7. L’explosion de l’offre low-cost

Source : Les Dossiers du Canard (2006)

Remarque : ce point a été traité en 2004 sur base de données d’offre de 2004. Compte te- nu de la lourdeur du travail, la plupart des résultats n’ont pas été mis à jour avec les don- nées plus récentes. Il est clair cependant que l’offre low-cost évolue rapidement, que ce soit par la continuation de la croissance des principales compagnies (Ryanair et Easyjet), par faillite de certaines ou par apparition d’autres.

7.1. Introduction

Certains résultats qui ont précédé montrent qu’en Europe, le développement des « low-cost carriers » (LCC) est un facteur important de l’évolution de la desserte des territoires et de concurrence (Figure 41 p. 93). Ces compagnies suscitent également une croissance du nombre de passagers, les bas prix induisant une demande nouvelle (ou satisfaisant une demande latente). Leur développement fut pour certaines fulgurant (Figure 88) et leur pré- sence est aujourd’hui importante. Tout porte à croire que leur croissance n’est pas terminée si l’on en juge par l’importance des commandes d’avions passées1 et par le fait que même les voyageurs business sont également visés (Mason, 2001). En 2005, les deux principales LCC, Ryanair et Easyjet, ont respectivement transporté 27,6 et 29,6 millions de passagers ; ceci place les deux leaders low-cost en position intermédiaire entre des petites compagnies comme SN Brussels Airlines (3,2 millions de passagers) et un mastodonte comme le groupe Air France / KLM (70 millions de passagers), et au niveau de compagnies intermédiaires comme Iberia (32,4 millions de passagers)2. Ryanair ambitionne ni plus ni moins de trans- porter 70 millions de passagers en 20123.

1 En 2002, Ryanair et Easyjet ont respectivement commandé 125 et 120 avions, avec une option permet- tant de doubler ces chiffres. Ces avions sont destinés à l’extension de la flotte mais également à des remplacements d’avions anciens. 2 Source : rapports annuels des compagnies. Pour Air France / KLM, d’avril 2005 à mars 2006. Pour Iberia, inclus Iberia Regional/Air Nostrum. 3 Source : Ryanair, Boeing & Ryanair. The Lowest Cost Partnership, consultable à l’adresse http://www.ryanair.com/site/about/invest/docs/240205boeing.pdf.

148

Figure 88 : passagers transportés par Ryanair. En millions de passagers. Source : Ryanair. 2007 = estimation.

Le présent chapitre vise à répondre à un double questionnement qui n’est, à ce stade, pas résolu par la littérature existante : 1. Quelle est l’importance quantitative de l’offre low-cost en Europe ? 2. Quelle est la géographie de cette offre (réseaux tissés, importance à l’échelle des aéro- ports,…) ?

7.2. Les compagnies low-cost

L’idée de vols à bas prix a été inaugurée aux États-Unis par Pacific Southwest Airlines et reprise par Southwest à partir de 1973, donc dès avant la libéralisation du marché intérieur états-unien, implémentée à partir de 1978. Le concept fut importé en Europe par Ryanair, compagnie irlandaise1 alors en difficulté financière, qui s’y convertit en 1995 (Decker, 2004).

7.2.1. La raison d’être des LCC

Le développement des LCC est basé sur un triple constat : 1. Le transport aérien est un secteur cyclique qui, malgré une croissance presque toujours positive, connaît d’importantes périodes de pertes (Hätty et Hollmeier, 2003 ; Figure 89). Or, les frais fixes liés à la flotte2, qu’elle soit achetée ou louée, ne sont compressi- bles qu’à moyen terme, ce qui limite la possibilité de réduire ces coûts parallèlement aux variations de la demande (Doganis, 2002). 2. Le prix des billets d’avion demeure un facteur limitant pour de nombreuses personnes. 3. Les diverses libéralisations du transport aérien rendent possible la création de nouvelles compagnies et/ou de nouveaux services. Mais encore faut-il trouver des clients pour remplir les avions.

La création de LCC — ou la transformation de compagnies existantes en LCC — répond di- rectement à ces trois points.

1 Ryanair avait été créée en 1985 par des investisseurs privés, à l’époque de la libéralisation du transport aérien entre l’Irlande et la Grande-Bretagne (annoncée en 1984 et entrée en vigueur en 1986). 2 Possession des avions, salaires des équipages, assurances,… Dans le cas de Bristish Airways par exem- ple, ceux-ci étaient de 27,1% des coûts en 1999/2000 (Doganis, 2002).

149

Figure 89 : le caractère cyclique du transport aérien (compagnies IATA) Source : Hätty et Hollmeier (2003).

7.2.2. La méthode des LCC

Les LCC réussissent l’exploit de limiter leurs coûts unitaires à 40-50 % de ceux des compa- gnies classiques (FSNC : full service network carriers) (Doganis, 2001). Pour y parvenir, elles appliquent des méthodes de production et de gestion du personnel permettant d’améliorer le rendement et la productivité et cherchent des revenus « alternatifs ». Dans la mesure où l’évocation des moyens mis en œuvre par les LCC est, dans la littérature, disper- sée (voir Barret, 2004a et 2004b ; Blyton et al., 2003 ; European Cockpit Association, 2002 ; Communautés Européennes, 2003.1.25 ; Gillen and Lall, 2004 ; ITF, 2002 ; Marty, 2004 ; Williams, 2001), nous en ferons ici une synthèse globale en nous limitant à la situa- tion des compagnies européennes, qui sont plus proches du modèle low-cost originel, par rapport aux compagnies états-uniennes qui se sont assouplies sur certains points.

7.2.2.1. Amélioration du rendement et de la productivité Économies de densité : pour diminuer le coût par siège, il faut classiquement réaliser des économies de densité [le fait d’augmenter l’utilisation des avions et/ou leur capacité dans le cadre d’un réseau de taille donnée] qui, en cela, sont autrement plus efficaces que la réali- sation d’économies d’envergure [le fait d’étendre le réseau] ou d’économies d’échelle [le fait d’augmenter les facteurs de production] (Caves et al., 1984 ; Sorensens, 1991). Telle est normalement la première leçon des LCC, qui maximisent l’utilisation de leurs avions en pla- nifiant des rotations rapides, de l’ordre de 25 minutes, facilitées par l’utilisation d’aéroports secondaires non-saturés et un catering réduit ou inexistant. En comparaison, les avions

150 d’Olympic Airways Athènes – Bruxelles ou d’ Milan / Rome – Bruxelles passent 50-55 minutes à Bruxelles avant de repartir. C’est ainsi, qu’en 2004, les avions de Ryanair, Easyjet ou Norwegian ont en moyenne volé 11 heures par jour, contre 9,2 pour BA ou 7,7 pour SNBA1.

Pressurisation des travailleurs : les informations récoltées par des chercheurs, syndicats et journalistes2 montrent que les travailleurs des LCC travaillent plus que leurs confrères des FSNC, pour un salaire moindre. Selon l’European Cockpit Association (2002), un pilote de LCC a un salaire en moyenne inférieur de 28% par rapport aux FSNC pour un temps de vol supérieur de 25% ; en outre, environ un quart du salaire est variable, et cette part peut varier de 5 à 50% selon les compagnies (ITF, 2002). Les conventions collectives sont sou- vent inexistantes, ou non-appliquées, les relations avec le patronat se font généralement sur une base individuelle et les syndicats sont même parfois interdits (cas de Ryanair3). Dans le cas de Ryanair, anticipant un peu rapidement le projet de directive Bolkenstein, le personnel est engagé sous contrat irlandais quelle que soit sa base de travail (Lübeck, Charleroi,…), compte tenu des avantages qu’offre le droit du travail irlandais aux em- ployeurs ; la compagnie a été condamnée en 2005 par le tribunal du travail de Charleroi, qui a confirmé que c’est bien le droit belge qui s’applique4. Easyjet semble faire de même puisque, au terme d’une enquête d’un an, la compagnie a été mise en examen par la justice française pour travail dissimulé5. Par ailleurs on constate que chez Ryanair, durant les 25 minutes de « temps mort » entre un atterrissage et un décollage, les hôtesses et stewards sont priés de nettoyer l’avion, voire d’aider à charger / décharger les bagages si nécessaire (Mosnier, 2003). Enfin, la sous-traitance est très développée, ce qui permet de fragmenter les travailleurs, d’induire la concurrence entre les fournisseurs et surtout de faire évoluer plus facilement les coûts en fonction des besoins. Le fait de renouveler — ou non — successivement les contrats avec les sous-traitants induit une tension permanente au profit de la compagnie aérienne.

Utilisation des aéroports secondaires Le recours à des aéroports secondaires sous-utilisés permet de diminuer le poids des char- ges aéroportuaires (Tableau 31). Ce type d’aéroport peut se permettre de faibles charges car les coûts marginaux (en fonction du nombre d’avions) y sont très bas (Barbot, 2006). En outre, les LCC y sont souvent en position de force, leur permettant de mieux y négocier les conditions de leur développement. Le déséquilibre dans la négociation est plus marqué encore si l’aéroport secondaire est situé dans une zone en crise économique. L’aéroport compense la faiblesse des revenus liés aux charges aéroportuaires par un accroissement des activités connexes (parkings, commerces éventuels,…)6 et éventuellement des finance- ments publics.

1 Source : calculs personnels d’après OAG et rapports annuels de Bristish Airways et SNBA. 2 Voir par exemple Libération, 3/11/2003 ou Alternatives Économiques 214 (mai 2003). 3 Qui en mai 2005, en Belgique, a décidé d’augmenter de 3% les seuls travailleurs se passant de syndicat. 4 Plainte avait été déposée par trois travailleurs licenciés en 2002 au terme d’une période d’essai d’un an (selon la législation irlandaise) et non 6 mois (selon la législation belge). Ryanair prétextait que la plani- fication des vols se faisait en Irlande et que les ordres venaient de ce pays. Le tribunal a estimé que les travailleurs prenant et terminant leur service à Charleroi, leur contrat de travail relevait bien du droit belge. 5 Le Canard Enchaîné du 27/12/2006. 6 Gérées directement ou mises en concession.

151 Tarifs aéroportuaires officiels de CDG (2006) : Tarifs aéroportuaires officiels de Beauvais (2006) :

Redevance d'atterrissage (par avion)* : Redevance d'atterrissage (par avion) : MMD 6 - 25 T 164.14 € MMD 6 - 12 T 12.35 € + 1.52 € / T MMD 26 - 50 T 164.14 € + 3.62 (MMD-25) MMD 12 - 25 T 19.95 € + 1.67 € * (MMD-11) MMD > 50 T 254.64 € + 8.20 (MMD-50) MMD 25 - 75 T 41.66 € + 3.50 € * (MMD-24) Redevance de balisage lumineux (par avion)** : 39.43 € MMD > 75 T 216.66 € + 4.87 € * (MMD-75) Traitement de bagages (prix par bagage) : Redevance de balisage lumineux (par avion)* : 17.07 € ** Départ CDG1 6.07 € Parking (2 premières heures gratuites) 0.13 € / T / h Transfert dans/vers CDG1 ou vers CDG2 0.28 - 0.42 € Check-in (par passager au départ) 0.76 € Départ CDG2 ou transfert dans CDG2 10.05 € Handling (exemples) ** Services d'assistance en escale : - B737 300/400 853.71 € Guichets enregistrement / embarquement (annuel) : - B737 800, A320 960.43 € - CDG1 51 049.33 - 61 906.41 € - A321 1 326.31 € - CDG2 20 592.19 - 51 480.51 € - CDG3 32 943.37 € Tarifs hors taxes. Embarquement / débarquement passagers (prix selon destinations) : * Comptée si le balisage lumineux au sol est en service. - local 4.74 - 12.70 € ** Selon le type d'avion. Réductions applicables en début et fin de journée - en correspondance 4.00 - 8.89 € Inclut e.a. le traitement des bagages. Assistance au sol *** sur devis Assistance aux équipages *** sur devis Source : aéroport de Beauvais

Tarifs hors taxes. MMD = masse maximale au décollage (arrondie à l'unité supérieure)

* Non-comptés les pondérations selon : - le groupe acoustique de l'avion - la période (jour / nuit) - le type de vol (normal, entraînement, essai,...) - un abattement de 16% consentis aux vols cargo et postaux.

** Comptée si le balisage lumineux au sol est en service. *** Services facultatifs Source : ADP Tableau 31 : comparaison des charges aéroportuaires entre Paris CDG et Beauvais

Outre de moindres coûts pour les compagnies, les aéroports secondaires offrent également de la capacité, ce qui évite les retards1 (source de surcoûts) et permet d’organiser presque librement les horaires, au contraire des grands aéroports saturés en permanence ou aux heures de pointe (cf. cf. 5.6 p. 73). Il n’y a quasiment que dans de tels aéroports que les « turn-around » peuvent être réduits, condition importante pour maximiser le taux d’utilisation des avions (Tableau 32).

Comparaison des possibilités d'utilisation des avions selon le type d'aéroport Exemple de la liaison Londres - Francfort avec un B737 Liaison Durée Turn- Rotations de vol around / 14 heures Stansted - Hahn 1h15 0h30 8 Heathrow - Francfort 1h35 0h45 6 Gatwick - Francfort 1h50 0h45 5 Source : Dennis (2004) Tableau 32 : aéroports secondaires et taux d’utilisation des avions

L’utilisation des aéroports secondaires n’est cependant pas un principe absolu : Easyjet opère une partie de ses vols depuis de grands aéroports (par exemple Paris Orly et même Charles de Gaulle), au contraire de Ryanair qui ne dessert quasiment que des aéroports secondaires. On peut en la matière faire la hiérarchie suivante : • utilisation quasi-systématique des aéroports secondaires (Ryanair) ; • utilisation partielle des aéroports secondaires, par exemple à l’une des deux extrémités des liaisons (une part des vols Easyjet) ; • utilisation d’aéroports classiques, typiquement chez les « middle-cost » (Virgin Express) mais aussi une partie des vols d’Easyjet.

1 Les retards sont d’autant plus problématiques qu’il est difficile voire impossible de les amortir. Pour un avion donné à l’échelle d’une journée, ils se cumulent comme l’ont bien montré Nombela et al. (2004) dans le cas des avions passant par Madrid : le retard augmente progressivement de quelques minutes en début de journée à plus de 50 minutes après 22h.

152

Taux de remplissage élevés : les bas prix permettent d’atteindre des taux de remplis- sage élevés, qui compensent partiellement les moindres prix consentis. En 2005, le taux de remplissage passagers d’Easyjet et Ryanair était respectivement de 85% et 84%, soit un taux plus proche de celui des compagnies charters (qui se situe dans les 90%) que des compagnies classiques (en 2004, 74,6% pour les 30 compagnies membres de l’European Airlines Association).

Optimisations et facteurs complémentaires : Les LCC réduisent également leurs coûts en utilisant des flottes standardisées (ce qui per- met d’affecter le personnel aux avions de manière plus flexible1, d’homogénéiser les procé- dures, de simplifier les stocks de pièces de rechange,…) privilégiant des avions offrant un faible coût par siège (Franke, 2004)2 ; en augmentant la densité de sièges à bord ; en op- timisant le nombre de sièges compte tenu des seuils qui imposent de prévoir un membre de personnel de bord additionnel. Le personnel commence et termine son service à une même base, celle qui l’a engagé, évi- tant des frais de logement. Le service est généralement standardisé (une seule classe) et réduit à rien ou presque rien, à moins de payer, le cas échéant, un supplément ; toutes sortes de suppléments existent (dont l’usage d’une carte de crédit plutôt que d’une carte de débit3), jusqu’à un supplément pour bagages en soute chez Ryanair sous prétexte de diminution générale des tarifs4 ! Les agents de voyages sont court-circuités par la vente des billets via Internet (95% des billets pour Easyjet, 98% pour Ryanair) ou par téléphone (via des numéros d’appel surtaxés). Ceux-ci rendent inutile un réseau d’agences propre. En outre, l’inexistence de billets impri- més par la compagnie permet d’importantes économies sur les coûteux matériels sécurisés d’impression (Barrett, 2004b). Les frais de marketing sont très réduits car les bas prix sont en eux-mêmes une publicité. Dès que le produit est connu, les clients qui ne sont pas rebutés par le service minimum et les aéroports secondaires y retournent spontanément. Ne sont généralement vendus que des billets directs, sans correspondance, ce qui limite les frais de manipulation des bagages et n’oblige pas à retenir un avion à cause du retard d’un autre. Les billets sont virtuels et le choix des places généralement libre (« free-seating »). Les programmes « frequent flyer » sont rares. Le fait que les LCC ne soient pas membres de l’IATA leur permettait de ne pas se plier aux usages voulant qu’en cas de retard important, correspondance manquée, vol annulé,… la compagnie est tenue de prendre en charge les voyageurs (repas, hôtel, transfert sur un autre vol, éventuellement d’une autre compagnie,…). La récente régulation européenne por- tant sur les droits du passager, en vigueur depuis février 2005, impose cependant à toutes les compagnies des obligations identiques y compris des dommages financiers. L’avenir dira si les compagnies, notamment low-cost, s’y conformeront5. En outre, étant donné que les LCC ne pratiquent pas le partage de code, ne sont pas mem- bres d’alliances (et donc n’organisent pas de vols avec correspondance via une autre com- pagnie) et ne veulent pas transférer leurs passagers sur les vols d’autres compagnies en cas de problèmes, l’utilisation des grands aéroports n’est guère une nécessité.

1 Dans la mesure où les pilotes ont des licences pour tel ou tel type d’avion ou famille d’avions. 2 Typiquement des B737 et des A319. Easyjet a abandonné Boeing pour Airbus et récemment commandé 120 A319 qui vont se mélanger à ses B737. Cependant, la différence de prix compensera le surcoût gé- néré par cette différentiation transitoire de la flotte. Dans l’attente, les A319, de plus faible capacité, pourront servir pour le « défrichement » de nouvelles lignes. 3 Soit 2,57 € chez Ryanair et 7,50 € chez Easyjet. 4 On s’étonne presque de la gratuité des toilettes à bord. 5 L’IATA, l’European Low Fares Airline Association (ELFAA) et Hapag-Lloyd Express ont tenté d’invalider cette legislation par une action devant la Cour Européenne de Justice. Celle-ci a confirmé la validité du nouveau règlement en janvier 2006.

153 7.2.2.2. Yield management Comme de nombreuses compagnies maintenant, les LCC pratiquent le « yield manage- ment », aussi appelé « revenue management » ou « tarification en temps réel ». Son but est la maximisation du profit. Il s’applique en particulier aux secteurs dont l’appareil de pro- duction est rigide (coûts fixes importants), dont la production ne peut être stockée et dont la demande est au moins partiellement prévisible et présente des variations temporelles (selon les heures, les jours, les saisons). Ces conditions correspondent typiquement aux transports de masse (avion, train, bateau) et à l’hôtellerie. Pour maximiser le chiffre d’affaires, le yield management se base sur de savantes prédic- tions en termes de sensibilités aux prix compte tenu du type de client et du moment du voyage. Les prix seront alors différenciés en fonction du moment de la réservation (d’autant moins cher que l’on réserve tôt) et du voyage (les heures, jours ou périodes fortement de- mandées seront plus chers). Ce faisant, la demande est tant bien que mal lissée sur les dif- férents vols, et donc mieux répartie par rapport à l’offre qui est plus ou moins fixe1. Les LCC sont normalement expertes en la matière, ce qui a pour conséquence que seule une minorité des voyageurs paient réellement les prix d’appel vantés par les publicités. Une réservation tardive pour un vol très demandé peut signifier un prix équivalent à celui d’une compagnie classique, et ces tarifs « élevés » ou tout simplement normaux (le service en moins) compensent les billets à prix cassés. Il est donc important de comprendre que si des LCC parviennent à la rentabilité, ce n’est pas uniquement avec des billets à quelques euros hors taxes, mais par une recette par vol certes modeste, mais généralement supérieure au coût par vol qui, pour sa part, est compressé comme on vient de le voir.

Les différences de tarifs pratiquées par Ryanair ou Easyjet illustrent parfaitement la chose (Tableau 33). Pour un vol Londres – côte d’Azur avec Ryanair, le prix est maximal pour un vol le lendemain et minimal pour un jour de novembre sans intérêt. Il est plus cher un ven- dredi 3 novembre, car il augure un week-end de trois jours. A la veille de Noël, même pres- que cinq mois à l’avance, le tarif est sensiblement plus élevé et il en est de même pour les jours qui suivent. Pour un vol Rome – Paris avec Easyjet, la logique est globalement la même, mais les tarifs tendent moins vers zéro, probablement parce qu’il s’agit d’une impor- tante liaison entre deux grandes métropoles sur laquelle la demande doit être relativement élevée en permanence, au contraire de la côte d’Azur.

Exemples de tarifs pratiqués pour un vol aller simple réservé le 1er août 2006 Londres - Toulon avec Ryanair Rome - Paris avec Easyjet Date Prix hors taxes Prix total* Date Prix hors taxes Prix total* Mercredi 2/8/2006 131.93 € 161.30 € Mercredi 2/8/2006 297.49 € 317.49 € Mercredi 9/8/2006 131.93 € 161.30 € Mercredi 9/8/2006 128.49 € 148.49 € Jeudi 2/11/2006 14.65 € 44.01 € Jeudi 2/11/2006 34.49 € 54.49 € Vendredi 3/11/2006 21.98 € 51.34 € Vendredi 3/11/2006 34.49 € 54.49 € Mardi 7/11/2006 0.57 € 29.94 € Mardi 7/11/2006 18.49 € 38.49 € Vendredi 22/12/2006 102.61 € 131.98 € Vendredi 22/12/2006 26.49 € 46.49 € * Incluant taxes, frais et suppléments divers (dont un bagage en soute). Paiement par carte de crédit VISA. Source : sites web des compagnies. Tableau 33 : le yield management en pratique

7.2.2.3. Financements publics Dans le seul cas de Ryanair, il est établi que des financements et/ou avantages publics, di- rects ou indirects, ont été octroyés à la compagnie de manière semble-t-il systématique lors de son installation dans les aéroports européens qu’elle dessert, qu’il s’agisse de ses bases ou de simples aéroports. Au gré des enquêtes judiciaires, journalistiques ou scientifiques, on a ainsi appris que Ryanair a bénéficié d’avantages financiers ou autres à Pau, Clermont-

1 Source : http://fr.wikipedia.org.

154 Ferrand, Strasbourg, Charleroi et Stockholm Skavsta ; au besoin, des aéroports sont mis en concurrence, comme ce fut le cas avec Pau et Tarbes (Marty, 2004). Et si un aéroport comme Nice refuse de donner des avantages à la compagnie, celle-ci jettera son dévolu sur un aéroport plus « consentant ». Selon le journal économique français La Tribune1, Ryanair aurait reçu 168 millions d’euros des pouvoirs publics durant son exercice financiers 2002-2003, soit sous forme de verse- ments directs, soit sous forme d’avantages (par exemple taxes aéroportuaires réduites, fi- nancement ou co-financement de campagnes publicitaires,…). Si ce montant est exact, il représente 70% de du profit annuel de la compagnie (239,4 millions d’euros) ! Des aéroports classiques qui voient des marchés filer vers des aéroports secondaires et des LCC non-subsidiées n’ont pas manqué de se plaindre de cette concurrence déloyale. Virgin Express a ainsi peint, un temps, la mention « Stop subsidies » sur quelques-uns de ses avions. Les compagnies classiques sont cependant restées plus discrètes, car tout le monde sait bien qu’elles ont largement été financées par des fonds publics dans le passé et ont longtemps grandi sous l’aile protectrice de leur État, qui encore aujourd’hui souvent les sou- tient, notamment sur le terrain diplomatique et dans certains cas dans le financement d’infrastructures garantissant leur développement (le cas de l’aéroport Paris Charles de Gaulle, au profit d’Air France, est de ce point de vue exemplaire). En outre, de manière générale, l’ensemble du secteur aérien profite d’avantages en tout genre, particulièrement fiscaux, dont l’absence de taxe sur le kérosène. A titre d’exemple, il a été calculé qu’en Grande-Bretagne, le secteur aéronautique a économisé 9,1 milliards de livres sterling2 en 2001, du fait de l’absence de taxe sur le kérosène et de TVA sur les billets internationaux et des avantages concédés aux commerces « hors taxes » (Sewill, 2003).

L’exemple de l’affaire Ryanair à Charleroi Une enquête détaillée conduite par la Commission Européenne3 établit en effet que Ryanair y a obte- nu, à partir de 2001, des avantages non-négligeables de la part de l’aéroport public et du gouverne- ment régional, à titre exclusif, pour une durée de 15 ans et sans mesures de publicité (Communautés Européennes, 2003/1/25). La Commission cite entre autres une réduction de l’ordre de 50% de la taxe d’atterrissage4, une participation aux dépenses liées à l’ouverture de la base Ryanair de Charle- roi5, le prix de l'assistance en escale de 1 euro par passager (au lieu de 10 euros selon le tarif offi- ciel),… Ryanair et l’aéroport ont par ailleurs constitué une société de promotion et de publicité conjointe (Promocy) qui finance les actions de publicité et de marketing de Ryanair en relation avec ses activités à Charleroi ; cette société finance par exemple une partie du prix des billets promotion- nels de Ryanair. BSCA et Ryanair contribuent dans les mêmes conditions au fonctionnement de Pro- mocy6. Enfin, la Région s’engage à indemniser Ryanair en cas de relèvement des taxes aéroportuaires ou modification contraignante des heures d’ouverture de l’aéroport dans les 15 ans à venir. Il a été estimé que les avantages directs et indirects reçus par Ryanair à Charleroi pour les années 2001 à 2003 représentent 23 millions d’euros (De Beys, 2004). En contrepartie, Ryanair s’est engagée, élément essentiel pour la création d’emplois, à baser 2 à 4 avions à Charleroi et à y opérer au moins trois rotations quotidiennes par avion durant 15 ans. Si la compagnie venait à réduire ou interrompre ses services, elle serait tenue de rembourser toutes les aides perçues. En résumé, Ryanair accepte de prendre un risque économique sur une longue durée, en échange de quoi la Région et l’aéroport consentent divers avantages matériels et garantissent une stabilité de

1 4/2/2004. 2 Soit environ 14,6 milliards d’euros selon le cours moyen GBP / EUR en 2001. 3 Suite à une plainte déposée, anonymement, par… le gestionnaire de l’aéroport de Bruxelles… 4 Actuellement 36,7% selon Ryanair, compte tenu des avions utilisés (B737-800 au lieu de B737-200). 5 « 250 000 euros pour les frais d'hôtel et de subsistance du personnel de Ryanair; 160 000 euros par nouvelle route ouverte, à concurrence de 3 routes au maximum par avion basé, soit un maximum de 1 920 000 euros; 768 000 euros pour participer aux frais de recrutement et d'entraînement des pilotes et des équipages affectés aux nouvelles destinations desservies par l'aéroport, 4 000 euros pour l'achat d'équipements de bureau; la mise à disposition gratuite de 100 m² de bureaux; 100 m² d'«engineering store »; un droit à l'accès à la ‘training room’ ; et un coût minimal ou nul pour l'utilisation d'un hangar pour la maintenance d'avions. » (CE, 25/1/2003). 6 « 62 500 euros pour constituer le capital social ; contribution marketing de 4 euros par passager à son budget annuel. » (CE, 25/1/2003).

155 l’environnement technique et économique. En retour, ils peuvent espérer une prise de valeur de l’aéroport, sa rentabilisation et un certain développement économique régional.

Selon la Commission Européenne, ces financements publics sont largement contraires au droit euro- péen de la concurrence et de la libéralisation du transport aérien : d’une part, ils placent Ryanair dans une position plus avantageuse et plus stable que les autres compagnies et, d’autre part, il s’agit d’aides d’État à l’exploitation aérienne alors que celles-ci ne sont plus autorisées que pour les liaisons à vocation de service public validées comme telles par la Commission. Les pouvoirs publics wallons (gouvernement régional wallon et aéroport, à statut public) ont cepen- dant tout fait pour soutenir Ryanair, au nom d’un désenclavement et du développement régional. Si le désenclavement est une fiction vu la relative proximité de plusieurs autres aéroports, d’un dense ré- seau autoroutier et du chemin de fer, l’impact sur l’emploi n’est en effet pas négligeable puisqu’en 2003, on estime que l’emploi sur la plate-forme aéroportuaire de Charleroi correspond à 699 emplois directs et 2 632 à 2 729 induits (équivalents temps-plein)1. Entre le début de l’enquête et le verdict, Ryanair n’a pas manqué de menacer de quitter purement et simplement l’aéroport de Charleroi si la Commission déclarait illégaux les avantages perçus. Selon la presse, il s’en est suivi un lobbying des autorités wallonnes à destination de la Commission. On peut toutefois avancer que le chantage à la délocalisation n’était pas tenable dans la mesure où les règles de l’Union Européenne s’appliquent à tous les pays membres.

La Commission a finalement tranché en déclarant une partie des aides perçues et à percevoir comme compatibles avec le droit européen (par exemple les contributions marketing de 4 euros par passa- ger), à condition qu’elles participent au lancement de nouvelles routes aériennes, que leur importance soit limitée à 50% des coûts de démarrage ou 50% des coûts d’exploitation, que leur durée ne dé- passe pas 5 ans, qu’elles s’appliquent à toute compagnie aérienne présente à Charleroi et dans la me- sure où les services créés atteignent la rentabilité et perdurent (Communautés Européennes, 2004/4/30). Les autres aides (par exemple l’assistance en escale réduite à 1 euro par passager ou des interventions « one-shot » versées sans caractère incitatif et proportionnel aux résultats) ont été dé- clarées illégales et devront être remboursées par Ryanair qui a cependant décidé d’interjeter appel de ce jugement. Cette position de la Commission apparaît comme un compromis, qu’elle justifie par les effets bénéfi- ques du développement de l’offre low-cost et des aéroports régionaux existants : baisse des tarifs pour les voyageurs, création de nouvelles liaisons aériennes, rentabilisation d’infrastructures, déve- loppement économique, amélioration de l’image des régions, délestage potentiel des grands aéroports congestionnés,…

Ryanair a alors annoncé qu’elle resterait à Charleroi, mais en prévoyant une hausse de ses tarifs et la réduction de ses plans d’expansion, et surtout en exigeant publiquement des avantages supplémentai- res afin de compenser les financements dont elle ne peut plus bénéficier ! Les faits ont depuis lors montré que la compagnie a cependant encore ouvert de nouvelles routes depuis cet aéroport (Madrid, Salzbourg, Marseille, Grenoble, Nîmes,…), celles-ci étant passées de 11 au début 2005 à 19 à l’automne 2006. Entre-temps, les autorités wallonnes sont parvenues à diversifier quelque peu l’offre de leur aéroport, en y attirant d’autres compagnies low-cost — Air Polonia, Air Service+ (italienne) et Wizzair (hon- groise). En 2006, il ne restait cependant que Wizzair. Mais au contraire de Ryanair qui a établi à Char- leroi une base autour de laquelle elle rayonne, ces nouvelles compagnies rayonnent depuis d’autres aéroports, et Charleroi n’est donc pour elles qu’une extrémité d’arc parmi d’autres. Ryanair demeure donc leader de Charleroi et conserve pour partie sa position de force face aux pouvoirs publics wal- lons. Certains hommes politiques wallons ont milité pour une privatisation de l’aéroport de Charleroi, affir- mant qu’ainsi les avantages consentis à Ryanair seraient alors légaux. Ceci n’est en fait guère convaincant car, d’une part, une partie des avantages ont été fixés et financés directement par la Région et, d’autre part, les avantages consentis par l’aéroport l’ont été, selon la Commission, grâce au financement de l’aéroport par la Région. Toujours selon la Commission, il est improbable que l’aéroport de Charleroi puisse tout à la fois être rentable, consentir durablement les avantages cités et ne pas bénéficier de financement public. En d’autres termes, un investisseur privé n’aurait pas pris un tel risque.

Il est d’ailleurs improbable que Ryanair trouve des aéroports privés bien localisés et qui acceptent ses conditions. Soit l’aéroport privé est tout à la fois rentable, non-subsidié et libre de fixer ses tarifs, et

1 Source : SOWAER (2003).

156 l’on voit alors mal pourquoi il financerait une compagnie pour l’attirer à lui. Soit l’aéroport privé n’est pas intrinsèquement rentable et dès lors probablement subsidié, auquel cas il ne pourrait financer une compagnie sans subside public1, ce qui serait contraire au droit et à la jurisprudence européens tels que résumés plus haut. Dans cette optique, la Commission Européenne semble avoir partiellement mis à mal le « système Ryanair » et des cas similaires sont potentiellement condamnables. De plus, le chantage à la délocali- sation en ressort moins convaincant.

7.2.2.4. Revenus complémentaires Les LCC augmentent leurs revenus par la mise en œuvre de centres téléphoniques de réser- vation à numéros surtaxés. Elles louent des espaces publicitaires sur leurs sites web voire à bord de leurs avions. Elles bénéficient de royalties sur les services connexes vers lesquels leurs sites web renvoient (location de voiture, logement,…).

7.2.2.5. Combinaisons de facteurs Certains facteurs précités se complètent. Ainsi, l’absence de repas, le free-seating, l’utilisation d’aéroports non-saturés et l’absence de tickets avec correspondance vont en- semble dans le sens de parvenir à des rotations rapides, de l’ordre de 25 minutes. D’autres facteurs agissent en chaîne, telle l’existence d’une seule classe à bord qui élimine un facteur limitant potentiellement le taux de remplissage, permet un traitement unifié des passagers et évite le besoin de salons VIP dans les aéroports.

7.2.2.6. Une marge bénéficiaire pouvant être élevée Au total, les LCC qui appliquent réellement ces méthodes sont généralement en bonne san- té financières et leur succès se résume en deux chiffres : la croissance du nombre de voya- geurs transportés et le taux de profit. Alors que lors des bonnes années les compagnies classiques ont en moyenne une marge nette de quelques pour-cent, celle de Ryanair tourne autour des 20% depuis 10 ans (de 18% en 2005/2006 et un pic de 28% en 2003/20042).

7.2.3. D’où viennent-elles ?

Les LCC ont des origines variées. Certaines ont été lancées par des FSNC, telle Snowflake par SAS, Go par BA ou Buzz par KLM. D’autres sont issues de compagnies charters qui se diversifient (Monarch Scheduled) ou de tour opérateurs (Hapag Lloyd Express, pleine pro- priété de TUI). D’autres encore étaient des opérateurs classiques, européens (Ryanair) ou régionaux (Flybe, l’allemande Delta Air, acquise et transformée en Deutsche BA par British Airways) qui se sont convertis pour améliorer leur compétitivité. Certaines enfin ont été créées de toutes pièces, telle Easyjet3. Notons le cas de Sky Europe, basée à Bratislava, de droit slovaque mais fondée par deux (jeunes) investisseurs belges pour combler la quasi- absence de compagnie nationale suite à la scission de la Tchécoslovaquie et profiter du pro- che marché viennois. Si l’on s’attarde sur leur origine géographique (Tableau 34), on constate que l’Europe du Nord, et en particulier la Grande-Bretagne, domine le secteur. Plus récemment, des compa- gnies ont émergé en Europe centrale ex-communiste, telle Wizzair.

1 Voir par exemple l’aéroport privé de Konock, qui a pu réduire ses taxes grâce à un financement du gou- vernement irlandais. De même l’aéroport de Stockholm-Skavsta, géré par la société privée TBI et où Ryanair a reçu des avantages à concurrence de 55 millions de couronnes suédoises de la part du gou- vernement régional (Communautés Européennes, 2004.4.30). 2 Années d’avril à mars. Source : Ryanair. 3 L’histoire officielle de la compagnie, disponible sur son site web, offre tous les ingrédients de l’aventure extraordinaire d’une famille d’héroïques investisseurs grecs presque présentés comme les dignes héri- tiers des grands armateurs de ce pays.

157 7.3. Quantification de l’offre low-cost

7.3.1. L’identification des LCC

Pour pouvoir isoler l’offre low-cost dans les bases de données OAG, il nous faut préalable- ment en établir la liste. En l’absence de données officielles et exhaustives sur les tarifs et coûts unitaires, ceci ne va pas sans problème : seules 10 LCC sont membres du lobby des LCC (ELFAA) ; certaines compagnies se prétendent low-cost mais ne le sont pas réelle- ment ; à l’inverse, d’autres n’osent pas s’avouer low-cost alors qu’elles le sont ; certaines font du low-cost sur l’une ou l’autre relation (par exemple Aer Lingus sur Dublin – Londres) mais pas sur l’ensemble de leur réseau. Par de nombreuses recherches via Internet, nous avons alors dressé une liste de compagnies potentiellement low-cost. Celle-ci a ensuite été filtrée en comparant systématiquement, par Internet, les tarifs pratiqués pour diverses rela- tions par la compagnie analysée et ses concurrentes classiques1.

