Un Passé Si Présent : Mémoires
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Hermione BRAYER UN PASSÉ SI PRÉSENT Mémoires Préface de Célia BERTIN Librairie Séguier 3, rue Séguier Paris VI En couverture : Yves Brayer, Hermione à la robe rouge, 1955. Peinture. 100 X 81 cm © Lignes S.A., 1990 I.S.B.N. 2-87736-048-2 Préface Un passé si présent : ce titre éveilla immédiatement ma curiosité. Comment Hermione si accordée au quotidien d'au- jourd'hui vit-elle en même temps dans son passé ? Et ce passé, ne l'aije pas, moi aussi, vécu, en quelque sorte ? Une affection que rien n'a jamais altérée nous lie, Hermione et moi depuis l'adolescence. En ouvrant le manuscrit, je croyais retrouver un peu de ces années, pour moi presque oubliées. Quelques images ont bien parfois ressurgi en moi, à des moments imprévisibles, mais elles me semblent plutôt ap- partenir au rêve qu'à une réalité, depuis longtemps disparue. Je croyais ainsi qu'en lisant les mémoires de mon amie, le passé, notre passé reviendrait aussi un peu présent pour moi. Mais j'ai bien vite cessé de penser à ce qui aurait pu concerner ma propre histoire. J'ai été prise, passionnée même, par tout autre chose. Le livre d'Hermione est beaucoup plus qu'une réunion de souvenirs. Au-delà de la façon différente dont elle et moi avons choisi de mener nos vies m'est apparu un être que je reconnaissais et que je découvrais tout à la fois. Cette autobiographie se lit comme un roman, dont chaque chapitre est une phase de la formation d'un person- nage auquel on ne peut rester insensible. C'est une extra- ordinaire destinée qui se déroule. Avec un curieux mélange de candeur et de lucidité, cette femme, discrète et mesurée, nous confie la façon dont elle croit avoir évolué, sans paraître se rendre compte combien est extraordinaire et précieux son témoignage par son humilité, son naturel. Enfant choyée dans un milieu étranger à l'art comme aux spéculations intellectuelles, mais où le cœur ne manquait pas, Hermione fut vite amenée à désirer s'échapper, ayant le sentiment obscur qu'il existait d'autres manières de vivre. Avide d'apprendre, de découvrir des domaines insoupçonnés par son entourage familial, elle acquit très tôt une grande indépendance, peu fréquente chez les jeunes filles de cette époque. Mais il faut mentionner que l'amour confiant et la générosité dont les siens firent preuve à son égard laissèrent aussi leur marque. Ils la rendirent toute sa vie plus sensible à la qualité des êtres qu'à leur réussite. A aucun moment on ne la surprend éblouie ni même impressionnée par l'argent ou le pouvoir. Elle a toujours gardé un bon sens, un équilibre, qui transparaissent dans ces pages. Jeune, sa beauté était le seul avantage qu'elle se recon- naissait. Touchante est l'importance qu'Hermione lui attribuait sans toutefois jamais s'en prévaloir. La venue de l'âge, qui brouille les apparences, détruit l'éclat et la splendeur des formes, elle en parle avec une franchise qui fait mal. Son œil, sans complaisance, la décela, avant même que les autres n'en fussent conscients. Mais l'éventail de ses intérêts est trop grand, elle est trop fine et elle aime trop ses proches, tous ceux qui l'aiment et s'attachent spontanément à elle pour choisir un retrait égoïste. Elle aime aussi toujours la beauté, mais à présent, elle l'aime sous divers aspects : celle d'un enfant, d'un animal, comme celle d'un paysage, d'un mo- nument, d'une peinture, d'un objet, d'une musique ou d'un poème, car l'homme à qui elle a consacré sa jeunesse puis toute sa vie lui a révélé le beau, en lui révélant l'art. Un passé si présent est surtout la surprenante histoire d'une union qui dure depuis près d'un demi-siècle et paraît exemplaire. Très jeune encore, la belle Hermione rencontra Yves Brayer. Elle admira le talent de ce peintre dont elle sut bien vite apprécier le métier. Il était aussi pour elle le Pygmalion qu'elle recherchait. C'est sans mal qu'il fit d'elle une femme cultivée, et elle semble certaine qu'elle n'eût jamais appris et obtenu d'un autre ce que Brayer lui apporta. Ils se découvrirent aussi, vite des goûts communs. D'instinct, elle aimait la vie de bohème, vite opulente, qu 'ils ne cessèrent de mener. Un mélange de confort bourgeois et de fantaisie qui leur convenait à tous deux. Et cette belle amoureuse devint rapidement la compagne reconnaissante, active, indis- pensable d'un artiste dont elle aida certainement la carrière très officielle. Jamais, pourtant, au cours de son récit, Her- mione ne donne l'impression de se rendre compte de l'im- portance de