INITIATION

AU MAROC

INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES MAROCAINES

INITIATION AU MAROC

Nouvelle édition mise à jour

VANOEST LES EDITIONS D'ART ET D'HISTOIRE I)i\ R 1 S

MCMXLV

OAT COLLABORÉ A CET OUVRAGE :

1

MM. É. LÉVI-PROVENÇAL, directeur honoraire de l'Institut des Hautes Études Marocaines, professeur à la Faculté des Lettres d'Alger. J. CÉLÉRIER, directeur d'études de géographie à l'Institut des Hautes Études Marocaines. G. S. COLIN, directeur d'études de linguistique nord-afri- caine à l'Institut des Hautes Études Marocaines, pro- fesseur à l'École des Langues orientales. L EMBERGER, ancien chef du service botanique à l'Institut Scientifique Chérifien, professeur à la Faculté des Sciences de Montpellier. E. LAOUST, directeur d'études honoraire de dialectes berbè- res à l'Institut des Hautes Études Marocaines. Le docteur H.-P.-J. RENAUD, directeur d'études d'histoire des sciences à l'Institut des Hautes Études Marocaines. HENRI TERRASSE, directeur de l'Institut des Hautes Études Marocaines, correspondant de l'Institut.

II

MM. RENÉ HOFFHERR, maître des requêtes au Conseil d'État, an- cien directeur des Centres d'études juridiques et admi- nistratives \à l'Institut des Hautes Études Marocaines.

PAUL MAUCHAUSSÉ, MARCEL BOUSSER et JACQUES MTLLERON, maîtres de conférences aux Centres d'études juridi- ques et administratives.

HENRI MAZOYER, contrôleur civil, CLAUDE ECORCHEVILLE, J. PLASSE et JEAN FINES, contrôleurs civils adjoints. J. VALLET, Chef du Bureau de documentation économique au Service du Commerce.

AVANT-PROPOS

DE LA PREMIÈRE ÉDITION

(1932)

Jusqu'à une date récente, le Français qui arrivait au Ma- roc recevait un choc : du premier coup, une impression puissante d'étrangeté, de dépaysement le saisissait. A découvrir, comme Loti, les plaines sauvages tapissées de fleurs, les déserts d'iris et d'asphodèles de « ce pays som- bre », il se trouvait transporté loin de la France, beaucoup plus loin encore dans le temps que dans l'espace. En moins de vingt ans, le décor, du moins celui des entrées du Maroc, a été métamorphosé comme par magie ; ports audacieux en avant des terres, vastes cités modernes en avant des médinas, larges routes sillonnées d'autos, bor- dées de riches cultures, trains électriques, toutes les COlnmo- dités matérielles des pays le mieux outillés, donnent à l'ar- rivant l'illusion d'une France nouvelle plus propre, plus lumineuse, plus aérée. Ce n'est qu'un voile de plus, un étincelant voile neuf jeté par-dessus tous les voiles blancs dont s'enveloppe l'Islam. Ce n'est qu'une apparence féconde en illusions pour tous ceux qu'appelle ici une mission. Aucun Français ne peut accomplir au Maroc œuvre utile s'il ne reconnaît rapidement qu'il n'est plus chez lui, qu'il est hors de France, très loin de la France, séparé d'elle par de loiigs siècles d'histoire dans le passé, par d'épaisses réa- lités économiques et politiques dans le présent, beaucoup plus largement que par n'importe quelle barrière géogra- phique.

Mis au point par les spécialistes les plus compétents, avec un soin auquel nous sommes heureux de rendre hommage, ce petit livre est un avertissement. Il se propose de mettre en garde contre des illusions dangereuses; il donne l'état actuel de nos connaissances essentielles sur le Maroc, sur le pays, sur ses habitants. Pour certaines nations, un ouvrage de ce genre serait sans doute inutile, tant elles sont orgueilleusement persuadées de la différence qui les sépare des autres peuples, de leur supé- riorité sur tous. Pour des Français, il en va autrement, sur- tout si ces Français sont des universitaires épris d'une idéo- logie qui est, contrairement à ce qu'ils croient, spécifique- ment nationale, et sans doute unique au monde. Notre nation est remarquablement unie et tend vers une unification qui n'est pas loin d'être intégrale. Est-il besoin ici d'en rappeler les raisons profondes? Notre République, qui se sent et se veut une et indivisible; notre langue, une, chassant les patois qui s'estompent et disparaissent; la reli- gion, affaire individuelle, non d'État, ni même de parti; nulle caste, nul privilège de naissance ou de classe; un genre de vie, une conception de la vie, communs à tous. D'où résulte pour nous l'invincible habitude de penser que tous les hommes sont à peu près semblables entre eux, comme les Français, ou qu'ils sont en train de le devenir, et qu'ils le seront bientôt. Convaincus au fond de l'excellence de notre statut social, de nos mœurs, de notre organisation politique, de toute notre civilisation, nous pouvons être tentés de croire que nous ne saurions mieux remplir notre devoir envers l'hu- manité qu'en la persuadant de se rendre semblable à nous. Ces habitudes d'esprit comme inconscientes nous font commettre des erreurs graves dès que nous franchissons nos frontières. En particulier, elles causent des déceptions cruel- les à ceux qui prennent contact pour la première fois avec les populations indigènes. Cet esprit généralisateur, dédai- gneux des contingences locales, aura inspiré telle mesure administrative qui paralyse l'essor d'une colonie, tels pro- pos quotidiens qui inquiètent son moral. Puis il s'étonne de la désaffection des indigènes dont il a troublé les habitudes séculaires, sans nécessité apparente, par des présents d'Ar- taxerxès. Il les accuse de ne pas comprendre, de méconnaî- .tre la pureté, la générosité de ses intentions. C'est lui qui n'a pas compris, et c'est lui qui a tôt fait de transformer l'indigénophile béat en farouche indigénophobe.

