Le Roman Français Depuis 1900
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QUE SAIS-JE ? Le roman français depuis 1900 PIERRE DE BOISDEFFRE puf DU MÊME AUTEUR Chez le même éditeur Les écrivains français d'aujourd'hui, coll. « Que sais-je ? », n° 1057, 1963. Les poètes français d'aujourd'hui, coll. « Que sais-je ? », n° 1543, 1973. Chez d'autres éditeurs HISTOIRE LITTÉRAIRE Métamorphose de la littérature (Grand Prix de la Critique 1950), nouv. éd. entièrement refondue, 2 vol. (Alsatia et Marabout- Université). Une histoire vivante de la littérature d'aujourd'hui, 1989-1968 (Li- brairie académique Perrin). Une anthologie vivante de la littérature d'aujourd'hui, Roman-Théâtre- Idées, 1946-1965 (Librairie académique Perrin). La poésie française de Baudelaire à nos jours (1966 ; Perrin, 1968). Où va le roman ? (1962 ; Del Duca, 1972). Les écrivains de la nuit (Plon, 1973). BIOGRAPHIE Vie d'André Gide (Hachette, 1970). PORTRAITS CRITIQUES Barrès parmi nous (1952 ; Plon, 1969). André Malraux (Editions Universitaires, 1952). Kafka (avec R.-M. ALBÉRÈS, Editions Universitaires, 1960). Barrès (Editions Universitaires, 1962). Giono (Gallimard, 1965). PAMPHLET La cafetière est sur la table (La Table ronde, 1967). ROMANS Les fins dernières (1952 ; Livre de Poche, 1973). L'amour et l'ennui (1958 ; Grasset, 1969). ESSAIS Lettre ouverte aux hommes de Gauche (Albin Michel, 1969). La foi des anciens jours et celle des temps nouveaux (Fayard, 1977). De Gaulle malgré lui (Albin Michel, 1978). type="BWD" 1 édition : 3e trimestre 1979 © Presses Universitaires de France, 1979 108, Bd Saint-Germain, Paris AVERTISSEMENT Même en s'en tenant à des « écrivains d'aujour- d'hui » (1), il n'est pas facile de faire tenir un pano- rama littéraire en 128 pages. Cette fois-ci, il a fallu embrasser trois quarts de siècle de roman, depuis Zola, Huysmans et Bourget jusqu'à des écrivains nés vers 1950. On ne m'en voudra donc pas d'avoir limité cette enquête à des œuvres déjà reconnues. Rien ne vieillit plus vite que l'histoire littéraire : les synthèses les plus ambitieuses sont souvent les plus fragiles. Le « Que sais-je ? » de René Lalou distinguait les « romans de l'individu », les « romans de la province », les « romans de la société », les « romans de l'univers », les « romans d'imagina- tion », etc., classement devenu inintelligible en un temps qui mêle tous les genres et demande au romancier de remplir toutes les fonctions de la littérature, critique et poésie comprises. Il a paru plus simple d'adopter un plan chronologique et de traiter les romanciers, comme l'avait fait Thibaudet, par générations. Certes, ils n'ont pas le même âge et ne marchent point du même pas ; mais les romanciers sont comme les peintres : même ceux qui (comme Céline ou Jean Genet) contestent leur temps, néanmoins l'expriment. (1) Les écrivains français d'aujourd'hui, PUF, 1963 ; Les poètes français d'aujourd'hui, PUF, 1973. Chaque ouvrage sur le roman commence par la recherche d'une définition. Aucune n'est satisfai- sante. Le roman n'est pas seulement le « miroir d'une époque » (René Lalou), il est devenu le creuset où « l'homme d'Occident fond tout ce qu'il a inventé et tout ce qui le dépasse, c'est-à-dire son destin » (R.-M. Albérès). Une distinction, longtemps classique, opposait les « romans de l'individu » (ou ceux du couple, ce qui n'est déjà plus la même chose) aux « romans de la société » : Madame de La Fayette et Benjamin Constant d'un côté ; Balzac et Zola de l'autre. Mais les deux côtés s'interpénètrent. J'ai défini ailleurs le roman comme une machine à lire, « un produit consommable comme le cigare ou l'anisette » (1). Mais cette définition caractérise plutôt la fiction — qui nous propose d'oublier le monde réel et le moment présent, pour suivre dans une autre vie des personnages inventés — que la créa- tion proprement dite, laquelle invite à la réflexion. Evasion et « divertissement » d'un côté; intro- spection et mise en place des valeurs de l'autre. En fait, les grandes œuvres — celles de Dostoïevski et de Proust, entres autres — répondent aux deux définitions. Alphonse Daudet avait déjà noté (en 1876, à propos de Balzac) l'entrée dans le roman de toute une littérature d'idées, exclue du genre au XVII et au XVIII siècles : le roman a ainsi recueilli ce qui s'exprimait naguère dans les « libelles » et les essais. Puis il a continué à grandir, accueillant les documents les plus divers, les cas psychologiques ou sociaux, les enquêtes policières, les métiers et les voyages. (1) Où va le roman ? Del Duca, 1962, nouv. éd. augmentée, 1972. Parallèlement, on a vu se développer un roman de recherche ou de création qui monopolise l'atten- tion de la critique. Mais il existe toujours un roman populaire — « romanesque » au sens ancien du