<<

ÉCRITURE Cette collection voudrait être un lieu de rencontre des méthodes cri- tiques les plus diverses s'exerçant non seulement dans le champ de la litté- rature, mais aussi pour d'autres for- mes d'expression : musique, peinture, cinéma. Les rapports de la littérature et de la société, de la littérature et de la psychanalyse, l'analyse du récit, comme certains genres littéraires, s'y trouvent définis dans des perspectives neuves. Quels liens unissent — ou op- posent — écriture littéraire et écriture musicale, filmique, picturale ? Com- ment des écrivains, des peintres, des musiciens ont-ils dit ou écrit la pein- ture, la musique ? Chaque volume se propose de dé- gager les aspects essentiels d'une ques- tion théorique qui se trouve éclairée par l'analyse d'un certain nombre d'oeuvres. La forme de l'essai, tradi- tionnellement la plus libre qui soit, est bien celle qui convient à ces pers- pectives.

Gérald ANTOINE ou le double regard critique Jean BELLEMIN-NOËL Vers l' inconscient du texte Les contes et leurs fantasmes Biographies du désir Georges BENREKASSA Fables de la personne Claudie BERNARD Le romanesque Michel BUTOR et Michel LAUNAY Résistances. Conversations aux Antipodes Roger CAILLOIS Rencontres

Georges-Emmanuel CLANCIER Dans l'aventure du langage Michel COLLOT La poésie moderne et la structure d'horizon Jean DECOTTIGNIES L'écriture de la fiction Béatrice DIDIER L' écriture-femme La musique des Lumières Ecrire la Révolution 1789-1799 Claude-Gilbert DUBOIS L'imaginaire de la Renaissance Marc EIGELDINGER Lumières du mythe Françoise ESCAL Le compositeur et ses modèles

LE CHOUAN ROMANESQUE ÉCRITURE

COLLECTION DIRIGÉE PAR

BÉATRICE DIDIER LE CHOUAN ROMANESQUE

Balzac - Barbey d'Aurevilly - Hugo

Claudie Bernard

Presses Universitaires de A mes parents A Peter

ISBN 2 13 042492 9 ISSN 0222-1 179

Dépôt légal— 1 édition : 1989, décembre

© Presses Universitaires de France, 1989 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris Remerciements

Je voudrais exprimer ici ma reconnaissance à M. Victor Brombert, qui, en tant que directeur de thèse d'abord, et par ses travaux et son cordial soutien toujours, m'a beau- coup aidée dans cette entreprise. Et aux « Councils of Research in the Humanities and the Social Sciences » de l'Université Columbia de New York, qui m'ont donné les moyens finan- ciers de la mener à bien. Je remercie également la rédaction de la Romanic Review, les Presses Universitaires d'Angers et les Editions Minard d'avoir autorisé la reproduction, sous une forme modifiée, d'articles sur Quatrevingt-Treize de Hugo, L'Ensorcelée et Le Chevalier Des Touches de Barbey d'Aure- villy, respectivement parus dans la Romanic Review (mai 1984), le volume Vendée, , Littérature (1986) et la Revue des Lettres Modernes (1987).

Introduction

Définitions et propositions

Le mot « histoire » en français recouvre des sens différents qu'il importe, au seuil d'une analyse de roman historique, de préciser, en rendant compte de leur compli- cité fondamentale. Partons donc de l'opposition tradi- tionnelle et forte entre d'une part l'Histoire comme connaissance des événements passés, de l'autre l'histoire comme production d'événements imaginaires; Histoire avec un H majuscule, histoire avec une minuscule — en anglais, history et story, alors qu'en allemand Geschichte est ambigu. D'un côté donc le sérieux de la « science », de l'autre le détachement de l'art. Prenons note de cette opposition, et tournons-nous vers l'Histoire à majuscule, pour faire état d'une nouvelle distinction, moins manifeste mais essentielle. L'Histoire dénote la connaissance des événements passés, mais aussi bien les événements passés eux-mêmes. « Le même mot, en français, en anglais, en allemand s'applique à la réalité historique et à la connaissance que nous en prenons. Histoire, history, Geschichte désignent à la fois le devenir de l'humanité et la science que les hommes s'efforcent d'élaborer de leur devenir (même si l'équivoque est atténuée, en allemand, par l'existence de mots, Geschehen, Historie, qui n'ont qu'un des deux sens). » Cette collusion est significative : « L'homme n'a vraiment un passé que s'il a conscience d'en avoir un (...) Autrement, les indi- vidus et les sociétés portent en eux un passé qu'ils ignorent, qu'ils subissent passivement (...) ils n'accèdent pas à la dimension propre de l'histoire. » Le passé n'acquiert de consistance, voire d'existence, que par la pensée qui le réfléchit, qui réfléchit sur lui, et qui du reste lui a transmis son nom : historia, c'est d'abord la recherche intellectuelle, et histor le savant Glissement de l'activité à son point d'application, du discours au référent qu'il implique, des mots aux choses; transfert du sujet à l'objet, facilité ici par le fait que l'un et l'autre sont l'homme ou plus préci- sément le « faire » humain — collusion qui caractérise les sciences humaines. « En notre langue, "histoire" unit le côté objectif et le côté subjectif et signifie aussi bien historiam rerum ges- tarum que res gestas », affirmait déjà Hegel Revenons à l' rerum gestarum pour noter, avec Hegel, que, comme toute recherche intellectuelle, celle-ci passe par les mots, et par les mots « écrits ». Car l'oralité, qui suffit à l'enregistrement des traditions familiales ou religieuses, est déficiente lorsqu'il s'agit du recensement minutieux d'actions largement contingentes. Pas de réalité historique donc sans un compte rendu de cette réalité, sans historio- graphie. Les sociétés sans Histoire sont les sociétés sans écriture L'écriture historique n'est pas quelconque : elle est « récit », c'est-à-dire s'organise selon un modèle qui est aussi... celui même de la fiction; modèle qui lui impose un certain ordre de présentation et de préséance, une certaine conception du déroulement temporel, de l'événement et de l'agent de l'événement. Nous rejoignons ainsi l'autre histoire. Or, à y regarder de près, celle-ci recèle une dualité homologue de celle repérée dans l'His- toire; car l'histoire aussi noue un discours (aujourd'hui surtout « écrit ») et des événements — du côté du « faire » réfléchi, ou des mots, une narration, du côté du « faire » empirique, ou des choses, une diégèse, entités qui se constituent l'une par l'autre et s'informent mutuellement A l'un des pôles du lexème « histoire » règnent les faits, à l'autre s'élaborent des fictions; mais l'opposition dogmatique de l'Histoire et de l'histoire ne tient pas à l'analyse — « faits » et « fictions » s'enracinent après tout dans un schème commun qui est le « faire » humain ( facere, et fingere : façonner, fabriquer). Sans insister pour l'instant sur ce « faire » qu'on dit le propre de l'homo faber, je voudrais introduire de nouvelles spécifications, à l'in- térieur de l'Histoire et plus strictement de la face « réfé- rentielle » de l'Histoire. La « réalité historique » se confond normalement avec le « passé ». Mais, à partir du XIX siècle surtout, l'Histoire s'aventure au-delà de ces limites, en direction du pré-historique d'une part, du présent de l'observateur et même de l'avenir de l'autre; l'Histoire se met alors à signifier « le temps » dans son rapport à l'homme du « faire » social, promu homo historicus; Histoire devient synonyme de ce que d'aucuns appellent l'évolu- tion, le devenir, de ce que je nommerai, de façon plus neutre, la « diachronie ». Enfin, au XX siècle surgit une troisième acception, qui à la fois limite et exalte la notion : délaissant les perspectives téléologiques et entérinant le hiatus introduit par les crises modernes entre le présent et ses antécédents, l'Histoire-temps vient se rétracter sur le con-temporain ; cette Histoire, intensément vécue comme en train de se faire, représente un élément essentiel dans le statut de l'homme « en situation » La réflexion sur ces nouveaux « objets » historiques déborde la « discipline » historique traditionnelle. L'émer- gence du « devenir » fait fleurir, au XIX siècle, les philo- sophies de l'Histoire, tandis que l'Histoire-contemporaine se prête bien à l'investigation sociologique élaborée au XX Revenons-en, quant à nous, à l'historiographie propre- ment dite, afin de cerner de plus près ses rapports avec la littérature. Ceux-ci sont de deux sortes : génétiques, car avant de revendiquer sa scientificité l'Histoire faisait partie de la littérature; formels, puisque, science mais science humaine, l'Histoire n'échappe ni à la relativité méthodologique et conceptuelle ni à celle, proprement narratologique, de la formulation. Je les examinerai successivement. Que pour toute l'Antiquité et pour les âges qui en procèdent, l'historiographie n'ait été qu'une des formes de « graphie » possible, qu'un genre littéraire parmi d'autres, qu'elle ait relevé de l'art du bien dire plutôt que de la recherche rigoureuse, longtemps dévalorisée sous le nom d' « érudition », il est à peine besoin de le rappeler. Aristote évalue l'Histoire dans sa Poétique et par compa- raison avec la poésie, qu'il juge d'ailleurs plus profonde parce que, traitant de ce qui « pourrait avoir lieu », elle a affaire à des universaux, qu'elle organise d'une manière d'emblée « intelligible » ; alors que l'Histoire, qui raconte ce qui a effectivement eu lieu, se cantonne dans le parti- culier, le contingent, et se satisfait d'une présentation que Lionel Gossman qualifie de « paratactique » On voit que la distinction ne porte pas tant sur le fond (faits vs fic- tion) que sur la forme des deux activités. A l'époque de encore, si certaines restrictions commencent à peser sur le matériau utilisé par l'érudit, ses préoccupations restent essentiellement celles du poète : choix d'un « bon sujet », le bon sujet d'Histoire étant souvent le même que le bon sujet de tragédie ou d'épopée, composition soignée, style attachant Le divorce graduel de l'Histoire et de la littérature va de pair avec la transformation profonde de leurs statuts respectifs, que Gossman fait commencer vers la fin du XVIII siècle et qui s'épanouira plus tard dans le XIX A partir de ce moment, la littérature cesse d'être avant tout une technique, une « rhétorique », pour devenir un corpus de textes géniaux, quasi sacrés, qu'on oppose à la réalité historique décevante et à l'historiographie qui en traite; ce sont les débuts de la Littérature comme institution et comme mythe. Cependant, en Histoire, la question de l' « exposition » perd du terrain devant celle de la « connais- sance » et de ses méthodes, qu'on se met à critiquer, notamment après la découverte de l'importance du « point de vue » de l'enquêteur dans l'enquête. L'Histoire se tourne de plus en plus vers l'idéal d'impartialité des sciences de la nature, qui la marquera décisivement pendant l'ère positiviste, et vers le culte de la mimesis, qui exige que la forme reste aussi effacée, aussi invisible que possible. Son objet aussi se modifie : elle cesse de se concentrer sur des événements « uniques » (politiques et militaires) pour s'intéresser, comme les sciences exactes, au « grand nombre », dans ses multiples manifestations. C'est alors enfin qu'elle se spécialise et se professionnalise. Avant l'avènement du positivisme toutefois se situe une période de transition où Histoire et littérature, désormais autonomes et toutes deux en mutation, communient une dernière fois : je veux parler de l'époque romantique. Alors, d'innombrables écrivains se plongent dans les vieilles chroniques pour en tirer des romans historiques, cependant que la lecture de Walter Scott enthousiasme un Villemain, que Les Martyrs de Chateaubriand font naître (paraît-il) la vocation d'un Thierry, que Michelet abonde en lyrisme, que Carlyle compose l'épopée de La dévolution française. Pour ces historiens, la « forme » importe au plus haut point, car elle est instrument de connaissance, tandis que pour les romanciers d'alors, dont beaucoup tâtèrent de la politique, l'Art, même muni d'une majuscule, est investi d'une mission séculière grandiose Aujourd'hui, mis à part la « vulgarisation » historique, forme bâtarde que l'une et l'autre regardent de haut, science de l'Histoire et littérature semblent totalement séparées. Est-il pourtant si difficile d'apercevoir, affectées d'un certain décalage temporel — la littérature a une indiscutable priorité — les mêmes tendances dans les deux activités, tendances référables aux mêmes contraintes idéologiques et sémiotiques : la même remise en cause du sujet (personnalité/personnage), du temps comme flux homogène et continu, du « réel » comme substance et donné, du signe comme fondement de la « représentation » de ce réel, de l'opposition traditionnelle représentation (reproduction) /production ? Ces tendances, la réflexion des historiens modernes sur leur discipline va nous per- mettre de mieux les apprécier. Dans les pages qui vont suivre, je séparerai, arbitrai- rement mais commodément, le niveau « heuristique », qui regroupe la collecte et la critique des documents ainsi que l'interprétation du passé les accompagnant, de celui de la « présentation » historiographique. Au niveau heuristique donc, le problème de l' « objectivité » du chercheur, qui a mobilisé le XIX siècle positiviste, laisse aujourd'hui place à un autre, plus radical, celui de la réalité de l' « objet » lui-même. Je ne m'attarderai pas sur les thèses qui font de l'objet historique, le passé, le support sinon le produit d'un sujet phénoménologique ou personnel, d'un ego faber à fort coefficient inconscient. Alain Besançon estime, par exemple, que l'Histoire ne répond pas tant au désir de connaître que de se connaître, et que le livre d'Histoire naît d'abord du besoin de créer Ce qui rappelle la fameuse déclaration de Michelet dans la préface de l'Histoire de France : « Ma vie fut en ce livre; elle a passé en lui. Il a été mon seul événement » événe- ment autobiographique singulier qu'étoffent et comblent les événements multiples de la chronique. Pour Besançon, l'ensemble de ces événements se réduit, à la limite, à l'ensemble des grandes œuvres qui les retracent, et le sens « référentiel » d'Histoire se résorbe dans le sémème « historiographie ». L'objectivité chère à l'historicisme requiert, outre la purgation du « je » comme personne, comme « tempé- rament », l'effacement du « je » comme commandant le « temps » (verbal) et comme lié au « temps » (diachronique) — sujet de l'un parce que sujet à l'autre et réciproquement. L'un des mérites de Nietzsche est d'avoir souligné que l'entreprise historienne est elle-même historique : que le passé ne se définit qu'en fonction de notre présent, présent toujours mouvant qui ne cesse de remodeler notre vision de ce passé. L'investigation des matériaux peut être aussi tatillonne, révérencieuse et « ascétique » qu'on voudra, la synthèse qu'en tirera l' « Histoire monumen- taie » sera faite pour l'édification d'une Histoire contem- poraine. Nietzsche a en quelque sorte déplacé la notion d'objectivité de l'objet — l'événement tel qu'il fut — sur le sujet qui l'interprète dans son hic et nunc et en fonc- tion de ce hic et nunc : « On pourrait imaginer une façon d'écrire l'histoire qui ne contiendrait pas une parcelle de commune vérité empirique et qui pourrait pourtant prétendre au plus haut degré à l'objectivité. » Et, plus récemment, Walter Benjamin écrit : « Toute image du passé par laquelle le présent ne se sent pas "concerné" menace de disparaître sans retour », et encore : « Le site de l'Histoire n'est pas le temps homogène et vide, mais le temps investi par l'actualité du maintenant ( Jetztzeit). »14 L' « objectivisme » d'un Fustel de Coulanges ou d'un Renan vise enfin à la mise entre parenthèses totale du sujet interprétant. « Etre simplement vrai, être ce que sont les choses elles-mêmes, n'être rien de plus qu'elles, n'être rien que par elles, comme elles, autant qu'elles », s'écrie Thiers Ces positivistes ont pour modèle et idéal les sciences de la nature. Hannah Arendt s'attaque à leur illusion en montrant que l'objectivité, dans la mesure où elle n'est pas seulement « neutralité », abstention de tout jugement, mais se veut « non-intervention » du sujet dans le domaine de l'objet, repose sur un malentendu. En effet, les sciences de la nature elles-mêmes apparaissent bien aujourd'hui pour ce qu'elles ont été depuis des siècles, à savoir (re)créatrices de leur objet; depuis leur essor, marqué par le passage de l'observation à l'expérimenta- tion, elles ne saisissent les phénomènes matériels que dans des conditions soigneusement prescrites, et affectées par la présence de l'expérimentateur. Répondant à une question posée par l'homme et pour l'homme, elles ne sont pas moins « anthropocentriques », en ce sens, que la recherche historique. Cette recherche, ajoute Arendt, rencontre désormais les sciences exactes sur le terrain de la « tech- nologie », dont ni l'Histoire ni surtout les disciplines qui la soutiennent (démographie, économétrie, géologie, climatologie, etc.) ne sauraient se passer, et qui, toute grossière qu'elle soit encore au service des sciences humaines, met en lumière la part de la « manipulation » dans leur enquête « Il n'y a pas de faits en soi », avertissait Nietzsche; « ce qui arrive est un groupe de phénomènes, choisis et groupés par un être qui les interprète (...) Il n'y a pas d'état de fait en soi, il faut au contraire y introduire d'abord un sens avant même qu'il puisse y avoir un fait » Idée qu'un Lucien Febvre ne renierait pas, pour qui le « fait » est postulé afin de rendre compte des documents et monuments en notre possession mais dont Michel de Certeau a radicalement développé les implications Il ne s'agit donc plus seulement de reconnaître la pluralité des sens assignables à un objet, mais la priorité d'un sens quelconque par rapport à l'objet, sens dégagé par l' « opé- ration historiographique », qui repose sur trois para- mètres : le « lieu » d'où parle le chercheur — assemblées savantes du XVII siècle, académies du XVIII universités du XIX et du XX autant de cercles qui lui fournissent au cours des âges un public, une problématique et un langage, et où se laisse le plus aisément cerner son « idéo- logie » des « procédures » d'analyse, dont je vais ici dire un mot; et une « écriture », que nous retrouverons plus loin. « Faire de l'Histoire », dit M. de Certeau : je notais plus haut que l'Histoire, qui traite du « faire » social, est elle- même un faire social; pour rester scientifique, insiste de Certeau, elle doit s'interroger sans lassitude sur son faire propre. Cette praxis joue entre le « donné » et le « créé »; si l'on appelle « nature » un ensemble formé à la fois d'éléments naturels (cailloux, plantes, microbes, voire glaciers) et d'artefacts sociaux (outils, vêtements, déchets, registres administratifs, éventuellement traités d'Histoire), on dira que l'Histoire « artificialise la nature », qu' « elle fait accéder à la symbolisation littéraire les transformations qui s'effectuent dans le rapport d'une société à sa nature », et procède ainsi « à un déplacement de l'articulation nature/culture ». Le « document » déjà apparaît comme le résultat d'une « nouvelle répartition culturelle », qui « dénature » les choses en en modifiant la place et le statut; « le matériau est créé par les actions concertées qui le découpent dans l'univers de l'usage (...) et qui le destinent à un réemploi cohérent » Les mots d' « arte-fact » et d' « arti-ficialisation », qui abondent dans le texte de M. de Certeau, soulignent bien le rôle du « faire » (facere), qu'il s'agisse de faire l'Histoire ou de faire de l'Histoire. Ce n'est pas non plus par hasard que l'auteur choisit une métaphore ouvrière — l' faber persiste dans l' historicus — pour décrire le développement de l'opération historiographique : « transformant d'abord des matières premières (une information primaire) en produits stan- dard (information secondaire), elle (les) transporte d'une région de la culture (les « curiosités », les archives, les collections, etc.) à une autre (l'histoire) », où ils s'insèrent dans un savoir ou plus exactement dans un champ de questions spécifique Celui-ci n'a plus pour but, comme au XIX siècle, de mettre à jour le sens caché des documents et de restituer à partir d'eux le « réel » évanoui; l'ancienne interprétation (établissement de relations causales et éventuellement de « lois » historiques) est remplacée par la formulation de « modèles » d'intelligibilité, construits à l'aide de l'ordi- nateur et dans le cadre desquels l' « objet historique », entièrement constitué par sa définition, devient une sorte de simulacre, et le « fait historique » « la désignation d'un rapport », étant « tout entier relatif à une combinatoire de séries rationnellement isolées dont il sert à marquer tour à tour les croisements, les conditions de possibilité et les limites de validité » Les modèles de l'historien sont non pas « vérifiables » (par confrontation avec un référent) mais continuellement « falsifiables » : amateur de la singularité (biographie, rareté archéologique) et curieux de l'exception (péripétie économique, mode aberrante), bref attaché à toutes les formes du nom propre et de l'hapax, l'historien travaille sur les « limites » des modèles et s'attache à mettre en évidence des « écarts » signifi- catifs qui en permettront l'affinement et la rectification Et comme ces modèles sont largement empruntés aux autres sciences (sociologie, économie, psychologie, etc.), ils en assurent à leur tour le contrôle et la critique. Ces spéculations métahistoriques mettent en perspec- tive les postulats de l'historiographie du XIX siècle — postulats qui affectent aussi le roman de l'époque, même exhaussé en Littérature. Le roman contribue d'ail- leurs lui-même, largement à son insu, à les déconstruire, notamment celui du réalisme; car il est par définition, encore plus nettement que les documents et l'objet histo- rique qu'ils dégagent, arte-fact, produit artificiel, mieux : produit artistique, c'est-à-dire non seulement fait par l'art mais faisant de l'art. Il ne peut se contenter de gérer des « faits », qu'il s'agisse des « hauts faits » célébrés par les vieux chroniqueurs, des « petits faits vrais » recencés par les historiens romantiques ou des « facteurs » statis- tiques que traquent les spécialistes d'aujourd'hui : il génère de la « fiction », faire en acte qui rappelle que le « fait » n'est jamais, lui aussi, que l'accompli d'un faire — d'un faire contemporain, et d'un faire rétrospectif et réflexif qui le consacre