Deux seuils ont été retenus : − prix atteignant maximum 50% de celui des FSNC : compagnies low-cost « pures » (LCC) ; − prix atteignant entre 50 et 66% de celui des FSNC : compagnies middle-cost (MCC, par exemple Virgin Express).

Par facilité, nous continuerons par la suite à parler de LCC, sauf si la distinction avec les MCC s’impose.

Ont ainsi été identifiées 27 compagnies opérant en Europe début 2004, dont 19 sont repri- ses par OAG 2004 (Tableau 34). Les huit autres sont des petites compagnies dont l’absence n’altère guère nos résultats. Il apparaît clairement qu’Easyjet et Ryanair écrasent toutes les autres en terme de volume de l’offre : elles représentent 60% de l’offre low-cost euro- péenne et leur volume d’offre en sièges offerts vaut 4,4 à 5,3 fois celui de la 3e compagnie (Deutsche BA). En outre, elles produisent un nombre de sièges équivalent à celui d’Alitalia, mais avec un nombre de sièges-km (ASK) largement inférieur dans la mesure où Alitalia opère des vols intercontinentaux longue distance. Il n’empêche que si l’on ne considère que le marché intra-ouest-européen, Ryanair et Easyjet se classent respectivement 6e et 7e compagnies, devant Alitalia, KLM et Swiss (Tableau 35), mais ces trois compagnies opèrent bien entendu en sus de nombreux vols extra-européens. Si l’on considère le nombre de passagers internationaux sur la période avril 2004 / mars 2005, Ryanair se classe 3e com- pagnie européenne après KLM/Air France et Lufthansa (Barrett, 2004b) !

1 Tarifs toutes taxes comprises pour un billet aller-retour réservé deux mois à l’avance, hors promotions temporaires.

158 Les compagnies low-cost opérant en Europe (2004) Compagnies Code IATA OAG Pays Démarrage Avions* Vols Sièges (106)ASK (109) E8 Y Y Italie 8 13 469 1.27 0.80 Bmi Baby WW N Y UK 13 25 416 3.54 2.87 Deutsche BA DI N Y Allemagne 2002/4 16 41 710 5.67 2.95 Easyjet U2 N Y UK 1995/11 77/120/120 168 416 25.02 21.60 Evolavia 7B N N Italie 2002 Flybe BE N Y UK 46 66 463 4.91 2.34 FlyGlobespan EXS N N UK 3 Germania ST N Y Allemagne 17 27 853 2.79 2.69 Germanwings 4U N Y Allemagne 2002/10 10 19 118 2.73 2.33 GetJet N N Pologne 2 Hapag Lloyd Express X3 Y Y Allemagne 2002/12 10 5 946 0.86 0.73 Iceland Express AEU N N Islande 2003/2 1 Intersky 3L N Y Autriche 2002/9 2 3 142 0.17 0.10 Jet2 LS N Y UK 7 8 196 1.16 1.41 Kullaflyg N N Suède 2003/4 2 Monarch Scheduled ZB N Y UK 22 8 514 1.76 3.18 MyTravel Lite VZ N Y UK 11 12 236 2.20 3.31 Norwegian DY N Y Norvège 2002/9 7 21 271 3.15 2.25 Ryanair FR N Y Irlande 1991 74/125/125 184 929 30.29 25.46 Sky Europe Airlines NE N Y Slovaquie 2002/2 4 5 444 0.23 0.17 Skynet Airlines SI N Y Irlande 2 1 256 0.19 0.23 Snalskjutsen (TF) N N Suède 2002/10 12 Snowflake N N Suède 2003/3 4 Sterling European NB N Y Danemark 2002 8 9 217 1.73 3.08 Virgin Express TV N Y Belgique 1996 14 14 788 2.16 2.53 Volareweb VA Y Y Italie 2003/2 8 8 992 1.62 1.34 Windjet IV N Y Italie 3 7 322 1.32 0.79 En comparaison : British Airways BA Y Y UK 1974 330 450 766 65.13 192.41 Alitalia AZ Y Y Italie 1947 186 215 089 28.90 39.47 SN Brussels Airlines SN Y Y Belgique 2002 32 61 903 5.87 7.48 * Existants / commandés / en option Cases blanches : pas de données dans OAG 2004 et/ou pas de réponse Sources : calculs personnels d'après OAG, sauf flottes (Airliners World et compagnies) Tableau 34 : liste et volume de l’offre des compagnies low-cost européennes (2004)

Top 10 des compagnies selon le volume de leur offre intra-ouest-européenne (2004) # Compagnies Vols (milliers) Sièges (millions) 1 Air France AF 413.5 42.0 2 Lufthansa LH 399.4 40.6 3 Iberia IB 324.3 39.5 4 British Airways BA 352.8 37.1 5 SAS SK 266.2 31.5 6 Ryanair FR 184.9 30.3 7 Easyjet U2 164.0 24.4 8 Alitalia AZ 186.5 23.7 9 KLM KL 156.9 15.2 10 Swiss LX 120.5 11.8 Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 35 : les principaux producteurs de l’offre intra-ouest-européenne (2004)

159 7.4. Géographie des réseaux low-cost

7.4.1. Une prédilection pour les régions métropolitaines et touristiques ouest-européennes

Nous avons calculé qu’en 2004, 97% (selon le nombre de vols) ou 98% (selon le nombre de sièges) de l’offre opérée par les LCC l’ont été au sein de l’Europe occidentale, le solde correspondant à des vols Est – Ouest. Au sein du marché intra-ouest-européen, les LCC représentaient, en 2004, près de 1/5 de l’offre exprimée en sièges offerts (Tableau 36) et sont présentent sur 22% des routes. C’est dire si la montée en puissance des LCC est une réalité.

Part des LCC dans l'offre intra-ouest-européenne (2004) Toutes compagnies Classiques Low-cost Vols (millions) 4.8 4.1 0.6 13.3% Sièges (millions) 502.4 411.7 90.7 18.1% ASK (millards) 396.9 319.2 77.8 19.6% Routes (inter-villes) 2 629* 2 284 579 22.0%* * Certaines routes sont exploitées tant par les compagnies classiques que par les low-cost. Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 36 : contribution des compagnies low-cost à l’offre ouest-européenne (2004)

Pour autant, tous les territoires ne sont évidemment pas desservis avec la même ferveur. Le croisement de l’offre low-cost (au départ) avec la typologie économique des régions eu- ropéennes (Tableau 37) montre qu’en termes absolus, l’offre low-cost vise d’abord les ré- gions métropolitaines. Cependant, elle y pèse peu dans l’offre totale (11%) puisque ces ré- gions sont par ailleurs massivement desservies par les compagnies classiques. L’analyse des indices de spécificité présente une toute autre situation : l’offre low-cost est extrêmement spécifique dans les zones subcentrales (3,15), où elle représente par ailleurs près de la moi- tié de l’offre aérienne ! Les zones intermédiaires et périphériques ont une offre low-cost relativement spécifique et localement significative (20 et 17%).

Poids et spécificité de l'offre aérienne low cost selon le type économique des régions ouest-européennes (synthèse, 2004) Part Spécificité Contribution Métropolitain 11% 0.75 43% Central 14% 0.93 15% Subcentral 47% 3.15 17% Intermédiaire 20% 1.36 9% Périphérique 17% 1.14 16% Non localisé 1% Total / moyenne 15% 100% Sources : OAG, Vandermotten et Marissal (2000) - Traitement : F. Dobruszkes Tableau 37 : contribution des compagnies low-cost par type économique régional (2004)

Ces résultats sont le reflet des stratégies de développement des compagnies low-cost compte tenu de la préexistence des compagnies classiques et des contextes socio- économiques régionaux : dans les régions métropolitaines et centrales, les compagnies classiques sont bien im- plantées, les aéroports souvent saturés et coûteux à l’usage, et les aéroports secondai- res peu nombreux ; la concurrence est donc dure et certaines compagnies low-cost refu- sent tout simplement de les desservir sauf en cas d’aéroport urbain secondaire (Ryanair au contraire d’Easyjet) ; cependant, il s’agit d’un marché volumineux à ne pas négliger

160 et pour lequel même une faible part de l’offre détenue par les compagnies low-cost si- gnifie cependant un volume d’offre déjà conséquent, surtout par rapport aux autres ty- pes de régions ; l’offre low-cost y représente une faible part locale mais constitue près de 6/10 de l’offre low-cost totale ; les régions subcentrales sont relativement délaissées par les compagnies classiques (surtout si elles ont recentré leur offre sur un hub) ; elles sont cependant proches du volumineux et « riche » marché des régions métropolitaines et centrales tout en étant dotées d’aéroports secondaires ; ces régions ont pour enjeu leur reconversion économi- que (régions de vieille industrie ou désindustrialisées, Midlands post-industriels,…) et leur insertion internationale dans le jeu européen ; dans un contexte de libéralisme ba- layant les objectifs « d’équilibre territorial » et conduisant à la concurrence inter-villes ou inter-régions, les gestionnaires publics des villes dites entrepreneuriales, soucieux ou forcés d’attirer investisseurs et populations « renouvelées », attachent de l’importance aux dessertes TGV et/ou aériennes (Pinson, 1992), ce qui peut conduire à offrir des avantages divers aux transporteurs ; l’offre low-cost y très spécifique et y représente aujourd’hui la moitié de l’offre ; les régions intermédiaires sont pour partie dans une situation comparable mais avec des PIB inférieurs et des densités de population et d’activités plus faibles également ; les régions périphériques sont généralement pauvres (Fennoscandie exceptée) et peu peuplées ; elles génèrent moins de demande, sauf typiquement en tant que pôles tou- ristiques s’agissant des régions méditerranéennes et atlantiques ; vers ces dernières, les compagnies low-cost ont déjà largement pris la place des compagnies charters (cf. in- fra).

Si l’on regarde la répartition quantitative de l’offre low-cost selon les couples de régions économiques (Tableau 38), on constate que ce sont les relations entre régions métropolitai- nes et entre régions métropolitaines et centrales qui dominent (32% au total). On note éga- lement le poids des liaisons entre régions métropolitaines et périphériques (18%), qui correspondent largement aux liaisons entre grandes agglomérations et régions touristiques du sud. Ce n’est cependant pas sur ces marchés que l’offre low-cost est spécifique (Tableau 39), au contraire. Ce sont en fait surtout les liaisons de ou vers les régions sub-centrales et, dans une certaine mesure, intermédiaires, qui font l’originalité de l’offre low-cost. Sur les marchés métropolitains, centraux et périphériques par contre, l’offre low-cost n’a, globale- ment, rien d’originale, mais encore faut-il analyser les réseaux à l’échelle désagrégée des routes (cf. 7.4.3).

Répartition de l'offre low-cost selon la typologie économique des régions (2004) D'après le nombre de sièges offerts. Toute l'offre low-cost. Régions de destinations Régions d'origine total M C S I P Indét. Métropolitaines 44.0% 15% 8% 5% 6% 9% 1% Centrales 13.3% 8% 1% 2% 0% 1% 0% Sub-centrales 16.4% 5% 2% 1% 2% 6% 0% Intermédiaires 8.7% 6% 0% 2% 0% 0% 0% Périphériques 16.7% 9% 1% 6% 0% 1% 0% Indéterminé 0.8% 1% 0% 0% 0% 0% 0% Régions métropolitaines à l'origine et/ou à l'arrivée : 73%

Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 38 : desserte low-cost vs typologie économique des régions (2004)

161 Répartition de l'offre low-cost selon la typologie économique des régions (2004) En spécificité par rapport à l'offre totale, selon le nombre de sièges offerts, Europe occidentale seulement. Régions de destinations Régions d'origine total M C S I P Métropolitaines 0.84 0.64 0.85 1.88 1.12 0.88 Centrales 0.83 0.85 0.45 3.59 0.42 0.47 Sub-centrales 2.81 1.86 3.59 2.26 4.32 4.03 Intermédiaires 1.16 1.12 0.42 4.33 0.58 0.72 Périphériques 0.92 0.87 0.49 4.01 0.74 0.12

Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 39 : spécificité de la desserte low-cost vs typologie économique des régions (2004)

En outre, si les LCC sont, pour l’Europe occidentale, un important moteur de croissance de l’offre (42% de la croissance 1995-2004), les régions subcentrales leur doivent presque toute leur croissance de l’offre (87%) et les régions intermédiaires presque deux tiers (Tableau 40), ce qui confirme bien que les LCC constituent, pour ces régions, une aubaine inestimable qui les replace tant bien que mal dans le jeu de quilles.

Croissance de l'offre aérienne régulière imputables aux compagnies low cost (1995-2004) Europe occidentale, selon le nombre de sièges offerts Croissance totale Croissance Type économique (millions sièges) due aux LCC Métropolitain 108.6 34% Central 34.7 37% Subcentral 16.6 87% Intermédiaire 11.2 64% Périphérique 29.4 43% Non localisé 1.3 22% Total / Moyenne 201.9 42% Sources : OAG - Traitement : F. Dobruszkes Tableau 40 : contribution des LCC à la croissance de l’offre (1995-2004)

7.4.2. Principales caractéristiques communes

La cartographie des réseaux des 20 LCC dont l’offre nous est connue (Figure 90 & Figure 91) montre une grande diversité dans l’ampleur des réseaux et dans une certaine mesure de leurs caractéristiques. Toutefois, un certain nombre de points communs s’en dégage.

162

Figure 90 : les réseaux low-cost européens en 2004 (1/2)

163

Figure 91 : les réseaux low-cost européens en 2004 (2/2)

Vols court- et moyen-courriers occidentaux : Tout d’abord, il est très clair que les vols sont du type court- ou moyen-courrier1 et centrés sur l’Europe occidentale. Nous avons calculé que la distance médiane et le temps médian sont de 634 km et 1,4 h ; 70 % des vols low-cost européens parcourent moins de 1000 km (Figure 92).

1 Selon Merlin (2000), court-courrier = max. 1000 km et moyen-courrier = 1000-3000 km.

164 Distance des vols low-cost européens (2004)

ées 100%

90%

80%

Fréquences cumul 70%

60%

50%

40%

30%

20%

10%

0% 0 500 1 000 1 500 2 000 2 500 3 000 3 500 4 000 4 500

Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes km

Figure 92 : distribution de fréquences de la distance des vols low-cost européens (2004)

Les liaisons moyen- ou long-courriers demeurent rares, y compris hors Europe (Francis et al., 2007). Les raisons en sont multiples. Il faut tout d’abord citer la quasi-absence de libé- ralisation entre les États membres de l’EEE et le reste du monde. Mais en outre, Franke (2004) et Francis et al. (2007) détaillent les raisons qui font que le modèle low-cost habituel est peu adaptable au segment long-courrier. Premièrement, en long-courrier, peu de liai- sons point-to-point sont à même de remplir les avions aptes à parcourir les longues distan- ces et dont la capacité est généralement élevée1. Ceci imposerait donc des correspondances aux passagers, voire la création de hubs low-cost qui augmenteraient les coûts et compli- queraient l’exploitation des vols. Pour donner une idée, 60% des passagers Londres – Chi- cago d’American Airlines prennent une correspondance à Chicago, et ce taux atteint 85% sur les vols Manchester – Chicago (Francis et al., 2007). Deuxièmement, la durée des vols long-courriers rend inévitable un certain nombre de surcoûts : hébergement des équipages qui ne peuvent être opérationnels sur le vol aller et le retour qui suit, écartement des sièges plus élevé que pour des vols court- ou moyen-courrier, nécessité de prévoir des repas et boissons2, nécessité de maintenir un nombre plus élevé de toilettes (au détriment du nom- bre de sièges). Troisièmement, il est beaucoup plus difficile d’induire une demande nou- velle, du fait de tarifs plus bas, sur le segment long-courrier. Autant de nombreux passa- gers sont prêts à aller découvrir Rome du fait de tarifs attractifs, autant les attirer à San Francisco ou même New York est bien plus incertain du fait du coût total du voyage (avec le logement, les repas, les distractions,…)3. Enfin, l’utilisation d’aéroports secondaires est contrecarrée par le fait que ceux-ci sont rarement adaptés aux avions long-courriers, et

1 Dans les configurations à haute densité de sièges, selon les sous-modèles, 293 à 335 places pour les A330, 300 à 419 places pour l’A340, 452 places pour le B747, 400 places pour le B777. En comparaison, un A319 à classe unique propose 134 places et un B737-800 à classique unique 189 places (sources : Airbus et Boeing). Selon Francis et al. (2007), le plus petit avion long-courrier raisonnablement utilisable sur le marché transatlantique est le B767-300ER, dont la capacité est de 351 sièges en haute densité. 2 Encore que le repas pourrait être proposé en option aux passagers, comme ce fut le cas sur le « Skytrain », liaison à bas prix exploitée entre 1977 et 1982 entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. Précurseur de l’offre low-cost et étant parvenu à 1/5 de parts de marché, il n’a cependant pas résisté à la riposte de Bristish Airways (source : encyplopédie Wikipédia). 3 Il faut également signaler les facilités offertes aux citoyens européens en termes de libre circulation intra-européenne.

165 hypothétiquent plus encore la mise en correspondance des vols court- et long-courriers. Finalement, c’est le poste de la main d’œuvre qui semble le plus comprimable, sans attein- dre pour autant les proportions constatées sur les vols low-cost court-courriers. A l’opposé, les FSNC sont déjà performantes sur le segment long-courrier, pour différentes raisons : existence d’une clientèle d’affaires prête à payer des tarifs élevés en classes busi- ness ou first, et permettant de vendre les sièges économiques à des tarifs très attrac- tifs (tarifs dans un rapport de 1 à 40 sur certains vols !) ; taux de remplissage bien plus élevés que sur leurs vols européens ; utilisation importante des avions compte tenu de la longueur des trajets, et atteignant 15-16 h de vol par 24h chez Lufthansa ou KLM, garantis- sant ainsi la réalisation d’importantes économies de densité. C’est ainsi que les vols de Vir- gin Atlantic ont un coût par siège-km inférieur de 43% au coût d’Easyjet en Europe (Francis et al., 2007). Au total, Dennis (2004) estime que sur le segment long-courrier, les LCC ne pourraient pro- poser des tarifs que 10 à 20% moins chers que ceux des FSNC. Francis et al. (2007) avan- cent un chiffre plus précis de 22% pour des distances de 4 000 miles (Londres – Chicago). Et encore, ceci sans tenir compte de la riposte inévitable des compagnies classiques, qui jadis ont déjà évincé le Skytrain de Freddie Laker.

Nord-sud plutôt qu’est-ouest : Il est manifeste que de nombreux réseaux sont conçus pour transporter les voyageurs vers les destinations touristiques de la Méditerranée ou des îles Canaries (Sterling European, Monarch Scheduled, MyTravel Lite,…), comme le font ou le faisaient les compagnies char- ters. Il en résulte que, globalement, l’offre low-cost européenne est orientée nord – sud plutôt qu’est – ouest.

Également sur le segment domestique : Diverses LCC opèrent également des vols domestiques, en particulier dans les grands pays où le train est peu développé (Suède, Norvège) ou devenu problématique et coûteux (Grande-Bretagne) ou simplement coûteux (Allemagne). A l’opposé, dans un pays centralisé comme la France, où les relations de province à province ont un succès limité (cf. point 9) et où le TGV irrigue une partie significative du territoire et offre des billets à prix réduit à condition de réserver à l’avance (billets « Prem’s 1 » à 25 € par trajet), les LCC se sont à peine développées sur le marché intérieur, et se sont limitées aux liaisons à plus fort trafic (Easyjet sur Paris – Nice et Paris – Toulouse). Il faut en outre signaler la saturation de l’aéroport d’Orly (compte tenu de la régulation plafonnant le nombre de vols). A l’opposé, dans un pays multipolaire comme l’Allemagne, qui rend la demande plus « brownienne » et rend plus coûteuse en investissements une bonne couverture par les infrastructures ferro- viaires à grande vitesse, les vols intérieurs low-cost ont rencontré une importante demande, en concurrence frontale avec Lufthansa et les ICE.

Héritage des charters ? Il est intéressant de constater que les principaux réseaux ont été développés depuis des pays où il existe une forte tradition de vols charters (Grande-Bretagne, Allemagne, Suède, Norvège, Belgique). Les vols charters étant des vols au service plus simple, on peut suppo- ser que l’acceptation de vols low-cost sans fioritures (« no frills ») y a été plus forte qu’ailleurs et offrait donc un terreau favorable. A l’inverse, un pays comme la France, dont le public est traditionnellement moins porté sur les charters, connaît une offre low-cost soit en tant que destination touristique pour les publics étrangers, soit dans le cadre de liaisons internationales entre grandes villes.

Ancrages nationaux forts : Il est manifeste que l’ancrage national, très fort chez les compagnies classiques, est égale- ment de mise chez les LCC. La plupart de leurs réseaux sont en effet centrés sur leur pays d’origine, et c’est là un paradoxe dans la mesure où ces compagnies sont un produit de la libéralisation du transport aérien en Europe. On aurait donc pu s’attendre à ce qu’elles profi- tent des nouvelles libertés offertes, en faisant un usage extensif des 5e à 9e libertés de l’air.

166 Même si les LCC font plus usage de ces libertés que les FSNC1 (Tableau 41) et exploitent ainsi autant de routes que ces dernières, cela reste malgré tout dans des proportions relati- vement limitées (les ¾ des vols low-cost partent et arrivent dans le pays d’origine de la compagnie) et tient surtout au réseau de Ryanair, seule compagnie à réellement profiter de cette aubaine (cf. 5.6 p. 73).

L'usage des 5e à 9e libertés de l'air (2004) UE15, Norvège, Islande et Suisse. SAS exclue. Selon Cas* Routes Vols Sièges LCC 342 342 24.4% 29.1% FNSC 395 347 2.3% 1.6% * Route + compagnie. Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 41 : l’usage des 5e à 9e libertés de l’air (2004)

Des centrages originaux : Au contraire de nombreux flag carriers, les LCC n’opèrent pas nécessairement depuis les capitales ou les grandes régions métropolitaines. A la recherche de niches, une partie d’entre elles se concentre sur des aéroports régionaux qui sont les laissés pour compte des FSNC et des réseaux TGV. Lorsque les régions métropolitaines sont desservies, cela passe éventuellement par des aéroports « bis » généralement plus éloignés (Beauvais pour Paris, Hahn pour Francfort, Charleroi pour Bruxelles,…).

Des bases mais pas des hubs : Enfin, on constate que les réseaux de chaque compagnie sont éventuellement concentrés, sur un ou plusieurs nœuds. Pour autant, il ne s’agit pas de hubs et, même en cas de concentration temporelle des vols comme le pratique par exemple Ryanair à Charleroi, les vols et passagers ne sont pas mis en correspondance. Comme nous l’avons dit, les LCC eu- ropéennes vendent des billets sans correspondance. Si le voyageur veut passer d’un avion à l’autre, il lui faut acheter deux billets consécutifs, récupérer ses bagages et les faire ré- enregistrer sur le second vol, et assumer seul tout problème de correspondance manquée.

7.4.3. Principales différences : une typologie des réseaux low-cost

En vue de discriminer les réseaux selon leurs caractéristiques, nous avons réalisé une ana- lyse en composantes principales (ACP) sur base de variables décrivant les réseaux (Tableau 42), d’une part selon le volume de l’offre (Tableau 34) et, d’autre part, selon leur organisa- tion spatiale (Tableau 43). L’ACP restitue 92% de l’information originelle (soit 53,6%, 20,6%, 10,9% et 6,9% pour les composantes 1 à 4).

1 En excluant SAS, compagnie tri-nationale pluri-centrée sur les trois pays scandinaves mais enregistrée en Suède.

167 Variables soumises à l'analyse en composantes principales pour chaque réseau low-cost (2004) Variables Description Volume : logASK logarithme des sièges-km logFlights logarithme du nombre de vols logSeats logarithme du nombre de sièges offerts Organisation spatiale : Destinations nombre d'aéroports desservis Routes nombre de routes opérées %Exclusiv. proportion de vols opérés sans concurrents %Internat. part des vols internationaux %Charter part des vols imitant géographiquement les vols charter compte-tenu de leur origine et leur destination %5th-9th part des vols opérés en 5e, 6e, 7e, 8e ou 9e liberté de l'air Tableau 42 : variables soumises à l’ACP sur les réseaux low-cost

Caractéristiques spatiales et typologie des réseaux low-cost européens (2004) Compagnie Code Destin. Routes Exclusivités Vols 5e-9e libertés Imitation Typo. (a) (a) internat. (b) charters Alpi Eagles E8 9 11 27% 13% 0.0% 100.0% C Bmi Baby WW 24 39 59% 64% 0.0% 26.7% D Deutsche BA DI 8 13 31% 6% 0.0% 5.1% C Easyjet U2 38 119 65% 62% 9.8% 31.9% D Flybe BE 32 56 77% 22% 0.0% 3.2% D Germania ST 17 27 15% 68% 7.8% 25.1% D Germanwings 4U 32 33 70% 83% 0.0% 16.9% B Hapag Lloyd Express X3 19 21 86% 72% 0.0% 27.4% A Intersky 3L 5 5 100% 57% 67.2% 0.0% A Jet2 LS 13 12 91% 85% 0.0% 49.0% A Monarch Scheduled ZB 11 16 31% 100% 0.0% 90.9% C MyTravel Lite VZ 14 15 60% 90% 0.0% 53.8% C Norwegian DY 21 23 35% 22% 0.0% 3.5% D Ryanair FR 84 146 93% 94% 71.1% 11.5% B Sky Europe Airlines NE 9 8 88% 67% 0.0% 0.0% C Skynet Airlines SI 4 3 67% 75% 0.0% 0.0% C Sterling European NB 14 21 33% 98% 45.0% 62.6% A Virgin Express TV 15 15 23% 100% 8.2% 37.2% C Volareweb VA 23 37 38% 47% 2.0% 60.0% C Windjet IV 5 6 33% 0% 0.0% 100.0% C Total / Moyenne 397 625 64% 63% 24.9% 23.6% Par comparaison : British Airways BA 216 308 67% 6.6% Alitalia AZ 81 156 49% 0.0% SN Brussels Airlines SN 47 46 100% 0.0% (a) Une route = aller et retour. Entre aéroports, à l'échelle des segments (vol A-B-C = A-B & B-C) (b) EEE + Suisse. Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 43 : spatialité et typologie des réseaux low-cost européens (2004)

La projection des saturations sur le plan des deux premières composantes (Figure 93) mon- tre un intéressant positionnement des variables. La première composante concentre, côté positif, les variables relatives à l’importance quantitative de l’offre (vols, sièges, ASK) et d’envergure du réseau (routes et destinations). La deuxième composante oppose les ré- seaux à fort taux d’exclusivités et d’usage des 5e à 9e libertés de l’air aux réseaux imitant géographiquement les vols charters.

168 Saturations sur CP1/CP2 1.00 CP2 %Exclusiv.

0.80

%5th-9th Type A 0.60 Type B

0.40 %Internat.

Destinations 0.20 Routes

0.00 -1.00 -0.80 -0.60 -0.40 -0.20 0.00 0.20 0.40 0.60 0.80 CP1 1.00

temps de vol par avion -0.20 logFlights

logSeats -0.40 logASK

Type C %Charter Type D -0.60

-0.80

Variables originelles Variable projetée -1.00 seuil de significativité

Figure 93 : coefficients de saturation et typologie des LCC européennes (2004)

Cette répartition des variables permet, par croisement des deux composantes, l’établissement d’une typologie des réseaux, dont les caractéristiques doivent s’entendre comme plus ou moins importantes qu’en moyenne pour l’ensemble des réseaux étudiés : − type A : petits réseaux, offre limitée, nombreuses exclusivités (par exemple Intersky) ; − type B : grands réseaux, offre importante, nombreuses exclusivités (par exemple Rya- nair) ; − type C : petits réseaux, offre limitée, imitation géographique des charters (par exemple Windjet) ; − type D : grands réseaux, offre importante, imitation des charters (par exemple Easyjet).

La projection des scores sur le plan de deux premières composantes (Figure 94) permet d’assigner ces quatre types aux réseaux des compagnies.

169 Scores sur CP1/CP2 2.5 3L Exclusivités / 5e liberté de l'air

2.0

1.5 FR NE SI

Type A 1.0 Type B

X3

LS 0.5 4U Petit réseau / offre faible Grand réseau / offre importante

0.0 NB BE -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 3.0 3.5 VZ WW

TV Type C -0.5 Type D U2 VA DY ST ZB

-1.0 DI

IV E8 Imitation géographique des charters -1.5 Figure 94 : scores et typologie des LCC européennes (2004)

Types A & C vs types B & D : diversité de volume et d’envergure L’importance de l’offre et des réseaux varie en rapport avec différents facteurs. Les facteurs favorables à des compagnies développées sont : − l’ancienneté : les jeunes compagnies ont classiquement un réseau plus restreint (voir par exemple Intersky, créée en 2001) ; − des investisseurs puissants : compagnies lancées sur base d’une compagnie pré- existante et/ou par un groupe de poids (par exemple EBA Express acquise par Virgin Group pour être transformée en Virgin Express, Hapag Lloyd Express émanant de TUI) ; − la volonté d’expansion et la capacité à lever des fonds à cette fin (typiquement le cas d’Easyjet et Ryanair, cotées en bourse et dont la capitalisation à de quoi faire frémir les compagnies classiques1) ; − l’acquisition de compagnies concurrentes (Go acquise par Easyjet ou Buzz par Ryanair, avec incorporation de leurs moyens et, au moins partiellement, de leurs réseaux) ; − la façon d’organiser la maximisation de l’utilisation des avions, les possibilités pouvant être la concentration des moyens sur un nombre plus réduit de lignes ou, en cas de tra- fic insuffisant, une diversification des dessertes (Figure 95) ; cette différenciation est il- lustrée par une comparaison entre routes et fréquences pratiquées par Easyjet et Rya- nair qui, pour une flotte et un temps de vol annuel comparables, présentent des ratios vols / route différents, Easyjet jouant sur les fréquences et Ryanair sur les routes (Tableau 44).

1 En avril 2004, la capitalisation d’Easyjet était de 1,21 milliard d’euros et celle de Ryanair de 3,75. En comparaison, celle d’Air France / KLM s’établissait à 4,16, celle de Bristish Airways à 4,96 et celle d’Iberia à 2,58 (Source : Barrett, 2004b).

170

Figure 95 : réseaux et maximisation de l’utilisation des avions

Deux façons de produire des économies de densité : Easyjet vs Ryanair (2004) Routes / Vols / Avions Heures volées Vols Routes avion route Type Easyjet 77 460 076 168 416 238 3.1 708 plus de fréquences, moins de routes Ryanair 74 448 708 184 929 292 3.9 633 plus de routes, moins de fréquences Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 44 : économies de densité par les fréquences ou par les routes

Dans tous les cas, les compagnies qui atteignent une importance significative sont celles qui maximisent l’utilisation de leurs avions et parviennent à limiter l’immobilisation de cet im- portant coût fixe. En témoigne la projection, en tant que variable complémentaire, du temps de vol par avion sur le graphique des saturations, où il apparaît à proximité des variables de volume d’offre et de développement du réseau (Figure 93). A l’inverse, être une grande compagnie (ou planifier le fait de le devenir très rapidement) est un critère important pour bénéficier de conditions intéressantes au niveau des aéroports et de l’acquisition des avions.

171

Figure 96 : le développement du réseau de Ryanair

Ryanair fournit un bel exemple de croissance au départ d’un réseau initialement restreint (Figure 96). De 1991 à 1995, son réseau est limité et centré sur le marché irlando- britannique, précocement libéralisé. Puis, profitant de la libéralisation à l’échelle euro- péenne, le réseau est étendu tout en restant centré sur Dublin et Londres Stansted. À partir de 2004, la compagnie développe plusieurs bases continentales (« Bruxelles » Charleroi, « Francfort » Hahn, « Barcelone » Gérone,…) au départ desquelles la compagnie rayonne vers divers aéroports. En 2005, on compte 12 bases principales et 214 routes (428 en comptant l’aller et le retour). Le rachat de Buzz à KLM a permis d’ajouter rapidement des destinations qui ne figuraient pas dans le réseau de Ryanair, en particulier entre Londres et la province française. Sans céder au discours d’autosatisfaction de la compagnie, il est diffi- cile de nier qu’une telle croissance témoigne d’une intense activité entrepreneuriale et que celle-ci tranche tant avec le régime régulé du passé qu’avec l’instabilité des compagnies classiques ou du moins leur position plus défensive qu’offensive.

172 Types A et B : l’importance des routes spécifiques Sur les 625 paires d’aéroports opérées par des LCC en 2004, 72% ne sont exploitées par aucune compagnie classique. En outre, on constate que 64% des routes inter-aéroports exploitées par les LCC le sont en exclusivité, donc sans aucun compétiteur (ni classique ni low-cost), Ryanair en ayant fait un principe de base (93%)1. Ceci reflète d’une part l’utilisation d’aéroports secondaires et, d’autre part, la création de liaisons de niche. L’usage des aéroports secondaires, soit régionaux, soit urbains « bis », généralement pro- ches de grandes villes ou desservant une région densément peuplée et/ou touristique, per- met une réduction des coûts tel que mentionné plus haut. C’est ainsi que Ryanair, qui ne vole presque que depuis des aéroports secondaires2, opère par exemple des vols Charleroi – Trévise ou Londres Stansted – Gérone là où ses concurrentes classiques opèrent respecti- vement des vols Bruxelles-National – Venise ou Londres Heathrow ou Gatwick – Barcelone. En cas d’absence d’aéroport secondaire, Ryanair évite la destination, et c’est ainsi que la compagnie snobe Athènes. Au contraire, d’autres compagnies sont plus souples, telle Easy- jet qui dessert Athènes, Barcelone et non Gérone, Paris Orly et CDG3 plutôt que Beauvais, ce qui ne l’empêche pas de rayonner depuis les deux aéroports londoniens low-cost (Stans- ted et Luton) outre Gatwick. Si l’on exclut le cas d’Easyjet, les compagnies recourant aux aéroports classiques sont plutôt des middle-cost que de pures low-cost (par exemple Ger- mania ou Virgin Express). Toujours est-il que la part d’exclusivités tient en fait pour partie à l’utilisation de ces aéro- ports secondaires. Or, dans le cas d’aéroports secondaires proches du marché des aéroports classiques, l’exclusivité n’est que de façade. Opérer un vol depuis Rome Ciampino plutôt que depuis Rome Fiumicino n’est guère un inconvénient pour les passagers point-to-point, et l’on peut donc dire qu’en termes géographiques, un vol Rome Ciampino – Dublin n’est pas une exclusivité par rapport à un vol Rome Fiumicino – Dublin. En comptant donc les exclusivités sur base des relations inter-villes plutôt qu’inter-aéroports, la part des routes exploitées sans concurrent classique est de 60,6% (au lieu de 72%) et sans concurrent du tout est de 49% (au lieu de 64%). Et si l’on accepte que les aéroports low-cost éloignés (Hahn, Beauvais,…) sont équivalents aux aéroports plus urbains (Francfort, Paris CDG / Or- ly,…), ces parts sont respectivement de 54% et 44%. Donc, même en assimilant les aé- roports low-cost éloignés aux aéroports classiques, la moitié de l’offre low-cost correspond à des lignes exclusives.

L’utilisation d’aéroports secondaires explique donc plus de la moitié des exclusivités des LCC. L’autre moitié correspond à des relations de niche dont l’objectif est soit de répondre à une demande insatisfaite soit de susciter une demande nouvelle. Ces relations de niche re- lèvent soit de marchés relativement importants mais délaissés par les FSNC, soit de petits marchés spécifiques. Concernant ces derniers, la desserte de la France par Buzz puis Rya- nair est exemplaire de la réponse à une demande insatisfaite. En 2004, 15 aéroports régio- naux français sont connectés à Londres Stansted par Ryanair, dont 14 en exclusivité. Buzz puis Ryanair ont répondu à l’importance préexistante de résidences secondaires de sujets britanniques dans l’ouest et le sud de la France, en leur offrant des liaisons directes qui n’existaient jadis pas, obligeant les voyageurs à des parcours terminaux terrestres impor- tants (Dobruszkes, 2005). En se rapprochant au mieux des résidences secondaires, Buzz / Ryanair font gagner du temps aux Britanniques, ce qui leur permet d’envisager des courts séjours plus fréquents, par exemple à l’occasion de longs week-ends. S’agissant de la demande induite, il est clair que les tarifs écrasés sont de nature à susciter des voyages qui n’auraient pas eu lieu aux tarifs normaux.

