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A mon père , Walter

Réfugié politique dans mon propre pays.

Par Robert Redeker *

Début février, mon père, qui avait vu le jour en 1923 à Steinbergen, près de Hanovre est mort, dans son lit, un peu par surprise. Pendant l’heure où mère, née à Hildesheim en 1921, préparait le café du petit-déjeuner à la cuisine. Ces gens, de nationalité allemande, se sont installés dans le sud de la , pour y mener une laborieuse et honnête vie d’ouvriers agricoles, voici plus de 60 ans. Les autorités policières ne nous permirent pas de faire afficher l’avis de décès à la mairie, sur le panneau d’état-civil, comme le veut la coutume. Il ne fut pas non plus possible de passer une annonce funèbre dans le quotidien local, La Dépêche du Midi . La sécurité l’imposait : personne ne devait savoir qu’un homme portant mon nom serait accompagnée dans sa dernière demeure, le mercredi 7 février. Ce serait beaucoup trop dangereux : on pourrait prendre des photos du cortège, et par la suite menacer certaines personnes, ou bien tirer dessus, jeter un coktail molotov ou une bombe. Nous – le cercle de famille – dûmes donc enterrer Walter Redeker, mon père, en cachette, dans la clandestinité. Comme des voleurs. Comme des pestiférés. Comme des exclus de la société. Comment en est-on arrivé là ?

Courant septembre 2006 j’ai écrit dans un grand quotidien français, , un article titré “ Contre les intimidations islamistes, que doit faire libre ? ”. Il s’agissait d’une vive critique de la pression que fait peser l’islam sur la vie quotidienne des pays occidentaux. La religion musulmane elle-même, dans ses aspects excessifs, était blâmée. Il s’agissait également de comparer Jésus et Mahomet, à l’avantage de Jésus ; de comparer le christianisme et l’islam, en donnant l’avantage au christianisme. Je souhaitais aussi prendre la défense de Benoît XVI, contre qui un climat hystérique de fanatisme et d’intolérance se développait dans le monde musulman. A travers cet article j’exerçais un droit constitutionnel, qui est aussi un droit intellectuel. Le ton employé était celui de l’Appendice au Livre I de l’Ethique de Spinoza 1, et de nombreux écrits de Voltaire, c’est-à-dire un ton à la fois vif et ironique. Dans la vie intellectuelle européenne, la critique antireligieuse par des philosophes et des écrivains est une tradition solidement établie. Il ne suffit pas de dire que cette critique est un

∗www.redeker.net 1 Philosophe hollandais du XVIIème siècle.

