L'orléanisme. La Ressource Libérale De La France
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L' ORLÉANISME DU MEME AUTEUR LE GÉNÉRAL DE VALENCE, OU L'INSOUCIANCE ET LA GLOIRE. Librairie Académique Perrin, 1972. Prix des Ecrivains combattants. Prix du Cercle de l'Union. Couronné par l'Académie française. LE CONSEIL D'ÉTAT. Ouvrage collectif sous la direction de Louis Fougère. Editions du C.N.R.S., 1974. SÉGUR SANS CÉRÉMONIE, 1757-1805, ou LA GAIETÉ LIBERTINE. Librai- rie Académique Perrin, 1977. HISTOIRE POLITIQUE DE LA REVUE DES DEUX MONDES, DE 1829 A 1979. Préface de Maurice Schumann, de l'Académie française. Librairie Académique Perrin 1979. Couronné par l'Académie française. GABRIEL DE BROGLIE L' ORLÉANISME Librairie Académique Perrin La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans unbutd'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale oupartielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite» (alinéa premier de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles et du Code pénal. © Librairie Académique Perrin, 1981 ISBN : 2-262-00216-9 A Charles-Edouard et Laure, Priscilla et Edouard INTRODUCTION Peut-on concevoir un pays séparément de son histoire, la France de l'histoire de France ? Pas plus que l'image éclairée de sa source lumineuse. L'histoire est un éclairage qui révèle et qui fait vivre. Le choix d'un thème permet de clarifier l'enchevêtrement des faits, de les grouper dans une perspective originale et qui ait de la profondeur, d'évoquer le passé de façon didactique ou dramatique et d'y puiser en même temps réflexion et énergie pour l'avenir. L'orléanisme est l'une des sources lumineuses de l'histoire de France. Michelet qui la fit revivre d'un souffle puissant affirma son inspiration orléaniste dans la préface de 1869 aux dix-sept volumes de son Histoire de France : « Cette œuvre laborieuse d'environ qua- rante ans fut conçue d'un moment, de l'éclair de Juillet (1830). Dans ces jours mémorables, une grande lumière se fit, et j'aperçus la France... Dans le brillant matin de Juillet, sa vaste espérance, sa puissante électricité, cette entreprise surhumaine n'effraya pas un jeune cœur... Mes premières pages après Juillet, écrites sur les pavés brûlants, étaient un regard sur le monde, l'Histoire Universelle, comme un combat de la liberté, sa victoire incessante sur le monde fatal, bref comme un Juillet éternel. » L'orléanisme, avait-il écrit auparavant dans un raccourci intuitif et pénétrant, est « la ressource libérale de la France ». L'orléanisme n'était peut-être, à sa naissance, qu'une particularité généalogique de la maison de France. On peut en fixer l'origine en 1643; date à laquelle Gaston d'Orléans devint lieutenant général du royaume à la mort de Louis XIII, et le terme en 1883, date à laquelle s'éteignit la maison de Bourbon avec la mort du comte de Chambord. Entre ces deux événements, la famille royale de France s'est divisée en deux branches, l'aînée et la cadette. La nature elle-même introduit entre l'aîné et le cadet une différenciation organique. Le premier recueille et transmet, avec l'héritage, la tradition. Le second doit frayer son chemin avec activité, invention, et au besoin véhémence. Combien plus accusée cette différenciation au sein d'une famille royale où l'enjeu est le pouvoir ! Ainsi, pendant deux cent quarante ans, la maison de France fut-elle agitée par une succession de duels singuliers : Louis XIII et Gaston d'Orléans, Louis XIV et Monsieur, le Régent entre Louis XIV et Louis XV, Louis XVI et Philippe Egalité, Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe, le comte de Chambord et les descendants de Louis-Philippe. Cette agitation de princes pourrait ne former qu'une chronique de cour, si elle ne se chargeait de signification politique et historique. La branche cadette demeura très proche de la branche régnante, mais séparée d'elle, et souvent près d'en recueillir la succession légi- time. Autour de son chef prirent l'habitude de se grouper des hom- mes et des opinions mettant en cause la conception traditionnelle de la monarchie pour proposer ou imposer à la vieille dynastie devenue pontifiante une alternative rénovée. La force de l'ancienne monarchie était de réaliser l'unité par la confiance. Elle voulait ignorer les pré- tentions à la couronne et comptait trop sur les sentiments de famille, mêlés de faiblesse, pour régler des divergences d'une tout autre nature. Selon Lamartine, « le trône use les races royales, et pendant que les branches régnantes s'énervent par la possession de l'empire, les branches cadettes se fortifient et grandissent en nourrissant l'ambi- tion de s'élever