Les Échos de Saint-Maurice Nouvelles de l’Abbaye Numéro 9 • Juin 2004 Les Échos de Saint-Maurice Nouvelles de l’Abbaye

Revue éditée par l’Abbaye de Saint-Maurice Sommaire 99e année. Quatrième série 1. Soyons européens! Mgr Joseph Roduit Numéro 9. Juin 2004 3. Chronique de l’Abbaye Jean-Bernard Simon-Vermot 16. Un nouveau chanoine honoraire 18. Colloque Saint Maurice Comité de rédaction 19. La Passion anonyme de S. Maurice Chanoines Eric Chavalley Olivier Roduit 23. La mission du Sikkim, suite et… pas fin Jean-Bernard Simon-Vermot Danièle Montangero M. Michel Galliker 24. Qu’est-ce que le Forum 4 5 6 ? Dominique Studer Expédition 26. Chronique du Collège Frère Serge Frésard Michel Galliker Administration 39. Journée Blaise Cendrars Chanoine Jean-Paul Amoos Pierre-François Mettan 40. Le Collège rend témoignage à Abonnements Maurice Chappaz A votre bon cœur ! Michel Galliker CCP 19-192-7 31. Inauguration de la Salle Maurice Chappaz Échos de Saint-Maurice Mot d’accueil de M. le Recteur Impression Guy Luisier RhôneGraphic SA Saint-Maurice 34. Allocution de M. Pierre-François Mettan 37. Escales Toute correspondance relative Maurice Chappaz aux Échos doit être adressée à : 44. A propos de l’Évangile selon Judas Les Échos de Saint-Maurice Guy Luisier Abbaye Case postale 34 46. De Saint-Pétersbourg à Pékin CH-1890 Saint-Maurice Johan Rochel Couverture 48. Le Miracle de Théophile Dans le hall du Collège pendant Théo Fyle une pause. 51. Le gala des étudiants Jérôme Favre Crédit photographique C. Bornand: 30. C. Chanez: 15. Y. Escher: 2. 52. Des poèmes pour la paix Y. Fournier: 28, 29. J. Rochel: 46, 47. H. Kechavarz, I. Ferraz, R. Delieutraz O. Roduit: couv., 1, 3, 4, 6, 7, 9, 13, 16, 20, 54. Chronique des Anciens 26, 55. S. Rouiller: 48, 49, 50. LDD: 10, 23, 24. A. Schafer: 21, 27, 30, 32, 34, 42, 51, 52. 56. Travaux et générosités ABBAYE DE SAINT-MAURICE Avenue d’Agaune 15 Case postale 34 CH-1890 Saint-Maurice Tél.: [0041] (0)24 486 04 04 Fax: [0041] (0)24 486 04 05 Site internet: www.stmaurice.ch PÈLERINAGES E-mail: [email protected] Organisation et accueil: Chanoine Gaby Stucky, Sacriste PORTERIE DE L’ABBAYE Tél.: [0041] (0)24 486 04 04 ou 486 04 10 La Porterie de l’Abbaye est ouverte tous Fax: [0041] (0)24 486 04 05 les jours de 7h30 à 12h00, de 13h00 à 19h00 et de 19h45 à 21h00 TRÉSOR ET FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES MESSES ET OFFICES Horaire des visites: Dimanche Janvier, février, mars, avril (jusqu’à Pâques): 7h00 Messe 15h00. 8h30 Office du matin (Laudes) Après Pâques, avril, mai, juin: 9h00 Messe conventuelle 10h30, 15h00, 16h30. 11h30 Office des Lectures Juillet, août 2004: ouvert en continu (visites li- 18h00 Office du soir (Vêpres) bres) 9h30-12h00, 14h00-18h00, visites guidées 19h15 Office des Complies à 10h30, 14h00, 15h15, 16h30. 19h30 Messe Septembre, octobre: 10h30, 15h00, 16h30. En semaine Novembre, décembre: 15h00. 6h30 Office du matin (Laudes) Dimanches et des jours de fête: fermé le matin 11h30 Office des Lectures Lundi: fermé toute la journée 18h05 Messe conventuelle et vêpres Groupes : uniquement sur entente préalable, 20h15 Office des Complies par écrit à l’adresse suivante: (Samedi: messe à 11h00) Chancellerie de l’Abbaye Jours de fête Case postale 124 Messe pontificale à 10h00 CH-1890 Saint-Maurice Fête-Dieu et Saint Maurice: messe à 9h30 Tél. [0041] (0)24 486 04 10 le reste comme le dimanche ou par Fax: [0041] (0)24 486 04 05 Tarifs: Vous pouvez aider la Mission Adultes CHF 6.- (4 euros) en envoyant vos timbres-poste à Enfants CHF 3.- (2 euros) Frère Serge Frésard, Case postale 34, Réduction pour les groupes. CH-1890 Saint-Maurice Conditions particulières pour les pèlerins.

LES ÉCHOS DE SAINT-MAURICE. NOUVELLES DE L’ABBAYE Revue éditée par l’Abbaye de Saint-Maurice à l’intention de ses amis Faites connaître… Abonnez-vous… C’est gratuit! Si vous désirez désormais recevoir régulièrement les Nouvelles de l’Abbaye, veuillez tout simplement nous communiquer votre adresse! Les Échos de Saint-Maurice, Case postale 34, 1890 Saint-Maurice ABBAYE DES CHANOINES RÉGULIERS DE SAINT-MAURICE CASE POSTALE 34 CH-1890 SAINT-MAURICE SOYONS EUROPÉENS !

A l’heure où l’Europe s’agrandit con- sidérablement vers l’Est, à l’heure où la France et l’Allemagne s’embrassent sur les plages de Normandie il est bon de rappeler qu’il y a d’autres manières de vivre que l’«American way of life». Même si l’Europe n’ose pas affirmer les valeurs chrétiennes dans ses textes, nous avons à rappeler davantage que nos raci- nes sont judéo-chrétiennes. La chute du communisme a permis aux chrétiens or- thodoxes de retrouver les leurs et leurs égli- ses s’emplissent à nouveau. Trois évènements successifs me renforcent dans ces idées. La Via Francigena Invité à parler à Rome, le 19 mai der- nier, devant 300 personnes impliquées dans la réhabilitation de la Via Francigena, j’ai été frappé de la teneur des discours. Disons tout d’abord que cette Voie des Francs al- lait, dès le 9e siècle, de Canterbury à Rome. Si on n’en a pas retrouvé partout la trace, on veut lui redonner un parcours pédestre à l’écart des grandes routes pour permettre un cheminement intérieur personnel, comme le passage dans des lieux historiques et culturels intéressants. Une vingtaine d’orateurs se sont succédés au micro: surtout les syndics des villes italiennes concernées, tout comme des agents du tourisme ou encore le maire de Canterbury. Tous ont relevé la nécessité de faire connaître à nos contempo- rains, et à nos jeunes surtout, les signes d’un passé culturel et religieux impressionnant. La procession dansante d’Echternach A trente kilomètres de Luxembourg, la cité d’Echternach vit chaque année, le mardi de la Pentecôte, une tradition plusieurs fois centenaire d’une procession dan- sante. Quelque 12’000 pèlerins y ont participé cette année. Emmenés par deux cardi- naux, une vingtaine d’évêques et abbés de monastères et une centaine de prêtres, des

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 1 chrétiens de tous âges entraînés par 43 corps de musique ont dansé et prié dans les rues. Le Luxembourg accueillait ce jour-là des catholiques hollandais, belges, allemands et français. On sentait vibrer l’âme de l’Europe profonde. La rencontre des jeunes avec le pape à Berne Après avoir été détractée, la visite du pape à Berne a suscité l’étonnement, voire la louange de la plupart des journaux, des radios et des télévisions du pays. Comment un homme fatigué et presqu’inaudible peut-il encore mobiliser des foules et surtout des jeunes? La simple présence de ce pape venu d’Europe orientale à travers le rideau de fer qu’il a contribué à faire tomber est déjà tout un symbole. De plus, dans une Europe à l’apostasie silencieuse, il ose dire aux jeunes la nécessité de l’intériorité et de l’approfon- dissement de la foi. Il ose aussi montrer les exigences de l’Évangile et même s’ils ont bien de la peine à les vivre, les jeunes vibrent à cet appel aux efforts personnels. Nos jeunes sont prêts à se lever pour défendre des valeurs chrétiennes. C’est à nous les adultes à nous laisser interpeller et à les aider sur les chemins parfois bien escarpés du 21e siècle.

+ Joseph Roduit, Abbé de Saint-Maurice

Lors de la sa rencontre avec les jeunes de Suisse à Berne le 5 juin dernier, le pape Jean Paul II a reçu un accueil enthousiaste.

2 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE CHRONIQUE DE L’ABBAYE

La route des justes est comme la lu- comme la moisson mûrie par l’Esprit mière de l’aube, dont l’éclat grandit jus- au long des âges, ces saints que l’on a qu’au plein jour. (Prov. 4,18) célébrés depuis la Pentecôte, parmi les- quels il faut bien sûr aussi compter nos chers disparus. 1. Dans l’élan spirituel de l’année li- Mais venons-en aux faits tout sim- turgique ples et prosaïques: tout au long de l’été, Jetons un regard sur le dernier se- les ouvriers avaient mené les travaux de mestre écoulé, de la Toussaint à Pâques. réfection de l’aile centrale de l’abbaye à Il couvre en gros toute l’année liturgi- bonne fin et il ne restait plus que l’amé- que dans ce qu’elle a de plus significa- nagement de l’ancienne bibliothèque: tif: Noël préparé par l’Avent, puis le celle-ci change de visage au cours de ces Carême culminant avec la Semaine derniers mois et devient peu à peu la Sainte et Pâques. Tout le mystère chré- salle capitulaire longtemps souhaitée. tien est là, et la liturgie nous le fait vivre Des livres anciens, tous antérieurs à en son mouvement progressif: faisant 1850, au nombre d’environ 6500, sont nôtre son élan dynamique, nous com- installés dans des armoires latérales; leur prenons que notre vie doit être une ton bleu violacé étonne d’abord quel montée continue, à l’image du Verbe incarné qui, né frêle enfant à Bethléem, s’est offert au Père jusqu’au sacrifice suprême, ayant «aimé les siens jusqu’au bout». Voilà ce que peuvent nous suggérer les six mois que cette chronique passe en revue, si nous savons les lire à une certaine profon- deur. Et la Toussaint? Cette fête est plutôt un prélimi- naire… à moins qu’on ne Il a fallu en tout près de 500 heures de travail pour voie en elle le rappel du cy- dépoussiérer et nettoyer nos 6’500 livres anciens. cle liturgique précédent, Mme Shazar, restauratrice, a supervisé ces travaux.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 3 tente de tous les peuples. C’est donc bien à propos que notre hôte arrivé la veille, Mgr Geor- ges Kwaiter, archevêque grec- catholique de Saïda, au Liban, nous sensibilise dans l’homélie de la messe qu’il préside aux problèmes du Proche-Orient et des peuples éprouvés par les suites de la guerre. Le 8 décembre, la fête de l’Immaculée-Conception nous invite à nous préparer à Noël Nos bibliothécaires ont trié les livres anciens en respec- dans un climat marial d’intério- tant le classement d’un ancien catalogue de 1860. rité. A mesure que les célébra- tions si belles et expressives de que peu, mais lorsque le mobilier clair l’Avent se déroulent, l’attente de l’Em- sera mis en place, le tout sera d’un bel manuel se fait plus vive. La lumière effet. Une salle capitulaire, c’est un lieu croissante des quatre cierges allumés destiné essentiellement à la commu- successivement symbolise cette progres- nauté; cependant, exceptionnellement sion. Nous aimons ces antiennes qui elle sera ouverte au public, avec l’auto- émaillent les offices: «Préparez les che- risation expresse du Père-Abbé et pour mins du Seigneur, aplanissez la route», des réunions de caractère religieux. «Dieu vient nous sauver, et la terre est rem- En cette fin d’automne, les activi- plie de sa gloire». Et l’attente s’approfon- tés scolaires au collège vont bon train. dit à la faveur d’une récollection spiri- Au début de novembre, on organise tuelle animée par un frère capucin de pour les étudiants des visites de l’abbaye: Saint-Maurice, Marcel Dürrer, qui nous par groupes de classe, ils parcourent les montre que plus le Christ vit en nous, couloirs, la basilique, le cloître, le tré- plus nous sommes capables de «vivre en sor, le Martolet. Quant aux anciens élè- frères». ves, leur rencontre annuelle a lieu le sa- En décembre, deux concerts à la medi 8 novembre; le thème de la con- basilique nous donnent déjà un avant- férence donnée au Théâtre du Martolet goût de Noël: le 14, troisième diman- par le Père Jean-Bernard Livio, S.J., est che de l’Avent, l’orchestre du collège, d’un intérêt très actuel: La Terre promise sous la baguette de son nouveau direc- avant et après Jésus-Christ (lire p. 54). teur M. Ernst Schelle interprète avec Reprenons le fil de l’année liturgi- brio des cantates de Schubert et des mé- que. Le dimanche 30 novembre, nous lodies de Schumann. Quelques jours entrons dans l’Avent. C’est une aurore plus tard, mercredi, c’est la fanfare mu- qui, évoquant les lointaines préparations nicipale L’Agaunoise qui harmonise ses du Messie, nous fait communier à l’at- productions avec des chants de Noël,

4 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE anglais pour la plupart, donnés par des jours de l’Avent apparaît le texte des chœurs d’enfants et des solistes. On est antiennes dites «les grandes O», tandis déjà un peu dans l’ambiance de la fête, qu’Aurélien, fidèle à sa tâche de novice, d’autant plus que le surlendemain les monte une crèche à l’église: nouvel en- étudiants, avant de rentrer dans leurs fa- cadrement toujours apprécié des mêmes milles, ont «leur» messe de Noël en personnages si beaux dans leur paisible l’église Saint-Sigismond: ils s’y rendent contemplation de l’Enfant-Dieu, Ma- en grand nombre, huit garçons servent rie, Joseph, les bergers (n’oublions pas à l’autel, un chœur de filles apporte par l’âne et le bœuf qui guignent par-der- ses chants une note de joie et leur aumô- rière), et plus tard les rois. nier Yannick-Marie Escher sait leur par- ler, dans son langage direct et moderne, 2. Vie culturelle de l’amitié avec le Christ «qui doit naî- Mais avant de parler de Noël, re- tre dans notre cœur», et des échanges venons en arrière pour donner un écho avec les autres. Après une dernière de quelques manifestations musicales aubade de la fanfare du collège venue récentes. A l’occasion du 40e anniver- dans nos murs nous apporter une note saire de sa fondation, l’Ensemble Vocal chaleureuse, c’est le calme des mini-va- de Saint-Maurice a présenté à la basili- cances hivernales et la préparation im- que, le samedi 15 novembre et le len- médiate à Noël: sur les parois du rez- demain dimanche, un grand Oratorio: de-chaussée, à chacun des sept derniers «Le Procès de Maurice». Cette œuvre magistrale, composée par le musicien François-Xavier Delacoste sur un texte de l’abbé Philippe Baud et jouée sous la direction de Pascal Crittin est consacrée à la mémoire de saint Maurice et de ses compagnons. Ce n’est ni une reconsti- tution historique de leur martyre, ni un drame religieux à la manière de la «Passion des martyrs» représentée à Vérolliez, mais plutôt une actualisation de leur témoignage: il prend toute sa signification de nos jours où tant d’hommes et de femmes souffrent pour leur foi, ou pour la justice et la frater- nité dont ils se veulent les garants. La lutte dramatique entre l’esprit évangé- lique qui porte à «donner sa vie pour ceux qu’on aime» et l’esprit du monde attaché aux seules valeurs terrestres, y ressort avec une poignante vigueur. Cet antagonisme est représenté sous la forme

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 5 d’un procès imaginaire à la fin des rice, mais encore en d’autres lieux de temps. Il se déroule en cinq mouve- Suisse romande et de France. Nous lui ments, dans un crescendo souvent pa- devons beaucoup de reconnaissance thétique qui s’achève dans la joie pas- pour avoir maintenu et développé l’hé- cale et l’exaltation des martyrs. ritage culturel et religieux d’Agaune. Une belle œuvre pour fêter le ju- Au printemps suivant, le 13 mars, bilé de l’Ensemble Vocal, fondé par le Chœur-Mixte de Saint-Maurice a notre confrère Marius Pasquier en 1963, présenté pour sa soirée annuelle un con- qui a mis tout son cœur et sa compé- cert spirituel à l’église Saint-Sigismond, tence musicale pour le diriger jusqu’en «La Noël du printemps»: des pièces très 1996, remplacé depuis par Pascal variées et d’une grande beauté d’exécu- Crittin. La fidélité dévouée et l’enthou- tion, toutes dédiées à la Vierge Marie. siasme des nombreux choristes ont per- Le 28 mars, pour le concert de la mis une évolution continue de ce Passion, les responsables ont fait appel chœur: après avoir débuté par l’anima- à l’orchestre symphonique du conser- tion des messes radiodiffusées qui reste vatoire de Prague, un conservatoire cé- son premier rôle, il s’est ouvert peu à lèbre qui joue depuis deux siècles un rôle peu aux concerts classiques puis moder- important dans la culture tchèque. Avec nes donnés non seulement à Saint-Mau- le concours du Chœur Novantiqua de

La traditionnelle crèche de la Basilique.

