<<

Double jeu Théâtre / Cinéma

12 | 2015 entre théâtre et cinéma

Christian Viviani (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/doublejeu/284 DOI : 10.4000/doublejeu.284 ISSN : 2610-072X

Éditeur Presses universitaires de Caen

Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 2015 ISBN : 978-2-84133-779-8 ISSN : 1762-0597

Référence électronique Christian Viviani (dir.), Double jeu, 12 | 2015, « Marcel Achard entre théâtre et cinéma » [En ligne], mis en ligne le 01 mars 2018, consulté le 18 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ doublejeu/284 ; DOI : https://doi.org/10.4000/doublejeu.284

Double Jeu est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.

Couverture : Cédric Lacherez

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction, sous quelque forme que ce soit, réservés pour tous pays.

issn : 1762-0597 isbn : 978-2-84133-779-8

© Presses universitaires de Caen, 2016 14032 Caen Cedex-France Marcel Achard entre théâtre et cinéma

Sous la direction de Christian Viviani

numéro 12 année 2015

CENTRE DE RECHERCHES ET DE DOCUMENTATION DES ARTS DU SPECTACLE – LASLAR

UNIVERSITÉ DE CAEN NORMANDIE Comité scientifique Vincent Amiel (université 1 – Panthéon-Sorbonne), Albert Dichy (IMEC), Gérard-Denis Farcy (université de Caen Normandie), Jean Gili (université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne), Renzo Guardenti (université de Florence), Marie-Madeleine Mervant-Roux (CNRS), Gilles Mouëllic (université Rennes 2).

Comité de rédaction Yann Calvet, Fabien Cavaillé, Pascal Couté, Anne Surgers, David Vasse, Éric Vautrin, Baptiste Villenave, Christian Viviani.

Responsable de la publication Anne Surgers et Baptiste Villenave.

Chaque article publié dans Double Jeu est soumis à un comité de lecture ad hoc composé d’experts dont les avis, anonymes, sont souverains. Depuis un siècle, théâtre et cinéma interrogent le monde, s’offrant mutuellement des représentations nouvelles, des formes pour réfléchir, des ruptures pour aiguiser l’intelligence, des œuvres pour modifier leurs visions. On ne compte plus les exemples d’enrichissement respectif. Ainsi, plutôt que de juxtaposer théâtre et cinéma, Double Jeu entend éprouver ces deux arts à des hypothèses, des problématiques, des regards qui leur soient communs, interroger l’un avec les concepts de l’autre et réciproquement ; et bien entendu se placer à leur articulation, là où des jonctions et des passerelles sont possibles, là où des frottements se font sentir, là où il y a du jeu.

Double Jeu est la revue des Arts du Spectacle rattachés au LASLAR qui accueille chercheurs permanents et contributeurs occasionnels, afin d’instaurer entre les spécialistes des arts du spectacle un dialogue aussi fructueux que celui qu’ont engagé depuis un siècle les praticiens et les créateurs.

REMERCIEMENTS

Cet ouvrage a pu être réalisé et le travail des rédacteurs facilité grâce aux personnes suivantes : –– Vincent Amiel ; –– le personnel de la BNF ; –– Joëlle Garcia ; –– Chantal Meyer-Plantureux ; –– Catherine Salviat ; –– Baptiste Villenave. Un remerciement tout particulier à N. T. Binh pour son aide, ses encouragements et le suivi de sa supervision.

MARCEL ACHARD (1899-1974), INTRODUCTION ET ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

Marcel-Auguste Ferréol naît à Sainte-Foy-lès-Lyon le 5 juillet 1899. Dès l’âge de 17 ans, en pleine Première Guerre mondiale, il remplit les fonctions d’instituteur dans son village dépeuplé par le conflit. En 1919, il débarque à Paris, dans l’espoir de faire carrière en littérature. Il est d’abord souffleur au théâtre du Vieux-Colombier, puis connaît divers emplois aléatoires avant de devenir journaliste pigiste (notamment à Bonsoir, en 1919, où il se lie avec Henri Jeanson avec qui il restera en relation épistolaire sa vie durant – voir, dans le présent numéro, l’article de Nicolas Boscher) 1.

Hauts et bas d’un « roi de Paris »

Il adopte le pseudonyme de Marcel Achard en 1920 et écrit sous ce nom sa première pièce en 1922. Son ascension sera à la fois prestigieuse et fulgurante car, dès 1923, monte sa deuxième pièce, Voulez-vous jouer avec Môa ?, qui recueille l’assentiment de la critique et du public. Marcel Achard est également dans la distribution dans un rôle saillant, celui du clown Grockson. Le dramaturge ira de succès en succès avec des comédies mélancoliques et brillantes à la fois, comme Jean de la Lune ou Domino, qui s’inscriront durablement dans le répertoire du théâtre de boulevard, faisant l’objet au fil des années de reprises régulières. En fait, suscitant l’attention de

1. Il écrivit des articles occasionnels pour Cinéa-Ciné et pour Le Courrier cinématographique. Il tint aussi des rubriques régulières dans Bonsoir (1925-1930), puis dans Marianne (1932- 1937). Il arrêta sa collaboration à cette dernière publication après y avoir défendu La Mar- seillaise de Jean Renoir contre l’avis de la direction (voir entrée « Marcel Achard », in La critique de cinéma en France : histoire, anthologie, dictionnaire, Michel Ciment et Jacques Zimmer [dir.], Paris, Ramsay [Ramsay cinéma], 1997, p. 273).

DOUBLE JEU, no 12, 2015, Marcel Achard entre théâtre et cinéma, p. 9-15 10 CHRISTIAN VIVIANI personnalités éminentes du monde théâtral de l’époque, comme Lugné-Poe, Charles Dullin ou Louis Jouvet, les pièces écrites alors par Achard se situent plutôt dans un savant équilibre entre théâtre de recherche ou d’avant-garde et théâtre grand public 2. On compare alors son art du marivaudage et les subtilités psychologiques de ses personnages à Marivaux, justement, ou à , par la mélancolie qu’on y décèle. En 1925, Marcel a rencontré Juliette Marty qu’il épouse. C’est la mère de Juliette qui aidera financièrement Marcel à monter Voulez-vous jouer avec Môa ?. Une fois le succès de Marcel affirmé, le dramaturge sera, avec Juliette, un des boute-en-train de la vie parisienne. Pendant l’Occupation, bien que Marcel remplisse avec une certaine fierté des fonctions admi- nistratives purement honorifiques, le couple se fera un peu plus discret dans ses sorties mondaines ; ce qui n’empêchera pas Achard d’avoir à se justifier auprès du Comité d’épuration. Juliette ferme les yeux sur les nombreuses conquêtes féminines de son époux, toujours convaincue qu’il finira par lui revenir. Très vite c’est elle qui gère les finances et négocie les contrats. C’est surtout après guerre qu’une certaine critique dédaignera les nouvelles créations d’Achard ou les reprises de ses vieux succès, dans lesquels elle ne voit que l’exemple d’un théâtre sûr de ses effets, mais conservateur et peu ambitieux. Cela est sans doute vrai en partie, car porté par le succès populaire, Marcel Achard ne peut, fût-ce à son corps défendant, se débarrasser d’un certain métier et d’une indéniable facilité pour les « mots d’auteur ». Mais c’est surtout vers la fin de sa vie, quand le succès public ne viendra plus aussi souvent panser ses plaies, qu’Achard sera sérieusement affecté par ce désaveu. Un an avant sa mort, en 1973, il profitera de l’éloge de Jean-Jacques Gautier, critique théâtral récemment élu à l’Académie française, pour fustiger avec une certaine véhémence certaines personnalités du théâtre de recherche (Antoine Bourseiller, Armand Gatti, Marcel Maréchal) qu’on oppose régulièrement à son théâtre plus traditionnel, de plus en plus considéré comme dépassé. Cependant, le classicisme, académisme aux yeux de certains, de certaines de ses pièces ne doit pas cacher la créativité et l’invention qui se manifestent surtout dans des œuvres qui restent, souvent, dans l’ombre de ses succès publics. Ainsi du fécond contraste entre une intrigue triangulaire naturaliste et un langage volontiers aérien dans La Belle Marinière (1929), une hybridation qui annonce, d’une certaine façon, ce que le cinéma va réaliser dans le courant

2. C’est très certainement cette réputation qui fera que , dans l’Italie de l’après-guerre, en 1945, montera Adam, la même année où il fera découvrir au public italien, par ses mises en scène, (Les Parents terribles ; La Machine à écrire), Jean Anouilh (Antigone) et Jean-Paul Sartre (Huis clos). MARCEL ACHARD (1899-1974), INTRODUCTION ET ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES 11

« réaliste poétique », notamment grâce aux dialogues de Jacques Prévert. Ou les tendances pirandelliennes et le goût de la mise en abyme en évidence dans La Femme en blanc (1933) ou dans Le Corsaire (1938). Achard se montre même assez audacieux en abordant frontalement le thème de l’homosexualité dans Adam (1938), pièce qui peut maintenant paraître maladroite et bien timide et qu’Achard lui-même plus tard considérait dépassée. Discrets (ou prudents), Marcel et son épouse Juliette, personnalités en vue du « Tout-Paris » des années trente et cinquante, se mettent en retrait durant les années de guerre. Deux pièces seront créées sans réellement marquer les esprits (Mademoiselle de Panama et Colinette, toutes deux en 1942) et l’un de ses succès adapté au cinéma (Domino, 1943, Roger Richebé), alors que Marcel est essentiellement actif en zone libre, aux alentours de Nice et des studios de la Victorine, lié aux projets cinématographiques de Marc Allégret. Malgré cette discrétion, Achard devra rendre des comptes auprès du Comité d’épuration des gens de lettres, justement à cause de cette activité cinématographique. Après guerre, la sévérité de certains critiques à son égard ne l’empêcha pas de revenir de temps à autre à l’expérimentation : ainsi il rencontra un vrai bide avec Auprès de ma blonde, pièce méconnue et passionnante qui, dès 1946, faisait se dérouler le récit « à l’envers » comme le fera Harold Pinter dans Betrayal / Trahisons conjugales 3. En mai 1959, il est élu à l’Académie française en provoquant la surprise : en effet sa candidature n’arrive qu’une semaine avant le scrutin et il l’emporte devant plusieurs favoris déclarés depuis longtemps. C’est Pasteur Vallery- Radot qui lui confère son épée et son vieil ami qui fait son éloge. Sa dernière pièce, La Débauche (1973), qui met en scène les Borgia sous un jour caricatural, est particulièrement malmenée par la critique. Ses deux plus grands succès de l’après-guerre seront Patate (1957, 2 555 représentations) et L’Idiote (1960). Il meurt en septembre 1974, des suites d’un coma diabétique. Juliette Achard décédera en 1978.

Achard et le cinéma

Dans le présent recueil, c’est le rapport de Marcel Achard avec le cinéma que nous avons tenu à privilégier. Il nous a semblé que par la manière dont

3. Le fait d’avoir rétabli une chronologie, à la suite de premières représentations désas- treuses de la pièce, ne changera rien à son sort. Elle sera créée également à Broadway, par le grand couple mythique du théâtre américain, et , mais sans plus de succès. 12 CHRISTIAN VIVIANI son indéniable métier théâtral s’est adapté au cinéma, tant dans le filmage de ses propres pièces que dans des créations originales, de scénariste ou / et de dialoguiste, et jusqu’à une fascination évidente pour la réalisation, le cas Achard est symptomatique du lien du théâtre de boulevard à un certain cinéma « du samedi soir » qui allait devenir celui de la « qualité française ». De plus, la curiosité de cinéphile qui le pousse à participer, fût-ce de façon anecdotique, à des entreprises avant-gardistes, proches du surréalisme ou du lettrisme, son amitié pour des personnalités telles qu’Ernst Lubitsch puis , et surtout son apport décisif, quoique parfois conflic- tuel, au chef-d’œuvre de Max Ophuls Madame de…, révèlent une fibre aventureuse, voire élitiste, qu’il a, dans les années cinquante, réservée au cinéma et que son succès théâtral a parfois occulté. Dans ses activités de journaliste, dès les années vingt, Marcel Achard a pratiqué avec un véritable intérêt et une sensibilité cinématographique indéniable la critique de cinéma. Inévitablement, ses pièces à succès (Jean de la Lune, 1929) ou non (La Belle Marinière) seront vite portées à l’écran et Achard sera la plupart du temps mêlé à l’adaptation. Il s’amuse également à apparaître en tant qu’acteur, soit incarnant une vague silhouette, soit jouant son propre rôle. Certains des films où il apparaît révèlent bien que, s’il était considéré comme un auteur de boule- vard à part entière, il restait ouvert à l’avant-garde et à l’expérimentation. Ainsi, il débute dans le court-métrage surréaliste de René Clair, Entr’acte (1925), aux côtés de Francis Picabia (entre autres), et on le retrouve en 1951 dans le Traité de bave et d’éternité du lettriste Isidore Isou. Il s’amuse également à jouer les figurants depuis Le P’tit Parigot (1926) de René Le Somptier et jusque dans Aimez-vous Brahms ? (1961) d’Anatole Litvak. C’est probablement de la figuration qu’il fait dans le mystérieux The Unthinking Lobster (1950), court-métrage réalisé par Orson Welles que celui-ci intégra dans un spectacle théâtral joué à Paris au théâtre Édouard VII, Le Miracle de sainte Anne ; ce film est maintenant considéré comme disparu… En 1932, comme nombre de ses confrères dramaturges français, il est engagé par Hollywood dans l’entreprise des films à versions multiples, phénomène éphémère lié aux débuts du parlant. Son travail aux États- Unis va se borner à deux films prestigieux dont la vedette est . Achard est mentionné au générique de la version française de La Veuve joyeuse (1934) d’Ernst Lubitsch comme responsable avec Samson Raphaelson et Ernest Vajda (déjà présents au générique de la version américaine) de l’adaptation de l’opérette de Franz Lehar. En fait, il semblerait qu’une relation de grande confiance se soit établie entre Ernst Lubitsch et Marcel Achard, qui se voit confier une grande part de la réalisation du film, la direction d’acteurs (qui respecte d’ailleurs le travail de Lubitsch que l’on peut voir dans la version américaine) : bien après la MARCEL ACHARD (1899-1974), INTRODUCTION ET ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES 13 mort du grand réalisateur, Juliette et Marcel Achard serviront souvent de pied-à-terre aux voyages parisiens de Nicola Lubitsch, fille du cinéaste. La seconde version française d’un film hollywoodien a lieu l’année suivante. Il s’agit du somptueux film musical de Roy Del Ruth, Folies- Bergère de Paris 4, avec encore une fois Maurice Chevalier. Dans ce cas, outre la contribution au scénario 5, le travail d’Achard à la réalisation est confirmé par le carton du générique : il est bien le réalisateur de L’Homme des Folies-Bergère 6, qui diffère notablement sur quelques points de détail de Folies-Bergère de Paris, par exemple sur la nudité des danseuses. Si bien que la version française fut exploitée aux États-Unis avec quelque succès parallèlement à la version américaine que l’on pouvait voir dans les salles commerciales. De retour en France, Achard va dépasser l’implication de simple adap- tateur de ses propres pièces en imaginant des scénarios originaux pour des films qui eurent un certain retentissement (L’Alibi, 1937, Pierre Chenal ; Gribouille, 1937, Marc Allégret), en écrivant des dialogues (L’Étrange Mon- sieur Victor, 1938, Jean Grémillon) ou en peaufinant en sous-main dialogue et scénario, sans être mentionné au générique (Mayerling, 1935, Anatole Litvak). Mais c’est surtout le travail étroit et fructueux avec le réalisateur Marc Allégret qui restera comme la collaboration cinématographique la plus suivie de Marcel Achard : entre 1937 et 1947, dix films en naîtront, dont de vraies réussites comme le très acerbe Félicie Nanteuil (1944) 7 et le doux-amer Les Petites du quai aux Fleurs (1944), où débutait Gérard Philipe, œuvres dont la mélancolie et parfois le désenchantement recoupent le meilleur du théâtre d’Achard. C’est Pétrus (1946), dont le tournage fut difficile en opposant le scénariste et auteur de la pièce d’origine et le cinéaste 8, qui mettra fin à ce partenariat. En 1948, Achard revient à la réalisation en France avec une nouvelle version de Jean de la Lune (dont il ne fut pas satisfait), puis en 1950 avec

4. C’est ainsi qu’est libellé le titre au générique américain. Mais le film est souvent men- tionné sous le simple titre de Folies-Bergère. 5. Une fois encore une adaptation, d’une pièce hongroise cette fois : Le Chat rouge de Hans Adler et Rudolph Lothar. L’intrigue sera à nouveau utilisée dans Une nuit à Rio / That Night in Rio (1941, Irving Cummings) et dans Sur la Riviera / On the Riviera (1951, Walter Lang). 6. Il partage le carton du générique avec Roy Del Ruth, réalisateur de la version américaine et dont on a gardé notamment les grands ensembles chorégraphiques. 7. En fait le film fut tourné en zone libre en 1942, mais les autorités de Vichy en inter- dirent la circulation car le rôle masculin principal était tenu par Claude Dauphin (créa- teur d’Adam à la scène) qui, entre-temps, avait rejoint le général de Gaulle à Londres. Ce n’est qu’à la fin des hostilités que le film fut distribué et, d’ailleurs, assez peu remarqué. 8. La détérioration de leur entente avait en fait commencé dès Félicie Nanteuil. 14 CHRISTIAN VIVIANI

La Valse de Paris 9 où l’on peut mesurer à la fois l’intérêt du dramaturge pour le cinéma et son goût pour la forme musicale 10 (voir, dans le présent numéro, l’article de Marie Cadalanu). En effet, non seulement La Veuve joyeuse et L’Homme des Folies-Bergère étaient déjà des films musicaux, mais Achard et son épouse Juliette avaient pris l’habitude de voyages annuels à New York où une grande partie de leur plaisir consistait à découvrir les nouveaux succès de Broadway. Ce goût de la forme musicale se retrouvera dans trois créations théâtrales tardives de Marcel Achard. La P’tite Lili (1950) fut un bon succès qu’il écrivit sur mesure pour Édith Piaf et son protégé d’alors, l’Américain (musique de Marguerite Monnot). La Polka des lampions (1961), qui fut un très gros succès d’opé- rette, était la transposition théâtrale du classique de Billy Wilder, Certains l’aiment chaud / Some Like it Hot 11 (1959). Eugène le Mystérieux (1964) était une tentative plus singulière encore, celle d’une comédie musicale sur la personnalité d’Eugène Sue, mis en scène dans son travail de recherche et de documentation pour l’écriture des Mystères de Paris. Tout au long des années cinquante et soixante, Marcel Achard sera plus d’une fois sollicité par le cinéma, non plus pour l’adaptation de ses propres pièces (il restera étranger aux versions cinématographiques de Patate, 1964, Robert Thomas, et de L’Idiote – Quand l’inspecteur s’emmêle / A Shot in the Dark, 1964, 12) mais pour des scénarios et plus souvent pour des dialogues. C’est dans cette période qu’il réalise ce qui reste son plus grand travail d’écriture cinématographique, le classique Madame de… de Max Ophuls (1953) 13 : synchrone avec le cinéaste, et au grand dam de Louise de Vilmorin 14, auteur du récit-source, il trahit la légèreté superficielle de l’œuvre littéraire pour laisser progressivement poindre la tragédie ; un parti pris radical et audacieux qui fait toute la grandeur du film, même s’il ne dédaigne pas les élégants mots d’auteur (« Plutôt que de me séparer de cette rivière, je préférerais me jeter à l’eau »). Mais les autres collaborations restent banales (une nouvelle version d’Orage, 1954, Pierre

9. Le film ne sortira qu’en 1950. 10. En 1943, Marcel Achard aurait secondé à la réalisation, avec Marc Allégret, Yves, frère cadet de Marc, qui débutait sur Les Deux Timides d’après Eugène Labiche. Achard allait retrouver Yves Allégret sur le projet difficile de Mam’zelle Nitouche, après que Fernan- del a refusé le scénario pirandellien proposé par Max Ophuls et Marcel Achard. 11. Le film de Wilder était lui-même adapté d’un film français, Fanfare d’amour (1938, Richard Pottier). 12. Blake Edwards confia le rôle masculin à / inspecteur Clouseau, faisant de ce film le deuxième de la série à succès La Panthère rose. 13. Coécrit avec Annette Wademant. 14. Une rupture des relations amicales (qui avaient peut-être un jour été amoureuses) entre Louise de Vilmorin et Marcel Achard s’ensuivit. MARCEL ACHARD (1899-1974), INTRODUCTION ET ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES 15

Billon), ou parfois médiocres (Sophie et le Crime, Pierre Gaspard-Huit, 1955 ; Le Pays d’où je viens, 1956, Marcel Carné ; La Garçonne, 1957, ). Son dernier vrai travail sera le scénario et les dialogues décevants de La Femme et le Pantin (1959, ), d’après Pierre Louÿs. Mais il est à noter qu’en 1961, c’est Marcel Achard qui fut en charge du doublage en français de Spartacus (Stanley Kubrick) 15. Il sera membre du jury du festival de Cannes (1955) et le présidera par deux fois (1958 et 1959), et présidera une fois le jury du festival de Venise (1960). En somme Marcel Achard réunit en sa personnalité une relation amour / haine avec le cinéma qui fut celle d’une génération entière d’écri- vains et dramaturges (Henri Jeanson, , …). Au vu de certains documents évoqués par Nicolas Boscher dans le présent numéro, on imagine Achard sincèrement fasciné par le cinéma, comme le laisse supposer son activité de critique, mais qui, sous la pression de l’attitude plus véhémente de certains de ses proches (Bernstein 16 et sur- tout Jeanson), a probablement « rentré » cet attachement réel. Si le talent d’écriture d’un Jeanson est indiscutable, on voit bien à travers les meilleures prestations cinématographiques d’Achard (la collaboration avec Ernst Lubitsch, L’Alibi de Pierre Chenal, L’Étrange Monsieur Victor de Jean Grémillon, et surtout l’admirable Madame de… de Max Ophuls) que ce dernier possédait un sens scénaristique qui allait bien au-delà du dialogue bien troussé. Quoique de façon inégale, La Valse de Paris, sa propre réa- lisation, situe bien ses ambitions et sa sensibilité. Le présent recueil d’essais et de témoignages ne prétend certes pas à faire le tour d’une personnalité brillante et complexe, séduisante et parfois irritante, en tout cas symptomatique de son temps et pluridisciplinaire. Mais les auteurs et rédacteurs espèrent entamer la réflexion en proposant ici quelques points de départ.

Christian Viviani Université de Caen Normandie

15. « Malheureusement la version présentée en France est amputée de dix-sept minutes, les dialogues français, supervisés par Marcel Achard (superproduction oblige), sont édulco- rés, tout cela contribuant à atténuer les résonances politiques » (René Gilson, Cinéma 61, no 61, 1961, p. 53). 16. Ce qui n’empêcha pas une polémique avec Bernstein qui n’apprécia guère le travail d’adaptation de Marcel Achard et Marc Allégret de son texte Orage.

ESSAIS

« LES SCÉNARISTES SONT LES SEULS AUTEURS DES FILMS : FAIS EN SORTE QU’ON LE SACHE. AMITIÉS » 1

En s’appuyant, notamment, sur une partie de la correspondance présente dans le fonds Achard à la Bibliothèque nationale de France (BNF), cet article souhaite aborder la manière dont le statut d’auteur aura pu être questionné et débattu – souvent avec passion – par les premiers concernés, c’est-à-dire les scénaristes et les cinéastes, au cours de ces années trente à cinquante pendant lesquelles l’activité cinématographique de Marcel Achard aura été la plus prolifique. Cette réflexion suivra un parcours évidemment fragmentaire puisque le fonds Achard n’a pas été totalement référencé 2, que nous n’en avons exploré qu’une infime partie. Nous souhaitons en présenter malgré tout un aperçu en privilégiant les échanges épistolaires de l’auteur de Jean de la Lune avec deux de ses proches, soit un ami scénariste et un cinéaste complice, deux figures permettant d’aborder la question sous deux angles contradictoires tout en suivant une évolution chronologique : Henri Jeanson et Marc Allégret.

Un préalable : la crise de l’auteur au théâtre

Pendant la période étudiée, la notion d’auteur divise les milieux théâtraux comme cinématographiques. Une même question fait s’affronter les théo- riciens et, évidemment, les artistes et leurs producteurs : qui est l’auteur ?

1. BNF, fonds Achard, télégramme envoyé par Henri Jeanson à Marcel Achard le 5 mai 1955. 2. L’inventaire coté ne concerne que les pièces écrites avant 1935, mais pas la carrière ciné- matographique d’Achard ni l’essentiel de la correspondance.

DOUBLE JEU, no 12, 2015, Marcel Achard entre théâtre et cinéma, p. 19-34 20 NICOLAS BOSCHER celui qui a écrit le texte-support – dramaturge ou scénariste – ou celui qui le met en scène ? Au-delà des spécificités de chacun des deux domaines, c’est bien l’importance à accorder à l’écrit qui est alors questionnée. Le débat né dans le milieu théâtral à partir de la fin du XIXe siècle, avec les figures d’Antoine puis Lugné-Poe 3, participe d’un effort de rénovation générale de l’art dramatique, que l’on ne voudrait justement plus voir résumé au texte. En témoignent les œuvres et écrits polémiques d’Alfred Jarry ou d’Antonin Artaud, puis les interventions du Cartel des quatre (Louis Jouvet, Charles Dullin, Georges Pitoëff et Gaston Baty), créé en 1927, dont les trois premiers membres cités vont justement mettre en scène des pièces de Marcel Achard. C’est d’abord Dullin qui le fait connaître en 1923 à un plus large public, avec Voulez-vous jouer avec Moâ ?. Puis Jouvet triomphe avec la création de Jean de la Lune, en 1929, grâce notamment à l’interprétation de , qui avait déjà joué dans Et dzim la la… du même Achard en 1926, sous la direction cette fois-là de Pitoëff. Même s’ils contestent moins radicalement que leurs deux comparses le « textocentrisme » 4, et rappellent régulièrement leur attachement au texte, Dullin et Jouvet imposent une nouvelle conception du metteur en scène, plus interventionniste, plus « auteur » : dès sa première collaboration avec Dullin, pour Celui qui vivait sa mort au début de 1923, Achard doit accepter à contrecœur que la pièce en un acte qu’il considérait comme une comédie soit traitée en drame par le metteur en scène 5 ; l’année suivante, il entame avec Jouvet une relation professionnelle tumultueuse, initiée par la création de Malbrough s’en va-t-en guerre, farce située à l’époque élisabéthaine dont il doit couper une scène à la demande du metteur en scène 6. Au final, Achard semble avoir renâclé à intégrer un « attelage » que Jouvet constituera de manière plus harmonieuse avec Giraudoux. De cette période, qui voit les metteurs en scène rejoindre les drama- turges au premier plan, voire les dépasser, Jean Vilar dressera après guerre, dans un texte écrit en 1946 mais diffusé seulement en 1955, un bilan qui n’est guère en faveur de ces derniers, et singulièrement de Marcel Achard :

J’avancerai donc personnellement la proposition suivante : les vrais créa- teurs dramatiques de ces trente dernières années ne sont pas les auteurs, mais les metteurs en scène.

3. En février 1923, Lugné-Poe propose la première mise en scène d’un texte d’Achard en créant sa pièce en un acte, La Messe est dite. 4. Rappelons que Baty, auteur en 1921 du polémique « Sire le mot », tente à cette époque d’im- poser un théâtre du silence, ou que Pitoëff place l’acteur au centre du dispositif théâtral. 5. Jacques Lorcey, Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne, Paris, France-Empire, 1977, p. 62-65. 6. Ibid., p. 79. « LES SCÉNARISTES SONT LES SEULS AUTEURS DES FILMS… 21

J’écris cela sans m’en réjouir. J’écris cela parce qu’il me semble que l’œuvre de M. Charles Dullin est, de par ses recherches, ses succès publics, ses insuccès, plus instructive que celles des auteurs contemporains qu’il a lancés ou joués. […] Je crois, d’autre part, que le style de M. Jouvet, style clair, pur, sans den- telles inutiles, sans grâces trop voulues, l’emporte de loin, quoi que lui- même en pense, sur les faibles vertus dramatiques des pièces de Jean Giraudoux et de Marcel Achard […]. J’avance cela sans ironie. Et encore une fois : sans m’en réjouir. L’histoire du théâtre de ces trente dernières années se centre autour des noms de MM. Copeau, Gémier, Lugné-Poe, Dullin, Baty, Jouvet, Pitoëff, c’est-à-dire des metteurs en scène 7.

Le constat est sévère, sans équivoque dans la mesure où il convoque Achard pour l’opposer à des metteurs en scène dont la plupart ont juste- ment créé ses pièces, mais il n’est pas certain qu’il ait été remis en cause depuis. Il peut aider à comprendre pourquoi le théâtre achardien – qui n’aura certes pas imposé une écriture dramatique aussi radicalement singulière que celle de Jarry ou Duras – est aujourd’hui à ce point oublié : son œuvre aura été balayée par le « siècle du metteur en scène » 8. Face à cette déferlante, le boulevard reste le refuge d’un certain confor- misme du style, qui privilégie le dialogue et les bons mots comme autant de marques rassurantes de la prééminence du texte, donc du dramaturge : on va y voir essentiellement une pièce de Sacha Guitry, Henri Bernstein ou Marcel Achard justement, dont l’évolution progressive vers une écriture plus conventionnelle, après des débuts qui l’associaient à l’avant-garde théâtrale, peut aussi être comprise comme un repli vers un univers où son statut d’auteur ne soit plus contestable. L’ironie est que le cinéma aura – grâce aux innovations expressives du muet et partant au statut éminent accordé à certains réalisateurs après la Première Guerre mondiale – justement nourri cette dangereuse rénovation de l’écriture théâtrale et l’évolution du rôle attribué au metteur en scène, alors même qu’il aura, comme le boulevard, représenté pour l’auteur du Corsaire une tentation constante et un refuge. Tentation et refuge qu’il aura d’ailleurs partagés avec trois autres écrivains, transfuges venus comme lui de l’univers dramatique : Steve Passeur, Marcel Pagnol et Henri Jeanson,

7. Jean Vilar, « Le metteur en scène et l’oeuvre dramatique », in Le théâtre français du XXe siècle, Robert Abirached (dir.), Paris, L’Avant-scène théâtre (Anthologie de « L’Avant- scène théâtre »), 2011, p. 563-564. 8. Béatrice Piccon-Vallin, « Le siècle du metteur en scène », in Le théâtre français du XXe siècle, p. 535-611. 22 NICOLAS BOSCHER dont la correspondance croisée, mais évidemment, pour l’essentiel, passive 9, compose une part non négligeable du fonds Achard.

Les « Rastignac de ce début de siècle » : Marcel Achard et Henri Jeanson

Nourris de références littéraires, les comparses semblent, au cours des années vingt et trente, s’identifier aux ambitieux de la littérature roman- tique du siècle passé. Sous la plume d’« Aramis-Jeanson » 10, Achard devient « Porthos » auquel il est reproché de ne pas posséder « l’âme d’Aramis » 11 ; de son côté, dans une conférence rédigée en 1934, Achard-« Porthos » assimile plutôt le dramaturge tenté par le cinéma américain à un célèbre ambitieux balzacien :

Si Balzac avait à peindre le Rastignac de ce début de siècle, il ne le montre- rait pas au Père Lachaise, contemplant Paris et s’écriant « À nous deux ! » mais bien plutôt dans un cinéma de quartier, assistant à un documen- taire sur Hollywood et, à onze jours de voyage de son but, s’écriant « À nous deux », devant le fantôme de sa ville 12.

