citoyen de la Confederation Souliote. Les Souliotes repondirent le 16 fevrier 1822 par une lettre 19 dont voici des extraits : ...A present nous sommes entourts de milliers de soldats Turcs qui journellement nous ecrivent nous menagant si nous ne nous reconcilions pas avec eux de marcher contre nous. Ne nous trouvant pas prepares et

17 Texte dans P.A.S[alapanda], Ta hiroika thaumata Soulioton kai Sou- liotidon, pp. 270-271 et Kokkinos, op. cit., vol. V, pp. 97-98 ; ainsi que la reponse des Souliotes dans P.A.Sfalapanda], op. cit., pp. 271-272 et Kokkinos. op. cit., vol. V, pp. 98-99. is Les Souliotes avaient de nombreux espions dans le camp de Janina et passaient les informations ainsi obtenues au gouvernement de Corinthe. 19 Texte de cette lettre dans Perraivos, Apomnimoneumata Polemika, pp. 99-102 et Kokkinos, op. cit., vol. V, pp. 93-96. — 175 —

avant de nos hommes entre leurs mains 20 ... nous nous comportons diplo- matiquement envers eux sans leur donner de r£ponse definitive. Nous les menons d’aujourd’hui k demain a dessein. D’abord pour que nous puissions preparer le necessaire pour la guerre, deuxtemement pour que l’hiver passe et troisifemement pour reussir a libdrer nos hommes de leurs mains ... Preincrement, que ceux d’entre nous Chretiens qui sommes maintenant sous les armes deviennent un corps et s’entr’aident. Deuxieme- ment, ici dans les provinces environnantes ... se trouvent plus de vingt mille' Grecs armes, mieux que nous. Ils n’attendent pour prendre les armes contre le tyran que de voir dix ou douze navires nationaux dans les parages et de recevoir des munitions ... Ainsi, si vous faites ce que nous vous 6crivons, nous vous promettons que non seulement nous ne laisserons pas les Albanais sortir de Janina mais nous serons capa- bles de marcher plus loin encore. Et nous esperons, par la force des armes, unir a nous les Tchames, Liapes et Toskes21 et non par les lettres que vous leur envoyez22. Celles-ci les excitent a marcher au plus vite contre nous et pour cela nous les avons d£chirees ... Ne vous faites pas d’illusions sur l’aide du dSfenseur23 et les bonnes nouvelles et de cette fagon vous vous arretiez de vous soucier de ce que nous vous ecrivons parce que nous comprenons tres bien que nous serons morts jusqu’& ce qu’ils viennent du Nord. Enfin, pourquoi perdre du temps en attendant l’aide du Nord ou de l’Ouest quand nous seuls, si nous le voulons, pouvons terminer la presente lutte sacr£e ... Nous connais- sons la force militaire ... la ndtre et celle des autres provinces, et celle des Turcalbanais dont nous voyons de nos propres yeux les grands preparatifs. Malgre tout nous vous disons que meme si vous nous aidez ou si vous ne nous aidez pas, nous avons decide de laisser nos os ici ... et de ne pas nous r£concilier avec les Turcs.

Avant que Khourchid ne parte en campagne contre Souli il promit aux ex-allies Albanais, sur leur demande, de leur permettre d’entrer en negociations avec les Souliotes. Ces negociations eurent lieu a Dervizana entre les plus grands chefs des deux parties. Les Albanais essay£rent de persuader les Souliotes de se detacher des Grecs et de se joindre a Khourchid pacha. De leur cote, les Souliotes essayerent de persuader leurs ex-allies de quitter Khourchid et de se joindre k eux. Ni l’une ni l’autre des parties ne put persuader son interlocuteur et les negotiations furent rompues. Alors enfin Khourchid commenea sa campagne contre Souli qui fut entoure de tous les cotes. Entre temps, les Souliotes conti- nufcrent d’envoyer des lettres a Corinthe mais sans recevoir de repon­ ses. Cependant, l’expedition qui devait les secourir se preparait. Le corps expeditionnaire, commande par Alexandre Mavrocordato en per- sonne, fut completement detruit a la bataille de Peta par les Turcs- albanais et un autre corps, envoye en Epire par mer, dut se retirer apres

20 U s’agit des otages donn£s autrefois a Ali pacha et qui etaient tombes aux mains des imperiaux lors de la prise de Janina par Khourchild. 21 Tribus albanaises. 22 II s’agit des lettres envoyees aux chefs Albanais par Ignace d’Arta et Demetrius Ypsilanti. 23 C’est-a-dire de la Russie. — 176 — la mort de son commandant qui 6tait un des fils de Petrobey Mavromi­ chalis. Cependant les Souliotes, assieges de tous les cotes, souffraient de la faim. Ils commencerent donc des negociations avec les Turcs et comme ils exigeaient un sauf-conduit jusqu’aux lies loniennes, la permission du Lord Haut-Commissaire fut demandee et obtenue et le traite de capitulation fut signe le 28 juillet 1822 avec les termes sui­ vants24 : les Souliotes quitteraient Kiapha avec leurs armes ; les Turcs acheteraient au prix courant toutes les possessions que les Souliotes laisseraient, en tant qu’inutiles, dans la forteresse ; les Turcs donne- raient aux Souliotes autant de betes de somme qu’ils en auraient be- soin pour le transport de leurs families et de leurs affaires mobiles jus- qu’au littoral ; les Turcs payeraient le prix du transport maritime qui se ferait sous pavilion ionien ; les Turcs donneraient des otages aux Souliotes ; les forces militaires turques se retireraient du littoral. Les Turcs verseraient aux Souliotes la somme de 170.000 piastres due par Ali pacha ; les Souliotes libereraient Hussein pacha, l’otage donne par Ali, des que cette somme aurait ete payee. II n’y eut pas de difficultes pour que les Turcs acceptassent ces ter­ mes qui leur avaient 6te proposes par les Souliotes. Seul le payement de la somme due par Ali pacha suscita des difficultes mais enfin Omer pacha Vrioni accepta de le faire car il etait presse de terminer sa cam­ pagne contre Souli afin de pouvoir combattre les autres Grecs. Ainsi les Souliotes quitterent pour la derniere fois leur patrie et se r£fugierent aux lies loniennes d’ou ils purent se transporter ensuite au theatre de la guerre en Grece. Avec ce depart, ils cesserent leurs relations avec les Albanais et, de son cote, le gouvernement grec ne fit plus rien pendant la guerre de l’ind£pendance pour entrer en rapports avec eux. D’ailleurs, sauf quel­ ques contacts avec les Montenegrins25, sur lesquels nos informations sont peu nombreuses, le gouvernement revolutionnaire n’eut plus de rap­ ports suivis avec les autres nations balkaniques durant toute la guerre de l’independance. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y eut pas dans les ar­ mees grecques des combattants originaires des autres pays balkaniques. II y en eut et ils jou£rent un certain role qui m^riterait un examen im­ partial, mais il n’y eut plus aucune tentative pour faire une insurrection pan-balkanique contre l’Empire Ottoman.

24 Kokkinos, op. cit., vol. V, p. 172. 25 Voir en appendice « E » le texte d’une interessante proclamation du Vladika Pierre I" du Montenegro au sujet de la revolution grecque. CONCLUSIONS

La proclamation de l’indSpendance hell£nique, le 15 janvier 1822, fut le fait qui termina cette epoque de transition qui commenea avec la Revolution frangaise. Pendant cette epoque de trente ans de profonds changements eurent lieu dans la structure politique, economique et so­ ciale des peuples balkaniques. Du point de vue politique, on constate d’abord une centralisation du pouvoir, tant en Grece qu’en Bulgarie, entre les mains de certains seigneurs puissants (on pense notamment a Ali pacha de Janina et a Pasvanoglou de Vidine). Cette centralisation avait eu comme effet, a courte £ch£ance, de rendre vaine toute tentative d’insurrection ; a la longue, cependant, elle favorisa les mouvements insurrectionnels par le fait que cette centralisation etait incompatible avec la maniere ottomane de gouverner. Tot ou tard, ces seigneurs de­ vaient entrer en lutte avec la Porte et, ne trouvant pas leurs propres forces suffisantes, ils voulurent utiliser les forces des rayas. De cette manigre les rayas acquirent une nouvelle opinion de leur puissance, ce qui ne pouvait manquer de favoriser tout dessein d’6mancipation. En Serbie aussi, l’instauration d’un gouvernement. national autonome chan- gea tout k fait le systeme priexistant et fut l’amorce d’une Evolution, lente mais sure, qui aboutit k l’ind&pendance nationale. Les Principau­ tes, de leur c6tl, essayferent de s’organiser k l’europ6enne, mais sans grand succes pour le moment, k cause, du moins en partie, de l’impossi- bilite d’avoir une politique stable vu les frequents changements d’hospo- dars qui etaient animus d’idees diverses en matiere politique ou sociale. Seule PAlbanie ne changea pas, son inaccessabilite aux idees etrangfcres etant responsable, en grande partie, du manque devolution vers un niveau politique, economique et social superieur. Du point de vue economique, on note une amelioration nette en Grece, qui est due au developpement du commerce et de la marine marchande, developpement dfi surtout aux guerres napoieoniennes, done a des fac- teurs exterieurs, et qui permit de financer, en partie, la guerre de l’inde- pendance helienique. Pendant la plus grande partie de cette periode, on note dans le reste des Balkans une stagnation economique, ou meme une forte regression due k des facteurs divers : en Serbie, la cause est la revolution ; en Bulgarie, ce sont les Kirjalis et leurs depradations sur une large echelle; dans les Principautes, e’est la guerre, principalement la guerre russo-turque de 1806-1812, qui devasta le pays. On note cependant, apres la fin des guerres napoieoniennes, les debuts d’une reprise economique dans ces pays, qui ne sera que momentanement — 178 — arretee par des crises passgaeres dues surtout a des evenements poli­ tiques. Le principal changement du point de vue social est l’apparition dans presque tous les Balkans, sauf la Grece qui en possedait deja et l’Alba- nie ou elle ne fera son apparition que beaucoup plus tard, d une bour­ geoisie influencee par les idees ayant cours en Europe. Cette influence etrangere a eu comme resultat l’apparition du nationalisme. L’influence des idees de la Revolution frangaise avait £te un facteur principal dans cette apparition, surtout en Grece et dans les Principautes danubiennes. Les autres regions balkaniques furent influences par les idees fran- caises a un degre bien moindre mais appreciable neanmoins. II faut noter que le nationalisme naissant n’a pas la meme importance dans tous les pays balkaniques : il devient de moins en moins prononce dans les regions de moindre developpement politique, economique, social et culturel et ne s’Stend qu’en fonction du developpement de ces regions. Ainsi, tous les peuples balkaniques ne sentirent pas, a l’6poque qui nous concerne, le meme desir d’independance qui etait la base meme du nationalisme naissant. Ces changements sociaux ont ete lourds de consequences. D’abord, il est incontestable que l’idee du roum milleti, jamais tr6s r£aliste, ne devint qu’une pure fiction juridique, condamn£e k disparaitre dans un deiai plus ou moins bref. Le principal facteur unificateur des peuples balkaniques, facteur impose par le conquerant, n’est plus assez puis­ sant pour unir les jeunes nations qui commencent a prendre vraiment conscience de leur existence propre. Dans un autre secteur, Involution sociale a eu comme resultat la differentiation plus prononcee des classes sociales sans qu’il y ait, a cette epoque, de veritables luttes de classes, sauf de tres rares exceptions dont les plus caracteristioues sont la crise qui secoua Hydra en 1821 et la revolte paysanne organisee par Vladi- miresco. L’apparition militante du nationalisme rendit impossible la formation d un Etat balkanique supra-national, d’autant plus que cette formation ne correspondrait nullement a un desir de l’opinion publique des peu­ ples balkaniques. En effet, les propositions de fondation d’un Etat bal­ kanique sous une forme quelconque ou d’une collaboration Stroite des peuples balkaniques en vue d’obtenir leur independance emanaient tres souvent soit d’organes officiels ou officieux d’une puissance etrangere, soit de personnes liees etroitement avec une puissance etrangere, ce qui leur otait leur caractere strictement balkanique. L’exception majeure a cette regie est celle offerte par les alliances entre Chretiens et Musul­ mans, alliances formees, en general, en vue de la poursuite d’obiectifs P^cis et lim its, sauf dans le cas de certains plans grSco-albanais Pendant la periode qui nous concerne, deux influences etrangeres sont particulierement visibles : celle, directe, de la France et celle indirecte de la Russie. L’influence frangaise tendait a la creation d’un Etat bal­ kanique, Republique ou Empire suivant l’epoque, qui serait plac6 sous l’.nfluence directe de la France sous la forme d’une alliance ou d’un Hen — 179 —

de vassalite. L’influence russe fut indirecte car la politique de ce pays iravait nulleinent comme but, sauf k I’epoque de Catherine II, la forma­ tion d’un Etat balkanique influence par la Russie. Elle ne se manifesta que tout a fait indirectement, certaines personnes ayant l’idee de creer une Confederation balkanique et espSrant que la Russie leur fournirait un certain support, du moins moral, pour la reussite de cette politique. Une opposition done se crea entre les partisans d’un Etat balkanique et ceux d’une Confederation d’Etats balkaniques, opposition qui d’ailleurs n’eut pas de suite car les deux politiques ne coi'ncidaient pas dans le temps, une evolution dans les idees etant nettement sensible. L’Etat balkanique unitaire, dans sa simplicite originale sans con­ cessions au particularisme regional, est apparu avec les plans de Rhigas pour une « Republique Hellenique » une et indivisible, calquee sur le module frangais mais sans autre dependance envers la France. Son aspect tout k fait id£aliste est nettement demontre par le fait que ce fut le seul projet d’Etat balkanique qui acceptait que les Turcs puis­ sent y appartenir. L’Lmpire Balkanique de la societe secrete Athena montre d£j& une evolution, non seulement par le fait que cet Empire serait vassal de PEmpire Frangais, mais aussi parce que les Turcs n’en feraient plus partie car ils appartiendraient a PEmpire Ottoman en Asie, avec Bagdad comme capitale. L’6volution s’acheve avec l’H£tairie. D’apres ses plans, Pinsurrection contre PEmpire Ottoman se ferait par tous les Chretiens des Balkans reunis mais ils ne formeraient plus un Etat unitaire apres la liberation, mais simplement une Confederation, aux liens assez laches, de « provinces » ind^pendantes formees d’apres des criteres nationaux. Cette Evolution rendit impossible une union partielle des peuples bal­ kaniques, meme Ibrsque ceux-ci etaient entreinelSs et que les populations avaient Phabitude de vivre cote a cote. De ce point de vue Pinsucces de la cooperation greco-albanaise, telle qu’elle avait ete amorcde par la tentative des Souliotes de se procurer des allies parmi les Albanais, est caract£ristique. Meme la cooperation entre revolutions devint impos­ sible, ce qui fut la trag£die des revolutions simultanees de Theodore Vladimiresco et d’Alexandre Ypsilanti dans les Principautes danubien­ nes. L’aide mutuelle entre les nations balkaniques n’existera plus pour longtemps. Meme si on le voulait, il aurait ete impossible de neutraliser ces changements ou de les utiliser positivement afin de creer Punite bal­ kanique. Le fait le plus frappant est que les changements mentionnes ci-dessus ne furent pas parall£les, ce qui eut comme resultat que Invo­ lution politique, economique et sociale de chacun des peuples balka­ niques ne fut pas parallele et meme on peut dire que les retards qu’avaient certains de ces peuples dans ces dornaines non seulement ne furent pas rattrappes mais que la distance qui les separait des autres devint plus grande. La nature meme de ces changements, et sur­ tout le nationalisme naissant, s’opposait & ce qu’une direction centrale du mouvement de renaissance dans tous les dornaines puisse coordon- — 180 — ner ces changements afin de developper plus rapidement les regions qui etaient en retard. L’insucces de l’H6tairie, malgre son peu d’inge- rence dans les affaires non-politiques, illustre parfaitement ce point. De plus en plus, chaque peuple balkanique considerait les interventions etrangeres, meme celles d’autres peuples balkaniques, comme suspectes et ne les tolerait point. On peut constater une crainte naissante, pres­ que subconsciente, d’imperialisme ou, pour etre plus exact, d’expan- sionnisme. Rien n’est plus expressif, a cet 6gard, que le plan d’action des hetairistes et les resultats de son application ou les suspicions mutuelles d’Alexandre Ypsilanti et de Theodore Vladimiresco pendant leur insurrrection. S’il etait impossible d’utiliser positivement les changements surve- nus parmi les peuples balkaniques, il etait tout aussi impossible de les neutraliser. Non seulement il n’existait pas un pouvoir poss£dant les moyens et l’autorite necessaire pour proceder a cette neutralisation mais, meme si un pareil pouvoir avait existe, la neutralisation de ces changements ne pouvait que signifier une marche en arrtere ou meme surseoir a l’ex£cution de ces plans de revolution, ce qui aboutissait en fin de compte a une negation de la raison d’etre d’un mouvement cen­ tral insurrectionnel. Le probleme vraiment fondamental, contre lequel eurent k lutter les partisans de l’Etat unitaire balkanique, etait que les peuples bal­ kaniques n’appartenaient pas a une seule nation. L’unification balka­ nique n’avait done rien de commun avec la lutte pour l’unification ita- lienne ou allemande. Tandis qu’en Allemagne et en Italie le probleme central etait l’unification de plusieurs Etats independants, souvent ja- loux l’un de l’autre mais conscients n£anmoins d’appaitenir a une seule nation, aux Balkans il s’agissait de remplacer un Etat conquerant par un Etat repr£sentant les voeux de la population qui, cependant, n’avait aucune tradition d’unitd. Le resultat fut que l’ideal balkanique resta un ideal limite a quelques personnes et n’obtint pas le support des grandes masses de la population. Durant la premiere ann£e de la guerre de l’independance hell£nique son caractere balkanique s’estompa petit a petit jusqu’i disparaitre completement. Avec la declaration de Pindependance, le 15 janvier 1822, une nouvelle periode commenga ou l’interaction balkanique fut presque nulle car les rapports entre les peuples balkaniques resterent plutot distants, aucun Etat balkanique, independant ou simplement autonome, n’amorgant une politique en faveur d’un rapprochement balkanique. Cette situation dura jusqu’aux premieres annees du xxe siecle, k part un rapprochement sans lendemain entre la Serbie et la Grece pendant la d£cennie 1860-1870. L’esprit balkanique, c’est-a-dire l’esprit de co­ operation etroite entre peuples balkaniques pour atteindre certains buts communs, disparut completement et ne fut ressuscite que momentane- ment a l’epoque des guerres balkaniques de 1912-1913. — 181 —

Est-ce que la cooperation balkanique etait une necessite ou est-ce qu’elle ne fut qu’un ideal sans lendemain de Rhigas? II est certain qu’il existe un certain lien entre les peuples balkaniques, un lien qui n’est certes pas aussi etroit que celui qui existait entre les Etats alle- mands ou italiens avant leur unification mais qui serait plutot compa­ rable, jusqu’i un certain point, aux liens unissant les pays scandi- naves. Ces liens furent le resultat surtout de facteurs giographiques, mais les facteurs historiques jouerent aussi un certain r61e et les liens culturels et artistiques ne furent pas k dedaigner. L’existence de mino- rites dans les frontiers de la plupart des Etats balkaniques n’a pas eu comme resultat seulement des frictions entre les divers Etats mais aussi un echange qui, du point de vue culturel et artistique surtout, a souvent ete assez important. La necessite de la cooperation balka­ nique se d6montre avec plus de force aujourd’hui ou les souverainetes nationales en Europe ont tendance & s’estomper dans un mouvemeni d’union qui s’accuse de jour en jour. A l’epoque examinee dans le pre­ sent travail tout le courant d’idees etait contre une telle union. II n’est done pas si etrange que l’ideal de 1’unification balkanique n’ait pas pu se realiser. APPENDICE « A »

LA CONSTITUTION DE RHIGAS (D’apr£s Daskalakis, Les ceuvres de Rhigas Velestinlis, pp. 75-125.)

N o u v e a u Statut P o l it iq u e d e s H abitants d e la R o u m £ l ie , d e l ’A s ie M in e u r e , DES iLES MfeDITERRANEENNES ET DE LA MOLDOVALACHIE

POUR LES LOIS Liberty Egalit£, Fraternite

et la P atrie

Le peuple descendant des Hellenes *, qui habite la Roumelie, l’Asie Mineure, les lies de la M£diterran£e, la Moldovalachie et tous ceux qui g£missent sous la tyrannie insupportable de Pabominable despotisme ottoman ou qui ont £t£ contraints de fuir vers des pays strangers pour £chapper a son dur et accablant joug, tous, dis-je, Chretiens et Turcs 2 sans distinction de religion (car tous sont des creatures de Dieu et descendants du premier homme), considerant que le tyran nomme sultan est la proie de ses instincts seniles, qu’il est entour£ d’eunuques et de courtisanes incultes et sanguinaires, qu’il a oublie et meprise l’humanite, que meme l’innocence n’a pas trouve grace aupres de son cceur, et que le plus beau royaume du monde, que les savants de toutes parts ont vant£, est tomb£ dans un 6tat d’anarchie abominable, a tel point que nul, quel que soit son etat social ou sa religion, n’est plus sQr de sa vie, ni de son honneur, ni de ses biens. Le plus tranquille, le plus innocent, le plus honnSte citoyen risque a tout instant d’etre la miserable victime des fantaisies du tyran, de ses sauvages et indignes

1 Rhigas va certainement trop loin en declarant que tous les peuples de sa Republique descendent des Hellenes, mais en ceci il suit la pratique courante de son Epoque de nommer les Chretiens des Balkans « Grecs». Pour lui il s’agissait surtout de trouver un commun denominateur pour tous ses peuples ; une caracteristique qui ne puisse reposer sur la religion qui etait le signe derisif de classification des peuples d’aprfes le droit ottoman. 2 II etait d’usage courant a l’6poque de donner a tous les Musulmans de la future Republique de Rhigas le nom de Turcs ; il s’agissait d’un qualifi- catif religieux et non ethnique. Par exemple : Turcalbanais signifie Albanais Musulman et pas Turc habitant l’Albanie. — 184 — lieutenants, ou enfin (ce qui arrive le plus fr6quemment), de ses m£chants et f£roces imitateurs qui se rejouissent des crimes impunis de l’inhumanite la plus cruelle, des meurtres sans jugement. Ciel, tu es le temoin impartial de ces crimes. Soleil, tu vois chaque jour ces sauvages actions. Terre, tu es continuellement arrosee par le ruisseau du sang des innocents. Est-il un homme pour me contredire ? Quel est le tigre qui approuve de tels crimes ? Qu’il se presente. II trouvera comme temoin du contraire toute la creation qui, muette, gemit devant les ruisseaux du sang humain qui coulent ici injustement. Ce peuple, dis-je, malheureux jusqu’ici, voyant que tous ses maux et ses peines, que ses pleurs quotidiens, sa ruine, sont le fait d’une administration hideuse et atroce, du manque de bonnes lois, a decide, retrouvant son courage, de lever les yeux vers le Ciel, de se lib6rer courageusement du carcan qui strangle et de proclamer a haute voix devant l’Univers, en armant ses bras avec la vengeance et le desespoir, les droits sacr£s et imprescriptibles qui lui furent donnas par Dieu pour vivre en paix sur la terre. Par consequent, pour que tous les habitants puissent unanimement controler d’un ceil vigilant les actes de l’admi- nistration des gouvernants et le but de leur legislation sociale en secouant le joug miserable du despotisme et en embrassant la liberty precieuse de leurs glorieux ancetres ; pour qu’ils ne se laissent pas a Pavenir fouler aux pieds comme des esclaves par une tyrannie inhu- maine ; pour que tout homme puisse voir, tel un miroir brillant devant les yeux, les assises de la liberty, de la s£curite et de son bonheur ; pour que les juges puissent connattre manifestement quel est leur devoir envers les habitants qui ont recours k eux ; et pour que les legislateurs et les hauts magistrats r£glent leur conduite en vue de la prosp£rite des citoyens, nous proclamons, k la vue de tous, la decla­ ration publique suivante des droits pr£cieux de l’homme et de I’habitant libre de l’E ta t:

L e s D r o it s d e l ’H o m m e .

Article premier. — Si, des la creation du monde, les hommes sont pour la premiere fois sortis des bois afin de vivre tous ensemble et ont b&ti des villages et des villes, ce fut pour s’entr’aider et vivre heureux et non pour se dechirer entre eux et pour qu’un seul s’abreuve du sang de tous les autres3. Article 2. — Ces droits naturels sont: 1) que tous nous devons etre egaux et non l’un inferieur k l’autre ; 2) que nous devons etre libres et non esclaves les uns des autres ; 3) que nous devons jouir d’une s£curite absolue et qu’aucun ne puisse nous la prendre injustement et k sa fantaisie ; 4) que personne n’ait le droit d’attenter k notre vie et de nous frustrer des biens que nous possedons et qui sont k nous et a nos heritiers.

3 Cet article est de l’inspiration de Rhigas. II est une suite logique de la Proclamation Revolutionnaire. — 185 —

Article 3. — Tous les hommes, Chretiens et Turcs4, sont egaux par ordre naturel. Si quelqu’un, quel que soit son etat social, commet un delit, la loi est la meme pour Ie meme d£lit et iinmuable, c’est-a-dire que Ie riche n’est pas moins puni que le pauvre pour la meme faute, mais 6galement6. Article 4. — La loi est cette decision libre qui a 6t6 prise avec le con- sentement de tout le peuple ; par exemple, tous nous voulons que Ie meurtrier soit puni, cela s’appelle une loi et s’applique k nous tous ®. La loi aussi nous protege ; par exemple, tous nous voulons disposer de nos biens et personne n’a le droit de nous prendre quelque chose de force : c’est une loi parce que nous l’acceptons et nous la voulons nous-memes. La loi doit toujours ordonner tout ce qui est juste et utile a nos relations sociales et empeScher tout ce qui pourrait nous nuire. Article 5. — Tous les citoyens sont admissibles aux emplois publics 7. Les nations libres ne connaissent aucune autre pr£f6rence dans leur choix que la sagesse et les capacity, c’est-a-dire que si quelqu’un est digne et capable de remplir un emploi public, il peut l’obtenir. Au con­ traire, cet emploi ne doit pas lui etre confix s’il est indigne et inca­ pable ; parce que, ne sachant comment il lui faudra se conduire, il contreviendra k l’int£ret public par son incapacity et sa maladresse 8. Article 6. — La liberty est le pouvoir de l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas au droit de ses voisins. Elle a comme base la nature, parce que naturellement il nous platt d’etre libres ; elle a pour rygle la justice, parce que la liberte juste est bonne ; elle a pour sauvegarde la loi parce que celle-ci dyfinit jusqu’S quel point nous devons etre libres. La lirnite morale de la liberty est cet axiome : « Ne fais pas a autrui ce que tu ne voudrais pasqu’on te fit. » Article 7. — Le droit d’exprimer nos opinions et nos pensyes tant par ycrit que d’une autre maniere, le droit de nous ryunir paisiblement, la liberty de toute religion chrytienne, mahometane, juive, etc., ne sont pas interdits par le prysent Statut. Quand ces droits sont interdits, il est clair que cette interdiction n’est qu’une reminiscence de la tyrannie ou un rappel du despotisme que nous avons aboli.

4 C’est-a-dire Musulmans. Cette £galit£ est en contradiction formelle avec le droit ottoman qui divisait les sujets du Sultan en fiddles jouissant de tous les droits et en infideles ne jouissant que de ceux qui, exceptionnellement, leur etaient accord^s. 5 En comparaison avec les Constitutions frangaises, Rhigas accentue l'diga- Iite devant la loi ; chose comprehensible puisque dans l’Empire Ottoman rin£- galite devant la loi etait g£nerale. G Cette explication ainsi que la suivante ont £te rendues nycessaires a cause de l’absence complete de regime reprysentatif et parlementaire dans l’Empire Ottoman. 7 Stipulation copiee de la Constitution de 1793, extremement importante pour Rhigas. Dans l’Empire Ottoman de son ypoque, les emplois musulmans et les emplois Chretiens Etaient severement dyiimitys et bien rares ytaient les postes qui pouvaient etre occup^s soit par un Chretien, soit par un Musulman. 8 La venalite des charges est directement visye.