Sachons voir — ce petit livre nous y aidera — que, hors de France, nous rencontrons des hommes qui vivent et pen- sent autrement que nous, qui ont le droit de vivre et de pen- ser autrement que nous, qui sont attachés légitimement à ■des croyances que nous ne partageons pas, qui gardent jalousement un idéal différent du nôtre. Nulle part nous ne trouverons l'homme abstrait, dont la conduite et les senti- ments se déterminent par raison démonstrative. Faisons de cette remarque de Joseph de Maistre le point de départ de nos méditations : « J'ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes; je sais même, grâce à Montesquieu, qu'on peut être Persan; mais quant à l'homme, je déclare ne l'avoir rencontré de ma vie; s'il existe, c'est bien à mon insu. » Nous ne rencontrerons pas davantage le Marocain, le Ma- rocain idéal, abstrait, ni même le Marocain moyen. Nous avons, qui nous entourent, des Rifains et des Soussis, des Beni Hassen et des Zemnlour, des gens de ville et des gens de tribus, des arabophones et des berbérophones. S'ils ont un trait commun, il est négatif, c'est d'être profondément différents d'un Français. Ces divers groupes marocains ne sont pas parvenus au même degré d'évolution. Jamais, avant notre arrivée, qui date d'hier, ne nous lassons pas de le répéter, ils n'ont vécu longtemps ensemble de la même vie; jamais ils n'avaient formé une nation durable, un État pacifique et centralisé. Leur histoire a été constamment dominée par des peuples ou des hommes étrangers dont le passage a laissé des traces plus ou moins profondes selon les régions. Leurs langues sont différentes : parlers* citadins, parlers ruraux, parlers bé- douins, dialectes berbères répartis en plusieurs groupes. La religion, pour être commune, n'en est pas moins pratiquée de façons différentes suivant que l'on considère les milieux berbères ou la, société arabe, celle des villes ou celle des cam- pagnes, celle des hommes nu celle des femmes. Ainsi, de quelque côté que l'on examine le Maroc et ses . habitants, on ne trouve que diversité entre les éléments, et différence radicale entre Vensemble et la civilisation qui nous est familière. Il nous faut donc, pour vivre et travailler ici, réserver nos idées générales sur « l'homme », sur « l'indigène », sur « le Marocain », modifier, dans nos rapports avec nos pro- tégés, des manières traditionnelles de penser, de sentir, de juger, que nous croyons à tort universelles, et qui sont, en réalité, foncièrement françaises. Nous aurons même par- fois à remettre en question notre hiérarchie des valeurs. Et voilà pour les hommes.

Pour les choses aussi, il nous faut tenir compte des cli- mats qui commandent une hygiène spéciale, d'un sol et d'une atmosphère qui conditionnent une agriculture parti- culière, de richesses qui se découvrent chaque jour et modi- fient une situation économique encore instable. Le Maroc n'est pas un pays neuf au sens que l'on donne généralement à cette expression : c'est un pays que nous rajeunissons. Il ne s'agit nullement de créer en toute liberté; il faut régénérer, donner une nouvelle vigueur à une société languissante en orientant, en stimulant son activité, res- pecter une civilisation tout en l'enrichissant. C'est dire combien il est nécessaire à tous de connaître les facteurs d'un si vaste problème, à savoir le pays, ses res- sources, les hommes, leur histoire. Cette connaissance ne s 'acquiert que par un travail continuel qui se poursuivra tout le long d'une carrière, mais qui doit trouver son point de départ dans l'étude des résultats acquis. Les pages qui suivent répéteront au lecteur, à tout ins- tant : « Tu n'es plus en France; il faut t'adapter à un nou- veau milieu. La grande oeuvre française à laquelle tu viens collaborer mérite, exige cet effort de compréhension et d'in- telligente sympathie. »

L. BRUNOT, J. GOTTELAND, Directeur honoraire Directeur général honoraire de l'Institut des Hautes Etudes de l'Instruction publique, Marocaines. des Beaux-Arts et des Antiquités. AVERTISSEMENT POUR LA DEUXIÈME ÉDITION

(1937)

C'est à l'occasion de son VIlle congrès (Fès, 1933) que l'Institut des Hautes Études Marocaines a donné la première édition de ce livre. Celle-ci ne remonte donc qu 'à un petit nombre d'années. Faut-il s'étonner de voir paraître si vite une nouvelle édition ? Bien que les conditions dans lesquelles ils avaient été imprimés n'aient pas permis de les vendre en librairie, les exemplaires de la première Initiation au Maroc ont rencon- tré auprès des lecteurs l'accueil le plus favorable et se sont trouvés très rapidement épuisés. Une réimpression, tout au moins, semblait nécessaire. On a cru devoir aller plus loin et s'astreindre à refondre presque totalement l'ouvrage. L'a- chèvement de la pacification, ouvrant à l'exploration des régions jusqu'alors mal connues, les changements inhérents à la vie de tout pays, et dont le rythme au Maroc est particu- lièrement pressé, le progrès même des études nord-africai- nes, auxquelles on travaille sans relâche, tout cela imposait une mise au point méthodique et précise. C'est donc un volume presque entièrement nouveau que nous livrons aujourd'hui au public. Le texte a été profondément remanié et la bibliographie complétée d'après les recherches récen- tes; on a ajouté une série de cartes et l'illustration sans laquelle on ne conçoit plus actuellement un ouvrage de ce genre; on a même fait appel, pour les questions économi- ques et administratives, à un groupe entièrement nouveau de collaborateurs spécialement qualifiés. Confié à un éditeur dont nous nous plaisons à reconnaître le soin et le goût, et qui lui assurera une diffusion dont son aîné n'avait pu béné- ficier, nous espérons ainsi que ce petit livre rendra à tous ceux qui s'inlércssent au Maroc les services qu'ils sont en droit d'attendre de lui. AVERTISSEMENT POUR LA TROISIÈME ÉDITION

La seconde édition de 'VInitiation au Maroc, par.ue en 1937, était épuisée dès la fin de 19/io. Rien ne pouvait mieux démontrer l'utilité de ce petit livre. Aussi, malgré toutes les difficultés présentes, les auteurs et l'éditeur ont tenu à don- ner sans tarder une troisième édition. Il n'a pas été possible de refondre tout le volume et de le compléter en certains points. Au moins tous les chapitres ont fait l'objet d'une soigneuse mise à jour. S'il a fallu arrêter au mois d'août 1939 le tableau de la vie économi- que du Maroc, on a rendu compie des changements surve- nus dans l'organisation administrative du Protectorat. Par cette troisième édition de l'Initiation au Maroc, l'Ins- titut des Hautes Études Marocaines a voulu non seulement- affirmer sa foi en l'avenir, mais aussi marquer son attache- ment à la mémoire de son fondateur. Le maréchal Lyautey trouvait souvent le temps de présider les séances mensuelles de notre Institut : il voulait que les chercheurs prissent la peine d'exposer au grand public l'essentiel de leurs décou- vertes. Lui-même aimait donner dans ses discours et ses con- versations de brèves et lucides synthèses où l'on reconnais- sait la source des principes directeurs de son action. En don- nant. à l'usage de tous ceux qui ont à vivre et à agir en ce pays, ce résumé de nos connaissances sur le Maroc, l'Institut des Hautes Études Marocaines entend témoigner de sa fidélité à la pensée de Lyautey.

HENRI TERRASSE, Directeur de l'Institut des Hautes Études Marocaines. BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

Recueils bibliographiques relatifs au Maroc

Bibliography of Morroco, par R. PLAYFAIR et BROWN, Londres, G. Mur- ray, x892.

Bibliographie marocaine (1923-1933), par P. DE CENIVAL, C. FUNCK- BRENTANO et M. BOUSSER, Paris, Larose, 1937. (Extrait D'Hespé- ris.) Tables et index des Publications de l'Institut des Hautes Éludes Marocaines (igi5-ig35), Supplément à Ilespcris (3° trim., Ig3G), Paris, Larose.

