Charles Pasqua
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DU MÊME AUTEUR : Un certain Raymond Barre, Hachette. La Vie quotidienne à l'Elysée au temps de Valéry Giscard d'Estaing, Hachette. Les Grognards de Cabrera (en collaboration avec Jérôme Phélipeau), Hachette. Philippe Pétain, Hachette. Emile de Girardin, prince de la presse, Denoël. Prix Napoléon-III, 1986. Une couronne pour deux (en collaboration avec Nicole Kern et Daniel Séguin), J.-C. Lattès. © 1987, Éditions Jean-Claude Lattès PIERRE PELLISSIER CHARLES PASQUA JClattès PROLOGUE Samedi 22 mars 1986. Jaillie des urnes, six jours auparavant, l'alternance prend sa pleine dimension : le président de la République, François Mitterrand, issu du parti socialiste, s'apprête à recevoir, à l'Elysée, le gouver- nement de Jacques Chirac, né de l'alliance du R.P.R. et de l'U.D.F. Un événement qui a reçu son appellation avant même de se réaliser : la cohabitation. Une grande nouveauté, en tout cas; une primeur même : jamais encore la V République n'avait connu des distorsions entre ses deux majorités ; celle dont le président est l'émanation, puis celle qu'incarnent les députés. Il aura fallu cinq années de réforme, puis de gestion socialiste, pour que les électeurs remercient ceux qu'ils avaient appelés en 1981 ; mettant, à l'époque, un terme à un quart de siècle d'exil dans l'opposition. François Mitterrand, lui, n'a pas à prendre en compte le changement de majorité parlementaire. Il affecte de n'être pas concerné. Il a le temps pour lui ; deux années en principe. C'est-à-dire une part d'espérance encore. Le président de la République pense certainement à cela, ce samedi matin à l'Elysée; dans son bureau du premier étage, là où avant lui s'était installé le général de Gaulle. Comme il songe, sans doute, aux cinq années passées; au socialisme successivement triomphant, puis résigné, presque honteux en fin de course ; aux semaines de campagne électorale qui ont vu la gauche s'effilocher ; aux jours suivant le scrutin, lorsqu'il lui a fallu désigner un chef de gouvernement qui ne pouvait plus être « son » Premier ministre. D'ailleurs, jusqu'au dernier instant, il avait écha- faudé d'autres solutions, illusoires ou fragiles : Valéry Giscard d'Estaing avait été contacté, Jacques Chaban- Delmas invité à se tenir prêt ; d'autres qui ne fréquentent pas ordinairement le sérail politique avaient espéré... François Mitterrand, pourtant, a dû se plier aux volontés de la jeune majorité parlementaire et redonner à Jacques Chirac les clés de l'hôtel Matignon ; un trousseau que celui-ci avait rendu fort bruyamment à Valéry Giscard d'Estaing dix ans plus tôt. Dans quelques instants, les deux hommes vont se rencontrer ici ; dans ce bureau aux ors pesants, pour un tête-à-tête d'une douzaine de minutes... qui leur semblent interminables. A 10 h 30, ils ne sont déjà plus seuls. André Giraud, qui prend en charge la Défense, Jean-Bernard Raimond, affecté au Quai d'Orsay, viennent les rejoindre. Ces deux ministres sont appelés à entretenir des relations particu- lières avec le chef de l'Etat, puisque là le président peut exercer directement son autorité. Et là seulement... L'heure « H » est fixée à 11 heures. Quelques minutes plus tôt commence, dans la cour de l'Elysée, un ballet d'automobiles noires ou grises : les « nouveaux » arrivent. Il faut croire que cinq années de socialisme ont bien changé le monde politique; à moins que la nouvelle majorité n'ait écarté beaucoup de ses anciens pour que l'opinion ne croit pas à une restauration. En tout cas, sur 36 ministres et secrétaires d'Etat, six seulement ont déjà connu un Conseil des ministres. Echappant aux photographes et cameramen, tenus à distance par un cordage de velours, tous se laissent guider vers le salon Murat, où est installée la plus vaste table possible — de vulgaires planches posées sur des tréteaux, permettant de rallonger ou de raccourcir à volonté l'im- mense plateau recouvert, ce matin-là, de feutrine ocre. Tout est prévu, tout est ordonné. Le nom de chaque ministre sur un bristol; le bristol placé selon l'ordre hiérarchique, qui est celui des nominations annoncées, deux jours plus tôt, par Jean-Louis Bianco, le secrétaire général de l'Elysée. C'est ainsi qu'Edouard Balladur, seul ministre d'Etat, est à la droite du président et André Giraud à sa gauche ; en face, Albin Chalandon et François Léotard entourent le Premier ministre. L'entrée de François Mitterrand, suivi de Jacques Chirac, interrompt les conversations qui se poursuivaient à mi-voix. Le président, c'est évident, est tendu, crispé. Un seul regard pour découvrir à la fois la pièce et les hommes, puis il s'assoit. Pour aucun d'entre eux il n'a de geste; ni poignée de main ni le moindre mot. Il prend son plan de table et suit ainsi la présentation des uns