13 — 186 —

Article 8. — La sGrete consiste dans la protection donnee par la nation et le peuple a tout homme pour la defense de sa personne, de ses biens, c’est-i-dire que quand quelqu’un nuit a autrui ou lui enleve injustement quelque chose, tout le peuple doit se soulever contre cet oppresseur et le chasser ®. Article 9. — La loi doit prot£ger la liberty commune de toute la nation et celle de chaque individu habitant cet Empire 10, contre l’oppression et le despotisme des gouvernants ; si ceux-ci gouvernent bien, elle doit les proteger ; s’ils gouvernent mal, elle doit les destitueru . Article 10. — Personne ne peut etre cite devant le juge ou etre mis en prison autrement que la loi ne le prescrit ; c’est-a-dire quand l’homme a commis un d£lit et non selon la fantaisie et l’arbitraire du juge. Mais quiconque est cite devant le juge ou est arrete selon la loi par les agents du tribunal doit se soumettre tout de suite et se rendre devant le juge pour etre juge ; parce que s’il r£siste et ne veut pas se pre­ senter devant le juge, il commet un d£lit et c’est un delit s6rieux quand, la loi interpellant un individu, celui-ci r£siste en opposant la force, car il doit etre certain qu’il ne sera pas puni s’il est innocent. Article 11. — Tout acte d’oppression exerc£ contre une personne qui n’a pas commis le d£lit et qu’on veut condamner ill£galement semble certainement 6maner de la volonte du juge seul et, par consequent, est tyrannique. La personne qu’on veut opprimer de cette fagon a le droit et l’autorisation de resister de toutes ses forces, en utilisant la violence, et de ne pas se soumettre. Article 12. — Ceux qui promulguent des ordonnances ou les signent, ou qui veulent provoquer la promulgation d’ordonnances ou pousser d’au­ tres k le faire en leur faisant croire que c’est une chose indispensable, sans que le gouvernement en ait connaissance, sont coupables et doi­ vent etre s£verement punis. Article 13. — Toute rigueur, comme l’enchainement, les insultes, les bastonnades, qui ne sont pas indispensables k l’egard d’un homme accuse d’avoir commis un d£lit, mais presume innocent, est interdite tant qu’il n’est pas arrete par les agents du tribunal ; c’est seulement quand il est prouve qu’il est coupable que la punition doit commencer, selon les termes de la lo i12. Article 14. — Nul ne peut etre juge et puni qu’apres s’etre d£fendu et avoir ete appeie devant le tribunal selon la loi ; il est puni seulement quand il existait une loi punissant son acte avant qu’il l’efit commis

o Ces trois articles sont copies presque verbatim <1p frangaise de 1793 (Declaration des Droits de l’Homme, articles 6 7 et 8) io Rhigas veut dire « E tat». II utilise le mot « Basileion » dans sn si™, fication byzantine d « Empire». Ce mot, couramment employ^ dans ce sens a l'epoque, est une des rares traces d’influences byzantines dans son ceuvre. 12 il s’agit surtout des tortures infligdes pour obtenir des aveux. i

— 187 —

La loi qui punirait des crimes commis avant sa mise en vigueur serait tyrannique. Le fait pour une loi nouvelle de punir des crimes anciens constituerait une iltegalitS ; par exemple quelqu’un a vote un boeuf; quand i! l’a vole, il n’y avait aucune loi interdisant ce vol ; si ulte- rieurement une loi est promulguee interdisant de voter le bien’ d’autrui, Ie voleur doit rendre le bceuf, mais il ne sera pas puni parce qu’il ne > savait pas que le vol etait interdit18. Article 15. — La loi doit prescrire les peines necessaires ; ces peines doivent correspondre k la gravite du delit et etre utiles a la commu- naut6 des citoyens. Par exemple si quelqu’un a frappg une autre per- sonne, il doit etre aussi frappS, mais non tu614. Article 16. — A tout habitant du pays appartient le droit de possSder ses biens en paix ; c’est-S-dire de jouir d’eux, d’en disposer selon sa volont6, de jouir de ses rentes, du fruit de son ntetier, de son travail et de son activite, sans que personne puisse lui prendre de force un sou. Article 17. — Nulle sorte de travail, de ntetier, de culture, de commerce ou n’iniporte quelle entreprise utile a la soctetS n’est interdite aux habitants. L’activite de tous les habitants peut s’etendre a tous les metiers et k toutes les sciences. Article 18. — Tout homme peut en servir un autre comme domestique en offrant son travail a ce dernier ; mais il ne peut se vendre, ni un autre le vendre, parce que sa personne n’appartient pas k lui seul mais aussi k la patrie. La loi ne connatt aucune servitude ni esclavage ; il suffit d’une seule promesse du domestique de prendre soin de son travail et d’etre reconnaissant envers celui qui lui paie ses gages, mais qui ne peut ni l’fnsulter ni le frapper. Si le maTtre veut rompre le con- trat, il paie le serviteur jusqu’& ce moment et le renvoie. Article 19. — Nul ne peut etre privS, meme de la moindre partie, de ses biens contre sa volont6 ; mais s’il y a nScessitS publique, c’est-a-dire si la patrie demande, par exemple, k un individu son jardin pour y 6tablir un marclte ou un Edifice public, alors il faudra que la valeur du jardin soit estimSe, que le proprtetaire soit pay£, et ce n’est qu’apres qu’on Stablira le marclte ou qu’on construira l’edifice. Article 20. __ Tout impot doit etre lev£ en vue du bien commun et non pas au profit de tel ou tel individu. Tous les habitants ont le droit d’aider a I’Stablisseinent de la liste des contribuables, de veiller sur le recouvrement de l’impot et d’exiger un compte de celui qui l’a pergu.

13 L’exemple existe seulement dans la traduction allemande. n Exemple assez malheureux : on ne voit pas comment Ie fait de frapper Ie coupable est de quelque utilite a la communaute des citoyens. Le grand nitrite de cet article est qu’il subordonne la gravity du chatiment a la gravite du d£Iit et pas a la seule volonte du juge. — 188 —

Article 21. — Les secours et recompenses publics15 sont un devoir sacre de la patrie. La collectivite doit venir en aide aux citoyens pau- vres, soit en lui trouvant du travail, soit en fournissant les moyens de vivre k ceux qui ne peuvent plus travailler ; par exemple, si un labou- reur reste inactif parce qu’il n’a pas de bceuf, la nation doit lui en fournir et attendre qu’il puisse le payer ; si quelqu’un est blesse a la guerre en defendant la patrie, celle-ci doit le r£compenser et le nourrir toute sa vie.16

Article 22. — Tout individu sans exception doit savoir lire et 6crire. La nation doit fonder des 6coles dans tous les villages pour les gar- cons et pour les filles. Le progres, grace auquel les nations libres brillent, est dfl aux lettres. Les anciens historiens doivent etre traduits ; dans les grandes villes on doit enseigner les langues frangaise et ita- lienne ; la langue grecque doit etre indispensablement enseignee 17.

Article 23. — La surete de chaque citoyen reside dans 1’action de tous. C’est-a-dire que nous devons penser que lorsqu’il arrive k quelqu’un quelque chose de mal, nous sommes tous leses et, pour cela, nous devons assurer a chacun l’usage et la garantie de ses droits. Cette surete se fonde sur l’independance de la nation ; c’est-^-dire que toute la nation est lesSe quand un seul citoyen est lesd. Article 24. — Cette independance n’a pas de valeur si les limites des fonctions publiques ne sont pas fixees par la loi et s’il n’est pas for- mellement decide que tous les fonctionnaires publics doivent rendre compte de leur gestion.

Article 25. — La souverainet£ reside dans le peuple ; elle est une, indi­ visible, indefinie et inalienable, c’est-a-dire que seul le peuple peut ordonner et non pas une fraction du peuple ou une ville ; et il peut ordonner pour toutes choses, sans obstacle. Article 26. — Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance de toute la nation mais chaque portion du peuple souverain a le droit d’exprimer sa volont£ avec une liberte reelle.

is Tous les articles precedents sont une traduction libre des articles analogues de la Constitution de 1793. Dans l’article 21 les « recompenses publiques» sont une addition de Rhigas. Cette phrase n’est manifestement pas a sa place ici. 10 Rhigas creait ainsi un regime d’assurances sociales rudimentaire certes mais qui contraste avec le manque de prevoyance en ce domaine de I’Empire Ottoman. 17 La Constitution de 1793 est beaucoup moins stride. Elle declare (art. 22) : « L’instruction est le besoin de tous. La societe doit favoriser de tout son pouvoir les progres de la raison publique et mettre l’instruction a la portee de tous les citoyens». Rhigas, au contraire, declare (’instruction obligatoire. La phrase en faveur de la langue est un des rares cas ou il favorise la Grece ou les Grecs aux depens des autres nations balkaniques ; le fait s’explique par la large diffusion des Grecs dans la peninsule. — 189 —

Article 27. — Tout homme qui aurait usurps la souverainete et le pouvoir de la nation doit etre emprisonne par les hommes libres, juge selon la loi et puni18. Article 28. — Une nation a toujours le droit de modifier sa legislation ; les membres d’une generation ne peuvent assujetir h leurs lois les per­ sonnes qui naitront apres elles. Article 29. — Chaque citoyen a le meme droit que les autres de con- courir h l’etablissement ou k la nomination de fonctionnaires, des deputes ou des mandataires de la nation. Article 30. — Les fonctions publiques19 sont essentiellement tempo- raires ; elles sont conferees pour la duree que fixe le gouvernement; elles ne doivent pas etre regardees comme des distinctions ni comme des recompenses, mais comme la consequence du devoir incombant aux citoyens de servir leur patrie. Article 31. — Les crimes commis par les mandataires de la nation et les fonctionnaires ne doivent jamais rester impunis. Personne n’a le droit de penser que lui-meme est plus inviolable que les autres. C’est- ci-dire que quiconque, grand ou petit, commet un deiit, meme le fonc- tionnaire supreme, doit etre egalement puni en vertu de la loi, d’apres la gravite de son deiit. Article 32. — Le droit de petition ecrite des citoyens qui sont impor­ tunes aux depositaires de l’autorite publique ne doit etre empechee d’aucune fa?on, meme sous pretexte que l’heure et le lieu ne serait pas convenable, mais la petition d’un citoyen doit etre admise k quelque heure qu’il la presente. Article 33. — If resulte des droits des citoyens ci-dessus exposes que chaque citoyen peut resister quand on l’opprime ; car nul ne resiste quand il sait qu’avec l’aide de la loi justice lui sera toujours rendue. Article 34. — Quand un seul habitant de l’Etat est lese, tout l’Etat est lese et, de meme, quand I’Etat est lese chaque citoyen est I6se ou atteint. Ainsi nul ne peut se dire qu’il reste indifferent si une partie de I’Etat souffre, parce que lui-meme est tranquille dans le pays ou il v it ; il doit penser que lui-meme souffre quand le pays souffre, car il est une partie de l’ensemble ; le Bulgare doit secourir le Grec qui souffre et celui-ci celui-li ; et tous deux doivent secourir l’Albanais et le Valaque 20.

is La Constitution de 1793 est encore plus stricte ; elle punit de mort. Mais elle ne parle pas d’usurpation du pouvoir. Rhigas n’a pas beaucoup d’esprit pratique ici : si un homme accaparait le pouvoir, il serait tr£s difficile pour les hommes libres de suivre les stipulations de cet article. 19 Rhigas utilise le terme byzantin « officia » qui est encore de nos jours utilise pour indiquer des fonctions laiques dans l’Eglise. 20 L’exemple manque dans la traduction allemande. — 190 —

Article 35. — Quand le gouvernement viole ou neglige les droits du peuple et ne tend pas l’oreille a ses griefs, le droit le plus sacr£ du peuple et le plus indispensable des devoirs sont de se rdvolter et de prendre les armes pour punir les tyrans. Mais si on se trouve dans un lieu ou les tyrans sont nombreux, les plus braves patriotes qui veulent leur liberte doivent elever des barricades sur les routes et occuper les ctmes des montagnes jusqu’& ce qu’ils augmentent en nombre ; alors ils commenceront la lutte contre les tyrans et ils nommeront un decemvir k la tete de chaque groupe de dix hommes, un chef de cinquante pour tout groupe de cinquante, un centurion pour tout groupe de cent; Ie chiliarque aura dix centurions sous ses ordres, le general trois chi- liarques, et le gSneralissime plusieurs gen6raux 21. Les dettes des villes, des Etats et des pays vieilles de cinq annees pendant lesquelles un interet a 6t6 verse aux creanciers, sont abolies par le present gouvernement et les creanciers ne pourront, k l’avenir, r£clamer k leurs d£biteurs ni le capital ni l’int6ret de leurs creances, parce que le capital double apres cinq ans22.

P r in c ip e d e l’action legislative et administrative.

Etat et manure d’agir des citoyens.

De la Republique.

Article premier. — La Republique HellSnique est une, quoiqu’elle enferme dans son sein plusieurs races et religions ; elle ne regarde pas les differences de culte d’un ceil ennemi 23; elle est indivisible, malgre les fleuves et mers qui divisent ses provinces qui fovment toutes un corps uni et indissoluble.

De la Distribution du Peuple.

Article 2. — Le peuple Hellene, c’est-i-dire les habitants de cet Etat sans distinction de religion ni de langue24, est divise pour l’exercice de

21 Tous ces articles sont des traductions libres (avec amplifications) des articles correspondants de la Constitution de 1793. 22 Cet alinda est de Rhigas. II nous informe que le taux d’intergt dans (’Empire Ottoman etait de 20% . Cette mention d’Etats et de pays est ssspt bizarre ; la Republique Hell£mque n’£tant pas un Etat f

sa souverainete en assemblies primaires dans les toparchies; c’est-a- dire qu'il se r£unit dans chaque iparchie pour donner son avis sur une question. Article 3. — 11 est divise pour faciliter l’admiiiistration et la justice en eparchies, toparchies et prevotes. Ainsi on appelle la Thessalie iparchie, la Magnisie (les villages de Volos) toparchie et privote la politarchie de Makrynitza, composie de douze villages.

De I’Etat des Citoyens. Article 4. — Tout homme agi de 21 ans, ne et domicilii dans cet Etat, est citoyen. Tout stranger 3g£ de 21 ans qui habite cet Etat depuis un an et vit de son travail personnel est citoyen. Celui qui achate une propri£t£ est citoyen. Celui qui ipouse une Grecque est citoyen. Celui qui adopte un enfant28 est citoyen. Celui qui parle la langue hellenique, populaire ou antique, et aide la Grice, meme s’il habite aux antipodes (car le levain hellinique s’itend sur les deux hemispheres) est Hellene et citoyen. Tout homme chritien, qui connait le grec populaire ou antique, est citoyen, pourvu qu’il soit utile & la Grice.26 Et, enfin, tout stranger dont le gouvernement pense qu’il est un digne habitant de la patrie, c’est-^-dire un bon artisan, un maltre ins- truit, un digne patriote, appartient a la patrie et peut exercer les mimes droits que tous les autres citoyens. Un savant^ou artisan Stranger27 qui aurait quitti sa patrie pour habiter la Grice dans le but de communiquer k ce pays ses connais- sances ou son art, est non seulement considere comme citoyen, mais il doit aussi lui etre ilevi aux frais de l’Etat une statue en marbre avec les emblimes de son enseignement ou de son art, et la plume hellinique la plus savante doit icrire l’histoire de sa vie. Article 5. — Celui qui se fait naturaliser dans un Etat etranger et n’aide pas de \h, comme il peut, sa patrie mais, au contraire, fait fi de ses ordres, perd ses droits de citoyen. De meme, celui qui accepte une fonction ou un service ou des faveurs de la part d’un tyran, celui-ci n’est plus appeli citoyen mais trattre ; il doit donc etre expulse et on ne

25 Rhi

De la Souverainete du Peuple.

Article 6 ai. — Le citoyen peut exercer ses droits tant qu’il n’est qu’ac- cus6 et cela jusqu’ii la fin de son proces pour autant que celui-ci aboutit en sa faveur. Article 7. — Le peuple souverain est l’universaliti des habitants de cet Etat sans distinction de religion ou de langue, Grecs, Albanais, Vala- ques, Arminiens, Turcs et de toute autre race. Article 8. — C’est ce peuple qui, seul, nomme ses representants au conseil commun de la nation. Article 9. — C’est encore lui qui delegue a ses electeurs le choix des legislateurs publics, des juges criminels et des autres fonctionnaires. Article 10. — C’est lui enfin qui delibere sur la question de savoir si les lois existantes sont bonnes pour sa prosperity ; si elles le sont, il les observe ; sinon, il presente au Gouvernement ses doleances.

Des Assemblies Primaires.

Article 11. — Les assemblies primaires du peuple, c’est-a-dire celles qui sont convoquies pour decider qui sera 61u comme representant32, se composent des habitants qui ont leur maison depuis six mois dans le canton ou cette assemblee est convoquee. Article 12. — Les assemblies primaires sont composees de 200 citoyens au moins et de 600 au plus, appeles a exprimer leur opinion.

28 Ces phrases visent specialement les Grecs vivant a l’6tranger. 20 Phrase en contradiction avec l’article 6. 30 Tous ces alin£as sont ecrits specialement pour favoriser l’immigration de savants, d’artistes et de techniciens Strangers. si Cet article n’est pas a sa place ici. D’ailleurs il est en contradiction flagrante avec l’article 5, sauf si on considfere l’article 5 comme s’appliquant a des affaires penales et I’article 6 comme s’appliquant a des affaires civiles. Mais ce dernier n’indique pas la procedure a suivre si l’accusi est reconnu coupable. 32 C’est-a-dire an Parlement. — J93 —

Article 13. — Ces assemblies, avant de procider aux Elections, nomment un president, un secretaire pour icrire tout ce qu’on dit et un scrutateur qui tiendra l’urne dans laquelle on introduira les bulletins de vote sur lesquels l’avis et le nom de l’habitant seront inscrits. Article 14. — Les personnes chargies de maintenir l’ordre de cette reu­ nion sont nommies par les citoyens eux-memes et dans leur sein. Article 15. — Nul ne peut venir en armes dans ces reunions. Article 16. — Les Elections se font par icrit ou k haute voix, au choix de chacun des citoyens electeurs88. Article 17. — L’assemblie primaire d’un canton ne peut fixer d’aucune fa?on comment les assemblies seront tenues dans un autre, chaque as­ semble itant libre de fixer cela comme elle l’entend. Article 18. — Les scrutateurs constatent les votes des citoyens qui ne savent pas icrire et qui veulent que leur avis soit exprimi par icrit. Article 19. — Les suffrages sur les lois sont exprimis par oui ou par non, c’est-a-dire que ceux qui veulent la loi icrivent leur nom et un oui ; ceux qui ne la veulent pas icrivent leur nom et un non ; la majorite l’emporte 83. Article 20. — La volonti de l’assemblie primaire s’exprime ainsi : les citoyens du canton X riunis en assemblie primaire le l #r Mai 179834 au nombre de 600 votants ont vote a une majoriti de 350 contre 250 en faveur ou contre cette affaire.

De la representation nationale. Article 21. — La nation est reprisentie par la masse du peuple qui est la base de la reprisentation nationale, et non pas seulement par les riches ou les primats86. Article 22. — Quarante mille personnes auront a ilire une d’entre elles qui sera leur diputi au Corps ligislatif. Article 23. —■ Chaque riunion d’assemblies primaires comprenant de 39 a 41 mille hommes nomme un diputi. Article 24. — La nomination se fait a la majoriti, c’est-i-dire que jamais la minoriti, meme composie de citoyens si riches soient-ils, ne peut l’emporter sur la majorite.

88 Les votes ne sont donc jamais secrets. 34 Rhigas supposait que sa revolution finirait tres t6t puisqu’il n’y avait que six mois entre son dipart de Trieste et Mai 1798. On peut supposer que Rhigas a mis expres une date si rapprochie pour encourager ses adherents. D’ailleurs il n’exclut pas une liberation partielle, ce qui permettrait effecti- vement a certaines assemblies primaires de se reunir. 35 Rhigas mentionne entre parentheses leur titre turc de codjabachis. Cet gclaircissement n’existe pas dans la Constitution de 1793. — 194 —

Article 25. — Chaque assemblie primaire fait le depouillement des suf­ frages et envoie un commissaire 1& ou se tient la plus grande assemble, au centre du canton, pour verifier l’election, et il n’est pas nicessaire que tous les habitants se rendent en ce lieu. Article 26. — Si le premier scrutin ne donne la majority k personne, et que les deux citoyens ayant eu le plus de voix en ont le meme nombre, une seconde asseinblee a lieu et on choisit par un nouveau scrutin entre ces deux citoyens.

Article 27. — Si le nombre de voix est encore igal pour chacun de ces deux citoyens, a savoir 300 pour Pierre et 300 pour Paul, le plus Sgi des deux est ilu ; si tous deux sont du meme fige, alors le sort decide entre les deux. Article 28. — Tout bon habitant exe^ant les droits de citoyen est eli­ gible dans toute l’etendue de la Republique.

Article 29. — Tout diputi est considiri comme reprisentant la nation entiere, c’est-a-dire qu’on ne considire pas s’il appartient k tel ou tel canton, mais qu’il appartient a nous tous. Article 30. — Si l’ilu n’accepte pas son election ou demande a etre digagi de ses fonctions ou si le gouvernement le rivoque pour quelque cause serieuse, ou qu’il meurt, les assemblies primaires qui l’ont ilu ilisent une autre personne a sa place.

Article 31. — Un reprisentant qui a regu, sur sa demande, l’autorisa- tion du gouvernement de resilier ses fonctions, ne peut quitter son poste avant que son remplagant ne prenne sa place et ses fonctions.

Article 32. — Le peuple de cet Etat s’assemble le l or Mai de chaque an- nie pour ilire ses representants. Article 33. — Le peuple juge et decide dans ces assemblies ilectorales quel que soit le nombre des citoyens qui ont le droit d’y voter. Article 34. — Les assemblies primaires peuvent etre convoquies ex- traordinairement, a savoir k une autre date que le l"r Mai et cela quand le 1/5 des citoyens qui ont le droit de donner leur avis en demande la convocation.

Article 35. — L’assemblee est convoquee (dans le cas de l’article 34) par les primats du lieu oil elle tient d’ordinaire ses siances.

Article 36. — Ces assemblies extraordinaires (c’est-ci-dire celles qui sont convoquies k une autre date que le l er Mai) ne peuvent delibirer et dicider qu’autant que la moitii plus un des citoyens ayant le droit de donner leur avis sont presents, c’est-^-dire si le nombre de ceux-ci est de 600, il faut que 301 soient presents au moment ou l’assemblie extraordinaire a lieu. — 195 —

De la Souverainete du Peuple30. Article 37. — Les citoyens reunis en assemblies primaires nomment un olecteur, s’ils sont au nombre de 200 ; s’ils sont de 201 h 400, ils en nomment 2 et 3 s’ils sont de 401 a 600.

Des Assemblies Electorates. Article 38. — Les assemblies ilectorales sont convoquies de la meme fa?on, durent autant que les assemblies primaires et s’expriment par ecrit ou a haute voix comme elles. Ici comme la, il faut 600 ilecteurs pour ilire 3 reprisentants.

Du Corps Legislatif. Article 3937. — Le Corps Ligislatif, qui s’appelle aussi Chambre, est composi de 750 personnes. Les 500 sont les plus jeunes et composent la Chambre des 500 ; ils proposent les lois. Les 250 sont les plus ages et composent la Chambre des Anciens ; ils sanctionnent les lois pro- posies par les 50 ou les annulent s’ils ne les trouvent pas bonnes. Ceux-1^, itant plus jeunes, sont inginieux et inergiques ; ceux-ci, itant plus agis, sont plus riflichis et approfondissent les choses. Ce Corps est permanent quant a son ceuvre. Quoique ses membres changent le Corps reste un et ses dicisions ne changent pas avec le changement des personnes. Article. 403S. — Les membres du Corps Ligislatif changent ou sont investis de nouveau de leurs pouvoirs tous les ans. Article 41. — Lgs reprisentants envoyes par les assemblies ilectorales doivent se riunir au lieu qui leur a it i assigne et commencer leurs tra- vaux le premier jour de juillet. Article 42. — Ce Corps Ligislatif s’appelle Assemblee Nationale, car il reprisente la nation entiere ; ses decrets et lois sont valables et legaux quand la moitii plus un des reprisentants sont prisents et non pas seulement quelques-uns. Article 43. — Ces reprisentants ne peuvent jamais etre poursuivis, citis ou juges pour les idees et opinions qu’ils ont inoncies dans le sein du Corps Ligislatif : c’est-&-dire qu’ils sont libres de dire ce qu’ils croient le plus utile pour la patrie sans aucune riserve. Article 44. — Ils peuvent etre detenus pour faits criminels graves, meurtre ou autre crime semblable. Mais l’ordre de les arreter doit etre ratifie

Ce titre se trouve ici pour la deuxi&me fois. 11 s’agit visiblement d’une erreur. La Constitution de 1793 met Particle 37 sous.le .titre .des_ Assemblies ETectoraiis axrqtrei’ a ’An'teurs if appartient' logiquement. 37 Cet article est pris de la Constitution de 1795. ss Cet article et le suivant se trouvent seulement dans la Constitution de 1793. — 196 — par le Corps L£gislatif, car ces personnes sont sacrees et represented la nation entiere ; c’est danc la nation entiere, represents par Ie Corps Ldgislatif, qui doit les condamner.

Des Seances du Corps Legislate.

Article 45. — Les seances du Corps Legislatif sont publiques. Article 46. — Tout ce qui est dit dans une stance est consigne par ecrit et constitue les proces-verbaux de la seance. Ces proces-verbaux doi­ vent etre imprimes afin que le peuple puisse en prendre connaissance en les lisant. Article 47. — L’assemblee ne peut delib£rer et prendre de decision si la moitie des membres n’est pas prgsente. Article 48. — Le Corps Legislatif ne peut empecher de parler aucun de ses membres dans l’ordre ou il a reclame la parole lorsque ce membre pense quelque chose d’utile a la patrie. Article 49. — Le Corps d£libere quand les representants presents sont plus nombreux que les absents. Article 50. — Si 50 membres de P Assemble Nationale rencontrent quel­ que difficulte ou sont mecontents de quelque chose, ils peuvent demander que le peuple soit reuni selon les modalites indiqu£es precddemment39 afin de decider sur l’affaire. Article 51. — L’Asseinbtee Nationale a le droit de controler la conduite et les actes de chaque reprSsentant ; si elle les trouve mauvais elle doit les d^noncer et surveiller les suspects. Article 52. — Les gardiens du lieu de rdunion du Corps Legislatif sont soumis aux ordres du Corps ; de meme doivent etre nommes par le Corps ceux qui se trouvent autour du batiment ou se tiennent les stances. Des Fonctions du Corps Legislatif. Article 53. — Le Corps Legislatif propose les lois et rend des d£crets ou ordonnances. Toutes les lois et d6crets sont rSdigSs dans la langue simple des Grecs ; car elle est la plus facile a apprendre pour tous les peuples composant l’E tat40 ; de meme, les textes des arrets et des autres actes publics. Article 54. — Sont appeles lois les actes du Corps Legislatifs qui con- cernent : a. La legislation civile et criminelle ; 41

39 Aux articles 11, 12, 13 et 38. 40 Cf. Particle 22 de la Declaration des Droits de l’Homme. « C’est-a-dire p£nale. — 197 —

b. L’administration g£nerale des revenus et depenses ordinaires de la Republique ; c. Les dornaines qui appartiennent & la nation entiere, c’est-a-dire les biens nationaux ; d. Le titre, le poids, l’empreinte et la denomination de toute espece de monnaie ; e. Les diverses sortes d’impots, leur montant et leur mode de per­ ception ; /. La declaration de guerre contre une nation ennemie ; g. La nouvelle division en cantons et departements du territoire de la Republique ; h. L’inspection des ecoles et l’£ducation des enfants des citoyens ; i. Les honneurs publics dus a la memoire des grands hommes et des defenseurs de la patrie. Article 55. — Les decrets ou ordonnances sont les actes du Corps Le­ gislatif concernant : a. L’etablissement du contingent annuel des armees de terre et de mer ; b. La permission ou la defence de passage des armees etrangeres sur le territoire de ce pays ; c. L’acces des forces navales etrangeres aux ports de la Republique Helienique ; d. Le soin de veiller a la surete et a la tranquillite generate ; c’est-a- dire les mesures en vue du maintien de l'ordre et de la tranquillite sur le territoire helienique ; e. La distribution annuelle et quotidienne des secours et travaux pu­ blics ; c’est-a-dire les secours qui sont indispensables aux diffe- rentes provinces de la Republique pour toute l’annee et les ordon­ nances pour la construction des ponts, routes, ports, canaux, edifices, etc. ; /. Les ordres pour la fabrication de monnaies de toute espece. g. Les depenses extraordinaires faites pour les services publics ainsi que les depenses imprevues : a savoir l’indemnite versee a celui qui a bruie des navires de l’ennemi ou les frais faits par l’individu qui est charge d’une mission secrete au profit de la patrie ; h. Les mesures prudentes utiles a une province, a une administration et a une commune ou a l’execution de certains travaux publics ; i. Le soin de la defence du territoire de la Republique ; j. La ratification des traites de paix ; k. La nomination ou le remplacement des generaux de la Republique; /. La poursuite exercee contre un membre de la Chambre ou tout fonctionnaire civil ou militaire, ou la decision l’obligeant & rendre compte de son mandat ; — 198 —

m. L’accusation des individus soupgonnes de complot contre la su- rete generale de la Republique ; n. Tout changement dans la division partielle du territoire hellem- que ; c’est-a-dire, dans le cas ou quelqu’un aurait trahi la patrie, celle-ci confisque la terre qui lui appartient et la donne a un autre ; o. Les recompenses decern^es par la nation ; si un citoyen a fait acte de bravoure et que la nation doive le recompenser, le Corps Legislatif s’occupe de fixer la nature de la recompense.

Comment les Lois doivent etre elaborees.

Article 56. — S’il est besoin d’eiaborer une loi, un rapport ecrit est pre­ sents examinant les avantages et les inconvenients qui peuvent en re- suiter. Article 57. — Son examen doit etre achevS et la loi doit etre provisoi- rement mise en vigueur quinze jours apres le rapport ecrit. Article 58. — Le but de cette loi (a savoir : quelle est son utilite) doit etre imprime et porte k la connaissance de toutes les regions de la Republique sous le titre : Loi proposee. Article 59. — Quarante jours aprSs l’envoi de la loi proposee si, dans la moitie plus un des departements, un dixieme des membres des assem­ bles primaires (60 citoyens) de chaque departement42 dument convo- auSs, ne s’y oppose pas, la loi proposee par ecrit est acceptee, ratifiee et reconnue desorinais comme loi. Article 60. — Si le dixi£me des assembles primaires de chaque depar­ tement ne l’accepte pas, le Corps Legislatif convoque les assembiees primaires et tout le peuple est appeie & se prononcer.

De I’Intituli des Lois et des D&crets.

Article 61. — Les lois, les decrets et les jugements et tous les actes publics sont intitules au nom du peuple heliene, l’an ... de la liberte, ... ap. I.C.

Du Directoire Ex&cutif.

Article 62 43. — Le Directoire Executif est compose de cinq membres. Article 6344. — L’assemblee electorate de chaque departement nomme un candidat et le Corps Legislatif choisit les membres du Directoire sur cette liste generate de noms.