Revues et collections consacrées à l'étude du Maroc

Archives Marocaines, vol. 1 à XXXIV, igo4 h 1936, Paris, Leroux. Villes et tribus du Maroc, vol. 1 à VII, 1915-1921, Paris, Leroux; vol. VIII-XI, 1930-lg32, Paris, Champion.. Archives Berbères, vol. 1 à IV, IQI5 J 920, Paris, Leroux. Bulletin de l'Institut des Hautes Études Marocaines, il, 1 (unique); décembre 1920, Paris, Larose. Hespéris, depuis 1921, Paris, Larose. Bulletin de la Société de géographie du Maroc, de Ig16 à 1989, Casa- blanca.. Publications de l Institut des Hautes études Marocaines, vol. I à XXXVIII, depuis ¡gI8. chez divers éditeurs. Collection Hespéris, vol. I à VIII, depuis ig3o, Paris, Larose. Publications du Service des Antiquités, Paris, Geuthner, 6 vol., depuis 1935. Bulletin de la Société de Géographie du Maroc, de 191G il 1929, Casa- blanca. Revue de géographie marocaine, depuis IV3u, Casablanca. Mémoires de la Société de Sciences ikiI 11 relies du Maroc, de 1920 à ig38, Paris, Larose. Bulletin économique du Maroc, Ig33 à 1909, Rabat, Imprimerie Offi- cielle.

Ouvrages d'ensemble consacrés au Maroc

Le Maroc, par J. CÉLÉRIER, 2" édit., Paris, Colin. Maroc, Allas historique, géographique et économique, Paris, Les Hori- zons de France, ig35. .\Iol'oe, Encyclopédie coloniale, Société d'Édition géographique et colo- niale, Paris, Iq{¡o.

Ouvrages généraux sur l'Islam et les institutions musulmanes

GAI DLUNOY-DEMO.UBYAES : Les institutions musulmanes, Paris, Flaul- marion, 1931. H. MA SSÉ : L'Islam, Paris, Armand CoJii), 1830. H. LAMMENS : L'Islam : Croyances et Institutions, Beyrouth, Imprime- rie Catholique, 1926. INITIATION A 1J MAROC

CHAPITRE PREMIER

LE MILIEU PHYSIQUE

I. — La position du Maroc. II. — Le sol et le relief. III. — Les conditions climatiques. IV. — Les eaux. V. — Coup d'œil d'ensemble sur la flore et la végétation du Maroc.

1

LA POSITION DU MAROC

Le Maroc peut s'inscrire dans un quadrilatère irrégulier dont les côtés seraient respectivement la Méditerranée et le détroit de Gibraltar (468 kilomètres), l'Océan Atlantique (835 kilomètres), la frontière algérienne, le . Com- pris approximativement entre le 28e et le 36e degré de lati- tude nord, entre le 2e tet le lie longitude ouest de Green- wich, il n'a pas, du côté continental, de limites politiques absolument précises. La frontière algéro-marocaine a été définie par la Conven- tion de Lalla Marnia de 1845. De l'embouchure de l'oued Kis à la Teniet Sassi, c'est-à-dire dans la zone tellienne, elle est nette. Dans les hauts plateaux, la Convention se conten- tait d'énumérer les tribus et ksour relevant de chacun des deux pays : la séparation sur le terrain fut fixée tardivement avec l'organisation douanière. Dans la zone saharienne, l'attribution de Figuig au Maroc était le seul point net : de là sont venues les difficultés diplomatiques, lors de l'occupa- tion de la Saoura, après lesquelles on a fixé comme limite une ligne à l'ouest du Jbel Grouz. rejoignant le Guir et le descendant jusqu'à Igli. Au sud, sur le front saharien, le traité franco-espagnol de 1912 règle la limite avec la zone espagnole qui est for- mée par le cours inférieur du Dra et le méridien 1 l 0 ouest de Paris. Entre ces limites et le 27040 de latitude nord, le territoire confié à l'administration espagnole fait encore par- tie de l'Empire chérifien. Mais de l'intersection du 27040 avec le Il 0 méridien ouest jusqu'à Igli aucun texte n'indique de frontière entre le Maroc et le Sahara algérien séparé de la Mauritanie par la Convention de Niamey. On ne peut donc indiquer, comme superficie, que très approximativement un total de 5oo.ooo kilomètres carrés sur lequel la zone française occupe 400.000 kilomètres car- rés. Si l'on essaie de préciser la valeur concrète de ces don- nées mathématiques, on se rend compte que le Maroc, sen- siblement plus petit que la France et que la péninsule ibé- rique, est à la mesure de l'Europe et non à l'échelle massive des autres parties du monde. Son caractère africain n'appa- raît que pour réduire, dans une proportion inaccoutumée en Europe, les limites du territoire utile. Chacune des faces du quadrilatère marocain, Méditerra- née, Atlantique, Sahara, frontière algérienne, représente par sa nature, comme par les rapports de contiguïté qu elle détermine, un des éléments dont est faite l'originalité du pays. A l'est le voisinage algérien signifie participation à une vie commune, physique et humaine : relief et climat, productions, populations et genres de vie sont les mêmes de part et d'autre de la frontière conventionnelle. On ne peut considérer le Maroc sans le replacer dans cet ensemble natu- rel qu'est l'Afrique du Nord. Au sud, il s'ouvre sur le Sahara où l'individualité des trois pays nord-africains semble se dissoudre. Mais il est le. plus rapproché des régions soudanaises, et ses relations- transsahariennes l'ont souvent disputé aux influences médi- terranéennes. Le Maroc est un des rares pays qui ont l'enviable privilège de posséder à la fois une façade sur l'Atlantique nord et une façade sur la Méditerranée. Seul avec l'Espagne, il com- mande l'unique et étroite porte de communication entre ces. deux mers. L'Océan Atlantique, prépondérant sur le climat du Maroc, n'a guère servi les populations autochtones qui,. inaptes à la navigation, n'ont fait que subir ou se défendre. Mais la Méditerranée, dont l'action climatique est faible, a, fait participer les Berbères aux bienfaits de la civilisation antique. D autre part, le détroit de Gibraltar est si étranglé qu'il joue en même temps le rôle d'un isthme par où les conti- nents européen et africain entrent en contact. Sous quelque. angle qu'on envisage le Maroc, sa fonction essentielle est d'assurer la liaison entre les deux parties de l'Eurafrique. II LE SOL ET LE RELIEF