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élément de la liberté. Elle a fait avancer la liberté. C’est par la critique de la religion que la liberté s’est élargie en Europe, qu’elle s’est étendue au point de devenir une sorte de loi fondamentale de nos sociétés. Toutes les libertés – liberté de penser, liberté d’écrire, liberté de publier - sont issues de la critique antireligieuse, qui se développa en Europe à partir du XVIIème siècle. Mon article n’avait donc rien d’anormal pour un Européen. Très vite je fus submergé par des menaces de mort. Sur la chaîne de télévision Al Jazzera, l’influent prédicateur Yousef Al Qaradawhi me désigna à la vindicte publique. Plus : sur Al Hesbah , le site web officiel de toute la mouvance djihadiste, j’étais condamné à mort. Un appel était lancé aux musulmans du monde entier pour me couper la tête. “ Ce porc, qui a osé critiquer Mahomet, doit avoir la tête tranchée ” – voilà ce qui fut écrit sur Al Hesbah . Les musulmans étaient invités à me faire subir le sort de Théo Van Gogh. Cette condamnation à mort était accompagnée de ma photo, de mon adresse, de mon numéro de téléphone, de l’adresse de mes lieux d’enseignement et du plan détaillé pour se rendre à mon domicile. Tout était prêt pour les tueurs. Le permis d’assassiner et la feuille de route étaient diffusés dans le monde entier. Il pouvait être reçu dans les banlieues des grandes villes françaises, où existent des réseaux islamistes. Tout à coup, pour un simple article irréligieux dans un journal occidental, je devins un homme à abattre. Condamné à mort pour délit d’opinion ! Je devins une cible ambulante. Bref, j’étais devenu l’objet d’une sorte de fatwa au pays de Voltaire. Ma vie, celle de mon épouse, de mes enfants, a basculé dès ce moment. Immédiatement toute la famille a été placée sous protection policière. Nous fûmes chassés, sur ordre de la police, de notre maison. Une photographie de celle-ci en effet figurait sur le site web des terroristes. Nous avons été obligés de nous cacher, de changer d’habitation chaque soir, comme si nous étions bandits. Que l’on se rende compte de ceci : il fallait se cacher, dans son propre pays ! La police nous l’ordonnait. La police nous accompagnait dans cette clandestinité. Dans cette vie de fugitifs, nous n’avions plus de domicile fixe. Le matin, nous ne savions pas où nous dormirions le soir. Nous devions nous débrouiller pour trouver un asile différent chaque vesprée. D’habitude, ce genre d’existence est réservé aux bandits et aux terroristes, poursuivis par la police. Généralement, ce sont les criminels qui se cachent, la police qui les poursuit. Or, c’est l’inverse que nous avons eu à subir : cette vie de fuite fut la nôtre, protégée par la police, sous la menace des terroristes. Autrement dit, nous vivions une situation étonnante et scandaleuse : nous étions en fuite, dans notre propre pays, alors que nous n’avions commis aucun délit, avec la bénédiction de l’Etat. Nous ne pouvions plus sortir au grand jour, marcher dans les rues, fréquenter les magasins et autres lieux publics, rencontrer des amis. Nous n’étions plus libres d’aller et de venir où nous voulions. Je ne pouvais plus me rendre à mon travail. J’ai été alors suspendu de mes fonctions d’enseignant. En fait, la vie nous avait été ôtée. Nous ne pouvions plus vivre. Nous étions vivants, certes, mais nous n’étions plus dans la vie. Cette période de traque, d’existence de vagabond sans feu ni lieu, de sans domicile fixe, a duré plus d’un mois. Ensuite ma femme et moi fûmes autorisés à retourner dans notre maison, mais à condition de vivre dans le noir, de n’ouvrir ni portes ni fenêtres, de ne pas sortir, de donner l’impression d’une maison inhabitée. A condition aussi de la mettre en vente. Dès le 20 septembre, cette petite maison de la banlieue toulousaine eut le privilège d’être gardée en permanence, 24 heures sur 24, par la gendarmerie. Un ou deux camions de police, suivant les jours, et plusieurs gendarmes la surveillaient. Parfois ils étaient armés de mitraillettes. La rue est restée, du 20 septembre jusqu’à ce que je puisse déménager, fin décembre, en état de siège. Les voisins se sont plaints à la mairie de la présence permanente de la police dans la rue. Dans ce petit village peureux et lâche, Escalquens, les voisins préféraient que je coure le risque d’être assassiné chez moi plutôt que de supporter la vue des policiers dans la rue. Toute l’affaire se déroula dans un climat de capitulation. L’intimidation islamiste en France, ce pays qui pourtant se vante de sa laïcité, est telle que je n’ai pas eu beaucoup de soutien. Une bonne partie de la gauche et des syndicats se déchaîna contre moi. C’était bien fait