mot —, aujourd'hui relayé par le cinéma et la télévision. Un certain terrorisme littéraire tendrait à nous faire croire que les romanciers n'ont plus le droit d'écrire des fictions. C'est ainsi que M. Roland Barthes félicitait Alain Robbe-Grillet d'avoir mis fin au roman « en profondeur », en assassinant le « personnage ». Mais c'était il y a vingt ans et le roman de Papa tient toujours. Il est vrai qu'il se renouvelle grâce à son extrême plasticité. De ce point de vue, Lalou n'avait pas tort de l'appeler un genre sans frontières. Plus exigeant, Albert Camus, dont l'imagination, il est vrai, n'était pas le fort, y voyait « l'exercice supérieur d'une intelligence qui n'a de cesse qu'elle domine ». Oui, mais Proust coexiste avec Guy des Cars et San Antonio avec Bardamu... La multiplicité des œuvres et leur dissemblance, la coexistence, plus ou moins pacifique, de genres éloignés passent pour un signe de vitalité. Mais com- ment faire un choix ? En 1923, recensant les «jeunes maîtres » de notre littérature, Rambaud et Varil- lon — deux jeunes critiques — citaient, parmi les « romanciers d'avenir » : Béraud, Billotey, Brillant, Escholier, Georges Imann, Pérochon, Variot, Thé- rive. Liste accablante ! Aujourd'hui, ces auteurs sont oubliés, mais Aragon, Mauriac, Montherlant, Julien Green — que nos aristarques avaient né- gligés — se sont imposés — comme se sont imposés Bernanos, Céline et Giono qui avaient déjà com- mencé à écrire mais qui n'avaient encore presque rien publié. Voilà qui doit nous inciter à la modestie! Le tableau qu'on va lire n'est donc pas un pal- marès, même s'il correspond à un premier tri. Ceux qui voudraient disposer d'un inventaire plus complet et d'analyses plus étendues n'auront qu'à se reporter à d'autres ouvrages (1). Ce petit livre ne retient que des œuvres qui ont déjà résisté à l'épreuve du temps. Du moins pour celles qui ont précédé la dernière décade : pour les années 1970, le tri reste à faire. Mais d'autres œuvres existent, c'est certain, qui seront peut-être plus durables. L'histoire saura reconnaître les siens. (1) Parmi lesquels notre Histoire vivante de la Littérature d'au- jourd'hui, 1938-1968 (Librairie académique Perrin, 7 éd. 1969). CHAPITRE PREMIER LE ROMAN FRANÇAIS EN 1900 En cette année 1900, où résonnent les flons-flons de l'Exposition, la société bourgeoise est encore fière et assurée. La III République est à son zénith ; l'Alliance russe lui donne un cachet de respectabi- lité ; ses institutions fonctionnent, et l'affaire Dreyfus, qui l'avait un moment ébranlée, accélère le mouvement vers la gauche. Au moment où le socialisme commence à devenir une force électorale, où l'Eglise n'est pas sortie du ghetto auquel Léon XIII — prêchant le Ralliement aux catholi- ques — avait essayé de l'arracher, la littérature reste l'affaire d'une élite. Mais cette élite s'accroît, car l'école et la presse créent de nouveaux lecteurs. Il existe un public lettré, capable de se passionner pour un écrivain, dès sa première apparition, et de le soutenir tout au long de sa carrière. Quant au roman, il reste à l'image de la société, mondain avec France et Bourget, plus populaire chez Zola et les naturalistes. Taine et Renan viennent de mourir, le premier en 1892, le second en 1893. Le rationalisme scientiste qu'ils repré- sentaient (teinté, depuis 1870, de scepticisme ou d'ironie) commence à être ébranlé. Bergson et Boutroux y sont pour quelque chose, mais aussi toute cette poésie symboliste ou « décadente » qui, depuis une quinzaine d'années, donne le ton. Le naturalisme a fait son temps. Les Goncourt n'ont ja- mais eu de vrai public, Maupassant est passé comme un météore, Daudet est resté « sur son coteau ensoleillé, sinon en isolé, du moins en indépendant » (Thibaudet). Mirbeau publie le Journal d'une femme de chambre, Charles-Louis Philippe la Mère et l'Enfant et Colette Willy commence la série des Claudine. Du côté de la gauche : Emile Zola - Anatole France. — Converti à la politique par l'affaire Dreyfus (il a publié J'accuse et, condamné, s'est exilé à Londres), Emile Zola (1840-1902) vient de revenir à Paris, grandi et amnistié. La critique l'estime perdu pour la littérature : les trois « villes » (Lourdes, 1894 ; Rome, 1896 ; Paris, 1898) ont été un échec, aggravé par les quatre « Evangiles » (Fécondité, 1899 ; Travail, 1901 ; Vérité, 1903 ; Justice, inachevé). Malgré l'appui de Bourget, qui l'estime, l'Académie française reste barrée et la jeunesse se détourne. Il faudra une autre généra- tion pour qu'on reconnaisse en l'auteur de Germinal et de la Bête humaine le grand romancier épique de ce temps, rivalisant avec Balzac dans la création d'une autre « Comédie humaine » : les Rougon- Macquart. Le vrai vainqueur de l'affaire Dreyfus, c'est Anatole France (1844-1924).