LA FORMATION DE LA TERRE MAROCAINE

Le Maroc du Nord est constitué par la chaîne la plus mé- ridionale du système alpin, le , prolongement symétrique •de la Cordillère bétique. Comme les conditions climatiques •en font une région bien arrosée, le modelé lui-même a un 'Style plus ferme que dans les zones trop sèches du Sud. Le Maroc du Nord est donc un fragment, à peine détaché, de la jeune Europe méditerranéenne. Le Maroc central et méridional inaugure le régime des grandes plates-formes de la vieille terre africaine. Mais tout proche encore de la Tethys, il a été influencé par les plisse- ments tertiaires qui s'y propagent en vagues affaiblies, assez continues cependant pour individualiser les chaînes de l'At- las. L'altitude absolue, l'originalité tectonique de ces chaî- -nes sont dues à la combinaison des mouvements tangentiels avec des mouvements d'ensemble verticaux et des accidents locaux. La diminution rapide des précipitations vers le sud, ,sauf sur les hautes cimes, se traduit par un modelé dont le (caractère à la fois heurté et inachevé annonce déjà les for- mes désertiques. Le contact de ces deux zones tectoniques nettement diffé- renciées, la ligne de suture en quelque sorte, est une autre originalité de la terre marocaine. Cette zone faible de l'é- STRUCTURE DU MAROC corce terrestre fut occupée jusqu'à une date récente par un bras de mer dont les mouvements orogéniques ont sans cesse modifié la position exacte, la largeur et la profondeur : elle se manifeste aujourd'hui par une dépression topogra- phique, le bassin du Sebou, que le couloir de Taza relie aux plaines de la moyenne Moulouya. De ces conditions tectoniques résulte un relief dont les lignes générales correspondent à celles qui caractérisent l'Algérie. C'est la même individualisation de zones grossiè- rement allongées suivant les parallèles : une chaîne septen- trionale, le Rif, bordant la Méditerranée comme l'Atlas tel- lien; une seconde chaîne, le Haut-Atlas, bordant le désert comme l'Atlas saharien; entre les deux, une zone centrale de hauts plateaux. Mais dans cette symétrie s'introduisent des éléments de différenciation : ce sont des détails qui ne tiennent pas à une opposition profonde de nature, de sim- ples plus ou moins; mais la relativité des conditions physi- ques influence fortement ces êtres tout relatifs que sont les hommes. Tout le long de l'Atlas méridional se détachent des plis qui viennent au nord mourir sur les plateaux : un de ces systèmes de plis prend au Maroc l'importance d'une vérita- ble chaîne. Le Moyen-Atlas superpose aux divisions corres- pondant aux latitudes un principe de différenciation trans- versale entre les plateaux du Maroc occidental ou atlantique et les plateaux du Maroc oriental. D'autre part, les plaines forment au Maroc des ensembles plus vastes et plus continus qu'en Algérie. On en distingue trois séries principales : les plaines du Sebou, correspon- dant à la grande dépression tectonique, les plaines de la bor- dure atlantique, les hautes plaines intérieures du pied de l'Atlas. Cette disposition offre à la circulation, aux échanges, aux concentrations urbaines de population, aux foyers de vie politique, des conditions favorables dont le Maghreb cen- tral, plus massif, est assez dépourvu. Il y a cependant des ombres, dont voici la principale : de l 'arrière-pa-;s de Rabat jusqu'à la zone présaharienne du Ziz s'étale une masse compacte de hautes terres, plateaux préatlasiques entaillés de vallées profondes, Moyen-Atlas et Haut-Atlas soudés. En somme, tout le centre du Maroc est une zone de divergence et favorise les particularismes régionaux. Il faut rapprocher le grand développement des plaines de l'élan vertical des reliefs montagneux dont certaines cimes atteignent ou dépassent 4ooo mètres. Ainsi la terre maro- caine nous apparaît avec des traits vigoureusement accen- tués, plus souvent heurtés qu'harmonieux : c'est une de ces physionomies mobiles et contrastées qui ont plus de carac- tère que de charme. Tiraillé entre ses affinités européennes ou africaines, le Maroc se divise en un petit nombre de régions nettement individualisées, suivant que prédomine tel ou tel caractère. Malgré leur différenciation actuelle, ces diverses parties ont une base commune : elles ont, en effet, participé à une même histoire dont les épisodes ont été, pour chacune, le point de départ d'une évolution différente. Incertains des événements antérieurs, nous saisissons, à l'époque carbonifère, une première figure du Maroc. Con- temporaine de la chaîne hercynienne de l'Europe moyenne, une grande chaîne de plissement surgit à l'emplacement actuel du Maroc. Elle est, dans l'ensemble, orientée s.s.o.- n.n.e. Cette direction subméridienne, qui correspond à la côte actuelle de l'Atlantique, est très différente des chaînes actuelles; mais son influence réflexe se retrouve localement sur d'importants détails du relief. Plus ou moins parfaitement rabotée, la chaîne carboni- fère est transformée en pénéplaine. La pénéplaine se mor- celle, et ses divers fragments vont évoluer différemment, selon l'amplitude des mouvements, positifs ou négatifs, aux- quels ils seront soumis. La zone actuelle des plateaux du Maroc occidental ou Me- seta marocaine constitue dès lors la zone la plus stable. Elle reste émergée ou n'est affectée que de simples gauchisse- ments qui permettent sur ses bords des transgressions sans grande profondeur. Au nord, ce horst est limité par une fosse marine qui a le caractère d'un géo-synclinal ou du moins d'un sillon de subsidence. Dans les bras de mer qui séparent respecti- vement le horst marocain du bouclier saharien et de la zone tabulaire d'Oranie, la sédimentation prépare la surrection, dès la fin du secondaire, du Haut-Atlas et de sa dérivation septentrionale. Le géo-synclinal du nord donnera naissance à la chaîne rifaine dont l'émersion en plusieurs temps re- foule progressivement vers le horst central le détroit sud- rifain. L'intensité du plissement, poussée peut-être jus- qu'au charriage, dans une phase alpine succédant à une phase pyrénéenne, distingue nettement cette partie du reste du Maroc. Au centre et au sud, malgré les différences d'altitude, il y a toujours une certaine parenté dans l'architecture du sol. Suivant l'amplitude verticale des gauchissements du socle primaire, les sédiments secondaires ou tertiaires ont plus ou moins résisté : peu épais, ils ont été emportés par l 'érosion, et la pénéplaine est à nu sur de vastes surfaces (pays Zaër- Zaïan, massif Rehamna); au sud, ils s'étalent encore en lar- ges plateaux (plateaux à phosphates d'Oued Zem) ; plus épais ils ont facilité les plissements atlasiques. Mais fréquemment le plissement, avorté, est remplacé par des fractures qui s'accompagnent d'éruptions volcaniques (pays des Beni Mguild et des Zaïan). Pendant le pliocène et le quaternaire, quelques événe- ments achèvent de modeler la figure de la terre marocaine. De grands lacs (Saïs, Tadla, Tafrata), caractéristiques d'une topographie en bassins fermés issue des mouvements tecto- niques antérieurs, se vident par le double travail du colma- tage et de l'érosion régressive. De petits glaciers festonnent de cirques les très hautes cimes, cependant que le climat plus humide et plus froid surexcite l'érosion torrentielle en montagne et l'alluvionnement au pied de l'Atlas. A l'ouest, l'Océan recule, laissant des cordons successifs de dunes que la végétation fixe rapidement. Quelles que soient les nuances apportées par les agents ordinaires du modelé, la disposition architecturale crée au Maroc des ensembles très nets qui, grâce à la coïncidence de l action climatique, servent de cadres aux régions naturel- les : ce sont le Rif, le bassin du Sebou, la Meseta, les chaînes de l 'Atlas, le Maroc oriental et le Pré-sahara. On remarque que la péhinsule ibérique reproduit une disposition analo- gue. Rif et Cordillère bélique, bassin du Sebou et bassin du Guadalquivir, Meseta marocaine et Meseta espagnole se cor respondent, de part et d'autre du détroit de Gibraltar. Il semble y avoir aussi des parentés de structure entre l'Atlas et les Pyrénées. LE RI F