L'approche métahistorique nous rappelle en parti- culier que l'Histoire-temps, support sinon objet de

l'Histoire-discipline — et du roman traditionnel —, est façonnée par son aperception. Pas plus que les conceptions cycliques ou « statiques » (mobilisées par les occurrences

individuelles) prépondérantes dans l'Antiquité, le schéma linéaire ne va de soi, qu'on le rattache à la doctrine judéo-

chrétienne où un événement (Création, vie et mort du Christ) fonctionne comme origine, ou, plus justement sans doute, à ce moment de la fin du XVIII siècle où un

événement (la vie et la mort du Christ) devient le « pivot » d'une Histoire désormais sécularisée et ouverte sur un

double infini, passé et futur et que ce temps linéaire

constitue, comme dans les philosophies de l'Histoire du début du XIX siècle, Hegel en tête, le fil conducteur du devenir ou, comme dans l'historicisme postérieur, le milieu passif, sans détermination concrète ni armature théorique, où s'additionnent les événements comme des perles sur un fil. Alors que le temps historiographique se révèle aujourd'hui multiforme, éclaté — focalisation sur le moment-crise chez L. Febvre, superposition des rythmes événementiel, conjoncturel et de longue durée chez Fernand Braudel, et partout discontinuité —, il apparaît au XIX siècle comme « une série de discontinuités décrites sur le mode du continu, qui se trouve être tout naturelle- ment le récit » Ainsi est mise en lumière la collusion d'un concept clé de l'Histoire — le temps — et d'une écriture commune à l'Histoire et à l'histoire; de ce concept du reste le Roman, qui joue du décalage entre temps ou pseudo-temps de l'action et temps de l'écriture, connais- sait depuis toujours, sans la connaître, la part de fact-icité. C'est évidemment au niveau de l' « écriture », qui est bien plus qu'une question de « style », qu'Histoire et histoire se rapprochent le plus. Science humaine, l'his- toriographie ne dispose pas d'un langage formalisé, ce qui pose avec acuité le problème de sa terminologie; et, plus que les autres sciences humaines, elle souffre du manque d'une « forme » propre, et de l'attraction traditionnelle de son homonyme, l'histoire. Une tension se dessine alors entre son pôle « recherche » et son pôle « exposé ». L'historiographie reste un discours mixte : attirée vers la rigueur de la loi ou du syllogisme, mais happée par la narrativité, qui la déporte vers la fiction; l'exigence causale (le propter hoc) flirte avec la successivité (le post hoc), la vérifiabilité statistique avec la vraisem- blance, etc. M. de Certeau constate que, alors que la recherche est par nature « interminable » et « lacunaire », qu'elle travaille même à reculer les limites et à sonder le manque, l'exposé tend à se refermer sur le « tout » d'une œuvre autarcique, sémantiquement pleine. Une dualité sup- plémentaire fissure d'ailleurs cette œuvre illusoirement close : car elle juxtapose, au « récit » proprement dit, en notes ou en appendices, tout un apparat de « citations » documentaires, dont la nature « référentielle » a pour fonction d'authentifier le discours, mais qui se trouve en fait subordonné à ce discours, de part en part resé- mantisé par lui Ces partages, particulièrement aigus aujourd'hui, exis- tent depuis que l'Histoire a cessé d'être littérature. Cessé d'être littérature ? Certains en doutent fort. Tout en maintenant le réquisit référentiel, notamment au niveau de l'érudition préalable, Paul Veyne affirme dans Comment on écrit l'Histoire que l'Histoire est « art » et ne devien- dra jamais science, même humaine; « simple description sans méthode » sinon sans topique, elle se contente d'éla- borer des « intrigues » plurielles; « une théorie n'est qu'un résumé d'intrigue », et expliquer revient à expli- citer Mais le plus ferme tenant de cette position est sans doute Hayden White, qui définit l'ouvrage d'His- toire comme « un discours en prose narrative se donnant pour le modèle ou l'image de structures et d'événe- ments passés, en vue d'expliquer ce qu'ils furent par le biais de leur représentation » En même temps qu'il dénonce, derrière l' « esthétisme » de l'historien professionnel, ce détachement apte à tout comprendre et à tout par- donner, et dans son culte du « bon sens », également méfiant des théories et des billevesées, une position idéo- logique (le conformisme bourgeois de l'intellectuel), White accuse son « anti-rhétorique » ; ce style « moyen », à équi- distance du jargon technique et de la poésie, qui se généra- lisa lorsque l'Histoire voulut se rapprocher de la science en se démarquant de la fiction, est encore, dit-il, une rhétorique Loin d'être le « miroir » des événements, le récit historique se présente selon White comme une vaste « métaphore », en ce qu'il suggère une relation de simili- tude entre ces événements, à jamais absents, et certaines formes littéraires conventionnelles qui permettent de leur associer des images et des valeurs symboliques. Puisant dans les événements pré-encodés des chroniques, l'histo- rien — l'historien du XIX siècle surtout — compose une « histoire » qui, pour être reçue comme intelligible, doit se plier à l'un des paradigmes en vigueur : à partir des mêmes matériaux, mais triés, regroupés, exploités diffé- remment, Michelet raconte la Révolution française sur le mode du « drame » romantique, Tocqueville sur celui de la « tragédie », Burke de la « satire », chacune de ces structures étant l'expansion d'un trope dominant (synec- doque, métonymie, ironie respectivement). Que l'histo- riographie dépende si largement des figures et des genres qui régissent normalement la fiction ne l'empêche pas de transmettre un « savoir » plus spécifique que les informa- tions d'ordre sociologique qu'elle comporte également; car « l'encodage des événements selon l'une ou l'autre de ces catégories est l'un des moyens dont disposent les cultures pour conférer un sens au passé, collectif et personnel »; la reconnaissance de l'histoire inhérente à l'Histoire fait au lecteur l'effet d'une explication : « Nous ne pouvons connaître le réel que par comparaison avec l'imaginable. » Que le récit soit en lui-même un instrument cognitif est la prémisse de Louis Mink, selon qui, à mi-chemin entre les lois scientifiques et l'éparpillement des descriptions parti- culières, la « cohérence » narratologique vaut comme éclaircissement. Le narratologique est si prégnant en Histoire, estime-t-il, qu'il a glissé de l'Histoire-discours à l'Histoire-diachronie : la présupposition de l'historio- graphie — de l'historiographie « classique » s'entend — est que le temps déroule déjà une « histoire », qui pointe, toute faite, dans les documents et qu'il appartient au chercheur de découvrir, d'expliciter mais non pas, comme au romancier, de construire Organisée autour d'un thème central, cette histoire ne fournit pas une intrigue détaillée mais plutôt un canevas, où la diversité des peuples et des âges fait jouer des « possibles narratifs », et où doivent se réinsérer toutes les études locales. En fait, et au contraire des œuvres de fiction, autonomes et auto- téliques, ces dernières devraient, si elles étaient fidèles au texte sous-jacent, se compléter et s'agréger impeccable- ment les unes aux autres Mais, plus encore que la variété de leurs approches et de leurs interprétations, leur « narra- tivité » même y fait obstacle, qui tend vers une forme close, dotée d'un incipit et d'un excipit bien définis. Dans cette perspective, l' « événement », qu'à la diffé- rence des sciences l'Histoire n'est jamais parvenue à déli- miter de façon satisfaisante — y a-t-il une unité événe- mentielle élémentaire ? jusqu'à quel point les événements peuvent-ils s'agglomérer en événements d'ordre supé- rieur ? —, l'événement se révèle pour ce qu'il est : non point la matière brute à partir de laquelle s'édifie un pattern historiographique, mais au contraire un élément prélevé sur ce pattern et entièrement déterminé par lui. Il n'y a d'événement que « décrit », remarque Mink, et plusieurs descriptions pour un événement — par exemple la Révolution française — selon l'ampleur de la séquence englobante — Histoire de France, chronique de la Révo- lution et de l'Empire, analyse de la Terreur, biographie de Robespierre... Même si la recherche actuelle tend à abandonner l'a priori d' « une » histoire universelle, elle continue donc à dégager « des » histoires, et il importe de réviser l'opposition conventionnelle Histoire (vraie) - fic- tion (fausse). De la réviser, mais non de l'abroger : car chaque terme a besoin de l'autre comme repoussoir; « si la dis- tinction disparaissait, la fiction et l'Histoire retomberaient toutes deux dans le mythe, et se confondraient en lui » Sans m'arrêter pour l'instant sur la question du« mythe», envers magmatique de l'Histoire et de l'histoire, je vou-, drais, pour terminer cet examen du « récit » historique, scruter son rouage essentiel : le verbe, sous l'angle du temps d'abord, puis de la personne. Le temps du récit considéré dans son rapport complexe au temps diachro- nique, nous fait mettre le doigt sur une nouvelle contra- diction entre investigation et écriture historiques : alors que la première remonte d'un questionnement présent vers le passé, la seconde, partant de la date la plus reculée, se rapproche graduellement de ce présent, qu'elle rejoint d'ailleurs rarement. De Certeau repère en cette écriture deux non-dits parallèles : le point-zéro de la chaîne chrono- logique, « référence initiale et insaisissable, condition de possibilité de son historisation » et vecteur de son orienta- tion; et surtout le moment de l'énonciation, qui, condition de production de l'énoncé, est abusivement posé comme l'au-delà, l'à-venir de cet énoncé36. De l'insondable archè je dirai que, depuis que l'origine absolue du temps linéaire s'est muée en charnière relative, elle ne relève plus des préoccupations historiques mais proprement du Mythe (et du mythe historique). Quant à l'inversion du nunc scriptural de termine a quo en termine ad quod, elle vise à retirer l'exposé du temps qui passe, qui est en train de passer : l'énoncé va nous enfermer dans un « révolu » coupé de toute urgence et figé, cependant que l'énoncia- tion, dont l'urgence est déniée, se rétracte dans un hors- temps olympien. Emile Benveniste a répertorié les procédés linguistiques sur lesquels repose cette manœuvre, cet arrachement du passé (énoncé) au contemporain (énonçant) Ce qu'il appelle justement « histoire », et qui recouvre d'ailleurs aussi bien les récits d'imagination que les comptes rendus factuels, n'utilise de temps verbaux que le passé simple, l'imparfait et le plus-que-parfait; en sont bannis les temps prévalant dans le « discours », présent, passé composé, futur. Cette distinction a fait école, et Harald Weinrich la reprend et l'approfondit sous les termes de « récit » et de « commentaire » : le premier détache les faits évoqués de l'actualité de l'allocution, le second au contraire les saisit en fonction de cette actualité Mais bien sûr, même refoulée comme « temps existentiel » dans le souci de ne pas compromettre le « temps historique », cette dernière reparaît sous la forme abstraite, entièrement textualisée du « temps de la narration », toujours discordant par rapport au temps historique « narré », qu'il condense, étale, désarticule, brise... Le dualisme histoire-discours entraîne d'autres clivages, en particulier au niveau des pronoms personnels. « Je » et « tu », outils de l'allocution, sont interdits d'histoire, où « il » règne seul. Contrairement aux deux premières per- sonnes, dont la « réalité » se confond avec l'énonciation (« je » est la personne qui dit « je »), la troisième correspond à une « absence de personne » : « Personne ne parle ici; les événements semblent se raconter d'eux-mêmes. » Elle désignera donc particulièrement bien les morts de l'Histoire, ou les êtres de papier des histoires. La constitu- tion d'une « Histoire » totalement coupée du « discours » et de son support personnel est relativement récente. Laissons de côté les cas où l'historien est ou a été acteur historique (généraux de l'Antiquité, chroniqueurs du Moyen Age, mémorialistes) et où le « je » énonciateur se double d'un « je » — ou d'un « il » césarien — énoncé. Au XVIII siècle, l'historiographe n'hésite pas à émailler son traité de remarques et de jugements qui le mettent en communication directe avec son lecteur, « en marge » de l'action relatée; à la même époque, dans les romans de Diderot ou de Prévost, le narrateur fait volontiers intru- sion au milieu de ses personnages. L'écrivain de la fin du XIX siècle par contre s'efface derrière cette action, véridique ou inventée, qui se profère pour ainsi dire spontanément, entretenant le fantasme d'une objectivité parfaite chez le savant, et la mystification de la « tranche de vie » chez le romancier. Il faut réserver, dans la pre- mière moitié du XIX siècle, le cas d'un certain travail romantique, prodigue d'un « je » lyrique et fortement historisé qui s'évertue à se situer, non plus « à côté » ni invisiblement « au-dessus », mais en quelque sorte « dedans », par un effort de sympathie avec le monde représenté : Michelet évidemment, à l'époque où Balzac, secrétaire peu discret de la société française, fait constam- ment sentir sa présence dans La Comédie humaine. Mais on sait que l'historiographie positiviste va dura- blement s'imposer, en même temps qu'un durcissement du réalisme. Le « je » du chercheur se trouve alors relégué en préface, dans la mention des sources d'information ou dans la « régie » du discours, afin de ne pas contrevenir à ce que Barthes appelle le « fétichisme du réel ». Ce dernier repose sur l'accumulation nue de « petits faits vrais » et sur un mécanisme sémiologique particulier La conclu- sion — paradoxale — que tire Barthes de l'analyse de ce mécanisme et de l' « énonciation privative » qu'il implique est que « le discours historique est un discours performatif truqué », dans lequel le constatif est l'envers de « l'acte de parole comme acte d'autorité » Notons que le « performatif » rétablit la prépondérance du sujet parlant, détenteur de l'autorité parce qu' « auteur », et aussi du « faire », puisqu'il assimile parler à agir; son émergence ébranle l'idée reçue d'une « autorité » en raison inverse de l' « auctorialité », et d'un faire d'autant plus efficace que caché derrière les faits. Enfin, elle réintroduit le récepteur, partenaire essentiel dans cet usage du langage. Barthes ne distingue pas entre Histoire et histoire, l'Histoire étant prise comme une instance superlative d'histoire réaliste. Reste que, même si les deux « écritures » ont beaucoup en commun, l'image des « écrivains » est assez différente. Au plan de leur statut personnel d'abord : collaborateur d'une entreprise collective (l'Histoire au singulier), l'érudit doit s'effacer en tant qu' « homme », au lieu que l' « homme de lettres », faiseur parmi d'autres d'histoires plurielles, peut revendiquer son nom, ses préférences, ses idiosyncrasies. Mais c'est l'image de l'écrivain « programmée » dans le texte (l' « écrivant ») qui offre le critère discriminatoire le plus satisfaisant, et qui explique que le « pacte de lecture » historiographique, qui nous fait recevoir certains récits comme véridiques et tenir le magistère de certains auteurs pour fondé en fait, mieux, fondu dans les faits, se distingue profondément du pacte de lecture romanesque. Cette image — qui ne recoupe pas la réalité existentielle de l'intellectuel — est une dans le cas de l'historien, scindée dans celui du romancier, montre Paul Hernadi L'historien (positiviste) doit n'être qu' « auteur », plus précisément que « scribe » : simple instrument de trans- mission entre les événements et le lecteur. Le romancier par contre dégage, à côté de l' « auteur » qui organise l'histoire, un « scripteur » qui fait partie de l'histoire, qui y croit comme l'historiographe croit à l'Histoire, et peut même y trouver une incarnation, en première ou en troisième personne. « Auteur » et « scripteur » ne coïn- cident jamais, même lorsqu'il y a emprunt d'une formule autobiographique ; leur distance est manifeste dans le ro- man historique, puisqu'elle se répercute en distance tem- porelle. Si une dualité se dessine chez l'historien, elle ne pourra être qu'entre l' « auteur» programmé et l' « homme » impliqué dans une Histoire contemporaine et/ou empêtré dans une écriture, et entamera la confiance du lecteur, tou- jours en droit et en devoir de critiquer l'expert. Le roman- cier ne court pas ce risque, sauf auprès de la critique : l'amateur de fictions n'a pas à prendre en compte les pré- jugés et les engagements de l'homme de lettres; mais il ne cesse de balancer, dirai-je, entre le rôle d'identification que lui propose le scripteur et qui le « fictionnalise » lui-même, et la tâche d'appréciation proprement littéraire (concernée par l'idéologie ou les fantasmes « textualisés »), à laquelle le convie l'auteur.