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pour moi, affirmait-on ! Je l’avais bien cherché ! J’avais provoqué la fatwa, s’écria-t-on ! Le respect pour l’islam est la limite de la liberté de penser, prétendait-on. Autrement dit, la gauche française, qui a toujours été contre la peine de mort, qui a toujours prétendue être la mère et la protectrice de la laïcité, comprenait que je puisse être condamné à mort pour avoir critiqué l’islam. Elle estimait que j’avais commis un crime très grave. Aux yeux de cette gauche – c’est un gouvernement de droite qui a interdit le port du voile islamique dans les classes, pas la gauche qui refusa de légiférer sur ce problème – la laïcité concerne surtout le catholicisme, pas l’islam. Intolérante vis à vis du catholicisme, la gauche française est souvent complaisante avec l’islam. Dans les salles des professeurs des lycées, je fus lynché par voie d’affiche. Des professeurs de philosophie écrivirent que j’avais abusé de la liberté. Les syndicats d’enseignants – très puissants en France – ne m’ont pas soutenu. Pourtant quelques mois auparavant ils organisèrent des pétitions et des manifestations pour venir en aide au terroriste italien Cesare Battisti, meurtrier de plusieurs personnes du temps des Brigades Rouges . Mais moi, qui ne suis pas un terroriste, je n’ai pas eu droit au soutien syndical ! Ces syndicats – à l’image d’une bonne partie de la gauche - héroïsent les terroristes, et méprisent leurs victimes. C’est du moins ainsi que je comprends les campagnes menées par les syndicats d’enseignants en faveur de Cesare Battisti et leur refus de m’aider. Toute la corporation m’ accusa de plusieurs péchés tenus pour impardonnables chez les professeurs : réactionnaire, pro-américain, pro-israélien et islamophobe. Ces positions idéologiques me rendaient, à leurs yeux, indéfendable. Des associations de gauche organisèrent des débats ici ou là sous le titre “ Y’a-t-il une affaire Redeker ? ”, j’en étais l’accusé. Le maire (communiste) de la ville où je travaille me traîna dans la boue. Il est vrai qu’en France les communistes sont proches des islamistes. Certes, le soutien et l’aide et de Nicolas Sarkozy ont été immédiats et sans faille. Mais d’autres ministres déclarèrent à la télévision que j’étais allé trop loin dans la critique de l’islam, que c’était irresponsable de ma part. Dans la France de l’automne passé, c’est mon procès qui fut instruit, pas celui des assassins et des terroristes qui m’avaient condamné à mort, pas celui de l’islamisme. Les soutiens ont été rares. Ils ne vinrent pas des collègues professeurs, ni de leurs syndicats. Ils ne vinrent pas de la gauche. Ils ont été le fait de quelques intellectuels de grand renom: , André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy, Pascal Bruckner, Christian Delacampagne, Pierre-André Taguieff, Roger-Pol Droit, Chantal Delsol. Quelques hommes politiques ont volé à mon secours : Philippe de Villiers, Nicolas Sarkozy, François Bayrou, Dominique Strauss-Kahn, André Gérin. Mais ils n’ont pas été nombreux. Sarkozy m’a écrit deux lettres de soutien, dont une très belle et très humaine après la lecture de mon livre Il faut tenter de vivre . Deux meetings ont été organisés, à Toulouse et à Paris, réunissant quelques centaines de personnes. Un compte bancaire a été ouvert à Paris pour permettre aux gens de me verser de l’argent, car cette histoire entraîne des frais très importants. Ce compte, dont les coordonnées ont été publiées sur le web, a bien fonctionné pendant un mois. Mais les employées de la banque chargées de le gérer ont été visées par des menaces de mort. L’agence a été avertie qu’elle risquait un attentat. Il lui a fallu renforcer son dispositif de surveillance, faire garder son bâtiment par des gens armés tenant en laisse des chiens policiers 24 heures sur 24. Devant cette situation, la nécessité s’est imposée, à la demande de la banque, d’effacer du web les coordonnées de ce compte, ce qui a tari son approvisionnement. A partir de ce moment, l’aide financière que je pouvais recevoir s’est tarie. C’est ainsi que règne la terreur. N’est-ce pas une victoire des islamistes ? Depuis, je suis passé de l’autre côté de la vie ordinaire. Je ne peux plus exercer mon métier de professeur de philosophie. Le risque existe que cela mette en danger la vie des adolescents qui assisteraient à mes cours. Donc, les grilles du lycée dans lequel je travaillais depuis plus de dix ans se sont fermées devant moi d’un coup, probablement pour toujours. J’enseignais aussi dans une grande école d’ingénieurs , très prestigieuse, l’Ecole Nationale de