6 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Photo historique: le jour des vœux, Mgr Joseph Roduit est entouré de cinq présidents agaunois. De gauche à droite, M. Laurent Rimet, président de la Noble bourgeoisie, M. Jean-Jacques Rey-Bellet, président du Conseil d’Etat du , M. Georges-Albert Barman, président de la ville, M. Jean-Paul Duroux, président du Grand Conseil du Valais, M. Alexandre Délez, président du Conseil général de la Ville.

Sion et de l’Ensemble Vocal de Saint- la joie de Noël, que beaucoup de con- Maurice, ces musiciens ont interprété, frères vont porter tout alentour par leur sous la direction de Miriam Nemcova, ministère dans des paroisses proches ou le Stabat Mater d’Antonin Dvorak. Un plus lointaines. Joie festive qui se pro- orchestre, 70 chanteurs et des solistes, longe toute la semaine. c’était à la mesure de cette œuvre très Puis le passage à la nouvelle année ample du compositeur tchèque, adap- 2004 est marqué par une veillée de tation originale de la séquence grégo- prière qui suit les Vigiles de la fête Sainte rienne bien connue. Marie Mère de Dieu; le lendemain 1er La vie musicale, on le voit, garde janvier, à la messe pontificale de 10h00, tout son dynamisme à Saint-Maurice, Mgr Joseph Roduit présente ses vœux et il faudrait encore mentionner les deux aux autorités civiles, et à la sortie tout concerts de décembre dont on a déjà le clergé souhaite la bonne année à la parlé plus haut. foule des fidèles. Au repas de midi, se- lon la tradition, le Prieur exprime au 3. Le repos de Noël et de Nouvel An Père-Abbé les vœux de toute la com- La veille de la Nativité, l’office des munauté, il le remercie de jeter sur no- Vigiles introduit la messe radiodiffusée tre vie un regard positif, cherchant à de minuit, une messe de Gounod chan- encourager les initiatives de chacun. tée par le Grand Chœur de la Basilique Pour illustrer son propos, il exhibe un et suivie du réveillon coutumier. Et c’est dessin humoristique qui nous amuse

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 7 beaucoup: un visage triste, amer et cour- 4. Une vie communautaire qui se cons- roucé devient… simplement lorsqu’on truit pas à pas le retourne, amène, souriant, jovial! Sou- Après les fêtes de Noël, de Nouvel venons-nous en aux heures sombres! An et de l’Épiphanie, fêtes toutes enro- Le jour suivant, la communauté au bées de la lumière de l’Emmanuel, après complet, confrères des paroisses et de l’intermède reposant et festif qui les suit, l’intérieur, se retrouve pour la «journée la vie habituelle, avec sa grisaille plus des vœux». Comme il se doit, les échan- rarement coupée de moments plus ges des vœux se font également avec les saillants, reprend en janvier, avec tout autorités civiles du canton: nous ac- de même l’élan reçu par la grâce de ces cueillons les Conseillers communaux et temps forts liturgiques. Une petite di- bourgeoisiaux de Saint-Maurice le sa- zaine de confrères enseignent au collège, medi 3, et un peu plus tard le Conseil des maîtres laïcs complètent le corps d’État: deux rencontres qui attestent des professoral, une centaine de personnes relations cordiales existant entre ces en tout. Plusieurs confrères s’investis- autorités et notre monastère. Pour ce qui sent généreusement dans des retraites est de la ville, ces liens se traduisent en- d’étudiants, à l’hospice du Simplon, à core à l’occasion d’un voyage à l’abbaye l’abbaye d’Hauterive, dans des monas- de Conques entrepris par des délégués tères de France ainsi qu’au chalet des de la commune et notre confrère Mi- Giettes. Tout cela se fait dans le cadre chel-Ambroise Rey, chargé de la pasto- de l’aumônerie, qui connaît une grande rale du tourisme. Cette visite les a tous vitalité. convaincus que notre trésor des reliques Quant à la direction du collège, elle est un bien patrimonial abbatial, mais est assurée par l’Abbaye, avec l’équipe en même temps agaunois, et qu’il est du recteur Guy Luisier, du pro-recteur souhaitable de lui assurer un plus grand Jean-Paul Amoos et de l’administrateur rayonnement tant pour le développe- Franco Bernasconi (qui est aussi procu- ment touristique de la ville qu’en vue reur). Cette équipe se voit malheureu- d’apporter un message religieux aux vi- sement secouée depuis quelques mois siteurs et pèlerins. La ville de Saint- par la maladie de Jean-Paul Amoos, gra- Maurice est partie prenante de cet ef- vement atteint dans sa santé. Opéré à fort d’amélioration que l’on prévoit de Martigny, il subit ensuite un long trai- faire ensemble. Pour le moment, se- tement de chimiothérapie à l’hôpital de condé par quelques collaborateurs, no- Genève, traitement qui s’avère d’autant tre sacriste Gabriel Stucky continue à plus efficace que le moral de notre cher se dépenser généreusement, malgré confrère est au beau fixe. Il reste qu’il quelques accrocs de santé, pour ac- doit être remplacé comme pro-recteur: cueillir ceux qu’attirent ces lieux mar- Alexandre Ineichen est désigné, ce qui qués par une tradition de quinze siècles prive l’Internat de l’un de ses deux pré- — encore qu’à cette saison, ce ne soit fets. Antoine Salina tient bon, et il est pas l’affluence de l’été! maintenant secondé à titre d’essai par

8 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE un jeune universitaire, ancien élève, Da- fructifie encore, il garde sa sève et sa ver- vid Ramel. deur» (Ps. 91,15). Dieu soit loué! Il est On le voit, comme beaucoup vrai qu’il faut toujours s’attendre à la d’autres communautés, la nôtre connaît maladie ou l’infirmité, plus d’un le sait un vieillissement certain (moyenne bien: outre le pro-recteur Jean-Paul d’âge en janvier 2004: 65 ans), les for- Amoos, plusieurs ont fait un stage plus ou moins prolongé à l’hôpital ou même subi une opération: MM. Léon Imesch, Marius Pasquier, Marcel Heimo, Joseph Henry et, pendant plus de huit mois, Frère Paul. Longuement hospitalisé lui aussi, Raphaël Gross a finalement rejoint Amédée Allimann au Foyer Saint-Jacques. Dans ces circonstan- ces difficiles, on aime à méditer ces paroles que le Père Timothy Rad- cliffe, O.P., adressait l’an dernier à la journée des religieux à Fribourg: «Oui, Dieu est présent en ces temps de faiblesse… Un petit groupe de frè- res et de sœurs pauvres, vieux et ma- lades, peut être un puissant signe de vie». Et l’on fait tout son possible pour être, par la présence au chœur, ces permanents de la prière que sont les chanoines réguliers, même Groupe de réflexion lors d’une retraite au Simplon. si plusieurs restent assis, voire en chaise roulante: la «petite espérance» ces jeunes se raréfient, elles ne rempla- de Péguy demeure toujours d’actualité. cent que trop lentement celles qui sen- tent le poids de l’âge, d’autant plus que 5. Contacts intercommunautaires et deux jeunes, Jean-Baptiste Farquet, puis œcuméniques Sébastien Bauer, comprenant que leur La neige hivernale et le froid ne voie n’est pas ici, nous ont quittés tout favorisent guère les voyages… pourtant récemment… Nous souhaitons que le durant toutes ces semaines les hôtes ne Seigneur les éclaire, leur fasse trouver le manquent pas: nous sommes heureux chemin où ils s’épanouiront. Les aînés de revoir le Père Michel Lepcha, qui pourtant, en dépit de l’âge ne sont pas après avoir accompagné une petite in- inactifs et tiennent vaillamment leur firme de son pays à l’hôpital de Bâle où poste; on peut dire de beaucoup, selon elle devait subir une opération, s’arrête l’expression du psaume: «vieillissant, il chez nous et nous donne des nouvelles

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 9 de Kalimpong: l’œuvre mission- naire de l’abbaye a créé des liens pro- fonds qui nous rat- tachent encore à ces chrétiens de l’Hi- malaya. Frère Nes- tor, un jeune reli- gieux du Congo- Brazzaville qui avait fait un long séjour ici l’an dernier, passe également parmi nous pen- Le père Michel Lepcha nous a présenté le «Gianora Home», dant les fêtes. Un maison pour les prêtres retraités du diocèse construite à Kalimpong peu plus tard, une en souvenir de Mgr Aurelio Gianora. vingtaine de membres de la commu- La semaine de prière pour l’unité nauté Saint Martin, de Blois, en tour- des chrétiens est célébrée conjointement née de vacances en Suisse s’arrêteront avec nos frères protestants à l’abbaye le deux jours, puis nous aurons la visite vendredi 23 janvier: les membres des de six jeunes confrères de la congréga- conseils de communauté catholiques et tion canoniale de la vie commune, ve- réformés de la région, une trentaine en nus de Mariabronnen en Forêt-Noire; tout, se réunissent à 18h00 dans la salle le Père-Abbé de l’abbaye bénédictine de de théologie, où Mgr Joseph Roduit leur Solesmes, Philippe Dupont s’arrêtera présente notre vie et nos activités; ils également plusieurs jours dans notre participent ensuite au chant des vêpres monastère, et M. X. Elorza, de Belgi- et nous les accueillons pour le repas du que, viendra pour la Semaine Sainte. En soir au réfectoire, exceptionnellement février, Mgr Joseph Roduit et François ouvert aux dames pour la circonstance. Roten rejoindront les délégués des Après quoi une liturgie de la Parole est autres congrégations canoniales à animée alternativement par protestants Neustift, pour le Conseil primatial et la et catholiques. «semaine d’études canoniales» Le lundi 2 février, en la fête de la (studium). Le prochain Congrès des Présentation du Seigneur, religieux et Chanoines Réguliers y sera préparé: pris religieuses du Bas-Valais et du Chablais en charge par nos confrères de la Con- se rassemblent dans la basilique: l’of- grégation de Saint-Victor, il se tiendra frande de Jésus au temple est pour eux à Châteauneuf-de-Galaure du 5 au 9 un vivant rappel de leur propre consé- juillet et aura pour thème: «la Beauté, cration à Dieu. La Présentation, c’est l’Harmonie, la Gloire, la Transfigura- comme une charnière, un point de jonc- tion». tion entre Noël et Pâques: rappel du

10 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE passé, l’émouvante procession où cha- veau de plus belle; on pense à la maxime cun tient une petite bougie allumée des Proverbes: «La route des justes est symbolisant le mystère de la Nativité, comme la lumière de l’aube, dont l’éclat tout de lumière et de joie, orientation grandit jusqu’au plein jour» (Pr. 4,18). vers l’avenir vers lequel on se tourne à Ce n’est plus comme à Noël la fraîcheur l’approche du carême. Ce qu’exprime à poétique et la joie intime du mystère sa manière le Père-Abbé dans son ho- de la Nativité, c’est plutôt le sérieux mélie: jouant sur les mots, il voit dans d’une maturité qui se veut réaliste grâce cette fête un triple aspect: «je crois» au à une remise en chantier de tout l’effort mystère de la venue du Sauveur; «je spirituel: la «montée vers Pâques». Nous croîs», je m’efforce de croître sans cesse y aident les textes évangéliques évoca- dans son amour, et cela ne va pas re- teurs de chaque dimanche, à commen- noncement, sans «croix». cer par l’épisode symbolique de Jésus Mais avant le carême, voici un évé- au désert; puis la lettre pastorale du nement qui est signe d’espérance: le sa- Père-Abbé répercutée dans toutes les pa- medi 14, notre jeune roisses; de même les con- confrère Cédric Chanez Humour férences du jeudi cen- est ordonné diacre par Comble de la distraction trées, dans une perspec- Mgr Henri Salina. La tive ecclésiale, sur le veille, l’heure d’adora- Devinette thème de l’Action de ca- tion hebdomadaire à la Quel est le confrère qui, à rême: «donner à tous des chapelle des reliques, table, a versé par distraction conditions de vie plus di- ainsi que des Vigiles pro- son vin dans son lien de gne». La salle capitulaire, longées ont été une pré- serviette? inaugurée à cette occa- paration spirituelle à sion et, comme on l’a dit, cette ordination diaconale. De nom- ouverte exceptionnellement au public, breux parents et amis ont tenu à entou- permet à une cinquantaine de person- rer de leur amitié notre nouveau diacre nes, avec son vaste espace et sa bonne à la messe d’ordination; et maintenant, acoustique, de suivre aisément l’inter- tout en poursuivant ses études théolo- venant. Le premier exposé est fait par le giques à Fribourg, il est désormais au Père-Abbé, qui développe le thème: «la service de l’Eucharistie aux messes pon- solidarité et les appels de l’Église». Il tificales et de la Parole de Dieu par des évoque de nombreux documents qui, prédications occasionnelles. dans la foulée de Vatican II, sont de nos jours source d’initiatives pour soutenir 6. La montée vers Pâques les pauvres par ce que Jean-Paul II ap- Après l’intermède quelque peu pelle «une nouvelle imagination de la burlesque de carnaval et le répit de quel- charité». Il fait en particulier mention ques jours de congé au collège, nous d’un projet de partenariat entre plu- entrons en carême le mercredi des cen- sieurs diocèses d’Afrique et d’Europe, dres, 30 février. L’élan dynamique du projet dont il a lancé l’idée et qui pren- cycle liturgique annuel rejaillit à nou- dra forme en novembre 2004 par une

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 11 rencontre à Rome entre 50 évêques d’Europe et d’Afrique. Tout cela illustre le mot de saint Jacques: «A quoi bon dire qu’on a la foi si on n’a pas les œuvres?» (Jc. 2,14) C’est vrai. Il n’em- pêche qu’une activité qui n’aurait pas de fondement spirituel serait vaine: c’est ce que montre le Père- Maître Roland Jaquenoud Le Nouvelliste a consacré un grand article au cybercafé que dans la deuxième confé- notre jeune confrère Yannick-Marie Escher a installé à rence. «Peut-on parler l’aumônerie du collège avec la collaboration d’étudiants. d’un Dieu solidaire?» se demande-t-il. La solidarité est une ex- générations futures n’en reste pas moins cellente chose, mais elle doit avoir, pour une urgence. être chrétienne, un axe vertical et théo- Puis notre confrère Paul Mettan logique: elle s’enracine dans le mystère développe le thème: «la faim dans le de la Sainte Trinité, dans les relations monde». Après avoir mis en évidence la d’amour entre Personnes divines. C’est situation déplorable de millions d’êtres ainsi qu’elle est communion d’amour humains qui meurent de faim sur la pla- entre les hommes unis en Dieu, nète (un enfant toutes les dix secondes), «koïnônia». il passe brièvement en revue les causes Retour aux actions concrètes avec directes, à savoir la politique commer- la troisième conférence: Mme Gabrielle ciale injuste des nations riches qui affa- Nanchen parle du «développement du- ment les pays pauvres, pour mettre l’ac- rable, une solidarité dans le temps et cent sur les causes intérieures: égoïsme, dans l’espace». Après avoir brossé un goût de l’argent, soif de domination. tableau historique des efforts entrepris Une réorientation s’impose: remplacer depuis un demi-siècle pour promouvoir la soif de jouissance et de domination un développement à l’échelle mondiale, par la soif de vrai bonheur. Dieu le pre- elle expose la situation actuelle. Le fait mier veut étancher cette soif en propo- que nous sommes, nous occidentaux, sant aux hommes de s’abreuver aux le 20% de la planète et utilisons le 80% sources d’eau vive qui jaillissent du des ressources mondiales est un défi Cœur du Christ. Alors ils s’ouvriront dont nous devons prendre conscience. aux autres tout en réalisant leur propre De très nombreuses initiatives, heureu- accomplissement, ils leur donneront au- sement tentent de le relever, elle en delà de leur superflu, luttant par là effi- donne beaucoup d’exemples et apporte cacement pour éliminer ce fléau de la son témoignage personnel; le souci des faim dans le monde.