En somme, proches par leur caractère d'artefacts, l' « art » oscillant ici du pôle techno-scientifique au pôle artistique, Histoire et histoire le sont plus encore en tant qu'écriture, même si celle-ci est traditionnellement reçue tantôt comme contribution à l'enregistrement ininter- rompu du « réel », tantôt comme seul constituant et seule justification d'une œuvre finie, et si par conséquent les images des deux types d'écrivains ne concordent pas. La proximité maximale des deux activités s'affirme, au XIX siècle, juste avant qu'elles ne divergent définitive- ment, dans le « roman historique ». Roman historique : syntagme articulant deux lexèmes de dignité inégale, l'un — le « roman » — substantif et fondamental, l'autre — « historique » — adjectif et subordonné, mais conférant à la fiction un label de sérieux. Roman historique : alliance étroite et tendue, qui alimente des théories génétiques opposées — l'Histoire a-t-elle engendré le Roman ? Le Roman a-t-il engendré l'Histoire ? Histoire et Roman se sont-ils constitués à partir du roman historique roman- tique ? — et suscite les jugements les plus contradic- toires : genre sérieux, ou « populaire », léger ? difficile à pratiquer, puisque exigeant des recherches et des analyses, ou bien aisé, si l'intrigue se trouve toute faite dans la chronique ? Supposant chez l'auteur et le récepteur un bagage culturel commun, secoue-t-il des préjugés, ou les renforce-t-il ? Est-il destiné à instruire, ou à plaire et à faire rêver ? Nous détache-t-il de notre présent, ou nous le fait-il voir avec plus d'acuité ? Nous incite-t-il à la passivité ou à l'action ? Sans trancher entre l'excès d'honneur et l'indignité accordés au roman historique au cours des ans, je me demanderai pourquoi, parmi toutes les histoires, le « Roman » a cette affinité marquée avec l'Histoire. Affinité datée — car Histoire et Roman sont « historiques » en ce sens également qu'ils sont pris dans un moment parti- culier de la diachronie. C'est dans la première moitié du XIX siècle, disons entre 1815 et 1848, alors que l'Histoire conquiert son statut épistémologique et que le Roman, genre longtemps considéré comme « mineur » et réservé aux femmes, mineures à vie, arrive à maturité, que le roman proprement historique connaît lui aussi, dans le sillage de Walter Scott, un épanouissement spectaculaire — jusque-là, les romans à thème historique s'intéressaient d'abord à leur Histoire contemporaine, qui colorait large- ment l'Histoire passée. Si un certain type de roman peut alors s'affirmer « historique », c'est qu'Histoire et Roman ont divergé; mais peut-être en sont-ils à ce stade de leur émancipation où l'on a besoin d'un soutien — le meilleur soutien étant celui qui grandit en même temps que vous et s'écarte graduellement pour vous laisser vous déve- lopper « contre » (au contact de et en réaction à) lui. Le roman historique remplit ce rôle auprès des historiogra- phes romantiques, qui l'invoquent abondamment avant de le renier comme frivole, et des écrivains de fiction, pour lesquels il aménage le paradigme réaliste. Pour préciser en quoi le Roman s'ouvre particulière- ment bien à l'Histoire, je ferai appel aux deux principaux mythes d'origine auxquels ce genre a donné lieu. Déve- loppant une thèse hégélienne, Georges Lukács voit en lui le fruit d'un abâtardissement de l'Epopée à une époque où la « prose capitaliste » a fait éclater la belle adéquation de l'essence et de l'existence, du cosmos, des dieux et de l'âme propre au monde grec, et où l'homme est ramené sur une terre qu'il lui faut conquérir de haute lutte, sans en deviner les destinations le Roman relatera la « quête », toujours insatisfaite, du Sens perdu et des anciennes alliances. Mikhaïl Bakhtine a une tout autre théorie. Pour lui, le Roman vient de la littérature populaire (atellanes, ménippée, fabliaux, soties...), foncièrement irrespectueuse des pouvoirs, des axiologiques et aussi des genres établis : par la diversité de ses points de vue il démasquera tous les efforts de totalisation, et par son matérialisme impé- nitent toutes les idéalisations Remarquons que, référé à des archétypes antithétiques, le Roman n'a aucune origine sûre. Dégradation du genre « noble » par excel- lence ou émanation des genres « bas », roturier de toute façon, il balance, comme la bourgeoisie dont il est histori- quement solidaire, entre deux repères qui seuls peuvent se prévaloir l'un d'un « classicisme », l'autre de l'authenticité d'un Volksgeist. Pris entre ces repères, le Roman paraît affecté d'aspira- tions chronologiques contradictoires : première matière à réflexion. Il nourrit chez Lukács la nostalgie d'un Passé légendaire, il est lié chez Bakhtine à une « actualité » dont il partage l'instabilité, et qui lui permet de « contempora- néiser » parodiquement, et par là de renouveler, les défi- nitions institutionnelles ou esthétiques figées. Dans les deux cas cependant le Roman s'affirme comme le plus « temporel » de tous les genres, par le contexte « chaud » de sa production — je vais y revenir — ainsi que par la structure des histoires qu'il relate. Pour ce qui est du dernier point, « roman de la quête » et « roman de la désillusion » impliquent chez Lukács l'épreuve du temps tandis que le roman dialogique de Bakhtine, moins dépendant des schèmes linéaires, joue sur l'opposition moderne-désuet et sur les ressources du « changement », à la fois destructeur et fécond. Le Roman se démarque ainsi et de l'Epopée, qui postule un Temps mythique, des actions qui sont depuis toujours des accomplis, des héros qui n'admettent pas de maturation, et (plus que ne le veut Bakhtine) des formes folkloriques, aux figures « immor- telles » et aux métamorphoses toujours réversibles. S'il les emprunte, le Roman — du moins le roman réaliste traditionnel — doit incorporer ces schèmes dans un dérou- lement narratologique « ouvert », au rythme et au suspens savamment mesurés, et en outre les « situer » dans une Histoire extra-diégétique qui est aussi celle, contemporaine ou passée, du romancier et de son public. La prégnance de cette Histoire nous amène à la question de la « production » textuelle, laissée en suspens. Le romancier du XIX siècle a lui-même fortement conscience d'être « situé », d'être enfant du siècle. Et il revendique du coup son « originalité ». Or l' « original » s'oppose à la périodicité des genres carnavalesques, liés aux fêtes récurrentes ou aux rites saisonniers, et surtout à l' « ori- ginel » hiératisé dans l'Epopée : l'original, c'est l'origine déplacée à la pointe de l'Histoire contemporaine, et différant continuellement d'elle-même. L'écrivain sait du reste qu'une fois parcourue, consommée, son œuvre perdra cet attrait essentiel de la nouveauté. Aussi le problème de la transformation, voire de la survie du genre, problème que la Geste et le folklore, pourtant mortels et morts, ont ignoré, émerge-t-il bien avant le XX siècle — Balzac déplore déjà qu'il ne lui reste plus rien à dire ! Lukács voue le Roman, comme la bourgeoisie, à dégénérer et à s'exclure de l'Histoire, alors que Bakhtine, qui lui attribue la vitalité du peuple, lui confie le devenir de la littérature. L'incidence du temps sur le Roman, à tous ses niveaux, le noue donc solidement à l'Histoire-diachronie, et l'amè- nera nécessairement à rencontrer l'Histoire-discipline. Or le rapport de cette Histoire au temps se modifie depuis les années 1780. Plus que les changements technico- économiques, qui interviennent sourdement, les grands bouleversements du tournant du siècle, Révolution fran- çaise, guerres européennes, montée des nationalismes, arrivée au pouvoir de la bourgeoisie, provoquent une violente prise de conscience de l'importance de ce facteur et des brutales mutations qu'il comporte. Le temps ne peut plus être, comme à l'âge classique, une abstraction coupée du vécu de l'historien et de son lecteur, le support d'un spectacle dont on contemple avec détachement l'ordre, l'agencement ou l'absurdité selon que l'Histoire se fige en Destin providentiel ou dynastique, se résout en leçon de politique ou de morale, se dégrade — vision commune au XVIII siècle — en amas de crimes et de superstitions, s'émiette en « petites causes » contingentes. L'homme du début du XIX siècle, ou plus exactement le bourgeois, s'est découvert faiseur et fauteur d'Histoire ; son « actualité » a partie liée avec ses « actes », et cette Histoire contemporaine, branchée sur un futur, va chercher à se connecter à une Histoire significative. Histoire qui ne pourra être celle, monarchique, aristocratique et guerrière, recensée dans les ouvrages d'antan, brusquement relati- visés : il faudra réorganiser l'héritage, l'approprier aux classes régnantes et à leur idéologie, et par là les légitimer; il faudra, en uniformisant et en stylisant ce patrimoine, renforcer le précaire consensus national, auquel l'Histoire- discipline proposera comme nouveau mythe fondateur l'Histoire elle-même — l'Histoire-temps. Ce temps ne sera donc plus le cadre statique, le topos où l'on rangeait jusque-là des hauts faits plus ou moins paradigmatiques, ou de petits faits sans lien intime les uns avec les autres. Il a acquis une valeur et une saveur spécifiques. Il alimente une causalité inédite, non simple- ment mécanique mais « organique » ou « expressive » Et le progrès qu'il sous-tend n'est plus schématiquement linéaire, comme celui que vantaient les des Lumières — le faisant volontiers partir de leur siècle éclaité : il est « développement » ou « extériorisation », et par conséquent graduel et heurté et il ébranle jusqu'aux périodes les plus ténébreuses, dont se détournaient les classiques. L'Histoire abandonne alors les objectifs extrin- sèques qu'elle s'assignait aux siècles précédents, pragma- tiques, pédagogiques (Fénelon), apologétiques (Bossuet), de propagande philosophique (Voltaire, Condorcet)... C'est elle au contraire qui investit maintenant toutes les disciplines. Modelée sur le biologique dans ses schémas organicistes, elle sert en retour de grille à l' « Histoire » naturelle, celle des hypothèses évolutionnistes ; elle marque la philologie et l' « Histoire » littéraire, la philosophie, qui pour Hegel se confond avec une philosophie de l'Histoire et pour son vulgarisateur Victor Cousin avec l'Histoire de la philosophie, la politologie (Marx n'est pas loin); elle stimule les sciences qui la servent, archéologie, épigraphie, etc., tandis que les sciences découvrent et explorent leurs Histoires respectives. Discipline historique et Roman (historique) se rejoi- gnent donc par le biais de la diachronie, qui marque leur présent du sceau de l'urgence, et dont en retour ils repré- sentent l'écoulement. Mais c'est par cette re-présentation qu'ils divergent aussi notablement. Car là où l'ouvrage savant décrit le révolu abstraitement et à distance, la fiction le « présentifie ». Le premier ne parvient jamais vraiment à cacher qu'il travaille a posteriori, remontant de « notre » présent à un passé quelconque et de là au passé antérieur des causes; la seconde, se plaçant délibéré- ment au moment de l'action, feint sans mal de suivre les séquences événementielles au fil des incertitudes et des projets de personnages pourvus d'un « futur » indéter- miné. De sorte qu'en plus de « faits » reconnus comme tels, le roman historique regorge de « faits divers » savoureusement quotidiens et joue ou prétend jouer de « possibles », qui, exclus les uns et les autres des traités didactiques, nous permettent de mieux saisir comment les hommes du passé vivaient ce qui pour eux était un présent, c'est-à-dire un mélange de connu et d'inconnaissable, de inaccessible en soi), elle évacue à son côté le « signifié », médiation sémiologique essentielle, support des structures imaginaires, afin de se retrouver avec un système à deux termes, le référent et le signi- fiant — le réel et sa copie. Seulement, les « petits faits vrais », où le signifiant est supposé coller au référent, ne font vrai que parce qu'ils dégagent en fait un nouveau « signifié », de connotation cette fois : ce « réel » précisément que, sous couleur de dénoter, « ils ne font que (...) signifier, ne cessant de répéter c'est arrivé » (ibid., p. 165). 41. En effet, « la confusion (illusoire) du référent et du signifiant définit, on le sait, les discours sui-référentiels, tel le discours performatif » (Barthes, op. cit., p. 165. Souligné par l'auteur). 42. Clio's Cousins : Historiography as Translation, Fiction, and Cri- ticism, New Literary History, VII, 2, 1976, p. 247-257. Les distinctions de Hernadi — dont je n'ai pas conservé la terminologie — seront reprises au chapitre 4, pour l'examen de la narration romanesque. 43. Sur le premier point, cf. Georges May, L'Histoire a-t-elle engendré le roman?, Revue d'Histoire littéraire de la France, avril-juin 1955, p. 155-176. La troisième hypothèse est en gros celle de Louis Mai- gron, Le Roman historique à l'époque romantique, Paris, Hachette, 1898. Jean Molino récuse cette problématique génético-téléologique; « roman et histoire se mêlent et se fécondent à chaque instant, indé- pendamment des frontières que nous nous croyons, hier ou aujour- d'hui, autorisés à décrire comme intangibles » (Qu'est-ce que le roman historique?, Revue d'Histoire littéraire de la France, mars-juin 1975, p. 213). Sans doute a-t-il raison de signaler qu'en tant que « macro- genre », le roman historique se rencontre déjà au Moyen Age, et appartient à tous les continents. Mais il est indéniable que ce « micro- genre », le roman historique européen du XIX siècle, en est une cristallisation privilégiée. Claude Duchet en montre les ambitions — « orner l'Histoire, prouver l'Histoire, être l'Histoire » —, les conditions de lisibilité et les difficultés dans L'Illusion historique, l'enseignement des préfaces (1815-1832), ibid., p. 245-267. 44. « Le roman est l'épopée d'un temps où la totalité extensive de la vie n'est plus donnée de manière immédiate, d'un temps pour lequel l'immanence du sens à la vie est devenue problème mais qui, néan- moins, n'a pas cessé de viser à la totalité » (La Théorie du roman, trad. J. Clairevoye, Genève, Gonthier, 1963, p. 49). 45. Cf. Mikhaïl Bakhtine, Epopée et roman, Recherches internationales à la lumière du marxisme, 76, 1973, p. 5-39, ainsi que le recueil de textes traduits et commentés par Tzvetan Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, Paris, Seuil, 1981, p. 131-143. Il faut noter que l'objet d'étude de Bakhtine est d'abord le « roman » de la fin de l'An- tiquité et le « roman » de la Renaissance — à moins que, comme le suggère Todorov, « roman » désigne chez lui moins un genre qu'une catégorie transgénérique et transhistorique, voire une propriété du discours; aussi faudra-t-il faire la part, dans ses remarques, de ce qui peut s'appliquer au Roman tel que nous l'entendons et de ce qui caractérise surtout les paradigmes populaires. 46. Le temps, façon dont la vie résiste au Sens, est cependant ce qui donne au Roman son dynamisme et éventuellement lui procure, grâce à la puissance homogénéisante du « souvenir » et de l' « espoir », un ersatz de totalité mythique. 47. Où l'effet actualise ou déploie les potentialités en germe dans la cause. Cf. Louis Althusser, Lire « Le Capital », Paris, Maspero, 1967, II, p. 167-168. 48. Robert Nisbet sonde les métaphores du « développement » dans History, Sociology and Revolutions, in Jérôme Dumoulin et Domi- nique Moisi, éd., The Historian between the Etbnologist and the Futuro- logist, Paris-The Hague, Mouton, 1973, p. 105-125. 49. Sur la distinction entre le particulier et le spécifique, seul valable historiquement, cf. Veyne, Comment on écrit l'histoire, p. 63-84. 50. Chez Hegel, « l'individu de l'Histoire mondiale » (César, Napoléon), en avance sur son temps et sur la réalisation de l'Idée. 51. Michelet se vante de son constant effort pour « retrouver la per- sonnalité » (Histoire de la Révolution française, Paris, NRF-Gallimard, Pléiade, 1952, II, p. 995). Or « que d'hommes en un homme ! »; dans son livre, chaque figure marquante aura donc « toute une galerie d'esquisses, touchées chacune à sa date, selon les modifications physiques et morales que subissait l'individu » (ibid., I, p. 290). 