Types C et D : low-cost vs charters La tendance à imiter la géographie des vols charters vaut pour une partie des LCC et pose clairement la question de l’avenir des compagnies charters (CC). Selon Mason et al. (2000),

1 Calculs effectués en ne retenant que les liaisons offrant minimum 52 vols / an. 2 Une brèche a cependant été ouverte en 2006 par l’implantation d’une base de Ryanair à Madrid Barajas (cf. 7.6.1 p. 184). 3 Mais dans le terminal 3, terminal basique dédié aux compagnies charter et low-cost.

173 les LCC ont en moyenne un coût par siège supérieur à celui des CC (plus du double concer- nant Easyjet et Ryanair par rapport aux principales britanniques, en 1997). Cette différence tient principalement à des taux de remplissage plus élevés encore et à l’utilisation d’avions plus grands et sur de plus longues distances, facteurs importants de diminution des coûts unitaires (Figure 97 & Figure 98). Il faut cependant segmenter le marché en fonction de la distance. Comme Williams (2001) le montre, les CC ne peuvent guère concurrencer les LCC pour des vols de moins de 2,5 h (soit 1 200 – 1 600 km), et plus spécialement pour les courts séjours et/ou VFR (visit to friends and relatives). Sur ces marchés, les vols low-cost ont d’ores et déjà massivement remplacé les vols charters (par exemple Londres – Pise ou Londres – Florence, où les char- ters ont disparu seulement deux années après la mise en service des lignes concurrentes par Ryanair). Pour de tels séjours, les LCC ont l’avantage de la facilité : vols plus fréquents, possibilités de réservation par Internet, indépendance vis-à-vis de tout package).

Figure 97 : coûts unitaires et taille de l’avion Source : Doganis (2002).

Figure 98 : coûts unitaires et distance de vol Source : Doganis (2002).

Sur de plus longues distances par contre (plus de 2 000 km), les CC n’ont pas dit leur der- nier mot et les LCC y sont d’ailleurs presque absentes, comme indiqué supra (Figure 92). En outre, les destinations lointaines appartiennent largement à des pays hors champ de la libé-

174 ralisation du transport aérien façon européenne (Tunisie, Égypte, Turquie,…), facteur limi- tant pour le développement des LCC. En l’état actuel des choses et sans parler des compagnies classiques, il y a donc une réparti- tion des rôles entre low-cost sur les vols court-courriers et charters sur des distances plus longues, comme le montre une étude partielle couvrant cinq pays européens et les destina- tions court- et moyen-courriers (Figure 99).

Figure 99 : distance et type de compagnie depuis cinq pays européens Source : Dobruszkes, Schepens et Decroly (2006)

De l’autre côté, les CC sont intégrées à des packages financièrement avantageux pour qui ne veut pas organiser son voyage, quitte à perdre en liberté mais la liberté n’est générale- ment pas le desideratum principal de leurs touristes. En outre, historiquement, les CC sont plus habituées à la concurrence que les FSNC et peuvent, dans une certaine mesure, se flexibiliser. Certaines vendent ainsi des vols indépendamment de tout package (« seat on- ly ») avec possibilité de réservation directement via Internet. Il faut en outre signaler que le secteur des CC est globalement économiquement viable, alors que celui des LCC n’est pas encore « épuré », plusieurs ayant déjà fait faillite (FreshAer, Jetmagic, Volareweb,…) ou n’ont même jamais démarré leurs activités. Enfin, l’adaptation des compagnies charters au nouvel environnement économique rend plus floues les limites entre LCC et CC, tandis que le capital s’adapte : − développement par les compagnies charters ou les voyagistes de filiales low-cost afin de profiter de ce nouveau marché émergent. C’est ainsi que la low-cost Monarch Scheduled appartient à Monarch et Hapag Lloyd Express au groupe TUI ;

175 − ventes de places indépendamment des packages (seat only), accessibles librement et à des prix d’appel parfois dignes des low-cost (Thomas Cook par exemple) ; − tour-opérateurs vendant des city trips individuels intégrant les vols avec compagnie low- cost ; − compagnies charters qui se muent en compagnies à prix intermédiaires (Air Berlin) ou relativisent leurs activités non-régulières au profit de vols réguliers classiques mais tou- jours à destination des espaces du tourisme balnéaire (LTU typiquement). − écoulement direct et à bas prix des places charters non-vendues (FlyGlobespan).

7.4.4. Contribution à la diversification géographique de l’offre

7.4.4.1. A l’échelle des villes

Figure 100 : nouvelles destinations et types de compagnies

Si l’on analyse la création de nouvelles destinations (Figure 100), on constate que ce sont malgré tout plutôt les compagnies classiques qui ont contribué à diversifier les dessertes depuis les villes européennes. Ceci tient notamment au fait que ces compagnies, du moins les plus importantes d’entre elles, opèrent également à l’échelle extra-européenne, au contraire des LCC. Il n’empêche que les LCC jouent en certains endroits un rôle important dans la diversification géographique de l’offre européenne. Les villes bénéficiaires de l’action des LCC — en termes de nouvelles routes — sont globalement les mêmes que celles qui ont profité de la croissance en termes de sièges low-cost offerts (destinations touristiques, grandes agglomérations au niveau desquelles les LCC ont pu développer leur offre, espace

176 britannique précocement libéralisé,…). Il faut noter l’importance que jouent les LCC dans la diversification des dessertes de l’Europe centrale, en particulier à Berlin et Bratislava (où, rappelons-le, la low-cost Sky Europe compense de facto la quasi-absence de compagnie nationale) mais aussi à Prague ou Budapest et en Pologne, et ce n’est là qu’un début de tendance qui s’est accentuée récemment. La contribution des LCC à la diversification géo- graphique joue aussi significativement pour quelques grandes villes occidentales dont la composante touristique n’est d’ailleurs pas négligeable (Rome, Londres) et diverses villes qui ont en quelque sorte été négligées, voire abandonnées, par les compagnies convention- nelles (Cologne/Bonn, tissus de villes secondaires britanniques,…).

7.4.4.2. A l’échelle des routes Nous avons déjà dit au point 6.2.3.2 (p. 90) que des compagnies low-cost sont impliquées dans 3/10 des lignes créées entre 1991 et 20051. Si l’on reprend la figure Figure 37 de la page 88 et que l’on y distingue la contribution des LCC à la dynamique, celle-ci apparaît dans toute son ampleur spatiale (Figure 101). Dans le même temps, cette carte montre aussi que si les LCC ont indiscutablement contribué à la diversification géographique de l’offre aérienne européenne, ellesne sont pas seules. La contribution des LCC apparaît maximale pour les destinations touristiques du sud (y compris Nice et Venise), à condition qu’elles ne soient pas trop éloignées (l’opposition entre Baléares et Canaries est de ce point de vue assez claire)2. Elle joue également pour les capitales des pays ex-communistes.

1 Parmi ces 3/10, certaines des nouvelles lignes ont également été ouvertes par des compagnies conven- tionnelles. 2 Bien que l’inclusion d’Air Berlin dans le groupe des LCC aurait sans doute placé les Canaries à un niveau plus proche de celui des costas espagnoles.

177 Figure 101 : nouvelles routes vs compagnies low-cost (1991-2005)

7.5. Géographie à l’échelle des aéroports

7.5.1. Situation actuelle

La géographie de l’offre low-cost à l’échelle des aéroports (Figure 102) confirme bien la focalisation des LCC d’une part sur les principales agglomérations européennes et d’autres part sur les régions touristiques. Les villes britanniques et allemandes ressortent d’autant plus qu’elles sont à la fois desservies par des vols internationaux interurbains et à destina- tion des zones touristiques du sud, et par des vols intérieurs. Ces deux pays sont en effet les principaux marchés low-cost domestiques en volume, et l’offre low-cost y représente une part élevée du marché intérieur (Tableau 45).

Figure 102 : l’offre low-cost à l’échelle des aéroports (2004)

178 Offres low-cost domestiques (2004) Seuil : minimum 2%. Type économique Millions sièges Part offre nationale Royaume-Uni 14.92 41% Allemagne 7.02 54% Italie 3.24 34% Norvège 2.47 70% France 1.45 25% Slovaquie 0.05 38% Sources : OAG - Traitement : F. Dobruszkes Tableau 45 : offre low-cost et marchés domestiques (2004)

La carte montre de manière claire à quel point l’Europe centrale était, en 2004, à peine concernée par l’offre low-cost. Rappelons que 2004 est l’année de l’entrée d’une partie de ces pays dans l’UE et, parallèlement, de l’application de la libéralisation du ciel à dater du 1er mai. Les choses évoluent depuis lors progressivement. On constate également que les destinations éloignées du « cœur » de l’Europe sont moins concernées par l’offre low-cost, notamment à cause des distances correspondantes qui sont trop importantes. L’aéroport de Londres Stansted domine sans aucun doute la scène low-cost, avec 11 mil- lions de sièges en 2004. L’offre y est très majoritairement low-cost, comme à Londres Lu- ton. Plus généralement, la carte permet de distinguer cinq types d’aéroports concernés par l’offre low-cost : 1. Les moyens ou grands aéroports traditionnels : Athènes, Dublin, Londres Gatwick, Nice,… La part de l’offre low-cost y est généralement faible ou moyenne (<50%), car ces aéroports sont avant tout desservis par les FSNC. 2. Les aéroports secondaires de grandes villes : Rome Ciampino, Londres Stansted, Lon- dres Luton,… La part de l’offre low-cost y est élevée car ces aéroports sont spécialisés (voire maintenus en service) pour ce type de marché. 3. Les aéroports régionaux suffisamment proches de grandes agglomérations pour y capter une partie de la demande, tout en desservant leur région environnante, sur des distan- ces qui peuvent être importantes en l’absence d’aéroports low-cost concurrents1 : Char- leroi au sud de Bruxelles, Liverpool desservant le tissu de villes du nord anglais, Lübeck à 70 km de Hambourg, Hahn à 130 km de Francfort, Gérone à 105 km de Barcelone,… Ces aéroports sont ultra-spécialisés dans l’offre low-cost. 4. Les aéroports régionaux éloignés de grandes agglomérations, utilisés dans le cadre de relations de niches et/ou vendus comme points de départ pour du tourisme automobile régional : en France par exemple, Ryanair utilise Tours (« Tours Vallée de la Loire »), Dinard (« Dinard Bretagne ») ou Pau (« Pau Pyrénées »). Ces aéroports sont également souvent dépendants des LCC. 5. Les habituels aéroports de zones côtières touristiques méridionales : Malaga, Alicante, Faro,… où la part des LCC est généralement élevée.

Concernant les aéroports régionaux positionnés comme aéroports « bis » d’une aggloméra- tion, leur éloignement est souvent cité comme un facteur négatif d’autant que l’accès n’y est en général facile qu’en voiture (absence de dessertes ferroviaires directes et transports collectifs terrestres généralement limités et coûteux). Pour les automobilistes cependant, il faut bien voir que ces aéroports offrent des avantages en termes de coût plus faible des parkings (Tableau 46) et éventuellement de temps d’accès pour ceux qui résident « du bon côté » par rapport à une traversée ou un contournement d’agglomération.

1 Selon une enquête menée en mai 2004 à l’aéroport de Charleroi, 13% des passagers en partance ve- naient de France et 9% des Pays-Bas. L’examen des plaques minéralogiques dans le parking de l’aéroport va dans le même sens.

179 Coût du stationnement dans différents aéroports (2006) Durée (jours) 13714 Bruxelles - front park 2 17.00 € 51.00 € 119.00 € 238.00 € Bruxelles - front park 3 15.00 € 42.00 € 79.00 € Bruxelles - vip park 35.00 € 69.00 € 137.00 € 256.00 € Bruxelles - security long term parking 94.00 € 185.00 € Charleroi - airport parking 10.00 € 30.00 € 70.00 € 100.00 € Charleroi - express parking 18.00 € 54.00 € 126.00 € 252.00 € Paris CDG - parking terminal 2 23.50 € Paris CDG - Px 15.00 € 45.00 € 105.00 € 210.00 € Paris CDG - Parc vacances 175.00 € Beauvais P1 18.00 € 30.00 € 53.00 € 81.00 € Beauvais P2 15.00 € 25.00 € 43.00 € 71.00 € Source : aéroports Tableau 46 : coût du parking dans des aéroports classiques et low-cost

Ainsi, l’aéroport de Charleroi est tout à fait intéressant pour la population motorisée qui ré- side au sud de Bruxelles et peut s’y rendre plus rapidement qu’à Bruxelles-National, surtout aux heures de pointe. Cet avantage d’accès va plus loin et concerne en fait une aire régio- nale dont l’étendue dépend des infrastructures routières et de leur état de saturation. En Belgique, c’est finalement presque toute la Wallonie qui est dans la zone d’attraction de l’aéroport de Charleroi si l’on considère le seul temps d’accès (Figure 103). Dans de tels cas, la population peut être amenée à préférer les vols low-cost non pas tant pour le prix que pour la facilité d’accès à l’aéroport correspondant. Ceci est sans doute particulièrement vrai par exemple concernant le secteur nord de Londres, desservi par les deux aéroports low- cost de la métropole alors que les deux principaux aéroports classiques sont dans le secteur sud.

Figure 103 : bassin potentiel des aéroports de Bruxelles et Charleroi Source : Vandenbulcke-Plasschaert Grégory et al. (2007)

180

7.5.2. Un important moteur de croissance pour de petits aéroports…

Comme nous l’avons vu plus haut, l’offre low-cost est en Europe un important moteur de croissance de l’offre aérienne. A l’échelle des agglomérations, donc en fusionnant les aéro- ports d’une même ville, la contribution des LCC à la croissance de l’offre entre 1995 et 2004 (Figure 104) montre que ce sont généralement les croissances des petits aéroports qui sont majoritairement ou entièrement le fait du développement de l’offre low-cost. Au niveau des grandes agglomérations, la contribution des LCC à la croissance de l’offre est plus faible, mais peut atteindre des niveaux élevés si la demande est importante et sous réserve d’aéroports « bis » permettant l’épanouissement de ce genre d’offre (Londres par opposition à Madrid, par exemple) ou en cas d’important développement de l’offre low-cost domestique (par exemple Munich).

Figure 104 : l’offre low-cost et croissance de l’offre à l’échelle des villes (2004)

7.5.3. …mais au prix d’aéroports secondaires sous dépendance

Le développement des compagnies low-cost signifie donc une (re)dynamisation de nom- breux aéroports secondaires, régionaux ou urbains, pour les raisons déjà évoquées plus haut. De nombreux aéroports secondaires déploient leurs efforts pour attirer les LCC et ainsi augmenter leurs recettes (taxes, mais aussi concessions sur les parkings et commerces). Comme l’ont montré plusieurs auteurs, le développement des réseaux low-cost peut engen-

181 drer l’émergence d’aéroports autrefois inconnus, tout en impliquant souvent une forte dé- pendance à l’égard d’une ou quelques LCC (Gillen & Lall, 2004). Cette dépendance est globalement d’autant plus importante que les aéroports voient passer un faible trafic (Figure 105)1. L’inverse n’est cependant pas nécessairement vrai : on trouve également l’un ou l’autre aéroport plus important et néanmoins spécialisé dans l’offre low- cost, en particulier Londres Stansted et, dans une moindre mesure, Dublin. Stansted appa- raît en effet comme l’un des deux aéroports londoniens spécialisés dans le low-cost (89% de ses vols), à côté de Luton (93% mais pour un volume absolu moindre) dans le cadre d’une « répartition des tâches » entre aéroports du système londonien2. La situation de Du- blin s’explique par la position qu’y occupe Ryanair, première LCC européenne et base histo- rique de la compagnie, et vraisemblablement une demande gonflée par le dynamique mar- ché irlandais de l’emploi, qui recrute sur une base européenne des jeunes travailleurs par- tant « à l’aventure » et pour lesquels une offre low-cost vient à point nommé.

Importance des aéroports et poids des compagnies low cost (Europe, 2004) 100%

Londres Luton 90% Londres Stansted 80%

70%

60%

Part des compagnies low cost 50% Cologne 40% Dublin 30%

20%

Munich 10% Paris CDG Heathrow 0% 0 20 000 40 000 60 000 80 000 100 000 120 000 140 000 160 000 180 000 200 000 220 000 240 000

Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes Décollages (toutes compagnies)

Figure 105 : dépendance des aéroports low-cost aux LCC (2004)

Quoi qu’il en soit, ce graphique confirme sans ambiguïté que de nombreux petits aéroports vivent grâce à la présence de LCC, qui sont alors en position de force pour y négocier les conditions de leur présence, et éventuellement y réduire leur offre si leurs avantages étaient diminués comme ce fut le cas à Dublin, Luton ou Manchester (Francis et al., 2003), voire à quitter l’aéroport en cas d’annulation totale des subsides par la justice (comme à Strasbourg). L’offre low-cost et ses effets présentent donc une certaine volatilité dont l’impact est, le cas échéant, d’autant plus douloureux pour les petits aéroports (Zembri, 2005). Ceci vaut en particulier pour Ryanair dont on a déjà dit qu’elle choisissait ses aéroports en fonction des avantages matériels, souvent exclusifs, qu’elle peut en retirer, ce dont ne se cachent pas les dirigeants de l’entreprise. En outre, si l’on en croit des responsables de Ryanair, celle-ci ne doit plus guère faire d’effort pour trouver de nouveaux aéroports

1 Le graphique selon le nombre sièges (plutôt que de vols) est semblable. Il faut noter que, compte tenu de la superposition des points correspondants, le graphique ne permet pas de visualiser le fait que 312 aéroports européens sur 485 ne sont pas desservis par les compagnies low-cost. 2 Heathrow n’accueille aucun vol low-cost et Gatwick est dans une position intermédiaire (23%).

182 d’accueil : ce seraient maintenant des aéroports dirigés par un management efficace et sou- cieux de croître qui courtiseraient la compagnie et non l’inverse1. On est donc passé, pour certains aéroports, à une gestion entrepreneuriale de l’infrastructure aéroportuaire consis- tant à attirer les compagnies pour le rayonnement régional et/ou générer des profits. Dans cette optique, certains aéroports ont à ce point planifié leur croissance (ou leur maintien s’ils sont délaissés par les FSNC) sur les LCC qu’ils ont construits, à leurs frais (donc sou- vent aux frais des pouvoirs publics) des aérogares dédiées aux vols low-cost. Tel est par exemple le cas de Genève qui a planifié une nouvelle aérogare dédiée à Easyjet. Ou de Mar- seille qui offre depuis octobre 2006 aux LCC une nouvelle aérogare (« mp² ») en échange de l’implantation par Ryanair de sa première base française. Grâce à ce terminal sans chi- chis (pas de climatisation, pas de moquette), contribuant à des taxes aéroportuaires rédui- tes2, les dirigeants de cet aéroport espèrent ainsi retrouver le trafic et les revenus que le TGV leur a ôtés. La transformation des gestionnaires d’aéroports en managers chargés de « faire du chiffre » et non plus, comme jadis, de la mise en œuvre d’une offre régulée par l’État, illustre à quel point le TGV, espoir des défenseurs de l’environnement face à l’avion, risque bien de ne pas jouer son rôle : les rames TGV sont remplies notamment grâce à des anciens voyageurs aériens, mais dans le même temps les LCC font le plein de voyageurs induits et de voya- geurs acceptant de renoncer au TGV en fonction des prix. Encore faut-il préciser que la possibilité de négociation entre compagnie et aéroport dépend du statut de l’aéroport (public ou privé) et, en cas de statut public, de l’autonomie locale et de l’incitation des pouvoirs en place à pousser les gestionnaires dans la logique managé- riale. On peut de ce point de vue opposer la France et l’Espagne : en France, les aéroports régionaux sont généralement gérés par les Chambres de Commerce et d’Industrie, qui oeu- vrent en concertation, si pas en symbiose, avec les autorités locales ; en Espagne, quasi- ment tous les aéroports sont sous le contrôle de l’État central, ce qui limite les possibilités de négociation (Dennis, 2004).

Nombre et part de marché des compagnies low cost par aéroport (Europe, 2004)

14 Malaga Ce graphique n'est dressé que pour les aéroports desservis par des compagnies low cost 13 Barcelona 12

agnies low cost 11 p Palma Mallorca Alicante Faro 10 Nice Milan Orio al Serio

re de com 9 b

Nom 8

7

6 Stansted 5 Luton Belfast 4 Olbia 3 Hahn 2 Charleroi 1 Skavsta Karlsruhe Gerona 0 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes Part de marché des compagnies low cost

Figure 106 : dépendance low-cost et nombre de LCC (2004)

1 L’Express, 13/7/2006. 2 On cite un rapport de 1 à 5 entre le tarif obtenu par Ryanair et le tarif officiel (L’Express, 13/7/2006).

183 Par ailleurs, beaucoup d’aéroports desservis par des vols low-cost le sont par une unique compagnie. Des aéroports combinent alors dépendance à l’offre low-cost et à une seule compagnie (Figure 106). Le cas de Charleroi est de ce point de vue emblématique : l’aéroport a longtemps été desservi uniquement par Ryanair et les tentatives de diversifica- tion de l’offre n’ont à ce jour donné que des résultats mitigés (cf. supra).

7.6. Dernières tendances

7.6.1. Une croissance qui continue et compense certains échecs

Les deux principales compagnies low-cost, Easyjet et Ryanair, ont globalement continué à croître (flotte, dessertes, passagers transportés), sur les marchés occidentaux et dans une certaine mesure d’Europe centrale. Ryanair a ouvert sa 16e base, à Marseille en l’occurrence (première base d’une low-cost en France). Pour faire face à l’absence d’aéroports « bis » dans certaines villes, certains assouplisse- ments des stratégies habituelles peuvent être de mise. A Madrid typiquement, où Ryanair a ouvert une base en 2006 (avec 15 lignes début 2007), l’ouverture d’un nouveau et impor- tant double terminal (T4 & T4S) a signifié une forte augmentation de la capacité de l’aéroport. Ceci a conduit à une réorganisation de l’aéroport au terme de laquelle l’ancien terminal 1 s’est vu dédié aux compagnies à bas prix.

A contrario de ces croissances avec maintien de taux de profit favorables, comme on l’a dit plus haut, le secteur des compagnies low-cost mélange des compagnies solides et appli- quant rigoureusement les recettes pour parvenir à de bas coûts de production de l’offre, et des compagnies, disons, plus amateurs qui vendent des billets à un prix trop bas par rap- port à leurs coûts. Tel fut par exemple le cas de l’italienne Volareweb, qui a cessé ses vols en novembre 20041 pour ne les reprendre qu’en 2006 après avoir été rachetée par Alitalia elle-même. On peut également citer la disparition Getjet (2004) ou la suspension des vols par Skynet Airlines (dont les avions ont été saisis à la demande de la compagnie de leasing qui les lui louait) et Air Polonia, « jusqu’à nouvel ordre ». Mais en tout état de cause, ces échecs sont globalement largement compensés par la croissance d’autres compagnies low- cost, même si localement l’impact sur les dessertes peut être important, comme en témoi- gne le nouveau réseau de Volareweb ressuscitée : 7 routes uniquement centrées sur Milan en 2006 contre un réseau multipolaire de 48 routes en 2004 alors centré sur Milan, Rome, Venise, Palerme, Catane,…

7.6.2. Extension de la libéralisation, extension des réseaux

La récente extension de la zone européenne libéralisée a offert de nouvelles opportunités aux LCC d’Europe occidentale mais aussi centrale.

7.6.2.1. A la conquête de l’Est ? Avant l’entrée en 2004 des 10 nouveaux pays, dont une majorité de pays ex-communistes, dans l’UE, les LCC occidentales ne desservaient quasiment pas l’Europe centrale. A peine plus d’un an après leur adhésion, elles ont développé un certain nombre de liaisons avec les principales capitales ou régions touristiques. C’est particulièrement le cas de Ryanair (14 destinations en Europe centrale, dont 8 en Pologne) et d’Easyjet (10 destinations), qui ont complété leur réseau avec de nouvelles liaisons est – ouest (respectivement 40 et 24, non- comptées les nouvelles routes vers la Croatie et la Turquie).

1 La Tribune, 24/11/2004.

184 7.6.2.2. A la conquête depuis l’Est ? L’élargissement de l’UE a par définition également créé des opportunités pour les compa- gnies des nouveaux pays membres. Sky Europe, compagnie de droit slovaque originellement centrée sur Bratislava d’où elle opérait, en 2004, 6 routes dont une route nationale vers le principal pôle industriel du pays (Košice), a depuis lors significativement étoffé son réseau. D’une part, l’offre depuis Brati- slava a été élargie (passant à 20 relations, essentiellement vers l’Europe occidentale) mais, d’autre part, elle a également profité des droits de 7e liberté de l’air pour développer des réseaux centrés sur Budapest (16 relations), Prague (11) et Cracovie (16).

Tout aussi impressionnant est le développement de la compagnie hongroise Wizzair. Lancée en mai 2004, celle-ci exploite déjà, en 2006, un réseau pluri-centré sur Budapest (19 rela- tions), Katowice (14), Varsovie (12) et Gdansk (8), opérant donc de nombreux vols en 7e liberté de l’air. En outre, ce réseau est complété par divers autres vols plus « browniens », également en 7e liberté de l’air (par exemple Ljubljana – Londres).

7.6.2.3. A la conquête du Maroc En décembre 2004, le Conseil de l’Europe a donné mandat à la Commission Européenne pour négocier un accord sur le transport aérien. Outre des aspects techniques et de sécuri- té, le but est ouvertement de parvenir à une ouverture des marchés et des règles sur la concurrence et les aides d’État1. Les négociations ont débouché sur un accord paraphé (mais non encore ratifié) par les deux partenaires le 14/12/2005, à Marrakech.

Au niveau de l’accès au marché, celui-ci prévoit (Figure 107) : − la totale liberté d’accès au marché pour les vols passagers exploités entre l’UE et le Ma- roc par des compagnies communautaires ou marocaines (clairement les 3e et 4e liber- tés) ; toutes les routes sont donc autorisées sans limitation de fréquences ou de capaci- té et sans discrimination de nationalité ; − au terme d’une période transitoire, le droit pour les compagnies marocaines d’user de la 5e liberté sur le territoire de l’UE (sur des vols amorcés / terminant au Maroc), et pour les compagnies communautaires d’user de la 5e liberté (sur des vols amorcés / termi- nant en UE) entre le Maroc et des pays dits de la politique de voisinage de l’UE2.

Figure 107 : l’accord aérien euro-marocain

1 Cf. Synopsis EuroMed n°297 (http://www.delmar.ec.europa.eu/fr/synopsis/297.htm). 2 À savoir l’Algérie, l’Arménie, l’Autorité Palestinienne, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, l’Égypte, la Géorgie, Israël, la Jordanie, le Liban, la Libye, la Moldavie, le Maroc, la Syrie, la Tunisie et l’Ukraine.

185 Compte tenu du droit européen, il semble logique que les compagnies communautaires puissent pratiquer la 7e liberté entre un pays membre et le Maroc ainsi que la 8e liberté dans un pays membre avant de desservir le Maroc. Dans le même ordre d’idées, on suppose que les compagnies marocaines peuvent pratiquer du cabotage au Maroc avant de desservir l’Union. Par contre, le cabotage, tant consécutif (8e liberté) que pur (9e liberté) est clairement exclu de l’accord pour les compagnies marocaines en Europe / européennes au Maroc. Le Maroc justifie notamment cet accord1 par le souhait de profiter du marché européen mais aussi des moyens dont disposent les compagnies européennes pour atteindre l’objectif de 10 millions de touristes annuels à l’horizon 2010 dont 7 millions internationaux (contre 5,5 en 2005)2. Même si l’accord est en attente de ratification, Easyjet et Ryanair n’ont pas tardé à profiter de cette situation nouvelle pour étendre leur toile vers le Maroc. Fin 2006, Easyjet dessert la ville touristique de Marrakech depuis Londres. Ryanair la dessert également, ainsi que Fès et Oujda, visant dans ce cas également les flux aériens post-migratoires (d’où la relation Oujda – Marseille par exemple). Royal Air Maroc a pour sa part créé, dès 2004, une filiale middle-cost dénommée Atlas Blue et reliant Agadir et Marrakech à diverses villes ouest-occidentales. En outre, des investisseurs marocains privés ont fondé Jet4You, une middle-cost reliant, depuis 2006, Agadir, Casablanca, Fès, Marrakech et Ouarzazate à Paris, ainsi que Casablan- ca à Charleroi. Le tour-opérateur TUI a récemment acquis des parts à concurrence de 40%.

7.6.2.4. A la conquête du segment long-courrier ? La question de savoir si les LCC vont se lancer à l’assaut du segment long-courrier demeure ouverte. Les éléments évoqués au point 7.4.2 (p. 162) vont dans le sens d’un moindre dif- férentiel possible quant aux prix sur les longues distances. A ce jour, les compagnies qui ont prétendu faire du low-cost en long-courrier ont soit disparu, soit proposé des produits certes moins chers, mais certainement pas dans un rapport de 1 à 2 comme pour les LCC euro- péennes face à leur consœurs conventionnelles. Sous réserve de ce que permettent ou permettront les accords bilatéraux, on peut donc imaginer une extension des LCC vers le marché long-courrier, mais avec des réductions de tarifs peu spectaculaires. En outre, il ne s’agirait que d’une activité complémentaire face à un core business demeurant continental.

7.7. Conclusions

Les LCC sont incontestablement un important moteur de croissance de l’offre aérienne eu- ropéenne et, dans une certaine mesure, de sa diversification spatiale. Si cette dynamique peut apparaître séduisante, il faut également en rappeler les inconvénients : • elle se base sur des rapports sociaux largement défavorables aux travailleurs, en rup- ture avec le modèle habituel des FSNC qui pour partie emboîtent le pas au gré des op- portunités (la refondation de feu la Sabena en SNBA s’est en partie appuyée sur des sa- laires plus bas et une utilisation plus intensive du personnel) ; • dans ce cadre, l’obtention de financements publics (au minimum par Ryanair) paraît pour le moins contestable (faut-il financer une entreprise gérant son personnel comme on le sait et ne respectant pas des lois sociales parmi les plus élémentaires ?) ; • elle contribue à accroître l’offre aérienne, au détriment, par définition et comme pour toute offre aérienne, de l’environnement tant local que global ;

1 Voir la présentation du Ministre marocain du transport M. Karim Ghellab, Renforcer le partenariat dans le domaine du transport aérien : L’exemple du Maroc (15/12/2005), consultable sur le site du ministère – www.mtpnet.gov.ma/Docs-site-web/Interventions/Presentation%20M-Ghellab%20aérien.pdf. 2 Source : Ministère marocain du tourisme (http://www.tourisme.gov.ma/francais/Vision2010/enbref.htm).

186 • elle contribue à déstabiliser la situation financière des FSNC, dont on peut regretter les positions dominantes sur certaines liaisons mais qui ont le mérite de ne pas se compor- ter en « cow-boys » comme le font certaines LCC.

En outre, si le développement des réseaux LCC est sans aucun doute une opportunité pour les aéroports en position inconfortable ou marginale, c’est souvent au prix de dépendances que les LCC mettent à profit d’abord dans les négociations pour leur implantation puis en tant qu’épée de Damoclès pour le maintien de leur offre.

Ces éléments négatifs ne contrarient guère les institutions européennes. La Commission affirme qu’elle « ne peut que s’en féliciter et apprécier la contribution de ces acteurs à la baisse générale des prix du transport aérien en Europe et à un accès démocratisé à ce mode de transport »1, son véritable souci étant que les règles du marché intérieur soient respectées, et encore puisque la Commission les a fait évoluer dans le sens d’un assouplis- sement à l’occasion de l’affaire Ryanair à Charleroi. Les Comités des Régions est lui aussi bienveillant à l’égard des LCC, conscient qu’elles ont apporté à certaines régions une desserte aérienne d’un niveau inespéré, et voyant en elle une contribution potentielle au développement économique, selon le vieux mythe transports = développement. Ceci lui vaut d’affirmer, dans un avis officiel2, que « le développement de services aériens low cost fournissant des services aériens interrégionaux point à point à partir d'aéroports régionaux peut être un catalyseur efficace pour un développement éco- nomique régional conforme aux objectifs économiques et sociaux du cadre régional pour la cohésion territoriale établi par la Commission (…). ». Puis, n’étant pas encore assuré de l’assouplissement de la Commission sur la question des aides d’États aux compagnies, le Comité ajoute qu’il « est nécessaire d'accorder davantage de poids à la fonction de service public des services aériens interrégionaux point à point low cost opérant à partir d'aéroports qui fournissent un lien entre la région et le reste de l'UE et le monde ».

En balance, les défenseurs des LCC mettront en avant une démocratisation de l’avion, donc des possibilités de vacances accrues, et un nouveau souffle, parfois sans précédent, dans la desserte d’espaces marginaux ou marginalisés. En outre, fidèles à leurs méthodes, les éco- nomistes réclameront une analyse globale des coûts et bénéfices, dans laquelle les coûts pour les travailleurs et les FSNC seront confrontés aux gains financiers des LCC et aux gains de dessertes des régions y gagnant3.

Le développement des LCC se traduit par une rude concurrence entre LCC et FSNC, mais également entre aéroports low-cost et aéroports généralistes ainsi qu’entre régions. Cette concurrence a déjà plusieurs fois fait irruption sur le terrain de la justice à l’initiative des compagnies ou aéroports s’estimant lésés. Citons BIAC (gestionnaire de l’aéroport de Bruxelles-National) portant plainte auprès de la Commission Européenne contre les subsides reçus par Ryanair à Charleroi ; Air France portant plainte auprès de la justice française et obtenant gain de cause contre la tarification spéciale dont bénéficiait Easyjet à l’aéroport de Bâle-Mulhouse ; Air France ayant déposé diverses plaintes contre le financement public d’aérogares préférentiellement dédiées à telle ou telle compagnie (Genève, Marseille et Bâle-Mulhouse4) ; Lufthansa portant plainte et obtenant gain de cause contre des publicités comparatives de Ryanair qui comparaient des vols « Francfort » Hahn – « Glasgow » Prest- wick à ses vols Francfort – Glasgow International.

1 Point 7 des « Lignes directrices communautaires sur le financement des aéroports et les aides d’État au démarrage pour les compagnies aériennes au départ d’aéroports régionaux », communication de la Commission Européenne, Journal Officiel de l’Union Européenne C312/1, 9/12/2005. 2 « Avis d'initiative du Comité des régions sur « Les compagnies aériennes low cost et le développement territorial », communication du Comité des Régions, Journal Officiel de l’Union Européenne C317/7, 22/12/2004. 3 Au prix de monétarisations éventuellement « acrobatiques ». 4 La Tribune, 11/1/2005.

187 La question subsidiaire est évidemment de savoir à quel niveau l’offre des LCC va se stabili- ser. Pour Dennis (2004), la croissance n’est sans doute pas terminée, d’autant que des fail- lites de compagnies peuvent être des opportunités supplémentaires pour les LCC ; l’auteur voit cependant un certain nombre de facteurs limitants : • demande qui n’est pas illimitée, même à bas tarifs ; • absence d’aéroports « bis » pour certaines grandes agglomérations, du moins à des dis- tances relativement acceptables ; • possibilité d’un certain enrouement de la machine du fait même de sa croissance, qui pourrait faire augmenter les coûts unitaires : tensions sur le marché de l’emploi côté pi- lotes, diminution des avantages consentis par les aéroports, obligation de diversifier le produit pour continuer la croissance,… • opportunités semble-t-il limitées sur le segment long-courrier mais également difficulté probable de développer des vols low-cost à faible trafic qui impliquerait l’utilisation d’avions régionaux à faible autonomie en termes de kilomètres, limitant le champ du possible et interdisant par exemple des liaisons entre le nord de l’Europe et la Méditer- ranée ; • le fait que les FSNC compriment également leurs prix, certes sans atteindre le prix moyen des LCC, mais en offrant parfois des prix d’appel très intéressants et réduisant en tout cas partiellement l’écart entre tarifs low-cost et classiques (tarifs b.light de Brus- sels Airlines ou Tango d’Air Canada). On observe ainsi une certaine convergence entre LCC et FSNC, qui fait tendre certaines FSNC — ou certaines places de leurs vols — vers des tarifs relevant des niveaux middle-cost.

188 8. Les faillites de flag carriers : le cas de Sabena et Swissair

Photomontage de René Breny paru dans Le Soir.