On étend généralement le nom de Rif qui, pour les indi- gènes, n'a qu'une signification restreinte, à tout l'ensemble des massifs montagneux qui bordent la Méditerranée du détroit de Gibraltar à la Moulouya et s'étalent au sud jus- qu'au Sebou. La structure en est encore assez mal connue. Le Rif et la Cordillère bétique n'ont formé vraisemblablement qu'une seule chaîne : la cassure du détroit de Gibraltar est récente, le rocher de Gibraltar et le Mont aux Singes semblent les piliers d'une voûte rompue. L'arc rifain, tournant sa conca- vité vers la Méditerranée, est constitué par un système de plissements ou de zones concentriques présentant un chan- gement très net de direction entre le haut Ouerrha et le haut Leben. En bordure de la mer, de petits massifs primai- res, discontinus, très usés, parfois masqués par les alluvions, semblent les témoins d'un massif hercynien sur lequel se seraient moulés les plissements. La zone axiale est formée de terrains secondaires et éogènes : la dorsale de calcaires jurassiques de la péninsule du Nord-marocain est relayée à l'est du Jbel Lechhap par le flysch. La zone externe en- globe des synclinaux miocènes sur lesquels sont déversées du nord au sud les charnières anticlinales au noyau secon- daire ponctué parfois de fragments primaires ou cristallins. Les indigènes distinguent les Jbala à l'ouest et le Rif à l'est; cette opposition, qui n'est pas sans valeur au point de vue physique, a plutôt une base ethnographique. Sans rien préjuger de l'explication orogénique, la chaîne rifaine peut être divisée en quatre parties : les massifs de l'est, la pres- qu'île du Nord-marocain à l'ouest, la zone centrale, où le versant méridional, largement développé, a une originalité encore accentuée par cette annexe avancée qu'est le Prérif.

Les massifs orientaux. — La région comprise entre le Kert et la Moulouya se distingue assez nettement du reste de la chaîne tant par la structure que par les conditions de l'é- volution morphologique. Une grande partie a joué le rôle d'un horst resté subtabulaire quoique soulevé par les mou- vements orogéniques : à l'ouest sa résistance a obligé les plissements rifains de la phase alpine à une virgation qui les orienta s.o.-n.e.; au sud-est il avait été affecté par le pro- longement des plis du Moyen-Atlas. L'altitude des sommets est faible : inférieure à iooo mè- tres au nord, elle se relève au sud, où elle dépasse 1800 mè- tres au Jbel Masgout. Surtout la circulation est facilitée par les dépressions d'origine tectonique où l'irrégularité du drainage, sous un climat steppique, étale les alluvions en larges plaines intérieures. Telle est la dépression, quasi dé- sertique et parfois saline, qui relie le Msoun au Kert par les plaines opposées du Bou Souab et d'Aïn-Ahmar. De même la large vallée synclinale du moyen Kert se prolonge vers le n.e. et s'étale dans la plaine de Selouan. Ce couloir sépare deux systèmes de hauteurs. Au nord, la presqu'île des Gue- laya, où le massif volcanique du Gourougou culmine à 880 mètres, est d'une architecture complexe. Son allonge- ment subméridien résulte d'une juxtaposition, sous l'effet des cassures et des épanchements volcaniques, de bandes pa- rallèles d'origine et de nature très différentes : socle hercy- nien, volcans récents, seuils pliocènes. Ces accidents expli- quent aussi la richesse des gisements miniers du massif plissé et fracturé des Beni bou Ifrour. Au sud-est prévaut un régime de brachyanticlinaux dont les massifs des Kebdana et des Beni bou Yahi sont les plus remarquables. Ces dômes s'accompagnent naturellement de cuvettes synclinales où se maintiennent des bassins fermés comme le Guerrouaou. La tribu de Beni bou Yahi a aussi dans son territoire le puissant massif tabulaire du Masgout : le Masgout est flanqué, au-dessus de la plaine de la Moulouya, du volcan du Guilliz; il se prolonge à l'ouest par des pla- teaux de calcaires jurassiques, le Terni et le Tendri, vérita- bles causses troués d'avens, bordés d'abruptes falaises comme celles du Bou Hajer qui domine d'un millier de mè- tres la plaine de Bou Souab.

Le Rif central. — Le pays habité par les tribus rifaines proprement dites est un système compliqué de montagnes tourmentées dessinant autour de la profonde baie d'Alhu- cemas comme des auréoles concentriques séparées par des dépressions. Le chaînon des Bokkoya, isolé au bord de la mer qu'il domine par d'impressionnantes falaises, est dû à la réappa- rition de la dorsale calcaire ennoyée sous la mer depuis la pointe des Pêcheurs. Il est séparé du reste de la chaîne par la plaine riche en ruisseaux des Beni Ouriarhel, qui s'élargit vers l'est dans le pays d'Ajdir, la capitale d'Abd el Krim, et les deltas mélangés de l'oued Rhis et de l'oued Nakour. Cette dépression est limitée, à l'est par les monts des Beni Akki, qui, orientés s.n., forment avec le promontoire du Quilates la corne orientale de la baie d'Alhucemas, au sud par le Jbel Hammam, assez nettement détaché en avant de la haute chaîne. Ce coeur du pays rifain présente un large développement de marnes schisteuses noires, faussement attribuées jadis au primaire, mais témoignant d une vio- lente pression après une sédimentation profonde. Le Jbel Azrou Aqchchar, le premier sommet dépassant 2000 mètres, domine un remarquable centre de dispersion des eaux qui s'en vont à la Méditerranée, directement par le Nakour et le Kert, indirectement par les affluents supé- rieurs du Msoun, à l'Atlantique par un affluent de l'Ouer- rha. Il fait partie de l'aile orientale du Rif dont l'orienta- tion s.o.-n.e. se manifeste par le remarquable sillon de l'oued Boured. Ce secteur témoigne, par sa structure, de l'intensité exceptionnelle du serrage contre le horst orien- tal En effet, on a montré dans les hautes vallées du Nakour (au Jbel Tizra Tichemlalin) et du Kert (Jbel Khebaba) la présence de massifs paléozoïques charriés sur les terrains plus récents et la preuve semble faite de trois nappes pous- sées vers le sud. Le cours supérieur de l'Ouerrha, qui a largement em- piété sur le versant méditerranéen, est dominé à l'ouest par le Jbel Tidirhin qui, atteignant 24,5o mètres, est le som- met culminant du Rif. Du Tidirhin à Bab Taza, les som- mets de la haute chaîne, oscillant autour de 2200 mètres, sont constitués par des grès roux; ils ont généralement comme au Jbel Tiziren, l'aspect d'étroits plateaux boisés, dominant par des falaises abruptes vers le sud le paysage des marnes schisteuses noires aux moutonnements confus.

