L'axe D'or Corbeil
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L'AXE D'OR CORBEIL. — IMPRIMERIE B. RENAUrKT APULÉE L'ANE D'OR EAUX-FORTES HE P. A Y RIL PARIS P. ARNOULD, ÉDITEUR 14, BODLBVARD POISSONNIÈRK, 14 PRÉFACE Tout le monde connaît l'épisode de l'Amour et de Psyché, mais chacun sait-il d'où est tiré ce morceau de litté rature si ingénieux, si frais et si atta chant ? Il est tout entier raconté dans les Métamorphoses de lAne d^or, roman célèbre dont l'auteur, Lucius Apuleius ou Apulée, naquit vers 120 avant notre ère à Madaure en Numidie, fit ses premières études à Carlhage, sa philo sophie à Athènes, son droit à Rome, et passa ensuite en Orient pour y ap prendre sur place les doctrines reli gieuses de Tancienne Asie. ,1 PREFACE On sent bien qu'une pareille méthode de culture intellectuelle dut de bonne heure porter ses fruits, car quel meil leur moyen d'apprenàre que de se transporter successivement dans les contrées où chacune des sciences dont on veut pénétrer \e^ mystères ont brillé avec le plus d'éclat? Or, la Grèce n'est-elle pas la patrie classique de la philosophie? La législation romaine n'est-elle pas la plus inflexible mais la plus logique qui ait jamais formulé l'état social d'un peuple ? Enfin n'est- ce pas dans les vieilles cités de l'Orient, aujourd'hui détruites ou mutilées, que les religions aryennes et sémitiques ont pris naissance? De cette série de profondes études est résulté chez Apulée un esprit exercé,! une grande finesse d'observation, un, jugement sain, une habitude de voir, tout et de le bien voir. Il ne s'est pas borné à écrire des œuvres de doctrine,' dont on admire encore Tonginalité : il PREFACE m a voulu aussi sous une forme piquante et allégorique faire la satire des mœurs de son temps. Ne voyons-nous pas de nos jours M. Renan, infidèle à l'érudi tion sémitique, châtier parfois en des plaquettes fantaisistes les travers de ses contemporains? V!Ane d'or, c'est le tableau le plus complet des mœurs du deuxiènae siècle. L'hypocrisie, la débauche, les mensonges, les fraudes, auxquels recourent les castes sacerdo tales pour faire croire à une puissance surnaturelle, voilà ce que vise particu lièrement Apulée, mais il n'en a pas moins en vue l'immoralité générale de son temps. Pourquoi faut-il que le style soit souvent recherché, bizarre, bour souflé? Sans ce défaut, nous aurions là une œuvre parfaite en son genre, puis qu'elle ne le cède à aucune sous le rap port de la vivacité, de la verve et de l'imagination. C'est du grec de Lucius de Patras, égalementimité mais abrégé parLucien, IV PRÉFACE qu'Apulée a pris le sujet de la méta morphose qu'il a développée, amé liorée, semée d'incidents et d'épisodes qui en font une œuvre personnelle et parmi lesquels on remarque notam ment : l'histoire du Tonneau, d'où La Fontaine a tiré son conte du Cuvier, les aventures de Tiépolème et de Charité, et surtout le touchant épisode de l'Amour et de Psyché, que nous men tionnons au début de cette préface. Le héros du roman, Lucius, venu en Thessahe pour affaires particulières, loge par hasard chez une vieille magi cienne; poussé par la curiosité, il veut essayer le pouvoir de ses drogues, se frotte le corps d'un certain onguent et... se trouve brusquement changé en âne, , tout en conservant ses facultés humai nes. Il se rend à l'étable, où des voleurs le cueillent pendant la nuit, le condui sent dans une caverne, et le maltrai tent jusqu'au jour où il est délivré par le fiancé d'une belle ^eune fille, sa j PREFACE V compagne de captivité. A partir de ce moment, notre baudet passe entre les mains de différents maîtres et subit des vicissitudes qu'on lira plus loin avec curiosité. A la fin, la déesse Isis, tou chée de ses infortunes, le rend à sa forme première : reconnaissant, il se voue au culte de sa libératrice. Paul-Louis Courier, parlant de ce petit chef-d'œuvre, s'exprime en ces termes : a On y trouve des notions sur la vie-privée des anciens, que cherche raient vainement ailleurs ceux qui se plaisent à cette étude. Là se voit une vive image du monde, tel qu'il était alors : l'audace des brigands, la four berie des prêtres d'tsis, l'insolence des soldats sous un gouvernement dur et despotique, la cruauté des maîtres, la violence des'esclaves; tout est vrai dans ces fictions si frivoles en apparence; et ces récits de faits, non seulement faux, mais impossibles, nous représentent les temps et les hommes mieux que nulle ^., PREFACE chronique, à mon sens. » Les contem_ porains d'Apulée