8.1. Introduction

A l’opposé du développement fulgurant des compagnies low-cost, important facteur de croissance de l’offre, de concurrence et de développement de nouvelles liaisons, les faillites de compagnies sont pour partie une des conséquences négatives de la libéralisation. En effet, celles-ci sont partiellement liées à deux évolutions majeures du nouveau contexte : la concurrence accrue et l’interdiction en principe des aides d’État. La Commission Européenne a consenti à l’autorisation d’une unique aide à la restructuration par compagnie (« one time, last time ») et estime que ce mécanisme n’a aujourd’hui plus sa raison d’être (cf. annexe 3). Parmi les faillites européennes les plus retentissantes compte tenu de la taille des compa- gnies, de leur ancienneté et du nombre d’emplois en jeu, celles de Sabena et Swissair en 2001, occupent certainement une place de premier plan. Nous travaillerons donc sur ces deux cas. Après avoir passé en revue rapidement l’histoire de ces deux compagnies et mis en avant les principales causes de leur faillite, nous étudierons l’impact de ces événements sur la desserte aérienne de Bruxelles et des principaux aéroports suisses, respectivement. Bien que la faillite de Swissair ne soit pas imputable à la libéralisation européenne, les faillites de ces deux compagnies sont pour partie liées et, surtout, en étudier les impacts permet d’une part de comparer deux stratégies de renaissance différentes et, d’autre part, de comparer comment des territoires différents ont mieux ou moins bien amorti le choc.

8.2. De la « splendeur » à la faillite

8.2.1. La Sabena : l’ambition africaine, voire mondiale

Vanthemsche (2002) a dressé un implacable historique de la Sabena que nous résumons ici. Celui-ci est utilement complété par Capron (2002), qui cible plus particulièrement la période de l’alliance avec Swissair et la faillite des deux compagnies (1995-2001).

189 La Sabena — Société Anonyme Belge d’Exploitation de la Navigation Aérienne — fut créée en 1923 à l’initiative d’investisseurs privés ayant obtenu l’aide de l’État belge et de son ad- ministration coloniale. Mi-privée mi-publique, mi-belge mi-congolaise, la Sabena est rapi- dement présente sur trois principaux marchés : le transport intérieur au Congo belge, le transport international en Europe et la ligne impériale Belgique – Congo. Pour un petit pays comme la Belgique, l’ambition était importante. D’emblée, la compagnie n’était pas rentable d’un strict point de vue financier, mais l’État épongeait les dettes au nom du positionnement international de la Belgique et de la disposi- tion d’une colonie riche en matières premières. Une situation classique dans l’entre-deux- guerres. L’indépendance du Congo en 1960 a en partie privé la Sabena de sa poule aux œufs d’or, surtout que son réseau n’était pas diversifié comme celui, par exemple, de la KLM qui a profité d’un ensemble colonial plus important. En compensation, la Sabena tenta une expansion d’ampleur mondiale, mais il fallut déchanter : l’aventure était démesurée et l’ampleur des déficits l’obligea à réduire ses ambitions en ne conservant « que » les mar- chés européen, africain et nord-américain. Malgré tout, de 1958 à 1982, la Sabena demeure structurellement déficitaire alors que certaines consœurs font des bénéfices. Les raisons en sont multiples : marché national restreint, sous-capitalisation chronique, arrivée tardive sur les marchés intercontinentaux, déboires avec l’ancienne colonie, productivité insuffisante, carences de la direction de l’entreprise et ingérences politiques contre-productives (lignes intercontinentales ouvertes pour les besoins du Ministère des Affaires Étrangères). L’État compensa en finançant les avions et garantissant les prêts. Le secteur privé se désengagea et revendit la plupart de ses parts à l’État belge.

Résultat net de la Sabena en monnaie constante 150

100

50 Millions EUR 2000 0 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 -50

-100 Sabena seule

Sabena seule, résult. opérationnel

-150 Consolidation Sabena Group

-200

-250 Resultat après impôts, excluant les aides financières de l'État. Sources : Guy Vanthemshe (2002), rapports annuels et INS. -300

-350

Figure 108 : le résultat net de la Sabena (1923-2000)

Les divers plans de redressement des années 1980 et 90 n’ont guère permis à la Sabena de devenir fondamentalement rentable financièrement parlant (Figure 1081), malgré les réduc- tions de personnel et de salaire. Sans doute le réseau demeurait-il trop important et la sous-capitalisation trop marquée, alors que de nombreuses autres compagnies étaient reca-

1 Le graphique montre que le bilan consolidé (Sabena Group) est généralement moins bon (ou pire) que le bilan de la seule Sabena. Pour celle-ci, l’operational result est tantôt meilleur, tantôt plus mauvais que le net result. Au moment de la faillite, le résultat opérationnel de Sabena est une perte proche de 200 mil- lions d’euros !

190 pitalisées. En Belgique, le secteur privé ne voulait plus investir dans une compagnie natio- nale non-rentable et les pouvoirs publics estimaient que le perpétuel financement des avions était déjà un effort important. Diverses recapitalisations eurent cependant lieu à par- tir de 1975 mais, insuffisantes, elles n’ont servi qu’à combler les déficits accumulés et non à donner une base solide à l’entreprise — sauvetages plutôt que saines reconstructions. Pour la période 1974-2002, Sabena a ainsi perçu de l’État 31,5 milliards de francs belges, soit 780 millions d’euros (Chambre des Représentants de Belgique, 2003). En outre, le person- nel est nombreux et bien payé, tandis que l’entreprise est longtemps gérée par des avia- teurs et des techniciens, puis des technocrates, les financiers n’arrivant que fort tardive- ment (Capron, 2002). La compagnie est ainsi solide techniquement mais pas financière- ment.

Début des années 1980, une restructuration socialement douloureuse conduit cependant à plusieurs années bénéficiaires. Mais dès 1990, les pertes redeviennent importantes. Guerre du Golfe, difficultés économiques, hausse du prix du carburant et début de la libéralisation du ciel européen qui augmente la concurrence et entraîne les tarifs à la baisse sont défavo- rables à la Sabena, sans parler du développement à venir des compagnies low-cost. La crise des finances publiques (dès les années 1970), le virage néo-libéral des années 1980 puis l’application des règles du libre-marché au transport aérien (années 1980 et 90) ont limité la capacité d’intervention de l’État dans sa compagnie. Rappelons qu’en particu- lier, les aides d’État ne sont en principe plus autorisées par le droit européen. L’État belge, principal actionnaire (97,5% en 1981) de la Sabena, est alors soucieux de se désengager de la Sabena pour ne plus avoir à gérer ce fardeau. Il décide donc de lui trouver un partenaire, prélude à une privatisation totale : discussions avec SAS (1986-87), puis KLM (1987-88), accords éphémères avec BA et KLM (1989-90) puis Air France (1992-95) et finalement vente partielle et collaboration poussée, mais fatale, avec Swissair (1995-2001).

8.2.2. Swissair : « the flying bank »

Fondée en 1931, Swissair — Swissair Schweizerische Luftverkehr AG — est une compagnie réputée de longue date (ponctualité, qualité du service et valeur financière qui lui vaut son surnom de « flying bank »). Swissair présentait certaines similitudes avec la Sabena : com- pagnie moyenne face aux « majors » européennes (British Airways, Air France et Lufthansa) et ambitions intercontinentales malgré un marché national restreint (7 millions d’habitants). En 1989, la compagnie conclut des accords de coopération avec Delta Airlines et SAS, puis avec Singapore Airlines, Finnair et Austrian Airlines en 1990. L’année 1991 marque cepen- dant les premières pertes. Mais surtout, la compagnie veut absolument trouver un parte- naire stratégique membre de l’Union Européenne et dans lequel elle peut prendre des parts importantes. La Suisse étant hors de l’UE et de l’Espace Économique Européen1, elle n’a en effet pas librement accès au marché communautaire, au contraire de ses concurrentes communautaires depuis la libéralisation. Jusqu’à l’entrée en vigueur d’un accord avec l’UE en 20022, la Suisse restera totalement tributaire des traditionnels accords bilatéraux entre États. Pour sortir de son isolement, la compagnie suisse a le choix entre deux options : signer un accord avec une des trois grandes compagnies européennes pour entrer dans une des gran- des alliances en constitution ou fonder elle-même sa propre alliance (Lüchinger, 2001). At- tachés à leur indépendance nationale et confiants dans leur puissance économique, les diri- geants Suisses retinrent cette dernière solution en négociant un rapprochement avec KLM, SAS et Austrian (projet Alcazar). L’échec du projet conduisit Swissair à se tourner vers la Sabena qui dès le début apparaît comme un second choix. Malgré ses mauvais résultats financiers, la Sabena semble en effet être un partenaire adéquat : réseau intercontinental complémentaire de celui de Swissair grâce à sa spécificité africaine et présence dominante à l’aéroport de Bruxelles (aéroport central à l’échelle ouest-européenne et doté d’importantes

1 Vote défavorable de la population suisse (50,3%) en décembre 1992. 2 Accord sur le transport aérien du 21 juin 1999 entré en vigueur le 1er juin 2002. Rappelons que celui-ci ne concerne que les vols entre un aéroport communautaire et un aéroport suisse. Les vols intra-UE et in- tra-Suisse ne sont en effet pas visés par l’accord (voir point 1.2.2.3 page 16).

191 réserves de capacité grâce aux travaux de modernisation alors pour partie déjà terminés). Outre des prises de participation dans diverses compagnies européennes, un accord signé en mai 1995 consacre un premier rachat de 49,5% de la compagnie belge. En avril 2000, l’État belge accepte un accord selon lequel Swissair contrôlerait prochainement 85% de Sa- bena en échange d’une recapitalisation. Mais la situation financière des deux compagnies est en réalité catastrophique et va bouleverser les projets.

8.2.3. L’échec de la stratégie du chasseur et de l’expansion forcée

Les ambitions de Swissair étaient ni plus ni moins la place de 3e ou 4e compagnie euro- péenne. Pour ce faire, il est décidé de : − prendre des parts dans de multiples compagnies européennes pour former une alliance forte à transformer ultérieurement en véritable major ; sans même parler du rachat de presque la moitié de Sabena, Swissair dépense, de juin à septembre 1999, environ 2,4 milliards de dollars pour acquérir des participations dans une multitude de compagnies (Knorr et Arndt, 2004) ; − couvrir l’ensemble des métiers du transport aérien et ainsi assurer des financements croisés entre secteurs (achat de Gate Gourmet e.a.) ; − à partir de 1997, sur base des conseils du consultant McKinsey, décision d’adopter la stratégie du chasseur (hunter) visant à ce que Swissair atteigne 20% de parts de mar- ché au niveau européen (Knorr et Arndt, 2004) ; l’implémentation commence en 1998 par un spectaculaire gonflement de l’offre de Swissair et Sabena, cette dernière servant de cobaye avant une éventuelle extension aux autres compagnies dans lesquelles Swis- sair a des parts (Capron, 2002) (Tableau 47).

L’impact de la stratégie Hunter sur le volume de l’offre Jan. 1995 Jan. 1999 Jan. 2001 2001/1995 Sabena Destinations (total) 81 89 98 1.21 Destinations (intercont.) 29 30 32 1.10 Vols (milliers)* 7.3 10.6 13.7 1.86 Km volés (millions) 7.2 11.8 15.4 2.14 Swissair Destinations (total) 106 108 109 1.03 Destinations (intercont.) 51 55 54 1.06 Vols (milliers)* 10.1 12.0 14.0 1.39 Km volés (millions) 13.2 17.8 20.7 1.57 * Full routing (un vol A-B-C n'est compté qu'une seule fois). Uniquement les vols réguliers passagers. Source : OAG. Traitements : F. Dobruszkes Tableau 47 : l’impact de la stratégie Hunter sur le volume de l’offre de Sabena et Swissair

Cette stratégie de croissance s’appuie sur : − un accord de coopération avec Delta Airlines, pilier de la stratégie expansionniste de Swissair et Sabena (partage de code à partir de 1997) ; − la fondation, en 1998, sous l’impulsion de Swissair, de l’alliance QualiflyerGroup dont le noyau dur est composé de Swissair, Sabena et Crossair (filiale de Swissair), auxquelles s’ajoutent d’autres compagnies européennes détenues en partie par Swissair1 ; − trois hubs (Bruxelles, Zurich et Bâle).

1 En 2000, on comptait parmi les membres TAP Air Portugal, Turkish Airlines, AOM French Airlines, Air Littoral, , LOT Polish Airlines, Portugalia et Volare.

192 L’aéroport de Bruxelles avait déjà été organisé en hub européen et son offre gonflée par l’alliance avec Air France au début des années 1990. Swissair ira plus loin dans le renforce- ment du hub qui doit articuler le marché intra-européen mais aussi les marchés atlantiques et européens. Swissair fait de même à Zurich où elle exploite un hub intercontinental. Sa filiale régionale Crossair a pour sa part développé un hub européen à Bâle-Mulhouse.

Par ailleurs, la Sabena se lance dans une vague d’extension de sa flotte. Dès 1995/1996, elle décide de renouveler la flotte court-courrier et acquiert 29 avions régionaux1 de type Avro. En 1997, sous la pression de Swissair, le conseil d’administration de Sabena décide de renouveler et augmenter sa flotte moyen-courrier par l’acquisition de 34 Airbus de la famille A3202 (devant remplacer 28 B737 vieillissants), avec livraison entre 1999 et 2002. On dé- cide aussi d’acquérir 4 Airbus A330/A3403. L’engagement est de 1,5 milliards d’euros, pour des fonds propres inférieurs à 170 millions d’euros ! En attendant la livraison de nouveaux avions, l’offre Sabena est augmentée4 grâce à un accord avec Virgin Express et la location d’avions long-courriers à CityBird. Entre 1996 et 2000, la capacité augmente de 81% contre 23% en moyenne pour les compagnies membres de l’Association of European Airlines (Chambre des Représentants de Belgique, 2003, p. 87). Allé (2004) indique que ces rapides augmentations de capacité ne sont pas basées sur une analyse du marché (« market pull »). Il n’y a ni plan d’entreprise ni plan financier détaillés. Au contraire, c’est l’offre qui guide la stratégie (« asset push »). Le plan d’entreprise sera adopté après la décision d’extension de la flotte5. Il se traduit par une nouvelle extension du réseau et du nombre de vols (Tableau 47), puisqu’il faut bien faire voler les avions com- mandés ! Les importants achats d’avions ont été réalisés dans le cadre de la stratégie du groupe Sabena – Swissair mais sans s’inquiéter des conséquences financières (Chambre des Représentants de Belgique, 2003). Selon les anciens dirigeants de la Sabena cependant, Swissair avait verbalement promis que les commandes ne pèseraient pas sur le bilan de la compagnie belge ; or, cela n’a jamais été notifié par écrit et Swissair n’a jamais versé le moindre sou pour les commandes passées. Formellement, la décision de renouvellement et extension de la flotte a été prise par le conseil d’administration de la Sabena, dans lequel les représentants de Swissair étaient aux ordres de cette compagnie et les représentants belges priés de ne pas gêner la gestion Swissair qui, à l’époque, était toujours vue comme la solide compagnie qui allait rendre la Sabena financièrement performante. L’État belge a donc clairement joué les absents en ne surveillant pas les décisions prises par sa compagnie sous l’égide de sa partenaire (Capron, 2002).

La stratégie de développement rapide du duo Sabena - Swissair va s’avérer fatale. Elle re- pose en effet sur l’hypothèse d’un taux d’occupation des avions de 74% dès l’an 2000, contre 65,5% en 1997. Un résultat jamais atteint. De plus, Sabena a dû casser les prix pour tenter de remplir ses avions. En conséquence, après deux années de bénéfices, les résultats de la Sabena sont à nouveau dans le rouge en 1999 et plongent dès début 2000.

Allé (2004) montre qu’en prenant la peine de réaliser un business plan dans les conditions de prévisibilité de 1997, on pouvait prévoir, dès cette année-là, que le scénario Hunter ap- pliqué par la Sabena était intenable financièrement6, même sans le contre-coup des atten- tats du 11 septembre 2001. En effet, compte tenu du petit marché belge, ce scénario impli-

1 Les avions régionaux sont des avions court-courriers (quelques milliers de km) de capacité se comptant généralement en dizaines de places. 2 Avions adaptés aux vols court- et moyen-courriers (jusqu’à 6 800 km) et doté d’une capacité variant de 107 à 185 places. 3 Avions long-courriers jusqu’à 16 450 km ou 380 places. 4 Entre 1994 et 1997, 20 nouvelles lignes et 60% de vols supplémentaires (Allé, 2004). 5 Ceci n’est pas sans rappeler le cas de la STIB qui a commandé ses derniers tramways, avec l’accord du gouvernement régional bruxellois, avant que son nouveau réseau ne soit accepté par les autorités de tu- telle. Depuis, le futur réseau a été modifié et le matériel commandé n’est plus parfaitement adapté aux besoins. 6 Résultat net en équilibre en 2007 seulement, disparition des fonds propres et gonflement rapide de la dette de l’entreprise.

193 quait une part importante de voyageurs en correspondance au hub de Bruxelles. Or, les voyageurs en transfert génèrent en général des recettes unitaires moindres car les passa- gers business préfèrent des vols directs. Si des vols concurrents directs existent, les vols avec correspondance attirent surtout des voyageurs en classe économique, ce qui fait dimi- nuer la recette moyenne des vols. Il y a donc une contradiction entre le besoin d’augmenter le taux de remplissage et la diminution de recette unitaire que cela implique. En outre, les contrats avec Virgin Express et CityBird ont empiré la situation financière de la Sabena. Dans les mêmes conditions économiques, Allé (2004) montre aussi que des scénarios de croissance certes importants mais plus raisonnables et mis en œuvre moins rapidement auraient quant à eux sans doute conduit relativement rapidement à l’équilibre financier puis au profit et à la réduction de dette. En outre, de tels scénarios auraient permis de traverser le ralentissement post-11 septembre (perte de 2 à 3 années de croissance) ou une certaine hausse des prix du pétrole. Les dirigeants de Sabena et Swissair ont donc commis une grave erreur en augmentant trop rapidement l’offre à partir de 1997. Les mauvais taux de remplissage et la baisse de recette unitaire1 ont plongé la Sabena dans de très graves difficultés financières. Swissair a égale- ment trop développé son offre, subit la baisse de recette moyenne due aux passagers en transfert dans son hub et s’est finalement également trouvée dans une situation dramati- que. En outre, le duo a été lâché par Delta Airlines (qui a préféré rejoindre Air France pour fonder l’alliance SkyTeam2), par Singapore Airlines, Austrian et SAS (qui ont opté pour Star Alliance), et par Finnair (partie pour Oneworld). Enfin, les résultats financiers 1999 et 2000 de plusieurs compagnies, dont Swissair était actionnaire, étaient catastrophiques (AOM, LTU, Volare Group, Air Littoral et Sabena en 2000) (Knorr et Arndt, 2004). A l’été 2000, un rapport secret de McKinsey sur l’état de Swissair déclare la stratégie du chasseur — inventée par le même consultant — au-dessus des moyens de la compagnie (Lüchinger, 2001). En avril 2001, le bilan 2000 du SAirGroup, le holding chapeautant les activités de Swissair, Crossair et services divers, annonce une perte de 1,86 milliards d’euros principalement due aux participations étrangères3 mais aggravée par la stratégie Hunter. Fin septembre 2001, la faillite de Swissair est imminente et les Suisses travaillent déjà sur un scénario selon lequel sa filiale Crossair sera le noyau d’une nouvelle compagnie reprenant certains morceaux de Swissair. En manque de liquidités et insolvable, la Sabena est également acculée à la faillite, d’autant que les aides d’État (recapitalisation, aides à l’exploitation,…) sont interdites par l’UE. Seule solution : que les Suisses honorent le contrat de 2000 prévoyant la recapitalisation de la Sabena à concurrence d’une prise de participation de 85%. Un scénario impensable vu la récente faillite de Swissair et sa reconstruction en cours. En juin 2001, Swissair annonce enfin clairement qu’elle refuse d’augmenter sa participation dans la Sabena4. L’État belge porte plainte mais, en juillet, des négociations ont lieu directement entre le gouvernement belge5 et Swissair. L’accord qui en résulte est une sortie honorable et à moindre coût pour Swissair, qui ne verserait à Sabena qu’une partie du montant initialement prévu et repren- drait à sa charge plusieurs Airbus. L’État belge retire sa plainte, s’engage à ne plus en dé- poser mais ne demande aucune garantie bancaire. Or, il apparaîtra rapidement que Swissair n’est pas en mesure d’honorer ses derniers engagements. Sabena demande alors le concor- dat (octobre 2001) puis sera déclarée en faillite en novembre. En résumé, au niveau des responsabilités, il semble raisonnable de dire que, soucieux de se débarrasser de sa compagnie aérienne, l’État belge a aveuglement fait confiance à une compagnie dont la réputation des dirigeants et la solidité financière étaient à tout le moins exagérées. La stratégie de croissance de Swissair, démesurée et passivement suivie par les Belges, s’est avérée fatale et suffit, semble-t-il, à expliquer à elle seule la faillite, malgré les

1 De 0,12 € / km en 1995 à moins de 0,09 € / km en 1999 (Capron, 2002). 2 Fin des partages de code avec Sabena, Swissair et Austrian en août 2000. 3 Source : administration fédérale suisse (Département Fédéral des Finances). 4 Depuis deux ans, elle avait fait comme si elle allait s’exécuter, bien que l’accord des 85% prévoyait qu’au préalable un accord de libre-échange aérien devait être ratifié entre la Suisse et chacun des pays membres de l’UE (Capron, 2002), ce qui ne sera fait qu’après la faillite de Swissair. 5 En l’occurrence par le premier ministre Verhofstadt et le vice-premier ministre Vande Lanotte. La Sabena et le ministre des entreprises publiques (Daems) ne sont ni conviés ni prévenus de la négociation.

194 handicaps structurels de Sabena et des comportements prédateurs1 de Swissair (Capron, 2002).

8.3. Stratégies de redéveloppement

8.3.1. SN Brussels Airlines : prudence et progressivité

Sur les débris de la Sabena, en particulier sa filiale DAT, non-concernée par le concordat, est née SN Brussels Airlines (SNBA)2. Pour la constituer, deux hautes figures du capitalisme belge (Étienne Davignon et Maurice Lippens) ont dû chercher pendant plusieurs semaines des fonds essentiellement privés (92%), avec un business plan visant à terme la rentabilité malgré un contexte économique difficile. La nouvelle compagnie a clairement été conçue comme une compagnie aux ambitions mesurées, plus en rapport avec le petit marché belge, néanmoins renforcé par le poids des institutions internationales (UE, OTAN,…) tout en misant sur la réputation de la Sabena en matière de desserte africaine.

De la Sabena à SN Brussels Airlines (SNBA) Sabena SNBA SNBA notes 2000 2002 2004 Flotte 91 32 38 Destinations (total) (a) 98 42 52 Destinations (intercont.) (a) 32 13 15 Vols (milliers) (a) 163.2 56.5 57.7 Km volés (millions) (a) 179.0 46.7 58.8 ASK (milliards) (a) 28.4 5.4 7.4 Passagers (millions) (a) 10.74 2.32 3.14 Taux de remplissage passagers (a) 68.2% 49.8% 61.2% Travailleurs (b) 8 333 1 846 2 133 Travailleurs (équiv. temps-plein) (b) 7 608 1 689 N.C. Chiffre d'affaires (millions EUR) (b) 2 436.0 443.5 656.5 Résultat opérationnel (millions EUR) (b) -163.0 -102.5 12.1 Résultat net (millions EUR) (b) -325.0 -36.8 1.0 (a) Vols réguliers passagers. (b) 2000 = consolidation Sabena Group

Sources : compagnies, AEA, OAG Tableau 48 : de Sabena à SNBA

La flotte est initialement composée de 32 avions régionaux (Avro / Bae) récupérés de la DAT. Elle a été progressivement complétée par trois long-courriers (A330)3 initialement opérés par Birdy et trois moyen-courriers (A319). Le réseau est essentiellement recentré sur l’Europe et l’Afrique. Des choix ont dû être faits à la lumière du réseau sur-développé de la Sabena et dans le cadre d’une flotte restreinte. Le personnel est réduit, moins bien payé que du temps de la Sabena et travaille plus intensivement4. Les ambitions sont donc revenues à la normale et SNBA agit prudemment. D’une part, elle étend progressivement son offre (Tableau 48) et, d’autre part, elle négocie des accords de

1 Toute la lumière n’a pas encore été faite sur ce point, mais il semble, par exemple, que dans le cadre de la structure commune AMP (Airline Management Partnership), Swissair privilégiait ses vols plutôt que ceux de Sabena, que certains services connexes, opérés par des filiales de Swissair, auraient été surfac- turés,… 2 Les dirigeants de Sabena ont pris le soin de transférer tous leurs slots à DAT avant que ne soit déclarée la faillite de leur compagnie. 3 En comparaison, la Sabena comptait, en 1999, 13 avions de type long-courrier. 4 La DAT reprend du personnel de l’ex-Sabena à un salaire brut réduit jusqu’à 30% et une hausse de pro- ductivité de 15% ; en outre, le personnel de cabine est réduit au minimum (Capron, 2002).

195 partage de code tous azimuts1 tout en demeurant à l’extérieur des trois grandes alliances. Elle s’est récemment rapprochée de sa principale concurrente, Virgin Express : les deux compagnies ont fondé un holding commun pour évoluer selon une stratégie unifiée visant la complémentarité plutôt que la concurrence. Le dernier dépliant horaire été 2006 de la Sa- bena inclut les horaires de Virgin2 et les sites Internet affichent respectivement les destina- tions proposées par l’autre compagnie3 ; la carte des destinations montre une évidente ré- partition des rôles : à Virgin les destinations plus touristiques (Faro, Malaga, Catania,… mais aussi Lisbonne ou Athènes), à SNBA les destinations plus professionnelles (Francfort, Lon- dres, Munich,…) et aux deux compagnies une partie des destinations mixtes (Madrid, Milan, Rome,…). Une étape supplémentaire a été franchie en 2006 avec l’annonce de la fusion des deux compagnies en Brussels Airlines. A ce stade, la stratégie semble payante : malgré un contexte économique difficile et un taux de remplissage moyen, la compagnie a dégagé un petit mais symbolique bénéfice en 2003 et 20044.

8.3.2. SWISS : grandeur et décadence

Suite à la faillite de Swissair, sa filiale Crossair a servi de noyau pour la création d’une nou- velle compagnie, Swiss. Comme pour SNBA, on a récupéré les morceaux qui pouvaient l’être et cherché des capitaux pour fonder une nouvelle compagnie. Cependant, à la diffé- rence de SNBA, les pouvoirs publics ont ici largement contribué au financement : outre l’État fédéral (20,4%), les cantons et les communes (12,2%) ont également investi dans la formation de la nouvelle compagnie, dotée de moyens lui permettant de renouveler et même augmenter sa flotte. Comme pour SNBA, il n’y a semble-t-il pas de subventions d’exploitation. L’accord UE – Suisse sur le transport aérien, déjà cité, interdit partiellement les aides d’État aux compagnies suisses5.

Force est de constater qu’en formant Swiss, les Suisses ont gardé d’importantes ambitions. Alors que SNBA a massivement réduit son offre par rapport à la Sabena, l’offre de la nou- velle Swiss n’est pas fortement en deçà de celles de Swissair et Crossair additionnées (Tableau 49). Cette stratégie s’est cependant avérée financièrement intenable, le faible marché local étant aggravé par le contexte de crise qui a suivi les attentats du 11 septem- bre 2001. Il a alors été décidé de tailler très fermement dans le personnel, la flotte et l’offre, tout en demeurant une compagnie bien plus importante que SNBA. Le nombre de passagers a moins décru que les moyens techniques et humains, d’où une amélioration du taux de remplissage et une diminution du déficit. Ces efforts n’ont cependant pas suffit à redresser suffisamment la compagnie. En janvier 2005, Swiss annonçait un quatrième plan de restructuration puis, en mars 2005, un accord quant à son rachat par Lufthansa.

1 En 2005, partage de code avec 20 compagnies dont 18 européennes. 2 La brochure est éditée par SNBA mais porte de façon visible la mention « Including flights operated by Virgin Express.com ». 3 Notons toutefois qu’à ce stade, pour les destinations exploitées par les deux compagnies (par exemple Bruxelles – Rome), chacune ne propose que ses propres vols. 4 Ce qui illustre d’ailleurs le fait qu’il ne faut pas évaluer la rentabilité d’une compagnie aérienne qu’au seul taux de remplissage, mais aussi et surtout en comparant coût par siège et recette par siège. La Sa- bena a fait faillite avec un taux de remplissage proche de 70% alors que SNBA dégage un bénéfice avec un taux de 61%. 5 De manière cependant moins sévère que dans l’UE et uniquement pour les vols entre la Suisse et l’UE (article 13).

196 De Swissair / Crossair à Swiss Swissair Crossair Swissair+Crossair Swiss Swiss notes 2000 2000 2000 2002 2004 Flotte 75 84 159 132 82 Destinations (total) (a) 109 55 137 116 69 Destinations (intercont.) (a) 54 0 54 42 27 Vols (milliers) (a) 181.5 105.9 287.4 226.6 143.7 Km volés (millions) (a) 246.1 63.6 309.7 224.3 171.1 ASK (milliards) (a) 46.4 4.0 50.4 31.5 27.5 Passagers (millions) (a) 14.24 2.83 17.07 11.57 9.19 Taux de remplissage passagers (a) 73.7% 50.1% N.C. 71.0% 74.9% Travailleurs (b) N.C. 3 680 N.C. 12 222 7 909 Travailleurs (équiv. temps-plein) (b) 7 299 3 263 10 562 10 606 6 625 Chiffre d'affaires (millions EUR) (b) 3 705.1 815.9 10 383.2* 2 910.2 2 285.1 Résultat opérationnel (millions EUR) (b) -618.4 -79.2 Résultat net (millions EUR) (b) N.C. -16.1 -1 845.8* -666.7 -90.9 (a) Vols réguliers passagers - (b) Crossair 2000 = consolidation Crossair Group * Pour SAirGroup (SAirLines, SAirLogistics, SAirServices, SAirRelations) Sources : compagnies, AEA, OAG Tableau 49 : de Swissair / Crossair à Swiss

8.4. L’impact de l’évolution de la desserte des aéroports belges et suisses

Reconstruction prudente en Belgique, tentation de maintenir la grandeur puis restrictions de la production en Suisse, comment ces stratégies et évolutions ont-elles influencé la desserte des principaux aéroports belges et suisses ? Nous examinerons le cas de Bruxelles, Bâle- Mulhouse (EuroAirport)1, Genève et Zurich.

8.4.1. Évolution de l’offre

L’évolution de l’offre aux quatre aéroports est ici résumée par une quantification de l’évolution de l’offre (Tableau 50) et des réactions des compagnies en termes de réseau (Figure 109).

1 Situé en France mais proche de Bâle et sous la double autorité de la France et la Suisse. Probablement le seul aéroport bi-national au monde.

197 L'évolution de l'offre régulière par aéroport (janvier) Vols (en milliers) Destinations 2001 2003 2005 2005/2001 2001 2003 2005 2005/2001 Depuis Bruxelles SN 6.86 2.31 2.16 -69% 93 41 51 -42 Autres 4.22 5.91 5.01 19% 87 101 85 -2 TOTAL 11.08 8.22 7.17 -35% 139 125 109 -30 Depuis Bâle-Mulhouse SR & LX 2.12 1.75 0.73 -66% 33 29 13 -20 Autres 0.49 0.49 0.83 68% 18 16 20 2 TOTAL 2.61 2.24 1.56 -40% 48 43 29 -19 Depuis Genève SR & LX 0.80 0.97 0.53 -34% 19 18 9 -10 Autres 3.27 3.43 4.06 24% 56 56 74 18 TOTAL 4.07 4.40 4.59 13% 62 63 75 13 Depuis Zurich SR & LX 6.91 5.97 4.10 -41% 118 101 63 -55 Autres 3.90 3.38 4.43 14% 78 70 85 7 TOTAL 10.81 9.35 8.53 -21% 150 133 113 -37 Les destinations à aéroports multiples ne sont comptés qu'une seule fois. SN = Sabena puis SN Brussels Airlines (SNBA). SR = Swissair. LX = Crossair puis Swiss. Source : OAG. Traitements : F. Dobruszkes Tableau 50 : l’évolution de la desserte de Bruxelles, Bâle, Genève et Zurich

A Bruxelles, SNBA n’a pas repris la fonction hub de Sabena et la chute de l’offre (vols et destinations) est importante. La très forte restriction de l’offre SNBA vs Sabena est pour partie compensée par une présence plus marquée des autres compagnies ; celles-ci ont cependant revu leurs ambitions à la baisse entre 2003 et 2005 (Virgin Express) ou ont fait faillite (Volare, Gandalf) ou ne sont pas restées à Bruxelles (Eurowings). Selon le nombre de sièges offerts, c’est Virgin Express, compagnie belge middle-cost pré- sente depuis longtemps à Bruxelles, qui a le plus profité de la faillite de la Sabena, son offre ayant doublé entre janvier 2001 et janvier 2005 (+50 300 sièges). D’autres compagnies ont renforcé leur offre (Iberia, British Midland, Olympic, TAP,…) ou sont arrivées sur le marché belge (compagnies des pays baltes, American Airlines, la compagnie libyenne Afriqiyah Air- ways,…). A noter la stratégie différente de Lufthansa, qui a diminué le volume de sièges entre Bruxelles et l’Allemagne (-8%) mais a dans le même temps augmenté ses fréquences de 29%, en particulier vers ses hubs de Francfort et Munich, grâce à l’utilisation d’avions de plus faible capacité.

SNBA et les compagnies concurrentes volent en partie vers les mêmes destinations, ce qui explique que l’augmentation de l’offre de ces dernières ne se traduit pas par une diversifica- tion des destinations accessibles depuis Bruxelles. Les concurrents ont repris 11 destina- tions Sabena mais 19 autres n’ont intéressé personne. Les faillites ou restructurations des concurrents ont fait perdre 23 destinations mais 13 autres ont été créées (Figure 110).

198

Figure 109 : l’évolution de la desserte de Bruxelles, Bâle, Genève et Zurich

199 A Bâle-Mulhouse, Swiss a, dans un premier temps, maintenu le hub européen auparavant exploité par Crossair et l’offre diminue peu. Toutefois, dans le cadre de la réduction de vo- lume opérée par Swiss fin 2003, ce hub est sacrifié et l’offre Swiss est en chute. Les autres opérateurs n’ont que partiellement compensé le retrait de Swiss. Signalons en particulier l’arrivée de la compagnie low-cost Easyjet (6 départs par jour en moyenne) et le renforce- ment de British Midland et Lufthansa. La figure indique 16 destinations abandonnées par Swiss sans reprise par aucun concurrent.

L’aéroport de Genève a connu un sort équivalent concernant l’offre Swiss : maintien du ni- veau antérieur à la faillite de Swissair puis suppression de la moitié des vols et destinations dont la plupart étaient également opérés par d’autres compagnies. Cependant, Swissair / Crossair puis Swiss n’étaient pas dominants à Genève, d’où un effet moins dramatique sur la desserte de l’aéroport. En outre, le repli de Swiss est ici largement compensé par la dy- namique des autres compagnies, si bien qu’in fine l’offre totale est en croissance par rap- port à 2001 et l’époque Swissair / Crossair. Ceci est dû à l’arrivée d’Easyjet et Easyjet Swit- zerland et au renforcement de l’offre de BA, Air France, Virgin Express, Austrian et diverses autres compagnies. Diverses compagnies low-cost ou d’Europe Centrale se sont également installées sur le tarmac genevois. L’aéroport de Genève se spécialise donc dans l’offre low- cost, au point d’avoir planifié une aérogare dédiée, ce qui lui permet de se maintenir à l’échelle internationale. En janvier 2005, 1/4 des vols ou 1/3 des sièges internationaux y sont exploités par une compagnie low-cost1. On constate que la dynamique générée par les concurrents de Swiss est multiple : reprise de quelques destinations abandonnées par Swiss (3 sur 8), maintien de la présence sur les destinations jadis exploitées en concurrence avec Swiss et surtout création de 23 nouvelles destinations compensant les 8 autres supprimées.

Enfin, Zurich a connu un certain recul de son offre dès la fondation de Swiss. Mais la chute sera plus sévère au terme de la restructuration de Swiss fin 2003. L’arrivée ou le renforce- ment des autres transporteurs ne compense que partiellement cet important recul. Signa- lons en particulier l’arrivée d’Air Berlin (presque 10 départs par jour en janvier 2005 !), Hel- vetic Airways (nouvelle compagnie middle-cost), Monténégro Airlines et Denim Air. La dynamique des concurrents de Swiss est ici plus limitée : ceux-ci reprennent moins de la moitié des destinations abandonnées par Swiss (14 sur 56) et créent moins de nouvelles destinations qu’ils n’en perdent (11 vs 18).

8.4.2. La dynamique des réseaux

L’impact de la faillite et de la reconstruction de Sabena et Swissair est donc loin d’être né- gligeable pour les principaux aéroports belges et suisses, d’autant que les concurrents n’ont que partiellement compensé les diminutions de l’offre et de l’éventail des destinations. Ces évolutions méritent d’être précisées par une analyse de la dynamique des routes fer- mées ou ouvertes. Derrière cet aspect des choses, c’est bien sûr toute la question du posi- tionnement international des grandes villes ou pays qui est posée.