Rastignac ou personnage éponyme des Trois Mousquetaires, l’analogie souligne, au-delà de l’ancrage littéraire, l’ambition commune à nos drama- turges partis à l’assaut, après la conquête de la citadelle théâtrale 13, de l’eldo- rado cinématographique. Mais c’est d’abord dans les lettres envoyées par Henri Jeanson que cette ambition trouve le plus clairement et régulièrement à s’exprimer. Dans sa correspondance, Achard se départit rarement d’un ton affable, peut-être inspiré par la prudence ; Pagnol reste plus mesuré dans son expression ; Passeur privilégie l’épanchement intime ; tandis que le futur scénariste de Pépé le Moko, la dent dure et la langue venimeuse, s’exprime

9. La mise en regard de ces différentes correspondances – comme des activités de critique de Jeanson et Achard – constitue bien sûr une perspective prometteuse, même si cer- tains fonds (Jeanson, Marc Allégret), déposés à la BNF ou à la SACD, ne sont que par- tiellement référencés. Nous avons pu néanmoins consulter les rares lettres envoyées par Marcel Achard à Henri Jeanson et déposées actuellement à la SACD. 10. BNF, fonds Achard, lettre d’Henri Jeanson, datable de la fin de 1930. 11. BNF, fonds Achard, lettre d’Henri Jeanson, datée du 12 septembre 1929. 12. BNF, fonds Achard, conférence de 1934. 13. Conquête glorieuse pour Pagnol et Achard, plus laborieuse pour Passeur et surtout Jeanson dont les trois pièces sont qualifiées par Françoise Giroud d’« aimables échecs » (« Portrait d’Henri Jeanson », in Nouveaux portraits, Paris, Gallimard [L’air du temps], 1954, repris dans Jeanson par Jeanson, Paris, Éd. René Château [Mémoire du cinéma français], 2000, p. 545). « LES SCÉNARISTES SONT LES SEULS AUTEURS DES FILMS… 23 sans détour. Son ambition est double, à la fois individuelle et théorique : imposer – après ses amis Pagnol et Achard – son nom au générique de films et, plus largement, faire reconnaître le scénariste en tant que leur véritable auteur. Cette ambition s’exprime sur plusieurs fronts : à travers les films, où brillent des dialogues mémorables ; de manière publique, grâce à une série d’articles publiés à partir de 1935 dans Le Canard enchaîné, La Flèche ou Le Merle blanc ; dans le cadre privé de la correspondance, une des plus continues et considérables du fonds Achard. Mettre en regard le discours de l’épistolier et celui du critique permet alors de mieux comprendre ce qui se joue, au sein du microcosme cinématographique avec l’apparition du parlant, puis sa diffusion en France à partir de 1929. C’est que les débats qui agitent le monde théâtral trouvent des échos dans celui du cinéma, d’autant plus que ce passage au parlant semble promettre aux écrivains la revanche du texte sur l’image. Par ailleurs, les scénaristes et réalisateurs ont pu intégrer conjointement la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) le 25 juin 1929, en dépit de la réticence des dramaturges, tel Henri Bernstein qui ne peut croire « que la Société des auteurs et compositeurs dramatiques veuille accueillir parmi ses membres les manuels, les exécutants, les metteurs en scène » 14. Ce regard méprisant porté sur les réalisateurs – ou plutôt sur ces « metteurs en scène » que les scénaristes venus du théâtre voient comme de purs techniciens – se retrouve chez Jeanson, et ce dès les premières expériences cinématogra- phiques d’Achard, parti une première fois pour Hollywood, en 1931 15, afin d’adapter La vie est belle 16 : « Comment t’entends-tu avec tes metteurs en scène ? D’Abbadie d’Arrast ? Pour l’amour de Dieu ne te laisse pas marcher sur les pieds par ces cons là » 17. En 1935, un autre séjour américain, cette fois-ci comme adaptateur et réalisateur de la version française de Folies- Bergère après sa collaboration avec Ernst Lubitsch pour la version française de La Veuve joyeuse, vaut à Achard une missive où il est accusé par son vieil ami d’être passé du côté de l’ennemi, c’est-à-dire des réalisateurs : « Salaud,

14. Intervention d’Henri Bernstein à l’assemblée générale extraordinaire de la SACD du 19 novembre 1924, reprise dans l’ouvrage de Jean-Pierre Jeancolas, Jean-Jacques Meusy et Vincent Pinel, L’auteur du film : description d’un combat, Paris / Arles / Lyon, SACD / Actes Sud / Institut Lumière, 1996, p. 67. 15. Jacques Lorcey (Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne, p. 111) situe ce séjour entre fin 1928 et début 1929. Mais le contrat de la Paramount pour l’adaptation de La vie est belle date du 23 mars 1931 (BNF, fonds Achard / 4 – Col-101 [9, 11]). 16. Cette première expérience est un échec car Achard refuse de valider les options du met- teur en scène et préfère renoncer au projet. Mais elle lui a permis de rencontrer Ernst Lubitsch, sollicité par Maurice Chevalier afin d’arbitrer le conflit (Jacques Lorcey, Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne). 17. BNF, fonds Achard, lettre non datée, arrivée aux États-Unis le 12 mai 1931. 24 NICOLAS BOSCHER cochon, cinéaste – Je te demande pardon ces mots m’ont échappé. Ce sont des espèces de pets, n’y ajoute aucune importance » 18. Taquineries amicales ? Peut-être, mais elles font écho aux critiques publiées alors par Jeanson et qui, notamment quand elles concernent des films auxquels Marcel Achard a collaboré, minorent ou dévalorisent systématiquement le rôle joué par les cinéastes dans le processus créatif. Il propose ainsi une contre-histoire du cinéma, à rebours de celle que voudraient écrire à cette époque les cinéastes les plus ambitieux comme de celle qui domine aujourd’hui.

Achard vu par Jeanson : l’auteur premier

Auteur littéralement premier puisque Jeanson propose tout simplement, dans un article rétrospectif intitulé « Le cinéma français doit vivre libre » et publié le 3 novembre 1939, donc à la veille du procès pour délit d’opinion qui verra sa condamnation à cinq ans de prison 19, de considérer Marcel Achard comme le premier des auteurs du tout jeune cinéma parlant fran- çais, grâce son auto-adaptation de Jean de la Lune :

[…] Afin de fêter dignement son 17e procès pour délit d’opinion, Henri Jeanson nous adresse aujourd’hui le spirituel tour d’horizon que nous publions ci-dessous. Dans les derniers temps du muet, le cinéma français avait perdu toute espèce d’intérêt… Il était dans un état désespéré. […] Les metteurs en scène du muet, incapables de diriger les comédiens, perdus dans le pays pour eux inconnu de la syntaxe, incapables aussi de distinguer une bonne réplique d’une mauvaise, ne soupçonnant pas qu’il y a dans les dialogues des premiers plans et des plans généraux, des répliques vedettes et des répliques de figuration, remplissaient les écrans de drames tapageurs et de vaudevilles sonores… Mais plus ils remplissaient les écrans et plus ceux-ci paraissaient vides.

Puis, poursuit Jeanson, survint le producteur Georges Marret, qui « n’était pas très intelligent. Pas très cultivé. Pas très spirituel » mais qui « eut l’idée – dangereuse pour l’époque – de tourner Jean de la Lune » :

18. BNF, fonds Achard, lettre datée du 1er janvier 1935. 19. Trois jours après la publication de cet article, et à la suite de plusieurs appels pacifistes, dont un article publié dans SIA, Jeanson est arrêté puis condamné à cinq ans de prison pour « provocation de militaires à la désobéissance, provocation à l’insoumission et com- plicité ». Sa peine sera ensuite réduite en appel (Laurent Martin, « Collaboration “chaude” ou collaboration “froide” ? Le cas d’Henri Jeanson [1938-1947] », Vingtième siècle. Revue d’histoire, vol. LXXXVI, no 2, 2005, p. 91-106). « LES SCÉNARISTES SONT LES SEULS AUTEURS DES FILMS… 25

On cria au scandale, à la démence. On insulta Georges Marret. Ce Jean tomba de la lune et creva l’écran. Et les industriels de la pellicule, réveillés de leur pesant sommeil par les éclats de rire d’un public sensible à la drôlerie d’un dialogue entre tous savoureux eurent tout à coup le sentiment très net que la parole n’était pas qu’un vain accessoire. Depuis, le cinéma français est devenu quelque chose de pas mal du tout et même quelque chose d’assez bien… Plusieurs de ses films ont fait le tour du monde 20. […]

On appréciera ici, non seulement la manière avec laquelle les metteurs en scène du muet – dont Marcel Achard a pourtant été un des thuriféraires immédiatement après la Première Guerre mondiale, dans les articles qu’il signe à partir du 12 octobre 1919 pour le quotidien Bonsoir 21 – sont rejetés dans les abysses de la nullité où ils rejoignent le producteur « pas très intel- ligent », mais aussi comment la réussite du film, et sans doute pour Jeanson de tous les films parlants, semble naître essentiellement « d’un dialogue entre tous savoureux ». En cela, celui qui fut le dialoguiste d’Hôtel du Nord ne fait qu’offrir, juste avant l’interruption contrainte de son activité de critique, un raccourci saisissant des textes publiés à partir de 1935 : devant la version fran- çaise de La Veuve joyeuse, il commençait d’emblée par vanter « la fantaisie de Marcel Achard, son étonnant dialogue, ses trouvailles poétiques », avant d’admettre « l’intelligence de Lubitsch » et, enfin, de célébrer en conclusion la façon dont « Achard et Lubitsch ont gardé la valse et rajeuni l’opérette » 22. Encore conserve-t-il ici un reste de reconnaissance pour l’intervention du cinéaste, mais il est vrai que Marcel Achard n’est arrivé que tardive- ment sur ce film réalisé par un cinéaste prestigieux. Quand Henri Jeanson rend compte, trois ans plus tard, de la collaboration d’Achard avec Jean Grémillon, il adopte un ton résolument plus polémique et offensif, annoncé d’emblée par le titre de l’article : « L’Étrange M. Victor – Les metteurs en scène indiscrets » 23. La suite est à l’avenant :

[…] Il a au moins un mérite ce navet : celui de nous faire assister par ses défauts, à la lutte sournoise que les metteurs en scènes livrent aux auteurs de films…

20. Henri Jeanson, article publié dans Le Merle blanc, 3 novembre 1939, repris, comme tous les articles signés Jeanson cités dans cet article, dans Jeanson par Jeanson. 21. Marcel Achard n’est pas le plus régulier des chroniqueurs de l’actualité cinématographique, contrairement à Pierre Scize puis Jean Morizot. Mais il célèbre notamment « les Gance, les L’Herbier, les Baroncelli, les Le Somptier et les Delluc » (Bonsoir, mardi 3 mai 1921, no 820). 22. Henri Jeanson, article publié dans Le Canard enchaîné, 6 février 1935. 23. Henri Jeanson, article publié dans La Flèche, 24 juin 1938. 26 NICOLAS BOSCHER

M. Grémillon appartient à cette catégorie de réalisateurs démodés qui obéissent encore aux absurdes lois du cinéma muet. M. Grémillon fait de l’image pour l’image… M. Grémillon ne songe qu’à une chose : escamo- ter l’action, faire disparaître le dialogue et dérober les comédiens à notre vue, tout cela au bénéfice de lamentables effets photographiques. […] M. Grémillon ne se doute pas qu’une réplique de Marcel Achard a infini- ment plus de force de suggestion qu’un panoramique omnibus ou qu’un travelling tortillard et il n’a pas encore observé que le visage de M. Raimu, qu’un regard de M. Raimu, qu’un souffle de M. Raimu a plus de puis- sance comique, tragique, mélancolique ou bouffonne, que toutes les ingé- niosités photographiques d’un metteur en scène en quête d’invention. Le métier du metteur en scène ne consiste pas à détourner l’attention du public. Il consiste, au contraire, à retenir cette attention. Il faudra bien, un jour, essayer d’apprendre cette vérité première aux messieurs qui s’in- titulent un peu distraitement sans doute, metteurs en scène !

Ceci étant, en considérant le film comme le territoire d’une lutte sou- terraine entre l’image et le verbe, Jeanson appréhende involontairement 24 ce qui constitue la singularité et une des qualités les plus essentielles de Grémillon, attaché à organiser des rapports contrapuntiques entre les composantes de tous ses films. Plus largement, il est frappant de constater que les plus brillants des cinéastes avec qui Achard aura eu l’occasion de collaborer – Lubitsch, Grémillon ou Ophuls – privilégient justement ces rapports dialogiques, voire conflictuels, entre les composantes visuelles et sonores. Plutôt que de considérer, tantôt l’image (selon Jeanson), tantôt les dialogues achardiens (selon tant de commentateurs contemporains 25), comme des adjonctions secondaires pour ne pas dire parasites, il serait peut-être intéressant d’envisager que le brillant et de l’un, et des autres, participe justement d’un complexe jeu d’équilibre contrôlé par l’auteur. Ou par les auteurs du film, si l’on préfère, et pour adopter une prudente neutralité… Entre ces deux pôles que sont le respect poli dû au cinéaste admiré et l’expression la plus franche du mépris pour le « manuel », le « technicien » – selon la terminologie condescendante commune à Bernstein et Jeanson –, le rôle du cinéaste est le plus souvent éludé : Gribouille (filmé par Marc Allégret) est un film « de Marcel Achard », au générique comme dans la

24. C’est déjà ce que notait Geneviève Sellier dans son Jean Grémillon, le cinéma est à vous, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989, p. 120. 25. Depuis la co-scénariste de Madame de…, Annette Wademant (voir son intervention dans le documentaire de Martina Müller, Max Ophüls – Den schönen guten waren, 1990), jusqu’à la notice consacrée à Marcel Achard sur le site Internet de la Cinémathèque française. « LES SCÉNARISTES SONT LES SEULS AUTEURS DES FILMS… 27 critique d’Henri Jeanson 26 ; huit ans plus tard, quand le même critique rend compte de la sortie tardive de Félicie Nanteuil (toujours de Marc Allégret), il ne croit même plus utile d’indiquer le nom du réalisateur, se contentant une fois de plus de vanter le « dialogue savoureux, goguenard, sensible, spirituel et surprenant de Marcel Achard » 27. Or, le générique de ce second film a justement fait l’objet d’un débat extrêmement vif entre son scénariste, son réalisateur et ses producteurs. Débat qui tournait autour de la désignation de son auteur.

Félicie Nanteuil : le scénariste contre le réalisateur

La relation entre Marcel Achard et Marc Allégret évolue comme un drame en trois actes dont les péripéties s’impriment à la fois aux génériques des films et dans les lettres échangées. Le premier moment, c’est celui de la collaboration apparemment paisible, à partir de Gribouille (1937), dont nous venons de voir que le générique le présentait d’emblée comme le film « de Marcel Achard ». Le réalisateur s’effaçait alors pour adopter la position de simple exécutant avec une humilité qu’a pu encourager l’influence d’André Gide 28, éminent homme de l’écrit admiré par Allégret. Elle se poursuit avec Orage (1938), Le Corsaire (1939, inachevé), Parade en sept nuits (1940), La Belle Aventure (1942), puis L’Arlésienne (1942) 29. Marcel Achard devient le parrain de Danièle, fille de Marc Allégret et Nadine Vogel, tandis que les lettres envoyées entre 1939 et janvier 1941 témoignent alors de la parfaite entente professionnelle et personnelle qui règne entre les deux hommes, le cinéaste déclarant : « C’est vraiment merveilleux de travailler avec toi » 30, assurant son scénariste de sa « solide passion » 31 pour lui, ou se « réjouis[sant] follement de [le] voir » 32. Mais dans cette dernière lettre est également évoqué le projet de Félicie Nanteuil dont la production va donner à la correspondance – et sans doute

26. Henri Jeanson, « On demande des vedettes », article publié dans Le Canard enchaîné, 31 mars 1937. 27. Henri Jeanson, « Félicie Nanteuil », article publié dans Le Canard enchaîné, 18 juillet 1945. 28. Bernard J. Houssiau, Marc Allégret découvreur de stars, sous les yeux d’André Gide, Yens / Morges, Cabédita (Archives vivantes), 1994, p. 196. 29. Seule infidélité de Marc Allégret à Marcel Achard pendant cette période : Entrée des artistes (1938), dialogué par… Henri Jeanson. 30. BNF, fonds Achard, lettre datée du 3 janvier 1939. 31. BNF, fonds Achard, lettre de Marc Allégret datée du 12 septembre 1939. 32. BNF, fonds Achard, lettre datée du 7 janvier 1942. 28 NICOLAS BOSCHER

à leur relation – un ton nettement plus âpre. En effet, une évolution très nette des rapports entre le réalisateur et son scénariste se fait jour entre cette missive – dans laquelle Allégret sollicitait l’opinion de son collabo- rateur sur la distribution en cours – et celle expédiée sept mois plus tard par Allégret à Henry Gendre 33, avec copie à Georges Florin, président de la société de production Impéria, et à Marcel Achard, qui revendiquait apparemment le titre d’auteur principal du film :

Mon cher Henry, Je reçois la lettre de Marcel Achard du 17 août 1942 que tu me com­ muniques. Je regrette qu’il y ait des désaccords entre Marcel, un de mes collabora- teurs et moi-même, sur des questions de signatures. Avant de te répondre, comme le conseille Marcel, dans sa lettre (« Pour se convaincre, il n’est que de lire l’auteur de “Frénésie” [Charles de Peyret- Chappuis, auteur de la première adaptation] et le comparer au film, scène par scène ») j’ai fait la comparaison de la continuité que j’ai donnée à Marcel Achard et du scénario définitif, cette comparaison m’a donné le résultat suivant […] 34.

Suit, sur trois colonnes, le comparatif scène par scène entre la version de Peyret-Chappuis, et celle revue et dialoguée par Marcel Achard. Pour 25 scènes sur 49, pratiquement toutes situées dans la première moitié du film, Marc Allégret ne note aucun changement. Sept autres ont été sup- primées. Dans les 17 scènes restantes, la plupart des différences semblent souvent minimes, concernant notamment des changements de décor pour quatre scènes ou bien des personnages secondaires (Mme Nanteuil ou le Dr Socrate). Et si Marc Allégret indique que la scène 36, au cours de laquelle « Mme de Ligny fait une scène violente à son fils », est entièrement « de Marcel Achard », c’est pour préciser malicieusement que « cette scène a, d’ailleurs, été coupée du scénario d’un commun accord »… Une évolution, néanmoins, paraît essentielle : elle concerne la figura- tion du fantôme de Chevalier, qui devait apparaître régulièrement dans la dernière partie du film, à partir de la scène 41 :

À partir de ce moment, pour toutes les scènes du fantôme, nous avons décidé de tourner deux versions : une version avec le fantôme parlant et une version sans apparition directe du fantôme, le laissant simple- ment en évocation.

33. Il s’agit, a priori, du père de Louis Jourdan, qui semble avoir été associé à la production du film au sein de la société Impéria. 34. BNF, fonds Achard, lettre du 27 août 1942. « LES SCÉNARISTES SONT LES SEULS AUTEURS DES FILMS… 29

À la suite de conversations avec Marcel Achard et M. Prouvost, nous avons décidé de ne tourner que la deuxième version, c’est-à-dire la ver- sion dans laquelle le fantôme n’apparaît pas 35.

Cette inflexion est primordiale, puisqu’elle atténue la tonalité fan- tastique pour faire glisser le film vers la description pathologique d’une femme hantée par la culpabilité plus que par le fantôme de son ancien amant. Marc Allégret en est conscient, lequel note plus loin, au sujet de la scène 45, que « ce n’est plus l’évocation directe du fantôme qui occasionne la brouille entre Ligny et Félicie mais le souvenir de Cavalier qui est évoqué dans le dialogue des deux amoureux » 36. Néanmoins, on voit comment l’évolution est attribuable, selon le cinéaste, non au seul scénariste mais à un triumvirat composé de ce dernier, de lui-même et du producteur Jean Prouvost. Dans la conclusion de sa lettre, il peut donc rejeter sans appel la demande d’Achard, non sans adopter un très prudent jésuitisme censé ménager à la fois la chèvre et le chou, la défense de son statut de réalisateur et la susceptibilité de son puissant scénariste :

Mon cher Henry, après avoir terminé ce petit travail que Marcel, dans sa lettre, te demandait de faire, je crois m’expliquer la situation comme suit : Le grand intérêt que Marcel a pris à ce sujet et l’immense apport que la qualité exceptionnelle que son dialogue va être pour le film, l’amour qu’il y a porté, la gentillesse avec laquelle il nous a aidés, lui font consi- dérer ce film comme le sien. J’en suis extrêmement heureux et touché et je trouve qu’il ne pouvait pas y avoir une preuve plus éclatante de la complète entente que nous avons eue sur ce sujet. Nous y avons tous travaillé avec d’autant plus de foi et d’enthousiasme que le sujet était plus difficile et plus dangereux. Tu sais que je me suis toujours volontairement et volontiers effacé lorsqu’il s’est agi des signatures de scénarios et des honneurs. Comme la question se pose et que j’ai été amené à faire ce travail de contrôleur, il me semble que, en toute justice, il m’est, à mon plus grand regret, impossible d’être d’accord avec Marcel. Tu m’as demandé de te donner mon avis en toute justice. Comme je regrette que cette justice ne puisse pas aller dans le sens de mon amitié la plus profonde. Je crois donc qu’il faudrait inscrire au générique : « Adaptation de Ch. de Peyret-Chappuis - Marc Allégret et Marcel Achard »

35. BNF, fonds Achard, lettre du 27 août 1942. 36. BNF, fonds Achard, lettre du 27 août 1942. 30 NICOLAS BOSCHER

et qu’il faudrait surtout ne pas oublier de mettre : « d’après l’œuvre d’Anatole France » Parce que, en définitive, il n’y a guère de scène qui ne soit directement inspirée d’un chapitre ou d’un passage de ce livre. Marc Allégret 37

La réaction du cinéaste est d’ailleurs compréhensible et on peut s’étonner qu’Achard ait tenu à voir « considérer ce film comme le sien », alors même que, contrairement à Gribouille, il n’en était pas le principal scénariste, ni même l’auteur de l’œuvre originale. Sans doute faut-il y voir le signe d’une ambition grandissante – et d’autant plus grandissante qu’elle a pu être aiguillonnée par Jeanson, entre autres. Ambition qui aura pu d’autant mieux s’exprimer que Marcel Achard – inspiré peut-être par le modèle hollywoodien dont il note dans les conférences qu’il lui consacre que les figures centrales en sont les producteurs ou les directeurs de studio, seuls « véritables artistes du cinéma » 38 – occupe également des responsabilités au sein de la société de production Impéria. Il ne manquait pas de le souligner avant le tournage de Félicie Nanteuil, dans un courrier adressé à Jean Prouvost :

[…] Mon cher Jean, quand l’idée vous est venue de faire du cinéma, j’ai été très flatté de vous voir vous adresser à moi pour vous aider dans cette entreprise. Souvenez-vous que j’ai refusé d’être votre employé et que j’ai préféré prendre toutes les chances en devenant votre associé. Je crois avoir été pour vous un associé absolument fidèle et loyal. En effet, que pouvez-vous me reprocher ? Rien, j’en suis sûr. Par contre, qu’ai-je fait pour vous et pour Impéria ? 1° MARC ALLEGRET. - De tous les collaborateurs que je vous ai adjoints, il me paraît évidemment et de beaucoup le plus précieux. Il n’a pas été seu- lement un metteur en scène remarquable, mais il a encore organisé le per- sonnel technique, préparé le matériel, augmenté les ressources d’Impéria. Vous n’aviez pas confiance en lui, et je vous sais trop loyal pour ne pas reconnaître que c’est à la suite d’interminables conversations entre nous que vous lui avez accordé cette confiance qu’il a si largement justifiée par la suite 39.

D’emblée était suggérée ici une hiérarchie entre le scénariste (associé à la production et à la constitution du casting puisque Achard revendique,

37. BNF, fonds Achard, lettre du 27 août 1942. 38. BNF, fonds Achard, conférence de 1934. 39. BNF, fonds Achard, lettre adressée à Jean Prouvost, envoyée entre la fin de 1941 et le début de 1942. « LES SCÉNARISTES SONT LES SEULS AUTEURS DES FILMS… 31 toujours dans ce même courrier, d’avoir imposé Louis Jourdan et Micheline Presle avant qu’ils ne deviennent des vedettes) et le « metteur en scène », désignation ambiguë empruntée au théâtre et que le scénariste n’associe ici qu’à des activités subalternes qui sont davantage celles d’un habile technicien – « collaborateur » capable de « prépar[er] le matériel » – que d’un artiste à part entière. Metteur en scène au sujet duquel Achard rappelle qu’il aura dû l’imposer à un producteur réticent, au même titre que les deux comé- diens principaux. En cela, il revendique bien, en sus des fonctions d’auteur et d’associé, sa proximité avec les « grands producteurs » américains qui « choisissent eux-mêmes leur histoire, leurs vedettes, leurs auteurs » et dont « les deux plus célèbres sont Irving Thalberg et Darryl Zanuck » 40, soit les producteurs respectifs de La Veuve joyeuse et Folies-Bergère. De manière moins souterraine, son ambition s’exprime à travers son parcours professionnel pendant l’Occupation : après la création du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC) par les autorités de Vichy, Marcel Achard intègre d’abord sa commission consultative puis son comité de direction, à partir du 23 mai 1942 – c’est-à-dire entre le début de la production de Félicie Nanteuil et le conflit tournant autour de la désignation de son auteur. Il y « représente les collaborateurs de création et assume le contrôle de la qualité des films » 41. Cette ascension fulgurante aurait-elle stimulé son audace, sa volonté de se voir reconnu comme scénariste-auteur ? Toujours est-il que l’Office français d’information (OFI) diffuse l’information dans la presse par un article laudatif intitulé « L’industrie du cinéma va être réorganisée » 42. Achard y est présenté comme « l’auteur du [sic] théâtre bien connu qui consacre depuis des années la plus grande part de son activité au cinéma », tandis que d’autres articles le décrivent comme le « directeur de l’industrie cinématogra- phique française » 43, le « dictateur – en tiers – de l’industrie du film », un « Bonaparte » 44. Tous ces articles élogieux, et qui deviendront encombrants à la Libération, sont soigneusement découpés et conservés au sein des archives Achard, ce qui suppose que le dialoguiste de Félicie Nanteuil aura été sensible à cette promotion au sein de l’appareil de production cinématographique, au cours d’une période qui voit l’affaiblissement des

40. BNF, fonds Achard, conférence de 1934. 41. Jean-Pierre Bertin-Maghit, Le cinéma français sous l’Occupation, Paris, Perrin, 2002, p. 58. 42. BNF, fonds Achard, article découpé par Achard, daté du 26 mai 1942, journal non iden- tifié. 43. BNF, fonds Achard, article découpé par Achard, non daté, journal non identifié. 44. BNF, fonds Achard, article découpé par Achard, non daté, journal non identifié. 32 NICOLAS BOSCHER auteurs face aux producteurs 45. Notons néanmoins que le rôle d’Achard semble avoir été plus limité qu’attendu, l’essentiel des décisions étant, de fait, prises par la direction du Service du cinéma, qui ne jugera même pas utile d’avertir le COIC du décret du 23 mars 1943 concernant la protec- tion des droits d’auteurs, ni de la création de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) 46, dont le premier directeur est d’ailleurs Marcel L’Herbier, pionnier du cinéma d’auteur et de la reconnaissance du rôle créatif du réalisateur. Réduits à un rôle essentiellement consultatif, les trois membres du COIC démissionneront collégialement le 30 août 1943, soit un peu plus d’un an après leur nomination. Toujours est-il que, face aux exigences d’Achard, ni le réalisateur, ni les producteurs de Félicie Nanteuil ne semblent avoir cédé : la brochure publiée par le COIC en septembre 1942 47 annonçant les films en produc- tion ne le crédite que des dialogues, comme ce sera effectivement le cas au générique du film dont la sortie sera repoussée – après une production difficile et la mise au ban d’un de ses acteurs entré dans la Résistance, Claude Dauphin – jusqu’en 1945 : il est présenté par contre comme « un film de Marc Allégret », inversant la hiérarchie qui était celle de Gribouille. Après ce rapport de force et cette inversion des attributions, s’ouvre enfin le troisième et dernier acte de la relation entre Marcel Achard et Marc Allégret : les lettres témoignent d’un certain refroidissement des relations tandis que les collaborations s’espacent avant de cesser complètement après 1946. Cette même année, le Comité de libération du cinéma français porte plainte contre Marcel Achard en l’accusant « d’avoir accepté la présidence du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique, pendant l’Occupation » 48. Il est « frappé, par arrêté préfectoral du 20 avril 1946, de blâme sans affichage avec insertion de cette mesure dans deux journaux corporatifs » 49, sentence confirmée en appel : Marcel Achard prétendait n’avoir occupé aucun poste décisionnaire. Or, le préfet de la Seine rejette son pourvoi en notant que

la qualité d’auteur dramatique invoquée par M. Achard correspond d’ail- leurs à une seule des activités multiples du requérant, également scénariste et dialoguiste et que ses fonctions auprès du COIC suffiraient à le classer

45. Jean-Pierre Jeancolas, Jean-Jacques Meusy et Vincent Pinel, L’auteur du film…, p. 123. 46. Jean-Pierre Bertin-Maghit, Le cinéma français…, p. 59. 47. BNF, fonds Achard, Films français 1941-1942, Éditions du ministère de l’Information, sep- tembre 1942. Seul le nom d’Achard apparaît d’ailleurs sur la couverture de cette luxueuse et compromettante brochure dont il est donné comme l’unique auteur. C’est encore le cas pour la brochure publiée l’année suivante, encore plus luxueuse. 48. BNF, fonds Achard, mémoire en défense / pourvoi no 84.958 formé par M. Achard. 49. BNF, fonds Achard, mémoire en défense / pourvoi no 84.958 formé par M. Achard. « LES SCÉNARISTES SONT LES SEULS AUTEURS DES FILMS… 33

parmi les professionnels de l’industrie cinématographique. À ce dernier titre, le requérant a bien participé [à la vie] de l’ensemble des entreprises cinématographiques 50.

Nouvelle ironie du sort, c’est justement sa volonté de n’être pas confiné au seul statut de collaborateur de l’œuvre pour s’en voir attribuer la res- ponsabilité principale qui lui vaut d’être discrédité. La sentence sera finalement annulée plus d’un an plus tard, le 25 juillet 1947, mais Marcel Achard entretiendra désormais avec le cinéma des rapports plus épisodiques, et son ambition deviendra moins sensible après ses deux tentatives comme réalisateur-auteur, avec Jean de la Lune (1948) puis La Valse de Paris (1950). Même si ce dernier film témoigne d’une véritable ambition visuelle – au-delà de l’habituel brillant des dialogues qui est devenu la marque de l’auteur –, il ne réunira, comme le premier, qu’un trop modeste nombre de spectateurs 51.

Épilogue : le retour des trois mousquetaires

Alors qu’Achard passe, après guerre, par une période délicate, ses amis de jeunesse, Henri Jeanson et Marcel Pagnol, poursuivent la lutte. Le premier crée le Syndicat des scénaristes – d’abord domicilié à la même adresse que le défunt COIC, au 92, Champs-Élysées – attaché à la défense du statut d’auteur majeur des scénaristes ; le second préside la SACD, de fin 1944 jusqu’en 1946, qui suit à peu près la même ligne, ne considérant les réalisateurs comme des auteurs qu’à la condition qu’ils soient également scénaristes, ce qui est justement le cas de Pagnol, ou d’Achard pour les deux films qu’il réalise. Quant à Steve Passeur, après avoir été entre 1937 et 1943 le scénariste de cinéastes qui avaient été au temps du muet des pionniers du cinéma d’auteur (, Marcel L’Herbier, Abel Gance), il a intégré l’Association des auteurs de films (AAF), davan- tage attachée à la défense des réalisateurs 52. Mais la tentative de Jeanson et Pagnol échoue : la commission Escara, chargée de rédiger un projet de loi sur le droit d’auteur, maintient les réalisateurs, aux côtés des scénaristes et des compositeurs de la musique originale, parmi la liste des coauteurs.