52. Georges Lukács, Le Roman historique, trad. R. Sailley, Paris, Payot, 1965, p. 30-67. Le héros « moyen » de Scott ne détourne jamais notre attention de l'événement, qui a le pas sur lui. Lukács félicite aussi Scott de maintenir les « grandes personnalités réelles » à l'arrière- plan : ce ne sont pas elles qui expliquent l'Histoire. Vigny au contraire plaide en leur faveur dans la préface de Cinq-Mars, et la plupart des romantiques suivront sa pratique. Indiquons ici que Le Roman his- torique oppose, d'un point de vue marxiste, les débuts de l'ère indus- trielle, ouverts et innovateurs, où la bourgeoisie ne s'est pas encore figée sur ses possessions ni surtout aliéné les masses avec lesquelles elle a fait la Révolution, à la période d'après 1848, où cette même bourgeoisie confisque le soulèvement populaire, avant d'affronter directement le prolétariat sous la Commune. Lukács attribue à cette exacerbation de la lutte de classes le déclin du « grand » roman his- torique. Lié (même s'il la hait) à la bourgeoisie par son extraction et sa fonction, et désormais coupé des masses qui sont le vrai moteur de l'Histoire, le romancier historique d'après 48, oscillant entre une vision terrorisée et péjorante de la foule (hordes de Flaubert et de Zola) et un optimisme populiste d'aloi douteux, est incapable de comprendre de l'intérieur la dynamique sociale. Là où la « démons- tration artistique » de ses prédécesseurs évitait le double péril de la schématisation et de l'exhaustivité descriptive, lui monumentalise, ou bien s'égare dans une investigation psychologique anachronique et moralisante. Il finira par se réfugier dans le « pittoresque » : dans un exotisme tantôt mièvre, tantôt « barbare », tantôt pédant, et dans le culte narcissique de son art de « peintre ». Cf. ibid., p. 21-30 et 190-283. Ajoutons que si pour Lukács le roman historique, qui vise à évoquer la « totalité de la vie » par le biais d'événements et de figures « typiques », est plus proche de l'Epopée que le roman d'actualité, il ne se sépare pas essentiellement de celui-ci : né du roman social du XVIII siècle, il contribue au développement du roman réaliste du XIX et ne se sclérose en genre particulier que sous l'effet des cloisonnements imposés par l'idéologie bourgeoise décadente, qui, en même temps que l'individuel du collectif, isole le présent du passé. Le roman contemporain peut d'ailleurs être plus authentiquement « historique » que l'autre, la pression des circonstances faisant plus fortement contrepoids aux préjugés de l'auteur. Pour une interpré- tation critique de Lukács, voir Paul de Man, Blindness and Insight, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1983, p. 51-59. Et David Carroll, qui montre le lien entre l'idéalisme de La Théorie du roman et le matérialisme du Roman historique dans Representation or the End(s) of History : Dialectics and Fiction, Yale French Studies, 59, 1980, p. 201-229. son côté, dans son Historiographie romantique française, Reizov — pour qui la date charnière n'est plus 1848 mais 1830 — met en contraste une historiographie d' « avant », sympa- thique au peuple et expérimentatrice, et une d' « après ». Appuyée sur la Charte, précaire essai de réconciliation de la Révolution et de la monarchie, la première, largement libérale, sonde, réinterprète, voire réinvente tout un passé que la seconde, qu'elle soit républi- caine ou, plus souvent, réactionnaire, perçoit comme immobilisé, à une époque où la bourgeoisie semble définitivement installée au pouvoir. 53. Vigny, Réflexions sur la vérité dans l'art, Cinq-Mars, Œuvres com- plètes, Paris, NRF-Gallimard, Pléiade, 1948, II, p. 22. Et passage cité par Raymonde Debray-Genette, Flaubert : science et écriture, Lit- térature, 15, 1974, p. 43. 54. Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 215. 55. Cf. en particulier, L'Homme nu, Paris, Plon, 1971, p. 566. 56. Cette définition retrouve, en gros, les trois aspects, représentatif, affectif et pragmatique, distingués par Paul Ricœur dans l'article « Mythe : l'interprétation philosophique » de l' Univer- salis, Paris, 1968-1973, XI, p. 530-537. 57. Pour Barthes, le mythe (moderne) greffe sur un énoncé ordinaire (signifiant + signifié) globalement pris comme signifiant un signifié secondaire qui camoufle son caractère « culturel », contingent, sous un lien apparemment « naturel » avec le signifiant premier (Le mythe aujourd'hui, in Mythologies, p. 191-247). En d'autres termes, le mythe, qui est une « parole choisie par l'Histoire », « transforme l'Histoire en nature » (ibid., p. 194 et 215). On se souvient que le signifié de connotation du discours historique est, tout voisin de la nature, « le réel » ; dans les deux cas, un « système de valeurs » se travestit en « système de faits » (ibid., p. 217) : manipulation sémiologique qui est bien entendu une manœuvre idéologique. 58. Formule proposée par Hernadi, op. cit., p. 249. 59. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 309-314. Cf. aussi Claude Lefort, Sociétés « sans histoire » et historicité, in Les Formes de l'histoire, essai d'anthropologie politique, Paris, NRF-Gallimard, 1978, p. 30-48. Il est évidemment trompeur de parler de « peuples sans Histoire » : il y a seulement des peuples dont on ignore l'Histoire, et des peuples qui se désintéressent de leur Histoire parce que pour eux le passé, ou plutôt le Passé, imprégnant et solennisant toute la vie présente, ne saurait s' « objectiver » en souvenir détaché ou en matière à étude. Parmi ces peuples se comptent les anciennes communautés rurales de l'Europe, fondées sur une Coutume séculaire et quasi sacralisée; ainsi les campagnes de l'Ouest français, le monde du Vendéen et du chouan, avant la convulsion révolutionnaire. 60. Sur ce temps archaïque, « déréalisé » dans son aspect concret et pro- fane mais périodiquement « régénéré » au contact du Grand Temps (lié lui-même aux cycles naturels), et sur son contraste avec le temps irréversible, chargé d'angoisse, de l'homme moderne héritier d'une tradition judéo-chrétienne désormais dépouillée de sa dimension sotériologique, cf. Mircea Eliade, Mythes, rêves et mystères, Paris, NRF- Gallimard, 1957, p. 42-79, et Le Mythe de l'Eternel Retour. Archétypes et répétitions, Paris, NRF-Gallimard, 1969, p. 48-64 et 163-183. E. M. Cioran souligne l'incompatibilité entre l'éternité comblante du Mythe et notre « éternité négative » dans Histoire et utopie, Paris, Gallimard, 1960, p. 125-147. 61. Lévi-Strauss, L'Homme nu, p. 545. Sur la conjugaison d'atemporel et de temporalité dans le « récit » mythique, cf. Louis Marin, Utopi- ques : jeux d'espace, Paris, Minuit, 1973, p. 53-58 et 88-91. 62. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 315-323 (citation p. 321). 63. « Les formes typiques du mythe deviennent les conventions et les genres de la littérature » (Frye, Littérature et mythe, trad. J. Pon- thoreau, Poétique, 8, 1971, p. 497). Cf. aussi Myth, Fiction, and Dis- placement, in Fables of Identity, p. 21-38. Dans le premier article, Frye mentionne le mythe de la Littérature comme « ensemble ima- ginaire fermé » (p. 498), à mettre en rapport avec la mythologie comme ensemble plus ou moins bien intégré — et avec l'Histoire (universelle) comme système de faits concordants. On pourrait évidemment accuser Frye d'alimenter lui-même le mythe de la Lit- térature grâce aux taxinomies systématisantes d' of Criticism, où le « mythe » fonctionne principalement et un peu trop parfaite- ment comme point de départ et point de retour des « modes » lit- téraires. 64. Du mythe au roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1970, p. 7-10. 65. René Girard juge la littérature plus fidèle que le récit mythique à la dynamique culturelle profonde; le récit mythique masque la violence chaotique des commencements sous les « différences » qu'il établit, alors que la tragédie, par exemple, met en scène le type="BWD" premier, et l'émergence d'une victime émissaire seule à même de l'enrayer. Cf. La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, p. 95-101. 66. Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, p. 104. 67. De Certeau, op. cit., p. 58. Souligné par l'auteur. 68. Cf. Lefort, op. cit., p. 45. 69. Todorov, La Conquête de l'Amérique, la question de l'autre, Paris, Seuil, 1982, p. 114-115. 70. Pour un historique de l'ethnologie, qui se constitue beaucoup plus tard que l'Histoire mais comme elle par arrachement à la littérature, cf. Jean Poirier, Histoire de la pensée ethnologique, in Ethnologie générale, Encyclopédie de la Pléiade, Paris, NRF-Gallimard, 1968, p. 3-179. Et Furet, L'Atelier de l'histoire, p. 91-98. 71. Georges Gusdorf montre que peu après leur apparition, au XVI siècle, les sciences humaines, qui viennent de renoncer au préjugé théolo- gique et de découvrir la relativité des valeurs, proclament — au XVII siècle — un nouveau dogmatisme : celui de la Raison atempo- relle et universelle, aveugle à la notion d' « autre ». Il faudra la montée de l'empirisme pour que — à la fin du XVIII siècle — démarre l'eth- nologie. Encore le sauvage sera-t-il souvent coincé dans cet avatar du rationalisme, le schéma évolutionniste. Cf. Ethnologie et méta- physique : l'unité des sciences humaines, in Ethnologie générale, p. 1772- 1815. On pourrait faire des remarques analogues à propos de l'His- toire, qui, ayant retrouvé « l'autre » antique sous la Renaissance, le récupère immédiatement au profit de l'homme classique « universel ». Quant à l'opération inverse de cette réduction, l'as-similation de soi à l'autre ou identification, elle est menacée, elle, par le péril de l' « alié- nation », de la folie. 72. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 339. Sur les rapports des deux sciences, qui se sont récemment rapprochées quand « l'ethnologie est devenue diachronique et (que) l'histoire est devenue culturelle », cf. Hubert Deschamps et J. Poirier, Histoire et ethnologie, in Ethno- logie générale, p. 1433-1464 (citation p. 1457). 73. Sur la « mythologie » comme discipline, pratiquée par des historiens des religions avant d'être rattachée, grâce au lien du Mythe et du rite, à l'ethnologie — puis, grâce au lien du Mythe et du rêve, à la psychanalyse —, cf. Roger Bastide, La mythologie, in Ethnologie générale, p. 1037-1090. On trouvera là un résumé des approches « ethnologiques » du Mythe, qui supplantèrent les anciennes inter- prétations « physiques », évhéméristes, allégoriques, poétiques ou humanistes (le Mythe comme embryon de science ou de philosophie). 74. Pour Lévi-Strauss, l'ethnologue se sent toujours quelque peu mal à l'aise parmi les siens, et se trouve du coup attiré par l'autre; pour analyser cet autre, il est bon qu'il lui soit « étranger », pourvu que cette étrangeté n'aille pas jusqu'à l'incompréhension. Cette situation soulève des problèmes : si l'ethnologue affirme la valeur de l'autre, n'est-ce pas encore, demande Lévi-Strauss, au nom de ses propres valeurs ? Et acceptera-t-il « tout » de l'autre, même les abus — ceux qu'il condamne chez lui par exemple ? (Tristes Tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 442-446). Lévi-Strauss est parfois victime de ses formules : si « le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie » (Race et Histoire, Paris, Gonthier, 1971, p. 22), il est entendu que nous sommes tous barbares, mais le plus barbare de tous ne sera-t-il pas justement celui qu'on pense, dans la mesure où il se désintéresse le plus de cet alius dont la reconnaissance, prise pour critère, oblige à décréter civilisé par excellence... l'ethnologue lui-même, ipse. 75. « Le mythe n'est donc jamais de sa langue, il est une perspective sur une langue autre », à laquelle l'ethnologue surajoute sa perspective et sa « traduction » particulières (Lévi-Strauss, L'Homme nu, p. 576 et 577. Souligné par l'auteur). 76. Je me réfère à Michelet, Histoire de la Révolution française (1847-1853), Thiers, Histoire de la Révolution française (1823-1828), Mignet, His- toire de la Révolution française (1824), Cousin, Introduction à l'histoire de la philosophie, leçons VII et suivantes (1828), Burke, Reflections on the Révolution in France (1790), J. de Maistre, Considérations sur la France (1797), Ballanche, L'Homme sans nom (1819). Sur tous ces auteurs, consulter B. Reizov, op. cit., et Alice Gérard, La Révolution française, mythes et interprétations (1789-1970), Paris, Flammarion, 1970, p. 10-64. 77 Penser la Révolution française, Paris, NRF-Gallimard, 1978, p. 13-46. 78 Ibid., p. 19. 79 Mémoires d'outre-tombe, Paris, NRF-Gallimard, Pléiade, 1951, I, p. 165. 80. Relisons la phrase de Chateaubriand citée : il semble en fait qu'il n'y ait, pour le lecteur et pour l'auteur, pas d'autre lieu où se tenir que le fleuve fatal lui-même, frontière entre un monde disparu et un autre d'où disparaître : le fleuve absorbe tout paysage possible. 81. Cf. Furet, Penser la Révolution, p. 78-84. 82. Ibid., p. 47-76. 83. Cf. Michelet, Histoire de la Révolution française; Quinet, La Révolution, Paris, Lacroix, Verboeckhoven & Cie, 1865 ; L. Blanc, Histoire de la Révolution française, Paris, Langlois, 1847-1864. Michelet : « La Vendée, quoi qu'on ait pu dire, était un fait artificiel (du moins en grande partie), un fait savamment préparé par un travail habile », et par là diamétralement opposé à ce « grand fait naturel », la Révolution ( cit., I, p. 1165). Fomentée de concert par les prêtres et les femmes, elle représente « un phénomène incroyable d'ingratitude, d'injustice et d'absurdité » (I, p. 1142) : puisque le nouveau régime venait éman- ciper ces paysans poussés contre lui ! Michelet peint le Vendéen en « barbare » (sous-développé et féroce), néanmoins « éduquable ». Et il propage le mythe d'une Vendée qui serait l'autre, le négatif de la Révolution : « Le génie de la Révolution ne pouvait rien redouter sur la terre ni sous la terre, hors une chose... Quelle ? Lui-même sous son autre face, lui-même retourné contre lui, dans sa contrefaçon effroyable : "la Révolution fanatique" » ( II, p. 160). Autant le génie de la Révolution est une affirmation d'être, autant « le fuyant génie de la guerre civile » est un rien, un rien passablement déroutant : « C'est une guerre de fantômes, d'insaisissables esprits. Tout est obscur, incertain. Les rapports les plus contradictoires circulent dans le public. Les enquêtes n'apprennent rien » ( I, p. 1144-1145). L'autre, parodie de soi, sape les substances et le langage; d'où la difficulté, pour les armées, de mettre ce néant aux fers, et pour l'his- torien de le mettre en mots. Autre aspect, plus particulier, de l'op- position : la Révolution prêche l'unité, la fédération; la Vendée, émiettée dans ses campagnes, s'entête dans l'insociabilité, dans l'indi- vidualisme haïssable. Nous retrouverons ces thèmes chez Hugo, dont les idées et même les formulations sont très voisines. Dans La Révolution, ouvrage plus philosophique que narratif, Quinet montre surtout « deux fanatismes aux prises, dont l'un renfermait une reli- gion antique et l'autre une idole de liberté qui attendait tout de l'avenir » ( cit., II, p. 42). Si la Révolution a avorté, c'est, selon ce républicain anticlérical, pour n'avoir pas su opposer au catho- licisme romain une alternative religieuse émancipatrice (un nouveau protestantisme ?). 84. Bois, Paysans de l'Ouest, des structures économiques et sociales aux options politiques dans la Sarthe, Paris, Flammarion, 1971, p. 272-360 ; Tilly, La Vendée, révolution et contre-révolution, trad. P. Martory, Paris, Fayard, 1970, en particulier p. 13-109 ; et Faucheux, L'Insurrection vendéenne de 1793, aspects économiques et sociaux, Paris, Imprimerie Nationale, 1964, p. 193-338. Claude Petitfrère se penche sur les mentalités, notamment religieuses, de ces diverses couches dans La Vendée et les Vendéens, Paris, Julliard, 1981. 85. Cf. Harvey Mitchell, The Underground War against Rerolutionary France, Oxford, Clarendon, 1965. 86. Sur tout cela, cf. Faucheux, op. cit., p. 369-383. 87. Le bruit court notamment que l'exemption de la conscription, dont bénéficie l'Ouest, va être abolie. Cf. Jacques Godechot, La Contre- Révolution, doctrine et action, 1789-1804, Paris, Presses Universitaires de France, 1961, p. 374-376. 88. Cf. Jean-Clément Martin, La Vendée et la France, Paris, Seuil, 1987. 89. Cf. J.-C. Martin, Une guerre interminable, la Vendée deux cents ans après, Nantes, R. et M. Vivant, 1985, p. 57. 90. Pour ces Histoires et ces histoires, se reporter à la Bibliographie de la Contre-Révolution dans les provinces de l'Ouest ou des guerres de la Vendée et de la chouannerie d'Edmond Lemière, complétée par Yves Vachon, Nantes, Librairie nantaise, 1976 et 1980, ainsi qu'à la « Bibliographie des romans consacrés aux guerres de Vendée et de chouannerie » de Bernard Peschot in Vendée, Chouannerie, Littérature, Angers, Presses Universitaires d'Angers, 1986, p. 547-558. Voir aussi l'article Littérature populaire et guerres de Vendée, Histoire et littérature de fiction, de Martin, ibid., p. 35-45. Et, de Peschot, L'image du Vendéen et du chouan dans la littérature populaire du XIX siècle, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1982 91. Passage daté de 1822. Mémoires d'outre-tombe, I, p. 391-392. 92. Cf. Lise Queffélec, Contre-Révolution, guerre civile ou résurgence du passé : la Vendée dans le roman-feuilleton de 1836 à 1848, in Vendée, Chouannerie, Littérature, p. 377-400. 93. Cf., pour la thèse, Orville Prescott, The Undying Past, New York, Doubleday, 1961, p. 16 ; et contre elle : Feuchtwanger, Das Haus der Desdemona, oder Grosse und Grenzen der historischen Dichtung, Rudol- stadt, Greifenverlag, 1961, p. 117-118. 94. Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Œuvres complètes, Paris, NRF-Gallimard, Pléiade, 1964, III, p. 123. 95. Cf. Quinet, L'Esprit nouveau, Œuvres complètes, Paris, Germer-Bail- lière, 1857-1879, p. 149-151 ; et de Maistre, Les Soirées de Saint- Pétersbourg, suivies d'un Traité sur les sacrifices, Lyon, Pélagaud, 1854, II, p. 14-15. 96. Cf. respectivement Jack Goody, op. cit., p. 126 ; et R. Barthes, La paix culturelle, in Le Bruissement de la langue, p. 107-112.

