Alain Mahé. G.K. 1. 7/04/06 12:16 Page 3
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
alain mahé. G.K. 1. 7/04/06 12:16 Page 3 Histoire de la Grande Kabylie alain mahé. G.K. 1. 7/04/06 12:16 Page 4 Pour leurs œuvres littéraires et leur intégrité morale, je dédie ce travail à Belaïd Aït Ali, mort de misère en 1950, Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS en 1962, Sliman Azem, mort exilé en France en 1983, Tahar Djaout, assassiné en 1993. Première édition, 2001 ISBN : 2-912946-12-3 © Editions Bouchène, 2006. alain mahé. G.K. 1. 7/04/06 12:16 Page 5 Alain Mahé Histoire de la Grande Kabylie XIXe et XXe siècles anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises deuxième édition corrigée EDITIONS BOUCHENE alain mahé. G.K. 1. 7/04/06 12:16 Page 6 REMERCIEMENTS Ce livre est en grande partie tiré d’une thèse de doctorat soutenue à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1994. Ce travail a été réalisé grâce à une allocation du ministère de la Recherche et de la Technologie. J’ai bénéficié ensuite d’une aide à l’écriture du Centre National des Lettres sans laquelle je n’aurais pas pu donner cette forme finale à mon ouvrage et y intégrer les développements intervenus en Kabylie depuis ma soutenance de thèse. Je tiens particulièrement à remercier mes interlocuteurs et mes amis kabyles. Sans eux et sans leur confiance, je n’aurais jamais pu avoir accès aux affaires internes des villages. Ma dette est donc grande à l’égard de tous ceux qui m’ont assuré une intro- duction bienveillante dans leurs villages, qui m’ont laissé consulter les registres de leurs assemblées ou qui m’ont relaté par le menu les affaires les concernant. Comme je ne saurais les remercier nommément sans contrevenir à l’anonymat que la plupart d’entre eux ont requis pour me laisser accéder à l’intimité de leurs villages, j’ose espérer que l’ouvrage que je livre aujourd’hui au public justifiera le temps et la confiance qu’ils m’ont accordés. Enfin, je tiens à témoigner toute ma gratitude à Monique Lherm pour sa relecture pointilleuse de l’ouvrage. alain mahé. G.K. 1. 7/04/06 12:16 Page 7 Introduction La critique des sciences sociales de la période coloniale, menée depuis les indépendances maghrébines comme une véritable décolonisation de l’Histoire, a rarement été le travail épistémologique qu’elle prétendait être, et elle est très loin d’avoir accompli, au Maghreb, «la révolution copernicienne» qu’elle annonçait. Si le champ des questions et des recherches a été profondément réorienté, le cadre théorique et l’appareil conceptuel sont globalement restés les mêmes. Ainsi, par exemple, que cela soit pour établir la pérennité d’ensembles nationaux à travers l’histoire et souligner la permanence de constructions étatiques, ou, à l’inverse, pour montrer que le Maghreb était inapte à l’idée nationale et toujours en mal de puissance tutélaire, dans les recherches, les traditions politiques non étatiques furent éludées et le point de vue qui identifie les concepts de pouvoir, de système politique et d’État fut reconduit. Pourtant, il existe encore, en Algérie notamment, des institutions qui auraient été susceptibles de constituer des points d’ancrage à la construction du système démocratique, autogestionnaire et socialiste que les leaders nationalistes projetaient pour leur pays. C’est de ces institutions politiques locales fonctionnant de façon autonome à l’échelle des communautés dont il sera question dans ce livre. Ces organisations communautaires désignées, à l’échelle du Maghreb, sous le terme générique d’assemblée (djemâ’a) ne constituent qu’excep- tionnellement des objets d’études spécialisées, bien que de nombreux travaux d’histoire, de géographie, de sociologie ou d’ethnologie les évoquent. Présentées dans des chapitres introductifs conventionnels, elles apparaissent comme des vestiges du passé, de simples survivances d’un autre âge se reproduisant par une inertie mystérieuse. Même lorsque les organisations politiques traditionnelles se sont mobilisées vigoureusement dans le cadre de mouvements d’opposition à l’État post- colonial, elles ne sont décrites que comme des fantômes d’organisations défuntes dont la réactivation serait uniquement due à l’absence de moyens d’expression politique alternatifs. En fait, par-delà les enjeux politiques et symboliques qui ont prévalu au moment de l’indépendance de l’Algérie, dans la célébration des traditions nationales et étatiques, d’autres facteurs ont contribué à occulter les traditions politiques locales ancestrales, notamment en empêchant les acteurs de ces institutions d’en témoigner. En effet, les institutions traditionnelles cumulaient les condamnations. D’abord, le verdict du tribunal de l’histoire les condamnait pour leur alain mahé. G.K. 1. 