<2 De la moitie plus un des departements, suivant la Constitution de 1793. 43 Article copie de la Constitution de 1795. 44 Cet article a ete pris de la Constitution de 1793. 4

— 199 —

Article 64 *B. — La moitie des membres du Directoire change tous les ans. Article 65. — Le Directoire doit s’occuper de I’administration generate, la diriger et veiller sur elle ; il ne lui est pas permis d’agir autrement qu’en execution des lois et decrets du Corps Legislatif. Article 66. — II nomme les chefs et primats de l’administration gene­ rate de la Republique, les ambassadeurs et consuls aupres des cours etrangeres. Article 67. — Le Corps Legislatif determine le nombre et les devoirs des agents, c’est-a-dire des commissaires de ce Directoire dans le de~ partement. Article 68. — Ces agents ne forment pas un conseil, mais ils sont separes et sans relations entre eux ; ils n’exercent pas un pouvoir per­ sonnel, mais agissent au nom du Directoire. Article 69. — Le Directoire choisit des agents hors de son sein pour les affaires exterieures de la Republique, c’est-a-dire ceux qui auront a executer quelque acte determine dans l’interet de la patrie, ou a poursuivre quelque action secrete. Article 70. — II negocie la paix avec les nations ennemies. Article 71. — Les membres du Directoire, s’ils commettent quelque in­ fraction, sont mis en accusation par le Corps Legislatif. Article 72. — Le Directoire est responsable pour Pinexecution et la caducite des lois et des decrets et pour les abus qu’ils n’auraient pas denonces. * Article 73. — Le Directoire remplace ses agents a son renouvellement. Article 74. —■ Le Directoire a le devoir de mettre en accusation et de donner connaissance aux juges des deiits commis par ses agents.

Relations du Directoire Exicutif avec le Corps Ligislatif.

Article 75. — Le Directoire Executif siege aupres du Corps Legislatif, mais il a acces k un local separe pour y tenir ses seances. Article 76. — Le Directoire Executif est entendu en tout temps par le Corps Legislatif quand il a un compte a lui rendre ou a lui faire part de quelque nouvelle. Article 77. — Le Corps Legislatif appelle le Directoire aupres de lui en tout ou en partie lorsqu’il le juge convenable.

*6 Cet article a £te copie de la Constitution de 1793 qui prevoyait 24 membres au Conseil Executif. Les articles suivants de ce titre sont tous copies de la Constitution de 1793. — 200 —

Des Gouverneurs et des Administrations Municipales. Article 78. — Une administration municipale existe dans chaque Pla­ ce46 (la Place est formie par 10, 12 ou 15 villages reunis) de la Ripu- blique. Dans chaque canton il y a une administration intermidiaire ; k elle s’adressent les administrations municipales des environs. Dans chaque departement, il y a une administration centrale ; k elle s’adressent les administrations cantonales. Article 79. — Les officiers municipaux sont ilus par les assemblies des Places. Article 80. — Les gouverneurs sont nommes par les assemblies elec­ torates des districts et des departements. Article 81. — La moitii des gouverneurs et des officiers municipaux est renouvelee tous les ans. Article 82. — Les gouverneurs et les officiers municipaux n’ont aucun caractere de representation. C’est-a-dire, ils n’ont pas a s’immiscer dans l activite des assemblies populaires quand elles exercent leurs fonctions. Ils ne peuvent en aucun cas modifier les actes et decrets du Corps Legislatif, ni suspendre leur execution. Article 83. — Le Corps Legislatif determine par ecrit les fonctions des gouverneurs et des officiers municipaux ; les regies de leur subor­ dination et les peines qu’ils pourront encourir s’ils commettent des infractions. Article 84. — Les siances tenues par les officiers nlunicipaux et les gouverneurs sont publiques.

De la Justice Civile. Article 85. — Le code des lois civiles et criminelles est uniforme pour toute la Ripublique et il n’y a pas de grands et de petits devant la loi. Tous les individus sont punis d’une fagon igale quand ils commet­ tent des delits, et recompenses quand ils font quelque chose de glorieux pour la patrie47. Article 86. — Personne ne peut importuner les citoyens qui, ayant des diffirends entre eux, ont choisi des arbitres et recouru h leur decision. Article 87. — La decision de ces arbitres est definitive et obligatoire ; a moins que les deux parties veuillent en appeler a une cour plus ilevte.

40 Rhigas utilise ici un terme de la terminologie administrative roumaine de son epoque. Les Constitutions de 1793 et 1795 utilisent a sa place le mot « commune ». 47 L’egalitS devant la loi n’est pas mentionnee par les Constitutions fran- gaises de 1793 et 1795 dans leurs articles respectifs sur la justice. — 201 —

Article 88. — Dans chaque village, deux juges de paix ou arbitres doi­ vent etre eius par les habitants ; ils auront comme t^che de juger les diff£rends entre les habitants conformfrnent a la loi et de les consigner par 6crit. Article 89. — Ces juges font ceuvre de conciliation et jugent les diffe- rends sans frais. Article 90. — Leur nombre et leur competence sont regies par le Corps Legislatif, c’est-a-dire que celui-ci determine combien ils sont et ce qu’ils doivent juger. Article 91. —• II y a des arbitres publics elus par les assemblies elec- torales, c’est-a-dire que les assemblies electorates nomment ceux qui seront juges. Article 92. — Leur nombre et leur juridiction sont determines par le Corps Legislatif. Article 93. — Ils connaissent des contestations, c’est-a-dire jugent les proems qui n’ont pas ete termines definitivement par les arbitres locaux elus ou les juges de paix. Article 94. — Ils delib6rent et se reunissent en public. Ils opinent a haute voix. Ils prononcent leurs decisions sur defences verbales ou sur simples memoires, sans procedure et sans frais. Ils motivent leurs decisions. Article 95. — Les juges de paix et les arbitres publics eius sont nom- mes tous les an^,

De la Justice Criminelle*B

Article 96. — Nul citoyen ne peut etre juge en matiere criminelle que sur accusation portee devant les jures (ceux-ci sont des hommes im- partiaux et justes) et decretee par le Corps Legislatif. Les accuses choisissent comme juges, des juges eius a temps meme si ceux-ci n’ont pas ete choisis auparavant d’office. Tout ce qu’ils avancent pour leur defense se dit en public. Le fait et l’intention sont declares par un jury impartial. La peine est prononcee par un tribunal criminel, et la meme per­ sonne ne peut etre en meme temps juge et magistrat charge de fixer la peine. Article 97. — Les juges criminels sont eius tous les ans par les assem­ b le s electorates.

48 C’est-ci-dire p£nale. n — 202 —

De la Cour de Cassation.

Article 98. — II y a pour toute la Republique une Cour de Cassation Article 99. — Ce tribunal ne doit pas connaitre du fond des affaires II statue sur la violation des coutumes legales et des lois. Article 100. — Les membres de ce tribunal sont nommes tous les ans. par les assemblies electorates et sont au nombre de vingt-quatre. Ce tribunal a aussi pour mission d’annoncer le changement des membres du Directoire Executif et du Corps Legislatif a la fin de chaque annee49.

Des Contributions Publiques.

Article 101. — Aucun citoyen n’est dispense de l’honorable obligation de contribuer selon ses forces et richesses aux charges imposees par les necessitis publiques.

Du Tresor Public. Article 102. — La Tresorerie de la Nation est le point de reunion des recettes et depenses de la Republique. Article 103. — Elle est administree par des commissaires qui sont obli­ ges de rendre des comptes et sont nommes par le Directoire Executif. Article 104. — Ces commissaires sont surveilles par des ephores nom­ mes par Ie Corps Legislatif dans son sein et qui sont responsables des abus qu’ils ne denoncent pas.

De la Comptabilite.

Article 105. — Les comptes des commissaires de la Tresorerie natio­ nale et des administrateurs des deniers publics sont rendus tous les ans aux ephores responsables, nommes par le Directoire Executif. Article 106. — Ces verificateurs sont surveilles par des ephores nom­ mes par le Corps Legislatif dans son sein et qui sont responsables des abus et des erreurs qu’ils ne denoncent pas. Le Corps Legislatif statue sur les comptes et les signe.

Des Forces de la Republique.

Article 107. — La force generate de la Republique est composee de la nation entiere.

Article 108. — La Republique entretient a sa solde en temps de guerre et de paix une force armee de terre et de mer.

49 Ni le nombre des membres ni cette mission d’annoncer le changement des membres du Directoire Exicutif et du Corps Legislatif ne sont enonces dans les Constitutions de 1793 et de 1795. — 203 —

Article 109. — Tous les Grecs sont soldats ; tous doivent etre exer- ces aux armes et au tir ; tous doivent apprendre la tactique ; jusqu’aux femmes grecques qui devront tenir des lances k la main si elles ne peuvent manier habilement le fusil. Article 110. — Nul ne peut etre giniralissime, c’est-a-dire avoir toutes les forces de la Republique, terrestres et maritimes, entre les mains. Article 111. — La difference des grades militaires, leurs marques dis- tinctives et la subordination des simples soldats n’existent que pen­ dant la duree de la guerre ; une fois celle-ci terminee, tous sont igaux et freres. Article 112. — La force publique qui a comme tache le maintien de la paix et de l’ordre dans le territoire de la Ripublique, n’agit que sur la requisition par ecrit des gouvernements. Article 113. — La force publique qui est opposee aux ennemis exti- rieurs de la Republique agit selon les ordres du Directoire Executif. Article 114. — Nul corps armi ne peut deliberer ni ordonner, mais doit seulement executer les ordres ecrits des gouvernants.

Des Assemblies Nationales 50. Article 115. — Si dans la moitie plus un des departements de la Repu­ blique le dixieme des assemblies primaires de chacune d’elles reunies selon les regies exposies61 demande de reviser la Constitution ou d’en changer quelques articles, le Corps Legislatif doit reunir les assem­ blies primaires de tous les autres dipartements de la Ripublique pour savoir s’il y a li*u de convoquer une Assemblee Nationale genirale. Article 116. — L’Assemblie Nationale est formie de la meme maniere que le Corps Ligislatif, c’est-a-dire un diputi est envoyi par chaque dipartement. Article 117. — Cette Assemblie Nationale extraordinaire se borne a reviser la Constitution sur les points qui ont motivi sa convocation et ne s’occupe de rien d’autre, c’est-a-dire qu’elle est elue pour examiner une question, l’examine et rien d’autre.

Des Rapports de la Republique Helienique avec les Nations Etrangeres.

Article 118. — Le peuple grec est l’ami et 1’allie naturel des nations libres. Aritcle 119. — Les Hellines ne s’immiscent pas dans le gouvernement des autres nations ; ils ne sauraient admettre que les autres nations s’immiscent dans leurs propres affaires. Ils honorent les ambassadeurs

50 Nominees « Conventions Nationales» par la Constitution de 1793 et « Assemblies de Revisions par celle de 1795. 51 Articles 11, 12 et 13. - 204 — et consuls des nations qui se trouvent chez eux ; ils leurs assurent le libre sejour, respectent leurs nigociants et ne touchent k leurs navires de commerce que s’ils ont a bord des objets appartenant a l’ennemi. Article 120. — Ils re^oivent tous les etrangers injustement traites ou bannis de leur patrie pour la cause de la liberty. Ils renient les tyrans et refusent de leur donner asile. Article 121. — Ils ne font jamais la paix avec une ennemi qui occupe le territoire grec.

De la garantie de ces droits. Article 122. — La loi constitutionnelle assure k tous les Grecs, Turcs, Arminiens, etc. l’egalite, la liberte, la sureti, la propriiti des biens de chacun, reconnatt les dettes publiques contracties pour la liberte, la liberte de toutes les religions, garantit l’iducation commune, des secours publics a ceux qui en ont besoin, la liberte indefinie de la Presse, le droit de presenter des petitions et de plaindre, le droit de reunion en assemblies publiques et, enfin, la jouissance de tous les droits de l’homme. Article 123. — La Republique Hellenique honore la bonte, la bravoure, la vieillesse, la piete filiale, le malheur ; elle place cette Constitution sous la garde vigilante de tous les hommes liberaux et vertueux qui, pour ne pas succomber a la tyrannie, ont embrasse la carriire mili­ taire et, en armes, jure guerre eternelle aux tyrans. Article 124. — La Declaration des Droits de l’Homme et le prisent acte constitutionnel doivent etre inscrits sur des tables d’airain qui seront placees au lieu des seances du Corps Legislatif; on devra.en faire plusieurs exemplaires et les dresser dans toutes les villes, cites et villages de la Republique, sur les places publiques, pour que tout citoyen puisse voir a chaque instant en quoi consiste le tresor de sa liberte bien-aimee. Annexe 52.

L’embleme qui figure sur les drapeaux et oriflammes de la Ripu- blique Hellenique se compose d’une massue d’Hercule avec trois croix ; les drapeaux et oriflammes sont tricolores, noir, blanc et rouge ; le rouge est en haut, le blanc au milieu et le noir en bas. Le rouge signifie la pourpre impiriale 03 et la souverainete du peu­ ple hellene ; nos a'feux portaient cette couleur k la guerre pour que

°2 Cette annexe est de 1 inspiration de Rhigas. Elle est ajoutee au corps principal de la Constitution dun fa^on assez maladroite : on peut se deman- der pourquoi Rhigas n’a pas ajoute les alinias concernant l’uniforme de ses soldats aux articles traitant des forces armies de la RSpublique (articles 107-115). v 4 ss Encore une riminiscence byzantine. — 205 — les soldats ne perdissent pas leur courage en voyant le sang couler de leurs blessures. Le blanc signifie l’innocence de notre juste cause contre la tyrannie. Le noir signifie la mort pour la defense de notre patrie et de notre liberte. Tous les soldats hellenes portent un casque sur la tete. Tous les soldats hellenes portent une ba'ionnette comme un yatagan dans leur ceinture et qu’ils mettent au bout de leur fusil en cas de necessite ou lors des parades. Le costume des soldats hellenes est le costume heroi'queM, pan­ talon noir, chemise blanche et bottes ou chaussures rouges. Tout Grec ou Grecque de meme que tout habitant de la Republique doit porter sur son casque ou son bonnet une massue, comme celle d£crite ci-dessus, peinte ou brod£e sur toile blanche. C’est a ce signe que se reconnaissent les republicans libres et les freres dgaux.

Liberte Egalite

Thourios. Hymne Patriotique.

Jusqu’a quand, o braves, nous faudra-t-il vivre dans les defiles seuls, comine des lions, sur les hauteurs, dans les inontagnes ? Habiter les cavernes, n’avoir devant les yeux que des forets, fuir Ie monde pour [eviter] l’amere servitude ? Perdre freres, Patrie, parents, nos amis, rfbs enfants et tous nos proches55 ? Mieux vaut une seule heure de vie libre que quarante ans de servitude et de prison. A quoi bon vivre, lorsque l’on est esclave ? Songe qu’on te fait k chaque heure griller a petit feu. Tu auras beau devenir un vizir, un drogman, un prince, le tyran ne t’en fera pas moins perir injustement. Toi, tu t’asservis chaque jour a ce qu’il t’ordonne et lui ne cherche qu’a boire ton sang. Soutzos, Mourouzis, Petrakis, Skanavis, Ghikas, Mavroyenis, peuvent te servir de miroir.50 De braves capitaines, des pretres, des lai'cs, meme des agas, ont £te ^gorges par un glaive inique.

04 II n’y a rien tie particulierement « lx6ro'ique » dans ce, celui de la Thessalie et que Rhigas lui-meme portait, meme a 55 Ces vers s’adressent surtout aux klephtes. so Ces vers s’adressent aux Phanariotes, dont quelques families son men tionn^es. — 206 —

Et une infinite d’autres, Turcs57 et Grecs58, perdent la vie et leurs biens sans raison. Venez tous aujourd’hui avec la meme ardeur, preter serment sur la Croix. Qu’un conseil d’hommes capables et patriotes soit charge par nous de nous gouverner. Que la Loi soit le premier et I’unique guide et qu’un seul homme soit le chef de la Patrie50. Car l’anarchie equivaut k la servitude, vivre comme des betes feroces, c’est se livrer a des feux devorants. Alors, les mains levees vers le Ciel, adressons du fond de notre coeur cette invocation a Dieu : Ici, les Patriotes se Invent et, les mains tendues vers le Ciel, pretent serment: Serment contre la tyrannie et I’anarchie. O Roi de 1’Univers, je jure devant Toi, de ne jamais me soumettre aux caprices des tyrans, de ne jamais les servir et de ne jamais me laisser egarer par leurs promesses. Aussi longtemps que je vivrai dans ce monde, inon unique but sera de les exterminer. Fidele a la Patrie, [je jure] de briser le joug et de ne faire qu’un avec mon general. Et si je viole mon serment, que le Ciel me foudroie, qu’il me consume et que je sois reduit en fumee.

Fin du serment. Au Levant, au Couchant, au Nord, au Midi, r ayons tous le meme cceur pour la Patrie. Pour que chacun vive libre dans sa foi, courons ensemble vers la gloire des armes00. Bulgares, Albanais, Armeniens61 et Grecs, Negres02 et Blancs83, d’un meme elan, ceignons tous l’epee pour la liberty. Que notre renommee d’hommes braves se rSpande a travers le [monde. Que ceux que la tyrannie a contraints a vivre a l’etranger

57 Bulgares, d’apres la traduction frangaise de Minas. 58 Rhigas les appelle Romains, reminiscence byzantine, tres en usage a I’epoque. 59 Contradiction flagrante de la Constitution, mais absolument necessaire du point de vue pratique, a cause des dangers de l’anarchie. 60 Ces deux vers manquent dans Fauriel. 61 Fauriel met Serbes au lieu d’Armeniens. 62 Le mot utilise par Rhigas pour dire negre peut aussi signifier arabe. La premiere signification du mot est plus logique ici par antithese aux blancs. «3 Au lieu de « Negres et Blancs », Fauriel met « insulaires ou du con­ tinent » et Minas 6crit « Serbes et Valaques ». — 207 —

reviennent en hate a leur foyer.04 Et que ceux qui ont appris l’art de la guerre accourent tous ici pour triompher des tyrans. La Roumelie les appelle, les bras ouverts, elle leur offre asile, biens, dignites et honneurs. Jusqu’& quand resteras-tu au service des rois strangers ? Viens et sers de pilier a ta propre nation. II est plus beau de p£rir pour sa Patrie, que de suspendre des glands d’or a une epee vouee a l’etranger. Ceux qui se soumettront ne seront plus nos ennemis, ils deviendront nos freres, meme si ce sont des pa'iens. Mais ceux qui oseront nous faire obstacle, meme s’ils sont des notres, ils periront. Souliotes, Maniates, lions reputes, jusqu’a quand dormirez-vous au fond de vos cavernes ? Lionceaux de la Montagne Noire65, aigles de l’Olympe, 6perviers d’Agrapha0fl, n’ayez tous qu’une meme ame. Vaillants Macedoniens, elancez-vous ensemble, abreuvez-vous du sang de vos tyrans comme des betes de proie. Freres Chretiens de la Save et du Danube67, que chacun de vous se montre les armes a la main, que votre sang bouillonne d’une juste col£re. Petits et grands, achevez la ruine de la tyrannie. Agiles et vaillants habitants de la Mer Noire, jusqu’a quand les Barbares vous tourmenteront-ils ? Lazes, n’attendez plus immobiles, jetez-vous dans la fournaise avec nous. Dauphins de la mer, dragons des lies, 61ancez-voGus comme la foudre, frappez l’ennemi. Oiseaux marins d’Hydra et de Crete, il est temps d’ecouter la voix de la Patrie. Et vous tous, les braves enfants qui servez dans la flotte turque 98, la loi vous ordonne de lancer le feu. Et vous, M altaisC9, faites corps avec nous, jetez-vous avec fureur contre la tyrannie. La Grece vous appelle, vous desire et gemit sur votre sort, elle reclame votre secours d’une voix maternelle.

04 11 s’agit surtout des Grecs au service de la Russie. 65 Les Montenegrins. GC L’Olympe et les Agrapha servaient de refuges a de nombreux klephtes. G7 Les Serbes. 08 Les habitants des lies de la mer Egee etaient obliges de servir pendant un certain temps dans la flotte ottomane. 60 Cette exhortation vers un peuple sans aucun lien avec l’Empire Ottoman peut surprendre et, en effet, on ne voit pas tres bien ce qu’elle vient faire ici. Les Maltais ne sont ni des Grecs ni des Balkaniques ; ils ne sont men- tionnes nulle part ailleurs dans les ceuvres patriotiques de Rhigas. Proba­ blement il s’agit d’une exhortation aux marins maltais servant dans la flotte ottomane. — 208 —

Pasvanoglou, pourquoi restes-tu si longtemps impassible ? Lance-toi sur les Balkans, c’est la qu’il te faut, comme 1’aigle, faire [ton nid. Ne t’inquiSte ni des hiboux, ni des corbeaux ; joins-toi aux rayas si tu veux vaincre. Silistrie, Bra'ila, Ismail et Chili, Bender et Chotin 70 te tendent les bras. Envoie des renforts et ils tomberont a tes pieds ; car ils ne peuvent plus vivre sous la tyrannie. Georgien, ne dors plus, leve-toi d’un saut, voici l’occasion d’imiter celui de Brousse. Et toi qui, k Alep71, reves de liberte, surgis, pacha, fais, sans perdre un instant, ton apparition sur les champs [de bataille. LSve-toi a la tete de tes armees, sinon tu resteras aux ordres de Constantinople. Lions d’Egypte72, avant toute chose, Slisez un Roi parmi vos propres beys73. Que le kharatch d’Egypte ne paraisse plus a Constantinople, afin que creve le loup qui vous tyrannise. D’un meme coeur, d’un meme elan, d’une meme ame, frappez tous pour que la tyrannie pSrisse jusque dans sa racine. Allumons l’incendie dans toute la Turquie, et que de la Bosnie tout s’embrase jusqu’en Arabie. Plantez une croix 74 au haut de vos bannieres et frappez l’ennemi comme la foudre. Ne vous imaginez pas qu’il soit invincible, le coeur lui bat et il tremble comme un lievre. Trois cents Kirjalis lui ont fait voir que meme avec ses canons il ne peut tenir devant eux. Pourquoi donc tardez-vous, pourquoi semblez-vous morts ? Reveillez-vous et ne soyez plus ni adversaires ni ennemis. De meme que nos ancetres surgirent comme des lions et pour la liberte se jeterent dans le feu, de meme nous, o freres, prenons tous k la fois les armes, pour echapper a la cruelle servitude. Egorgeons les loups qui nous imposent leur joug

7<> Les « chateaux du Danube» : les fortifications gardant la frontiere septentrionale de 1’Empire Ottoman qui etaient convoitees par Pasvanoglou. 71 Les pachas de GSorgie, de Brousse et, surtout, celui d’Alep avaient montre a plusieurs reprises leur d£sir de devenir independants. 72 Pour etre bien compris des Egyptiens il utilise des mots turcs pour cette phrase. 73 La seule evocation du sort futur des pays arabes que Ton trouve dans les oeuvres patriotiques de Rhigas. 74 Rhigas oublie qu’il s’adresse aussi a des Musulmans. — 209 —

et osent tyranniser cruellement Chretiens et Musulmans7B. Que la Croix brille sur la terre et sur les mers, que l’ennemi succombe enfin devant la justice, que le monde soit d61ivre d’un horrible fleau et qu’ainsi nous puissions vivre libres et en freres sur la terre.

75 Fauriel et Minas <§crivent « Grecs» au lieu de « Chretiens et Musul­ mans ». APPENDICE «B»

LA CORRESPONDANCE ENTRE MILOCH OBRENOVITCH ET L'H^TAIRIE

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Lettre de Miloch Obrenovitch a Georges Olympios. 1

A mon cher ami Georges Olympiti

Le 12 mars 1818 Belgrade Au sujet de tout ce dont m’a parte Georges Evangelidis sur 1’affaire connue de Votre Excellence je suis d’accord sur tout quand vous vous d£ciderez de te faire. Vous devez savoir avec certitude ceci : qu’& tout besoin je serai a vos cotes et soyez sans souci. Si vous voudriez m’en- voyer votre famille, je vous assure qu’elle aura toute tranquillite et ma maison meme. Je vous embrasse fraternellement et reste Votre ami Miloch Obrenovitch Surveillant et General en^chef de Serbie

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Rapport de G. Evangelidis a VArche. 2 Je salue humblement Votre Seigneurie bien-aimee J’ai appris avec grande joie par Ie saint archimandrite Monsieur Gregoire Dikaios te bon etablissement de l’Ecole Grecque nouvellement fondee et je prie la divine Providence de me permettre de suivre son progres. Moi aussi, comme je suis arrive a l’age de trente ans faisant du commerce (parce que ce metier est propre aux habitants de ma dtere patrie, Ampelakia), maintenant depuis quelque temps je me trouve aupres du Commandant de la Serbie (qui m’a assigne aux affaires politiques de son commandement) et j ’ai grand desir d’assister cette sainte oeuvre. J’espere de faire aussi souscrire a cette oeuvre cette personne meme, c’est-a-dire le susdit Commandant, comme j’en ai parte

1 Philimon, Helliniki Epanastasis vol. I, p. 140. 2 Ibid., vol. I, pp. 252-253. — 211 —

avec le saint archimandrite Monsieur Gregoire. Je demeure avec tout le respect qui vous est du 1819, le 13 aout, Bucarest De Votre Seigneurie le tres humble [serviteur] Georges Evangelidis.

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Lettre de Miloch Obrenovitch a Georges Olympios. 8

Tres noble Seigneur Capitaine Georges, Salut. Par plusieurs personnes et aussi par la lettre que vous m’avez adressSe, je suis suffisamment persuade de vos bonnes dispositions a l’Sgard de toute la nation serbe. Pour cette raison je ne manque pas par mes deux lettres de vous assurer et vous faire savoir que moi aussi j’entretiens pour vous l’amitie qu’il convient et de bonnes inten­ tions et que je ne vous separe en rien de mes autres chers compatriotes. Je vous prie de recevoir la presente lettre comme temoignage de mon estime et de ma disposition amicale envers vous, avec laquelle je vous embrasse amicalement. Je demeure et suis toujours, votre bien intentionne

Kragoujevatz 30 mai 1820 Miloch Obrenovitch CnSze general de la Serbie

Lettre de Miloch Obrenovitch d Savvas. 4 Tr£s noble Monsieur Savva Popovitch, Avec grand plaisir j ’eus l’honneur de recevoir votre lettre respectee de Bucarest du 22 mai passe expriniant votre devouement tout parti- culier envers ma personne et que vous etes pret a defendre la foi orthodoxe sous mes ordres comme son herault et son defenseur jus- qu’& la derniSre goutte de votre sang. Mon officier, Monsieur Demetrius Georgiou, qui m’a rernis votre lettre, n’a pas manque de me faire savoir de vive voix de votre part d’une certaine entreprise projetee et je vous remercie profondement de m’avoir honore, en homme sage et brave, d’un honneur aussi haut et eminent. Et moi, de mon cote, je ne laisserai passer la moindre occasion sans accomplir en tout le haut desir de mon Gospodar dont j’ai la faveur. Je vous aime sincerement

3 Ibid., vol. 1, p. 252. * Ibid., vol. 1, p. 253. — 212 — et vous honore de tout temps, avec ces sentiments envers vous je signe, noble Monsieur, votre tr£s humble serviteur,

Miloch Obrenovitch Kragoujevatz Cneze general de la Serbie 12 juillet 1820

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Lettre de Miloch Obrenovitch a Georges Olympios. 5

Tres noble Monsieur Georges Nicolaou, J’ai re?u avec un tout particulier sentiment d’amitie votre lettre dat£e de Bucarest du 22 mai pass£ dans laquelle vous avez la bonte, tr6s bienveillant Monsieur, de m’assurer sur ce dont depuis longtemps je suis tout persuade : c’est-a-dire de votre fid£lite et votre d&vouement a ma personne, et que vous etes prgt k verser jusqu’i la derntere goutte de votre sang sous mon commandement pour notre religion orthodoxe. Je vous remercie profond£ment, bienveillant Monsieur, pour ce sacri­ fice, offert au Dieu de l’Orthodoxie, et je vous assure que, de mon c&te, je n’dpargnerai rien pour accomplir le haut d£sir de mon Gos- podar dont j’ai la faveur. De tout cceur je vous aime et je vous estime de tout temps ; avec ces sentiments envers vous je signe, vous honorant toujours, noble Monsieur, votre tres humble serviteur, Kragoujevatz Miloch Obrenovitch 12 juillet 1820 Cneze general de la Serbie

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Lettre de Miloch Obrenovitch a Georges Olympios. 0

J’embrasse fraternellement Votre Seigneurie, En raison du manque de temps j ’ai laisse passer deux occasions pour entrer en rapport avec vous par mes lettres. Mais, a cause de mon amitie particuliere pour Votre Seigneurie, k cause de son inclination pour moi et notre nation, je sens comme etant un devoir indispensable de vous faire connaltre ce qui se passe entre nous et l’officier envoye par la Porte. Je vous dis que depuis son arrivee il y a eu differentes disputes qui, je n’en doute pas, vous sont d6j& connues, de sorte que la cause nationale est encore obscure et qu’aucune decision n’a 6te prise par la Sublime Porte a son 6gard. J’attends done la suivante pour voir le bon resultat au sujet duquel Votre Seigneurie sera aussi

5 Ibid., vol. I, p. 254. 6 Ibid., vol. I, pp. 254-255. — 213 — inform£e. A present je ne inanque pas de lui faire savoir ce que nous apprenons ici par les passants ; c’est-^-dire qu’Ali pacha de Janina a tue 6.000 soldats imperiaux par une mine ; d’autres, venus hier de la Roumeiie, disent que Khourchid pacha a ete nomme propose aux sceaux et Baba pacha vali de Roumeiie. Si cela est vrai cela nous donne de nombreux soup?ons sur le changement de la situation pr£- sente. Moi je l’honore comme etant reconnaissant de la part de mon pays, et j ’esp£re que vous ne negligerez rien qui pourrait etre utile k notre nation en me le faisant savoir comme moi qui reste pour toujours, votre tout k fait favorable Kragoujevatz Miloch Obrenovitch 26 septembre 1820 Cn£ze Supreme de la Serbie

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Lettre de Miloch Obrenovitch a Savvas.T

Au tr^s noble seigneur Bimbachi Savvas, mon tres cher, & Bucarest. J’embrasse fraternellement Votre Seigneurie, Connaissant le sentiment qu’elle a pour moi et notre nation je ne manque pas cette occasion de lui 6crire comme preuve de l’amitil que j ’ai aussi envers elle, lui demander des nouvelles sur sa sante et lui dire apres que, nos affaires n’accusant encore aucun progres, nous attendons la suivante pour apprendre ce qu’il en adviendra. Des voyageurs ayant traverse dernierement la Turquie centrale nous ont dit que Ali pacha Tebelenli tua par une mine 6.000 imperiaux, selon d’autres que Khourchid pacha qui se trouve en Moree a ete nomme prepose aux sceaux et Baba pacha vali de Roumeiie. J’honore moi-meme Votre Seigneurie comme etant amie de ma patrie et j’espere que sur tout ce qui la concerne elle ne manquera pas de me le faire connaitre. Sur ce je reste pour toujours, votre tout k fait favorable Kragoujevatz Miloch Obrenovitch 26 septembre 1820 Cneze Supreme de la Serbie.

