UNIVERSITE ALASSANE OUATTARA

(ex- Université de Bouaké)

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UFR Communication Milieu et Société

Département de Sociologie et d’Anthropologie

Socio-anthropologie de la gestion du foncier chez les Ebrié : le cas de la ville d’ en Côte d’ivoire

THESE NOUVEAU REGIME

Pour l’obtention du grade de Docteur en Sociologie-Anthropologie

Présenté par : ADOU Paul Venance

Directeur de thèse : Pr. KOUASSI N’Goran François

, Jury

PRÉSIDENT DU JURY : Pr KOUAKOU N’GUESSAN FRANÇOIS, Professeur titulaire, Président honoraire de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké i Pr KOUASSIN’GORAN FRANÇOIS, Maître de recherches à l'Université Alassane Ouattara Je Bouaké.

Pï SA IfA SI YÜUZAN DANIEL, Professeur titulaire à l'Université Félix Houphouët Boi^ny d’Abidjan Pr NONEISSIANA, Maître de conférences à l'Université Alassane Ouattara Je Bouaké Pr KOMi KOSSl-TlTRlKOU EMMANUEL, Professeur titulaire à l'Université de Lomé fTogo) 3^ CVC

UNIVERSITE ALASSANE OUATTARA

(ex- Université de Bouaké)

UFR Communication Milieu et Société

Département de Sociologie et d’Anthropologie

Socio-anthropologie de la gestion du foncier chez les Ebrié : Le cas de la ville d’Abidjan en Côte d’ivoire

par A . o 'i ADOU Paul Venance A to ------Directeur de thèse : Pr. KOUASSI N’Goran François

Thèse nouveau régime

Pour l’obtention du grade de Docteur

en Sociologie-Anthropologie

Option : socio-économie du développement

Jury

PRÉSIDENT DU JURY : Pr KOUAKOU N’GUESSAN FRANÇOIS, Professeur titulaire, Président honoraire de l'Université Alassane Ouattara de Bouaké Pr KOUASSI N’GORAN FRANÇOIS, Maître de recherches à l'Université Alassane Ouattara de Bouaké, Directeur de thèse Pr B AHA BIYOUZAN DANIEL, Professeur titulaire à l'Université Félix Houphouët Boigny d'Abidjan Pr KONE ISSIAKA, Maître de conférences à l'Université Alassane Ouattara de Bouaké Pr KOMIKOSSI-TITRIKOU EMMANUEL, Professeur titulaire à l'Université de Lomé (Togo) SOMMAIRE t Résumé V

Mots clés V Abstract vi Keywords vi Remerciements vil Sigles et abréviation viii Avant-propos ix INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

PREMIÈREPARTIE : QUESTIONS THÉORIQUES, MÉTHODOLOGIQUES ET LA PRÉSENTATION DU CHAMP D’ÉTUDE 9 INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE 10 CHAPITRE PREMIER : QUESTIONS THÉORIQUES 11 CHAPITRE DEUXIÈME : QUESTIONS MÉTHODOLOGIQUES 37 CHAPITRE TROISIÈME : DONNÉES PHYSIQUES ET HUMAINES 60 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 82

DEUXIÈME PARTIE : APPROFONDISSEMENT HISTORIQUE DES PROBLÉMATIQUES SOCIALES, POLITIQUES, ÉCONOMIQUES ET DE LA GESTION COUTUMIÈRE DU FONCIER 83 INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE 85 CHAPITRE PREMIER : ORIGINES SOCIOPOLITIQUES, CULTURELLES ET ECONOMIQUES DES PRATIQUES CONTEMPORAINES DU TERROIR ET MUTATION DE LA GESTION DU FONCIER CHEZ LES EBRIÉ 86 CHAPITRE DEUXIÈME : STRATEGIES LOCALES DE GESTION DU FONCIER 111

i CHAPITRE TROISIÈME : CONFLITS FONCIERS : ORIGE4ES ET MODES (LOCAUX) DE GESTION 135 CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE 178 TROISIÈME PARTIE : RÉSULTATS DE RECHERCHE, DISCUSSION

ET PERSPECTIVES 179 INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE 182 CHAPITRE PREMIER : ANIMATION DU MARCHÉ FONCIER DANS LES LOCALITÉS 182 CHAPITRE DEUXIÈME DISCUSSION DES DONNÉES SOCIOÉCONOMIQUES 215 CHAPITRE TROISIÈME : MISE EN PERSPECTIVES DES RESULTATS 260 CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE 266 CONCLUSION GÉNÉRALE 267 Bibliographie 277 Annexes 284 Table des matières 291

II

X Résumé La gestion du foncier périurbain à Abidjan est un fait social complexe. D’abord, elle est liée à la représentation socioculturelle et économique des autochtones Ebrié et Akye. Ensuite, elle est la préoccupation de l’Etat dans sa politique de sécurisation foncière. Chez les Ebrié et Akye, nous constatons une mutation des pratiques foncières durant ces deux dernières décennies. Cette situation nous amène à formuler trois hypothèses. D’abord, les aînés sociaux sont critiqués par les cadets sociaux parce que les modes de gestion ne leur conviennent pas. Ensuite cette contestation engendre de nouvelles stratégies de marchandisation et conduisent à l’application individualisée d’échanges économiques autour du foncier périurbain. Enfin, dans le large public Ivoirien, la marchandisation devient une caractéristique majeure du groupe ethnique des autochtones qui la pratiquent. Pour vérifier nos hypothèses, nous avons utilisé des méthodes comme la recherche qualitative et la démarche ethnographique. Ces procédés nous ont permis de corroborer nos hypothèses de départ. De ce fait, pour comprendre l’approche socio-anthropologique de la gestion du foncier chez les Ebrié, nous statuons sur le champ d’étude et l’organisation de la vente de terrains ; l’animation du marché foncier dans les localités, la position sociale et les stratégies des acteurs ; la typologie, les causes des conflits, le mode de recours et le processus de gestion. Nous analysons et discutons par ailleurs des données significatives qui fondent l’usage du foncier des autochtones en zone périurbaine Abidjanaise.

Mots-clés Urbanisation des périphéries, ville d’Abidjan, approche socio-anthropologique, gestion, foncier coutumier.

III Abstract The management of the outer-urban land tax in Abidjan is a social complex fact. At first, it is bound to the sociocultural and économie représentation of the autochthons Ebrié and Akye. Then, it is the concern of the State in its politics of land reassurance. To Ebrié and Akye, we notice a transfer of the land practices during these last two décades. This situation brings us to formulate three hypothèses. At first, the social elder brothers are criticized by the social younger because the modes of management them do not suit. Then this contesting engenders new strategies of commodification and lead to the individualized application of économie exchanges around the outer-urban land tax Finally, in wide public native of the , the commodification becomes a major characteristic of the ethnie group of the autochthons which practises it. To verify our hypothèses, we used methods as the joint research and the ethnographical approach. These processes allowed us to confirm our hypothèses of departure. Therefore, to include the socio-anthropological approach of the management of the land tax to Ebrié, we rule on the field of study and the organization of the sale of grounds. The animation of the land market in localities, social position and strategies of the actors. The typology, the causes of the conflicts, the mode of recourse and the process of management. We analyze and discuss besides significant data which establish the custom of the land tax of the natives autochthons in Abidjan outlying suburbs.

Keywords Urbanization of the périphéries, city of Abidjan, socio-anthropological approach, management, customary land.

iv Remerciements

Au terme de ce travail, nous remercions tout d’abord le Tout-puissant Dieu qui nous a donné la santé, la sagesse, et les moyens nécessaires pour l’accomplir. Ensuite, nous adressons nos remerciements à toutes les personnes qui nous ont soutenues à travers leurs conseils, pour la réalisation de ce travail. En particulier, à nos encadreurs émérites du Département de Sociologie et d’Anthropologie, de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké. Au Professeur KOUASSI N’Goran François qui a bien accepté de diriger nos travaux de recherche. Ses critiques constructives et ses encouragements pendant les moments de doute nous ont permis de mener à terme ce travail. Au Professeur BABO Alfred qui a bien voulu nous accompagner aux premières heures de cette étude. Sa rigueur est demeurée pour nous une boussole tout au long de cet ouvrage. Au Professeur MEL Melèdje Raymond, un père qui nous a formés et assisté tout au long de notre cursus universitaire. Son concours a été indéniable à ce travail. Nous dédions également notre travail à toutes les institutions dont le soutien personnel et matériel nous ont permis de poursuivre nos études, particulièrement le CERAP etl’IRD. Nos remerciements spéciaux vont à notre mère AHOULY Amoin Suzanne.

V Sigles et abréviations

CFA : Communauté Financière Africaine CERAP : Centre de Recherche et d’Action pour la Paix DCGTX : Direction et Contrôle des Grands Travaux EPP : École Primaire Publique INS : Institut National de Statistique IRD : Institut de Recherche pour le Développement MACA : Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan MCUA : Ministère de la Construction de l’Urbanisme et de F Assainissement NTIC : Nouvelles Technologies de l’information et de la Communication PAM : Programme Alimentaire Mondial RGPH : Recensement Général de la Population et de l’Habitat SETU : Société d’Équipement des Terrains Urbains SICOGI : Société Ivoirienne de Construction et de Gestion Immobilière SIPIM : Société Ivoirienne de Promotion Immobilière SOGEPHIA : Société de Gestion, de Promotion de l’Habitat et de l’immobilier Abidjanais SOGIM : Société de Gestion Immobilière

vi Avant-propos L’urbanisation galopante de la métropole abidjanaise entraine la prolifération de nombreuses difficultés relatives aux transactions foncières coutumières en zones périurbaines. Notre travail présente le résultat des travaux de recherche sur l’approche socio-anthropologique de la gestion du foncier chez les Ebrié : le cas de la ville d’Abidjan en Côte d’ivoire. Il porte essentiellement sur la vente des terres locales et le processus de gestion des conflits qui en découlent. Ceci s’inscrit dans la résolution des dysfonctionnements du système foncier local. Aussi, espérons-nous que cette recherche permettra une meilleure connaissance de ces pratiques.

vii INTRODUCTION GÉNÉRALE

Contexte de l’étude et plan de restitution des résultats 1. Contexte de Pétude : rapport entre les politiques foncières étatiques et coutumières Dès l’indépendance, en 1960, la politique de l’État Ivoirien dans le domaine du foncier a été d’abord de permettre à chaque ivoirien de disposer « d’un toit décent pour protéger sa famille »’. Ensuite, elle s’est au fil du temps adaptée aux contraintes et valeurs locales à travers l’intervention de l’État Ivoirien par la création de sociétés immobilières (SOGEPHIA, SICOGI)^ et de sociétés parapubliques de régulation foncière (SETU, DCGTX)^. Ces organismes avaient pour ambition de réaliser une urbanisation rationnelle des nouveaux quartiers et de donner à la Côte d’ivoire un patrimoine immobilier bien conçu et correctement entretenu. Aussi, dans la capitale économique Abidjan, s’agissait-il d’une part de réaliser une urbanisation par la création de nouveaux quartiers et d’autre part de promouvoir une aide en matière de gestion et de financement des activités foncières des villages autochtones Ebrié, Akyé et Alandjan. Le souci de l’État par cette initiative étant de maximiser l’occupation de vastes étendues de terres héritées de l’administration coloniale. Ces différents projets de l’État ont connu une impulsion particulière par le vote des lois foncières de 1962 et 1964 affirmant l’appropriation du foncier coutumier et moderne par l’État.

' Discours prononcé le 03 janvier 1961 à Abidjan par feu le Président de la République de Côte d’ivoire Félix Houphouët-Boigny à l’occasion de la première session de l’Assemblé Nationale, in Mémorial de la Côte d’ivoire, 1987, vol 111, Ed. Ami 2 SOGEPHIA, (Société de Gestion de Promotion de l’Habitat et de l’immobilier Abidjanais) crée en 1967 à pour tâche de bâtir des logements sociaux descend pour les agents et fonctionnaires de l’Etat. Elle est aussi Chargée de la modernisation du style de vie des Abidjanais à travers un cadre de vie commode. ’ SETU, (Société d’équipement des terrains Urbains) crée en 1971 est compétente pour acquérir, aménager et équiper les terrains urbains. DCGTX (Direction et contrôle des grands travaux) crée en 1978 a pour tâche la régulation et l’aménagement de l’équipement des villes.

1 Ces dispositions de l’État ont permis la création de grands centres urbains notamment dans le district d’Abidjan : le Plateau, avec ses immeubles et ses buildings, les cités modernes de la Riviera à Cocody, les résidences SICOGI pour les fonctionnaires et agents de l’État à Adjamé, Marcory et Yopougon. Faisant d’Abidjan un parc d’attraction. De surcroît, avec le miracle économique des années 1970, la ville d’Abidjan connaît une croissance démographique de l’ordre de 5% de 1975 à 1998 et de 3,1% de 1998 en 2009 (recensements administratifs; RGP 1975, RGPH1988 et 1998) selon les estimations de PINS. La prospérité de la nouvelle capitale économique entraine une extension de la ville sur les terres coutumières situées en périphérie. Cette situation s’explique par la mutation progressive du foncier communautaire en espaces pleinement urbanisés. Ainsi, ce nouveau statut d’Abidjan conduit à une prise de conscience des autochtones de cette zone, de la valeur économique de leurs terres. Alors, surviennent des contestations qui les opposent à l’État. Ce sont la revendication du droit de propriété de la terre d’Abidjan et le non-respect du patrimoine foncier villageois par l’État. Déjà dès le XIX"^ siècle, les Bidjan, l’une des fratries Tchaman, sont expropriés de leurs terres pour la construction de la ville d’Abidjan. Ceux-ci résistent à l'injonction du colonisateur de déguerpir. Ils jugent aussi ridicules les compensations qu'il leur propose, et ne les acceptent pas. Ils sont finalement chassés de force, au cours de l'année 1893. Après l'indépendance, les Présidents successifs de la Côte d'ivoire ne prêtent pas suffisamment d’attention à la situation foncière des autochtones, alors même que la constitution du pays"* leur garantit les droits de propriété exclusifs sur les terres qu'ils occupent. Le ressentiment des Bidjan est d'autant plus grand dans ce contexte, que pour les populations autochtones, Abidjan est avant tout un territoire Atchan et Tchaman^ avant d’être

Loi 98-750 du 23 Décembre 1998 qui stipule que « la terre appartient à celui qui la met en valeur » reconnaît également le droit foncier coutumier. ^Atchan, représente les premiers occupants du territoire Abidjanais vers 1800. Ils sont les fondateurs du village Bidjan, devenu plus tard Abidjan la capitale économique de la côte d’ivoire sous appellation des colons. Tchaman, dis peuple frère est le second venus. Leur arrivée sur le territoire actuel d’Abidjan se situe vers 1900. Ils ont été accueillis par les Atchan.

2 une propriété de l’État en tant que capitale. Ces villageois manifestent des actes de défiance et de protestation à travers des formes traditionnelles de contestation comme les danses guerrières. Ainsi, la danse fatchwè^ est exécutée devant les édifices de l’État en vue de protester contre la spoliation de leurs terres. Ce fut les cas des manifestations organisées par les Bidjan devant la présidence de la république au Plateau en 1967. Il en est de même pour celle organisée par les Nonkwa d’Anono en 1972 pour protester contre la spoliation sans contrepartie de leur terroir par l’État. Ceux-ci assiégèrent durant trois semaines les chantiers de la construction des cités urbaines de la Riviera I et IL D’après Yapi DIAHOU (1997 :23), les autochtones «conscients de leur rôle dans la production de l'espace, revendiquent parfois violemment la reconnaissance de leur droit sur le sol et la définition de garanties compensatoires au transfert de ce droit à l’État ». Toutefois, en 2000, ils se réfèrent à la promesse de campagne de Monsieur Laurent Gbagbo, de reconnaître Abidjan comme un territoire Tchaman, une fois élu. Depuis 2002, le Président Laurent Gbagbo se penche sur ce dossier en sollicitant la médiation du préfet de département d’Abidjan, Monsieur Sam Etiassé. Mais les différentes négociations (dédommagements par compensation financière des Atchan et Tchaman de la ville d’Abidjan) avec les Bidjan échouent. Ils récusent la tendance du préfet à ne prévaloir que le dédommagement financier de la fratrie Bidjan. Tandis que les revendications portaient non seulement sur les compensations financières mais aussi sur les allocations foncières des Ebrié d’Abidjan. Alors, ils choisissent de s’entretenir directement avec le Président Laurent Gbagbo. Cette initiative se solde par un échec, car pour eux, celui-ci opte également pour la subvention financière des Bidjan. Par conséquent, face au refus des différents gouvernements qui se sont succédés à la tête de l’État depuis l’indépendance d’attribuer des compensations financières et /ou foncières à l’ensemble des Ebrié d’Abidjan, en guise d’expropriation de leurs terrains ; ce différend va davantage dégrader les rapports entre l’État et les communautés locales.

Fatchwè : se manifestent en plus de la présence des guerriers Dogba chargée exclusivement d’exécuter cette danse par l’intervention des générations (Gnando, Dougbo et Blessoué) et couches sociales (enfants, femmes et vieillards).

3 Rappelons que la loi 98-750 du 23 décembre 1998 adoptée par l’État et qui est encore en vigueur est une mesure corrective des inégalités de « l’ancienne loi foncière»^. Désormais, le droit d’usage coutumier est reconnu par l’État. Avec cette nouvelle mesure, les Ebrié et Akyé du district d’Abidjan peuvent disposer librement de leurs terres. Par ailleurs, les autochtones sont confrontés à l’expansion urbaine qui menace profondément leur mode d’usage coutumier du foncier^. Subséquemment, l’augmentation de la population urbaine a entraîné un accroissement de la demande en terrains urbains et donc en logements. Pour la seule ville d’Abidjan, les besoins se chiffrent à 20.000 logements par an alors que tout le secteur privé, les petits groupements particuliers n’en produisent que 4.000 environ par an (Depeyla, 2006 :7). Ce qui ne constitue que le cinquième des besoins réels. De plus, on constate une flambée des prix de terrains. Jusqu’en 1990, le prix du mètre carré allait de 4.500 à 5.000 Frs CFA, mais depuis 2000, il oscille autour 18.000 ou 20.000 Frs CFA le mètre carré (Depeyla, Op.cit.}. Bon nombre de personnes ne peuvent plus acheter un terrain urbain bien aménagé et bien situé. La plupart se rabattent sur des terrains villageois situés dans les environs de la ville d’Abidjan. Cependant, depuis près de deux décennies, la fragilité de la valeur vénale du foncier coutumier, oblige les autochtones à dilapider leurs parcelles. Auparavant, dans les années 1970, pour obtenir un lot dans les villages de Locodjro, d’Abobo Baoulé et d’Akeikoi, il suffisait à l’acquéreur d’apporter une bouteille de liqueur forte (Gin) et une somme de 20.000 Frs CFA aux autorités coutumières. Par contre, dès le début des années 1990, la marchandisation du

L’ancienne loi foncière: l’arrêté présidentiel de 1962 sur le foncier «l’Etat est le détenteur exclusif du droit foncier en Côte d’ivoire » ne reconnaît pas l’intégration des autorités coutumières à la gestion du foncier national. Elle est pour les autochtones la négligence de leurs pratiques culturelles foncières et la spoliation de leurs terrains.

Le mode d’usage coutumier du foncier ; auparavant, la terre servait aux activités agraires en occurrence à la culture du manioc. La terre est la mère nourricière de ces communautés. Au regard de sa nature sacrée pour les autochtones, elle ne doit être vendue.

4 foncier coutumier dans les villages Ebrié est devenue de plus en plus fréquente dans la métropole Abidjanaise. La forte demande des terrains coutumiers a entraîné la hausse des prix des lots dans les localités (avant 1990, le prix d’un terrain de 1200 m^ était de 150.000 à 500.000 Frs CFA ; depuis 1990 le coût est passé à 3.000.000 voir 6.000.000 Frs CFA actuellement). Pour les autochtones, leur terroir est devenu un moyen d’enrichissement rapide. Alors, ils vont se précipiter de plus en plus sur la vente de leurs terres. À cet effet, les autorités coutumières optent pour une institutionnalisation de la marchandisation du foncier pour rectifier les modes de régulation^ qui étaient en vogue dans les localités. Celles-ci ont peu à peu lié l’organisation socioculturelle au droit traditionnel d’accès à la terre. Dès lors, « les autochtones vont tirer leur relation privilégiée à la terre les moyens de mise en œuvre de leur propre ordre social » IZARD, M. (1994 : 9). La gestion du foncier du village intègre les attributs de la chefferie coutumière. Avant, la régulation des terres communautaires était dévolue au doyen d’âge « Nana ». La chefferie se conformait à faire respecter les directives de celui-ci. Aussi, assiste-t-on à une lutte intergénérationnelle entre aînés et cadets sociaux pour le contrôle du terroir. Dès le début de l’an 2002, le désir de parvenir à une gestion maîtrisée du foncier conduit à l’avènement de la génération Dougbo (cadets sociaux) au pouvoir dans l’ensemble des villages Ebrié (ADOU, P.V. (2009 : 82)). Pour les autochtones, l’avènement de ces nouveaux dirigeants permettra d’opérer une rupture avec la vente informelle de vastes étendues de terroir qui menaçait auparavant la sécurité foncière des localités sous l’égide de la génération Gnando (aînés sociaux). Cependant, bien que prônant une administration améliorée du foncier, les Dougbo se heurtent aussi à la gestion autonome des terres par les chefs de famille et aux contestations*^ des citoyens

’ Les modes de régulation : la vente des terres communautaires par les autorités locales en charge du foncier, la confiscation des retombées financières post-vente par les chefferies, le monopole abusif des droits de vente par les chefs de famille, le manque d’implication des cadets sociaux dans le processus de gestion des terrains communautaires et familiaux.

Des contestations : désengagement des Gnando et Tchagha du processus de gestion des terrains locaux par le sabotage des actions foncières et la marchandisation imparfaite des terres.

5 hors du circuit régulier de gestion coutumière des terrains. La marchandisation imparfaite des lots et son corollaire de conflits tant redoutés par les autorités coutumières persistent toujours dans la régulation du foncier local en dépit des efforts déjà consentis. Elle soulève ainsi des problèmes entre acquéreurs, acquéreurs vendeurs, familles-familles, autorités coutumières-acquéreurs. Toutes ces préoccupations suscitent l’intérêt de porter une réflexion sur la gestion du foncier coutumier chez les Ebrié dans le contexte périurbain Actuel. Pour mener à bien notre étude, nous élaborons notre travail à travers cette structuration :

2. Plan de restitution de la thèse Trois mouvements constituent l’ossature de notre travail. Le premier mouvement a trait à la construction des questions théoriques, méthodologiques et à la description du champ de l’étude. D’abord, nous abordons les problèmes théoriques. Dans cette rubrique, la problématique est énoncée à travers les questions de recherches, les hypothèses, les objectifs de l’étude et la définition des concepts opératoires. Aussi, faisons-nous mention de la revue de la littérature et nous clôturons par le cadre théorique d’analyse. Ensuite, nous évoquons les interrogations méthodologiques. Dans ce sillage, l’échantillonnage, les moyens matériels mis en jeu, les outils de collecte de données, les critères du choix des lieux d’enquête, les périodes d’enquête, l’analyse des résultats et les limites options méthodologiques sont respectivement abordés. Nous achevons cette rubrique avec la présentation du champ de l’étude. Il est question à ce niveau de l’historique et de la caricature de zones d’étude. Le deuxième mouvement s’organise autour de l’approfondissement historique ou diachronique de la question. En clair, il est élaboré autour de trois perspectives essentielles. La première éclaire sur l’organisation sociale, politique et foncière. Elle nous amène à saisir la société Tchaman, comme une société démocratique à caractère cyclique. Ce type d’organisation repose sur le dépositaire de la tradition qui est le Natta et le terroir. Dans la seconde perspective, nous attaquons aux mutations du foncier local. Notre réflexion s’étale

6 sur la transformation de l’espace coutumier dans les localités. En prenant aussi en compte, les aspects socioéconomiques du foncier villageois. Nous mettons en éveil le rapport entre les stratégies de gestion des terres autochtones et les mutations qu’a connu Abidjan. Nous entendons aussi mener quelques réflexions sur les logiques autochtones dans la réinvention du terroir. Nous aboutissons à l’actualisation du foncier coutumier. Il s’agit, des règlements contemporains qui régissent les terres dans les villages étudiés. Surtout, nous exposons les dispositions qui institutionnalisent la marchandisation du foncier. En ce sens, elle souligne aussi la marchandisation imparfaite des terrains locaux. Le troisième mouvement évoque les pratiques locales de marchandisation des terres. Nous formulons typiquement les modes de transaction foncière en vigueur dans les villages concernés par l’étude. Nous mettons l’accent sur les similitudes et les divergences observées des différentes pratiques de vente des terres dans les villages. Nous ébauchons les atouts et les faiblesses de celles-ci. Surtout, nous désignons les moyens (socio-économiques), les conditions de l’offre et de la demande des terres au niveau collectif et individuel dans les villages. Nous nous étendons sur les types de marché foncier existant (marché approuvé ou désapprouvé par les autorités coutumières), sur les ventes effectuées par les acteurs (vente : communauté villageoise-promoteur immobilier/opérateur économique ; vente : famille-promoteur immobilier /opérateur économique ; vente : membres de classe d’âge-promoteur immobilier/opérateur économique ; vente : vendeurs-acheteurs ; vente : vendeurs-démarcheurs-acheteurs ; vente : vendeurs-liens d’affmités-acheteurs). En plus de cet aspect régulier de vente de terrains pratiquée par les aînés sociaux (représentant les autorités coutumières), il y a d’autres formes de marchandisation. Ce sont toutes celles qui se déroulent en dehors du circuit approuvé par les autorités coutumières. Elles concernent l’ensemble des marchés réalisés clandestinement entre un vendeur et un acheteur de terres. Par ailleurs, nous présentons d’une part la typologie et les causes des conflits (conflits entre acquéreurs ou entre acquéreurs et vendeurs). Il est question d’exposer spécifiquement toutes les tensions, les litiges, les plaintes, les abus liés aux pratiques socio-économiques de marchandisation de terres dans les villages

7 concernés par l’étude. Aussi, s’agit-il d’aborder les raisons à la base de la marchandisation imparfaite des terres dans les villages étudiés. D’autre part, nous étudions le mode de recours et le processus de gestion des conflits. Dans cette rubrique, nous révélons les acteurs et le choix des instances de médiation. De plus, nous signifions leurs insuffisances. Enfin, nous faisons le bilan des résultats des actions menées par les instances de médiation. De surcroit, nous nous engageons à l’analyse et l’explication d’une part des facteurs qui fondent la marchandisation du foncier d’autre part, nous analysons et comprenons la marchandisation imparfaite des terres. En clair, nous focaliserons nos analyses des logiques de la marchandisation imparfaite sur l’aspect socio-économique dans le but d’établir d’une façon avérée son impact sur la vie socio-communautaire des Ebrié. Il s’agit dans ce cas pour nous, de saisir tous les indices porteurs de sens dans l’étude permettant d’apprécier objectivement les marchés de terrains locaux dans la ville d’Abidjan. Ce mouvement s’achève par une mise en perspective des résultats de l’étude. Cette démarche, s’effectuera avec tout l’éclairage théorique en vue d’une conceptualisation de rapproche socio-anthropologique de la gestion du foncier coutumier.

8 PREMIÈRE PARTIE :

QUESTIONS THÉORIQUES, MÉTHODOLOGIQUES ET LA PRESENTATION DU CHAMP D’ENQUÊTE

9 INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Le cadre théorique porte sur la problématique. Cette partie aborde l’objet, l’analyse de la situation, les questions de recherche, les hypothèses, les variables, les objectifs de l’étude et la définition des concepts opératoires. Elle porte sur une revue conceptuelle et littéraire se référant à des documents relatifs au « foncier », à « l’urbanisation », aux « pratiques de marchandisation des terres » et de « lotissement ». Elle s’achève sur le cadre théorique d’analyse à travers l’analyse stratégique, la théorie de régulation sociale et celles des jeux, la théorie de dominance sociale et l’analyse des conflits.

Le cadre méthodologique de l’étude se rapporte à l’échantillonnage, aux techniques d’échantillonnage, aux critères de sélection de la population d’enquête et la méthode de boule de neige. Ensuite, il porte sur la nature de la recherche, la collecte des données, les moyens matériels mis en jeu, les outils de collectes de I données, la période d’enquête et l’analyse des données.

Par ailleurs, nous présentons dans le champ de l’étude, des données physiques et humaines relatives au district d’Abidjan, à l’origine et à la localisation des villages étudiés, aux structures et équipements sociocommunautaires, aux activités des populations autochtones.

10 CHAPITRE PREMIER : QUESTIONS THÉORIQUES

I. Problématique

I.l Objet de la recherche

Notre objet de recherche porte sur la gestion du foncier coutumier'' Ebrié en milieu périurbain Abidjanais. Sa définition dans notre étude s’insère dans un contexte plus global, celui de la construction du statut cadastral du pays. En Côte d’ivoire, les populations disposaient, avant l’arrivée du colon, de droits naturels coutumiers sur leur propriété. Chacun savait à qui appartient la terre, et cela était respecté. L’arrivée du colon a bouleversé l’ordre naturel et l’Etat ivoirien, à 1‘indépendance, a reproduit le modèle importé et a pris possession de la terre. Ce bouleversement violent a créé de nombreux conflits et ce n’est qu’en 1998 que le législateur a tenté d’apporter des solutions à travers l’adoption d’un code foncier rural. Ainsi, la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 formalise et modernise la propriété foncière grâce à une identification des terres et à la délivrance de titres fonciers. La loi permet aux autochtones, en occurrence aux Ebrié d’Abidjan de se réapproprier leur droit originel sur leurs propres terres. Certes, elle a contribué à la réhabilitation du droit foncier coutumier mais elle ne pourra jamais restaurer la rupture du lien sacré qui unissait les Tchaman à leur terroir. En effet, l’implantation de la capitale économique a occasionné leur expulsion du village d’origine. La loi de 1998 permet donc aux Ebrié d’exercer un nouvel ordre social sur les terrains qui leur ont été attribués par l’État. Ainsi, la marchandisation des terres va se substituer à l’inaliénabilité du foncier que prônaient autrefois les autochtones. A cet effet, les normes qui régissent la gestion du foncier sont constamment abandonnées par les autorités coutumières pour la promotion de la marchandisation des terrains. Cette situation est un prétexte pour les cadets et les

” Nous avons abordé la sémantique de la gestion du foncier coutumier dans la rubrique correspondant la définition des concepts opératoires : p33.

11 aînés sociaux de se saisir de toutes les opportunités pour définir leurs propres manœuvres de vente. Ce qui occasionne une individualisation des transactions foncières et ouvre la voie à la marchandisation imparfaite des terres dans les villages. Pire, depuis ces deux dernières décennies, nous observons dans les localités l’émergence de tensions entre classes d’âges gouvernants et subalternes. Ceux-ci se rejettent mutuellement la responsabilité d’une marchandisation imparfaite du foncier. Au niveau extracommunautaire, les acquéreurs de terrains coutumiers sont constamment grugés par les vendeurs autochtones. Malgré, les nombreuses contestations communautaires et extracommunautaires, la marchandisation imparfaite des terres se cristallise dans la régulation du foncier coutumier chez les Ebrié. Pour les Abidjanais, elle est devenue une marque distinctive de la gestion des terrains dans les localités autochtones. Notre objet d’étude est d’appréhender la gestion du foncier coutumier dans ce contexte. Surtout de comprendre les raisons explicatives qui justifient la marchandisation imparfaite du foncier dans les localités étudiées.