12 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Enfin Yannick-Marie Escher, en lon lui, la solidarité avec les jeunes passe tant qu’aumônier des étudiants, envi- par les vertus théologales vécues concrè- sage «la solidarité avec les jeunes». Il tement avec eux. En guise de conclu- commence par définir la «culture» spé- sion ou plutôt d’ouverture, il nous of- cifique des jeunes aujourd’hui. Dans fre une belle méditation sur les sept pa- leur vie personnelle, ils voient leur bon- roles du Christ en Croix, qui sont pour heur menacé par le sentiment d’an- lui comme une charte de la solidarité goisse, et ils sentent que la communi- avec la jeunesse. cation aux autres est freinée par la mon- Ces conférences ont été orientées tée de l’individualisme; ils vivent aussi en somme sur la troisième pratique tra- le temps au régime de l’immédiat. Dans ditionnelle de carême: le partage, les leur rapport au monde extérieur, ils se deux autres étant la prière et le jeûne. trouvent face à un univers en mutation, La prière, dans notre vie conventuelle, systémique, pluriel, mobile, incertain, c’est d’abord celle de l’Église, et nous complexe et en crise de sens. Ensuite nous efforçons d’y participer aussi per- notre confrère souligne deux obstacles sonnellement que possible: une récol- quand on envisage notre solidarité avec lection, vers la fin du carême, nous y les jeunes: le sentiment religieux et la aidera. Quant au jeûne, nous nous bor- signification du langage chrétien, qui nons communautairement à la «soupe leur est devenu incompréhensible. Se- de carême» du vendredi soir. Quelques

Une partie de l’équipe de ski de l’Abbaye au Challenge Delavay à Champex: les chanoines Olivier Roduit, Calixte Dubosson, Louis-Ernest Fellay, Michel-Ambroise Rey, Mgr Joseph Roduit; manquent Gilles Roduit et André Abbet.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 13 confrères se joignent à un groupe d’une ce temps fort une dimension commu- trentaine de personnes qui pratiquent nautaire. pendant une semaine un jeûne total; Le 4 avril, le dimanche des Ra- elles se retrouvent chaque jour à l’ab- meaux et de la Passion nous fait entrer baye pour un temps de réflexion et de avec toute l’Église — et nous sommes prière et elles participent à certains de en communion avec les Orthodoxes nos offices. également, puisque leur fête de Pâques Dans cette «montée vers Pâques», coïncide cette année avec la nôtre. Le il y a la détente de mi-carême, avec la lien de notre abbaye avec la paroisse de traditionnelle et toujours sympathique ville est souligné par la procession qui rencontre chez les Pères Capucins, qui se rend à la basilique après la bénédic- nous invitent à partager leur «dîner des tion des rameaux devant l’église Saint- escargots» (ceux-ci étant maintenant Sigismond. Nouveau signe de commu- plutôt symboliques…), sans compter, nion, avec toutes les paroisses du terri- pour quelques confrères surtout des toire abbatial, par la messe chrismale paroisses, les deux journées qui chaque anticipée le soir du Mercredi Saint, pré- année rassemblent pour un concours de sidée par Mgr Henri Salina. Suit un ski des prêtres du Valais, de Savoie et moment de convivialité, au réfectoire du Val d’Aoste: les 8 et 9 mars, ils sont du lycée, avec les délégués de ces pa- une centaine à concourir sur le lac de roisses, des figures connues de Saint- Champex encore gelé. Il y a aussi le con- Maurice, Vernayaz, Salvan et Finhaut cert de la Passion dont on a parlé déjà. qui d’année en année nous deviennent familières. La fraternité Eucharistein est 7. Le sommet de l’année liturgique aussi représentée par quelques-uns de Avant d’aborder la Grande Se- ses membres. maine, une récollection, on l’a dit, nous Les célébrations liturgiques du prépare à vivre plus intensément ce som- Triduum pascal, à partir du Jeudi Saint, met de l’année liturgique. Une innova- sont à la mesure de la densité exception- tion est à signaler: pour permettre des nelle de ces jours qui chaque année sont récollections plus fructueuses, il a été comme un nouvel et plus profond en- décidé qu’elles se dérouleraient désor- fouissement dans le mystère de Jésus mais sur deux jours, et qu’au lieu d’un mort et ressuscité. Leur sobre beauté exposé oral, on distribuerait un texte nous aide, ainsi que les nombreux fidè- spirituel à chacun. Et cela, non plus les présents, à les vivre avec beaucoup mensuellement mais quatre fois par an: d’intériorité. Le Jeudi Saint, jour de au début de l’Avent, en Carême, à la l’Eucharistie et du sacerdoce, la veillée Pentecôte et en automne. Formule ap- nocturne nous donne l’occasion de préciée, car elle offre, dans un silence méditer la lettre que le pape adresse en plus strict, un large espace de réflexion ce jour à tous les prêtres: «au cours de la personnelle et de prière; en outre, la pos- dernière cène», dit-il, «le Rédempteur a sibilité de se réunir l’après-midi du se- appelé par son nom chaque prêtre de cond jour pour des échanges donne à tous les temps. Son regard s’est tourné

14 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE vers chacun… et par des voies multi- croix illustré par une chorégraphie. ples, il continue à en appeler tant L’aumônerie avait pris l’initiative de l’or- d’autres à être ses ministres». ganiser. En dépit de tant de misères, Le Vendredi Saint à 15h00, la li- voilà des signes d’espérance, qui inspi- turgie de la Passion est particulièrement rent confiance dans les jeunes, dont prenante, avec les chants de l’Ensemble beaucoup sont visiblement visités par vocal qui accompagnent la vénération l’Esprit. de la Croix, suivis des impropères gré- Après l’intensité dramatique du goriennes. Le soir de ce jour, en colla- Vendredi Saint, c’est l’apaisement et le boration avec la fraternité Eucharistein, silence du Samedi-Saint: «Tenebrae un groupe d’environ 150 personnes, factae sunt… Jesus… emisit spiritum, les formé surtout de jeunes mais auquel se ténèbres se firent… Jésus clama dans un grand cri: Père, entre tes mains… inclinant la tête il rendit l’esprit». Et le grand élan li- turgique s’achève le jour de Pâques par l’éveil à la vie ressuscitée, cette vie dont les lectu- res de la Vigile pascale annon- cent la progres- sive éclosion dans l’humanité, dans la personne du Christ d’abord et par lui en tous les hommes. Un Le vendredi saint, Mgr Joseph Roduit a présidé un grand chemin de chœur de jeunes croix dans les rues de Saint-Maurice. universitaires de joignent nombre d’adultes, fait un che- Fribourg anime cette Vigile, tandis que min de croix en parcourant les rues de le feu du cierge pascal est un symbole la ville en tous sens. A chacune des 14 parlant de la lumière du Verbe. Lumière stations, arrêt devant une maison reli- qui est Vie et que le «grand chœur» gieuse ou une église, chants et lecture soutenu par l’orgue célèbre en faisant d’un texte remarquable: c’est sur ce retentir à nouveau l’Alléluia de Pâques. même texte que, lundi déjà, des jeunes Puisse cet Alléluia se prolonger tout au du collège avaient eux aussi médité en long du Temps pascal. faisant, à la basilique, un chemin de Chne Jean-Bernard Simon-Vermot

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 15 UN NOUVEAU CHANOINE HONORAIRE À L’ABBAYE

L’ ABBÉ PIERRE SANDRIN

Le 21 septembre, l’Abbaye a remis délégation officielle française pour no- le camail de chanoine honoraire à M. tre fête de Saint Maurice. Ayant eu à l’abbé Pierre Sandrin. Pourquoi donc un chaque fois l’occasion de loger à l’Ab- prêtre du diocèse de Créteil (F) a-t-il baye, c’est tout naturellement que des été choisi par l’Abbaye pour devenir le liens se sont créés. 6e chanoine honoraire de l’Abbaye? Tout Pierre, Eugène, Moïse Sandrin est

Au jour de la remise de son camail de chanoine honoraire, l’abbé Pierre Sandrin est entouré de Mgr Joseph Roduit, de sa sœur Thérèse-Geneviève de Jésus, de son frère Jacques et de sa belle-sœur Élisabeth. simplement parce qu’il a longtemps été né le 15 mars 1932 à Paris. Il est issu curé de Saint-Maurice… de Saint-Mau- d’une vielle famille de cultivateurs de rice (Val-de-Marne), la commune ju- Châtillon (92) aux portes de Paris. Il melle de Saint-Maurice d’Agaune en est le troisième d’une famille de quatre Valais. C’est à ce titre que pendant une enfants. Son enfance et sa jeunesse ont dizaine d’années, il a accompagné la été marquées par des engagements dans

16 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE divers groupes: les enfants de chœur, la tre associé pour les paroisses du secteur Croisade eucharistique, les scouts, les Charenton-le-Pont, Joinville-le-Pont et Routes de la Paix organisées par Pax Saint-Maurice. Il est donc toujours en Christi… ministère sur notre commune jumelle Le jeune Pierre Sandrin est entré du Val de Marne. au petit séminaire de Paris à Charenton L’Abbaye a été heureuse de lui re- en 1947. Il a étudié ensuite au grand mettre son camail de chanoine hono- séminaire à Issy-les-Moulineaux de raire au cours des premières vêpres de 1954 jusqu’à son ordination sacerdotale. la Saint Maurice 2003. Il avait invité C’est Mgr Brot qui, le 29 juin 1961, l’a pour l’occasion les membres de sa fa- ordonné prêtre à Notre-Dame de Paris, mille: son frère aîné Jacques avec son sous la présidence du cardinal Feltin, épouse Élisabeth et sa sœur Thérèse, en archevêque de Paris. religion Petite sœur Thérèse-Geneviève L’abbé Sandrin fut d’abord vicaire de Jésus. à Saint-Michel-du-Mont-Mesly à Cré- L’Abbaye de Saint-Maurice compte teil (1961-1968), puis à Sucy-en-Brie actuellement avec lui six chanoines ho- (1968-1979). Il sera ensuite curé à noraires: Auguste Berz, André Babel, Sainte-Marie-aux-Fleurs de Saint- Léonce Bender, Patrice Esquivié, Régis Maur-des-Fossés (1979-1986), à Saint- Félix Burnier et Pierre Sandrin. Nos Christophe de Créteil (1986-1993), chanoines d’honneur sont eux au nom- puis à Saint-André de Saint-Maurice bre de cinq: M. le Cardinal Henry (Val-de-Marne) (1993-2002). Pendant Schwery, évêque émérite de Sion, Mgr toutes ces années de ministère parois- Karl-Josef Rauber, nonce apostolique à sial, il a assumé diverses charges diocé- Bruxelles, Mgr Pierre Mamie, évêque saines: aumônier de Pax Christi et des émérite de , Genève et Fri- Scouts de France, aumônier du Lycée bourg, Mgr Gérard Daucourt, évêque Limeil-Brévannes (1972-1979), délégué de Nanterre et Mgr Norbert Brunner, diocésain pour le Catéchuménat des évêque de Sion. Adultes, etc. L’Abbaye souhaite un bon minis- Le nouveau chanoine réside tère à son confrère parisien et se réjouit aujourd’hui à Charenton où il est prê- de le revoir régulièrement.

CHRONIQUE DES LIVRES

REÇU À LA RÉDACTION

Gian Franco Schubiger, Couples Bernard Gillièron, Dieu exauce-t- saints et bienheureux. Un chemin de sanc- il toujours?. Quelques repères à travers le tification. Éditions Parole et silence, Nouveau Testament. Poliez-le-Grand, Paris, 2004, 192 p. Éditions du Moulin, 2004, 89 p.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 17 COLLOQUE SAINT MAURICE ET LA LÉGION THÉBAINE

UN NOUVEL ÉCLAIRAGE SUR SAINT MAURICE, SON MARTYRE ET SON TEMPS

Du 17 au 20 septembre 2003 s’est Les actes du colloque paraîtront en tenu à l’Université de Fribourg, à Saint- 2005 dans la collection Paradosis (Uni- Maurice et à Martigny un colloque in- versité de Fribourg, Academic Press Fri- ternational sur le thème «Saint Maurice bourg). Nous en reparlerons. Signalons et la Légion thébaine». Cette rencontre pour l’instant l’intéressant numéro 92 a été organisée à l’initiative du profes- de la revue Connaissance des Pères de seur Otto Wermelinger conjointement l’Église (1) consacré entièrement à ce par l’Université de Fribourg (départe- colloque. Mme Marie-Anne Vannier, ments de patristique et des sciences de qui s’est exprimée au colloque, y veut l’Antiquité), l’Université de Zurich donner «une idée d’ensemble de cet écrit (Historisches Seminar) et l’Abbaye de patristique qu’est la Passion des martyrs Saint-Maurice. Plus de trente conféren- d’Agaune, où la figure de Saint Mau- ciers se sont succédés pour évoquer di- rice est centrale.» Après une introduc- vers aspects de la recherche historique, tion de Mgr Joseph Roduit, sept confé- archéologique, patristique, théologique, renciers présentent leur contribution littéraire et liturgique à propos de notre dans un langage accessible à tous. saint Patron. Nous avons choisi de reprendre ici Depuis plusieurs siècles, on discute la contribution de M. Éric Chevalley l’authenticité de la Passion des martyrs consacrée à la Passion anonyme de Saint d’Agaune écrite avec grand art par l’évê- Maurice d’Agaune. Ce texte a été trop que Eucher de Lyon au milieu du Ve longtemps oublié jusqu’à son édition en siècle. Aujourd’hui on sait qu’il faut élar- 1990 par M. Chevalley (2). La recher- gir le débat. Le colloque a permis de faire che actuelle ne pourra faire l’économie un bilan constructif des observations et d’une étude très attentive de ce docu- des résultats obtenus durant cette der- ment plus ancien que ce qu’on a bien nière décennie dans de nombreuses dis- voulu le dire jusqu’ici. Les discussions ciplines scientifiques. Les nouvelles don- du colloque ont d’ailleurs longuement nées ont rendu plus claire la fonction évoqué la Passion anonyme. historique du récit à l’époque de sa créa- (1) Saint Maurice, Connaissance des Pères de tion et pendant les siècles suivants de l’Eglise, n° 92, décembre 2003, Editions Nou- son utilisation, et plus perceptible le velle Cité, 8,50 euros (disponible en librairie, pouvoir social et culturel de l’interpré- quelques exemplaires en vente à la réception de tation historique d’Eucher. La nouvelle l’Abbaye). (2) Éric CHEVALLEY, La Passion anonyme de synthèse va bien au-delà de l’acquis; elle saint Maurice d’Agaune. Édition critique, constitue le fondement de recherches Vallesia, t. 45, 1990, pp. 37-120 (Contient aussi novatrices sur le sujet. la traduction française).