8 —

Lettre de Miloch Obrenovitch a Savvas. 8

Tres noble et tres cher Seigneur Savvas, salut.

7 Ibid., vol. 1, p. 255. 8 Ibid., vol. 1, p. 256. — 214 —

J’ai regu avec un plaisir tout particulier, moi aussi, l’honorable lettre de Votre Seigneurie. Elle m’a assure de nouveau du zele que vous avez pour la gloire et la prosperity des peuples chretiens, pour lesquels vous etes pret a sacrifier meme votre vie. C’est pourquoi je vous prie de recevoir ma reconnaissance toute particuliere et l’assu- rance de mon amitie fraternelle et de mon respect. Je vous remercie aussi pour les nouvelles que vous me donnez sur les affaires politiques du monde. Je vous prie de continuer a me les faire parvenir par un homme de confiance. La nouvelle, selon laquelle la Sublime Porte a fait savoir a la nou- velle delegation de huit personnes qui a ete envoyee k Constantinople, que ses propositions seront admises n’a pas 6te realisee quoique depuis longtemps desirSe. Je reste, avec le respect du, cher Monsieur, votre tres humble serviteur Kragoujevatz Miloch Obrenovitch 19 octobre 1820 Cn^ze Supreme de la Serbie

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Lettre d’Alexandre Ypsilanti a Miloch Obrenovitch. Tres glorieux Chef de la Serbie, Miloch, et tres cher frere, j ’em- brasse Votre Seigneurie fraternellement. J’ai regu I’ordre de la respectable Arche de reveler k Votre Gloire les intentions nefastes des ennemis de notre Foi et de notre Patrie. La Porte, outre les armees qu’elle a envoyees contre Ali pacha et en d’autres pachaliks de la Roumelie, assemble a present en Asie encore d’autres innombrables masses pour se jeter ouvertement au printemps contre les Grecs et la Serbie, nous trouver sans preparation et tocher de nous detruire. Par consequent par ordre de la respectable Arche j ’ai envoye des ordres a toutes les parties de la Grece, de la Moree au Danube, et la rebellion sera proclamee a Constantinople et dans toute la Grece Ie 15 novembre prochain. Donc que Votre Gloire n’attende pas que I’ennemi soit pret mais, tout de suite, des que vous aurez regu la presente, armez Vos braves Serbes et nettoyez Votre patrie des barbares. Et moi, le 20 ou au plus tard le 25 novembre, arrivant par la Moldavie et la Valachie, serai parmi mes tres chers Serbes avec troupes, vivres, argent et autres provisions de guerre et alors de vive voix je Vous dirai ce que j ’ai ordre de Vous dire. Tachez seulement ceci, que le 20 novembre un corps arme de Serbes se dirige vers Lom et Drinovatsa pour occuper les Turcs Ici-bas et me laisser la route libre entre Vidine et Ada-KalS. Les entretiens de Constantinople entre la

0 Ibid., vol. I, pp. 237-238. — 215 —

Porte et la Russie prSsagent la guerre bientot entre ces deux Puis­ sances. Courons done les premiers au chemin de la gloire ! Couronnons nos tetes avec les couronnes de la gloire ! Et ayant comme mot d’ordre « La Liberty ou la M ort», nous nous jetterons soudainement sur nos ennemis non pr£par6s et la victoire est inevitablement a nous. Je souhaite de Vous rencontrer bientot afin de Vous prouver en personne l’amiti£ sincere que j ’ai pour Votre personne et mes senti­ ments fraternels. Frere et ami, Kichinev, Alexandre Ypsilanti le 24 octobre 1820

i APPENDICE «C»

DOCUMENTS CONCERNANT L'INSURRECTION DE THEODORE VLADIMIRESCO

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Proclamation dite « de Padech » .1

A tout le peuple de Bucarest et des autres villes et villages du Pays Roumain, sant6, etc., etc. Frdres habitants de ce Pays, de quelque nation que vous soyiez, nulle loi ne defend de repousser le mal. Quand un serpent se pr£sente devant vous, vous devez courir le frapper avec une massue, bien que souvent sa morsure ne soit pas tellement dangereuse ; mais pour les dragons qui avaient enticement les vivants, comme nos seigneurs, tant le systeme ecclesiastique que le systeme politique disent: jusqu’i quand permettrons-nous qu’ils ingurgitent notre sang ? Le mal n’6tant pas admis par Dieu, la destruction du mal est bonne puisque Dieu est bon. Pour que nous nous unissions avec Lui, il faudrait faire le bien qui ne peut etre fait si d’abord nous n’avons pas poursuivi le mal. Comme, par exemple, si l’hiver ne s’est pas fait on ne doit pas atten- dre Ie printemps. Dieu a dit : « Que la lumiere soit» et la lumtere fut, mais d’abord disparurent les ten£bres. De meme, le reprisentant de Dieu, notre puissant Empereur, desire que nous vivions bien, en tant que ses esclaves fiddles et obeissants ; mais il ne nous pardonne pas le mal que les seigneurs am£nent sur nos tetes, pour que nous vivions de cette fagon. Venez done tous, freres, detruisons le mal par le mal, pour qu’il devienne pour nous du bien et, choisissant des mauvais les bons, reconnaissons-Ies comme notres, et ceux-l& travailleront avec nous pour le bien, pour qu’il soit aussi bien pour eux, comme nous le promettons. H&tez-vous done de venir au plus vite, ceux qui ont des armes, avec des armes, celui qui n’en a pas, avec des pieux ferr£s et des massues et accourez sans la moindre hesitation \k ou les plus 61ev6s en rang vous conduiront, et suivez-les ; et allez 1& ou ils vous enverront ; parce

1 D’apres la traduction contemporaine en grec publi^e par Philimon, op. cit., v. I, pp. 305-306. — 217 —

que, freres, le temps suffit depuis que les larmes ne se sont pas sechSes sur nos visages. De plus, je vous atteste, que nul d’entre vous n’aura la permission (durant ce rassemblement general et utile) de prendre (peut-etre par la corruption) meme un grain de la maison d’un commergant soit autochtone soit Stranger ; parce que je promets que seules les fortunes mal acquises des seigneurs voleurs, c’est-^-dire de ceux qui ne seront pas d’accord avec notre esprit et qui ne suivront pas notre resolution, soient soustraites pour le bien gSnSral. SI[udjer] ThSodore

« Arz mahsar » adresse a la Porte par Vladimiresco. 2

Nous nous prosternons sur le Saint et trSs illustre seuil du trSs puissant Empire de notre Souverain, nous, tout le peuple roumain de Valachie, qui lui est soumis et confiS par un Dieu trSs puissant, en lui racontant brievement nos mecontentements incontenus et les profondes epreuves que nous supportons k cause de l’union des boyards du pays avec les princes envoySs depuis longtemps, qui ont conduit ce peuple, garde de Dieu et choyS par le trSs haut Empire de tout temps avec beaucoup d’indulgence et maintenant completement abandonnS aux mains des ennemis du trSs puissant Empire et des notres 1 Car les boyards, ou mieux dit nos tyrans impitoyables, en s’accordant avec le prince actuel, laissant ce qu’il fallait auparavant, nous ont dSpouillSs commee jamais auparavant et, k notre perte implacable, sans pitie pour nous, ils ont vide les caves impSriales de tous les biens de sorte que nous sommes restes plus nus que les morts dans leurs tombes. Si le puissant Empire avait pris connaissance de tous ces faits, il nous aurait dSbarrassS depuis longtemps de ces impitoyables bandits ; qui parfois s’unissent a faire des avances flatteuses & la Sublime Porte chaque fois qu’elle installe un nouveau prince, en dSmontrant la bonne situation du pays, et cela ils le font uniquement pour leur propre avantage et celui du prince. Maintenant ils l’ont aussi fait & l’arrivee du prince Alexandre Soutzo car, montrant d’une part la chute du pays, a cause des mau- vaises administrations des princes, ils ont demande pitie et tolerance du puissant Empire, et d’autre part Scrivant de faux Sloges de ce prince pour Pavoir de leur cotS, rien que pour eux. A peine arrivS ici ils se sont entendus avec lui pour la livraison et l’aneantissement du pays en commengant par PEglise, par ou de fait on devrait faire le redres- sement.

1 D ’apres Otetea et at., Documente privind istoria Rominiei — Rascoala din 1821, vol. I, 208-211. is — 218 —

Alors eux, en connivence avec Ie metropolite du pays, ont vendu au prince Soutzo PEglise pour deux mille bourses d’aspres et ils ont intronis6 comme metropolite un vrai Roumain, mais en reality il etait la honte de la nation roumaine et un profanateur des sacres. Celui-ci etant l’oblige du prince Soutzo et, sans le consentement et le bon vouloir du peuple et contre les lois existantes, il s’est soumis aux mauvais vouloir du prince et a pille Ie pays. Pour contenter toutes ses insatiables et injustes demandes, il les soussigne comme etant justes, et il oblige le peuple de les executer. Le peuple et le pays se trouvant dans cet etat, et n’ayant pas les moyens de montrer ses peines et de demanedr misericorde au tres puissant Empire — ayant gagne plusieurs fois cette misericorde — mais ils n’en ont profite jamais, car elle est restee inscrite seulement sur Ie papier et devoree par les susdits bandits, ils ont alors ete obliges par tant de decouragement : d’abord k se revolter contre cette mechan- cete et, ensuite k esperer et a demander la misericorde imperiale. Comme des croyants et soumis esclaves du tres puissant Empire nous vous prions avec des Iarmes d’envoyer un homme de 1’Empire — non de notre race — pour investiguer et voir de pres l’etat lamen­ table du pays, et qu’il fasse regner la justice et l’ordre, cesser ce ban- ditage et nous dire ce qu’il adviendra avec la justice envers le puissant Empire — de meme que nous avons repondu longuement jusqu’a pre­ sent a notre devoir et comme nous ne nions pas dorenavant de le tenir, en bons croyants que nous avons ete et que nous sommes encore et que nous serons toujours. Nous avons la certitude que Ie tr£s puissant Empire ne va pas nous £pargner ses misericordes, avec lesquelles de tout temps il nous a abreuves et comme gages — confies k lui par le i Dieu de miseri­ corde — nous a honores, ainsi qu’& chaque nouvelle domination pro- ferant paternellement ce doux nom dans les sourdes oreilles des princes il nous confie a eux pour nous garder et nous proteger mais eux, nous depouillent k la maniere de bandits et nous trahissent depuis un certain temps. Et nos boyards, autant ecclesiastiques que la'iques, etant coalises avec eux, au lieu de nous proteger de tous ces pillages et les arreter, leur facilitent la route en les regardant fuir de Bucarest en plein jour. Toutes ces indications susdites etant vraies seront prouvees en detail devant l’homme de confiance envoye par l’Empire que nous prions chaleureusement votre tout-puissance imperiale de bien vouloir nous envoyer avec misericorde. Au tr6s puissant Empire, les tres soumis croyants esclaves, tout le peuple roumain de Valachie.

A n n e x e .

A Son Altesse Dervich pacha, muhafiz de Vidine, de la part des rayas de Valachie; nous nous plaignons k Votre Altesse avec de — 219 diancles larmes que les Princes du pays se sont mis d’accord avec les boyards Grecs et Roumains pour nous trahir et pour nous d£pouiller, de sorte que nous sommes rest£s, apres la soustraction de nos biens, seulement avec nos ames vides ainsi qu’il est compris dans Varz mahscir ci-joint relevant toutes nos souffrances qui est adresse au puissant Empire notre suzerain. Nous avons envoye cet arz mahsar a Votre Altesse sachant que vous etes un tres bon sujet du tres puissant Empereur et nous vous prions chaleureusement d’avoir la misericorde et de bien vouloir remettre cette note au tout puissant Empire pour qu’il puisse entendre nos voix parce que pour nous toutes les routes, et les portes, de la Sublime Porte ont 6te fermees pendant ce temps par Ie Prince du pays et les boyards, et nos prieres et plaintes arret£es pour que nous ne puissions pas communiquer directement avec le puissant Empire. Et ainsi les susdits nous d6vorent vivants et nous, n’ayant plus rien a leur donner et ne sachant que faire, nous sommes adresses a la mise­ ricorde de Votre Altesse. Ainsi nous vous prions chaleureusement de remettre nos plaintes au tout puissant Empire, pour qu’il entende nos voix plaintives et ait pitie de notre effondrement et qu’il nous envoie un homme de confiance de PEmpire, pour venir ici au pays, h Bucarest, enqueter et voir les maux que nous endurons de ces loups inhumains et de faire justice. Et jusqu’ci l’arrivde de cet homme de PEmpire nous nous sommes r6voIt£s, du plus petit au plus grand, pour aller nous rassembler a Bucarest. Encore il faut que Votre Altesse sache que cette revolte n’est menee que contre les boyards qui ont usurp£ les droits que votre tr£s puissant Empire leur a donnas. Et les commergants turcs, ainsi que n’importe quel autre commergant qui aurait des affaires dans le pays, peuvent circuler sans aucune crainte, car nous n’empechons personne, ils pour­ ront meme circuler avec toute la liberty possible. Et encore une fois nous prions Votre Altesse de nous aider, avec tout ce dont nous avons besoin, que notre envoye vous aura expose de vive voix. Que le bon Dieu accorde h Votre Altesse une longue et heureuse vie !

— 3 — « Arz mahsar » du Pays des Roumains au tres puissant Empire. 3

Nous les tr&s soumis sujets du tres puissant Empire, le metropolite du pays, les iveques, abbes, boyards grands et petits, les capitaines, les nouvelles recrues, et toute Parmfie des habitants du pays de Vala­ chie, faisons savoir au tres puissant Empire, avec nos genuflexions

8 D’apres Otetea et al., op. cit., vol. I, pp. 214-215. — 220 — t e plus profondes, que imn.4diaten.ent apres que le ait rendu l’ame, sans le moindre retard, son PP certajn T h e o d o re quarante cavaliers armes, ayant comme c a p it a in e uncerta^^ Vladimiresco (qui au temps de la rixe passee eta < Make- des Russes avec le litre d’ofhcier et encore un au e olf.c e , de donski. Alors eux, d’apres ce qu’il parait sont part s de I‘ Bucarest et, allant vers le departement de Oorj au bord des sans faire en route aucun mal ou dommage 4 Pfrso” ne> ;i0™ rliul sans prevenir vendredi soir le 21 de ce mois dans la ville de ^ de oil se trouve le stege de la prefecture de Gorj, en causant u « ^ peur dans la ville. Et sans faire du mal a personne ils ont Pris dc ispravnics du departement (car l’autre se trouvait par hasarc la ville) et sont partis avec lui la nuit meme, en lui disant qu ^ qu’ils auraient arrete aussi son camarade ils leur montrerai ordres qu’ils ont. , et D£s que nous avons eu connaissance de cet incident ',n>convena'n0US ayant compris qu’ils visent k des actions encore plus malseyantes, ^ avons eparpille tous les puissants moyens que nous avons ealeu ® voir faire face k ce mal et d’un cote nous avons marclie a leur po dreS avec les gardiens du pays et d’autre part nous avons donne des ^ convenables aux hauts fonctionnaires des cinq departements au- _ de l’Olt pour empecher l’extension du plan dangereux de ces 5 1,3 teurs et pour assurer la defense et la tranquillite des habitants. D aPQrlt les nouvelles qui nous sont parvenues, partant de Tlrgu Jiiul lls ^ alles droit vers le monastere de oil ils se sont e n fe rm ^ ayant avec eux l’ispravnic de Gorj, car l’autre ne pouvant etre a nt s’est Schappe, ils sont revenus au siege de la prefecture et, rasseffl toute la population de la ville, ils l’ont encercle. ; .. Mais avec tous les efforts que nous avons faits et que nous c^n^e nuons a faire, nous voyons qu’ils n’arretent pas la mise en gS. leur plan malfaiteur car ce Theodore Vladimiresco, prenant que

et so°n domi';LEr de,Crai!',e est <»“ <* Theodore, ayant sa lonstemns aver '^P artement de Mehedinti, s’est r£un1 fte- ments voisins et s’e s W n ^ I f ^ Ce d6Partement et mgme de* repandre ce mal dangereux nnr • ? aV6C Plusieurs d’entre eux pour P c£S malfaiteurs se snnt Peuple. D ’apr£s ce qu’on nous a ’ ent descendre dans les na^tfd113? iusqu^ cinc* cents Presclue.^ ;usqu’‘c'- Mais mmnt * n Cimpul, de 14 k Craiova et apr£s 1 de banditisme parce n du susdit Vladimiresco comme un a ,.j ’ Parce °lue meme la reduction du nombre des hommes Q — 221 —

avait avec lui nous ont rassure de ceci et les exemples suivis par d’au­ tres bandits dans le temps, nous n’avons pas inform^ tout de suite le tr&s puissant Empire pour cette raison, espSrant qu’avec toutes les mesures prises le mal serait apaise sans retard tout de suite apr£s son apparition Mais voyant depuis deux jours que le nombre de ses par­ tisans augmente, et ayant le plein controle sur certaines regions, et nour 6viter encore l’expansion de cette mutinerie aux autres regions, d’une part nous avons consolide, comme il a ete de notre devoir, les ordres que nous avons donnes k l’avance et nous avons pris soin de former encore d’autres d£tachements qui deja se mettent en route pour leur Doursuite et, d’autre part, craignant le mal que ce bandit peut faire au oavs et voyant que le nombre de ses partisans s’accroTt de jour en jour nous avons peur que le pays n’aura pas la force a tenir tete. Pour cette raison apr&s le devoir de soumission que nous devons n votre tres puissant Empire, avec le plus profond respect, nous vous demandons de nous indiquer le moyen le plus convenable pour dSfendre le oavs de ces bandits. . ,e Le 30 janvier.

— 4 —

Proclamation de Vladimiresco aux habitants de Bucarest.*

htoc cpi^neurs, honorables marchands et a tous les J } UX, de la vme de E are st, Strangers et du pays. v a" ! i Assurfrnent vous avez entendu et appris les questions con- FrSres ! Ass sarde, de ce Pays Roumain ! De la justice cernant le peuP , q_ receviQns de tout temps par la grace et la mis§- Hcorieede nos diffirents maitres pulssants. . ricorae u ^ ^ raison de runion deg seigneurs du Mais apres u . nQUS 6taient envoyes p£riodiquement elle fut Pays avec t e P compietement parce que les seigneurs n’avaient en suppnniee et a° oersonnels, comme vous savez, et ils n’acceptent vue r . ™ 7 L S S o n de la justice. pas du tout ^ rassemblement du peuple, plus de 16.000 A cause de ce ’ occup(s ies cinq d6partements au-dela de l’Olt, etant assembles, ay Valachie et avanga avec succes jusqu’i Pitesti et entra dans la grana composee d’un nombre important d’hom- Rusii de Vede ; une a x pieds des m0ntagnes et dont le centre mes, est avan, f FJ“ sqani Mais le corps le plus important est arrive arrivera jusqua ro^ Dieu % Bolintin, et une partie de celui-ci fut aujourd’hui, de \a ville, au monastere de Cotroceni et une

—— ------» .-nn p-recque contemporaine publiee par Photeinos, 0,‘JSS* St. Sft P7^ dap — 222 — autre & la Ciorogirla princiere ; tous ces corps se dirigent directement vers Bucarest, ou doit avoir lieu la reunion du peuple du Pays, grands et petits ; ils y resteront jusqu’a ce que vienne l’homnie de confiance, envoye par le puissant Empire pour examiner leur 6tat pitoyable et donner a chacun son dtl, ritablir Ie droit. Au sujet de ce mouvement je vous ai ecrit deja le 8 de ce mois, vous avisant de preparer d’une part les logements necessaires et, d’autre part, d’envoyer de tous les corps de metier un homme muni de certificat 6crit pour notre verification, mais jusqu’ii present, a ma connaissance, vous n’avez rien accompli. Maintenant, arrive par la grace de Dieu aux abords de votre ville, par devoir chretien je conseille fraternellement de nouveau que vous me r£pondiez par £crit avec les signatures de tous les corps de metier, du clerge et du peuple en general. Hommes de guerre, de quelque reli­ gion et nationality que vous soyiez, se trouvant a Bucarest et vivant de cette province Nous desirons savoir si vous etes, oui ou non, d’accord et unis avec le corps des Chretiens qui n’a pour seul but que le bien general car ceux-ci seront appeles patriotes tandis que ceux qui restent separes ou opposes au bien general seront presumes etre ennemis de la patrie. Sachez aussi ceci, que je vous certifie que tous ceux qui s’uniront a la foule, seigneurs ou hommes d’armes, ou de n’importe quel rang, et suivront de la meme fagon et en tout ses mouvements, n’auront jamais de raison de s’en repentir, tandis que ceux qui agiront differemment auront leurs noms effaces eternellement. Theodore 1821, 16 mars

/■» — 5 —

Proclamation de Vladimiresco aux Valaques. 5

A tous les habitants des bourgs et villages de ...6 de chaque ordre, c’est-a-dire Niamoura, Postelniceli, Manzili, Breslasi, Rubtasi, Birnix, Socotelnici, Poslusnici et Slujetori7 et a tous les Birnici strangers du meme d£partement. Les faits, jusqu’& present, de mon mouvement sont connus de tou3, c’est-a-dire qu’avec la voix du peuple victime d’injustice, je continue et poursuis la reacquisition des droits. J’ai decide, en ma quality de bon patriote de ce pays orthodoxe Valaque, pays de mes ai'eux, de devenir le timonier de tous ceux qui ont pris les armes au nom de tout le peuple pour l’abolition et la cessation de la spoliation et de

5 D’apres la traduction grecque contemporaine publide par Philimon, op. cit., vol. II, pp. 299-301 et le texte roumain d’Otetea et al., op. cit., vol. I, pp. 385- 387. o Le nom du d6partement 6tait rajoutd. 7 Classes sociales. — 223 —

l’injustice dont jusqu’4 present vous souffrez 4 cause de ceux qui ont occup6 le poste des princes r£gnants et qui, sans pitie, se sont adonnis a diverses tSches par plusieurs moyens et ont absorbs votre sang et jet6 devant ce grand precipice et cette mSprisable situation dans laquelle vous vous trouvez aujourd’hui. Mais mon desir le plus fonda- mental est, conformement aussi a la voix du peuple, de ne cesser d’aucune fagon d’exiger les droits du Pays lesquels, meme si je ne les verrai pas obtenus pour les raisons jusqu’4 present connues, je m’engage de toute mon ame de les obtenir par le sang de n’importe quel ennemi qui serait prouve mfiprisant ces droits et dont vous les premiers aurez la jouissance. Pour notre chere patrie jusqu’4 present Dieu nous est venu en aide ; non seulement on voit les cinq departements au-dela de l’Olt sauv6s des abus et des spoliations commis par les traitres timoniers et diff£- rents ministres mais 14 ou nous sommes parvenus, nous et nos procla­ mations, ont cesse les sSvices des spoliateurs. Ainsi, arrive ici, dans cette ville de Bucarest qui est le siege du gouvernement du peuple, et y ayant trouve plusieurs seigneurs patriotes dont les bons sentiments s accordent avec ceux du peuple, j ’ai decide de faire connaitre l’oppor- tun pouvoir du Pays et tous ceux qui ont pris les armes pour la liberty devront respecter les croyances et les coutumes locales que 1 autorite leur fera connattre par moi qui devra juger si elles sont profitables 4 la patrie et necessaires pour l’ensemble du peuple; car sans connattre une autorite il est naturellement impossible, et je dirais m§me desastreux, pour la realisation des besoins de ce salutaire mou­ vement. Sur ce je vous fais savoir, mes freres du Pays, qu’il est con- ie necessaire de connaitre cette autorite qui a des tentacules s tendant tout autour de la Principaute et est repr6sentee dans ce departement paries seigneurs ispravnics, nommes d’ici-meme, et aux- ques sont soumis les habitants de ce departement qui doivent obeir k .|! ?.r res 5Va. sont conformes 4 la connaissance generate des 6 ^comprehension de celles des armees qui doivent des lVnsfmhiA Hi!” m re ®n. roarche pour la reacquisition des droits de mmivpmpnt ,v>.?eU5le’ . donc comprenant le sens de ce salutaire rnntm 1pc mno X- Yous qui ^tes dignes de porter les armes . mis des droits du Pays venez 4 moi pour que j’examine rPMY^ P ’ers vos exPl°its et si je les trouve conformes en tout 4 ■ ' comme cela se doit je vous recevrai de suite et je vous mon- vou

] ier. Pareillement vous les Birnics donnez le reste — 224 — des impots imposes jusqu’a maintenant par l’autorite, c’est-a-dire au compte de la Tresorerie des mois fevrier-mars par 18 piastres pour la capitation et les deux mois de salaires pour ces memes mois par douze piastres et demi par mois et les taxes extraordinaires des postes du printemps par dix-sept piastres et demi par impot de capitation. Et tous, de tout rang et de tout grade, travailiez pour ces armees sau- veurs du Pays de quelque maniere que soient ordonnees les requisitions et le transport des approvisionnements necessaires et des autres vivres et soyez certains que plus tard vous jouirez des fruits de votre bonheur. Ceux d’entre vous qui etes k present soldats pour la liberte et vous trouvez sous ces obligations de payement, sachez que vous en etes exempts et privilegi£s ; vous, les paysans, vous serez exemptes de la capitation avec ses contributions proportionnelles, car l’autorite du Pays a donne ordre 1^-dessus par la Tresorerie aux seigneurs isprav- nics des departements. Le meme ordre sera tenu exactement de la meme maniere pour les soldats qui se rassembleront des villages par un avertissement de moi- meme ou de ceux que j ’ai designe. Et alors, quand vous aurez donne le peu qui reste par les saptsi des places aux seigneurs ispravnics du departement selon l’ordre, et ceux-ci auront regie les comptes du Pays avec la Tresorerie pour les besoins du salut, sachez sans aucun doute que vous serez grandement soulages non seulement pour le payement des taxes douanieres mais aussi pour tous les autres impots et taxes extraordinaires, que les spoliations et abus seront completement abolis et vous vous sentirez deiivres de l’esclavage auquel vous etiez jusqu’ici assujettis. Suivez done tous cette proclamation expressement envoyee pour vous pour qu’elle soit lue et connue de tous et soyez certains que vous ne resterez pas sans recouvrir vos droits. Salut.