1 Calculs personnels d’après OAG.

200

Figure 110 : l’impact de la faillite de Sabena sur la desserte de Bruxelles

201

Figure 111 : l’impact de la faillite de Swissair sur la desserte de Bâle-Mulhouse

202

Figure 112 : l’impact de la faillite de Swissair sur la desserte de Genève

203

Figure 113 : l’impact de la faillite de Swissair sur la desserte de Zurich

204 Depuis Bruxelles (Figure 110), on constate que SNBA n’a repris aucune destination améri- caine ou asiatique de Sabena, tout en faisant le tri parmi les destinations africaines1 et sur- tout européennes, au regard de leur rentabilité et de leurs potentialités et compte tenu d’une flotte restreinte. SNBA a jugé le marché asiatique trop risqué et le marché nord- américain trop concurrentiel (majors états-uniennes). La compagnie a préféré sceller un accord de partage de codes avec American Airlines (AA) et se concentrer sur le marché d’Afrique noire tant francophone qu’anglophone afin de diversifier la clientèle potentielle- ment en correspondance à Bruxelles pour atteindre l’Afrique. Dans un contexte de faiblesse des liaisons Amérique du Nord – Afrique, l’accord AA – SNBA vise à attirer sur le réseau africain de SNBA des voyageurs américains (diplomates, agents des organisations interna- tionales,…). En Afrique noire, quelques destinations Sabena n’ont pas été reprises faute d’une flotte suffisante ou à cause d’une concurrence trop féroce (Johannesburg, caractéri- sée par une chute du prix des billets au point que des avions bien remplis ne sont pas né- cessairement rentables). Les concurrents ont maintenu leurs destinations aux USA mais ont également abandonné l’Asie et n’ont pas compensé, sauf exception, les quelques destinations africaines abandon- nées. C’est en Europe que la situation est plus mouvementée : la plupart des destinations non-reprises par SNBA ont permis aux concurrents de jouer un rôle plus important à Bruxel- les. Enfin, on note que le marché européen est à première vue concurrentiel : tant en 2001 qu’en 2005, de nombreuses destinations sont exploitées par SNBA et un ou plusieurs concurrents. Au final, l’aéroport de Bruxelles est donc fortement recentré sur l’Europe et l’Afrique et plus marginalement sur l’Amérique du Nord, et est quasiment déconnecté de l’Asie.

Depuis Bâle-Mulhouse (Figure 111), Swiss a supprimé des destinations secondaires sur l’échiquier européen (Bilbao, Bordeaux, Naples,…) mais également Milan, Oslo et Stock- holm. Aucune destination abandonnée n’a été reprise par la concurrence. La présence ac- crue des autres compagnies a donc augmenté la concurrence avec Swiss sur certaines des lignes maintenues. Bâle-Mulhouse se voit donc confiné à une sélection restreinte parmi les principales villes européennes.

Depuis Genève, (Figure 112), on constate que Swiss joue un rôle plus marginal encore par rapport à Swissair / Crossair. Les destinations abandonnées n’ont presque pas intéressé les concurrents, qui ont préféré créer des liaisons vers d’autres villes, principalement euro- péennes. Easyjet a connecté Genève à plusieurs villes secondaires britanniques. L’aéroport de Genève est donc confirmé dans un ancrage européen et arabo-musulman tout en sauvant sa liaison avec New-York.

Enfin, depuis Zurich (Figure 113), on constate que Swiss a fait le ménage sur tous les continents, tout en restant significativement présente sur chacun d’entre eux, y compris sur la côte Ouest des États-Unis. Une bonne partie des destinations européennes et nord- américaines abandonnées ont été reprises par des concurrents. Ceux-ci ont par ailleurs créé plusieurs nouvelles liaisons en Europe tout en accentuant la concurrence sur les liaisons existantes. Il y a peu de destinations européennes sur lesquelles Swiss ne subit pas de concurrence. Zurich garde donc un ancrage aérien d’ampleur mondiale, bien qu’écorné.

1 En outre, le réseau africain de SNBA a été réorganisé en diminuant la part des vols directs, ceci afin de grouper plus souvent deux ou trois destinations sur un même vol et ainsi améliorer le load factor. Le nombre moyen d’escales requis pour arriver en Afrique sub-saharienne avec SN, pondéré par la fré- quence des vols, passe de 0.40 en janvier 2001 (Sabena) à 0.58 (SNBA) (calculs personnels).

205 8.4.3. Hiérarchies de desserte et positionnements internationaux

Avec la faillite de Sabena et Swissair, l’aéroport de Genève est donc celui qui sauve le mieux sa position, grâce à une moindre présence initiale de Swissair1 et au développement des autres compagnies. Les autres aéroports ont régressé, mais sans pour autant modifier la hiérarchie de desserte Zurich > Bruxelles > Genève > Bâle. Cette hiérarchie fait large- ment écho au marché local, à la localisation des aéroports et aux fonctions économiques et politiques jouées par les villes, ainsi qu’aux ambitions de Swiss et SNBA.

En termes démographiques (Tableau 51), Bruxelles l’emporte sur Zurich, elle-même plus importante que Genève ou Genève plus Lausanne (distantes de 60 km seulement et se par- tageant l’aéroport de Genève) qui, à leur tour, l’emportent sur Bâle. Bruxelles est le seul grand aéroport international belge2, mais il est directement concurrencé par Amsterdam, Francfort et surtout Paris CDG (1h20 par TGV) (Dobruszkes, 2001). Zurich semble peu gêné par Munich et Milan vu la distance et l’absence de TGV. Genève profite de son éloignement face à l’aéroport de Zurich (283 km) et peut espérer profiter des faiblesses de l’aéroport de Lyon3 (150 km) pour attirer une clientèle française. Au contraire, Bâle est trop proche de l’aéroport de Zurich (90 km) pour espérer se suffire à elle-même.

Population des villes étudiées En millions d'habitants Bruxelles 1.35 Bâle 0.41 Berne 0.33 Genève 0.42 Lausanne 0.30 Zurich 1.00 Belgique 10.3 Suisse 7.2 Sources : - Belgique : INS; Vandermotten et al . 1999 - Suisse : Marchand, Riquet et al. , 1996 Tableau 51 : poids démographiques

Le classement des villes sur la scène internationale donne des résultats différents. Le clas- sement des world cities selon le GaWC (point 3.5, p. 50) place Zurich un rang plus haut que Bruxelles (9 vs 8) et Bruxelles deux rangs au-dessus de Genève (8 vs 6). Zurich est le siège des principales banques et assurances suisses, qui sont la tête de pont de la pénétration financière suisse à l’étranger, sur un espace réellement mon- dial (Vandermotten et Marissal, 1998 ; Marchand, Riquet et al., 1996). Bruxelles est au contraire moins bien insérée dans le capitalisme international que Zurich. Dans le classement du GaWC, on constate d’ailleurs que Zurich est en première catégorie (« prime ») pour les « global banking services » tandis que Bruxelles y est en dernière ca- tégorie (« minor »). Bruxelles n’atteint pas le niveau de Zurich en termes de commande- ment économique (sur base de la localisation des quartiers généraux des firmes) et de « network power » (« places to be ») (Taylor, 2003). Le positionnement de Bruxelles tient en fait grande partie à la présence marquée d’institutions internationales dont l’Union Euro- péenne et l’OTAN. Par contre, le tertiaire de commandement économique y est plutôt mal représenté pour une capitale nationale réputée « internationalisée ».

1 Rappelons cependant que Swissair avait dans les années 90 réduit sa présence à Genève en concentrant ses vols intercontinentaux sur Zurich. 2 Si l’aéroport régional de Charleroi Brussels South compte en volume, son éventail de destinations est limité et présente peu d’exclusivités face à Bruxelles. 3 En 2005, on compte 37 destinations communes, 45 exclusivités à Genève et 39 exclusivités à Lyon (cal- culs personnels ; les aéroports multiples d’une même ville sont regroupés).

206 Genève concentre des institutions internationales (Banque Mondiale, Nations Unies,…) et des activités financières en tant que point d’appui aux banques françaises ou par une parti- cipation au recyclage des pétrodollars. Celles-ci n’atteignent cependant pas le poids de Zu- rich mais permettent, avec le poids démographique de Genève et Lausanne, de justifier un réseau aérien qui dépasse celui de nombreuses autres villes secondaires européennes. Bâle a un certain poids financier également et est insérée dans une région, la Suisse sep- tentrionale, qui combine tertiaire de commandement économique et financier et industries à haute valeur ajoutée (Vandermotten et Marissal, 1998). Du côté des compagnies, même si les Suisses ont vu trop grand en constituant Swiss et malgré les restrictions successives de l’offre, Swiss demeure plus importante que SNBA et son réseau est réellement mondial. Le capitalisme suisse joue donc deux fois en faveur de Swiss : d’une part comme actionnaire et, d’autre part, comme générateur de trafic. Il reste- ra cependant à voir ce que deviendra le hub de Zurich dans le cadre du récent rachat de Swiss par Lufthansa : à côté de Francfort et Munich, y aura-t-il la place pour un troisième hub dans la région ?

8.4.4. La relative inertie des concurrents

On est par ailleurs frappé de la faible réaction des autres compagnies suite aux marchés non-repris ou abandonnés par SNBA et Swiss, compagnies low-cost / middle-cost excep- tées. Ceci n’est pas nécessairement étonnant. Si l’offre aérienne était trop importante par rapport au marché local et que les fonctions hub ne compensaient pas ce problème structu- rel, on comprend que les compagnies concurrentes ne se soient pas précipitées pour re- prendre l’offre abandonnée, d’autant que les destinations les plus rentables ont générale- ment été reprises par SNBA et Swiss. En outre, il faut disposer d’avions et d’équipages pour intensifier son offre. Cependant, le développement des compagnies low-cost change la donne car leur structure de coûts permet d’exploiter des relations qui ne sont pas nécessairement rentables pour les compagnies classiques. Rappelons que l’offre low-cost se divise en effet en deux principaux segments : relations classiques entre grandes agglomérations ou vers les destinations tou- ristiques, d’une part, et relations de niches abandonnées ou non-exploitées par les compa- gnies classiques.

8.5. Conclusions

Souffrant de problèmes structurels depuis longtemps, la Sabena a été achevée d’une part par la libéralisation du ciel européen (compagnie peu compétitive ; interdiction des aides d’État) et, d’autre part, par la stratégie de croissance démesurée mise au point par sa par- tenaire Swissair. Cette démesure fut d’autant plus grave une fois Delta Airlines partie pour Air France. Les deux compagnies ont disparu presque en même temps et les faillites sont liées : Swissair a entraîné Sabena dans une croissance folle ; en retour, Sabena a contribué à plomber les comptes du SAirGroup, qui n’a pu honorer ses engagements de recapitalisa- tion de Sabena. Cependant, les deux flag carriers sont réapparus sous de nouvelles formes grâce aux « morceaux » récupérables et à un nouvel effort des investisseurs. En Belgique, SNBA a opté (sous la contrainte de capitaux privés limités et de la quasi- absence de capitaux publics) pour une taille raisonnable, plus en rapport avec le marché national tout en misant à nouveau sur l’Afrique sub-saharienne, compte tenu de la réputa- tion de la Sabena en la matière. L’offre est bien moindre que du temps de la Sabena et les concurrents ont peu misé sur le marché belge, à l’exception de compagnies middle-cost / low-cost opérant en partie sur les mêmes destinations que SNBA. Le prix de l’équilibre fi- nancier de SNBA, sous la contrainte de la libéralisation et d’un interventionnisme étatique en déclin, est donc une dégradation de l’accessibilité aérienne de Bruxelles. La faillite de l’État-Nation belge (Vandermotten et al., 1990) n’a sans doute rien arrangé à l’affaire et l’on n’a pas vu en Belgique une mobilisation des hautes sphères de l’État pour sauver la compa- gnie, comme ce fut par exemple le cas en France lorsqu’il s’est agit de remettre Air France à

207 flot et de la fusionner avec UTA et Air Inter pour la consolider et en faire une compagnie d’envergure mondiale. En Suisse, grandes banques et institutions publiques se sont mobilisées pour fonder Swiss avec une ambition bien plus grande qu’en Belgique. La desserte des principaux aéroports suisses s’en est trouvée relativement sauvegardée dans un premier temps. Cependant, l’échec économique de Swiss l’a rapidement contrainte à limiter ses ambitions et donc son réseau, au détriment des deux aéroports suisses où elle dominait le marché (Zurich et Bâle). Bâle a d’autant plus perdu qu’elle souffre de la proximité de Zurich. Dans tous les cas, les concurrents n’ont que partiellement repris l’offre abandonnée, ou ont ouvert des destinations qui n’existaient pas auparavant. Les compagnies low-cost jouent ici un rôle important, en particulier à Genève et dans une certaine mesure à Bruxelles. Ceci tend à montrer que l’offre de Sabena et Swissair était supérieure aux besoins et aux trafics qu’il était raisonnable d’espérer pouvoir capter.

On voit ainsi comment, dans un système de transport libéralisé et concurrentiel, les pou- voirs publics ne contrôlent plus directement leur insertion aérienne dans le système interna- tional dès lors que les compagnies ne peuvent a priori plus être financées par eux, sauf ex- ception, et doivent donc être rentables ou disparaître. Malgré tout, la hiérarchie aérienne Zurich / Bruxelles / Genève / Bâle s’est maintenue en tant que reflet du poids démographique et des fonctions économiques et politiques interna- tionales, et la Suisse peut conserver le luxe de disposer de plusieurs aéroports internatio- naux dont un d’envergure mondiale.

208 9. Les services publics résiduels, face cachée de la libéralisation

Remarque : les chiffres présentés dans ce chapitre incluent les départements d’outre-mer français (DOM).

9.1. Introduction

Nous avons jusqu’ici traversé le monde du libre-marché, en pleine dynamique, avec ses gains mais aussi ses pertes. Libre accès au marché, régression de l’interventionnisme étati- que, concurrence, stratégies privées et publiques, développement et faillites constituent ainsi le nouveau vocabulaire du transport aérien européen. Si le rôle de l’État s’en est offi- ciellement trouvé renouvelé et cantonné à la régulation et aux infrastructures1, le droit eu- ropéen prévoit cependant une exception notable s’agissant des obligations de service public (OSP)2, principale « atteinte » au principe général du libre-marché aérien : « Un État membre peut, à la suite de consultations avec les autres États concernés et après en avoir informé la Commission et les transporteurs aériens qui exploitent la liaison, imposer des obligations de service public sur des services aériens réguliers vers un aéro- port desservant une zone périphérique ou de développement située sur son territoire ou sur une liaison à faible trafic à destination d'un aéroport régional situé sur son territoire, si ces liaisons sont considérées comme vitales pour le développement économique de la région dans laquelle est situé l'aéroport, dans la mesure nécessaire pour assurer sur cette liaison une prestation de service adéquate répondant à des normes fixes en matière de continuité, de régularité, de capacité et de prix, normes auxquelles le transporteur ne sa- tisferait pas s'il ne devait considérer que son seul intérêt commercial »3.

Vols réguliers, espaces périphériques et/ou en développement ou faible trafic d’aéroport régional, combinés à des enjeux de développement économique et non-rentabilité financière du service délimitent donc le domaine où les pouvoirs publics peuvent influencer directe- ment l’offre de transport aérien. Tout le reste est censé correspondre aux « lois du mar- ché ». Il est à noter que le règlement libéralisant le transport aérien et prévoyant les OSP ne pré- cise pas ce qu’il faut entendre par « zone périphérique », « zone de développement » et « vital pour le développement économique », laissant ainsi des marges de manœuvres aux États membres (Kostopoulos, 2005). Seule la notion d’aéroport régional est définie : il s’agit de tous les aéroports ne figurant pas dans la liste des aéroports dits de première catégorie selon le législateur européen4. À condition de ne pas dépasser 30 000 sièges par an, le droit européen prévoit également que si aucun transporteur n’exploite ou n’est sur le point d’exploiter la liaison pour laquelle une imposition d’OSP a été décrétée par un État, ce dernier peut en limiter l’accès à un seul transporteur qui s’en voit concéder l’exploitation après appel d’offres et peut bénéficier d’une compensation financière de l’État, par périodes de maximum trois ans. Au-delà de 30

1 Lorsque celles-ci ne sont pas privatisées. 2 Définies comme étant « les obligations imposées à un transporteur aérien en vue de prendre, à l'égard de toute liaison qu'il peut exploiter en vertu d'une licence qui lui a été délivrée par un État membre, tou- tes les mesures propres à assurer la prestation d'un service répondant à des normes fixes en matière de continuité, de régularité, de capacité et de prix, normes auxquelles le transporteur ne satisferait pas s'il ne devait considérer que son seul intérêt commercial » (règlement 2408/92, article 2). 3 Début de l’article 4 du règlement 2408/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant l'accès des trans- porteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires. Voir le Journal Officiel des Communautés Européennes L240 du 24/08/1992, consultable sur http://europa.eu.int/eur-lex. 4 En 2005 : Amsterdam, Athènes, Berlin (Tegel/Schönefeld/Tempelhof), Bratislava, Bruxelles, Budapest, Copenhague (Kastrup/Roskilde), Dublin, Düsseldorf, Faro, Francfort, Helsinki, Larnaka, Las Palmas, Lis- bonne, Ljubljana, Londres (Heathrow/Gatwick/Stansted), Luton, Lyon (Bron/Satolas), Madrid, Malaga, Malte Luqa, Milan (Linate/Malpensa/Bergamo), Munich, Palma Majorque, Paris (CDG/Orly/Le Bourget), Prague, Riga, Rome (Fiumicino/Ciampino), Salonique, Stockholm (Arlanda/Bromma), Tallin, Varsovie, Venise (Tessera/Treviso), Vienne, Vilnius (annexe I du règlement 2408/92 consolidé).

209 000 sièges par an, exclusivité et compensation financières sont autorisées si aucune autre forme de transport ne peut fournir « un service adéquat et continu ». Tout ceci se fait bien entendu sous l’égide de la Commission Européenne, organe administratif de l’Union et tradi- tionnelle « gardienne du traité » qui surveille les États pour éviter les « abus » (finance- ments au-delà du « strict nécessaire » requis par une OSP, préférence nationale,…). En pra- tique, l’État voulant imposer une OSP en informe la Commission, se concerte avec « les au- tres États membres concernés »1, après quoi un avis d’imposition d’OSP est publié au Jour- nal Officiel de l’Union Européenne. En cas de contestation d’un État membre, il est prévu que la Commission enquête puis rende une décision, mais cela n’est jamais arrivé. La Commission a précisé, dans une communication de 1994, que puisque les différents critères d’exploitation (prix, fréquences,…) sont imposés par les États, c’est le montant de la com- pensation qui sauf exception doit départager les compagnies soumissionnaires, et donc la moins coûteuse qui doit être sélectionnée. Il faut sans doute y voir une volonté de la Com- mission de limiter le pouvoir discrétionnaire des États (Grard, 1996b). On notera que l’Union Européenne permet des services publics, sans s’inquiéter de les or- ganiser. En outre, la méthode n’est pas l’institutionnalisation d’un service public (à l’instar du cas Eurocontrol), mais la délégation de missions à telle ou telle compagnie (Grard, 1996a).

De quoi se compose une imposition de service public ? L’ampleur et le détail des contraintes imposées varient d’un cas à l’autre. Un exemple à la fois concis et complet est par exemple fourni par l’imposition en 2002 d’OSP par l’Italie sur les liaisons entre Crotone et Milan / Rome2. Le texte impose un minimum d’un aller-retour quotidien et cadre les horaires en fixant des périodes de 3 heures (en début et fin de journée) durant lesquelles les vols doi- vent être opérés, « de manière à permettre aux passagers voyageant pour affaires d'effec- tuer un voyage aller et retour dans la même journée ». Sont ensuite imposés la capacité unitaire minimale des avions (nombre de sièges), les tarifs (hors inflation, TVA et taxes d’aéroport) et un taux d’annulations dues au transporteur de maximum 1%. Certaines impositions vont plus loin, telle par exemple l’imposition décrétée par la Suède en 2002 pour diverses relations intérieures qui précise la vitesse de croisière minimale, le taux de retard acceptable selon des seuils de 5 et 15 minutes, le fait que les malvoyants et malentendants doivent pouvoir prendre connaissance des informations fournies pendant le voyage ; impose que les horaires permettent certaines correspondances données ; fixe des exigences environnementales visant entre autres à « minimiser le bruit et les émissions nocives ». Diverses OSP précisent également le nombre d’heures que doivent pouvoir pas- ser les voyageurs à destination avant de reprendre l’avion dans l’autre sens.

Ce dernier chapitre vise d’abord à quantifier et à mettre en exergue la géographie de ces services publics que l’on qualifiera de résiduels face au libre-marché. Puis, dans le cas fran- çais, de cerner l’adaptation des mécanismes nationaux de soutien étatiques aux dessertes eu égard au droit européen, ainsi que la justification des soutiens actuels. Pour répondre à ces questions, il nous fallait disposer de la liste complète des OSP afin de pouvoir la confronter à l’offre globale telle que connue au travers des données d’OAG. Dans ce cadre, nous avons reçu un listing de la Commission Européenne dressant la liste des communications publiées au Journal Officiel de l’Union Européenne (JOUE) durant la période 1994-2004 (impositions, appels d’offre, modifications et suppressions). La publication au JOUE étant antérieure à l’exploitation des services, ceci nous permet d’analyser les OSP en service durant le mois de janvier 2005, après consultation systématique du JOUE pour véri- fication de la période concernée. Les cas incertains ont été tranchés suite à une prise de contact avec les administrations nationales ou régionales concernées.S’agissant du cas fran- çais, nous avons mis la main sur un rapport parlementaire de 1990 dressant un bilan des aides à l’exploitation fournies dans les années 1970 et 80 et rencontré les responsables du dossier au sein de la Direction Générale [française] de l’Aviation Civile (DGAC).

1 Sans que l’on sache très bien ce qui est entendu par là. Sans doute faut-il concertation avec un État tiers si une liaison internationale le concernant est planifiée en tant qu’OSP ou si une compagnie immatriculée dans cet État tiers exploite déjà la liaison en question (Kostopoulos, 2005). 2 Voir JOUE C310/17 du 13/12/2002.

210

9.2. Des OSP marginales et essentiellement domestiques

Nous avons déjà vu que le libre-marché est aujourd’hui ultra-dominant (Tableau 9, p. 60). Retournons les chiffres déjà présentés pour mieux montrer la faible part des OSP résiduel- les dans l’offre intra-européenne (Tableau 52) : 6,3 % des vols, 4,6 % des sièges offerts ou 8,1 % des paires de villes ; en outre, si l’on ne considère que les OSP subventionnées, les parts sont encore plus faibles. Ceci ne signifie pas que les OSP ne méritent pas d’être étu- diées, bien au contraire. Elles constituent le révélateur de stratégies des pouvoirs publics, locaux et/ou nationaux, en vue de garantir un minimum de desserte aérienne, générale- ment au nom du désenclavement et du développement régional.

Part des OSP dans l'offre aérienne interne à l'espace européen libéralisé (janvier 2005) avec subvention sans subvention total Selon le nombre de vols 3.6% 2.7% 6.3% Selon le nombre de sièges 1.9% 2.7% 4.6% Selon les paires de villes 6.2% 1.9% 8.1%

Sources : Commission Européenne, OAG et calculs personnels. Tableau 52 : le faible poids des obligations de service public

Si les OSP sont globalement l’exception, il apparaît en outre que celles-ci sont quasiment toutes domestiques (Tableau 53). On peut y voir diverses raisons. Premièrement, les OSP correspondent à des stratégies développées à l’échelle nationale ou locale ; l’UE permet aux États d’imposer des OSP, en assure in fine le contrôle mais ne joue aucun rôle actif en la matière pas plus qu’elle ne participe aux financements éventuels. L’existence d’OSP interna- tionales est donc suspendue à des concertations et décisions d’au moins deux États (ou col- lectivités locales de deux États) supposés partager une même vision stratégique et un même intérêt. Ceci ne conduit pas à la création de liaisons inter-régionales européennes telles que l’UE les favoriserait probablement si elle gérait directement le dossier. Deuxiè- mement, on peut penser que les pouvoirs publics préfèrent axer leur rayonnement interna- tional sur le financement d’équipements ou d’infrastructures plus matériels et donc plus visibles par la population tant locale qu’extérieure, tels que grands musées, gares TGV, cen- tres de conférences,… Enfin, à supposer que les pouvoirs publics disposent de fonds pour financer des relations aériennes, le « réflexe national » et l’attraction des grandes villes na- tionales ne l’emportent-t-il pas sur des relations internationales peut-être plus improba- bles ?

Part des OSP exploitées en domaine domestique (janvier 2005) avec subvention sans subvention total Selon les vols 96.1% 100.0% 97.8% Selon les sièges 96.4% 100.0% 98.5% Selon les paires d'aéroports 95.9% 100.0% 96.9%

Sources : Commission Européenne, OAG et calculs personnels. Tableau 53 : des obligations de service public essentiellement domestiques

211 9.3. Une offre géographiquement périphérique et française

Passons maintenant à la géographie des OSP, à ce jour jamais dressée.

Figure 114 : la géographie des obligations de service public

La géographie des OSP (Figure 114) est globalement une géographie de périphéries : péri- phéries de l’Europe et périphérie de la France. Leurs raisons d’être sont variables : desserte de régions reculées (en Irlande, Norvège et Suède) ; pays subissant la contrainte du relief (Norvège) ; pays dotés d’îles reliées par OSP entre elles et/ou au continent (France, Portu- gal, Royaume-Uni, Grèce, Espagne) ; grands pays dans lesquels les OSP comblent des lacu- nes du train à grande vitesse pour des relations entre villes de province (France) ou entre des villes de province et la capitale ou autres grandes villes (France, Italie et Allemagne) ; volonté politique d’arrimage d’une région (éventuellement en crise, telle Erfurt en ex-RDA) à d’importants pôles urbains ou aéroportuaires. Cependant, on notera que toutes les périphéries ne sont pas concernées. En particulier, aucun pays membre ex-communiste n’a décrété d’OSP. Faut-il y voir le temps nécessaire pour s’adapter à un contexte légal nouveau, un manque de moyens financiers ou les consé- quences d’un libéralisme souvent qualifié de dur ?

Le contraste entre la France et l’Espagne, deux pays dont le système urbain est centralisé et laisse peu de place aux villes de province, est très frappant, puisque l’Espagne n’a élu aucune OSP intra-continentale. Parmi les grands pays, on notera également le faible poids

212 des OSP en Finlande et en Allemagne. Dans ce dernier cas, Kostopoulos (2005) y voit le fait que la compétence est entièrement du ressort des lands et l’absence de fonds national, au contraire de la France qui combine impulsions locales et financement national. Le système urbain multipolaire allemand y rend peut-être aussi moins pressant qu’en France le besoin de liaisons aériennes sur plusieurs centaines de kilomètres. Les OSP y concernent essentiel- lement l’ex-RDA (principalement Erfurt), dont elles améliorent l’arrimage à Francfort et Mu- nich, les deux principaux aéroports allemands et hubs de Lufthansa. Williams et Pagliari (2004) avancent que, dans de nombreux cas, la frontière entre ce qui doit relever du marché ou du régime des OSP dépend d’une part du caractère intervention- niste ou non en matière de politique aérienne et, d’autre part, du succès du lobbying exercé à l’échelle nationale par les groupes de pression régionaux ou locaux. Ceci serait particuliè- rement vrai en France, en Norvège et en Allemagne. Une telle différentiation est évidem- ment possible par le fait que l’UE laisse le soin aux États de trancher la question, en dehors de toute politique européenne globale. Il faut également ajouter que de diverses relations qui pourraient être élues au rang d’OSP sont malgré tout exploitées selon les règles du mar- ché en tant que relations faisant partie d’un réseau global et alimentant les hubs des gran- des compagnies. Dans de tels contextes, le critère de rentabilité d’une ligne considérée iso- lément n’est pas aussi rigide que dans l’hypothèse d’une ligne à créer en dehors de tout réseau préexistant.

Il apparaît également que la presque totalité des rares OSP internationales concernent la desserte de Strasbourg (relations avec Amsterdam, Copenhague, Madrid, Vienne,…). On est forcé de constater que la Commission Européenne, habituellement stricte sur la question des aides d’État, n’a ici rien trouvé à redire alors que ni Strasbourg ni les villes auxquelles celle-ci est reliée par OSP ne peuvent prétendre répondre aux conditions censées guider le régime des OSP aériennes. Cette flexibilité de la Commission se comprend aisément si l’on sait que l’aéroport de Strasbourg ne compte que quatre dessertes aériennes internationales européennes hors OSP, renforcées par six OSP internationales. La desserte du Parlement Européen mérite bien un peu de souplesse avec les principes. Parmi les autres OSP internationales, notons la relation Mariehamn – Stockholm qui permet aux 25 000 habitants de l’archipel finlandais d’Åland, de langue et de culture suédoises, de rallier facilement Stockholm. L’archipel d’Åland bénéficie d’une très large autonomie1, d’un parlement et de sa propre administration, tandis que la seule langue officielle y est le sué- dois. L’OSP est pilotée et financée par la province d’Åland, sans immixtion de l’État central.

Le croisement de la géographie des OSP subventionnées et de la typologie économique des régions européennes (Tableau 54) confirme ce que la carte montrait déjà : à l’exception des relations métropolitaines françaises, la géographie des OSP est bien une géographie essen- tiellement axée sur une partie des périphéries européennes. L’important poids de la péri- phérie tient au fait que les OSP subventionnées concernent des aéroports sis dans des ré- gions reculées et/ou peu développées économiquement, que les OSP relient soit à des cen- tres régionaux également situés dans des espaces périphériques ou intermédiaires (Nor- vège, Irlande, îles portugaises,…), soit aux régions capitales classées régions métropolitai- nes (OSP vers Lisbonne, Paris, Stockholm,…).

1 Pouvoir législatif autonome (sauf politique extérieure, douanes, monnaie et justice), droit de veto à l’application des lois votées par la Finlande,…

213 Répartition des OSP aériennes avec subvention selon la typologie économique agrégée des régions européennes (janvier 2005) D'après le nombre de sièges.

Zones de destination Zones d'origine total M C S I P Métropolitaines 22.2% 0.2% 1.2% 0.0% 2.3% 18.1% Centrales 3.9% 1.4% 0.5% 0.0% 0.8% 0.9% Sub-centrales 0.5% 0.0% 0.0% 0.3% 0.0% 0.2% Intermédiaires 8.8% 2.3% 0.8% 0.0% 0.2% 5.6% Périphériques 64.6% 17.3% 0.9% 0.2% 5.6% 40.5%

Zones périphériques à l'origine et/ou à l'arrivée : 89.4%

Sources : Commission Européenne, OAG et calculs personnels. Tableau 54 : obligations de service public et typologie régionale économique

Quantitativement, la France et l’Italie dominent clairement le classement du volume d’OSP (Tableau 55). Ce classement doit toutefois être relativisé par le fait que des OSP non- subventionnées ou subventionnées ne représentent pas un même acte politique. Dans le premier cas, les pouvoirs publics se contentent d’imposer des obligations auxquelles des opérateurs, exploitant généralement déjà les relations en question, sont tenus de se conformer1. Dans le second cas, il s’agit réellement d’impulser des relations qui n’existeraient pas sans subvention. Les pouvoirs publics sont ici tout à la fois l’initiateur de la relation et le contributeur la rendant financièrement tenable. Or, l’Italie et l’Espagne font appel aux OSP essentiellement sur une base non-subventionnée tandis que la France est dans une position intermédiaire où les OSP subventionnées représentent 40% des sièges totaux exploités sous régime d’OSP. Dès lors, il nous semble préférable de dresser un clas- sement des pays en fonction des seules OSP subventionnées (Tableau 56). Ce faisant, selon le nombre de sièges proposés, la France domine toujours le classement, mais maintenant suivie du Portugal (relations inter-îles et îles – continent) et de la Norvège (relations vers la capitale ou des centres urbains secondaires de province).

Offre exploitée sous régime OSP selon le pays de départ (janvier 2005) Selon les vols Selon les sièges avec sans avec sans subvention subvention total subvention subvention total France 21% 22% 22% 27% 30% 29% dont DOM/ROM 0% 12% 5% 0% 15% 9% Italie 7% 30% 17% 8% 40% 27% Espagne 0% 47% 21% 0% 30% 18% Portugal 14% 0% 8% 25% 0% 10% Norvège 34% 0% 19% 23% 0% 9% Grèce 7%0%4%5%0%2% Irlande 5%0%3%5%0%2% Suède 4% 0% 2% 3% 0% 1% Allemagne 3% 0% 2% 2% 0% 1% Royaume-Uni 4%0%2%1%0%1% Finlande 1% 0% 1% 0% 0% 0% Danemark 0% 0% 0% 0% 0% 0% Pays-Bas 0% 0% 0% 0% 0% 0% Total 15 458 11 914 27 372 892 936 1 284 050 2 176 986 Sources : Commission Européenne, OAG et calculs personnels. Tableau 55 : la quantification des obligations de service public par pays

1 Ces OSP peuvent être un héritage des contraintes existant avec la libéralisation européenne, et traduites dans le nouveau système légal. C’est par exemple le cas des OSP entre la France métropolitaine et l’outre-mer français.

214 Volume de l'offre exploitée sous régime d'OSP avec subvention selon le pays de départ (janvier 2005)

Selon les vols Selon les sièges France 3 274 242 664 Portugal 2 147 225 853 Norvège 5 237 201 035 Italie 1 033 70 685 Grèce 1 072 45 704 Irlande 723 40 262 Suède 625 27 338 Allemagne 432 15 530 Royaume-Uni 582 12 766 Finlande 155 2 945 Danemark 47 2 350 Pays-Bas 50 2 300 Espagne 39 1 950

Sources : Commission Européenne, OAG et calculs personnels. Tableau 56 : la quantification des obligations de service public subventionnées par pays

Ces chiffres doivent encore être relativisés par l’importance des marchés domestiques. Ce faisant (Tableau 57), le poids des OSP domestiques françaises est très relativisé (7,5 % des sièges), tandis que ce sont le Portugal et l’Irlande dont le réseau intérieur apparaît comme le plus dépendant des OSP, loin devant tous les autres pays. Subrémon (1999) rappelle d’ailleurs que si, fin des années 90, 371 000 passagers intra-France bénéficient de subven- tions publiques via le régime des OSP, ils ne représentent que 0,5% des passagers domes- tiques.

Part de l'offre domestique exploitée sous le régime d'OSP subventionnées (janvier 2005) paires d'aéroports selon les vols selon les sièges Portugal 24 62.0% 58.1% Irlande 8 59.5% 55.2% Norvège 48 28.3% 12.4% France 31 10.5% 7.5% Grèce 33 13.6% 6.0% Suède 10 5.8% 3.0% Italie 11 4.1% 2.3% Finlande 2 2.3% 0.5% Allemagne 6 1.6% 0.4% Royaume-Uni 12 1.7% 0.3%

Sources : Commission Européenne, OAG et calculs personnels. Tableau 57 : part des OSP subventionnées dans l’offre domestique

C’est cependant à l’échelle locale que les dépendances aux OSP peuvent apparaître comme les plus marquées (Figure 115). Cette carte montre que si, globalement, les OSP aériennes pèsent peu, les dépendances locales peuvent être très élevées, voire absolues. Sur près de 500 aéroports de l’EEE, 57 sont en effet totalement dépendants des OSP subventionnées, 13 autres en dépendent pour au moins 75% ; au total, 84 aéroports en dépendent pour au moins la moitié de leur offre (Figure 116). On constate ainsi que de nombreuses régions doivent leur desserte aérienne au régime d’exception que constituent les OSP subvention- nées par rapport au régime général du libre-marché ou celui des OSP non-subventionnées. Cela est vrai pour les régions continentales reculées et souvent difficilement accessibles par voie terrestre, des îles dont le développement touristique ne suffit pas à générer une offre aérienne adaptée aux besoins locaux, les petites villes françaises suffisamment éloignées de

215 Paris et pour lesquelles le TGV est absent ou non-compétitif faute de lignes à grande vitesse sur une distance suffisante.

Figure 115 : dépendance locale aux obligations de service public (I)

Dépendance locale aux OSP (fréquences cumulées) 500 Aéroports

400

300

200

100

0 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Part locales des OSP Figure 116 : dépendance locale aux obligations de service public (II)

216

La géographie des dépendances aux OSP est, elle aussi, une géographie de périphéries — périphéries de l’Europe et périphérie de la France. Il faut cependant garder à l’esprit que si la plupart des dépendances aux OSP sont situées en régions périphériques, toutes les ré- gions périphériques ne sont pas dépendantes des OSP, compte tenu de la forte variabilité de « l’activisme » des collectivités publiques, nationales ou locales, en la matière.