18 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE LA PASSION ANONYME DE S. MAURICE D’AGAUNE

La tradition attribue le martyre de Nous apprenons également que ses in- la célèbre Légion Thébaine au règne formations remonteraient à Théodore, conjoint de Dioclétien et Maximin: une dans le passé évêque d’Octodure. C’est unité provenant de Thébaïde en Égypte là une situation exceptionnelle pour ce avait été appelée à renforcer l’armée de genre de texte: il est en effet datable avec Maximin lors d’une expédition que ce une relative précision et bénéficie d’une dernier dirigea en Gaule. Après avoir transmission très autorisée puisqu’il fi- franchi les Alpes, l’empe- gure dans un manuscrit du reur, qui avait établi son VIIe siècle, le Parisinus lat. camp à Octodure (Marti- 9550. gny, VS), donna un ordre Cependant, malgré aux Thébains stationnés à ses garanties d’antiquité, la Agaune (Saint-Maurice, Passio Acaunensium VS). Ceux-ci refusèrent de martyrum présente des dif- l’exécuter car ils l’esti- ficultés sérieuses d’un maient contraire à leur foi. point de vue historique et Maximin commanda que suscita une abondante lit- la légion rebelle fût déci- térature secondaire, tant de mée. Malgré ce châtiment, la part des partisans de les Thébains refusèrent l’historicité du martyre que d’obtempérer. Nouvelle dé- de celle des négateurs. En cimation, nouveau refus. dernier lieu, l’étude de van Finalement, la légion fut entièrement Berchem montra de façon définitive le passée au fil de l’épée. Ce sont les élé- caractère livresque des informations de ments essentiels d’une tradition attes- l’évêque de Lyon et son intention véri- tée par bon nombre de sources ancien- table, qui était d’offrir aux martyrs un nes. Parmi celles-ci, figure la Passio texte d’une qualité littéraire digne de Acaunensium martyrum (BHL 5737- leur mérite. 40). Grâce à une lettre de dédicace ac- Face à ce constat, que la critique la compagnant la Passion, nous connais- plus impartiale est obligée d’admettre, sons son auteur et son destinataire, de l’intérêt des défenseurs de l’historicité même que l’origine de ses informations. du martyre s’est porté sur un document Ainsi, il s’agit de l’œuvre d’un écrivain jusqu’alors peu pris en considération: la important du Ve siècle: Eucher, évêque Passion anonyme de S. Maurice et de ses de Lyon de 432/441 à 450 environ. compagnons (BHL 5741-45).

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 19 Tout en présentant de nombreux à ses idoles, ordonna que l’armée s’y ras- points communs avec le récit du mar- semblât; il avait notifié à ses hommes tyre tel que nous le transmet Eucher de l’ordre abominable de prêter serment, Lyon, la Passion anonyme s’en écarte sur les autels consacrés aux démons, de parfois de façon significative: elle four- s’engager à combattre sans faillir la nit en effet un cadre historique diffé- multitude des Bagaudes. Dès que la Lé- rent ainsi qu’une autre justification de gion Thébaine en eut connaissance, dé- l’attitude des Thébains. Ainsi, cet épi- passant la ville d’Octodure, elle se ren- sode fameux remonterait au début du dit précipitamment en un lieu qui s’ap- règne de Maximin, alors qu’il n’était pelle Agaune, dans l’espoir que les douze encore que César et qu’il avait été chargé milles la séparant d’Octodure lui évi- d’une sorte de mission de police en teraient l’obligation de commettre un Gaule où la paix publique était trou- sacrilège. blée par des bandes d’esclaves révoltés Pour le reste, nous l’avons dit, les que l’on nommait Bagaudes. De même, deux documents sont unanimes: les le refus des soldats chrétiens est motivé personnages sont les mêmes — Mau- par une forme d’horreur sacrée à l’idée rice, le primicier, Exsupère, le porte en- de prendre part à une cérémonie seigne, Candide, le sénateur; dans les païenne: deux textes, un vétéran, nommé Vic- Une fois donc les Alpes franchies, tor, que son attitude avait rendu sus- Maximin César vint à Octodure et, pect aux yeux des soldats, est obligé de dans l’intention d’y offrir un sacrifice confesser sa foi et subit avec fermeté le martyre. Le déroulement des épi- sodes est également très proche: même succession de menaces et de mesures punitives, même suite de réponses. Pourtant, il s’agit bien de deux textes diffé- rents, présentant des idées, des développements particuliers, ex- primés avec des mots propres à chaque document. Aussi, dans la Passion anonyme, Maurice ex- horte-t-il ses compagnons à te- nir bon dans leur refus d’obtem- pérer aux ordres du tyran; pour cela, il leur adresse un long dis- cours sur l’inutilité de toute ré- sistance physique (alors que cela La chapelle de Vérolliez est bâtie sur le lieu tradi- eût été facile pour des soldats en tionnel du martyre de saint Maurice et de ses armes), sur la valeur suprême du Compagnons. martyre:

20 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Je vous félicite de votre courage, Daniel enfermé dans la fosse aux lions excellents compagnons, car grâce à vo- et conclut de façon triomphante et pro- tre attachement à notre foi, les ordres vocante en même temps: «Ne va pas de César ne vous ont causé aucune chercher plus longtemps des gens qui frayeur; c’est plutôt avec joie, si j’ose dire, se dérobent, sache que nous sommes que vous avez vu que l’on conduisait tous chrétiens. Le corps de chacun sera vos compagnons à une mort glorieuse. totalement en ton pouvoir, mais tu Comme j’ai eu peur que l’un d’eux n’auras pas la moindre prise sur nos ne tente de résister à cette bienheureuse âmes tournées vers le Christ qui leur mort, ce qui, sous prétexte de se défen- donne sa force.» dre, est aisé pour des hommes en ar- Si, pour le récit du martyre en lui- mes! Déjà, pour nous détourner de cette même, les deux Passions présentent des tentation, l’exemple du Christ se pré- rédactions différentes, la situation n’est sentait à moi, lui qui, de sa propre voix, pas la même pour la conclusion du texte: a ordonné à l’Apôtre de remettre au il se trouve, en effet, que dans presque fourreau l’épée qu’il avait dégainée, tous les manuscrits de la Passion ano- montrant que l’assurance de la foi en nyme figure un passage emprunté litté- Christ est plus forte que toutes les ar- ralement au texte d’Eucher, ou plus gé- mes. néralement aux différentes interpola- Maurice poursuit en rappelant la tions que connut ce document; ce pas- vanité du pouvoir des grands devant sage final se rapporte au culte des mar- Dieu; il cite à ce propos l’exemple de tyrs et à la vie du sanctuaire d’Agaune.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 21 La présence dans les témoins de la ginale, dont les témoins ont souvent été Passion anonyme d’éléments manifeste- massivement contaminés par divers ment empruntés à Eucher (en fait, ils emprunts au texte d’Eucher. sont encore plus fréquents, car bon Le statut de ce texte est donc plus nombre de manuscrits offrent au lec- intéressant qu’on ne l’avait pensé pen- teur un texte constitué à la fois de par- dant longtemps, d’autant plus que la da- ties originales et de reprises dans le corps tation habituelle de ce document, le même du texte) a incité la majorité des IXe siècle, est également caduque. En philologues et des historiens qui se sont effet, les auteurs, se basant sur la cor- penchés sur ce texte à le considérer rection manifeste de la langue de l’Ano- comme foncièrement lié à celui nyme, ont pensé y reconnaître une pro- d’Eucher: il s’agirait, selon eux, d’un re- duction typique de l’école carolin- maniement de l’œuvre de l’évêque de gienne. Or, deux manuscrits de la Pas- Lyon et non d’une production auto- sion datent de la fin du VIIIe siècle et nome et originale. Cette vision des cho- leur place dans le développement du ses fit que longtemps on désigna la Pas- texte atteste indiscutablement une his- sion anonyme sous le nom de Passio toire antérieure. Ainsi, la Passion ano- retractata. Pour Bruno Krusch, le grand nyme de S. Maurice et de ses compagnons éditeur des Vies de saints dans la collec- ne peut avoir été composée qu’avant le tion des «Monumenta Germaniae milieu du VIIIe siècle. Comme, par Historica», cette réécriture daterait du ailleurs, le style de l’Anonyme ne semble IXe siècle et serait l’œuvre d’un érudit pas correspondre à celui des auteurs de inquiet de ne pas retrouver chez Eucher l’époque mérovingienne, il paraît légi- les circonstances de la nomination de time d’envisager une date de composi- Maximin et, de façon générale, ce qu’il tion sensiblement plus ancienne. pouvait savoir de cette époque reculée De telles conclusions demandent, grâce à ses lectures. Néanmoins, une pensons-nous, que l’on accorde une at- collation d’un grand nombre de manus- tention véritable à la Passion anonyme crits de la Passion anonyme ainsi que la qui, en définitive, mérite d’être consi- recension des témoins retenus ont per- dérée comme un document de première mis de mieux comprendre cette situa- importance lorsque l’on s’intéresse au tion. En fait, nous avons affaire à au culte des martyrs de la Légion Thébaine. moins quatre familles indépendantes; en En effet, si la valeur potentielle des in- outre, la présence des épisodes finaux formations historiques fournies par du texte d’Eucher remonte à l’archétype l’Anonyme a bien été mise en évidence, de chaque famille et non au texte origi- il convient maintenant de s’intéresser à nal. Ceci est, par ailleurs, confirmé par l’œuvre en elle-même, en tenant compte l’existence d’une famille exempte de de tous ses aspects, des difficultés qu’elle toute contamination. Dans ces condi- présente et, en particulier, du rapport tions, la Passion anonyme ne saurait être que l’Anonyme entretient avec la Passion considérée comme une simple que composa l’évêque de Lyon. retractatio, mais comme une œuvre ori- Éric Chevalley

22 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE LA MISSION DU SIKKIM SUITE ET… PAS FIN!

En 1934, les chanoines de de Kalimpong et des environs l’Abbaye de Saint-Maurice arri- (Nord-Est de l’Inde) en parrainant vèrent aux confins de l’Himalaya la scolarisation et la formation et y restèrent jus- professionnelle des qu’en 1996. Pen- enfants pour leur dant ce temps, ils se ouvrir le marché de consacrèrent au mi- l’emploi. Il est indis- nistère pastoral dans pensable d’avoir un des conditions sou- diplôme d’études se- vent difficiles, développèrent l’alphabé- condaires ou d’apprentissage pour ob- tisation, la santé, créèrent les collèges tenir un travail rémunéré correctement de Pédong et de Kalimpong, aidèrent et ainsi sortir du cercle vicieux de la mi- les plus pauvres sans distinction de reli- sère, ce qui implique un suivi scolaire gion, etc. de chaque enfant pendant une quin- En 1980, une association MIBLOU fut créée par des laïcs, J. et B. Millar, et le chanoine Emmanuel Gex-Collet, pour parrainer l’écolage des enfants les plus pauvres. Cette associa- tion s’est spécialisée récemment pour les enfants handicapés. Aussi, le chanoine Édouard Gressot, rentré au pays en 1996, a-t-il eu le souci, le désir de con- tinuer l’œuvre des débuts. C’est ainsi qu’est née l’association NAMASTE (nom de la salutation indienne qui si- gnifie: je salue l’hôte de votre cœur). As- sociation sans but lucratif ni politique et bien que d’inspiration chrétienne, se tenant à l’écart de tout prosélytisme, ne faisant pas de distinction de race, de caste, de religion. Elle a pour but d’amé- liorer la condition économique des cou- ches les plus pauvres de la population Le chanoine Emmanuel Gex-Collet.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 23 zaine d’années. Ces enfants sont égale- ment suivis sur le plan de leur santé, de leur nutrition et de leurs conditions de vie. Un coordinateur local, le père John Lasrado, aidé d’une ancienne enfant parrainée devenue institutrice, s’occupe avec beaucoup de dévouement de cha- que enfant et tient des comptes détaillés avec rigueur. A titre d’exemple, avec un franc suisse par jour, un enfant est nourri, soigné, scolarisé et bénéficie d’un uniforme. Les frais généraux et ad- ministratifs de l’association sont réduits au minimum, les membres du comité œuvrant bénévolement. Vous tous, anciens du collège, étu- diants actuels, amis de l’Abbaye, vou- lez-vous nous aider à poursuivre cette œuvre humble mais chargée d’espoir? De tout cœur, MERCI. Danièle Montangero Le chanoine Gustave Rouiller. Avec 1.- par jour, un enfant se nourrit, se soigne et étudie. Pour vos dons ou parrainages, CHF 30.- par mois ou CHF 365.- par an. A verser au Crédit Suisse, 1211 Genève 70, CCP 12-35-2, Namaste compte 0281-881768-11. Pour recevoir de la documentation: Secrétariat de Namaste, Adeline Aubry, Av. du Petit Lancy 46, 1213 Petit Lancy; Tél. 022/792.29.58.

QU’EST-CE QUE LE FORUM 4 5 6 ?

De l’automne 2004 au printemps L’idée de ce Forum est née à l’oc- 2007, la partie francophone du diocèse casion du jubilé de l’an 2000 qui offrit de Sion et le territoire abbatial de Saint- l’occasion d’un bilan historique ainsi Maurice vont vivre un très important que celle d’un regard prospectif sur l’ave- temps de réflexion dans le cadre du Fo- nir de l’Église valaisanne. Les responsa- rum 4 5 6. bles pastoraux et les fidèles émirent alors

24 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE le souhait d’un temps de réflexion pour effectués dans le cadre d’équipes ecclé- répondre aux nouveaux défis proposés siales ou de groupes formés pour l’oc- à l’Église du diocèse et pour tracer les casion. chemins d’une pastorale fidèle à la mis- Au long des trois années, différents sion d’annoncer l’Évangile, Une telle sujets seront abordés successivement démarche se justifiait d’autant plus que comme les réussites et les difficultés de la dernière réflexion d’ensemble sur la notre Église diocésaine, les défis posés vie de l’Église diocésaine remontait au par l’évolution du monde actuel et les synode 1972, il y a déjà plus de trente projets pour la pastorale de demain. ans. Le Forum 4 5 6 se veut l’expérience Le Forum 4 5 6 se déroulera du- d’un peuple en marche acceptant sans rant les trois prochaines années pasto- crainte le défi de la réflexion. Il est aussi rales 2004-2005, 2005-2006, 2006- une espérance à vivre, celle de dessiner 2007. Il se veut une démarche souple ensemble les contours d’une Église tou- et ouverte s’adressant à toute personne jours soucieuse de remplir au mieux la

intéressée, qu’elle se situe dans l’Église mission reçue du Christ dans un monde ou en marge de celle-ci. en constante évolution. Concrètement, chaque année du Nous vous invitons donc à faire Forum s’ouvrira à l’automne par le con- bon accueil à cette belle entreprise et à grès du conseil pastoral diocésain qui y apporter, dès l’automne, votre contri- présentera la thématique annuelle. La bution personnelle. réflexion se déroulera ensuite sous la forme d’un questionnaire. En juin, au Dominique Studer, président du terme de chaque année, une grande as- Comité directeur du Forum 4 5 6 semblée du Forum présentera la syn- thèse des réponses annuelles parvenues au comité d’organisation. NB L’année pastorale 2004-2005 est Les thématiques prévues pour cha- placée sous le thème: «Une Eglise pour aujourd’hui: quel visage?». Le lancement du que année seront largement diffusées Forum 4 5 6 se fera lors du Congrès qui dans les médias et les paroisses mais aura lieu le 18 septembre prochain à l’Ab- pourront être obtenues par tout un cha- baye de Saint-Maurice. cun sur le site Internet du diocèse de Vous trouverez tous les renseignements Sion. Toute personne intéressée pourra voulus dans vos paroisses ou sur le site ainsi apporter sa contribution soit à ti- Internet: http://www.cath-vs.ch/fr/ tre individuel, soit au terme d’échanges forum456.html

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 25 CHRONIQUE DU COLLÈGE

TOUSSAINT 2003 – PÂQUES 2004

La chronique de ce numéro des rôme Favre (5e Socio) réussit à organi- Échos est moins étoffée que les précé- ser un gala caritatif en faveur du collège dentes. Au cours des derniers mois, catholique de Bacau. Un large public — d’importantes manifestations culturel- les élèves dans l’après-midi, parents et les ont marqué la vie du Collège. Plu- amis le soir — s’est pressé le 12 février sieurs articles évoquent ces événements dans la Grande Salle pour applaudir les qui ont rythmé la vie des étudiants. jeunes espoirs du Collège. En soirée, plusieurs virtuoses confirmés, Mme Rencontres littéraires Béatrice Berrut, M. Julien Duchoud au Sur l’invitation de Pierre-François piano et M. Stéphane Simonazzi au vio- Mettan, Madame Miriam Cendrars par- loncelle impressionnèrent l’auditoire par ticipe le 13 novembre 2003 à une jour- leur talent (lire en page 51). née littéraire consacrée à son père, Blaise Cendrars (lire en page 29). 9 janvier: Grand jour d’émotion. Maurice Chappaz honore de sa présence l’inauguration de la Salle Maurice Chappaz au Collège et le vernissage de l’exposition réalisée par Pierre-François Mettan à la Médiathèque Valais à Sion en 2003 (lire en page 30). Spectacles La vie musicale et théâtrale fut de grande qualité. Deux manifestations eurent lieu au mois de novembre: une initiation à la musique classique par l’Orchestre du Collège et la représenta- tion d’un mystère médiéval, Le Miracle de Théophile. Lancé par l’aumônerie pour la fête de Noël, ce projet théâtral et musical fut une exceptionnelle réus- site (lire en page 48). Après cinq mois de travail, de sou- Portait d’indien réalisé par Virginie Oreiller cis, un groupe d’élèves emmené par Jé- (5e Litt.) pour son travail de maturité.