Sl[udjer] Theodore Vladimiresco. 1821, mars 20 APPENDICE «D »

DOCUMENTS- CONCERNANT L'INSURRECTION D'ALEXANDRE YPSILANTI

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Proclamation aux Moldaves1

Habitants de la Moldavie. Je porte & votre connaissance que toute la Grace a bris£ auiour d’hui avec 1 aide et la misericorde divine les liens du joug tyranniaue' r£clam antlesdroits qui lui appartiennent, et je vais’S c ^ S Z : patnotes 1 k ou la voix du peuple de ma patrie m’appelle. Je vous promets, tant de ma part que de la part de ce iiv rt* compatnotes qui se trouvent ici et que j ’ai l’honneur de commander sicurite et la garant.e que vous jouisserez d’une tranquillity narfafte et d’une s£curit6 pour vos personnes et vos biens. partaite Chacun peut done rester chez soi et vaquer a ses affair « . sonne ne devra | tr e anxieux au sujet des mouvements que i S L ’uterai parce que le gouvernement et l’administration de cette PriLs™, ? ? teront inchang*s et les lois en vigueur jusqu’ici . ""f°ipa? 6 res‘ dorinavant. 8 Jusqu ,CI ,e resteront aussi Je vous assure en toute conscience aue la P m ,,^ a donne en la personne du Prince Michel Snntm l l1.06 divine vous un dfifenseur des droits de votre patrie un ni a* ment r6gnant, bienveillant. Patne’ un P*re et un administrateur Sachez que Son Altesse est digne de ces m,aii+Ao done avec Son Altesse afin de concourir k la detent h ’k un‘ssez~vous ral; si quelques Turcs d£sesp£r£s oseraient m S f * onheur g6n6~ terre, ne vous effrayez pas car une grand* n,,-6 P SUr votre punir cette insolence. puissance est prete a

Jassy, le 23 fevrier 1821. Alexandre Ypsilanti.

p p . ' , ? ® Phrant“ S' ^ Mote. vol. — 226 —

— 2 —

Proclamation aux Grecs des Principautes. 2

Hellenes qui vous trouve-z en Moldavie et en Valachie ! Voici qu’apres tant de siecles de souffrances le phenix de la Gr£ce d£ploie majestueusement ses ailes et invite sous son ombre ses vrais et loyaux enfants ! Voici notre ch6re patrie la Gr£ce qui diploie triom- phalement ses bannieres ancestrales ! La Moree, 1’Epire, la Thessalie, la Serbie, la Bulgarie, les lies de l’Archipel, en un mot toute la Gr£ce a pris les armes pour se d£barrasser du lourd joug des barbares, se fiant k la seule arme victorieuse des Orthodoxes, j ’entends la Sainte Croix vivifiante, sous la protection d’une grande et vigoureuse puis­ sance, et clame k haute voix : « En ce signe nous vainquons ! Vive la liberte ! » Dans ces deux provinces qui nous sont amicales se forme un corps nombreux de compatriotes courageux pour accourir au so! sacre de notre chere patrie. Ceux qui souhaitent done d’etre nomni6s sauveurs de la Gr£ce et qui sont disperses dans divers cadiliks, qu’ils accourent aux chemins d’ou ils entendent que ce corps passe, afin de s’unir avec leurs camarades. Mais que ceux des vrais Hellenes, capables de manier les armes et qui cependant restent indiff£rents, sachent qu’ils vont attirer sur eux Ie grand d6shonneur et que la patrie les consid6rera comme etant des batards et indignes du nom helienique. Jassy, le 24 fivrier 1821 Alexandre Ypsilanti Lieutenant general de l'ArchS

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Proclamation aux Grecs.3

Combats pour la Foi et la Patrie ! L’heure est venue, o Hellenes ! Les peuples d’Europe en luttant pour leurs propres droits et leur liberte nous invitent depuis longtemps a les imiter. Etant neanmoins presque libres ils ont pourtant tendu de toutes leurs forces k augmenter leur liberty et par 1 k leur prosperity g£n£rale. Nos Mres et amis sont prets partout. Les Serbes, les Souliotes et toute l’Epire nous attendent les armes & la main. Rassemblons-nous avec enthousiasme 1 La Patrie nous appelle. L’Europe nous regarde et s'etonne dej& de notre immobilite. Que les

2 D’apres Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. II, pp. 85-86. 3 D’aprfes Philimon, op. cit., vol. II, pp. 79-82. — 227 — montagnes de la Grece retentissent du son de nos trompettes guer- riferes et que les valines r^sonnent du bruit effroyable de nos armes! L’Europe admirera nos hauts faits et nos tyrans s’enfuiront devant nous, blemes et tremblants. Les peuples 6clair6s de PEurope s’occupent de la restauration de leur feiicite et, pleins de reconnaissance pour les bienfaits de nos ancetres envers eux, souhaitent la liberte de la Grece. Dignes des vertus de nos ancetres et des temps presents, nous gar- dons tout espoir d’obtenir leur protection et leur aide. Beaucoup d’amis de la liberte viendront de chez eux pour lutter avec nous. Donc, mettez- vous en mouvement, amis, et aussitdt veus verrez apparattre une grande puissance protectrice de nos droits ! Vous verrez m§me beaucoup de nos ennemis se convaincre de la justice de notre cause, tourner le dos k l’ennemi et s’unir k nous. Ils peuvent se montrer en toute fran­ chise ; la Patrie les accueillera dans son sein. Qui donc retient vos bras virils ? Notre ennemi effemine et faible est sans forces; nos chefs experimentes et tous nos compatriotes sont pleins d’ardeur. Unissez- vous, braves Hellenes au grand coeur! Que des corps armes nationaux soient formes et des legions de patriotes creees et alors vous verrez en face de nos drapeaux victorieux s’effondrer de lui-meme les vieux colosses du despotisme. Toutes les cdtes. de la mer Ionienne et de la mer Egee resonneront du son de nos clairons; les navires grecs qui en temps de paix s’occupent du commerce et de la guerre repan- dront avec le feu et le sabre l’effroi et la mort dans tous les ports du tyran. Quel cceur grec restera indifferent k l’appel de la Patrie? A Rome un ami de Cesar en soulevant la toge du tyran souleva le peu­ p le 4. Vous, Grec© k qui la Patrie nue montre ses plaies b6antes et implore k voix brisee l’aide pour ses enfants, que ferez-vous? Amis compatriotes, la Providence divine, ayant pris en pitie notre malheur, a determine les choses de telle fa?on que sans grande peine nous pourrons obtenir la liberte et, avec elle, toute feiicite. Si donc nous restons miserablement indifferents la fureur du tyran augmentera, il multipliera nos souffrances et fera pour toujours de nous le plus malheureux de tous les peuples. Tournez vos regards, mes compatriotes, vers notre etat lamentable! Voyez, ici nos eglises profanees, Ik nos enfants voles et livres de la fa?on la plus odieuse k la volupte impudique de nos tyrans barbares; nos maisons videes, nos champs devastes et nous-memes reduits k Petat de miserables esclaves! II est temps de secouer ce joug insupportable, de liberer la Patrie, de precipiter des nues le Croissant et de dresser le signe qui nous a

4 Allusion k la tragSdie voltairienne La mort de Cesar. Cette pifcce fut iou^s pour l’mauguration du theatre grec de Bucarest et avait eu un tres grand succes (Camanano, Spintul revolutionar francez si in limba greaca si romdna, p. 116). 1

— 228 — toujours donne la victoire, je veux dire la Croix, et de vender la Patrie et notre religion orthodoxe du in£pris impie de ces athees. Parmi nous est consider^ comme etant le plus noble celui qui defend les droits de la Patrie de la maniere la plus courageuse et la sert le plus utilement. La nation r£unie devra elire ses deputes et toutes nos actions devront etre subordonnees a ce Conseil Supreme. Agissons done tous ensemble avec une idee commune ! Que les riches offrent une partie de leur propre fortune ; que les pasteurs spi- rituels animent le peuple par leur exemple et que les savants conseillent des choses pratiques ; que nos compatriotes qui servent dans l’armee ou dans l’administration aupres des Cours etrangeres demissionnent du service de la puissance qui les emploie et que tous accourent a la grande et brillante carriere desormais ouverte et payent k la Patrie le tribut dQ. En tant qu’hommes braves, armons-nous sans tarder des armes invincibles du courage et je vous promets, k breve echeance, la victoire et, avec elle, tous les biens. Comment des mercenaires et de laches esclaves auraient-ils l’audace de s’opposer & un peuple qui lutte pour sa propre independance ? Les combats heroiques de nos ancetres temoignent pour nous. L’Espagne est un exemple qui, la premiere et toute seule, detruisit les cohortes invincibles d’un tyran. Mes concitoyens, c’est par notre unite, notre respect de la religion sacree, notre soumission aux lois, notre courage et notre perseverance que la victoire sera assume sans defaut ; elle couronnera nos efforts heroiques de lauriers eternellement verts ; elle inscrira nos noms avec des lettres ineffagables comme exemples aux generations futures dans le temple de l’immortalite. La Patrie recompenses ses veritables enfants obeissants avec gloire et honneur ; par contre ceux qui restent desobeissants et sourds a son present appel seron* declares par la Patrie des produits asiatiques batards et leurs noms, comme ceux d’autres trattres, seront livres a 1’anatheme et a la malediction des generations futures. Braves Hellenes au grand coeur, ramenons la liberte sur le s 1 classique de la Grece ! Combattons entre Marathon et les Thermo pyles ! Combattons sur les tombeaux de nos peres qui pour permettre d’etre libres, lutterent la-bas et tomberent' Le sane tyrans est agreable k l’ombre du Thebain Epaminondas et de l’Atir nien Thrasybule qui renversa les 30 tyrans ; il est agreable aux o m h l d’Harmodius et Aristogeiton qui briserent le joug de P is k w - ■ l’ombre de Timoieon qui retablit la liberte k Corinthe et a SvrJ ’ 3 et encore a l’ombre d’un Miltiade, Themistocle, Leonidas'et qui battaient tant de fois les innombrables armees des Per JL h i dont il S’agit aujourd’hui de dStruire avec peu de neine T ^ ares barbares et liches. s descendants Aux armes done, amis, la patrie nous appelle. Alexandre Ypsilanti. Au quartier-gen6ral de Jassy le 24 fevrier 1821 — 229 —

— 4 —

Lettre d’Ypsilanti au Tsar Alexandre I*r.6

Sire, Les impulsions g£n6reuses des nations viennent de Dieu et c’est par une inspiration divine sans doute, que les Grecs se tevent en masse aujourd’hui pour secouer le joug affreux qui pise sur eux depuis quatre siicles. Mes devoirs envers ma patrie et les dernteres volontes de mon p£re, m’ordonnent impirieusement de me divouer avec mes freres k une cause aussi juste, k la dilivrance de mon pays. Sire ! plus de deux cents adresses sign£es par plus de six cent mille noms de notables de toutes les classes et provinces de la Grice m’ap- pellent k aller me mettre k leur tete pour vaincre ou mourir avec eux. C’est le serment que nous avons tous fait et que nous saurons tenir inviolablement. Je me crois obligi de tracer ici succinctement la mantere dont les Grecs sont parvenus au point d’oii ils partent aujourd’hui. II y a quel­ ques annSes qu’une soctete secrete et ayant pour seul but la dSlivrance de la Grice s’est formie dans son sein. Elle s’accrut rapidement et ses ramifications s’Stendent aujourd’hui dans toutes les parties du monde oil il y a des Grecs. La divine providence qui protege les causes justes daigna jeter un regard de compassion sur ma malheureuse patrie et fascina les yeux de ses tyrans. Ils resterent dans la plus complete apathie m algri les avertissements r£iter£s des Anglais, et malgrS l’es­ prit d’indSpendance des Grecs qui se manifestait fortement. La politique *iu Sultan actuel, d’exterminer tous les Pachas qui avaient de la force en Rumelie, releva le courage des Grecs, et la guerre contre Ali-Pacha de Janina mit le comble k leur enthousiasme. Dans ce moment les capitaines de l’Epire battent les armies du Sultan, les Souliotes, les Parganiotes rentrent dans leur patrie pour se declarer libres ; toutes les montagnes de la Grice se peuplent de difenseurs intrepides de la liberte, la Morie et l’Archipel se meuvent; l’tle de Crite s’insurge ; la Serbie, la Bulgarie, la Thrace et la Macedoine courent aux armes ; la Valachie et la Moldavie se soulivent, et les Turcs effrayis gisent k Constantinople meme sur un volcan pret k les engloutir. Tel est, Sire, I’itat des choses dans la Grice aujourd’hui. J ’ose assurer V. M. I. qu’aucune puissance humaine ne pourrait arreter cet ila n ginireux des Grecs, et que la resistance au voeu giniral de la nation ne peut que la perdre pour toujours, tandis qu’en guidant son enthousiasme on doit esperer de la sauver. Abandonnerez-Vous, Sire, les Grecs k eux-memes, lorsque d’un mot Vous pouvez les dilivrer de la plus monstrueuse tyrannie et les sauver

5 D’aprfcs Prokesch-Osten, Geschichte des Abfalls der Griechen, vol. Ill, pp. 61-62. — 230 —

des horreurs d’une lutte longue et terrible ? La divine providence pro- tegera sans doute notre cause si juste, aussi tout nous dit que c’est Vous, Sire, qu’elle a choisi pour mettre fin a nos longues souffrances. Ne dedaignez pas, Sire, les pri£res de dix millions de Chretiens qui fiddles a notre Divin R£dempteur excitent par la meme la haine de leurs tyrans. Sauvez-nous, Sire, sauvez la religion de ses pers£cuteurs, rendez-nous nos temples et nos autels d’oii la lumiere divine de l’Evan- gile vint eclairer la grande nation que Vous gouvernez. D61ivrez-nous, Sire 1 Purgez l’Europe de ces monstres sanguinaires, et daignez ajouter a tous les grands noms que la reconnaissance Europ£enne Vous donne d6j& celui de lib£rateur de la Gr£ce. C’est avec la plus profonde confiance dans la magnanimite de V. M. I. que j’ose implorer Votre protection pour ma in£re, tous mes autres parents, et pour les families des Grecs qui se sont devoues a leur patrie. Je jure ici par l’honneur qu’aucun de mes parents ne con­ naissait mes projets. J’ose esperer que V. M. I. daignera ordonner, que les officiers Grecs qui voudront quitter le service de la Russie pour se d£vouer a celui de leur patrie, n’eprouvent aucune difficult^ pour l’obtenir. Moi et mes freres nous demandons tr£s humblement notre demission du service de V. M. I. Dans toutes les circonstances de notre vie notre ddvouement & Votre personne, Sire, sera sans borens. Je suis, Sire, avec le plus profond respect,

de V.M. I. le tres humble et tres ob£issant serviteur Alexandre Ypsilanti Jassy le 24 F6vrier 1821.

— 5 —

Lettre de Capodistrias a Ypsilanti. 6

Laybach 26 Mars 1821 Mon Prince, En recevant Votre lettre du 24 F£vrier, l’Empereur a eprouve une peine d’autant plus profonde, qu’il avoit toujours appreci£ la noblesse des sentiments dont Vous aviez fait preuve a Son service Sa Maieste Imperiale etait done bien loin de craindre que Vous dussiez tout a coup Vous kisser entramer par cet esprit de vertige qui porte les hommes de notre sitcle h chercher dans 1’oubli de leurs premiers devoirs, un bien qu’on ne peut jamais se promettre que d’une stricte observation des pr6ceptes de la religion et de la morale.

8 D ’apres Prokesch-Osten, op. cit., vol. Ill, pp. 65-67. — 231 —

L’eclat de Votre naissance, la carriere que Vous avez fournie, la juste consideration que Vous Vous etes acquise, tout Vous offroit l’oc- casion et les moyens d’eclairer sur leurs v£ritables interets les notables de la Grece qui Vous temoignoient une si naturelle confiance. Sans doute il est dans 1’homme de desirer l’am£lioration de son sort, sans doute, plus d’une circonstance inspire aux Grecs le voeu de ne pas toujours rester etrangers k leurs propres destinies ; mais est-ce par la rSvolte et la guerre civile qu’ils peuvent se flatter d’atteindre ce but Eminent? Est-ce par d’obscures menees, par de tenebreux complots qu’une nation peut espdrer de revivre et de s’61ever au rang des nations ind£pendantes ? L’Empereur ne le pense pas. II s’etoit empresse d’as- surer aux Grecs Sa protection par les tra ils qui ont £t£ conclus entre la Russie et la Porte. Aujourd’hui ces avantages paisibles sont mecon- nus, les voies lSgitimes abandonnees, et Vous semblez vouloir attacher Votre nom k des <§v£nemens qui ne peuvent qu’etre hautement improu- ves par Sa Majesty Imperiale. La Russie est en paix avec l’Empire Ottoman. L’insurrection qui a 6clat6 en Moldavie, ne sauroit justifier, a aucun titre, une rupture entre les deux Etats. Or, ce seroit rompre avec le Gouvernement Turc, ce seroit agir hostilement contre lui, ce seroit en un mot manquer a la foi des Traitds, que de favoriser ne fut-ce que par un assentiment tacite, une rdvolte, dont l’objet est de renverser une Puissance avec laquelle la Russie a declare et declare avoir la ferine intention d’entre- tenir des rapports constans de paix et d’amiti£. D ’ailleurs quel moment avez-Vous choisi pour attaquer la Porte ? Le moment meme ou des negociations, tous les jours plus fertiles en resultats heureux, environnoient cette paix de garanties nouvelles. Le moment oil les reclamations de Votre famille alloient etre satisfaites, oil Vous saviez que le Sultan se pr£parait a Vous rendre une pleine et enti&re justice 1 Inform^ de ces circonstances et connoissant les maximes qui dirigeront toujours la politique de l’Empereur, comment avez-Vous pu Vous faire illusion sur les resolutions qu’Il devoit pren­ dre ? Comment avez-Vous os£ promettre aux habitants des Princi­ pautes, l’appui d’une grande Puissance ? Si c’est sur la Russie que Vous avez voulu fixer leurs regards, Vos compatriotes la verront immo­ bile et bientot leurs justes reproches viendront Vous accabler ; bientot Vous sentirez retomber sur Vous, de tout son poids, la responsabilite d’une entreprise, que des passions en dSlire pouvoient seules conseiller. Cependant il n’est jamais trop tard pour rendre hommage k la raison et k la v£rit6. Vous avez encore entre les mains le salut des homines 6gar6s qui Vous entourent. Vous pouvez leur faire reconnaitre les consequences de leur dessein et du Votre. Revenu de cet aveugle- ment funeste, Vous pouvez les soustraire et Vous derober Vous-meme k la vengeance d’un Gouvernement auquel des plus chers interets com- mandent de d6ployer contre Vous et contre eux, une tr£s juste s£v6rite.. Aucun secours direct ni indirect ne sauroit Vous etre accord^ par l’Empereur, car nous le r6p6tons, il seroit indigne de Lui de saper les — 232 — fondemens de l’Empire Turc par la honteuse et coupable action d’une societe secrete. S’ll avoit des griefs legitimes contre la Porte, et si la Porte refusoit d’y faire droit, si en un mot, l’emploi de la force des armes devenoit inevitable, ce seroit a cette force qu’Il auroit recours. Mais loin de la. Des relations toutes pacifiques se sont etablies entre les deux Puissances, et les negociations que leurs Ministres ont enta- mees, autorisent de jour en jour d’avantage, l’espoir du plus heureux succes. Pesez, mon Prince, les observations que l’Empereur Vous fait adresser, pour Vous donner une derniere preuve de Ses bontes. Profitez d’un salutaire avertissement. Reparez le mal que Vous avez d6j& fait. Prevenez les desastres que Vous allez attirer sur Votre belle et infor- tunee patrie. Si Vous nous indiquez les moyens de faire cesser les troubles, sans enfreindre les traites existans entre la Russie et la Porte Ottomane, sans porter la plus legere atteinte a aucune de leurs stipulations, l’Em- pereur ne refusera pas d’intervenir aupres du Gouvernement Turc, pour l’engager k prendre des mesures sages, qui puissent ramener en Vala­ chie et en Moldavie, le calme dont ces contrees eprouvent si imperieu- sement le besoin. Dans toute autre hypothese, la Russie ne sera que spectatrice des evenemens et les armees de l’Empereur ne bougeront pas. Vous n’etes plus ni Vous ni Vos freres au service de S. M. Imperiale. La Princesse Ypsilanti continuera neanmoins a jouir de Sa protection ; mais en ce qui Vous concerne personnellement, l’Empereur ne permettra dans aucune hypothese que vous rentriez en Russie. Cette lettre Vous parviendra par l’intermediaire de Mr. le Baron de Stroganoff, qui apres en avoir donne communication a la Porte, est autorise k Vous la transmettre. II y joindra des conseils que l’Empe- reur Vous exhorte encore une fois a suivre. Recevez, etc. Capodistrias.

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Proclamation aux Valaques. 7

Aux Daces. Daces 1 Aujourd’hui je quitte la terre benie de Moldavie et foule la terre de votre patrie bien-aimee ; le peuple de la Moldavie nous a re?us k bras ouverts et avec des larmes de joie ; je m’attends k voir aussi les nobles enfants de la Dacie avec de tels sentiments. Daces ! Marchant Ik ou la voix de ma patrie m’invite, je viens aussi vers vous en messager de votre independance politique et de votre

7 D’apres Phrantzis, op. cit., vol. I, pp. 180-182. — 233 — felicite. Pendant assez de siecles votre malheureuse patrie, courbant la nuque sous le joug inhumain du Despotisme monstrueux, avait perdu jusqu’aux debris de ses droits, tandis que la tyrannie de vos Princes avait emousse vos forces spirituelles et degrade ce caractere national par lequel vous avez pu garder votre ind£pendance politique pendant 1 antiquity et contenir pendant un temps considerable les attaques des ennemis mortels de l’humanite; l’heure enfin du regain de votre liberte a sonng. Une grande nation, grande par sa bravoure sans oareille court dans le brillant stade de sa liberte et elle n’est pas loin de rnois- sonner les fruits de ses luttes courageuses et glorieuses. Et vous qu attendez-vous encore? Quand trouverez-vous une meilleure occasion pour recouvrir vos droits sacrSs vioies depuis tant de siecles? II est done temps, amis Daces, de vous rSveiller, il est temps que vous sentiez et que vous demandiez ces droits naturels et politiques que la nature a donnds k l’hommeet que la societe politique doit defendre et assurer soyez sQrs que le temps es passe ou la voix du peuple etait peu enten- due par les puissants. Aujourd’hui nous voyons les chefs des nations eux-memes rendre volontairement les droits nationaux appartenant aux peuples et satisfaire avec ceiente leurs desirs raisonnables Daces! Au moment oi. je penetre sur le territoire de votre chfcre patrie mes premiers soins seront de garder cet ordre militaire qu’une nation ammSe par les ideaux courageux de la liberte doit garder ^e suis sQr que vous aussi nous ferez cette reception t r ^ 1 des hommes Iuttant pour la liberte commune courtoise due k Jassy le ... mars 1821 Alexandre Ypsilanti o — 7 —

Proclamation aux Boyards rijugiis a Brasov 8

DiffSrents propos ont ete rendus publics jusqu’a ce jour qui me presentent sous les plus sombres couleurs comme mu par l’interet per­ sonnel et la vanite. Je me taisais, croyant que la tranquillite de ma conscience et les bons sentiments de mes freres compatriotes envers moi parlaient assez pour moi. Si maintenant je me decide k parler mon intention n’est pas de faire taire les bavardages des ennemis de la nation et de l’humanite, mais d’exposer mes seuls et veritables senti­ ments aux nobles enfants de la Dacie, au moment ou leur chere Patrie se trouve au point critique ou de ne plus jamais trouver le chemin de la feiicite ou d’apparattre glorieuse et de compter parmi le nombre des peuples civilises d’Europe.

8 D’apres CEconomidis, / en Moldovlachia Helliniki Epanastasis tou 1821 dans le Bulletin de la Sociiti Historique et Ethnique de Grice, vol. XI, 1956 pp. 149-151.

16 — 234 —

La province de la Dacie habitde aujourd’hui par presque un million d’habitants nourrit en son sein un grand nombre de sujets Grangers de la dynastie ottomane. Ces etrangers, que la conduite tyrannique des dirigeants eioigna de leur ch£re patrie, se refugi£rent dans un pays voisin hospitalier ou ils pouvaient plus facilement gagner leur vie et pleurer leur eioignement de la m£re-patrie. Qui pouvait douter que de tels homines pourchasses, exiles, eloignes de leurs parents et amis et divises en petites unites sous le comman- dement d’un chef et m£ditant vengeance contre l’odieuse tyrannie des dirigeants, pris d’enthousiasme au premier signe de liberty, n’auraient pris les armes pour tirer vengeance de la cruaute inhumaine des tyrans ? Le desir de mes compatriotes et le caractere sacre de nos droits me conduisirent ainsi que les miens jusqu’aux portes de la capitale de la Dacie ; d£j& nous n’attendons que l’instant desire pour fouler le sol de notre ch£re patrie ; le moment approche ; pouvons-nous cependant ne pas souhaiter de tout coeur et en toute sincerity tous les biens a la terre hospitali£re, qui a secouru et nourri et au besoin d£fendu plusieurs d’entre nous, s’offrant comme asile ? Quel autre plus grand bonheur pourrons-nous vous souhaiter ? e’est-^-dire le seul et veritable qui est de jouir d’un bon gouvernement et de la civilisation, celui, dis-je, pour la puissance duquel nous courons au sacrifice ? Mais pour elever un edifice politique il est necessaire d’avoir des fondements solides et inebranlables bases sur I’exact maintien de la morale de 1’Evangile. Ces fondements, chers Daces, que ceux d’entre vous qui etes desireux du bonheur et de la gloire de votre patrie, t3chez aujourd’hui d’eiever. Voici quels sont, a mon avis, les fonde­ ments sur lesquels doit etre base votre future legislation politique pour que luise un jour pour vous l’astre lumineux du bonheur dace de votre patrie. Le pouvoir supreme de la province dace devrait toujours etre confie aux mains d’un homme du pays et jamais k un etranger. Le pouvoir legislatif devrait etre separe du pouvoir executif ou etre confie k un ou deux corps legislatifs constitues par les differentes classes du regime dace. Le pouvoir [judiciaire] 8 dace devrait etre independant des deux autres, du legislatif et de l’executif. Les eveques nationaux devraient etre eius par toutes les classes des citoyens. Les impots ne devraient pas etre pergus a l’insu des deiegues de la nation. Le prince devrait recevoir un traitement annuel fixe et etre consider comme Ie premier citoyen de la province.

9 Ce mot est omis dans le texte original. — 235 —

Des ecoles devraient Stre fondles d’enseignement niutuel pour les enfants de tous les citoyens. Une armee regultere devrait etre organis£e pour veiller a la s£curite de la province. Ceci est mon avis personnel. Le patriotisme, l’exp6rience et votre connaissance des affaires locales suppleeront, apporteront ou enteveront ce que vous jugerez le plus convenable aux dispositions, d£sirs, us et coutuines de la nation. Alexandre Ypsilanti. Le 10 avril, Tirgoviste APPENDICE «E»

PROCLAMATIONS REVOLUTIONNAIRES GRECQUES

Proclamation des Hydriotes 1

Au nom de Dieu Tout-Puissant, La nation grecque, fatigu£e de g^rnir sous Ie cruel joug qui l’op- prime avec ignominie depuis quatre siecles environ, court par un mou­ vement general et unanime aux armes, pour briser les chatnes pesantes dont l’accablent les barbares Mahometans. Le nom sacrd de la liberty retentit dans toutes les parties de la Grece, et chaque coeur helienique brule du desir de recouvrer ce precieux don de Dieu, ou de perir en combattant pour son acquisition. Les habitants de l’ile d’Hydra ne veulent pas se montrer les moins ardents dans ce noble combat, mais, meprisant tout danger, pour ter- rasser leurs tyrans, ils vont se servir de 1’unique moyen que leur offre la nature de leur position. Nous, chefs composant le gouvernement de cette tie, Accordons & Jacques Tombazis, fils de Nicolas, capitaine du bati- ment Le Themistocle, de seize canons, le pouvoir d’aller avec ce batiment et les batiments de guerre pavillonnes avec le pavilion helie- nien (sic) partout ou il jugera utile et necessaire a la commune entre- prise, et d’executer contre les forces ottomanes, par mer et par terre tout ce qui est permis dans une guerre legitime, jusqu’& ce que la liberte et l’independance de la nation grecque soient affermies sur lIne base solide. Nous prions les commandants des forces maritijnes et dp w h chaque puissance europeenne non seulement de n’annortpr ! obstacle a ce batiment et 4 1’execution de sa m U ^ m t dTTui donner toute assistance et defense permises par leur neutralise C’es ce que nous esperons de la generosite des nations civilisees ■ car ce serait leur faire outrage, que de douter un seul moment de leurs dispo­ sitions en faveur d’une entre prise que nous executons pour les droits de l’humanite.

1 D’apres Agrati, Precis des operations de la flotte helienique, pp. 11-13. — 237 —

Les descendants de ces hommes illustres, qui par leurs grandes vertus ont honors le genre humain et ont dclaire le monde, combattent pour la liberty et marchent contre les tyrans, descendants barbares du barbare Osman, destructeurs des sciences et des arts, ennemis de la sainte religion de jesus-Christ. Qui serait done assez inhumain, dans une circonstance si terrible, pour vouloir nous nuire et pas nous accom- pagner de ses voeux ? Donne dans la chancellerie de File d’Hydra, le 16 avril 1821.

Signe : Les habitants de File d’Hydra

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Proclamation des Hydriotes aux Insulaires Catholiques. 2

Aux Chretiens Occidentaux Chretiens de FEglise Occidentale, Notre Seigneur Jesus-Christ nous apprend et nous ordonne d’aimer notre prochain. Qui est plus notre prochain que nos conationaux, de quelque religion qu’ils soient, unis par les memes int£rets, desquels dependent les memes interets parti- culiers, unis par Famour de la meme nation, de la meme patrie ? Nous, les Chretiens orientaux et occidentaux, sommes unis par la meme tres Sainte Croix sur laquelle Notre Seigneur divin et humain a etendu ses saintes mains. Soulevez-vous done d’accord avec vos freres orientaux. Le meme soleil passe par FOrient et FOccident et les contient. Et vous et nous sommes des fre&es chretiens et conationaux. Marchons tous sous le meme drapeau avec le meme esprit ! Commune la liberte, communs les biens de la liberte. Montrez h toutes les nations edairees qu’a la voix de la patrie commune vous vous etes montres des enfants loyaux. Que vos noms soient unis avec les notres dans Fhistoire des nations. Hydra, le 18 avril 1821 Les habitants de File d’Hydra

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Proclamation des Hydriotes aux Insulaires de VArchipel. 3

Hellenes genereux, enfants de la liberte, nos larmes ont cesse de couler. Les siecles d’injustice, d’injure et d’opprobe que nous avons endures, sont accomplis. Le Redempteur a daigne abaisser ses regards

2 D’apres Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. Ill, pp. 113-114. Po«qiieviIle, Histoire de la Regeneration de la Grece, vol. II, pp. 480-481. — 238 — sur son peuple. Le Dieu vivant a souffle dans tous les cceurs l’enthou- siasme brQlant de sa vengeance contre nos tyrans impies ! Suivi de myriades de Chretiens souleves k sa voix, dej& le prince Alexandre Ypsilanti s’avance, k pas de geant, des bords du Danube contre Cons­ tantinople, afin de renverser de fond en comble le repaire de nos oppresseurs. Le Peioponnese, la Hellade entiere, ont proclame l’inde- pendance, et la Croix triomphe maintenant dans ces contrees. Levez- vous donc, religieuse posterity de nos braves ancetres, insulaires, peu­ ples du continent, qui gemissez dans les fers, courez aux armes. La liberte vous appelle, montez sur vos vaisseaux, reunissez-vous aux escadres d’Hydra, de Spetzai et de Psara, qui s’avancent pour delivrer l’Archipel. Descendants de Miltiade et de Themistocle, paraissez, mon- trez-vous dignes de vos destinees, nous combattons pour la religion et la patrie. Rappelez-vous ce que vous avez endur£ de la part des Turcs, et le sort qui vous attend s’il vous surprend desarmes. Ne regrettez aucun sacrifice, car c’est votre vie meme qu’il faut defendre... que dis-je? il s’agit du salut de vos ames, que vous devez rendre pures k PEternel en mourant pour la plus juste des causes ; car celui qui refuserait de l’embrasser serait en horreur aux siens, maudit et abominable dans la posterite. Levez-vous donc, marchez, £crasez vos tyrans, et conqu£rez I’ind6pendance, objet de vos vceux. Que la presente proclamation soit r£pandue en tous lieux par notre flotte.

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Proclamation des Hydriotes aux Chiotes.4

Habitants de Chios, la nation grecque vient de s’armer pour la cause de la liberte. Le mouvement est general, et appuy£ sur des bases inSbranlables. Le P61oponn£se a relance et renferme ses tyrans dans leurs places fortes, ou ils se sont retires epouvantes et sans approvi- sionnements. Les villes de Corinthe, de Monembasie, de Tripolitsa, de ThSbes, d’Ath£nes, de Livadie, de Salone, ainsi que les iles d’Egine et de Paros, sont bloquees. La Hellade et les Cyclades ont arbore le pavilion de l’independance : il flotte aux mats des escadres combines d’Hydra, de Spetzai et de Psara. Une partie de nos vaisseaux croise a l’entree des Dardanelles pour fermer k nos tyrans l’entree de la mer EgSe ; d’autres ont fait voile pour attaquer les places maritimes du Peioponnese, ou pour veiller dans les mers de l’Archipel. Armes & nos depens, les navires des iles unies, qui tiennent la mer, ont besoin de votre assistance gen£reuse ; et nos freres ne pourraient, sans impi£t6, nous abandonner dans la lutte sacr£e que nous avons engage. Chios, plus opulente qu’aucune des autres iles, doit venir a notre secours.