plus haut, et en respirant plus près du peuple un air moins corrompu que l'air des cours. Ainsi, pendant que la primogé- niture donne le pouvoir aux aînés, les peuples donnent aux seconds la popularité ». Né sur les marches du trône, l'orléanisme se développa en un courant qui ne se limitait pas à la seule question de la succession, mais parcourait les domaines constitutionnel, politique, idéologique, social, culturel, économique. Demeuré favorable à la monarchie, il ne cessa d'en discuter les principes anciens, d'en organiser la contes- tation, et d'en rechercher le renversement au nom d'une vision qui se voulait plus moderne, plus intelligente, plus efficace de l'évolution politique. Il n'est pas un grand changement politique ni un impor- tant mouvement de pensée qui ne soit à examiner au prisme de l'orléanisme. Sous cet éclairage, apparaît tout le drame de la monar- chie française. Celle-ci, selon le mot d'Alexandre Dumas, se voulait, dans son ambition, « une ferveur d'intégrité », mais elle subissait, dans son développement, l'entrave d'une fracture. L'histoire de l'orléanisme se divise en deux périodes comme un drame en deux actes. La première va jusqu'en 1793, date de la mort de Philippe Egalité après l'exécution de Louis XVI. C'est la période de la contestation interne. L'orléanisme apparaît comme la velléité française du despotisme éclairé. Mais cette velléité reste le propre de la branche cadette, et engendre une rivalité qui aboutit au duel final et à la double exécution des protagonistes. L'histoire fait songer à ce Vicomte pourfendu d'Italo Calvino qu'une terrible blessure reçue lors d'une bataille lointaine avait fendu en deux moitiés. Depuis cet accident, les deux parties séparées, qui dissimulaient sous un vaste manteau leur moitié manquante, se dressaient l'une contre l'autre en un duel interminable et horrifiant. Chacune d'elles, dirigeant son épée vers le manteau voltigeant de l'autre, s'obstinait à viser là où il n'y avait rien, c'est-à-dire du côté où elle eût dû se trouver elle-même ! La seconde période, qui va de 1793 à 1883, voit se livrer une autre sorte de combat, dont l'enjeu est de concilier l'idée monarchique avec l'esprit du siècle. Monarchie, république, empire, ou plutôt pré- férence pour un régime conservateur, ou progressiste, ou autoritaire. On a souvent remarqué que l'histoire de France au XIX siècle se déroulait comme une spirale : de 1789 à la fin de l'affaire Boulanger, ces trois préférences constitutionnelles sont essayées à trois reprises en boucles successives. La première s'étend de 1789 à 1815, la sièmeseconde va reproduit de l'assemblée et amplifie monarchiste le même decycle Bordeaux de 1815 à àl'établissement 1870, la troi- de la république et au césarisme de l'affaire Boulanger. Dans ces déroulements, l'orléanisme joue le rôle de ressort. S'appuyant sur les phénomènes nouveaux qui sont sociaux, économiques et d'opinion, l'orléanisme affirme la primauté de l'individu, la liberté de la pensée, l'utilité de la critique, la vertu de la délibération publique. Il mène le combat contre les préjugés, la toute-puissance administrative, le cléricalisme,misme moral laet centralisation, raisonnable contre le collectivisme. les excès deIl lapréconise réaction unet réfor-de la révolte. Il conteste l'infaillibilité du monarque, quel qu'il soit, de même que le droit divin, les principes supérieurs et les lois éternelles. En un mot, il présente tous les traits d'un protestantisme par rapport au dogme légitimiste et à la mystique révolutionnaire, un protestan- tisme qui prétend à la succession, qui en crée l'occasion, qui y par- vient, qui échoue, et qui, même après son échec, fait renaître de nou- velles expériences et de nouvelles espérances. L'histoire de l'orléanisme n'est pas, on le voit, l'histoire d'une famille ni celle d'une querelle de famille. Mais elle ne se résume pas non plus dans la description d'un simple état d'esprit, ni même d'un mouvement d'opinion. Il s'agit du courant libéral de la politique fran- çaise incarné dans la branche cadette de la famille royale. Cette dou- ble nature explique l'ambiguité de son rôle. Sous l'Ancien Régime, l'orléanisme qui ébranle le pouvoir monarchique avant de concourir à sa chute, voit-il sa contestation imposée par l'autoritarisme et l'im- mobilisme du pouvoir, ou bien au contraire sa présence et son action empêchent-elles le pouvoir de s'ouvrir aux réformes ? Vis-à-vis des mouvements révolutionnaires, la même ambiguïté subsiste : d'essence monarchique, cherchant à canaliser l'évolution, l'orléanisme n'a pas écarté les secousses, les a encouragées et en a été finalement lui-même la victime.