PREMIÈRE PARTIE LE SAUVAGE AU SIÈCLE DES RÉVOLUTIONS

I - Le parti pris du mythe p. 73 à 122 1. Les abréviations employées sont : Q. pour Quatrevingt-Treize, Ch. pour Les , Cd. pour Le Chevalier Des Touches, E. pour L'Ensorcelée. Les chiffres renvoient aux pages des éditions suivantes : pour Quatre- vingt-Treize, Œuvres complètes, Paris, Club français du Livre, 1967- 1970 (abrégé en OC), t. XV-XVI, 1 ; pour , La Comédie humaine, Paris, NRF-Gallimard, Pléiade, 1976-1981 (abrégé en CH), VIII; pour Le Chevalier Des Touches et L'Ensorcelée, Œuvres romanesques complètes, Paris, NRF-Gallimard, Pléiade, 1964-1966 (abrégé en OR), I. C'est toujours moi qui souligne. 2. Nicole Mozet remarque que chez Balzac la Bretagne échappe à la dialectique qui confronte mais aussi associe « la » province et Paris; elle établit une distinction entre « la » province balzacienne, qui regroupe surtout des villes, parle français et représente le Familier, et « les » provinces, totalement isolées de Paris, domaine de paysans ou de « sauvages », patoisantes et étranges. La Bretagne apparaît, dans Béatrix plus encore que dans Les Chouans, comme un topos à la fois préservé et excessivement fragile (La Ville de province dans l'œuvre de Balzac, Paris, SEDES, 1982, p. 9-10). Barbey, viscéralement régionaliste, s'élève à plusieurs reprises, dans ses articles de critique, contre « la décapitation de la France par Paris », et contre « le système qui voit dans Paris le type de la France, lorsque l'histoire tout entière atteste au contraire qu'il en est plutôt la contradiction ! » : car il s'est corrompu, laissant la province demeurer « la vraie patrie de la famille française » — le topos rêvé, sinon réel (articles de 1858 et 1854, in Les Œuvres et les hommes, Genève, Slatkine Reprints, 1968, XXI, p. 154 et 67-69). Barbey se veut « le Walter Scott de la Nor- mandie », et tient, répète-t-il, à faire « œuvre normande » (lettre de 1849, citée par Jacques Petit, in Barbey, OR, 1, p. 1391 et 1342). Signalons ici que la « Vendée » hugolienne empiète sur la Bretagne; la section « En Vendée », par exemple, se déroule dans les environs de Dol. 3. Cf. Georges Piroué, Victor Hugo romancier, ou les dessus de l'inconnu, Paris, Denoël, 1964, p. 187-191. 4. Sur l'image océanique chez Hugo, voir surtout Pierre Albouy, La Création mythologique chez Victor Hugo, Paris, Corti, 1968, p. 343-367. Henri Meschonnic, qui souligne la parenté de Quatrevingt-Treize avec Les Travailleurs de la mer et L'Homme qui rit, livres « cimmé- riens » et « de la tempête », y suit la thématique maritime et son emploi métaphorique (la Révolution océan), ce dernier visant évidemment à « naturaliser » l'Histoire (Pour la poétique, IV (Ecrire Hugo), Paris, Gallimard, 1977, II, p. 129-131 et 198-200). 5. « Dans l'opinion de tout le pays, c'était un passage redoutable » (E. 556). 6. Sur la poésie de la vastitude chez Barbey, et sur la lande comme « pro- vince de l'âme », cf. Philippe Berthier, Barbey d'Aurevilly et l'ima- gination, Genève, Droz, 1978, p. 59-68. Et sur la lande comme laby- rinthe d'avant le sens, l'analyse de Michel Serres dans Hermès, IV (La Distribution), Paris, Minuit, 1977, p. 240-251. 7. Sur cette forêt « panique », cf. Jean Gaudon, Le Temps de la contem- plation, l'œuvre poétique de Victor Hugo des « Misères » au «. Seuil du gouffre », Paris, Flammarion, 1969, p. 363-378. Et sur les paysages hugoliens, ou comment l'organisation surgit du chaos, Jean-Pierre Richard, Etudes sur le romantisme, Paris, Seuil, 1970, p. 177-199. 8. N'oublions pas que « sauvage » vient de silvaticus, de silva, forêt. 9. Le paganisme est antérieur au judéo-christianisme, la religion du Père. 10. Sur le paysage balzacien, cf. Georges Jacques, Paysages et structures dans « La Comédie humaine », Louvain, Publications Universitaires de Louvain, 1975, en particulier, p. 9-33 et p. 169-175, consacrées aux Chouans. Jacques insiste sur la « dramatisation » du paysage, nouveauté par rapport aux descriptions statiques de Scott. Dans ses Etudes sur le romantisme, p. 113-134, Richard souligne également la combinaison de l' « architectural » et de l' « énergétique », de la forme et de la force dans le décor balzacien. Doris Y. Kadish note que la « sur- description » de la Bretagne nous impose un point de vue « répu- blicain » (Landscape, Ideology, and Plot in Balzac's Les Chouans, Nineteenth-Century French Studies, XII, 4 - XIII, 1, 1984, p. 43-57). Sur la topographie bretonne dans Les Chouans et sur le site de Fou- gères, cf. enfin Mozet, op. cit., p. 138-146. II. La double « théorie de la démarche » de Hugo se reflète dans l'op- position des « souliers » et des « sabots », qui chez Michelet également symbolisent les villes et la campagne, les Bleus et les Blancs. Cf. His- toire de la Révolution française, II, p. 465. Pendant la chouannerie, les « grille-pieds » s'emploieront à ralentir physiquement l'avancée de l'ennemi. 12. Cf. Jean Gaudon, op. cit., p. 299-306. 13. Balzac fut un des premiers à aller quérir sur les lieux, comme un ethnographe, les informations dont il avait besoin. Hugo, dont le père, officier républicain d'origine lorraine, rencontra la Nantaise qui devait devenir sa mère au cours des guerres de Vendée, fit un voyage dans la région en compagnie de Juliette Drouet, Fougeroise fille de chouans — et née « Gauvain », nom du héros de Quatrevingt- Treize. 14. « Du sommet de la Pèlerine apparaît aux yeux du voyageur... » (Ch. 912); cette lande du Gibet « qu'une superstition traditionnelle (...) faisait éviter au voyageur » (Cd. 745). 15. Réciproquement, dans L'Envers de l'Histoire contemporaine les crimi- nels sont appelés les « Sauvages de la civilisation » (CH, VIII, p. 279). 16. Introduction à la première édition des Chouans, CH, VIII, p. 899. C'est aussi une peinture « réaliste » du « sauvage de France », dans sa violence instinctuelle, que prétendront donner, en 1844, Les Paysans : ni le fantoche enrubanné des bergeries, ni le rustre de la tradition comique, ni le prolétaire déifié par la démagogie, mais cet homme du peuple « oublié par tant de plumes à la poursuite de sujets nou- veaux » (CH, IX, p. 49). 17. Bien que décrits avec plus de sympathie, les Indiens de Cooper ont fourni plusieurs traits aux chouans de Balzac; le titre initial du roman, Le Dernier Chouan, rappelle, outre Le Dernier Abencérage de Chateaubriand, Le Dernier des Mohicans. Sur cet intertexte, cf. Mar- garet Murray Gibb, Le Roman de Bas-de-Cuir, étude sur Fenimore Cooper et son influence en France, Paris, Champion, 1927, chap. IX; et sur la fortune de Cooper, René Rémond, Les Etats-Unis devant l'opinion française, 1815-1852, Paris, A. Colin, 1962, I, p. 284-301. 18. Cf. le nom « Loup de Feuardent » dans L'Ensorcelée. Des Touches, lui, est surnommé « La Guêpe ». Voir Gérard Vanet, A propos des images animales dans Le Chevalier Des Touches, Revue des Lettres modernes, série Barbey 8, 1977, p. 35-47. 19. Cette chouette n'a rien de l'oiseau de Minerve, non plus que du Hibou qui, dans Dieu de Hugo, représente le Scepticisme, entre foi et désespoir. Et elle n'est pas nécessairement, comme dans la plupart des superstitions populaires, de mauvais augure. 20. Préface de 1858 de L'Ensorcelée, OR, I, p. 1350. 21. Pour la peinture du mode de vie paysan dans La Comédie humaine, cf. l'ouvrage déjà ancien de Marc Blanchard, La Campagne et ses habitants dans l'œuvre de Honoré de Balzac, Genève, Slatkine Reprints, 1980, p. 151-270. Et sur les « bretonneries » de Balzac, et ce qu'elles doivent à la celtomanie du temps, Raymond Lebègue, Esquisse d'une étude sur Balzac et la Bretagne, Revue d'Histoire littéraire de la France, avril-juin 1950, p. 234-240. 22. Tenace, chez Balzac, le mythe du caractère « entier » du sauvage — il est incapable de réflexion —, et de sa « simplicité » : « l'homme civi- lisé (...) est à mille intérêts, à plusieurs sentiments, tandis que le Sauvage n'admet qu'une idée à la fois » (La Cousine Bette, CH, VII, p. 86). Mais la « duplicité » du sauvage contredit évidemment cet aspect. 23. Sur les métaphores alimentaires dans La Comédie humaine, voir l'ana- lyse à la fois rhétorique et psychanalytique de Lucienne Frappier- Mazur, L'Expression métaphorique dans « La Comédie humaine », Paris, Klincksieck, 1976, p. 245-278. 24. Cette eau qui « a goût de ta chair maudite » donne à l'homme des « trémoussements » quasi orgastiques (E. 692). 25. Sur le fantasme cannibalesque dans les sociétés qui prohibent l'in- gestion de chair humaine, cf. Jean Pouillon, Manières de table, manières de lit, manières de langage, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 6, 1972, p. 9-25. 26. Notons toutefois que l'emploi de « galette » au sens de « magot » n'est pas attesté avant 1907, selon le Petit Robert (1978). 27. Sur l'importance de la « circulation » de l'argent, dépendante de la circulation routière et comparée à la circulation du sang, cf. Per Nykrog, La Pensée de Balzac dans « La Comédie humaine », esquisse de quelques concepts clés, Copenhague, Munksgaard, 1965, p. 198-209. 28. « Un chef de parti ne doit être le jouet de personne » (Ch. 1023); « vous n'avez pas de mémoire, un défaut dangereux pour un chef de parti ! » (Ch. 1028); « vous pourrez (...) apprendre à mon école de bons stratagèmes » (Ch. 1066). 29. Introduction de 1852 de L'Ensorcelée, OR, I, p. 1349. 30. Le paganus, le paysan, c'est aussi le « païen ». 31. Décrivant en historien le rôle de la religion dans l'Ouest, Marcel Lidove cite en témoignage... Les Chouans et Quatrevingt-Treize. Les Vendéens de 93, Paris, Seuil, 1971, p. 28-34 et 69-71. 32. Sur les nobles contre-révolutionnaires dans La Comédie humaine, cf. Ronnie Butler, Balzac and the , Londres et Can- berra, Croom Helm, 1983, p. 32-52, et Jean Forest, L'Aristocratie balzacienne, Paris, Corti, 1973, p. 129-158. 33. Sur ce déplacement « idéologique » du problème social, cf., après Marx et Lukács, Pierre Barbéris, De l'Histoire innocente à l'Histoire impure, Nouvelle Revue française, 238, octobre 1972, p. 248-264. 34. Parmi les romans « champêtres » de Balzac, Le Médecin de campagne et Le Curé de village, qui narrent le passage de la barbarie agreste à la civilisation, camouflent les luttes de classes sous l'utopie paterna- liste du « développement ». Mais Les Paysans, auxquels Les Chouans ont préparé la voie, se concentrent sur elles. Ce roman anti-peuple montre en fait le peuple rural manipulé par la bourgeoisie (et par des usuriers plus roués que d'Orgemont) dans sa lutte contre la noblesse. Sur la peinture des classes sociales chez Balzac, cf. Barbéris, Balzac, une mythologie réaliste, Paris, Larousse, 1971, p. 178-191. 35. Sur ces personnages dans l'œuvre de Barbey, cf. Pierre Leberruyer, Pâtres, mendiants et sorciers, Revue des Lettres modernes, série Bar- bey 2, 1967, p. 17-31.

2 - Une tradition qui a perdu la tête p. 123 à 168

1. Sur les rapports de Hugo au père, cf. l'ouvrage toujours suggestif de Charles Baudoin, Psychanalyse de Victor Hugo, Genève, Editions du Mont-Blanc, 1943, p. 27-46. 2. Sandy Petrey sous-estime la dimension « universelle » du familial lorsqu'il montre, de façon d'ailleurs très convaincante, que ce der- nier tend à supplanter l'historique dans Quatrevingt- Treize. Il note à juste titre que seule l'intrigue proprement familiale aboutit (de la séparation à la réunion des Fléchard), tandis que l'intrigue poli- tique n'a aucun résultat tangible, parce que les protagonistes ont délaissé leur cause pour la valeur absolue de la famille; c'est, je crois, que cette valeur apparemment anhistorique supporte dans le roman le « mythe » de l'Histoire, que Petrey ne fait pas entrer dans sa défi- nition de l'historique (History in the Text : « Quatrevingl-treize » and the French Revolution, Amsterdam, John Benjamins BV, 1980, p. 13-24). 3. Cf. René Girard, La Violence et le sacré, p. 30-89; et sur le bouc émis- saire, p. 23-30 et 102-139. Gauvain est un bouc émissaire particulier en ce qu'il est non pas marginal dans la communauté, mais l'exacte fusion de ses deux parties — il n'est en rien « autre », il est chacun des deux, ambo; et surtout il n'est pas désigné pour le sacrifice, mais volontaire : beaucoup plus Christ que pharmakos, en ce sens. 4. Idée qu'on trouve déjà dans la « Préface philosophique » des Misé- rables, et que commente Jacques Seebacher dans Poétique et politique de la paternité chez Victor Hugo, in Hugo, OC, XII, p. XIX-XXXIV. 5. Dans Balzac, une mythologie réaliste, p. 45-70, Barbéris associe le père d'Honoré à l'humanisme conquérant et révolutionnaire, et la mère à une Fatalité passéiste, et soutient qu'en Balzac seul l' « orphelin » a puissance créatrice. Comme on va en juger, le roman complique grandement l'apport biographique. 6. Sur Balzac et Napoléon — et sur Balzac « Napoléon des lettres » —, cf. Saint-Paulien, Napoléon Balzac et l'empire de « La Comédie humaine », Paris, A. Michel, 1979, p. 145-175 et 427-479. Les pages 187 à 191 sont consacrées à Fouché. 7. La faute du père est particulièrement claire dans Un Prêtre marié, où Calixte « meurt de son père comme on meurt d'un cancer au sein » (Barbey, OR, I, p. 969). Sur la paternité chez Barbey, cf. l'étude lacanienne d'Anny Detalle, La paternité à travers trois romans de Barbey d'Aurevilly, Un Prêtre marié, L'Ensorcelée, Une histoire sans nom, Revue d'Histoire littéraire de la France, mars-avril 1978, p. 202-215 ; et surtout P. Berthier, La question du père dans les romans de Barbey d'Aurevilly, Revue des Lettres modernes, série Barbey 11, 1981, p. 7-47. Berthier montre comment l'écriture, tout en valorisant idéologique- ment la paternité, dit sans cesse l'attentat contre le père. Dans le même numéro, on lira avec profit, sur les fantasmes familiaux, L'enfant mort et la naissance du héros, de Jacques Petit (p. 67-83). 8. Cf. Danièle Mounier-Daumas, Le Chevalier Des Touches : un univers de la stérilité, Revue des Lettres modernes, série Barbey 10, 1977, p. 9-34. 9. Préface de L'Ensorcelée, p. 1351. 10. Sur la Tourgue, cf. Pierre Georgel, Vision et imagination plastique dans Quatrevingl-Treize, Les Lettres romanes, XIX, 1, 1965, p. 3-27. 11. Le motif de la brèche, dans sa liaison à l'emmurement et à l'effrac- tion métaphysique, a été étudié par Victor Brombert dans La Prison romantique. Essai sur l'imaginaire, Paris, Corti, 1975, p. 118-123. 12. La guillotine a une présence obsessionnelle chez Hugo. Sa dispari- tion, plus exactement son autodestruction, est évoquée dans « Le Verso de la page » : « Démolis-toi toi-même, et croule, mutilée / (...) Et tourne contre toi la mort que tu contiens ! » (OC, X, p. 285). 13. Sur le H et autres lettres dans les romans de Hugo, cf. André Brochu, Hugo, Amour/Crime/Révolution, essai sur « Les Misérables », Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1974, p. 167-170; Jeffrey Mehl- mann, Révolution and Répétition, Marx, Hugo, Balzac, Berkeley, Uni- versity of California Press, 1977, p. 63-64 et 130-132; et Jean Maurel, Le coup de H, du problème Hugo, in Jacques Seebacher et Anne Ubersfeld, éd., Hugo le fabuleux, Paris, Seghers, 1985, p. 239-266. Sur la guillotine comme « monstre » dont l'horreur est canalisée par l'articulation en « signe énigmatique », cf. Laurent Jenny, La Terreur et les signes, poétiques de rupture, Paris, Gallimard, 1982, p. 133-137. 14. Cet épisode a été étudié par Suzanne Bérard, A propos des Chouans, Revue d'Histoire littéraire de la France, octobre-décembre 1956, p. 485-505. 15. Julia Kristeva, Pouvoirs de l'horreur, essai sur l'abjection, Paris, Seuil, 1980, p. 9-10. 16. Le délégué Cimourdain est à mettre en parallèle avec le policier Javert des Misérables, autre figure de vide durci en Absolu; comme Cimourdain, Javert se suicide devant la révélation d'un Absolu supérieur, humanitaire, incarné en Jean Valjean, et qui invalide le sien. Pour Charles Mauron, Cimourdain est une incarnation de l 'Anankè (Les personnages de Victor Hugo, étude psychocritique, in Hugo, OC, II, p. I-XLII). 17. Passage du « massacre » au « sacrifice » : dans le sacrifice, meurtre sacralisé, public, réglé, la victime n'est jamais quelconque, mais un métissage précis de même et d'autre (d'homme et de dieu, ou de démon), au lieu que le massacre s'exerce contre un « autre » inassi- milable. Cf. Todorov, La Conquête de l'Amérique, p. 149-150. 18. Le sang, étymologiquement lié à la « cruauté », baigne toutes les œuvres de Barbey. Cf. Berthier, op. cit., p. 191-209. 19. Cette rougeur est à rapprocher de celle de la prostituée « la Pudica » dans la nouvelle des Diaboliques « A un dîner d'athées ». Petit la réfère au fantasme aurevillien de la mère, adorée et symboliquement pro- fanée (La fausse « innocence » du Chevalier Des Touches, Revue des Lettres modernes, série Barbey 10, 1977, p. 49-61). 20. Le mot « témoin », qui met Aimée à la torture, se dit martur en grec. Notons ici que l'assimilation de Louis XVI au Christ fait partie d'une mythologie de droite dont le porte-parole le plus éloquent fut J. de Maistre. Pour de Maistre, Louis XVI est l'Innocent, l'Agneau chargé d'expier l'Histoire coupable, et « l'échafaud est un autel » (Soirées de Saint-Pétersbourg, II, p. 195-198 (voir aussi p. 389-405)). Mais Barbey dépouille la notion de toute valeur sotériologique. 21. C'est elle qui décide de devenir « Mme Jacques ». Et le bracelet qui symbolise le phallus du fiancé était tressé de ses cheveux à elle. Pierre Tranouez dresse le portrait-robot de l' « Amazone », femme « vio- lante » pour laquelle l' « Androgyne », homme féminisé, éprouve un mélange de désir et de terreur qui s'explique par une tendance homosexuelle latente (L'Asthénique, l'Amazone et l'Androgyne », Revue des Lettres modernes, série Barbey 10, 1977, p. 85-113, et Por- trait de l'artiste en Minotaure, op. cit., 11, 1981, p. 87-104). 22. Sur la « destinée incomplète » de la femme chez Balzac, « féministe tragique », cf. Arlette Michel, Le Mariage chez Honoré de Balzac, amour et féminisme, Paris, Belles-Lettres, 1978, p. 105-131 et 209-224. Et sur la « femâle », cf. Jean Forest, Des femmes de Balzac, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1984, p. 100-121. 23. Cf. W. H. Van der Gun, La Courtisane romantique et son rôle dans « La Comédie humaine » de Balzac, Assen (Pays-Bas), Van Gorcum, 1963. Ce qui intéresse Balzac, conclut l'auteur, est moins la situation de « victime » de la femme vénale que son potentiel « anarchique », et moins sa réhabilitation que l'exploitation de son caractère « dyna- mique et instable » (cf. p. 69-125). Le poncif romantique du « bap- tême d'innocence » apporté à la courtisane par l'amour vrai (Ch. 1146) ne tient guère dans Les Chouans. 24. L'ancêtre tragique de Gauvain, sur ce plan, est le Gwynplaine de L'Homme qui rit : lord de naissance et « peuple » de par la fatalité historique — riant pour les uns et pleurant avec les autres, et mou- rant de ce déchirement. Que Gauvain soit « peuple » par choix marque une nouvelle étape historique. 25. Le schème de l'opposition, « structure et thème de toute l'architec- tonique actantielle » chez Balzac, a été étudié par J.-P. Richard, op. cit., p. 89-111 (citation p. 89). 26. André Vanoncini étudie le périlleux brouillage des codes Bleu- chouan au niveau actantiel. Corentin est selon lui le champion de la « fluidification des concepts ». Cf. Figures de la modernité, essai d'épis- témologie sur l'invention du discours balzacien, Paris, Corti, 1984, p. 69- 101. 27. Ce type de face à face est assez proche de ce qu'André Brochu étudie dans Les Misérables sous le terme d' « Affrontement », Affrontement qui occasionne généralement une « Montée » des antagonistes. Cf. op. cit., p. 96-107. 28. Cimourdain « tenait à tout abréger, le chemin de la prison au tri- bunal et le trajet du tribunal à l'échafaud » (Q. 495). 29. « Demain la cour martiale, après-demain la guillotine » (Q. 481). Sur l'élaboration de ces pratiques dans leur rapport paradoxal aux Droits de l'Homme, cf. Jean-Pierre Faye, Dictionnaire politique por- tatif en cinq mots, Paris, Gallimard, 1982, p. 101-150. 30. Selon Paul Savey-Casard, c'est la Pitié que Hugo, qui a toujours prôné le remplacement de la peine capitale par d'autres peines, envi- sage finalement de substituer à la pénalité même; sur sa « doctrine sentimentale du Droit », cf. Le Crime et la peine dans l'œuvre de Victor Hugo, Paris, Presses Universitaires de France, 1956, p. 247-359. Pour certaines de ses difficultés, voir mon essai Rhétorique de la question dans Claude Gueux de Victor Hugo, Romanic Review, LXXVIII, 1, 1987, p. 57-73. 31. « Si vous ne fuyez pas cet homme il sera un jour votre destin » (E. 664). 32. Pierre Gille montre combien Dieu et diable sont confraternels chez Barbey, en particulier dans L'Ensorcelée (L'ambivalence chez Barbey d'Aurevilly, structures, figures et genèses, Revue des Lettres modernes, série Barbey 8, 1973, p. 39-74). Le vengeur le plus enragé du corpus est l'héroïne de la nouvelle des Diaboliques « La vengeance d'une femme ». 33. Préface de L'Ensorcelée, p. 1350. 34. Pour Girard, le système judiciaire ne diffère pas par essence de la vengeance primitive, qu'il ne fait que rationaliser; mais il est infi- niment plus efficace, en ce qu'il arrête la violence sur une « vengeance » unique, alors que la vengeance traditionnelle en stimule le cercle vicieux. Cf. La Violence et le sacré, p. 30-47.