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l’Aviation Civile , à Toulouse. Lorsqu’en janvier 2007 les médias annoncèrent qu’un dangereux terroriste international qui avait lancé contre moi la condamnation affichée sur le site web Al Hesbah venait d’être arrêté au Maroc, les dirigeants de cette école de très haut niveau me signifièrent que je ne pourrai plus y travailler. Ils ont été pris de panique. Ils me dirent : c’est beaucoup trop dangereux que vous donniez encore des cours ici, vous ne pouvez plus venir travailler chez nous. Parallèlement, toujours en conséquence de l’arrestation de ce terroriste, le président de l’Université des Sciences Sociales de Toulouse me fit dire que je ne pourrai plus donner mon cycle annuel de conférences, pour des raisons de sécurité. Ce cycle existait pourtant depuis 1994 – et d’une heure à l’autre, à la nouvelle de l’arrestation d’un terroriste, on me le supprime ! L’arrestation de terroristes me menaçant montre que le danger existe, que l’affaire est sérieuse. D’où la réaction de peur, manifestée par ces institutions. Ma maison étant repérée par les terroristes, la police nous fit savoir qu’il faut déménager. La vendre, en acheter une autre, ailleurs, sans se faire connaître. En attendant, il faudrait vivre dans le noir. Jusqu’à l’achat d’une autre maison, fin décembre, je vécus comme dans un tombeau. J’étais enfermé dans le noir jour et nuit, enterré entre quatre murs, n’ayant de communication avec l’extérieur que par le moyen d’internet et du téléphone. C’est ma femme qui a trouvé un autre logement. Ce n’était pas facile à faire, compte tenu des innombrables précautions qu’il fallait prendre. Pour le déménagement, personne ne nous a aidé. Le Ministère de l’Education nationale , mon employeur, ne nous a pas fourni de logistique, n’a pas mis à notre disposition un camion. C’est ma femme et moi, clandestinement, qui avons passés quinze jours à transporter nos affaires en voiture d’une maison à une autre. Nous en avons été réduits à transporter les meubles lourds – y compris le piano, le frigo américain, les pesantes armoires - à nous deux ! Nous avons, évidemment, perdu beaucoup d’argent dans ce déménagement. Il faut continuer de payer les frais pour deux maisons. Et aujourd’hui ? Les autorités m’ont trouvé un nouvel emploi, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Cette affectation professionnelle n’a rien d’insolite, le CNRS s’étant à plusieurs reprises honoré d’accueillir des réfugiés politiques – à ceci près, que ces réfugiés venaient de l’étranger, étant poursuivis dans leur propre pays par leur propre Etat. Cependant, mon affectation au CNRS est déterritorialisée. Il n’existe pas de lieu matériel, d’université, de bureau où j’irais poursuivre mon travail. Condamné à la solitude, avec le risque de la désocialisation, je ne suis rattaché à aucune équipe, à aucun laboratoire physiquement existant. On me l’a expliqué : exercer dans des conditions normales – c’est-à-dire avoir une adresse professionnelle, un lieu où aller travailler, avec des bâtiments et des collègues – pourrait mette en danger la vie du personnel du laboratoire auquel je serais rattaché. Finalement, mon domicile, dont quelques personnes seulement connaissent l’adresse, sera mon lieu de travail. J’y poursuivrai mes recherches, écrirai des livres de philosophie, dans la solitude. Tout seul, sans contacts professionnels physiques, largement désocialisé ! Ce qui s’est passé, la façon dont je suis maintenant obligé de vivre, sont des choses impensables pour un citoyen d’un Etat démocratique, de surcroît laïque, de l’Europe de l’Ouest. Surtout en France, cette nation si sourcilleuse sur sa souveraineté. Deux éléments inédits sont intervenus : ma condamnation à mort, et le style de vie qui en suit, autrement dit la survie au-delà de cette condamnation. Jamais en France un intellectuel (je suis membre de la revue Les Temps Modernes , fondée par Jean-Paul Sartre et dirigée aujourd’hui par Claude Lanzmann, l’auteur du film Shoah ) n’a été condamné à mort pour ses écrits. Par suite, jamais personne n’a eu à vivre comme je vis : vivre dans une sorte de clandestinité, protégé par la police, afin d’échapper à une condamnation à mort prononcée depuis l’étranger par des fanatiques. La police m’a appris à me méfier de tout le monde. Cette situation entraîne une conséquence désagréable : la menace d’assassinat qui me poursuit m’oblige à regarder l’autre, surtout s’il est arabe, comme un suspect, un assassin potentiel, comme une personne qui voulant m’éliminer du monde des vivants.