et des autres; certains qu'il connaît peu, beaucoup qui lui sont totalement inconnus. Quelques noms ne lui sont pas étrangers. Et pour cause. Celui de Charles Pasqua, par exemple, qui observe le président à sa façon, impassible, les yeux mi-clos, attentif à chaque geste, à chaque mot. Le président sait qui est cet homme : le seul peut-être qui soit parvenu à le faire reculer depuis 1981 et même à lui infliger une authentique défaite, lors d'un combat mené dans l'hémicycle du Sénat, autour de la liberté de l'enseignement. Et l'on entre dans le vif du sujet. François Mitterrand rappelle immédiatement quels sont les pouvoirs qu'il tient de la Constitution, quelles sont les compétences du gouvernement, puis le rôle du Parle- ment. A 11 h 30, tout est achevé. Trente-six ministres et secrétaires d'Etat quittent le salon Murat. Presque sou- lagés, tant l'atmosphère y était pesante et guindée. Avec un président tassé sur son fauteuil, presque étranger à l'événe- ment, donnant même l'impression de se demander ce qu'il faisait là, entouré de visages qui n'avaient rien de familier, contraint de supporter, désormais, une politique qui va tourner le dos à ses espérances. Supporter... mais jamais cautionner. Un seul geste témoigne de cette prise de distance : François Mitterrand a refusé la traditionnelle « photo de famille » réunissant les nouveaux gouverne- ments autour du président. Un des rares clichés manquant dans une très ancienne collection. Alors, dans la cour du palais, les photographes se déchaînent. Derrière leurs cordages de luxe, ils tentent d'obtenir autant de portraits qu'il y a d'excellences. D'au- tres journalistes veulent les premières déclarations. Ils n'en auront aucune. Le matin même, à l'hôtel Matignon, Jacques Chirac avait donné des consignes de silence : savoir se taire, le secret et la discrétion sont aussi des armes politiques. Ces recommandations, un homme les résume à sa façon, en mimant pour les objectifs la vieille expression populaire « motus et bouche cousue ». C'est Charles Pasqua, qui repart vers son ministère tout proche, l'Inté- rieur, où il est entré dès jeudi soir, au contact des réalités gouvernementales, avec un attentat sur les Champs-Ely- sées. Un mort et de nombreux blessés. Cinquante-neuf ans, ancien député, sénateur des Hauts-de-Seine, Charles Pasqua n'est pas arrivé par hasard au ministère de l'Intérieur. Le choix de Jacques Chirac tient autant aux qualités de l'homme qu'à la complexité de la fonction. Le Premier ministre sait que beaucoup de choses se décident place Beauvau, que là se gèrent bien des secteurs. Certains ministres n'ont pensé qu'à l'administration de l'Etat, d'au- tres ont privilégié la police ; tous ceux-là ont échoué. Il faut savoir que cet ensemble ministériel jette ses tentacules en tous sens : la vie des communes est de son ressort, comme toutes les autres collectivités territoriales ; les préfets sont sous son contrôle, comme l'organisation des élections, comme l'ensemble des services de police, de l'agent en tenue réglant la circulation aux enquêteurs de la D.S.T. qui préfèrent enfiler les manteaux couleur de muraille. L'homme qui accepte ce poste doit connaître tout cela. Avoir le sens du secret et de la fidélité, autre leçon de l'Histoire. Jacques Chirac a inclus ces donnés dans sa réflexion. Il a également pris en considération le besoin de sécurité des Français — on parlait à l'époque de « psychose sécuri- taire » —, les dangers du terrorisme international ; le malaise du corps préfectoral dépouillé de ses prérogatives ; la loi électorale qui est à refaire, pour repasser du système proportionnel au scrutin majoritaire. Et celui qui, il y a six jours encore, était le leader de l'opposition s'est souvenu d'autre chose : en février 1974, épuisé, sachant que le mai allait continuer de le ronger mais sans croire pourtant à une issue mortelle, le président Pompidou avait envisagé sa démission pour l'automne. Cela signifiait une présidentielle immédiate. Alors, le 1 mars, il avait fait remanier le gouvernement Messmer afin qu'un de ses « jeunes loups », presque son fils spirituel, Jacques Chirac, passe à l'Inté- rieur. Là, orphelin, dans l'affliction, celui-ci avait mis en route la machine qui allait conduire Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée, à défaut du gaulliste espéré. Un poste clé donc pour un homme qui ne connaîtra guère les honneurs — être le premier flic de France n'a jamais été considéré, dans ce pays, comme une glorieuse référence — qui devra encaisser des coups et surtout des mauvais coups ; qui saura, au besoin, se salir les mains. Un poste que l'on réserve aux fidèles, aux inconditionnels même, pour ne pas avoir à dire comme Napoléon se méfiant enfin de Fouchet : « Il a un regard sur tout, et surtout sur ce qui ne le regarde pas.