Initiation Au Maroc
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INITIATION AU MAROC INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES MAROCAINES INITIATION AU MAROC Nouvelle édition mise à jour VANOEST LES EDITIONS D'ART ET D'HISTOIRE I)i\ R 1 S MCMXLV OAT COLLABORÉ A CET OUVRAGE : 1 MM. É. LÉVI-PROVENÇAL, directeur honoraire de l'Institut des Hautes Études Marocaines, professeur à la Faculté des Lettres d'Alger. J. CÉLÉRIER, directeur d'études de géographie à l'Institut des Hautes Études Marocaines. G. S. COLIN, directeur d'études de linguistique nord-afri- caine à l'Institut des Hautes Études Marocaines, pro- fesseur à l'École des Langues orientales. L EMBERGER, ancien chef du service botanique à l'Institut Scientifique Chérifien, professeur à la Faculté des Sciences de Montpellier. E. LAOUST, directeur d'études honoraire de dialectes berbè- res à l'Institut des Hautes Études Marocaines. Le docteur H.-P.-J. RENAUD, directeur d'études d'histoire des sciences à l'Institut des Hautes Études Marocaines. HENRI TERRASSE, directeur de l'Institut des Hautes Études Marocaines, correspondant de l'Institut. II MM. RENÉ HOFFHERR, maître des requêtes au Conseil d'État, an- cien directeur des Centres d'études juridiques et admi- nistratives \à l'Institut des Hautes Études Marocaines. PAUL MAUCHAUSSÉ, MARCEL BOUSSER et JACQUES MTLLERON, maîtres de conférences aux Centres d'études juridi- ques et administratives. HENRI MAZOYER, contrôleur civil, CLAUDE ECORCHEVILLE, J. PLASSE et JEAN FINES, contrôleurs civils adjoints. J. VALLET, Chef du Bureau de documentation économique au Service du Commerce. AVANT-PROPOS DE LA PREMIÈRE ÉDITION (1932) Jusqu'à une date récente, le Français qui arrivait au Ma- roc recevait un choc : du premier coup, une impression puissante d'étrangeté, de dépaysement le saisissait. A découvrir, comme Loti, les plaines sauvages tapissées de fleurs, les déserts d'iris et d'asphodèles de « ce pays som- bre », il se trouvait transporté loin de la France, beaucoup plus loin encore dans le temps que dans l'espace. En moins de vingt ans, le décor, du moins celui des entrées du Maroc, a été métamorphosé comme par magie ; ports audacieux en avant des terres, vastes cités modernes en avant des médinas, larges routes sillonnées d'autos, bor- dées de riches cultures, trains électriques, toutes les COlnmo- dités matérielles des pays le mieux outillés, donnent à l'ar- rivant l'illusion d'une France nouvelle plus propre, plus lumineuse, plus aérée. Ce n'est qu'un voile de plus, un étincelant voile neuf jeté par-dessus tous les voiles blancs dont s'enveloppe l'Islam. Ce n'est qu'une apparence féconde en illusions pour tous ceux qu'appelle ici une mission. Aucun Français ne peut accomplir au Maroc œuvre utile s'il ne reconnaît rapidement qu'il n'est plus chez lui, qu'il est hors de France, très loin de la France, séparé d'elle par de loiigs siècles d'histoire dans le passé, par d'épaisses réa- lités économiques et politiques dans le présent, beaucoup plus largement que par n'importe quelle barrière géogra- phique. Mis au point par les spécialistes les plus compétents, avec un soin auquel nous sommes heureux de rendre hommage, ce petit livre est un avertissement. Il se propose de mettre en garde contre des illusions dangereuses; il donne l'état actuel de nos connaissances essentielles sur le Maroc, sur le pays, sur ses habitants. Pour certaines nations, un ouvrage de ce genre serait sans doute inutile, tant elles sont orgueilleusement persuadées de la différence qui les sépare des autres peuples, de leur supé- riorité sur tous. Pour des Français, il en va autrement, sur- tout si ces Français sont des universitaires épris d'une idéo- logie qui est, contrairement à ce qu'ils croient, spécifique- ment nationale, et sans doute unique au monde. Notre nation est remarquablement unie et tend vers une unification qui n'est pas loin d'être intégrale. Est-il besoin ici d'en rappeler les raisons profondes? Notre République, qui se sent et se veut une et indivisible; notre langue, une, chassant les patois qui s'estompent et disparaissent; la reli- gion, affaire individuelle, non d'État, ni même de parti; nulle caste, nul privilège de naissance ou de classe; un genre de vie, une conception de la vie, communs à tous. D'où résulte pour nous l'invincible habitude de penser que tous les hommes sont à peu près semblables entre eux, comme les Français, ou qu'ils sont en train de le devenir, et qu'ils le seront bientôt. Convaincus au fond de l'excellence de notre statut social, de nos mœurs, de notre organisation politique, de toute notre civilisation, nous pouvons être tentés de croire que nous ne saurions mieux remplir notre devoir envers l'hu- manité qu'en la persuadant de se rendre semblable à nous. Ces habitudes d'esprit comme