4 D’apres Pouqueville, Histoire de la Regeneration de la Grece, vol. II, pp. 488-490. — 239 —

Elle a donne l’exemple de son amour pour la patrie, en rdpandant les lumidres dans la Hellade, et elle ne peut etre ytrang^re aux sentiments d’un noble affranchissement. Elle a connu, comme nous, l’injure, l’op- probre, l’humiliation. Comme nous, ses enfants sont tra ils d’esclaves et d’infid^Ies ! Ces insultes ne sont-elles comptyes pour rien, quand la liberte se pr£sente spontan6ment k cote de tant de siecles d’outrages ? La liberty notre liberty est ycrite au ciel et sur la terre, le jour de gloire est arrivy. S’il y avait parmi vous quelque crainte, contemplez notre flotte, reunissez vos efforts au courage de ses nautoniers. Vou- driez-vous rester l’yternelle proie de la tyrannie, quand les Hellenes vous convient de les assister proportionnellement a l’ytendue de vos moyens ? Moins fouiys que les habitants des autres ties, en etes-vous pour cela moins myprises des barbares ? Comptez les sommes qu’on vous arrache pour vivre tranquilles sous Ie joug. Comparez-les k ce que nous demandons de vous pour acquyrir l’indypendance. Ryunissez- vous done promptement sous nos drapeaux. Nos biens, notre vie, nos richesses, nous les sacrifions pour votre affranchissement ; la force, nous la dyploierons, meme sans votre concours. Mais, non, vous allez vous rendre aux voeux de vos freres, qui vous saluent et vous embras- sent en jysus-Christ.

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Proclamation aux Thessaliens. 5

Aux peuples de Zagora, de Pherai 6 et d’Aguia. Patriotes primats, marchands, capitaines, pretres, moines, artisans et agriculteurs. ° Nos freres, de la Moldovalachie jusqu’au cap Tynare et aux ties de l’Archipel, ont pris les armes et se sont soulevys contre le tyran san- guinaire. La Providence divine a permis que la nation grecque esclave se libyre. L’accomplissement des temps est arrivy. Partout nos compa- triotes sont sur pied de guerre. En Epire Ali pacha a proclamy la rebellion contre son ignoble maitre et est devenu l’alliy des Grecs. En Moree nos fryres triomphent continuellement et leurs victoires lllus- trent le nom grec. Dans l’Archipel les flottes de Psara, d’Hydra et de Spetzai ont mis en dyroute la flotte turque et dans quelques ports les conflits et les batailles non seulement furent gagnys par les Grecs mais meme une partie de la flotte turque fut dytruite par le feu. En Rou- myiie7 les capitaines d’un bout k l’autre portent la ruine aux Aga- rynes 8. A Athynes les Turcs se sont rendus et sur la ville sainte flotte

5 D’aprfes Cordatos, Historia tis neoteris Helladas, vol. II, PP- 250-252. ® Appellation antique de Velestino, patrie de Rhigas. 7 Ce terme est utilise ici dans sa signification grecque de Grece centrale. 8 Appellation byzantine des Arabes, utilis^e tr£s frequemment a cette epo­ que pour nommer les Turcs d’une maniere solennelle. — 240 —

Ie drapeau de la liberte. Le jour n’est pas loin ou Constantinople deviendra grecque et la Croix se dressera dans Sainte-Sophie. Freres ! En Europe les royaumes suivent avec angoisse le reveil de notre Nation et les peuples de l’Europe amassent des secours de toutes sortes pour aider la guerre pour la liberte hellenique. Nous savons de bonne source que la puissante Russie, de meme croyance que nous, va bientot aider avec sa flotte et son armee notre sainte cause. Tout va bien. Thessaliens et Magn£siens ! Prenons aussi les armes ! Nous ne devons pas rester sourds a l’appel de la Patrie. Qu’on entende Ie cri penetrant : « La Liberty ou la Mort ! » L’ombre de Rhigas le Thessalien qui, il y a peu de temps, sacrifia sa vie en veritable Grec et grand patriote pour la resurrection de notre nation, plane sur la Thessalie. Que sa marche militaire « jus- qu’a quand, o braves, nous faudra-t-il vivre en servitude » devienne le signal du soulevement dans la montagne de Zagora et toute la Thes­ salie Le grand Thessalien Rhigas reclame des habitants de Thessalie et de Magn6sie vengeance. Obeissons a ses injonctions nous rappelant ses paroles dories : « Mieux vaut une heure de vie libre que des annees de servitude et de prison. » Chers Chretiens et confreres ! L’Hetairie des Amis, Arche Supreme de la Nation Grecque, se trouve en bonnes mains. Le Prince Alexandre Ypsilanti, general et aide de camp du Tsar de Russie, qui est de meme croyance que nous, se trouve k la tete de la guerre sainte pour la regeneration hellenique. Freres ! N’oublions pas que la guerre exige des sacrifices, r.iais pour la foi, la liberte et la patrie nous devons tout sacrifier, richesse, bien-fonds et meme notre vie. Nous devons tout sacrifier pour la Patrie, parce que quand la Patrie sera Iib6r6e et nous vivrons dans le calme nous jouirons des biens de la prosperity et du progr£s. Nous paraitrons une Nation noble parmi les peuples de l’Europe et nos enfants nous seront reconnaissants de leur avoir laiss£ une patrie libre et I’histoire comm£morera a jamais nos exploits. Habitants de la Thessalie et de la Magnesie ! Si quelques-uns n’ont pas le courage et restent inertes dans leurs villages, tachez de les faire obeir aux ordres de la Nation, si, a Dieu ne plaise, ils n’ob£issent pas k l’appel de l’Arche Supreme et ne se montrent pas dignes du nom d’Hellenes, ces amis des Turcs auront la malediction de nos freres qui se battent et, en temps voulu, ils seront punis selon leurs crimes. A tous, en cette heure sacree, je conseille l’amour et la concorde. L’union est la force tandis que la discorde am^ne la ruine. Primats, marchands, capitaines, agriculteurs patriotes ! Mandataire de l’Arche Supremeet avec la benediction et la volonte de Notre Sauveur jesus-Christ je proclame la sedition et la guerre contre l’Empire Ottoman. Nous ne sommes pas seuls. Je vous revele que les premiers renforts nous sont arrives des lies libres. Le prince D. Ypsilanti a envoye au golfe de Volo trois bateaux d’Hydra et Spetzai, charges de poudre, plomb et autres choses necessaires, qui ont commence k tirer sur le fort tandis que de terre le fougueux capi- taine Kyriakos Bastekis avec ses braves soldats a entoure le fort et cause de grandes pertes aux Mahometans qui y sont enfermes. Habitants de la Thessalie et de la Magnesie ! Pour le bon etablissement du pays et pour le bon gouvernement, le bon ordre et l’organisation de la guerre je vous enjoins d’eiire de chaque region des representants experimentes, honnetes et senses qui formeront le Parlement de la Thessalie et de la Magnesie. Ceux-ci, selon les antiques institutions de nos ancetres et les recommandations de Rhigas le Thessalien, redigeront le Statut Legal qui reglera a l’avenir l’administration de nos villages et de notre province, 1’organisation de la guerre et les droits de nos compatriotes. Des ce jour devenons des soldats de la Grece combattante qui a brise ses chaTnes. Aux armes, habitants de la Thessalie et de la Magnesie ! Je suis certain que je ne serai pas desillusionne et que mes freres ne se mon- treront pas inferieurs aux autres Grecs. Je vous embrasse avec le baiser grec. Anthimos Gazis Camp de Volo de Thessalo-Magnesie 7 mai, an I " de la liberte

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Proclamation du vladika Pierre /•' „ux Montenegrins. 7

AUj0(UnnrtUf!nnh,a2ne ^ * n’T ° rte ^ e l point du monde qu’il se trouve, cour dans sa patrie pour donner son sang et le meler a celui dG Se\tTe\ZnL r T 13 Ubertf dG t0US- Chacun d’eux donne tou ? r n n fh is s e I d r.n Z ** ^ * e? dans la commune. Us ont hisse le drapeau noir sur lequel sont inscrits ces Daroles • La mort ou la vie !, c’est-4-dire mourir ou se debarrasser du ioua turr Les Grecs n ont pas laissS un seul Turc en C e ™ * 4 Ch™« et dans les Hes de 1'Archipel jusqu'aux DardaneHes Tout cda eS lib4rt. Les Orecs ont aujourd'hui plus de trois cents naJrefde guerre et encore cinq frigates et deux grandes unites de guerre qu'ifs ont

7 D ’apres Lai'novic et Protopsaltis, Les mnnnrt* „ * . , Montenegro dans le passt, dans L’HellMsme ContemporaryIl¥ a S e ^ p 320. — 242 — prises au Capoudan pacha etant a peine tombe en prison. Ils sont entr£s dans le canal de Constantinople et ils y ont pris quelques for­ teresses. On dit qu’AIi pacha s’est converti au Christianisme en v£rit6 et qu’il s’est proclam£ le second Constantin. II porte le drapeau avec la croix et l’armee arrive k lui sans cesse de tous cSt£s comme des courants d’eaux. On dit qu’il y a plus de cinq cent mille chretiens sur la mer et sur la terre. II n’y a pas un soldat turc de ce cSte de Cons­ tantinople parce que le Sultan a decapite Mohour-Sebie et Cheikislam qui ne voulait pas consentir k tuer notre patriarche et k egorger les Chrdtiens k Constantinople. a p p e n d ic e « F »

DOCUMENTS TURCS CONCERNANT LES INSURRECTIONS DE 1821

Firman imperial du 22 mars 1821. 1

Tres excellents grands vizirs2 du cote droit du bras gauche de ia Roumelie jusqu’a son extr6init£, vous les respectables seigneurs, 6mi- nents generalissimes, r£gulateurs du inonde, qui par votre jugement aigu guidez les affaires communes, qui par votre opinion correcte exp6- diez les affaires du peuple, qui posez les fondations de l’£difice de la puissance et de la prosp£rite, qui fortifiez les piliers du bonheur et de la gloire, qui avez £t£ dotSs par le Roi sublime de graces de toutes sortes, que le Trds-Haut rende continuelle votre renomm£e ; et vous, les excellents miri miran 3, les plus grands des grands et des seigneurs, hommes eminents et dignes de respect, qui jouissez de gloire et de splendeur, qui recevez dignement la grande grace du Roi sublime, que votre renommee ^soit continuelle; et vous, les excellents mollahs, les plus justes des juges musulmans, les plus choisis des administrateurs des monothSist.es mines de sagesse et de rationalisme, qui levez les banniSres du droit sacrS et de la foi, les hSritiers des connaissances des prophetes, qui recevez dignement la grande grace du Roi secou- ^ • S°ien' aCCrues ■ et ™us, voivodes, mouteselims, an« narent^ rt ' Pmnats des habitants, sujets d’orgueil de vos parents et amis, que vos valeurs soient accrues. Qu’il soit connu des l’arrivee du sublime firman imperial que, comme 3 t w i P3.r Majeste Imperiale, a la suite de la mort du voivode de Valachie, le fils du transfuge Ypsilanti Alexandre, ayant appns que quelques malfaiteurs os^rent se revolter en Valachie et, trouvantle moment „pportun pour m(,Hre ^ ™ diabo_ antour de toi aueIm!!»,? US S°n caract^re malveillant, a rassemble auto quelques reptiles et, se mettant a la tete de la rebellion

pp 1185-187S Vasdravell,s- 0t Makedones eis tous hyper anexartisias agonas, 2 Les pachas a trois queues portaient le titre de brands vizirs a Commandants de troupes de reserve portant fe Wre de pacha. — 244 et de la revolution, est venu en Moldavie et souleva les rayas ; il fut suivi par le voivode de Moldavie et ils insurgerent presque tout ce pays. Ils distribuerent partout des ecrits et des proclamations, decla­ rant que ce mouvement est soi-disant national et d’autres mensonges et incoherences, ayant ainsi la pretention erronnee de soulever la nation. Bien que l’on procede deja k la prise des mesures necessaires, il est cependant necessaire que tous les rayas de Mon Empire sublime soient proteges des calomnies et des erreurs des bandits. Des ordres stricts furent done donnes par l’envoi et la promulgation partout de firmans sublimes sur ce sujet. Maintenant vous, les susdits vizirs, miri mirans, mollahs, juges, nai'ps et autres personnages mentionnes ci-dessus, en apprenant ceci, suivez avec vigilance et beaucoup d’attention les rayas de Mon sublime Empire qui habitent dans ces regions. Epuisez toute votre experience et augmentez vos efforts afin de proteger les rayas des calomnies et de l’egarement de ces bandits. Noinmez des fonctionnaires fideies et expe- rimentes aux cols et aux passages qui observeront les personnes degui- sees portant des documents revolutionnaires de ces bandits aux rayas et qu’aucune omission ou negligence ne soit permise mais que les documents qu’ils ont en leur possession soient saisis et examines et, s’il etait decouvert que ceux-ci sont blamables et provoquent l’insur- rection des rayas, alors arretez le porteur de ces documents et sou- mettez l’affaire k Ma Porte de Feiicite. En consequence a ete emis le present sublime firman, qui a ete envoye par le courrier special du sadrazam 4, modeie de ses egaux et amis, que sa valeur soit augmentee. Lorsque vous saurez que cette affaire ne peut etre compare a d’autres semblables, que Ma volonte definitive est que les mouvements et affaires des rayas soient suivis et surveilies et qu’aucune negligence ou indiffe­ rence a ce sujet n’est permise, alors montrez de la perspicacite en la matiere et, evitant l’insatiabilite, mettez-y ensemble l’attention et 1’assi- duite necessaires afin d’executer Mon sublime ordre imperial, en vous abstenant de toute mesure contraire. J’ordonne que vous vous conformiez, des que Ie present sera arrive, avec son contenu digne de soumission et d’obeissance. Sachant ceci* respectez le symbole sacre. Ecrit a Constantinople au debut du mois de Redjep 1236.

— 2 —

Firman imperial du 21 avril 1821. 5

Tres glorieux generalissime, vali de Roumeiie, surveillant des defiles, commandant-en-chef independant de la region de Janina et Mon ancien grand vizir, Khourchid Ahmed pacha, que ta renommee

4 C’est-a-dire du grand vizir. 5 Vasdravellis, op. cit., pp. 187-188. — 245 —

soit accrue. Orgueils des juges, cadis et nai'ps des cazas qui se trouvent entre les defiles de la Roumeiie, que vos vertus soient accrues. Orgueils de vos semblables, ayans et officiers et primats et tous ceux qui sont fideies, que votre valeur soit accrue. Qu’il vous soit connu des Parrivee du present, Mon finnan imperial, qu’il a ete porte a Ma connaissance par des informations, rapports et petitions que I’insurrection qui a £clat£ dernierement en Valachie et en Moldavie, propag£e dans les regions voisines, a cause Ie soul£vemenl de la plupart des rayas en Moree et l’insurrection des rayas de certains cazas d’Eubee, la prise de Salona et l’agitation generale du pays se trouvant au-del& de Salonique et que les Musulmans tombes aux mains des rebelles infideles ont revetu l’habit venerable du martyr. Vu qu’il a ete prouve que les buts impies de la race meprisable des Romains visent a l’insurrection generale afin (que Dieu preserve !) qu’ils foulent aux pieds et, si possible, fassent completement disparaitre la nation musul- mane, etant d’accord entre eux k ce sujet ; et vu que le fait que les rayas, beneficiaires de tant de bienfaits et de graces de la part de Mon Etat, aient ose faire de telles choses est diametralement oppose aux devoirs de la sujetion ; il devient comprehensible qu’il faut qualifier d’ennemis infideles les rebelles de cette sorte, appliquant envers eux les ordonnances visant les ennemis. A ce but, ayant provoque un fetva du Sheikh-oul-Islam par la question : « Si les habitants tributaires d ’une ville quelconque de l’lslam, cessant tout a fait d’obeir aux ordres du Chef des Croyants, essayent de faire la guerre contre lui, assas- sinant les fideies de l’lslam, et deviennent ainsi manifestement ses ennemis, est-il permis suivant le Cheri de piller leurs biens et d’emme- ner en esclavage leurs femmes et leurs enfants ? » et, ayant re?u une reponse affirmative, Nous avons emis un sublime firman imperial per- mettant le pillage des biens des rayas revoltes et l’asservissement de leurs femmes et de leurs enfants. Ainsi done, toi aussi, si en annongant Mon present ordre k tous tu t’aper^ois qu’il existe dans les regions sous ta juridiction des rayas qui, n’obeissant pas aux ordres du Chef des Croyants, s’insurgent contre lui, frappe-les par le glaive et fais ce que te suggere l’obligation de la guerre sacree, appliquant Mon ordre pour le pillage et l’asservissement; cependant n’attaque pas ceux des rayas qui vivent en paix et dans la legalite, ceux des rebelles qui sont repentants et ceux qui retournent k la legalite et la sujetion en deposant les armes, mais prends les mesures necessaires pour assu­ rer leur garde. A ces fins J’ai emis et vous ai envoye un firman imperial, k Parrivee duquel tu procederas, s’il y a dans ta juridiction des rayas insurges, au pillage et a leur asservissement et ne montre pas de negligence ou d’exces de zele en la matiere mais execute Mes ordres avec circonspection et sagesse. Et vous, cadis, nai'ps et autres, ayant eu connaissance de Mon sublime ordre imperial, faites selon son con- tenu et gardez les rayas dans les limites de la legalite, defendant l’honneur des fideies de PIslam et, etant tous d’accord, ne permettez pas des mesures contraires. En consequence, conformez-vous aux dispo- — 246 —

sitions de Mon present firman imperial, des que vous l’aurez regu. Sachant ceci, respectez le synibole sacr£. Ecrit a la fin du mois de Redjep 1236 en Notre siege de Constanti­ nople.

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Autre firman imperial du 21 avril 1821.

Sublime Divan Imperial.

De l’Externiination des Rebelles Romains.

A Mon tres magnifique et tr£s glorieux ancien grand vizir, actuelle- ment commandant independant et generalissime de toute la Roumelie, Khourchid pacha, et aux doctissimes et r6v£rendissimes cadis de tous les cazas des regions de ce pays et, en g^ndral, a tous les primats des fiddles. Qu’il soit connu, des l’arrive du present, Mon sublime firman impe­ rial, que l’insurrection en Moldavie des Romains infid

8 Vasdravellis, op. cit. (premiere Edition), pp. 249-250. — 247 —

Personne du Caliphe et la conservation de l’Etat garde par Allah et la Nation de 1’lslam. Agissant ainsi soyez certains que vous accomplissez Ma volonte imperiale sublime. Qu’Allah et Notre Prophete Mahomet vous aident ! Ecrit le 30 du mois sacre Redjep, an 1236 de l’H£gire. De la Sublime Porte de Feiicite de 1’heureuse Stamboul

Le Sultan et Caliphe des Croyants Mahmoud.

Firman imperial du 22 avril 1821. 7

Doctissime cadi de Salonique, toi le plus juste des juges musulmans, le meilleur des gouverneurs des monoth£i'stes, mine de sagesse et de ratlonalisme, qui leves les bannieres du droit sacre et de la foi, l’heritier des connaissances des prophetes, qui regois dignement la grande grace du Roi secourable, que tes vertus soient accrues ; et toi, kapoudjibachi de la Sublime Porte, mouteselim du sandjak de Salonique, Yousouf bey, orgueil des ancStres et des nobles, qui concentres toutes les vertus qui plaisent et qui sont louables, qui regois dignement la grande grace du Roi eternel, que ton z£le soit augments ; et vous, cadis, nai'ps du sandjak de Salonique, mines de sagesse et de theologie, que vos vertus soient accrues ; ei vous, ayans et autres officiers et primats des habi­ tants, orgueils "de vos semblables et amis, et tous les puissants, que vos valeurs soient accrues. Qu’il soit connu, d£s l’arriv£e du sublime firman imperial, qu’il est superflu de declarer que toute la nation malfaisante des Romains est unie et d’accord pour tromper et trahir l’Etat musulman et la nation musulmane qui a le « Besmelleh » 8 comme invocation. Ils ont commu­ nique partout l’etincelle du mal et de la revolution ; ces jours-ci quel­ ques navires pirates sont apparus dans la mer Blanche® et ont cause des dommages et la ruine des navires musulmans de passage. Suivant ceux-I&, les rayas d’Ai'valik, des Moschonisia et de Samos se sont aussi souIev£s. II est done evident qu’& cause de la mechancet£ et de l’infamie qui a ete montree contre notre nation nous devons laisser de cote les paroles. II a ete decide a cause de ceci, apres l’invocation de l’aide divine, de prendre les mesures et avis necessaires et de les mettre en execution et il fut d’abord demande au tr6s magnifique cheriat d’emettre

t Vasdravellis, op. cit., pp. 188-191. 8 Abreviation de I’invocation « Bi ism illah er rahman er rahim », c’est-a- dire « Au nom d’Allafi le compatissant, le misericordieux ». o C’est-a-dire la mer Egee. — 248 — une opinion sur ce qui devrait etre fait, en ce qui concerne les rayas r6voltes, et la question suivante lui fut pos£e : « S’il est prouve que les tributaires habitant les pays musulmans se sont insurges totale- ment contre le Seigneur et, en guerroyant, ont tu6 beaucoup de Musul­ mans ; vu que dans ce cas les ordonnances de l’etat de guerre sont en vigueur ; peut-on declarer la guerre suivant le droit sacre et ordonner le massacre de ce peuple, Ie pillage de leurs biens et l’asservissement et emprisonnement de leurs femmes et de leurs enfants ? » Un fetva sacre fut alors emis avec la reponse : « Oui, on le peut. » Mes sublimes firmans imperiaux furent alors emis et envoy£s en Roumelie et dans les autres regions, octroyant la permission de combattre les rayas revolts. Cependant ceci a aussi ete communique aux grands vizirs, g6n£raux, officiers et fiddles se trouvant en Anatolie et partout dans les autres regions afin qu’ils fassent le necessaire suivant le droit sacre du prophete si quelqu’un parmi eux avait la hardiesse de se soulever. Un de Mes sublimes firmans imperiaux a donc ete emis et, conform£- ment a son sublime contenu, des firmans ont ete r£dig£s et envoy£s k toutes les regions de Mon Empire annongant ceci. Ayant donc ete redige, le present, Mon sublime firman imperial, vous a ete envoye specialement, k vous les doctissimes, kapoudjibachis, cadis, nai'ps et autres personnages mentionnes ci-dessus, en hate par Ie courrier du sadrazam, Ahmed, rnodele de ses egaux et amis, que sa valeur soit augmentee. Des l’arrivee du present, sachez que Ia lutte en question est un combat pour la foi qui ne peut pas etre compare avec quelque autre combat que ce soit ; ces jours-ci ne sont pas des jours de tranquillity et de repos pour les Musulmans et pour ceux qui s’interessent aux affaires de la nation et de l’Etat, mais il est necessaire que tous les fideles ensemble et tous les Musulmans qui adorent un seul Dieu, se trouvent en etat de campagne et dans une unite complete, essayent de leur mieux de proteger le glorieux prestige et l’honneur du Mahome- tanisme. Toute peur, doute, perte de temps ou scepticisme au sujet de Faffaire en question aura (que Dieu nous en garde) comme resultat non seulement l’aggravation de la situation mais aussi le repentir. Sachant ceci, agissez toujours avec perspicacite, veillant et evitant toute omission ou negligence. S’il y aurait tentative des rayas de se soulever et de se revolter en un endroit quelconque de vos cazas, ne per- dez pas de temps en ecrivant pour obtenir la permission de Ma Porte de Felicite mais, degainant immediatement l’epee contre eux et munis de la permission du sacre cheriat, frappez et exterminez les rayas rebelles, arretez et emprisonnez leurs femmes et leurs enfants, saccagez et pillez leurs fortunes et leurs biens afin qu’un exemple soit donne aux rayas des autres regions. Ainsi, tachez d’executer, sans arret, a l’unisson, le devoir sacre pour la lutte sacree, vous-memes et ceux qui se trouvent dans les regions lointaines. Si parmi eux il y en aurait qui demande- raient pardon et amnistie, tant que leur soumission n’aurait pas ete constatee et qu’on n’aurait pas pris des garants et des otages et qu’on ne serait pas completement certains de leur soumission, Ma volonte — 249 —

imperiale absolue est que vous y mettiez tous vos soins et toute votre attention et que vous n’acceptiez pas immediatement leur repentir et leur pardonniez. Toute negligence et indifference dans l’execution de cette tres importante affaire religieuse aura comme consequence la punition non seulement en ce monde mais aussi dans le monde futur. De plus, quand vous saurez qu’il n’est pas permis de molester et d’op- primer ceux qui resterent constants dans les limites de leur etat de rayas et fideies a leur soumission sans qu’aucun mauvais acte de ban­ dits ne soit prouve commis par eux ; agissez de pareille maniere envers eux. Unis done visiblement et a l’interieur des coeurs, faites tous vos efforts attentivement afin de rendre de bons services et montrez l’attachement necessaire, evitant tout a fait de permettre des mesures contraires ; ne tyrannisez et pressurez jamais ceux qui vivent hono- rablement et avec estime dans les limites de la soumission et de l’etat de raya. J’ordonne que, des l’arrivee du present, vous agissiez selon ce qui a ete expose ci-dessus, suivant le contenu du sublime firman, digne de soumission et d’obeissance, emis a ce sujet, evitant tout acte contraire. Sachant ceci, respectez le symbole sacre. Ecrit au debut de Chaban 1236.

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Firman imperial de 1822 concernant la Moldavie. 10

Toi le premier choisi parmi les adeptes du Messie, toi, prince insti- tue de Moldavie, Jean Sandul Stourdza, que ta fin soit heureuse ! Sache qu’apprenant la mauvaise foi des princes phanariotes tes precedesseurs ainsi que celle des boyards grecs, leurs serviteurs, Ma volonte est faite maintenant d’instituer prince un boyard de souche autochtone et ter- rienne. A toi, Voivode de Moldavie, qui a montre par ta conduite intel- ligente ta sagesse, on a confie a ta fidelite maintenant le regne sur la Moldavie que le choix effectue parmi les nouveaux venus devant Notre Sublime Porte ; et pour ce bienfait imperial de Ma bienveillance il a ete apporte de ta part et de celle des boyards presents ici une lettre en grec en guise de mahsar comprenant certaines requetes, assurant que dorenavant on travaillera avec application pour le loyalisme et la justice et pour maintenir l’ordre ; laquelle lettre M’ayant ete traduite, J’ai vu son but qui etait une demande de misericorde et, vu la part de desordre creee par les princes grecs, les boyards leurs serviteurs infeo- des, et autres Serbes, Bulgares et Grecs employes par eux comme Arnaoutes n , et leurs pretres, tous coupables d’exactions et de troubles,

10 D’apres Petreseu, Sturdza, Golescu-Vartic. Acte si documente relative la istoria renascerei Romdniel, vol. 1, pp. 302-306. 11 Les gardes « albanaises » des hospodars.