7/04/06 12:16 Page 8 8 ALAIN MAHÉ coexistence avec l’administration étrangère sous le régime colonial. Au demeurant, le fait qu’elles n’aient pas été capables de renverser l’ordre colonial ou de mener un combat ouvert contre lui suffisait, au moins politiquement, à les disqualifier aux yeux de ceux qui poursuivaient un combat politique moderne. Par surcroît, ces derniers ne manquèrent pas d’invoquer les compromissions que les représentants traditionnels avaient passées avec l’administration coloniale. De sorte que le népotisme et les exactions proverbiales des caïds et autres chaouchs rejaillissaient sur l’ensemble des institutions traditionnelles du pays et que l’on considérait ces dernières comme de «simples survivances» qui avaient été conservées artificiellement afin de fournir de dociles relais politiques à l’administration coloniale. Enfin, durant la période coloniale, des mesures d’exception en matière d’administration locale, notamment en Kabylie, eurent des effets pervers. Car si certaines d’entre elles contribuèrent à pérenniser les institutions tradi- tionnelles, dans le même temps, ces politiques administratives contribuèrent, plusieurs décennies plus tard, à inhiber les villageois pour témoigner de leurs institutions traditionnelles et à les dissuader de revendiquer pour elles une place dans une Algérie indépendante. Les djemâ’as ont toujours eu à renégocier et à redéfinir leurs attributions propres. Historiquement et spatialement, la situation du rapport des forces entre les djemâ’as et l’État ottoman était des plus dénivelées et variait en fonction de nombreux critères. Mais la disparité des situations locales observables de nos jours ne renvoie pas simplement à des différences de rythme de pénétration de l’État. En outre, la plus ou moins grande rapidité des transformations induites par l’intrusion de l’État ne dépend pas seulement de la capacité ou des ambitions des structures étatiques à se substituer aux instances politiques locales. Avant même l’intervention d’un pouvoir extérieur de type étatique – qui remonte de un à plusieurs siècles selon les régions – les sociétés maghrébines présentaient déjà, du point de vue de leurs organisations politiques locales, une grande variété de situations, que le nom qui sert à les désigner – djemâ’a, berbérisé en tajmat – masque complètement. Mentionnons les deux cas extrêmes que constituent la djemâ’a de la petite unité de nomadisation saharienne et la djemâ’a des gros villages de Kabylie qui pouvait regrouper plus de trois mille habitants à l’époque de la conquête coloniale. Ici, une institution des plus sommaires, presque évanescente, et qui se résout à une assemblée informelle de chefs de famille sous la férule d’un patriarche; là, un aréopage composite de représentants de lignages, de marabouts, de conseillers et de notables délibérant solennellement selon des procédures complexes et rigides. Dans les régions rurales où les djemâ’as se sont pérennisées, on doit donc se garder de rapporter uniquement leurs différences de statut, de vitalité, de prérogatives, de mécanismes de fonctionnement et de composition à l’impact différentiel qu’ont pu avoir, sur ces institutions, les divers États qui se sont succédés au Maghreb. alain mahé. G.K. 1. 7/04/06 12:16 Page 9 HISTOIRE DE LA GRANDE KABYLIE 9 Pour ce qui concerne l’Algérie, il ressort des travaux consacrés à la période coloniale que le système mis en place par la France aurait totalement éradiqué les organisations politiques traditionnelles en leur substituant ses propres rouages administratifs. Ainsi, en dehors même de la colonisation rurale proprement dite et de la répression impitoyable des révoltes tribales qui ont profondément corrodé les communautés locales, les auteurs insistent sur le caractère systématique et constant de la politique de destruction de la société algérienne1. C’est dans cette perspective que les spécialistes abordent les multiples politiques foncières et administratives – sénatus consulte de 1863, loi Warnier, code forestier, etc. Il s’agit évidemment pour nous non pas de nier les destructions qu’induisirent ces mesures sur la société algérienne, mais de relativiser les objectifs visés et les effets obtenus. Aussi une partie importante de ce travail sera-t-elle consacrée à l’analyse des politiques d’administration locale dont l’étude a été passablement négligée au profit de l’examen des politiques suivies à l’échelle de l’Algérie tout entière. Ce qui nous permettra de montrer qu’au-delà du danger que représentait, pour l’État colonial, l’existence d’institutions politiques traditionnelles – notamment du fait de la vocation de ces dernières à encadrer et à impulser la résistance à la colonisation – un danger beaucoup plus grand encore résidait dans la disparition complète de ces organisations sociales et politiques. La situation d’anomie qui en aurait resulté, les risques de débordements incontrôlables et les pathologies sociales que cela aurait comporté; tout cela était bien plus redoutable. Il s’agit, en effet, de comprendre que, au-delà des objectifs proclamés d’assimilation totale de la société algérienne à la France, l’État colonial n’a jamais eu les moyens – et n’a jamais réellement essayé de se les donner – de se substituer à toutes les instances de régulation sociale traditionnelles.