Cet état de fait a suscité diverses réactions parmi les spécialistes de l’urbanisation, les responsables politiques, les usagers du foncier coutumier, et continue de motiver l’intérêt de la population abidjanaise.

Dans ce contexte, nous sommes amenés à faire un certain nombre de constats.

1.2. Analyse de la situation

L’analyse de la situation se focalise ainsi sur les trois constats suivants :

1.2.1. Constats de recherche

Constat 1 : le non-respect des normes d’organisation traditionnelle et la promotion de la marchandisation des terres locales La marchandisation des terres communautaires dans le district d’Abidjan, depuis ces dernières années, suscite des conflits entre classes d’âge dans les

12 localités étudiées (Abobo Doumé, Anono, Béago et Locodjro). Aussi, le foncier local y perd sa valeur culturelle et prend davantage une valeur vénale. Cette situation s’explique à travers la succession des différents modes de gestion du foncier par les classes d’âge qui se sont succédées depuis ces dernières décennies. En effet, dans les années 1970, la classe d’âge Blessoué qui était au pouvoir pratiquait la non-vente des terrains communautaires. Elle accordait une occupation temporaire des terres coutumières aux allochtones et allogènes. Dès l’arrivée de la classe d’âge Gnando en 1980, la terre du village est cédée moyennant une somme symbolique (20.000 Frs CFA). Depuis l’an 2000, dans les villages d’Abobo-Baoulé, d’Anonkoua Kouté, d’Akéikoi, de Djrogobité et de Locodjro, les aînés Gnando sont ainsi critiqués par la classe d’âge Dougbo qui les accusent de dilapider les terres villageoises. Dès 2002, on assiste à une éviction brutale de la classe d’âge Gnando du pouvoir dans les localités Ebrié de la ville d’Abidjan. L’affrontement de ces classes d’âge occasionne dans les villages d’Anono, d’Anoumanbo, de Béago, de Djrogobité et de Locodjro des morts d’hommes, des destructions de biens, des déplacements forcés de certaines personnalités Gnando vers des villages de filiation . Désormais dirigées par les Dougbo, les communautés villageoises changent de mode de cession des terrains. Le mode d’usage originel du foncier est délaissé au profit de la promotion de la marchandisation des terres. Sous la nouvelle autorité des Dougbo, la marchandisation anarchique des terrains qu’elle avait décriée connaît une aggravation. Pour les cadets Tchagba, les nouvelles autorités l’ont même

ADOU Paul Venance (op.cit). Villages de filiation : les villages Tchaman actuels de la ville d’Abidjan sont l’éclatement de trois grands villages appartenant respectivement à la phratrie des Bidjan, des Nonkoua et des Niangon. Malgré l’emplacement géographique actuel de ces villages ; les liens de filiation entre les villages d’origines et les villages émergeant sont restés intacts. Ainsi, lorsqu’un Tchaman est confronté à un conflit pouvant mettre en péril sa vie dans la localité où il vit, celui-ci peut se réfugier ou demander l’aide dans un autre village de sa phratrie.

Le mode d’usage originel du foncier : c’est le procédé par lequel toutes répartitions du foncier coutumier se faisaient sur le principe de la gratuité. En effet, la terre est la mère nourricière de la communauté. Le Tchaman jouit de sa générosité en recevant d’elle avec plénitude le fruit de sa semence durant toute sa vie. Celui-ci à le devoir de la transmettre intacte aux générations futures. Elle est inaliénable et ne peut être vendue.

13 institutionnalisée en rendant autonome les pratiques de ventes de terres. Dans certaines communautés étudiées telles que Locodjro, Béago, Anono et Bingerville village, les cadets Tchagba dénoncent une gestion opaque des terres communautaires. Ils veulent aussi arracher le pouvoir car, ils reprochent aux Dougbo de s’être enrichis avec les biens de la communauté. Ce qu’ils jugent inacceptable. La terre devient alors l’enjeu des relations et des pouvoirs et sa gestion, le thermostat la notoriété des Tchaman.

Constat 2 : la perturbation des règles coutumières du foncier au profit de l’émergence d’une marchandisation individualisée Les communautés Ebrié à l’instar des autres communautés Akan comportent deux sources de droit d’accès au foncier (familial et communautaire). Dans la famille, le droit d’accès repose sur une filiation matrilinéaire dite utérine. Ainsi, Le Tchaman est indu dans le groupe consanguin. Il hérite de la terre léguée par son oncle maternel, et devra la transmettre à son neveu. C’est de cette source que le chef de famille détient son pouvoir. Par ailleurs, dans les villages, le droit d’accès au foncier se déroule selon un processus cyclique, de seize ou dix-sept ans, au cours duquel une classe d’âge au pouvoir est habilitée à réguler les terres de la communauté. C’est au sein de la classe d’âge au pouvoir qu’est désigné le chef du village. C’est lui le garant du foncier communautaire. Néanmoins, lorsque l’étranger veut bénéficier du droit d’accès à la terre Tchaman, il adresse sa demande aux autorités coutumières. Celles-ci ne cèdent la terre que pour l’habitat et les activités agraires moyennant une participation symbolique.’"* Le droit d’accès de l’étranger est limité dans le temps. Sa perpétuation dépend de l’état du rapport qui le lie à son hôte. Cependant, depuis ces deux dernières décennies, dans les villages, il y a l’avènement d’un désordre et d’une remise en cause de la prééminence des règles coutumières dans la gestion foncière en raison d’une

*'* Une participation symbolique : l’acquéreur apporte de la boisson et une modique somme à la chefferie ou chef de famille. Avec cette contribution celui-ci apposait ainsi sa signature au don qu’il a reçu des autochtones.

14 marchandisation des terres. En effet, « les ordres sociaux d’hier se transforment coûte que coûte aujourd’hui face aux pressions d’un environnement lui-même changeant » MEL Melèdje (2011 : 28). Depuis la fin des années 1990, suite à la réduction du foncier communautaire, les Atchan et Tchaman de la banlieue abidjanaise décident verbalement dans une convention*^, l’interdiction de vendre les terres communautaires. Cette décision a force de loi vu qu’elle est l’expression de la volonté commune des autorités coutumières Tchaman de la ville d’Abidjan. Ils ont opté pour une telle résolution dans l’optique d’assurer la transmission des terres à la génération suivante. Cependant, la crise économique que connaît le pays et son corollaire de chômage conduisent les aînés Gnando et leurs successeurs Dougbo (les nouveaux initiés à la gestion des affaires courantes du village) à la vente des terres communautaire et familiale, ruinant ainsi l’espoir des cadets Tchagba de profiter à leur tour du patrimoine foncier. Mieux, dans les familles, on assiste à une continuation des conflits intergénérationnels entre les aînés et cadets sociaux. Les aînés Gnando qui occupaient souvent la place de chef de famille, profitaient de leur position d’aînés pour conserver leur pouvoir dans les relations foncières qui les lient aux cadets Dougbo et Tchagba. Ainsi, des chefs de famille dans les villages s’adonnent-ils à une gestion individualisée du foncier en lieu et place de celle lignagère et collective. Les aînés profitent de leur notoriété dans la famille pour s’accaparer l’argent issu de la gestion individualisée de la vente de terres familiales. Cela se caractérise soit par un fort contraste entre leurs trains de vie et celui des autres membres de la famille, soit par un mauvais usage des retombées financières issues des ventes par le chef de famille. Plongeant ainsi toute la famille dans une situation économique délétère. Au regard de ce qui précède, dans un souci de justice sociale (influencer positivement la répartition ou l’usage du gain de vente au sein des familles), les autorités coutumières des localités d’Anonkoua Kouté, d’Anoumanbo et

'5 Une convention : En l’an 2000, à l’issue des réunions annuelles des Tchaman (chefferie et doyens d’âge) dans le village de Locodjro une convention est adoptée « l’interdiction de ventre des terres appartenant à la communauté villageoise ».

15 d’Adjamé Bingerville ont décidé de l’implication des chefs de famille et des chefs coutumiers dans les transactions foncières. En dépit de cette mesure, certains chefs de famille revendiquent le droit de vendre de manière autonome leurs terres sans en référer aux dites autorités coutumières. Ceux-ci prétextent que les précédents contrats immobiliers réalisés sous l’égide de leur chefferie respective ont été infructueux. Pour ce faire, ils décident désormais de vendre leurs terres à des sociétés de promotion immobilière malgré les conventions locales.

Constat 3 : la marchandisation imparfaite, une pratique courante qui tend à devenir un trait caractéristique des Ebrié

Ces deux dernières décennies consacrent l’ère de la marchandisation imparfaite des terres dans les localités Ebrié de la ville d’Abidjan. D’abord, cette situation est tributaire de la hausse de la demande des terrains coutumiers. En effet, un ensemble de dynamiques urbaines sociales et économiques expliquent la mutation de la régulation du foncier dans les différentes localités étudiées.

Concernant les dynamiques urbaines leurs impacts sur le système foncier local est indéniable. Ainsi, l’urbanisation fulgurante de la ville d’Abidjan est estimée à un taux 95,8 % selon les résultats du Recensement Général de la Population l’Habitation (RGPH) de 1998. Cette situation explique bien un épuisement des lots en pleine ville et conditionne l’intérêt des acquéreurs de se rabattre sur les terres coutumières situées en zone périurbaine. Alors, les localités Ebrié de la ville d’Abidjan sont contraintes d’absorber le trop-plein de la demande du foncier. Les autochtones perçoivent la saturation foncière comme un moyen de s’enrichir. Surtout le manque d’un cadre régulateur de la marchandisation des terres de la part des autorités coutumières laisse libre cours à toute entreprise individuelle. Au niveau communautaire, les classes d’âge se rejettent mutuellement la faute de la marchandisation imparfaite des terrains. Au niveau extracommunautaire la majorité des acquéreurs de lot villageois sont grugés. Ce phénomène se cristallise dans la régulation du foncier coutumier de sorte à paraître comme une pratique inhérente de celle-ci aux yeux des Abidjanais.

16 Concernant les dynamiques sociales, elles ont pour catalyseur l’école. En effet, la scolarisation des autochtones débouche sur la prise de la conscience des classes d’âge subalternes de la valeur vénale des terres locales. C’est ce qui justifie dans une certaine mesure le rapport conflictuel entre classes d’âge. Elles sont toutes motivées par les gains considérables que procure la marchandisation du foncier. A cet effet, elles n’hésitent pas à user de tout type de stratégie pour la réalisation de cet idéal. Les acquéreurs de terrains coutumiers dans l’agglomération Abidjanaise en sont les principales victimes. Ils sont principalement confrontés à la vente d’un terrain à plusieurs acquéreurs. Aussi, la passivité des autorités coutumières face à la forfaiture des vendeurs locaux ne peut qu’alimenter la marchandisation imparfaite. Elles préfèrent opter pour un règlement à l’amiable de tous les différends se rapportant au foncier.

Concernant les dynamiques économiques, elles s’expliquent par la volonté manifeste du vendeur de terrains coutumiers de tirer profit de la situation économique difficile de l’acquéreur. Les autochtones ont conscience de l’opportunisme des acquéreurs qui disposent le plus souvent de moyens financiers assez limités donc sont contraints en cas de marchandisation parfaite de ne recourir qu’aux autorités coutumières. Pour eux, l’option d’une sanction dissuasive reste peu probable.

1.3. Questions de l’étude

1.3.1. Questions spécifiques

Premier problème : négligence des normes d’organisation coutumière et la promotion de la marchandisation des terres

Comment les modes de gestions communautaires traditionnelles des terrains changent-ils et modifient-ils la gestion du pouvoir politique ? Si la marchandisation est un mode d’acquisition de la terre souhaitée, pourquoi dans son application, les principaux acteurs s’opposent-ils ? Autrement dit, pourquoi

17 les rapports des aînés et des cadets sociaux sont-ils toujours conflictuels au sujet de la vente des terres ?

Deuxième problème : la perturbation des règles coutumières du foncier au profit de la marchandisation particularisée Pourquoi malgré le contrôle des transactions foncières par les autorités coutumières, les membres de la classe d’âge Dougbo et Tchagba s’adonnent-ils toujours à la marchandisation imparfaite des terres communautaires ? Quels sont les moyens de sécurisation mis en œuvre par les autorités coutumières pour contrôler la marchandisation des terres locales ? Ces moyens sont-ils toujours efficaces pour la prévention et la résolution des différends fonciers dans les villages étudiés ? Par ailleurs, quelles sont les relations entre les sphères politiques (accès des générations au pouvoir) et sociales (gestion des ressources foncières) ? Quelles sont les influences réciproques ? En quoi le facteur économique a-t-il dynamisé les mutations observées entre ces deux sphères centrales de la société Tchaman ?

Troisième problème : la marchandisation imparfaite une pratique caractéristique des Ebrié

Pourquoi en dépit du caractère anomique de la marchandisation imparfaite, sa pratique semble-t-elle être tolérée par les autorités coutumières ? Quelles en sont les raisons ? Est-elle consubstantielle à la régulation du foncier coutumier chez les Ebrié au point d’en être un trait caractéristique ?

Cette problématique, nous conduit à la formulation de notre question principale de recherche.

1.3.2. Question de reeherche

Pourquoi en dépit des normes de gestion coutumière du foncier admises par tous, les chefferies successives les transforment à leur guise au point que ces manœuvres ouvrent la voie aux pratiques subjectives de marchandisation ?

18 1.4. Thèse et hypothèses

Thèse: Malgré la différenciation des groupes et des logiques des aînés et cadets sociaux, ces derniers s’accordent sur la marchandisation des terres parce qu’ils y trouvent des intérêts particuliers. Ce qui engendre bien souvent des conflits. Cette thèse est soutenue par trois hypothèses de recherche : Hypothèse 1 : Les aînés sociaux sont critiqués par les cadets parce que les modes de gestion du foncier ne leur conviennent pas.

Hypothèse 2: Ces contestations se traduisent par la conversion des normes coutumières de régulation foncières au profit des aînés sociaux et conduisent à l’action révolutionnaire des cadets sociaux.

Hypothèse 3: Dans le large public Ivoirien, la marchandisation subjective et excessive devient une caractéristique majeure du groupe autochtone qui la pratique.

1.5. Variables catégorielles”’

Nous avons deux types de variables qui découlent de nos hypothèses.

Selon Wikipedia, une variable catégorielle est une variable pour laquelle la valeur mesurée sur chaque individu ne représente pas une quantité. Les différentes valeurs que peut prendre cette variable sont appelées les catégories, modalités ou niveaux, cf, https://fr.wikipedia.org/wiki/VariabIe_cat%C3%A9gorielle .

19 1.5.1. Variables indépendantes

La variable indépendante de notre étude correspond à la notion de gestion du foncier coutumier.

1.5.1.1.Gestion du foncier coutumier

Nous présenterons dans un premier temps le détail des items de notre guide d’entretiens utilisés pour vérifier cette variable qui permettra de tester les hypothèses se rapportant à l’approche socio-anthropologique de la gestion du foncier coutumier. Dans un second temps, nous exposerons le processus suivi pour construire les variables agrégées. Nous allons nous attacher aux questions correspondant à l’organisation des pratiques de gestion du terroir. Le guide d’entretien a été administré aux membres et représentants des différentes classes d’âge, aux chefferies et aux doyens d’âge sur les modalités suivantes : -l’historique du foncier -la méthode de gestion des terres -les éléments constitutifs de la structure de gestion -l’organisation du système de gestion -l’organisation de la marchandisation des terrains -les conflits observés -le processus de gestions des conflits -les résultats obtenus Nous recherchons dans une approche empirique la diversité et la richesse des faits. C’est la qualité du témoignage de nos interlocuteurs qui déterminent la pertinence de la variable indépendante.

20 1.5.2. Les variables dépendantes

Les variables dépendantes de notre étude ont trait aux notions : normes de gestion foncière (1.5.2.1) et marchandisation imparfaite (1.5.2.2).

1.5.2.1. Normes de gestion foneière

Le sociologue Max Weber (1864-1920) précise que la norme réfère à des actions rationnellement motivées plutôt que générées sous le coup de l'émotion. Parmi ces actions à fondement rationnel, certaines sont déterminées par la recherche d'une fin ou d'un but précis, tandis que d'autres, dites « actions rationnelles en valeur » (Weber, 1995 : 55), sont déterminées par la nécessité d'agir comme il se doit, pour être pareil plutôt que différent dans un contexte donné. Agir suivant la norme implique en effet l’adhésion à des valeurs collectivement partagées. Dans la même lignée, Jürgen Habermas caractérise la norme sociale en tant que motivation de l’action fondée sur des valeurs propres à une collectivité : « Le concept de l’agir régulé par des normes (normenreguliert) n’a pas trait au comportement d’un acteur principalement solitaire, [...] il concerne au contraire les membres d’un groupe social qui orientent leur action selon des valeurs communes » (Habermas, 1987 : 101). Une ou plusieurs valeurs (liberté, économie de temps, profit économique, etc.} peuvent rendre louables ou blâmables certains comportements au sein d’un groupe social. (Hovington, 2010a) Ainsi, la norme de gestion foncière se traduit par l’ensemble des règles d’administration du terroir collectivement rédigées et admises par toutes les strates de la communauté dans les villages étudiés. Ce qui garantit la valeur d’une norme, c’est la sanction encourue en cas de désobéissance. Dans les localités concernées par notre étude, l’expropriation de terres et le paiement des amandes pécuniaires sont les sanctions en vigueur. Nous avons pu vérifier la variable de la norme de gestion coutumière auprès des chefferies, des membres et représentants

21 des classes, des doyens d’âge. Notre guide d’entretien a été élaboré de sorte à recueillir les informations à ce sujet. Il a abordé les modalités suivantes : -l’existence des règles régissant le foncier -le respect des règles établies -les infractions -la part de responsabilités des acteurs -les moyens de répression -l’évaluation de ces moyens Nos différentes interviews dans les localités confirment chez la totalité des enquêtés l’existence des normes coutumières de gestion foncière. Par contre le respect de celles-ci est négligé par les différents acteurs. Ainsi, la responsabilité des autorités costumières en charge de son applicabilité est remise en cause.

1.5.2.2. La marchandisation imparfaite

Qu’entend-on par marchandisation ? Avant de répondre à cette question, remarquons que ce mot est utilisé surtout par ceux qui sont hostiles à ce qu’il désigne (la figure du « marchand », intermédiaire inutile et éventuellement roublard, n’étant pas celle pour laquelle nous avons le plus de sympathie, du moins dans nos sociétés). Souvent, marchandisation est assimilée à « soumission à la loi de l’offre et de la demande » ou à la « vérité des prix », ceux-ci traduisant en quelque sorte les besoins de la société.

Quoi qu’il en soit, on entendra ici par marchandisation le processus consistant à rendre marchande une relation qui ne l’était pas auparavant.

Cette relation prend alors la forme d’échanges sur la base de prix ceux-ci sont donc des taux d’échange, généralement relatifs à une unité monétaire, qui sert de numéraire et d’intermédiaire dans les échanges. D’où la question : comment vont alors se former ces prix ?

22 Ainsi, la marchandisation imparfaite dans notre étude est une négation des deux indicateurs fondamentaux de la marchandisation qui sont « la loi de l’offre et de la demande » et « la vérité des prix ». En ce sens, un terrain déjà vendu constitue l’objet d’une ou de plusieurs ventes. Aussi, une augmentation injustifiée du prix du lot est souvent constatée dans les transactions. Cela au gré et au bon vouloir du vendeur. Nous avons pu vérifier ces indices de la marchandisation imparfaite chez les autorités coutumières, les aînés et cadets sociaux, les acquéreurs et les catégories de contrôle. Dans une approche qualitative, nous avons orienté notre guide d’entretien sur la diversité des situations vécues qui témoigne la vérification de cette variable auprès de nos enquêtés. Nos préoccupations pendant les interviews ont porté sur les modalités suivantes : -les méthodes de marchandisation imparfaite -les pratiques de marchandisation imparfaite -la catégorisation de ce type de vente -les acteurs impliqués -les conflits -les instances de médiations -les processus de règlement

Dans les localités, les aînés et cadets sociaux se rejettent mutuellement la responsabilité de cette pratique. Tandis que pour les acquéreurs, les catégories de contrôle et les professionnels du foncier, elle est un trait caractéristique de la gestion du foncier coutumier Ebrié.

1.6. Objectifs de recherche

1.6.1. Objectif principal

Cette étude vise à analyser et à expliquer les facteurs explicatifs de la marchandisation imparfaite continue.

23 L6.2. Objectifs spécifiques

Pour atteindre cet objectif principal, nous insisterons sur les objectifs spécifiques suivants :

- Décrire le système des classes d’âge Ebrié et les modes de gestion du foncier des classes d’âge gouvernants et les logiques subséquentes de marchandisation. -Analyser et expliquer les logiques qui sous tendent la marchandisation imparfaite continuelle malgré les contestations internes et externes. -Suggérez quelques perspectives de solutions de la marchandisation imparfaite des terres.

1.7. Revue de la littérature

L’état des lieux sur notre sujet montre un nombre important de documents. Ceux-ci abordent des questions liées au foncier, à l’urbanisation, à la vente des terrains et à la gestion des conflits. Ces documents sont constitués pour la plupart de livres, de rapports, de thèses, de mémoires et d’articles des journaux.

La question du foncier dans le contexte de la Côte d’ivoire

Certains écrits s’orientent dans la saisie du rôle de la terre dans les sociétés rurales (Kouassigan G., 1966 : 283, Coquery-verdrovitch., 1994 : 212, Le Bris Emile et AL, 1982 : 223). Par contre, d’autres, analysent les droits fonciers et les modalités effectives (passées et actuelles) d’accès à la terre ainsi que les interactions sociales autour de ces pratiques (Ouattara N., 1991 : 222, Koné M., 1999 : 167, Colin J.P., 2002 : 30, Affou Yapi S., 2002 : 42, Vanga Adja .F. et Yapi .S. 2006 : 109). À l’analyse de différents points de vue de ces auteurs, un constat se dégage. Dans les sociétés rurales, la terre est fondamentale puisqu’il

24 s’agit de la base de la survie du groupe social. Le rapport à la terre n’est ni prioritaire, ni nécessairement, un rapport territorial. C’est une entité présente, souveraine et donnée comme tel : ni appropriable, ni aliénable. La terre revêt un caractère communautaire. Le mode d’accès dans ces sociétés rurales est régi par le droit coutumier. La durée de cette immobilisation, bien que temporaire est indéterminée. Elle ne cesse qu’à partir du moment où, à la suite du décès de l’exploitant, aucun héritier ne se manifeste pour en poursuivre l’exploitation. Au niveau des droits sur la terre, il existe une hiérarchie des droits fonciers qui est à l’image de la hiérarchie sociale globale. Les droits, précaires au début de leur existence, se transforment peu à peu par l’usage en plein droit. Ceux-ci passent progressivement du système collectif à la propriété individuelle. Et, c’est justement le passage (du système collectif à la propriété privée individuelle) qui suscite bien souvent des conflits familiaux ou communautaires. D’autres écrits par contre mettent en évidence des aspects liés à la typologie, à la répartition géographique et statistique de ceux-ci, aux acteurs en conflit, aux facteurs explicatifs ainsi qu’aux modalités de gestion. Entre autres études, on peut citer celles de (Lassaly J., 2000:138-139, Ibo A., 1989:54-56, Schwartz A., 2000 :56-66, Agbroffi D., 2002 :8, Coulibaly A., 2006 :216). Ces auteurs expliquent, dans l’ensemble, les raisons majeures qui sous- tendent ces conflits observés dans ces différentes régions. L’analyse et la l synthèse de ces travaux révèlent que deux éléments sont source de conflits en Côte d’ivoire : il s’agit de la terre et de l’eau. Ces conflits sont dus : à la saturation foncière, à la pression démographique, à la détérioration des rapports sociaux issus de la mauvaise interprétation des échanges fonciers entre autochtones (le sentiment d’autochtonie) ; une attitude répulsive, un comportement de reconquête des terres cédées et une remise en cause des accords et/ou marchés passés avec les paysans étrangers. Enfin, d’autres écrits abordent la question du foncier sous l’angle historico-juridique. On peut citer entre autres Affou Yapi S (2002 :42). Pour lui donc, le chevauchement de principes et de droits fonciers dans une société agricole multiculturelle crée un flou. Avant la loi relative au domaine foncier rural

25 de 1998, la situation juridique était caractérisée par la coexistence et le chevauchement de plusieurs types de droits : droits d’usage coutumier, droit coloniaux, séquelles du code foncier ivoirien avorté de 1963. Il en a résulté le pluralisme juridique où les auteurs passent d’un droit à un autre en fonction des lectures qu’ils font de la situation foncière et de leurs intérêts. En ce qui concerne le foncier urbain, selon Affou Yapi .S. {Op.cit.}, depuis la période coloniale jusqu’au lendemain des indépendances, l’Etat était l’unique propriétaire des terres. A Abidjan particulièrement, l’Etat conduit sans partage la politique foncière. Par contre, dans les autres centres urbains, il concède quelques prérogatives aux communes qui peuvent initier et réaliser des lotissements. Aussi, le manque d’autonomie réelle des municipalités dans les domaines fonciers affecte-t-il d’une certaine manière leurs relations avec leurs administrés. La raison de ce contrôle de la terre urbaine correspond, selon Yapi-Diahou A. (1990 :42) à une volonté et une logique constante étatique d’accroissement de sa puissance.

La problématique de l’urbanisation : rapport villes et villages

Selon (Attahi K., 2001 :40, Blary et Al., 1999 : 216), l’urbanisation est un phénomène planétaire ayant débuté il y a plus de deux siècles. Elle frappe de plein fouet les continents du sud, et tout particulièrement l’Afrique. Depuis les indépendances, la croissance urbaine a explosé, près de 10% par an jusqu’en 1980. Mais, elle s’est assagie et se situe autour de 5% l’an, sauf pour l’Afrique orientale, la moins urbanisée. Celle-ci entraine des mutations socioculturelles et modifie profondément le milieu et les paysages. La morphologie des grandes villes d’Afrique, comme de celles du tiers-monde en général, se caractérise par un éclatement spatial. Une des particularités de la ville africaine est la présence d’espaces et d’activités agricoles au cœur du tissu urbain, périmètres de cultures vivrières, jardins de case. Cette symbiose urbanité/ruralité donne à la ville Africaine sa chaleureuse spécification.

26 Aussi, Attahi K. {Op.cit.') relève que cette situation a entraîné des problèmes de dégradation accélérée de l’environnement et une montée de la pauvreté. En effet, un des facteurs importants de la dégradation de l’environnement est la création d’espaces périurbains. Ces espaces, un mélange de vie urbaine et rurale est induit par un mode d’extension en deux étapes : ville puis densification de ces espaces. Et ces formes d’occupation urbaine échappent à toutes règlementations et à tout contrôle. Et cela constitue une faiblesse de la planification urbaine. Pour ce qui est de la ville d’Abidjan, elle est abordée sous l’angle de la confrontation village-ville de son impact sur les terroirs villageois (Yapi-Diahou A., 1989 :16, Botty-bi T.C. et Al., 1998 : 183, Ouattara L, 1999 :17). Selon eux, ville et village bien que de natures juridiques différentes se trouvent engagés dans une cohabitation marquée par leur forte personnalité respective. En termes de dynamique, on arrive à concevoir une métropole fondée sur des rapports, le plus souvent, antagoniques. Les villages sont soumis à une intégration très lente, dictée par l’absence du côté de l’autorité urbaine d’une politique d’aménagement visant systématiquement le niveau des infrastructures dans les villes. Ils demeurent, dans l’ensemble sous-équipés. Pour ce qui est des droits, bien qu’étant en ville, les villages échappent aux règles d’organisation et de gestion foncière et conservent une bonne partie des modes d’organisation et de gestion coutumière.

Les pratiques de marchandisation des terres en Côte d’ivoire

Au sujet de la vente des terres en Côte d’ivoire, elle se présente de diverses manières et aussi de manières contradictoires. Selon le principe du droit coutumier, le caractère communautaire de la terre fait qu’elle ne peut être vendue. C’est pour cela que Coulibaly S. (1990 : 32), parlant du régime foncier Sénoufo, soutient qu’elle excluait toute confiscation foncière au bénéfice de quelques seigneurs ou autres maîtres. Ce qui permettait de sauvegarder l’intangibilité du patrimoine foncier.

27 Pour ce qui est des pratiques foncières dans le Nord Ivoirien, selon Coulibaly A. (2006 : 216), elles dépendent encore largement des conventions dites coutumières c’est-à-dire des accords institués entre individus ou groupe d’individus à propos de l’usage du foncier et de son contrôle. Peu importe que ces accords soient ou non sans écrits : le prêt, le don et la vente de terres. Ces conventions foncières relativement nouvelles sont pratiquées dans les zones à forte densité de population, notamment dans les centres urbains (Korhogo et Ferkessédougou) et leurs alentours. Mais elles demeurent des pratiques informelles, car elles ne sont officiellement reconnues de même que les conventions dites coutumières. Quant à Kuyo O. (1992 : 142 ), il révèle l’absence de vente de terres en zone de savane en général et à Béoumi en particulier, zone pourtant marquée par une forte densité due à un transfert de population et au retour de nombreux jeunes. Cette situation, comme le soutient également Babo A. (2003 : 240 ), révèle la résistance et le conservatisme remarquable des principes du régime foncier coutumier de cette zone.

Lotissements et marchandisation des terres

Marlis G. (2002 :98) à partir de l’étude du foncier dans le village de Dédougou dans la banlieue de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), affirme que les opérations de lotissement ont été une occasion pour les populations d’être propriétaires de logements. Ce qui explique alors les fortes mobilisations et stratégies d’appropriations foncières. Cette situation aboutit à des tensions entre différents groupes sociaux pour l’accès aux parcelles d’habitation. Les transactions foncières devenant intenses, les populations coutumières commencent à abandonner les activités agricoles puisqu’elles ne voient plus un intérêt au regard de l’évolution du village. Quant à Yapi -Diahou. (1989 :16 ), la vente des lots urbains se présente pour l’Etat comme un moyen d’atténuer le déficit en

28 terrain à bâtir, mais la possibilité de renflouer ses caisses sous forme de recettes des ventes et de diverses impositions indirectes. Pour ce qui est des Ebrié, Botti-Bi C et Al. (1998 : 183) soutiennent que la vente des terrains s’offre comme une solution aux problèmes de revenus face aux difficultés liées à la transformation de leur économie, aux expropriations et aux insuffisantes indemnités faites par l’Etat. Selon Ouattara I (1999 :17 ), l’administration, c’est-à-dire l’État ne rachète pas toujours les terres des populations autochtones qu’elle fait entrer dans son domaine. Ou encore elle paye seulement aux propriétaires coutumiers une indemnité « dérisoire » de destruction de culture, dont le montant est versé avec des retards importants. Dans ces conditions, les propriétaires coutumiers lotissent pour prévenir toute intervention extérieure, de nature à leur faire perdre les avantages liés à leur statut d’autochtones. Ils tiennent à leur bénéfice de ce droit, en anticipant sur l’intervention de l’État. À l’analyse, on se rend compte que les écrits n’ont pas eu pour objet d’étude spécifique la vente des terrains villageois par les Ebrié et Akye de la ville d’Abidjan. Ils sont portés sur les questions qui étaient pertinentes à ce moment. Or, depuis ces dernières années, sous la poussée des sociétés immobilières et la fragilisation des pouvoirs traditionnels, les conflits émergent. Ils n’ont pas suffisamment mis en exergue les conflits observés, les causes et les raisons qui les sous-tendent, les acteurs impliqués et les stratégies dans le cadre d’un nouveau marché foncier qui a explosé dans la ville d’Abidjan et qui a eu pour effet de libéraliser les négociants, intermédiaires, les vendeurs parfois au détriment de la déliquescence de liens qui unissaient leur société. C’est à juste titre que nous avons trouvé opportun de mener cette étude sociologique pour approfondir la question.