26 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Semaine culturelle MM. Jean-Paul Duroux, président du Du 5 au 13 février, la Semaine cul- Grand-Conseil, et Jean-Jacques Rey- turelle de l’année scolaire 2003-2004 est Bellet, président du Conseil d’État, rap- consacrée aux Amérindiens. Plusieurs pelaient avec humour leurs longues an- conférences, documentaires et films ont nées d’études et d’amitié jusqu’à leur présenté ces sociétés maturité en 1969. outre-Atlantique, leurs traditions cultu- relles et religieuses et abordé certaines ques- tions économiques ac- tuelles. Ciné-club La saison 2003- 2004 a connu un suc- cès mitigé. Aux der- nières séances, les rangs des parterres étaient plutôt clairse- més. La programma- tion se voulait attrac- Les deux présidents Rey-Bellet et Duroux retrouvent un instant tive. Tous les films leur ancienne salle de classe… projetés ont marqué leur époque quel Distinctions que soit leur genre. Le projet des ciné-clubs est tradi- Trois élèves du Collège ont brillé tionnellement exigeant. Combien de par leurs mérites sportifs et culturels. À la veille de quitter le Collège, générations depuis l’après-guerre ont été e initiées à la cinéphilie par ces passion- Stéphane Lambiel (5 Scientifique) en- nés du cinéma qui les fondèrent dans thousiasme ses fans. Le patineur les établissements scolaires ou universi- saxonain a connu une saison remarqua- e taires. Que d’émotions partagées et de ble. Après avoir obtenu son 4 titre de débats captivants! Doit-on abandonner champion suisse en décembre 2003 à cette formation que d’aucuns jugent Neuchâtel, il a magnifiquement parti- élitiste et se ranger aux aspirations cul- cipé aux championnats d’Europe à Bu- turelles du spectateur moyen? dapest (février) et aux Mondiaux orga- nisés à Dortmund (mars). Nul doute Réception que dans les prochaines années, sa vir- tuosité et ses immenses qualités sporti- Vendredi 21 novembre, le collège ves lui permettront d’obtenir une place accueillait avec chaleur deux Saint- sur le podium dans les grandes rencon- Mauriards illustres, anciens du Collège. tres internationales.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 27 Une sympathique élève de 3e F Mémoire Économie, Émilie Gex-Fabry se fait L’émotion a gagné le corps profes- également un nom. Cette jeune fille de soral à l’annonce du décès de notre an- Val-d’Illiez s’affirme comme un des cien collègue Bernard Fararik. Profes- grands espoirs suisses du ski-alpinisme seur de géographie, respecté pour la qua- chez les femmes. Au Val d’Aran (Espa- lité de son enseignement, Bernard s’était gne), elle vient de remporter le titre retiré en Galice, après avoir pris une re- mondial, dans la catégorie Cadettes. traite anticipée en 2002. Il espérait y Quant au jeune Côme Vuille, de retrouver force et sérénité. Dans les deux e Muraz (4 Littéraire A), il s’est derniè- dernières années de son professorat, il rement illustré à Québec. Avec peu de ème avait traversé des moments de grandes fautes, il a remporté la 11 dictée des inquiétudes quand sa santé était deve- Amériques, section Juniors. Sur un texte nue chancelante. Le destin l’a frappé le du romancier canadien, Gaëtan Soucy, 7 février dernier au soir d’un après-midi il a montré sa parfaite maîtrise du voca- de promenade. Accompagné dans ses bulaire et de la syntaxe. derniers instants par son épouse Maya, il s’est éteint paisiblement, victime d’un malaise cardiaque. Michel Galliker Nos champions réunis pour un hommage dans le hall du Collège.

28 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE JOURNÉE BLAISE CENDRARS (13 NOVEMBRE 2003)

Madame Miriam Cendrars, fille de œuvre originale, manifeste de l’Avant- l’écrivain Blaise Cendrars, auteur de Garde, est un poème-tableau: les cou- deux livres importants sur son père (1), leurs de Sonia Delaunay dialoguent avec a passé une journée entière dans notre la poésie résolument moderne de Blaise établissement. Elle a d’abord répondu Cendrars. Il existe une centaine d’exem- aux questions de trois groupes d’étu- plaires de l’œuvre originale de 1913; pour cette copie de l’exemplaire déposé à la Bibliothèque nationale à Berne, Madame Cendrars a donné au Collège les droits de reproduction photographi- que. Journée mémorable pour tous grâce à cette grande Dame qui, avant de vouer son existence à la mise en va- leur de l’œuvre de son père, fut journa- liste. En 1940, à l’âge de vingt-et-un ans, elle se trouve à Londres. Au service de la France Libre, elle travaille au secréta- riat du Général de Gaulle, en lui prépa- rant chaque matin sa revue de presse. Après la guerre, elle fonde un magazine pour enfants qui la verra collaborer no- tamment avec la psychanalyste Françoise Dolto, avant de prêter son concours à la revue fondée par son mari Mme Miriam Cendrars en compagnie de Albert Gilou, Connaissance des Arts. Mme Christine Le Quellec Cottier devant Elle commença ainsi son allocution La Prose du Transsibérien. pour l’inauguration de la reproduction diants de première année qui avaient lu de la Prose, citant une phrase de Blaise L’Or; elle a ensuite participé à la confé- Cendrars dans Le Lotissement du ciel: rence donnée par Mme Christine Le «Le seul fait d’exister est un véritable Quellec Cottier et enfin inauguré bonheur.» Merci Madame Cendrars! l’exemplaire de La Prose du Transsibé- Pierre-François Mettan rien et de la Petite Jehanne de France, qui (1) Miriam Cendrars, Blaise Cendrars, se trouve dorénavant exposé dans un Balland, 1993 et L’or d’un poète, Découver- endroit bien visible du collège. Cette tes Gallimard, 1996.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 29 LE COLLÈGE REND TÉMOIGNAGE À MAURICE CHAPPAZ

Au début du printemps 1976 l’ac- À la réponse de Maurice Chappaz tion audacieuse de trois étudiants fit aux mots d’accueil du chanoine Luisier date. Le «Vive Chappaz» peint sur le et de Pierre-François Mettan en ce 9 rocher surplombant l’Abbaye apportait janvier 2004, nous joignons la lettre que son soutien à l’auteur des Maquereaux l’écrivain a envoyée à ses amis et con- des Cimes Blanches. naissances pour les vœux 2004. Impré- Le 18 juin 1998, au moment de la gnés d’émotion et pleins de sagesse, ce parution du numéro spécial des Échos texte et son allocution ne peuvent se de Saint-Maurice, qui lui était consacré, comprendre l’un sans l’autre. Maurice Chappaz rencontrait les jeunes (1) Maurice Chappaz, Partir à vingt étudiants du Collège. Ce fut l’occasion ans. Préface de . Genève, d’un dialogue fécond entre l’écrivain et La Joie de Lire, 1999. la jeunesse. (1)

30 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE INAUGURATION DE LA SALLE MAURICE CHAPPAZ

M. le Recteur Guy Luisier a saisi l’occasion de l’exposition de la Médiathèque pour réaménager l’ancien Salon du Recteur en Salle Maurice Chappaz. Cet espace est destiné à devenir un lieu de réunion et de réception. C’est Maurice Chappaz lui- même qui a choisi dans son œuvre la phrase qui se trouve inscrite sur l’un des murs de cette salle:

* * *

MOT D’ACCUEIL DE M. LE RECTEUR

Cher Monsieur Chappaz, Même si les horizons de la vie chan- Je ne veux pas tomber dans la ba- gent, ce qui nous a construit demeure, nalité en disant que c’est une grande joie et j’ai l’impression que vous êtes resté pour le Collège de l’Abbaye de vous re- membre de plein droit de ce Collège. cevoir ici dans ses murs, car à bien y Alors qu’à l’Abbaye on lit les épî- regarder, peut-on dire que vous l’avez tres de saint Paul disant que ce qui quitté ce Collège, qui a participé à vo- compte ce sont les pierres vivantes de tre formation intellectuelle, poétique et l’édifice spirituel, le vrai Collège de humaine. Saint-Maurice est lui aussi fait des pierres

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 31 vivantes d’un édifice intellectuel et cul- naissance, mémoire pour l’aîné que vous turel. Le vrai Collège de Saint-Maurice êtes pour les anciens du Collège, pour est partout où des personnalités humai- les jeunes d’aujourd’hui et qui pour ceux nes gardent vivant et transmettent le qui viendront se frotter à la culture et la flambeau d’une certaine vision de la poésie dans cet établissement; c’est aussi

Echange amical entre Maurice Chappaz et le Recteur Guy Luisier devant la vitrine d’exposition consacrée à S. Corinna Bille. culture et de l’exigence intellectuelle. un devoir de reconnaissance pour votre Vous êtes une pierre vivante de ce Col- œuvre dont vous nous laissez un mor- lège où vous avez été étudiant, Mon- ceau sur le mur de la salle que nous inau- sieur Chappaz. Votre prénom vous rat- gurons aujourd’hui: tache particulièrement à lui et les traces Un beau soir, je suis parti en quête du Collège se glanent facilement à tra- d’un petit fruit vert et mal mûr qui était vers votre œuvre et nous en sommes moi-même. fiers. Puissions-nous tous prendre à no- C’est cette idée qui a présidé à la tre compte cette phrase et cette quête. mise en place d’une salle Maurice Monsieur Chappaz nous serons Chappaz en nos murs. Il y a dans cette heureux de vous entendre sur cela tout salle un devoir de mémoire et de recon- à l’heure.

32 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Nous avons voulu joindre à cette ver qui a dû rendre difficile le détache- inauguration, le vernissage de l’exposi- ment des montagnes bagnardes. tion Partage de Minuit Corinna Bille Merci à Pierre François Mettan et et Maurice Chappaz. Le commissaire de ses collaborateurs artistiques et techni- l’exposition est un professeur passionné ques en particulier à notre collègue Jean- de notre Collège, Pierre François Daniel Berclaz, pour leur travail de réa- Mettan et à travers son travail c’est aussi lisation de la salle et de l’exposition. un peu de notre Collège qui a organisé Merci à notre collègue Michel cette promenade poétique dans les con- Galliker d’avoir toujours gardé un con- trées de la famille Bille-Chappaz. tact étroit avec Maurice Chappaz, au Les liens entre l’Abbaye de Saint- nom du Collège notamment. Maurice et la famille Bille ont été et sont Merci à la Médiathèque de Sion et encore solides et bien réels. La lumière à ses responsables Jacques et Alain des vitraux d’ dans la Ba- Cordonier, qui ont été les initiateurs de silique illumine jour après jour la prière cette magnifique exposition. Merci à abbatiale. Ils rappellent aux priants et ceux qui en ont permis la réalisation: aux visiteurs de l’église de l’Abbaye que les responsables des archives cantonales depuis le martyre de saint Maurice à de Sion, des Archives littéraires de travers l’histoire religieuse d’Agaune Berne, de la Bibliothèque nationale, en nous avançons vers l’épanouissement du particulier Monsieur Michaud et Ma- temps et la victoire des témoins de dame Cudré-Mauroux. l’Apocalypse comme nous l’évoquent les Merci à Madame Marie-Claude grands vitraux de Bille du chœur. Morand, directrice des Musées canto- Les différents contacts d’amitiés et naux qui a gracieusement prêté son d’émulation intellectuelle et spirituelle technicien Alexandre de Torrenté pour que Corinna Bille a entretenus avec des le montage et le démontage de l’exposi- membres de notre communauté abba- tion. tiale et professeurs de notre école sont Merci à Jacques Bille, petit-fils un autre jalon de ce qui relie notre Col- d’Edmond Bille et neveu de Maurice lège de l’Abbaye à la famille et à l’œuvre Chappaz, président de l’association de Corinna Bille et Maurice Chappaz. Edmond Bille. Nous avons donc beaucoup de rai- L’aventure d’une telle exposition a sons d’être heureux, après la Médiathè- mis en mouvement beaucoup de dé- que de Sion, d’accueillir cette exposi- vouement et je voudrais remercier glo- tion dans nos murs pour ce début 2004 balement tous ceux qui ont été touchés et de l’inaugurer en ce soir. de près ou de loin par elle. Ce qui me permet pour terminer Soyons des pierres vivantes d’une en distribuant des remerciements cha- culture ouverte, critique et libre comme leureux de la part de tout le Collège. nous le montrent Corinna Bille et Mau- Merci bien sûr à Maurice Chappaz rice Chappaz. Merci à tous. pour sa présence malgré le temps d’hi- Chanoine Guy Luisier, recteur

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 33 ALLOCUTION DE M. PIERRE-FRANÇOIS METTAN

Cher Maurice, Vous évoquez alors un souvenir: vous aviez sept ans, vous vous souvenez Je commencerai par un souvenir avoir été expulsé d’un cours de chant d’école. Je ne l’ai pas trouvé dans un de tant vous aviez été malhabile à monter vos livres, mais dans une réponse à une les notes de la gamme. Dans cet aveu question impromptue que vous posait émouvant de la détresse d’un enfant qui Patrick Ferla lors d’un entretien radio- ne sait pas chanter et qui essaie dans la phonique. Le journaliste vous demande solitude de retrouver un air à chanter avec malice si vous savez chanter. Votre pour lui, je trouve cher Maurice, une réponse est directe: «Je ne sais pas chan- clé qui permet de mieux comprendre ter mais j’ai toujours désiré chanter» (1). votre œuvre. Écrire a été pour vous une

Maurice Chappaz dialoguant avec Mgr Joseph Roduit et Pierre-François Mettan.