9.4. Une faible contribution à la dynamique de croissance

9.4.1. Peu de lignes créées grâce aux régimes des OSP

Nous avons identifié plus haut que 1 309 lignes européennes avaient été créées entre jan- vier 1991 et 2005. (point 6.2.2, p. 82). Parmi elles, les OSP ne représentent que 65 lignes (5% des lignes créées), principalement en Grèce, en France et en Norvège. La logique de réseaux pensés selon les logiques de l’économie de marché a donc très clairement le lea- dership en matière de création de lignes, mais en doutait-on vraiment ? La contribution des OSP à la survivance de lignes n’est guère plus spectaculaire : 128 lignes sur 1 292 (10% des lignes maintenues)1.

9.4.2. Un régime de soutien ne conduisant pas au libre-marché

Les OSP jouent-elles un rôle d’incubateur de relations rentables ? Pour y répondre, arrê- tons-nous sur la dynamique temporelle des OSP. Sans même parler des nombreuses révisions des conditions liées aux OSP (tarifs, horaires, fréquence minimale,…), qui font l’objet d’autant de publications au JOUE, la géographie des OSP n’est en effet pas figée et nous avons systématiquement recherché ce que sont deve- nues, à l’horizon 2005, les OSP subventionnées publiées au JOUE entre 1994 (année de la première OSP) et fin 2004 (Tableau 58).

Situation en janvier 2005 des OSP aériennes subventionnées publiées au JOUE entre 1994 et 2004 Calculs d'après les couples d'aéroports. Relations toujours exploitées sous le régime OSP avec subvention* 263 263 Relations non-exploitées (abandon, suppression, non-démarrage) 56 Relations devant rédémarrer sous régime OSP avec subvention 3 76 Relations passées sous le régime du libre marché 9 Autres cas 8

* Y compris dessertes de la Corse et des îles grecques inopinément et momentanément hors du système des OSP en janvier 2005.

Sources : Commission Européenne, OAG et administrations compétentes. Tableau 58 : le devenir des obligations de service public publiées entre 1994 et 2004

On constate ainsi qu’une grande partie des OSP subventionnées publiées entre 1994 et 2004 sont toujours en service en 2005 (263). Cependant, 76 d’entre elles ne sont pas ou plus exploitées, ou ne sont plus des OSP. Parmi ces 76 liaisons, seules 9 sont aujourd’hui exploitées hors régime OSP, donc selon les règles du marché. On peut donc affirmer que le régime des OSP supporte généralement des liaisons qui, même après un certain temps, ne semblent pas suffisamment attractives pour intéresser spontanément les compagnies aé- riennes. En d’autres termes, les OSP ne sont pas les incubatrices de relations ren- tables.

1 Calculs sur base des OSP subventionnées exploitées en janvier 2005.

217

La géographie des disparitions (Figure 117) montre que, comme pour la situation 2005, les ex-OSP domestiques dominent et les ex-OSP internationales sont principalement centrées sur Strasbourg. Hormis Strasbourg, mentionnons Dijon – Londres, et Dublin – Londonderry1 dont le redémarrage était prévu pour juillet 2005. Cette dernière liaison constitue un cas intéressant, s’agissant d’une liaison entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, ini- tiée et financée par la première dans la mesure où la localisation de l’aéroport de London- derry est jugée stratégique pour la desserte et le développement économique de son nord- ouest. L’originalité de cette liaison, compte tenu du contexte géopolitique, est renforcée par le fait que le subside irlandais est versé à Loganair, compagnie britannique spécialisée dans la desserte de l’Écosse sous franchise British Airways. La France apparaît comme le principal siège des disparitions d’OSP, tant en international qu’en domestique. Sur le marché domes- tique, ce sont principalement des relations inter-régionales évitant Paris qui sont concer- nées.

Figure 117 : la disparition d’obligations de service public

Les motifs de disparition des OSP sont multiples. Certaines ont été supprimées faute de succès suffisant (par exemple Pau – Madrid ou Strasbourg – Rotterdam) ou parce que ren- dues inutiles compte tenu du développement d’autres modes de transport (l’OSP Lyon – Montpellier a par exemple été supprimée après la mise en service du TGV Méditerranée2). D’autres semblent évoluer au gré d’un jeu par essais et erreurs, telle la ligne Erfurt – Bruxelles transformée en ligne Erfurt – Londres, comme si les pouvoirs publics locaux te-

1 Nommée Derry dans les publications de l’Irlande au JOUE. 2 Roulant à grande vitesse jusqu’aux portes de Nîmes.

218 naient à tout prix à offrir à leur région une desserte internationale mais sans très bien sa- voir vers quelle destination. Certaines lignes perdent leur statut d’OSP mais le retrouvent quelques années plus tard (îles Shetland par exemple). D’autres n’ont pas vu leur exploita- tion démarrer faute de candidat-exploitant (Dijon – Londres) malgré le subside disponible ; parfois, l’exploitation a cessé pour cause de faillite de la compagnie élue sans reprise de l’offre par une autre compagnie (par exemple Montpellier – Bordeaux, victime de la faillite d’Air Littoral). Enfin, des lignes ont momentanément disparu à cause des vicissitudes de la vie politique ou administrative mais sont appelées à réapparaître ensuite (en Islande par exemple). Par ailleurs, l’apparition d’une relation « low-cost » sur un aéroport plus ou moins proche peut rendre une OSP inutile ou au moins supprimable ; ce fut le cas de l’OSP Stras- bourg – Berlin par rapport à la liaison Karlsruhe/Baden – Berlin1. Quoi qu’il en soit, l’abandon, de droit ou de fait, d’OSP explique une petite partie des dispa- ritions de lignes mises en évidence plus haut (Figure 34 p. 85).

9.5. Les prestataires de l’offre de service public

En considérant les choses globalement, les flag carriers jouent un rôle limité dans l’exploitation des OSP subventionnées et en tout cas bien plus faible que pour l’ensemble de l’offre selon le volume de l’offre (Tableau 59). La présence des compagnies low-cost se ré- sume à l’exploitation de la relation Erfurt – Londres par Ryanair. Par contre, les compagnies autres sont ici bien plus présentes qu’en moyenne.

Les prestataires de services publics aériens subventionnés (janvier 2005) OSP subventionnées ensemble de l'offre européenne Vols Sièges Routes Vols Sièges Routes Flag carriers 20.2% 28.4% 31.0% 59.6% 58.0% 39.4% Low-cost 0.5% 1.2% 1.1% 14.1% 19.0% 21.6% Autres 79.3% 70.3% 67.9% 26.3% 23.0% 39.0%

Sources : Commission Européenne, OAG et calculs personnels. Tableau 59 : exploitation des OSP subventionnées et type de compagnie

Parmi ces dernières, on trouve une majorité de compagnies régionales. Selon le volume de l’offre, en vols ou en sièges, ce sont deux compagnies régionales, Wideroe et CCM Airlines, qui dominent le classement, exploitant à elles seules 19% et 11% des sièges de services publics subventionnés, suivies par Air France et la TAP (Tableau 60). Les deux compagnies SATA rejoignent le trio de tête si on les additionne.

1 L’aéroport de Karlsruhe-Baden est situé à 42 km du centre de Strasbourg.

219 Les compagnies opérant les services publics subventionnés (janvier 2005) % de l'offre de la Compagnies Code Pays Vols Sièges % du total compagnie Wideroe's Flyveselskap WF NO 4 371 172 053 19.3% 46.5% CCM Airlines XK FR 1 099 100 081 11.2% 94.9% Air France AF FR 907 95 291 10.7% 2.1% TAP Air Portugal TP PT 560 87 220 9.8% 12.3% SATA International S4 PT 328 58 416 6.5% 100.0% SATA Air Acores SP PT 797 48 524 5.4% 99.9% Olympic Airlines OA GR 1 072 45 704 5.1% 7.0% AP IT 510 42 308 4.7% 6.4% Aer Arann RE IE 723 40 262 4.5% 35.0% Airlinair A5 FR 570 26 528 3.0% 86.0% Danish Air Transport DX DK 464 21 344 2.4% 89.1% Air Exel Netherlands XT NL 426 19 596 2.2% 48.0% Air Luxor LK PT 124 19 525 2.2% 30.3% IG IT 306 14 076 1.6% 2.3% Skyways JZ SE 268 13 400 1.5% 8.2% Aerocondor 2B PT 338 12 168 1.4% 100.0% Alitalia AZ IT 123 7 865 0.9% 0.3% British Airways BA GB 306 7 300 0.8% 0.2% Cirrus Airlines C9 DE 196 6 804 0.8% 12.2% Ryanair FR IE 36 6 804 0.8% 0.2% Swedline SM SE 125 6 250 0.7% 53.9% Kato Airline 6S NO 298 5 662 0.6% 100.0% SAS Scandinavian Airlines SK SE 36 4 938 0.6% 0.2% European Executive Express RY SE 257 4 883 0.5% 38.9% Hex'air UD FR 252 4 788 0.5% 100.0% Alpi Eagles E8 IT 44 4 136 0.5% 3.6% Iberia IB ES 78 3 900 0.4% 0.1% Twin Jet T7 FR 186 3 534 0.4% 27.0% Luftfahrt Gesellschaft Walter HE DE 168 3 024 0.3% 24.9% Loganair LOG GB 258 2 064 0.2% 61.4% CHC Helikopter Service L5 NO 104 1 976 0.2% 100.0% Austrian OS AT 34 1 700 0.2% 0.3% Nordkalottflyg 8N SE 94 812 0.1% 78.7% Golden Air Flyg DC SE 0 0 0.0% 0.0% Total / moyenne 15 458 892 936 100.0% 3.8%

Sources : Commission Européenne, OAG et calculs personnels. Tableau 60 : les compagnies exploitant les OSP subventionnées

Wideroe's Flyveselskap (WF) est une compagnie régionale norvégienne, fondée en 1934 et est historiquement la première compagnie ayant reçu, dès les années 30, une concession pour exploiter les vols domestiques de son pays. Elle profita ensuite du développement du réseau « STOL »1, décidé par les autorités norvégiennes pour désenclaver les régions recu- lées et les relier aux villes régionales, impliquant la construction de nouveaux aéroports locaux (années 70 et 80). WF exploite à elle seule 86% de l’offre de services publics norvé- giens subventionnés (selon les sièges). Suite à la libéralisation du transport aérien, la com- pagnie s’est positionnée comme candidate à l’exploitation des OSP, poursuivant ainsi sa vocation originelle, et a ouvert quelques services vers la Grande-Bretagne, le Danemark et la Suède (Figure 118). La compagnie est entrée dans le giron de SAS, dont elle est devenue une filiale.

1 Short Take-Off and Landing, avions ne requérant que de courtes distances au décollage et à l’atterrissage.

220

Figure 118 : le réseau Wideroe’s Source : site web de la compagnie

La CCM est une compagnie d’économie mixte créée en 1989 — sous le nom de Compagnie Corse Méditerranée — à l’instigation des autorités corses qui en détiennent 60,4%. L’objectif était triple. Premièrement, améliorer la desserte de l’île, trop sujette aux fluctua- tions saisonnières de la demande par ailleurs inégalement répartie sur les différents aéro- ports de l’île, et ce grâce à l’utilisation de petits avions adaptés à de nombreuses rotations sur une même journée1. La compagnie a d’abord mis en place des services de bord à bord (vers Marseille, Nice et Montpellier), puis vers d’autres villes françaises également (Bor- deaux, Lille, Toulouse,…). Deuxièmement, offrir aux résidents un tarif spécial pour les rela- tions dites de continuité territoriale, que l’État contestait au nom de l’égalité des citoyens2. Troisièmement, soutenir l’emploi dans un secteur jugé intéressant par les autorités locales. La CCM exploite à elle seule 41% des sièges français opérés sous statut de service public subventionné, soit plus qu’Air France (37%). La compagnie opère tous ses vols en partage de code avec Air France.

Si, pour la plupart des flag carriers, les OSP ne représentent qu’une faible part de leur offre (2,1% des sièges d’Air France, 0,2% chez British Airways ou SAS,…), diverses compagnies régionales en dépendent au contraire largement voire totalement (Tableau 60). Tel est par exemple le cas de SATA Air Açores, compagnie fondée en 1941 par des actionnaires privés mais transformée en compagnie publique en 1980 sous la houlette du gouvernement régio- nal des Açores. Elle assure la desserte inter-îles, tandis que SATA International connecte les Açores au Portugal continental et, hors statut de service public, à quelques villes européen- nes mais en été uniquement. En outre, certaines compagnies ont dès le départ été créées à des fins de service public. Tel est par exemple le cas de Finist’Air, société d’économie mixte fondée à l’initiative du Conseil Général du Finistère en 1981 avec pour mission première d’assurer de manière stable un lien aérien de service public entre Brest et l’île d’Ouessant.

1 Au contraire de la desserte d’Air France / Air Inter alors opérée par des avions de plus grande capacité et donc de moindre fréquence 2 Un tel tarif existait pourtant pour les DOM mais, vu de Paris, la Corse n’est évidemment pas un DOM.

221 Enfin, il est intéressant de constater que sur 361 OSP domestiques subventionnées, 15 seu- lement sont exploitées par une compagnie étrangère1. Parmi elles, 11 sont propres à l’espace fennoscandien (OSP et compagnies) et 4 à la France où Saint-Étienne a confié ses OSP à Air Exel Netherlands, une compagnie qui opérait des vols depuis Eindhoven et Maas- tricht pour le compte de KLM sous le nom de KLM Exel jusqu’en novembre 2004, ainsi que des charters.

9.6. L’évolution des services publics : le cas français2

9.6.1. Introduction

Nous avons vu au point 9.3 que la France est en 2005 le principal pays pourvoyeur d’obligations de service public aériennes (OSP) en volume absolu de l’offre, et le second par le nombre de liaisons concernées, et ce malgré une faible contribution à l’offre nationale et les nombreuses OSP qui ne sont pas ou plus opérées. Cet « activisme » n’est pas nouveau et remonte au minimum aux années 70, période où les pouvoirs publics français ont large- ment contribué à la création de lignes nationales et internationales au profit de la province, au nom de l’aménagement du territoire. Nous allons dans ce point présenter les soutiens publics à l’exploitation antérieurs à la libé- ralisation, pour ensuite analyser comment les dispositifs français ont été mis en conformité avec le nouveau droit européen et dans quelle mesure la desserte des régions y a gagné ou perdu.

9.6.2. Les mécanismes de soutien antérieurs à la libéralisation3

Avant la libéralisation européenne, le soutien au transport intérieur était quadruple : − exclusivité d’Air Inter sur son réseau ; − mécanisme d’aide au démarrage piloté par la DATAR4 ; − aides des collectivités locales à l’exploitation ; − desserte de la Corse.

Le système Air Inter : exclusivité et péréquation : Avant la libéralisation du transport aérien, la desserte française était principalement assurée par Air France à l’échelle internationale5 et Air Inter à l’échelle domestique. Air Inter est créée en 1954 à l’initiative de banques et compagnies privées, et le capital est rapidement augmenté pour y accueillir Air France et la SNCF6. Les premières années sont des années d’étude sur les besoins. Un groupe de travail fut mis en place à l’instigation du secrétaire d’État aux Travaux publics, aux Transports et au Tourisme et présidé par le direc-

1 L’aller et le retour éventuel sont tous les deux comptés. 2 Ce point doit beaucoup au dévouement des services de la DGAC française, qui d’une part ont pris le temps de me recevoir longuement à Paris et, d’autre part, ont fait le nécessaire pour que l’énorme rap- port DATAR sur les soutiens financiers des années 1970 et 1980 me soit envoyé à Bruxelles. Qu’ils en soient ici remerciés. 3 Le présent point s’appuie largement sur Dupéron (2000), qui dresse un historique détaillé de l’implication des pouvoirs publics dans le transport aérien en relation avec l’aménagement du territoire. 4 Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale. « Créée en 1963, la DATAR a un rôle de réflexion, d’impulsion et d’animation des politiques de l’État en matière d’aménagement du territoire. Administration de mission à caractère interministériel, elle est un service du Premier ministre. » (source : DATAR). La DATAR s’est récemment muée en DIACT (Délégation Interministérielle à l'Aména- gement et à la Compétitivité des Territoires). 5 Citons également la petite UTA, jusqu’à son rachat par Air France en 1990, et les concurrentes d’autres pays qui bénéficiaient des échanges bilatéraux de droits de trafic. 6 En 1955, le capital est détenu par des transporteurs privés (33%), Air France (24%), la SNCF (24%), les banques privées (15%) et la Caisse des Dépôts et Consignations (4%).

222 teur de l’administration des transports aériens. Celui-ci fut chargé de définir la forme que devait prendre le transport aérien intérieur. Le groupe estima entre autres qu’Air Inter de- vait recevoir une exclusivité sur son futur réseau et ne pas négliger les lignes transversales. Air Inter démarre réellement ses activités de transport aérien en 1960 dans le cadre d’un objectif politique visant à confier à une seule compagnie l’exploitation des liaisons intérieu- res. Dès 1960, l’État donna à Air Inter une exclusivité de l’exploitation du réseau intérieur régulier et des subsides lui sont versés par l’État (via la DATAR) et les collectivités locales à partir de 1963 pour certaines liaisons non-rentables mais jugées importantes pour l’aménagement du territoire et le développement industriel régional (Dupéron, 2000). Il s’agissait bien d’une exclusivité et non d’un monopole de droit : dans la pratique, l’État re- fusait systématiquement aux autres compagnies de leur accorder des droits de trafic pour des liaisons exploitées par Air Inter, qui bénéficiait d’un droit de préemption. D’autres com- pagnies ne peuvent donc émerger ou se développer que sur des segments du marché dé- laissés par Air Inter, dont on voit qu’elle a dès le début bénéficié d’un soutien de l’État mais aussi des collectivités locales. Cette répartition des rôles est une tradition française : pas de monopole mais éviter que les compagnies se marchent sur les pieds.

Aides perçues par Air Inter

14

12 Millions FRF 10

8

Total

6 Collectivités locales et CCI

Etat

4

2

Source : rapport Villiers, cité par Dupéron (2000) 0 1966 1967 1968 1969 1970 1971

Figure 119 : l’évolution des subventions à Air Inter

Au début des années 70, on observe comme une ré-allocation des moyens. Les subsides de l’État à Air Inter diminuent jusqu’à prendre fin en 1971 (Figure 119), tandis que des finan- cements sont maintenant octroyés au développement de lignes internationales au départ de la province1. La compagnie doit en effet maintenant trouver l’équilibre financier par une pé- réquation2 entre lignes rentables (liaisons à fort trafic telles Paris – Nice) et non-rentables. Air Inter perd donc rapidement ses subsides mais continue de bénéficier, sur son réseau, d’une exclusivité, et c’est précisément là que se trouve l’originalité du service public aérien français : l’exclusivité permet à Air Inter d’engranger des bénéfices qu’elle est priée d’affecter à des liaisons non-rentables jugées nécessaires par les pouvoirs publics et préci- sées dans des conventions. Ces conventions étaient cependant souples, permettant l’ajout

1 Air Inter bénéfice encore de subsides des collectivités locales jusqu’en 1973 mais ceux-ci sont faibles en comparaison des montants antérieurs (Dupéron, 1996). 2 Dupéron (1996) signale qu’il s’agit en fait d’une « péréquation partielle » dans la mesure où le tarif kilométrique n’était pas constant sur l’ensemble du territoire.

223 de lignes et, à partir de 1974, également des suppressions dans certaines conditions. A par- tir de 1985, les suppressions de lignes peuvent même avoir lieu en fonction de la santé fi- nancière d’Air Inter. Le financement des liaisons déficitaires est donc suspendu à la santé financière de l’entreprise.

Dans ce contexte, le réseau d’Air Inter est un réseau des principales villes françaises (Figure 120)1. Après sa mise en place au début des années 60, celui-ci se consolide. La suppression des subsides à Air Inter au profit du système exclusivité + péréquation n’a pas été domma- geable à l’ampleur du réseau, au contraire : celui-ci apparaît plus développé en 1974 qu’en 1966. Il demeurera en fait assez stable jusqu’en janvier 1991, veille de l’ouverture partielle et progressive du marché français à la concurrence.

Figure 120 : l’évolution du réseau Air Inter avant la libéralisation

1 Pour les codes des aéroports, voir annexe 6.

224 Quelles que soient les époques, le réseau d’Air Inter est composé de deux types de liai- sons : − des radiales reliant Paris Orly aux villes de province, petites ou grandes, et à la Corse ; une sélection parmi les principales villes de province sont en outre reliées à Paris Charles de Gaulle, porte intercontinentale d’Air France ; − des lignes reliant entre elles les principales villes de province (Lyon, Nice, Bordeaux, Lille, Strasbourg et la Corse).

Un tel réseau paraît compréhensible dès lors qu’il est tracé sous la contrainte de l’équilibre financier et, depuis 1972, sans subside. Malgré le fait qu’il était cantonné aux principales liaisons, environ 1/5 des lignes sont rentables et 4/5 bénéficient donc de la péréquation (respectivement 13 et 49 lignes), qui est estimée à 90 millions de FRF en 1981, soit 3,4% du chiffre d’affaires d’Air Inter1.

Les impulsions de la DATAR et des collectivités locales : Le réseau Air Inter étant limité aux principales lignes françaises et très centré sur Paris, la DATAR et les acteurs publics locaux (collectivités locales et Chambres de Commerce et d’Industrie) ont fait preuve d’un important activisme pour le compléter. Le constat est alors simple : d’une part, n’existaient en 1970 que cinq lignes internationales directes depuis la province et six liaisons nationales transversales ne desservant ni Paris ni Lyon ; d’autre part, l’impératif d’équilibre financier sans subside imposé à Air Inter la cantonnera aux prin- cipaux marchés, desservis par des avions de moyenne ou grande capacité et donc inadaptés aux petits marchés régionaux. C’est dans ce contexte qu’en 1971, le gouvernement retint la proposition de la DATAR d’instituer un mécanisme d’aide budgétaire à la création de nouvelles liaisons aériennes na- tionales et internationales exploitées par des compagnies régionales. Celui-ci est géré par la DATAR, selon diverses conditions dont nous retiendrons que l’aide ne peut couvrir qu’une partie du déficit initial (de 20% pour les radiales à 40% pour les autres lignes ou les nouvel- les escales sur les radiales2) tout en étant temporaire et dégressive dans le temps. Les Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI) sont à l’origine de la demande d’aide : elles réalisent l’étude de marché préalable, prennent contact avec le transporteur de leur choix, établissent les comptes prévisionnels d’exploitation et introduisent la demande d’aide au- près de la DATAR. Celle-ci examine le dossier et, en cas d’opinion favorable, le transmet pour décision finale au Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire qui, dans les faits, a toujours entériné ses propositions. Ensuite, une convention est signée entre la DATAR et la CCI précisant les modalités d’exploitation et les tarifs. L’aide est ensuite versée à la CCI sous forme d’acomptes et de soldes qui font l’objet d’ajustements en fonction du bilan financier réel des lignes. Dans la plupart des cas, les collectivités locales complètent l’aide de la DATAR. La procédure est assez lente et il n’était pas rare que l’exploitation de certaines lignes démarre bien avant que le premier acompte soit versé (18 mois dans le cas de la liaison Caen – Le Havre – Lyon, qui passe pour une réussite et n’a pas connu de diffi- cultés particulières) (Villain et Chappert, 1990). Un rapport au gouvernement de 1990 (Villain et Chappert, 1990) dresse un bilan de la pé- riode 1971 – 1989. On y apprend que le mécanisme d’aide de la DATAR a donné lieu à 211 décisions favorables, dont plus de la moitié durant les seules années 1971 à 1974. On dé- nombre 184 liaisons effectivement exploitées, dont 60 internationales. Les 27 liaisons ja- mais exploitées datent surtout du début des années 1970, lorsque le mécanisme était nou- veau et que certaines collectivités locales s’y sont engouffrées sans études préalables suffi- samment sérieuses. Si ces chiffres peuvent impressionner, ils doivent cependant être relati- visés par le fait qu’en service intérieur, les passagers des lignes aidées par la DATAR n’ont représenté, selon les années, que 0,14 % à 2,47 % des passagers. A l’échelle globale, le

1 Source : rapport Funel et Villiers, cité par Dupéron (2000). Idéalement, ces chiffres devraient être pon- dérés par le nombre de sièges concernés. 2 Taux porté à 50% en cas de zone de rénovation rurale.

225 transport aérien intérieur est donc alors loin d’être sous la perfusion de subsides publics1. En francs français constants de 1989, le coût pour l’État a varié de 4,7 à 40 millions par an pour un total de 243,8 millions.

Si les collectivités locales et les CCI ont l’initiative dans le mécanisme d’aide de la DATAR, elles ont aussi joué un rôle de soutien direct, selon trois cas de figure : en complétant l’aide de la DATAR, en poursuivant l’aide de la DATAR que l’on sait dégressive et limitée dans le temps, ou tout à fait indépendamment de la DATAR. Cette intervention financière fut ren- due possible par la fin des subventions à Air Inter, qui permit une réaffectation des budgets. Le rapport au gouvernement précité permet, grâce à une enquête auprès d’une vingtaine de CCI, d’approcher le nombre de lignes aidées par les seules collectivités locales. On dénom- bre ainsi 54 liaisons aidées correspondant à 65 couples d’aéroports. Dans les années 80, les acteurs locaux ont versé 5 à 7 fois plus que l’État pour le soutien aux liaisons aériennes régionales (Villain et Chappert, 1990). Il faut signaler que l’implication des CCI trouve sans doute sa source dans le fait que celles- ci sont déjà impliquées dans le transport aérien par le biais des aéroports soit de leur propre initiative, soit pour le compte de l’État qui leur a concédé tous ses aéroports (construction, entretien et exploitation) à l’exception de Paris et Bâle-Mulhouse, en vertu d’un décret de 1953. Les collectivités locales ont appuyé les CCI dans cette tâche si celles-ci n’avaient pas les moyens ou l’envie de l’assumer seules.

La géographie des lignes aidées par la DATAR et les seules collectivités locales est différente de celle du réseau Air Inter (Figure 1212). Les lignes soutenues par la DATAR apparaissent comme bien moins centrées sur Paris. Les lignes de province à province ou de la province à l’étranger sont nombreuses. La plupart des villes un tant soit peu importantes en termes de population profitent de ce mécanisme. Les points d’accroche à l’étranger sont surtout d’importants pôles économiques (Londres, Francfort, Milan, Düsseldorf,…) ou politiques (Bruxelles). Non-visible sur la carte, il est à noter qu’une grande partie des relations inter- nationales desservent deux aéroports français avant de passer les frontières (par exemple Bordeaux – Toulouse – Milan ou Morlaix – Quimper – Londres), ou un aéroport français et deux aéroports étrangers (par exemple (Bordeaux – Bruxelles – Amsterdam), ceci afin de contribuer à un meilleur remplissage des avions. Quoi qu’il en soit, la géographie des lignes aidées par la DATAR témoigne clairement d’une volonté publique à la fois de désenclave- ment des régions et de diversification du champ des dessertes par rapport à l’hypertrophie parisienne. Les lignes aidées par les collectivités locales et/ou CCI indépendamment de la DATAR sui- vent une logique comparable, mais en concernant pour partie des villes ou communes moins importantes que celles aidées par la DATAR (Dinard, Vichy, Angers, La Roche,…). En outre, les liaisons internationales sont proportionnellement moins nombreuses. On est ici dans un réseau de la dernière chance. Dans tous les cas, il n’y a pas d’empiètement sur le réseau d’Air Inter, qui demeure la com- pagnie aérienne de référence pour le transport domestique. L’État veille au grain puisque c’est lui qui attribue ou refuse les droits de trafic, et donc contrôle qui exploite quoi.

La desserte de la Corse : En outre, à partir de 1979, Air Inter et Air France sont chargées de l’exploitation des servi- ces publics aériens corses de bord à bord, suite à l’inclusion du transport aérien dans le mé- canisme d’aide à la continuité territoriale, compétence qui sera transférée à la collectivité territoriale de Corse en 1982 dans le cadre de l’élargissement de ses compétences particu- lières3.

1 En ne considérant que les aides directes à l’exploitation, car il est connu que le secteur aérien dans son ensemble bénéficie de nombreux régimes d’exception, en matière fiscale notamment (Sewill, 2003). 2 Pour les codes des aéroports, voir annexe 4. 3 Loi 94-1131, dite loi Joxe, donnant à la Corse des pouvoirs plus étendus que pour les autres régions et renforçant le statut particulier adopté par la loi de décentralisation de 1982.

226

Figure 121 : lignes subsidiées par les pouvoirs publics français entre 1971 et 1989.

227

9.6.3. Le passage aux OSP façon Union Européenne

Une adaptation inévitable des mécanismes antérieurs : La libéralisation du ciel européen pose inévitablement la question de l’avenir des liaisons préalablement protégées (exclusivité d’Air Inter) ou subsidiées, puisque la règle devient le libre-marché et le non-interventionnisme étatique, hormis des obligations de service public concernant des lignes à titre exceptionnel, dérogatoire pour ainsi dire, et non plus un réseau ou une compagnie de manière globale et plus ou moins automatique. Bien que la France ait voté la libéralisation du transport aérien, elle est apparue frileuse dans son application. Divers discours d’hommes politiques et même un rapport parlemen- taire témoignent d’une participation de la France à contrecœur (Dupéron, 2000). Il est vrai que le libre-marché va largement à l’encontre de son organisation du transport intérieur dont on vient de voir qu’elle a été impulsée, régulée, protégée et pour partie financée par l’État et/ou les collectivités locales. L’adptation est cependant inévitable (Figure 122).

Figure 122 : l’évolution des soutiens français au transport aérien

C’est pour commencer l’exclusivité d’Air Inter qui vole en éclats, et ce dès avant l’application du troisième et principal « paquet » de la libéralisation européenne, par un ac-

228 cord signé en 1990 entre la Commission Européenne, Air France et l’État français. La Com- mission s’était en effet inquiétée du rachat d’UTA et d’Air Inter par Air France, qui plaçait cette dernière en position de quasi-monopole (97% du pavillon français en régulier et 51% en charters). Elle avait donc ouvert une enquête pour vérifier la conformité de cette fusion au regard du droit européen de la concurrence dans le cadre des opérations de concentra- tion. La Commission a accepté le rachat mais à un certain nombre de conditions (Bonnet, 1997 ; Rivoal, 1997) : • une ouverture progressive, à partir de mars 1991, de 61 lignes du marché intérieur1 et international (y compris extra-européen), sous la forme de multi-désignations au profit de compagnies extérieures au groupe Air France ; • l’abandon par Air France de ses participations dans la compagnie française TAT (seul concurrent résiduel alors un tant soit peu sérieux) et interdiction d’investissement dans une autre compagnie française durant 4 ans ; • suppression des routes en cumul concernant Air France et UTA (l’une des deux seule- ment pouvant subsister) et retrait d’Air France de certaines routes où Air Inter est éga- lement présente (dont en particulier Orly – Nice, liaison intérieure la plus intéressante), avec transfert des slots à de nouveaux entrants éventuels ; • clauses concernant les aéroports et prévoyant notamment une meilleure répartition de vols entre Orly et CDG et une priorité aux nouveaux entrants extérieurs au groupe Air France concernant les créneaux disponibles dans les trois années à venir.

Malgré ces conditions visant à limiter la position dominante du groupe Air France, seules 16 liaisons furent réellement le siège d’une concurrence durable, notamment parce que l’accord France / Commission indiquait « Charles de Gaulle » au lieu de « Paris », ce qui excluait la concurrence au départ d’Orly, alors bastion d’Air Inter (Bonnet, 1997). Quoi qu’il en soit, et malgré les diverses manœuvres de la France pour retarder l’application de la concurrence au départ de ses aéroports et les rappels à l’ordre par les autorités euro- péennes, la fin du « monopole » d’Air Inter rendait caduc son système de péréquation, tant par rapport aux faits (perte de 10 à 40% de ses parts du marché domestique du fait de l’ouverture à la concurrence) que par rapport au nouveau droit européen. Pour Pavaux (1984), il est clair que la péréquation est rendue impossible par la concurrence car la répar- tition des recettes entre plusieurs opérateurs plutôt qu’un seul ne permet plus de générer un bénéfice suffisant en vue d’une redistribution entre lignes. En d’autres termes, la concur- rence conduit à privatiser les bénéfices et à socialiser les pertes, du moins si l’État reprend à sa charge le déficit des lignes ne jouissant plus de la péréquation. Or, pour fixer les cho- ses, il faut s’imaginer qu’Air Inter estimait qu’en 1992, la péréquation au profit des lignes dites d’aménagement du territoire correspondait alors à 120 millions de FRF2.

Après cette intrusion forcée et prématurée de la concurrence, la France a tenté de bloquer l’arrivée de nouvelles compagnies, dont la TAT (devenue, en 1992, propriété de British Air- ways à 49,9 %), en leur refusant des droits de trafic au départ d’Orly sous prétexte de sa- turation. La France a dans ce cadre été condamnée plusieurs fois par la Commission ou la Cour européenne, mais a néanmoins réussi a gagner deux ans par rapport au calendrier de la libéralisation européenne censée commencer en 19933. Sous le gouvernement Juppé ce- pendant, l’ouverture totale du marché intérieur, obligatoire à partir d’avril 1997, a été avan- cée au 1er janvier 1996. Ce qui restait de l’exclusivité d’Air Inter vola alors en éclats. Cette évolution majeure a été renforcée par un jugement français de 1997 qui affirma que « les critères de fonctionnement [de la compagnie] ne correspondent plus à ceux définissant la gestion d’un service public ».

Ce n’est pas pour autant que le soutien aux lignes non-rentables n’est plus possible. Le nouveau droit européen autorise potentiellement le soutien à des lignes, autorisant poten-

1 Huit lignes représentant 60% du marché intérieur français (Bonnet, 1997). 2 Rapport Abraham, cité par Dupéron (2000). 3 Pour plus de détails, voir Dupéron (2000).

229 tiellement d’une part le financement des lignes d’Air Inter bénéficiant autrefois de la péré- quation et, d’autre part, par adaptation des mécanismes d’aide de la DATAR et des collecti- vités locales qui continuaient à fonctionner (en 1992, 37 liaisons régionales étaient couver- tes par une aide totale de 79 millions de FRF1). Comme après la création d’Air Inter, un comité fut mis en place en 1993 pour réfléchir à l’adaptation du couple transport aérien / aménagement du territoire au nouveau droit euro- péen (comité Abraham). Il fut alors préconisé et décidé de ne pas abandonner le transport aérien au seul libre-marché. La solution finalement retenue fut la création, en 1995, d’un Fonds de péréquation des transports aériens (FPTP), destiné à « assurer l’équilibre des des- sertes aériennes réalisées dans l’intérêt de l’aménagement du territoire ». La création de ce fonds fut intégrée à la nouvelle loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (LOTI), résultat de plusieurs années d’études prospectives lancées par la DATAR (Némery, 1995). S’inscrivant dans le droit européen, le nouveau Fonds en restreint le champ d’application en le limitant aux liaisons domestiques et en imposant ses propres critères dont un seuil minimal de 10 000 passagers par an2. A sa création, il est alimenté par une taxe de 4 FRF par passager (environ 0,61 EUR) due pour tout passager embarquant en France continentale, quelle que soit sa destination. Si le fonds est national, les collectivi- tés locales jouent, comme dans le système DATAR, un rôle important car ce sont elles qui initient la démarche d’imposition d’une OSP, en la rédigeant, en traitant les offres des can- didats et en choisissant le « vainqueur », avant de demander au Fonds son concours finan- cier. Celui-ci tranche et, en cas de suite favorable, intervient pour les seules liaisons domes- tiques, à hauteur de 60% ou 80%3, le solde devant être couvert par les collectivités locales. Dans les faits, les recettes du Fonds sont apparues supérieures aux besoins, d’où une dimi- nution progressive de la taxe par voyageur jusqu’à 1 FRF en 1997 (environ 0,15 EUR). La notion assez large de « service public » sera précisée dans une communication des Mi- nistres de l’Environnement et du Transport en 1998, sous l’angle de l’utilité professionnelle, les liaisons concernées devant être « celles destinées aux déplacements à motif profession- nel des agents et des correspondants extérieurs des entreprises implantées en province, pour lesquelles la mobilité est un facteur déterminant de compétitivité (…) » (cité par Dupé- ron, 2000). Le service public est donc entendu comme au service des entreprises.