1.8. Définition des concepts opératoires

Notre thème est constitué de deux concepts majeurs :

29 -gestion du foncier coutumier -La ville, nous attribuons dans cette étude à ce vocable, le sens de périurbanisation. C'est-à-dire, nous circonscrivons la définition de cette terminologie aux concepts : -Urbanisation et périphérie

La gestion du foncier coutumier : ce concept est constitué de deux notions majeures (gestion, foncier villageois). Le terme gestion est issu du verbe gérer qui veut dire administrer, conduire, régir. Ainsi, tel que définit, le vocable de gestion nous conduit à l’action ou à la manière dont une organisation administre un patrimoine ou certains biens. « Le foncier » désigne en terme juridique, les rapports de droit réel entre personnes et un fond de terrain. Pour l’anthropologue LEROY Etienne (1991 : 359), le foncier est un rapport social qui s’explique d’abord par les espaces qui le fondent. Il désigne une portion de terre appartenant à un lignage, une famille ou un village. Pour Le bris Emile et AI (1982 : 425), le foncier est l’ensemble des rapports entre les hommes impliqués dans l’organisation de l’espace. Il dévoile pour chaque acteur des rapports sociaux dont il est l’enjeu. Bref, nous définissons « le foncier villageois » comme l’ensemble des rapports sociaux et économiques qui ont pour support les terrains des localités Ebrié et Akye de la ville d’Abidjan. Pendant que l’urbanisation s’intensifie les terres des autochtones sont confrontées à la marchandisation.

L’urbanisation : ce lexique est un nom féminin, c’est l’action d’urbaniser un espace. L'urbanisation est un mouvement historique de transformation des formes de la société que l'on peut définir comme l'augmentation du nombre de ceux qui habitent en ville par rapport à l'ensemble de la population. L'urbanisation est faite de préférence autour des villes existantes, généralement dans des territoires jugés attrayants ou pour des raisons culturelles et historiques ou religieuses, ou sur des zones commercialement, industriellement ou militairement stratégiques. Hervé MARSPIAL et Jean STEBE (2010 : 127) considèrent qu'une

30 « sociologie dans la ville » renvoie ainsi aux processus de ségrégation sociale et territoriale qui sont si souvent mentionnés dans le débat public à travers la question des banlieues - occultant bien souvent la pratique de « séparatisme social » impulsé par les privilégiés. L’urbanisation dans notre étude est la transformation de l’espace coutumier des autochtones d’Abidjan (Ebrié et Akye) en territoire administrativement lié à la politique cadastrale de l’État.

La périphérie : ce concept est un nom féminin qui signifie ce qui s’étend au pourtour de quelque chose. Il est dans ce cas-ci, l’action de péri urbanisé. Le terme périurbain est la combinaison d’un préfixe « péri » qui signifie autour, à proximité et d’une racine « urbain » qui désigne la ville, la cité. Ce concept porte deux caractéristiques essentielles. D’abord, l’espace, le patrimoine, le terrain ou terroir. Ensuite, la situation géographique d’une parcelle de terre aux abords d’une ville. Ainsi selon Ciparisse G., (1999 :216), il désigne l’espace rural situé à la périphérie d’une ville et de sa banlieue. La périurbanisation dans notre étude est l’extension de la ville d’Abidjan sur les terres des villages autochtones Ebrié et Akye situé dans les environs.

1.9. Cadre théorique d’analyse

Rappelons que cette étude vise aussi à analyser et à comprendre les pratiques foncières des Ebrié d’Abidjan. Alors, nous optons pour l’analyse stratégique, la théorie de régulation (celui des jeux), la théorie de dominance sociale et à l’analyse des conflits en vue de parvenir à cette fin.

L’analyse stratégique L’analyse stratégique développée par Michel Crozier et Friedberg Erhard (1977 : 500 ) peut nous servir de cadre théorique d’analyse des pratiques de marchandisation des terres dans les villages concernés par l’étude. Elle se

31 concentre sur les stratégies d’acteurs et interroge non seulement leurs motivations, mais aussi leurs logiques à partir des points de vue des acteurs (Amblard, Bernoux et al. 2005 : 30), leurs pratiques concrètes, leur position dans l’arène sociale de façon générale. Cette approche part du principe que pour parvenir à leur fin, les acteurs calculent dans le cadre d’une rationalité dite limitée. Cette rationalité reste située, car les acteurs qui ont de bonnes raisons d’agir, quelles que soient ces raisons, sont actifs dans le contexte des situations dans lesquelles ils se trouvent. Ainsi, les comportements ne peuvent être compris qu’en situation d’action. En outre, l’analyse stratégique considère que l’acteur (empirique) fait preuve d’un instinct stratégique qui le conduit à adopter des comportements offensifs ou défensifs pour ménager ses intérêts, quels qu’ils soient dans un univers réglé ou régulé (Friedberg 1993 : 405). Ainsi, l’approche stratégique nous permet la compréhension du comportement des acteurs (vendeurs-acheteurs). Le comportement de ceux-ci doit être analysé comme s’inscrivant dans une stratégie rationnelle. Cette rationalité « limitée » se définit par rapport aux enjeux (la réussite sociale ou sortir de l’état de précarité), aux projets (équipement des villages et emploi des jeunes), surtout par rapport aux tensions intergénérationnelles (opposition ouverte ou voilée entre aînés et cadets) et aux tensions extracommunautaires (conflits vendeurs-acheteurs, acheteurs-acheteurs). Car comme tout individu, les vendeurs et les acheteurs du foncier sont des stratèges et disposent d’une marge de liberté (respect ou non- respect des règles foncières en vigueur) les rendant capables de saisir l’opportunité la plus apte à servir leurs intérêts (ascension réelle ou supposée dans l’échelle socio-économique). Il est rationnel de vendre les terres communautaires si celle-ci (la vente) sert aux intérêts immédiats du groupe ou de l’individu auquel elle est tributaire. En outre, au plan sociologique, la marchandisation des terres dans les villages étudiés apparaît comme une arène de confrontation, un champ au sens Bourdieusien du terme. Celui-ci est animé par des rapports de force co-gérés par une diversité d’acteurs dotés de logiques plurielles (Bourdieu 1997 : 316). Ce champ à ses codes, ses règles internes, le tout agissant pour le fonctionnement

32 adéquat de la marchandisation des terres. Dans ce microcosme social, les acteurs impliqués dans la marchandisation des terrains villageois, sont en lutte pour la conquête des meilleures occasions et des avantages associés à leurs positions dans ce champ. Ainsi, les prises de position et les stratégies des uns et des autres sont liées à leurs positions structurelles(les ainés sociaux disposent de plus avantage que les cadets sociaux). L’analyse stratégique a permis de percevoir les normes et principes qui devraient prévaloir dans la marchandisation des terres villageoises. Elle nous a permis de comprendre le sens des actes de protestation, de revendication ou d’interaction à l’œuvre dans ce champ. Par ailleurs, la compréhension des comportements des acteurs en situation passe par l’analyse des logiques d’action dont le cadre méthodologique est offert par Dubet (1997 : 15). Celui-ci propose la sociologie de l’expérience pour l’analyse de l’action. Cette théorie postule que les acteurs sont déterminés par plusieurs logiques d’action et composent leur expérience en articulant ces logiques en fonction de situations définies comme autant d’épreuves leur permettant de construire une identité et une action maîtrisée. Dans cette théorie, une importance est accordée aux points de vue des acteurs. Car il n’y a de conduite sociale que celle qu’interprétée par les acteurs eux-mêmes. Ceux-ci ne cessent de s’expliquer, de se justifier étant donné qu’elle a pour objet la subjectivité des acteurs, c'est-à-dire la conscience qu’ils ont du monde et d’eux mêmes. La sociologie de l’expérience de la marchandisation et /ou de la gestion du foncier périurbain entreprise dans cette thèse prend ainsi largement en considération le point de vue des acteurs dans l’analyse des situations investiguées. Ces situations seront traitées comme des moments de l’évolution des pratiques de marchandisation des terrains villageois. Dans cette perspective, l’objet de notre travail sociologique est d’expliquer et/ou de comprendre les dynamiques socio-économiques sur lesquelles repose la marchandisation des terres. Comment se fondent-elles, comment s’expliquent-elles concrètement à travers les déterminants géographiques et démographiques de la ville d’Abidjan.

33 La théorie de la régulation et des jeux

La théorie de la régulation sociale a pour objet les mécanismes sociaux de création, de mise en œuvre, de maintien et de disparition des règles sociales, celles par lesquelles un groupe social se structure et devient capable d’actions collectives (Reynaud 1997 : 360). Ainsi, la théorie de la régulation permet de comprendre les différents enjeux qui conditionnent l’apparition ou la disparition des règles régissant la marchandisation des terrains villageois dans la ville d’Abidjan. Et quelles sont les pratiques tendant à les faire disparaître ou à les maintenir ? Les comportements développés vis-à-vis des règles sont fonction des logiques propres de chaque acteur. En effet, les vendeurs de terres développent des stratégies (mise en location des terrains, vente d’une même terre à plusieurs acheteurs et vente fictive de terres) pour maximiser leurs gains économiques et améliorer leurs positions sociales. Les écarts sont observés entre les règles foncières et leur mise en application. Par conséquent, la théorie des jeux devient un cadre d’analyse des pratiques de marchandisation des terres locales. Cette théorie permet de décrire et d’analyser les dynamiques d’ajustement obéissant à des règles fixées au préalable. Ces ajustements répondent aux stratégies des acteurs qui gardent la possibilité d’adhérer en fonction de leurs stratégies à certaines règles pour légitimer leurs conduites et d’en rejeter d’autres qui sont contraires à leurs intérêts. Cette approche nous a permis de découvrir les stratégies déployées par les acteurs (institutionnels ou privés) impliqués dans les pratiques de marchandisation de terrains villageois. Ces stratégies visent entre autres la modification ou la transformation des règles du jeu. Le foncier villageois est devenu un enjeu important et suscite des conflits d’intérêts dans sa gestion, son contrôle ainsi que sa commercialisation.

34 La théorie de la dominance sociale’^ Toutes les sociétés complexes sont caractérisées par l’existence d’une hiérarchie sociale composée d’un ou plusieurs groupes dominants et hégémoniques au sommet, et d’un ou de plusieurs groupes dominés à la base. Alors que ces derniers seraient caractérisés par la possession d’une valeur sociale négative, le ou les groupes dominants et hégémoniques posséderaient une valeur sociale positive disproportionnée. Concrètement, une valeur sociale positive signifie la possession de l’autorité politique, du pouvoir, des richesses, d’un statut social élevé, des ressources matérielles et économiques, ainsi que l’accès privilégié aux biens et services sociaux. Par opposition, la vente d’une même terre à plusieurs acheteurs et la vente fictive de terres pour maximiser leurs gains économiques et améliorer leurs positions sociales. Les écarts sont observés entre les règles foncières et leur mise en application. Par conséquent, la théorie des jeux devient un cadre d’analyse des pratiques de marchandisation des terres locales. Cette théorie permet de décrire et d’analyser les dynamiques d’ajustement obéissant à des règles fixées au préalable. Ces ajustements répondent aux stratégies des acteurs qui gardent la possibilité d’adhérer en fonction de leurs stratégies à certaines règles pour légitimer leurs conduites et d’en rejeter d’autres qui sont contraires à leurs intérêts. Cette approche nous a permis de découvrir les stratégies déployées par les acteurs (institutionnels ou privés) impliqués dans les pratiques de marchandisation de terrains villageois. Ces stratégies visent entre autre la modification ou la transformation des règles du jeu. Le foncier villageois est devenu un enjeu important et suscite des conflits d’intérêts dans sa gestion, son contrôle ainsi que sa commercialisation.

« La théorie de dominance sociale de Sidanius et Pratto » par Michaël Dambrun, in Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive (L.P.S. C. O), Université Biaise Pascal-Clermont Ferrand, 34 avenue Carnot, 63037 Clermont-Ferrand cedex, courriel : [email protected].

35 L’analyse des conflits Cette méthode préconisée par Dahrendorf (1983:86), Crozier (1963 : 384) et Bernoux (2014 : 480), estime que la cause des conflits sociaux doit être recherchée dans cette distribution inégale de l’autorité qui se traduit par des relations de domination-soumission. Cette opposition crée à son tour un autre type de conflits : les conflits d’intérêts entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui y sont soumis. Il va distinguer deux types d’intérêts : les intérêts latents et les intérêts manifestes. Les intérêts latents sont des intérêts communs mal explicités qui provoquent des conflits, mais ne correspondent pas à un degré de conscience collective suffisante pour donner lieu à des groupes d’intérêts. Ils ne constituent que des catégories sociales composées d’individus dont les intérêts sont identiques, mais qui ne sont pas identiques, qui ne sont pas capables de les défendre de façon organisée. Les intérêts manifestés donnent naissance à des groupes organisés et capable d’agir sur ces bases. Les pratiques de marchandisation des terres dans les localités mettent en scène trois groupes d’intérêts celui des Gnando (ex- dirigeants), des Dougbo (dirigeants) et des Tchagba (aspirants). Les rapports de pouvoir qui lient ces groupes sociaux au foncier sont inégaux. Les aînés sociaux (Gnando et Dougbo) exercent un pouvoir de domination dans le système de vente de terres. Tandis que les cadets Tchaga sont dans une position de soumission, les aînés sociaux défendent des intérêts manifestes dans la mesure où ceux-ci sont exécutés en symétrie avec l’exercice du pouvoir coutumier. Dans les villages étudiés, le pouvoir des autorités locales, des membres de la classe d’âge Dougbo, des doyens d’âge, des membres de la classe d’âge Gnando sur la marchandisation des terrains est indéniable. Toutefois, la prolifération du marché imparfait des terres au sein de ceux-ci engage l’intérêt des cadets Tchagba qui observent une disparition de leurs terres à la charge des aînés. Ceux-ci se trouvent contraints de revendiquer aussi leur droit aux terres du village mais n’ayant pas maintenant de légitimité dans leur communauté respective, ils manifestent des intérêts latents (le sabotage des contrats de vente, les critiques virulentes des méthodes de régulation foncière et le refus de participation aux projets fonciers) pour la pratique du pouvoir foncier.

36 CHAPITRE DEUXIÈME : QUESTIONS MÉTHODOLOGIQUES

1.2. Méthodologie de la recherche

1.2.1. Nature de la recherche et des données collectées Dans cette étude, nous avons opté pour la recherche qualitative. Bien qu’un aspect qualitatif concerne l’échantillonnage avec un traitement statistique des données générées. Ici, la démarche qualitative, dénote plus précisément de l’ethnographie. Il s’agit de décrire les pratiques en vigueur dans la marchandisation de terrains dans les villages Akye et Ebrié de la métropole Abidjanaise, de les analyser et les interpréter afin de comprendre la logique des acteurs et les stratégies de marchandisation. Ainsi, en fonction de nos préoccupations, nous avons privilégié deux types d’informations. Le premier type est constitué de données secondaires relatives aux politiques foncières de l’État, à la dynamique de l’urbanisation et aux méthodes de transactions foncières. Essentiellement bibliographiques, ces informations sont constituées de travaux de recherche, de documents officiels (texte de loi) ainsi que de reportages de journalistes. Elles nous ont permis de comprendre les problèmes posés par le marché imparfait des terrains villageois dans la ville d’Abidjan et les moyens socio-économiques mobilisés par les acteurs (État, chefferies, familles et individus) pour les maîtriser. Le second type d’informations mobilisées est constitué de données primaires collectées auprès des agents du ministère de la construction, de l’urbanisme et de l’assainissement public, des géomètres experts, des autorités coutumières, des offreurs et des demandeurs de terres. Nous écoutons en fait les propos et les discours tenus par ces acteurs et tentons de rendre compte de la façon dont ils agissent dans ce « champ » socialement structuré à la fois par des enjeux, des règles et des ressources. Collectés dans le cadre d’interviews, ces différents points de vue visaient à rendre compte des motivations socio­

37 économiques des autochtones, dans l’activité de vente de terrains et les actions accomplies par ceux-ci dans ces perspectives.

1.2.2. Lieux et critères de ehoix

La collecte des données primaires s’est effectuée par le biais d’une série d’enquêtes réalisées dans la ville d’Abidjan. Elle s’étend respectivement sur les communes d’Abobo, d’Attécoubé, de Bingerville, de Cocody, de Marcory et de Yopougon. Elle s’est effectuée auprès des chefferies, des organisations locales de gestion des terres des villages suivants : Abobo Baoulé( 20km de la commune d’Abobo, côté Nord de la ville d’Abidjan), Abobo Doumé( 12km de la commune de Yopougon, côté Ouest de la ville d’Abidjan), Anono( 9km de la commune de Cocody , coté Est de la ville d’Abidjan), Anonkoua Kouté(18km de la commune d’Abobo, à l’Ouest de la ville d’Abidjan), Anoumanbo( 5 km de la commune de Marcory, au Sud de la ville d’Abidjan), Akéikoi( 27 km de la commune d’Abobo, au Nord de la ville d’Abidjan), Attécoubé village( 2km de la commune d’Attécoubé), Béago( 11 km de la commune de Yopougon, à l’Ouest de la ville d’Abidjan) , Adjamé Bingerville ( 6 km de la commune de Bingerville, Sud-ouest de la ville d’Abidjan), Djrogobité( 23 km de la commune de Cocody, au Nord de la ville d’Abidjan), Locodjro( 24 km de la commune d’Attécoubé, à l’Ouest de la ville d’Abidjan). Avec la méthode du choix raisonné, nous sommes passés par les conflits pour identifier les zones où la vente de terre a été source de tensions et de désordre social et politique. Par cette méthode nous avons pu d’abord identifier l’existence d’au moins trois types de conflits (entre vendeurs-chefferies, entre vendeurs-acheteurs et entre acheteurs-acheteurs) dans ces localités. Ensuite, elle nous a conduit à répertorier en fonction de cette typologie, la présence minimum de dix (10) hectares de parcelles communautaires et d’une dotation minimale d’un terrain de quatre cent mètres carré (400m2) par familles ou citoyens du village (personnes majeures associées au pouvoir de décision local et identifiées selon

38 leur classe d’âge). Le recours à ces critères s’est imposé à nous dans l’optique de disposer de données suffisantes en rapport avec notre sujet d’étude (Urbanisation des périphéries de la ville d’Abidjan : approche ethnographique de la mutation des procédures socio-économique dans la gestion du foncier villageois). Par ailleurs, l’expansion de l’urbanisation (20.000 logements par an) due à la forte pression démographique dans l’ordre de 3.1% de 1998 à 2009 a entériné la forte demande en terrains urbains. Vu la rareté et la cherté des lots viabilisés en plein centre ville, les citadins en quête de terres préfèrent se rabattre sur le foncier coutumier. Par ailleurs, les villages Tchaman qui étaient auparavant habitués à offrir leurs terres seulement à partir de dons symboliques (20.000Frs CFA et une bouteille de liqueur pour l’obtention d’un lot) assistent à des offres économiques de plus en plus à la hausse depuis les années 1990. De 1990 à 2000, l’offre est d’un million cinq cent milles (1.500.000) à trois millions (3000.000 Frs CFA) (le prix d’un lot de 1200 m ) selon la situation géographique du terrain. De 2000 jusqu’à maintenant, l’offre varie entre trois millions (3.000.000) et six millions (6.000.000 Frs CFA). Face à toutes ces propositions alléchantes, les Tchaman se rendent compte de la valeur vénale de leur terroir. Deux perspectives sont envisagées par ceux-ci. Soit, ils perpétuent le mode d’acquisition originel du foncier dans une logique de conservatisme coutumière. Soit, ils cèdent aux offres de plus en plus alléchantes des acheteurs de terrains pour améliorer leur situation économique difficile.’^ Cette dernière perspective est celle choisie par les autochtones. Dans les localités, les aînés sociaux Gnando sont à l’initiative de la vente des terrains. Mais les conditionnalités d’acquisition des terrains sont de vingt mille francs (20.000 Frs CFA) à cent cinquante mille francs (150.000 Frs CFA) le prix du lot qu’ils proposent aux acheteurs sont qualifiés de déraisonnable par les cadets sociaux Dougbo qui aspirent au pouvoir. Pour les Dougbo, il est

’’ Leur situation économique difficile : les Tchaman ne peuvent plus pratiquer leurs activités économiques de base (l’agriculture et la pêche) à cause de la forte réduction de leur patrimoine foncier. Contrairement aux autres autochtones dont les terres sont situées en zone rurale et servent à la pratiques des activités agraires, les Tchaman ont perdu l’intégrité de leurs parcelles à cause de leur emplacement en pleine ville. De ce fait, ils sont obligés de saisir les opportunités qui s’offrent à eux en matière de foncier pour combler ce vide économique.

39 inadmissible de laisser les Gnando poursuivre ainsi la gestion du foncier. À ce rythme tous les terrains coutumiers seront bradés sans pour autant améliorer les conditions de vie de l’autochtone. Alors, on assiste à l’éviction brutale des aînés sociaux du pouvoir en dehors du mode d’accession coutumier (au terme des 36 années de règne, les ainés sociaux passent le trône à leurs cadets dans une ambiance festive). La dernière prise de pouvoir dans les villages étudiés s’est effectuée de manière violente (mort d’hommes, destruction de biens, violences physiques et morales). Les Dougbo n’ont pas attendu la fin du mandat des Gnando pour s’arroger par la force les droits d’usage de terrain coutumier. Ainsi, la vente de terre qui n’était pas auparavant dans les règles coutumières des Tchaman s’est imposée rapidement et est devenue une source de déstructuration des institutions sociales et politiques de la société Tchaman.

1.2.3. L’échantillonnage

I.2.3.I. Techniques d’échantillonnage

Dans cette étude nous avons combiné trois techniques d’échantillonnage non probabiliste : L’échantillonnage volontaire, l’échantillonnage par convenance et l’échantillonnage « boule de neige ». La première et la deuxième ont été nécessaires pour atteindre les individus des classes Ebrié directement impliqués dans la gestion du foncier. La troisième a permis d’atteindre les catégories de contrôle.

La méthode d’échantillonnage volontaire

Comme l'expression le laisse entendre, ce type d'échantillonnage intervient lorsque des gens offrent volontairement leurs services pour l'étude dont il est question. De ce fait, des personnes issues de notre cercle de famille, d’amitié et

40 des sympathisants en relation avec notre sujet de recherche se sont portés volontaires pour nous aider tout au long de notre période d’enquête. Ce sont des professionnels du foncier, des personnes ayant une connaissance des zones d’études, des pratiques du peuple Ebrié, des experts et consultants du foncier Ivoirien.

Des personnes provenant du cercle familial et d’amitié nous ont fourni les informations primaires utiles à la construction de notre guide d’entretien. Par ailleurs, les sympathisants sont les volontaires résidant dans les différents villages étudiés qui ont bien voulu accepter de nous servir de guide. Ils nous ont conduit chez les autorités coutumières, les représentants des classes d’âge, les doyens d’âge et des personnes ressources appartenant aux classes d’âge Tchagba, Dougbo et Gnando.

Aussi, des agents du MCUA, des consultants indépendants, des experts du foncier Ivoirien se sont proposés de participer à notre séance de réflexion sur les perspectives de la marchandisation imparfaite du foncier coutumier Ebrié.

La méthode d’échantillonnage par convenance

L'échantillonnage de convenance a consisté à repérer de manière opportune les répondants pouvant représenter fidèlement la population de l'étude. Notre étude porte en priorité sur des individus appartenant aux classes d’âge Tchagba, Dougbo et Gnando^^. Ainsi, la constitution d’une population d’enquêtés issue de ces classes d’âge est soumise à des critères de choix. Ils ont été définis en concertation avec les classes gouvernantes et les classes subalternes dans les différents villages étudiés. Aussi, avons-nous répertorié les différents types de

Les individus des classes d’âge Tchagba, Dougbo et Gnando appartiennent à une tranche d’âge comprise entre 35 à 60 ans et plus. Ainsi tous nos enquêtés dans les localités s’inscrivent dans ces catégories

41 marchandisations et de ventes réellement effectuées dans les localités étudiées (tableau n°2 et 3). Critères de sélection de la population d’enquête -Avoir appartenu à une classe d’âge associée aux affaires courantes du village -Avoir un ou plusieurs terrains ou être vendeur de terrain -Avoir appartenu à la chefferie ou être membre du comité local de gestion du foncier Le choix de cette méthode se justifie principalement par le fait qu'elle est la plus appropriée pour nous permettre de rechercher la diversité des situations vécues chez des enquêtés difficiles à joindre dans un délai relativement limité.

La méthode de boule de neige Elle consiste « à ajouter à notre échantillon tous ceux qui sont en relations avec notre sujet et, de dégager les systèmes de relations existants ».Beaud J.P (2003 : 619). Après l’entretien que nous avons eu avec les différents acteurs intervenants dans les actions de marchandisation de terrains, rappelons, qu’il s’agit en premier lieu des classes d’âge Gnando et Dougbo, des doyens d’âge et des chefs de famille. A leur tour, ces derniers nous ont mis en contact avec certains acheteurs et aussi avec certains démarcheurs. Plus tard, nous avons été amenés à rencontrer des personnes ressources et des témoins privilégiés tels que les géomètres experts, les habitants, associations de régulation et de protection du foncier local. Pour ce qui est des ouvriers, ce sont ceux ayant été témoins ou confrontés à l’arrêt des travaux de construction pour des cas de conflit foncier. Le recours à ces personnes s’est imposé à nous dans une perspective comparative en vue de ratisser tous les aspects de l’élude que nous aurions pu oublier.

42 Tableau 1: Présentation du groupe cible et catégories de contrôle des enquêtés dans les villages

Groupe cible Catégories de contrôle

Agents et Responsables des services administratifs : • Du ministère de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Assainissement

Autorités administratives • Des Mairies d’Abobo, d’Attécoubé, de Bingerville, de Cocody, de Marcory, de Yopougon

Géomètres experts

Membres des autorités coutumières des villages étudiés Membres des comités locaux de gestion du foncier

Cible principale (vendeurs et acquéreurs) Chefs de familles Citoyens des villages

Opérateurs économiques

Domaines privés

Membres des classes d’âge

Membres ordinaires du village

Propriétaires de terrains

Propriétaires de concessions Résidents locaux (autochtones, allochtones, Locataires de maisons allogènes) Agents de l’Etat (Directeur d’Etablissement, infirmiers, instituteurs, agents de municipalités)

Ouvriers (maçons, menuisiers)

Source : données d’enquête, janvier - février 2012

43 Tableau n°2 : Récapitulatif des catégories d’informateurs

Types de marchandisation Total

I- Marchandisation collective

1. Communauté villageoise /communauté villageoise 2. Communauté villageoise / individu 3. Communauté villageoise / société immobilière 05 4. Communauté villageoise / opérateur économique 5. Famille/famille

II- Marchandisation personnelle

1. vendeur / acquéreur 2. Cellule familiale / acquéreur 3. Cellule familiale / opérateur économique 04 4. intrafamilial

111. conflits avec l’administration

1. administration/communauté villageoise 02 2. administration/cellule familiale

TOTAL 11

Source : données d’enquête, novembre 2011 / janvier 2012

Définition de quelques termes du tableau Z Société immobilière : est une institution privée spécialisée dans l’achat, la vente et l’exploitation des terrains urbains et périurbains. Z Individu : acheteur singulier de terrain coutumier.

Z Opérateur économique : entrepreneur privé, acquéreur de terres villageoises pour la réalisation d’un projet économique à but lucratif.

44 Acquéreurs ; toute personne physique ou morale, privée ou publique, acheteur de terres locales pour l’emplacement d’une propriété privée. En nous appuyant sur cette typologie, nous avons sélectionné quatre (04) catégories de marchandisation appartenant à deux types prédéfinis (voir tableau n°3). Cette sélection a tenu compte des critères suivants :

Type de vente les plus fréquentes. Possibilité de rencontrer un acquéreur en plus du vendeur. Lien avec les objectifs de recherche.

Tableau n°3 : Récapitulatif des cibles principales effectivement étudiées

Types de marchandisation Total

I- marchandisation collective

1. Communauté villageoise / individu 2. Communauté villageoise / opérateur économique 02

II- Conflits personnels

1. vendeur / acquéreur 2. Cellule familiale / acquéreur 02

TOTAL 04

Source : données d’enquête, octobre 2011/ mars 2012

Ces types de ventes ont fait l’objet d’étude de cas spécifiques. Vu que nous menons une étude etlinographique, nous nous sommes adressés aux autorités coutumières (chefferie, doyens d’âge, COGES local et chef de famille) qui ont

45 bien voulu nous décrire les différents types de vente de lots pratiqués dans les villages. Nous les avons ensuite répertoriés et regroupés ensuite en quatre (04) unités (communauté villageoise-individu, communauté villageoise-opérateur économique ; vendeur-acquéreur, cellule familiale-acquéreur) telles que présentées dans le tableau ci-dessus. Ce sont ces cas de vente de terrain que nous avons rencontré tout au long de nos enquêtes dans les localités étudiées.

46 Tableau n°4 : Effectifs de la population et des individus du groupe de références dans les villages étudiés

Nombre N° Villages Nombre d’habitants d’individus âgé de % 35 à 60 et plus I Abobo Baoulé 3736 187 5,01

2 Abobo Doumé 2293 192 8,37

3 Anono 2748 176 6,40

4 Anon 1048 102 9,73

5 Anonkoua kouté 3405 156 4,57

6 Anoumanbo 3832 198 5,16

7 Akeikoi 2722 124 4,55

8 Attécoubé 4305 176 4,09

9 Béago 1432 103 7,19

10 Adjamé Bingerville 3837 200 5,21

11 Djrogobité 2421 101 4,16

12 Locodjro 2527 182 7,20

TOTAL 34306 1897 5,52

Source : données d’enquête février-juillet 2012

Commentaire sur tableau Dans l’ensemble des villages concernés par l’étude, il apparaît que la taille de notre population cible n’excède pas 6% du nombre total d’habitants. Ce qui traduit l’extrême jeunesse de la population dans ces localités. En effet, plus de

47 95% des villageois sont en marge de la régulation du foncier. Soit, parce qu’ils ne sont pas encore parvenus à l’âge d’intégrer les classes d’âge représentant le noyau autour duquel gravite le processus de marchandisation des terres {Gnando, Dougbo et Tchagba}. Soit parce que, bien qu’ayant atteint l’âge, leur appartenance au genre féminin les disqualifie à l’exercice de toutes autorités dans la société conformément à la tradition Tchaman (Ebrié). Par ailleurs, cette petite portion de 5.52% à laquelle s’identifie notre population cible ne se rapporte pas à la réalité pendant la période de notre enquête. Plus de deux tiers (2/3) de celle-ci a fait acte d’absence tout au long de notre période d’études. Les différentes chefferies ont tenu à justifier cette situation comme étant le fait de maladies, d’emplois, de déplacements et de conflits. Donc, un tiers (1/3) de la population cible a composé notre source d’enquêtés. Celui-ci en rapport avec la méthode d'échantillonnage par convenance pour déterminer notre taille des enquêtés.