34 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE respiration, la poésie une tentative de Si nous recevions une culture c’était pour retrouver le chant inaccessible à l’enfant. favoriser une disponibilité en nous, em- Souvent, à la manière socratique, pêcher que soit tout de suite étouffée par vous évoquez tout ce que vous n’avez «l’utile» (…) la mince part contempla- pas su faire: enfant, vous étiez solitaire tive.» et aviez de la peine à parler; plus tard Eh bien Maurice, votre chant a vous avouez que vous avez été peu apte toujours laissé résonner cette vocation, aux travaux manuels, ne sachant pas cet imaginaire et cette «mince part con- «planter un clou»; grand arpenteur de templative». «Enfant qui croyait au pa- nos montagnes, vous déclarez être un radis», «petit fruit vert et mal mûr», vous mauvais alpiniste; adulte lancé dans la êtes devenu l’un de nos plus grands poè- vie, vous vous êtes senti inapte à l’exer- tes, vous avez su transformer vos faibles- cice d’un métier habituel. Or, votre ses en une force qui ne s’oubliera pas et oncle Maurice Troillet, célèbre homme nul doute que votre œuvre sera aussi politique, qui fut pour vous un second «durable» que celle de votre oncle et de père, était profondément enraciné dans votre beau-père. le faire et dans l’action; votre beau-père, Dans ce trajet de vie, je n’oublie l’artiste Edmond Bille, que vous admi- bien sûr pas Corinna Bille: elle aussi se riez, était aussi quelqu’un qui avait sentait assez fragile et démunie face à la trouvé sa place dans la cité. Protestant vie, face à une époque qu’elle ne com- neuchâtelois, il avait décoré bon nom- prenait pas toujours. Elle utilise la même bre d’églises du Valais; il s’était engagé expression que vous, dans un autre en- en politique et avait trouvé non sans tretien radiophonique, pour justifier son peine une conciliation entre l’art et la activité d’écriture: écrire est une «bou- vie. teille jetée à la mer», bouteille qui lui a Quant à vous Maurice, tout en permis de respirer, de chanter, encore admirant les réalisations concrètes de davantage — de survivre. Tout était l’homme politique ou du peintre, vous pour elle matière à l’écriture: les rêves avez avec ténacité et dignité toujours re- de sa mère, de ses tantes ou de ses en- vendiqué la noblesse du dire face au fants, les lectures innombrables, les his- faire, la valeur de l’inutile et la beauté toires qu’on lui racontait, l’observation du chant. En parlant de vos études à minutieuse de la nature… Peu d’écri- Saint-Maurice, vous avez dit et redit vains ont comme elle accordé tant de l’importance d’un enseignement qui ne place à l’altérité: parler pour les autres, cherche pas d’abord l’utile. Dans Le parler vers les autres, mais aussi parler Partage de Minuit (2), il s’agit du livre de l’autre en soi, de tout ce que notre écrit à deux mains qui a donné le titre à raison ne peut pas saisir. cette exposition, vous dites ceci, évo- quant vos années de collégien: La Médiathèque Valais m’a donné «Le vrai but des études que nous comme mandat, dans le cadre des ex- poursuivions n’était pas une profession positions consacrées à la famille Bille, mais une vocation, un imaginaire (…). de proposer une lecture croisée des deux

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 35 écrivains. Il y avait là de quoi faire peur autre collègue, Nicolas Fournier, qui a à l’enseignant généraliste que j’étais: un eu le grand mérite d’effectuer le mon- massif impressionnant de livres (plus tage des plans-fixes tournés par les élè- d’une centaine à vous deux), des car- ves de la 5e Arts visuels de cet établisse- tons de manuscrits soigneusement con- ment: il s’agit de lecteurs qui s’expri- servés et classés à la Bibliothèque natio- ment sur votre œuvre et sur celle de nale, des articles de journaux par cen- Corinna. taines. De prime abord, le lecteur voit Vous voyez que de nombreuses plutôt la ligne de partage — comme l’on personnes de ce Collège ont apporté un parlerait de la ligne de partage des eaux concours actif: je les en remercie, — entre les deux œuvres. L’une, celle d’abord M. le Recteur pour sa bien- de Corinna, plus narrative, ne cherche veillance, les proviseurs, en particulier pas à expliquer le monde; la vôtre est Mme Gagliardi et M. Fournier, mes plus lyrique, elle commente inlassable- collègues, sans oublier M. le Concierge ment les rapports entre l’homme et le et les dames du nettoyage qui ont fait monde, entre le divin et l’humain, elle en sorte que tout soit prêt ce soir. explore tout particulièrement la part Serait-ce vous trahir, cher Maurice, contemplative. Pourtant si ces différen- de dire que votre œuvre, tout comme ces sautent aux yeux, ne serait-ce que celle de Corinna, est d’abord évangéli- dans l’écriture elle-même, nombreux que? L’essentiel pour moi a toujours sont les points de rencontre entre vos d’été d’aller vers le partage: mettre en deux œuvres. Ce Partage de Minuit — images, mettre en mots, donner à lire, le titre est un clin d’œil à Paul Claudel aller vers d’autres lecteurs pour que les que Norbert Viatte aimait tant, car tous œuvres ne meurent pas. vos livres Maurice, comme ceux de Corinna, dialoguent avec les livres du Pierre-François Mettan monde entier — ce partage, je le pro- pose dans un parcours qui s’organise autour de quatre grands thèmes: les fi- (1) Radio suisse romande, 20.12.1982. liations, l’ici et l’ailleurs, l’usage du (2) S. Corinna Bille et Maurice monde, le moi et l’autre (3). Chappaz, Le Partage de Minuit, Fédérop, L’exposition ne cherche pas à Lyon, 1984, p.29. être didactique: plutôt que d’expliquer, (3) Un livre, disponible dans les mé- diathèques de Sion, Martigny et Saint-Mau- nous invitons à la découverte. L’écriture rice, prolonge ce parcours: P.-F. Mettan, Le comme la lecture sont par définition des Partage de Minuit: Corinna Bille et Maurice expériences très intimes qui ne se mon- Chappaz, Acatos, 2003. trent guère, d’où la difficulté de mettre en scène deux écrivains. Pour cet aspect, je suis reconnaissant vis-à-vis de deux personnes: Viviane Actis, graphiste et Jean-Daniel Berclaz, scénographe de l’exposition. Je ne veux pas oublier un

36 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE ESCALES

Le Châble Tandis que Décembre court après Janvier 2003-2004 Mes amis, Un avant-dernier message…

Le flot des lettres c’est le flot des visages aux fenêtres de l’Abbaye. Vous êtes là, j’entends même le murmure de vos voix sur le rivage des éternels murs gris plus jeunes que moi. Je regarde le temps le souffle de la vie. A la fin des livres, à la fin de l’écriture qui a toujours été ma vraie, ma seule réponse à ce monde qui nous interpelle avec une hâte grandissante, une meur- trière banalité, je suis happé de plus en plus par les nouvelles de la nature, les nouvelles les plus ordinaires: celles de la pluie, celles de la neige, celles du vent. Lire les jours avec l’œil du corps et l’œil intérieur… Ce nuage dans le ciel bleu fumée, qui traîne une longue ombre humide sur les lointaines pentes blanches de la montagne où détellent des bois d’aulnes et de bouleaux. Et un verger tout près d’ici, derrière les maisons muettes, la lumière sinue, se cache, s’étend soudain comme de l’eau sur une vaste surface de neige tout en plis et en fuites. Je m’arrête devant de vieux pommiers trapus avec leurs torsions et la giclée noire des branches lustrées par le gel qui égratignent l’air, l’air argentin du soleil d’hiver; ces vieux pommiers ont quelque chose de gothique. J’aime la neige et la pluie simultanées qui emmêlent les jours. Les coteaux s’émiettent, passent sans cesse du brun au blanc. Toutes les lignes s’effacent, les granges s’assombrissent ensemble d’un trait; les toits, les murs s’effa- cent, se prolongent sans angles. On croirait qu’on est en train de peindre. Les montagnes s’éloignent, se rapprochent. Des collines figées, éclairées rêvent avec leurs villages à demi voilés.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 37 Parfois il y a des apparitions. J’ai connu autrefois sur les glaciers, à skis, intermède à l’ouragan qui boxait les cabanes prêtes à s’envoler, ces refuges dont le toit était parfois assujetti à un rocher par un câble, le fameux jour blanc le brouillard solaire. Maintenant c’est le jour nuit qui s’harmonise avec le grand âge. Quelles nouvelles vous apporter? «Si tu es là, la mort n’est pas là» redisent les livres. Or je vous l’ai annoncé, déjà ils m’échappent. Et s’il y a succès, me dépassent. Deux rééditions en France ont été les bienvenues: le Testament du Haut-Rhône et Vocation des Fleuves chez Fata Morgana. J’ai tenu avec joie en mains quelques exemplaires, voici six semaines. Suivront Verdures de la Nuit et Les Grandes Jour- nées de Printemps prévues à peu près pour l’époque où l’on taillera les vignes. J’es- père voir luire les miennes, elles, en mains sûres de ma nièce Marie-Thérèse Chappaz. Quelques parchets d’Arvine et d’Ermitage remontent à mon oncle Maurice Troillet, vignes plantées par lui en 1920. Avec leurs mêmes ceps d’origine, renou- velés par bouturage uniquement. Tandis que les titres que je cite, plusieurs fois réédités dans la pure et simple confiance, avaient paru en 1944 à Porrentruy et en 1945 à Lausanne. A mes moments perdus je rumine, non sans plaisir, ces dates. La nouveauté c’est la durée, la vérité attend. Palézieux m’accompagne de ses gravures, de ses dessins. Il est l’artiste qui a eu le génie de ces instants indéfinissables, insaisissables quand le paysage s’humanise, entre existence et néant, silence des couleurs et toutes les confidences de l’hiver. Il rend sensible une justesse intérieure de la nature: y compris celle des mon- tagnes si proches, avec ou malgré leur architecture telle le séisme assoupli. Permettez-moi cette pensée, ce pays le Valais tout particulièrement ne survivra que s’il s’exprime ratifiant cette très ancienne valeur: la solitude. Bruno Roy, l’éditeur de Fata Morgana a cru presque exclusivement à un dia- logue avec la poésie. Il a fait ce pari et l’a tenu. A travers toutes les péripéties.

38 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Je ne cèlerai pas mon dialogue avec un responsable le dos au mur de sa maison: — L’actualisation des subsides fausse tout choix aujourd’hui. C’est ce qu’il y a de plus difficile à contourner: la médiocrité est primée. — Oui, la médiocrité nous exile sur place. Le désert ou le compte d’auteur était plus honnête autrefois. Exister est une aventure. Je croirai toujours que les sources sont dans le désert. C’est ce que je voudrais vous dire en terminant, avec la plume sur les lèvres, amis épars. Fata Morgana a envisagé deux ultimes recueils de poèmes: Office des Morts et Tendres Campagnes (S’il s’agit du verbe aimer, «les femmes entrent en campagne» a écrit La Bruyère.) J’interroge ma fenêtre. Il bruine, il floconne, il gèle. Il rebrille, je vais tenter quelques pas, écrire avec mes jambes. Le soleil a la pâleur de la lune. Les sapins cheminent des Alpes vers les rivières avec leurs scalps de neige. Dans l’étonnement de tout ce qui respire chères âmes mes livres et mes vœux s’envolent!

Maurice Chappaz

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 39 Saint-Maurice ce 9 janvier 2004

Mesdames et Messieurs, Monseigneur Roduit Abbé de Saint-Maurice, Monsieur le Recteur Luisier, Messieurs les professeurs Mettan, Galliker, Berclaz qui ont œuvré aux réalisations d’aujourd’hui. Je soulignerai la si juste, si neuve réussite de Pierre-François Mettan dans sa présentation critique de mon œuvre associée à celle de Corinna Bille inégalable dans sa force observatrice et intuitive. Le grand ouvrage dans la basilique, de son père le peintre verrier Edmond Bille, aussi nous accompagne et nous illumine. Et je vous dis mon émotion à l’écoute de vos paroles chaleureuses dans cette salle qui m’est dédiée.

Permettez-moi d’appeler les disparus en m’adressant à vous et à tous les amis présents. J’arrive de l’Abbaye du Châble ma paroisse desservie depuis toujours par les chanoines de Saint-Maurice, où votre prédécesseur, Monseigneur, était mon ami le Curé Louis Ducrey, qui fut vicaire, curé, aumônier pendant 40 ans à Bagnes. Quel exemple! Sous ce nom je redirai ma reconnaissance la plus vive à mes anciens professeurs au collège, à tous, particulièrement à trois d’entre eux que je n’ai ja- mais oubliés, Norbert, Paul et Alexis (1). De même mon affection et mes vœux vont à l’ultime condisciple qui partage votre vie conventuelle le chanoine Marius Pasquier le musicien, l’organiste et par lui à tant de camarades dont je garde le souvenir. Pour répondre à l’essor généreux de vos éloges je commenterai brièvement la phrase inscrite au mur et celle qui suivra à un autre endroit plus tard. Les mots sur la paroi ouvrent un livre de poèmes intitulé A Rire et à Mourir édité pour la première fois, voici 20 ans, en 1983: …Un beau soir je suis parti en quête d’un petit fruit vert et mal mûr qui était moi-même. Il s’agissait quand je l’ai écrit d’une rencontre à demi imaginaire avec les morts de la Toussaint et d’un départ avec eux. J’appliquerai ces lignes plus nettement au petit garçon de douze ans qui est entré dans ce collège… déjà trois quarts de siècle, en 1928. Il sourit d’être encore là et d’y revenir aujourd’hui.

40 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Ce petit fruit vert a cherché, trouvé ici plus qu’une profession, une vocation. L’adolescent doit découvrir avant tout l’homme qu’il est. C’est ce que ce petit fruit vert a tenté parmi vous. Il y a ce qu’on enseigne et ce qu’on ne peut même pas enseigner. Sauf, j’en suis convaincu, si la culture prodiguée n’est jamais séparée du mys- tère religieux, mais reliée avec prudence à ce mystère. Voilà ce qui me semble avoir été pratiqué à Saint-Maurice qui a paru souvent être la capitale intellectuelle du Valais. La future seconde phrase, je l’ai réellement entendue prononcée en chaire dans la basilique. Un moine citait et expliquait le Cantique des Cantiques. Il s’écria: La poésie a l’importance du bois qui a servi à dresser le Christ sur le monde.

Je l’ai rappelé dans un texte du Partage de Minuit qui s’intitule L’Eglise qui enseignait la Poésie, une vingtaine de pages qui racontent mes classes à Saint-Mau- rice. La poésie n’est pas une moralité. Elle est un signe, elle dit une présence. Dans le visible d’une réalité qui est le secret de la nature. Qui semble définissable et qui nous échappe: la beauté. Le moment angoissant de s’ouvrir, de comprendre un tout petit peu, se situe dans l’adolescence. Ce qui se passe au collège est presque toujours plus important que ce qui se passera à l’Université. On met ensuite toute une vie pour devenir, non pas représentant de ceci ou de cela, mais homme. Quelle longue naissance avant l’inconnu de l’autre vie qui est déjà dans celle-ci. Ce bois qui servit à dresser, à greffer le Christ, ce cerisier, ce mélèze ou ce pin (c’était un pin, assure-t-on) c’est l’Arbre de la Connaissance, cet arbre superbe qui nous pose une ques- tion par laquelle je terminerai en m’accrochant à saint Jean: Comment «être dans le monde sans être du monde»? Sinon il n’y a toujours que des paradis ou des églises perdues… Cette conclusion m’est mise dans la bouche par un ami, un de vos frères de l’Abbaye revenu des Indes, Edouard Gressot, chapelain à Bagnes. Je lui redis et vous redis à tous mon plus cordial merci. Maurice Chappaz

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 41 …Et il y a le Bois

Je ne puis pas après Saint-Maurice, sa parole et ses exemples, ne pas signaler soudain le poète (2). «Bienheureux les pauvres par l’esprit, le royaume des Cieux leur revient» (plutôt que «leur appartient»). Je suivrais ces mots au sens littéral; le paradis terrestre qui a existé et nous a échappé, nous retrouve, nous reprend. La poésie est au premier degré, je m’aligne sur Paul l’apôtre, «ce qu’il y a de fou dans le monde», ce balancement, ce balbutiement d’un instant et d’un toujours. Cette avant-résurrection tremblante vécue par Roud, de l’Adieu à un Requiem. Le pays même est ici et ailleurs attendant son écriture.