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La vie ne sera plus jamais la même, ni pour mes proches, ni pour moi. Pourquoi ? Parce que la condamnation à mort dont je suis la cible est infinie. Elle court sur internet, sur les sites islamistes. Ce n’est pas une menace ponctuelle, passagère. Elle ne s’efface pas avec le temps, elle reste. Le permis de tuer peut être appliqué n’importe quand, par la personne qui croira y sauver son âme, y gagner le paradis. Ce pourra être demain, dans dix ans, dans vingt ans. Ma vie doit désormais être ordonnée à cette condamnation. Cette situation interdit que je retrouve mon métier d’enseignant un jour. Aucun proviseur de lycée, aucun président d’université, aucun recteur d’académie ne prendra le risque – même si avec le temps ce risque diminue – d’un attentat à cause de ma présence comme professeur. Impossible de vivre normalement : il faut éviter que sois connu dans le village du sud de la France où j’habite maintenant. Autrement dit : je ne peux pas sortir acheter le pain, le journal, aller au café boire un apéritif ou un ballon de vin rouge. Je ne peux pas avoir mes habitudes, jouer à la pétanque sur la place, sous les platanes. Je ne peux pas flâner dans la rue, les mains dans les poches, marcher au hasard. Je ne peux pas aller chez le médecin, chez le dentiste, chez le coiffeur. Les activités habituelles de la vie quotidienne sont devenues un casse-tête. Les gestes simples sont devenus compliqués. Je suis bel et bien un réfugié politique de l’intérieur. Je ne peux plus prendre le train, le bus, le métro. Je ne puis voyager qu’en avion, et en voiture personnelle. Lorsque je vais à paris, je suis pris en charge à l’aéroport de Toulouse par la Police de l’Air et des Frontières (la PAF), qui passe l’enregistrement et tous les contrôles à ma place avant de m’installer dans l’avion. A la descente de l’avion, je suis remis entre les mains de deux anges gardiens, des policiers des Renseignements Généraux (RG) qui ne me lâchent pas d’une semelle, m’accompagnent partout, dans tous mes déplacements, même au restaurant.

Comment une pareille situation d’oppression est-elle possible en France ? Si elle l’est en France, cela signifie qu’elle pourra l’être également bientôt en Allemagne ? C’est une situation d’un type radicalement nouveau. Ce n’est pas, en effet, la traditionnelle situation d’oppression d’une personne par l’Etat dans lequel elle vit, comme elle a pu être décrite par Soljénitsyne. Ou comme elle a pu être vécue par le peuple sous les dictatures des années 1970 en Argentine ou au Chili. C’est le contraire : l’Etat est avec moi. Nicolas Sarkozy a été à mes côtés pour m’aider et me protéger dès le début. Pourtant, une étrange inversion, par rapport au schéma classique, s’est produite : je suis comme un prisonnier politique, mais pas d’un Etat. L’Etat est à mes côtés, l’Etat me protège, Nicolas Sarkozy m’aide. En ce sens, je suis le contraire de Soljénitsyne, qui avait l’appareil de l’Etat soviétique contre lui. Je ne suis pas prisonnier d’un Etat, et pourtant je suis un prisonnier politique puisqu’il est hors de question que je vive comme les autres citoyens. L’oppression qui s’abat sur moi est une oppression d’un type nouveau face à laquelle l’Etat éprouve beaucoup de difficultés. Une oppression qui n’a pas encore de nom, celle du IIIème millénaire. C’est une oppression invisible également : je ne vois pas mes assassins éventuels, je ne vois pas mes geôliers. Mais, le seul fait de leur existence implique que, sous la protection de l’Etat, il m’est impossible de vivre comme les autres citoyens, comme avant cet article du Figaro . On l’aura compris : cette odieuse oppression, cette terreur à laquelle les pays libres ne sont pas préparés explique, outre mes conditions de vie, qu’il a fallu enterrer mon père, un homme modeste, juste et travailleur, en cachette.

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