La taille des enquêtés La population totale des villages est de trente-quatre mille trois cent six (34306) habitants (RGPH : 2012). Mais, les personnes directement concernées par cette étude sont estimées à mille huit cent quatre-vingt dix-sept (1897) soit 5, 52% de cette population mère. Notre taille d’enquêté est déterminée par la méthode de convenance. Ainsi, nous n’avons pu interviewer que cent quatre-vingts (180) personnes soit 9,48% de celle-ci. Cette situation est liée à l’absence et au désistement de certains acteurs en occurrence certains chefs de famille, responsables familiaux de ventes et démarcheurs durant toute la période de collecte des données. (Voir tableaux n°6). En ce qui concerne les autres acteurs (acquéreurs, personnes ressources et témoins privilégiés) qui représentent les catégories de contrôle, leur identification s’est effectuée à partir de la méthode de « boule de neige » telle que nous l’avons exposé dans les paragraphes ultérieurs.

Technique d’échantillonnage : méthode d’échantillonnage par convénace. p43.

48 Ainsi donc, au niveau des acquéreurs, nous avons pu interviewer neuf (09) personnes. Quant aux géomètres experts leur nombre s’élève à trois (03). À ceux- là, il faut ajouter les agents de la mairie, les agents immobiliers, travailleurs privilégiés et association des résidents. Ils sont au nombre de huit (08), soit deux (02) personnes par secteur d’activités.

Ainsi, la taille totale de notre échantillon est estimée à deux cent (200) personnes (voir tableaux n°6).

49 Tableau n°5 : Tableau présentant la population cible effectivement enquêtée au niveau des villages

K villages Abobo Abobo Anonkoua Anono Anon Anoumanbo Akéikoi Attécoubé Béago Bingerville Djrogobité Locodjro Baoulé Doumé Kouté

Acteurs

clés x.

Gnando 02 02 03 02 03 04 02 02 02 03 03 02

Dougbo 02 04 02 03 02 05 03 03 02 04 02 05

Tchagba 03 05 04 03 02 03 03 08 02 07 05 04

Chef de village et 02 03 03 03 02 03 01 02 02 02 03 02 notables

Doyens du village 01 02 02 01 01 02 01 01 01 02 01 01

Démarcheurs 02 02 02 02 01 02 02 02 01 02 01 02

Total 12 18 16 14 11 19 12 18 10 20 14 16

Source : Données d’enquête, novembre 2011/ février 2012

50 Tableau n°6: Répartition des personnes effectivement enquêtées

Acteurs clés Personnes ressources et Témoins privilégiés

Chefs de Agents Travailleurs Associations Doyens Agents du Gnando Dougbo Tchagba village et Démarcheurs acquéreurs Géomètres de (maçons, des résidents TOTAL d’âge MCUA notables mairies menuisiers)

28 37 49 28 16 20 09 03 02 02 02 02 200 Total 180 20

% 90 10 100

Source : données d’enquête, novembre 2011/ février 2012

51 L2.4. Moyens matériels mis en jeu

Nous avons eu à utiliser un dictaphone Apple-Voice mémos pour enregistrer le discours des interlocuteurs. Le logiciel Apple-itunes nous a permis d’organiser de manière chronologique les discours des enquêtés de toutes les localités étudiées. Nous avons utilisé ces informations (autobiographies, entretiens et focused group} datées et structurées dans la restitution des résultats de ce travail.

L2.4.1. Outils de collecte des données

Quatre moyens ont été mis en œuvre à savoir le guide d’entretien semi­ directif, l’observation directe, les entretiens collectifs et les autobiographies.

L2.4.1.1. Le guide d’entretien semi-directif

« A l’inverse de l’enquête par questionnaire, les méthodes d’entretien se caractérisent par un contact direct entre le chercheur et ses interlocuteurs et une faible directivité de sa part » (Quivy, 2006 :173). L’entretien semi-directif permet de laisser l’interviewé construire son propre discours. Pour conduire ces entretiens, nous nous sommes appuyés sur des guides d’entretiens élaborés à cette fin. À cet effet, nos entretiens par l’administration des questions ouvertes nous ont permis d’orienter le discours des autorités administratives et coutumières, des communautés villageoises autour des différents thèmes de notre étude : Z L’historique de gestion du foncier dans les villages concernés par l’étude, Z Des méthodes de vente des terres en vigueur dans lesdites localités, Z Le processus d’organisation de la vente des terrains, Z Les institutions locales de gestion des terrains.

52 Y Les règlementations et les statuts du foncier local, 7 Le mode local de gestion socio-économique post-marchandisation, Y Les conflits observés. Le processus de gestion des conflits. 7 Les résultats obtenus. Cet outil a permis de rendre compte des pratiques socio-économiques des individus, liées à la marchandisation du foncier dans l’ensemble des villages étudiés.

L2.4.1.2. L’observation directe

Elle consiste à s’ériger en témoin observant un fait. Il est donc nécessaire par ce moyen de collecter directement les informations sur les pratiques de vente des terrains en temps réel dans les localités étudiées. Cette observation nous a permis de relever d’une part la réticence des aînés Gnando à s’exprimer sur les modes de régulation des terrains en cours dans les villages ; d’autre part, à découvrir le caractère fermé de la gestion menée par les Dougbo et le manque d’adhésion des Tchagba aux politiques foncières adoptées par ceux-ci.

1.2.4.1.3. Entretiens complémentaires

Ces entretiens ont été effectués pour compléter nos enquêtes de base décrites plus haut. L’objectif visé est de répondre aux préoccupations nouvelles soulevées lors du traitement des données. Ces entretiens, eux-mêmes semi structurés, ont été effectués tant auprès des autorités administratives que des villageois et personnes concernées par l’activité de vente de terrains dans les zones d’étude.

53 L2.4.1.4. Le « focused group »

L’important, dans cette méthode d’entretien est en effet qu’elle est concentrée {focusecf') sur une expérience vécue par l’ensemble des enquêtés. Ceux-ci ont préalablement été engagés dans une situation particulière et concrète (la gestion des terrains coutumiers) Il permet de multiplier le nombre d’enquêtés et d’élargir l’éventail des réponses recueillies ; en bref de gagner du temps et de l’argent. Cette méthode contribue à réduire les inhibitions individuelles par un effet d’entraînement (il suffit qu’un participant, plus bavard, commence à divulguer ses impressions personnelles pour que les autres y soient entraînés) et qu’elle facilite le travail de remémoration (l’échange des souvenirs et des perceptions opère comme un déclencheur). Finalement, la dimension collective n’est jamais prise en compte pour elle-même. Elle est même désignée comme le principal inconvénient de la méthode : la dynamique du groupe et les interactions entre participants sont considérées comme des éléments risquant potentiellement de détourner l’entretien du thème discuté. Dès lors, la tâche de l’animateur consiste principalement, selon Merton (1987 : 566) à réduire les interactions parasites. Cette méthode s’est avérée particulièrement avantageuse à des moments spécifiques de nos enquêtes. En ce sens, nous avons élaboré la stratégie de débuter la collecte des données dans les localités étudiées en organisant avec l’accord des autorités coutumières, « le focused group » avec les représentants des chefferies, des classes d’âge, des acquéreurs, des géomètres experts, des associations des I résidents. Nous discutons des thématiques de lotissements, de gestions et partages des lots, de la marchandisation, des conflits et moyens de résolution des conflits. Nous procédons par une administration progressive avec nos interlocuteurs. Les rubriques de notre guide d’entretien concernant les lotissements, la gestion et le

Les variations dans l’orthographe du terme « focused/focussed » ne relèvent pas d’erreurs typographiques mais, comme l’explique Merton dans son article de 1986, de choix orthographiques différents : Merton a toujours préféré la seconde solution, mais les éditeurs, tant rAmerican Journal ofSociology en 1946 que The Free Press en 1956, ont opté pour la première.

54 partage des lots ont été appropriées par ceux-ci. Mais, celles liées aux partages des lots, à la marchandisation et aux conflits ont volontairement été occultées par les différentes chefferies. Nous avons insisté pendant ces échanges sur ces sujets qui ne rencontraient pas leur assentiment auprès des autres composants. Les représentants des classes Tchagba et des acquéreurs n’ont pas hésité à s’étendre sur chacune de nos préoccupations. Certaines révélations faites par ceux-ci ont obligé les chefferies à apporter leurs versions des faits. Aussi, avons-nous contourné les limites que peut présenter cette méthode. L’ensemble des données recueillies seront utilisées tout au long de la restitution des résultats d’enquêtes dans ce travail. L’auteur des discours y sera fictivement nommé pour des raisons de sécurité et de préservation de l’identité des informateurs.

L2.4.1.5. Les diagnostics participatifs

« Le diagnostic appliqué au milieu rural est l’opération qui vise à analyser et juger des modes d’utilisation de l’espace rural, à un moment et à une échelle donnés, en fonction d’objectifs de connaissance et de valorisation de cet espace. » (Jouve et Clouet, 1984) Le diagnostic ne peut constituer une fin en soi, il s’intégre dans une perspective plus générale de l’étude (la gestion du foncier chez les autochtones Tchaman et Akye}. Il constitue donc une étape préalable à nos enquêtes. Il a conduit à proposer des axes de réflexion et de travail, c’est-à-dire à la formulation d’actions précises à entreprendre et des modalités de leur mise en œuvre. Le diagnostic participatif nous a permis d’obtenir par les villageois eux-mêmes l’ensemble de ces informations. Avant de commencer la collecte de données et la définition des différents outils utilisés, il est nécessaire de définir clairement les objectifs du travail mené et les informations que l’on souhaite recueillir. L’objectif est de nous permettre de repérer l’historicité du foncier coutumier Abidjanais et les transformations qu’elle subit dans le temps. Surtout, dans le but

55 d’en faire émerger les problèmes généraux et les politiques de gestion existante. L’analyse de la marchandisation imparfaite des terres locales doit être perçue dans sa globalité, sa complexité et son évolution. Globalité ne veut pas dire totalité ; le diagnostic ne peut être totalement exhaustif. Mais tient compte de l’interdépendance de ses composantes, des conséquences prévisibles et de l'incidence des changements envisagés.

2.4.1.6.1. Les autobiographies

Une autobiographie est le récit écrit qu’une personne réelle fait rétrospectivement de sa propre vie. Le mot « autobiographie » , est composé de trois racines grecques : graphein ( écrire ) , auto( soi-même ) ,bio ( vie ) . Les récits autobiographiques font référence à des lieux, des personnes et des événements réels : ils se différencient en cela des textes de fiction. L’autobiographie se caractérise par le fait que fauteur, le narrateur et le personnage principal ne font qu’un. Le récit autobiographique est mené à la première personne. La régulation foncière dans les localités est une activité inhérente à la vie sociocommunautaire des autochtones. Ce qui signifie que les récits des personnages disposant d’une connaissance claire sont légions. Cependant, ces types de témoignages ne peuvent être validés dans le cadre de notre étude que s’ils sont relatés d’une part par des individus issus des classes d’âge Gnando et Dougbo. Il n’y a qu’au sein de ces deux catégories sociales qu’on peut trouver des personnes qui ont réellement vécues des expériences de gestion voir de marchandisation de terrains. Les «Gnando» constituent le groupe qui a précédé les «Dougbo» dans la gestion du foncier contemporain. Les témoignages des membres tributaires de ces classes d’âge est fort riche à cause de l’histoire qui les lie à la régulation du terroir. Huit (08) récits de vie portant sur des cas de conflit foncier dans les localités étudiées sont essentiellement de leurs faits. Par ailleurs, les aveux (aux nombres de trois (03)) de certains acquéreurs qui

56 ont vécu des expériences de marchandisation imparfaite des terres ont aussi été utilisés comme lanterne pour illustrer des pans de notre travail.

1.2.5. Période d’enquête

Les enquêtes de terrain se sont déroulées en deux vagues. La première a débuté en octobre 2011 et s’est arrêtée en janvier 2012. La deuxième s’étend de mars 2012 à novembre 2012. Nous avons aussi réalisé des entretiens complémentaires dans les mois de novembre et décembre 2012. Le choix de la première période semblait auparavant convenir au déroulement des entretiens dans les localités étudiées. Mais au regard des données recueillies, d’autres perspectives (la création d’une stratégie commune de gestion des terres, l’institution d’un comité mixte de gestion Etat-autorités coutumières, organisation de formation, renforcement des capacités de régulation du foncier des autorités locales) d’une importance capitale à notre étude étaient ébauchées tant au niveau i des autorités étatiques (agents du Ministère de la construction, de l’urbanisme et de l’assainissement et des géomètres experts) qu’au niveau de certaines autorités coutumières( les chefferies d’Abobo Baoulé, d’Anono, d’Anonkoua kouté, de Béago, d’Abobo Doumé, de Bingerville village). Nous avons au cours de la seconde période de notre enquête abordé exhaustivement ces nouveaux axes et contourné les obstacles de terrains (refus de collaboration, indisponibilité des enquêtés, informations préétablies, limitation du champ d’action, mutisme). Aussi, faut-il signifier que le prolongement du temps d’enquête dans les villages étudiés nous a permis d’être témoin des conflits fonciers entre acquéreurs et acquéreurs-vendeurs. Nous avons assisté à la résolution de certaines d’entre elles dans lesdites localités. Par ailleurs, notre présence récurrente à ces moments auprès des agents du MCUA nous a permis d’une part de distinguer le domaine de compétence réel des autorités coutumières et étatiques dans la régulation des terrains. D’autre part, elle nous a conduits à mesurer le niveau d’implication de ceux-ci dans les pratiques en vigueur de marchandisation.

57 1.2.6. Analyse des données

1.2.6.1 Technique de dépouillement et analyse des données

Le traitement et l’analyse des données se sont effectués à l’aide du logiciel QSR_Nvivo 8. Cette opération a été réalisée en quatre étapes. La première étape a consisté à la saisie informatique des informations recueillies (transcription intégrale des entretiens réalisés). Cette première étape a contribué à obtenir une vue préalable d’ensemble des données à analyser. La seconde correspondait au codage des entrevues antérieurement retranscrites. Plus précisément, il s’agissait d’explorer chaque entretien pour y repérer des nœuds de sens (voir annexe 1). La troisième était réservée au regroupement et à la catégorisation des segments de discours précédemment identifiés à partir d’une analyse transversale avec le logiciel QSR_Nvivo 8. Il en émerge des arborescences classant les différents extraits en trois grands thèmes : les pratiques sociales et économiques, de la marchandisation des terres, et les dynamiques qui fondent cette activité. Ces thèmes ont été décomposés en dimension, puis en indicateurs illustrés par des codes de base que sont les segments des propos des acteurs concernés (vendeurs et acheteurs). Ces extraits ont été utilisés tout le long de ce document pour rendre compte et illustrer certains points de notre analyse. Enfin, la quatrième a consisté à interpréter les données sur la base des objectifs et de la question de recherche.

I.2.6.2. Limites des options méthodologiques et difficultés

Au regard des instruments mobilisés pour collecter et analyser les informations traitées dans ce travail, il ressort quelques limites qu’il convient de souligner. L’étendue du champ de l’étude parait aussi vaste dans la mesure où le district d’Abidjan compte dans son ensemble soixante-trois (63) villages Ebrié, sept (07) villages Akyé et un (01) village Alandjan. Même le temps imparti dans le cadre d’une thèse ne peut épuiser le sujet de nos recherches si notre étude devait

58 concerner spécifiquement chaque village. D’où notre recours aux deux critères de choix pour la délimitation objective de notre zone d’étude. S’agissant des deux critères (la diversité des conflits fonciers et de la disponibilité réelle des ressources foncières), leur mobilisation répond à un souci (la plupart des villages dans la ville connaissent les problèmes fonciers identiques). Dans ce cas de figure, l’utilisation de ces critères ne serait pas en harmonie avec le nombre des villages qui devraient réellement être étudiés. Toutefois, si la plupart des villages dans cette zone connaissent apparemment le même problème(le marché imparfait des terres), peu de villages actuels disposent d’étendue de terre d’au moins dix (10) hectares. Puisque notre étude est basée sur les pratiques en vigueur dans la marchandisation des terres, seuls les villages qui en possèdent certainement obéissent à notre préoccupation. Alors, notre premier critère de choix reste toujours d’actualité, car elle concorde avec le second pour plus d’objectivité. Aussi, faut-il convenir que l’usage de l’entretien semi-directif comme moyen de recueillir les données relatives à notre étude nous a aussi permis de scruter les diverses pratiques associées à la marchandisation des terres dans la ville d’Abidjan. La première est liée aux échanges économiques réguliers faits avec l’accord des autorités coutumières. Cette méthode, rencontre l’assentiment de tous les acteurs. Il apparaît aussi qu’elle engage quelques acteurs parmi les aînés sociaux. Par ailleurs, elle porte sur les terres communautaires dont la gestion est forcément collective. Cette méthode est celle que nous présentent la plupart des autorités coutumières dans les villages concernés par notre étude. Elle est la première contrainte à identifier puis à contourner. La seconde difficulté est la manifestation d’une certaine hostilité suscitée par notre sujet de recherche auprès de certaines autorités coutumières. En l’occurrence, les chefferies d’Abobo Baoulé, d’Abobo Doumé, de Locodjro, de Béago et de Djrogobité ont pendant un trimestre affiché leur droit de réserve et de réflexion sur les implications sociopolitiques de notre objet d’étude. La troisième difficulté porte sur les nombreux moments d’entretiens non respectés par les autorités coutumières dans l’ensemble des villages étudiés.

59 CHAPITRE TROISIÈME ; DONNÉES PHYSIQUES ET HUMAINES

Dans cette partie, nous nous focaliserons sur le district d’Abidjan, l’origine et la localisation des villages Ebrié et Akye,^^ la situation géographique et le contexte historique du peuplement des dits villages, les structures et les équipements sociocommunautaires

HL3.1. Le district d’Abidjan

L'agglomération d'Abidjan est située au sud de la Côte d'ivoire, au bord du Golf de Guinée et traversée par la lagune Ebrié. Elle est composée de deux parties (Abidjan nord et Abidjan sud). Elle est bordée de part et d'autre de la lagune Ebrié. Ville cosmopolite de l’Afrique subsaharienne, Abidjan, la capitale économique de la Côte d’ivoire compte cinq (05) millions d’habitants et s’étend sur une superficie de 2.119 km , soit 0,6% du territoire national. Sa population est repartie sur treize communes qui la composent : Abobo, Adjamé, Anyama, Attécoubé, Bingerville, Cocody, Koumassi, Marcory, Plateau, Port Bouet, Treichville, Songon et Yopougon. Véritable poumon économique, Abidjan abrite l’essentiel des entreprises de tous les secteurs d’activité. Elle regroupe encore pour l’instant sur son périmètre, l’ensemble des institutions de la république. Sa notoriété singulière fait la fierté des originaires qui l’ont vue naître. Elle est surtout le sujet de prospérité des autochtones et des allochtones qui y vivent. À cet effet, elle regroupe en son sein des communautés locales Akyé, Alandjan et Ebrié. Desquelles communautés.

Origine et localisation des villages Ebrié et Akye selon les récits des doyens d’âge : Monsieur Konan Antoine (village d’Abobo Doumé) ; Madame Akalé Brigitte (village d’Anonkoua Kouté) ; de Monsieur Aboctha Magloire (village de Locodjro) ; de Monsieur Gabriel (village d’Anono) de Monsieur Kindia Yapo Antoine (village de Djrogobité) ; de Monsieur Amondji Moua Samuel (village d’Attécoubé) ; de Monsieur Ahotto Camille(village d’Adjamé-Bingerville) ; de Monsieur Yapi Achi Albert (village d’Akéikoi) et de monsieur Ahouetto Augustin ( village d’Anoumanbo.).

60 elle tire son identité. Elle est d’abord un territoire Tchaman et Atchan du groupe ethnique Bidjan. Abidjan est une appellation péjorative de celui-ci. Elle est aussi le champ historique de ces peuples.

61 Cartel : Champ d’étude, villages Akié et Ebrié

CHAMP D’ETUDE : VILLAGE AKIE EBRIE

Source : Centre de Cartographie et de Télédétection, rédigé en Novembre 2012

62 L3.2. Origine et localisation des villages étudiés

Les villages dont il s’agit ici sont ceux des groupes ethniques Ebrié et Akye. Les Tchaman et Atchan, plus connus sous le non « Ebrié » sont les autochtones d’Abidjan. Ils sont les premiers occupants de ce site. Déjà au milieu du XVIL, les premières explorations du littoral de la côte d’ivoire sont engagées par eux. Un siècle après leurs installations, ils reçoivent la visite des Akye venus des terres de l’Agneby. Ces derniers opprimés par des conflits fratricides se déportaient sur les terres de la lagune Ebrié. En ces lieux où ils bénéficient de l’hospitalité des Ebrié, ceux-ci mettent à leur disposition des terres. En retour, les Akye reconnaissent la générosité de leur hôte et s’emploient à des « travaux de remerciements » au profit des Ebrié. Selon la tradition orale, les Ebrié viennent du Nord-est du pays Ashanti d’où ils sont partis des suites d’une guerre sanglante avec une ethnie voisine. Ils émigrent vers la Côte d’ivoire au milieu du XVIL siècle en provenance de la région de Kumasi (). L’exode les conduit à l’Est de Bondoukou où, après un long séjour, ils amorcent une descente vers le sud jusqu’à la lagune Ebrié. Sous l’influence des différentes populations avec lesquelles ils entrent en contact, leur ancienne langue « Tchwi » est altérée. L’ethnie ébrié se compose à l’origine de 6 fratries ou Goto : Kwé, Bidjan, Nonkwa, Bobo, Diapo, et Niango. L’éclatement des Bidjan et des Bobo fait naître deux nouvelles fratries : Songon et Yopougon. Une neuvième nommé Bya sortira de la fusion d’un ensemble hétéroclite d’étrangers. Ils sont autour de la lagune Ebrié et occupent de préférence la rive nord de cette voie naturelle de navigation dont la largeur atteint plusieurs kilomètres par endroits (plus de 100 kilomètres). De cette histoire commune de ces deux peuples locaux, acteurs de l’identité foncière d’Abidjan, il en découle des mouvements migratoires propres à chaque village étudié (Abobo Baoulé, Abobo Doumé, Anono, Anon, Anonkoua, Anoumanbo, Akeikoi, Attécoubé village, Béago, Adjamé Bingerville, Djrogobité, Locodjro).

63 Abobo Baoulé

Abobo Baoulé est issu du groupe de mots Abambam Aboulé qui signifie un peuple nombreux. Peu avant la période coloniale, les Nonkoua situés dans la partie septentrionale de l’actuelle commune d’Abobo composaient un grand village situé dans les environs du PKI 8. Ils avaient pour activités la pêche et la cueillette. Etant nombreux pour l’utilisation d’un espace commun, ils optent pour une répartition périodique des activités. Chaque clan avait l’obligation d’amener le fruit de son labeur, sa chasse et de sa pêche sur la place publique. Le butin était par la suite reparti par ordre d’ancienneté entre les différents composants du village. Très tôt cette pratique fut perturbée. En effet, le groupe à l’origine du village s’estimait peu honoré dans les partages effectués. Alors, ceux-ci décident de garder les poissons qu’ils pêcheraient désormais. Ce qui déplut fortement aux autres clans. Ne pouvant supporter cette situation, ils se désolidarisent des aînés. Chaque groupe s’oriente vers une destination inconnue à la recherche de l’eau pour jouir sans encombre des fruits de la pêche. C’est ainsi que «Abambam Aboulé » s’est dirigé vers la rivière Kloetcba où ils se sont installés. Ils bâtirent un village, l’actuel Abobo Baoulé. Dans la première décennie de leur installation, ils sont soumis au dictât de Beugré, un géant qui les dépossède constamment de leur gibier. A l’issue d’une révolte collective il est tué. Le village est pacifié et l’ordre est rétabli. Les villageois peuvent jouir librement de vastes étendues de terres.

Abobo Doumé

I

Le nom Abobo Doumé vient des mots Agbongon Doumé, une révision du nom d’origine Nonkoua Gbongbon qui signifie plusieurs bagages. Les Ebrié de cette zone ont un lien fraternel avec ceux d’Abobo Baoulé. Ils ont été conduits à leur territoire actuel à l’issu du même conflit « partage de poisson ». Ayant une histoire commune avec l’ensemble des Nonkoua^ ils se sont installés aux abords de la lagune ébrié vers 1800 en vue d’exercer en toute quiétude l’activité de

64 pêche. Dès leur arrivée sur ce site, ils ont bénéficié de l’hospitalité des Bidjan de Santé. Ceux-ci n’ont pas hésité à mettre à leur disposition des terres pour l’habitation et les activités agraires. Sous l’impulsion de leur guide charismatique N’Tché Tchepau Mandan, ils bâtissent leur premier village. Ils s’adonnent à la pêche et à la culture du manioc, du tarot et de la banane ; desquelles activités, ils tirent leur subsistance.

Anono

Anono est dérivé de l’expression Ebrié anognon qui veut dire bien mûre. Cette nomination est liée à la prospérité de ce village dès sa création vers le milieu des années 1800. Au commencement, il regroupait les villages d’Akouedo et de blaukhaus. Ces villages formaient une unité composée de frères venus d’une même origine. La querelle qui sépare les Nonkoua a favorisé le déplacement des Tchaman sur les rives de lagune Ebrié. L’exploration d’un nouveau site pouvant les accueillir fut très éprouvante. Après des années d’effort, ils découvrent une terre fertile aux abords de la lagune. À cet endroit, tout ce qui était cultivé (manioc et igname) produisait beaucoup. La pêche rapportait de gros poissons. Ces facteurs conduisent unanimement les pionniers à conférer le nom Anognon à ce site. Peu après l’arrivée des colons, la structure sociale du gros village est fragilisée. Ceux qui ont découvert le territoire se taillent la part belle dans le partage des retombées du foncier. Les autres clans décident alors de conquérir leur propre territoire. Devenu Anono sous l’appellation de l’« homme blanc », le village se consolide autour de ses valeurs fondamentales, le Fatchwè (danse guerrière) et le Nana (l’ancien).

Anon

Anon est le nom d’un chasseur Akye qui décide de se séparer de ses frères. Réputé pour sa bravoure, ce dernier aimait les travaux champêtres auxquels il

65 s’adonnait avec passion. De bonne heure, il s’engage à ses activités champêtres qu’il achève au coucher du soleil. Ne disposant pas souvent de temps pour retourner au village (Djrogobité), il fonde son campement vers le milieu des années 1900. Le refuge de ce dernier devient le centre d’intérêt de certains villageois. Ils y trouvent à chaque fois de la nourriture, des vivres et du repos. Ceux-ci décident d’y habiter avec leur famille, car il y faisait bon vivre. Le toit du vieux Anon est devenu un village. Dans cette localité, la vie socioculturelle tire toujours son fondement du village d’origine. De nos jours, Anon et Djrogobité sont devenus le même village. Ainsi, toute référence au village de Djrogobité dans notre étude implique également le village d’Anon.

Anonkoua kouté

Anonkoua Kouté est une expression composée de deux noms Nonkoua et Kouté. Ils désignent respectivement « bagage » et « village ». Déjà vers la fin du XVII'^ siècle les premiers Ebrié qui refusaient le protectorat des Abron Gyaman poursuivent leur exploration vers la forêt dense du Sud. Parmi ceux-ci figurait la fratrie des Nonkoua qui achèvent leur incursion sur les rives du fleuve Gbanco(le site actuel de la forêt du Banco). Peu après leur installation, ils accueillent successivement deux groupes de frères. Ensemble, ils forment un grand village autour de la rivière sacré Assoit (Abobo, l’actuel PKI8). La cohabitation harmonieuse des Nonkoua est soumise à une crise^^ qui les divise. Ils se séparent laissant sur place les « vrais propriétaires ». Ces derniers sont profondément attachés à leur territoire à cause du gibier et des poissons des eaux douces. Tapis dans la forêt, ils sont constamment troublés par des bruits étranges. Ils décident d’en découvrir la cause. C’est la construction du premier chemin de fer à quelques kilomètres du village. Ils perçoivent cet axe moderne comme une porte d’ouverture sur le monde. Ils rencontrent à ce lieu « l’homme blanc ». Avec qui

ÇOp.cit). l’histoire du partage du poisson.

66 ils initient les premiers trocs. A cause des opportunités d’échange dues à l’innovation, ils quittent leur premier site et s’installent à proximité de la voie ferrée (le site actuel du village). Anonkoua Kouté devient par la suite une plaque tournante où se retrouvent périodiquement l’ensemble des Nonkoua pour commercer^"*. Aussi, le village est une sorte de capitale politique où se réunissent chaque nouvel an toutes les localités de la fratrie Nonkoua.

Anoumanbo

Anoumanbo est issu du terme Abouré Attoumanba qui signifie la tanière des oiseaux. Le site actuel de ce village était le champ des Abouré de Bassam. Les Ebrié d’Anoumanbo sont installés au départ avec leurs frères de Locodjro. Jusqu’à la période coloniale, les Bidjan formaient un gros village sur le site actuel de la capitale économique de la Côte d’ivoire. Au lendemain des indépendances, des grands chantiers sont instaurés par l’État ivoirien. Parmi ceux-ci figure la construction du centre des Affaires. Le lieu désigné dans le plan directeur des études techniques de construction est le Plateaux où habitent les Bidjan. Alors, l’État propose aux villages un nouveau site localisé sur la rive Ouest de la lagune Ebrié (lieu actuel du village de Locodjro). Cette proposition est difficilement acceptée par les bidjan. A l’issu de plusieurs confrontations, ils sont contraints à s’y installer. L’environnement du nouveau village est peu apprécié par l’ensemble de la communauté. Ils décident de manière concertée de demander des terres à l’État en compensation des dommages subis. L’Etat accepte et leur attribue de nouveaux terrains. Les Tchado^^ choisissent d’aller à l’Est pour s’installer sur les

2^* Les sept villages (Abobo Baoulé, Abobo Doumé, Anono, Blaukhaus, Diopodoumé, Abya, Neko) partis à l’issue de la crise se retrouvent au village d’origine pour faire des trocs. Ils échangeaient les produits de pêche et de chasse. Ceux qui étaient partis apportaient du poisson et ceux qui étaient restés proposaient du gibier.

Les Tchado : sont l’une des familles constituant la fratrie des Bidjan. 11 y a sept grandes familles qui forment cette communauté (Godouman, Tchado, Gbado, Fiedoman, Lokoman, Akuedoman, Abromando).

67 nouvelles terres. Dès 1968, ils fondent Grétcha Sokro leur premier village. Le nom attribué au village est contesté par les Abouré de Bassam qui demandent en contrepartie de la cession de leurs terres qu’à Anoumanbo, le nom originel du site demeure. Par ailleurs, les Ebrié d’Anoumanbo s’adonnent à la pêche et à la culture du manioc avec laquelle ils produisent l’Attieké. L’accélération de l’urbanisation dans ces deux dernières décennies les oblige à l’abandon progressif de ces activités.

