La Grassini. Première Cantatrice De S. M. L'empereur Et
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LA GRASSINI 1 LA GRAS SINI Première Cantatrice de S.M. l'Empereur et Roi DU MEME AUTEUR ALMANACH DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE, en collabo- ration avec Albert Dubeux (Delagrave). PHILOCTÈTE, traduit de Sophocle, avec A. Dubeux (Sansot). En préparation : UNE INTRIGANTE A LA COUR DE NAPOLÉON I : MME DE VAUDEY. LE SECRET D'ATALA. La GRASSINI par Appiani ANDRÉ GAVOTY LA GRASSINI Première Cantatrice de S. M. l'Empereur et Roi « L'actrice la plus séduisante et la plus célèbre de l'époque ». Stendhal, Mémoires sur Napoléon. EDITIONS BERNARD GRASSET 61, rue des Saints-Pères - VIe PARIS IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE CENT VINGT EXEMPLAIRES DONT DIX EXEMPLAIRES SUR MONTVAL, NUMÉROTÉS MONTVAL 1 à 6 ET I à IV, VINGT-HUIT EXEMPLAIRES SUR VÉLIN DE CORVOL, NUMÉROTÉS VÉLIN DE CORVOL 1 à 20 ET I à VIII, ET QUATRE-VINGT-DEUX EXEMPLAIRES SUR ALFA, NUMÉROTÉS ALFA 1 à 70 ET I à XII. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris la Russie Copyright by Editions Bernard Grasset, 1947 A la mémoire du Commandant JEAN HANOTEAU A. G. PREMIERE PARTIE LES ANNEES ITALIENNES (1773-1800) LES FRANÇAIS A MILAN Le 15 Mai 1796, l'armée française, ayant culbuté les Autrichiens à Lodi, faisait son entrée à Milan, où Masséna et l'avant-garde étaient depuis la veille. Passée l'étroite porte de Rome, cinq cents cavaliers et mille fantassins provençaux aux uniformes loqueteux ou rapiécés, aux chaus- sures éculées, mais jeunes, alertes, souriants, défilent devant les miliciens de la Garde urbaine, gras, bien vêtus, rasés de près, qui regardent avec étonnement et sympathie ces maigres vainqueurs des beaux régiments de l'empereur d'Allemagne. Un ciel léger, un soleil radieux, une foule en habits de fête, — c'était la Pentecôte, — les vivats d'une jeunesse élégante et riche, car les artisans se tiennent à l'écart, l'allégresse d'une capitale heureuse de secouer non le joug, mais l'ennui de près d'un siècle d'occu- pation autrichienne, tout concourt à l'éclat de ce défilé immortalisé par l'estampe et les récits de Stendhal. De leur balcon ou de leur voiture basse les belles Milanaises tendent le cou pour mieux voir ceux qu'on appelait naguère : « Toute la ladrerie de la Provence conduite par un capitaine de gueux ». Et, lorsque, seul en avant de son état-major, chevauchant un petit cheval blanc étique, apparaît Bonaparte, leur attention se fait passionnée : d'un coup d'œil elles voient le visage émacié, les yeux bleu-gris inquisiteurs, l'expression pensive et tendue qu'illumine un instant un sourire juvénile, et c'est un délire de cris, de mou- choirs agités, de fleurs lancées. Ce général de vingt-sept ans, inconnu des troupes, dédaigneusement reçu par leurs chefs, moins de deux mois auparavant quand il a pris à Nice le commandement de l'armée d'Italie, entre pour la première fois dans une capitale conquise et, pour la première fois, connaît l'ivresse du triomphe. Aussi ne devait- il jamais oublier l'accueil d'une ville dont les habitants avaient été les premiers à célébrer sa gloire. Par une curieuse coïncidence, l'enthou- siasme des Milanais s'était déjà exercé, cette même année, en faveur d'une héroïne d'un autre genre ; ils venaient de sacrer reine d'opéra une ravissante brune, cantatrice à la voix profonde et veloutée dont la création de Juliette, dans un opéra de Zingarelli, avait vivement ému une société éprise de beauté et de musique : Giuseppina Grassini. A vrai dire, ils connaissaient depuis plu- sieurs années cette jeune fille, venue de Varèse, petite ville encadrée par les lacs ita- liens, où les nobles familles milanaises ont des villas au pied de ces Alpes formant la toile de fond du décor naturel qu'on admire de la promenade du Corso. Les mieux informés savent que Maria-Camilla-Giuseppina est née là le 18 Avril 1773, qu'Antonio Grassini, son père, comptable du couvent varésan de la Madonna del Sacro Monte et ayant donné le jour à dix-huit enfants, n'est pas riche. que sa mère, Isabelle Luini, descend peut-être du disciple de Léonard de Vinci, et que, fillette, elle a échappé à la petite vérole ; ils savent aussi qu'un organiste de Varèse, Dominique Zucchinetti, ayant découvert son gosier de rossignol, l'a utilisé pour l'édification des fidè- les de l'église Saint-Victor, jusqu'au jour où, l'artiste l'emportant sur le maître de chapelle, il a déclaré à Antoine Grassini que sa fille, promise à une carrière exceptionnelle, devrait abandonner la musique sacrée et aller à Milan pour apprendre le métier de cantatrice. La mère, violoniste médiocre mais catholi- que fervente, s'était longtemps opposée à ce départ, craignant pour la vertu de