Jerry Lewis Est Le Seul, À Hollywood, À Ne
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1 Jerry Lewis est le seul, à Hollywood, à ne pas tomber dans les catégories et normes établies." Lorsqu'il écrit cette louange, en 1963, Jean-Luc Godard vient de tourner Le mépris. Un sentiment que portent, précisément, les critiques américains au "génie" vanté par JLG. "Vivre aux États- Unis, constate l'historien du cinéma David Thompson, c'est affronter l'incrédulité des gens quand on leur parle avec sérieux de Jerry Lewis. Peu de griefs peuvent être retenus ici contre les Français qui soient aussi graves 2 que leur amour pour lui." Le petit juif de Newark aurait ainsi vécu sa vie d'artiste dans l'incompréhension de ses compatriotes, tandis qu'il serait une valeur comique prisée de ce côté-ci de l'Atlantique ? Méfions-nous des raccourcis, même si la condescendance des médias new-yorkais pour ses réalisations accentua la schizophrénie d'un créateur à la fois primitif et complexe, enfantin et malin, cool et névrosé. Né en 1926 dans le New Jersey, Joseph Levitch observe, dès son plus jeune âge, 3 ses parents faire la tournée des cabarets. Il n'est pas rare que sa mère, Rae Brodsky, accompagne au piano son père, Danny Lewis, dans ses numéros de clown et de vaudeville... loin de leur fils élevé, pendant ce temps, par mamie Brodsky. "Toute ma vie, j'ai eu peur d'être seul", racontera plus tard Jerry. Redoutant d'être abandonné et désireux d'imiter ses parents, Joey a 6 ans lorsqu'il monte, pour la première fois, sur scène afin de chanter. Cinq ans plus tard, il met au point un gag avec une amie, lui faisant remuer la 4 bouche en play-back sur un disque de chansons interprétées par des célébrités. Peu après, Joey quitte l'école et aborde, à 15 ans, le one-man show avec ce même sketch de pantomime sur de la musique enregistrée. Rebaptisé Jerry Lewis, le jeune homme de 17 ans, maigre et rongé par l'ambition, multiplie les engagements. "Si Jerry avait du génie pour faire l'idiot, se souviendra son agent Abby Greshler, c'était aussi un gamin terrorisé, avec une petite voix haut perchée. Il avait peur de s'exprimer. En 5 faisant un numéro de play-back, il n'était pas obligé de parler, les disques le faisaient à sa place." Il est cependant un domaine où Lewis se surpasse. En 1944, après une cour effrénée, Jerry épouse Patti Palmer, chanteuse dans des orchestres de jazz. Quelque temps plus tard, le mime en play-back fait une autre rencontre décisive. Celle d'un crooner qui ne tarde pas à remplacer le frère qu'il n'a pas eu. Fasciné par l'aisance et l'allure de Dean Martin, Jerry décèle en lui un don 6 inexploité: "Il avait un sens de l'humour qui tombait juste à chaque fois." La paire improvise, un soir, un numéro d'après- spectacle, durant lequel les grimaces et le jeu outré de Lewis s'opposent à la nonchalance et aux chansons sucrées de Martin. Ils mettent pourtant deux ans avant d'exploser en duo, à Atlantic City, en 1946. "Il suffisait que j'écrive l'ossature d'un sketch, expliquera Jerry, et Dean me suivait, personne ne sachant à partir de quel moment on improvisait! " Au public enamouré de Martin s'ajoute celui, 7 plus enfantin, conquis par les pitreries de Lewis. Ayant acquis la protection des propriétaires mafieux des plus grands cabarets de la côte Est, Jerry et Dean séduisent bientôt Hollywood, sans pour autant faire l'unanimité. "Le Rital est pas mal, mais qu'est-ce que je fais du singe? ", demande ainsi Louis B. Mayer à ceux qui le poussent à les engager. Doublant la MGM, Hal Wallis fait signer Lewis et Martin à la Paramount. Alors qu'il tourne Le soldat récalcitrant, le duo affiche complet dans 8 toutes les salles du pays et anime ses propres shows à la radio et sur NBC. Installé avec Patti et leurs six fils à Los Angeles, Lewis partage ses journées entre un travail acharné et la drague compulsive de starlettes. "Jerry venait chez nous moins souvent que Dean, se rappellera le propriétaire du Ciro's Herman Hover. Il était impétueux et aimait tirer la couverture à lui. Tout le monde aimait Dean et quasiment personne n'appréciait Jerry. " Pourtant, si l'affabilité de Martin 9 recouvre une profonde indifférence, l'ego surdimensionné de Lewis n'est que la traduction d'un besoin insatiable d'être aimé. Perfectionniste intervenant de plus en plus dans la production de leurs films, Jerry devient l'élément dynamique du duo. Celui, également, qui fait rire le public. Le déséquilibre s'accentue dans les œuvres de Frank Tashlin qui permettent au