Akéikoi

Akéikoi est une reformulation de l’expression Akye Akéyi Koi qui signifie le village du père d’Aké. Vers la fin du XVIII^ siècle Anoma Akou, un résident du village d’Ayaman Awabo décide de se séparer des siens. Celui-ci est exacerbé par le décès de toutes ses progénitures dans ce village. Pour rompre la malédiction, il choisit de se séparer de son village natal. Sa conquête de la « terre promise » le

I conduit sur les rives de la Djibi. À cet endroit, il s’installe et bâtit un campement. Il refonde une nouvelle famille avec sa jeune épouse Akéi Chigè. Le couple donne naissance à un premier-né qu’il nomme Aké. Aussi, Réputé pour ses prouesses de guérisseur, il reçoit continuellement la visite de ses patients sur le nouveau site. Ceux-ci préfèrent vivre à proximité de leur bienfaiteur. En effet, ils redoutent que leur retour au village entraine une réapparition de la maladie. Ils bâtissent d’autres campements en ce lieu. En guise de remerciement, ils cultivent du manioc, de la banane et de l’igname pour leur hôte. Celui-ci met des parcelles à leur disposition pour la culture. Le campement du vieux prospère et devient Akéikoi.

Attécoubé village

Attécoubé est tributaire de la diction Ebrié Aüé koubè signifie le village à l’extrémité. Vers la fin du XVIII^ siècle les villageois de ce village vivent en

68 parfaite harmonie avec leur frère de Locodjro dans le « gros village du Plateau Cette cohabitation s’estompe à cause du « déplacement forcé des Bidjan sur le site actuel du village de Locodjro. Ce nouveau terrain est mal apprécié par les Lokoman qui le trouvent trop marécageux. Pour eux, l’humidité de ce lieu est la cause du Paludisme qui frappe impitoyablement la communauté depuis sa présence sur ce site. Dès les débuts des années 1960, ils migrent sur les hauts plateaux d’Adjamé (site de l’actuel institut d’hygiène public). Très tôt, ils quittent ce terrain. En ce lieu, ils sont constamment victimes de piqûres d’insectes nuisibles (puces et tiques) qui causent des morts en leur sein. Ils se concertent pour designer deux braves hommes Dompedan Benois et Mè Nicolas pour explorer des terres pouvant les héberger. Une semaine après les expéditions, ils découvrent un beau terrain situé sur une côte à l’abri de l’humidité (site actuel du village d’Attécoubé). Ce site est approuvé par l’ensemble de la communauté qui décide d’en faire désormais l’emplacement de leur nouveau village. À cet endroit, ils pratiquent la pêche, la culture du manioc, de l’igname et de la banane sur laquelle repose l’économie et la subsistance du village.

Béago

Le nom Béago vient du mot Ebrié Abiya qui signifie : huit. Le site actuel du village était à l’origine une presqu’île. A l’arrivée des premiers occupants en ce lieu, ils ont trouvé un génie qui résidait avec ses huit enfants. Et c’est pour exprimer l’occupation du site par ces génies que ceux-ci ont donné le nom Abiya qui par mutation donnera Bcago. La transcription de ce nom signifie le domaine du génie à huit enfants. Originaires de la fratrie des Songon, les fondateurs de ce village se détachent des siens vers la fin du XIX*^ siècle à cause de la pêche et de

Le village d’origine des Bidjan situé sur le site de l’actuelle commune du Plateau (XVIIf siècle- 1962).

Déplacement forcé. Voir l’histoire de l’expulsion des Bidjan sur le site du Plateau.

69 la lagune Ebrié qui constitue pour eux une protection naturelle contre toutes formes d’invasion.

Adjamé Bingerville

Adjamé Bingerville est un groupe nominal composé d’un terme Ebrié Adjamin qui signifie lieu de rencontre et d’un mot français Bingerville (commune du district d’Abidjan). Vers le milieu du XVIIf siècle les Akouè venus du Nord- est de la côte d’ivoire s’installent dans l’Agneby, là où ils vivaient en parfaite symbiose avec leurs frères Akye. Vers la fin des années 1900, des conflits fonciers les opposent aux Akye qui revendiquent le droit de propriété de l’ensemble des terres de la région. Les Akouè qui se sentent isolés quittent la zone pour se diriger vers la lagune Ebrié. En 1907, ils bâtissent leur premier village. Le village regroupe sept grandes familles. Avec l’arrivée des colons, les familles vont se disperser pour laisser sur place les aînés. Le village de Goto sera abandonné pour le site actuel du nouveau village. Comme l’indique son nom le village est un pôle de rassemblement où se retrouve chaque année l’ensemble des familles de la fratrie Akouè. Bordé à l’Ouest par la lagune ébrié, le village a pour activité principale la pêche. Aussi, on y trouve la culture du manioc et de l’igname.

Djrogobité

Djrogobité est un nom Ebrié composé de deux mots Djrogo et Bité. Il signifie le village de Djrogo. Ce territoire est une propriété Ebrié habitée par des Akye. Les conflits communautaires dans la région d’Alépé et d’Azopé conduisent une frange du groupe Akye à quitter ces zones pour Abobo dans les années 1960. Les sept campements (Achi Brou, Anon, Kindia, Aby, Aké N’Bopkè, Seka, Kobo)

“^Conflits communautaires : rejet de personnes accusées de sorcellerie, partage de terres et revendication identitaire.

70 furent dans l’obligation d’arrêter leurs avancées dans cette zone déjà occupée par les Ebrié. Ils furent reçus par les villageois d’Abobo Doumé qui ont mis à leur disposition des terres pour qu’ils y habitent. Par redevance à cette hospitalité, ils cultivent du manioc et la banane pour leur hôte dans la première décennie de leur installation. Au vue de cet acte de gratitude les Ebrié leur concèdent encore des terres. Bien que Djrogobité fut à l’origine un territoire des Ebrié, ces occupants actuels font preuve d’un conservatisme remarquable. Chaque année, ils se rendent dans leurs villages d’origine (Adzopé et Alépé) pour célébrer la fête de génération. Aussi, pour l’intronisation de leurs chefs, ils reçoivent une délégation des autorités coutumières de leurs villages d’origine.

Locodjro

Locodjro est un nom Ebrié qui est dérivé de Lokoman, une famille de la 1 fratrie des Bidjan. Venus de la Goal Coast (l’actuel Ghana) à cause du conflit Akan , les Bidjan, un sous-groupe Tchaman, suivent la grande vague d’immigration de ce groupe ethnique sur le territoire voisin de la Côte d’ivoire. Ils occupent TEst déjà conquis par les Abron. Le protectorat que leur offre ces derniers menace leur autonomie. Alors, vers la fin du XVir siècle, les Bidjan choisissent de mener une incursion vers le Sud-ouest. Ils stagnent à l’issue de leur rencontre avec les Odjoukrou et les Dida. Ils bénéficient d’une hospitalité auprès de ces derniers. Ils se sentent épanouis à cause de la similarité de certains traits TO culturels qu’ils jugent comme semblable aux leurs. Très tôt, des querelles éclatent entre les Bété et Odjoukrou. Les nouveaux venus (Odjoukrou et Bidjan) sont repoussés des terres Krou. Les Bidjan font une descente sur le littoral. Là, ils

Conflit Akan : guerre entre peuple Akan et Ashanti vers le milieu du XVf siècle en Goal Coast à cause de la grande migration du peuple Akan au XVIf siècle (la légende de la reine Abla Pokou).

Querelle Bété -Odjoukrou : une bagarre au cours de laquelle VOdjoukrou tue un Bété. En représailles, les Bété choisissent de chasser les Odjoukrou de leurs terres.

71 s’installent sur les rives de l’Agneby. Ils partagent cette zone avec les Atoutou (Ahizi), Avikam et les Odjoukrou. Ils sont constamment en conclave avec ceux-ci qui les accusent d’empiéter volontairement sur leurs aires de pêche. Désormais perçus par les autres groupes de la région comme des hommes sans scrupule, ils sont désignés sous l’appellation ^'ébri alo qui signifie les hommes aux cœurs noirs. C’est de ces termes que provient le nom Ebrié sous lequel est désigné actuellement le groupe Tchaman. Les Bidjan refusent de voir leur passion pour la pêche compromise par ces restrictions. Ils choisissent alors de chercher une eau qui leur appartiendrait exclusivement sur laquelle ils pourront pratiquer la pêche à leur guise. Vers le milieu du XVIII^ siècle, ils s’installent aux abords de la lagune Ebrié sur le site actuel de la commune du Plateau. Dès l’entame des années 1960, ils sont forcés de quitter ce site pour Locodjro. En ce lieu, les Bidjan se dispersent et laissent sur place les aînés du groupe. La communauté bâtit le village actuel de Locodjro et poursuit ses activités de pêche. Elle s’adonne également à la culture du manioc, de la banane et de l’igname essentiellement pour la consommation locale. Malheureusement, sous la pression de la ville, même la pratique de ces activités économiques de base s’est estompée.

III.3.3. Structures et équipements sociocommunautaires

Abobo Baoulé

Abobo Baoulé est un village aux allures d’une cité moderne. L’habitat est de type moderne et se décompose en villas basses construction, villas de types duplex, de maisons à cours individuelles et de maisons à cours communes. Elles constituent le mode de logement le plus évolué et sont l’œuvre de cadres moyens et supérieurs, d’associations de gestion du foncier familial, de chefs de familles et de la chefferie. Les voies d’accès du village sont toutes bitumées, équipées et éclairées. Cependant, elles permettent la desserte du village par des moyens de transport que

72 sont les taxis et les taxis communaux « woro-woro » (interdiction de circuler dans le village). L’alimentation en eau potable y est assurée permettant ainsi des branchements individuels. Le réseau est géré selon un mode d’abonnement individuel. Le village dispose d’un bâtiment, symbole de la chefferie d’Abobo Baoulé «le palais de l’unité», deux écoles primaires de douze (12) classes (Abobo Baoulé I et Abobo Baoulé II), des lieux de cultes y sont également implantés. On peut citer entre autres : l’Église Méthodiste unie et l’Église Catholique. Les petits services sociocommunautaires et privés notamment les boutiques, maquis, kiosques et un marché y sont implantés.

Abobo Doumé

Le village d’Abobo Doumé regroupe des habitats de type moderne. Nous y trouvons en grand nombre des maisons à cours communes et quelques maisons à cours individuels. Ces concessions datent en majorité des années post­ indépendances et représentent l’héritage d’une population jeune au chômage. Les voies d’accès lagunaires et terrestres non bitumées pour la plupart sont sous équipées et éclairées. Elles permettent de rallier les quartiers et le village aux communes. On y trouve de l’eau potable distribuée par abonnement individuel, des branchements privés d’électricité et l’éclairage public. Le village dispose d’une école primaire publique de six (06) classes. Plusieurs petits services sociocommunautaires et privés tels que les magasins, les maquis, les kiosques et marché animent le quotidien des populations. Les affaires courantes du village sont examinées aux centres sociocommunautaires « foyer des jeunes » siège du pouvoir coutumier d’Abobo Doumé.

73 Anono

Dans le village d’Anono, nous rencontrons deux types de maisons. Les premières ont vu le jour dans les années post-indépendances surtout à la période du miracle ivoirien^* les autres dans les années 1990. Aussi, faut-il recenser quelques constructions plus récentes réalisées depuis l’an 2000. Ces habitations sont constituées de maisons à cours communes et à cours individuelles. Parmi lesquelles on énumère quelques villas et duplex. Ces logements sont la propriété d’ouvriers, de techniciens, cadres, chefs de famille et membres de chefferies. Le nouveau palais de la chefferie abrite les activités du pouvoir coutumier. Le village est traversé par une route principale bitumée et des ruelles secondaires non bitumées. L’ensemble de ces voies d’accès ne sont pas équipées et éclairées. L’adduction en eau potable y est pourvue de sorte que chaque logement en bénéficie. À l’instar de l’eau, il y a l’électricité par mode d’abonnement individuel. Le village dispose de deux (02) écoles primaires publiques. Des lieux de cultes y sont implantés. On peut citer entre autres les Églises Méthodiste unie. Catholique

I et Haris. Les petits services sociocommunautaires et privés y sont implantés : magasins, boutiques, les maquis, les kiosques et un marché de vivriers.

Anon

Anon est bâti sur un ensemble de concessions en banco parsemé de quelques maisons en dur. Les habitats en banco de forme carrée constituent le mode de logement le plus évolué et sont le propre de la communauté villageoise. Les quelques maisons de type moderne sont l’œuvre de certains cadres, des chefs

’’ Miracle ivoirien : dans les années 1970, l’État ivoirien inaugure une ère de prospérité économique au cours de laquelle l’État réalise l’essentiel de son patrimoine foncier. Il est aussi la situation par laquelle les villages périurbains marquent une rupture avec les constructions en banco pour les concessions modernes.

74 de villages et des chefs de famille. Toutes les voies d’accès du village et aux communes en périphéries ne sont pas bitumées et éclairées. Le village n’est pas alimenté en eau potable. Il n’existe pas aussi de réseaux électriques. On y découvre une petite école de six (06) classes en construction.

Anonkoua Kouté

Dans le village d’Anonkoua kouté, le logement est typiquement moderne et se repartit en habitats sur cour commune, en maisons individuelles et villas. Les villas ne sont pas en grande quantité. Construites en majorité dans les années 1980, ces maisons constituent le mode de logement en vogue et sont l’œuvre de cadres moyens et supérieurs travaillant en ville, de chefs de famille, de chefs du village et citoyens ordinaires du village. Les voies d’accès du village aux quartiers périphériques (Sagbé et PKI 8) ne sont pas bitumées mais drainées et en bon état. Toutes les rues du village sont électrifiées et éclairées. L’alimentation est assurée en eau potable et permet d’assurer un approvisionnement des foyers. En plus de l’eau, le réseau électrique du village permet un branchement individuel. Le village dispose de deux grandes écoles primaires publiques de douze (12) classes chacune. La dotation du village en équipements éducatifs répond au souci d’inverser la tendance locale de faible scolarisation des enfants en âge d’aller à l’école. Des lieux de culte y sont implantés. On peut citer entre autres : l’Église Catholique et l’Église Méthodiste. Les petits services sociocommunautaires et privés sont implantés notamment les boutiques, maquis et marchés sont situés à l’entrée et aux extrémités du village.

Anoumanbo

Anoumanbo est un village à mode de construction de logements modernes. Toutes les concessions sont composées de plusieurs maisons à cours

75 communes et de quelques villas et duplex. Ces logements ont généralement été construits entre 1970 et 1980. Après cette période, on observe une forte baisse de construction de logements de 1990 à 2000. Depuis 2000, on observe une absence de nouvelles constructions. Les villas et duplex sont la propriété des cadres, émigrés, chefs de famille et membres des chefferies. Seule la voie principale qui borde le village est bitumée. À l’intérieur on découvre plusieurs ruelles et routes non bitumées. Les voies d’accès principales bénéficient d’un éclairage public. Le réseau électrique de bonne qualité assure aux foyers la possibilité d’un branchement individuel. En plus du réseau électrique, Anoumanbo jouit d’un approvisionnement en eau potable selon un mode d’abonnement personnel. Le village dispose d’une école primaire publique faiblement fréquentée par les enfants du village en âge d’aller à l’école (7 ans et plus). Des lieux de cultes y sont implantés. On peut mentionner entre autres : l’Église Méthodiste unie et l’Église Catholique. Des petits services sociocommunautaires et privés y sont implantés : marché, boutiques, kiosques et maquis.

Akéikoi

Akéikoi est bâti selon des constructions de maisons de type moderne. Parmi celles-ci, on trouve quelques cases servant d’habitats, de cuisines et de buanderies. Les logements en dur sont des villas et maisons à cours communes. Ceux-ci constituent le mode de construction le plus évolué et sont l’œuvre de cadres, d’émigrés et de familles. La voie principale qui mène au village est drainée et non bitumée. Les autres ruelles sont mal entretenues et recouvertes d’herbes. Néanmoins, elles permettent la desserte du village par les moyens de transport que sont les mini-cars et les taxis communaux. L’alimentation en eau potable y est assurée permettant ainsi des branchements individuels. A l’instar du réseau d’eau, Akéikoi bénéficie d’un branchement d’électricité et d’éclairage public.

76 Le village abrite une école primaire publique de six (06) classes où sont en poste actuellement six (06) instituteurs. L’Église méthodiste unie et catholique sont les deux lieux de culte du village. Le seul édifice sociocommunautaire est le marché du village qui s’ouvre périodiquement chaque lundi et vendredi.

Attécoubé village

Dans le village d’Attécoubé, nous remarquons une rupture du style de construction des maisons avec le traditionnel. L’habitat bâtit en dur exprime la tendance architecturale des années 1970. Le village regroupe des maisons à cour ouverte et des villas. Ces concessions représentent un héritage foncier mal entretenu par la jeune génération. Elles sont l’œuvre des premiers fonctionnaires, techniciens et ouvriers de la côte d’ivoire indépendante. Toutes les voies d’accès du village sont bitumées et éclairées. Le réseau d’électricité qu’on trouve comprend l’éclairage des voies publiques et l’alimentation des foyers. L’adduction en eau potable y est pourvue. Le village dispose d’une école primaire publique. Aussi on y trouve des lieux de cultes de l’Église Méthodiste unie et de l’Église Catholique. Les deux bâtiments se distinguent des autres par leurs aspects soigneux. Vieillissants, les deux (02) édifices sont en phase de substitution avec de nouvelles constructions encore plus belles. Les petits services sociocommunautaires et privés y sont établis tel que les boutiques, les kiosques, les maquis et un marché.

Béago

Béago regroupe des habitats de type moderne et se décompose en logement sur cour commune, en habitat en maison individuelle et en villas. Les villas ne sont pas en grande quantité. Elles constituent le mode de logement aux allures imposantes. Ces demeures exceptionnelles sont l’œuvre de cadres moyens et supérieurs travaillant en ville, de chefs de famille et de membres de chefferies.

77 Les voies d’accès du village aux quartiers et villages périphériques (Sidéci, Kouté-village, Azito) ne sont pas équipées et éclairées. Cependant, elles permettent la desserte du village par des moyens de transport que sont les taxis ville et les taxis communaux « woro woro ». L’alimentation en eau portable y est assurée permettant ainsi des branchements individuels. Hors mis le réseau d’eau, Béago bénéficie d’un branchement d’électricité et d’éclairage public. Le réseau d’électricité est géré selon un mode d’abonnement individuel. Le village possède une école primaire publique de six (06) classes où sont en poste actuellement 06 instituteurs. A travers le PAM, cette école dispose d’une cantine scolaire. La dotation du village en équipements éducatifs répond au souci de rapprocher l’instruction des enfants du village en âge d’aller à l’école. Des lieux de culte y sont implantés. On peut citer entre autres l’Église Méthodiste unie et l’Église Catholique. Les petits services sociocommunautaires et privés notamment les boutiques, maquis, kiosques et un marché y sont implantés.

Adjamé Bingerville

Adjamé Bingerville est classé parmi les villages à habitat moderne. Les premières constructions sont réalisées dans l’ère de la prospérité économique de la Côte d’ivoire. Ces logements sont des villas à cour ouverte. Ceux-ci sont l’œuvre des premiers agents de l’État. Depuis les années 1990, les chantiers de construction de logement s’estompent, mais on assiste à quelques rares réalisations de maisons avec une architecture plus innovante. Ces propriétés sont des villas et des maisons à cour individuelle. Elles appartiennent à des cadres, des chefs de famille, des membres de chefferies et d’opérateurs économiques. La voirie est drainée et recouverte de graviers de couleur rougeâtre. La rue principale est celle qui relie le village au centre-ville aux moyens de minis cars appelés « Gbaka ». Des rues auxiliaires permettent une accessibilité aisée à toutes les zones du village. L’alimentation en eau potable y est assurée offrant ainsi la

78 possibilité des branchements individuels par abonnement. Adjamé Bingerville bénéficie d’un réseau électrique à éclairage public et branchement individuel. Le village abrite une école de six (06) classes. De plus, elle vient de jouir d’un hôpital communautaire tout équipé qui est un don la première dame, madame DOMINIQUE OUATTARA. La présence de ce complexe sanitaire vient mettre fin au problème d’accès au système de santé de proximité. Des lieux de culte sont implantés. On peut citer à titre indicatif l’Église méthodiste unie et l’Église catholique.

Djrogobité Djrogobité est un village en pleine expansion dans lequel il existe un contraste de l’habitat de type traditionnel en banco et moderne en briques de ciment. Les premières maisons en dur apparaissent dès les années 1980. Ces logements à cour ouverte sont l’œuvre de quelques agents de l’État, techniciens d’usines du secteur de production privé et des membres des chefferies. Néanmoins, depuis 2002, quelques grands chantiers ont permis l’implantation de duplex et villas au compte de certains chefs de famille et membres des chefferies. Nous assistons à une absence de voies d’accès réelles au village. Celles tracées sont réalisées par le MCUA dans le cadre des chantiers de viabilisation des terrains de Djrogobité. A l’instar de ces grandes routes, le village est parsemé de pistes recouvertes d’herbes et mal entretenues. Il n’y a pas d’adduction d‘eau potable et le réseau électrique est situé à 2 kilomètres du village. Le village dispose d’une école primaire publique de six (06) classes. Deux lieux de culte y sont implantés celui de l’Église Méthodiste unie et de l’Église Catholique. Le marché du village est le seul service communautaire.

Locodjro

Dans le village de Locodjro, l’habitat se présente sous un aspect architectural régulier constitué de maisons à cour commune et à cour individuelle.

79 Les constructions de type moderne comprennent également quelques villas et duplex. Elles représentent le mode de logement le plus évolué et sont la propriété de cadres moyens et supérieurs, de chefs de famille et de membres de chefferies. Le village est traversé par la voie principale bitumée qui le relie au village d’Abobo Doumé et à la commune de Yopougon. Les voies secondaires non bitumées permettent le parcours des différents quartiers du village. Des embarcations relient le village à la commune du plateau par la lagune Ebrié. L’alimentation en eau y est assurée, offrant ainsi des branchements individuels. De même, Locodjro profite d’un réseau électrique qui assure l’éclairage public et le branchement individuel par mode d’abonnement. Deux écoles primaires publiques assurent la formation des enfants en âge d’y aller. On y trouve également une garderie d’enfants assurant la formation préscolaire. Des lieux de cultes y sont bâtis. On peut citer entre autres l’Église Méthodiste unie et l’Église Catholique. Des petits services sociocommunautaires et privés notamment les boutiques, maquis, kiosques et marchés y sont implantés.

I III.3.4. Les activités des populations

Dans les villages étudiés, on observe une mutation de l’activité économique due à la poussée de l’urbanisation et à la pression démographique. De la pratique des activités de pêche et d’agriculture pour la subsistance et l’économie de la communauté, on assiste actuellement à une primauté économique dévolue à l’activité de marchandisation des terrains. La terre est devenue la première source de revenue économique dans les villages. Les villageois présentent une volonté d’œuvrer pour la bonne maîtrise du foncier. Mais, n’ayant pas une activité à revenu régulier, ils sont dans l’obligation de marchander leurs ultimes biens (terres). Cependant, d’autres activités sont pratiquées par quelques villageois dans le secteur informel (pêche et production d’attiéké) et les emplois salariés. De ce fait, certains s’intéressent à des domaines tels que les bâtiments et les travaux publics

80 qui les emploient comme maçons, charpentiers, tâcherons. Les populations instruites ou qualifiées dans un domaine ont trouvé de l’emploi en ville en tant qu’ouvriers spécialisés, qualifiés ou agents de bureau. Certains villageois du fait de leur environnement lagunaire et forestier pratiquent tant bien que mal la pêche (consommation rare) et l’agriculture (sur aire réduite). L’équipement technique de pêche comprend une pirogue à rames creusées dans le tronc léger d’un arbre, un épervier, une canne à pêche et un hameçon. Cet arsenal permet de capturer des espèces variées de poissons qui peuplent la lagune. Le produit de cette pêche est, en majorité séché ou fumé pour être consommé sur place. La présence de certaines communautés de pêcheurs ghanéens corrobore la situation de réduction du bien foncier. Ceux-ci s’adonnent à l’activité de pêche essentiellement orientée vers la vente. Si la pêche est essentiellement réservée aux hommes, la production d’attiéké par contre est du ressort des femmes. C’est un produit alimentaire obtenu à partir des racines de manioc. Il se présente comme le couscous nord-africain, léger avec des grains détachables. Sa cuisson se fait de façon artisanale . Ces produits dans les villages étudiés se présentent sous trois (03) formes : -l’attiéké à petits grains appelé « sable » -l’attiéké à grains moyens ou attiéké commercial, -l’attiéké à gros grains appelé « agbodjaman ». Une petite quantité est réservée à la consommation familiale, par contre la plus grande partie est destinée à la vente. L’attiéké est vendu directement sur le lieu de production et sur les marchés locaux environnants. Les revenus de la vente sont gérés par la femme au profit de l’ensemble de la famille évitant aux hommes de subvenir seuls aux charges. Cette source de revenus assure souvent l’autonomie financière de certains foyers où l’homme est au chômage.

Dongo Kouamé Dominique, 2001, la consommation du manioc dans les ménages de Bouaké, Université de Bouaké, Département d’Anthropologie et de Sociologie, mémoire de DEA.

81 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Notes sur les questions théoriques, méthodologiques et champ d’enquête

Elles portent sur trois plans. Au plan des questions théoriques, il permet en effet d’énoncer le sens donné aux concepts utilisés. Il a pour vocation d’assurer une compréhensibilité du texte tout en permettant une articulation entre les différentes parties, de manière à faire du travail une composition cohérente, permettant ainsi une explication pertinente des données recueillies. Au plan des questions méthodologique, nous avons pris en compte les données recueillies à l’issue de nos différentes périodes d’enquête quand bien même que celles-ci se sont avérées souvent peu crédibles. Il est important de rappeler qu’il n’y avait pas d’états officiels sur le recensement général de la population (RGPH de l’INS), listes d’une catégorisation des conflits fonciers liée à la marchandisation ni de registres où ces derniers auraient été consignés. Il a donc fallu faire le dénombrement de la population. Il faut aussi souligner que ce qui a fait l’objet du travail se sont les pratiques foncières historiques et actuelles des autochtones, c’est une démarche ethnographique. En conséquence, la crainte de la révélation d’informations délicates a fortement affecté la taille des enquêtés. C’est en général ceux qui se sentaient défavorisés par le système foncier existant qui étaient les premiers à répondre à nos impératifs d’enquête. C’est aussi la disponibilité de ces derniers qui a consolidé notre dispositif méthodologique. Au plan du champ d’enquête, Abidjan est la capitale économique de l’État de Côte d’ivoire. Aussi, terroir des Tchaman ou Ebrié d’Abidjan, elle a connu une mutation foncière accentuée durant ces deux dernières décennies. L’urbanisation s’est accrue en repoussant les terres coutumières jusqu'à la périphérie des grands centres urbains.

82 DEUXIÈME PARTIE : APPROFONDISSEMENT HISTORIQUE DES PROBLÉMATIQUES SOCIALES, POLITIQUES, ÉCONOMIQUES ET DE LA GESTION COUTUMIÈRE DU FONCIER

83 Cette première se repartit comme suit : -Premier axe : origines sociopolitiques, culturelles, économiques des pratiques contemporaines du terroir et mutation de la gestion du foncier chez les Ebrié I -Deuxième axe : actualisation de la gestion du foncier -Troisième axe : conflits fonciers : origines et modes (locaux) de gestion

84 INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE

Esquisse du contexte socio-économique, politique, historique et diachronique du foncier Ebrié

Jusqu’en 1980, les autochtones pouvaient se prévaloir d’exercer une régulation du foncier respectueuse de leur uses et coutumes. Mais, depuis 1990, les dynamiques urbaines, démographiques, économiques et sociales ont provoqué de sérieuses perturbations du système foncier des Ebrié d’Abidjan. Aussi, présenterons-nous les populations et leurs organisations socio -politiques et foncières, le rapport entre les stratégies de régulation du foncier des autochtones et les mutations qu’à l’espace du village, la genèse du rapport conflictuel entre ainés et cadets sociaux et l’actualisation du foncier dans les localités étudiées. Il sera question de la configuration contemporaine du terroir. Précisément, nous évoquerons les règlementations, la typologie des terres locales, les acteurs, le processus de marchandisation et la marchandisation imparfaite.

85 CHAPITRE PREMIER : ORGINES SOCIOPOLITIQUES, CULTURELLES, ÉCONOMIQUES DES PRATIQUES COMTEMPORAINES DU TERROIR ET MUTATION DE LA GESTION DU FONCIER CHEZ LES EBRIÉ

Bien que notre étude côtoie deux communautés différentes (Akyé et Ebrié), l’organisation dont il s’agit ici est celle des Ebrié. Ce choix se justifie par le fait que, les villages d’Akéikoi et Djrogobité, depuis leur implantation sur les terres des Tchaman, se sont accoutumés aux traits culturels Ebrié. L’organisation socio- politique des villages Akye de notre zone d’étude est calquée sur le mode Ebrié.

II.1. Organisation sociale

Les Ebrié ont adopté la division en sept clans matrilinéaires propre aux Akan et en ont un huitième. Les membres d’un même clan sont tenus par une responsabilité obligatoire. Chaque clan a un doyen {Nandii boroko). Il est chargé de régler les conflits entre les membres du clan, gérer le trésor commun et conduire les cérémonies rituelles. Le village Ebrié vénère son patriarche, doyen d’âge (Nana} désigné par le conseil des anciens qui assurent des charges religieuses, surtout lors des grandes fêtes. Les Ebrié se distinguent par la classe d’âge à laquelle ils appartiennent.

11.1.1. La classe d’âge

Elle est une institution économique, politique et militaire qui associe les individus de même tranche d’âge. Les étrangers en sont exclus. La constitution de celle-ci est conditionnée par des rites de passage appelés « initiation ». L’initiation prend la forme d’épreuves physiques. Elle est aussi liée à une formation morale, politique, artistique et économique. Les Ebrié possèdent quatre (04) classes

86 d’âge : Dougbo, Tchagba, Blessoué, Gnando. Les classes d’âge sont constituées des hommes et des femmes. Néanmoins, les femmes jouent un rôle secondaire. Elles sont affectées aux travaux de ménages et agricoles. Elles n’interviennent pas dans les affaires courantes du village. A contrario, ce sont les hommes qui gèrent la vie politique, économique et sociale du terroir. Une durée invariable sépare deux classes d’âge voisines. Elle est de seize ans et à l’issue de ce temps une nouvelle classe d’âge est formée. Le cycle est donc de soixante-quatre (64) ans. Chaque classe d’âge reçoit une dénomination spécifique. Vieillards, Hommes mûrs. Guerriers. Les guerriers ont entre trente-deux (32) et quarante et huit (48) ans, les hommes mûrs sont âgés de quarante et huit (48) à soixante-quatre (64) ans, les vieillards de 64 ans et plus. Le cycle des classes d’âge est réglé suivant un protocole rigoureux grâce auquel la société procède à un perpétuel renouvellement des hommes. Ceux qui ont accompli le cycle complet des classes d’âge quittent la vie publique pour permettre la construction d’une nouvelle vague qui prend le même nom. La classe d’âge d’un individu dépend de celle de son père, car père et fils sont séparés par une classe d’âge intermédiaire. À chacune d’elle est assigné un rôle collectivement assumé. Au cours de son existence, la classe d’âge entière change de rôle en même temps qu’elle gravit les différents échelons. L’appartenance à une classe d’âge implique la stricte observance d’un devoir de scolarité, de discipline et de fidélité. Au sein de chaque promotion, l’égalité théorique est altérée par la solidarité de discipline et de fidélité. Au sein de chaque promotion l’égalité théorique est altérée par une hiérarchie entre aînés, puînés, cadets et benjamins et par la désignation de responsables chargés d’en assurer la conduite. Les classes d’âge sont-elles même divisées en sous-classes d’âge.