La zone méridionale. — Resserré à l'est et à l'ouest, l'arc rifain, comme un croissant, s'étale largement au centre dans la direction du sud. Le contre-coup des plissements rifains se fait sentir bien au-delà de la vallée de l'Ouerrha puisque les plaines du Sebou sont accidentées par les guir- landes prérifaines. Mais l'âge et le faciès des couches témoi- gnent que, dès la période de sédimentation, s'individualisè- rent des rides méridionales séparées de la haute chaîne par un sillon de subsidence et des rides prérifaines par un autre sillon. Les plissements reproduisent la courbe de la haute chaîne et la virgation s.o.-n.e. est sensible dans le Jbel Sanhaja à l'est du haut Ouerrha. Les anticlinaux, en lignes disconti- .nues, sont poussés du nord au sud sur les synclinaux mio- cènes qui les séparent. L'anticlinal Jbel Sanhaja-Taounat, séparé du Tifelouast par le synclinal du haut Ouerrha, est séparé au sud de la longue arête des Sofs par le synclinal du Teheris, et le synclinal du moyen Ouerrha sépare le pro- longement occidental des Sofs de la belle ride Amergou- Jbel Sidi Redouan. L'Ouerrha et ses affluents recoupent ces lignes tectoni- ques. Leur creusement a été facilité par une superposition fréquente de calcaires durs et de marnes tendres qui accen- tue encore la vigoureuse impression de ces lignes tourmen- tées. Les sommets, isolés par l'érosion, constituent des posi- tions militaires qui sont devenues célèbres; ils ont été les témoins, tel celui des Biban, des épisodes les plus héroï- ques de la lutte contre Abd el Krim. La presqu'île du Nord-marocain. — Au nord de Bab Taza, les plissements rifains se resserrent en prenant une direction subméridienne, particulièrement nette dans la dorsale de calcaires jurassiques. Celle-ci, après avoir cul- miné à plus de 2100 mètres dans le Lechhap et le Tissouka, s'abaisse vers la côte du Détroit où le Mont aux Singes atteint encore 856 mètres. A l'ouest, la dorsale est flanquée de la chaîne, moins élevée, du fly&ch qui s'abaisse sur la plaine de grès pliocènes bordant l'Atlantique; cette plaine, étranglée au nord, où le cap Spartel fait encore partie de la zone plissée, s'élargit au sud. A l'est, sur le versant méditerranéen, très brusque, on retrouve les débris du massif primaire dont les roches cris- tallines, plus dures, forment les promontoires vigoureux du Monte Acho et du Ras Tarf. La tectonique se manifeste dans la direction des vallées. Les deux rivières méditerranéennes les plus importantes, l'oued Laou et le rio Martin, ont, dans leur partie infp. rieure, un cours transversal bien caractérisé qui coupe en cluse l'axe jurassique abaissé. Ces sections transversales conduisent à un couloir longitudinal qui a facilité l'établis- sement d'une route intérieure de Tétouan à Chéchaouen : ce « val » est en effet drainé en sens inverse par un affluent du rio Martin et un affluent de l'oued Laou. Non loin de la courbe singulière du haut Laou, une large brèche, entre le Jbel Rhsana et le Jbel Sougna, mène au Loukkos et à l'At- lantique, cependant que le seuil de Bab Taza ouvre un accès facile vers l'oued Tanraïa, affluent de l'Ouerrha : il y a donc là, au cœur des Jbala, un précieux carrefour de cir- culation. LE BASSIN DU SEBOU

La chaîne rifaine est séparée des plateaux du Maroc cen- tral et du Moyen-Atlas par une vaste région que drainent le Sebou et ses affluents. Ainsi encadrée par un double sys- tème de hauteurs qui se rapprochent à l'est, cette région apparaît avant tout comme une dépression largement ou- verte sur l'Océan et progressivement resserrée vers l'inté- rieur. Les plaines sédimentaires ou alluviales y tiennent la plus grande place. C'est la région du Maroc où se fait le moins sentir l'influence, même indirecte, du socle hercy- nien. Cependant, cet aspect de dépression est tout relatif; l'alti- tude moyenne, au moins à l'intérieur, est assez élevée, et quelques points atteignent ou dépassent iooo mètres. Au milieu d'un océan de plaines d'architecture tabulaire se dressent, comme des îles, des massifs plissés. Ce sont les « guirlandes prérifaines » dont les festons principaux sont le Zalagh, le , le Kefs. La recherche du pétrole a fait ressortir leur structure tourmentée. Entre ces guirlandes et le rebord de la Meseta se développe une haute plaine dont la régularité est due à la couverture de calcaires lacustres déposés dans un immense bassin fermé qui ne se vida que tardivement et dont la zone marécageuse des « Douiet » est un dernier reste. Le Sebou, rejeté au nord, coule paresseusement dans une large vallée alluviale aisément déblayée dans des marnes tendres. Son cours inférieur décrit d'étonnants méandres dans la plaine marécageuse du Rharb. A l'est, le bassin du Sebou, progressivement rétréci, se i. — GORGE DU MARAD (vue d'aval) et CRÊTE DU Bou IBLANE (Moyen Atlas septentrional). Z. — OUED IFR^WE (Moyen Atlas). prolonge par l'étroit couloir de Taza qui le fait communi- quer avec les plaines de la moyenne Moulouya.