50. BNF, fonds Achard, mémoire en défense / pourvoi no 84.958 formé par M. Achard. 51. Jean Hellman, propriétaire du Rex et partenaire du Gaumont-Palace, envoie le 5 juin 1950 une lettre à Marcel Achard pour le consoler après le relatif échec public du film, qui a réuni à cette date près de 210 000 spectateurs (BNF, fonds Achard). 52. Jean-Pierre Jeancolas, Jean-Jacques Meusy et Vincent Pinel, L’auteur du film…, p. 127-133. 34 NICOLAS BOSCHER

Près de dix ans plus tard, du 26 avril au 10 mai 1955, Marcel Achard rejoint le jury du festival de Cannes, présidé par son vieil ami Marcel Pagnol. Et c’est au milieu du festival, le 2 mai, qu’il reçoit le télégramme suivant d’« Aramis-Jeanson », le troisième mousquetaire qui tient apparemment à intervenir dans l’attribution du palmarès : « Les scénaristes sont les seuls auteurs des films : fais en sorte qu’on le sache. Amitiés : Henri Jeanson ». À l’issue du festival, la Palme d’or est attribuée à l’unanimité à Marty, film américain réalisé par le terne Delbert Mann, et qui porte surtout la marque de l’auteur et adaptateur de la pièce originale, Paddy Chayefsky. Autrement dit, un film de scénariste. Autrement dit, une manière de placer le scénariste en tête du géné- rique, deux ans avant que la loi du 11 mars 1957 ne fige pour une trentaine d’années les positions : si elle définit conjointement l’auteur de l’œuvre originale, le scénariste et le réalisateur comme les coauteurs de l’œuvre, seul ce dernier partage avec le producteur le « droit de divulgation » 53. C’est donc finalement le réalisateur qui aura, en France, gagné la bataille des auteurs, au grand dam, sans doute, de nos trois mousquetaires combatifs mais finalement défaits, Jeanson, Pagnol et Achard. Mais après tout, ce dernier n’envisageait-il pas déjà cette hiérarchisation quand il notait, lors de la sortie en 1920 de La Dixième Symphonie, film qui participa à la reconnaissance du rôle créatif du réalisateur par l’intelligentsia française 54, que « c’est le mérite d’Abel Gance d’avoir compris qu’il était possible de faire un bon film, même avec un scénario d’Abel Gance » 55 ? La formule est frappante, brillamment paradoxale, du pur Achard. Pourtant, sous le brillant, deux idées fortes affleurent : d’abord l’affirmation attendue selon laquelle le scénario est affaire de spécialiste, donc de scénariste ; puis l’idée – pour nous plus moderne – que le film existe au-delà du scénario, peut-être même contre le scénario. Truffaut n’aurait pas dit mieux. En tout cas, Achard l’a dit avant lui : l’homme est complexe, son parcours sinueux ; et l’épigramme achardien parfois plus riche de sens qu’on ne l’imagine.

Nicolas Boscher 56 Université de Caen Normandie

53. Jean-Pierre Jeancolas, Jean-Jacques Meusy et Vincent Pinel, L’auteur du film…, p. 153. 54. Ibid., p. 51-52. 55. Bonsoir, n° 553, 8 août 1920. 56. Je tiens à remercier la direction de la BNF, en particulier le directeur de la section consa- crée aux arts du spectacle, Joël Huthwohl, ainsi que son personnel, sans lequel l’explora- tion du fonds Achard n’aurait pas été possible. Je remercie également les responsables de la bibliothèque de la SACD, ainsi que les ayants droit de Marcel Achard et Marc Allégret. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD : ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION À TRAVERS LE SCÉNARIO ET LES DIALOGUES DE MADAME DE… DE MAX OPHULS

Le style est la poésie dans la prose, je veux dire une manière d’exprimer que la pensée n’explique pas. Émile Chartier, dit Alain (1868-1951), Avec Balzac (1937).

Le legs littéraire et dramatique de Marcel Achard (1899-1974) commence seulement aujourd’hui, quarante années après la disparition de l’auteur, pourtant largement reconnu et fêté de son vivant 1, à émerger de la nébu- leuse dans laquelle se trouve rangé fort commodément pour qui n’en veut guère interroger le sens, ce théâtre que l’expression « de boulevard » dessert plus qu’elle ne le décrit. Ni Édouard Bourdet (1887-1945) 2, ni Louis Verneuil (1893-1952) 3, ni André Roussin (1911-1987) 4 ne bénéficient plus que

1. Rappelons son élection à l’Académie française le 28 mai 1959 au fauteuil d’André Chevrillon (1864-1957). 2. Homme de théâtre et journaliste, administrateur de la Comédie-Française de 1936 à 1940, et auteur entre autres de La Prisonnière (1929), Le Sexe faible (1929), La Fleur des pois (1932), Les Temps difficiles (1934) ou Fric-Frac (1936). 3. Acteur et auteur dramatique français, auquel nous devons Le Traité d’Auteuil (1918), Mademoiselle ma mère (1920), L’Amant de cœur (1921) ou Ma Cousine de Varsovie (1923). 4. Metteur en scène et auteur français, à l’origine de la politique de décentralisation du théâtre en France. On lui doit Am Stram Gram (1941), La Petite Hutte (1947), Les Œufs de l’autruche (1948), Nina (1949), Lorsque l’enfant paraît (1951), Le Mari, la Femme et la Mort (1954), La Mamma (1957) ou La Voyante (1963). Il est élu à l’Académie française le 12 avril 1976 au fauteuil de Pierre-Henri Simon (1903-1972).

DOUBLE JEU, no 12, 2015, Marcel Achard entre théâtre et cinéma, p. 35-68 36 LIONEL PONS

Marcel Achard non pas d’une audience – les reprises fréquentes de leurs œuvres sur les scènes parisiennes en témoignent – mais plus largement d’une reconnaissance réelle. Mots d’auteur, sens de la réplique, vivacité de l’inspiration, raffinement du registre comique leur sont volontiers accordés, sans que soit jamais soulevé le problème de la qualité dramatur- gique. La carence paraît d’autant plus patente qu’Achard a été salué, dès la création de Voulez-vous jouer avec Moâ ? (1923), comme apportant un souffle nouveau au théâtre de langue française. Tout se passe comme si le vocable « de boulevard » annihilait de fait, par son caractère générique, toute velléité d’originalité chez l’auteur, comme si aucun de ceux précités ne développait de caractéristiques propres, aussi bien en termes de style que de construction dramatique. Pour autant, dégager les fondements d’une esthétique spécifiquement achardienne dépasserait a priori les limites de la présente réflexion, sauf à l’orienter dans une dynamique comparative. C’est ce que permet précisé- ment l’étude des dialogues conçus pour Madame de… (1953) 5 réalisé par Max Ophuls (1902-1957), d’après l’œuvre de Louise de Vilmorin (1902- 1969), et du roman proprement dit. La mise en perspective du canevas imaginé par Louise de Vilmorin, des dialogues et du découpage dramatique de Marcel Achard peut permettre de dégager quelques traits fondamentaux du style de ce dernier et de son modèle dramaturgique.

Le contexte du projet

Madame de… referme dans l’œuvre d’Ophuls la trilogie ouverte par La Ronde (1950), d’après la pièce d’Arthur Schnitzler, et poursuivie avec Le Plaisir (1952), d’après trois contes de Guy de Maupassant 6. Le retour du réalisateur en France est une période heureuse, qui souligne d’abord pour lui le contraste entre les plateaux français et ceux du cinéma américain :

Le voilà donc de retour dans les studios parisiens, où il eut la joie de retrouver plusieurs de ses anciens collaborateurs. Tout le monde était heureux de le revoir. Mais quel contraste avec les studios américains où

5. Madame de… Réalisation : Max Ophuls ; durée : 100 minutes ; adaptation : Marcel Achard, Annette Waldemant et Max Ophuls ; dialogues : Marcel Achard ; décors : Jean d’Eaubonne ; costumes : Georges Annenkov et ; photographie : Christian Matras ; son : Antoine Petijean ; musique : Georges Van Parys et Oscar Straus ; montage : Boris Lewyn ; distribution : , Charles Boyer, Vittorio De Sica, Mireille Perrey, Jean Debucourt ; production : Franco-London-Films, Indus Film. 6. Les trois contes adaptés par Jacques Natanson (1901-1975) sont respectivement Le Masque, La Maison Tellier et Le Modèle. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 37

il avait pris l’habitude de travailler ! À présent, il se demandait comment, dans cette confusion, ici, un câble qui « crâmait », là-bas un projecteur qui se détachait de son appui pour rouler jusqu’au milieu du plateau… on allait pouvoir tourner un film. Il avait oublié que les ouvriers fran- çais étaient les maîtres de l’improvisation, habiles, ingénieux, rapides. Si bien que, le soir venu, il réunit toute l’équipe pour la remercier de se battre avant tant d’ardeur […]. De nouveau, il se sentait chez lui, à Paris. De plus, des acteurs connus lui montraient qu’ils ne l’avaient pas oublié, en acceptant de tourner sous sa direction, même des passages épisodiques. Max était heureux 7.

Le choix du court roman de Louise de Vilmorin vient donc couron- ner une trilogie marquée par l’idée de mouvement. Terminé en 1950 et paru aux Éditions Gallimard cette même année, Madame de… marque l’apogée du talent de la romancière 8, dans sa concision, son alliage subtil de mélancolie et de légèreté, son détachement du réalisme au profit de l’observation quasi entomologiste de l’évolution du sentiment amoureux, le tout serti dans une élégance de verbe qui ne dédaigne ni la précision ni l’ironie. C’est le producteur Henri Deutschmeister qui, après l’échec public du Plaisir, choisira de faire appel à Max Ophuls pour réaliser le film, alors qu’il venait d’acheter les droits d’adaptation de l’ouvrage. La romancière goûtera peu l’adaptation cinématographique de son univers :

Madame de…, à mon avis, telles que je vois les choses, on a acheté le titre, mais on n’a pas fait le livre. Il n’y a absolument rien dans Madame de… qui soit comme ça devrait être. En plus de ça, c’est un film « rasoir » 9.

Le réalisateur devait toujours ignorer cette détestation, au point d’ail- leurs, peu de temps avant sa disparition, d’envisager encore de travailler sur l’adaptation d’un autre roman de l’auteur, Histoire d’aimer :

J’ai téléphoné à Louise de Vilmorin pour lui demander si elle n’avait pas un sujet ; elle m’a envoyé son dernier roman avec une dédicace, Histoire d’aimer […]. Il est peut-être dangereux de vouloir se juger, mais je suis

7. Hilde Ophuls, « Postface », in Max Ophuls, Souvenirs, Paris, Cahiers du cinéma (Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma ; 68), 2002, p. 223. 8. Ce n’est qu’en 1937, sur la demande expresse de Francis Poulenc (1899-1963), que Louise de Vilmorin écrit ses premiers poèmes Le Garçon de Liège ; Eau de vie, au-delà ; Aux Offi- ciers de la Garde Blanche, avant les recueils L’Alphabet des aveux, Le Sable du sablier et Fiançailles pour rire. Elle adresse d’ailleurs au compositeur ce vers « C’est donc toi qui décida que j’étais poète ». 9. Louise de Vilmorin, propos recueillis dans le film de Marcel Ophuls,Ophuls, Max par Marcel, troisième partie, Madame de…, Paris, Les Films du Jeudi, 2009, 1’ 45’’ à 1’ 59’’ (transcription de l’auteur). 38 LIONEL PONS

sûr de ne pas être un moraliste ; peut-être que l’on cherche toujours cette beauté de la pureté, même sans le savoir : c’est la plus jolie qu’on puisse trouver. Et il y a cela dans le roman 10.

Si l’engouement du réalisateur pour le roman ne fait pas de doute, le problème d’une adaptation se pose d’emblée comme plus crucial encore que dans La Ronde ou Le Plaisir :

C’est Deutschmeister qui avait acheté ce tout petit roman de Louise de Vilmorin, que mon père aimait beaucoup, sauf que ce n’était pas vrai- ment étoffé 11.

Le contexte social va jouer un grand rôle dans les modalités de ladite adaptation :

Madame de Vilmorin faisait ça dans son monde à elle, c’est-à-dire les aris- tos, les ambassadeurs à Vienne. M. de… était un diplomate contemporain. Pour mon père, qui était un peu snob, comme Lubitsch, la haute société, cela l’impressionnait de temps en temps. Et Madame de Vilmorin l’im- pressionnait beaucoup 12.

Marcel Achard va, en total accord avec le réalisateur, transposer le roman à la Belle Époque, et ce pour deux raisons : –– d’une part conserver une logique de continuité avec les climats res- pectifs de La Ronde et du Plaisir ; –– d’autre part ancrer l’œuvre dans le passé, lui ôter sa contemporanéité et aboutir à une mythification qui, loin de l’ancrer temporellement, l’inscrit plutôt dans un passé non daté, hors du temps. De diplomate, M. de… (Charles Boyer) devient général d’artillerie :

Pourquoi général d’artillerie ? Eh bien au fur et à mesure que le mari qui essaye de protéger Mme de… – qui est une femme frivole au départ et qui s’enfonce dans un grand amour –, au fur et à mesure que le Géné- ral perd son prestige auprès de Mme de…, il essaye de rétablir ce pres- tige, son estime de lui-même, en tant que mari conventionnel qui est en train de perdre sa femme, à la caserne 13.

10. Max Ophuls, Souvenirs, p. 253. 11. Marcel Ophuls, Ophuls, Max par Marcel, troisième partie, Madame de…, 1’ 10’’ à 1’ 13’’ (transcription de l’auteur). 12. Ibid., 1’ 15’’ à 1’ 39’’ (transcription de l’auteur). 13. Ibid., 2’ 13’’ à 3’ 01’’ (transcription de l’auteur). LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 39

Outre ces phénomènes de transposition, sur lesquels nous reviendrons puisqu’ils font partie intégrante de l’apport de Marcel Achard, le film repose sur une triple identification du réalisateur à ses personnages principaux. Jamais Max Ophuls n’est allé aussi loin dans ce qui demeure non pas une auto-fiction proustienne, mais une projection dans trois dimensions diffé- rentes. Pas plus que dans le roman, le trio classique du mari, de la femme et de l’amant ne fonctionne sur une donne vaudevillesque. Tous trois sont liés par un destin qui, pour capricieux qu’il paraisse, n’en est pas moins tragique, conférant à chacune des trois figures une épaisseur qui n’en sacrifie aucune :

C’est le seul film où Max Ophuls s’identifie aux trois personnages : Danielle Darrieux au centre, Mme de… ; Charles Boyer, le Général de…, le mari, qui est un personnage assez admirable si l’on voit ou si l’on revoit bien le film, et l’Ambassadeur 14.

C’est dire que les dialogues conçus pour le film sont le reflet de ce qui est bien plus que la transcription d’un roman, un phénomène d’appropria- tion, dont il est compréhensible que l’auteure elle-même ne l’ait pas saisi dans toute sa profondeur. L’accueil public sera chaleureux, signant pour Danielle Darrieux ce qui sera sa dernière collaboration avec un réalisateur avec lequel les liens d’entente mutuelle et d’admiration sont uniques dans l’histoire du cinéma français.

Du roman au scénario, ou l’empreinte du dramaturge

Le roman de Louise de Vilmorin n’est pas divisé en chapitres, mais conçu comme une continuité quasi giratoire autour de l’apparition récurrente des cœurs en diamants symbolisant l’amour qui fait irruption dans la vie jusque-là policée de Mme de… Pour dégager l’apport personnel de Marcel Achard à un canevas qui n’est à proprement parler ni dramatique ni théâtral, il nous faut cerner en premier lieu les articulations dramatiques de l’œuvre littéraire, en opérant un découpage par sections (voir, en fin d’article, tabl. 1). Face à ce découpage concis que proposait le roman, la première tâche de Marcel Achard était de lui conférer une épaisseur dramatique, de passer de la fable à la pièce. Dans un tel contexte, il est nécessaire de dresser un tableau de l’évolution du scénario pour dégager l’apport du dramaturge (voir, en fin d’article, tabl. 2).

14. Ibid., 3’ 40’’ à 4’ 06’’ (transcription de l’auteur). 40 LIONEL PONS

Le premier geste du dramaturge est donc de construire une scène d’exposition qui soit plus concise que ne le permet la prose de Louise de Vilmorin. Le double-carton qui ouvre le film se présente comme un résumé très synthétique, ne donnant que peu de renseignements sur le caractère du personnage, ce que l’introduction de la romancière privilégiait au contraire. Le monologue qui suit, particulièrement économe de verbe, montre Achard sous les traits d’un dramaturge particulièrement efficace :

Ce qui est ennuyeux, c’est qu’il me les a donnés au lendemain de notre mariage. Qu’est-ce que je dois faire ? Évidemment, si maman était là, elle me le dirait. Je ne tirerai pas vingt mille francs de tout ça. Oh non, je refuse absolument de me séparer d’une fourrure, je les aime trop. Dans ces cas- là, il faut s’habiller simplement. Oh, mon Dieu, jamais je n’en ai eu tel- lement besoin. Mais celui-là… Plutôt que de me séparer de cette rivière, je préférerais me jeter à l’eau. Non, ma croix… Oh, non, je l’adore ! Évi- demment, c’est ceux-là que j’aime le moins. Après tout, ils sont à moi, j’ai bien le droit d’en faire ce que je veux 15.

En lieu et place de la traditionnelle présentation de l’héroïne en style indirect par des personnages secondaires, Achard choisit de la faire entrer en scène dès la première réplique et de la présenter par ses traits de carac- tère. Dépensière, moralement isolée et, sinon malheureuse en mariage, du moins sensiblement atteinte par l’indifférence, telle est Louise de… 16 à travers ses quatre premières phrases. Hésitante, mais femme d’esprit, donc apte au mensonge, fût-ce à son propre égard, elle est tout à la fois faible et pourtant femme de décision. Soucieux de la coupe globale de son scénario, Achard prend soin d’ajouter une réplique-clé, « c’est ceux-là que j’aime le moins ». Or, les bijoux vont bientôt devenir la représentation matérielle du sentiment amoureux auquel Mme de… va tenir plus qu’à tout. Moins d’une heure et demie plus tard, elle sera prête à vendre ses fourrures pour racheter une ultime fois les joyaux en question. Cette concision exposante est l’un des traits récurrents du théâtre de Marcel Achard. Si nous prenons comme élément de comparaison le début de l’acte I de Noix de coco (1935), nous nous trouvons en présence d’une scène I mettant face à face deux personnages secondaires, Antoine et Nathalie, respectivement beau-fils et fiancée du beau-fils de l’héroïne. Pas un mot sur cette dernière n’est prononcé, pas une description physique ni un trait de caractère ne sont évoqués. La scène II voit Caroline interrompre ce qui est presque une dispute entre les jeunes gens. Quelques répliques neutres

15. Marcel Achard, Dialogues de Madame de…, scène I, Paris, 1951 (transcription de l’auteur). 16. Notons que tous les personnages du film portent un prénom, ce qui n’était pas le cas dans le roman, et que l’héroïne se voit ainsi dotée du même prénom que la romancière. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 41 suffisent à peindre en creux le portrait d’une femme qui dissimule sa beauté, pas suffisamment tout de même pour qu’elle échappe à son beau-fils et à la fiancée de ce dernier. Exposer chez Achard – et là se situe une différence de taille avec la pratique d’un Sacha Guitry ou d’un André Roussin – ne signifie pas nouer un drame, mais camper en creux un caractère. La dra- maturgie achardienne n’est pas un théâtre de situation ou d’action, mais une peinture d’âme. De fait, là où Louise de Vilmorin conçoit la valse des deux cœurs comme une figuration de la fatalité, Achard ancre sa vision propre dans l’humain, dans une figure de meM Bovary bientôt prise au jeu de sa propre beauté, point commun supplémentaire avec la Caroline de Noix de coco. La comparaison avec la scène d’ouverture de Talleyrand ou le Diable boiteux (1948) de Sacha Guitry est éminemment révélatrice : avant que Talleyrand n’apparaisse, les quatre valets (qui ont, nous le verrons, les traits de Napoléon, Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe) n’ont parlé que de lui. L’âme du personnage est campée par ceux qui n’existent qu’à travers lui. Dans La Mamma d’André Roussin, la conversation entre l’héroïne et l’abbé nous éclaire totalement sur ses buts et son caractère. Soit l’exposition dramatique est enclenchée, soit un premier dialogue du personnage lui permet l’autoportrait par contraste avec une figure en dialogue. Rien de tel dans la première scène de Madame de…, qui se présente de facto comme le modèle de l’entrée en matière achardienne, synthétique, humaine et pourtant préfigurant l’ensemble du drame à venir. En dehors de la dynamique d’exposition, un autre trait récurrent de la dramaturgie propre à Marcel Achard reste sa gestion du rythme. Les com- mentateurs répètent à l’envi que le théâtre demeure avant tout une méca- nique rythmique, ce que tout spectateur de Feydeau expérimente de façon directe. Là où la dynamique vaudevillesque invoque volontiers une montée en puissance de ce paramètre jusqu’aux limites du supportable, Achard préfère de loin une fluidité, une constance qui font que les traditionnels « coups de théâtre », s’ils existent bel et bien (l’identité de Caroline dévoilée dans Noix de coco à la fin de l’acte I en est un exemple), ne constituent plus le centre de gravité ni de l’acte ni de la pièce. Plus essentiel se révèle en effet l’impact sur le personnage du coup de théâtre en lui-même. Rien de surprenant dès lors à ce que le rôle des cœurs en diamant soit sensiblement différent dans le roman et dans le scénario. Chez Louise de Vilmorin, les cinq réapparitions des bijoux rythment le récit comme les coups d’une horloge fatidique, véritable matérialisation d’un destin qui se joue des personnages, lesquels d’ailleurs ne sont pas nantis, très logiquement, d’une véritable identité psychologique. Dans le scénario, les apparitions des bijoux sont moins nombreuses, plus régulières, et ne sont finalement pas tant dues aux caprices du destin qu’à l’action des personnages eux-mêmes. Mme de… veut vivre cet amour, elle va pour cela jusqu’aux rencontres clandestines, 42 LIONEL PONS

à la correspondance cachée (éléments absents du roman), M. de… n’est plus un être indistinct à la limite entre la haute finance et la diplomatie, mais un général, homme d’action, d’expérience, d’intelligence et plus âgé que sa femme (cette notion de rapport d’âge n’existe pas chez Louise de Vilmorin). L’Ambassadeur est un homme de chair et de sang. Notons, d’ailleurs, que ces différentes figures ont, dans le scénario, des prénoms, des passés, en un mot tout ce qui leur donne à l’écran une véritable épaisseur humaine. Enfin, la réconciliation finale des deux hommes n’apparaît pas chez Marcel Achard. Il était indispensable que le drame n’apparaisse pas comme un fabliau moral, mais comme un fait vécu, donc non cyclique. La mort de Mme de… est ici violente, rapide, elle est l’ultime coup de théâtre. Mais, si nous l’interrogeons en profondeur, ce coup est profondément achardien dans sa nature. Fait-il évoluer l’action dans un sens ou dans un autre ? Absolument pas. Tout est déjà scellé au moment où, entendant un coup de feu unique et sachant que l’offensé, M. de…, ne peut qu’avoir tiré le premier, la jeune femme meurt. Il y a bien coup du destin, ce en quoi l’auteur respecte finalement la présence du fatum dans le théâtre, mais qui ne fait qu’entériner ce que la volonté, consciente ou non, des personnages, a déjà totalement anticipé, fabriqué, préparé. Les apparitions des cœurs et la mort finale du personnage ne sont pas les chevilles du rythme théâtral, au contraire, ils ne sont que des écueils qui ne suffisent pas à le perturber. Marcel Achard se comporte dans son œuvre comme un tragédien (rôle du destin), mais un tragédien de l’humain (c’est bien le facteur humain qui commande au destin et non le contraire). Là se situe une différence importante avec André Roussin, pour lequel le fatum reste un élément capable de faire des personnages de simples instruments (La Voyante en demeure un éclatant exemple). Le rythme dramatique achardien reste fluide, exempt des à-coups qui fondent la progression d’un vaudeville chez Feydeau ou Louis Verneuil ; il est une surface quasi plane au travers de laquelle les personnages émergent en force. Un exemple comparable peut en être trouvé dans la construction générale de Pétrus (1933). Les différentes péripéties n’ont pas pour but de rendre visibles les lignes d’un destin tragique, encore qu’il existe, mais de mettre en évidence la force d’âme du jeune photographe.

Le style achardien dans les dialogues de Madame de…

La conception de dialogues cinématographiques reste, pour le drama- turge ou pour l’auteur aguerri, un exercice toujours périlleux. La gestion de l’espace, des silences, des visages reste sensiblement différente de ce LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 43 qu’elle est sur scène, et nombre d’auteurs se sont illustrés dans le genre en renonçant, consciemment ou pas, à ce travail de marqueterie, à cette empreinte personnelle que demeure le style. Lorsqu’ils parviennent à le conserver, à le maintenir en lumière, ce n’est pas toujours pour le plus grand bonheur des réalisateurs. Ainsi en va-t-il des Dialogues des Carmélites (1947) de Georges Bernanos (1888-1948), initialement écrits pour un film de Philippe Agostini, et finalement jugés peu cinématographiques, avant de connaître une publication posthume. Marcel Achard, en connaisseur du cinéma, lui qui tiendra aussi bien le rôle du dialoguiste dans Madame de… que celui du réalisateur dans La Valse de Paris (1950) 17, ne renie rien dans ses dialogues de ce qui constitue l’essence de son style. La place de ces dialogues est d’autant plus importante que le roman de Louise de Vilmorin est conçu majoritairement en mode indirect et que les éléments dialogués y sont rares. Avec fidélité, Marcel Achard en a d’ailleurs conservé la majorité dans son propre canevas. Remarquables par leur sens de l’économie, faisant d’ailleurs un sort définitif à la réputation de simple auteur à bons mots dont Marcel Achard se trouve souvent affublé, les dialogues de Madame de… présentent un résumé convaincant de son art. Nous en prendrons trois exemples précis, situés au début et au nœud gordien de l’action.

L’entrevue entre les deux époux et le pardon

Le premier exemple (voir, en fin d’article, tabl. 2) prend place entre 22’ 46’’ et 25’ 36’’, au moment de ce qui pourrait être la fin d’un premier acte. Conscient du mensonge de sa femme, le Général de… feint de la croire, tout en susci- tant de sa part une demande de pardon d’autant plus facilement accordée qu’elle l’est sans conscience d’une culpabilité révélée. Pour ce face-à-face entre deux des personnages principaux, Marcel Achard confie à chaque réplique de porter un sens qui va bien au-delà des mots prononcés :

M. de… : Vous dormez, Louise ? Mme de… : Non, je suis nerveuse. M. de… : Ah ! Pourquoi ? Mme de… : À cause de ces boucles d’oreille.

17. La Valse de Paris, film de Marcel Achard sorti en 1950, librement adapté de la vie de Jacques Offenbach (1819-1880) et d’Hortense Schneider (1833-1920), avec et dans les deux rôles principaux. Voir, dans le présent numéro, l’article de Marie Cadalanu. 44 LIONEL PONS

M. de… : Oh, c’est trop ! Je n’aurais jamais cru que vous attachiez tant d’importance à ce petit souvenir. J’en suis très touché, notez bien, mais ne trouvez-vous pas que nos amis, les journaux, attachent trop d’impor- tance à cet incident ? Mme de… : Moins que moi, pourtant. M. de… : Moins que vous ? Vous soupçonnez donc quelqu’un ? Mme de… : Oh, personne ! M. de… : Le nouveau valet-de-pied ? Mme de… : Vous dites cela parce qu’il louche. C’est un très brave garçon. Je connais bien sa famille. Vous n’avez pas le droit de l’accuser. M. de… : Que diriez-vous de votre femme de chambre ? Mme de… : Elle est au-dessus de tout soupçon, voyons ! M. de… : Oui. Une fille comme elle ne peut pas avoir besoin de ten- dresse. Julien ? Impossible. Mme de… : Impossible ! M. de… : Maximilien ? Mme de… : N’insistez pas, vous me contrariez. Plus je considère la chose, plus je suis prête à vous donner raison. J’ai perdu sottement ces boucles d’oreille, je suis la seule coupable. Ne faites pas payer aux autres la négli- gence de votre femme. M. de… : Vos désirs sont des ordres, ma chère Louise. Mais êtes-vous certaine d’avoir perdu ce bijou ? Mme de… : Naturellement que j’en suis certaine ! M. de… : Eh bien, vous direz que vous l’avez retrouvé. Demain soir, à dîner, vous vous excuserez auprès de nos amis. Mme de… : C’est que je mens si mal ! M. de… : Oui, je sais bien, mais enfin une fois n’est pas coutume. Mme de… : Quoi qu’il en soit, j’ai commis une maladresse. Je vous en demande pardon. M. de… : Pardon ? Mme de… : Pardon ! M. de… : Répétez encore ? Mme de… : Pardon, je vous demande pardon ! Je ne vous savais pas dur d’oreille. M. de… : Nous le sommes tous un peu dans l’artillerie. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 45

Mme de… : André ? M. de… : Oui ? Mme de… : Nous ne reparlerons plus de cette histoire, voulez-vous ? M. de… : Jamais. Mme de… : Merci. Bonne nuit. M. de… : Bonne nuit 18.

Malgré la brièveté des répliques, cette scène répond à un plan précis : –– première section, M. de… amène la conversation sur les boucles d’oreille perdues ; –– deuxième section, la culpabilité et les soupçons portés sur la domes- ticité ; –– troisième section, Mme de… reconnaît sa responsabilité dans la perte des bijoux, et implicitement sa culpabilité dans une demande de par- don que la pseudo-surdité de M. de… rend d’autant plus insistante. Notons, pour commencer, que la première réplique de M. de… aborde le problème sous l’angle de la gratitude, feignant de prendre pour une marque d’affection à son endroit l’intérêt que son épouse porte aux bijoux perdus. La formulation « je n’aurais jamais cru », avec son conditionnel passé, révèle le degré de conscience du personnage : il sait et, tout en feignant de ne pas savoir, donne à son interlocuteur des éléments capitaux quant à sa propre certitude. Immédiatement, Marcel Achard joue du pouvoir de la répétition, en transférant cette notion d’importance accordée sur le cercle général de nos amis. Le passage à la forme interrogative implique maintenant de facto la jeune femme dans ce qui n’était jusque-là qu’un monologue. La réponse de Mme de… est un chef-d’œuvre de duplicité. Elle maintient, pour être certaine de conserver les bonnes grâces de son époux, son intérêt « excessif » pour les bijoux tout en se retranchant de la discussion, puisqu’elle ne répond pas à la question posée. Avec ingéniosité, Marcel Achard fait en sorte que celui qui questionne possède par avance les réponses, et qu’il en conditionne la survenue ou la difficulté chez son interlocutrice. Malgré la brièveté de sa réponse, Mme de… n’est déjà plus maîtresse de la poursuite de la discussion. La deuxième section est tout aussi précise dans sa mise en mots. M. de… oriente la conversation vers des coupables potentiels, d’abord anonymes (valet-de-pied, femme de chambre), tout en resserrant le cercle autour de sa femme (la femme de chambre reste la domestique la plus proche de la maîtresse, la confidente traditionnelle, voire, via Marivaux

18. Marcel Achard, Dialogues de Madame de…, scène V (transcription de l’auteur). 46 LIONEL PONS et ses Jeux de l’amour et du hasard, la projection de cette dernière). Puis, c’est un prénom qui est cité (« Maximilien ? ») sans qualification ni attribu- tion. C’est cette accusation précise qui pousse Mme de… dans ses derniers retranchements. Sauf à charger une personne précise de sa propre faute, elle ne peut que convenir de sa culpabilité. En trois étapes, l’auteur parvient à impliquer encore plus étroitement la jeune femme dans une discussion dont elle pense, par l’omission, tenir les rênes. La dernière section débute sur une forme d’accusation précise, qui ne doit sa douceur apparente qu’à la forme interrogative (« Mais êtes-vous certaine d’avoir perdu ce bijou ? »). Pour la première fois, Mme de… répond directement à la question posée. La réplique suivante pose un problème de compréhension : pourquoi M. de… demande-t-il à son épouse de s’excuser auprès de leurs amis, alors que précisément, les bijoux perdus le sont réel- lement ? À aucun moment Mme de… ne les prétend volés, il ne s’agit que d’une posture rhétorique de M. de… pour la pousser aux aveux. Les deux personnages pratiquent alors un art de la litote remarquable de subtilité. Mme de… met en avant sa difficulté à mentir, ce à quoi M. de… répond qu’« une fois n’est pas coutume ». Sans aveu aucun, la culpabilité réelle est avouée, admise, jugée et pardonnée. Les excuses présentées aux amis le sont implicitement à M. de…, qui épargne à son épouse de les formuler. Reste le jeu explicite autour du « pardon », que M. de… force Mme de… à répéter, avant qu’il ne soit accordé, sans être prononcé. L’art de Marcel Achard transparaît dans toute sa radieuse simplicité, maîtrisant l’art de dire ce qui n’est nullement formulé. Le verbe se met au service paradoxal de l’indicible. Qui demeure maître du jeu durant cette brève scène ? Mme de… le pense, en se croyant seule détentrice du secret des bijoux vendus. M. de… également, et de façon plus naturelle pour le spectateur : lui seul connaît le secret de la vente des bijoux. Mais il reste demandeur, dépendant d’un aveu déguisé de sa femme qu’elle ne consent que du bout des lèvres, tout en soulignant discrètement leur différence d’âge (« Je ne vous savais pas dur d’oreille »). C’est elle qui sollicite le pardon, mais c’est de cette requête que dépend l’apaisement de M. de… Jeu de dupes, jeu de miroir que l’auteur entretient avec intelligence. Comment ne pas y voir le reflet anticipé de la conversation entre Jo et Baptiste à l’acte I de Turlututu (1962) 19, dans lequel le professeur de duplicité n’est pas celui que l’on croit ?