sa fille les risques de cette carrière profane. Tiraillée entre les craintes d'une maman prudente et les mirages tentateurs du musicien, le père, en bon comptable, avait établi sa balance et fini par écouter Zucchinetti. Or il se trouva que ces conseillers contradictoires avaient tous deux raison. Dès son arrivée à Milan, la petite avait rencontré, pour son bonheur temporel et son malheur spirituel, un tendre et puis- sant protecteur en la personne du général- prince Alberico di Belgiojoso qui bientôt en avait fait une femme, mais n'avait rien négligé pour lui permettre de devenir une grande actrice. A moins de plaire au gros archiduc Ferdi- nand, gouverneur de la Lombardie autrichien- ne pour le compte de son frère l'empereur Joseph, la jeune fille ne pouvait rencontrer plus influent ni plus décoratif protecteur. Chevalier de la Toison d'Or, grand d'Espagne, Albéric Barbiano de Belgiojoso et d'Este cumu- lait, en effet, les titres de Conseiller privé, de Chambellan et de Chef de la Maison militaire de S.A.I. l'archiduc Ferdinand gouvernant à Milan (1). Veuf depuis dix ans d'Anne-Richar- de d'Este, le général, qui habitait un magni- fique palais, gardait en dépit de la soixantaine une fière allure et, fait essentiel pour la débu- tante, il appartenait à une famille réputée à Milan pour ses aptitudes musicales : deux de ses membres, le prince Emile et le comte Pompée de Belgiojoso chantaient agréable- ment dans les salons et un troisième, le comte Antoine, composait des mélodies d'une élé- gante inspiration. Epris lui-même d'harmonie, le général était bien placé pour diriger la formation de la jeune chanteuse. Tout en complétant son éducation générale et en lui donnant le goût d'une société aimable et poli- cée qu'elle devait garder toute sa vie, il con- fiait le soin d'assouplir sa voix à l'excellent maëstro Antoine Secchi, qui devait plus tard (1) Voir la notice Principe Alberico XII di Belgiojoso, tome I, p. 651 de l'Italia nei Cento anni del Secolo XIX, par Alfredo Commandini (Milan, Vallardi, 1900) qui m'a été très aimablement communiquée par le marquis G. Pessagno, archiviste d'Etat et historien distingué de Gênes. professer au Conservatoire de Milan. Sous cette habile direction Giuseppina avait été en état d'aborder la scène à seize ans, non, comme on l'a dit, à la Scala de Milan, inaccessible à une jeunesse sans grande expérience, mais au Théâtre ducal de Parme, où elle avait débuté comme seconda donna en 1789 (1). En 1791, elle avait paru pour la première fois à la Scala dans la Belle Pêcheuse de Guglielmi, les Bohémiens à la foire de Pai- siello et la Cifra de Salieri, mais les rôles secondaires qui lui étaient confiés dans ces trois opéras-bouffes ne convenaient ni à sa voix grave, ni à son jeu, et on l'avait à peine distinguée. En revanche, quand le 26 décem- bre 1793, après deux saisons à Vicence et à Venise, où, abordant les rôles tragiques, elle avait découvert sa vocation, Giuseppina avait reparu sur la grande scène milanaise dans l'Artaxerxès de Zingarelli, elle avait retenu l'attention des connaisseurs par la beauté de son contralto et la pureté de ses vocalises. Celles-ci ne pouvaient rendre jaloux son par- tenaire, « l'illustrissime » sopraniste Marchesi, frisant la quarantaine, mais bel homme en dépit de la mutilation à laquelle il devait ses notes les plus hautes, lequel, avec le ténor Lazzarini, accompagnait la prima donna de vingt ans sur l'affiche. Tous trois créèrent encore, le 8 Février 1794, le Demofoonte de Portogallo, avant que la Grassini retournât à (1) A Parme, au cours de la saison 1789-1790, Arthur Pougin, dans une excellente étude sur sa carrière musi- cale, à laquelle nous avons eu souvent recours, écrit qu'elle chanta La Noble Bergère de Guglielmi et la Danseuse amoureuse de Cimarosa, deux opéras-bouffes. Venise pour y chanter une cantate de Mayer : Themire et Ariste, et l'Orphée et Eurydice de Bertoni. Mais ces succès n'approchaient pas de celui qu'elle venait de remporter quelques semaines avant l'arrivée des Français, au cours de la saison dite du « Carnaval » qui, à Milan, comme à Naples, allait du 26 décembre au Carême (1). Après avoir paru dans Apelle et Campaspe de Tritto, elle venait de créer Juliette et Roméo que Zingarelli avait composé en quel- ques jours pour elle et Crescentini, autre beau sopraniste de 27 ans, accommodé à la mode cruelle de l'école de Naples, et cet opéra sé- rieux, qui devait pendant vingt ans faire pleu- rer l'Europe et celui même qui allait s'en rendre le maître, avait consacré leur triple gloire. Le témoignage des contemporains permet d'imaginer ce qu'avaient été ces représenta- tions où le ténor Bianchi, que nous retrouve- rons à Paris, Monani et Mme Dianand, enca- draient les amants de Vérone.