inconscientes nous font commettre des erreurs graves dès que nous franchissons nos frontières. En particulier, elles causent des déceptions cruel- les à ceux qui prennent contact pour la première fois avec les populations indigènes. Cet esprit généralisateur, dédai- gneux des contingences locales, aura inspiré telle mesure administrative qui paralyse l'essor d'une colonie, tels pro- pos quotidiens qui inquiètent son moral. Puis il s'étonne de la désaffection des indigènes dont il a troublé les habitudes séculaires, sans nécessité apparente, par des présents d'Ar- taxerxès. Il les accuse de ne pas comprendre, de méconnaî- .tre la pureté, la générosité de ses intentions. C'est lui qui n'a pas compris, et c'est lui qui a tôt fait de transformer l'indigénophile béat en farouche indigénophobe. Sachons voir — ce petit livre nous y aidera — que, hors de France, nous rencontrons des hommes qui vivent et pen- sent autrement que nous, qui ont le droit de vivre et de pen- ser autrement que nous, qui sont attachés légitimement à Ides croyances que nous ne partageons pas, qui gardent jalousement un idéal différent du nôtre. Nulle part nous ne trouverons l'homme abstrait, dont la conduite et les senti- ments se déterminent par raison démonstrative. Faisons de cette remarque de Joseph de Maistre le point de départ de nos méditations : « J'ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes; je sais même, grâce à Montesquieu, qu'on peut être Persan; mais quant à l'homme, je déclare ne l'avoir rencontré de ma vie; s'il existe, c'est bien à mon insu. » Nous ne rencontrerons pas davantage le Marocain, le Ma- rocain idéal, abstrait, ni même le Marocain moyen. Nous avons, qui nous entourent, des Rifains et des Soussis, des Beni Hassen et des Zemnlour, des gens de ville et des gens de tribus, des arabophones et des berbérophones. S'ils ont un trait commun, il est négatif, c'est d'être profondément différents d'un Français. Ces divers groupes marocains ne sont pas parvenus au même degré d'évolution. Jamais, avant notre arrivée, qui date d'hier, ne nous lassons pas de le répéter, ils n'ont vécu longtemps ensemble de la même vie; jamais ils n'avaient formé une nation durable, un État pacifique et centralisé. Leur histoire a été constamment dominée par des peuples ou des hommes étrangers dont le passage a laissé des traces plus ou moins profondes selon les régions. Leurs langues sont différentes : parlers* citadins, parlers ruraux, parlers bé- douins, dialectes berbères répartis en plusieurs groupes. La religion, pour être commune, n'en est pas moins pratiquée de façons différentes suivant que l'on considère les milieux berbères ou la, société arabe, celle des villes ou celle des cam- pagnes, celle des hommes nu celle des femmes. Ainsi, de quelque côté que l'on examine le Maroc et ses . habitants, on ne trouve que diversité entre les éléments, et différence radicale entre Vensemble et la civilisation qui nous est familière. Il nous faut donc, pour vivre et travailler ici, réserver nos idées générales sur « l'homme », sur « l'indigène », sur « le Marocain », modifier, dans nos rapports avec nos pro- tégés, des manières traditionnelles de penser, de sentir, de juger, que nous croyons à tort universelles, et qui sont, en réalité, foncièrement françaises. Nous aurons même par- fois à remettre en question notre hiérarchie des valeurs. Et voilà pour les hommes. Pour les choses aussi, il nous faut tenir compte des cli- mats qui commandent une hygiène spéciale, d'un sol et d'une atmosphère qui conditionnent une agriculture parti- culière, de richesses qui se découvrent chaque jour et modi- fient une situation économique encore instable. Le Maroc n'est pas un pays neuf au sens que l'on donne généralement à cette expression : c'est un pays que nous rajeunissons. Il ne s'agit nullement de créer en toute liberté; il faut régénérer, donner une nouvelle vigueur à une société languissante en orientant, en stimulant son activité, res- pecter une civilisation tout en l'enrichissant. C'est dire combien il est nécessaire à tous de connaître les facteurs d'un si vaste problème, à savoir le pays, ses res- sources, les hommes, leur histoire. Cette connaissance ne s 'acquiert que par un travail continuel qui se poursuivra tout le long d'une carrière, mais qui doit trouver son point de départ dans l'étude des résultats acquis. Les pages qui suivent répéteront au lecteur, à tout ins- tant : « Tu n'es plus en France; il faut t'adapter à un nou- veau milieu. La grande oeuvre française à laquelle tu viens collaborer mérite, exige cet effort de compréhension et d'in- telligente sympathie. » L. BRUNOT, J. GOTTELAND, Directeur honoraire Directeur général honoraire de l'Institut des Hautes Etudes de l'Instruction publique, Marocaines. des Beaux-Arts et des Antiquités.