19. Marcel Achard, Turlututu, in L’Amour ne paie pas, recueil, Paris, La Table ronde, 1962, p. 35-46. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 47 Scène du départ manqué de Mme de…

Absente du roman, cette scène, qui précède de quelques secondes l’aveu capi- tal de Mme de… à l’Ambassadeur, met en avant le personnage de M. de… Elle se présente comme un échange dissymétrique entre les deux personnages :

M. de… : Bonsoir, Louise. Je suis navré que vous ne puissiez m’accom- pagner. À demain. Mme de… : André ! M. de… : Oui ? Mme de… : Je vais partir. M. de… : Pour où ? Mme de… : Je ne sais pas. Nos terres ou Londres, assez loin en tout cas. M. de… : Mais j’aimerais savoir pourquoi. Mme de… : Je me suis donnée en spectacle. Je veux donner à nos amis le temps de l’oublier. M. de… : Ils l’ont déjà oublié, soyez-en sûre. Mme de… : Je veux partir, il faut que je me soigne. Je veux partir. M. de… : Vous craignez que cette faiblesse que vous avez au cœur 20 ne vous joue un mauvais tour ? Voulez-vous que nous ayons une conversa- tion sérieuse ? Je sais que nous n’en avons ni l’un ni l’autre l’habitude, mais j’espère que nous nous en tirerons. Vous savez, je vous suis très recon- naissant de vouloir partir. Bien entendu, c’est une idée comme seule peut en avoir une femme de votre qualité, mais ce n’est pas une bonne idée. Vous n’êtes pas aussi menacée que vous le croyez. Moi non plus, d’ail- leurs. Je vais vous confier un secret. Notre bonheur conjugal est à notre image ; ce n’est que superficiellement qu’il est superficiel. Nous avons joué avec le feu, moi surtout. Mais votre désir de partir prouve que ma confiance en vous était justifiée. Vous resterez à Paris. Mme de… : Non, André, je vous en prie. M. de… : Vous traversez des moments difficiles, eh bien, nous les traverse- rons ensemble ! Napoléon n’a eu tort que deux fois dans sa vie : à Waterloo et quand il a dit qu’en amour, la seule victoire c’était la fuite. Il faut braver l’adversaire. Vous le pouvez, vous pouvez tout ce que vous voulez. Vous êtes fière, on vous respecte, on vous admire et je vous aime 21.

20. Rappelons que Mme de… est atteinte d’une faiblesse cardiaque, dans le scénario unique- ment. 21. Marcel Achard, Dialogues de Madame de…, scène XI (transcription de l’auteur). 48 LIONEL PONS

Marcel Achard utilise ici le subterfuge du dialogue pour mettre en scène le monologue d’un personnage. Les quelques répliques de Mme de… ne sont que des ponctuations dans le propos de son époux. À l’écran, Danielle Darrieux n’apparaît pas, la caméra se contentant de suivre Charles Boyer dans les évolutions de ses préparatifs, puis très finement de l’extérieur de l’édifice en train d’en clore les contrevents. De fait, M. de… s’enferme dans une vision comme il y enferme sa femme. La scène commence comme une leçon d’humilité (« Ils l’ont déjà oublié, soyez-en sûre »). Le prétexte de la maladie de cœur devient un paravent translucide derrière lequel c’est bien de l’amour de Mme de… pour Donati dont parle le Général. Lorsqu’il lui assène « Vous n’êtes pas aussi menacée que vous le croyez », Achard ouvre une pluralité de sens possibles : soit l’amour de Donati n’a rien de sincère et, feu de paille, ne saurait constituer une menace ; soit Mme de… possède un sens du devoir qui la met, de toute façon, à l’abri de la faute ; soit l’époux averti saura faire mentir l’adage de la précaution inutile cher à Beaumarchais. Le monologue prend une densité particulière. La superficialité apparente que le Général invoque pourrait avoir valeur d’exergue pour l’ensemble du legs théâtral de Marcel Achard, mais la phrase traduit bien ce que M. de… voit de solide dans son mariage. Il a ceci de commun avec le Julien de la Colombe (1951) de Jean Anouilh qu’il est intensément amoureux, non de sa femme, mais de la femme qu’il imagine. Lui seul s’accuse d’avoir joué avec le feu (c’est bien lui qui, scène VIII, a confié à l’Ambassadeur le soin de distraire Mme de…), prêtant à son épouse une solidité dont il ne précise pas si elle repose sur l’amour ou sur le sens du devoir. Le seul aveu véritable de l’ensemble des dialogues (« et je vous aime ») ne vient qu’après une accumulation impersonnelle (« on vous respecte, on vous admire ») qui, tout en le mettant en valeur, met l’accent sur le pronom personnel plus que sur le verbe, lui ôtant du même coup une part de sa valeur. L’amour de M. de… ne laisse pas de doute, mais se fonde sur une apparence, sur un rêve volontairement entretenu. En conséquence, l’expression « vous pouvez tout ce que vous voulez » se trouve vidée de son sens : Mme de… n’a pas la liberté d’être autre chose que la dangereuse coquette ou la femme solide dans ses devoirs que son époux imagine et façonne. Lorsqu’il lui déclare « nous les traverserons ensemble », il est manifeste qu’il formule autant un encouragement qu’un ordre. La conversation sérieuse annoncée a d’autant moins lieu que, avec une certaine noblesse, son époux la mène bel et bien seul. La dualité de M. de… est magistralement campée (alors qu’elle est absente du roman), partagée entre une noblesse manifeste 22 et un aveuglement dont il ne se départira que trop tard.

22. Voir note 15. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 49

Observons à quel point la construction dramatique demeure sans faille chez Marcel Achard : ce monologue déguisé de M. de… prend place juste avant la scène capitale des aveux où le drame bascule (placée rigoureu- sement au centre de l’œuvre) et répond à celui de Mme de… qui a ouvert le film. Cette pratique du monologue déguisé en dialogue est fréquente chez le dramaturge. Dans Noix de coco, la scène III de l’acte II 23 met en présence Caroline et le couple Antoine-Nathalie, mais c’est bien la première qui, tout en faisant ses adieux, livre sa personnalité profonde et son besoin de recon- naissance, les quelques répliques des jeunes gens ne sont que des respirations dans cet autoportrait placé stratégiquement au centre de la pièce et dissipant, sans les artifices du « tunnel » de théâtre, les doutes que le spectateur pouvait encore entretenir sur la franchise et la droiture de Caroline.

Scène de l’aveu de Mme de… à Fabrizio Donati

La scène capitale de l’aveu occupe très exactement le milieu du film, et – geste capital – Marcel Achard ne reprend pas le dialogue de Louise de Vilmorin. D’une part, Mme de… cède bien moins aisément que dans le roman à son propre penchant, d’autre part, c’est l’Ambassadeur qui la rejoint chez elle, alors que, dans le roman, il est invité par M. de… dans leur résidence secondaire. Encore une fois, le scénario met en avant l’inter- vention directe de la volonté des protagonistes dans le déroulement de l’action, au détriment de la ronde frivole et tragique conçue par la roman- cière. En second lieu, il est tout à fait notable qu’en fait, cet aveu n’est pas énoncé. L’expression « Mon adorable amour » qui passe de l’Ambassadeur à Mme de… à partir de cette scène chez Louise de Vilmorin est remplacée par son contraire, « Je ne vous aime pas », dans la bouche de Mme de…, et c’est sous cette seule forme qu’il sera prononcé et réitéré, à la demande de Donati, dans la scène suivante. Enfin, l’arrivée de Donati est précédée d’un court échange entre Mme de… et Nounou (personnage absent du roman) qui, tout en jouant le rôle de la suivante de tragédie, personnifie ce destin présent mais non omnipotent, en tirant les cartes et en prédisant un grand amour partagé.

Mme de… : Comment avez-vous su que je partais ? Donati : Je ne savais pas que… Je venais vous rassurer et vous remer- cier de votre intérêt.

23. Marcel Achard, Noix de coco, in L’Amour ne paie pas, p. 409-411. 50 LIONEL PONS

Mme de… : Vous admiriez ce tableau ? Donati : Si. Mme de… : C’est la bataille de Waterloo. Waterloo, Waterloo, morne plaine. Celui-là, là-bas, c’est Bluchère. Donati : Oui. Mme de… : Et tout de suite à droite, il y a Napoléon. Donati : Je ne l’aurais pas reconnu. Mme de… : Il paraît que c’est quand on a trop à dire qu’on se tait. Donati : Pourquoi partez-vous ? Mme de… : Pourquoi ne voulez-vous pas que je parte ? Donati : Où irez-vous ? Mme de… : Sur les lacs italiens. Donati : Sans moi ! Mme de… : Quand j’y serai, je me demanderai probablement pourquoi j’y suis venue. Donati : Pourquoi, alors ? Mme de… : Oui, pourquoi ? Donati : Ma chère amie, j’ai fait une folie. Et comme vous ne me l’avez pas encore reprochée, j’ai peur que vous ne vous en soyez pas aperçue. Mme de… : Une folie, mais laquelle ? Donati : J’ai fait une folie. Un cadeau dans mes roses. Je l’avais acheté à Constantinople, et je ne savais pas encore pour qui. Mme de… : En effet, c’est une folie. Donati : Je voulais vous obliger de penser à moi. [S’intercale alors l’arrivée de M. de… et sa demande à son épouse de recon- duire l’Ambassadeur 24.] Mme de… (derrière la porte encore entrouverte où l’écoute encore Donati) : Je ne vous aime pas, je ne vous aime pas, je ne vous aime pas 25.

La construction de la scène démontre, encore une fois, la virtuosité dramaturgique d’Achard. Trois sections se succèdent, avec une progression architecturée vers l’aveu. L’arrivée du Général de… n’est que le catalyseur

24. Indication de l’auteur. 25. Marcel Achard, Dialogues de Madame de…, scène XII (transcription de l’auteur). LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 51 ultime d’une réaction déjà bien avancée, qui ne fait que retarder la réplique ultime, laquelle aurait très bien pu s’aboucher directement sur le dialogue précédent. Reprenant à son compte le procédé de Marivaux, Achard retarde le plus possible la survenue ultime de l’aveu, évoquant aussi la tirade de Madelon dans Les Précieuses ridicules :

Il cache un temps sa passion à l’objet aimé, et cependant lui rend plu- sieurs visites […]. Ensuite, il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine 26.

Les trois sections enchaînées sont les suivantes : –– échange de banalités sur le tableau accroché au mur (sachant que, dans le scénario, le culte napoléonien est le fait du Général de…) ; –– échange amoureux (« Il paraît que c’est quand on a trop à dire qu’on se tait », véritable frontispice de la scène) centré sur la raison du départ de Mme de… ; –– réapparition des bijoux et aveu de Mme de… Si l’échange de banalités devant le tableau ressort d’une mécanique théâtrale classique, le choix de Waterloo se révèle évidemment une anti- cipation. La défaite napoléonienne apparaît comme un écho à celle du Général, que ce dernier, lors de son arrivée quelques répliques plus loin, considère déjà comme entérinée, au vu de la froideur avec laquelle il congédie pratiquement l’Ambassadeur. La section centrale se signale par son caractère quasiment exclusivement interrogatif. Celle que son époux peignait (scène VIII) comme une redoutable coquette découvre un senti- ment qui, jusque-là, lui demeurait étranger, et telle la Marianne de Musset, s’interroge sur la nature profonde de son ressenti. Au seuil d’un aveu qu’elle pressent fatal, elle laisse planer le doute (« Oui, pourquoi ? ») : doute-t-elle de ce qu’est son sentiment ou bien désire-t-elle en laisser la responsabilité au seul Donati ? La réponse au pourquoi réside dans l’ultime réplique de la scène, ce « Je ne vous aime pas » qui, autant qu’un aveu véritable, sonne comme un code d’amour entre les deux protagonistes. Les bijoux sont présents dans la scène, mais uniquement de façon indirecte. Dissimulés dans un bouquet de roses placé hors-scène, ils sont mentionnés comme une folie mais non visibles (il faudra que Mme de… sorte pour les voir). Leur rôle est nettement plus effacé que dans le roman. Le choix de cette disposition peut surprendre, sauf à considérer que ce sentiment si secret qu’il ne peut être livré que par sa propre négation ne peut pas admettre de truchement trop directement visuel. Faisant de l’amour

26. Molière, Les Précieuses ridicules, in Œuvres complètes, vol. I, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1976, p. 268. 52 LIONEL PONS partagé une forme de secret, Marcel Achard estompe la présence dans le dialogue (et par conséquent à l’écran) des bijoux en question. Louise de Vilmorin opérait le choix inverse, faisant de la présence des cœurs le fil insistant du récit et campant des personnages qui assument beaucoup plus leur passion. Si la construction tripartite de la scène résonne comme un écho à celle initiale du film, il est notable que le dramaturge travaille le rythme comme un élément théâtral à part entière. À la concision de la première répond une gestion plus libre du temps dans celle-ci. Or, nous nous situons au carrefour central de l’action. Là où la dynamique théâtrale classique joue sur une accélération du rythme jusqu’à l’apex, puis sur une décroissance, Marcel Achard effectue le choix contraire : le rythme, très serré en début d’action (scènes I à IV), opère un ralentissement sensible lorsque le drame se noue (scènes VI à XV) avant de s’emballer à nouveau (scènes XVI al fine), évitant ainsi tout excès mélodramatique sur la fin, la mort de l’héroïne n’étant évoquée que par le cri de Nounou et le plan final dans l’église. Achard utilise la notion de rythme comme un contrepoids dra- matique, un facteur équilibrant du récit, qui se tient ainsi à l’écart des tics du métier théâtral, auxquels l’auteur chevronné qu’il est aurait très bien pu succomber. Le récit y gagne une fluidité naturelle qui opère une totale réorientation stylistique de l’œuvre. Le conte moral de Louise de Vilmorin prend l’aspect d’une narration de Guy de Maupassant (en continuité avec Le Plaisir, précédent film de Max Ophuls).

De la vision de Marcel Achard à celle de Jean Anouilh

Un dernier élément de comparaison peut nous permettre d’éclairer la personnalité dramatique de Marcel Achard, en l’occurrence le livret d’opéra conçu par Jean Anouilh pour le compositeur Jean-Michel Damase (1928- 2013) 27 en 1971. Le musicien avait déjà adapté, avec l’accord du dramaturge, sa Colombe, sous la forme d’une comédie lyrique en quatre actes, créée en 1960 lors du Mai Musical de Bordeaux, avant son entrée au répertoire de l’Opéra-Comique 28.

27. C’est pour Jean-Michel Damase que Marcel Achard élabore, en 1964, le livret d’Eugène le Mystérieux, comédie musicale à grand spectacle en deux actes et vingt tableaux d’après Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, créée au théâtre du Châtelet. 28. Jean-Michel Damase renouera par la suite sa collaboration avec Jean Anouilh pour Madame de… , opéra en un acte, en 1971, et enfin pour Eurydice, opéra en trois actes, en 1972. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 53

Se penchant à son tour sur le roman de Louise de Vilmorin, Jean Anouilh propose un livret articulé comme une succession de scènes chan- tées reliées par les interventions d’une récitante soutenue par une continuité musicale (la version de la création, à l’opéra de Monte-Carlo, faisait appel à un récitant ; celle du Grand Théâtre de Genève, en 2004, confiait le rôle à la comédienne Béatrice Agenin). Cette disposition de roman musical dont la narratrice se présente comme un double de la romancière avait déjà été expérimentée sur la scène lyrique dans La Princesse de Clèves, opéra en cinq actes de Jean Françaix (1912-1997) sur un livret de Marc Lanjean, avec la collaboration du compositeur, d’après le roman de Mme de La Fayette (création au théâtre des Arts de Rouen le 11 décembre 1965). Jean Anouilh respecte quasi scrupuleusement la trame du roman, insérant dans ses propres dialogues ceux, toujours très courts, imaginés par Louise de Vilmorin (voir, en fin d’article, tabl. 3). La même scène dialoguée respectivement par Marcel Achard 29 et par Jean Anouilh 30 met en lumière quelques facettes de la personnalité archardienne. Prenons comme support de réflexion la scène IV de l’opéra, en la comparant à celle de l’entrevue des deux époux 31 :

Mme de… : Mon Dieu ! Viendriez-vous prendre le thé avec moi ? Cela fait si longtemps que cela ne vous est pas arrivé que je vais me mettre à penser des choses. Vous avez quelque chose à vous faire pardonner, mon ami ? M. de… : Voilà une idée étrange ! J’aime beaucoup prendre le thé avec vous, vous le savez. Vous êtes une des rares femmes de ma connaissance qui le preniez bien. Certaines ont l’air de se nourrir – ce qui est odieux –, d’autres accomplissent un rite – ce qui est agaçant – ; vous seule avez l’air de prendre un plaisir. Mme de… : Vous êtes bien bon, mais c’est vrai. J’adore le thé. Je sonne pour vous demander une tasse. M. de… : Merci, j’ai le thé en horreur. Je n’aime que vous le voir prendre. Je voulais vous reparler de nos malheureux cœurs. Mme de… : De nos cœurs ? M. de… : … de diamants. Mme de… : Ah, bon. M. de… : Ne trouvez-vous pas qu’on a donné trop d’importance à un incident, certes très regrettable, mais qui n’intéresse que nous ?

29. Voir note 21. 30. Voir note 32. 31. Voir note 18. 54 LIONEL PONS

Mme de… : Je suis bien de votre avis, je trouve tout cela très indiscret. M. de… : Vous ne soupçonnez précisément personne ? Mme de… : Non, bien sûr. Voyez-vous, plus je considère les choses, plus je suis prête à vous donner raison. J’ai dû prendre ces cœurs, j’étais en retard. Je devais les tenir dans ma main pour les mettre dans la voiture, et puis je n’y ai plus pensé. Nous parlions, n’est-ce pas ? J’écoute toujours trop attentivement lorsque vous me parlez. Les boucles ont dû tomber lorsque j’ai mis mes gants, ou bien elles se sont accrochées au châle de dentelle et elles ont roulé à terre. Quoi qu’il en soit, tout est de ma faute. J’ai commis une maladresse et je vous demande pardon. M. de… : Pardon ? Mme de… : Pardon. M. de… : Répétez encore. Mme de… : Pardon, pardon ! Quel plaisir trouvez-vous à me faire dire ce mot ? M. de… : Eh bien si vous ne soupçonnez personne, faites taire les bavards. Faites cesser les recherches et ces fausses rumeurs de vol. Mme de… : Je ne demande pas mieux, mais comment ? M. de… : Vous êtes certaine d’avoir perdu ce bijou ? Mme de… : Oui, sans doute. M. de… : Eh bien, vous allez déclarer que vous l’avez retrouvé, voilà tout. Mme de… : Je n’y avais pas pensé. M. de… : On ne pense jamais à ce qui est simple. Faites mieux, si j’ai un conseil à vous donner, allez tout de suite annoncer cette bonne nouvelle à nos hôtes et vous excuser. Mme de… : Vous avez raison, je suis impardonnable, j’y vais tout de suite. Mais ce sera un mensonge. M. de… : Oh, ma chère, au point où nous en sommes… Vous voyez, je n’aime pas le thé, mais j’adore celui de votre tasse. Mme de… : Vous voulez savoir ce que je pense ? M. de… : Quelle idée, je le sais 32 !

La vision d’Anouilh reste marquée par une subtile cruauté liée à la notion de leurre amoureux, le même entretenu dans Colombe (1950). À l’instar de Julien dans la pièce en question, M. de… devient victime involontaire

32. Jean Anouilh, Livret de l’opéra Madame de…, Paris, Henry Lemoine, 1971, p. 33-38. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 55 de sa propre vision sentimentale. Persuadé que son épouse est intrinsè- quement coquette, éprise de ce désir qu’elle se plaît à faire éclore autour d’elle sans jamais lui céder, il la pousse à solliciter son pardon. Notons que, contrairement à ce que Marcel Achard imagine, c’est bien lui qui relance la discussion sur le problème des bijoux, que Mme de… feint d’avoir oublié. Dès sa première réplique, cette dernière se montre bien plus rouée que ne le pense son époux, elle l’accule à une demande de pardon que M. de… esquive avec élégance. Il dirige l’entretien sans développer jamais de conscience claire de la personnalité profonde de sa femme. Pas plus que Julien n’est capable d’aimer une autre Colombe que celle qu’il imagine (« Parce que je te connais mieux que toi, Colombe […]. Et je te jure que tu finiras bien par te ressembler, que tu le veuilles ou non ! » 33). De fait, pas de déclaration dans cette scène, à l’opposé de l’homme attentif que peint Marcel Achard. M. de… tient les guides d’une conversation dont il imagine dispenser le point final, quand, au contraire, c’est son épouse qui pense avoir à concéder un pardon. L’humanité des personnages de Marcel Achard prend sa source non dans un rapport onirique à la réalité, mais dans une totale lucidité qui les maintient en prise réelle avec la réalité. L’Antoine de Noix de coco n’est pas amoureux d’une Caroline illusoire, mais bel et bien d’une femme qu’il a cernée plus profondément, dans son instinct de jeune faon, que ne le fait son père, pourtant époux de la jeune femme. La spécificité de Marcel Achard se lit, pour partie, dans ce rapport paradoxal entre lucidité et humanité. Ce qui devrait orienter les personnages vers un réalisme désa- busé les maintient, tel Pétrus, dans une perception sensible plus éclairée. La différence fondamentale entre les visions d’Achard et d’Anouilh est liée, d’une part, à l’accent mis chez le second sur la cruauté involontaire des êtres prisonniers des idéaux qu’ils se forgent, d’autre part à la lucidité des personnages du premier qui les tient à l’écart d’un réalisme qui viendrait assécher la poésie achardienne.

Le verbe comme architecture

Le style de Marcel Achard semble, au travers des exemples proposés, aussi bien à l’échelle de la globalité des dialogues que dans la construction des scènes, soucieux non de construire une mécanique théâtrale neuve, mais d’organiser de façon personnelle des ressorts éprouvés. L’intervention du destin est manifeste dans le geste achardien, mais à la différence des gestes néoclassiques, il reste inféodé au facteur humain

33. Jean Anouilh, Colombe, acte III, in Théâtre, vol. II, Paris, Gallimard (La Pléiade), 2007, p. 988. 56 LIONEL PONS qui est non sa traduction mais son déclencheur. Le rythme est un élé- ment essentiel du verbe, ici remarquable par sa concision. Achard évite l’emboîtement de propositions, lui préférant une construction rigoureuse, qui maintient la phrase dans des proportions modestes, ciselant un accès direct au sens ou à la pluralité de sens. Mais ce même rythme est aussi élément de construction à large échelle, plus souvent proposé par évolution croissance – décroissance – croissance, que par le schéma gaussien habituel. Cette gestion rigoureuse d’un verbe-architecture permet ce que l’analyse stricte ne peut rendre, à savoir un art de la litote poussé dans son ultime degré de raffinement. Selon les mots que Lewis Carroll (1832-1898) prête à Alice, « les choses ne sont pas ce qu’elles sont » 34 : tel personnage qui paraît maîtriser de bout en bout le dialogue n’en est pas sensu stricto l’ordonnateur, tel dialogue n’est en fait qu’un monologue caché, tel aveu ne se livre que via sa propre négation, tel je vous aime est susceptible de ménager un appui sur l’un des trois mots qui en infléchit profondément le sens. Le style de Marcel Achard est un jeu d’apparence, un subtil reflet de miroir qui jamais ne se départit de sa précision lapidaire. Dût-il mettre en scène la rêverie dans Jean de la Lune (1929), il n’abdique jamais sa maîtrise souveraine des proportions qui le met à l’abri aussi bien des longueurs que de l’artéfact pur. S’il se montre classique, c’est précisément par cette recherche d’architecture, et non par la fascination exercée sur lui par tel ou tel modèle. Par son verbe jugulé, rendant aux mots leur quintessence, à savoir le pouvoir de suggérer plus une nuance qu’un sens, Achard accède à une forme de modernité qui répudie le lien, trop souvent considéré comme indissoluble, entre moderne et nouveau, et qui le place à l’écart des courants du XXe siècle. Ni douceur giralducienne, ni cruauté dans la lignée d’Anouilh, ni critique sociale ou mélodrame pagnolien, ni peinture de caractère à l’instar d’André Roussin, ni réalisme bourgeois tel que le propose Édouard Bourdet, Achard n’en finit pas, au fil de son œuvre théâtrale ou cinématographique, d’exalter ce qu’il nous faut bien nommer une singularité aussi profonde qu’attachante, conciliant rigueur classique de la forme et mise en avant de l’humain. Là faut-il sans doute situer le fossé qui sépare le roman de Louise de Vilmorin, ballet magnifiquement ordonné de figures soumises au destin, de l’adaptation de Marcel Achard, mettant des personnages remarquables d’élégance en situation d’acteurs de ce même destin.

Lionel Pons Aix-Marseille Université

34. Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, Michel Laporte (trad.), Paris, Gallimard, 2009, p. 32. LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 57 35 p. 11-12 p. 12-14 p. 14-15 p. 15-16 p. 16-19 p. 11 Repères de pagination Repères

». Il lui ». Il lui pardon Évolution de l’action Évolution Madame Madame joaillier en diamants. des deux cœurs au Vente . s’en accrut sa beauté et dettes ses paya de… Elle feint la perte des cœurs dans un bal au milieu de la un bal la perte au dans des cœurs Elle feint générale. consternation proposer vient de délicatesse, excès par péchant Le joaillier, de financières, des difficultés il a imaginé dont à M. de…, épouse de son mensonge du Conscient les bijoux. racheter secrètement. ce dernier les rachète impassible, mais à sa les cœurs secrètement toujours offre M. de… de rupture, en cadeau belle une Espagnole, maîtresse, Sud. du part l’Amérique pour qu’elle alors sapar confirmer se M. de… fait lui, chez De retour en présenter la perte et la à lui pousse femme des cœurs « mot du lades excuses forme sous bal qu’elle du hôtes de leurs auprès de prétendre conseille question. plus n’en soit qu’il pour les bijoux a retrouvé de… Tabl. 1 – Découpages des sections et de l’action dans le roman de Louise des – Découpages sections de le et de roman Vilmorin. dans l’action Tabl. 1 me L’amour, en traversant les âges, âges, les en traversant L’amour, Sections romanesques de… me : le pardon accordé : le pardon Ces repères sont donnés par rapport à l’édition du Livre de Poche 1964. Premier mensonge de M mensonge Premier Première réapparition des cœurs réapparition Première à la belle des cœurs Don Espagnole fin Fausse Introduction présentant les deux personnages et les deux personnages présentant Introduction des dettes le problème sur directement enchaînant de M secrètes Phrase : liminaire touche. qu’il événements les d’actualité marque 35. 58 LIONEL PONS p. 20-21 p. 21-22 p. 28-29 p. 23-27 Repères de pagination Repères de… me de… prétend auprès de auprès prétend de… de… les deux cœurs les deux cœurs de… me de… S’ensuit une période une S’ensuit de… me me Évolution de l’action Évolution La belle Espagnole, criblée de dettes de jeu, met en met de jeu, La criblée de dettes belle Espagnole, du en Amérique boutique une dans les cœurs vente un par rachetés immédiatement ils sont Sud, en Europe. le lendemain rappelé ambassadeur de leur rencontre, anniversaire jour Le premier des campagnarde à la résidence invité l’Ambassadeur, à M secrètement offre de…, de cours assidue, élégante, émaillée d’une correspondance correspondance émaillée d’une élégante, de assidue, cours prononcé. soit le mot que sans le sujet, est l’amour dont un jeu dangereux sur les yeux fermer semble M. de… innocent. encore mais son époux les avoir retrouvés cachés parmi ses gants. parmi ses cachés gants. retrouvés les avoir époux son des cœurs. s’empare M. de… la vérité, dévoiler lui Sans porter. pouvez ne vous que bijoux Des dont il lui semble qu’ils sont le symbole même de leur même le symbole sont qu’ils semble il lui dont de M heureuse Surprise amour. Désireuse de pouvoir arborer au grand jour ces cœurs ces cœurs jour grand au arborer de pouvoir Désireuse M de sens, chargés désormais De retour à Paris, l’Ambassadeur tombe, au cours d’un cours au tombe, l’Ambassadeur à Paris, De retour de M le charme sous dîner, de… de… me me Sections romanesques Deuxième réapparition des cœurs Deuxième réapparition Deuxième mensonge de M Deuxième mensonge Troisième réapparition des cœurs réapparition Troisième Troisième mensonge de M mensonge Troisième LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 59 p. 38-48 p. 34-37 p. 29-32 p. 33-34 Repères de pagination Repères de… et de l’Ambassadeur ressemblent ressemblent et de l’Ambassadeur de… me Évolution de l’action Évolution jouant lui perpétuelle, elle le fuyant, feinte à une elle se consume que jamais, plus que, alors l’indifférence elle qui c’est persuadé que reste L’Ambassadeur lui. pour Lors offerts. avait lui qu’il les cœurs mari à son remis a définitive. signifie une ilrupture lui explication, d’une Les relations de M Les relations Sitôt les cœurs rachetés, M. de… les apporte à sa les apporte M. de… rachetés, les cœurs Sitôt d’en faire impose lui de scène, faire lui et sans femme, accouchée. nièce à une récemment cadeau Ayant reçu des lettres et des demandes d’argent de d’argent et des demandes des lettres reçu Ayant l’amitié comprend M. de… maîtresse, ancienne son Il prend à l’Ambassadeur. lie sa femme qui amoureuse les remet ce dernier d’un dîner à part et lui cours au en vente de les mettre demandant en lui deux cœurs final un point symboliquement posant le joaillier, chez de l’indifférence Devant des deux amoureux. à la liaison blessé est l’Ambassadeur de la jeune femme, commande orgueil. son dans dès le vient les cœurs, reconnaissant Le joaillier, la pour de les racheter à M. de… proposer lendemain ce dernier fait. ce que fois, troisième Sections romanesques de… face à ses de… mensonges me Le jeu de dupes M. de… remonte le filmensonges des remonte M. de… des cœurs réapparition Quatrième M 60 LIONEL PONS p. 49-56 p. 59-62 p. 56-57 p. 57-58 Repères de pagination Repères

