Ce Terrible Monsieur Pasqua Ouvrages D'alain Rollat
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CE TERRIBLE MONSIEUR PASQUA OUVRAGES D'ALAIN ROLLAT Guide des Médecines parallèles (Calmann-Levy, 1973) Les Hommes de l'extrême droite (Calmann-Levy, 1985) Avec Edwy Plenel : L'effet Le Pen (La Découverte-Le Monde, 1984) Philippe BOGGIO - Alain ROLLAT CE TERRIBLE MONSIEUR PASQUA Olivier Orban Ouvrage publié sous la direction de Gilles Hertzog @ Olivier Orban, 1988 ISBN 2-85565^*2 Flânerie... C'était un des derniers beaux jours de la fin de l'automne. Une de ces matinées lumineuses comme la Côte d'Azur en réserve, en novembre, entre deux averses. Les parfums de l'été restaient entêtants. Charles Pasqua, en visite à Nice, n'avait pas su y résister. Il flânait sur la Promenade des Anglais. Un flic devant, un flic derrière. Il allait incognito, croyait-il, mains dans les poches, les yeux dissimulés par de grosses lunettes noires. Caricature de lui-même. Un vrai ministre de l'Intérieur en enquête dans un décor de feuilleton US sur façades trom- peuses de fausse Floride... Ceux qui le reconnaissaient en le croisant s'effaçaient avec courtoisie, après un sourire ou un bonjour. A sa démarche, son dos voûté, sa tête légèrement penchée en avant, sa fatigue était perceptible. Nantes, l'avant-veille, avait frôlé la catastrophe. Il avait appelé Jacques Chirac en urgence sur la ligne directe. « Jacques... - Charles, rappelle-moi, je suis avec Monseigneur Lusti- ger. - Au contraire, passe-le-moi... « Monseigneur, priez pour nous! Un nuage toxique menace Nantes. » Le cardinal de Paris n'avait pas marchandé sa bénédic- tion... La campagne présidentielle allait commencer. Il nous parlait de François Mitterrand avec la précision et la passion d'un biographe. Longue dissertation solitaire sur un sujet obsédant : candidat?... pas candidat?... Soudain, un groupe de jeunes virtuoses du patin à roulet- tes surgit à sa hauteur, sac en bandoulière, walkman aux oreilles. Les filles, en short, étaient bronzées. Parmi les garçons, deux « Blacks » et un « Beur ». La bande, ravie, lui offrit une brève ronde. Deux figures libres. Un freinage parfait. Les flics, occupés à admirer les filles, n'avaient pas bron- ché. L'un des deux Noirs éclata de rire, heureux de vivre et patiner en France. Avant de reprendre son élan, le jeune Beur lança : « Salut Charlie! » Charles Pasqua, songeur, regarda ces voltigeurs d'une autre génération s'égayer sur la Promenade. Il reprit sa marche, moins incertaine. C'était une belle journée, puisque tout pouvait arriver. « Au fond, la politique, c'est comme le journalisme : pour en faire, il faut être un peu voyou. » Charles PASQUA, 1982. Il était une fois Casevecchie La France émergeait à peine du cauchemar de la Grande Guerre. Le nouveau président de la République, Paul Des- chanel, n'était pas encore tombé, par mégarde, du train Paris-Montbrison. Léon Blum, Édouard Daladier, Léon Dau- det, Édouard Herriot, Robert Schuman, élus le 16 novembre 1919, entraient à la Chambre des députés. Marcel Proust venait enfin d'obtenir le prix Goncourt. Colette polissait son œuvre, Jean Giraudoux mûrissait la sienne. Pierre et Marie Curie réclamaient des crédits pour l'Institut du radium. Amedeo Modigliani mourait dans l'indifférence. Sur les scènes parisiennes, Maurice Chevalier, devenu le parte- naire de Mistinguett, remportait ses premiers triomphes. A Ajaccio, la voix d'un garçon de treize ans qu'on appelait déjà Tino commençait à muer. Meurtrie, mais joyeuse, la France partait à l'assaut du xxe siècle. La France, sauf Casevecchie où la vie, immuable, restait rythmée par les arabesques millénaires tracées dans le maquis par les troupeaux de chèvres. Ces « Vieilles-maisons » éparpillées comme une poignée de châtaignes sur les collines ourlant la côte est de la Corse n'avaient pas encore surmonté le choc de leur promotion au statut officiel de village, décrétée le 30 mai 1860. Elles s'étaient bien donné un maire et un registre d'état civil mais point de mairie. Le choix de son emplacement eut provoqué trop de disputes entre les différents hameaux... C'est là, hors du temps, que vivait le clan des Pasqua. Un clan de bergers dont le chef s'appelait Antoine. On l'avait surnommé Capellone. Moins à cause de son penchant pour le port de la casquette qu'à cause de sa chevelure abondante et de son collier de barbe grise particulièrement fourni. Capellone était un personnage, une « figure » comme on dit ici. Avant de se fixer à Teppa, le plus irréductible des promontoires de Casevecchie, il avait bourlingué à travers tout le canton de Vezzani. Sa maison de pierres sèches, cernée par les genévriers et les asphodèles, s'ouvrait, au nord, vers la plaine d'Aléria, l'antique capitale romaine, et, au sud, vers les terres insalubres de Ghisonaccia, qui n'était alors qu'une bourgade célèbre