Encore Le Mont-Blanc
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Article Encore le Mont-Blanc CHAIX, Emile Reference CHAIX, Emile. Encore le Mont-Blanc. Le Globe, 1899, no. 11, p. 1-12,fig.1-6 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:142140 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. 1 / 1 ENCORE LE. MONT-BLANC L'été dernier, le sommet du Mont-Blanc a quelque peu ressemblé au pont d'Avignon. Point n'est donc besoin de narrer longuement une ascension de plus; d'ailleurs, au point de vue « ascensionniste )), notre course a été d'un banal ! Imaginez: deux voyageurs, un guide, deux porteurs ! Est-ce assez << père de famille )) ! Mais l'absence de tout malaise et vingt-quatre heures de séjour au sommet donnent à cette course un certain intérêt. Gribouillons donc brièvement quelques feuillets. l. LA COURSE. Au Fayet, grand rassemblement : il en vient de Saint-Gervais, de Sallanches, de Cluses, de Genève... , des gros, des menus ... , au moins vingt personnes. Tout ce monde pour le Mont-Blanc?! - Non pas. Mais nous sommes conviés à inspecter, sous l'aima ble direction de M. Muraz, conducteur des ponts et chaussées, la belle voie carrossable de sa construction qui conduit au pavillon de Bellevue, puis le hardi chemin muletier que l'administration forestière fait établir de là au glacier de Tête Rousse. On sait qu'il s'agit de munir ce glacier 2 ENCORE LE MONT-BLANC d'un t11nnel de ponction pour le guérir de son 1 hydropisie chronique • Au pavillon, gai souper. Note dominante de la conve1·sation: Nous allons tous à l'Aiguille du Goûter el, là, ceux qui seront en bon état iront jusqu'au sommet. Nuit variée. L'un dans un lit, l'autre dans le foin. L'un ronfle, l'autre l'écoute. Votre serviteur, qui a été « celui qui ferme la porte de la fenière et éteint la lanterne sans incen die)), n'a pas retrouvé dans l'obscurité, cela s'entend, le nid douillet qu'il s'était creusé dans le foin. lVIal couché, il étudie à loisir le leit motiv des divers participants et réfléchit agréablement au surcroît de mal de montagne que cette nuit blanche lui vaudra. Avant le jour, déjeuner et départ; marche trébu chante pendant une demi-heure. Puis le jour point, et tout va bien. Le nouveau' chemin monte gentiment en lacets, tantôt vastes, tantôt serrés, avec vue continuelle sur Chamonix. Il escalade les désagréables Rognes - chacun lui en sait gré. I'viais il n'est pas terminé, et là où les ouvriers ont à peine écorché la roche, quelques collègues tro11vent la pente hum, hum! quelques têtes tournent. Note dominante de la conversation: Est-ce que l'Aiguille est comme ça, ou encore pire ? 1 Ce chemin, avec pente de 15 °/0 sur 9 km., s'élève jusqu'à 3300 m. d'altitude. Il a d'abord 2 m. puis 'lm. de large. L'administration forestière a pPévu une dépense de 91000 fr. pour l'établissement du chemin et du tunnel. Le tunnel aura. '120 111. de longueur, cl on l'avancera en pratiquant toujours, par mesure de siicurité, un son dage de 6 m. en avant de la galerie. ENCORE LE MONT-BLANC 3 Sur les Rognes, petit arrêt « dixheuratoire >> au bord d'un névé, non loin de la carcasse déjà dressée de l'hôtel des . Rognes. Puis traversée du glacier de Tête-Rousse et grande station dînatoire sur l'arête rocheuse qui le borde au Sud-Ouest, en pleine vue de l'Aig-uille du Goùter et de son grand couloir 1• Note dominante de la conversation : .....? ..... ? ..... Ah, voilà deux Anglais qui traversent le couloir. Vont-ils être mitraillés? - Non. - ... S'il n'y avait pas ce satané couloir... Puis, avec ces Anglais, il n'y aura plus de place clans la cabane... Bientôt le D r Grisel et E. Chaix trouvent qu'il fau drait partir, sans attendre le bombardement de l'après-midi. - Allons! Qui est-ce qui monte? -···Vite quelques échanges de victuailles; puis nous bouclons. Cordiales salutations, et départ de cinq : le guide Alphonse Estivin, de St-Gervais, les por teurs, le D r A. Grisel et E. Chaix. Le docteur est un représentant modèle, au point de vue physique, in tellectuel et sociable, de ces curieux bipèdes, variété sélectionnée de l'espèce homo sapiens, qui envahis sent pendant la période estivale la région des neiges persistantes. Quant à E. Chaix, il porte son insépa rable appareil photographique. Les marches sont toutes taillées; le couloir est vite franchi. Arrivés sur l'autre bord, nous nous retour nons avec effroi. entendant un bruit d'avalanche... Ce sont nos aimables compagnons qui applaudissent. 1 Il paraît qu'on Ya élever une 0abane ou auberge sur cette arête. 