de… de… me : Elle est morte. de… et lui déclare en confidence déclare et lui de… de… s’alite et se laisse mourir. et se mourir. laisse s’alite de… me me Évolution de l’action Évolution de…, désirant posséder à nouveau les posséder à nouveau désirant de…, me cœurs mais craignant la réaction de M. de…, renvoie sa renvoie de M. de…, la réaction craignant mais cœurs choisit réflexion, après Ce dernier, le joaillier. nièce chez les Celui-ci courant. au M. de… de mettre secrètement fois. la pour quatrième rachète Trois semaines après la rupture, alors que M que alors la rupture, après semaines Trois Appelé dans les derniers instants, l’Ambassadeur se l’Ambassadeur instants, les derniers dans Appelé elle En expirant, à l’assister. M. de… avec retrouve un cœur. contient chacune dont ses deux mains ouvre à l’Ambassadeur s’adresse M. de… le est […]. L’autre donne vous qu’elle cœur ce Prenez j’en disposerai. sien, De retour du dîner, M dîner, du De retour Lors d’un dîner en ville, l’Ambassadeur aperçoit les aperçoit en ville, d’un dîner l’Ambassadeur Lors de M oreilles aux cœurs M. de… remet à son épouse les cœurs et lui intime intime et lui épouse les cœurs à son remet M. de… le dans et de ressortir de les porter en public l’ordre d’un mois. plus depuis fuit qu’elle monde dépérit de langueur, la nièce propriétaire des cœurs des cœurs la nièce propriétaire dépérit de langueur, mari son de boursières les difficultés confier lui vient les racheter lui vouloir de bien à sa tante et demande M cœurs. . jamais pardonnerai vous ne Je de… me Sections romanesques de… me Le retour des cœurs à M des cœurs Le retour Cinquième réapparition des cœurs réapparition Cinquième Ultime malentendu entre les amants entre malentendu Ultime Mort de M Mort LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 61 17’’ 2’ 17’’ à 2’ 34’’ 57’’ 9’ 57’’ à 16’ 08’’ 16’ 09’’ à 20’ 05’’ 03’’ 6’ 03’’ à 9’ 56’’ 35’’ 2’ 35’’ à 6’ 02’’ Repère chronologique Repère Plutôt de… feint d’avoir perdu les bijoux. les bijoux. perdu d’avoir feint de… Évolution de l’action Évolution me de… choisit de vendre deux pendants deux pendants de vendre choisit de… me de… se rend chez M. Rémy, joaillier, et propose joaillier, M. Rémy, chez se de… rend me de… était une femme très élégante, très brillante, très très brillante, très élégante, très femme une était de… me Je ne tirerai pas vingt mille francs de tout ça […]. ça tout de francs vingt pas mille tirerai ne Je histoire. vie sans jolie à une promise semblait Elle fêtée. bijou. ce sans arrivé probablement serait ne Rien Le Général de… les recherche puis admet et annonce et annonce admet puis Le Général les recherche de… sans ), non Eurydice mon perdu la J’ai perte l’air (sur de son des domestiques l’ensemble questionné avoir l’escalier les Dans de l’Opéra, que le Général note hôtel. épouse l’agacent. de son soupirants À la lecture du vol relaté dans la presse, M. Rémy rend rend M. Rémy la presse, dans relaté vol du À la lecture de la mise en vente Général l’informe de…, au visite M. de… ce que de les racheter, propose et lui des bijoux secret. du le sceau sous immédiatement, fait Lors d’une représentation à l’Opéra de l’ Orphée représentation d’une de Lors M C. W. Gluck, de lui vendre les bijoux. Après réflexion, ce dernier accepte. réflexion, Après les bijoux. vendre de lui Après hésitation quant au bien qu’il lui faudrait vendre vendre faudrait lui qu’il bien au quant hésitation Après ( jeter me je préférerais rivière, cette de séparer me de que ), M à l’eau d’oreille que son époux lui a offerts au lendemain de leur au lendemain a offerts lui époux son que d’oreille mariage. l’église de cierge et un dépôt dans prière rapide une Après M votif, M Madame de… pour Madame Achard scénario de Marcel du – Découpage Tabl. 2 de… Sections scénario du me Monologue de M Monologue Le choix de M. Rémy Le choix Premier mensonge Premier Première vente des bijoux vente Première Deux cartons d’introduction Deux cartons 62 LIONEL PONS 24’’ 31’ 24’’ à 34’ 05’’ 06’’ 34’ 06’’ à 39’ 19’’ 37’’ 25’ 37’’ à 31’ 23’’ 06’’ 20’ 06’’ à 22’ 45’’ 22’ 46’’ à 25’ 36’’ Repère chronologique Repère

de… n’est pas insensible pas insensible n’est de… me de… à la douane, à Bâle. à la douane, de… me Évolution de l’action Évolution de… M. de…, qui connaît déjà l’Ambassadeur, lui déjà l’Ambassadeur, connaît qui M. de…, de… me Placés côte à côte dans un dîner, l’Ambassadeur retrouve retrouve l’Ambassadeur un dîner, dans à côte côte Placés M au charme de l’Ambassadeur. charme au En enchaînant plusieurs scènes de valse à distance scènes de valse à distance plusieurs En enchaînant en résumé assister fait le scénario nous chronologique, les deux personnages, entre de l’attirance développement au départ des derniers jusqu’au évoluer voyons nous que à la veille du sommes Nous d’orchestre. musiciens Général de… du retour confie la mission de distraire son épouse lorsqu’il est en est épouse lorsqu’il son de distraire la mission confie M côté, et de son manœuvres, Dans le wagon qui doit emmener sa maîtresse à sa maîtresse emmener doit qui le wagon Dans ainsi des bijoux cadeau fait lui M. de… Constantinople, Scène brève. très rachetés. M. de… ses retranchements, dans sa femme Poussant des vol du domestiques plusieurs de soupçonner feint les bijoux a retrouvé qu’elle de dire enjoint Il lui bijoux. pardon. demander à lui l’air, en avoir sans et la pousse, de M. de… l’ex-maîtresse à Constantinople, Parvenue jeu, au et les perd à la douane les bijoux déclare contre de les échanger casino du la banque par contrainte exposés joaillerie. d’une en vitrine espèces. Sans sont Ils la valise d’un diplomate, dans les retrouvons nous transition, Il croise mois. trois voici les a achetés qui Donati, Fabrizio M la connaître sans de… me Sections scénario du Le sentiment se développe Le sentiment Rencontre entre l’Ambassadeur et M l’Ambassadeur entre Rencontre Départ des bijoux des deux époux Entrevue des bijoux Réapparition LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 63 20’’ 39’ 20’’ à 42’ 33’’ 38’’ 49’ 38’’ à 55’ 53’’ 44’’ 42’ 44’’ à 45’ 24’’ 25’’ 45’ 25’’ à 49’ 37’’ 55’ 54’’ à 59’ 08’’ 08’’ 59’ 08’’ à 1 h 03’ 07’’ Repère chronologique Repère maladie de… me

de… le retrouve et le retrouve de… de… à son domicile, domicile, à son de… me de… retrouve de… » l’Ambassadeur avant avant » l’Ambassadeur me de… au bord des lacs bord au de… me me de… annonce à son mari sa mari à son annonce de… me Évolution de l’action Évolution raccompagner ». M. de… refuse, il ne croit pas à une menace menace pas à une il croit ne refuse, ». M. de… l’Ambassadeur – qui fait une chute de cheval – et manque de cheval – et manque chute une fait – qui l’Ambassadeur époux. de son des reproches vaut lui ce qui de s’évanouir, qui l’Ambassadeur le Général revoit Cercle, à son Le soir, acceptées. des excuses aussitôt présente lui Jalousie tacite et élégante du Général de…, qui somme somme Général qui de…, du et élégante tacite Jalousie épouse de « son départ, son elle Avant prévu. le train prenne ne qu’elle ces derniers. en emportant tout brûle l’écrin des bijoux, de M mélancolique Solitude volonté de partir quelque temps, soigner cette « cette soigner temps, de partir quelque volonté de cœur conjugal. bonheur son sur L’Ambassadeur rend visite à M visite rend L’Ambassadeur en l’absence du Général de…, alors qu’elle se prépare se prépare qu’elle Général alors de…, du en l’absence de l’échange Après mari. de son à partir l’avis malgré lui achetés par bijoux les offre il lui banalités, quelques à Constantinople. celle de l’Ambassadeur. répond à laquelle italiens, M à l’Ambassadeur, écrit Ayant tous deux vivent un amour parfait. un amour deux vivent tous M. de…, rentré à cet instant, trouve l’Ambassadeur l’Ambassadeur trouve à cet instant, rentré M. de…, départ de M chez prochain le annonce et lui lui Dans la nuit qui suit, M suit, qui la nuit Dans Lors d’une chasse à courre, M à courre, chasse d’une Lors de… me Sections scénario du de… me Départ manqué de M Départ manqué Suspension dramatique Suspension Réapparition des bijoux Réapparition Départ de M vécu Le sentiment Le sentiment devient visible devient Le sentiment 64 LIONEL PONS 34’’ 1 h 25’ 34’’ à 1 h 33’ 45’’ 37’’ 1 h 20’ 37’’ à 1 h 25’ 33’’ 08’’ 1 h 03’ 08’’ à 1 h 15’ 40’’ 1 h 15’ 41’’ à 1 h 20’ 36’’ Repère chronologique Repère de… se rend chez le chez se de… rend me de… feint de retrouver dans dans de retrouver feint de… de…, à laquelle son époux ne époux son à laquelle de…, me me Évolution de l’action Évolution de… à l’église. Elle se rend sur les lieux du duel. duel. à l’église. les lieux du Elle de… sur se rend me de… se rend chez l’Ambassadeur qui ne la reçoit la reçoit ne qui l’Ambassadeur chez se de… rend me M. Rémy à qui la nièce a revendu les bijoux les repropose les repropose les bijoux la nièce a revendu à qui M. Rémy M refuse. qui à M. de…, à l’achat pas. Un duel est prévu entre le mari et l’amant. Prière Prière et l’amant. le mari entre prévu est duel pas. Un de M Le premier coup doit être tiré par M. de… par tiré être doit coup Le premier des gants les fameux bijoux prétendument perdus. Elle perdus. prétendument bijoux les fameux des gants a prétendu qu’elle disant en lui à l’Ambassadeur ment donnés été avaient lui les bijoux que mari de son auprès et le mari entre Entrevue vieille une par cousine. avait qu’il à l’Ambassadeur apprenant M. de… l’amant, Il demande épouse. son pour les bijoux acheté d’abord de joaillier, au les bijoux de remettre à l’Ambassadeur racheter. les alors seul et lui puisse lui que sorte telle de M Évanouissement joaillier et manifeste la volonté de racheter les bijoux à les bijoux de racheter la volonté joaillier et manifeste prix. quel n’importe de la situation. conscience prend M. de… Informé, M fait nulle scène. L’Ambassadeur est profondément blessé. profondément est L’Ambassadeur scène. nulle fait de racheter vient qu’il les bijoux à sa femme montre M. de… vous ne bijoux Ces déclare il lui sa joie, Devant à M. Rémy. . en faire devez vous que ce dirai je vous plus, appartiennent à des bijoux cadeau épouse à faire son force M. de… accouchée. nièceune récemment De retour chez elle, M elle, chez De retour de… me Sections scénario du Accélération du rythme du dramatique Accélération Retour des bijoux entre les mains de M les mains entre des bijoux Retour Les bijoux comme emblème de jalousie emblème comme Les bijoux de main changent Les bijoux Double mensonge LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 65 al fine 41’’ 1 h 34’ 41’’ 46’’ 1 h 33’ 46’’ à 1 h 34’ 40’’ Repère chronologique Repère de… me Évolution de l’action Évolution Arrivée à proximité du lieu, elle entend un unique coup coup un unique elle entend lieu, du à proximité Arrivée à un malaise et succombe connaissance perd de feu, cardiaque. mentionnés les bijoux de l’église, avec l’intérieur sur Plan de M don comme Sections scénario du Le duel Fin 66 LIONEL PONS Les fermoirs tenaient tenaient fermoirs Les : de… me Auteur des dialogues Auteur (absent du roman). du (absent . Jean Anouilh condense le court dialogue le court condense Anouilh Jean les deux époux. entre le roman dans présent M. de… le dialogue entre élargit Anouilh Jean (Louise de le roman dans et le bijoutier en scène quasiment cette présente Vilmorin style indirect). à réduit Louise de Vilmorin Anouilh. Jean peu ce lien. de phrases roman. du Scène Anouilh. absente Jean très mal de la réplique intercalation avec Anouilh, Jean s’en sa beauté et dettes ses paya de… Madame accrut Louise de Vilmorin (texte tiré des p. 11-12 de des p. 11-12 tiré (texte Louise de Vilmorin le tabl. 1). dans référencée l’édition Jean Anouilh. La Anouilh. le scène de dialogue dans Jean reprise répliques, trois que compte ne roman reproche le note On en fin de ici, scène. M par adressé de…, de…, me Contenu dramatique Contenu de… feint d’avoir perdu les bijoux durant durant les bijoux perdu d’avoir feint de… de… aborde avec coquetterie son problème problème son coquetterie avec aborde de… me me Présentation du personnage de M personnage du Présentation un bal. des aux commentaires De la fin de soirée à de proposer bijoutier du Décision gazettes. à M. de… les cœurs nouveau les et offre ses cache sentiments M. de… à sa maîtresse. rachetés bijoux et sa M. de… entre ironique Duo tendre entrevue. de leur dernière lors maîtresse De la revente des bijoux à la résolution du du à la résolution des bijoux De la revente mensonge. premier M M de ses dettes et de sa démarche auprès du du auprès et de sa démarche de ses dettes bijoutier. avec le bijoutier. avec de… et le bijoutier de… me de Jean-Michel Damase. de… de Jean-Michel Anouilh pour l’opéra Madame – Construction de livret Jean du Tabl. 3 Scène de l’opéra Introduction de la récitante Introduction Lien de la récitante Lien de la récitante Scène de la belle Argentine Lien de la récitante balScène du Entrevue entre M entre Entrevue LE STYLE ET LA DRAMATURGIE CHEZ MARCEL ACHARD… 67 Auteur des dialogues Auteur Jean Anouilh. Transition quasiment absente absente quasiment Transition Anouilh. Jean du roman. Louise de Vilmorin. Anouilh conserve Anouilh Louise de Vilmorin. dialogue du les termes scrupuleusement la romancière. par imaginé Louise de Vilmorin. Anouilh conserve Anouilh le style Louise de Vilmorin. l’attirance naître voit qui indirect de ce passage des deux héros. mutuelle Louise de Vilmorin, dont Anouilh transcrit en transcrit Anouilh dont Louise de Vilmorin, dialoguées répliques quelques style indirect les deux héros. entre est La roman Anouilh. scène du Jean de un dialogue par en forme remplacée Nanette No, de No, Two for Tea du pastiche insère Le dramaturge Youmans). (Vincent conçu dialogue bref du les phrases cependant la romancière. par Jean Anouilh. Scène très résumée dans le dans Scène résumée Anouilh. très Jean de échange un bref seul y existe roman, cœur serties la véritable scène, dans répliques de l’opéra. dramatique de… et de… me de… les cœurs en me de… lors d’un dîner. d’un dîner. lors de… me de… me de… et M. de…, dans lequel lequel dans et M. de…, de… me Contenu dramatique Contenu M. de… décide d’avoir avec son épouse une son avec décide d’avoir M. de… final à l’histoire. croit qu’il un point discussion, M Duo entre diamants, sous le sceau du secret. du le sceau sous diamants, Naissance de leur amour. Naissance L’Ambassadeur offre à M Les bijoux changent de main et sont achetés achetés et sont de main changent Les bijoux la Il fait Aires. à Buenos l’Ambassadeur par de M connaissance elle convient tacitement de sa faute et de sa faute tacitement elle convient pardon. demande Sans s’avouer d’amour réciproque, M réciproque, d’amour s’avouer Sans l’Ambassadeur se confient le besoin croissant le croissant besoin se confient l’Ambassadeur Elle ensemble. temps de passer du ont qu’ils à la campagne jours à passer quelques l’invite inopinée Arrivée secondaire. leur résidence dans l’invitation. confirme qui de M. de… Langueur de M Langueur de… me Scène de l’opéra Lien de la récitante des deux époux Entrevue Entretien sentimental entre M entre sentimental Entretien Dialogue entre les deux amants Dialogue entre Lien de la récitante et l’Ambassadeur Lien de la récitante 68 LIONEL PONS Auteur des dialogues Auteur Jean Anouilh. La scène se tuile avec la fin du La la fin Anouilh. scène se avec tuile Jean toujours mensonge, du dialogue (résolution fin de et une à Louise de Vilmorin) emprunté seul librettiste. au scène due Anouilh. Jean Anouilh. Jean Louise de Vilmorin. La Anouilh. pas scène détaillée n’est Jean réplique à une réduite mais le roman, dans lapidaire. Jean Anouilh. Scène absente du roman. du Scène Anouilh. absente Jean roman. du absente réplique Unique Anouilh. Jean la finale phrase hormis Louise de Vilmorin, de la récitante. Jean Anouilh, qui réécrit totalement la scène totalement réécrit qui Anouilh, Jean roman. du les dialogues issus en délaissant Louise de Vilmorin. permet de déplacer qui à M. de… Anouilh, Jean de de la conduite le terrain sur les reproches de l’Ambassadeur. épouse à l’égard son de… que son mari mari son que de… me de… et M. de… de… me Contenu dramatique Contenu de… accepte les bijoux avec un élan du du un élan avec les bijoux accepte de… à de prière un mot écrit de… me me M cœur qui surprend l’Ambassadeur. Elle décide l’Ambassadeur. surprend cœur qui avoir en prétendant époux à son de mentir de gants. paire une dans les bijoux retrouvé les deux scènes. séparant réplique simple Une M Dialogue entre de passer la voir. le suppliant l’Ambassadeur, Scène de rupture de l’Ambassadeur. Scène de rupture M force à se rendre à un bal. Elle y revoit à un bal. Elle y revoit à se rendre force trahi. s’imagine qui l’Ambassadeur, Elle déclame à haute voix le texte de la lettre à de la lettre le texte voix à haute Elle déclame l’Ambassadeur. Résolution de l’Ambassadeur. Résolution de M. de… et réplique Lien de la récitante scène. cette dans de chant Pas roman. du tirée Scène entre M. de… et l’Ambassadeur. M. de… Scène entre à les bijoux à donner sa femme force M. de… le monde. dans nièceune et à ressortir de M Affaiblissement Scène de l’opéra de… me Lien de la récitante Lien de la récitante retrouvés Les bijoux de M Air Reproches de l’Ambassadeur Reproches Lien de la récitante L’Ambassadeur vient Scène finale Lien de la récitante de main à nouveau changent Les bijoux Lien de la récitante DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS Marcel Achard et le film musical

Dès la première pièce de théâtre qu’il écrit enfant, Henry d’Auvergne, Marcel Achard prévoit de faire chanter ses personnages, composant lui-même à cette fin une partition musicale. De fait dans la production dramatique d’Achard, la tentation du spectacle musical est omniprésente et dépasse largement la concession à l’humeur du temps. Marcel Achard est avant tout, et surtout à ses débuts, un poète 1. Chez lui, la musicalité dépasse largement la mode de la revue ou du vaudeville à chansons ; elle est intrinsèque à la poésie de son œuvre, la musique et la chanson étant des sources d’inspiration et des modèles esthétiques, en termes d’imaginaire, de rythme, etc., de son théâtre. La chanson dépasse même le cadre de son œuvre, puisque Achard, dont on sait qu’il chantait volontiers dès que l’occasion s’offrait à lui, a présenté avec la chanteuse et compositrice Mireille une série de contes musicaux radiodiffusés en décembre 1944 et janvier 1945, et a participé en septembre 1948 au jury du Grand Prix de la chanson française. Le cinéma sonore et parlant offrait à Marcel Achard un terrain parfait pour prolonger cette inspiration musicale et chantante. D’abord dans les versions françaises de deux musicals hollywoodiens, La Veuve joyeuse (Ernst Lubitsch, 1934), dont il écrit le scénario et les dialogues et qui marque sa rencontre déterminante avec Ernst Lubitsch, et L’Homme des Folies-Bergère (Roy Del Ruth et Marcel Achard, 1935), avec lequel il se confronte pour la première fois à la réalisation, puis dans La Valse de Paris (Marcel Achard, 1950), projet personnel de film musical à la française pétri des leçons de son expérience du musical hollywoodien et particulièrement celles de Lubitsch. L’influence du maître à la touch magique s’avérant centrale, nous nous

1. Au sens où l’entendait aussi Jean Cocteau, et indépendamment du genre ou du support qu’il investit.

DOUBLE JEU, no 12, 2015, Marcel Achard entre théâtre et cinéma, p. 69-85 70 MARIE CADALANU concentrerons plus particulièrement dans cette étude sur la filiation entre La Veuve joyeuse et La Valse de Paris et sur la façon dont le modèle lubitschien et la personnalité de Marcel Achard convergent dans une œuvre originale qui est aussi une proposition pour une esthétique du film musical français.

Expérience du musical hollywoodien et rencontre avec Lubitsch : la version française de La Veuve joyeuse

Marcel Achard, qui s’est intéressé très tôt au septième art, d’abord comme critique puis comme scénariste et dialoguiste, trouve dans le cinéma des premières années trente, largement musical et chantant, un prolongement privilégié de sa propre sensibilité 2. En mentionnant les scénarios et les dialogues qu’il écrit, souvent pour les adaptations de ses propres pièces (dont Jean de la Lune réalisé par Jean Choux en 1931 3), nous nous concen- trerons sur ce qui nous semble être une ligne de force souvent occultée de son œuvre, du fait même du peu de reconnaissance dont jouit la pratique des versions multiples, grâce auxquelles Achard a néanmoins acquis une bonne part de son expérience de la production cinématographique : la tentation du film musical. C’est à Hollywood, en participant à la réalisation de versions françaises de deux musicals hollywoodiens, que Marcel Achard fait ses classes dans la conception et la réalisation de films musicaux. S’il avait déjà, avant ses deux séjours à Hollywood, écrit les dialogues de cinéma 4, son expérience

2. Il exprime volontiers, dès le début de la généralisation du cinéma sonore, sa foi dans ce medium, notamment dans Vu : « Le cinéma, mais c’est peut-être aujourd’hui le moyen le plus extraordinaire qu’un auteur dramatique ait maintenant d’exprimer sa pensée » (Vu, 25 novembre 1931). De même qu’il s’inscrit en faux contre l’idée que le cinéma menace- rait le théâtre, affirmant dans sa « conférence-comédie » prononcée en février 1928 : « Je ne crois pas que le cinéma ait fait du tort au théâtre » (cité par Jacques Lorcey, Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne, Paris, France-Empire, 1977, p. 106). Il semble davan- tage que dans l’esprit de Marcel Achard, il s’agisse de deux arts dont les caractéristiques et les exigences sont pour une grande part nettement différents. 3. Les deux adaptations de Jean de la Lune, par Jean Choux en 1931 et par Marcel Achard en 1948, mériteraient une étude que nous n’avons pas le temps de développer dans ces lignes, notamment en ce qui concerne les séquences musicales qui nous intéressent, la séquence au café-concert de la Fauvette dans la version réalisée par Marcel Achard. 4. Avant le tournage de La Veuve joyeuse, Marcel Achard écrit le scénario et les dialogues de Jean de la Lune, d’après sa pièce, réalisé par Jean Choux (1931), de Une nuit à l’hôtel, réalisé par Léo Mittler (1931), de Une étoile disparaît, réalisé par Robert Villers (1932), DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS… 71 américaine est sans conteste sa première incursion profonde dans le domaine du cinéma et plus particulièrement du film musical. Si le phénomène des versions multiples à Hollywood est souvent décrié comme produisant des films médiocres, et si l’on souligne le peu de liberté des artisans des versions françaises de ces films, les cas de La Veuve joyeuse et de Folies-Bergère doit amener en filigrane à nuancer cette idée 5. Outre l’expérience non négligeable des méthodes hollywoodiennes que cette parenthèse offre à Marcel Achard, dont nous verrons l’influence sur son propre projet de film musical, La Valse de Paris, l’étude des différences entre les deux versions, notamment dans l’adaptation des dialogues, témoigne de la possibilité offerte à Achard scénariste et dialoguiste d’apposer sa patte à la version française de ces films. Le tournage de La Veuve joyeuse apparaît plus déterminant pour l’œuvre ultérieure de Marcel Achard, du fait de la rencontre décisive avec Ernst Lubitsch qui deviendra son maître à penser en termes de cinéma et dont l’esthétique marquera profondément le projet personnel de film musical de Marcel Achard, La Valse de Paris. Nous faisons donc le choix de nous concentrer sur sa première expérience hollywoodienne 6 pour souligner le caractère fondamental de la filiation entre le modèle lubitschien révélé à Marcel Achard à l’occasion du travail sur La Veuve joyeuse et le projet de La Valse de Paris. Pour La Veuve joyeuse, Marcel Achard officie comme scénariste et dialoguiste de ce « film-valse » 7. Si les deux versions sont très proches, les dialogues de la version française portent indubitablement la patte de Marcel Achard qui y insuffle son inventivité et sa poésie. En outre, il semble que la présence d’Achard, associée à la personnalité toute parisienne de Maurice Chevalier, soit, pour la critique et le public français de l’époque, le gage d’une identité bien parisienne du film, la fierté d’une petite enclave gauloise au sein même de la production hollywoodienne 8.

de Mistigri, d’après sa pièce, réalisé par (1932), et de La Belle Marinière, d’après sa pièce, réalisé par Harry Lachman (1932). 5. Lire aussi à ce sujet les travaux de Martin Barnier, notamment Des films français made in Hollywood : les versions multiples (1929-1935), Paris, L’Harmattan, 2004. 6. Un projet d’une adaptation hollywoodienne de La vie est belle sous la direction de Harry d’Abbadie d’Arrast, en 1928, avait avorté à la suite du refus de Marcel Achard devant les transformations que le réalisateur voulait apporter à sa pièce. Dès cet incident, Lubitsch avait d’ailleurs soutenu Achard dans ses exigences (voir Jacques Lorcey, Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne, p. 110). 7. Nous reprenons le terme employé par l’auteur anonyme de l’article « La Veuve joyeuse de Lubitsch, la quintessence de la sophistication hollywoodienne », Combat, 24 janvier 1972. 8. Ainsi, Paris-Midi du 16 mars 1934 publie une photo de Marcel Achard accueilli sur le sol américain par Maurice Chevalier, légendée « Marcel Achard, le talentueux auteur dra- matique français, est arrivé récemment en Californie où il doit assister le metteur en 72 MARIE CADALANU

Il y aurait à dire des différences visuelles ou de dialogue liées à la plus grande liberté dont bénéficie la version française, qui n’est pas soumise au code Hays 9 ; on pourrait évoquer également les adaptations qui sont nécessaires à la compréhension du dialogue en France. Ainsi, par exemple, les east side shepherds qui s’organisent contre le roi (ce qui suscite chez ce dernier la réaction « Intellectuals ») deviennent dans le dialogue d’Achard et pour les besoins de la connotation, des balayeurs de la « rive gauche ». Ou encore, au lieu de se mettre à parler français de façon à prouver qu’il pourra se débrouiller dans sa mission à Paris, Maurice Chevalier se met, dans la version française, à énumérer les langues qu’il maîtrise et ne pro- nonce pas une seule phrase en anglais (ce qui d’ailleurs rend cette séquence moins directement signifiante que dans la version anglaise, car la maîtrise du français correspond dans la version américaine à un véritable enjeu diégétique, loin du discours général et peu intégré à l’action précise du film). Mais il est des éléments derrière lesquels il nous semble possible de déceler la présence de Marcel Achard. Les dialogues adaptés en français témoignent indiscutablement de son style. Un exemple marquant en est la première discussion entre Danilo (Maurice Chevalier) et la veuve (Jeannette MacDonald). Celle-ci, excédée des avances de Danilo, cherche à lui rabaisser le caquet. Dans la version anglaise, cela donne : « You’re not terrific. Not even colossal ». Dialogué par Achard, les adjectifs sont réduits à de simples onomatopées, qui veulent tout dire : « Vous n’êtes pas oh, oh ! Ni même hé, hé ! » (10 mn). À la fin de la même séquence, la réplique de Danilo, repoussé par la veuve, « I’m a free man again », devient sous la plume d’Achard : « Eh bien ! Encore un roman de terminé ! ». Petites adaptations, qui contribuent à modifier la tonalité du dialogue vers une poésie en parfaite adéquation avec son sujet et la légèreté de la caméra de Lubitsch. Autre exemple d’utilisa- tion de termes dont le sens naît de la situation, la colère de Danilo contre l’ambassadeur (Edward Everett Horton / Marcel Vallée). En anglais, Danilo dit simplement « Your excellency, shut up ! ». Dans le dialogue français de Marcel Achard, l’invention lexicale participe pleinement du comique : « Excellence, en bon marsovien, schmudt ! » (1 h 20 mn). Dans la même perspective, Marcel Achard développe le dialogue entre le roi Achmed (George Barbier / André Berley) et sa femme Dolorès

scène de La Veuve joyeuse. La vedette de cette production sera Maurice Chevalier. Voici ce dernier accueillant Marcel Achard à son arrivée au pays des sioux », le tout étant inti- tulé « Marcel Achard prépare à Hollywood un grand film pour Maurice Chevalier ». 9. Francis Bordat a très bien analysé l’influence du Code dans les treize coupes effectuées dans la version américaine (Francis Bordat, « Lubitsch et le Code », Positif, no 595, sep- tembre 2010). DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS… 73

(Una Merkel / Danièle Parola), dans lequel celle-ci tente, mine de rien, de savoir si son mari sera parti la nuit entière pour s’assurer qu’elle pourra le tromper en toute tranquillité, et transforme la dernière réplique, modifiant « Darling, do you think it will take you all night ? – I could have married the sultan’s daughter ! » 10 en : « Chéri, pensez-vous qu’elle durera toute la nuit ? – Après tout, c’est moi qui l’ai choisie ! » (24 mn). Achard accentue également le cocasse et les bons mots qu’il affectionne. Ainsi, Danilo répond de façon bien plus subtile, qui correspond par ailleurs au personnage, dans la version française, aux semonces du roi (« I’ll attend to you later » / « Je m’occuperai de vous plus tard »), répondant en anglais d’un simple « Yes, Majesty » et en français d’un mot d’esprit désinvolte : « S’il vous plaît mon Général, prenez votre temps, la patience est une des vertus du soldat » (27 mn). De même, lors du dialogue entre Danilo et l’ambassadeur (Edward Everett Horton / Marcel Vallée) qui met en place le stratagème de séduction de la veuve, la version américaine se réduit aux ordres de l’ambassadeur auxquels Danilo se contente d’acquiescer. Dans la version française, il émet un doute quant à l’escalade du mur que l’on prévoit de lui, ce qui relance le dialogue sur une note comique qui sert en outre au cabotinage de l’acteur (40 mn). Le dernier exemple marquant est celui de la lecture du télégramme (1 h 18 mn). Le principe de cette séquence est que la lecture donne une impression de rapidité cocasse dans le défilement des informations et des ordres. Si en anglais cette séquence remplit cette fonction, les ajouts de Marcel Achard au texte du télégramme accentuent cette impression de débit intarissable, soutenu par la diction remarquable d’Émile Dellys à ce moment. En outre, si l’on en croit Jacques Lorcey, certaines idées de mise en scène de Marcel Achard ont été retenues par Lubitsch, y compris dans la version américaine. Ce serait le cas en particulier de la séquence où la veuve décide enfin de mettre un terme à son veuvage (« Toute veuve a ses limites ! »), lors de laquelle tous les effets de la veuve passent du noir au blanc. Achard aurait émis l’idée de transformer également le caniche de celle-ci :

C’est ainsi que les quatre hommes [Marcel Achard, Samson Raphaelson, Ernest Vajda et Ernst Lubitsch] passeront une semaine à étudier la valeur d’un gag proposé par Marcel. Il s’agit de prouver visuellement à quel point la veuve redevient joyeuse. Ses robes noires, ses souliers noirs, deviendront blancs tout comme ses corsets et ses soutien-gorge. Mais pour montrer l’évolution complète de la femme, Marcel voudrait aussi que son petit chien noir devienne un petit chien blanc. Le premier jour, ce gag amuse

10. Cette réplique est supprimée dans la version censurée du film (voir Francis Bordat, « Lubitsch et le Code », p. 101). 74 MARIE CADALANU

ses collaborateurs puis ils le trouvent un peu simple, cherchent quelque chose de plus subtil… vainement. Enfin, sur avis favorable de la vedette, on décide que le chien blanc fera l’affaire 11.

Un détail qui a son importance, la version française ajoute au générique du film un carton en l’honneur de Franz Lehar : « Ce film est dédié à Franz Lehar et à ses belles mélodies ». Nous n’avons pas de preuves qu’il s’agit là d’une intention de Marcel Achard, mais l’hypothèse n’est pas improbable, connaissant l’admiration de ce dernier pour Lehar mais aussi d’autres auteurs d’opéras et d’opérette qu’il n’hésite pas à citer dans ses entretiens et auxquels il sait rendre hommage de ses œuvres, notamment Offenbach dans La Valse de Paris. Surtout, ce tournage est l’occasion pour Marcel Achard de découvrir le travail d’Ernst Lubitsch, qui lui a lui-même demandé de l’aider à la réalisation de la version française de La Veuve joyeuse, et dont Marcel Achard dit à son retour en France :

La Veuve joyeuse n’a pas l’air d’une version française de production amé- ricaine mais bien d’un film de chez nous. Lubitsch est un homme extraor- dinaire et on a l’impression, quand on travaille avec lui, que l’on ne sait rien : c’est le plus grand réalisateur d’Amérique 12.