… il y a le Bois où l’éternité s’enracine avec l’autre mémoire celle des tombeaux vides.

Privez-vous par amour de ce monde, l’autre apparaîtra.

Maurice Chappaz

(1) Norbert Viatte, Paul Saudan, Alexis Peiry. (2) Edmond Humeau, oblat temporaire envoyé par Jacques Maritain, est mon pro- fesseur de français en troisième latine (dite classe de Grammaire) et Roud écrit dans son Journal (27 juin 1932): «Humeau a seul vu clair» parmi tous les critiques à propos du Petit traité de la marche en plaine, son dernier livre. Ramuz, Cingria, Roud dans bien des leçons étaient rencontrés.

42 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE LIVRE D’OR DU COLLÈGE

* Réflexion d’Édouard Herriot (1872 – 1957), maire de Lyon en 1905, citée par l’ancien élève Maurice Troillet (1880 – 1961), conseiller d’État de 1913 à 1953 en Valais.

… — Oui, on peut partir à la chasse au chamois mais est-ce qu’on peut partir à la chasse à la vérité? — — gouvernementale…?

(Sourires à l’Abbaye du Châble vers 1950. M.C. et M.T.)

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 43 A PROPOS DE L’ÉVANGILE SELON JUDAS

DE MAURICE CHAPPAZ

Il est des chemins qui ne convien- se soit laissé happer par le projet d’un nent qu’aux rudes souliers des poètes; «Évangile selon Judas». L’entreprise est les chaussures vernies des théologiens ne risquée; les Évangiles «canoniques» eux- peuvent s’y aventurer sans risques. Tels mêmes nous laissent au bord de sont les sentiers intérieurs de Judas, dis- l’abîme et nous invitent à reculer loin ciple de Jésus, ami et traître, une énigme du suicide et du mystère de cet homme chrétienne à portée universelle: com- des ténèbres: «Il eut mieux valu que cet ment peut-on trahir homme-là ne fût pas l’être le plus transparent né» (Évangile de Mat- que la terre ait porté, thieu 26,24). l’homme parfait dont le Mais Maurice regard même est éter- Chappaz ne craint pas nellement créateur? le mystère — fût-il Quel poids d’amertume sombre. Celui-ci le sé- ressassée du fond de duit — j’allais dire «le l’enfance a pu amener tente» — comme l’ap- ce Judas à préférer les pel des cimes blanches. ombres à la Lumière ve- Et le voilà en marche, nant en ce monde? avec une poésie tortu- Qu’est-ce que la liberté rée, exaltante et exal- au cœur du brouillard? tée, pour 160 pages de Les contrées inti- luttes avec les mots, les mes de la vie de Judas pierres, les idées, les sont faites de pics ennei- brouillards de la vie, les gés, de vallées abruptes, sons pour trouver cette de collines rocailleuses alchimie qui approche (comme des golgothas…), d’arbres fan- ce que même les écrits inspirés n’ont pas tomatiques où des gosiers de grives se voulu dire: cette gémellité du Christ et lancent des antiennes à cœur joie ou lit- de Judas, l’inextricable alliance du Roi téralement «à fendre l’âme». et du fou, de l’amour absolu et de Cet univers intérieur est si sembla- l’amour exclusif, de la gloire et de la ble aux différents biotopes humains ex- honte. plorés par notre chantre valaisan qu’on Le lecteur, en cordée avec ce guide comprend bien que Maurice Chappaz exigeant, sent bien, dès les premières pa-

44 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE ges, que l’entreprise est folle, que les l’un et de la corde de l’autre jusqu’à ce nuages qui s’accumulent sur «ces faces moment où il faut bien que l’espoir reste nord» devraient nous faire rebrousser encore au bout du chapitre du poète: chemin. Il tire la langue et souffre à Ah! le Christ en croix: la branche du prendre le pas des phrases sur le rude prunier accorde son parfum à qui l’a bri- chemin qui grimpe ou descend en à- sée! (p. 120) pic. Chappaz emmène son lecteur sur Quelquefois — souvent –—il s’ar- les bords d’aube de la Résurrection. Il rête pourtant, heureux sur un replat, où s’agit là de regarder le ciel, et l’histoire, une piste s’éclaire. Je pense à cette lu- et d’y lire quelques signes d’une vie pour mineuse idée de faire de Judas un res- celui qui a été englouti par une mort capé du massacre des Innocents? Les sans espoir… Le dernier mot, de toute pages y sont fortes, dures et belles. Nous façon, n’est pas à l’écrivain mais à la sommes, il est vrai, dans l’imagination Parole qui s’est faite chair. Et nous de poétique, mais nous pouvons y enten- nous taire. dre les échos bien réels de toutes sortes Le lecteur arrive aux dernières pa- d’autres massacres aux conséquences ges de ce livre-expédition complètement abyssales… D’autres très belles clairiè- fourbu, épuisé par une marche au pas res se présentent aussi, où la pensée de de charge, mais avec quelques souvenirs Chappaz se fait plus philosophique: lumineux, comme des traits de lumiè- Nous succomberons (à un niveau très res dans un texte dru qui colle à son bas) aux trois tentations du Fils de sujet. l’homme dans le désert: réduire le vrai à Comme ceux qui ont gravi avec l’utile, préférer l’univers à l’âme, faire des succès des sommets trop élevés pour leur miracles avec le mal. préparation physique, le lecteur quitte Tous les royaumes à la queue leu leu le guide Chappaz avec l’impression n’arrivent à survivre, ni à répondre au d’avoir accompli quelque chose de petit village où il a été écrit: «Tu adoreras grand: il a réfléchi, questionné, douté, Dieu seul.» souffert… La boue arrive. Le mystère Judas est-il vaincu? Rien «On mourra de propreté», me dit n’est moins sûr, mais Chappaz sait, l’ange. (p. 31) comme tous les montagnards, que l’ex- Et l’on monte encore… et descend pression «vaincre la montagne» est men- encore… à travers les mystères de ce songère et vaine. Judas restera toujours compagnonnage unique entre le Fils de le frère mystérieux, caché dans notre Dieu et son frère Judas, ce frère ambigu ombre. tellement semblable à chacun d’entre Chanoine Guy Luisier nous. On monte à Jérusalem; on monte vers ce repas du don de l’un et de la tra- hison de l’autre. On monte encore vers Maurice Chappaz, Évangile selon Ju- les marges finales, celles de la croix de das. Récit. Paris, Gallimard, 2001, 167 p.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 45 DE SAINT-PÉTERSBOURG À PÉKIN

Au début de l’automne 1979, Maurice Chappaz et Corinna Bille empruntaient la ligne du Transsibérien pour traverser le monde russe. Blaise Cendrars avait vécu cette même expérience quelques années avant la Première Guerre mondiale. Après sa maturité (Économie) en juin 2003, Johan Rochel a senti le besoin impé- rieux de partir à la découverte d’autres sociétés. Son esprit d’aventure l’a conduit vers la lointaine Asie. Enrichi par ses rencontres au cours de son voyage sur cette ligne mythi- que, il donne avec ce texte des notes vivantes sur son périple.

Avril 1974. Deux Chablaisiens dé- ancien étudiant du collège, Yan Walther, cident de relier Lausanne au Japon par exilé pour une année universitaire, m’ac- le rail. Pari fou pour l’époque, les com- cueille dans son appartement. Musées pères traversent l’immensité de l’URSS d’une richesse incroyable, cathédrale et et atteignent Vladivostok après huit églises imposantes, Saint-Pétersbourg jours passés dans le prestigieux Transsi- est une cité magnifique. J’en garde un bérien. Trente ans plus tard, les géants souvenir ébloui, peut-être la plus belle russes et chinois sont en pleine muta- étape de mon voyage si coloré. Mais le tion et l’ouverture sur le monde boule- temps s’écoule rapidement sur les bords verse des années d’habitudes commu- de la Néva et, après une courte semaine nistes. Les mœurs ont évolué et mon pétersbourgeoise, c’est déjà le moment voyage n’a assurément du départ direction pas été le même que Moscou. celui de mes deux Livré à moi- compatriotes. Sac au même dans la capitale, dos rempli de souve- tout m’apparaît trop nirs, j’ai bouclé mon démesuré. Des im- périple le 22 décem- meubles staliniens aux bre 2004: de Saint- avenues sans fin, Mos- Pétersbourg à Hong- cou n’est pas une ville Kong par le rail. Plus à dimension humaine: de 12000 kilomètres l’individu s’évanouit dans les trains russes, dans cette jungle bé- mongols et chinois. tonnée. Sans trop de Le voyage com- regrets, je quitte le mence à Saint- Kremlin un dimanche Pétersbourg. Pour fa- soir. Les Russes se ciliter mon premier pressent déjà sur les contact avec la boule- quais: le départ du versante Russie, un Vue sur la Place Rouge de Moscou. Transsibérien est im-

46 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE minent. Dans ma cabine, un jeune militaire qui re- joint sa caserne et deux policiers en route pour Novossibirsk. Dans un étrange mélange anglo- russe, l’amitié s’installe peu à peu dans la confor- table cabine. Nous avons le temps, tellement de temps à consacrer à ces petits instants. Le voyage en Transsibérien ressem- ble à un long pique-ni- que. Dès que le train s’ar- rête, on descend sur les Surtout prendre son temps sur les quais… quais enneigés pour faire quelques em- Souper de viande fraîche et nuit de re- plettes. Surtout prendre son temps. pos bien méritée parmi les membres de Apprécier les flocons sur son visage. Le la famille et c’est déjà le retour à l’agita- retour à la douce cabine n’en sera que tion d’Oulan-Bator. Les rues bruyantes meilleur. et surpeuplées ont remplacé les plaines Après cinq jours de voyage, le lac désertiques. Adieu le calme et la séré- Baïkal! L’Asie est toute proche et les vi- nité de la vie en autarcie! Mais l’heure sages se font plus nuancés. A Irkoutsk, tourne et le train siffle déjà sur les quais: plusieurs commerçants mongols sont dernier appel pour Pékin. montés à bord. Les passagers qui pour- Appréhensions. Mais aussi atten- suivent la route jusqu’à Vladivostok bi- tes au contact de l’immense Empire. La furquent ici. Mon train prend plein sud; Grande Muraille ou la Cité Interdite ont Oulan-Bator, la capitale mongole, est à peuplé mon imaginaire comme autant moins d’un jour de voyage. Tout juste de territoires lointains et inexplorés. Ils arrivé sur les terres de Gengis Khan, faisaient pour toujours partie du do- j’embarque pour un périple dans les maine des rêves et de l’inaccessible. Et steppes. Un américain de 22 ans ren- pourtant, demain. La gare de Pékin et contré dans le train m’accompagne dans son incessant ballet de bicyclettes. Tant l’aventure. Après cinq heures de route à de choses sont déjà derrière moi alors travers des étendues lunaires, nous arri- que le train s’arrête au poste frontière vons dans une famille d’éleveurs. C’est chinois. Devant, la découverte continue. jour de boucherie et la famille s’affaire Un nouvel apprentissage à recommen- au dépeçage des bêtes. Les deux touris- cer: la troisième «naissance» de cet éton- tes ne restent pas les bras ballants et nant voyage. doivent aider à rapatrier les 600 têtes Johan Rochel du troupeau familial. A cheval donc!

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 47 LE MIRACLE DE THÉOPHILE

UN SPECTACLE DU COLLÈGE POUR L’ABBAYE DE SAINT-MAURICE

Vers 1260, Rutebeuf, l’un des ra- res poètes français du Moyen Age dont le nom et l’œuvre soient parvenus jus- qu’à nous à travers les siècles, entreprend de composer un poème lyrique destiné à être joué devant le bon peuple: c’est le Miracle de Théophile. Sans doute Rutebeuf s’est-il inspiré de l’œuvre de Gautier de Coinci (1177- 1236). Il devait aussi avoir connaissance de la longue et riche tradition des récits en latin (et dans les principales langues européennes de l’époque) relatifs à l’his- toire de Théophile, prêtre et économe de l’église d’Adana, en Cilicie (une ré- gion de l’Asie Mineure), au 6e siècle. Théophile, spolié par son évêque, s’était de contenu poétique (jeux sur les ima- donné au diable pour retrouver son pou- ges et sur les significations, équivoques, voir et ses richesses, et, après son repen- émotions) avec une remarquable maî- tir, n’avait dû son salut qu’à l’interven- trise technique (rimes, allitérations, as- tion de la Vierge Marie. sonances, structure du poème). Cette histoire populaire a été inté- Vers le printemps 2003, l’aumône- grée au culte marial, et on la retrouve rie du Collège a exprimé le souhait dans les arts jusqu’au 16e siècle environ: d’animer le temps de la Nativité de la vitraux, tympans de cathédrales (Notre- même année par une manifestation Dame de Paris, Lyon), peintures et mi- quelque peu inhabituelle. niatures, sculptures, qui relatent ou il- Alors, l’idée a germé — et s’est très lustrent différents épisodes de l’histoire vite développée! — de créer un specta- de Théophile. Même François Villon s’y cle qui serait directement lié au culte réfère dans l’un de ses poèmes (Ballade marial, qui serait joué dans les églises, pour prier Notre-Dame). comme au Moyen Age, et qui consti- De cette histoire et des versions tuerait en quelque sorte un cadeau de précédentes, Rutebeuf va tirer un ma- Noël du Collège à l’Abbaye, Abbaye gnifique poème qui alterne les octosyl- sans laquelle le Collège n’existerait pas. labes, les tétrasyllabes et les alexandrins, Le projet était d’autant plus perti- et qui combine une admirable richesse nent et d’actualité qu’en 2003, le

48 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Chœur du Collège et l’Aumônerie fê- eux aussi tout à fait originaux, et ont, tent tous deux leur 25e anniversaire! d’après de nombreuses réactions, séduit Afin que le spectacle soit le plus re- et enchanté le public. Des tulles (gen- présentatif possible de l’ensemble du res de voilages spécialement conçus pour Collège, on décida d’unir les efforts, les le théâtre) étaient tirés sur des structu- compétences et les qualités du Chœur res légères et discrètes; sur ces tulles du Collège, sous la direction de Michel étaient projetés des motifs variés, ce qui Roulin, et de l’Atelier-théâtre, dirigé par permettait de changer de décor et d’am- Hormoz Kéchavarz. Dans le but d’as- biance, et de faire apparaître et dispa- surer la plus grande cohérence possible raître le Chœur et l’orchestre à volonté. et une efficacité artistique maximale au Dans le cadre majestueux et imposant spectacle, les pièces interprétées par le de la Basilique de Saint-Maurice, c’était Chœur furent tout spécialement écri- magique! tes pour Le Miracle de Théophile, tant On peut donc dire, sans exagéra- pour les textes (Michel Roulin) que tion, mais avec une pointe d’humour, pour la musique (Oscar Lagger). Elles que ce spectacle original a constitué une sont donc totalement originales. «première mondiale», en ce qui con- Le texte même de Rutebeuf a été cerne Le Miracle de Théophile! retranscrit par Hormoz Kéchavarz en Les éditions Saint-Augustin ont français compréhensible aujourd’hui, réalisé une édition bilingue, comportant tout en lui gardant un «aspect» ancien le texte original de Rutebeuf en ancien et une patine moyenâgeuse, et surtout français, avec en regard la retranscrip- en respectant jalousement le vers, la mé- tion et les ajouts, ainsi que les paroles trique et le caractère même de poème des chants du Chœur (1). rimé de cette œuvre de Rutebeuf, ce qui, Les costumes et les accessoires de à notre connaissance, n’avait pas été fait jeu furent mis à disposition par la so- auparavant. Le texte de Rutebeuf a été ciété La Bayardine, de Saillon, par l’in- complété par quel- que 400 vers, pour des raisons de cohé- rence théâtrale, et pour permettre à tous les élèves-co- médiens, et surtout à toutes les élèves- comédiennes, de jouer. Les décors, imaginés et conçus par Jean-Pierre Coutaz et Hormoz Kéchavarz, étaient