comique visuel et burlesque de Lewis de s'exprimer au détriment d'un Martin chantant, mais réduit aux utilités. Après Artistes et modèles et Un vrai cinglé de 10 cinéma, le tandem s'autodétruit. Jerry s'affranchit en créant, en 1959, sa propre maison de production puis en abordant, après Cendrillon aux grands pieds, la réalisation. Premier essai et coup de maître, Le dingue du palace est un merveilleux hommage au slapstick, virtuose et abstrait, dans lequel Jerry se réserve un rôle muet. "Dans leur profusion même, notera Jacques Lourcelles, les gags de Lewis produisent une double impression de plénitude et d'inquiétude." Revenant pour Le tombeur de ces dames à son 11 personnage d'ado frustré, plongé dans l'univers coloré et criard d'un matriarcat hystérique, Jerry "fait, selon Jean-Pierre Coursodon, de sa mise en scène un jeu et un exercice de pouvoir" et livre une vision décapante de l'Amérique. Plus tard, l'artiste s'en défendra: "Je ne me suis jamais lancé dans la moindre satire de l'american way of life! " Mais comment ne pas voir, dans l 'expérimental Zinzin d'Hollywood, un démontage de l'usine à rêves, le cinéma y étant réduit à sa plus simple mécanique? Et comment ne pas 12 relever, avec Docteur Jerry et Mister Love, où s'affrontent pulsions et raison, une critique acerbe du show-biz et d'une société pratiquant le culte de la jeunesse et de la beauté ? Que Lewis y parodie Dean Martin n'empêche pas le public et, pour une fois, la critique d'adhérer. Mais après Jerry souffre-douleur, qui souligne ses désillusions, Lewis amorce un déclin. Les thèmes de la régression infantile et de la folie tournent au procédé. Ses gags perdent en qualité. Et l'Amérique, plongée dans le drame du 13 Vietnam et l'explosion des ghettos, ne s'accepte plus dans le miroir grimaçant que lui tend son clown schizo. D'autant que ce dernier souffre aussi dans sa chair. Victime, en 1965, d'un tassement des vertèbres, suite à une cascade sur scène, Jerry devient accro aux antidouleurs, qui en font un drogué, et à la rancœur. L'impossibilité d'achever The Day the Clown Cried, dans lequel il incarne, avant Benigni, un clown accompagnant des enfants dans les chambres à gaz, renforce sa dépression. 14 Lewis traverse les années 70 sans repères, suicidaire, pour se retrouver divorcé de Patti, puis remarié. Il ne sait toujours pas où il en est, tient le cap grâce au Téléthon, auquel il participe depuis 1951 et dont il devient l'ambassadeur, mais sans renoncer à tourner quasi simultanément dans d'affligeantes comédies françaises et pour Martin Scorsese. La valse des pantins, face à De Niro, le voit, en clone glaçant de lui-même, tomber le masque. "Il y a une grande colère en lui, racontera Scorsese. Je l'entends encore marmonner: 15 "Tu veux être une star? Alors tu en baves pendant quarante ans ou tu descends dans la rue abattre quelqu'un de célèbre! " "Jerry est un dur! " Il est surtout résistant, alternant prestations télé, apparitions chez Seidelman et Kusturica, rechutes de santé... pour finir par décrocher, en 1995, le rôle du diable dans Damn Yankees, avec le plus gros cachet de Broadway. Et si Lewis avait été plus méconnu qu'incompris? Le clown en colère de Newark âgé de 87 ans mais déclarant 16 "9 ans d'âge mental", a inspiré des comiques aussi différents que le Français Michel Leeb, le Canadien Jim Carrey et, dans son propre pays, Adam Sandler et les frères Farrelly. De quoi rendre ce grand mégalo encore plus schizo... 17 A 80 ans, vous voilà maintenant écrivain. C'est pour vous une manière de faire défiler votre vie, et d'abord d'évoquer la mémoire de votre ami Dean Martin, avec qui vous aviez formé ce duo comique légendaire. Ecrire m'a rendu heureux. J'ai vraiment ouvert mon cœur à chaque page. En écrivant, j'avais le sentiment que Dean était à mes côtés, qu'il approuvait ce que je faisais. Cela a donné à l'enfant qui est en moi de la force, de la fierté, de 18 l'innocence. L'écriture m'a servi de thérapie. Si je revenais déprimé d'un spectacle, elle me remettait en selle. J'ai envoyé mon manuscrit à Elie Wiesel, qui est un très bon ami, avant de me décider à le publier. Il m'a dit qu'il y avait retrouvé ma voix, mon amour, ma souffrance, aussi... Dean Martin me manque aujourd'hui autant que lorsque nous nous sommes séparés il y a cinquante ans. Pendant dix ans, de 1946 à 1956, votre duo Martin & Lewis s'est produit sur 19 scène, à la radio, à la télévision, au cinéma J'ai revu récemment quelques sketchs de l'émission télé Martin & Lewis Colgate Comedy Hour.