17 — 250 — il est grand besoin maintenant d’eliminer ces causes de troubles et de revoltes, et pour assurer la paix et la tranquillite du pays, que Ton ne nomme plus neferi12 les Grecs et les Albanais qui se trouvent acciden- tellement en Moldavie et qu’on ne les institue pas delibachi et tufeci- bachi13 sans la voix et la ratification du Divan princier et du bach- bechleaga 14 que Ton eiise tufecibachi et delibachi des boyards autoch- tones et que ce soit toi qui installe et approuve en les nommant neferi seulement de vrais boyards de souche terrienne ayant titres et preuves. A cote de cela que Mon auguste Devlet15 nomme un Divan Effendisi10 et un bach-bechleaga capable et fiddle a toi et, comme le passe prouve qu’il y a eu 708 neferi avec le bach-bechleaga, que Ton nomme main­ tenant pour ddfendre Ie pays mille neferi sous les ordres du bach- bechleaga, tous Turcs honnetes dont le salaire serait le mSme qu’au debut et que l’argent pour le surplus du au nombre soit pris sur le revenu des mines et qu’ils se contentent de leurs salaires et redevances et s’appliquent k defendre le pays en compagnie des zabetsi17 autoch- tones et des neferi du pays. Et plus tard, lorsque la revolte sera calmee et que l’on reconnaitra qu’on a trop de neferi, que leur nombre soit reduit de moitie, soit 500 neferi comme auparavant et que si (Dieu preserve !) un nouveau trouble advenait et que ce nombre soit insuffi- sant pour le bach-bechleaga, que 1’on donne des maintenant de sublimes instructions aux chefs des saharts pour qu’au moment ou le prince, les boyards et le bach-bechleaga leur demandent qu’ils envoient les renforts demandes, les canons et autres choses necessaires a la guerre sous la responsabilite du bach-bechleaga, et que tous les Grecs, Serbes et Bulgares et ceux de Ia famille des Arnaoutes, et leur pretres et autres de souche meiangee qui habitent ce pays (car a cause d’eux il ne peut y avoir du calme et de l’amitie comme il en faut a ce pays) passent en Roumelie, sauf quelques-uns pour lesquels '.es autochtones se porteront garants parce qu’ils sont en train de devenir boyards ou de contracter une autre alliance avec des notables, mais qu’ils ne soient jamais nommes k une des charges du pays ; sous ces conditions, que Ton permette k ces quelques-uns de rester dans le pays. Et si quel­ ques-uns de ceux-ci auraient affaire dans le pays, que les zabetsi enquetent si leur desir de venir est motive et si oui qu’on leur donne un laissez-passer decrivant leur figure et stature, que cela soit fait par le kapoukehaya du pays et que ce permis soit communique aux capitaines du pays qui l’enverront au hatman pour que celui-ci Ie fasse « teslim » et si on prouve que l’homme a vraiment des affaires dans le pays, que le hatman garde Ie laissez-passer jusqu’& ce que l’homme ait termine ses affaires et qu’alors l’homme soit renvoye immediatement. Et si on prouve qu’il y a quelque chose de faux dans la demande de

12 Milice du pays. 13 Grades militaires. 14 Commandant de la garde turque de l’hospodar. 15 C’est-ci-dire gouvernement. 16 Representant du Sultan au divan de Moldavie et a celui de Valachie. 17 Officiers. — 251 —

venir, que Ton dconduise sans tarder le demandeur hors du pays. Si on decouvre que ceux qui sont restes dans le pays sont des suppots d’une autre puissance, qu’ils ne puissent poss£der ni terres ni biens mais qu’ils les vendent aux autochtones a des prix convenables sans delai. Et ceux des rayas qui pensent devenir sudeti, 18 qu’on leur enleve leurs patentes et qu’ils soient soumis au nombre des rayas comme auparavant. Et qu’aucun de ceux-ci ne soit dans les besoins econo­ miques du pays ou autres nizam et huzrnet, mais que l’on con­ serve les precedents firmans et sudetie pour ceux qui viennent com- mercer dans le pays, d’apres les regies et les besoins du pays, qu’ils re^oivent le droit d’aller et venir, s’ils n’ont pas ete reconnus comme faisant partie des gens chasses du pays. Et pour les charges, grandes et petites, du pays, et Pancienne noblesse sera renforcee a laquelle ils devront obeissance ainsi qu’a Mes imperiaux saharts d’autrefois sui­ vant l’usage ancien, l’harmonie sera maintenue comme autrefois. Et sachant que les precedents princes grecs empechaient les boyards de venir devant Ma Sublime Porte, un ou deux boyards de vieille souche avec un mahsar venant de la part des autres boyards pour une demande du pays, dorenavant que I’on n’arrete plus ceux qui, pour n’importe quelle necessite du pays, desirent venir devant Ma Sublime Porte, meme si ces boyards veulent venir se plaindre de leur prince, alors leur plainte sera examinee avec attention et on leur donnera raison s’ils ont raison selon la droite justice. De meme, si les plaintes ne sont pas justes mais sont dues a la mechancete, ils seront punis comme il convient. Que les moines et pretres des monasteres ou Ton travaillait & toutes sortes de mauvaises choses soient chasses et que leurs biens soient donnes a d’autres monasteres et a d’autres parties de Mon imperial domaine et si un de ces biens reste invendu, que ie Patriarche de poftstantinople n’envoie pas un pretre pour en beneficier, mais que ce candidat au benefice fasse une demande envers Ma Sublime Porte et que l’on annonce de la au kapoukehaya et que celui-ci accorde le benefice demande. Aussi que l’on detruise les ecoles grecques pour l’enseignement desquelles les princes grecs ont invente des rentes et que l’on abolisse l’institution des rentes. Que les princes n’aient pas d’autres revenus que ceux qu’ils avaient avant leur nomination et ceux dus a leur charge et qu’ils ne touchent plus les revenus inventes par les princes grecs et qui etaient tout a fait iliegaux. Ainsi, que Ma seule volonte souveraine et Mon misericordieux but imperial soient que tes habitants aient leurs habituelles habitudes, coutumes et ordonnances qui ont ete renforcees par Mes firmans imperiaux et pour assurer dore- navant b tous et aussi a mes impuissants rayas la tranquillite et la securite, J ’ai donne Mon imperial acquis a toutes les demandes ici faites de meme que celles representees et les choses ci-dessus citees J’ordonne que le bach-bechleaga reste une annee au service de ^ la bechleagie et, apres une annee, que l’on choisisse un autre que 1 on considerera comme etant convenable. Ainsi Je nomme bach-bechleaga

is Personnes privilegiees du point de vue fiscal. — 252 —

Phonnete Eyub aga parmi Mes serviteurs imperiaux et l’envoie a Silis- trie ou il reunira mille neferi pour rempiacer les troupes actuellemenl en Moldavie qui seront rappelees ici comme J’ai donne ordre a Mon haut conseiller le vizir Selim pacha (que son renom soit eternel !), et il viendra avec eux en Moldavie et avec Mon digne de soumission ordre d’obeir a son £tat et de se donner Ia peine de bien le remplir. De meme J’ai ordonne que vienne avec toi au service du chitaf du divan de Hozegheani Ie seghet Ibrahim Nibi. De meme J’ai emis et envoye Ma sublime decision imperiale et des ordres ont ete donnes pour qu’on te donne arm£e et canons et ce qui est necessaire a la guerre afin quo des gens inconnus ne puissent entrer en Moldavie sans un controle detaille ; que ceux qui y sont soient chasses, que ceux restes dans le pays soient comptes et examines et qu’ils ne puissent rester qu’avec la garantie des autochtones ; qu’aucun Grec, sauf ceux qui sont fideles et honnetes, ne puisse devenir boyard ni entrer dans une fonction du pays ; que l’on arrete et annule les impots injustes institues par les princes grecs ; que tu regoives, toi specialement, des ordres sublimes pour le nizam et la conduite des sudeti ; que les reclamations precitees soient satisfaites par ton intelligente fidelite qui veillera a leur satisfaction, conseillee par la sagesse des boyards autochtones. Ainsi lorsque tu auras compris le fond des causes a toi soumises, que tu rendes justice suivant ta conscience et ton intelligence et tu veilleras a defendre de l’injustice mes impuissants rayas et a les consoler, cela etant tres necessaire. Tu te donneras la peine de fixer et afferinir la paix et Ia tranquillite ; tu accorderas la justice necessaire de toute ton intelligence et de toute ton ame et tu sera fidele pour m^riter Notre auguste satisfaction. Pour cela le sublime firman digne d’hommage a et6 emis par lequel J’ordonne que tu te comportes avec la fidelite requise. Sachant ceci, respecte Ie symbole sacr£. APPENDICE «G »

DOCUMENTS CONCERNANT LES RELATIONS GR^CO-MUSULMANES

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Lettre de D. Ypsilanti aux chefs Albanais. 1

Tres courageux chefs Pronio et Tchapari et tous les Tchames, salut ! II y a plus de trois mois que la nation des Hellenes a commence a lutter contre les injustices et les tyrannies du Sultan. La Moldovalachie, la Roumeiie, la Moree, toutes les iles, et en general toute la nation, sont en armes. Cette guerre a ete reconnue comme juste par tous les royau- mes de l’Europe et ainsi personne n’aide le Sultan. Dieu le tres juste est notre allie et nous aide dans cette guerre sacrosainte. Meme beau- coup de Turcs, ayant appris la justice de notre cause, se sont allies a nous et combattent avec nous. J’ai note leurs noms afin de les faire connaitre du gen£ralissime de la nation et pour qu’ils regoivent de la part de la nation dont ils sont les bienfaiteurs la gloire, l’honneur et les recompenses dues. J’ai ete inforrr^ par de nombreuses personnes que vous gardez la neutrality dans *la guerre entre nous et la tyrannie. Moi et la patrie, nous vous en remercions ; mais la renomm£e de votre bravoure et de vos actions heroiques me pousse a vous ecrire et vous inciter, petits et grands, de prendre les armes, vous alliant avec nous, et combattre l’injustice et 1’oppression de notre cruel tyran dont la chute, si proche, n’exige qu’un petit effort pour que nous jouissions avec tranquillite et d’une maniere juste des fruits de notre lutte. La patrie couronnera les tetes de tous les athletes de cette lutte sacree. Eux et leurs descen­ dants seront heureux. Amis ! Ne negligez done aucun moyen pour executer nos desseins. Je n’oublierai pas de noter aussi vos noms pour les faire connaitre au generalissime et pour que vous receviez les prix proportionnels a vos luttes pour la liberte. Cependant je vous souhaite la victoire et la puissance contre les ennemis et je reste, Le pienipotentiaire du Lieutenant General Vervena, le 26 juin 1821. Demetrius Ypsilanti

i Philimon, Helliniki Epanastasis, vol. IV, p. 445. — 254 —

Lettre de D. Ypsilanti aux autorites de Crete. 2

Tres glorieux cherif Mehmet pacha, serasker de toute la Crete et vali de Candie et vous, braves, les cinq ortas et ayans Etant nomme generalissime de la nation des Chretiens, je considere comme mon devoir de vous ecrire tout ce qui me parait juste et profi­ table k vous et a nous. La nation des Chretiens, se trouvant pendant tant d’annees sous le gouvernement du Sultan, a souffert des tyrannies et des injustices ter- ribles, comme vous le savez tous. Nul Chretien n’avait en s6curite ni sa vie, ni son honneur, ni ses effets. Dieu lui a confie tant de millions de personnes pour les gouverner paternellement avec de la justice et des lois ; mais celui-ci a oublie Dieu et a fait ce qu’il voulait et ce que lui conseillaient les courtisans flatteurs, injustes et rapaces. Par les vexa­ tions et les injustices journalises les gens dits rayas furent reduits a la plus grande pauvrete et certains mouraient injustement et d’autres abandonnaient leurs patries et erraient a l’etranger. Enfin Dieu Tout-Puissant, le Roi du Ciel et de la Terre, le defenseur des victimes de l’injustice et le p£re des orphelins, Dieu a resolu d’arreter les injustices et les iliegalites et a fait prendre les armes a la nation chretienne. Nous ne combattons donc pas les Musulmans, mais nous combattons l’injustice et la tyrannie. Vous vous rappellez que les Musulmans eux-memes ont ete victimes de bien d’injustices et de per­ secutions. Des pachas et des ayans sont soit exiles soit executes en vertu d’un firman injuste et illegal. Tous les peuples musulmans de l’Orient soupirent et pleurent a cause des persecutions. Tous donc nous sommes traites injustement. De plus, vous etes nes et vous avez etc eieves dans les memes pays que nous. Si nous etions ensemble dans nos veritables droits et interets, vous devriez aussi etre avec nous comme Fa fait toute FAlbanie, pour faire cesser l’administration injust< et tyrannique et pour vivre comme freres et compatriotes sous les loi: de la justice, suivant chacun sa foi. Nous, au moins, les Chretiens, voui declarons ceci devant Dieu Tout-Puissant et devant toutes les nation: de la terre que nous ne vous combattons pas, que nous n’avons riei contre vous, mais contre l’administration tyrannique et contre tous ceu: qui nous combattent ou qui nous resistent, les armes k la main, pou defendre l’injustice et la tyrannie impie. Nous vous disons donc, au nom de toute notre nation chretienne ou de vous unir avec les victimes de Finjustice et de Ia tyrannie et au ont avec eux Dieu juste et tout-puissant, ou avec un accord honorabl de nous hvrer la citadelle, pour que n’ensuivent pas les versements d sang et les incendies et tous les autres terribles maux qui suivent I

2 Ibid., vol. IV, pp. 491-493. — 255 —

» w d W ^ Pf • dw f 3nd Di6U tout-Pu''ssant, nous vous disons alors" r h £ ? S 1 * Suerre. de ne pas molester la vie ou 1’honneur des Chrffaens se trouvant dans la citadelle ; car ceci est in Z aT n e? Dieu, le defenseur des vjctimes de 1’injustice, prendra sa vengeance non seulement contre les injustes, mais aussi contre leurs enfants et leurs femmes. er Le devoir de la justice et de la verity nous a fait ecrire ceci et prenez conseil et decidez ce qui par Dieu est demande par la sagesse et votre veritable inter et. Soyez en bonne sante ! Du camp general de Tricorpha, Ie 25 juillet 1821.

Demetrius Ypsilanti Pienipotentiaire du Lieutenant General

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Lettre de D. Ypsilanti aux chefs Albanais. 8

Braves et fideies allies et chefs Ago Vachari4, Tchego bey, Mour- totsali, Tahir Abazi, Suleyman Metto et autres Toskes ! Le generalissime des Hellenes, Alexandre Ypsilanti, mon fr6re res- pecte, m’a envoye dans cette partie de la Grece comme chef pienipo­ tentiaire. Avec I’aide divine, je suis arrive en securite et me trouve maintenant au Peioponnese, ordonnant et faisant ce qui a comme but la liberation de*Ia nation des Hellenes. Ces jours-ci est venu ici le Souliote Rocas duquel, l’ayant examine, j’ai appris que vous vous etes allies avec les Souliotes dans la tres juste guerre que les Hellenes ont proclame contre la tyrannie. Cette nouvelle de votre alliance m’a rejoui et m’a fait comprendre que vous n’etes pas seulement courageux, mais aussi justes et amis de la liberte. Justes, parce que vous avez pris les armes pour aider la nation qui a ete tyrannisee pendant tant d’annees, unis avec les victimes de l’injus- tice plutot qu’avec les injustes (comme Dieu aussi est naturellement l’allie et I’aide des victimes de l’injustice); amis de la liberte, parce que vous aimez vivre avec une nation aimant la liberte de ses bonnes lois et de sa tranquillity. Le Sultan etait injuste aussi envers vous, pas beaucoup, mais autant qu’il Ie pouvait. Son but etait de vous subjuguer ainsi que le bon Ali pacha, et de se comporter envers vous, comme envers ses autres escla­ ves, pour qu’un tchaouch envoye par lui fasse ce qu il veut. Tel etait

3 Ibid., vol. IV, pp. 450-451. * Ago Mouhourdar. — 256 —

son but, comme il Fa revele lui-meme. Mais il s’est trompe ne savant pas qu’il avait a faire avec des hommes amis de la liberte et sachant que la religion est une chose et la liberte une autre. Celui qui combat parfaitement pour sa liberte, meme si le tyran contre qui il combat est un coreligionnaire, ne peche pas contre sa religion. Dieu ne pardonne jamais Finjustice et la tyrannie ; et quiconque les combats est un ami de Dieu et Fa comme aide. Mais vous, braves Toskes ! Vous ne descendez ni des Anatoliens pusillanimes ni des Scythes sans gloire. Vous etes des descendants de nos heros ancestraux ; et maintenant unis avec nous pour la liberty, vous etes consideres comme nos freres. Quand Dieu tout-puissant et premier defenseur de notre liberte nous aura donne ce bien celeste, nous vous aurons toujours comme participants et votre non restera, sans aucun doute, immortel, connu et glorifie dans tous les royaumes de la terre. Braves, suivez donc, soyez toujours des allies fideles et combattez courageusement les tyrans, sans douter de la victoire. Dieu nous aide et vous le voyez chaque jour dans vos luttes brillantes. Le bon Ali pacha, victime de Finjustice, s’allie avec nous lui-meme vous Fa revele et vous le savez tres bien. Les ennemis de notre liberte se trou- vant a Tripolitsa deviennent plus faibles et moins nombreux tous les jours. Dans peu de temps, nous esperons qu’ils se rendront ou qu’ils seront d£truits. Vos noms et vos actes de bravoure seront notes par moi pour qu’en temps voulu vous soyiez honores et recompenses comme il faut. Pensez a moi comme etant votre ami et alli£ fidele et £crivez-moi souvent, pour que je puisse vous donner tout ce dont vous aurez besoin et pour que j ’apprenne vos brillantes victoires. Du si£ge de Tripolitsa, le 23 aout 1821. (Sceau)

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Decret concernant les relations greco-albanaises. 5

G ouvernement P r o v is o ir e de la G rece

Le P resid en t du P o u v o ir Execu t if Vu que FAlbanie est une grande et importante region et que son union avec 1 Etat de la Grece peut avoir les meilleurs resultats ■ Vu que la communaute de Souli, a cause de son voisinage et des rapports qu’elle a avec les Albanais, est le moyen Ie plus approprie pour negocier des accords avec les Albanais ;

s D ’apres les Archeia tis Hellinikis Palingenesias, pp. 331-332. — 257 —

D ’apres le consentement ecrit du Corps Legislatif N° 107 du 12 mais 1822 ; A ordonne et ordonne ce qui suit I. La communaute de Souli a I’autorisation de negocier des accords aussi avantageux que possible avec les Albanais, Chretiens et Turcs. II. Ces accords ne doivent pas contenir plus de privileges que ceux dont jouissent les Souliotes eux-memes. III. La communaute de Souli a I’autorisation de nommer un ou plu­ sieurs pl£nipotentiaires pour la negotiation de ces accords. IV. Le chiliarque Georges Plesiovitsas a de meme l’autorisation, avec l’avis et le consentement de la communaute de Souli, de negocier avec les Tchames, Chretiens et Turcs, pour les memes accords. V. Le tres magnifique Hussein pacha et Mourtotsali, s’etant mon- tres inseparables et fid61ement unis avec les Souliotes, et vu qu’ils ont les moyens de contribuer aux accords qui seront conclus avec les Turcs, ont la permission de negocier de la meme maniere avec 1’avis et le consentement de la communaute de Souli. VI. Tous les accords qui seront conclus avec les personnages men- tionnes ci-dessus devront etre ratifies par le Gouvernement. Le Ministre de l’lnterieur mettra en execution le present ordre. Corinthe, le 12 mai 1822 A. Mavrocordato, President Athanase Canacaris Anagnostis Papayannopoulos . Jean Logothetis Le Secretaire General de l’Etat et Minis­ tre des Affaires Etrangeres, Th. Negris INDEX

Abdoul Hamid I'”', Sultan ottoman : Anagnostaras, klephte hdtairiste : 91, 19, 49. 92, 95, 96, 98. Acarnanie : 63. Anagnostopoulos, hetairiste : 86, 94n Acha/e : 169, 170. 97, 98, 101, I52n. Ada-Kald : 139, 140, 214. Anatolie, Anatoliens : 256. Adriatique, Mer : 30. Ancone, Agence commerciale fran- Afrique : 14. taise k : 73, 74. Agarenes : 239. Andrinople : 45, 53. Agia : 56n. Androutsos, O., armatolos hetairiste : Ago Mouhourdar, chef albanais: 128. 119n., 255n. Angelopoulos, charge d’affaires otto­ Ago Vachari, chef albanais : 255 (voir man : 76. aussi Ago Mouhourdar). Anglais, 116, 229 (voir aussi Grande- Agrapha : 129, 207. Bretagne). Aguia : 239. Arabie, Arabes : 208, 239n. Aivalik : 247. Arcadiens : 169. Albanie, Albanais : 3-6, 10n., 12, 30, Archd Supreme : 85, 86, 90, 92, 95- 31, 47, 55n, 57, 62, 63, 69, 72, 97, 99-101, 126, 131, 135, 143, 158, 73, 106, 113-116, 118-120, 122, 127, 210, 214, 226, 240, 241. 128n., 129n., 130, 131, 145, 149, Archipel, iles de 1’: 88n., 107, 170n., 171-179, 183, 189, 192, 206, 250, 226, 229, 237-239, 241. Argyrocastro : 51, 118, 128n. 254-257. Aristogeiton : 228. « Albanais*, Regiment: 74. Armenie, Armeniens: 192, 204, 206. Alep : 208. Armenopoulos, Constantin : 47. Alexandre le Grand, Roi de Mace­ « Arnaoutes », gardes albanaises des doine : 20n. Hospodars: 104n., 160, 249, 250. Alexandre I0', Empereur de toutes les Arta: 63, 120, 129, 173, 174. Russies: 85, 91, 97n., 100, 101n., Asie: 135, 214. 126, 135, 163, 166, 229. Asie Mineure : 183. Ali bey, capoudan bey : 118, 120, 121, Assemble Constituante : 26. 130. ’ Assemblee Nationale des Hellenes: Ali pacha de Delvino : 49. 174. Ali paclia de Janina : 4n., 24, 37n., Assimakis : 110. 47-54, 55n., 56, 57, 59n., 60-63, 79, Athina, societe secrete: 72-74, 179. 91, 92, 102, 103, 110, 113-120, 122, Athenes, Atheniens : 72, 79, 80, 228, 123, 125-131, 153, 167, 169, 170- 238, 239. 174, 176, 177, 213, 214, 229, 239, Athos, M ont: 61, 62, 96. 242, 255, 256. Attique: H7. Autriche, Autrichiens: 4, 7, 11, U- Alipachade : 63. 25 29, 35, 44, 59, 60, 65, 68n., 88n., AUemagne, Allemands: 22n., 180. 98, 139, 162n., 163, 165. Amdrique du Sud : 153. Autriche, Maison d’ : 22. Ampelakia : 17, 210. — 260 —

Autriche, Ministre des Affaires Etran­ Botzaris, Marc : 173, 174. geres d’ : 22. Botzaris, Notis : 56n., 119-121, 130. Bra'ila : 208. Baba, pacha de Roumeiie : 213. Brancoveanu, Gregoire, helleniste rou­ Bagdad : 73, 179. main : 18, 79, 147, 152. Bai'li : 75. Brasov (Kronstadt) : 43, 162, 233. Balkans, Balkaniques : 1,7, 8n., 9, Bratianu, Thomas, boyard hetairiste : 1 In., 12-14, 20, 21, 25-29, 33, 43, 147n. 46, 48, 71, 72, 74, 77, 81, 93, 102, Brigido, comte : 21. 123, 128, 138, 157, 177-180, 183, Brousse : 72, 208. 207n., 208. Bucarest : 13, 18-20, 43, 63, 65-69. Balkanique, Empire : 46, 178, 179. 72, 76, 79, 81, 92, 133, 135n., 139, Balkanique, Etat : 178, 179-180. 144, 146, 147n., 148, 150, 151, 159, Baleanu, Gregoire, grand vornic h£- 161n., 163-165, 211, 212, 216, 218- tariste : 147n. 223. Barbaresques : 23. Bucarest, traite de : 79, 8811., 99n. Barthelemy, Abbe : 20. Budapest : 148. Bastekis, Kyriakos : 241. Bulgarie, Bulgares : 2n., 3, 4, 6, 7, Batave, Republique : 74. 11, 18n., 33, 40-42, 44n., 62-64, 69, Bekir pacha de Bosnie : 60, 67. 81, 89, 91, 92, 100, 103n., 106, 109, Bekir Djocador, voivode de Preveza : 113n, 117n., 133, 135, 142, 145, 121. 152, 153, 158, 164, 165, 177, 189, Belgrade : 24, 40, 42, 59, 60, 64, 67- 206, 226, 229, 249, 250. 69, 72, 88n., 90, 106, 141, 210. Butrinto : 52. Bender : 208. Byron, Lord : 79n. Berat : 52-54, 113, 117, 118. Byzantin, Empire : 4, 15, 26, 75, 138. Berlin, traite de : 4n. Bernadotte, Jean-Baptiste, general, Cacosouliotes : 30 (voir aussi Souli, ambassadeur de France : 22. Souliotes). Besiktas : 107. Calamata : 170. Bessarabie : 88, 156n. Calamatianos, Demetrius, hetairiste : Bessieres, Commissaire imperial fran­ 104. cais des lies Ioniennes: 114n. Calavryta : 169. Bibesco : 161. Calevras : 72, 73. Bible : 78. Callimachi, famille phanariote : 105. Bira : 55. Callimachi, Jean, grand dragoman de Bivello : 161 n. la Porte : 140. Blachavas, Euthyme : 62, 63, 91. Callimachi, Scarlate, hospodar de Blanche, Mer : 247 (voir aussi Eg£e, Moldavie et de Valachie : 67n., 87, Mer). 92, 151, 159, 164. Bolintin : 221. Camarinos, hetairiste : 92, 94. Bonaparte, Joseph : 73. Campo Formio, traite de : 23, 32, 52. Bonaparte, Napoleon : 31, 32, 39n., Canacaris, Athanase : 257. 73, 74, 115. Candie : 241, 254 (voir aussi Crete). Bons Cousins, societe secrete : 72. Capodistrias, Jean comte : 19, 48, 74, Bosnie, Bosniaques : 3, 7, 40, 106, 75, 77-80, 86, 87, 90, 92n., 94, 95, 145, 208. 97-100, 127, 128, 156n., 158, 163n., 230, 232. Bosphore : 108. Capodistrias, Viaro comte : 98. Bosphore sur le Borysthene, Le : 75. Caravias, general hetairiste: 158. Botzaris, clan souliote : 48, 54. Carbonari, societe secrete : 83n., 9 In. Botzaris, Georges : 51-54. Carneadis, hetairiste : 145n. Botzaris, Kitzos : 54. Catacazis, hetairiste, 92, 97. — 261 —

Catherine II, Impdratrice de toutes Corfou : 29, 32, 55-57, 72 79, 98, les Russies : 19n., 50, 107, 120, 179. 113, 115, 116, 118, 120, 127, 129, Catholique, Eglise : 157, 237. 130. Cath,oliques : 5, 106n., 156, 237. Corinthe : 174, 175, 228, 238. Catsonis, Lambros : 50. Coronios, marchand grec : 21. Cephalonie : 73, 79. Corps Legislatif : 27, 193, 195-19S, Cesar, Jules : 227. 199-202. Clieikislam : 242. Corse, Corses : 115. Clieri Sacre : 245, 246. Cotroceni, monastere de : 221. Chili : 208. Coundouriotis, Lazare : 96. Cliios, Chiotes : 13, 170n., 238. Craiova : 19, 43, 159, 220. Cliiotis, P., historien grec : 25. Crete: 95, 170, 207, 229, 254 (voir C fiiriac : 162. aussi Candie). Clioiseul-Gouffier, comte de : 76. Croises : 14. Cliotin : 208. Crokidas, A., hetairiste : 92, 125, Chretiens: 2n., 3, 4, 6, lln ., 12, 31, 126n., 127. 42, 43, 47n., 49, 55n., 57, 59, 67, Croix : SOn., 148, 149, 156, 206, 209, 80n., 84, 96, 102, 106, 114, 118, 226, 228, 237, 238, 240. 122, 127, 129, 156, 175, 178, 179, Cyclades : 238. 183, 185, 207, 209, 222, 230, 238, Cyprianos, archeveque de Chypre : 240, 254, 257. 105. Christianisme : 242. Chrysospatliis, hetairiste: 91, 92, 95, Dace, E ta t: 66. 97. Dacie, Daces : 143, 144, 232-234 (voir Chypre : 105, 241. aussi Roumains). Cimpul : 220. Dalmatie : 3n. Cinq Puits : 120. Danube : 7, 19, 24, 44, 45, 104, 106, Ciorogirla princiere : 222. 111, 139, 144, 151, 153, 162n., 163, Cisalpine, Republique : 74. 165, 166, 20, 208n., 214, 238. Clerinont-Tonnerre : 76. Danube, armee du : 144. Codrikas, P. : 73. Danubiennes, Principautes : 4, 7-9, 17, Colettis, Jean, hetairiste : 127. 19, 22, 31, 33, 36, 42-45, 60, 62, Colocotronis, Theodore : 91, 96, 98, 64, 66, 67, 71, 81, 87, 88, 90-93, 114-116, 119. 95, 97-101, 104, 106n„ 107, 109-111, Colovos, hetairiste : 130. 126, 133, 134, 135n, 140, 141, 143, Comizopoulos, hetairiste : 86. 144, 146-148, 153, 155, 164-166, Comnenes, dynastie Byzantine : 14. 168n„ 169, 177-179, 226, 231 (voir Conachi, vornic hetairiste : 147n. aussi Moldavie et Valachie). Constantinople : 6, 10, 12-15, 18, 19n., Dardanelles, 238, 241. 22, 24, 36-38, 43-46, 49, 66-69, 72, Declaration des Droits de I’Homme : 73, 91, 92, 94, 95, 98, lO ln , 102, 25, 196. 104-111, 117, 121n., 123, 125, 126, Delvino : 52-54, 116, 117. 128, 135, 140, 141, 145, 153, 156, 96. 158, 163n., 167-169, 208, 214, 229, Denis Lupu, metropolite de Hongro- 238, 240, 242, 244, 246. valachie: 146, 147n., 151. Consti, sludjer : 151. Derci, metropolite de : 41 n. Constitution de la Republique Helie­ Dervich pacha de Vidine : 151, 218. nique : 25-27, 29, 183-209. Dervizana : 51, 175. Contas, 64. Deux-Siciles, Royaume des : 153 (voir Contrat Social : 76n. aussi Naples). Coran : 37, 39, 246. Dikaios, archimandrite Gregoire : 92, Coray, Adamantios, savant grec : 19, 98, 104n., 133, 143n., 168, 169, 210, 73, 77-79, 86. 211. — 262 —

Diogos, hetairiste : 126n. France, Ministre de Ia Marine : 73. Dimbrovita, riviere : 165. France, Ministre des Relations Exte- Dimitsana : 98, 168. rieures : 73. Directoire executif : 27, 198-199, 202. Frangois II, Empereur romain germa- Divan Imperial : 2, 8, 24, 36-38, 45, nique : 65. 53, 59, 62, 117, 123, 128, 246 (voir Filipesco, Alexandre, grand logothfete aussi Porte, Sublime). hetairiste : 147n. Djalioglou, Stoyan Th<§odorovitch : Filipesco, Georges, vornic hetairiste : 153. 147n. Dobrniats, P., chef serbe : 141. Floresco, Georges, boyard hetairiste : Dodecanese : 144n. 147n. Donzelot, Gouverneur des lies Ionien- Focsani : 158, 221. nes : 115, 116. Doucas, conjure grec : 22. Galata : 107. Dragatsani, bataille de : 165. Galatis, Nicolas, hetairiste : 86, 87, Drama : 126n. 89, 92, 95, 97, 133, 143. Galatz : 158, 171. Drinovatsa : 214. Ducas, Constantin, envoye d’AIi pa­ Galles, Princesse de : 79n., 80. Gardiki : 116. cha : 126. Gatzos, hetairiste : 91. Gazis, Anthimos : 78-80, 86, 87, 92, tcosse : 4/. Egee, Mer : 13, 61-63, 92, 99, 241. 207n., 238 (voir aussi Blanche, Georgie, Georgiens : 208. Georgiou : 211. Mer). Germano, agent bulgare : 133. Egine : 238. Germanos, metropolite de Patras : 98, Egypte : 39n„ 53, 92, 104, 105, 208. 126, 127, 130, 167, 169, 170. Elgin, Lord : 79n. Ghica (Ghikas), famille phanariote : Epaminondas : 228. Epire, Epirotes : 23, 49, 50, 52, 54, 205. 55n., 56, 61, 63, 64, 73, 80n., 91, Ghica, Alexandre, boyard hetairiste : 92, 102, 103, 106, 110, 114-119, 121, 147n. 125, 126n., 127n., 128-130, 147, 170, Gibbon, historien anglais : 15. Gioustos, Constantin, hetairiste : 107. 173-175, 226, 229, 239. Glava, Stanoye, hai'douk serbe : 59. Eubee : 245, 246. Europe, Europeens : 2, lln., 12, 30, Glyky : 122. 64, 71, 80, 156, 157, 178, 181, 226, Glyky, traite de : 122. 227, 230, 233, 240, 253. Golesco, Constantin, grand vornic Evangelidis, Georges, hetairiste : 133, hetairiste : 147n. 210, 211. Golesco, Dimico, logothete hetairiste • Evangile : 80n., 148, 149, 234. 147n. Eyub aga, bach-bechleaga de Molda­ Golesti : 164. vie : 251. Gobineau, comte de : 74. Grande Armee : 73. Fauriel, C. : 29. Frangaises, Constitutions : 25-28, 185 Grande-Bretagne: 11, 80, 110, 113 n., 188n., 191n., 200n. (voir aussi Anglais). Frangaise, Revolution : 1, 9, 13, 81, Grande Loge Nationale de Grece : 72. 176, 178. Grece, Grecs: 2n., 3-6, 8, 9 11-13 France, Frangais: 11, 19n., 20, 22, 15, 18n„ 19, 21-24, 26, 28,’ 30-32^ 26, 28, 32, 39, 43, 44n., 52, 53, 56, 35n., 42, 44n, 47-50, 57, 60, 61, 63, 61, 63, 64, 69, 70, 72-74, 76, 79, 64, 69, 7In., 72-77, 79, 80, 87, 89, 80, 113, 114n., 115, 116, 131, 147n., 90, 91 n., 93, 95, 97n., 99, 101, 103- 156, 178, 179. 107, 109-111, 114, 116n., 117-119, — 263 —