LA MESETA

Au sud des plaines du Sebou, la côte atlantique entre Rabat et Mogador, le Haut-Atlas occidental et le Moyen- Atlas encadrent une vaste région que Gentil a justement désignée, par comparaison avec l'Espagne centrale, sous le nom de Meseta marocaine. La Meseta est un fragment de la pénéplaine hercynienne sur lequel les vagues des plis tertiaires se brisèrent sans se propager. Mais des mouvements de bascule et quelques gau- chissements locaux ont entraîné des transgressions et ré- gressions marines, qui ont recouvert le socle primaire de sédiments horizontaux généralement peu épais. Ces événements se traduisent aujourd'hui par une struc- ture caractéristique. De l'Océan aux chaînes atlasiques s'é- tagent une série de plates-formes que limitent deux séries de gradins se coupant à angle droit. Quand on vient de l'Océan, le plus remarquable de ces gradins, particulière- ment net en arrivant à Settat, forme une ligne continue, orientée n.n.e.-s.s.o., depuis Boucheron jusque près de Mogador. La « falaise de Settat » sépare avec une dénivella- tion d'environ 200 mètres les plaines subatlantiques, recou- vertes par les sédiments néogènes, de la zone intérieure des plateaux. Du nord au sud, ces plateaux sont limités par une autre série d'accidents orientés suivant les parallèles : c'est d'abord la vigoureuse ligne de reliefs que forme la Meseta au-dessus de la plaine du Sebou, puis une « côte » dite par- fois « falaise des Zaïan » par où le plateau crétacé d'Oued Zem domine la dépression périphérique du massif primaire. Sur la rive gauche de l'Oum er-Rebia, le socle primaire, au lieu de s'enfoncer plus profondément, a été de nouveau relevé dans le massif des Rehamna et les Skhour; il est vrai- semblable que la petite chaîne des Jebilet est due à un acci- dent du même genre, véritable pli de fond. Le plateau Zaër-Zaïan, avec ses crêtes apalachiennes de roches dures, ses mornes surfaces brutalement sciées par des vallées profondes, est un beau type de pénéplaine en voie de rajeunissement. Des volcans récents y compliquent la morphologie. Le contact entre la Meseta et le Moyen-Atlas est très diffé- rent au nord et au sud. Au nord le plateau primaire est comme soudé topographiquement à la chaîne qui le domine de peu et dont les calcaires jurassiques, jadis plus étendus à l'ouest, ont reculé par érosion. Au centre, une ligne d'ac- cidents importants, ayant peut-être joué en sens inverse, explique la vigueur avec laquelle la chaîne, aux épaisses couches jurassiques, domine la cuvette tertiaire du Tadla, qui a fonctionné comme bassin fermé jusqu'à une période récente. Au sud, certains auteurs voient dans les Jebilet le véritable prolongement du Moyen-Atlas, dissimulé sous les alluvions quaternaires.

LE HAUT-ATLAS

Le Haut-Atlas domine immédiatement, à l'ouest, l'Océan Atlantique; à l'est, il semble s'évanouir dans les hauts pla- teaux des confins oranais. Entre ces limites extrêmes, sa longueur dépasse 800 kilomètres; sa largeur est en moyenne de 60 à 80 kilomètres. Cette puissante chaîne date, sous sa forme actuelle, des grands mouvements de l'époque tertiaire. Les plissements n'ont pas eu l'intensité que semblerait indiquer la hauteur des sommets fréquemment supérieure à 35oo mètres et par- fois même à 4ooo mètres; les plis, comportant parfois uni décollement des couches sédimentaires par rapport au so- cle, ne rappellent en rien les grandes nappes alpines; l'alti- tude est due plutôt à un relèvement d'ensemble et à un vaste pli de fond. Les phénomènes orogeniques, commencés à l'ère secondaire, ont ramené au jour, vers l'ouest, une partie de l'ancienne chaîne hercynienne. De l'ouest à l'est, on peut diviser le Haut-Atlas en quatre- régions d'inégale importance : plateaux subatlantiques,. Haut-Atlas occidental, Haut-Atlas central, extrémité orien- tale. Ces régions sont séparées par de grandes coupures transversales où les conditions tectoniques ont facilité l'éro- sion torrentielle.

Plateaux subatlantiques. — Cette zone est comprise enfre l'Océan et la dépression transversale que jalonnent un affluent supérieur de l'oued Chichaoua, le col du Maachou, l oued Aït Moussi, affluent du Sous. Ce sillon sépare des aspects de l'Atlas si différents que certains auteurs l'ont considéré comme la limite occidentale de la chaîne. A l'ouest, en effet, chez les Ida ou Tanan et les Haha, pré- dominent nettement des plateaux dont les couches crétacées ont une allure tabulaire. Ces plateaux se disposent er& gradins étages au-dessus de l'Atlantique. Leur altitude maxima n'atteint pas 1800 mètres, tandis que la haute vallée de l'oued Aït Moussi, creusée profondément dans le permo- trias, est dominée à l'est par des cimes granitiques s'élevant rapidement à 3ooo mètres. Ces plateaux, qui s'étalent au nord, sont cependant acci- dentés par une série d'anticlinaux à noyau jurassique, comme le Jbel Amsitten. L'axe de la chaîne, complètement rejeté au sud, est jalonné par l'anticlinal du Lgouz et le promontoire d'Agadir.

Haut-Atlas occidental. — Entre le Tizi n-Maachou, col des tribus soumises au caïd Mtouggi, et le Tizi n-Telouet, col des Glaoua, le Haut-Atlas, où les terrains jurassiques font totalement défaut, doit son originalité à la présence d'un massif central primaire. Une autre dépression transversale, synclinal permien jalonné par la vallée du Nfis ou pays des Goundafa qui mène au Tizi n-Test, joue un rôle considéra- ble au point de vue physique et humain. Cette vallée sub- divise le massif central en deux parties. A l'ouest, les hau- tes cimes des massifs de l'Erdouz et du Tichka, qui oscillent entre 3ooo et 35oo mètres, sont essentiellement formées de granits dominant les roches primaires métamorphosées. A l'est, les terrains cristallins sont eux-mêmes surmontés de masses épaisses de roches volcaniques qui constituent les sommets culminants de l'Atlas marocain et de toute l'Afri- que du Nord ( 4165 mètres, , Aksoual). Non seulement l'altitude est considérable, mais, malgré la violence de l'érosion et de la désagrégation mécanique. Ips pics ne se dégagent guère de la masse montagneuse; la chaîne forme une barrière continue où les cols sont à plus de 3ooo mètres. La circulation converge vers les cols des Goundafa et des Glaoua qui n'ont qu'un peu plus de 2000 mètres. Le Haut-Atlas occidental se décompose en une succession de zones longitudinales différenciées par l'altitude et la composition géologique. Au-dessus de la plaine alluvionnaire du Haouz, qui atteint 900 mètres, la montagne commence brusquement par une zone de sédiments tertiaires fortement relevée et portée à i2oo-i3oo mètres. Des plateaux crétacés, tel le Kik, analogues à ceux de l'ouest et largement développés, forment une seconde zone, compliquée par l'apparition, sous l'effet d'accidents ou de l'érosion, du socle primaire. La troisième zone, qui dépasse 2700 mètres au Jbel Ya- gour, est une des originalités de la chaîne. Elle est constituée par de vastes plateaux de grès rouge limités par de formida- bles falaises; le Timenkar et le Yagour, qui se font face de chaque côté de la profonde vallée de l'Ourika, en sont les meilleurs exemples. La zone axiale est constituée par le massif primaire cris- tallin et volcanique, où la direction subméridienne de la chaîne hercynienne oriente l'érosion. Le versant sud, beaucoup moins développé, est aussi formé de plateaux de grès et de plateaux crétacés, qu'une ligne parallélique d'accidents dénivelle brutalement. Le contact entre ces zones différentes est généralement souligné par des vallées dont le creusement a été facilité par les contacts anormaux de roches inégalement résistantes. Ainsi s'est développé, au cœur du Haut-Atlas, un système de dépressions longitudinales, favorables aux établissements humains, mais beaucoup moins importantes pour la circu- lation générale que les grandes dépressions transversales de l'oued Aït Moussi, du Nefis et du Redat.