Lubitsch restera pour Achard un modèle – il l’appellera son « maître ès cinéma » lors d’un entretien à l’occasion du tournage de sa propre réa- lisation de Jean de la Lune en janvier 1949 13. On peut attribuer en grande partie à Marcel Achard le mérite de la qualité de cette version française, dont Jean Eustache dit :

La version française [de La Veuve joyeuse] est assez étourdissante, mais c’est un cas assez unique, je n’en connais pas d’autre 14.

La participation à la version française de La Veuve joyeuse, le film de la rencontre avec Lubitsch, est un jalon indispensable dans le rapport de Marcel Achard au film musical. Il y acquiert une expérience des méthodes de réalisation des studios hollywoodiens et il y trouve son maître à penser en cinéma : Ernst Lubitsch, en qui il reconnaît un modèle d’ingéniosité et de légèreté, et dont il s’inspirera pour filmer son projet de film musical, La

11. Jacques Lorcey, Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne, p. 155. 12. Interview de Marcel Achard par Marcel Idzkowski, citée par ibid., p. 160-161. 13. Cité par ibid., p. 215. 14. Serge Le Péron et Serge Toubiana, « Journal d’un magnétoscopeur, entretien avec Jean Eustache », Cahiers du cinéma, no 320, février 1981, p. II. DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS… 75

Valse de Paris. Incidemment, l’importance de cette expérience, ainsi que la relative liberté dont il jouit pour l’adaptation française, dont nous avons souligné les différences avec les versions américaines, doivent contribuer à réévaluer la valeur des versions multiples, qui sont une expérience majeure pour nombre de réalisateurs, dialoguistes et techniciens français, qui insufflent en retour leurs acquis dans le cinéma français.

La Valse de Paris : un projet de film musical entre Achard, Offenbach et Lubitsch

Dans La Valse de Paris, Marcel Achard porte à l’écran les relations turbu- lentes entre Jacques Offenbach (Pierre Fresnay) et la chanteuse Hortense Schneider (Yvonne Printemps), qu’il a découverte et dont il a fait une artiste lyrique adulée, composant pour elle nombre d’opérettes. Hortense, ne reconnaissant pas l’amour qu’il lui porte, lui confie ses désillusions amoureuses de femme frivole, avec Berthelier (Jacques Charon) puis avec le prince (Claude Sainval). Celle-ci finit enfin par se donner à Offenbach avant de le quitter comme elle l’a fait de ses autres amants. Offenbach se remettra de son chagrin en écrivant d’autres opérettes pour Hortense, le film s’achevant sur le salut des deux personnages désormais amis, après la représentation d’une nouvelle opérette. Les films musicaux fondés sur la vie de compositeurs célèbres sont courants depuis les années trente – pensons à La Chanson de l’adieu (Geza von Bolvary et Albert Valentin, 1934), à Un grand amour de Beethoven (Abel Gance, 1936), qui s’attache aux tourments du compositeur entre 1801 et 1827, déchiré entre déception sentimentale et drame de la surdité naissante, ou encore, plus tard, à La Symphonie fantastique (Christian-Jaque, 1941), évoca- tion romancée de la vie d’Hector Berlioz. Le souvenir de Trois valses (Ludwig Berger, 1938) s’impose également du fait du couple Yvonne Printemps- Pierre Fresnay 15. Dans La Valse de Paris, Marcel Achard s’approprie la tradition de ce sous-genre entre opérette cinématographique et ce qui est de nos jours recouvert par l’appellation de biopic 16, pour en faire une

15. P.-Y. Guys notamment estime dans La Croix du 13 mai 1950 (« La Valse de Paris, Rex – Gaumont-Palace ») que « les producteurs qui n’ont pas la mémoire courte se rappellent le grand succès de Trois valses. Le “couple idéel” Yvonne Printemps-Pierre Fresnay fait toujours salle comble ». 16. Significativement, on retrouve dans la critique des images qui étaient employées par la cri- tique des années trente à propos des opérettes cinématographiques, notamment celle du « champagne bien frais et pétillant » sous la plume d’André Lafargue, qui poursuit en sou- lignant le caractère anachronique à la fin des années quarante du pur divertissement que 76 MARIE CADALANU sorte de laboratoire du film musical à la française, se servant à la fois de son expérience de dramaturge et de l’expérience en termes de réalisation cinématographique acquise lors de son expérience hollywoodienne. Avec La Valse de Paris, c’est explicitement un projet d’opérette ciné- matographique que Marcel Achard met en place, et qu’il défend comme tel. La fantaisie de l’opérette s’oppose notamment dans son esprit à la vérité historique qui entrave l’imagination 17. Il oppose ainsi à plusieurs reprises dans ses entretiens le « film historique » et le « film musical ». Pour le magazine Combat il affirme :

Il n’y a pas grand-chose d’ailleurs dans ce film qui respecte ce qu’on appelle la vérité historique. La Valse de Paris n’est pas un film historique ; c’est un film musical. Je ne suis pas allé à la Bibliothèque Nationale. […] La vie véritable d’Offenbach n’offre pas un grand intérêt. C’était un homme respectable qui ne fit guère autre chose de son existence que d’écrire de la musique. Celle d’Hortense Schneider offrirait, elle, peut-être, un peu trop d’intérêt, vous me comprenez. L’ensemble aurait fait un film plu- tôt triste. Et je n’aime pas les films tristes. Dans La Valse de Paris, Offen- bach ne sera pas plus malheureux qu’il ne faut 18.

De même, il répond ainsi à Max Favalelli qui lui demande, au vu de l’intrigue, s’il s’agira d’un film historique :

Jamais de la vie ! ce sera une opérette, une comédie musicale. Le titre, d’ailleurs, est suffisamment explicite : La Valse des Champs-Elysées [il s’agit du premier titre envisagé pour le film]. Hein ? […] J’userai d’une

propose Marcel Achard : « Les hépatiques diront peut-être que le film ne signifie pas grand- chose et qu’il manque de fond. Bien sûr ! Mais c’est précisément cela qui en fait le charme. Il est si rare à notre époque de pouvoir se changer les idées sans avoir recours à la vulga- rité ! de s’amuser sans avoir à en rougir ! » (« Gaumont-Palace – Rex : La Valse de Paris », Ce Matin – Le Pays, 8 mai 1950). De même, François Chalais souligne l’anachronisme bienvenu de cette gaieté d’opérette en 1949 : « Personne ne meurt dans ce film. Et tout le monde y est né avant que le spectacle commence. Un film pour adultes en bonne santé, interprété par des êtres qui ne sont jamais malades et font des opéras bouffes avec leurs chagrins d’amour, ce qui est bien reposant par les temps qui courent » (« La Valse de Paris, vous la danserez aussi », Le Parisien libéré, 8 mai 1950). 17. Ce genre de liberté paraît tellement intrinsèque au genre de l’opérette ou du film musi- cal tiré de la vie de compositeurs que l’on se demande comment certains critiques ont pu affirmer que l’histoire en est « largement véridique » (Louis Chauvet, « La Valse de Paris, film très “parisien” », , 8 mai 1950) ou encore reprocher au film son manque de fidélité historique, y compris dans l’ordre de création des opérettes (lire à ce propos la critique de Jacques Siclier à l’occasion de la rediffusion du film dans Télérama du 17 août 1974, « Les dossiers de l’écran, l’opérette : La Valse de Paris »). 18. J.-P. V., « Yvonne Printemps rencontrait hier Pierre Fresnay pour la deuxième fois », Combat, 23 octobre 1949. DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS… 77

astuce. Toute la vie d’Offenbach sera racontée par une vieille dame qui évoquera ses souvenirs au travers d’un esprit qui n’aura pas à se sou- cier trop de chronologie et d’exactitude. Ce que je veux faire, c’est res- susciter, grâce à la musique d’Offenbach, une époque, une société. De la légèreté, avant toute chose. Pas de grande fresque à prétentions his- toriques. Un tableau de fantaisie, enlevé d’un pinceau alerte 19.

Si l’on en croit la critique de l’époque, Achard se flattait de ne pou- voir garantir la vérité historique que d’un, voire deux éléments selon les entretiens : la myopie d’Offenbach et, de façon moins systématique, son cigare perpétuellement à la bouche 20. Certains critiques, comme François Chalais, ont rendu grâce à Achard d’avoir échappé au film historique :

On a brodé autour toutes sortes de festons et de légendes, en échappant au défaut traditionnel de ce genre de film qui consiste à jouer au pro- phète à bon compte. Vous savez bien : « Vous vous appelez comment ? » – « Bonaparte » – « Ah ! ah ! ça ne m’étonnerait pas autrement si vous étiez fait empereur en 1804. » Les films « historiques » ont toujours un peu l’air, à cause de cela, d’une grosse Cadillac qui se promènerait parmi les Gau- lois, histoire d’étonner les malheureux sauvages qui ont eu la malchance de nous précéder. Le film historique, c’est un écolier qui a pu se procurer le livre du maître (celui où les réponses sont marquées en bas de page) et qui discute avec un maître qui n’aurait pu se procurer que le livre de l’élève. Dans La Valse de Paris, rien de tel. C’est charmant et bon enfant, avec une pointe de férocité aussitôt effacée à grands coups de gomme senti- mentale 21.

Son travail avec Ernst Lubitsch influence profondément l’esthétique qu’il adopte, misant sur la souplesse et la légèreté de ton dans tous les domaines, ainsi que de la fluidité dans l’usage de la musique, parfaitement intégrée à l’action, davantage que sur le spectaculaire de nombre de comé- dies musicales. Le résumé du film à l’intention du Service des avances à l’industrie cinématographique du Crédit national présente d’emblée le film

19. Max Favalelli, « Marcel Achard ressuscite le Paris d’Offenbach », 14 avril 1949 (BNF, dos- sier de presse R Lupp 3067). 20. Lire par exemple [auteur anonyme], « Pierre Fresnay va mener Yvonne Printemps à la baguette », Samedi soir, 27 août 1949 (« Il n’y a que deux détails dont il garantit l’exacti- tude historique : la myopie d’Offenbach et son perpétuel cigare ») et l’article de Mathilde- Stéphane Épin, « Napoléon III et sa cour sont venus écouter Yvonne Printemps chanter pour Pierre Fresnay les plus belles valses d’Offenbach », Ce Matin – Le Pays, 7 septembre 1949, dans lequel Pierre Fresnay affirme : « Ma myopie, ou plutôt celle d’Offenbach, est le seul détail authentique de l’histoire. Tout le reste est rigoureusement faux ». 21. François Chalais, « La Valse de Paris, vous la danserez aussi », Le Parisien libéré, 8 mai 1950. 78 MARIE CADALANU comme le prolongement de la « longue collaboration » de Marcel Achard avec Ernst Lubitsch :

La Valse de Paris est un film musical, placé sous le signe de la grâce et de la fantaisie et qui se déroule sous le Second Empire. Les éléments essentiels en sont la musique de Jacques Offenbach, la voix d’Yvonne Printemps et le talent de Pierre Fresnay qui incarne Offenbach. L’évocation de cette époque demande une certaine richesse de décors que la mise en scène ne doit pas négliger, mais aussi et surtout de la gaîté et de l’esprit. Marcel Achard, le metteur en scène, auteur du scénario et des dialogues, pourra exprimer dans cette atmosphère, qui est particulièrement favo- rable à son talent, les enseignements tirés d’une longue collaboration avec Lubitsch, spécialiste des films tout à la fois drôles et fins 22.

Cette référence à Lubitsch est récurrente dans les entretiens que Marcel Achard accorde à la presse à propos de son projet. Dans son entrevue avec Max Favalleli, l’auteur évoque à nouveau l’importance de son expérience du tournage de La Veuve joyeuse et annonce :

Bien sûr, je ferai quelque chose de différent. Mais qui s’inspire de cette veine 23.

Pour Le Figaro, il développe cette filiation tout en explicitant sa concep- tion du film musical, notamment par contraste avec la tradition théâtrale de la comédie musicale :

Ce ne sera pas le film à grand spectacle reconstituant les fastes du Second Empire. Il ne prétendra pas non plus à l’exactitude rigoureuse d’une bio- graphie… Offenbach y apparaîtra tel qu’il était, sinon dans sa vérité abso- lue, du moins dans une aventure qu’il aurait pu vivre entre 1865 et 1867, tandis qu’il avait quarante-cinq ans. Si vous voulez, pour tourner ce film, j’irai plutôt à l’école d’un Lubitsch que d’un Blasetti. Louis Beydts diri- gera trente minutes réservées au rappel des meilleurs airs d’Offenbach. Ces chansons, évidemment, interviendront dans la conduite de l’histoire. À la scène, on supporte qu’une chanson stoppe l’action. Au cinéma, il est indispensable qu’elle la fasse progresser. Mais le personnage d’Offenbach et sa musique sont assez dynamiques pour que l’action ne traîne pas 24.

22. Résumé du film, Bibliothèque du film, fonds Crédit national. 23. [Auteur anonyme], « Pierre Fresnay va mener… ». 24. Le Figaro, 7 mai 1949, cité par Jacques Lorcey, Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne, p. 217 (le film en préparation porte encore à l’époque de cet entretien le titre provisoire de La Valse des Champs-Élysées). DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS… 79

Cette recherche de l’intégration des chansons et d’une musicalité géné- rale du film se traduit dans tous les domaines de l’élaboration. En amont, les maquettes des décors réalisées par Robert Clavel, les costumes – créés par Pierre Cardin et Marcel Escoffier d’après les maquettes de Christian Dior 25 – témoignent de la volonté de créer un univers onirique, moins en accord avec la vérité historique qu’avec l’univers rêvé du film projeté. Le scénario disponible à la Bibliothèque du film révèle cette approche globale de l’esthétique : en regard du nombre de pages, des annotations manuscrites décrivent les costumes que les acteurs porteront dans la séquence projetée ou dressent un plan du décor, dans une tentative remarquable de donner une idée de l’univers visuel du film au sein même du texte du scénario 26. Après le tournage, la coopération se poursuit jusqu’au mixage des dialogues de la partition qu’il réalise en janvier 1950 : Marcel Achard travaille avec le concours de Louis Beydts. Et si la musique constitue un des attraits du film, tous les éléments convergent vers l’élaboration d’une esthétique légère, fantaisiste et musicale de part en part. Si « la véritable héroïne de la fête, c’est la musique d’Offenbach qui nous paraît ici plus légère, plus gaie, plus spirituelle que jamais » 27, c’est également parce que sa fantaisie, sa légèreté, son ton légèrement grivois sans vulgarité ordonnent l’ensemble des éléments du film. Comme La Veuve joyeuse, La Valse de Paris est un « film-valse » tout entier organisé en fonction de sa musique. C’est ce que remarque très bien Henry Magnan, évoquant la soirée de gala lors de laquelle le film est projeté :

Après quoi l’écran projeta les premières images de La Valse de Paris et, sans être grand clerc, nous prîmes aussitôt et avec plaisir la résolution d’assister à ce spectacle comme à une opérette filmée dont la musique (Offenbach et Louis Beydts), nous bercerait, dont la photographie (Christian Matras) nous enchanterait, dont le propos et le texte (Marcel Achard) nous ravi- raient, dont l’interprétation (Yvonne Printemps, Pierre Fresnay, Jacques Charron, Jacques Castelot, , Claude Sainval) serait parfaite. C’était là une résolution facile à prendre. Le tout forme un ensemble aussi charmant qu’une robe de bal pour danser à la Courtille ou chez Cancale 28.

25. Un aperçu de ces maquettes est visible dans la plaquette de l’exposition Christian Dior et le cinéma à la Cinémathèque française du 4 octobre au 5 décembre 1983 (Paris, Ciné- mathèque française, 1983). 26. Bibliothèque du film, Collection des scénarios, SCEN 2840-B865. 27. Jean Fayard, « La Valse de Paris », Opéra, 10 mai 1950. 28. Henry Magnan, « La Valse de Paris, un soir de gala », Le Monde, 6 mai 1950. Cette approche globale de l’esthétique, de la fantaisie et de la musicalité du film nous semble bien préfé- rable à d’autres approches contemporaines qui limitaient l’attrait du film à la musique, la plus injuste étant le jugement porté par Combat sous la plume de G. M. le 8 mai 1950 : « le film a vraiment trop peu d’importance cinématographique et ne saurait valoir que par la musique et les airs chantés par Yvonne Printemps, si toutefois on aime encore de tels airs ». 80 MARIE CADALANU

Jean Morienval écrit de même :

C’est tout le thème du film, qui n’est pas compliqué, on le voit. Il n’en faut pas plus pour rendre en sa réalité sensible cette sorte de miracle musical dans la légèreté et la bouffonnerie qui affola toute une époque, évidem- ment prédisposée. Le film de Marcel Achard est vivant parce que dans sa synthèse il laisse cette prédominance à la musique. Le reste, les belles images des Tuileries, de Versailles, de Fontainebleau, les amusants petits théâtres avec les avant-scènes où se succèdent des ambassadeurs et des émirs affolés par Hortense, tout cela, qui a passé, apparaît comme l’ac- cessoire d’une musique qui demeure 29.

Fidèle à sa conception de la chanson de cinéma, qui veut que celle-ci ne ralentisse pas le rythme du film, Achard cherche à utiliser la chanson pour condenser une scène qui eût été par trop laborieuse – lorsque l’air de La Grande-Duchesse de Gérolstein (« Dites-lui qu’on l’a remarqué / Distin- gué… »), lancé successivement à toutes les personnalités venues l’honorer, est un raccourci éloquent pour évoquer l’ambiance de la Foire interna- tionale de 1867 – ou fait de la chanson l’aboutissement de séquences, la composition ou la représentation d’un air faisant office à la fois de résolution de l’intrigue et de morale, à la façon des apologues qu’Achard dramaturge affectionne. En homme de théâtre, il se sert également des possibilités de cadrage offertes par le cinéma pour rendre un hommage à cet univers. Ainsi, nombre de plans des séquences de représentation sont l’occasion de filmer l’espace du théâtre soit depuis le fond de la salle, créant un effet de surcadrage qui épouse en le redoublant l’artifice du cadre de l’espace scénique, soit, de façon encore plus significative, depuis le fond de la scène, ce type de plan permettant, outre le fait de donner la mesure d’un lieu majestueux, d’intégrer dans un même regard l’ensemble du dispositif, la scène, le trou du souffleur, l’orchestre, et le public, du parterre au paradis. Ces deux types de plans sont utilisés alternativement dans la représentation de La Grande- Duchesse de Gérolstein (« Dites-lui »), la séquence musicale devenant un vibrant hommage au théâtre de la part de Marcel Achard. Remarquons que l’effet « tableau » suscité par le surcadrage des plans filmés depuis le fond de la salle est ici accentué par les décors peints du fond de scène. Marcel Achard se sert également de la fantaisie permise par le film musical pour déployer son inventivité joueuse. Ainsi, dès le générique du film, alors que sont mentionnés – et vus en ombres – Marcel Achard puis Jacques Offenbach, est entendu en off ce dialogue entre le réalisateur et le

29. Jean Morienval, « La revanche d’Offenbach dans La Valse de Paris », L’Aube, 10 mai 1950. DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS… 81 compositeur, qui fait aussi figure d’art poétique ludique pour le réalisateur- scénariste :

Marcel Achard : Excusez-moi des libertés que j’ai prises avec la vérité. Jacques Offenbach (voix de Pierre Fresnay) : Non, j’ai l’habitude. Mais j’espère que vous n’avez pas touché à ma musique (1 mn).

Plus tard, il tire du gag à répétition qui veut que Berthelier, qui se trouve avoir des chaussettes trouées, soit sans cesse contraint pour quelque raison d’enlever ses chaussures, un effet d’une force comique purement visuelle, ouvrant une séquence sur un gros plan d’orteils dépassant des chaussettes, le détail de la chaussette trouée suffisant à ce moment-là du film à caractériser le personnage, qu’on entend par ailleurs chanter ses gammes en hors-champ sonore (39 mn). Dans sa recherche de légèreté, l’art cinématographique de Marcel Achard dans ce film est également un art de la litote. Ainsi, la naissance de la relation amoureuse entre Offenbach et Hortense Schneider est synthétisée dans un plan extrêmement délicat et touchant où Offenbach entrant dans sa loge voit écrit à la craie, sur son miroir, l’emploi du temps projeté par Hortense, dans lequel il occupe toute la place et où il se voit évoqué par des noms de plus en plus intimes qui révèlent le rapprochement des deux personnages mieux que ne l’auraient fait de longues séquences (47 mn). Sorte de « Achard touch » qui ne peut manquer de rappeler que, chez Lubitsch, un bouton de sonnette pouvait suffire à indiquer l’évolution de la nature des visites de lord Augustus à Mme Erlynne (L’Éventail de lady Windermere, 1925). Corollaire de la liberté prise avec la biographie, Marcel Achard construit en outre son personnage de Jacques Offenbach comme un alter ego, ce dont il ne fait pas mystère, affirmant :

Offenbach était un monsieur qui travaillait tout le temps. Alors, que voulez-vous faire à l’écran avec quelqu’un qui travaille du matin au soir ? Aucun intérêt ? J’en ai donc fait un être fantaisiste, vif, gai, plein de vie, qui se rapproche beaucoup de mon caractère. J’y ai mis du mien 30 !

De fait, Offenbach est une projection dans le film de la figure de l’auteur qu’est Marcel Achard. Les nombreuses séquences où il compose et où il est filmé en chef d’orchestre, guidant les représentations de ses opérettes, sont à l’évidence une mise en abyme de lui-même, auteur et réalisateur, qui

30. [Auteur anonyme], « Marcel Achard orchestre pour l’écran La Valse de Paris », Libération, 14 septembre 1949. 82 MARIE CADALANU orchestre sa mise en scène comme Offenbach ses opérettes 31. À travers les séquences de composition et de répétitions des chansons, c’est un peu de son propre art de parolier que Marcel Achard dévoile. Ainsi, la répétition de « Mon Dieu, que les hommes sont bêtes » s’accompagne de commen- taires de la part du personnage d’Offenbach sur l’art d’écrire une chanson – « Maintenant, un petit couplet sans importance. L’important, c’est les refrains. » – et de l’interpréter – « Ici nous allons mettre un “Ah !” pour te permettre de soupirer » (37 mn) –, cette dernière réplique n’étant pas sans rappeler le dialogue comique entre Cloclo et Jeff sur l’interprétation du soupir dans Jean de la Lune. Plus généralement, tout au long du film, il semble guider les paroles et les actes d’Hortense, en particulier quand il lui dicte les paroles qu’elle devra dire au prince qu’elle aime – ou qu’elle croit aimer à ce moment – et qui s’est promis à Mlle de Hautefort à l’injonction du duc de Morny (30 mn). Ainsi, même en dehors de ses fonctions de compositeur et de chef d’orchestre, qui justifiaient son identification avec Achard écrivain et metteur en scène, le personnage conserve cette fonction qui vaut avant tout pour sa fonction symbolique et pour l’identification qu’elle permet avec le réalisateur. Mais l’identification va plus loin, et Achard projette ses propres carac- téristiques physiques et morales dans ce personnage, au premier rang des- quelles la myopie, élevée à une dimension symbolique, Offenbach / Pierre Fresnay affirmant, dès le début du film :

Comprends-moi bien, Berthelier. Je suis d’une myopie extravagante mais utile. Elle me permet de ne pas voir mes embêtements. […] J’en- lève mon lorgnon et je dis « Je ne veux pas voir ça ». Alors la réalité dis- paraît, les choses perdent leur redoutable précision et s’enfoncent dans une brume extrêmement poétique. (8 mn)

Jacques Offenbach est aussi l’illustration de la conception de l’amour et des relations entre les sexes qui sont au centre de toute l’œuvre de Marcel Achard. Il y a du Jean de la Lune dans l’amour que voue le personnage à Hortense, de même qu’il y a du Marceline dans l’infidélité aimable et irrépressible d’Hortense. Là encore, Achard trouve dans les paroles des opérettes d’Offenbach l’expression de ses propres conceptions sur l’amour. Lors de la répétition de « Mon Dieu, que les hommes sont bêtes », déjà évoquée, il conseille à Hortense de répéter plusieurs fois ce refrain, parce que « c’est une chose qu’on ne dira jamais assez » (37 mn). Inversement,

31. Cette image est d’ailleurs utilisée par la critique dès la sortie du film, notamment dans un article au titre éloquent ([Auteur anonyme], « Marcel Achard orchestre pour l’écran La Valse de Paris »). DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS… 83 il prête au personnage des mots d’auteur au détour de répliques ou au gré d’apologues comme celui du « saffetier » pauvre mais amoureux de sa femme, et dont la femme, ne reconnaissant pas la valeur de cet amour, vend celui-ci au roi pour de l’argent (25 mn) 32. Achard va jusqu’à assimiler la liberté qu’il a prise vis-à-vis de la vérité historique à la démarche d’Offenbach :

Bien que j’aie puisé dans les documents de l’époque, me dit Marcel Achard, je ne me suis guère soucié de retracer à l’écran la vie d’Offenbach. La vie d’Offenbach ? Le travail, uniquement le travail. Je me suis donc permis une grande liberté vis-à-vis d’une « vérité historique » par trop austère, pour imaginer une sorte de féérie musicale sur des thèmes célèbres. En ceci, je ne crois pas avoir agi autrement qu’Offenbach et ses collabora- teurs (Meilhac en particulier) qui traitaient toujours les personnages illustres avec une souriante désinvolture 33.

De là à voir dans La Valse de Paris un modèle cinématographique héritier de l’opéra-bouffe d’Offenbach, il n’y a qu’un pas, que Marcel Achard ne fait pas, mais que la critique fait au contraire volontiers. Ainsi, Pierre Barlatier écrit :

L’anecdote pourrait paraître un peu mince, mais elle est si bien racon- tée qu’on oublie de le remarquer. Marcel Achard a traité cet épisode – d’ailleurs imaginaire – de la vie d’Offenbach et d’Hortense Schneider, comme un opéra-bouffe de l’époque 34.

Et Henri Troyat de même :

Marcel Achard a eu l’idée ingénieuse de présenter l’existence du roi de l’opérette comme une opérette conçue et menée à la manière d’Offen- bach. Évitant de se poser en biographe sérieux, il a évoqué les amours

32. Il semble qu’une part de la critique ait rechigné à ces mots d’auteur, ce dont s’emporte Hervé Lauwick : « Quelques crétins nous feront remarquer, le visage punais et l’œil oblique, qu’il y a là des mots d’auteur. Et, nom d’un chien, oui ! Et, fichtre, tant mieux ! Il serait consternant que Marcel Achard emploie des mots de jardiniers ou de cordonniers. Pour- quoi pas d’auteur ? Pourquoi ne veut-on pas que les auteurs dramatiques aient de l’es- prit ? C’est le métier d’Achard, comme de Jeanson, comme d’un ou deux autres… » (« La Valse de Paris », Noir et Blanc, 17 mai 1950). 33. Marcel Frère, « Marcel Achard qui tourne La Valse de Paris après une nuit terrible ou l’orage faisait trembler la montagne, [sur la façon dont] celui-ci traitait les personnages illustres » (BNF, dossier de presse R Lupp 3067). 34. Pierre Barlatier, « La Valse de Paris, Hortense Schneider, Jacques Offenbach, un heureux essai de film musical », Ce Soir, 6 mai 1950. 84 MARIE CADALANU

du compositeur et de la cantatrice dans un style guilleret, insouciant, artificiel, dont la saveur est indéniable 35.

On voit à quel point l’histoire de la relation entre Jacques Offenbach et Hortense Schneider, pensée à la lumière du modèle lubitschien, est pour Marcel Achard une matrice pour l’élaboration d’un modèle personnel et français du film musical. De ce point de vue, le terme « essai de film musical » proposé par Pierre Barlatier dès le titre de son article « La Valse de Paris, Hortense Schneider, Jacques Offenbach, un heureux essai de film musical » et développé dans le corps de son texte 36 est, selon nous, à prendre au sens fort comme expérimentation d’une forme inédite de film musical que l’auteur propose comme modèle pour repenser le genre dans une perspective moderne et française 37. Dans une période de plus en plus réticente au rêve voire au comique, le retour à cette période d’insouciance des fastes du Second Empire est pour Marcel Achard moins un acte de nostalgie que le moyen d’aller à contre-courant de l’évolution contem- poraine de l’art 38. Il semble évident qu’à ce moment au moins, Marcel Achard a caressé l’espoir d’illustrer le film musical français qu’il appelle de ses vœux. À l’époque de la réalisation du film, il envisage en effet de se spécialiser dans ce genre trop peu exploité selon lui :

Si je ne suis pas un réalisateur suffisamment averti pour me permettre de croire que la mise en scène n’est pas une entreprise facile, je me sens désormais assez téméraire pour aborder la mise en œuvre d’un troi- sième film. Il y a place en France pour un genre trop peu pratiqué. Le

35. Henri Troyat, « Le Film de la semaine raconté par Henri Troyat : La Valse de Paris », Le Rouge et le Noir, 9 mai 1950. 36. « L’atmosphère du temps, son esprit, sa frivolité ont été recréées avec beaucoup d’hu- mour. Il y a là, en outre, un essai réussi de film musical dans lequel le chant, la musique s’intègrent tout naturellement à l’action, la font progresser, au lieu – comme il arrive trop souvent – de la ralentir » (ibid.). 37. Plus qu’une faiblesse quantitative des productions françaises de film musical, il semble davantage que cette faiblesse tienne avant tout à un complexe d’infériorité vis-à-vis du musical hollywoodien. Le genre du film musical étant très souvent considéré comme un genre typiquement hollywoodien, le film musical français semble en effet depuis les années trente crouler sous le poids de la comparaison avec le modèle américain dont il doit sans cesse s’extirper en se tournant vers des modèles originaux et nationaux ou européens. 38. Achard s’exprime à plusieurs reprises sur la mise à mal des auteurs comiques dans la production et la critique de théâtre dans les années cinquante, évoquant parfois sa per- sistance dans le comique comme un acte de résistance ou se livrant à de discrets plai- doyers en faveur du comique. Au moment de la création de La Polka des lampions, il s’exprime ainsi pour les Les Nouvelles littéraires : « Notre époque est triste, il faut être gai. Nous donnons là un divertissement et, par prudence, j’ai situé l’action en 1925 » (Les Nou- velles littéraires, 30 novembre 1961, cité par Jacques Lorcey, Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne, p. 339). DE LA VEUVE JOYEUSE À LA VALSE DE PARIS… 85

film musical : j’ai l’intention de m’y spécialiser. Je ramènerai de plus en plus le texte dialogué à une juste mesure pour laisser à l’image et à la musique une place de choix 39.

Si les aléas de la vie et des divers projets démentent a posteriori cette profession de foi, elle témoigne néanmoins indubitablement de l’impor- tance de La Valse de Paris pour Marcel Achard, film dans lequel il recherche une illustration de ce que pourrait être le film musical achardien, un pro- longement typiquement cinématographique de la pratique dramaturgique de l’auteur où se rencontrent harmonieusement la fantaisie d’Achard et la frivolité de Lubitsch.

Marie Cadalanu Université de Caen Normandie

39. Le Figaro, 17 avril 1950, cité par Jacques Lorcey, Marcel Achard ou 50 ans de vie pari- sienne, p. 224-225.

TÉMOIGNAGES

À PROPOS D’ACHARD ET DES METTEURS EN SCÈNE DE THÉÂTRE Entretien avec Catherine Salviat, comédienne, filleule de Marcel Achard 1

N. T. Binh : Quels sont les plus anciens souvenirs que vous avez de Marcel Achard ? Catherine Salviat : Il m’avait demandé ce que je voulais pour mon anni- versaire, je devais avoir dix ans. Et je lui avais répondu : « Les Martyrs de Châteaubriand » ! Il a essayé de me faire changer d’avis, en vain. J’ai encore les deux tomes brochés et dédicacés. N. T. Binh : Aviez-vous déjà conscience de qui il était ? Catherine Salviat : Je savais qu’il était célèbre, avec ses grosses lunettes, accompagné de [sa femme] Juliette. C’était une personnalité, parrain Marcel, mais on ne m’emmenait pas encore voir ses pièces. Quand il a été reçu à l’Académie française, en 1959, j’avais 12 ans ; je n’étais pas à la cérémonie, mais au cocktail qui a suivi. Je lui avais fait un scoubidou vert, or et noir, de la couleur de son habit, et j’ai gardé une grande photo de Marcel et Juliette, où il avait écrit : « Merci pour ton scoubidouille ». Plus tard, quand j’ai accouché de ma première fille Charlotte, en 1972, il est venu me voir le lendemain avec une note pour elle : « Chère Charlotte, débrouille- toi pour être heureuse ». C’est un peu le message qu’il me faisait passer, à moi, actrice débutante : il ne me donnait pas de conseils particuliers, mais me disait d’être heureuse dans ce que je faisais.