125, 127-129, 131, 134-140, 142, 143, I49n., 150, 152, 157, 158, 166, 167, 146, 149, 152, 153n., 155-159, 165- 170n„ 179, 180, 240. 167, 170, 171, 173-178, 180, 183, Hitairie, Deuxiime, societe secrete : 188n„ 189, 191, 192, 204-207, 214, 74. 219, 225-231, 236, 238-241, 249-153, Hetairie de Rhigas : 30, 31, 73. 256. Hexabiblus : 47. Grbce Centrale : 30, 62, 63, 106, 113n., Hilarion, metropolite de Tirnovo : 81. 115, 117, 118, 170, 172, 173, 239n. Hollande, Hollandais : 156. Grecque, Republique : 74. Hongrie : 60, 89. Grand Orient de France : 72. Hongrovalachie, metropolite de: 63 Gregoire V, Patriarclie de Constanti- 81, 105, 146, 147n„ 151. nope : 24, 62, 69, 77, 78, 80n., 95, Hdtel Grec, societe secrete : 72 75 96, 98n. 76, 83, 147n. ’ ’ G re g o ire , Metropolite de Vidine, puis Hotul, Ghita : 161. de Derci : 41. Hozegheani : 252. Grigorakis, famille maniate : 95. Hussein pacha: 121n., 176, 257. Gorj, district de : 147n., 220. Hydra, Hydriotes : 5n., 92, 96, 153n., Gorj, village de : 151. 168, 170, 178, 207, 236-239, 241. Guegues, tribu albanaise : 5. Hypatros, D., hetairiste : 92. Guentcho, chef revolutionnaire bul­ g a re : 150. Ibrahim Nibi : 252. Guilford, Frederick North, Lord : 80. Ibrahim pacha de Berat: 113, 114. Giilkhane, hatti-houmayoun de : 36. Ignace, metropolite d’Arta, puis de Hongrovalachie : 63, 79-81, 92, 97, Hadji Enuch, commergant grec : 161. 98, 105, 129, 130n., 169, 175n. Hadjimichali, chef bulgare : 88n., 89, Ilikoglou : 42, 44. 91, 150. Illyriennes, Provinces : 69. Hadjimoschos, S. : 76. Illyriens : 129n. Inzov, general russe : 156n. Hadji Moustapha pacha de Belgrade : Ionie : 104. 7, 59, 72n. Ionienne, Academie : 80. Hadji Prodan, chcf revolutionnaire lonienne, Mer : 92. serbe : 150, 152, 164. Ioniennes, lies : 31, 52, 55, 56, 63, 67, Hadji Sekret, po£te albanais : 63. 79, 91, 113-116, 119, 176. H afiz pacha de Nich : 68. Isko, Pierre : 64. Halet effendi : 110, 117, 171, 172. Islam : 4, 14, 35, 245-247. H a rm o d iu s : 228. Islam aga Pronio, chef albanais : 56n., H a s a n aga Tchapari, chef albanais : 253. 56n., 57n., 114, 253. Ismael Pacho bey: 117-121, 126, 174. Hellade, Hellenes (voir Grece, Grecs). Ismail: 104n., 110, 111, 144, 145n., 208. Helienique, Empire : 15. Italie, ltaliens : 10, 32, 74, 91, 92, 97, HelUnique, Hitairie : 75. 98, 105, 120, 130, 180. Helienique, Republique : 20, 21, 25, Italinsky, ambassadeur russe : 68. 26, 28, 42, 179, 183, 190, 203-205.Itch-Kaie, forteresse : 122, 123. Helliniki Nomarchia : 60. Ithaque : 86. Herbert Rathkeal, baron von, inter­ nonce : 23. Janina : 45, 47-51, 53, 54, 55n., 113, Herzegovine : 7, 106. 114, 117-120, 122, 123, 126n., 129n., Hetairie des Amis : 30, 31, 61,> 76, 77, 131, 151, 168, 70-75, 244. 80, 83-87, 89, 91-97, 99-103, 107, Janina, lac de : 123. 110 117n., 123, 125, 126n., 127- Jassy : 13, 66, 68, 81, 87, 89, 92, 155, 129,’ 131, 133, 136, 143, 144, 146, 158, 225, 228, 230, 233. — 264 —

Jivkovitch, Stephane, depute serbe : Lassanis, Georges, hetairiste : 145, 133, 134. 146. Joseph II, Empereur romain germa- Lavra, monastere de : 169. nique : 19n. Laybach, Congres de : 153, 156n. Jova, chef revolutionnaire serbe : 150. Lemercier, Nepomucene : 29. Judas : 149. Leonidas : 228. Juifs : lln., 120. Leontios, metropolite de Belgrade : 64. Lepante : 53, 118. Kallinikos, Patriarche de Constanti­ Leucade: 72, 74, 79, 113, 115. nople : 67. Levant : 13. Kara Mehmed pacha de Skodra : 52. Leventis, Georges, hetairiste : 87-89, Kara Moustapha pacha d’Ohrida : 52. 91, 97. Karadja, Constantin, hetairiste : 98. Liapes, tribu albanaise : 175. Karadja, Jean, Hospodar de Valachie: Livadia : 50, 238. 88, 97, 98, 105, 155, 159, 161. Livourne : 74n. Karageorges, chef serbe : 8 , 59, 61- Logothetis, Jean : 257. 63, 68 n., 87n., 88-90, 100, 133, 138, Lorn : 214. 152. Louriotis, A., hetairiste : 91, 92. Karamichos, A., hetairiste : 128n. Lysippos, A. : 103 (voir aussi Leven­ Karatasos, chef grec : 60. tis, Georges). Khamco : 49. Khourchid Ahmed pacha de Moree : Macedoine, Macedoniens: In., 30, 60- 121-123, 167, 168, 170, 172-175, 213, 62, 64, 91, 92, 96, 103n., 106, 117, 129, 145, 149, 170, 207, 229. 244. Macedoniens, dynastie byzantine : 14, Kiapha: 51, 119, 121n., 176. 47n. Kichinev : 97, 215. Magne, Maniates : 30-32, 74, 91-96 Kiev : 69, 97n. 98, 103, 105, 110, 116, 117, 130n ’ Kirjalis, renegats : 6 , 40, 41, 177, 208. 169, 170, 207. Kirk-Kilisse : 45. Maitland, Sir Thomas, Lord Haut- Kirsa : 40. Commissaire : 116, 126n. Kissilev, general russe : 156n. Mahmoud II, Sutvan ottoman : 35 35 Koprulu, famille albanaise : 4n. 115, 117, 118, 121, 123, 126-128’ 141, 171. Kossovo-polje, bataille de : 7. Mahomet II, Sultan ottoman : 2n Koungi : 55. Kragoujevatz : 211-214. Makedonski, Demetrius, chef revolu­ tionnaire roumain : 150, 164 220" Kronstadt (voir Brasov). Makrynitza : 191. Kulm, bataille de : 101 n. Malte, Maltais : 207. Kurd pacha de Berat : 49. Kutchuk Hussein pacha, capoudan Mano, Jean, hetairiste : 100. Manolachi, boyard valaque : 65 pacha ; 33, 39, 41. Kutchuk Kai'nardji, traite de . , . Marachli Ali pacha de Belgrade • 141 Marathon : 228. 157. Marathonisi, assemblee de : Kytriai : 94. 31 32 Marinoglou, C. : 126. Lacedemone, metropolite de : 4In. Marmara, mer de : 106. Lai a 114, 115. Mar/yariti : 5dii, 122. Ungenfeld, ChristoOule KirliailOS, ba­ Marseillaise : 21 n. ron de : 19. Marseillaise Grecque : 21. Langeron, comte de : 64n. Mavrocordato, Alexandre, Hospodar Laspas, Anagnoste, hetairiste : 128, de Moldavie : 18, 19, 74, 75, 86, 97, 129. 105n. — 265 —

Mavrocordato, Alexandre, grand pos- Mourouzi, famille phanariote . 205. telnic : 97, 105, 172-175, 257. Mourouzi, Alexandre, Hospodar de Mavrocordato, Catherine, princesse : Moldavie et de Valachie : 41, 44n 75. 67n. Mavromichalis, famille maniate : 95. Mourtotsali, chef albanais : 255, 257. Mavromichalis, Pierre, bey du Magne: Mousa aga, chef albanais : 57n. 91-97, 170, 176. Moustakof, D. : T34. Mavroyeni, famille grecque : 205. Moustapha Bairaktar : 42, 44. Mavroyeni, Nicolas, Hospodar de Va­ Munich : 80. lachie : 18, 19, 93n. Musulmans : 4-6, 12, 37, 39, 41-43, Mediterrande, Mer : 23, 29. 49, 52, 53, 55n„ 57, 59, 60, 64, 67, M£diterran£e, lies de la : 183. 69, 106n., 114, 115, 118, 120, 122, Mehedinti, district de : 220. 127, 171n., 172, 178, 183, 185n„ Mehmet Salik aga : 167. 190n., 208n., 209, 236, 241, 245, 248, Mehmet pacha de Cr£te : 254. Mer cure Savant : 78. Messenie : 92, 115. Naoum, secretaire de Karageorges : Mess^nie, s£nat de : 170. 89. Metaga, chef albanais : 57n. Naples : 74, 9In, 105, 129 (voir aussi, Meteores : 63. Deux Siciles, Royaume des). Metternich, Clement von : 80, 165. Nasturel-Heresco, Constantin, boyard M iaoulis, Andre : 98. hetairiste : 147n. Minas, Mino'fde : 29. Negodine : 139. M iltiade : 228, 238. Negris, Theodore, hetairiste : 87, 91, Mirdites, tribu albanaise : 106, 145. 97, 105, 143, 174, 257. Missolonghi : 172. Nenadovitch, Alexis, cnfeze : 59. Mohammed Ali pacha d’Egypte : 4n., 105, 107. Nicolaou, Georges : 34, 212 (voir M oho ur Sebie : 242. aussi Olympios, Georges). Moldavie, Moldaves : 8-10, 18, 43-45, Niko-Tsaras, chef revolutionnaire 64 66, 67, 68n., 69, 87, 89, 92, 107n., grec ; 60-63. 139, 144, 145, 1*18, 155, 156, 158, Nizam-i Djedid: 35, 38-42, 46, 61. 163, 169, 171,* 214, 225, 226, 229, Noire, Mer : 104, 145, 207. 232, 244, 245, 246, 249, 252. Noutsos, Alexis, hetairiste: 119n., Moldovalachie : 183, 239, 253. 122, 127, 128, 129n., 131, 172. M on astir : 118. Monemvassie : 115, 238. Obradovitch, Dosithee, historien ser­ Montenegro, Montenegrins : 4, 8, 44n., be : 7, 81. 103, 106, 117, 145, 158, 176, 241. Obrenovitch, Miloch, cn£ze supreme Moray ans : 12. de Serbie : 8, 88-90, 102, 103, 109, Moree : 5n., 12, 23, 29, 30, 32, 57, 61, 111, 133-142, 152, 153, 163, 210-214, 73, 74, 89, 92, 93n., 97, 98, 103, Occident: 237. 105, 109-111, 114, 115, 117, 122, Odessa : 69, 72, 83, 86, 91, 92, 145n., 157, 167, 168, 170, 171, 174, 214, 157n., 158n. 226, 229, 239, 241, 245, 246, 253, Oeconomou, Ch., hetairiste : 125, 127. (voir aussi Peioponnese). Oeconomou, Demetrius, marchand Moschonisia : 247. grec : 21. Moscou : 72, 73, 76, 86, 92, 128. Oeconomou, M., hetairiste : 127, 129n. Moukhtar, grand-p£re d’Ali pacha : Ohrida : 52. 55 n. Olt, riviere : 220, 221, 223. Moukhtar pacha de Lepante : 53, 63, Oltenie: 140, 146, 147n., 150, 151, 118, 129n. 159, 164. IB — 266 —

Olympe, mont : 60-62, 63n., 91, 207. Perraivos, Christophe, hetairiste: 21, Olympios, Georges, armatolos hetai­ 29, 30-32, 53n., 86, 103, 110, 120, riste : 60, 61, 69, 88, 89, 91, 92, 122, 130, 134, 145n. 97, 98n., 104, 110, 111, 133-134, 144, Perse, Persans : 107, 228. 145, 147, 148, 149n., 150, 152, 163- Pestel, officier russe : 156n. 166, 210-212 (voir aussi Nicolaou, Peta, accord de : 172, 173. Georges). Peta, bataille de : 175. Omer pacha Vrioni : 173, 174, 176. Petrakis, famille : 205. Orient : 30, 80, 93, 237. Petrovitch, Georges : 59 (voir Kara­ Orlov, general comte : 155. georges). Orthodoxe, Eglise: 7, 11-13, 15, 19, Petrovitch, Veliko, hai'douk serbe : 60, 72, 78, 157, 158, 159n., 217, 218. 61. Orthodoxes : 5, 156, 226. Plianar, Phanariotes : 8, 10-15, 18, 24, Osman, sultan ottoman : 237. 28, 60, 68, 70, 77, 78, 97, 100, Ostroujnitza, assemblee d’ : 67, 68n., 153n., 163n. 69. Pharmakis, Ali, chef albanais: 114- Ottoman, Empire: 1-9, 11-13, 15, 17, 116. 18n., 19n., 25, 27-29, 35, 37, 39n., Pharmakis, Jean, hetairiste: 91, 92, 43, 44n., 46, 57, 66, 71, 73, 74, 80, 95, 96, 134, 147, 148, 149n., 150, 87, 90, 91, 100, 107, 117, 126, 129, 152, 163, 166. 131, 135, 141, 153n., 155-157, 170, Phenix, societe secrete : 72, 73, 75, 83. 171n., 172, 176, 179, 185n., 188n., Pherai : 239. 190n., 207n., 217-219, 221, 222, 231, Philippoupolis : 145, 153. 241, 244. Philogenie, loge magonnique : 72. Philomouses, societe des : 75, 79, 80, Padech, proclamation de: 150, 216- 87. 217. Pierre I", Vladika du Montenegro : Padoue : 79. 176, 241. Palssy, moine bulgare : 6. Pise : 81, 98, 129, 172. Palestine : 14. Pisistrate : 228. Papa, Aristide, hetairiste : 98, 130, Pitesti : 163, 164, 221. 136, 138-140. Plesiovitsas, Georges, chiliarque : 257. Papachristou, D., hetairiste : 144n. Pojarevatz : 141. Paparrigopoulos, Jean, hetairiste : Pologne, Polonais : 22. 125-128, 169. Porphyre, metropolis d’Arta : 121. Papayannopoulos, Anagnostis : 257. Porte, Sublime: 8n., 10 11 94 Paramythia : 51, 53. 33, 37, 40, 43, 45, 49,52 54 55n Parasouliotes : 48, 120. Parga: 54-56, 113, 116, 117, 229. Paris : 72, 75, 86, 115. 7 103> 110> 1U- »3, ,2q i J ’ J i J 120> 121> 125-127, Paris, convention de : 116. 5l’l « 136, 139-141, Paros, lie : 238. 151-153, 157, 163, 167 171 17 a Passarowitz, traite de : 20. 212, 214, 21S, 217 219 a t 232, 244 247-24Q oki \ ' . Pasvanoglou, Osman : 19, 24, 33, 40- 46, 59, 64, 67n., 72n., 177, 208. Divan Imperial) (V°'r aUSS1 Patras: 115, 125-127, 167, 170. Pouqueville, consul de France: 63, Peiion, mont: 78, 80, 86, 91, 92, 97. Pr£v6za : 52, 117 , H 8. Pelopidas, hetairiste : 92, 97, 98, ’l05. Proclamation Revolutionnaire : 25, 29. Peloponnese : 12, 98, 106n., Ill, 167, 184n. 168, 238 (voir aussi Moree). ’ Protestants : 156. Pentedekas, hetairiste : 91, 92, 95. Prusse, Prussiens : 11, 44, 45. — 267 —

Pruth, riviere : 89, 140, 141, 154, 155, Russie, Russes : 4, 10, 11, 19, 35, 43- 45 47, 50, 56, 61, 63n., 64-70, 73- 158n„ 163, 165. 75, 79, 80, 87, 88, 90, 92, 94, 97, Psara, ile : 170, 238, 239. 98n., 99n., 102, 104, 105, 111, 113, Psalidas, Athanase, savant grec. 125-127, 131, 133, 135, 138, 139, 128n- • ,on 141, 145-147, 151, 155-158, 162n., Pyrrhus, Roi d’Epire : 129. 163, 164, 166, 167, 178, 179, 207n„ 215, 220, 230-232, 240.

Rakitch ' V.^ savant serbe : 81- Sainte Alliance : 80n., 153. Reinfiar'd, comte, consul s t e a l Sain/e Alliance, navire hydriote : 153n. France : 44n. Sainte-Sophie, eglise d e : 240. Retchip aga : 140. 71. Saint Napoleon, loge magonnique : 72. Saint-Pantelei'mon, monastere de : 123. Saint-Petersbourg : 45, 66, 67, 69, 86, 87, 97-99, 101 n., 102. II: St S JE: SE Saint-Sava, eglise de : 149n. 239n„ 240, 241. Saint Synode : 10, 12, 41n. Rila, mont: 6. „rand pos- Saint-VIadamir, decoration russe : 147n. R 1e“ ic de°UM 0l vistier Sani-Zade, historien turc : 171n. Rosetti-Roznovapu, Sawas, dit Phokianos, hetairiste: hetairiste: 147n. 104, 109-111, 134, 135, 140, 144, 145, 147, 149n., 152, 153, 163-165, R0Uget dC Pavs 216, 219, 221-224 211, 213. Roumain’ ssi Valachie, Valaques)Q Save, riviere : 207. (voir auss c'hroniqueur: 9. Scopelos, lie de : 62, 63. « Roumam Zel , lgn_( 33) 53, Sculeni, bataille de : 165. Roumains : 4- ’ ^ I43n., 144. 14?’ Scythes : 256. 64, 74, 81, ' ,6 5 218, 219 (voir Sebastiani, ambassadeur de France : 149, 151 n-> f panu’biennes, Princi- lUSsi Daces . V valachie). 115. Secu, monastere de : 165. p a u tfe ' 57. 103n 10J Seguier : 76. Ronma'i ® ' ]M 207 213, , Sekeris, Athanase, hetairiste : 86. n3' oil’ 243-245, 250, 253. Sekeris, Georges, hetairiste : 86. 229, 239, 106. Sekeris, Panayotis, hetairiste : 94, 95. Roumeiie J)r’enlli 178. Selim III, Sultan ottoman : 19, 33, 35- Roam e.ean_jacques : 39, 41-43, 45, 46, 52, 59, 61, 72 Rousseau- J 159. R°USTMacetien>>. ^ 74, Selim Mehmet, pacha de Silistrip • 164, 252. « Rof I29n. “f i V rfe : ®l- rush ae — 268 —

Selim pacha de Delvino : 49. Stourdza, Gregoire, boyard hetairiste: Sept-Iles Unies,~ Republique des : 43, 147n. 116 (voir aussi loniennes, lies). Stourdza, Jean Sandul, hospodar de Serbie, Serbes: 2n., 3, 4, 7-9, 11, Moldavie : 249. 18n., 22n., 32, 44n., 45, 60-70, 72n., Stourdza, Sandu, boyard hetairiste : 87-92, 100, 102, 103, 106, 109-111, 147n. 117, 133-142, 144, 145, 149, 152, Stroganof, baron de : 127, 128, 232. 153, 158, 165, 169, 177, 180, 206n., Suede : 22. 207n., 210, 214, 226, 229, 249, 250. Suleyman Icr le Magnifique, sultan Serbie, Vieille : 106. ottoman : 42. Suleyman pacha de Trikkala : 128, Sirenissime Orient de Grece et Orient de Corfou : 72. 129. Siliclitar Potta, chef albanais : 119n., Sulidje, 6cole d’ingenieurs de : 39. 122. Syracuse : 228. Silistrie : 208, 251. Syrie : 14, 104. Siniavine, amiral russe : 62. Sistov, traits de : 20, 59. Tahir Abazi, chef albanais: 119n., Skanavis, famille : 205. 173, 255. Skenderbeg, prince d’Albanie : 129. Talleyrand, Charles-Maurice de : 73, Skodra : 52, 74, 103, 106, 145. 74. Skouphas, Nicolas, hetairiste : 75, 76, Tanzimat, £re du : 36. 83, 84, 86, 88, 90-93, 95. Tchames, tribu albanaise : 175, 257. Slaves : 19n. Tchecobey : chef albanais : 255. Sociiti Philologique : 79. T6bdlen : 49. Societe Philosophique de Bucarest : Temp6 : 31. 147. T£nare, cap. : 239. Sofia : 40, 106, 145. T£n£dos, ile de : 239. Souli, Souliotes : 47, 48, 50-56, 59n., Tersenikoglou, ayan de Roustchouk : 63, 79, 93n., 95, 98, 113, 116, 117n., 42, 44. 118-122, 128n., 129-131, 170, 172- Thebes, Th£bains : 228, 238. 176, 179, 207, 226, 229, 256, 257. Th£mistocle : 228, 238. Soutzo, famille phanariote : 107, 205. Themistocle, navit& hydriote : 236. Soutzo, Alexandre ; hospodar de Va­ Thermophyles : 228. lachie : 98, 107n., 144, 146, 150n., Thesprotie : 53. 151, 159, 161, 217, 218. Thessalie, Thessaliens : 17, 18, 49 Soutzo, Michel, hospodar de Valachie: 55n., 60-63, 73, 78, 106, 117, 170 20. 191, 205n., 226, 239-241. Soutzo, Michel, hospodar de Molda­ Thourios : 20, 22, 25, 28, 29, 32, 42. vie : 107n., 144-146, 147n., 148, Thrace: 92, 103, l!3n., 229. 152, 155, 158n., 225. Thrasybule : 28. Spartiates : 30. Timoteon : 228. Spetzai, ile de : 168, 170, 238, 239 Tirgoviste : 163-165, 235. 241. Tirgu Jiiul : 220. Sphakiotes : 95. Tirnovo : 81. Spiliotopoulos, freres hetairistes : 31 32. Tismana, monastere de : 220. Tombazis, Jacques, hetairiste : 98, Stamaty, Constantin : 74. 236. Stamboul : 247 (voir aussi Constan­ Tombazis, Nicolas : 236. tinople). Toskes, tribu albanaise : 5, 175, 255, Stathas, Jean, corsaire grec : 61. 256. Stephanopoli, freres : 31, 32. Transylvanie: 9, 18, 43, 66, 69, 163. Stoikovitch, chef serbe : 141. Tricorpha: 255. — 269 —

Trieste : 17, 19, 21, 22, 31, 193n. Vienne : 10, 19-25, 66, 78-80, 86, 205n. Trikkala : 49, 50. Vienne, Congres d e : 138. Tripolitsa : 12, 167-170, 238, 256. Viichoreanu, stolnic : 151, 161. Troupakis, famille maniate: 95, 98. Villara, Alexandre, aga : 162n. TsakaJof, Athanase, hetairiste: 76, Vladimir, village valaque : 147n. 83, 84, 86, 90-92, 96, 97. Vladimiresco, Theodore, chef rdvolu- Tsounis, A., hetairiste : 105. tionnaire roumain : 9, 104, 139. Turcalbanais : 48, 175, 183. 140, 142, 146-148, 149n., 150-153, Turquie, Turcs : 2n., 3, 4n., 5-12, 14, 156n., 159, 162, 163, 165, 166, 178- 15, 17, 18n„ 19, 21, 23-25, 29, 35, 180, 216, 217, 220-222, 224. 38 41 n, 43, 47, 48, 50, 56n., 60, Volo: 191, 241. 61,' 63-66, 68, 69, 71, 78, 87, 88n., Vostitsa, assemblee de : 168. 89, 94-96, 102, 104, 106, 111, 113n., Voulitchevitch, Vouitcha, cneze. ser­ 114, 120, 121, 135, 140, 141, 144, be : 88, 90, 133. 145, 152, 153n., 154, 155, 15S, 163- Vourgarelli : 53, 54. 167, 169, 171, 172n., 175, 176, 179, Witgenstein, general russe: 155, 183 185, 199, 204, 206, 208, 213, 156n. 214, 225, 229, 232, 239, 241, 250, 257 (voir aussi Ottoman, Empire). Xanthos, Emmanuel, hetairiste: 72, Turquie d’Asie : 40. 83, 84, 86, 87, 91, 92, 97-100, 102, Turquie d’Europe : 40. 133, 152n. Tzavellas, clan souliote : 48. Yakoub aga de Lala: 114n., I I 611. Tzavellas, Lambros : 51, 52. Yankos : 64. Tzavellas, Photos : 51-55. Yousouf bey, moutesellim de Salo­ nique : 247. Vacaresco, Jean, poete roumain : 9. Ypsilanti, Alexandre; hospodar de Vacaresco, Nicolas, vornic hetairiste : Moldavie et de Valachie : 7, 18, 19, 147n. 151, 152. 33, 43n., 45, 69, 160, 161. Valachie, Valaques : 7-10, 18-20, 33, Ypsilanti, Alexandre, chef de 1’Hetai- 41-45, 60, 64, 66, 67, 68n., 69, 88, rie: 75n., 97, 100-102, 105, 109-111, 93n 97 107n., '139-141, 144, 146- 119, 122, 128, 130, 113-135, 137- 142 145, 146, 147n., 148, 152, 153, '5 '. 158■ S ' , 6,3' 164 166, 189, 192, 206n., 214, 217- 155,’ 156, 158, 162-166, 168, 169, 219,’ 221, 222,-226, 229, 232, 243, 171, 179, 180, 214, 215, 225, 226, 945’ (Voir aussi Roumain, Pays). 228-230, 233, 235, 238, 240, 243, Valachie, Divan d e : 147, 148, 151, 255. 152, 163. , Ypsilanti, Constantin, hospodar de Vatikiotis, Demetrius, hetairiste : 9 , Moldavie et de Valachie : 18, 23, 24, 39, 43-46, 60, 64-70, 75n., 88n., 92, 100. 97n., 147n., 243. Vauban : 39, 43. Ypsilanti, Demetrius, frere du prece­ Velestino : 17, 78, 239n. 55 dent : 18. Ypsilanti, Demetrius, hetairiste : 97, p9Th? .r,“: mi & a 158, 175n, 241, 253-255. v d i/p e ,e d’Ali » " • Ypsilanti, Nicolas, hetairiste : 30, 83n Vendotis, Georges . ^ 91, 97, 114n. Veniamin, archiman • • Ypsilanti, princesse : 232. Venise, Venit.ens : 3n„ 4, 23, Zacharias, klephte grec: 114. 157. 253. Zaglas : 64. Vervena 1, 72, 139, 151, Vidine : 24, 40-42, 59, Zagora : 18, 75, 239. 177, 214. — 270 —

Zagori : 172. Zervas, B., envoye souliote : 120. Zalykis, Georges : 76, 77, 147n. Zervas, G., envoye souliote : 120. Zante : 25, 114, 116. Zichna : 62. Zefarovitch, Ch., savant serbe : 81. Zosimas, Z. commergant grec : 72, 73.

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r TABLE DES MATIERES

Avant-propos ......

Introduction ......

Chap. J. Rhigas Velestinlis et ses contemporains

Chap. II. La Constitution et les Projets de Rhigas

Chap. III. La crise du « Nizam-i Djedid » ......

CHAP. IV. La premiere crise souliote......

Chap. V. La Revolution serbe et les G recs......

Chap. VI. Les societes secretes et Ie Mouvement Litteraire Revo­ lutionnaire ...... P.

CHAP. VII. La fondation de l’Hetairie Amicale...... 8; % CHAP. VIII. La « Direction Collective » de I’Hetairie...... 93

Chap. IX. Alexandre Ypsilanti et les plans de l’Hetairie .... 101

Chap. X. Ali Pacha de Janina,...... 1,3

Chap. XI. L’Hetairie et I’E p ire ...... 125

Chap. XII. L’Hetairie et Miloch Obrenovitch...... 133

CHAP. XIII. L’Hetairie dans les P rin c ip a u te s ...... 143

Chap. XIV. La Revolution hetairiste dans les Principautes .... 15o

Chap. XV. Les debuts de la Revolution grecque. - Rapports greco-albanais ...... ^

177 Conclusions...... r

— 280 —

A p p e n d ic e s : « A ». La Constitution de R h ig a s ...... 183 « B ». La correspondance entre Miloch Obrenovitch et l’Hetairie 210 « C ». Documents concernant l’insurrection de Theodore Vladi­ miresco ...... 216 «D». Documents concernant l’insurrection d’Alexandre Ypsilanti 225 « E ». Proclamations revolutionnaires grecques ...... 236 « F Documents turcs concernant les insurrections de 1821 . . 243 « G ». Documents concernant les relations gr£co-inusulmanes .. 253

Ind ex ...... 259

B ibliographie ...... 271



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