En 1999, le FPTP devint le Fonds d’intervention pour les aéroports et le transport aérien (FIATA), dont la raison d’être est élargie4 mais qui continua de financer les dessertes aé- riennes domestiques couvertes par des OSP. La même année, un décret gouvernemental adapte le mode de fonctionnement du Fonds, notamment en permettant de descendre à un seuil minimal de 5 000 voyageurs annuels pourvu qu’il soit estimé qu’un volume de 10 000 voyageurs annuels soit atteignable dans les trois ans. En outre, il est prévu que le taux d’intervention du Fonds soit de 60 à 70 % en cas d’imposition tarifaire, contre 70 à 80 % dans le cas contraire ; la marge de manœuvre de 10 % est laissée à l’appréciation du minis- tre sur base de la richesse fiscale des collectivités territoriales (Dupéron, 2000).

Ce dispositif a été récemment renouvelé dans le cadre de la réforme générale du budget de l’État français et en tenant compte de la législation européenne imposant une séparation entre le régulateur et l’opérateur du système de contrôle aérien. L’opérateur est dorénavant financé par les redevances des compagnies utilisatrices de l’espace aérien tandis que la fonction de régulation, régalienne, incombe au budget général de l’État. Dans ce cadre, le FIATA a disparu et sa mission de supervision et de financement éventuel des OSP a été in-

1 Rapport Abraham, cité par Dupéron (2000). 2 Soit 19 passagers par jour et par sens sur une base de 260 jours par an. Ceci n’empêche cependant pas que les lignes ne répondant pas aux critères d’éligibilité au Fonds soit subventionnées par d’autres mé- canismes (desserte de la Corse et de Strasbourg typiquement) ou par les seuls acteurs locaux. 3 60% si l’OSP impose les tarifs, 80% autrement. Ceci peut paraître paradoxal car n’incite pas les collecti- vités locales à imposer des tarifs, alors même que, traditionnellement, une politique de service public va généralement de pair avec une politique tarifaire. 4 Pour plus de détails, voir Dupéron (2000).

230 tégrée au pôle régulation1. Les OSP sont dès lors directement rattachées à la Direction Gé- nérale de l’Aviation Civile (DGAC) et co-financées dans le cadre du budget général de l’État. L’initiative des OSP et leur gestion (appel d’offress, sélection du transporteur,…) émanent toujours des collectivités territoriales ou de « la personne publique intéressée ». L’État co- finance maintenant les relations élues à hauteur de 55 à 70 % (en l’absence d’obligations tarifaires) ou 45 à 60 % (dans le cas contraire), le taux variant selon des niveaux d’accessibilité combinant meilleurs temps de parcours par voie routière, ferroviaire ou mari- time et temps d’accès à un aéroport alternatif ; pour un même aéroport, le taux applicable est diminué de 20 % par relation supplémentaire ; si la liaison dessert une plate-forme régionale de correspondance2, le taux est majoré de 5 %. Les compensations financières de l’État doivent être entendues comme étant des acomptes ou soldes calculés selon les résul- tats réels du transporteur et dans la limite du taux retenu. Enfin, en cas de manquements imputables au transporteur, la compensation financière doit être réduite en conséquence. Pour être éligible, une relation doit présenter un trafic annuel de 10 000 à 150 000 (ou pré- voir d’atteindre le seuil de 10 000 voyageurs en cas de création), avec dérogation condi- tionnelle à 5 000 voyageurs, et desservir au moins un aéroport de maximum 1,5 million de passagers. Il doit y avoir absence de liaison alternative (terrestre ou maritime) en moins de deux heures ; aucun aéroport offrant la même liaison ne doit se trouver dans un rayon de minimum 30 minutes selon les temps de parcours aux heures concernées par le vol ; le vol doit être exploité au moins 200 jours par an hors week-ends et jours fériés, avec possibilité de dérogation à 140. Enfin, un comité consultatif remplace le comité du FIATA ; il est com- posé d’un président, de parlementaires nationaux et de représentants de tous les pouvoirs publics concernés d’une manière ou d’une autre par les OSP aériennes (régions, départe- ments, communes, administrations nationales).

Ce dispositif général est complété par deux dispositifs indépendants concernant d’une part la Corse et d’autre part Strasbourg. On a déjà dit que la Corse a repris la gestion de ses OSP en 1982, utilisant pour cela comme elle l’entend le financement qu’elle reçoit de l’État au titre de la continuité territoriale. La desserte internationale de Strasbourg sous régime OSP est une initiative de 1995 éma- nant des Affaires Étrangères françaises, qui en supportent seules le financement. Précisons enfin qu’en monnaie courante, les dépenses de l’État pour les OSP ont varié d’environ 12 millions d’euros en 1994 à 18 millions d’euros en 2005, non-comptées les des- sertes pilotées par la Corse et les Affaires Étrangères3.

1 Décret 2005-473 et arrêtés du 16/5/2005 (Journal Officiel français du 17/5/2005). 2 Définie comme étant « les aéroports offrant au minimum dix destinations, desservis à raison de deux allers et retours quotidiens du lundi au vendredi avec une amplitude horaire minimale de huit heures à destination ». 3 Source : DGAC, entretien en mai 2006.

231 Le devenir des lignes soutenues avant la libéralisation : Nous avons dressé un bilan systématique du devenir, en 2005, du réseau jadis protégé d’Air Inter ainsi que des lignes financées par la DATAR ou les seules collectivités locales dans les années 70 et 80. Le réseau Air Inter a manifestement très bien traversé l’épreuve de la libéralisation (Figure 125). Quasiment toutes les lignes ont été maintenues et sont aujourd’hui exploitées selon le principe du libre-marché. Cependant, Air France exploite la plupart des lignes maintenues sans concurrent : on est donc passé d’une exclusivité garantie par l’État, et s’apparentant à un monopole, à un monopole de fait. Les rares lignes où une concurrence est constatée correspondent à des lignes parmi les plus rentables sur réseau intérieur, sur lesquelles la concurrence ne vient que de la compagnie low-cost Easyjet. Mis à part le cas Bordeaux – Toulouse, les lignes supprimées font vraisemblablement suite aux extensions des infrastruc- tures ferroviaires à grande vitesse. Enfin, les lignes desservant la Corse et plus marginale- ment Lourdes et Saint-Étienne sont passées sous le régime du service public postérieur à la libéralisation européenne.

Figure 123 : situation 2005 des lignes soutenues avant la libéralisation (Air Inter)

Moins centré sur Paris, reliant entre elles des villes de province de moindre importance que celles du réseau Air Inter / Air France, osant les dessertes entre villes régionales et l’étranger, l’ensemble des lignes qui ont bénéficié du soutien de la DATAR ont nettement moins bien traversé les réalités et contraintes du marché et donc de la géographie de la demande (Figure 126). Rappelons tout d’abord que de nombreuses lignes disparaissent avant 1990, donc avant la libéralisation, ne résistant pas au caractère dégressif et tempo- raire de l’aide de la DATAR. Pour peu que la compensation des collectivités locales ne suffise pas, que les taux de remplissage soient vraiment trop faibles, que les collectivités affectent leurs budgets à d’autres postes ou que leurs deniers se contractent, les lignes sont vouées à disparaître. Il est flagrant de constater que les lignes supprimées dès avant 1990 ou par la suite sont pour la plupart celles évitant Paris et desservant des villes de province de moin- dre importance (Limoges, Dijon, Clermont-Ferrand,…). Cependant, les lignes subsistant en 2005 et exploitées selon le libre-marché évitent également presque toujours Paris ; elles sont cependant centrées sur les principales villes de province (Lyon, Marseille, Toulouse,

232 Bordeaux,…) qu’elles relient entre elles ou à l’étranger. Enfin, un certain nombre de lignes sont passées sous le régime contemporain des obligations de service public, mais peu ont survécu jusqu’en 2005. Les liaisons internationales ont pour leur part relativement bien ré- sisté au temps.

Figure 124 : situation 2005 des lignes soutenues avant la libéralisation (DATAR)

233 Quant aux lignes aidées par les seules collectivités locales durant les années 70 et 80, pres- que toutes ont depuis été rayées des cartes, pour certaines après un passage sous le ré- gime moderne des obligations de service public (Figure 127).

Figure 125 : situation 2005 des lignes soutenues avant la libéralisation (autres)

En résumé, il ne reste aujourd’hui des réseaux jadis financés qu’un réseau largement élagué selon les contraintes du marché, les réalités de la demande et la raréfaction des finance- ments publics, donc un réseau dans lequel seules les principales villes françaises tirent leur épingle du jeu. Quant les lignes n’ont pas disparu dès avant 1991, ces fermetures expli- quent une parte des disparitions observées plus haut (Figure 34 p. 85). Même avec des avions régionaux de faible capacité, il ne semble donc pas y avoir de marchés importants pour les liaisons depuis les petites villes françaises de province, sauf à bénéficier du régime actuel des OSP ou d’activités touristiques suscitant à elles seules une offre aérienne satisfai- sante. Ceci montre qu’il ne suffit pas que des politiciens locaux décident de créer telle ou telle liaison pour que les avions soit miraculeusement remplis, et l’on peut se demander jusqu’à quel point il faut financer le « désenclavement ».

On peut aller plus loin et, en suivant Lapautre (1982), affirmer qu’en France, « au service public aérien conçu dans l’intérêt des usagers s’est substitué un service public conçu pour répondre aux besoins de l’État ». Par besoins de l’État, il faut comprendre le financement de compagnies pour services rendus et correspondant à des projets industriels (par exemple exploiter le Concorde ou le Mercure, continuer d’exploiter le Caravelle, ce qu’une compagnie n’aurait pas fait dans les conditions normales du marché), à des politiques environnementa- les (desservir Charles de Gaulle pour soulager Orly) et à l’exploitation de lignes non-

234 rentables dont nous discutons ici. Ces dernières forment sans doute le cœur de ce que de- vrait être un service public : équité de desserte d’accès et de tarif, continuité,… Mais pour l’avion plus encore que pour le train ou le bus, l’équité d’accès est un mythe dont la limite est fondée par les réalités économiques. Même en période de vaches grasses et de budgets publics abondants, on conçoit bien que les grandes villes soient mieux desservies que les moyennes et les moyennes que les petites. Le coût d’exploitation des avions, même petits, mêmes subventionnés, est un frein à l’exploitation de liaisons trop éloignées de la demande, fut-elle de faible niveau. Mais parmi les lignes non-rentables et jadis subventionnées, que de lignes imaginées par telle ou telle collectivité locale comme on revendique une gare TGV ou un accès autoroutier, sous couvert de développement régional ou, disons-le clairement, pour satisfaire l’ego de tel ou un tel homme politique qui aura enfin « sa » desserte aé- rienne. Dans une telle optique, l’intérêt général est la justification de l’intervention étatique et non sa finalité. Ceci n’a pu conduire, pour citer à nouveau Lapautre, qu’à des « formes dégénérées de service public ».

9.6.4. Les OSP françaises contemporaines (1994-2005)

Une géographie renouvelée : L’analyse des antécédents des OSP déclarées entre 1994 et 2005, c’est-à-dire après la libé- ralisation du ciel européen (Figure 126), montre que les OSP « contemporaines » ne se superposent que partiellement aux lignes aidées ou protégées avant la libéralisation. Il faut y voir plusieurs raisons : − l’ex-réseau Air Inter, intégré à Air France, s’est finalement avéré rentable ou du moins suffisamment intéressant en tant que contributeur au remplissage des avions des autres lignes ; il y a lieu de rappeler ici que pour une compagnie, la rentabilité visée est celle du réseau dans son ensemble et pas nécessairement des liaisons considérées individuel- lement ; − certaines OSP récentes correspondent à de nouveaux enjeux, et c’est en particulier le cas de la desserte internationale de Strasbourg, parallèlement à l’affirmation et à la confirmation de Bruxelles comme siège principal des institutions européennes et comme siège du parlement pour les sessions extraordinaires appelées à devenir plus nombreu- ses que les sessions ordinaires demeurant à Strasbourg ; − compte tenu des échecs des années 1970 et 1980 (insuccès et non-pérennité de nom- breuses lignes), nouvelles tentatives des mêmes pouvoirs locaux mais vers de nouvelles destinations (par exemple Rouen qui mise sur une liaison avec Strasbourg après avoir jadis essayé Nantes) ; − entrée en jeu de collectivités locales précédemment inactives en termes de soutien à l’exploitation aérienne (par exemple Lorient).

235

Figure 126 : antécédents des OSP françaises déclarées après la libéralisation

La motivation des pouvoirs publics : Dans la vision française, le soutien aux lignes aériennes doit se comprendre comme étant de l’aménagement du territoire. Selon un rapport du Sénat de 1994 sur les services publics, ce dernier doit se comprendre comme « le complément nécessaire d’une économie de mar-

236 ché » dans la mesure où « le libéralisme total est de nature à produire des effets dévasta- teurs sur le territoire »1.

La plupart des OSP françaises actuelles correspondent à des stratégies des collectivités loca- les pour désenclaver leur région, généralement en cas d’absence ou d’insuffisance des ré- seaux TGV et/ou autoroutiers. Selon le rapport du Sénat précité, le développement régional implique trois instruments principaux dont les infrastructures de transport et de communi- cation : « sans désenclavement, il n’y aura pas de développement ». Les collectivités locales cherchent alors généralement à se connecter à Paris (Orly) ou à Lyon. Ce dernier aéroport offre certes moins de destinations internationales qu’Orly (49 contre 78 en 20052), mais les contraintes horaires (slots) y sont bien moindres. Bien enten- du, le désenclavement est sujet à interprétation de même que le lien entre transports et développement. Relier des villes de province à Paris ne contribue-t-il pas à renforcer leur dépendance ? Exemples-types d’OSP visant le désenclavement, Aurillac – Paris ou Le Puy - Paris. Aurillac et Le Puy, dans le Massif Central, sont dépourvus d’autoroute et de ligne ferroviaire à grande vitesse et sont toutes deux trop éloignées des grandes villes de province. A un de- gré moindre, on peut citer la relation Brive-la-Gaillarde – Paris. Brive est certes desservie par l’autoroute Paris – Toulouse, mais la distance avec Paris (486 km) et l’absence de TGV justifie, aux yeux des autorités locales, une liaison aérienne avec la capitale. A un degré encore moindre, les OSP Angoulême – Lyon ou La Rochelle – Lyon complètent le TGV qui n’est réellement efficace que vers le centre de Paris. Elles sont de bons exemples de straté- gie de diversification de la desserte et d’articulation avec un aéroport hub offrant des oppor- tunités de correspondance non-négligeables.

Les OSP desservant la Corse visent bien entendu à compenser la situation insulaire de l’île, avec une efficacité incomparable face aux relations maritimes. Le principe de continuité ter- ritoriale trouve ici une expression très concrète et l’aide à l’exploitation aérienne — amorcée en 1979 — y a connu une spectaculaire croissance, passant de 12,2 millions d’euros en 1984 à 61,7 en 2004, due à l’augmentation de l’offre mais également à une non-maîtrise des coûts d’exploitation supportés par les compagnies (Peraldi, à paraître). Les difficultés de déplacement interne à l’île expliquent la desserte parallèle des quatre aéroports corses mal- gré leur relative proximité, bien qu’Ajaccio et Bastia dominent nettement la scène. Quoi qu’il en soit, on a là une offre de service public très dense puisque 260 000 habitants bénéficient de 16 OSP dont 12 subventionnées. En hiver, la Corse n’est desservie que par des OSP, au contraire de la bonne saison où l’île est alors reliée à 15 autres destinations françaises et européennes, mais celles-ci ne représentent que 550 vols annuels à comparer aux 831 vols de service public planifiés pour le seul mois de janvier 2005.

La desserte de Strasbourg par des OSP internationales entièrement financées par la France vise bien entendu à « gonfler » la stature internationale de la ville, qui héberge le Parlement européen3, et de son aéroport certes significatif pour une communauté urbaine de 451 000 habitants mais qui fait pâle figure à l’échelle européenne. La desserte a été organisée par le Ministère des Affaires Étrangères pour répondre à la mobilité des parlementaires européens qui ont été préalablement interrogés sur leurs besoins. Le réseau en résultant a cependant fluctué, par exemple avec le remplacement de Rome par Milan, mais surtout par la suppres- sion de la moitié des liaisons, généralement faute de succès suffisant. Les OSP (non-subventionnées) concernant les liaisons entre la France métropolitaine et les départements d’outre-mer (DOM) sont un héritage des contraintes d’exploitation jadis im- posées par l’État à Air France en échange d’une exclusivité qui n’existe plus.

1 Rapport du Sénat, Refaire la France, sur l’aménagement du territoire (1994). 2 Destinations régulières, y compris dans les départements d’outre-mer. 3 Et le Conseil de l’Europe.

237 Enfin, précisons que la non-exploitation d’une partie des OSP françaises contemporaines (Figure 117) ne tient qu’à des raisons locales : trop faible fréquentation, budgets publics devenus insuffisants ou redirigés vers d’autres fins, défaillance du transporteur élu, absence de candidat-transporteur. La suppression légale d’une OSP, sur initiative de la DGAC, n’est que l’entérinement en droit d’une situation de fait constatée depuis plusieurs années (géné- ralement cinq ans). En outre, si un financement local fait défaut ou est supprimé, la DGAC supprime sa propre part, respectant ainsi le principe du co-financement. Tout ceci confirme le rôle relativement passif de la DGAC, qui apporte essentiellement une contribution finan- cière à une initiative locale. Ces OSP fantômes ou disparues correspondent à des liaisons de province à province, qui souvent n’ont pas eu le succès escompté par des pouvoirs locaux parfois trop enthousiastes, ou à certaines dessertes internationales de Strasbourg pour les mêmes raisons. A l’inverse, il peut arriver que des liaisons a priori surprenantes compte tenu du centralisme parisien, aient leur petit succès, telles Nantes – Saint-Étienne ou Mulhouse – Rennes. La première s’expliquerait par des complémentarités industrielles entre industries métallurgiques et la seconde par des localisations de Peugeot. Dans les deux cas, cela semble assurer un rem- plissage suffisant des petits avions régionaux utilisés sur ces relations… à condition d’être subventionnées.

9.7. Conclusions

L’adaptation juridique et institutionnelle au nouveau droit européen n’a pas fondamentale- ment remis en cause la possibilité de subventionner les liaisons non-rentables, mais selon une logique de lignes et non plus de réseaux et/ou de compagnies. Cependant, le passage d’un système à l’autre a sans doute obligé les pouvoirs publics à réfléchir aux relations qu’ils souhaitaient réellement soutenir : au lieu de renflouer leurs compagnies nationales, les voilà tenus de sélectionner les lignes subventionnées, dans un cadre légal plutôt restrictif. Cer- tains pays ont de fait marché dans le nouveau système, d’autres pas. Les choix et dispari- tions qui en ont découlé, ou l’abandon ultérieur d’OSP, expliquent une partie des dispari- tions de lignes européennes, ainsi qu’une très petite part des créations de lignes. Si les OSP aériennes représentent une faible part du transport aérien communautaire, elles comptent beaucoup pour certains pays en fonction des contraintes physiques (insularité, isolement, tyrannie de la distance) et de l’absence de solutions alternatives. Localement, elles peuvent représenter l’unique offre aérienne existante et jouer un véritable rôle de dé- senclavement. Leur création et leur financement relevant des pays ou collectivités locales et non des institutions européennes, on observe une géographie certes compréhensible mais qui ne présente pas la logique globale que pourrait conférer une gestion européenne de la chose. La géographie des OSP aériennes semble en effet surtout traduire l’activisme des collectivités locales pour financer ou obtenir le financement de tout ou partie de leur des- serte aérienne dans le cadre de fonds nationaux, voire, dans le cas de Strasbourg, d’une stratégie nationale appuyant le positionnement international d’une agglomération. Enfin, il y a lieu de rappeler le fait qu’en cas de disparition du statut d’OSP subventionnée, on observe généralement une disparition des liaisons concernées.

Concernant l’évolution, dans le cas français, et sans parler du réseau d’Air Inter longtemps protégé de la concurrence, la France a durant les années 1970 et 80 soutenu la création des lignes aériennes comme probablement aucun autre pays européen. Toutefois, dès avant la libéralisation européenne, ces lignes ont mal résisté au caractère dégressif des aides et/ou à leur disparition et n’ont donc pas joué, comme on l’espérait dans les années 1970 et 80, un rôle de créateur de liaisons durablement rentables. A contrario, le réseau Air Inter, centré sur les principales villes françaises, a très bien résisté à la perte de son exclusivité, qui est devenu un quasi-monopole de fait. Elle a conduit à une géographie partiellement renouvelée des lignes soutenues, les collecti- vités locales semblant tirer les leçons des échecs passés. Le système d’aide principal de- meure un mélange entre initiatives locales et financement majoritairement national. Il ne faut pas croire cependant que les collectivités locales ne soutiennent plus, indépendamment de l’État, les services aériens. La forme en a toutefois été renouvelée via un consentement

238 d’une part à investir dans les infrastructures (éventuellement dédiées à telle ou telle com- pagnie) et d’autre part à offrir à la compagnie low-cost Ryanair (voire à d’autres ?) des ai- des à l’exploitation dont on a déjà dit qu’elles étaient a priori illégales bien que devenues partiellement autorisées pour ce qui concerne les aides au démarrage, selon des conditions récemment précisées par la Commission et sans discrimination entre les compagnies. Quoi qu’il en soit, le nouveau régime officiel des OSP ne joue pas plus que préalablement un rôle d’aide au démarrage. Les OSP servent à offrir au public des liaisons financièrement non-rentables et sont donc le palliatif d’un libre-marché qui ne profite qu’à certaines ré- gions, soit parce qu’elles présentent les volumes de population et/ou d’activités économi- ques suffisants, soit grâce à des liaisons de niche exploitées par les compagnies générale- ment de type low-cost.

239 10. Synthèse en forme de retour aux territoires

« L’image d’une pure économie de flux indifférente aux lieux ne tient pas » (P. Veltz, 2005).

Dans les chapitres précédents, nous nous sommes attachés à analyser les moteurs d’évolution de la desserte aérienne des territoires européens sous le poids de la libéralisa- tion. Différents facteurs d’évolution des réseaux — et donc de la desserte des territoires — ont été abordés : stratégies variées des compagnies, explosion de l’offre low-cost, faillites de compagnies, missions de services publics. Il est temps maintenant de passer du « comment » au « où », afin de mettre en lumière les régions qui voient leur desserte s’améliorer et celles dont la situation s’est dégradée. Nous nous baserons pour cela sur deux variables synthétiques : le volume de l’offre (nombre de sièges) et sa diversité spa- tiale (nombre de destinations).

Dans un premier temps, les évolutions sont présentées. Afin de ne pas alourdir les traitements et résultats, seules les évolutions 1991-2005 ont été considérées, sans années intermédiaires. On gardera donc à l’esprit qu’entre elles, il y a pu avoir des années intermédiaires ne se situant pas entre les valeurs de 1991 et de 2005. On se souviendra aussi que s’agissant de bilans, les gains peuvent cacher des pertes et in- versement. De plus, les comparaisons concernant le mois de janvier, il peut arriver que la création de liaisons corresponde en fait, à partir d’un moment donné, à l’exploitation d’une liaison toute l’année plutôt que seulement durant le service d’été. Ensuite, les rapports entre libéralisation et trois évolutions importantes seront discutés : la banalisation du tourisme aérien, la question de la re-métropolisation et le développement des liaisons transversales. Ces trois thèmes ne seront pas discutés avec tout le détail qu’ils méritent. Notre objectif est plutôt d’émettre des hypothèses explicatives et de lancer des pistes de recherche potentielles.

10.1. Heurs et malheurs des villes européennes

10.1.1. Le nombre de sièges offerts

La comparaison du volume de l’offre en 2005 par rapport à 1991 permet d’abord de conclure à une croissance presque généralisée (Figure 127). Celle-ci est très nette, voire spectaculaire, concernant la plupart des régions métropolitaines mais également les régions périphériques du tourisme balnéaire et les capitales des pays ex-communistes. Ces croissances renvoient principalement au renforcement des flag car- riers et la constitution ou consolidation de leurs hubs, généralement implantés dans les grandes régions métropolitaines, mais également au développement de l’offre low-cost dont nous avons montré qu’elle concernait principalement les régions métropolitaines et touristi- ques, ainsi qu’à la « régularisation » des compagnies charters. Les capitales des pays ex- communistes ont pour leur part bénéficié de leur intégration au bloc occidental et de l’augmentation de l’offre par leurs compagnies nationales et certaines compagnies ouest- européennes. On remarquera les croissances limitées de Bruxelles et Zurich, qui ont subi la faillite de leur compagnie nationale (point 8.4 p. 197), et des capitales fennoscandiennes. Dans les régions centrales et sub-centrales, l’évolution de l’offre est très variable selon les pays. En Grande-Bretagne, la croissance de l’offre des villes de 2e ou 3e rang est spectacu- laire. Elle est due tant à l’offre nouvelle des compagnies low-cost qu’au développement de transporteurs conventionnels concurrençant British Airways. La libéralisation précoce du marché aérien, la régression du droit du travail, la privatisation d’aéroports transformant leurs gestionnaires en managers, le relatif éloignement des villes de province par rapport à Londres dans un contexte de chemins de fer peu efficaces, le poids démographique de ces villes et la concentration de British Airways sur Londres contribuent à ces croissances. Hor-

240 mis l’Espagne, aucun autre pays européen ne connaît une telle croissance répartie sur un tel nombre d’aéroports.

Figure 127 : évolution 1991-2005 du nombre de sièges offerts par ville

Les autres régions centrales et sub-centrales connaissent généralement une consolidation de leur offre aérienne plutôt qu’une croissance soutenue. La concentration de l’offre des compagnies nationales sur leurs hubs métropolitains explique en partie ces croissances limi- tées. Ainsi, en Allemagne, les hubs de Lufthansa — Francfort et Munich — dominent claire- ment la scène, même si des compagnies, en particulier low-cost, ont profité du terrain lais- sé libre dans les autres villes. Semblable situation s’observe en Italie avec Milan et Rome. En Suisse, Genève a souffert de la concentration des vols de Swissair sur Zurich, et ne se rattrape que grâce aux compagnies low-cost, comme montré plus haut. En France, Lyon souffre bien sûr de l’hypertrophie parisienne, mais également du TGV (tant pour une partie des déplacements nationaux qu’en tant que rabatteur vers Paris CDG) et d’un bassin réduit par la concurrence de Genève. Par opposition, Barcelone, également en espace central, connaît une croissance spectaculaire — comme le reste de l’Espagne qui a fortement renfor- cé ses liens avec l’Europe. Barcelone profite d’un dynamisme économique propre, de sa fonction touristique, de son poids démographique et de l’absence d’aéroports concurrents si ce n’est Gérone pour les vols low-cost (mais à plus de 100 km). De plus, pour l’instant, le TGV ne relie la ville ni à l’Europe ni à Madrid. Dans les espaces intermédiaires et périphériques (hors zones touristiques déjà évoquées), les évolutions sont contrastées. En France, Nice se renforce tandis que Toulouse et Marseille se consolident. Toulouse profite de l’absence d’infrastructures TGV et Marseille compense la concurrence du TGV par des vols low-cost. Dans le reste de la France intermédiaire, de nombreuses micro-évolutions concernent les petites villes de province, qui soit sortent du

241 néant soit perdent leur desserte. Ces évolutions, si négligeables soit-elles globalement (mais pas localement bien entendu), renvoient respectivement au développement de niches low-cost (en particulier en liaison avec la Grande-Bretagne, cf. point 7.4.3 p. 167) ou à la disparition de nombreux services publics antérieurs à la libéralisation et qui avaient été pour partie créés sans réelles études de marchés (point 9.6 p. 222). Cette réorganisation dans les services publics aériens semble également être la cause des pertes observées presque partout en province suédoise par opposition à ses deux grands voisins où les localités de province maintiennent leurs (faibles) dessertes. En Irlande, Dublin connaît la plus spectaculaire croissance en espace périphérique, mais peut-on encore la classer dans cette catégorie d’un point de vue économique ? Des recher- ches récentes la classeraient plutôt en région centrale1. L’intégration accrue de l’Irlande à l’économie européenne, la (dé)localisation de nombreux services banalisés, le recours à une main d’œuvre accourant depuis de nombreux pays européens et son émergence en tant que destination touristique sont autant de facteurs qui expliquent cette évolution. Le rôle de Ryanair (centrée sur Dublin et, secondairement, Shannon) est ici prépondérant et entretient des liens croisés avec les facteurs cités. Ainsi, l’existence de billets peu coûteux génère une demande touristique. L’existence d’une main d’œuvre internationale, flexible et peu proté- gée socialement s’accommode bien de l’offre low-cost : elle lui permet de retourner au pays d’origine pour les visites de famille et d’amis et, à l’inverse, de recevoir des visites de ceux- ci en Irlande. Elle fournit un bataillon de voyageurs qui vivent dans l’économie dynamique et précarisée à la fois, et dont les compagnies low-cost sont le pendant aérien. Sociologi- quement, il y a donc sans doute là des voyageurs pour qui les compagnies low-cost n’ont absolument rien de rebutant et constituent probablement la norme. Les autres villes irlandaises ont été renforcées par Ryanair également, ou par quelques li- gnes de service public (Figure 114 p. 212). En Irlande du Nord, Belfast connaît également une croissance significative, alimentée par Easyjet et, probablement, les investissements britanniques de soutien au développement. En Italie méridionale, la croissance de l’offre semble être, comme c’est d’ailleurs partielle- ment le cas en Espagne touristique également, le fait du remplacement de vols charters par des vols réguliers, à nouveau du fait du dynamisme de quelques compagnies low-cost. Par contraste, les îles grecques et Chypre ont une offre stabilisée qui s’explique par le fait que nous travaillons avec le mois de janvier (peu favorable aux destinations touristiques de la Méditerranée) mais aussi par la persistance et la prédominance de l’offre charter (Figure 99 p. 175). En Scandinavie enfin, les toutes petites villes de province suédoises sont presque toutes en recul, probablement à cause d’une restriction des services publics aériens.

10.1.2. Le nombre de destinations

L’évolution du nombre de destinations par ville de départ montre des bilans contrastés (Figure 128). Il faut d’abord signaler que 66 villes perdent toute leur desserte aérienne ré- gulière. Il s’agit de petits aéroports, dont la desserte ne tenait qu’à un nombre très réduit de lignes. Ces pertes tiennent surtout à la suppression de services publics (en France, tem- porairement en Islande et aux îles Shetland2 et probablement en Suède) et, plus margina- lement, à la disparition de l’offre régulière centrée sur de petits aéroports ou héliports pro- ches de plus grands aéroports (héliport de Paris La Défense, Braunschweig à côté de Hano- vre, Cannes limitée aux vols privés, Liège cantonnée aux charters,…). En outre, 120 autres aéroports connaissent une diminution du nombre de destinations. Il s’agit principalement de petits aéroports qui, ici aussi, ont subi soit des « rationalisations » ou réorganisations de services publics (en Norvège semble-t-il, en France). En France, la réduction des services publics fait suite, pour partie, au développement du réseau TGV (Lille, Bordeaux, Nantes, Rennes). Bruxelles, Zurich et Genève sont les seules grandes villes à régresser en termes de destinations. Pour les deux premières, il s’agit de l’impact de la faillite de Sabena et

1 ESPON project 3.4.2, Territorial impacts of EU economic policies and location of economic activities, Final Report, October 2006. Disponible sur www.espon.eu. 2 Où un redémarrage des subventions publiques a normalement eu lieu en 2006.

242 Swissair, dont on a vu que les héritières ont été contraintes à des ambitions plus mesurées (point 8.3 p. 195). Pour Genève, il faut y voir la concentration par Swissair, dans les années 1990, de l’offre intercontinentale à Zurich, principe maintenu par Swiss et peu compensé par d’autres compagnies.

Figure 128 : évolution 1991-2005 du nombre de destinations par ville

Pour les 364 autres villes, le nombre de destinations est stable ou, cas le plus fréquent, en croissance, traduisant la diversification géographique de l’offre aérienne maintes fois évo- quée au cours de notre recherche. Cependant, à la différence de l’évolution du volume de l’offre, celle du nombre de destinations ne concerne pas aussi systématiquement les gran- des régions métropolitaines. Paris, Lisbonne ou Athènes stagnent, alors que le volume de sièges y est en croissance significative. Les plus fortes croissances concernent surtout des villes de second rang et les régions accueillant le tourisme balnéaire, mais sur des volumes absolus qui demeurent inférieurs à ceux des grands aéroports métropolitains et centraux. Le nombre de destinations est en croissance dans les régions touristiques méridionales (tra- duisant pour partie, rappelons-le, la régularisation de certains vols charters) et plus généra- lement pour l’ensemble des régions non-métropolitaines privilégiées par les compagnies low-cost. Il est important de noter que dans les pays où des hubs importants ont été mis en place par les compagnies nationales (Allemagne, Italie, Autriche, Espagne,…), on n’observe pas, France et Suède exceptées, une régression du nombre de destinations depuis les villes non- hub. Cela signifie que les suppressions de lignes transversales par les compagnies nationa- les — au profit de lignes de rabattement vers leurs hubs — ont été plus que compensées par la présence et/ou la dynamique de croissance des autres compagnies, notamment low-

243 cost, qui ont en quelque sorte sauvé, voire repositionné, les villes secondaires (cf. points 6.5, 6.6 et 7.4).

Il est à noter que si l’on descendait à l’échelle des aéroports, on observerait des évolutions contrastées pour les aéroports d’une même ville. Ainsi, à Londres, Heathrow et Gatwick (sa- turés) plafonnent tandis que Stansted et Luton explosent du fait de l’offre low-cost. A Milan, Malpensa (hub Alitalia) et Bergame (offre low-cost) se développent au détriment de l’ancien aéroport urbain de Linate. A Paris, Orly se tasse (concurrence du TGV, restriction des servi- ces publics) au contraire de Charles de Gaulle (hub principal d’Air France).

Si, comme pour les sièges, on distingue le nombre de destinations internes à l’espace euro- péen libéralisé de celles à destination du reste du monde, on peut observer que la part des unes et des autres est restée assez constante de 1991 à 2005 (Figure 129). Autrement dit, s’il y a eu un renforcement du réseau européen, il ne s’est globalement pas fait au détri- ment du réseau extra-européen. La part des relations internes à l’espace européen libéralisé se renforce lorsque les villes perdent des relations inter-continentales (Bruxelles et Zurich avec la faillite de la Sabena et Swissair, Genève après que Swissair ait décidé de concentrer ses vols intercontinentaux à Zurich, le hub de Rome au profit de Milan,…) ou par recentrage de l’Europe centre-orientale sur l’Europe occidentale au détriment de l’ex-URSS. A l’inverse, le renforcement relatif des destinations extra-européennes traduit soit la montée en puis- sance de hubs (Milan et Munich1), soit la création de lignes par d’autres compagnies que les flag carriers (Düsseldorf, Stuttgart et Hanovre qui toutes trois doivent leur offre non- européenne principalement à LTU (cf. point 6.6.3 p. 134) et diverses compagnies essentiel- lement extra-européennes qui visent soit des touristes allemands potentiels soit « leurs » populations ayant émigré en Allemagne).

1 Qui, bien que principalement européen, a été doté par Lufthansa de 27 destinations externes à l’espace libéralisé, dont certaines en Amérique et en Asie.

244

Figure 129 : évolution 1991-2005 de la part des destinations internes à l’espace libéralisé

De ces évolutions en nombre de sièges et de destinations, trois thèmes posent question et méritent si pas des réponses tranchées au moins l’ouverture de portes. Il s’agit de la banali- sation du tourisme aérien, des liens entre offre aérienne et re-métropolisation, et du déve- loppement de liaisons transversales entre centres urbains secondaires.

10.2. Une banalisation du tourisme aérien

Tout au long de notre recherche, les espaces du tourisme balnéaire ont été mis en évidence — concurrence à l’échelle des lignes (Figure 24, p. 72), destinations privilégiées de certai- nes compagnies conventionnelles (se développant ou se diversifiant, cf. points 6.6 et 6.7, p. 131) ou low-cost (Figure 102 p. 178), forte croissance du nombre de sièges (Figure 127 p. 241) et diversification géographique de l’offre (Figure 128 p. 243). Afin de mesurer la contribution des régions sur-spécialisées dans la fonction touristique dans la croissance et diversification de l’offre, nous avons isolé les aéroports concernés — soit Canaries, Baléares, Madère, costas espagnoles y compris Gérone, Algarve, îles grecques touristiques, Chypre et Nice — indépendamment de leur classement selon la typologie éco- nomique régionale1 ; nous y avons ajouté Venise (Figure 130).