son rôle dans leur couple, et dans la réussite d'Yves. C'est à peine si elle mentionne que Brayer aurait dit, la première fois où il l'aperçut, qu'elle ferait la parfaite épouse d'un prix de Rome. Elle rapporte ce propos qui l'amuse, comme l'ont toujours amusée les plaisanteries d'Yves. Jusqu'à sa chute dans la terrible maladie qui le garda prisonnier de lui-même, le peintre afficha en public, même en petits comités, une apparente bonne humeur gouailleuse, qu'elle encourageait avec beaucoup de bonne grâce. Jamais ainsi je ne me suis doutée de la constante abnégation de mon amie, du soutien qu'elle ne cessait d'apporter à ce mari, certes devenu illustre, mais qui demeurait un écorché vif, gâté, vite déprimé qu'il fallait rassurer à tout instant. On sait que « la vie d'artiste» n'est pas toujours rose. Les peintres ont la réputation d'être compliqués, torturés; et le succès ne calme pas leur constante angoisse, nous le savons aussi. Nous connaissons de nombreux livres de souvenirs de compagnes de peintres qui ont fui, ou ont été rejetées par leur maître à l'exigence insatiable. Le témoignage d'Hermione est unique, en ce sens qu'elle s'est soumise, sans discuter et sans jamais faillir à son serment d'épouse. Elle n'a dit à personne combien son choix pouvait être rude, et personne, je crois, n'a deviné qu'au-delà de son sourire, de l'élégance de ses manières, de la belle harmonie de ses maisons, de sa générosité amicale, de sa parfaite réussite dans l'éducation de leur fils, il y avait tant de renoncement, tant de dévouement et de soumission à la volonté capricieuse de l'autre. En racontant ce que furent ses difficultés, plus fréquentes que ses joies, Hermione n'entend nullement se plaindre. Les sacrifices auxquels elle a consenti, elle en avait pleinement conscience, estimant que l'artiste qui les imposait — sans paraître, lui, en avoir conscience — en valait la peine. Son livre tout entier tourne autour de Brayer. Les grands bouleversements de ce siècle s'y retrouvent, juste en filigrane. Ils eurent peu de prise sur Hermione qui les voyait par le regard de son Yves. Et Brayer avait une vision toute person- nelle de ce qui se passait dans le monde. Il traversa la guerre un peu comme Charles Dullin qui comparait les atrocités commises par les troupes nazies aux combats des drames shakespeariens. Un passé si présent suit une à une les étapes parcourues, il leur donne vie et les admirateurs de Brayer apprendront à connaître l'homme en même temps que l'œuvre, fort bien analysée. Avec un vrai talent d'écrivain, Hermione apporte une dimension humaine à ses souvenirs, et sa sensibilité si juste nous donne à voir avec bonheur la couleur d'un ciel, une architecture, comme elle rappelle de façon pleine d'humour une anecdote ou évoque le pittoresque d'une situation ou d'une personne. Son récit aurait pu n'être que l'énumération des personnages célèbres qu'elle a côtoyés. Ce qu'elle en dit n'emprunte rien à leur légende, c'est sa propre vision qu'elle nous expose, sans fausse modestie, sans se targuer non plus de sa position privilégiée. Elle est une spectatrice aux réactions alertes, consciente seulement des opinions ou du jugement de son époux, qu'elle approuve avec la plus totale loyauté. Avant de terminer cette brève évocation d'un livre qui ne s'adresse pas seulement aux amateurs de l'œuvre d'Yves Brayer, mais mérite l'attention de tous ceux à qui plaisent les journaux intimes, les mémoires, les aveux sincères (si rares !), il faut aussi rappeler que le couple voyagea beaucoup. Ce furent d'abord les voyages destinés à montrer à Hermione les territoires de prédilection du peintre, les civilisations qu'il aimait et qu'elle aimera tout autant: l'Espagne, l'Italie, la Grèce. Il y a eu aussi les invitations officielles qui entraînèrent le couple aussi bien derrière ce qui fut longtemps le rideau de fer que dans le palais des mille et une nuits, quand Brayer fut invité à la cérémonie du couronnement du Shah d'Iran. Et il y eut la pléiade d'expositions en France et à l'étranger. Les croquis hauts en couleurs qu'Hermione nous rapporte de ces voyages variés sont parmi les passages les plus attachants mais, une fois le livre refermé, ce qui demeure c'est la belle et souvent cruelle histoire d'une femme qui a vécu dans notre siècle de changements, les yeux ouverts, mais sans jamais revendiquer pour elle-même cette indépen- dance pour laquelle elle paraissait si douée. Il fallait un artiste et tout ce que l'amour de son art pouvait apporter, pour inspirer à Hermione Brayer ce dévouement si lucide.