surtout pour sa mala- ria. Cet homme farouchement accroché à son terroir ignorait qu'on découvrirait un jour que ses ancêtres avaient sans doute débarqué, jadis, sur cette même côte, en provenance d'Italie ou de la mer Égée, dans les impedimenta romains, parce que les racines de l'arbre généalogique des Pasqua remontent à la fois vers Vérone, la Sicile et l'île grecque de Chio, ancien fleuron de l'Empire byzantin. Père de huit enfants - cinq garçons et trois filles - Capellone inspirait le respect. Sa simplicité et sa gentillesse n'avaient d'égales, assurent ceux qui l'ont connu, que sa rigueur morale et la force de ses convictions. Il incarnait parfaitement l'âme de cette frondeuse région du Fiumorbo dont l'histoire mouvementée, pleine de bandits d'honneur et faite de mille résistances aux Génois, aux Français, puis aux ennemis de l'Empereur, hantera éternellement la Corse. Ses convictions politiques, Antoine Pasqua ne les cachait pas. Il se montrait fier de soutenir le parti radical social de la famille Gavini, honorablement connue au chef-lieu du can- ton. Il s'opposait donc au parti radical socialiste des Giac- cobi, rivaux traditionnels des Gavini. Aujourd'hui, on dirait qu'il se situait plutôt au centre droit puisque ce sont les radicaux de gauche qui représentent maintenant le courant giaccobiste. Mais que valent, en Corse, les étiquettes politi- ques du continent? Capellone faisait, en tout cas, partie de ces Corses prêts à mourir pour la République, et tout le monde se souvient encore, à Casevecchie, de son enthousiasme le jour où il accueillit chez lui le ministre gaviniste François Pietri, qui avait eu l'honneur d'appartenir à trois cabinets. Car ce jour-là, quand « Monsieur le Ministre » arriva au village, le chef des Pasqua le salua d'un ban tonitruant, en faisant force moulinets en l'air avec sa casquette et en criant à tue-tête : « Vive le triple ministre! » Travailleur infatigable, Capellone avait trimé dur pour nourrir sa maisonnée pendant la guerre. Il avait été le plus heureux des hommes en voyant son frère revenir vivant de l'enfer de Verdun avec un extraordinaire paquetage de souvenirs qui allaient lui valoir, à lui, le surnom de « Baïon- nette ». Il était adulé par ses fils, qui l'aidaient aux travaux agricoles. On le voyait souvent, en compagnie des deux aînés, André et Philippe, tresser en silence des cordelettes de poils de chèvres. André, le futur père de Charles Pasqua, grandissait en adolescent tranquille. D'un caractère doux, il se montrait toujours disponible quand il fallait seconder son père pour conduire le troupeau vers les pâturages de l'intérieur de la chaîne montagneuse, en direction de Corte. Pour les Pasqua et leurs chèvres, cette transhumance estivale aboutissait toujours au même endroit : à Tattone, sur la commune de Vivario, chez des amis forestiers, les Rinaldi. Contrairement à Casevecchie, le hameau de Tattone pos- sédait déjà d'éminentes lettres de noblesse. Il était entré dans la légende corse, deux siècles auparavant, grâce à un génial fait d'armes dont le héros, Antoine-Louis Muracciole, lui a laissé en héritage son propre surnom, Tatto. Les soirs de veillée on s'y raconte encore comment le clan des Murac- ciole, sous la conduite de Tatto, décida pendant la « Guerre d'indépendance » (1729-1769) de tendre une embuscade, au col de Vizzavona, à une colonne de Génois, et comment celle-ci prit la poudre d'escampette, se croyant menacée par une nombreuse troupe, à la seule vue du barrage de troncs de sapins dressé sur la route de Vivario. Depuis cette incontestable victoire, les descendants de Tatto bénissent le généreux gouverneur de l'époque qui récompensa le chef du clan des Muracciole en lui offrant ce terrain - la « Colletta datta » (« Colline donnée ») - où Antoine-Louis Muracciole fit construire la première maison du hameau, sur les ruines - symbole de l'exploit - d'une tour génoise. Devenue Tattone après la francisation des noms corses, la colline avait ensuite attiré plusieurs familles de Vivario, parmi lesquelles les Rinaldi, qui s'étaient unis aux Murac- ciole par les liens du mariage. Autant dire que chaque fois que Capellone Pasqua et ses fils arrivaient à Tattone, l'été, ils éprouvaient ce trouble indéfinissable que connaissent bien les gens de modeste extraction au contact des gens d'ascendances réputées supé- rieures... Or, c'est là, à Tattone, au début des années 20, qu'il s'en fallut de peu que l'histoire des Pasqua ne connût un destin aussi tragique que celui des Capulet affrontés aux Montaigu et que, depuis, l'ombre de Roméo et Juliette plane à jamais sur le passé de Charles Pasqua. Car par l'un de ces beaux étés de transhumance, ce qui devait arriver arriva : le jeune André tomba amoureux fou de la fille cadette des Rinaldi, la ravissante Françoise. Il n'avait pas dix-sept ans; elle n'en avait que quinze.