1. Entretien réalisé à Paris, le 16 décembre 2014.

DOUBLE JEU, no 12, 2015, Marcel Achard entre théâtre et cinéma, p. 89-94 90 N. T. BINH

N. T. Binh : A-t-il été pour quelque chose dans votre décision de devenir actrice ? Catherine Salviat : En tout cas, il en était très content. Je lui racontais tout ce que je faisais et il s’y intéressait de près. Il était toujours passionné dès qu’il s’agissait de théâtre. Après la première partie du bac, j’étais très timide. Ma mère [Léone Mail], chorégraphe à l’Opéra, donnait des cours de danse et de maintien chez Raymond Girard, qui avait son cours d’art dramatique au 26, rue Vavin. Elle m’avait dit que cela me ferait du bien de prendre des cours particuliers avec lui. Donc pendant mon année de philo, j’ai pris des cours de théâtre avec lui. Après le bac, j’ai tenté l’école des bibliothécaires et j’ai raté l’examen d’entrée. Je voulais être journaliste et je suis allée voir Philippe Bouvard. Il m’a demandé ce que j’avais comme diplôme : rien ! Il m’a dit de passer d’abord mes diplômes avant de revenir le voir. Grâce à ce conseil, je me suis inscrite en licence d’espagnol. À la suite de quoi je pouvais enseigner l’espagnol : j’ai eu une élève en cours particulier, en tout et pour tout ! C’est alors que Raymond Girard m’a suggéré d’intégrer sa classe de préparation au Conservatoire. J’étais plus timide que jamais, et je suis arrivée au cours où, sur un banc, nous étions cinq avec Marianne Borgo, Anne Le Fol, Nicole Calfan et Laurent Weisman – qui est mort maintenant – et nous ne nous sommes plus quittés ! Nous avons passé ensemble le premier tour du concours d’entrée au Conservatoire. J’ai été placée 250e sur 500 ! Le deuxième tour s’est mieux passé, et, au troisième, j’ai été reçue à l’unanimité. J’ai suivi la classe de Fernand Ledoux, puis celle de Maurice Jacquemont. À la sortie, on était en 1968 : le concours n’a pas eu lieu. J’ai passé une audition en deux tours pour entrer à la Comédie-Française. Et j’ai été recalée dès le premier tour. L’année suivante, le concours de sortie a été rétabli, j’ai eu un prix de comédie avec Angélique dans L’Épreuve de Marivaux, et Maurice Escande m’a engagée comme pensionnaire du Français. Marcel en était très fier. Je déjeunais avec lui régulièrement à cette époque-là. N. T. Binh : Avez-vous joué des pièces de lui ? Catherine Salviat : Seulement un extrait de Colinette, avec Jean-Marie Bernicat, au théâtre de l’Œuvre, dans une manifestation en son honneur, pour commémorer je ne sais plus quel anniversaire d’Achard. Michel Simon était là… N. T. Binh : Quand avez-vous pris conscience d’Achard comme auteur ? Catherine Salviat : En voyant Domino à la Comédie-Française (avant d’y entrer moi-même), que j’avais adoré, avec et Hélène Perdrière [1958] et qui a été repris, plus tard, avec Jean Piat et Geneviève Casile [1967]. À PROPOS D’ACHARD ET DES METTEURS EN SCÈNE DE THÉÂTRE… 91

N. T. Binh : Comment expliquez-vous qu’il ne soit presque plus jamais repris ? Catherine Salviat : Comme beaucoup de grands auteurs, il subit un purga- toire. C’est arrivé à Giraudoux et à Montherlant, on redécouvre maintenant Anouilh… Chez Achard, il y a du très bon et du moins bon, mais il est vraiment dommage que ses meilleures pièces soient si oubliées : Domino, Jean de la Lune, Patate, L’Idiote… Question de mode. À une époque, tous les jeunes acteurs de théâtre connaissaient son nom pour avoir travaillé en cours des extraits de ses pièces, notamment le merveilleux Voulez-vous jouer avec Moâ ?, que j’avais revu au théâtre La Bruyère, avec Jacques Rosny, Annick Blancheteau et Jacques Échantillon. D’ailleurs si je devais un jour écrire un livre de mémoires, je l’intitulerais d’après une réplique que j’adore dans cette pièce : « Cravaillons, cravaillons ! ». Dès que je fais une soirée littéraire, j’insère des phrases de Marcel comme « J’ai souvent mangé de la vache enragée dans ma vie, et encore, pas tous les jours » ou « Je suis à toi comme la sardine est à l’huile »… N. T. Binh : Il a été étiqueté « auteur de boulevard », et la comédie, par définition, est moins prise au sérieux que le drame… Catherine Salviat : … alors que le théâtre de Marcel est beaucoup plus profond. Et la comédie est tellement utile, c’est une cause d’intérêt général ! Mais il faut être optimiste. Guitry est sorti du purgatoire et connaît un regain que Marcel Achard devrait connaître aussi. Dans son théâtre, il n’est jamais méchant comme Guitry peut l’être – même s’il a pu traiter de la méchanceté ; je définirais son style comme à la fois corrosif et tendre. Il peut être cruel, mais s’en sort par une pirouette d’humour. Il a été l’un des héritiers de Molière et de Marivaux. Et aussi du romantisme de Musset : comme lui, il a beaucoup aimé les femmes, et les a si bien dépeintes. Domino, ma pièce préférée de lui, c’est un peu Le Chandelier de Musset. N. T. Binh : Vous parlait-il du métier ? Catherine Salviat : Il racontait surtout d’irrésistibles anecdotes sur les grands comédiens qu’il avait connus, tandis que moi, je débutais, avec mes états d’âme : le public m’apparaissait comme un grand trou noir ! Tout cela se transforme avec le temps. Maintenant, j’ai une espèce de grande oreille qui me permet de sentir le public : c’est tellement agréable d’être à l’écoute des gens qui réagissent. N. T. Binh : Quelle est l’expérience qui vous a le plus marquée dans votre carrière ? Catherine Salviat : La rencontre avec pour La Trilogie de la villégiature. Un véritable coup de foudre professionnel : avec lui, tout 92 N. T. BINH devient simple, intelligent et évident. C’est la grande classe. Et jamais un mot plus haut que l’autre. Il vous donne la conviction qu’il n’y a que vous qui pouvez jouer ce rôle-là, ici et maintenant, alors qu’il a monté le spectacle vingt fois avant, en Italie, avec d’autres comédiennes ! Par exemple : « Là, tu as mis ta main sur la bouche, eh bien garde ça ! Parce que c’est toi ! » Il était tout le temps en représentation : dans ces décors tout blancs, il s’habillait en noir pour qu’on le voie bien ! Son mot préféré, c’était : « Humain ! Humain ! » Avec ça, tout est dit. Il modulait souvent : « Vas-y, oui, plus vite… », avec confiance : puisque c’était vous, c’était bien. Et pourtant il était extrêmement directif, mais on ne s’en rendait pas compte. D’habitude, les répétitions, ça me rase. Je sais que c’est nécessaire, mais ce que j’aime, c’est jouer. Or avec Strehler, on arrive en tenue de répétition à 9 heures du matin et, au bout d’un moment, je regarde ma montre : pas possible, il est minuit et demi ! On ne sentait pas le temps passer, tellement c’était passionnant. Et justement, on était très vite dans l’action. Je lui demandais : « Giorgio, demain, on continue les lectures ? » Je n’arrivais pas à le tutoyer… Il me répondait doucement : « Pourrrquoi ? Non, on va jouer ! Tu joues à la table ou sur scène ? » N. T. Binh : Avez-vous travaillé avec des metteurs en scène qui, par des méthodes opposées, parvenaient à d’aussi bons résultats ? Catherine Salviat : Oui, Anatoli Vassiliev, par exemple, était un tyran. C’est insupportable, mais on en redemande ! C’est toujours une question de coup de foudre professionnel, de feeling : tout à coup, on aime ce type-là sans savoir pourquoi. Il nous fait reprendre sans cesse, n’est jamais content, et on fait ce qu’il veut, parce qu’on l’aime ! On irait au bout du monde pour lui. Et une fois qu’on l’a fait, on est heureux. J’ai adoré aussi jouer sous la direction de Jacques Lassalle, qui, lui non plus, n’est jamais content ! J’avais repris le rôle de Geneviève Casile, dans sa production de La Fausse Suivante, et pour la seule fois de ma vie, j’ai écrit au metteur en scène pour lui dire à quel point j’avais aimé travailler avec lui. Mais il ne m’a jamais reprise ! N. T. Binh : Ce que vous n’aimez pas, ce sont des metteurs en scène qui n’ont pas de personnalité… Catherine Salviat : Comme on dit vulgairement, quand on a un nul en face de soi, on « apporte son manger » ! Cela n’a aucun intérêt de refaire ce qu’on a l’habitude de faire. N. T. Binh : Au sein d’une compagnie comme le Français, y a-t-il un danger de se scléroser ? Catherine Salviat : Non, jamais, parce qu’il y a tellement de metteurs en scène différents. Cela m’a donné l’habitude et le goût du changement, À PROPOS D’ACHARD ET DES METTEURS EN SCÈNE DE THÉÂTRE… 93 que j’ai gardés depuis que je l’ai quitté. C’est génial de passer de Jacques Lassalle à Jean-Paul Roussillon, lui aussi très précis dans ce qu’il voulait. Exigeant au millimètre près… N. T. Binh : … jusqu’aux intonations ? Catherine Salviat : Ah non, pas les intonations ! J’ai horreur de ça. Mais très précis dans ce qu’il voulait du personnage. Ce qui nous donnait une grande liberté : la liberté de choisir sa contrainte… La contrainte de quelqu’un qu’on aime, c’est divin ! N. T. Binh : Je garde un souvenir cuisant des matinées classiques de la Comédie-Française… Catherine Salviat : Moi aussi ! Il n’y avait pas de mise en scène : c’était du placement. Les metteurs en scène étaient des placeurs ! C’est Jean- Paul Roussillon qui a révolutionné cela. Quelle merveille, de jouer Les Précieuses ridicules, dans une mise en scène de Jean-Louis Thamin [1971] qui a fait scandale ! Pourtant elle était tout à fait dans l’esprit de la pièce. Je me souviens qu’on passait juste après Les Femmes savantes, monté de façon très classique, et nous arrivions, nous les jeunes, tout fous comme les Précieuses elles-mêmes. N. T. Binh : Pour en revenir à Achard, il a commencé dans ce qu’on appelait l’avant-garde, avec Charles Dullin, puis à partir du triomphe de Jean de la Lune, s’est fixé dans un théâtre plus installé, plus bourgeois et plus daté aussi, qu’on appelait le boulevard… Catherine Salviat : La poésie de Marcel Achard est à la fois intemporelle et de son époque, comme celle de Marivaux d’ailleurs. C’est daté, mais pourquoi pas ? C’est vrai qu’il y a de grands appartements avec des portes coulissantes et des domestiques, mais quand Jeff fait son monologue face à Marceline dans Jean de la Lune, c’est sublime ! N. T. Binh : Comment monter Achard aujourd’hui ? En le « dépoussiérant » ? Catherine Salviat : En restant près du texte, comme quand Michel Fau met en scène Montherlant. Pas besoin de « moderniser ». Le public n’est pas idiot : lorsqu’il voit L’Avare de Molière, il sait bien qu’il y a encore des avares aujourd’hui, ou des malades imaginaires ou des bourgeois gentilshommes, pas besoin de les habiller avec des imperméables ! À quoi est-ce que ça servirait de donner des téléphones portables aux person- nages d’Achard ? Faisons simple, dans son jus, et ça passe très bien. Et surtout, avec une bonne direction d’acteurs. C’est plus important que les meubles ! Il suffit de bien choisir la distribution, et de leur faire aimer l’auteur, pour parvenir à l’osmose entre le texte et ces gens. Le metteur 94 N. T. BINH en scène est évidemment crucial : il faut qu’il soit passionné par Achard, c’est indispensable. Proposons les pièces d’Achard, faisons-les lire. En le lisant, le metteur en scène doit se dire : formidable, j’y vais ! Il sera le chef d’orchestre capable de donner le la, de transmettre cette passion à son équipe. Un Michel Fau en est capable. L’avantage, si on peut dire, c’est que Marcel Achard étant très oublié aujourd’hui, il n’y a plus les préjugés sur son théâtre qu’il y avait il y a vingt ans ! N. T. Binh : Parfois, n’avez-vous pas l’impression qu’il a été un peu victime de son succès, écrivant les pièces qu’on attendait de lui ? Catherine Salviat : Si, un peu. Le parisianisme entraînait une certaine facilité… Je me souviens d’avoir été à la première de La Débauche, sa dernière pièce. C’était raté. Mais j’ai remarqué que pour certaines pièces, si l’ensemble a vieilli, il peut y avoir tout à coup un pavé magnifique qu’on se prend dans la figure. Un peu comme chez Musset : on monte rarement On ne badine pas avec l’amour, parce qu’il y a deux grandes scènes extraordi- naires, mais le reste est moins convaincant. On pourrait faire un spectacle avec des extraits de la plupart ses pièces, sans les fioritures, et les gens se diraient : « Hou là ! » Mais Domino, c’est une pièce parfaite.

N. T. Binh Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne MON « ONK’ MARCEL »

Mon Dieu, lorsque vous aurez décidé de me rappeler à vous, faites-moi la grâce de me dégoûter de la vie. Marcel Achard, dans Images et visages du théâtre d’aujourd’hui, émission de radio de Moussa Abadi (ORTF, 1967).

En définissant comme suit l’une de ses pièces les plus célèbres, Jean de la Lune, il donnait un parfait autoportrait de son univers théâtral autant que cinématographique : « Ceci est une comédie à propos d’un drame ». Marcel Achard était mon parrain, et son épouse Juliette ma marraine. Que pouvaient avoir comme sens les mots « parrain » et « marraine » pour un petit garçon de parents vietnamiens, né à Paris en 1958, d’éduca- tion française, mais élevé dans la culture bouddhiste ? Ces termes, je ne les ai jamais compris au sens chrétien (je ne suis pas baptisé), ni même au sens civil (le parrain et la marraine s’engagent à assurer la relève auprès de l’enfant en cas de décès ou d’incapacité des parents). Non, les termes « parrain » et « marraine » étaient employés chez nous au sens large, géné- reux, affectif, et… profondément familial, car le bouddhisme enseigne le « culte des ancêtres », c’est-à-dire, pour simplifier, le respect de tous les membres de la famille plus âgés que soi. D’ailleurs quand ma sœur Minh Tâm est née, il fut d’emblée évident qu’elle n’aurait pas d’autres parrain et marraine que les miens. En réalité, les Achard avaient déjà rempli ce rôle vis-à-vis de notre mère, débarquée enfant d’Indochine en 1945 pour rejoindre son propre père, médecin à Paris, le célèbre docteur Nguyen Manh Don (prononcer « donne »). C’est de là que tout était parti : les Achard étaient les meilleurs amis de notre grand-père maternel depuis les années 1930 ; grâce à eux, celui-ci avait même joué un rôle principal, aux côtés de Louis Jouvet et Raymond Rouleau, dans un film du grand Georg Wilhelm Pabst, Le Drame de Shanghaï (1938). Alors médecin prometteur au physique de jeune premier, grand-père y incarnait, sous le pseudonyme de Linh Nam, un séduisant général nationaliste chinois inspiré de Tchang Kaï-chek. Beaucoup plus tard, Patrick Modiano écrira un joli texte sur ce charismatique aïeul (dont

DOUBLE JEU, no 12, 2015, Marcel Achard entre théâtre et cinéma, p. 95-101 96 N. T. BINH le copain d’enfance, Lê Pho, peintre de grand talent, était le père du colla- borateur et ami de Modiano, l’artiste Pierre Le-Tan). Plutôt que « parrain » et « marraine », pour ma sœur et moi, Marcel Achard était donc « l’onk’ Marcel » dit « Mononk », et Juliette Achard était « Vous » (en souvenir du temps où ma mère ne pouvait se résoudre à la tutoyer). Ils signaient ainsi les lettres et cartes postales qu’ils nous envoyaient. La conséquence de ce parrainage / marrainage fut une enfance passée dans les théâtres où se donnaient les pièces d’Achard, vues avec émer- veillement de la salle ou des coulisses. J’en connaissais les répliques par cœur, parfois avant même d’en saisir la signification. Il avait aussi écrit une opérette irrésistible, La Polka des lampions (1961), adaptée de la même source que le film de Billy Wilder Certains l’aiment chaud, le film Fan- fare d’amour (Richard Pottier, 1935, coécrit par Pierre Prévert). Georges Guétary et jouaient ce tandem de musiciens contraints de se travestir pour intégrer un orchestre de jazz féminin ; Nicole Broissin et Annie Duparc complétaient une distribution qui semblait jubiler en interprétant les chansons d’Achard mises en musique par l’incomparable Gérard Calvi ; par exemple, chantée par mademoiselle Duparc : « Tous les hommes sont idiots / C’est pas leur faute / Nous avons pris leur cer- veau / Avec leur côte… ». Son opérette suivante fut moins heureuse : Eugène le Mystérieux (1964), biographie romancée aussi fantaisiste vis-à-vis de la réalité que l’avait été à l’écran sa Valse de Paris sur Offenbach. Du moins me permit-elle de frôler, dans les cintres – je devais avoir six ans –, habillée d’une somptueuse robe de velours rouge, la danseuse Marchand, quelques années après sa mémorable composition dans Moulin-Rouge de John Huston. Créée l’année d’avant ma naissance, Patate (1957) fut joué par Pierre Dux pendant plus de sept ans, un record dans l’histoire du théâtre, mais je n’en garde qu’un vague souvenir, brouillé par une représentation plus tardive pour l’émission télévisée Au théâtre ce soir. Quelques années plus tard, en 1967, j’eus la chance de voir jouer Cloclo – le second rôle créé par Michel Simon dans Jean de la Lune – volant comme de coutume la vedette aux acteurs principaux, Pierre Mondy et Dany Robin. En 1968, la production de Voulez-vous jouer avec Moâ ? avec Jacques Rosny, Annick Blancheteau, Maurice Risch (reprenant le rôle du clown Crockson créé par l’auteur en 1923) et Jacques Échantillon (également metteur en scène) fut, de l’avis général, l’une des meilleures jamais données de cette comédie poétique un peu absurde et très humaine, montée à sa création chez Charles Dullin dans son théâtre de l’Atelier… La même année, Dany Carrel reprit le rôle-titre de L’Idiote, créé par , avec une gouaille et une sensualité inoubliables ; j’appris alors que l’actrice avait, MON « ONK’ MARCEL » 97 comme on dit, du « sang » vietnamien, bien avant qu’elle n’en parle dans un livre autobiographique, et ne l’en aimais que plus. J’étais en classe de 4e lorsque j’enregistrai la première interview de ma vie, en 1970 : ma mère, férue d’électronique, m’avait prêté un magnétophone à bandes Uher pour interviewer l’onk’ Marcel sur son métier d’auteur dramatique. Cela fit une forte impression à mon professeur de lettres du lycée Buffon, monsieur Berneuil. L’adolescence venue, je découvris une nouvelle sorte de théâtre, me rebellant contre le « boulevard » personnifié par Mononk, qui me repro- chait d’aimer les pièces de Beckett et les classiques revisités par Patrice Chéreau (La Dispute) ou Antoine Vitez (Électre). Je lui répliquais que dans sa jeunesse, il avait lui-même débuté dans l’avant-garde, auprès de Charles Dullin et de Lugné-Poe. Je lui en voulais d’autant plus que ses dernières pièces ne comptaient pas parmi ses réussites, malgré l’abattage de dans Gugusse et la distribution alléchante de La Débauche, comédie ratée sur les Borgia, en 1973 (Louis Seigner, Danièle Lebrun, Claude Piéplu, Catherine Rouvel…). Ces discussions furent l’occasion d’une des rares colères de Mononk me concernant, mais dirigée contre mes parents, et relayée par « Vous » (Juliette), pour ne pas avoir empêché ce dévoiement de mes goûts ! Heureusement, entre-temps, le cinéma avait commencé à me pas- sionner : cela permettait à Marcel et à moi de nous retrouver pour ainsi dire en terrain neutre. J’ignorais à l’époque qu’il avait été critique de cinéma, notamment à Marianne (entre 1934 et 1937), alors que sa carrière de dramaturge et de dialoguiste de cinéma était déjà florissante, et qu’il revenait de Hollywood où il avait vu tourner Chaplin et Lubitsch. Mais ma prise de conscience de son importance dans le septième art datait de mon enfance, grâce à l’émission TV d’Armand Panigel, Au cinéma ce soir, dans les années 1960-1970, qui présentait un long-métrage précédé d’actualités d’époque et suivi de témoignages de ses créateurs : scénaristes, réalisateurs, comédiens, collaborateurs artistiques. Les entretiens avec Achard étaient filmés chez lui, au 8, rue de Courty dans le 7e arrondissement, et j’étais fier, le lendemain en classe, que mon parrain soit passé à la télévision après la diffusion de L’Alibi ou de Gribouille. J’avais cependant du mal à comprendre pourquoi ses interventions étaient si courtes, alors qu’il me disait avoir parlé pendant une heure devant la caméra… Panigel était un adepte du montage alterné : les participants se renvoyaient la balle et restaient rarement plus de quelques minutes à l’écran. Pour le cinéphile en devenir que j’étais, les conversations avec Mononk sur le cinéma étaient toujours enrichissantes, même lorsque nos goûts divergeaient : par exemple, j’adorais déjà La Règle du jeu de Jean Renoir, qu’il détestait, le chef-d’œuvre de Renoir étant pour lui La Grande Illusion. 98 N. T. BINH

Si je trouvais sa position « académique », c’est-à-dire digne de l’académicien qu’il était (depuis 1959), je me gardais bien de le contredire : à quoi bon se disputer, alors que l’enjeu était moins personnel que mes opinions sur son théâtre ? Je ne me lassais pas, en revanche, de l’écouter me parler de sa collaboration avec Lubitsch (qui le laissa diriger les acteurs dans la version française – dialoguée par Achard – de La Veuve joyeuse, 1934) ou de son travail sur Madame de… de Max Ophuls (1953, collaboration qui provoqua une brouille irrémédiable avec son amie Louise de Vilmorin, auteur du roman d’origine). Je lui demandai un jour pourquoi, hormis son expérience hollywoo- dienne, il n’avait réalisé que deux films : La Valse de Paris, mentionnée plus haut, et un peu convaincant remake de Jean de la Lune (1948) : il semblait regretter d’y avoir donné le rôle de Cloclo à François Périer, qui aurait fait un parfait Jean de la Lune (joué par Claude Dauphin), tandis que Danielle Darrieux était une Marceline idéale… sur le papier, mais pas dans le film, où elle minaudait plus qu’à son habitude. Marcel me répondit qu’il était trop paresseux pour être metteur en scène de cinéma, et que passer des semaines à noircir des pages tranquillement dans sa sublime maison « Les Faneuses » au bord de la Loire était un travail qui lui convenait mieux. Ensuite, le texte livré, son job était fini : le reste n’était que plaisir, celui de voir ses mots s’incarner dans la bouche d’acteurs qu’il adorait, assister aux représentations, féliciter la troupe entière et, bien souvent, inviter tout le monde à souper après. Cette « facilité », en fait, n’était qu’apparente : Françoise Fabian m’a ainsi raconté que lorsqu’elle avait commencé à répéter Machin-Chouette, avec Jean Richard et Robert Dhéry, le dernier acte de la pièce n’était pas fini, et qu’Achard était bloqué ; la directrice du théâtre Antoine, Simone Berriau, avait été quasiment contrainte d’envoyer l’auteur au bord de la mer, loin des tentations parisiennes, jusqu’à ce qu’il lui livre la fin de l’œuvre – on a entendu de semblables anecdotes au sujet de Jacques Prévert, enfermé dans une chambre d’hôtel, harcelé par producteurs ou metteurs en scène, quand il tardait à livrer ses scénarios… Toujours est-il que Mononk le « paresseux » fut l’un des premiers à savoir m’expliquer, ne serait-ce qu’en creux, le métier de réalisateur : celui qui travaille plus que tout le monde, est harcelé de questions jour et nuit, et doit savoir y répondre – ou faire semblant, ce qui est pire ! Il me faisait aussi comprendre qu’après avoir écrit pour des metteurs en scène comme Lubitsch (surtout), Ophuls, Grémillon et même Chenal, Marc Allégret ou Christian-Jaque, il se sentait trop loin de leur niveau d’excellence artis- tique. En fait, il me disait que ce n’était tout simplement pas son métier. Cependant, resté un cinéphile assidu, il a continué à aller au cinéma deux fois par jour jusqu’à la fin de sa vie, allant voir tous les films qui sortaient ou les classiques réédités : « Je suis aussi intoxiqué qu’un adepte du LSD. MON « ONK’ MARCEL » 99

Je peux à la rigueur me passer de fumer, mais pas d’aller au cinéma ! » 1. Un jour, alors que je lui racontais que je commençais à fréquenter la Cinémathèque, il me prodigua le conseil suivant :

Guette la programmation d’un film muet intitulé La Chair et le Diable [The Flesh and the Devil, Clarence Brown, 1926], avec Greta Garbo et John Gilbert, dans les rôles d’une femme mariée et de son amant. À un moment, le mari et l’amant doivent se battre en duel au pistolet. Dans un plan général, on voit les silhouettes des duellistes dos à dos s’éloi- gner, chacun à une extrémité du cadre, jusqu’à en disparaître. Les déto- nations ne sont visualisées que par des jets de fumée simultanés, aux limites gauche et droite du cadre. Nous ne voyons pas lequel tombe. Le plan suivant nous montre Garbo face à son miroir, essayant une tenue de deuil en souriant, et c’est ainsi que l’on apprend l’issue du duel. Ça, c’est de la mise en scène de cinéma. L’art de l’ellipse. Ce n’est pas mon métier. Moi, j’écris des dialogues !

J’eus plus tard l’occasion de vérifier son exactitude et sa précision dans la description d’un film qu’il avait peut-être vu quarante ans auparavant, sa remarque témoignant à la fois de l’acuité de son regard critique et de sa lucidité vis-à-vis de ses propres limites. Ce dont je me suis rendu compte par la suite, c’est à quel point il m’avait dévoilé, à travers cet exemple, quelque chose qui s’apparentait à la fameuse Lubitsch touch : pour éviter de montrer une scène dont la violence ou l’immoralité aurait pu faire réagir les censeurs du code Hays, et dont les conventions auraient pu décevoir le spectateur blasé, le cinéma pouvait avoir recours à une inventivité éclatante ! C’est d’ailleurs en souvenir de cette anecdote que j’ai demandé à mon coauteur Christian Viviani la permission de dédier notre ouvrage sur Lubitsch « à la mémoire de l’onk’ Marcel », en incluant dans l’iconographie une photo du tournage de La Veuve joyeuse, sur laquelle Lubitsch et Achard fêtent, en compagnie de l’équipe, l’anniversaire de Jeanette MacDonald. Il y a quelques années, en faisant des recherches pour une exposition dont j’étais le commissaire, Joëlle Garcia, alors conservateur de la Biblio- thèque nationale de France (BNF) en charge du département des Arts du spectacle, m’envoya la liste des fonds de ses collections susceptibles de m’intéresser. Les fonds étaient classés par ordre alphabétique. Le premier à apparaître était celui de Marcel Achard ! Quelle ne fut pas ma surprise… En fait les archives Achard avaient été léguées à l’Orphelinat des Arts, institution consacrée aux enfants d’artistes, dont Juliette Achard (décé- dée deux ans après Marcel) était la présidente ; elle fut remplacée par la comédienne Colette Brosset, qui fit aussitôt donation desdites archives à la

1. Entretien avec Philippe Bouvard, Le Figaro, 21 janvier 1970. 100 N. T. BINH

BNF. Mais les responsables actuels de l’Orphelinat n’en étaient même plus au courant et étaient incapables de rediriger les chercheurs. Joëlle Garcia me proposa de me faire voir ce fonds, classé mais pas encore disponible au public (la BNF était alors en pleins travaux de restructuration et de déménagement des collections). Je proposai à mon amie Catherine Salviat, également filleule de Marcel Achard, de nous accompagner pour cette visite dans les labyrinthes de la rue de Richelieu. Après un périple éclairé tantôt d’une lampe-torche, tantôt de lampes de service minimales, nous sommes parvenus à des rayonnages remplis de boîtes d’archives, classées par catégories : théâtre, cinéma, documents personnels… Des dizaines de mètres linéaires, le trésor de toute une vie de théâtre et de cinéma. Joëlle Garcia en ouvrit une et me sortit une chemise comportant le nom de ma famille, dans laquelle figuraient, entre autres, une photo de moi que je n’avais jamais vue, à l’âge de trois jours dans les bras de mon père, ainsi qu’une carte postale que j’avais envoyée à Mononk, de la ville d’Hyères où je passais des vacances avec Juliette et mes parents, et où les Achard avaient un petit appartement. Quelle émotion ! Mais le codicille à cette anecdote est encore plus étonnant. Quelques jours plus tard, je croisai à la même BNF, à l’entrée de la salle de consultation, l’ancien conservateur du département, Noëlle Giret, devenue depuis, elle aussi, commissaire d’expositions. Nous étions tous deux pressés. Je lui dis que j’allais lui envoyer un courrier électronique pour lui raconter la belle histoire qui m’était arrivée dans son ancien fief, et que je venais de relater sur ma page Facebook. Voici la réponse étonnante qu’elle me fit aussitôt :

Cher Binh, Si vous avez le happy end de cette incroyable histoire, j’en ai moi le début tout aussi incroyable ! À la mort de Juliette Achard, j’ai été chargée des relations avec l’Orphe- linat ; j’ai donc travaillé avec Mme Escoffier, intime des Achard et chargée de la succession ; il y a eu vente à Drouot au profit de l’Orphelinat, d’ob- jets, telle l’épée d’académicien ; je me suis ensuite installée deux mois rue de Courty pour trier les archives revenant à la BNF. Avançant dans mes classements, je m’étonnai de ne trouver aucune correspondance chez des personnalités appartenant à la « génération épistolière ». Un jour, assoif- fée, je cherchai un verre à la cuisine, mais rien dans les placards du bas, la vaisselle avait déjà été vendue. Je grimpai sur un escabeau pour m’attaquer aux placards qui montaient jusqu’au plafond, ouvris une porte et faillis me faire assommer par une cascade de correspondance. J’ouvris frénétique- ment tous les placards du haut, la cascade continua, le sol de la cuisine fut bientôt recouvert (et moi aussi) d’une mer de lettres ; je baignais littérale- ment dans le bonheur. Généreux, l’Orphelinat, qui aurait pu en faire de l’argent, nous offrit la correspondance dans son intégralité. Et c’est ainsi MON « ONK’ MARCEL » 101

qu’au milieu de lettres d’Honegger, Allégret, Rubinstein, Raimu, Eugène O’Neill et autres Vilmorin et Noailles, je tombai sur les correspondances familiales et privées, dont celle de votre famille… que je ne savais pas être la vôtre. Mais Mme Escoffier m’a dit les liens qui les unissaient. Je suis d’autant plus fière de mon « expédition culinaire » que l’étape suivante était celle du brocanteur, qui selon la loi aurait pu garder cette trouvaille. Cela m’a servi de leçon lorsque j’ai eu fréquemment à vider un apparte- ment de donateur, ne négligeant, aucun placard, faux plafond, cave ou chambre de bonne oubliées ! Je ne suis pas étonnée que l’Orphelinat ne s’en souvienne pas ; les gens passent ; la présidente d’alors Colette Brosset et Mme Escoffier sont décé- dées. Mais j’ai eu plusieurs occasions de communiquer le fonds, non pour Achard, malheureusement oublié, mais pour les documents concer- nant son entourage. Merci pour les photos, tout cela me rappelle de bons souvenirs, car explo- rer le monde de Juliette et de Marcel n’était que du bonheur, témoin d’une époque qui nous paraît très, très loin. À nos expositions présentes et futures, et plein d’amitiés, Noëlle