11.1.2. Les sous-classes d’âge

Elles sont subdivisées en quatre (04) (dans l’ordre croissant) : Djéou, Dongba, Agban, Assoukrou. Si le droit d’aînesse ne joue pas à l’intérieur d’une

87 classe, il se révèle dans les rapports entre les différentes sous-classes d’âge. Un jeu de soutien et de rivalité allie ou sépare les membres de la société en fonction de la classe d’âge à laquelle ils appartiennent. Deux classes ou sous classes qui se suivent sont rivales. Deux classes ou sous-classes séparées par une intermédiaire sont liées par la solidarité. Chaque classe est dirigée par un chef toujours choisi parmi les Djéou. Il transmet à son groupe, dont il est le porte-parole, les instructions relatives aux travaux d’intérêt communautaire. Le chef est secondé par un Taprognan, chef de guerre désigné par les membres de la classe immédiatement supérieure, pour sa virilité, sa beauté et ses talents de danseur. La classe d’âge possède aussi un Ako, financier retenu par les aînés. Il assure la tutelle économique et juridique de la classe d’âge qui l’a élue. Il est par conséquent un homme riche, de préférence qui a satisfait au rite de Vlndibatcha. Celui-ci, après avoir informé le patriarche, organise la cérémonie. Celle-ci consiste à exposer, pendant une journée sur la place publique, les bijoux (en or massif à restaurer et à abreuver toute la société). A la fin du rituel, les bijoux deviennent la propriété du clan et le candidat prend le nom de Brimbi (celui qui a sorti l’or).

II.1.3. Organisation politique

Le système politique des Ebrié est de type démocratique avec l’ensemble d’une représentation égalitaire des lignages et des classes d’âge, d’une participation égale des citoyens de sexe masculin à la décision. L’instruction des classes d’âge conduit à un exercice collégial du pouvoir. Cette collégialité est manifestée au sein des classes d’âge et dans leurs relations entre elles. Le groupe d’âge est solidaire et identifié au pouvoir qu’il exerce pendant un temps limité et invariable. Dans le village, le Nana ou doyen d’âge occupe la position la plus élevée dans la hiérarchie. Il joue un rôle important dans le domaine religieux.

88 La direction politique est assurée par la classe d’âge parvenue au stade « d’hommes murs ». Actuellement c’est la classe d’âge Dougbo qui est au pouvoir dans les villages étudiés. Le chef de village ou Akoubé-oté est choisi au sein du groupe des hommes mûrs par ses compagnons de classe d’âge. Le choix est ensuite soumis à l’approbation du Nana. Celui-ci gouverne le village avec l’aide d’un conseil formé par cinq porte-paroles ou porte-cannes de sa génération. Le Brimbi jouit d’une réelle considération du fait de sa richesse. Il est écouté quand il prend la parole en conseil et est consulté par le chef de village pour toutes les décisions. Les porte-cannes ou Kpomama sont choisis en fonction de leur franchise et de leur connaissance de la coutume. Ils assurent la fonction de porte-parole du Nana et de l’Akoubé-oté et ils transmettent les décisions du conseil aux chefs des classes inférieures pour exécution. Actuellement, dans les villages Ebrié, la tendance est au choix des chefs instruits. Car la chefferie n’est plus un simple poste coutumier, mais elle compte des enjeux stratégiques. En tant que structure habilitée à défendre les intérêts des populations tant au niveau des villages qu’au niveau de l’État, elle doit être capable de faire une analyse claire des contextes villageois et urbains.

II.1.4. Le mode de gestion du pouvoir foncier

Dans les villages étudiés, seules les classes d’âge Tchagba^ Blessoué, Dougbo et Gnando sont concernées par la gestion du pouvoir foncier. Le pouvoir foncier est décrit dans notre étude comme la caution sociale dont bénéficie chaque groupe social à une période déterminée pour réguler les biens et fonds communs (terrains, immobiliers et meubles) du village. La gestion du pouvoir foncier repose sur la tradition Ebrié. La prise du pouvoir foncier dans les localités se déroule selon un mode transmission cyclique. Cette régulation cyclique met en scène à tour de rôle les classes d’âge pendant quinze (15) à vingt (20) ans. La classe d’âge actuellement à l’exercice du pouvoir

89 foncier est celle des Dougbo. Elle est la représentation des aspirations locales d’une gestion maîtrisée du terroir. Le schéma ci-dessous nous donne plus de détails.

Schéma 01 ; l’ordre d’accession au pouvoir foncier des classes d’âge Ebrié

Source : nos enquêtes, Avril-Juin 2012

Explication du schéma

Les indices (1, 2, 3, 4) attribués à chaque classe d’âge correspondent à la position hiérarchique de celles-ci dans la gestion du pouvoir foncier. Nous retrouvons premièrement les Tchagba, ensuite les Blessoué, après les Gnando, enfin les Dougbo actuellement en exercice dans les différents villages. Chaque indicateur de sens dans l’arc circulaire désigne l’ordre de transmission du pouvoir d’une classe d’âge à une autre. Les indicateurs de sens verticaux qui lient directement les classes d’âge à la zone de pouvoir représentent le droit de celles- ci à réguler les terrains du village pendant le temps indiqué (15 à 20 ans).

90 II.1.5. Les classes d’âge et la division du travail foncier entre promotion

Dans ce tableau nous présenterons les classes d’âge et leur statut, les sous-classes d’âge et leur fonction.

Tableau n®7 : les classes d’âge, les sous-classes d’âge statut et fonctionnement

Les statuts Classes d’âge Sous classes d’âges Fonction

Djéou Assistant (élève) Junior cadet 1 Dougbo Dongba Chef du pouvoir exécutif Agban Membre du pouvoir exécutif Assoukrou

Djéou Conseiller (éducateur) Junior aîné 2 Gnando Dongba Chef du pouvoir consultatif Agban Membre du pouvoir consultatif Assoukrou

Djéou Assistant (élève) Senior cadet 3 Blessoué Dongba Chef du pouvoir exécutif Agban Membre du pouvoir Assoukrou

Djéou Conseiller (éducateur) Senior ainé 4 Tchagba Dongba Chef du pouvoir consultatif Agban Membre du pouvoir consultatif Assoukrou

Sources : nos enquêtes, Avril — Juin 2012

91 Explication du tableau

La division du travail chez les Ebrié se déroule au sein des classes d’âge. Elle procède par couplage de sorte que Tchagba et Blessoué forment un couple de fraternité, Dougbo et Gnando un autre. Ces couples de fraternité sont aussi des unités de travail. L’unité des seniors (Tchagba, Blessoué) et celle des cadets (Gnando, Dougbo) regroupent les sous-classes d’âge Djéou, Dongba, Agban et Assoukrou. Chaque couple de fraternité est constitué des aînés « hommes de pensées » et des cadets « hommes d’action ». Chaque classe qui parvient au pouvoir foncier constitue une unité complète et autonome. Les Dougbo actuellement au pouvoir foncier dans les villages forment une unité de direction responsable de l’éducation des jeunes de la génération Tchagba. C’est au cours des réunions que les dignitaires Dougbo transmettent à leurs cadets Tchagba le contenu des dossiers terriens(les lots du village, les actions engagées et les difficultés rencontrées). Ces formations sont essentiellement théoriques. Elles sont des aperçus des pratiques foncières du passé et du présent. Elles n’associent pas les Tchagba à la gestion proprement dite. Ils reçoivent en retour un rapport sommaire des terres communautaires nouvellement acquises et celles vendues. Cet apprentissage permet d’assurer la transmission des valeurs basiques nécessaire à l’exercice du pouvoir foncier. Chaque unité senior est donc chargée au cours de sa gestion du pouvoir de l’encadrement et de l’instruction des membres de l’unité juniors. Les Dougbo et les Tchagba ne constituent pas un couple de fraternité. Mais l’action menée par les Dougbo s’inscrit dans le fonctionnement cyclique du pouvoir chez les Tchaman. Le benjamin des cadets dans un couple de fraternité transmet les dossiers des affaires sociopolitiques et économiques aux aînés des seniors d’un couple de fraternité. Au sein du couple, les seniors ont une fonction de couple de fraternité. Bien que l’unité des aînés à la lourde responsabilité d’être l’organe réflexif de la conseiller (éducateur) et les juniors ont une fonction d’assistant (élève) dans la classe d’âge, le choix du chef du village ne s’opère pas en son sein. C’est de

92 l’unité des cadets qu’il est issu. C’est de celle-ci que l’on trouve les administrateurs de la vie politique et les gendarmes en charge de la sécurité des terres et des biens. En situation exceptionnelle de conflit foncier affectant la cohésion de l’unité de fraternité ; le recours aux autres classes et doyen d’âge (Nana) s’impose. Toutefois, leurs interventions se limitent à la médiation et aux compromis pouvant favoriser le maintien du ciment social. C’ est à travers ce processus que les communautés locales transmettent, la continuité des valeurs socio-culturelles dans l’exercice du pouvoir foncier.

11.1.6. Organisation foncière

La terre a un caractère sacré. Elle appartient aux ancêtres, mais aussi aux générations futures. La terre traditionnelle est donc inaliénable. Chaque village conserve ainsi jalousement son terroir qui est le cadre de ses activités politiques,

I juridiques économiques. On trouve sur celle-ci une superposition de droits : le droit d’usage et le droit d’exploitation. Le pouvoir du chef de terre a un fondement religieux. Il est dépositaire du patrimoine collectif transmis par les ancêtres. C’est lui le responsable de ce patrimoine indivisible et inaliénable. Il en assure les fonctions religieuses en officiant les rites, les sacrifices et les offrandes. Le chef de terre est chargé de la distribution des domaines de cultures et d’habitation aux différents lignages, de faire respecter les limites du terroir, de contrôler toutes les installations d’étrangers. L’exploitant n’est pas propriétaire au sens du code civil, c’est-à-dire qu’il n’a pas le droit de vendre ni de détruire. Il a seulement un droit d’usage sur le sol qui lui est coutumièrement acquis quelle que soit la durée de la jachère et se transmet de plein droit aux héritiers. Toutefois, c’est un droit de jouissance précaire qui peut lui être retiré si la terre est devenue inutile ou s’il est incapable de la mettre en valeur ou encore s’il n’a pas d’héritier.

93 En somme, la terre est une entité souveraine et donnée comme telle, elle n’est ni appropriable, ni aliénable. Mais de plus en plus, on assiste à un glissement de la souveraineté vers la propriété individuelle. La terre cesse donc d’appartenir à la collectivité en tant que telle.

IL1.7. Les mutations de la gestion du foncier chez les Ebrié

Nous présenterons dans cette rubrique les mutations foncières dans les localités, les aspects sociaux et économiques du foncier local, les règlements du terrain coutumier. Le lien entre la transformation de l’espace villageois et l’avènement de nouvelles pratiques foncières.

11.1.7.1. La transformation du foncier coutumier dans les localités

Le marché foncier dans les villages étudiés est marqué par deux époques majeures. La première période débute vers la fin du XIX® siècle et s’étend jusqu’à la période coloniale 1960. Elle symbolise l’ère d’abondance et de générosité foncière. Les Ebrié qui peuplaient les rives de la lagune Ebrié étaient isolés au sein d’une forêt dense de plus trois millions (3.000.000) d’hectares. Ces vastes étendues de terres vierges ont permis à chaque individu dans les villages de s’offrir dans la mesure de « ses capacités une propriété foncière. À cet effet, les individus les plus courageux avaient des dizaines d’hectares à leur actif. Sur ces espaces, ils cultivaient partiellement de l’igname, du manioc et de la banane. Les premières formes de marchandisation sont réalisées par les dons et les contredons. Les Akye recevaient de leur hôte Ebrié des terres pour l’implantation

” Ses capacités : à cette époque des individus marchaient dans la forêt pendant des jours pour délimiter leurs propriétés foncières. Les piqués étaient utilisés comme bornage pour sécuriser l’espace acquis.

94 et la culture. Ceux-ci à leur tour par reconnaissance accomplissaient des travaux champêtres à une période mensuelle ou annuelle pour leurs bienfaiteurs. La parole est le seul moyen d’échange entre l’offreur et le demandeur de terre. Le demandeur (individus ou communautés) qui avait besoin de terres introduisait une demande verbale adressée à l’offreur (villages ou villageois). La requête est immédiatement examinée par l’offreur qui délivre à son tour une réponse. La réponse en faveur du demandeur s’appuie sur les rapprochements culturels (village d’Abobo Baoulé et le village de Djrogobité), l’amitié, le mariage extracommunautaire et le « devoir de reconnaissance »?^ La réponse en défaveur du demandeur ne signifie pas une interdiction d’accès. Elle tient compte de l’asymétrie culturelle^^ et de l’opinion néfaste sur la personnalité du demandeur. En cas de refus, le demandeur peut bénéficier du droit d’occupation temporaire. Il a la possibilité d’user de la terre pour l’habitat et l’agriculture, mais peut être déguerpi sans condition par l’offreur. Cette période d’opulence va s’estomper avec l’avènement de l’indépendance en 1960. Dans la nouvelle république, la terre est la propriété exclusive de l’État avec l’arrêté présidentiel de 1961. Les autorités coutumières voient leur grande emprise sur le foncier s’évanouir. L’État planifie l’occupation de l’espace avec la création des pôles de développement. Les grands chantiers immobiliers dans la nouvelle capitale économique jettent les bases d’un comportement nouveau dans la régulation du terroir villageois. De nouvelles conventions foncières sont élaborées par les autorités coutumières dans les villages étudiés (les terres ne doivent pas être vendues, les terres doivent faire l’objet d’une gestion concertée, les terres ne peuvent être attribuées qu’à un individu originaire du village, les terres du village peuvent être arrachées à l’ayant droit en cas de vente, le conseil des anciens est l’unique détenteur du droit foncier coutumier). Le statut du foncier local change. On assiste à une

Devoir de reconnaissance : le don de terre pour gratifier un service rendu.

Possibilité de ressemblance des traits culturels entre l’offreur et le demandeur.

95 institutionnalisation des pratiques foncières dans les villages dans les années 1990. Aux comportements ostentatoires de dilapidation des terrains, se substituent des manœuvres locales de restriction d’accès au foncier. Ces nouvelles dispositions de sécurisation du terroir sont fortement éprouvées par la crise socio-économique qui sévit dans le pays. Pire sont les conditions de vie des villageois qui sont généralement opprimés par le chômage et le manque d’emploi. Ces derniers choisissent de combler cette disparité sociale avec la or marchandisation des terres héritées. Les échanges autour du foncier reposent sur l’argent. Les terrains sont cédés sous forme de propriété ou de vente dans les villages. Les bénéficiaires à leur tour versent une compensation financière aux vendeurs. L’animation du marché foncier est tributaire de l’urbanisation galopante (plus de 500.000 logements), de la croissance démographique (environ 5 millions d’habitants) et de « l’action révolutionnaire des cadets sociaux contre les méthodes de gestion du terroir des aînés. Ces déterminants contribuent d’une part à la déliquescence de la vie socio-économique et politique dans les localités étudiées. D’autre part, à la hausse des coûts de marchandisation des terres. Plus la demande est forte plus les prix fixés par les vendeurs de terrains augmentent. Il y a aussi d’autres facteurs d’amélioration ou de dépréciation des montants du foncier que sont le degré d’urbanisation (quartiers huppés) et la proximité aux centres administratifs et industriels ( la commune du plateau, de Treichville, de Koumassi, de Port Bouet et de yopougon).

Terres héritées : des familles ont réussi à préserver un grand nombre de lots au profit de la nouvelle génération. Aussi, l’État en reconnaissance du droit de propriété coutumier cède des terres aux villages situés dans l’agglomération Abidjanaise.

L’action révolutionnaire des cadets : les plus jeunes au sein des classes d’âge militent pour l’éviction des plus âgés en charge du foncier. Ils prétextent de l’illettrisme et du caractère acariâtre de la régulation du foncier des aînés.

96 11.1.7.2. Aspects sociaux du foncier local

La terre est exposée comme un bien commun dans les localités étudiées. Elle est d’abord le fondement spirituel créateur du village. Elle est aussi le témoin au commencement et à la fin de toute vie. Elle est aussi la mère nourricière du groupe social. Ne pouvant plus assumer la totalité de ces fonctions, les villageois lui ont assignée une nouvelle tâche. Elle symbolise l’intégration de l’individu à son groupe identitaire. Chaque membre d’une classe d’âge (Tchagba, Blessoué, Gnando, Dougbo) qui parvient au stade d’homme mûr bénéficie du droit de propriété foncier. Cette gratification sociale se solde par une attribution d’un lot (600 à 1200 m ) en nature à l’ayant droit. Le foncier est dans les villages étudiés un facteur d’ascension sociale. Ceux qui en possèdent assument les fonctions sociopolitiques du village. Le terroir est aussi le symbole du pouvoir dans les différentes familles. Ce pouvoir est incarné par les chefs de famille dans les localités. Ceux-ci sont issus du groupe des aînés sociaux (Gnando et Dougbo). Les Gnando (le plus âgé) sont majoritaires dans l’exercice du rôle du chef de famille. Ils sont associés doublement à la régulation foncière dans la communauté villageoise et dans la cellule familiale. Le chef de famille est le garant de l’unité familiale. C’est autour de lui que se réunissent les autres hommes mûrs^^ pour planifier les affaires foncières (le partage des terres, des projets immobiliers, des travaux agraires et la confiscation des terres). Il est craint et respecté par ceux-ci. C’est à lui seul que revient le droit d’attribution des terres dans la famille. Son emprise sur le foncier lui est dévolue par la coutume (héritage matrilinéaire). Il ne peut être destitué ni remplacé de son vivant. L’orientation de la régulation des terres dépend de la personnalité du chef de famille. Il est seul responsable de la richesse ou de la pauvreté de la famille dans le village. Sa gestion autonome du foncier lui confère une sorte d’immunité au sein de la communauté villageoise.

Hommes mûrs : membres des classes d’âge Gnando, Dougbo et Tchagba initiés aux affaires socio-économiques et politiques du village et de la famille.

97 Aussi, l’étendue de son pouvoir est fonction de la grandeur du patrimoine terrien en sa charge. Dans ce cas, le pouvoir qu’il exerce s’étend au-delà du cadre familial. Dans les villages il arrive que des demandes de parcelles soient adressées aux chefs de famille ayant plusieurs lots à leur disposition pour combler le déficit de terres communautaires^^. En retour, la chefferie octroie des compensations financières ou des privilèges sociaux (primeur dans la répartition des biens et services du village) à ceux-ci.

ÏLl.7.3. Aspects économiques du foncier local

Dans les villages étudiés, on observe l’abandon des activités halieutiques et agraires pour la marchandisation du foncier. Cette situation a réellement connu son envol dans le début des années 1990. Elle se justifie par la croissance démographique (plus de 12.000.000 d’habitants) et la prolifération de la construction des logements (environ 350.000 bâtis). La valeur marchande de la terre s’est accrue. Le prix d’un lot de 600 m qui était fixé à cent cinquante milles (150.000 francs CFA) dans les années 1980 va considérablement augmenter et atteindre le prix de trois millions (3.000.000 francs CFA) dans les années 1990. Actuellement, le prix a doublé ou tripler selon le lieu d’achat. Les populations locales conscientes de la valeur économique du foncier vont délaisser les activités traditionnelles'*® en voie de disparition au profit de la marchandisation des terrains. Cette activité est l’apanage de tous les villageois qui possèdent un terrain. Cependant, le processus de marchandisation est validé au niveau local par la chefferie. La chefferie dans les localités se présente comme le garant de la gestion foncière. En ce sens, elie est à l’initiative de la promotion d’un meilleur usage des lots. Son cadre d’action est localement défini par l’ensemble de la communauté

Terres communautaires : ensemble des lots publics mobilisés par la chefferie, soit pour équiper les nouveaux citoyens du village, soit pour la réalisation des projets immobiliers ou agraires.

Activités traditionnelles : pêche et agriculture

98 villageoise. Elle est consacrée aux ventes conventionnelles avec la communauté ou les chefs de famille. Les devises issues de ses actions sont utilisées d’abord à des fins sociales ensuite conformément aux objectifs locaux de développement. Dans les familles du village, l’attention est portée vers le chef de famille dans la régulation du terroir. Deux types de personnalités caractérisent la nature du chef de famille dans les villages. Soit, il est sociable. Dans ce cas, il procède souvent à une répartition équitable des lots à sa disposition avec les autres classes d’âge (Dougbo et Tchagba) de la famille souvent à la réalisation des travaux immobiliers (construction de logements à location et location des terres) sur les terres à sa disposition. Il oriente les retombées financières à des fins sociales (assistance médicale, soutient financier aux personnes du troisième âge et aide aux veuves et orphelins), à la réhabilitation et à la construction familiale d’habitats. Soit, il est associable. Alors, il garde à son actif la majorité des terres à sa charge. Il procède à la vente de ses lots. Il dilapide les dividendes issus de ces ventes dans l’achat des équipements de luxe (voitures et appareils électroménagers). De ce fait, il est désavoué par les membres de la classe d’âge Dougbo et Tchagba de la famille qui lui sont hostiles. Ceux-ci n’ayant aucun moyen légitime de revendication s’adonnent à des actions illicites (vente frauduleuse de terres avec imitation de la signature du chef de famille et le sabotage de chantiers de construction). Dans les villages, les membres de la classe d’âge (Dougbo) qui bénéficient des terres du village sont défendus de les vendre. Parmi ceux-ci figurent un nombre important de chômeurs et sans emploi qui manquent de moyens pour les mettre en valeur. Alors, ils choisissent d’enfreindre cette interdiction. On assiste donc souvent dans les villages à une réaffectation de terres attribuées au compte des acheteurs privés. Dans certaines familles, les membres des classes d’âge Dougbo et Tchagba qui jouissent des terres attribuées par le chef de famille s’adonnent à la vente des terrains. Ils disposent librement des retombées qui en découlent soit par la réalisation des travaux immobiliers (construction de maisons à louer et résidences) soit par l’amélioration temporelle de leur niveau de vie.

99 1.7.4.11. Rapport entre les stratégies de gestion du foncier des autochtones et les mutations qu’a connu Abidjan

Ce rapport épouse les différentes ères de transformation qu’a connues le foncier périurbain dans la capitale économique de la Côte d’ivoire. Ainsi, existe-t- il trois temps caractéristiques suivants : T époque de rimmuabilité des attributs socioculturels du foncier, Tépoque de la relativité entre normes coutumières et moderne du foncier, T époque de la marchandisation du foncier.

II.1.7.4.1 L’époque de l’immuabilité des attributs socioculturels du foncier (du XVIIe au XIXe siècle)

Dans la vie des Tchaman, la terre est le fondement de la vie spirituelle, socioéconomique et politique.

ILl.7.4.1.1. La terre est le socle de la vie spirituelle

Selon la tradition orale des Tchaman, la terre est le premier élément crée par Gnankan^\ Elle est régie par des pouvoirs surnaturels, lui permettant elle- même d’engendrer et d’abriter tous les autres éléments de l’univers. Elle est vénérée par les Tchaman qui lui voue crainte et soumission. Ainsi, un Tchaman ne peut jurer par la terre, car c’est d’elle qu’il provient et c’est aussi elle qui le recueillera après sa vie sur terre. La terre est donc le fondement de la société. De même qu’elle l’a vue naître, elle la Verra disparaître. Elle est surtout la mère nourricière de la communauté. De par son caractère généreux, elle accorde selon les saisons des gibiers et divers vivres nécessaires à la subsistance de la société. L’ensemble de ces particularités fonde le caractère immuable de la terre. En ce sens, elle ne peut ni être une propriété privée ni vendue.

Gnankan : est un dicton Kyaman qui ramène au Divin, au Tout- puissant.

100 ILl.7.4.1.2. La terre est le fondement de la vie socioéeonomique

Le caractère sacré de la terre modèle aussi chez les Tchaman des approches folkloriques du foncier. De ce fait, la terre est la propriété de la société tout entière. Le Nana, la chefferie, le chef de famille, les classes d’âges sociaux sont tous des intendants du bien commun. Ils sont simplement chargés de perpétuer la tradition gardant la terre intacte pour les générations futures. Aussi, existe-t-il une symbiose entre les diverses strates de la société pour la régulation du bien commun. Les aînés sociaux et les cadets sociaux cultivent la fraternité et l’aide dans le cycle du pouvoir de la communauté. Les ainés prônent le strict respect aux us et coutumes dans la répartition sociale du foncier. Les cadets se soumettent avec dévotion à l’apprentissage de la vie communautaire auprès des aînés. Bien avant de parvenir à la maturité une part leur est garantie dans les réserves presqu’infinies du terroir. Lorsque la société faisait face à une demande extérieure de terre de la part d’un allochtone, deux possibilités étaient envisagées. Soit, la symétrie culturelle entre le demandeur et l’offreur de terre autorise un don et contredon. L’offreur qui fait don de sa terre reçoit par devoir de reconnaissance de la part du demandeur des services particuliers^^. Soit, l’asymétrie culturelle entre le demandeur et l’offreur permet le don et le droit d’exploitation. Le don se réalise exceptionnellement quand le demandeur contracte avant ou après son initiative une filiation sociale"^^ avec l’offreur. Lorsque c’est un demandeur allogène, le droit d’exploitation est la seule prérogative accordée par l’offreur de terre. Certes, il pourra y établir une plantation momentanément, mais devra obligatoirement verser une partie de sa moisson à l’offreur. Par ailleurs, celui-ci pourra mettre fin à sa guise au contrat qui le lie au demandeur sans contrepartie.

'*2 Services particuliers : le demandeur de terre se propose comme une main d’œuvre gratuite pendant un temps volontairement déterminé pour cultiver dans les champs de l’offreur. Le cas des Akye qui cultivent pour leurs donateurs Kyaman.

Filiation sociale : elle est la création d’un lien non réglementé de parenté entre deux individus de cultures différentes par le mariage ou un pacte d’amitié.

101 Rappelons ici que le don est le seul mode de transaction pratiquée, car la terre est sacrée et donc inaliénable.

ILl.7.4.1.3. La terre est le socle de la vie politique

Dans la société Tchaman, le Nana est le chef suprême de la vie politique. A cause de sa connaissance approfondie de l’histoire foncière de sa communauté. A lui sont soumises toutes les autres sphères de pouvoir. La chefferie administre la société à partir de l’héritage foncier que lui donne le chef de famille. Alors, celle-ci peut se réjouir se satisfaire de prime abord aux demandes de terrains de son groupe de référence, aussi garantir la part des cadets sociaux. En effet, la cohésion sociale et l’équilibre du groupe en dépendent. Ainsi, l’évaluation d’une chefferie réside en sa capacité à satisfaire les besoins latents ou manifestes des classes d’âge sociales.

Dans les familles, le chef de famille détient son pouvoir du foncier qu’il hérite de son oncle maternel selon le système matrilinéaire. Les terres sur lesquelles est établi celui-ci constituent la propriété de la famille. Il est donc l’administrateur du trésor familial. Par son emprise sur le foncier, il fédère autour de lui les autres membres de la famille.

Les Tchaman ont opté pour une démocratie suivant un modèle cyclique d’exercice du pouvoir communautaire. En réalité, c’est le terroir qui garantit l’existence de ce système. Dans la société Tchaman, prendre un pouvoir équivaut à prendre le control du terroir. Ainsi, les classes d’âge qui se succèdent pour la gestion du pouvoir le font parce qu’il y a suffisamment de terres pour satisfaire les besoins de ces groupes sociaux. Donc l’effort des cadets sociaux de se soumettre à la régulation des aînés sociaux trouve pleinement son sens dans la capacité de ceux-ci à transmettre intact le foncier aux générations futures.

102 11.1.7.4.2. L’époque de la relativité entre normes coutumières et modernes du foncier (XIXe siècles à 1960)

Cette période se caractérise par l’arrivée des colons. En effet. L’administration coloniale dans sa politique de consolidation de son implantation pourvoit de s’approprier toutes les terres du bassin occidental de la lagune Ebrié. Elle voit l’ignorance des autochtones comme une opportunité pour satisfaire cette ambition. Alors, elle initie les premiers contacts avec les Tchaman. Rappelons que pour les autochtones la terre est sacrée donc inaliénable. Le cadre de rencontre entre l’administration coloniale et la chefferie Tchaman portaient sur la validation d’un droit d’installation. A cet effet, une cérémonie fut organisée. Les membres de l’administration coloniale bénéficient d’un accueil chaleureux de la part des Tchaman, heureux de faire la rencontre de e l’homme blanc». Pendant cette entrevue, les colons épatent leurs hôtes avec des présents"^"^ en retour ceux-ci n’attend rien qu’un simple émargement d’un traité. Les Tchaman pensent profiter de l’ignorance de leurs visiteurs en apposant une marque sur le papier présenté par les colons. Par cet acte apparemment fortuit, les Tchaman viennent de faire de l’administration coloniale et de sa métropole la France les propriétaires exclusives de ce territoire. En réalité, le traité stipulait que les terres autochtones ont été cédées gracieusement par consentement mutuel à l’administration coloniale. Désormais, elle est la seule responsable du foncier dans cette zone. Elle est la première instance de pouvoir à laquelle est soumise en dernière position la chefferie coutumière. La découverte de cette malice par les Tchaman occasionne la dégradation des rapports entre Tchaman et administration coloniale dès les premières heures de son implantation vers 1900. La reconquête sera âpre et longue, car c’est seulement en 1960 qu’elle s’estompera. Pour les autochtones l’avènement de l’indépendance est porteur d’espoir. Ils espèrent que les nouvelles autorités politiques pourront leur restituer l’entièreté de leur terroir. Penser ainsi.

Ces présents étaient constitués de boissons, de friandises, de vêtements, de sucre, d’armes et d’étoffes.

103 c’est omettre la politique cadastrale de celles-ci. Dès son installation, la nouvelle république de Côte d’ivoire choisit d’ériger Abidjan en capitale économique. Bien plus, l’arrêté de 1964 consacre l’État comme l’unique propriétaire du foncier. La peine des Tchaman à récupérer leurs terres s’accroît lorsqu’ils sont sommés par l’État d’abandonner leurs villages d’origine pour s’installer dans les espaces périurbains. Pour les autochtones, la rupture avec leur village d’origine est aussi la perte du lien fondamental qui les lie au terroir. La forêt sacrée, l’arbre à palabres, le cimetière où résident les ancêtres sont emportés par la transformation du village en zone pleinement urbanisée. Sur les nouveaux sites où s’installent les Tchaman, plane l’ombre de la ville, car les nouveaux citadins n’ayant pas assez de moyens pour s’installer dans les quartiers chics de la nouvelle capitale économique préfèrent côtoyer les terrains coutumiers. A cette époque acquérir un lot villageois frôlait la gratuité. Car le droit foncier coutumier balbutiait encore entre tradition et modernisme. Mais, beaucoup encré dans la tradition dont elle a du mal à s’en défaire (la terre est sacrée, inaliénable et ne peut être vendue), elle hésite de s’aventurer sur le courant mercantile de la modernité. Cette situation s’explique dans les transactions par le fait qu’une bouteille de liqueur forte (gin) et une modique somme de 20.000 francs CFA étaient demandée à tous les acquéreurs de terrain par les autorités coutumières.