4 ENCORE LE MONT-BLANC Grands gestes de remerciements et d'adieux!; puis la longue varappe commence. Longue, sans doute; mais agréable, en somme, et pas fatigante; on y a sans cesse de l'air et une vue immense. Petite halte à la « cabane de Saussure )) ; puis nous voilà à la ca bane de l'Aiguille du Goùter, fraîchement débarras sée de sa glace par les guides de St-Gervais, calfeu trée à merveille. : La vne était splendide, quoiqu'il y eùt des nuages: l'Aiguille de Bionassay, avec ses glaciers suspendus, toute la Savoie, Genève, le Jura ... Et du haut de la pointe de !'Aiguille, Chamonix et toute la rangée de ses pics de protogine. Charmante flânerie; soirée magnifique. Avec les deux touristes anglais nous allons être sept dans cette petite boite; c'est beaucoup 1• :Mais supposant qu'il y a foule au refuge Vallot, nous pré férons rester quand même. La porte est fermée, puis les sept sardines se cou chent... sur le côté droit. .. et restent tranquilles... longtemps. Enfin E. Chaix a le sentiment qu'il s'asphyxie. Le docteur, mis au courant, reconnait qu'il a lui-même des palpitations. Les sardines bougent, ouvrent leur boîte, et toutes ces misères cessent. Décidément les guides de St-Gervais ont bien réparé les fentes de la cabane ! Une fois sorti, l'auteur Lrouve dommage de reste1· enfermé. Il flâne deux heures, étendu le clos sur la neige, pour admirer le ciel merveilleux. Les constel lations sont méconnaissables tant les étoiles sont 1 La cabane mcsm e 21l150 X 3rn50 cl 1 111 80 de hauteur. ENCORE LE MONT-BLANC 5 multipliées, et il n'y a presque pas de scintillement. Le froid finit par obliger le flâneur à la retraite. Seulement, en son absence, les six autres sardines se sont couchées presque à l'aise et dorment, les bien heureuses. - Que faire? - Le déshérité pose les cordes dans la boue, pose le bas de son échine dans cette même boue fraîche, avec les cordes, et passe le reste de la nuit, adossé à la paroi, à réfléchir au surcroît de mal de montagne que lui vaudra cette se conde nuit blanche. Départ avant le jour, sur une neige bien gelée, et promenade jusqu'à l'observatoire Vallot. Là c'est un coin de boulevard: il y a des touristes au refuge, il y en a qui descendent déjà cl n sommet, il en vient des Grands Mulets. Au reste, sur l'origi nal de la photographie, fig. 3, on voit quatre cons tructions et onze personnes, plus une, qu'on devine: le photographe. Pauvre colosse sourcilleux! L'aimable propriétaire de l'observatoire est mal heureusement absent, en courses pour son beau tra vail cartographique. Mais Ambroise Payot arrive et nous montre l'établissement. En attendant d'être remplacé par le nouvel observatoire, dont on voit le squelette au-dessous dn refuge, l'ancien est en ordre parfait, et très confortable. Les enregistreurs mar chent à qui mieux mieux. Nous attaquons la première bosse du Droma Jaire. Réflexion intime de l'auteur: C'est bientôt le moment du mal de montagne. Comme il a fait quinze jours de beau temps, les marches sont taillées comme pour le passage d'une procession; aussi monte-t-on vite. 6 ENCORE LE MONT-BLANC Entre la prem1ere et la deuxième bosse, halte pour une photographie, afin de profiter du bel éclairage. Ah ça ! et le mal de montagne?... Nous franchissons avec plaisir la petite bosse tranchante, puis nous quittons l'arête pour attaquer la calotte de face. Nous passons une petite crevasse, et nous voilà à l'observatoire Janssen au moment où je demandais au guide si nous en avions encore pour une demi-heure ou plus. Décidément le mal de montagne s'e_st oublié, et. E. Chaix lui en sait grandement gré. La première demi-heure est consacrée à la simple admiration (le la vue, splendide, beaucoup plus belle que je ne m'y attendais. Il est sept heures du matin, et le panorama a encore des ombres. - Bientôt, comme les nuages se forment de-ci, de-là, le pho-, tographe se dépêche de prendre 1111 demi-tour d'ho rizon. Ensuite, succession mmterrompue d'occupations variées: stations admiratives, bains de lézards ou siestes sur le toit de l'édicule ou de l'observatoire, études de topographie ou de nomenclature sur l'ho rizon, inspection de l'observatoire, repas plantureux, plaisanteries, excursions autour de la calotte, bientôt gênées par le vent et les nuages. Pendant tout le jour il .Y a défilé de tom·istes avec ou sans guides. Mais tout le monde redescend enfin, et nous restons seuls; et, après un coucher de soleil noyé dans des nuages menaçants, la tem pête nous force à nous enfermer. Nuit confo1·table et honne, pendant que la rafale gémit. Le lendemain, après une certaine attente pour ENCORE LE MONT-BLANC 7 vou· si le temps a quelque idée de s'élever, nous nons décidons à descendre clans le brouillard, le vent et le grésil.