1 Il est à noter l’absence d’indicateurs permettant d’isoler sans ambiguïté les régions touristiques. Les secteurs d’activités concernés (hôtels, restaurants, cafés, loisirs divers,…) sont intégrés à des catégories plus larges et, surtout, concernent souvent aussi les voyages d’affaire voire les populations locales. Quant aux statistiques relatives au nombre de places-lits ou de nuitées (Eurostat ou ESPON), elles sont beaucoup trop dépendantes des découpages NUTS2 ou NUTS3 pour pouvoir en tirer quelque chose. Nous

245

On constate ainsi que les régions touristiques retenues contribuent pour environ 3/10 à l’offre nouvelle (tant en lignes qu’en sièges) et ¼ à l’augmentation géné- rale (en sièges) (Tableau 61). Ceci est d’autant plus spectaculaire que nous travaillons sur le mois de janvier, a priori défavorable aux espaces touristiques méditerranéens compte tenu du climat, et que ces résultats n’incluent pas le tourisme urbain (Rome, Barcelone,…) à l’exception de Venise. On peut supposer que la contribution des espaces touristiques à la croissance eût été plus importante encore pour la saison estivale. Même si une partie de la croissance de l’offre régulière discutée ici correspond en fait à la « régularisation1 » de com- pagnies charters (voire à la conversion au modèle low-cost), il n’en demeure pas moins que ce changement de statut est vraisemblablement en faveur des régions de destination. De- venues plus accessibles aux voyageurs indépendants, elles peuvent compter sur un apport de touristes supplémentaire ou à tout le moins plus diversifié, diminuant un peu leur dépen- dance face aux tours-opérateurs. Rappelons l’atout d’Internet qui permet à ces voyageurs de concocter leurs propres packages (réservant ainsi vols, logement, voiture de location,…) et participe à un mouvement d’individualisation des pratiques touristiques.

Figure 130 : les régions touristiques retenues

avons dès lors travaillé « à la grosse louche », préférant ouvrir des pistes de recherche que de ne rien faire du tout. 1 C’est-à-dire leur transformation en compagnie régulière dont les vols deviennent accessibles à tous, au contraire des vols charters dits non-réguliers.

246 Contribution des régions touristiques à l'évolution de l'offre (intra-espace européen libéralisé, janvier 1991 - 2005) Toutes Liaisons de / vers zones touristiques les liaisons toutes compagnies low-cost Création de lignes Lignes nouvelles 1 308 399 31% 133* Sièges correspondants (millions) 8.71 2.78 32% 1.13 Création de lignes + renforcement des lignes préexistantes Sièges (millions) 21.06 5.20 25% 1.71 * Eventuellement en co-présence avec une ou plusieurs compagnies conventionnelles. Source : OAG et calculs personnels. Tableau 61 : la croissance de l’offre totale et des seules régions touristiques

Le tableau montre aussi que les compagnies low-cost jouent un rôle significatif dans la créa- tion de nouvelles lignes à vocation touristique (1/3 des lignes créées et 4/10 des sièges correspondants). La part de ces compagnies dans la croissance générale de la desserte des espaces touristiques retenus est de 1/31, soit moins qu’en moyenne (Tableau 40 p. 162). Ceci renvoie à la prédilection dominante des compagnies low-cost pour les régions métropo- litaines et centrales (point 7.4.1 p. 160). Sans vouloir nier l’importance des LCC dans le dynamisme aérien des régions touristiques, le poids de quelques compagnies convention- nelles ou intermédiaires, allemandes en particulier (Air Berlin, Hapag Lloyd Flug, LTU,…) est globalement plus important dans l’augmentation de la desserte des espaces touristiques méridionaux. Pour ces régions, la normalisation de compagnies charters semble dès lors être un facteur au moins aussi important que le développement des compagnies low-cost, plus focalisées sur les marchés urbains.

En termes géographiques (Figure 131), la création des lignes touristiques régulières relie les zones retenues comme espaces dédiés au tourisme principalement avec les pays qui ont une tradition de tourisme de masse par charter et/ou les pays à fort développement de l’offre low-cost, les uns et les autres se superposant largement. Une originalité certaine de ces nouvelles lignes est leur dispersion spatiale, tant à l’origine qu’à la destination, et qui vise bien entendu à se rapprocher au plus près des origines et destinations des clients. Di- verses villes secondaires ont ainsi été mises en connexion directe avec les espaces touristi- ques méridionaux. L’opposition entre le sud-ouest et le sud-est de l’Europe est par ailleurs manifeste, et ren- voie notamment à la capacité des infrastructures d’accueil dans ces espaces. Enfin, on re- trouve le cantonnement de l’offre low-cost à des vols courts, ce qui limite l’importance de leur contribution dans les Canaries et le sud-est européen. Rappelons que seuls les vols courts permettent une rotation rapide des avions et du personnel.

1 Ceci sans tenir compte d’Air Berlin, au statut incertain.

247

Figure 131 : la création de lignes vers les espaces touristiques

Quoi qu’il en soit, il y a bien une évolution majeure de l’offre et des pratiques touristiques, sous-estimée ici par le fait de travailler sur le mois de janvier, par l’absence de prise en compte du tourisme urbain (Venise exceptée) qui profite massivement aux régions métropolitaines et centrales (Paris, Londres, Rome, Amsterdam,…), et par la méconnaissance totale du poids des VFR (visits to friends and relatives) que l’on pourrait également assimiler à du tourisme. Mais sur un vol Bruxelles – Barcelone par exemple, comment distinguer les touristes (au sens large) des hommes d’affaires si ce n’est au moyen d’enquêtes pour ainsi dire impossibles à mener à l’échelle européenne ? Ces résultats nous interpellent et nous rappellent que le voyage en avion est de moins en moins réservé à une élite et aux déplacements professionnels. Là où il n’y a pas très long- temps les familles prenaient la voiture, le train de nuit ou même l’autocar pour partir en vacances, l’usage de l’avion est devenu beaucoup plus familier et constitue pour ainsi dire la norme. Outre le déploiement des compagnies conventionnelles ou la conversion des compa- gnies charters, les low-cost ont favorisé une multiplication des voyages à la carte, des city- trips individualisés et des trajets vers les résidences secondaires, un peu comme d’autres prennent le TGV à Lille ou au Mans pour aller travailler à Paris. Seul le TGV, quand il existe, semble en mesure de contre-carrer l’avion, et encore : sous réserve de tarifs suffisamment attractifs car des billets low-cost peuvent s’avérer plus intéressants. Il faut donc définitivement sortir de l’image selon laquelle les avions ne seraient remplis que par des hommes d’affaires.

248 10.3. Libéralisation et re-métropolisation

10.3.1. Introduction

Les résultats synthétiques qui ont précédé semblent montrer que les grandes régions mé- tropolitaines maintiennent leur rang et continuent de dominer la scène aérienne euro- péenne. Ceci mérite d’être discuté plus en détail tout en posant la question de la « performance » des différents types de région à l’aune du phénomène de la re- métropolisation contemporaine. Rappelons d’abord brièvement ce que sous-tend le terme de re-métropolisation1. Depuis la phase B du 4e cycle économique de Kondratieff, entamée au milieu des années 1970, les firmes sont confrontées à des marchés stagnants (fin de la consommation de masse). Tan- dis que la crise a fait chuter leur taux de profit, s’est rapidement posée la question de sa restauration. Pour ce faire, en revenir à la situation antérieure aux acquis sociaux post- Seconde Guerre Mondiale est politiquement et socialement très difficile (et d’ailleurs pas nécessairement souhaitable d’un point de vue économique). Une réponse, largement mise en œuvre, est alors l’ouverture internationale des marchés. Mais celle-ci pousse à une concurrence géographiquement étendue et facilitée par le rapide abaissement des coûts des transports et des communications, par ailleurs quantitativement renforcés. Face à ces éléments, les firmes vont dès lors miser sur la gestion des stocks et sur l’innovation afin de se distinguer, de se différencier de leurs concurrentes, dans l’optique classique de restaurer, maintenir ou augmenter leur taux de profit (base de l’économie capi- taliste, rappelons-le). La production et, avec elle, l’organisation économique des entreprises évoluent ainsi vers des cycles de produits courts. Les produits étant plus souvent renouve- lés, les activités de conception et de gestion s’en trouvent accrues, tandis que divers seg- ments sont externalisés afin de se prémunir des « rigidités » qui pourraient dévaloriser la capacité de changement et la compétitivité de l’entreprise lors du prochain produit. Alors que le 4e cycle économique de Kondratieff fut plutôt celui d’une certaine diversification spatiale de la croissance économique au sein des États concernés, les évolutions récentes sont pour leur part à l’avantage des grandes métropoles2. Celles-ci concentrent en effet tout à la fois une main d’œuvre diversifiée, de nombreux sous-traitants potentiels (avec qui il est plus facile de rompre le contrat que de licencier son propre personnel), de nombreux servi- ces avancés (avocats spécialisés, services financiers,…), des réseaux sociaux plus dévelop- pés,… La capacité relationnelle d’une grande métropole, en son sein et vis-à-vis de l’extérieur, la flexibilité qu’elle rend possible et la diversité de son offre en main d’œuvre et en services sont des atouts indéniables qui offrent aux firmes une certaine sécurité, une assurance pour utiliser le terme de Veltz (2005), face aux imprévus et aux incertitudes quant au moyen et au long terme. Pour autant, les villes ou régions de second rang ne sont pas disqualifiées a priori, mais doivent miser sur d’autres bases de développement. Cet attrait des grandes villes est renforcé par l’évolution de leur fonction dans le double ca- dre de la mondialisation et de la globalisation de l’économie : jadis articulatrices des espa- ces proches et lointains, dans un contexte de lenteur et de coût des transports, les plus im- portantes d’entre elles fonctionnent aujourd’hui au moins autant en réseau avec leurs sem- blables qu’avec leur hinterland traditionnel. En d’autres termes, leurs relations horizontales ont largement pris le pas sur leurs relations verticales, et il est clair que le transport aérien joue ici un rôle de tout premier plan. Nous avons ici une problématique qui n’est certes pas directement liée à celle de la libérali- sation du transport aérien. Mais il nous semble néanmoins important d’analyser dans quelle mesure le contexte de libéralisation — qui incite les compagnies à repenser leur réseau — a été ou non plus favorable aux principales régions métropolitaines, d’une part, et si les liai- sons « horizontales » se sont développées et ont pris de l’importance.

1 Pour une lecture plus approfondie, voir Veltz (2005) et Benko et Lipietz (1992). 2 Au sens large, donc sans discuter de l’espace précis qu’il faut considérer pour cerner l’impact de la re- métropolisation (par exemple la ville-centre, son agglomération morphologique, son agglomération fonc- tionnelle, un ensemble régional de villes ou tout le centre économique européen ?).

249 Pour répondre à ces questions, nous sommes repartis de la typologie économique des ré- gions européennes de Vandermotten et Marissal (2000) (point 3.4 p. 48), mais en l’affinant à la lumière des résultats que nous venons de présenter (Figure 132) : − les régions métropolitaines sont divisées en trois types : tertiaire central et médio- européen ; péricentral ; périphérique ; − les régions périphériques sont également divisées en trois types : régions accueillant le tourisme balnéaire méridional, en ce compris les Baléares, originellement intégrées à la région centrale catalane ; capitales des pays ex-communistes ; autres.

Figure 132 : typologie économique affinée

10.3.2. Des évolutions contrastées mais un maintien de la hiérarchie

Si l’on synthétise l’évolution du nombre de sièges par type économique régional de départ, deux éléments majeurs frappent au premier abord (Tableau 62) : 1. Il y a bien croissance de l’offre dans chaque type d’espace, mais les taux de croissance sont très diversifiés. 2. Cependant, et malgré un quasi doublement de l’offre sur 15 ans, la répartition de l’offre par grands types économiques régionaux de départ est spectaculairement demeurée presque constante.

250 Contribution régionale et taux de croissance de l'offre en sièges (janvier 2005/1991) :

Taux de croissance vers : Contributions Origine Espace libéralisé Autres Total 1991 2005 Régions métropolitaines : - centrales et médio-européennes 65% 144% 82% 42.6% 42.0% - péricentrales 48% 36% 47% 12.8% 10.2% - périphériques 108% 69% 103% 2.6% 2.9% Régions centrales 88% 30% 81% 14.3% 13.9% Régions sub-centrales 152% 268% 158% 3.6% 5.0% Régions intermédiaires 41% 21% 40% 7.8% 5.9% Régions périphériques : - tourisme balnéaire 302% 121% 292% 2.9% 6.0% - capitales des pays ex-communistes 400% 38% 262% 1.6% 3.0% - autres 74% 40% 73% 11.5% 10.8% Total mio. sièges / croissance moyenne 81% 110% 85% 30.82 57.03 Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 62 : croissance de l’offre en sièges par type de région d’origine (2005/1991)

Parcourons ce tableau plus en détail et en commençant par ce qui semble le plus évident.

Régions périphériques touristiques : La croissance est ici très forte, bien que portant sur des effectifs qui demeurent modestes. La part de ces régions a néanmoins doublé et renvoie à la banalisation du tourisme aérien dont nous avons parlé au point précédent. La croissance est plus grande que la moyenne, en particulier en intra-européen. Ceci découle de ce que le tourisme demeure une activité essentiellement intra-continentale (Dewailly et Flament, 1999).

Capitales ex-communistes : Ici aussi on observe un doublement de l’offre portant malgré tout sur des volumes qui de- meurent réduits. Ces villes ont connu une spectaculaire croissance de leur offre intra- européenne, en fait vers l’Europe occidentale qui polarise (on voudrait presque écrire « annexe ») l’Europe centrale. A contrario, la croissance vers le reste du monde est très inférieure à la moyenne, témoignant de ce que les capitales de ces pays ne jouent un rôle de tête de pont quasiment qu’avec l’Europe occidentale, et non à l’échelle mondiale.

Les autres régions périphériques et les régions intermédiaires : Même si ces régions voient leur offre croître, cette croissance est inférieure à la moyenne, au point que leur contribution à l’offre totale est en régression. La contre-performance est plus marquée encore vers les espaces non-européens. Ceci laisse entendre que ces régions ne s’intègrent pas à la dynamique d’intensification des échanges économiques et de mises en réseau des territoires telles qu’elles s’observent ail- leurs. En France, ces contre-performances sont sans doute également alimentées par la concurrence des TGV, dont la toile s’étend progressivement1, et la régression des services publics (comme sans doute aussi en Scandinavie).

Les régions métropolitaines périphériques : Ce groupe de villes (Lisbonne, Naples et Athènes) connaît une croissance dans la moyenne mais surtout centrée sur l’Europe libéralisée. Cela n’est cependant pas négligeable : ce type de région se porte manifestement mieux que jadis et présente de bien plus fortes croissan- ces que les périphéries autres. Leur intégration européenne semble bien se confirmer.

1 De nombreuses lignes ou tronçons de lignes ont été mis en service après 1991.

251 Les régions métropolitaines centrales et médio-européennes : Ces régions maintiennent leur rang. Leur taux de croissance peut décevoir (en particulier à l’échelle européenne), mais porte sur des volumes considérables et doit être nuancé. Pre- mièrement, ces régions sont depuis longtemps connectées à de nombreuses villes euro- péennes ; il n’est donc pas étonnant que la croissance y soit plus modérée. Ensuite et sur- tout, ces régions connaissent quasiment la plus forte croissance vers le reste du monde, alors même qu’elles « monopolisaient » déjà une très grande partie de l’offre intercontinen- tale. Ceci laisse entendre que ces villes jouent les têtes de pont de la re-métropolisation et de l’intensification des échanges mondiaux. Ce rôle est renforcé par le fait que les grands hubs mondiaux se sont implantés dans ce type d’espace, de même qu’une partie des hubs de second niveau. Ce n’est évidemment pas un hasard : d’une part les hubs correspondent largement aux aéroports historiquement dominants eux-même localisés dans les régions les plus développées de chaque pays ; d’autre part, lorsque des nouveaux hubs ont été déci- dés, les compagnies ont opté pour ce même type d’espace de par la nécessité de s’appuyer sur le marché local. Le fait que Lufthansa ait opté pour Munich plutôt que Berlin est de ce point de vue tout à fait exemplaire, de même que la montée en puissance de Milan par rap- port à Rome. Pour autant, la performance de ce type de régions n’est pas réductible à leur puissance économique à l’échelle européenne et mondiale. Il faut en effet garder à l’esprit leur poids démographique (bien que celui-ci ne soit pas sans rapport avec le poids économique) et la fonction touristique qui, pour certaines villes, est très importante (Londres, Rome, Barce- lone, Amsterdam,…). Toutefois, la fonction touristique des villes métropolitaines leur offre sans doute un avantage économique supplémentaire en termes d’ambiance et d’infrastructures tout en contribuant à leur desserte aérienne.

Les régions centrales : Si les espaces centraux gardent leur rang (14%), leur croissance est un peu supérieure à la moyenne à l’échelle européenne et très inférieure à la moyenne vers le reste du monde. Même si ces régions sont économiquement fortes, elles demeurent, en termes aériens, clai- rement un niveau en-deçà des régions métropolitaines centrales et médio-européennes. Il faut dire que, souvent, elles entourent une région métropolitaine et ne sont pas très éloi- gnées de leurs grands hubs : les régions centrales italiennes s’étalent entre Rome et Milan et les allemandes entre Munich, Francfort et Amsterdam. Elles ont également subi la concentration de l’offre des flag carriers sur leurs grands hubs. Ces régions se voient alors mieux arrimées aux hubs des flag carriers qui les polarisent tout en bénéficiant d’un fort développement européen grâce à des compagnies de second rang.

Les régions sub-centrales : Malgré une contribution demeurant faible (5%), les régions sub-centrales connaissent une croissance très spécifique tant vers l’Europe que vers le reste du monde. Précisons d’emblée que hors Europe, la croissance est uniquement due à Manchester dont on a vu qu’elle avait profité d’une certaine ouverture intercontinentale de BMI (point 6.6.1 p. 131). Sur le marché européen, la croissance des régions subcentrales se rattache vraisemblable- ment à deux logiques : une logique de substitution aux régions métropolitaines ou centrales d’une part, et une logique britannique d’autre part. La logique de substitution prévaut si l’on considère les aéroports régionaux spécialisés dans l’offre low-cost et qui se situent dans la périphérie — éventuellement lointaine — des gran- des agglomérations (Charleroi pour Bruxelles, Hahn pour Francfort, Lübeck pour Ham- bourg,…). On peut parler de substitution dans la mesure où 2/3 de l’offre depuis ces aéro- ports est à destination des régions métropolitaines, centrales ou périphériques touristiques. Il y a ici une concurrence avec une partie des liaisons traditionnelles des grands aéroports, le public étant attiré pour des raisons de prix et/ou de facilité. Il faut rappeler ici à quel point se rendre à l’aéroport de Charleroi, par exemple, est pour de nombreuses personnes moins contraignant que de se rendre à celui de Bruxelles. Les bas prix impliquent proba- blement une pénétration importante dans le marché du tourisme de masse, mais encore une fois, il ne faudrait pas réduire l’offre low-cost à un public populaire.

252 La logique britannique correspond à un faisceau de facteurs favorables à la fois au dévelop- pement d’une offre aérienne individualisée malgré le poids écrasant de l’économie londo- nienne et au fait que cette offre soit en bonne partie low-cost. Nous avons déjà signalé le terreau fertile que signifiait, pour le développement de l’offre low-cost, le néo-libéralisme britannique, précoce et prégnant depuis l’arrivée au pouvoir de M. Thatcher et jamais dé- menti par ses successeurs. Il faut y ajouter différents facteurs qui justifient un dynamisme régional sans commune me- sure avec ce que l’on peut constater en France, autre pays très centralisé. Tout d’abord, à la différence de la France précisément, le poids écrasant de Londres laisse malgré tout de la place pour le tertiaire décisionnel dans les villes de province. Si, comme en France, le poids du secteur financier des régions britanniques pèse peu dans le total national, la part de ce secteur dans l’économie locale y est par contre souvent bien plus élevée1 (Vandermotten et Marissal, 2004 : 306-307). Il y a donc, en Grande-Bretagne, un certain dynamisme local, appuyé sur des capitaux locaux et tourné vers le tertiaire dans le cadre de la politique pré- coce d’abandon total, par l’État, des secteurs en crise au profit d’un renouvellement du tissu économique des régions ex-industrielles. Alors que le Hainaut est sur-tertiairisé par défaut d’activités autres que celles du secteur tertiaire public, les régions sub-centrales britanni- ques sont plutôt tertiairisées par un dynamisme économique intrinsèque2. Qui plus est, cette reconversion tertiaire (en ce compris des activités industrielles proches du tertiaire) s’est en partie tournée vers l’économie mondialisée, mobilisant en quelque sorte cette « habitude du monde » des élites économiques et politiques britanniques3, au point que les structures économiques sub-centrales y tendent vers des structures de régions centrales. Dans ce cadre, économie flexibilisée, tissu renouvelé de PME (sans doute loin de l’esprit de l’establishment londonien), travailleurs peu protégés et bataillons de populations fragilisées fournissent un grand potentiel de passagers low-cost, rejoignant en partie le modèle irlan- dais que nous avons évoqué plus haut. Sans verser dans le simple déterminisme de locali- sation, on peut y ajouter l’éloignement de Londres dont les deux grands aéroports classi- ques (Heathrow et Gatwick) sont de surcroît situés au sud de la capitale.

Les régions métropolitaines péricentrales : Ces régions témoignent d’une contre-performance tout à fait spectaculaire, avec une crois- sance très inférieure à la moyenne tant vers l’Europe que vers le reste du monde et un recul de leur rang (de 12,8 à 10,2 %). Ce groupe inclut les capitales nordiques, Rome et Édim- bourg. Seule cette dernière connaît une croissance supérieure à la moyenne. Les autres ont une croissance inférieure à la moyenne et Stockholm est même en stagnation alors que presque tout le reste de l’Europe est en croissance. Concernant Rome, on peut penser qu’il s’agit là d’une sorte d’équilibrage par rapport au poids économique réel de la ville, ce qui n’empêche d’ailleurs pas une croissance certes infé- rieure à la moyenne mais pas négligeable pour autant (Figure 127, p. 241). Le poids démo- graphique et l’attrait touristique compensent en effet la faiblesse des fonctions économi- ques. En Fennoscandie, et en particulier en Suède, on peut faire l’hypothèse de la persistance d’un modèle de croissance alternatif, plus auto-centré et plutôt basé sur des croissances internes dans le cadre social-démocrate où l’État demeure plus interventionniste et régule à l’échelle nationale. On peut alors poser la question de savoir si ce développement, en soi non-critiquable, ne serait pas moins favorable à d’importantes mises en réseau à l’échelle internationale. En outre, la position même de la Fennoscandie, au nord-est de l’Europe la plus développée, est probablement défavorable à un gonflement de l’offre par des fonctions hubs importan- tes. Par rapport aux principaux autres hubs, passer par le nord-est de l’Europe signifie une perte de temps pour de nombreuses destinations tant européennes qu’intercontinentales.

1 Jusque presque 12%, contre maximum 4% en France. Même en Allemagne, on se situe généralement sous les 7%. 2 Qui n’a certes pas impliqué l’éradication du chômage (celui-ci étant fortement déguisé par toutes sortes de stratagèmes comptables des pouvoirs publics), mais c’est là un autre sujet. 3 Le temps n’est finalement pas si loin où la Grande-Bretagne dominait le monde…

253

10.4. De nouvelles transversalités ?

10.4.1. Un discours à la mode

Avec les discours sur la globalisation et la mondialisation de l’économie, vient assez souvent l’idée selon laquelle l’espace deviendrait plus isotrope, la distance moins prégnante et les flux plus horizontaux que verticaux. Si la victoire du flux sur l’espace est un mythe, qu’en est-il du développement des relations horizontales ? Il est connu que les grandes villes fonc- tionnent de plus en plus en réseau avec leurs pairs plutôt qu’avec leur aire d’influence tradi- tionnelle. Cela se traduit-il au niveau de l’offre aérienne et surtout à quel ni- veau hiérarchique ? Tentons d’apporter quelques éléments de réponse.

10.4.2. Selon le volume de l’offre et la typologie économique

A l’échelle intra-européenne tout d’abord (Tableau 63), les seuls flux entre régions métropo- litaines centrales ou médio-européennes représentent déjà plus d’un dixième de l’offre européenne. On atteint plus d’un cinquième de l’offre en considérant l’offre entre tou- tes les régions métropolitaines. Et en élargissant aux régions centrales, on totalise 41%. Par contre, les flux entre régions centrales ne représentent que 1,5% du total et sont faibles par rapport aux liaisons entre régions centrales et métropolitaines, ce qui accrédite l’hypothèse émise plus haut d’une polarisation par ces dernières. Les autres flux par couples régionaux sont de faible poids, si ce n’est entre les régions métropolitaines et périphériques.

Répartition de l'offre aérienne selon la typologie économique des régions (janvier 2005) Offre interne à l'espace européen libéralisé. D'après le nombre de sièges offerts. Zones de destination Zones d'origine M1 M2 M3 C S I P1 P2 P3 total Régions métropolitaines : - centrales et médio-européennes 10.4% 3.4% 1.2% 7.4% 2.2% 3.7% 2.4% 1.6% 3.7% 36.0% - péricentrales 3.4% 1.5% 0.2% 1.1% 0.4% 1.0% 0.2% 0.4% 3.1% 11.3% - périphériques 1.2% 0.2% 0.0% 0.4% 0.0% 0.0% 0.6% 0.0% 0.7% 3.1% Régions centrales 7.5% 1.1% 0.4% 1.5% 0.6% 0.7% 1.3% 0.3% 1.1% 14.5% Régions sub-centrales 2.1% 0.4% 0.0% 0.6% 0.5% 0.3% 0.5% 0.2% 1.0% 5.6% Régions intermédiaires 3.7% 1.0% 0.0% 0.7% 0.3% 0.5% 0.2% 0.0% 0.3% 6.8% Régions périphériques : - tourisme balnéaire 2.4% 0.2% 0.6% 1.3% 0.5% 0.2% 1.2% 0.0% 0.4% 6.8% - capitales des pays ex-communistes 1.6% 0.4% 0.0% 0.3% 0.2% 0.0% 0.0% 0.3% 0.3% 3.2% - autres 3.8% 3.0% 0.7% 1.1% 1.0% 0.3% 0.4% 0.3% 2.2% 12.7% Régions métropolitaines à l'origine et/ou à l'arrivée : 79% Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 63 : offre aérienne par couples typologiques régionaux (2005)

Toujours en intra-européen, une analyse des coefficients de spécificité de la croissance (Tableau 64) permet de se faire une idée des évolutions par rapport à la moyenne euro- péenne.

254 Spécificité de la croissance de l'offre (janvier 2005 / janvier 1991) Offre interne à l'espace européen libéralisé. D'après le nombre de sièges offerts. Minimum 0,5% de l'offre totale 2005. Régions de destination Régions d'origine M1 M2 M3 C S I P1 P2 P3 total Régions métropolitaines : - centrales et médio-européennes 0.67 0.90 1.28 0.89 0.99 0.83 2.51 2.70 1.41 0.92 - péricentrales 0.88 0.81 0.78 0.91 0.45 0.78 0.82 - périphériques 1.22 1.28 1.15 Régions centrales 0.90 0.91 0.81 1.84 0.85 2.83 1.80 1.04 Régions sub-centrales 1.00 1.82 0.91 25.27 1.52 1.40 Régions intermédiaires 0.82 0.45 0.85 0.70 0.77 Régions périphériques : - tourisme balnéaire 2.48 2.83 25.28 1.50 2.29 - capitales des pays ex-communistes 2.68 2.76 - autres 1.44 0.76 0.96 1.75 1.57 0.53 0.96 Source : OAG. Traitement : F. Dobruszkes. Tableau 64 : spécificité de la croissance de l’offre par couples typologiques régionaux (2005/1991)

Les régions métropolitaines présentent dans l’ensemble des croissances sous-spécifiques, mais rappelons qu’elles portent sur des volumes énormes. Il y a par contre une sur- croissance entre les métropoles centrales ou médio-européennes et les périphéries, y com- pris métropolitaines. On peut voir cette tendance à la fois comme la « pieuvre » métropoli- taine qui étend plus encore ses tentacules vers les derniers recoins à desservir, et un ren- forcement de la dépendance des périphéries en même temps que leur confirmation d’annexe touristique, qui vaut d’ailleurs aussi depuis les régions centrales et plus encore sub-centrales. En comparaison, les régions centrales ne connaissent une sur-croissance, et donc un renfor- cement relatif, que vers les régions sub-centrales et touristiques. Les régions sub-centrales bénéficient clairement de fortes croissances vers les régions mé- tropolitaines, centrales et touristiques, selon les logiques de décongestion métropolitaine et la spécificité britannique évoquées ci-avant. Le « largage » des régions intermédiaires se confirme et il est de ce point de vue significatif que les moins mauvaises croissances concernent les liaisons avec les régions métropolitai- nes « supérieures » et les régions centrales : lorsque la situation se dégrade, du moins rela- tivement, il y a une sélectivité accrue vers les pôles essentiels. Enfin, les périphéries vivent avant tout un renforcement des liens aériens vers les types supérieurs, sub-central inclus. Selon cette vision des choses, on semble donc loin d’un équilibrage tous azimuts dans le- quel la hiérarchie économique des espaces s’effacerait au profit de liaisons horizontales gé- néralisées.

10.4.3. Selon le nombre de destinations

Si le volume de l’offre est un indicateur utile, l’éventail des destinations est également im- portant à considérer. L’attractivité d’une région se fonde en effet au moins autant sur celui- ci1. Le graphique qui suit croise, à l’échelle des aéroports, l’évolution du nombre de destinations avec la hiérarchie des world cities du GaWC (cf. point 3.5 p. 50). Rappelons que celle-ci est basée sur la présence des services avancés aux entreprises et que les villes ont été cotées de 1 (bas de l’échelle) à 12 (haut de l’échelle). Les villes non-cotées par le GaWC se sont vues attribuer une cote nulle. Afin de ne pas perturber l’analyse avec des flux hors sujet, nous avons ici exclu les vols à destination des principaux espaces touristiques2. Les vols vers les grandes villes qui ont des fonctions touristiques sans que ce soit leur activité domi- nante (par exemple Rome et Barcelone, par opposition à Venise) ont par contre été mainte- nus, faute de pouvoir y distinguer ce qui y relève du tourisme.

1 Pour faire simple, mieux vaut 10 routes de 15 000 sièges chacune qu’une seule route de 150 000 sièges. 2 Canaries, Baléares, Madère, costas espagnoles (y compris Gérone), Algarve, îles grecques touristiques, Chypre, Venise et Nice.

255 Que l’on considère toutes les routes au départ de l’Europe (Figure 133) ou que l’on se limite aux flux intra-européens (Figure 134), on observe des situations assez contrastées, même si la tendance va globalement dans le sens d’une corrélation positive. Avec un ajustement de fonction cubique, la corrélation est respectivement de 0,77 et 0,60. Cette différence traduit le fait, bien visible sur les graphiques, d’un important développe- ment de nouvelles liaisons intra-européennes depuis les rangs inférieurs.

) 100 1 World cities européennes vs. évolution du nombre de destinations 9 9 1

r LO e i 90 v n a j

-

5 80 0

0 MUC 2

r e i

v 70 MI n a j (

n VIE o i 60 t FRA u l o

v AMS E 50 PRG MAD RO PA 40 DUB MAN STR DUS 30 BUD BCN BLQ CPH OS BE BHX WAW 20 ST EDI LYS BTS ATH GVA 10 GO HAM BRU LBA HEL ZRH MRS LIS RTM LUX TRN 0 AAR GLA ANR GOA 01DRS 23456789101112

-10 LIL Rang GaWC

-20 Corrélation cubique : R=0,77. Source : OAG. Hors destinations touristiques

Figure 133 : l’évolution du nombre de destinations par rang GaWC

256 ) 50

1 World cities européennes vs. évolution du nombre de destinations (intra-Europe) 9 9 1

r LO e

i 45 v n a j

-

5 40 0 0 2

r DUB e i 35 v n

a RO PRG j (

n

o 30 i

t MUC u l o v

E 25 BCN OS BE WAW BLQ STR VIE MI 20 MAN BUD MAD EDI BHX 15 AMS CPH GVA ST BTS 10 GO HAM LYS LBA LUX LIS ATH FRA RTM HEL BRU 5

GLA DUS TRN ZRH 0 AAR MRS DRS 01ANR GOA 234567891011PA 12

-5 Rang GaWC LIL -10 Corrélation cubique : R=0,60. Source : OAG. Hors destinations touristiques. Figure 134 : l’évolution du nombre de destinations par rang GaWC (intra-Europe)

A y regarder de plus près cependant, une partie de ces diversifications concernent des villes dont on peut s’interroger sur une cotation sévère par le GaWC, en particulier concernant Munich et Vienne. Ensuite, ces développements ne témoignent pas nécessairement de liai- sons horizontales. Un retour aux sièges, sous forme de spécificité de la croissance par cou- ples GaWC, est de ce point de vue loin de donner des résultats tranchés dès lors que l’on a pris la peine de retirer les plus faibles flux (Tableau 65). Pour les villes des rangs inférieurs, on constate en effet que les croissances ont souvent davantage lieu avec les villes des rangs supérieurs plutôt qu’avec leurs semblables.

Spécificité de la croissance 2005/1991 du nombre de sièges par rang GaWC Flux internes à l'espace européen libéralisé hors régions touristiques. Couples : min. 0,5% du total. Origine0123456891012Total 0 1.0 1.5 1.0 1.1 1.2 0.8 1.9 1.4 1.1 1.0 1.1 1 1.4 0.7 0.8 1.0 2 1.0 1.2 0.9 1.0 1.1 3 1.1 1.3 1.2 1.1 1.1 1.1 4 1.2 1.2 1.3 0.8 1.2 0.8 1.2 0.6 1.2 1.0 5 0.8 0.7 1.1 0.7 1.0 0.9 6 2.0 0.9 1.2 0.8 0.8 1.0 1.1 8 1.4 1.2 0.8 1.2 9 0.8 10 1.1 1.1 0.6 0.8 0.8 0.9 0.9 12 1.0 0.8 1.0 1.2 1.3 1.1 1.0 0.8 0.9 0.4 0.9 Source : OAG et GaWC. Traitement : F. Dobruszkes Tableau 65 : spécificité de la croissance de l’offre par couples GaWC (2005/1991)

L’analyse de la contribution des liaisons entre villes de rang inférieur (selon le GaWC) à la dynamique générale de croissance relativise également le poids des liaisons horizontales entre « petites villes ». Celles-ci représentent 18% des nouvelles liaisons ou 15% des siè-

257 ges des nouvelles liaisons, mais leur contribution globale à la croissance du nombre de siè- ges n’est que de 8% (Tableau 66).

Contribution à la croissance de l'offre janvier 1991 - 2005 des liaisons entre villes non-mondiales (rangs 0, 1, 2 et 3) Liaisons internationales hors destinations touristiques, intra-espace européen libéralisé.

Toutes Liaisons entre villes non-mondiales les liaisons toutes compagnies low-cost Nouvelles liaisons 1 326 241 18% 110* Sièges correspondants (millions) 8.71 1.26 15% 0.77 Augmentation totale de l'offre (liaisons nouvelles et préexistantes, millions de sièges) 21.09 1.59 8%

* Eventuellement en co-présence avec une compagnie conventionnelle. Source : OAG et calculs personnels. Tableau 66 : spécificité de la croissance de l’offre par couples GaWC (2005/1991)

On peut donc en conclure que si les villes de rang inférieur connaissent une certaine diversi- fication spatiale de leurs dessertes, celles-ci ont davantage une importance locale qu’un véritable poids global.

10.5. Conclusions

Au-delà des discours parfois un peu rapides sur les mutations généralisées et la « fin de l’espace » — comme d’autres ont parlé de la « fin de l’histoire » — la libéralisation du trans- port aérien a certes permis une très vigoureuse croissance de l’offre et une diversification spatiale de celle-ci, mais sans pour autant remettre en cause la hiérarchisation de l’espace européen. Le rôle majeur et très polarisant des régions métropolitaines en ressort confirmé, malgré la contre-performance des capitales nordiques et de Stockholm en particulier. À cette exception près, ces régions sont toujours les gagnantes, que ce soit par le jeu des hubs ou par le complément low-cost dont il faut rappeler que près de la moitié de l’offre les dessert. La position des régions centrales demeure certes honorable, mais à un niveau clairement en-dessous de la plupart des régions métropolitaines tout en demeurant circonscrites aux flux intra-européens. Alors que la croissance des régions touristiques a certainement été amplifiée et facilitée par la libéralisation, et que le repositionnement des capitales ex-communistes n’est guère une surprise, le développement de l’offre dans les régions sub-centrales est sans doute l’originalité la plus marquante de la dynamique aérienne européenne. Qu’il s’agisse de phé- nomènes de décompression métropolitaine ou d’une originalité britannique, et que les pou- voirs publics locaux aient fortement appuyé ces évolutions en acceptant les conditions im- posées par certaines compagnies low-cost n’atténue pas l’originalité de cette dynamique. A contrario, les régions intermédiaires et les périphéries tendent à se marginaliser, victimes de trop faibles densités économiques et démographiques.

258