Haut-Atlas central. — A l'est des Glaoua, la chaîne change tout à fait de caractère. Le massif ancien disparaît, et les roches primaires ou cristallines ne reviennent au jour qu'exceptionnellement. Les calcaires jurassiques font leur apparition dans le Jbel Anremer, qui fait face au Jbel Bou Ourioul granitique de l'autre côté de l'oued Redat. Mais l'al- titude reste très élevée jusqu'au , qui passait jadis pour le point culminant de toute la chaîne. Le Jbel Rhat, l'Azourki dépassent 35oo mètres, et les monts des MgotIna culminent à 4070 mètres. Tous ces massifs sont constitués par des plis jurassiens massez réguliers, quoique un des flancs soit fréquemment ,rompu en faille, comme à l'Avachi, au Bab n-Ouayad abrupt au nord sur la vallée de Tassent, en pente douce au sud sur le plateau des Lacs. La succession d'anticlinaux et de synclinaux fait naturel- lement apparaître les formes classiques du Jura plus ou moins modifiées par le climat. Les grandes vallées, aussi bien sur le versant nord (Tassaout, Ahansal, Ansegmir) que sur le versant sud (Rheris, Ziz), présentent une succession de vals longitudinaux et de cluses transversales. La plus célèbre de ces cluses, le kheneg par excellence, est la percée ■du Ziz, entre Rich et Qsar es-Souk, où l'on a établi une merveilleuse route en corniche. La circulation méridienne est rendue difficile par l'obligation de franchir successive- ment crêtes et vallées, d'autant plus que les pistes doivent souvent abandonner les cluses trop resserrées. A l'intérieur, certains seuils, l'Izourar, le haut Assif Melloul, sont des car- refours de voies. Sur le versant sud, beaucoup plus sec, les vals, encombrés d'alluvions, forment de hautes plaines qui sont de véritables petits pays : Amedrhous, Tiallalin. De ce côté, le front saharien de l'Atlas est souligné par une série d'accidents paralléliques que jalonnent en sens opposé les vallées du Dadès et du Todrha-Ferkla. Les formes sont généralement plus lourdes encore que dans le Haut-Atlas occidental. Leur évolution est paralysée par l'insuffisance des précipitations qu'accentue encore la perméabilité des calcaires. Ce caractère, peu marqué encore dans le bassin des deux Tassaout, s'aggrave vers l'est. Sur le versant sud, le modelé est fortement influencé par la dé- sagrégation mécanique, où le type de haute montagne alpes- tre se combine curieusement avec le type désertique. L'ab- sence de végétation et même de terre végétale fait ressortir les lignes structurales, et l'on a un véritable musée naturel de plans reliefs. L'extrémité orientale présente un aspect particulier. L'altitude s'abaisse rapidement à l'est du col de Telrhemt, et les sommets ne dépassent plus guère 2000 mètres. La cou- verture sédimentaire s'amincit et laisse fréquemment per- cer le socle primaire. Le style des plissements les a fait comparer à des « chenilles processionnaires ». Ce sont des chapelets de plis courts et peu accentués dont les uns vont s écraser au n.e. sur le Dahra, tandis que les autres assu- rent la liaison avec l'Atlas saharien d'Algérie, qui com- mence réellement avec le Jbel Grouz de Figuig. La com- munication entre les hauts plateaux du Maroc oriental et le désert est d'autant plus facile que le niveau de base saharien a donné l'avantage aux rivières du sud, qui ont empiété sur le versant méditerranéen.

LE MOYEN-ATLAS

L'expression de Moyen-Atlas est un des termes les moins clairs de la nomenclature géographique marocaine. On dé- signe généralement sous ce nom une chaîne orientée s.o.-n.e. qui sépare le Maroc atlantique des plateaux step- piques du Maroc oriental. Cette notion de chaîne est exacte et précise en certains points; la plaine du Tadla, la plaine de la moyenne Moulouya sont dominées, l'une à l'est, l'autre à l'ouest, par des reliefs vigoureux et continus contre lesquels elles butent brutalement. Mais les limites sont loin d'être partout aussi nettes. Selon qu'on envisage la tectonique, la nature du sol ou les formes du relief, on est amené à res- treindre ou au contraire augmenter considérablement l'ex- tension du Moyen-Atlas. Envisagé seulement comme chaîne de plissement, le Moyen-Atlas s'encadrerait entre les plaines de la Moulouya d'une part, et, d'autre part, un long fossé jalonné par les vallées opposées de l'Oum er-Rebia et du Guigou, de l'oued Zeloul, affluent du Sebou, et de l'oued Melloulou, affluent de la Moulouya. Mais c'est donner à ce fossé hétérogène une importance qui ne répond pas à la réalité géographique, tant au point de vue physique qu'au point de vue humain. Le Moyen-Atlas plissé est étroitement soudé aux plateaux du nord-ouest et du nord qui viennent former comme un bal- con suspendu au-dessus des plaines du Sebou et du couloir de Taza. On peut mettre à part le plateau primaire Zaïan dont la structure si particulière de pénéplaine rajeunie se prolonge par le pays Zaë-r jusque près de Rabat. Mais les pla- teaux de calcaires jurassiques d'Ito, d'Anosseur, d'Ahermou- mou présentent trop de ressemblances avec la zone monta- gneuse de même composition pour pouvoir en être séparés. Comme le Jura, avec lequel il présente un certain nombre de ressemblances, le Moyen-Atlas comprend donc deux par- ties : une zone plissée et une zone tabulaire grossièrement séparées par le sillon du Guigou et ses prolongements. Cette différenciation tectonique elle-même s'affaiblit souvent. En effet, l'altitude générale est fonction d'un relèvement verti- cal d'ensemble plutôt que de l'intensité du plissement. La chaîne présente le plus souvent des chapelets de brachyanti- clinaux brusquement aigus entre lesquels les aires synclina- les s'élargissent au point de ramener véritablement une structure tabulaire. Inversement, les plateaux de la zone tabulaire sont affectés de gauchissements à grand rayon, d'accidents ayant orienté l'érosion comme la fosse du Tigri- gra. De telles cassures se sont produites aussi bien dans la zone plissée que dans la zone tabulaire : les épanchement& volcaniques qu'elles ont déterminés au nord sont une autre cause de rapprochement. Le Moyen-Atlas peut être divisé en trois parties, mais les limites et les éléments de différenciation n'ont pas la même netteté que dans le Haut-Atlas.

Zone méridionale. — Dans cette région les deux Atlas se