En donnant accès à ces archives pour la réalisation de cette livraison de Double Jeu, trois générations de conservateurs à la BNF ont contribué à la nécessaire redécouverte et réévaluation de l’œuvre de Marcel Achard. Lui qui se définissait comme « un clown » et qui avait débuté comme souffleur de théâtre – il en gardait un excellent souvenir, parce que c’était « la meilleure place pour regarder les jambes des comédiennes ». Lui qui considérait que le théâtre comique était un théâtre maudit, rappelant cette citation d’un critique après la première représentation de Voulez-vous jouer avec Môa ? : « C’est un chef-d’œuvre, mais vous rirez ». Lui, aussi, dont la réplique préférée était celle de Sylvia dans La Double Inconstance de Marivaux : « Je rêve à moi, et je n’y entends rien. »

N. T. Binh Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne

LES PIÈCES DE THÉÂTRE DE MARCEL ACHARD

1923

Celui qui vivait sa mort (mise en scène Charles Dullin) Voulez-vous jouer avec Moâ ? (mise en scène Charles Dullin) La messe est dite (mise en scène Lugné-Poe) Pour dire : je vous aime (mise en scène Charles Dullin)

1924

Malbrough s’en va-t-en guerre (mise en scène Louis Jouvet)

1925

La Femme silencieuse (adaptation de la pièce de Ben Jonson Epicoene or The Silent Woman, mise en scène Charles Dullin)

1926

Je ne vous aime pas (mise en scène Charles Dullin) Et dzim la la… (mise en scène Charles Dullin)

1927 Le Joueur d’échec (adaptation du roman d’Henry Dupuy-Mazuel, mise en scène Charles Dullin 1)

1. Un rôle de prédilection de Dullin qui interpréta la même année une version cinémato- graphique dans une mise en scène de Raymond Bernard. 104 DOUBLE JEU, NO 12, 2015

1928 La vie est belle (mise en scène )

1929

Une balle perdue (mise en scène Jacques-Albert) Jean de la Lune (mise en scène Louis Jouvet) La Belle Marinière (mise en scène Émile Fabre)

1930

Le Rendez-vous (mise en scène Lugné-Poe) Mistigri (mise en scène )

1932

Domino (mise en scène Louis Jouvet)

1933

La Femme en blanc (mise en scène Pierre Fresnay) Pétrus (mise en scène Louis Jouvet)

1935

Noix de coco (mise en scène Raimu)

1938

Le Corsaire (mise en scène Louis Jouvet) Adam (mise en scène Henri Bernstein)

1942

Mademoiselle de Panama (mise en scène Marcel Herrand) Colinette (mise en scène Pierre Dux) LES PIÈCES DE THÉÂTRE DE MARCEL ACHARD 105

1946

Winterset (traduction et adaptation avec Jacques Emmanuel de la pièce de Maxwell Anderson, mise en scène André Certes) Auprès de ma blonde (mise en scène Pierre Fresnay) Après la bataille d’Hernani (« spectacle » à représentation unique à la Comédie- Française)

1947

Les Sourires inutiles (« spectacle » à la Comédie-Française, mise en scène Jean Meyer) Savez-vous planter les choux ? (mise en scène Pierre Fresnay)

1948

Nous irons à Valparaiso (mise en scène Pierre Blanchar)

1949

La Demoiselle de petite vertu (mise en scène Claude Sainval)

1950

La P’tite Lili (mise en scène Raymond Rouleau) 2 Le Moulin de la Galette (mise en scène Pierre Fresnay)

1952

Les Compagnons de la Marjolaine (mise en scène Yves Robert)

1955

Le Mal d’amour (mise en scène François Périer) La Belle Hélène (livret d’un ballet d’après l’opérette de Jacques Offenbach, Henri Meilhac et Ludovic Halévy)

2. Comédie musicale écrite pour Édith Piaf et Eddie Constantine, musique de Marguerite Monnot. 106 DOUBLE JEU, NO 12, 2015

1957

Patate (mise en scène Pierre Dux)

1958

La Bagatelle (mise en scène Jean Meyer)

1960

L’Idiote (mise en scène Jean Meyer)

1961

La Polka des lampions (mise en scène ) 3

1962

Turlututu (mise en scène Jean Meyer)

1964

Eugène le Mystérieux (livret, mise en scène Maurice Lehmann) 4 Machin-chouette (mise en scène Jean Meyer)

1969

Gugusse (mise en scène )

1973

La Débauche (mise en scène Jean Le Poulain)

3. Comédie musicale, musique de Gérard Calvi, inspirée du film de Billy WilderCertains l’aiment chaud (Some Like it Hot, 1959), lui-même inspiré du film de Richard Pottier Fan- fare d’amour (1938). 4. Comédie musicale sur Eugène Sue, musique de Jean-Michel Damase. MARCEL ACHARD ET LE CINÉMA

1931 Jean de la Lune de Jean Choux (dialogues, d’après sa pièce) Mistigri d’Harry Lachman (dialogues, d’après sa pièce)

1932 Une nuit à l’hôtel de Léo Mittler (adaptation d’un roman d’Eliot Crawshay- Williams) Une étoile disparaît de Robert Vilers (scénario original) La Belle Marinière d’Harry Lachman (dialogues, d’après sa pièce)

1934 États-Unis : La Veuve joyeuse d’Ernst Lubitsch (co-scénario avec Samson Raphaelson et Ernest Vajda, d’après le livret d’opérette de Viktor Leon et Leo Stein, et co-réalisation – non mentionnée au générique – de la version française de The Merry Widow d’Ernst Lubitsch)

1935 États-Unis : L’Homme des Folies-Bergère / Folies-Bergère (réalisation et co-scénario, d’après une pièce de Hans Adler, de cette version française de Folies-Bergère de Paris de Roy Del Ruth) Mayerling d’Anatole Litvak (co-scénario avec Irma von Cube, d’après le roman de Claude Anet ; non mentionné au générique)

1936 Le Messager de Raymond Rouleau (co-adaptation avec Henri Bernstein de la pièce de ce dernier) 108 DOUBLE JEU, NO 12, 2015

1937 Gribouille de Marc Allégret (histoire originale et adaptation) Grande-Bretagne : Under Secret Orders d’Edmond T. Greville (co-adaptation, avec Rudolph Bernauer et Ernst Betts, de cette version anglaise de Made- moiselle Docteur de Georg Wilhelm Pabst) Naples au baiser de feu d’Augusto Genina (co-scénario avec Henri Jeanson et Ernesto Grassi d’après le roman d’Auguste Bailly) L’Alibi de Pierre Chenal (histoire originale adaptée par Jacques Companéez, Herbert Juttke et Pierre Chenal)

1938 Orage de Marc Allégret (scénario – avec Jan Lustig – et dialogue d’après la pièce d’Henry Bernstein) L’Étrange Monsieur Victor de Jean Grémillon (co-scénario avec Albert Valentin et Charles Spaak)

1939 Noix de coco de (scénario et adaptation de sa propre pièce) Le Déserteur de Léonide Moguy (scénario d’après une histoire originale de Jacques Companéez et Michel Deligne) Le Corsaire de Marc Allégret (co-adaptation avec Marc Allégret et Jan Lustig de sa propre pièce), inachevé

1940 Parade en sept nuits de Marc Allégret (co-dialogues avec René Lefèvre et Carlo Rim)

1942 L’Arlésienne de Marc Allégret (adaptation et dialogues d’après la pièce d’Alphonse Daudet) Monsieur la Souris de Georges Lacombe (adaptation et dialogues d’après le roman de ) La Belle Aventure de Marc Allégret (dialogues d’après la pièce d’Armand de Caillavet et ) MARCEL ACHARD ET LE CINÉMA 109

1943 Untel père et fils de Julien Duvivier (co-scénario et dialogues avec Charles Spaak et Julien Duvivier), tourné en 1940 Domino de Roger Richebé (scénario et dialogues d’après sa propre pièce adap- tée par )

1944 Les Petites du quai aux Fleurs de Marc Allégret (co-scénario avec Jean Aurenche et dialogues) Félicie Nanteuil de Marc Allégret (dialogues d’après le roman Histoire comique d’Anatole France)

1945 Mademoiselle X de (dialogues et co-scénario avec Pierre Billon) Lunegarde de Marc Allégret (dialogues d’après le roman de Pierre Benoît)

1946 Ceux du Tchad de George Régnier (scénario), court-métrage sorti en 1949 Pétrus de Marc Allégret (co-scénario et adaptation avec Marcel Rivet et Marc Allégret de sa propre pièce)

1947 Grande-Bretagne : Meet Me at Dawn de Peter Creswell et Thornton Freeland (co-scénario avec Maurice Cowan, James Seymour et Lesley Storm d’après une histoire originale d’Anatole Litvak)

1948 Jean de la Lune de Marcel Achard (co-scénario avec Alexandre Astruc d’après sa propre pièce)

1950 Ce siècle a cinquante ans, documentaire de Denise et Roland Tual et Werner Malbran (contribution au scénario) La Valse de Paris de Marcel Achard (scénario original) 110 DOUBLE JEU, NO 12, 2015

1953 Madame de… de Max Ophuls (dialogues et co-adaptation d’après le roman de Louise de Vilmorin, avec Annette Wademant et Max Ophuls)

1954 Orage de Pierre Billon et Giorgio Capitani (d’après l’adaptation par Marcel Achard de la pièce d’Henri Bernstein) Mam’zelle Nitouche d’Yves Allégret (co-scénario avec Yves Allégret et Jean Aurenche d’après l’opérette d’Ernest Blum, Henri Meilhac et Albert Millaud) Scènes de ménage d’André Berthomieu (dialogues d’après plusieurs pièces de Georges Courteline)

1955 Sophie et le Crime de Pierre Gaspard-Huit (dialogues d’après le roman de Cecil Saint-Laurent)

1956 Le Pays d’où je viens de Marcel Carné (co-scénario avec Marcel Carné et Jacques Emmanuel)

1957 Que les hommes sont bêtes ! de Roger Richebé (co-adaptation et co-dialogues avec François Boyer et Roger Richebé) La Garçonne de Jacqueline Audry (co-adaptation avec Jacqueline Audry et Pierre Laroche du roman de Victor Margueritte) Escapade de Ralph Habib (dialogues, d’après un roman de William Irish adapté par Albert Valentin), mentionné au générique sous le nom de « Marcel Archard »

1959 La Femme et le Pantin de Julien Duvivier (dialogues et co-scénario avec Julien Duvivier, Albert Valentin et Jean Aurenche du roman de Pierre Louÿs)

1961 Les Amours célèbres de (dialogues de l’épisode « Lauzun », d’après la bande dessinée de Paul Gordeaux adaptée par ) MARCEL ACHARD ET LE CINÉMA 111 Adaptations

1939 Suède : I dag börjar livet de Schamy Bauman (d’après la pièce Pétrus)

1940 États-Unis : The Lady in Question de Charles Vidor (d’après son scénario ori- ginal Gribouille)

1942 Grande-Bretagne : Alibi de Brian Desmond-Hurst (d’après son scénario origi- nal L’Alibi)

1964 États-Unis : Quand l’inspecteur s’emmêle (A Shot in the Dark) de Blake Edwards (d’après sa pièce L’Idiote) France : Patate de Robert Thomas (d’après sa pièce adaptée par Robert Thomas)

1990 URSS : Dura d’Alexei Korenev (d’après une pièce non identifiée au générique)

Films réalisés par Marcel Achard

1935 L’Homme des Folies-Bergère 1 (connu aussi sous le titre Folies-Bergère) 75 minutes (version française de Folies-Bergère de Paris de Roy Del Ruth)

1. Tourné à Hollywood. La compagnie 20th Century Pictures allait fusionner quelques mois plus tard avec Fox et donner naissance à la 20th Century Fox, telle qu’on la connaît main- tenant. 112 DOUBLE JEU, NO 12, 2015

Réalisation : Roy Del Ruth, Marcel Achard. Scénario : Marcel Achard (Bess Meredyth, Hal Long pour la version américaine) d’après la pièce Le Chat rouge d’Hans Adler et Rudolph Lothar. Directeur de la photographie : J. Peverell Marley, Barney McGill. Montage : Allen McNeil, Sherman Todd. Musique : José Padilla, dirigée par Alfred Newman. Chorégraphe : Dave Gould. Costumes : Omar Kiam et Lucien Lelong. Décors : Richard Day. Production : 20th Century Pictures. Distribution : Maurice Chevalier (Eugène Charlier / le baron Cassini), Nathalie Paley (la baronne Cassini), Sim-Viva (Mimi), Fernand Ledoux (François), Ferdinand Gottschalk (Périchot), George Renavent (le Premier Ministre), Barbara Léonard (Antoinette), André Berley (Pierre Baneffe), André Cheron (Morizet), Pauline Garon (Lulu), Louvigny (Gustave Chatillard).

1943 Les Deux Timides 83 minutes Réalisation : Yves Allégret (co-réalisation, non mentionnée au générique : Marc Allégret, Marcel Achard). Scénario : M. Bilou, Claude-André Puget, d’après Eugène Labiche. Directeur de la photographie : Philippe Agostini. Montage : Roger Spiri- Mercanton. Décors : Paul Bertrand. Musique : Jean Marion, Germaine Tailleferre. Production : Impéria Films. Distribution : Pierre Brasseur (Vancouver), Jacqueline Laurent (Cécile Thibaudet), Claude Dauphin (Jules Frémissin), Gisèle Préville (Cécile Vancouver), Lucien Callamand (Claquepont), Charpin (Monsieur Van Putzeboom), (le commis voyageur), Marc Dolnitz (le militaire), Henri Guisol (Anatole Garadou), Jane Marken (Tante Valérie), Orbal (Dardenboeuf), Gisèle Pascal (une jeune fille), Pierre Prévert (Verdinet), Tramel (Thibaudier).

1948 Jean de la Lune 94 minutes Réalisation : Marcel Achard. Scénario : Marcel Achard, d’après sa propre pièce. Adaptation : Alexandre Astruc. Directeur de la photographie : Michel Kelber. Mon- tage : Yvonne Martin. Musique : Georges Van Parys. Décors : Raymond Gabutti. Production : Roger Richebé. Distribution : Danielle Darrieux (Marceline), Claude Dauphin (Jeff), François Périer (Cloclo), Pierre Dux (Richard Verdelet), Jeanette Batti (Rolande), Camille Guérini (l’avoué), Jacques Sernas (Alexandre), Yves Deniaud (le colonial). MARCEL ACHARD ET LE CINÉMA 113

1950 La Valse de Paris 92 minutes Réalisation : Marcel Achard. Scénario : Marcel Achard. Directeur de la photo- graphie : Christian Matras. Montage : Yvonne Martin. Décors : André Clavel, Charles Mérangel. Costumes : Christian Dior (Yvonne Printemps), Georgette Fillon. Musique : Louis Beydts, d’après Jacques Offenbach. Chorégraphe : Léone Mail. Production : Pierre Gurgo-Salice (pour Lux Films). Distribution : Yvonne Printemps (Hortense Schneider), Pierre Fresnay (Jacques Offenbach), Jacques Charon (Berthelier), Noëlle Norman (Marie Pradeau), (José Dupuis), Pierre Dux (le général Danicheff), Denise Provence (Brigitte), Jacques Castelot (le duc de Morny), Claude Sainval (le prince), Lucien Nat (Napoléon III), André Roussin (Henri Meilhac), Lisette Lebon (une dame d’honneur), Alexandre Astruc (Ludovic Halévy), Jacques Dynam (le calife), Max Dalban (le déménageur).

ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

Achard Marcel, L’Amour ne paie pas, recueil, Paris, La Table ronde, 1962. Anouilh Jean, Livret de l’opéra Madame de…, Paris, Henry Lemoine, 1971. Barnier Martin, Des films français made in Hollywood : les versions multiples (1929-1935), Paris, L’Harmattan, 2004. Bertin-Maghit Jean-Pierre, Le cinéma français sous l’Occupation, Paris, Perrin, 2002. Bordat Francis, « Lubitsch et le Code », Positif, no 595, septembre 2010. La critique de cinéma en France : histoire, anthologie, dictionnaire, Michel Ciment et Jacques Zimmer (dir.), Paris, Ramsay (Ramsay cinéma), 1997. Houssiau Bernard J., Marc Allégret découvreur de stars, sous les yeux d’André Gide, Yens / Morges, Cabédita (Archives vivantes), 1994. Jeancolas Jean-Pierre, Meusy Jean-Jacques et Pinel Vincent, L’auteur du film : description d’un combat, Paris / Arles / Lyon, SACD / Actes Sud / Institut Lumière, 1996. Jeanson Henri, Jeanson par Jeanson, Paris, Éd. René Château (Mémoire du cinéma français), 2000. Lorcey Jacques, Marcel Achard ou 50 ans de vie parisienne, Paris, France-Empire, 1977. Martin Laurent, « Collaboration “chaude” ou collaboration “froide” ? Le cas d’Henri Jeanson (1938-1947) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, vol. II, no 86, 2005, p. 91-106. Ophuls Max, Souvenirs, Paris, Cahiers du cinéma (Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma ; 68), 2002. Sellier Geneviève, Jean Grémillon, le cinéma est à vous, Paris, Méridiens Klinck- sieck, 1989. Le théâtre français du XXe siècle, Robert Abirached (dir.), Paris, L’Avant-scène théâtre (Anthologie de « L’Avant-scène théâtre »), 2011. 116 DOUBLE JEU, NO 12, 2015

Vecchiali Paul, L’Encinéclopédie. Cinéastes français des années 1930 et leur œuvre, Montreuil, Éd. de l’Œil, 2010, 2 vol. Welles Orson, Miracle à Hollywood – À bon entendeur, Serge Greffet (trad.), Paris, La Table ronde, 1952 [deux pièces écrites par Orson Welles]. Welles Orson et Bogdanovich Peter, This is Orson Welles, Jonathan Rosenbaum (éd.), New York, Da Capo Press, 1992. RÉSUMÉS

Christian Viviani Marcel Achard (1899-1974), introduction et éléments biographiques

Comme une introduction au présent volume, il s’agit ici de situer, en particulier par des dates et des titres, Marcel Achard dans son époque et dans ses activités diverses, notamment au théâtre et au cinéma. To introduce the present book, dates and titles in particular are provided to place Marcel Achard in the context of his time and of his many different activities, above all in the theatre and the cinema.

Nicolas Boscher « Les scénaristes sont les seuls auteurs des films : fais en sorte qu’on le sache. Amitiés »

Marcel Achard intervient au cinéma comme scénariste, dialoguiste et cinéaste à partir des années trente, c’est-à-dire dans une période où la notion d’auteur est questionnée aussi bien au théâtre, avec l’émergence de l’auteur-metteur en scène, qu’au cinéma : les réalisateurs peuvent intégrer la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) depuis 1929 ; ils seront considérés comme coauteurs, avec les scénaristes, grâce à la loi de 1957. C’est dans ce contexte que la correspondance de Marcel Achard avec Henri Jeanson ou Marc Allégret témoigne des débats et des tensions qui naissent autour du statut d’auteur, débats qui se prolongent dans certains films, jusqu’à en enrichir l’écriture et l’esthétique. Marcel Achard was active in the cinema from the 1930s, as a screen- and dialogue-writer as well as a filmmaker. This was a time when the status of 118 DOUBLE JEU, NO 12, 2015

« author » was a matter for controversy in the theatre (with the emergence of the « author-stage director ») as well as in the cinema (film directors had been able to join the SACD [Society of Dramatic Authors and Composers]) since 1929 and they were considered legal « co-authors », along with screenwriters, after the law of 1957. In this context, the correspondence between Marcel Achard and Henri Jeanson or Marc Allégret reflects the controversies and tensions arising from the « author » status – discussions which continued in certain films, enhancing both the writing and the aesthetics.

Lionel Pons Le style et la dramaturgie chez Marcel Achard : éléments de réflexion à travers le scénario et les dialogues de Madame de… de Max Ophuls

L’œuvre de Marcel Achard, si elle demeure une célébration du verbe, n’exclut ni l’image ni les paroles de chanson. La personnalité du dramaturge ne se trouve nullement en recul lorsqu’il assume des fonctions de dialoguiste au cinéma. Aussi, l’étude de l’adaptation réalisée par lui du roman Madame de… de Louise de Vilmorin pour le film de Max Ophuls constitue-t-elle, via la comparaison avec la structure et l’agencement romanesque, une approche intéressante non seulement des mécanismes de la dramaturgie propres à Marcel Achard, mais également de son travail stylistique. Marcel Achard’s output, although a celebration of words, does not exclude images and song lyrics. The playwright’s personality is not at all transfor- med when he assumes the role of writer of dialogues for the cinema. This is why his adaptation of Louise de Vilmorin’s novel Madame de… for Max Ophuls’ classic movie, provides, if the structure and narrative elements are compared, an interesting approach to Marcel Achard’s characteristic dramatic and stylistic devices.

Marie Cadalanu De La Veuve joyeuse à La Valse de Paris. Marcel Achard et le film musical

Dès la première pièce de théâtre qu’il écrit enfant, Marcel Achard pré- voit de faire chanter ses personnages. De fait, chez lui, la tentation du spectacle musical semble omniprésente, dans la production dramatique RÉSUMÉS 119 comme cinématographique, qu’il soit scénariste ou metteur en scène. Notre contribution se propose de mettre en évidence l’affinité de l’œuvre d’Achard avec les diverses formes musicales : opérettes, comédies à couplets, diverses incursions dans le domaine du film musical (qu’il contribue à développer en France), réalisations des versions françaises de La Veuve joyeuse (Ernst Lubitsch, 1934) et de Folies-Bergère (Marcel Achard, 1935), ainsi qu’adaptations de ses propres pièces. Achard balaie ainsi, au cours de sa carrière, un large éventail de formes musicales. Since the first play he wrote as a child, Marcel Achard intended to have his characters sing. The attraction to musicals appears to permeate his work for the theatre as well as for the cinema, whether as a writer or as a director. Our contribution aims to highlight the affinity between Achard’s work and different types of musical forms: operettas, comedies with songs, incursions into the realm of musicals (which he helped develop in France), making French versions of The Merry Widow (Ernst Lubitsch, 1934) and Folies-Bergère (Marcel Achard, 1935), as well as adaptations of his own plays. For this reason, during his career, Achard covers a large range of musical forms.

N. T. Binh À propos d’Achard et des metteurs en scène de théâtre. Entretien avec Catherine Salviat, comédienne, filleule de Marcel Achard

Comédienne de théâtre affirmée et appréciée, proche de Marcel Achard dès son enfance, Catherine Salviat évoque des souvenirs de l’homme et de ses idées. A confirmed and greatly admired stage actress, close to Marcel Achard since childhood, Catherine Salviat speaks about Achard the man and his ideas.

N. T. Binh Mon « onk’ Marcel »

Filleul de Marcel Achard, N. T. Binh confie ici à quel point ce dernier et son épouse furent présents dans sa petite enfance et déterminèrent les choix professionnels décisifs que cet universitaire, critique, cinéaste et commissaire d’expositions fit par la suite. 120 DOUBLE JEU, NO 12, 2015

N. T. Binh, Marcel Achard’s godson, tells us how great a role Achard and his wife played in his childhood and how they inspired the professional decisions that this university lecturer, critic, filmmaker and exhibition curator subsequently made. NOTES SUR LES AUTEURS

N. T. Binh est maître de conférences en études cinématographiques à l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, membre du comité de rédaction de la revue Positif sous la plume de Yann Tobin, réalisateur de documen- taires, commissaire d’expositions. Il est auteur, coauteur ou directeur d’ouvrages sur Mankiewicz, Bergman, le cinéma britannique, Paris au cinéma, la direction d’acteurs, Jacques Prévert, Marcel Carné, musique et cinéma, et trois fois lauréat du prix du Syndicat de la critique française : Lubitsch (avec Christian Viviani, Paris, Rivages, 1991), Sautet par Sautet (avec Dominique Rabourdin, Paris, La Martinière, 2005), Monuments, stars du 7e art (direction d’ouvrage, Paris, Éd. du Patrimoine, 2010).

Agrégé de lettres modernes, Nicolas Boscher enseigne la littérature et le cinéma dans le secondaire. Après un master 2 consacré à Babel et au plurilinguisme chez Ernst Lubitsch, il prépare actuellement une thèse de doctorat sous la direction de Christian Viviani sur les activités cinémato- graphiques (critique, producteur, réalisateur, scénariste) de Marcel Achard.

Ancienne élève de l’École normale supérieure de Lyon, agrégée de lettres modernes, Marie Cadalanu prépare actuellement une thèse de doctorat sur le film musical français des années trente à l’université de Caen Nor- mandie, sous la direction de Christian Viviani.

Spécialiste de musique française du XXe siècle, enseignant l’analyse au Conservatoire national à rayonnement régional de Marseille et à l’uni- versité d’Aix-Marseille, Lionel Pons a publié des monographies telles que Darius Milhaud ou Georges Migot (Montrem, Les Amis de la musique française, 2003 et 2004), plusieurs contributions aux ouvrages édités par Actes Sud sur l’opéra de Marseille et de nombreux articles dans des revues musicologiques, ainsi que des contributions à des colloques, tant en France qu’à l’étranger. Il a dirigé la publication de l’ouvrage Lucien Durosoir, un compositeur moderne né romantique (Albi, Fractions, 2013) et co-dirigé 122 DOUBLE JEU, NO 12, 2015 avec Jean-Marie Jacono la publication de l’ouvrage Henri Tomasi, du lyrisme méditerranéen à la conscience révoltée (Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2015).

Comédienne, Catherine Salviat a suivi les cours de Raymond Girard, Fernand Ledoux et Maurice Jacquemont. Entrée à la Comédie-Française en 1969, elle est devenue sociétaire en 1977 et sociétaire honoraire depuis 2006. À la Comédie-Française et hors Comédie-Française, elle a joué des auteurs classiques et modernes, sous la direction, entre autres, de Jacques Charron, Raymond Rouleau, Jean Meyer, Jean-Paul Roussillon, Jean-Louis Barrault, Giorgio Strehler, Jean-Pierre Vincent, Stuart Seide, Roger Blin, Jacques Lassalle, Daniel Mesguich, Brigitte Jaques, Valère Novarina et Alfredo Arias.

Né à Tunis (Tunisie), Christian Viviani est professeur à l’université de Caen Normandie, spécialiste du cinéma américain et de l’acteur. Il est coordinateur et rédacteur de la revue Positif, auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma américain et sur l’acteur de cinéma : responsable de l’édition 2011 du Larousse du Cinéma, co-responsable du Dictionnaire des réalisateurs (Larousse) ; contributeur à Home Is Where the Heart Is (sous la direction de Christine Gledhill, Londres, BFI, 1987, réédition 2002) et à Journeys of Desire (sous la direction de Ginette Vincendeau et Alastair Phillips, Londres, BFI, 2006) ; direction du collectif sur la présence française à Hollywood, Les connexions françaises (Paris, Nouveau monde) ; traducteur de Acting in the Cinema de James Naremore (Acteurs, le jeu de l’acteur au cinéma, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014) ; paru en septembre 2015 : Le Magique et le Vrai, l’acteur de cinéma, sujet et objet (Aix-en-Provence, Rouge profond). TABLE DES MATIÈRES

Remerciements ...... 7 Christian Viviani : Marcel Achard (1899-1974), introduction et éléments biographiques 9

Essais Nicolas Boscher : « Les scénaristes sont les seuls auteurs des films : fais en sorte qu’on le sache. Amitiés » 19 Lionel Pons : Le style et la dramaturgie chez Marcel Achard : éléments de réflexion à travers le scénario et les dialogues de Madame de… de Max Ophuls ...... 35 Marie Cadalanu : De La Veuve joyeuse à La Valse de Paris. Marcel Achard et le film musical 69

Témoignages N. T. Binh : À propos d’Achard et des metteurs en scène de théâtre. Entretien avec Catherine Salviat, comédienne, filleule de Marcel Achard ...... 89

N. T. Binh : Mon « onk’ Marcel » ...... 95

Les pièces de théâtre de Marcel Achard ...... 103

Marcel Achard et le cinéma 107

Éléments bibliographiques 115

Résumés 117

Notes sur les auteurs 121 DOUBLE JEU

commande permanente

À retourner aux Presses universitaires de Caen. Un devis vous sera adressé à la publication du numéro.

commande au numéro

No (s) de la revue : ......

Pour plus d’informations sur les anciens numéros, consultez le site des PUC : www.unicaen.fr/puc/

À retourner aux Presses universitaires de Caen, accompagnée de votre règlement par chèque libellé à l’ordre de : Agent comptable de l’université de Caen. Frais de port : France + Dom-Tom : 4 € pour 1 ex. + 1,50 € par ex. supplémentaire. Étranger : nous consulter.

Nom, Prénom : ......

......

Adresse : ......

......

......

Les numéros de cette revue sont également disponibles :

• chez votre libraire

• sur le site de vente en ligne aux particuliers du Comptoir des presses d’universités : www.lcdpu.fr

Presses universitaires de Caen Université de Caen Normandie, Presses universitaires de Caen, Bâtiment mrsh, Esplanade de la Paix, CS 14032, 14032 Caen Cedex 5 Téléphone : +33 (0)2 31 56 62 20 · Télécopie : +33 (0)2 31 56 62 25 Internet : www.unicaen.fr/puc · Courriel : [email protected] PRÉCÉDENTS NUMÉROS

L’acteur créateur sous la direction de Sophie Lucet et Jean-Louis Libois

René Allio sous la direction de Gérard-Denis Farcy

Sacha Guitry et les acteurs sous la direction de Vincent Amiel et Noël Herpe

Scènes de séduction et discours amoureux sous la direction de Yannick Butel et Vincent Amiel

Représentations de l’Autre au théâtre et au cinéma sous la direction de Chantal Meyer-Plantureux et Geneviève Sellier

Action et contemplation sous la direction de Pascal Couté et David Vasse

Alain Resnais et le théâtre sous la direction de Chantal Meyer-Plantureux et Jean-Louis Libois

Les images aussi ont une histoire sous la direction de Vincent Amiel et Anne Surgers

D’un Chéreau l’autre sous la direction de Gérard-Denis Farcy, Jean-Louis Libois et Sophie Lucet

Figurations du pouvoir sous la direction de David Vasse et Éric Vautrin Cinéma et théâtre américains : influences, relations, transferts sous la direction de Pascal Couté et Baptiste Villenave

PROCHAIN NUMÉRO

François d’Assise à l’écran sous la direction de Yann Calvet et Brigitte Poitrenaud-Lamesi ANNÉE 2015 NUMÉRO 12

arcel achard, prince du théâtre de boulevard et scénariste M prestigieux, réunit en sa personnalité une relation amour-haine avec le cinéma qui fut celle d’une génération entière d’écrivains et de DOUBLE JEU dramaturges (Henri Jeanson, Henri Bernstein, Sacha Guitry…). On voit THÉÂTRE / CINÉMA bien à travers les meilleures prestations cinématographiques d’Achard (la collaboration avec Ernst Lubitsch sur La Veuve joyeuse, L’Alibi de Pierre Chenal, L’Étrange Monsieur Victor de Jean Grémillon, et surtout l’admirable Madame de… de Max Ophuls) qu’il possédait un sens et une théâtre auteur ambition scénaristique qui allaient bien au-delà du dialogue bien troussé. de boulevard Quoique de façon inégale, La Valse de Paris, sa propre réalisation, situe sa musical sensibilité. C’est cette zone franche entre cinéma et théâtre que le présent chansons numéro entend explorer. scénariste Académie française Numéro dirigé par Christian Viviani. Avec les contributions de N. T. Binh, dialoguiste mise en scène Nicolas Boscher, Marie Cadalanu, Lionel Pons et Christian Viviani. Marcel Achard entre théâtre et cinéma

12 Marcel Achard entre théâtre et cinéma JEU DOUBLE

Presses

universitaires ISSN : 1762-0597 ISBN : 978-2-84133-779-8 15 € de Caen