ILl.7.4.2.1. L’époque de la marchandisation du foncier

Elle est liée à trois facteurs essentiels suivant : rintellectualisation de rélite villageoise, la crise économique de 1980 et la saturation urbaine.

II.1.7.4.2.2. L’intellectualisation de l’élite villageoise

Dès son accession à l’indépendance en 1960, l’État ivoirien fait de l’école, l’une des priorités pour son développement. Cet engouement pour l’éducation est d’autan plus visible que dans la majorité des grandes villes du pays, l’on assiste à l’édification des écoles primaires, des collèges et lycées publics. D’ailleurs, les Tchaman vont bénéficier de ces infrastructures à cause de leur emplacement dans l’espace périurbain d’Abidjan. Déjà, dans les années 1980, l’école produit les

104 premiers intellectuels en occurrence dans les villages Tchaman. De plus en plus perspicaces et élogieux dans leurs discours les « nouveaux intellectuels » Tchaman se distinguent bien de leurs aînés dans les rencontres qui ont lieu sous l’arbre à palabres. A cette période, la classe d’âge Blessoué était celle en charge des affaires courantes dans les communautés Tchaman. Celle-ci prônait le prima des valeurs socioculturelles dans la régulation du pouvoir. Pour elle, la communauté peut prospérer aux antipodes de la modernisation. Donc, les terres coutumières ne doivent être l’objet d’aucune forme d’aliénation. Elle prône la gratuité dans les transactions, seulement une liqueur et somme symbolique devrait suffire pour l’obtention d’un terrain local. Mais, la classe d’âge cadette Gnando^^ s’insurge contre la procédure des aînés dans la régulation du terroir. Pour elle, leur ignorance et leur illettrisme favorisent la perte des terrains coutumiers au profit de l’État ou d’acquéreurs étrangers. Elle réussit à détourner l’opinion des villageois en sa faveur. Au gré de son impétuosité, la classe Blessoué contraint les aînés à abandonner le pouvoir en 1984, alors même que le temps imparti pour leur mandat était loin de s’épuiser. Désormais, avec les Gnando au pouvoir, le terroir va perdre son attribut culturel et prendre une valeur vénale. Elles consacrent la monétarisation du foncier par ses pratiques de marchandisation. Sous l’égide des Gnando, on assiste à l’instauration du lotissement des terres vierges dans les villages. Des prix sont référencés selon la superficie des lots (1 lot de 1200 mètre carré coûte entre 300.000 francs CFA et 500.000 francs CFA ; Ilot de 600 mètre carré est estimé à 150.000 et 200.000 francs CFA). La vente des terrains coutumiers contribue à l’enrichissement des membres de la classe d’âge Gnando au pouvoir dans les localités. Alors, les disparités sociales s’accentuent, occasionnant ainsi une fracture sociale entre les couches sociales en marge de la

'*5 Parmi les membres de la classe d’âge Gnando figurent quelque alphabètes ayant fait le cycle primaire voir secondaire dans certains cas. Sachant lire et écrire, ils se disent les seuls capables d’appréhender pour le moment les réalités urbaines ; tout en fessant selon eux « un pont entre le village et la ville ».

105 gestion du foncier et celle en charge du foncier. La classe d’âge Dougbo'**’ qui aspire au pouvoir condamne à son tour les pratiques de ses aînés Gnando. Pour elle, le voile de l’ignorance cause aveuglement des Gnando dans leurs efforts de gestion. De plus, elle prétexte que le faible niveau intellectuel de ceux-ci les disqualifient à assumer cette lourde tâche dans le contexte socioéconomique et politique actuelle. Mais, obnubilés par les fortes devises financières que procure la marchandisation, ceux-ci refusent d’obtempérer. Le premier trimestre de l’an 2002 sonne le glas des Gnando. Ils sont chassés brutalement par les Dougbo dans l’ensemble des villages Tchaman. Les heurts occasionnent au sein des Gnando, des morts, des blessés et la destruction des biens. La même année consacre la venue de la classe d’âge Dougbo dans tous les villages Tchaman d’Abidjan. Aussi, la régulation des Dougbo qui a débuté il y a une décennie essuie depuis ces cinq dernières années des critiques'*^ de la part des Tchagba qui veulent à leur tour s’arroger le pouvoir des aînés.

ILl.7.4.2.3. La crise économique de 1980

La Côte d’ivoire se distingue des autres pays de l’Afrique de l’Ouest par son économie prospère dès les années 1970. Primée comme un bon modèle de bonne gouvernance par les institutions de «Bretton yvoods», elle a su intérioriser cette prouesse économique par la réalisation des grands chantiers urbains, industriels et institutionnels. Cette place de choix qui fait d’elle le pilier économique dans la sous-région et un eldorado attisent la curiosité des ressortissants étrangers. Dans la première décennie, elle accueille dans la seule zone d’Abidjan un taux d’expatriés qui environne les 10% de sa population. Essentiellement constitué d’une main d’œuvre bon marché, ils interviennent dans l’industrie et l’immobilier. Malheureusement, ces opportunités s’estompent avec la crise économique de 1980 qui oblige le pays à revoir ses priorités en matière

La classe d’âge Dougbo se présente comme une tribune d’intellectuels constituée d’universitaires, d’ingénieures, de techniciens et de pédagogues.

Les Tchagha jugent opaque et occulte la gestion des Dougbo.

106 d’investissement. Les restrictions du pays dans tous les secteurs d’activités entraine le licenciement des autochtones et le rejet de la majorité de la main d’œuvre allogène. Dans la ville d’Abidjan en occurrence dans les localités Tchaman située en zone périurbaine, le retour des ressortissants mis au chômage affecte la vie socioéconomique et politique. En effet, ceux qui sont retournés au village se lassent d’être des grabataires, ils vont grossir le rang des classes d’âge au pouvoir ou celles des contestataires qui aspirent au pouvoir. Cette saturation dans les sphères locales de pouvoir accentue les dissensions qui existaient déjà entre aînés et cadets sociaux. En outre, la masse des étrangers rejetée par le JO système économique du pays influe sur le principal secteur d’activité des autochtones. Les Tchaman qui voyaient déjà ce secteur corrompu par les déchets industriels et humains sont cette fois contraints de battre en retraite au profit des allogènes qui l’ont investi. Aussi, la baisse du niveau de vie engendre la baisse du pouvoir d’achat des citoyens qui ne peuvent plus s’offrir un logement bien aménagé et bien situé en pleine métropole. Ils préfèrent se rabattre sur l’espace périurbain où certains promoteurs immobiliers ont des bâtisses à loyers bons marchés. En conséquence, la demande de terrain coutumier va considérablement s’accroître.

1.7.4.2.4.11. La saturation urbaine

Depuis ces deux dernières décennies, la demande en logement s’est accrue (20.000 logements par an) suscitant du coup une inhibition de la capacité des terrains viabilisés dans la ville d’Abidjan. La population qui a triplé (plus d’un million (1000.000) en 1990 à environ trois millions (3000.000) en 2009) selon les statistiques de L’INS, a sérieusement épuisé les infrastructures d’accueil et d’hébergements existant. Alors, la seule opportunité qui s’offre aux promoteurs immobiliers privés est l’espace coutumier situé dans les environs des grands centres urbains. Cet attrait pour les terrains villageois mobilise au niveau local une

Le principal secteur d’activité économique des Tchaman est la pêche. Mais depuis la crise ce secteur est courtiser par les Ghanéen et burkinabè qui ont presque volé la vedette au Tchaman.

107 réforme du système foncier par les autorités coutumières. Celles-ci sont confrontées à un dilemme entre conservatisme et innovation des valeurs qui fondent le terroir. Mais une suite d’obligations"^^, les dispose à la marchandisation du foncier. Certes, ce choix est salvateur pour les acheteurs, mais il permet aux Tchaman d’engranger d’importantes devises économiques. Maintenant perçu comme une source d’enrichissement, l’accès au foncier devient de plus en plus violent. A la procédure démocratique de régulation du terroir se substitue la promotion de la violence dans les rapports de pouvoir qui lient les cadets aux aînés sociaux.

IL1.7.4.3.Quelques réflexions sur les logiques des autochtones dans la réinvention du terroir

Nous tenterons dans cette rubrique d’analyser les points névralgiques qui lient la gestion du foncier Tchaman et les mutations foncières d’Abidjan à travers trois temps.^^

II.1.7.4.3.1. L^époque de rimmuabilUé des attributs socioculturels du foncier

A cette époque les attributs du terroir qui reposent sur le sacré et l’humanité ne peuvent en réalité être qualifiés de stable. En effet, le fondement inébranlable du foncier tenait lieu de son existence à l’état brut. Les Tchaman ont découvert un territoire inoccupé de plus trois million (3.000.000) hectares de forêts intacts sur lesquelles ils s’installent. Pour eux, l’étendue de ces ères était illimitée par conséquent elle devrait satisfaire à court, moyen et long terme les besoins communautaires et extracommunautaires. Cette vision se traduit dans l’imagerie populaire telle que nous l’avons auparavant soulignée. La terre était un

Une suite d’obligations : la perte du village d’origine, des activités économiques, risque de spoliation des terrains par L’État et la crise économique qui sévie perturbent leurs visés originel du foncier.

Trois temps {op.cit') : Tépoque de Timmuahilité des attributs socioculturels du foncier, Tépoque de la relativité entre les normes coutumières et modernes du foncier et Pépoque de la marchandisation.

108 bien commun sur lequel la communauté a bâti son propre ordre social. Les différentes classes d’âge se côtoyaient avec respect et convivialité parce que l’objet fondateur du pouvoir qu’est la terre était généreusement pourvu. Ainsi, faut-il comprendre que la stabilité du système politique dans cette société est liée au foncier. Même l’hospitalité légendaire des Tchaman est tributaire du terroir. L’abondance des terres verdoyantes a exacerbé le sentiment humaniste des autochtones. Dans cette mesure, ils peuvent faire des dons de terres aux demandeurs allochtones et allogènes en toute quiétude. Ainsi, les Tchaman ont fait don d’importantes superficies de terrains aux Akye^’ avec qui ils partagent actuellement le territoire d’Abidjan. Cette période de stabilité sera fortement perturbée avec le nouvel ordre politique de l’ère post indépendance.

II.1.7.4.3.2. L’époque de la relativité entre normes coutumières et modernes du foncier

Après avoir connu les humiliations de la colonisation et la spoliation de leurs terres par les nouvelles autorités Ivoiriennes, les Tchaman hésitent entre conservatisme et innovation. Néanmoins, l’incertitude prime sur l’audace de se prêter à des reformes pouvant mettre en branle la perception originelle du foncier. Alors, s’ouvre la brèche de la monétarisation du système foncier local qui va corrompre à son tour le système politique. L’argent est devenu le principal centre d’intérêt des classes d’âge. Désormais, les rapports entre aînés et cadets se délitent dans le contrôle du foncier. Les aînés optent pour la prééminence des attributs culturels du terroir tandis que les cadets prônent la marchandisation du foncier.

11.1.7.4.3.3. L’époque de la marchandisation du foncier

La crise économique, la saturation urbaine et la pression démographique sont autant de facteurs qui ont causé l’effondrement des piliers du foncier coutumier d’Abidjan. La terre est la mère de la société Tchaman. Elle est sacrée

Les Akye sont aussi un composant du groupe ethnique Akan. Ils partagent des accointances socioculturelles avec les Tchaman.

109 et vénérée. Mais, l’évolution de l’espace de la ville sur les terres des autochtones entraine la disparition des hôtels tchoniens. Ainsi, lorsque les Tchaman sont déguerpis sans ménagement de leur village d’origine en vue de bâtir la cité du Plateau, c’est aussi le cimetière, l’arbre à palabres et les forêts sacrées qui sont détruites. Bref, ce sont les lieux où siègent les esprits qui régissent le foncier qui disparaissent au profit de la ville. Dès lors, l’anéantissement des fondements du terroir va considérablement affecter la perception des autochtones. Dorénavant, la terre ne sera plus vénérable, mais devient un bien comme tout autre. Alors, la profanation du sacré engendre un sentiment de rétribution qui va conduire le Tchaman à tirer le meilleur profit économique de son terroir sans contrepartie. Il va profiter du système qui s’est imposé à lui sans rien donner en retour, car il l’a privé d’un trésor inestimable (le sacré).

1

110 CHAPITRE DEUXIÈME : STRATEGIES LOCALES DE GESTION DU

FONCIER

Cette partie s’étendra sur le lotissement des terrains, la remise de l’ouvrage, l’organisation de la marchandisation des terrains, le processus de marchandisation des terrains, la convention, la location, la vente, les modalités de paiement et documents remis.

11.2.1. Les règlements du foncier local

Ils se présentent comme l’ensemble des mesures adoptées dans les villages dans le but de permettre une régulation satisfaisante des terres. Ces règlements coutumiers sont essentiellement basés sur l’organisation socioculturelle des villages étudiés. Ces règlements se regroupent comme suit : Z Les terres du village ne doivent pas être vendues, Z Les terres du village sont l’objet d’une gestion concertée (doyen d’âge- membres des classes d’âge Gnando, Dougbo et Tchagba), Z Les terres du village ne peuvent être attribuées qu’à un citoyen originaire du village (père et mère). Z Les terres du village ne peuvent être possédées que par des membres d’une classe d’âge initiée à la vie socioculturelle et politique. Z Les terres du village peuvent être arrachées à l’ayant droit en cas de vente, Z La gestion des terres du village est placée sous la responsabilité de la classe d’âge au pouvoir. Z Le conseil des sages est l’unique chef des terres du village.

11.2.2. Les compromis fonciers

Il s’agit des compromis entre la chefferie et les familles ayant une grande propriété foncière dans les environs du village. En effet, ils se traduisent par des

111 négociations menées par les autorités coutumières auprès des familles détentrices d’un nombre important de lots. Depuis l’an 2000 les différentes chefferies dans les localités ont bénéficié de plusieurs lots de la part de certaines familles. Dans le village d’Abobo Doumé la famille Koutouan a octroyé cinq (05) lots de mille deux cent mètre carré (1200m2) au village ; à Anono la famille Assin a attribué trois (03) lots de mille deux cent mètre carré (1200 m^) au village en 2008 ; en l’an 2007, la famille Djama donne deux (02) hectares de terres non lotis au village d’Abobo Baoulé ; en 2008, la famille Ahotto accorde sept (07) terrains de mille deux cent mètre carré (1200 m^) au village d’Anoumanbo ; la famille Dogbo donne quatre (04) terres de 1200 m^ au village d’Anonkoua kouté en 2007. Ces dons permettent à la chefferie dans ces villages de compenser le manque de terres communautaires. Ces terres sont attribuées aux nouveaux citoyens dans les villages en situation de manque de terres disponibles. La chefferie octroie en contrepartie des compensations financières (des commissions perçues à long terme sur chaque vente de terres) et des avantages I dans la répartition des biens et services du village (la primeur dans la répartition de nouvelles terres, augmentation des allocations annuelles issue des bénéfices immobiliers du village).

11.2.3. Les dispositions d’attribution du foncier local

Elles sont à cheval entre les lois foncières étatiques et les mesures coutumières de régulation du teiToir. Elles sont élaborées dans l’ensemble des villages étudiés dans l’optique de sécuriser la marchandisation du foncier. Ce sont des prescriptions qui visent la formalisation statutaire des terres locales. Elles se regroupent comme suit : Les terres du village sont immatriculées conformément aux dispositions prises par le service cadastral du MCUA,

112 Y Les terres du village possèdent des titres fonciers exclusivement détenus par la chefferie. Z Toute attribution de terrain coutumier à un acquéreur étranger doit se faire nécessairement avec la caution de la chefferie. Z L’attribution effective d’un lot se traduit par l’octroi d’une attestation villageoise de vente avisée par le chef du village et l’offreur.

II.2.4. La répartition du foncier local

Dans les villages étudiés, on trouve des terres privées et publiques. Celles- ci appartiennent aux familles et aux villages. La répartition du foncier est fonction de la coutume du peuple Ebrié. Ainsi, conformément aux dispositions locales, l’on trouve dans les villages des terres communautaires et des terres familiales.

11.2.4.1. Le foncier communautaire

Les terrains communautaires sont l’ensemble des terres concédées aux villages par l’Etat ivoirien. La loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 reconnaît le droit foncier coutumier. A partir de cette nouvelle orientation, l’Etat accorde des parcelles de terre aux villages. Ces terrains sont répertoriés dans les biens immobiliers du village. Les terres communautaires sont la propriété de l’ensemble des villageois. Ce sont ces terres qui interviennent dans le partage social des biens du village. Elles sont soumises à des règlementations dans les localités.

Op.cit., pi 11

113 n.2.4.2. Le foncier familial

Le foncier familial s’identifie comme l’ensemble des terres appartenant à des familles spécifiques (propriétaires terriens). Il se présente comme l’ensemble des terres faisant objet d’un droit privé propre aux chefs de famille. Ces terres peuvent être vendues ou conservées par celui-ci. Les terrains familiaux sont conservés par héritage (système matrilinéaire de transmission de biens). Ces terres font objet de compromis^^ entre chefferie et chef de famille. Nous identifions l’espace « descend-monté » à l’Ouest du village d’Abobo-Baoulé appartenant à la famille Aké ; 35 hectares de terres sur l’axe Songon-Abidjan appartenant à la famille Nando et Abi ; la famille Yapo de Djrogobité possède douze (12) hectares de terrains à l’Ouest du village ; dans le village d’Anono plus de 5 hectares dans les environs de la cité universitaire de la Riviera IL Les terres familiales sont une source de revenus financière importante pour les familles qui en possèdent. Dans les villages, des méthodes de mise en valeur des terres sont adoptées (la vente, la location et les travaux agraires) par les familles. Le procédé couramment désigné par les autochtones est la marchandisation. C’est le moyen pour ceux-ci de se faire facilement de l’argent.

II.2.5. Le lotissement des terrains

I

Lotir consiste dans les villages à donner au futur quartier un tracé de « rues orthogonales » selon une trame calquée sur le modèle de l’administration. De circulations, de largeurs variables selon les propriétaires-bâtisseurs, s’y recoupent perpendiculairement en délimitant de grands ilôts, eux-mêmes divisés en des lots (parcelles) de vingt mètres (20m) X vingt mètres (20m) ou seize mètres (16m) X vingt-cinq mètres (25m) ou vingt mètres (20m) X trente mètres

Op.cit., P116

114 (30m). Ce modèle n’est pas toujours respecté par tous, néanmoins, il permet de dégager un maximum de lots et de garantir aux lotisseurs la rentabilité de leurs opérations. Même si une majorité de lotisseurs a recours à des plans de lotissement, les lotisseurs villageois ne se soucient d’aucune servitude. Il n’y a pas de réserves foncières consacrées aux prolongements des logements. Les équipements de base et surtout les équipements collectifs (écoles, marchés, hôpitaux, aires de jeux, etc.) sont repoussés, leur réalisation étant considérée comme un domaine de compétence exclusive de l’État.

11.2.5.1. La remise de l’ouvrage

Au terme du processus, trois types de documents sont remis soit aux familles soit au village ayant fait la demande de lotissement. Il s’agit : -du plan projet, -du guide, -de l’attestation d’attribution.

11.2.5.2. Le plan projet

Encore appelé plan de masse, il est la présentation géographique d’ensemble des différents lots. C’est un document en double exemplaire détenu par la chefferie et le MCUA. Néanmoins, des copies du plan projet peuvent être effectuées par le chef de village ou le chef de famille à titre de preuves lors d’une marchandisation de terrains.

11.2.5.3. Le plan guide

C’est un registre dans lequel sont consignés :

115 -les références du terrain (numéro du lot et îlot), -les références du demandeur (nom et prénom, adresse postale et téléphone). -famille « offreur » -les éventuels témoins. -le numéro de l’attestation. -la date de clôture du contrat (vente, location et convention immobilière). En principe, le guide est déposé chez le chef du village ou le chef de famille. Une fois tous les terrains vendus, un exemplaire du guide est envoyé au MCUA pour la délivrance des lettres d’attribution définitive et des titres fonciers.

II.2.5.4. L’attestation d’attribution

Selon nos enquêtes, elle peut être définie comme « l’extrait de naissance du terrain ou le jugement supplétif du terrain ». Elle est la première pièce délivrée à l’acquéreur. En effet, au terme du processus de lotissement, des attestations au prorata des lots disponibles sont délivrées par les techniciens chargés de l’opération. Les attestations ne sont pas uniformes. Elles diffèrent selon le type de lotissement et selon les familles, mais des caractéristiques essentielles figurent sur toutes les attestations (voir tableau n° 6).

116 Tableau n°8 : Description de l’attestation en fonction du type de lotissement dans les villages.

Types de lotissements Critères de l’attestation Mentions de validation

-Référence du terrain (n° du

Village lot, n° Ilot) -Références de l’extension Chef du village (nom et prénoms, n°téléphonique, adresse postale) Chef du village

Extension du village -Références famille cédant + COGES Local du foncier (nom) -Référence village cédant (nom) Chef de village Village extension village + Chef de famille

Source : étude de vente de terrains coutumiers, mai 2012

Explication du tableau

Comme il apparaît à travers ce tableau, les attestations d’attribution de terrains sont soit signées par le chef du village, soit par le chef de famille, soit par le responsable du comité local de gestion du foncier.

II.2.6. Organisation de la marchandisation des terrains

Le lotissement achevé, les familles s’organisent pour la vente. Dans cette rubrique, il s’agira pour nous de relever les acteurs impliqués dans le marché foncier. Aussi, nous décèlerons les stratégies mises en œuvre pour coopter les acheteurs. Nous mentionnerons le prix et les modes de paiement des transactions

117 foncières, les documents remis aux demandeurs. Enfin, nous statuerons sur le mode de répartition des ressources.

IL2.6.1. Acteurs de la marchandisation

Dans les villages, nous distinguons quatre types d’acteurs qui interviennent, selon les cas, dans les opérations de ventes de terrains. Ce sont :

11.2.6.1.1. Le chef de famille

Il est le doyen de la famille et le garant du patrimoine foncier familial. Il est souvent l’homme le plus âgé de la famille en tenant compte de la génération. Après les lotissements, c’est à lui que sont remis les documents suscités. Compte tenu de sa position sociale, il désigne l’un des membres de la famille chargé de trouver d’éventuels acheteurs. De plus, c’est chez lui que se finalise l’acte de paiement du contrat foncier (le versement de la somme et de la délivrance de l’attestation).

11.2.6.1.2. Le responsable familial des ventes

Il est désigné par la famille pour la marchandisation des terrains. Le choix de ce dernier se fait soit de manière consensuelle entre les membres de la famille, dans ce cas un individu est désigné au sein de la classe d’âge Dougbo pour cette tâche. Soit de manière intrinsèque par le chef de famille. Ce choix peut être soit son neveu ou petit-fils. Les responsables de vente des terres doivent remplir certaines conditions : -être disponible, libre de toute autre activité et ne travaillant pas, - être instruit et bon communicateur. - être honnête et jouir d’une grande confiance au sein de famille.

118 ~ être actif. On lui remet un plan-projet et une photocopie de l’attestation d’attribution. C’est avec ces pièces qu’il recherche les clients. Il peut se faire aider par des démarcheurs.

II.2.6.1.3. Les démarcheurs

Ils aident le responsable de la marchandisation dans la recherche de clients. Ils ne sont pas obligatoirement des membres de la famille. Ce sont des cousins, des voisins, des agents immobiliers.

11.2.6.1.4. Le chef de village

Il n’intervient pas directement dans la vente, mais sa signature qu’il appose sur l’attestation légitime l’acte de paiement du contrat foncier.

11.2.6.2. Strategies de cooptation des demandeurs

Les vendeurs dans leur quête d’éventuels clients, usent de plusieurs moyens :

11.2.6.2.1. Les affiches

Des affiches sont confectionnées et les vendeurs les mettent à divers endroits de la ville : lieux publics, carrefours, arrêts de bus, afin d’informer le public de la marchandisation des terrains.

119 IL2.6.2.2. La presse

Les radios de proximité et certains journaux offrent des espaces publicitaires dans lesquels le vendeur propose les opportunités de marchandisation de terrains.

IL2.6.2.3. Les agences immobilières

Ce sont des structures spécialisées dans la vente des biens immobiliers : maisons et terrains.

IL2.6.2.4. Les réseaux de relations

De manière verbale et interpersonnelle, les éventuels acheteurs sont informés des opportunités de marchandisation des terres. La période de négociation peut être plus ou moins longue, avec des échanges d’informations des accords provisoires ou partiels.

n.2.6.3. Le processus de marchandisation des terrains

Dans le processus, trois possibilités s’offrent aux acheteurs : soit en contactant le responsable familial de vente, soit les démarcheurs, soit directement le chef de famille.

11.2.6.3.1. Vente directe avec le responsable familial

Dans le premier cas, le responsable familial des ventes trouve l’acheteur et quand un accord est obtenu sur le prix, ils se rendent chez le chef de famille pour le versement de l’argent.

120 IL2.6.3.2. Vente par le biais des démarcheurs

Dans le second cas, le responsable familial de vente contacte des démarcheurs qui se chargent de trouver le client.

IL2.6.3.3. Achat direct avec le chef de famille

Schéma 2 ; achat direct avec le chef de famille

Source : Étude de marchandisation des terrains villageois : 2011-2012

Dans le troisième cas, le client contacte directement le chef de famille pour effectuer un achat de terre. Généralement, ceux qui optent pour cette possibilité ont déjà acquis un terrain et désirent soit en avoir un autre ou aider quelqu’un d’autre à en obtenir. Mais, le responsable familial de vente est toujours informé des opérations d’achat directement effectuées par le chef de famille. Une visite guidée de terrain s’effectue entre le vendeur et l’acheteur. Cela, dans le but de mieux cerner la situation géographique et le relief du terrain (terrain plat ou accidenté ou pente). Par la suite, les négociations sont faites directement avec le chef de famille. Très souvent, c’est avec le responsable

121 familial qu’il faut négocier le prix d’acquisition ; le chef de famille se contentant tout simplement de lui fixer une marge de prix. Les différents processus de marchandisation des terrains tels que décrit ci-dessus permettent de situer les responsabilités des différents acteurs dans cette activité. L’échelon le plus élevé est représenté par le chef de famille et enfin les démarcheurs. Le chef se trouvant en dernière ligne dans cette chaîne de la légitimation des ventes effectuées.

II.2.6.3.4. Convention foncière, vente, modalités de paiement et documents remis

Elles représentent les différentes formes de ventes de terrains qui lient un vendeur et un acheteur dans les villages étudiés.

11.2.6.3.4.1. La convention foncière

Elle se définit comme un investissement bilatéral entre la communauté villageoise ou la famille avec un promoteur immobilier. Elle est le type de vente le moins fréquent dans les localités. Dans la mesure où une convention foncière implique un accord préalable entre les différentes couches du village. La chefferie ou le chef de famille à l’initiative du projet doit avoir l’assentiment des autres membres du groupe social (village ou famille). Les terres présentées sur le marché constituent un placement économique à long terme. Des concertations préalables sont organisées par la chefferie ou le chef de famille avec le groupe social (villageois ou membres de la cellule familiale) pour définir la faisabilité et la rentabilité du projet. Après un accord local, d’autres rencontres sont organisées entre la chefferie ou le responsable familial de vente avec le promoteur immobilier. Le but de ces rencontres est de parvenir à une validation du document de vente présenté par le village ou la famille. L’accord entre les parties concernées ne prend effet qu’après la signature du contrat de vente par la

122 chefferie/chef de famille et le promoteur immobilier. Dans les localités étudiées, trois (03) villages sont concernés par ce type de contrat. Le village d’Anonkoua Kouté a signé en 2001 un contrat de vente avec la société immobilière SOPIM pour la construction d’une cité riveraine dans les environs de PKI 8. L’ère du projet s’étend sur 5 hectares. La réalisation des travaux qui a débuté depuis 2006 a pris fin avec la construction d’une vingtaine de duplex et d’une cinquantaine de villas. Un autre projet immobilier est envisagé par le village, mais « des divergences majeures » ^"^surviennent entre chefferie et villageois (les membres de la classe d’âge Gnando et Dougbo). Les aînés en chargent auparavant de la régulation des terres du village soutiennent qu’ils n’ont cessé de militer pour une protection des terres du village par la non vente. En effet, ils soutiennent que sans l’effort de conservation, les cadets Dougbo n’auraient pas l’opportunité de brader les terres de la communauté. Les Tchagba par contre se plaignent d’une gestion opaque des retombées de la marchandisation. Ils protestent du fait que leur participation a été restreinte par les Dougbo au stade initiatique du projet de vente. Dans le village d’Adjamé Bingerville, un contrat de vente a été conclu par la chefferie et une société immobilière italienne en 2008. Le projet immobilier s’étend sur trente-deux (32) hectares et vise la construction de trois (03) grands complexes immobiliers de plus de quatre cent (400) logements. La première pierre à l’initiative du chantier a été posée en 2010. Les bénéfices de ce projet devront permettre au village de construire à son tour un logement descent pour chaque famille, assainir et équiper le village. Mais, l’exaspération des Tchagba à toujours attendre les promesses (construction d’un foyer de jeunes, réhabilitation de l’école et un toit descent pour chaque villageois) des aînés, les amènent à l’organisation des concertations dont le but est de précipiter le départ des Dougbo actuellement au pouvoir.

Des divergences majeures : mauvaise usage des retombées du premier projet immobilier, revendication de contrat famille-promoteur immobilier, suivi-évaluation communautaire du projet et non affection du gain de vente aux besoins de la jeunesse Tchagba et Blessoué.

123 En 2007, le village d’Anoumanbo signe un contrat de vente avec la société SOGIM. Le projet immobilier qui s’étend sur trois (03) hectares est porté sur la construction d’une cité résidentielle de cent cinquante (150) logements (duplex et villas). Il a débuté en 2008 et s’est achevé mi 2010. Selon la chefferie, il est encore très tôt pour évaluer la portée économique de ce projet au niveau local. Par contre, les Tchagba et les aînés Gnando se plaignent d’une gestion opaque du projet. Pour eux, la confiscation par la chefferie des gains du projet expliquent la mauvaise gestion du patrimoine communautaire par les Dougbo au pouvoir.

IL2.63.4.2. La vente

La vente de terrains est une forme de transaction foncière dans laquelle le villageois échange sa terre pour de l’argent. Elle est le mode de marchandisation le plus courant dans les localités. Elle se déroule sur deux aspects (privé et communautaire). Elle est privée lorsque l’autochtone qui dispose d’une terre (familiale) la donne à un acheteur allochtone ou allogène qui lui offre en retour un apport financier estimé en proportion du bien reçu. Elle est communautaire lorsque la chefferie ou le comité local de gestion offre les terrains du village à un acheteur en fonction d’une offre financière. La terre vendue cesse d’être une propriété locale au profit de l’acheteur. La lettre d’attribution villageoise signée par le chef du village confirme l’acte de cession des terres du village à l’acheteur. Ces terres sont vendues moyennant un coût fixé en fonction de la superficie et de l’emplacement du terrain.