DEUXIÈME PARTIE

LE FIL DE L'HISTOIRE

3 - Le fatras romanesque p. 169 à 206 I Cf. la défense de 93 par un ancien Conventionnel dans Les Misé- rables, OC, XI, p. 80-83. 2. « L'on peut dire avec assurance que si la Vendée fit du brigandage une guerre, la Bretagne fit de la guerre un brigandage » (Ch. 919) 3. Sur la sémiologie du titre, qui, première phrase du livre, l'identifie, en désigne le contenu, et le met en valeur, cf. Charles Grivel, Pro- duction de l'intérêt romanesque, The Hague-Paris, Mouton, 1973, p. 166- 181. Et Claude Duchet, La Fille abandonnée et La Bête humaine, élé- ments de titrologie romanesque, Littérature, 12, 1973, p. 45-73. La vogue des titres-dates du type « Quatrevingt-Treize » est elle- même datée. 4. Ce temps propre, Frank Kermode l'appelle aevum et le situe à mi- chemin entre la pure contingence du chronos, temps de notre « milieu » perpétuel et insignifiant, et l'harmonie du temps mythique, qui a un début, un milieu et une fin parfaitement intégrés. Si le récit mythique est une « concord-fiction » qui commence au Commencement et finit avec les fins dernières, le récit romanesque (et historique) est, lui, « partiellement concordant » : car le souci « réaliste » de restituer le chronos interfère ici avec la nécessité « formelle » de relier le début, le milieu et la fin, la fin orientant tout dès le début (The Sense of an Ending, New York, Oxford University Press, 1967, en particulier p. 6-74 et 129-150). Le problème se complique dans le cas du roman historique, qui allie aevum romanesque et aevum historique. 5. Dans L'Epopée romantique (Paris, Presses Universitaires de France, 1954), Léon Cellier montre que le mythe chrétien, essayé par Cha- teaubriand pour renouveler le genre, cède bientôt la place à une formule plus rentable, celle du « Progrès » humain, que chante — sur le mode fragmentaire — La Légende des siècles. Mais peut-être une meilleure réalisation de l'Epopée apparaît-elle dans l'historiogra- phie, dont le Progrès constitue le sujet propre, et pour laquelle l'éloignement temporel fait fonction de merveilleux. Dans Le Roman historique à l'époque romantique, Maigron insiste sur l'influence de l'épique sur l'historiographie — et par suite sur le roman historique. 6. Bernard Leuilliot a commenté cet épisode dans « La loi des tem- pêtes », in Seebacher, éd., op. cit., p. 84-97. 7. Sur les « digressions hugoliennes », qui annoncent l'avènement d'un roman polycentrique, cf. l'essai de Gaudon in Hugo, OC, XIV, p. I-XVII. 8. Cf. Simone Vierne, Rite, roman, initiation, Grenoble, Presses Univer- sitaires de Grenoble, 1973, p. 13-54. Sur l'initiation proprement dite, cf. en particulier Mircea Eliade, Initiations, rites, sociétés secrètes, naissances mystiques, Paris, Gallimard, 1976. 9. Brombert souligne l'actualité et l'ambivalence du thème carcéral au XIX siècle, et son lien aux valeurs de libération spirituelle (La Prison romantique, p. 93-125). Selon Richard B. Grant, l'épisode du cachot ne réussit pas à faire de Quatrevingt-Treize un « roman de la quête » plausible (The Perilous Quest, Image, Myth and Prophecy in the Narratives of Victor Hugo, Durham, Duke University Press, 1968, p. 222-238). 10. Petrey analyse subtilement le jeu des deux codes, « historique » et « pastoral », dans Quatrevingt-Treize, montrant comment le second, basé sur un temps réversible, à défaut de dénouer les tensions du premier les déréalise (op. cit., p. 25-50). 11. En 1823, Hugo appelait déjà de ses vœux « le roman, à la fois drame et épopée, pittoresque, mais poétique, réel, mais idéal, vrai, mais grand, qui enchâssera Walter Scott dans Homère » (Littérature et philosophie mêlées, OC, V, p. 131). 12. Raouf Simaika relève d'autres éléments épiques dans Quatrevingt- Treize : la cause minuscule (enlèvement des enfants) qui, comme le rapt d'Hélène, déclenche des effets énormes; la présence des dieux (des puissances de la Convention) dans les combats terrestres (ven- déens); le héros demi-dieu bien sûr. Mais il rappelle que le héros hugolien évolue, à la différence du héros épique; que les valeurs individuelles se heurtent parfois aux valeurs collectives; et que, si l'épopée classique est tournée vers le passé, celle de Hugo vise l'avenir (L'Inspiration épique dans les romans de Victor Hugo, Genève, Droz, 1962, p. 165-180). Sur les emprunts à l'Epopée ainsi qu'à la « matière de Bretagne », bien à sa place dans ce roman sur l'Ouest, cf. aussi Henri Meschonnic, op. cit., II, p. 206-211. 13. Le mot « scène » revient constamment dans cette « Scène » de la vie militaire, elle-même incluse dans une « Comédie » humaine. Ray P. Bowen divise Les Chouans en un prologue suivi de trois actes (The Dramatic Construction of Balzac 's Novels, Eugene, University of Oregon Monographs, 1940, p. 17-20 et 77-79). Et Vanoncini découvre une même tendance à la dramatisation dans le discours historique de la Restauration (op. cit., p. 39-44). 14. On note alors la collusion du sens structural et surtout dramatur- gique d' « intrigue » et de son autre sens, celui de complot, de machi- nation. 15. Sur le calendrier révolutionnaire, cf. Bronislaw Baczko, Le calen- drier républicain, in Pierre Nora, éd., Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984, I, p. 37-83. Ce calendrier est une tentative pour faire repartir l'Histoire à zéro : une Histoire de part en part signi- ficative, et ancrée dans les phénomènes naturels (d'où le nom des nouveaux mois). Il est intéressant que Hugo ne l'exploite pas : l'His- toire renouvelée qu'il envisage ne doit pas se couper de l'Histoire globale de l'humanité. 16. Selon F. W. Hemmings, cet amour va illustrer les théories stendha- liennes (Balzac's Les Chouans and Stendhal's De l'amour, in D. G. Charl- ton et al., éd., Balzac and the Nineteenth Century, Leicester, Leicester University Press, 1972, p. 99-110). 17. Genette désigne par « prolepse » « toute manœuvre narrative consis- tant à raconter ou évoquer d'avance un événement ultérieur (...) au point de l'histoire où l'on se trouve » (op. cit., p. 82). La formule « un jour sans lendemain » réapparaît ailleurs (Ch. 1066). 18. « Si j'étais habillée ainsi, je me croirais nue », confie une femme (Ch. 1136). 19. « La personne à qui l'on doit de précieux renseignements sur tous les personnages de cette Scène » (Ch. 1211). 20. Balzac exploite volontiers le « gothique » et le « mélodramatique ». Pour Reinhard Kuhn, Les Chouans se résument au constant choc de la comédie et du mélodrame, justement (Collision of Codes : Portentous Levity in Balzac's Les Chouans, French Review, LIV, 2, 1980, p. 248-256). « Mélodramatique » doit être pris ici en un sens large, débordant le domaine théâtral. Cf. Peter Brook, The Melo- dramatic Imagination : Balzac, Henry James, Melodrama and the Mode of Excess, New York, Columbia University Press, 1985, p. 1-23 et 110-152; et Christopher Prendergast, Balzac, Fiction and Melodrama, London, E. Arnold, 1978, p. 4-16 et passim. Dans , ayant constaté que « le drame est le vœu d'un siècle où la politique est un mimodrame perpétuel », Lousteau va jusqu'à faire la théorie du Roman comme « concentr(ant) tous les genres, la comédie et le drame, les descriptions, les caractères, le dialogue sertis par les nœuds brillants d'une intrigue intéressante. Le roman, qui veut le senti- ment, le style et l'image, est la création moderne la plus immense » (CH, V, p. 459-460). 21. La « métadiégèse » est l'univers du récit dans le récit, abstraction faite de son caractère fictif, comme dans le cas de la diégèse, Cf. Ge- nette, op. cit., p. 238-239. 22. « Sous le dais féodal de sa maison, elle n'aurait pas été plus comtesse. » Le nouveau roi est M. Jacques : « Si elle lui avait mis une couronne de roi sur la tête, il n'aurait pas eu l'air plus fier ! » (Cd. 829). 23. Sur les techniques de la « conversation » chez Barbey, lui-même dandy et causeur brillant, cf. B. G. Rogers, The Novels and Stories of Barbey d'Aurevilly, Genève, Droz, 1967, p. 86-89 (sur Le Cheva- lier Des Touches) et p. 224-244; et Hermann Hofer, Barbey d'Aure- vil/y romancier, Berne, Francke Verlag, 1974, p. 203-218. 24. Sur ce double rythme, et sur des effets rythmiques comme le ralenti au début et le télescopage temporel à la fin, cf. Petit, Le temps roma- nesque et la « mise en abyme », Revue des Lettres modernes, série Barbey 4, 1969, p. 31-60. 25. « Sainte-Suzanne ne nous dit pas que ma sœur fut un de ces braves. Il ne le savait pas » (Cd. 764). 26. Barbey parle de « ce "puits de l'ab/me" qui était en elle » (Cd. 772). 27. « Ultra » implique que l'univers diégétique est déplacé (quelques années plus tard). 28. Jeanne se prénomme aussi « Madelaine ». Sur le cas Gaufridi, cf. Miche- let, La Sorcière, Paris, Hetzel-Dentu, 1862, p. 239-266. Et sur l'ensor- cellement, de Certeau, L'Ecriture de l'Histoire, p. 249-273. Le motif du mauvais prêtre, objet ou sujet de l'amour charnel, est un topos de roman noir; Barbey, qui a lu Le Moine de Lewis, l'exploite dans Une histoire sans nom et Un prêtre marié. Sur Barbey romancier des amours criminelles, perverses, impossibles et fatales, cf. Pierre Colla, L'Univers tragique de Barbey d'Aurevilly, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1965, p. 115-130. 29. Cf. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970, p. 28-62. Sur la question du fantastique aurevillien, les critiques se partagent. Les uns le réduisent à un satanisme de romantique attardé, à du pittoresque. Par exemple P. J. Yarrow, La Pensée politique et religieuse de Barbey d'Aurevilly, Genève, Droz, 1961, p. 126-128. Colla, lui, considère le surnaturel comme plaqué sur de l'émotionnel. Cf. op. cit., p. 85-90. Berthier, qui explique que le thème occulte n'est nullement incompatible avec le catholicisme de Barbey, lui attribue un pouvoir spécifiquement romanesque, à égale distance de la magie et de la rationalisation psychologisante. Cf. Barbey d'Au- revilly et l'imagination, p. 251-271. Je me range à son opinion. Alain Toumayan de son côté montre que l'impossibilité d'expliquer le comportement de Jeanne révèle l'impuissance de tous les modèles interprétatifs à la disposition de Barbey (La Littérature et la hantise du Mal. Lectures de Barbey d'Aurevilly, Huysmans et Baudelaire, Lexington (Kentucky), French Forum Publishers, 1987, p. 13-38). Enfin, Naomi Schor propose une tout autre lecture — girardienne — de la situation de Jeanne. Pour elle, Jeanne est liée à La Croix-Jugan par un désir non pas érotique mais « mimétique », et par le scandai effect où il est « scandaleux » et elle « scandalisée »; elle assume la dissémination du scandale, dans ce roman où les victimes émissaires n'arrivent pas à arrêter la violence (Breaking the Chain, Women, Theory and French Realist Fiction, New York, Columbia University Press, 1985, p. 78- 89). 30. Son corps évoque la victime des sacrifices archaïques, dont Dieu bientôt ne voulut plus, celle du Calvaire, pacifiée ensuite dans le disque de farine, et aussi celle du sacrifice historique moderne, Louis XVI — son assassin présumé est le républicain Le Hardouey. Le meurtre ramène les processus symboliques et l'Histoire apparem- ment calmée à leur origine « irrémédiable » et brutale, mais sans partager sa valeur bénéfique. Selon Thomas Buckley, la violence ne peut jamais être positivement « sacrificielle » (au sens girardien) dans L'Ensorcelée, parce qu'elle reste, chrétiennement, « sacrilège » (The Priest or the Mob : Religious Violence in Three Novels of Barbey d'Aurevilly, Modern Language Studies, XV, 4, 1985, p. 245-260). Sur le fonctionnement de l'hostie, cf. Louis Marin, in Claude Cha- brol et L. Marin, Le Récit évangélique, Paris, Aubier-Montaigne, 1974, p. 75-90. 31. « Il n'y aura plus d'événements » (OC, XI, p. 835). Le personnage de Gauvain, dont l'évolution du royalisme au républicanisme rap- pelle, dans Les Misérables, celle de Marius, est idéologiquement plus proche d'Enjolras. Enjolras « était resté de cette école épique et redoutable que résume ce mot : Quatrevingt-Treize » (p. 833). Il organise sur ce modèle l'insurrection de 1832. Lui aussi prépare, au-delà de la « grande république française », l' « immense république humaine », et pour lui aussi « mourir » (sur la barricade) égale « triom- pher » (p. 834). 32. Deux d'entre eux, « Georgette » et « René-Jean », empruntent leur nom aux petits-enfants de Hugo, Georges et Jeanne, chantés dans L'Art d'être grand-père (1877). Sur la poétique de l'enfance chez le vieil Hugo, cf. Claude Gély, Victor Hugo poète de l'intimité, Paris, Nizet, 1969, p. 479-508. L'enfant de Quatrevingt-Treize n'a rien à voir avec Gavroche, le gamin de Paris, tout à fait socialisé, non plus qu'avec le jeune Gwynplaine, qui se socialise douloureusement; dans Les Misérables comme dans L'Homme qui rit, l'enfant est broyé par la société. 33. Elle s'est « absorbée dans son M. Jacques » (Cd. 797). 34. Chapitres IV (sur Jeanne), XI (sur Thomas), XIV (sur La Croix- Jugan). 35. J'emprunte l'idée des ailes-horloge à l'importante analyse de Michel Serres, Hermès, IV, p. 213-219. 36. Cf. supra, Introduction. Et sur le couple Zeit-Tempus (en anglais time-tense), Harald Weinrich, Le Temps, p. 9-10 et passim. 37. Barbey réduit parfois le Roman au Conte. « Le roman », écrit-il dans un article de 1859, « est la forme fatale et dernière des vieilles littératures, qui finissent — ainsi que les hommes — par des contes, comme elles avaient commencé » (Le Dix-neuvième Siècle, des œuvres et des hommes, choix de textes établi par J. Petit, Paris, Mercure de France, 1964, I, p. 246).