lui (émoignaient un enthousiasme indescriptible : l'Ane s'appela bientôt VAne d'or, c'est-à-dire l'âne par excellence, l'àne dont l'his toire n'a pas de prix. La première édition d'Apul(*e a paru à Rome en 1469. L'édition d»- Levde (1786-1823) en 3 vol. in-4« a été réédi tée à Leipzig en î842. Les traductions françaises sont nombreuses, et celle que nous donnons ici est aussi esclave que possible du texte original. — On peut voir au Louvre deux toiles remar quables reproduisant l'épisode de l'Amour et de Psyché. L'une est de Fr.Gérard(1797),rautredeDavid(i823). Nous n'avons pas à en refaire l'éloge, non plus que celui des deux groupes d'Antonio Canova (1703). " Fr. Gérard a eu le mérite de rendre sous une forme éloquente, mais chaste, Tallégorie par laquelle les Grecs avaient exprimé les premiers mouvements de PREFACE VII l'àme s'ouvrant à l'amour. « Psyché, presque entièrement nue, est assise sur un tertre de gazon, pressant ses bras sur son sein. Un papillon, sym bole de l'âme, voltige au-dessus de sa tête, et l'Amour, debout devant elle, se penche timidement et la baisse au front. Il y a une grâce exquise dans l'attitude de ces deux adolescents que lapudeurtendàéloignerl'unde l'autre, mais que rapproche un sentiment puis sant, irrésistible. La physionomie de Psyché exprime une joie ingénue, un étonnement naïf, et son bel amoureux n'a rien de l'effronterie du Gupidon de la Fable. » Il est curieux de noter que cette peinture remarquable est restée ,trois ans dans l'atelier de son auteur et qu'elle fut, au bout de ce temps, achetée à frais communs, au prix de 6000 francs, par deux amateurs. Vingt- deux ans plus tard Louis XVIiïdevait la payer 22,000 francs. — L'œuvre de David est plus connue, parce que la VIII PRÉFACE gravure l'a souvent reproduite : l'A mour, étendu sur un lit antique à côlé de Psyché endormie, se dispose à fuir, et sa physionomie maligne contraste avec l'air béat et crédule de la jeune fille. Quant aux groupes d'Antonio Canova, ils sont gracieux au delà de toute idée : dans le premier. Psyché, la tète légèrement inclinée, pose un papillon sur le bras de l'Amour, qui l'enlace, se penche sur son épaule et sourit; dans la seconde, Psvché aban- donnée implore la mort et va se préci piter dans un abîme lorsque l'Amour, touché de ses malheurs, l'arrête et l'étreint doucement dans ses bras. L'ANE D'OR LIVRE PREMIER / Je vais, dans ce discours milésien (l), vous raconter diverses fables dont le ré cit charmera vos oreilles, si vous daignez lire un ouvrage écrit dans le style facé tieux des auteurs égyptiens. Vous serez surpris des métamorphoses étonnantes de plusieurs personnes, qui reprendront ensuite leur première forme. Je vais commencer ; mais apprenez d'abord en peu de mots qui je suis. Ma famille est très ancienne : elle est 1. Les Grecs appelaient fables milésiennes cer tains récits facétieux, quelquefois obscènes. 1 o L ANE D OR originaire du mont Hymet dan? TAttique. de l'isthme de Coriuthe, et de Taenare dans le territoire de Sparte, provinces très fertiles, et célébrées dans des ouvra- ire? immortels. Je commençai à étudier la langue grecque à Athènes : j'allai en suite à Rome, où, sans maître, j'appris le latin avec une peine incroyable. Ainsi Ton m'excusera si je fais quelques fautes en parlant une langue qui m'est absolu ment étrangère, et que je préfère cepen dant à la mienne, parce que la légèreté de son style est plus appropriée au lan gage de la science magique que je vais employer- Voici donc l'histoire de ce qui m est arrivé en Grèce : lecteur, sovez attentif ; elle vous fera plaisir. J allais pour quelques affaires en Thessalie, d'où je suis originaire ; car, du côté de ma mère, je me fais gloire de descendre du célèbre Plutarque et du philosophe Sextus, son petit-fils. Après avoir traversé des montagnes escarpées, de profondes vallées, des prés humides de rosée et des campagnes raboteuses, monté sur un cheval blanc du pays, qui était aussi fatigué que son maître, je mis LIVRE I 3 pied à terre pour me délasser, en mar chant un peu, d'être resté si longtemps en selle. Je débridai mon cheval ; j'es suyai soigneusement la sueur de son front ; je lui frottai les oreilles, et le me nai doucement au pas, jusqu'à ce qu'il se fût soulagé en remphssant ses fonc tions habituelles et naturelles. Pendant que. chemin faisant, et tournant de côté sa tête, il arrachait quelque bouchée d'herbe le long des prés que nous tra versions, je joignis deux hommes qui d'aventure marchaient un peu devant moi.