Nouvelle Édition Revue Et Corrigée
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Nouvelle édition revue et corrigée 1 Guy De Boeck Les Héritiers de Léopold II, ou l’anticolonialisme impossible 2 « Quand nous parlions, jadis, vous pouviez ne pas nous croire, vous pouviez suspecter nos intentions, vous aviez le droit d’ignorer ce qui n’était pas révélé par des documents officiels. Mais aujourd’hui vous savez, vous devez savoir, vous ne pouvez plus ignorer, vous ne pouvez plus rester sourds aux plaintes et aux protestations qui s’élèvent de toutes parts. » … «Je m’adresse à vous, catholiques. Je vous demande d’oublier vos attaches gouvernementales et de songer avant tout à ce que vous dicte votre conscience. En présence de pareils faits,.., vous n’avez pas le droit de rester impassibles, de vous laver les mains du sang versé; car si vous le faisiez, si vous refusiez la justice aux indigènes, si vous ne leur donniez pas le pain de vie qu’ils réclament, on pourrait vous appliquer le mot d’un des pères de votre Eglise ‘Ton frère te demandait aide et protection, tu es resté sourd à son appel; tu ne l’as pas secouru; donc tu l’as tué’ » Emile VANDERVELDE * « L'Etat du Congo, loin de s'acquitter de ce devoir primordial de colonisateur (d'enseigner a l'indigène a tirer de son sol natal un parti de plus en plus complet, a améliorer ses procédés de culture), interdit aux indigènes, d'après les constatations de la Commission (d'Enquête de 1904-1905), de tirer parti du sol qui lui appartient légitimement, dans une autre mesure que celle ou il l'utilisait avant 1885... Il maintient systématiquement les Noirs dans un état de civilisation inferieure, il les empêche d'améliorer leur condition matérielle. Cette interdiction est imposée dans un but de lucre, pour monopoliser au profit de l'Etat ou au profit de rares sociétés concessionnaires, les bénéfices résultant de l'exploitation du caoutchouc." … « La vérité est que l’Etat du Congo n’est point un Etat colonisateur, que c’est à peine un état : c’est une entreprise financière... La colonie n’a été administrée ni dans l’intérêt des indigènes, ni même dans l’intérêt économique de la Belgique ; procurer au Roi-Souverain un maximum de ressources, tel a été le ressort de l’activité gouvernementale » Félicien CATTIER Bamana kutumona kuanji kutubedia Bintu bia kutupabo bikadi bijimina Ils nous ont vu venir mais ils feignent d’être distraits Il nous devient vraiment très difficile d’obtenir qu’ils nous accordent quelque chose. (Chant dit « des femmes veuves» de Kalonji Tshikunka des Bene-Tshikulu, près de Lusambo) 3 Deuxième Partie : Le Temps de la Reprise La Commission d’Enquête à Basankusu, en 1905, au cours de la déposition d’Albert Longtain, directeur de l’ABIR. 4 Où en sommes-nous exactement ? Le Temps du Roi a été consacré à exposer deux choses : - que Léopold II était convaincu que la possession de toute colonie, à condition d’y appliquer un système directement inspiré du kultuurstelsel de Java, ne pourrait qu’enrichir la métropole et que donc la Belgique devait coloniser ; - que, devant le peu d’enthousiasme des financiers belges, il avait résolu d’en faire la démonstration pratique en devenant le Souverain de l’EIC et en instaurant un monopole d’état sur le commerce des matériaux les plus rentables, en particulier le caoutchouc. Ce faisant, il pensait être dans son rôle en tant que Roi : pousser les Belges à participer à la ruée vers l’or colonial lui semblait faire partie de ses devoirs de souverain. Il ne devint lui-même colonisateur qu’en constatant que ses arguments ne paraissaient pas convaincants aux financiers belges sur lesquels il avait cru pouvoir compter. Léopold II avait parmi ses traits de caractère une dose fort large d’obstination. Il avait aussi une large part d’orgueil, à quoi sa position de Roi n’arrangeait rien : assis sur un trône, on se convainc facilement que l’honneur du pays et de la dynastie ne font qu’un avec sa vanité personnelle. Ayant résolu de faire la démonstration pratique de ses vues sur la colonisation, il aurait considéré comme un échec insupportablement cuisant de ne pas en faire la preuve. Malheureusement, il s’était convaincu trop facilement de la rentabilité des colonies. Il lui avait suffi d’être séduit par le système colonial de Java. Après quoi, il lut avec attention… tout ce qui le confirmait dans ses vues. Cette « méthode de travail » un peu spéciale était un bon moyen d’aller à la déconvenue. C’est ce qui se produisit. En 1890, Léopold II aurait dû jeter l’éponge et reconnaître son erreur. Il ne le fit pas et tricha. Sans doute avait-il des raisons multiples, les unes nobles, d’autres moins. Il ne pouvait sans doute admettre que la Belgique renonce à s’agrandir en « plantant son drapeau dans un monde nouveau ». Plus encore devait lui faire horreur que lui, qui se percevait comme un grand homme visionnaire, puisse être acculé à admettre qu’il avait eu tort face à des gens qu’il trouvait « mesquins », « petits esprits » ou « doctrinaires »… S’il avait une certaine rigidité dans les idées, il savait faire preuve de souplesse en matière de morale. Lorsqu’il s’agissait de formuler des appréciations sur ceux qui le servaient, il qualifiait d’ « énergiques », les brutes et de « volontaires », les hommes sans scrupules. Il se comporta donc en homme énergique et volontaire pour pressurer sans vergogne les 5 populations de l’EIC. Il gagna dès lors, à la faveur de circonstances favorables, beaucoup d’argent par des méthodes qui s’apparentaient au banditisme. Après quoi il fit parade de ses gains devant les Belges par de grandes réalisations de prestige, estimant que puisqu’il pouvait étaler des gains coloniaux, il avait prouvé le bien fondé de sa thèse. Comme il était difficile de savoir ce qui se passait réellement au Congo, il fit illusion pendant quelque temps, puis le rapport Casement vint dénoncer ses méthodes criminelles. Mais en même temps que montait la marée des dénonciations, croissaient aussi les pressions exercées sur la Belgique afin de lui faire reprendre le Congo. Ce qui va mener à cette situation paradoxale que les politiciens belges, qui n’étaient pas « chauds » pour cette reprise et qui savaient fort bien que la rentabilité de l’EIC n’avait tenu qu’à des méthodes de brigand, vont malgré tout devoir l’accepter. Pourtant, cinq années vont encore s’écouler avant que la reprise puisse effectivement avoir lieu. Bien sûr, cela tient pour une part à ce qu’il s’agira de travaux parlementaires, qui sont lents dans tous les pays du monde. Mais l’essentiel de ces cinq années sera absorbé par une sorte de guérilla entre le Roi et ses Ministres. Tout d’abord, Léopold II tentera de se cramponner à « son » Congo. Ensuite, il en acceptera la reprise mais prétendra y conserver des droits exorbitants. Enfin, il exigera de recevoir un « témoignage de reconnaissance » substantiel. Cela, c’est la partie visible de l’iceberg, le processus par lequel le Congo deviendra une possession coloniale de la Belgique. Mais la reprise était censée avoir pour but final de protéger les Congolais contre les exactions, toutes attribuées à l’arbitraire et au « pouvoir despotique » du Roi Souverain, auquel va se substituer dorénavant la « tutelle d’une démocratie parlementaire ». Or, ce n’est pas tant comme Roi que Léopold II fut criminel, c’est comme homme d’affaire. Comme tel, il a cherché à obtenir sa main d’œuvre au coût le plus bas possible. Or, l’on vient assez récemment de découvrir le « scandale géologique » du Katanga et le Congo va devenir essentiellement un pays de mines. Celles-ci absorberont énormément de main d’oeuvre et les grandes sociétés belges, qui hériteront du Congo, ne comptent pas le changer fondamentalement. Elles comptent se débarrasser de l’encombrant anachronisme de la royauté absolue et abandonner la production de caoutchouc, qui d’ailleurs ne sera bientôt plus rentable. Mais elles comptent bien que l’Etat sera toujours, comme sous Léopold II, un zélé pourvoyeur de main d’œuvre à bas prix. Et, toujours comme sous Léopold II, on se servira du noble discours sur le travail « éducatif ». Ils seraient vraiment bien audacieux, ces indigènes, de réclamer des rémunérations élevées, alors que le travail est déjà en lui-même une récompense. Ne les rapproche-t-il pas de cet état bienheureux que l’on appelle « civilisation » ? Les mécanismes mis en place en 1908 se révèleront efficaces dans ce but. Le contrôle parlementaire sera inexistant ou velléitaire. Le contrôle du Conseil Colonial, composé avant tout de vétérans de ce même système et de représentants du grand capital, tous bien décidés à le perpétuer, ne garantira qu’un fonctionnement axé sur le maximum de profit. Plus qu’une assemblée délibérante, il sera un étouffoir pour tout avis marginal ou déviant. L’osmose entre le Ministre des Colonies et les grands intérêts financiers sera parfaite. Les protestations resteront lettre morte, même quand elles viendront d’un Gouverneur Général. 6 L’Enquête de 1904 En ce qui concerne la Belgique, la publication du rapport Casement a réellement été une date-pivot. C’est à partir de là que l’opinion, dans le pays, va basculer d’une majorité de « congophiles » ou « léolâtre » à une majorité, si pas de « congophobes », au moins de « léosceptiques ». Il ne faut pas trop s’en étonner. Nous avons vu que même l’opinion britannique, qui recevait depuis des années les informations de ses missionnaires, n’a réellement basculé qu’avec ce rapport.