4 - La part des choses et la part des mots p. 207 à 265

I. C'est Lukács, on le sait, qui pose la date de 1848 comme la grande cassure du XIX siècle. Jusqu'à 48, la révolution de 1789-1793 peut être perçue comme l'accouchement douloureux d'une « évolution » qui sera ensuite régulière et pacifique; après l'échec de la Seconde République par contre, elle apparaît comme le premier d'une série de bouleversements sanglants où, derrière le « peuple » dont fait partie la bourgeoisie, se profile le prolétariat émergeant, son ennemi de classe, et qui menacent à chaque fois l'ordre ou même l'existence du régime bourgeois. Jusqu'à 48, celui-ci peut abriter son oppres- sion derrière le mythe d'une démocratie universelle; ensuite, il perd sa bonne conscience, « la pratique et l'idéologie de la bourgeoisie ne se rejoignent plus »; le slogan de « l'ordre » s'impose brutalement, et il devient difficile de rêver d'harmonie sociale (Pierre Albouy, Hugo fantôme, in Mythographies, Paris, Corti, 1976, p. 249-250). Dans cet article, p. 248-264, Albouy démontre que « Hugo, en entrant dans l'histoire, tourne le dos à son temps », devenant suspect à tous les groupes politiques. On sait que Hugo a graduellement évolué de la droite à la gauche, du soutien à « la Vendée » dans une Ode de 1819 à la magnification des Bleus. 2. Sur « Victor Hugo et la Commune », cf. Albouy, in Mythographies, p. 222-228, où le poète apparaît en républicain idéaliste et/mais bourgeois, gravement partagé sur la question sociale. Sur son état de « dépression stoïque », Jean-Bertrand Barrère, Hugo, Paris, Hatier, 1967, p. 250-261. Et sur la genèse du roman, Guy Rosa, Pré- sentation de Quatrevingt- Treize, in Hugo, OC, XV-XVI, 1, p. 229- 233. 3. En 1841, dans son « Discours de réception à l'Académie Française », Hugo présentait « l'utile fièvre des idées françaises » comme « une vaccine qui inocule le progrès et qui préserve des révolutions » (OC, VI, p. 160). 4. Cf. Hugo, OC, X, p. 217-332. Et Jean Massin, Présentation de « La Révolution », ibid., p. 199-216. Sur le traitement de la Révolution dans les œuvres d'avant l'exil, cf. Pierre Halbwachs, Le poète de l'Histoire, OC, VII, p. I-XXXIII; et sur les partages qu'engendre alors la notion de Progrès, Suzanne Nash, La bêtise politique et l'histoire bête du Rbin, in Seebacher, éd., op. cit., p. 347-358. 5. Cf. René Journet et Guy Robert, Le Mythe du peuple dans « Les Misé- rables », Paris, Editions Sociales, s.d., p. 58-88. Le « peuple », sup- port de l'idée nationale, est à constituer, par l'éducation et le suffrage universel. 6. De ce sens « révolution » garde longtemps, outre la valeur de « res- tauration », la connotation de « nécessité » cosmiquement inéluc- table : Hugo souscrit à celle-ci. Cf. H. Arendt, On Revolution, New York, Penguin, 1981, p. 42-51. 7. Cf. Mehlmann, op. cit., p. 2-14. Et Karl Marx, Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte, trad. M. Ollivier, Paris, Editions Sociales Internationales, 1928, p. 23-28. 8. « Attaque de la fraction contre le tout » : dans Les Misérables, Hugo l'appelle « émeute », et l'oppose à l' « insurrection », « guerre du tout contre la fraction » usurpatrice. L'insurrection s'épanouit ordinai- rement en révolution progressiste, car « il n'y a d'insurrection qu'en avant (...) tout pas violent en arrière est émeute ». Qu'est-ce que la Vendée ? « une grande émeute catholique » (OC, XI, p. 743-744). Mais l'insurrection finira par éliminer l'émeute; car « la révolution est la vaccine de la jacquerie » (ibid., p. 708). 9. Cf. ce projet de 1856-1858 : « Mon livre social sera intitulé : De la prochaine révolution, et de la manière de s'en servir » (Tas de pierres, OC, X, p. 1185). 10. « La loi de l'histoire, qui est le progrès (optimisme et bonne cons- cience idéologique de Hugo), ne peut être dite que contre la réalité (...) (et là est la difficulté ou même le malaise idéologique) » (Albouy, in Mythographies, p. 258. Souligné par l'auteur). Cf. aussi « La mytho- logie hugolienne », ibid., p. 273-288. Cette mythologie certes « déporte le socialisme dans les étoiles » (p. 281); mais elle ne peut faire qu'elle ne condamne la bourgeoisie post-quarante-huitarde. Sur « l'évan- gile terrestre du progrès », cf. Paul Zumthor, Victor Hugo poète de satan, Genève, Slatkine Reprints, 1973, p. 73-110. Et sur les notions « métaphysiques » d'évolution et d'involution, touchant au rapport de l'Etre à Dieu, Denis Saurat, Victor Hugo et les dieux dit peuple, Paris, Editions du Vieux Colombier, 1948, p. 91-135. II. Victor Brombert insiste sur l'horreur de Hugo devant cette violence. Et il relève une hésitation, chez lui, entre deux visions de l'Histoire, comme nuit infernale, et comme texte de Dieu ( Victor Hugo and the Visionary Novel, Cambridge, Harvard University Press, 1984, p. 205- 229). 12. Op. cit., p. 233-260. Pour Rosa, Quatrevingt- Treize est tout imprégné d'une idéologie « girondine ». Dans Quatrevingt-Treize ou la critique du roman historique (Revue d'Histoire littéraire de la France, mars- juin 1975, p. 328-343), Rosa met en évidence, sous leur intégration apparente, la disjonction entre les processus historiques et les actes (historiques) individuels et fictifs. 13. Cf. là-dessus Marialys Bertault, Sophie et Brutus, le sang breton et lor- rain de Victor Hugo, Paris, Editions France-Empire, 1984, p. 92-191. 14. Parfois improprement : « Dieu livre aux hommes ses volontés visi- bles dans les événements, texte obscur écrit dans une langue mysté- rieuse. Les hommes en font sur-le-champ des traductions; traductions hâtives, incorrectes, pleines de fautes, de lacunes... » (Les Miséra- bles, OC, XI, p. 605-606). Sur l' « immanence » de Dieu à l'Histoire, cf. Yves Gohin, Une écriture de l'immanence, in Seebacher, éd., op. cit., p. 19-37. 15. « Une description globale resserre tous les phénomènes autour d'un centre unique — principe, signification, esprit, vision du monde. » Cette Histoire globale, Foucault l'oppose à l'Histoire « générale » qui se constitue aujourd'hui, et qui « déploierait au contraire l'espace d'une dispersion » (L'Archéolof!,ie du savoir, p. 19). 16. Progrès où L'Esprit nouveau discerne également une alternance d'actions (révolutionnaires) et de réactions; selon Quinet, plus doc- trinalement optimiste que Hugo, la réaction s'use graduellement, et chaque révolution devient plus facile pour faire avancer l'huma- nité (L'Esprit nouveau, p. 135-136). Alice Gérard note aussi des points communs entre Hugo et Lamartine (Histoire des , 1847), Esquiros (Les Montagnards, 1848), L. Blanc, ctc. Cf. op. cit., p. 42-47. 17. Inspiré par Vico, Michelet affirme que les croyances populaires sont vraies « au total », encore qu'erronées dans le détail. Elles révèlent la « conscience » intérieure du peuple. Cf. Histoire de la Révolution française, I, p. 282-288. Sur la découverte et les conceptions du Mythe chez les écrivains du XIX siècle, cf. Albouy, Mythes et mythologies dans la litté- rature française, Paris, A. Colin, 1969, p. 70-90. 18. Le Roman historique, p. 83-84 et 290-29. 19. Hugo, OC, XV-XVI, 1, p. 542. Les énumérations sont souvent prolon- gées par un « etc. » : le caetera, l'autre inépuisable, c'est ici la profusion de l'a dire, qui excède infiniment le dit. 20. Sur l'énorme travail de documentation de Hugo, voir les « notes de l'éditeur » dans l'édition de l'Imprimerie Nationale, Paris, 1924, vol. IX, p. 451-475. Pour les Blancs, Hugo s'est beaucoup inspiré des Mémoires de Puisaye (1803). 21. Ces corrections, assez limitées d'ailleurs, sont signalées en notes par Bernard Guyon dans La Pensée politique et sociale de Balzac, Paris, A. Colin, 1947, p. 249-273. Certaines ont été dictées par le souci de plaire à Mme Hanska, et de rapprocher d'elle le personnage de Marie. 22. Cf. la lettre au général de Pommereul, de Fougères, chez qui Balzac était allé « s'imprégner » de son sujet : CH, VIII, p. 1650. Pour un compte rendu très fouillé sur la documentation et la position de Balzac à l'époque, ainsi que sur les rapports Histoire-fiction dans Les Chouans, cf. l'introduction, la notice et les notes de Lucienne Frappier-Mazur, ibid., p. 859-890, 1650-1657 et 1683-1837. Sur les sources, cf. aussi Gilbert M. Fess, The Documentary Background of Balzac's Les Chouans, Modem Language Notes, LXIX, 8, 1954, p. 601-605; et Jean- Hervé Donnard, Balzac, les réalités économiques et sociales dans « La Comédie humaine », Paris, A. Colin, 1961, p. 41-59. De la « similitude » du texte balzacien à ses sources historiographiques, Donnard conclut un peu vite à la « conformité » de ce texte au référent historique. Sur Balzac avant Balzac, voir René Guise, Balzac et le roman historique, notes sur quelques projets, Revue d'Histoire littéraire de la France, mars- juin 1975, p. 353-372. De nombreuses erreurs de l'auteur, qui distend les confins de la Basse-Bretagne, croit bretonnantes des populations parfaitement francophones, etc., ont été relevées par Louis Le Guillou, « Bon » et « Mauvais » sauvage : Les Chouans de Balzac, et Maurice Ménard, La belle et large vallée du Couësnon..., in Vendée, Chouannerie, Littérature, p. 55-63 et 231-232. 23. CH, VIII, p. 1680-1681. Entre Le Gars et Le Dernier Chouan a lieu la mutation décisive de l'assomption du nom, Balzac. Le passage des « cochonneries littéraires » à l'Histoire réaliste est minutieusement suivi par Barbéris, Balzac et le mal du siècle, Paris, NRF-Gallimard, 1970, I, p. 755-778. Sur la dette à l'égard de Scott, cf. Maurice Bardèche, Balzac romancier, la formation de l'art du roman chez Balzac, Paris, Plon, 1940, p. 41-52 et 218-251. Dans Scott, Balzac and the Historical Novel as Social and Political Analysis : Waverley and Les Chouans (Modern Language Review, 68, I, 1973, p. 51-68), D. R. Haggis insiste sur la simi- litude du sauvage chouan et des Highlanders. L'intérêt de Morillon pour « les immenses détails de la vie des siècles » (p. 1680) est évidem- ment inspiré par le courant général de l'historiographie romantique. 24. CH, 1, p. 9 et II. 25. Ibid., p. 10-11. 26. Feuilleton des journaux politiques, cité par Barbéris, Balzac et le mal du siècle, II, p. 971. Les pages 968-978 et 1047-1056 de cet ouvrage sont consacrées aux idées du jeune Balzac journaliste sur l'Histoire. 27. Cf. Avant-propos, CH, I, p. 7. Et sur cet Avant-propos, Françoise Gaillard, La science, modèle ou vérité ?, in Claude Duchet, Jacques Neefs et al., Balzac, l'invention du roman, Paris, Belfond, 1982, p. 57-83. Dans sa visée « sociologique », le Roman jouit d'une souplesse et d'un pouvoir d'expérimentation que la science n'a peut-être pas. Carlos Herrera a sa thèse sur les « envers » de l'Histoire : « Il y a deux His- toires : l'Histoire officielle, menteuse qu'on enseigne, l'Histoire ad usum delphini-, puis l'Histoire secrète, où sont les véritables causes des événe- ments, une histoire honteuse » (Illusions perdues, CH, V, p. 695). Sur ces questions, voir mon article Balzac et le roman historique : Sur Catherine de Médicis, une Histoire paradoxale, Poétique, 71, 1987, p. 333-355. 28. Avertissement, CH, VIII, p. 1682-1683. Lukacs considère qu'avec La Comédie humaine, « Balzac passe de la description de l'histoire passée à la figuration du présent comme histoire » (Le Roman historique, p. 89; sou- ligné par l'auteur). Voir ses commentaires sur Balzac, p. 88-92. 29. Avertissement, p. 1679-1680. 30. Sur l'idéologie qui sous-tend Le Dernier Chouan, cf. Barbéris, Balzac et le mal du siècle, I, p. 778-804. Et sur la conversion de Balzac au légiti- misme, du même, Balzac, une mythologie réaliste, p. 89 et 203-205. 31. Ce double mythe est inséparable du système philosophique général de Balzac. Car « le corps social est, par-delà son étude anatomique et phy- siologique, saisi comme l'enjeu de forces occultes et la reproduction microscopique de l'organisation universelle » (Henri Gauthier, L'Image de l'homme intérieur chez Balzac, Genève, Droz, 1984, p. 2). Cf. aussi Per Nykrog, op. cit. Mais ce système, qui ne parviendra jamais à se parfaire, est mal constitué au moment des Chouans. 32. Henri Guillemin explique cette absence par des raisons biographiques. Cf. Hugo et la sexualité, Paris, Gallimard, 1954, p. 108-109. 33. Barbéris, Roman historique et roman d'amour, lecture du Dernier Chouan, Revue d'Histoire littéraire de la France, mars-juin 1975, p. 304-305. Marie, remarque Barbéris, n'est plus le traditionnel repos du guerrier, ni l'instrument de la réconciliation des partis, comme dans certains romans de la chouannerie, mais le moyen d'une problématisation de l'Histoire par le désir (frustré) (ibid., p. 291-294). 34. Ruth Amossy et Dina Harouvi soulignent très bien le déchirement entre le personnel et le public, l'Histoire, chez les femmes du roman, mais en sous-estiment l'importance chez les hommes — chez le Gars, chez Hulot, auquel la guerre enlève tous les soldats auxquels il s'at- tache, etc. (Eternel féminin et condition de la Femme dans Les Chouans de Balzac, dans Vendée, Chouannerie, Littérature, p. 331-342). 35. Avant-propos, p. 18. Et Lettres sur la littérature, cité et judicieusement commenté par Roland Le Huenen, Les Chouans, Quatrevingt-Treize : modèles de vérité et mise en fiction, in Vendée, Chouannerie, Littérature, p. 301-316. 36. Sur les personnages comme signes, cf. Fredric Jameson, Balzac et le problème du sujet, in R. Le Huenen et Paul Perron, éd., Le Roman de Balzac, Montréal, Didier, 1980, p. 165-176. Pierre Macherey montre que le « type » permet d'un côté de « décrire » le réel dans sa diversité, de l'autre de le « juger », par réduction analogique (Polir une théorie de la production littéraire, Paris, Maspero, 1970, p. 287-327). 37. Sur le passage du détail-enseigne, pittoresque, au détail-signe, cf. Bar- béris, Le Monde de Balzac, Paris, Arthaud, 1973, p. 102-107. 38. CH, XI, p. 167. 39. Ibid., p. 199. 40. Tentative théorisée dans , où il déclare que « les mythes modernes sont encore moins compris que les mythes anciens, quoique nous soyons dévorés par les mythes », et réclame la création d'une chaire d'anthropologie en France (CH, IV, p. 935). Car les mythes sont un élément particulièrement révélateur des « moeurs » d'une époque, et la « sociologie » balzacienne ne les néglige pas. En outre, les mythes «sauverontles empires de toute révolution, pour peu que les professeurs d'histoire fassent pénétrer les explications qu'ils en donnent jusque dans les masses départementales ! » (p. 935) : pour peu que, d'obstacle épistémologique (de mystification) dans l'Histoire-discipline, le mythe s'en tienne à sa fonction praxéologique dans l'Histoire-temps. 41. Introduction à la première édition des Chouans (1829), p. 897. 42. Avant-propos, p. 11. 43. Car imposée après coup, et non a priori, comme dans la série des Rou- gon-Macquart. ukács commente l'ouverture de La Comédie humaine dans Balzac et le réalisme français, trad. P. La veau, Paris, Maspero, 1967, p. 56-57 et 77, et Michel Butor le fonctionnement du « mobile roma- nesque » dans Balzac et la réalité, Répertoire, Paris, Minuit, 1960, p. 79- 93. Lucien Dällenbach suit le processus de remembrement du texte à partir de morceaux hétérogènes, puis son étoilement et sa fissuration, à la lecture : car le mirage du Tout ne peut occulter l'omniprésence du « trou » (Du fragment au cosmos (La Comédie humaine et l'opération de lecture I), Poétique, 40, 1979, p. 420-431, et Le tout en morceaux (La Comédie humaine et l'opération de lecture II), Poétique, 42, 1980, p. 156- 169). 44. Dans Le Cabinet des antiques, La Rabouilleuse, et surtout Mlle du Vissard ou la France sous le Consulat (1847). Dans cette ébauche, Balzac, en fin de carrière, reprend le thème de ses débuts, mais avec des sympathies décidément légitimistes. Cadoudal, nouveau leader débarqué d'Angle- terre, doit, en 1803, rallier les insurgés défaits contre Bonaparte; mais nous n'entrevoyons, outre Marche-à-Terre et Pille-Miche, que le tout jeune Rifoël, alias chevalier du Vissard, récemment introduit comme comparse dans Les Chouans, et Mme du Gua, vieillie et fière, qui l'aime tout comme elle aimait le Gars. 45. CH, VI, p. 533. Dans Une ténébreuse affaire, qu'on pourrait considérer comme roman historique puisque l'affaire a lieu sous l'Empire, Coren- tin, âme damnée d'un Fouché dont le pouvoir effraie Napoléon lui-même, se venge de Laurence de Cinq-Cygne un peu comme pré- cédemment de Marie. 46. Les citations précédentes sont tirées de CH, II, p. 683, et IV, p. 852 et 912. Dans Pierre Grassou, la croûte intitulée « Toilette d'un chouan condamné à mort » jette un ridicule sur le thème traité. 47. CH, VIII, p. 307. 48. Ce que Barbey appelle sa « conversion » de 1846 est tout relatif : il s'agit surtout d'une réaffirmation, graduelle, des opinions de l'enfance, après une période d'émancipation et de tâtonnements. Helmut Schwartz tend à surestimer la coupure quand il étudie l'idéologie du Barbey d'après 1846, en mentionnant ses sympathies pour Napoléon III. Cf. Idéologie et art romanesque chez Jules Barbey d'Aurevilly, München, Münchener Romanistische Arbeiten, Fink, 1971, p. 86-97. Voir aussi, plus généralement, Yarrow, op. cit., p. 133-194 et 221-228. 49. Lettres à Trebutien (1855 et 1849), Paris, Bernouard, 1927, III, p. 215, et I, p. 326. Ces tendances sont commentées par B. G. Rogers, op. cit., p. 149-169, où sont analysés nos deux romans. 50. Memorandum de 1856, in Barbey, OR, II, p. 1057. 51. Lettres à Trebutien (1849 et 1852), 1, p. 325, et II, p. 242. Pour les sources et la genèse de nos romans, on consultera Hofer, op. cit., p. 102-119; et les notices détaillées de J. Petit dans Barbey, OR, I, p. 1341-1354 et 1389-1401. Pour Le Chevalier Des Touches, cf. aussi Andrée Hirschi, Les sources historiques, Revue des Lettres modernes, série Barbey 10, 1977, p. 63-82. 52. Un Prêtre marié présente la Révolution comme « cette large ornière de sang qui a coupé en deux l'histoire de France, et dont les bords s'écar- tent chaque jour de plus en plus »; elle est responsable de la perdition du héros. Et dans Une Histoire sans nom elle est « le cratère ouvert tout à coup sous les pieds de la France » (OR, I, p. 971, et II, p. 327). Mais dans un compte rendu de 1850-1851, Barbey y voit un événement exa- gérément mythisé, produit de causes immédiates insignifiantes, et cor- respondant au fond au « suicide » de la monarchie ! (Les Œuvres et les hommes, XX, p. 31-63). 53 La Théorie du roman, p. 91-130. 54 Et d'abord son absence de contenu : le fantastique « paraît installer une manière de supplément dans le quotidien, mais se construit sur l'affir- mation du vide », ses thèmes sont « figure du manque »; du coup, ce qui apparaît comme pur « narcissisme de l'imaginaire » dévoile « la fracture de l'histoire » (Irène Bessière, Le Récit fantastique, la poétique de l'incer- tain, Paris, Larousse, 1974, p. 35 44 et 226). Le fantastique, observe Bessière, « réintroduit (...) la structure du mythe dans l'évocation d'une réalité démythifiée (rejet du surnaturel orthodoxe), et par une forme étrangère au mythe » (p. 205) : il peut par là exprimer le « mythe » de l'Histoire. 55 Introduction de L'Ensorcelée, p. 1349. 56 Son scepticisme, comme l'esprit terre à terre de Le Hardouey, a en fait pour fonction d'accroître la plausibilité du surnaturel, lorsque fina- lement il doit le prendre en compte. 57. La préface de 1865 d'Une vieille maîtresse défend le droit au scandale dans les représentations romanesques. Ce curieux argument, que le scan- dale est « révolutionnaire » et que « c'est, au point de vue de l'Ordre, une bonne histoire à écrire que l'histoire des Révolutions » (OR, I, p. 1309), va dans le sens de la thèse de Grivel, que le scandale, essentiel à l'intérêt romanesque, n'est prodigué que pour que soient mieux réas- sertés, au dénouement, le protocole narratologique et la norme idéo- logique. Cf. op. cit., p. 274-288. Sur la peur et le goût du scandale dans la vie et l'œuvre de Barbey, cf. Petit, La littérature et le scandale, Revue des Lettres modernes, série Barbey 8, 1973, p. 7-37. 58. Historiographes et historiens, in Les Œuvres et les hommes, II (d'abord paru en 1861), p. 1 et 4-5. 59 Préface de L'Ensorcelée, p. 1351. « L'histoire de l'Histoire », « l'histoire des idées, des sentiments et des influences, qui font les mœurs et qui les changent », c'est « l'histoire de ce qu'il y a de plus profond, de plus fin, de plus ondoyant et de plus nuancé dans la vie et le passé d'un peuple ! » (compte rendu de 1854, Les Œuvres et les hommes, XXI, p. 58-59). C'est l'Histoire du « profond » et des fonds de l'Histoire. 60 Barbey se pose en récepteur de l'Histoire orale, rêve de faire « inter- viewer » ses informateurs, etc. (Lettres à Trebutien (1853), II, p. 294- 295). Cf. Norbert Dodille, Ecriture romanesque et Histoire orale : l'exemple du Chevalier Des Touches de Barbey d'Aurevilly, in Vendée, Chouannerie, Littérature, p. 133-147. 61. Préface de L'Ensorcelée, p. 1350-1351. 62. Une page d'histoire, in Barbey, OR, II, p. 373, et préface de L'Ensorcelée, p. 1351. 63. « La difficulté de l'Histoire vient surtout de l'idée chimérique et impos- sible que l'on en a. Les rhétoriques l'exigent impartiale et imperson- nelle (...) L'histoire n'est jamais qu'un historien », appartenant à « un camp d'opinions quelconque » (article de 1854, in Le Dix-neuvième siècle..., p. 157). 64. Préface de L'Ensorcelée, p. 1351. 65. « Les personnages historiques n'y sont pas en première ligne (ce sont les personnages d'invention), mais je veux qu'on les y voie passer dans les lointains » — fort estompés, en vérité (Lettres à Trebutien (1849), I, p. 327). Quand Barbey précise en note : « historique », cette mention modifie à peine notre perception d'anecdotes qu'on aurait aussi bien pu prendre pour fictives (E. 595, 598). 66. CH, VIII, p. 1682 et 903. 67. Serres, op. cit., p. 36. Souligné par l'auteur. « Il me faut l' éternité pour faire l'histoire du moindre événement », se lamente déjà la Clio de Péguy; l'addition de ses pages ne sera donc jamais « à la page » (Clio, Paris, NRF-Gallimard, 1932, p. 193 et 190). 68. Chez les femmes, « il y a du naturel même dans leur dissimulation » (Ch. 1110). 69. Notons que la fleur de lis est phallique, comme doit l'être le fétiche freudien, de par sa forme et sa rigidité de « fer de lance » ( 589). 70. Sur l'imbrication de ces deux formes de représentation, cf. L. Marin, Le Portrait du Roi, Paris, Minuit, 1981, en particulier p. 9-13. 71. Selon Lévi-Strauss, l'étymon de « barbare » renvoie au chant des oiseaux, à une « nature » infra-verbale (Race et Histoire, p. 20). Les Bretons de Balzac préfèrent d'ailleurs, chaque fois que possible, les gestes, « l'ex- pression corporelle », à l'expression verbale. 72. Lettres à Trebutien (1849), I, p. 331. 73. Ibid. (1851), II, p. 195. 74. Signe particulier, le nom propre « désigne » dans la mesure où son signifié (de dénotation) est unique et irremplaçable et ne se réalise pas, comme celui du nom commun, dans la langue mais dans le référent. Il faut mettre à part le cas des noms propres « motivés » (les « Gars », surnoms...), où, en sus, la dénotation opère comme pour le nom com- mun. Mais le nom propre « signifie » toujours, sur le mode « conno- tatif » (nom étranger, sexué, daté, vulgaire, etc.). Par sa fonction de « désignation », et que le référent auquel il renvoie soit avéré ou fictif, le nom propre est remarquablement apte à créer un effet de réel. Effet fréquemment fallacieux, comme le prouve Michael Riffaterre dans L'explication des faits littéraires, La Production du texte, Paris, Seuil, 1979, p. 25-27. Remarquons qu'avec les noms fameux, où une réfé- rence culturelle s'ajoute au référent phénoménal, l'effet de réel se double d'un effet affectif ou mythique; « ces noms-là sont nécessaires. Ils valent pour nous des armées » (Q. 418); et pour nous, lecteurs avertis, toute une tranche de passé. Sur la « signification » (classifica- toire) du nom propre, cf. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 226- 286. 75. « Goule » : gueule, mais aussi vampire. Dans « La Croix-Jugan » Ber- thier lit « celui qui porte le joug de la croix ». En baptisant ses person- nages, l'écrivain, « législateur cratyléen », utilise le nom propre comme « un signe, et non bien entendu, un simple indice qui désignerait »; « un signe toujours gros d'une épaisseur touffue de sens » (Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1953, p. 134 et 125). Voir aussi Poétique et onomastique, l'exemple de la Renaissance de François Rigolot, Genève, Droz, 1977, p. 11-24; et la mise au point d'Eugène Nicole, L'onomastique littéraire, Poétique, 54, 1983, p. 233-253. Sur la pratique de Barbey, cf. Dodille, L'amateur de noms : essai sur l'onomastique aurevillienne, in La Chose capitale, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1981, p. 37-69. Et sur l' « onoplastique » balzacienne, Jean Forest, Des femmes de Balzac, p. 32-41. 76. « Jadis les seigneurs mettaient les manants (au cachot); maintenant les manants y mettent les seigneurs. Ces niaiseries-là se nomment une révolution » (Q. 491). 77. Dans la pièce « Ecrit en 1846 » des Contemplations, Hugo expose pour son compte, devant un marquis jumeau de Lantenac, les idées sociales de Gauvain (la ressemblance est frappante entre le « jeune jacobite » devenu républicain et le héros fictif) ( IX, p. 249-258). Petrey mon- tre combien même cette langue que Hugo veut croire « éternelle » est prise dans l'Histoire; « si l'Histoire a du sens, alors le sens varie avec l'Histoire» (op. cit., p. 75). C'est moi qui traduis. Voir en particulier ses commentaires sur le mot « homme », p. 79-82. 78. Il est noté à son propos que « la voix de l'enfant se retrouve dans la voix de l'homme » ( 412). Sur la voix dans l'œuvre (surtout poétique) de Hugo, cf. Alfred Glauser, La Poétique de Hugo, Paris, Nizet, 1978, p. 149-167. 79. Les boutades manipulent à leur gré le « corps » référentiel : la virginité de Marie, « il n'y a encore que les dames qui la lui ont ôtée », par leurs calomnies (Ch. 1136); hélas ! « on me prouva qu'il était hors de mon pouvoir de reconquérir une innocence de laquelle chacun me dépouil- lait gratuitement » (Ch. 1144). 80. Jack Goody insiste sur les effets « civilisateurs », pour les processus cognitifs et les mécanismes sociaux, de la découverte par l'homme de l'écriture. Cf. op. cit., p. 249-250 et passim. Lévi-Strauss détecte son lien au pouvoir et à l'asservissement. Cf. Tristes Tropiques, p. 341-344. 81. Dictateur, dictator : celui qui connaît, contrôle, et usurpe la puissance du dire (dicere). 82. Car « ils étaient ceux que toutes les langues humaines appellent les faibles et les bénis... » (Q. 442). 83. « Et l'on pouvait dire : Non, la guerre civile n'existe pas, la barbarie n'existe pas, la haine n'existe pas... » (Q. 484). 84. L'appel au démembrement du livre était explicite dans Les Contempla- tions : « Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse / (...) Et que, sous ton regard éblouissant et sombre / Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre » (OC, IX, p. 397). Pour mettre l'(auto)destruction du livre en perspective hugolienne, rappelons que le roman naît souvent d'une (in)scription précaire (Notre-Dame de Paris du graffiti Anankè, Les Travailleurs de la mer du nom « Gilliatt » marqué dans la neige), et s'achève sur la résorption de l'inscription (de l'épitaphe de Jean Valjean dans Les Misérables) ou de toute trace textuelle (retour au « blanc » de la mer dans L'Homme qui rit et Les Travailleurs..., de la terre dans Les Misérables, du ciel dans Quatrevingt- Treize). Brombert, qui explique l' « annihilation» du livre par l'angoisse du créateur devant sa création (p. 237-242), commente l'épisode du Saint Barthélemy dans Victor Hugo and the Visionary Novel, p. 215-217. Sur la monumentalisation/ démonumentalisation du livre, voir Butor, Victor Hugo romancier, in Répertoire, II, Paris, Minuit, 1964, p. 215-242 . 85. Cf. Genette, op. cit., p. 75-76 et 183-267. 86. La focalisation, c'est le point à partir duquel est considérée l'action. Dans le récit à « focalisation zéro » (ou à focalisation sur le narrateur), le narrateur en sait bien plus que les personnages (« vision par-derrière »); dans le récit à « focalisation interne », le narrateur se met « dans la peau » d'un personnage dont il partage les connaissances et les igno- rances (« vision avec ») ; dans le récit à « focalisation externe » enfin, les personnages sont saisis sous l'angle « behavioriste », le narrateur en sait moins qu'eux (« vision du dehors »). Cf. Genette, op. cit., p. 206- 207. 87. Léopold Hugo est « auteur » de l'Histoire dans ses Mémoires (1825), où il raconte « sa » guerre de Vendée. 88. D'où des difficultés de déchiffrement pour le narrataire partenaire de ce narrateur : voir Franc Schuerewegen, L'Histoire et le secret. A propos des Chouans de Balzac, in Vendée, Chouannerie, Littérature, p. 287-300. 89. Si, comme le pense L. Frappier-Mazur, il y a ici confusion entre Mme du Gua et Mme de La Chanterie. Cf. Balzac, CH, VIII, p. 1750-1751, n. 2. Ce passage est une addition de 1845. 90. Sur les procédures d'autoreprésentation de l' « auteur » dans La Comé- die humaine, cf. Françoise Van Rossum-Guyon, Sur quelques aspects du métalangage chez Balzac, in R. Le Huenen et Paul Perron, éd., Le Roman de Balzac, recherches critiques, méthodes, lectures, Montréal, Didier, 1980, p. 131-140. A propos de l'Avertissement du Gars, Vanoncini commente la problématisation du « je » créateur dans Figures de la modernité, p. 92-97. 91. Helmut Schwartz, qui analyse la technique de la « vision mixte » — tantôt « du dehors » et tantôt « par-derrière » — chez Barbey, insiste sur ce que la première composante incrimine, tandis que la seconde disculpe. Cf. op. cit, p. 134-157. 92. Les voix du scripteur et de son informateur sont indiscernables dans le « pseudo-diégétique », lequel « consiste à raconter comme diégétique, au même niveau narratif que le contexte, ce que l'on a pourtant pré- senté (ou qui se laisse aisément deviner) comme métadiégétique en son principe » (Genette, op. cit., p. 245). 93. « L'accent de son pays, que j'ai dit qu'il avait, n'était pas prononcé et presque barbare » (E. 563). De plus, Tainnebouy n'est ni jeune ni vieux, ni riche ni pauvre, il est sédentaire et ambulant, partisan du « milieu » en tout... 94. Introduction de L'Ensorcelée, p. 1348. 95. Et de coudre : ses aiguilles sont « les seules armes dont sa main d'hé- roïne fût maintenant armée » ( 775). Mais ces « stylets » fonction- nent aussi comme des « stylographes », et le tissu comme « texte » : Barbe « tira son histoire des parenthèses de l'interruption, comme elle tirait son aiguille à laine de sa tapisserie » (Cd. 828). 96. « Ce livre (...) Vous rappellera, quand Vous le lirez, des contemporains et des compatriotes infortunés auxquels le Roman, par ma main, res- titue aujourd'hui leur page d'Histoire » (OR, I, p. 1386-1387). 97. Cité par Georges Poulet, Hugo, in Etudes sur le temps humain, II, Paris, Plon, 1952, p. 208. 98. Lettres à Trebutien (1855), III, p. pl. Et passage cité par Petit, Barbey, OR, I, p. XXXVI. Conclusion