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 49 termédiaire de Stéphane Roduit et de décembre à 15h00, à chaque fois avec son épouse Stéphanie, qui ont donc lar- un grand succès. L’aventure s’est termi- gement contribué au succès de la mani- née en apothéose à l’église Saint-Gué- festation. L’indispensable recherche de rin, à Sion, devant un public conquis, fonds, qui permit de boucler un bud- qui avait rempli l’église (près de 500 pla- get de CHF 40’000.- sans déficit, fut ces!), et qui a longuement ovationné le assuré par le procureur Chœur, l’orchestre et de l’Abbaye, le cha- les acteurs. noine Franco Plus de quatre- Bernasconi, et par le vingt-dix participants proviseur Yves Four- ont assuré le succès nier. Les loges pour les public de ce spectacle: acteurs et autres facili- pour la très grande tés, le mobilier de majorité, c’étaient des scène, quelques acces- élèves du Collège (co- soires de jeu, etc., fu- médiens, choristes, rent mis à disposition instrumentistes, figu- par l’Abbaye, qui fit rants et personnel de preuve d’un soutien et scène). L’équipe a été d’une compréhension complétée par quel- sans failles, en particu- ques professeurs et an- lier pour l’installation ciens élèves du Collège des structures (lourdes) (choristes et instru- son et lumière dans la Basilique, pour mentistes) et par des musiciens profes- les répétitions, et aussi pour les inévita- sionnels. bles perturbations pendant les heures de Les échos et les réactions du pu- culte, etc. blic ont été plus que positifs. Nombreux Ce spectacle représentait donc un furent ceux et celles qui regrettèrent que projet ambitieux, un geste du Collège le spectacle n’ait pas fait l’objet de re- pour l’Abbaye, et un témoignage des présentations supplémentaires. De l’avis liens profonds et essentiels qui les unis- général, Le Miracle de Théophile devrait sent. être repris! Le spectacle a été présenté au mois Ce fut une belle aventure, une for- de décembre 2003, trois fois à la Basili- midable réalisation collective, et, après que à Saint-Maurice (une séance publi- une telle expérience, nos jeunes artistes que le 5 décembre, et deux séances pour — et les nouveaux venus — ont hâte les professeurs et les élèves du Collège de vivre des moments aussi exaltants! le vendredi 19 décembre à 9h30 et à Théo Fyle 13h50), une fois à l’église Saint-Michel (1) Des exemplaires de cette édition à Martigny-Bourg, le samedi 20 décem- sont en vente au prix de fr. 12.- à la porterie bre 2003 à 20h00, et une fois à l’église de l’Abbaye. DVD du spectacle: Saint-Guérin à Sion, le dimanche 21 Mastromauro, Palm Studio, 079 460 77 57

50 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE LE GALA DES ÉTUDIANTS

Musique, solidarité, étudiants. Tels Quelle heureuse surprise, donc, le étaient les trois termes que nous nous 12 février, que de retrouver environ 450 étions proposés d’associer dans notre personnes dans la Grande Salle. Et projet de Gala des Étudiants. quelle heureuse surprise que d’appren- Près de trois mois plus tard, deux dre, après bouclement des comptes que nouveaux mots les ont remplacés: suc- nous pourrons apporter près de 13’000 cès et merci. francs à nos amis roumains. Et quelle plus heureuse surprise en- core que d’y ajouter le sou- tien d’un généreux donateur — qui souhaite rester ano- nyme — qui n’a ni plus ni moins doublé la somme! La représentation du soir a donc été couronnée de succès, à l’image du specta- cle de variétés présenté aux étudiants l’après-midi, de- vant une audience nom- breuse et généreuse. Force est donc de constater que tout le monde a répondu Béatrice et Anne-Catherine Berrut ovationnées au terme présent à l’appel de la soli- de leur duo. darité. A une époque où l’in- dividualisme semble régner, Cette soirée de charité a été, il faut cela réchauffe le cœur. en convenir, un succès. Lequel peut tout Et surtout, le Collège Saint-Joseph à fait être qualifié d’inespéré. Si l’on de Bacau pourra recevoir une somme connaissait la valeur de nos musiciens, suffisante à l’élaboration de sa biblio- qui n’ont pas failli à leur réputation et thèque et qui pourra peut-être même qui ont mis toutes leurs qualités et tout permettre de mettre en route d’autres leur cœur sur la scène du Martolet, tout projets pour garantir à ces jeunes collé- le reste n’était qu’incertitude et, dans nos giens roumains des conditions d’études rêves les plus fous, nous imaginions ac- favorables. cueillir quelque deux cents personnes, Il reste encore un mot pour quali- et récolter une somme avoisinant les fier l’aventure de ce Gala, et qui est 7’000 francs. donc: Merci! Car sans le soutien de tout

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 51 un chacun, qu’il ait été logistique, financier, artistique ou moral, et par la présence nom- breuse du public, jamais ce spectacle n’aurait pu atteindre ses buts. Musique et Solidarité — les deux Formes suprêmes de la philoso- phie platonicienne, le Beau et le Bien — ont triomphé des embûches rencontrées durant les neuf mois de préparation. Neuf mois? On peut alors dire que l’accouchement s’est bien passé, et qu’en a résulté un très beau bébé! Maintenant, avec le soutien de l’aumô- nerie, il reste à éduquer ce bébé, et à le pré- server des difficultés qu’il pourrait rencontrer, dans son voyage vers nos amis de l’Est. Qui sauront apprécier l’effort. Encore merci, en leur nom et en celui de tous ceux qui ont pu «profiter» de l’expérience. Une musique angélique grâce à la Jérôme Favre 5 éco harpiste Marie Frachebourg.

DES POÈMES POUR LA PAIX

Le 30 janvier de chaque année, date créatrice, il a été proposé aux élèves de de la mort du Mahatma Gandhi, des participer à un concours de poésie, avec actions et des manifestations diverses pour thème: la Paix. Le résultat dépassa sont mises sur pied dans de nombreu- les espérances des professeurs qui avaient ses écoles à travers le monde pour pro- lancé le projet, puisque plus de 35 élè- mouvoir activement les idées de paix, ves remirent un poème dans les délais. de non-violence et de solidarité. Un jury, composé de quatre pro- L’année dernière, le Collège s’est fesseurs, décerna un premier prix (Fr associé à cette démarche en récoltant 100.-), un deuxième prix et un troisième plus de 500 signatures de collégiens et prix (Fr 50.- chacun) dans deux catégo- de professeurs en faveur d’un «Mani- ries différentes: d’une part, les élèves de feste de Paix». 3e, 4e et 5e année, et d’autre part, les élè- Cette année, le 30 janvier, environ ves du CO privé, de 1ère et de 2e année. 1’500 «Paroles de Paix», découpées en Les prix furent remis aux vainqueurs par formes variées dans du papier fort par le recteur au cours d’une brève cérémo- les élèves de 8e du CO privé, furent of- nie publique. Tous les poèmes ont été fertes aux élèves et aux professeurs. affichés dans le hall du Collège pendant Par ailleurs, afin de participer à une quinzaine de jours. cette journée, toujours sur une base li- On pourra lire ci-dessous les deux bre et volontaire, mais de façon plus poèmes lauréats.

52 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Le succès rencontré par l’initiative diants: nombre d’entre eux nous ont dit — et la qualité des œuvres présentées qu’ils rédigeaient des poèmes pour leur — encouragera sans aucun doute les plaisir, mais qu’ils n’avaient pas «osé» initiateurs à renouveler l’expérience l’an- participer! née prochaine, tant il est réconfortant Nul doute qu’ils et elles seront de de constater que le goût de la poésie ne la partie l’année prochaine! s’est pas perdu parmi nos jeunes étu- Hormoz Kechavarz

Lueur d’espoir

Des cieux déchirés et abandonnés Reflètent toujours tous ces gouffres sourds Où explose, vaine, une immense haine. Mais parmi les huées, fidèle aux destinées, Une plume angélique allume, féerique, Dans un espoir secret, les lettres du mot paix. Irène Ferraz, 5D

Une paix dans le silence

Depuis sa cachette, il vous observe vivre. Il veut fermer les yeux sur vos grossièretés. Alors vos échanges et rires le rendent ivre. Comblé, son cœur pourrait sans regrets s’arrêter. Quand il déborde et veut se mêler à la fête, Là, devant lui, un rideau se dresse et l’arrête. Que pourrait-il apporter à vos relations? Sinon de tout briser par son intervention. Il la connaît trop bien, votre méchanceté. Après tout ce temps, peut-être avez-vous changé? Approchez, ne le laissez plus dans ses tourments. Approchez, il ferme les yeux, il vous attend. Sur son épaule une main viendrait se poser. Et d’autres encore sans jamais le blesser. Ne blâmez ni sa retenue ni sa prudence, C’est qu’il préfère vous aimer dans le silence. Ryan Delieutraz, 2B Latin

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 53 CHRONIQUE DES ANCIENS

Nous ne publions dans cette rubrique que les nouvelles qui nous sont communi- quées ou que nous relevons dans la presse. Nous demandons à tous nos anciens élèves, à leurs familles et à nos amis, de nous communiquer systématiquement toutes les nouvel- les susceptibles d’intéresser nos lecteurs. Écrivez simplement à : Rédaction des Échos de Saint-Maurice, Abbaye, Case postale 34, 1890 Saint-Maurice

RENCONTRES DE SAINT-MAURICE 2003

La rencontre annuelle des anciens Les Juifs gardent pour elle un attache- élèves du collège eut lieu le samedi 8 ment viscéral, la prétention des milieux novembre. Elle fut l’occasion d’une re- sionistes à justifier la colonisation de la marquable conférence donnée au Théâ- Palestine par les textes bibliques n’est pas tre du Martolet par le Père Jean-Ber- fondée: elle ne tient pas compte de la nard Livio, S.J., sur un thème d’un in- réalité géopolitique du Proche-Orient. térêt très actuel: La Terre promise avant Un dépassement spirituel s’avère néces- et après Jésus-Christ. «Terre promise»: un saire pour s’élever à la vraie perspective beau vocable religieux qui nous jette en messianique et à la Jérusalem céleste. Le pleine révélation biblique, mais concrè- débat qui suivit a été animé par Yves tement, qu’est-ce que cela signifie? Les Besson, ancien diplomate et arabisant, aléas de l’histoire, les conflits perma- qui fit lui-même un exposé très précis nents dont cette terre a été le théâtre et bien documenté dans lequel il s’éten- depuis plus de trois millénaires, font dit longuement sur la situation politi- qu’il est bien difficile de savoir ses limi- que, mettant en évidence les causes et tes exactes et ses occupants légitimes. les mécanismes du drame actuel.

Décès M. Roland Adam, de Clarens (vo- Braun, de Grandvaux (volée 1967), lée 1947), Roland Antony, de Saint- Georges Breganti, de Monthey, Ernest Maurice (volée 1960), Georges Bavarel, Cherbuliez, de Dardagny, Armand de Vernayaz, Bernard Benvenuti, de Chevalley, de Saint-Maurice (volée Massongex (volée 1966), Roger 1935), Victor de Kalbermatten, de Bernasconi, de Genève, Gabriel Boinay, Monthey, Tibor de Siklossy, de Zurich de Porrentruy, Roger Bovey, de Lavey- (volée 1959), Gérard Delaloye O.P., de Village (volée 1944), Jean-François Genève (volée 1942), René Delaloye,

54 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE de Martigny, Jean-Marie Domon, de Morend, de Saint-Maurice (volée Genève (volée 1952), Gaston Dussex, 1989), Nicolas Mottet, de Evionnaz de Kloten (volée 1941), Hansjörg (volée 1977), Raymond Paccard, de Flueler, de Pfäffikon (volée 1947), Alain Monthey, Yves C. Perreten, de Genève Frachebourg, de Salvan (volée 1979), (volée 1984), Jean-Paul Pignat, de Lau- Salvador Garcia, de Monthey (volée sanne (volée 1954), Jean-Marie Revaz, 1991), Jean-Benoît Gay-Balmaz, de de Petit-Lancy (volée 1960), André Martigny (volée 1968), Daniel Romanens, de Grand-Sacconex (volée Hauswirth, de Choëx (volée 1968), 1967), Michel Sarrasin, de Pully (volée Bernard Indermuhle, de Muraz/Illarsaz 1948), Jean-Jacques Schwarz, de Pully, (volée 1960), Henri Jaquenoud, de Albert Suter, de Overwil (volée 1950), Monthey, Dominique Kuhnis, de Paul Theurillat, de Bassecourt, Bernard Ardon (volée 1953), Ephis Lorétan, de Tissières, de Martigny (volée 1939), Hohtenn (volée 1944), Jean-François André Turini, de Sierre, Georges Lusci, de La Chaux-de-Fonds (volée Vouilloz, de Finhaut (volée 1932), 1986), Pierre Marlétaz, de Genève (vo- Pierre Wildhaber, de La Chaux-de- lée 1967), Henri Mehling, de Plan-les- Fonds, Michel Wuilloud, de Collombey Ouates (volée 1946), Albert Monay, de (volée 1978). Troistorrents (volée 1968), Stéphane

La nouvelle salle capitulaire aménagée dans notre ancienne bibliothèque a été bénite le vendredi de Pâques 16 avril à l’occasion du chapitre général annuel ordinaire.

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE 55 TRAVAUX ET GÉNÉROSITÉS

Comme chaque année, nous avons vera cet été une nouvelle jeunesse grâce demandé à M. le Procureur de nous in- à des travaux de peinture et de menui- former des travaux réalisés ou en cours. serie. Des fuites d’eau à plusieurs en- La liste est toujours impressionnante ! droits ont nécessité des interventions En automne 2003 s’est terminé relativement lourdes. l’important chantier de la restauration A la cuisine, notons le renouvelle- l’ancienne bibliothèque pour en faire ment coûteux des deux grandes une magnifique salle capitulaire. Les braisières. travaux de finition ont duré encore quel- Du côté de la Basilique, plusieurs ques mois, et ce n’est que le 16 avril chantiers vont démarrer bientôt. Un 2004 que Mgr Joseph Roduit put bénir nouveau carillon de concert sera amé- notre nouvelle Aula capitularis à l’occa- nagé dans le clocher. En automne, le sion du chapitre annuel. Ces travaux ont chœur et l’avant-chœur de l’église se- encore permis l’aménagement de ma- ront enfin réaménagés après de longues gnifiques chambres pour le noviciat à études préparatoires; c’est un architecte l’étage supérieur et pour les confrères parisien qui a été choisi pour ce projet. ou les hôtes de passage au 3e. L’éclairage du sanctuaire sera lui aussi Dans le monastère lui-même, la renouvelé. remise à neuf de l’ascenseur a été entre- Frère Laurent va pouvoir placer prise durant l’été dernier. On a profité sous peu des nouvelles fenêtres de sa du changement de prieur pour rafraî- fabrication dans les cages d’escalier du chir sa chambre et son bureau. Au gré bâtiment de la Procure. des déménagements internes, d’autres Divers autres travaux d’entretien chambres du cloître ont elles aussi été ou de réfection vont être entrepris dans repeintes. les divers immeubles du complexe ab- Au collège on poursuit de même batial: au Parvis, à la Ferme en Pré… régulièrement la rénovation des salles de A l’Hospice Saint-Jacques, l’instal- classe et on procède à divers aménage- lation du nouvel atelier de condition- ments nécessités par les nouvelles exi- nement et restauration de documents gences pédagogiques. Le Salon du rec- d’archives a nécessité le déménagement teur est devenu, comme il été dit dans à l’étage du locataire. ce numéro, Salle Maurice Chappaz. La Communauté abbatiale remer- Ce printemps, on a transformé un cie de tout cœur tous les amis de l’Ab- dortoir de l’Internat en quatre nouvel- baye pour leur générosité et pour le sou- les chambres. Le grand réfectoire trou- tien qu’ils ne cessent de lui apporter.

56 LES ECHOS DE SAINT-MAURICE