p. 267 à 275

1. Compte rendu de 1874, Les Œuvres et les hommes, XXI, p. 248-249 et 259. 2. Le , CH, III, p. 143. 3. Reliquat de Quatrevingt-Treize, OC, XV-XVI, 1, p. 512. Et Les Misé- rables, OC, XI, p. 615. 4. OC, XV-XVI, 1, p. 121. La mère sauvage réapparait dans le poème « Jean Chouan » de La Légende des siècles (nouvelle série, « Le Temps présent »; 1876). Un peu comme Lantenac, le chef des « brigands » royalistes, dépeints comme admirables et bornés, y sauve la femme et son enfant — mais lui en meurt. A Jean Chouan survit Jeanne la Chouanne, avec son poids de Nature et d'avenir : encore la dépoliti- sation de l'Histoire. 5. Michelet, Le Peuple, Paris, Flammarion, 1974, p. 72. Souligné par l'auteur. Cioran médite en moraliste sur la « nostalgie de la barbarie » dans La Chute dans le temps, Paris, NRF-Gallimard, 1964, p. 77-82. 6. Sur la situation actuelle du mythe de l'Ouest, mythe (trop) largement répandu par des « chouannités » (spectacles, objets-souvenirs, consti- tution d'amicales, béatification des victimes...) quand justement s'étei- gnent les passions et qu'intervient une Histoire enfin détachée, cf. J.-C. Martin, La Vendée, région-mémoire, in Nora, éd., op. cit., p. 595-617. 7. De Certeau, op. cit., p. 118 (souligné par l'auteur) et 61. 8. Ibid., p. 61. 9. Harald Weinrich déplore la réduction de l'aspect « événementiel » du Mythe au cours des âges, et jusque dans l'anthropologie structurale, sous la pression d'un logos paradigmatique (Structures narratives du mythe, Poétique, 1, 1970, p. 25-34). 10. Le Mythe et l'homme, Paris NRF-Gallimard, 1958, p. 21. 11. Dans La Création mythologique chez V ictor Hugo, Albouy a montré com- ment le poète crée des mythes en investissant les mots, en anthopo- morphisant les figures de style : mythologie visionnaire et cependant « évidente ». Récusant cette thèse, Charles Villiers estime que Hugo se sert des mythes dans un but d'investigation philosophique, à base « rationnelle » (L'Univers métaphysique de Victor Hugo, Paris, Vrin, 1970, p. 85-93). C'est aller loin dans la réaction contre les tendances relitté- ralisantes et concrétisantes d'Albouy. Riffaterre leur oppose, lui, la logique propre des structures verbales, la rhétorique de Hugo rece- vant sa signifiance de déterminations intertextuelles précises. Cf. Sémio- sis hugolienne, in Seebacher, éd., op. cit., p. 38-57. Chez Hugo, la mythologie s'appuie encore largement sur l'imagerie naturelle; en revanche, « les passions balzaciennes comme les mythes balzaciens sont des passions et des mythes de l'Histoire ayant remplacé le ciel, l'eau ou les Dieux » (Barbéris, Balzac, une mythologie réaliste, p. 228). 12. Formes simples, trad. A.-M. Buguet, Paris, Seuil, 1972, p. 77-101. 13. Quelques gloses sur la notion de mythe littéraire, in Mythographies, p. 269-270. 14. Ibid., p. 272. Souligné par l'auteur. 15. La Pensée sauvage, p. 26-50. 16. Sur leur survie, cf. Hélène Védrine, Les Philosophies de l'histoire, déclin ou crise ?, Paris, Payot, 1975, p. 5-8, et Luc Ferry, Philosophie politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, II, p. 24-38. 17. La Pensée sauvage, p. 348. Car, dit Lévi-Strauss, l'Histoire n'a pas d'objet propre (surtout pas « l'humanité »), mais seulement une méthode, utili- sable dans les autres domaines du savoir. Pour une critique marxiste de ce point de vue réducteur, cf. Védrine, op. cit., p. 150-164. 18. Poirier, Préface, Ethnologie générale, p. XVII. 19. Cf. Veyne, Comment on écrit l'histoire, p. 312-343. 20. Cf. Genette, Littérature et histoire, in Serge Doubrovsky et T. Todorov, éd., L'Enseignement de la littérature, Paris, Plon, 1971, p. 243-251. Et le panorama métacritique de Gérard Delfau et Anne Roche, Histoire/Lit- térature, histoire et interprétation du fait littéraire, Paris, Seuil, 1977.

Imprimé en France Imprimerie des Presses Universitaires de France 73, avenue Ronsard, 41 100 Vendôme Décembre 1989 — N° 34 938