II.2.6.3.4.3. Le prix de vente

À la différence des terrains urbains (communaux) où les prix des terrains sont fixés par mètre carré, les lots villageois ne suivent pas cette logique. Leurs prix sont généralement tributaires :

124 -du relief : les terrains présentant un relief relativement plat coûtent plus chers que ceux qui sont très accidentés, avec une dénivellation, -de la proximité avec les axes de communication : les terrains proches de la ville et situés aux carrefours sont plus coûteux. -des motivations de vente : lorsque le vendeur a des besoins urgents pour des cérémonies particulières (funérailles, fête de génération, naissance d’un nouveau- née, etc.), les prix sont revus à la baisse. -et enfin des relations existantes entre l’acheteur et le vendeur. Lorsque le futur acquéreur entretient des relations d’amitié avec le vendeur ou même avec la famille, le prix est revu à la baisse. Le prix est la somme d’argent qui est remise au vendeur et qui correspond à la valeur du terrain. D’une manière générale, trois types de prix (terrain de 600m ) ont été pratiqués correspondant alors à trois périodes : La première période se situe juste au démarrage des opérations de lotissement(1997). Elle peut être qualifiée de période d’attraction des l clients. Les prix pratiqués abordables oscillaient entre huit cent mille (800.000) Frs CFA et un million deux cent mille francs (1.200.000) Frs CFA. La seconde (vers 2000) peut être qualifiée de période de stabilisation des prix. Au cours de celle-ci, compte tenu de l’engouement suscité par les ventes une légère hausse générale des prix a été observée, suivie d’une harmonisation. Ces prix se situent entre un million cinq cent milles (1.500.000) Frs CFA et un million huit cent mille (1.800.000) Frs CFA. La troisième(2005) est caractérisée par une hausse générale des prix. Cela est lié à la rareté actuelle des terrains bien aménagés au centre-ville. Le coût minimum d’un terrain est à trois millions (3 .000.000) Frs CFA. Le demandeur doit en outre s’acquitter des accessoires qui ne sont pas intégrés aux prix « nets vendeurs ». Ces accessoires sont les frais liés à la signature de

125 l’attestation d’attribution, au dossier technique, au permis de construire, etc. (voir tableau n°9).

Tableau n®9 : les différents accessoires et leur lieu d’établissement

Types d’accessoires Lieux d’établissement

Attestation d’attribution Villages villageoise

Lettre d’attribution et titre MCUA foncier

Dossiers techniques et permis Ordre des géomètres experts et de construire Municipalité

Sources : étude, vente de terrains coutumiers, janvier- février 2012

Explication du tableau

Lorsqu’un acquéreur entre en possession du terrain coutumier, il doit se soumettre à différentes conditions tant au niveau local qu’au niveau administratif. Pour exercer un droit d’usage sur la parcelle, celui-ci doit au préalable obtenir auprès des autorités coutumières, l’attestation villageoise dûment signé par le chef de village et le vendeur. Ensuite, l’acquéreur devra avec ce document se rendre au MCUA pour établir la lettre d’attribution et le titre foncier. L’obtention de la lettre d’attribution ou titre foncier autorise l’acquéreur à établir les dossiers techniques de mise en valeur du terrain auprès de l’ordre des géomètres experts. Aussi, devra-t-il recourir à la municipalité pour acquérir le permis de construire.

126 II.2.6.3.4.4. Modalités de paiement

Les deux parties (vendeur et acheteur) peuvent convenir d’un paiement au comptant ou échelonné. Dans le second cas, il est alors demandé au client un apport minimal équivalent à la moitié du prix de vente du terrain. Le reste est payé par tranches conventionnellement définies entre l’acheteur et le vendeur. Quelque soit la modalité choisie, tout versement d’argent s’effectue chez le chef de famille ou chez le chef du village. Cette somme peut être qualifiée de « prix net vendeur ».

II.2.6.3.4.5. Documents remis

Deux types de documents sont remis à l’acquéreur après le versement total de la somme tel que les parties l’ont estimé. Il s’agit : -du reçu d’achat, -de l’attestation d’attribution. En revanche, si l’achat s’effectue par tranches, à chaque acompte, il est simplement remis à l’acquéreur un reçu sur lequel sont mentionnés des différents montants perçus. La vente ne devient totale qu’après délivrance d’un reçu d’achat et d’une attestation (villageoise) d’attribution. Le reçu d’achat est délivré par le vendeur après que l’acte d’achat ait été définitivement conclu c’est-à-dire après versement intégral du prix de vente du terrain. Par contre, l’attestation d’attribution est délivrée par le chef du village ou le chef de famille après que celle-ci ait été signée par le chef de famille et le chef de village.

I

127 11.2.6.3.4.6. Mode de répartition des ressources

Les ressources obtenues de la vente des terrains sont réparties de différentes manières entre les acteurs intervenant dans les transactions. Mais nous distinguons trois niveaux de répartition à savoir ; la famille, le chef de village et les démarcheurs.

11.2.6.3.4.6.1. au niveau du chef de famille

A son niveau, sa part ne peut être évaluée. Il est présent au moment de la signature du contrat d’achat, il perçoit directement l’argent versé par l’acheteur. C’est lui qui décide de l’usage des devises issues de la vente des terrains dans la famille. Il en fait un usage personnel ou collectif. Dans certaines familles, un comité de gestion familiale est constitué et l’argent est déposé à la banque. Et, en cas de besoins, des retraits d’argent sont effectués sur l’épargne afin de les satisfaire. L’argent est géré couramment de manière discrétionnaire par le chef de famille.

II.2.6.3.4.6.2. le responsable familial de vente

La part du responsable familial des ventes est laissée à l’appréciation du chef de famille. Mais de manière générale il perçoit environ 10% du montant de la vente et quelque soit ce montant il ne reçoit presque jamais en dessous de cent milles (100.000) Frs CFA.

11.2.6.3.4.6.3. les membres de la famille

Au niveau des autres membres de la famille (Dougbo, Tchagba), il n’y a pas une véritable répartition de l’argent. Leur part « dépend du bon vouloir » du

128 chef de famille. Mais ils sont toujours désavantagés par rapport au responsable familial des ventes.

11.2.6.3.4.6.4. au niveau du chef de village

L’apposition de sa signature sur l’attestation d’attribution légitime de ce fait l’acte de vente. Ce qui lui donne droit à cinquante milles francs (50.000) Frs CFA. Cette somme est fixe quelque soit le prix de vente du terrain dans les villages mais elle n’est pas déduite du prix de vente. Elle est remise par l’acquéreur.

II.2.6.3.4.6.5. au niveau du démarcheur

Il est chargé par le responsable familial de vente de trouver des clients intéressés par la vente de terrain. Il rencontre l’adhésion du client qu’il met en rapport avec le chef de famille. Son rôle majeur dans la marchandisation du foncier est chiffré à 10% du prix de vente dans les villages étudiés. Sa part est directement déduite du versement effectué lors de la signature de l’attestation d’attribution et de la remise du reçu de paiement.

II.2.6.3.4.7. Le marché imparfait des terres locales

Le marché imparfait des terres est le mode de marchandisation pratiqué hors du circuit régulier définit par les autorités coutumières. Pour JEAN PHILIPPE COLIN (2004 : 30) dans ce type de marché « le plus souvent, les transactions sont entourées d’un flou renforcé par le caractère caché ou déguisé des transactions ». Le marché imparfait des terres est un fait anomique qui témoigne de l’existence de l’informel dans les transactions foncières dans les

129 villages étudiés. Déjà, au début des années 2000 des terres locales sont objet de ventes fictives. Dans les localités étudiées, il est formellement interdit de vendre les terres communautaires attribuées aux citoyens du village. Cette mesure est adoptée dans l’ensemble des villages Ebrié et Akye situés dans le district d’Abidjan dès le début de l’an 2002 pour une gestion maîtrisée des terrains. En dépit de cette interdiction, le marché imparfait des terres s’impose aux chefferies locales, le foncier protégé par les autorités coutumières est bazardé.

11.2.6.3.4.7.1. Les origines

L’ère moderne de la régulation du terroir est assurée par la classe Dougbo depuis les années 1960. Majoritairement analphabète, celle-ci a fondé l’exercice du pouvoir sur les valeurs socio-culturelles. Dans les localités, ils perpétuent une politique foncière héritée. Ces pratiques se déroulent en deux périodes. La première période (1960-1980) est marquée par une générosité dans les transactions foncières. Les autorités coutumières (les Dougbo) et les chefs de famille accordent des terres aux demandeurs soit par affinité (dons) soit par vente symbolique^^. Plusieurs dizaines d’hectares de terrains ont été réappropriés par les allochtones et des allogènes réduisant considérablement le patrimoine foncier dans les villages. La deuxième période (1980-1990) est celle de l’effort de formalisation de la marchandisation du foncier. Dans les villages, on assiste à une régulation mitigée. Les aînés de la classe d’âge Gnando s’appuient sur la menace de disparition du terroir pour interdire la marchandisation des terres communautaires. Ceux-ci sont combattus par les cadets de la classe d’âge Dougbo dans leurs efforts de maîtrise du foncier. Aussi, au sein d’une même classe d’âge au pouvoir, on

Vente symbolique : la terre qui est échangée en une valeur immuable pour les offreurs. À cet effet, l'argent qu'ils perçoivent de la vente a une valeur symbolique et non vénale.

130 observe des dissensions. Certains optent pour la préservation des terres communautaires (la terre est un héritage. Pour ce fait, elle doit être transmise à la génération future). Certains estiment nécessaire la vente des terrains (avoir des terrains sans moyens de mise en valeur, c’est s’exposer aux menaces d’expropriation). Ceux qui vendent les terres bâtissent des maisons et améliorent leur condition de vie dans les villages. Charmées par ce progrès social, la plupart des chefferies et chefs de famille s’engagent dans une marchandisation intéressée^^ du foncier. Dans les débuts des années 2000, le conservatisme des aînés de la classe d’âge Gnando est qualifié d’insupportable par la classe d’âge entrante (les Dougbo). Dans les villages, on assiste à une subversion des cadets « Dougbo » qui brandissent le prétexte d’une gestion informelle du terroir. Pour eux, l’illettrisme de leur devancier (Gnando) a pris le pas sur leur bon sens. Dans la mesure où ceux-ci bradaient les terres du village à des prix dérisoires. Ils prônent une gestion maîtrisée du foncier (les terres communautaires ne doivent plus faire objet de vente, toutes transactions foncières doivent être régies par les dispositions légales en vigueur, une régulation concertée du foncier). Dès 2002, les Dougbo arrivent au pouvoir après une longue période de contestations violentes (mort d’homme, des aînés Gnando sont humiliés et battus par des cadets, destruction de biens). Depuis leur prise de pouvoir, les membres de la classe d’âge Tchagba^^ estiment que les problèmes que connaissaient le foncier n’ont pas changés. Car pour eux, la classe d’âge Dougbo au pouvoir est aussi impliquée dans le marché imparfait des terres. En plus, ils les accusent de mener une gestion opaque du terroir.

Marchandisation intéressée : vendre la terre, c’est s’enrichir. Ceux qui vendent les terres, ont beaucoup d’argents.

La classe d’âge Tchagba est la cadette de la classe d’âge Dougbo.

131 11.2.6.3.4.7.2. Des causes

Trois causes essentielles sont à l’origine du marché imparfait des terres dans les villages étudiés. Ce sont entre autre le mode d’accession intergénérationnel du foncier, l’insuffisance des terres communautaires, le manque de moyens de valorisation du foncier. La première s’explique par le système de gestion coutumier du pouvoir. Lorsqu’une classe d’âge accède au pouvoir foncier, elle exerce un droit autonome CQ du foncier . En ce sens, elle fixe ses propres règles et détermine ses objectifs à atteindre. La régulation coutumière n’est pas inclusive, l’avis des autres classes d’âge n’est pas pris en compte par leurs congénères au pouvoir. Pour eux « chacun à son tour Le temps imparti à chaque génération pour l’exercice du pouvoir foncier est de 17 ans. Durant ce temps dévolu à chaque classe d’âge qui parvient au pouvoir, il n’y a pas de possibilité légale pour les cadets d’influencer sur la régulation du foncier des ainés au pouvoir. La deuxième est liée à l’expropriation des terres coutumières par l’État et à la marchandisation non maîtrisée des terres existantes. La réalisation des grands travaux de l’État dans les périodes post-indépendances a engendré le départ de certains villageois hors de leur terroir d’origine (village de Locodjro, d’Anoumanbo et d’Attécoubé). Ceux-ci sont conduits vers un territoire aménagé pour l’habitat. Certains villages par contre conservent leur emplacement géographique mais perdent leurs terres (village d’Anono, de Bingerville village, d’Abobo Doumé et d’Abobo Baoulé). Par ailleurs, dans l’ensemble des villages, un nombre important de lots sont devenus la propriété des « étrangers

Droit autonome du foncier : la classe d’âge au pouvoir impose les critères lui permettant de gérer à sa guise le terroir.

« Chacun à son tour » : propos du doyen ABOTCHA de la classe Dougbo d’Abobo Doumé.

Étrangers : allochtones et autochtones sont devenus propriétaires de terrains coutumiers par le moyen de la marchandisation.

132 La troisième découle de la distribution des terres aux nouveaux citoyens. Ce partage repose sur l’équité. Les lots communautaires sont repartis entre les initiés sans discrimination sociale. Seuls les plus nantis arrivent à les mettre en valeur (construction d’habitats). Par contre, les autres sont obligés de recourir à la marchandisation. Ainsi, nombreux sont ceux qui vendent leurs terres. Seulement une frange opte pour la conservation du bien reçu.

11.2.6.3.4.7.3. Les acteurs concernés

Le marché imparfait des terres est le fait de plusieurs acteurs dans les localités. Ce sont les classes d’âge au pouvoir (autorités coutumières), les chefs de famille et les villageois.

11.2.6.3.4.7.3.1. De la responsabilité de la classe d’âge au pouvoir

Il est rapporté par les cadets de la classe d’âge Tchaga et les autres citoyens dans les villages que le marché imparfait des terres engage pour une bonne part la responsabilité de la classe d’âge Dougbo. Il est aussi signifié que certains membres des Dougbo au pouvoir procèdent à la redistribution des terres communautaires à leurs parents et amis qui les revendent ensuite au profit de ceux-ci. Selon les villageois « ils cachent bien leur jeu » mais il y a des preuves qui dévoilent leurs actions. Par ces manœuvres, ils ont acquis des biens (résidences, voitures, magasins) qu’ils n’auraient pas eu auparavant. Alors, pour les cadets Tchagba le marché imparfait des terres est du ressort premier de la classe d’âge Dougbo au pouvoir. Elle est la seule en charge de la régulation du terroir. S’il advient des écarts, elle a les moyens d’y remédier.

133 11.2.6.3.4.7.3.2. de la responsabilité du chef de famille

Dans les familles, il est signifié par les Tchagba que certains aînés Dougbo et Gnando, chefs de famille sont engagés dans le marché illicite des terres pour accroître leur gain économique et maintenir leur position sociale. Certains vendent un lot à deux acheteurs. Dans ce cas, ils distribuent plusieurs exemplaires de l’attestation d’attribution portant les mêmes numéros d’ilôts aux acheteurs. Certains vendent un lot au prix de deux, exposant ainsi l’acheteur à un dépassement de bornes. Ils agissent de la sorte dans la mesure où ils ne rencontrent aucune résistance majeure. D’ailleurs, s’ils venaient à être pénalement responsables, leurs familles s’engageraient à payer la caution fixée par la partie adverse.

II.2.6.3.4.7.3.3. de la responsabilité des villageois

Officiellement, il est rapporté par les autorités coutumières que le marché imparfait des terres est pratiqué par les Gnando et Dougbo qui ne détiennent pas de moyens financiers pour mettre en valeur les lots mis à leurs dispositions. Les terres qu’ils reçoivent sont interdites de vente. Les terres communautaires sont du domaine du patrimoine inaliénable du village. Pour des cas de vente illicite, le contrevenant est immédiatement exproprié de sa terre et exclut du droit de possession de terrains villageois. Pour ROBERT MERTON (1957 : 386) « Toute société ou tout groupe social attend des individus qu’ils partagent les objectifs considérés comme moraux ». Pourtant, les terres communautaires redistribuées sont vendues impunément par les récipiendaires.

Aussi, certains Tchagba dans les familles choisissent de contourner l’autorité des chefs de famille. Alors, ils vendent des terres à l’insu de celui-ci. Ils reproduisent la lettre d’attribution d’un lot familial déjà vendu tout en imitant la signature du chef de famille.

134 CHAPITRE TROISIÈME : CONFLITS FONCIERS : ORIGINES, TYPOLOGIE ET MODES (LOCAUX) DE GESTION

II.3.1. Les origines des conflits

Les conflits ont pour causes les facteurs économiques, le mode de gestion des revues et les facteurs socioculturels.

n.3.1.1. Les facteurs économiques

Des facteurs économiques sont l’une des causes majeures de la marchandisation des terres locales. Ils sont liés au bouleversement économique survenu dans les localités étudiées, à l’évocation du droit de propriété, à la contestation des limites foncières et la perception de la marchandisation comme génératrice de revenus.

IL3.1.L1. Les bouleversements économiques survenus dans les villages

La marchandisation du foncier dans les localités est un fait récent étroitement lié à la pression démographique, à l’urbanisation galopante, et à la crise économique des années 1980. Les grands chantiers de la Côte d’ivoire post indépendance dans les années 1970 provoquent un flux important d’immigration. On assiste à un déplacement de masse d’une main d’œuvre de la sous-région (Burkina Faso, Mali, Guinée, Ghana et Togo). Ces immigrés vont considérablement se déverser dans les grandes métropoles. Surtout plus de 60% des effectifs vont se retrouver dans la capitale économique Abidjanaise. Désormais, les autochtones Tchaman sont obligés d’assister à une cohabitation avec les allogènes qui ont choisi d’habiter les bourgades d’Abobo, de Yopougon, d’Adjamé et de Koumassi à proximité des

135 grands centres de production industriels (zones industrielles de Yopougon et de Vridi) et des complexes administratifs (cité administrative du plateau et cité riveraine de Cocody). Cette pression démographique va considérablement affecter la pratique des activités économiques de base (pêche et agriculture). Concernant l’activité halieutique, les Tchaman partagent la lagune Ebrié avec les Awlan, originaire du Ghana. Au fil du temps, cette activité est délaissée par les Tchaman à cause de la pollution des eaux par les unités industrielles. Pour l’activité agricole, les Tchaman sont obligés de réduire ou de supprimer les ères cultivables parce que les champs des Ebrié sont devenus les communes du nouveau district d’Abidjan. Depuis les années 1960, la construction de l’État ivoirien s’est matérialisée par l’édification de sa capitale économique en une cité fortement urbanisée. Ainsi, le choix d’Abidjan comme lieu pour la réalisation du projet va changer le mode vie des autochtones Bidjan. Avant l’indépendance, les Bidjan qui vivaient ensemble sur un même site (l’actuelle ville du plateau), assistent à une dislocation de leur gros village en 1967 sous l’ordre du Président Félix Houphouët-Boigny. Pour raison de chantier (la construction des buildings, des ponts et des autoroutes de la capitale économique), ils seront recasés vers l’ouest sur le site de l’actuel village de Locodjro.^’ Ce transfèrement à l’origine de l’éclatement de l’ancien village et de la naissance des nouveaux villages Bidjan (Locodjro, Attécoubé, Anoumanbo, Adjamé, Agban, Cocody village, Birobidjan, santé) à la périphérie d’Abidjan influence profondément le rapport des Bidjan à la terre. Ceux-ci prennent conscience de la valeur économique de leurs terres. Cette nouvelle disposition foncière de la communauté Bidjan sera confortée au fil du temps à mesure que la croissance démographique va conduire les sociétés immobilières et les particuliers à promouvoir la construction d’habitat à grande échelle. Alors, on assiste à l’émergence de la valeur vénale de la terre en société Tchaman dans les

Op.cit., origine et localisation des villages Ebrié., p55.

136 années 1990. Le foncier devient dans les localités étudiées la principale source de revenus pour les privilégiés^^ qui en disposent. La crise économique des années 1980 entraine l’effondrement des piliers économiques du pays. L’Etat dont l’ambition majeure est le redressement économique opte pour les ajustements structurels. Pour ce faire, l’État va supprimer des unités de production (établissements publics et usines). Cette nouvelle situation économique du pays va fortement dépeindre sur le niveau de vie des Abidjanais en occurrence des villageois Tchaman et Akye situés en zone périurbaine. En effet, certains autochtones qui exerçaient dans ces différents secteurs d’activités vont également subir les vagues de licenciement qui ravagent ces organisations. Après avoir dépensé les pensions de droit à la retraite, ceux-ci sont obligés de faire face au contraste d’une vie de villageois sans plantation. Cette réalité se reflète à travers la présence de villas et de duplex de style colonial dans les villages d’où leur dénomination locale de « maison de vieux retraité ». Ceux-ci sont en majorité les membres de la classe Gnando en charge de la régulation foncière dans les localités jusqu’en 2002. La construction des EPP (École, Primaire, Publique) dans les villages et l’adoption de la politique de scolarisation « des enfants en âge d’aller à école » par les autochtones dès les années 1970 favorisent l’émergence d’une élite intellectuelle. Plus tard dans les années 1990, ces intellectuels ont un regard de plus en plus critique sur la gestion foncière menée par leurs pères. Ils déplorent le conservatisme des aînés. Pour eux, la situation foncière dans la métropole Abidjanaise a changé. Alors, ils prônent des reformes^^ pour un changement des pratiques foncières. Pour eux, les méthodes de régulation du terroir par les aînés calquées sur « l’esprit du don » accentuent la disparition des terres dans les communautés. Ils contestent l’aptitude des aînés à réguler le foncier. Pour ce faire.

\hid., partage des terres au sein des classes d’âge, pl 16

Reforme : rompre avec l’informel dans les pratiques foncières, institutionnaliser la marchandisation du foncier, faire bénéficier les retombées des transactions financières aux villageois

137 ils boycottent les efforts des aînés à améliorer les pratiques foncières dans les localités. Ils exigent une démission des aînés. En l’an 2000 les querelles entre cadets Dougbo et aînés Gnando s’accentuent dans les villages d’Abobo Baoulé, I d’Abobo Doumé, d’Anono, d’Anoumanbo, de Djrogobité et de Locodjro. En l’an 2002 l’opposition entre Dougbo et Gnando occasionne des morts d’hommes (deux (02)morts dans le village de Locodjro et un (01) mort dans le village de Djrogobité), des blessés (environ quatorze (14) blessés dans l’ensemble des villages), la destruction des biens immobiliers et mobiliers des aînés (des villas, des maisons à location, des magasins et des voitures). Suite à cette confrontation les aînés Gnando sont évincés du pouvoir par les cadets Dougbo. Dans les familles, l’autorité du chef de famille est aussi mise en mal par les critiques des cadets Dougbo et Tchagba, mais celui-ci peut compter sur l’immuabilité de son pouvoir (le chef de famille ne peut être démis ni remplacé tant qu’il demeure vivant). Cependant, depuis cette dernière décennie les chefs de famille sont de plus en plus jeunes. La plupart des aînés Gnando qui occupaient les charges du chef de famille ont cédé le pouvoir à leurs neveux (issue de la classe d’âge Dougbo) pour cause de décès ou de maladie.

11.3.1.1.2. L’évocation de droit de propriété et contestation des limites foncières

Les acquéreurs de terrains locaux sont confrontés à un double défi. Pour valider l’acte de vente, ils doivent s’assurer d’acheter le bon terrain au bon propriétaire. Le premier défi est déterminant pour le reste du processus en ce sens qu’un mauvais achat abroge tout effort de certifier la terre achetée par le MCLIA. Ainsi, en cas de marchandisation imparfaite, il n’existe pas de moyen de contournement des mesures administratives pour obtenir la lettre d’attribution et le titre foncier. Le deuxième défi oblige l’acheteur en cas d’achat régulier à entreprendre dans un bref délai, les démarches administratives en vue de sécuriser

138 sa terre. Par ailleurs, l’évocation du droit de propriété foncier de la part de l’acheteur prend tout son sens qu’après avoir surmonté ses défis. Néanmoins, il est couramment observé que plusieurs acheteurs de terres par faute d’ignorance se font gruger par les vendeurs locaux. D’abord, cette situation est tributaire de la confiance accordée aux autorités locales et familiales par les acheteurs. Ensuite, plusieurs acheteurs ignorent les dispositions foncières locales et administratives. Pour cela, ils se lancent dans le processus en comptant sur la bonne volonté des vendeurs locaux. Cette initiative est récompensée quand l’acheteur trouve dans le village un vendeur respectueux des principes qui régissent la marchandisation du foncier local. En situation de conflit opposant deux acheteurs sur le droit à la terre, seulement celui qui est parvenu à l’établissement de la lettre d’attribution ou du titre foncier l’emporte sur l’autre qui s’appuie sur la seule preuve de l’attestation d’attribution villageoise. Ce dernier ne devra s’en remettre qu’aux mains des autorités coutumières ou judiciaires pour réclamer ce que de droit. Pour un litige qui porte sur le dépassement des limites, l’acquéreur de terrain ne devra se référer qu’au vendeur. Celui-ci peut être soit à l’initiative d’une marchandisation imparfaite, soit auteur ou victime d’un mauvais morcèlement. Dans ce cas, il détient comme moyen de recours l’intervention des autorités coutumières qui disposent toujours du plan guide du village où sont répertoriés l’ensemble des terrains du village. A partir de ce document ceux-ci pourront établir les proportions réelles du terrain concerné. S’il advient que le vendeur à dépassé de son propre gré les véritables limites du terrain, les autorités locales s’engagent à le faire restituer la portion supplémentaire en nature ou en argent dans le cadre d’un recours introduit par l’acheteur. Pour un différend qui engage deux propriétaires locaux dans le cas d’un dépassement de limite de terre, le plaignant dispose comme moyen de recours, la médiation des autorités coutumières. Ceux-ci se trouvent directement impliqués parce qu’ils sont à l’origine du partage des terres et de la maîtrise du foncier local. Le règlement de ce type de conflit repose sur la capacité de celles-ci à faire

139 recours à l’histoire foncière^^ qui légitime le droit de propriété locale. Alors, si rhistoire foncière reconnaît le droit de propriété du plaignant, celui-ci reçoit l’aval des autorités coutumières de disposer de sa terre en toute quiétude.

11.3.1.1.3. La perception de la marchandisation comme génératrice de revenus

La perception de la marchandisation comme génératrice de revenus est la visée première des vendeurs locaux. Le mode de gestion des revenus en est un facteur déterminant après l’acte de vente.

II.3.1.1.3.1. Le mode de gestion des revenus

Le mode de gestion des revenus post-vente dépend de deux types d’autorités dans les localités étudiées (les autorités coutumières et le chef de famille). Lorsque qu’une vente a lieu dans le village, les autorités coutumières (chefferie et comité local de gestion du foncier) décident des orientations à donner à l’argent reçu. Dans les localités, lorsque la marchandisation des terrains est menée par les autorités coutumières {Dougbo}, il apparaît que ceux-ci sollicitent le concours des familles et des représentants des classes d’âge. Cette initiative des autorités coutumières est limitée dès la mise en place d’un cadre réglementaire consensuel pour légitimer la marchandisation. Une fois la vente effectuée, l’argent obtenu est placé sous la responsabilité exclusive de la chefferie. C’est elle qui décide d’informer les chefs de famille et les représentants de classe d’âge de la somme recueillie. Selon nos enquêtes, la chefferie divulgue exclusivement les

L'histoire foncière : le récit antérieur relatif à l'emplacement et à la proportion du terrain. Il retrace la transmission de la terre depuis l'aïeul jusqu'à l'ayant droit actuel. Le doyen d'âge en est le dépositaire.

140 informations post-vente aux représentants des classes d’âge Dougbo et Gnando. Par ailleurs, elle exclut voir restreint la participation de la classe d’âge Tchagba au processus de gestion du foncier. Néanmoins, elle informe en secret les membres de la classe d’âge Dougbo et chefs de famille sur l’entièreté des résultats de la vente. Lorsque des différends surviennent entre les autorités coutumières, les chefs de famille et les représentants des classes d’âge ; seule la classe d’âge Tchagba est exclue du processus de résolution du conflit. Elle fait acte de présence, mais doit faire preuve d’abstention dans les discours des aînés sociaux. Leur implication dans les processus de marchandisation et de résolution revêt un sens d’apprentissage au sein du collège des anciens. Les conflits post­ marchandisation entre les groupes sociaux sont résolus à l’amiable. Le verdict est différemment apprécié par ceux-ci. Par ailleurs, quelle que soit la sentence rendue, ils devront s’y soumettre pour préserver la cohésion sociale. Dans la famille, le mode de gestion des revenus repose sur le chef de famille. C’est autour de lui que gravite le processus de marchandisation des terres familiales. L’origine de son pouvoir est coutumière. Le chef de famille hérite de la terre de son oncle selon le système matrilinéaire de transmission de biens en société Tchaman. Il détient les droits de terre de la famille. Tout mode d’usage du foncier repose sur sa personnalité. Pour le chef de famille introverti, la gestion des terres est individualiste. Il est à l’initiative et à la fin du processus de vente des terres. Il n’associe pas réellement les autres membres de la famille. Il jouit seul des revenus post-vente des terrains familiaux. Le chef de famille introverti crée l’adversité ouverte ou latente auprès de ses paires, ses ainés et cadets sociaux (Gnando, Dougbo et Tchagba). Dans les familles où il siège, on assiste souvent à l’émergence de la marchandisation imparfaite du foncier. Cette situation s’explique par le fait que les autres membres ne disposent pas d’un fondement coutumier réel qui légitimerait une quelconque protestation de leur part. En représailles, ils s’engagent dans des actions de sabotage et de contournement (falsification de l’attestation d’attribution villageoise, imitation de la signature et vente à l’insu du chef de famille) du processus de marchandisation du foncier familial.

141 Pour le chef de famille extraverti, la gestion du foncier est l’affaire de tous. Il préconise une gestion communautaire du foncier dans laquelle l’apport des autres membres de la famille compte dans le processus de régulation des terrains familiaux. Le chef de famille extraverti fait recourt au responsable familial de vente pour l’aider dans la marchandisation des terres. Surtout, il confère à celui-ci une large marge de manœuvre dans le système de vente des terres. Dans certains cas de figure, le rôle assigné au responsable familial de vente est aussi important que celui du chef de famille a tendance à disparaître. Néanmoins, ce dernier s’assure de son rôle à la fin du processus de vente. Quelle que soit la localité, il fédère autour de lui les autres membres de la famille dans la marchandisation du foncier. Il prône une démocratisation dans la gestion de terres familiales. Sous son égide, la distribution des terres est équitablement repartie au sein des différentes classes (Gnando, Dougbo et Tchagba). C’est ce que nous constatons dans quelques localités où les cadets Tchagba sont intégrés pleinement dans la marchandisation. D’ailleurs, certains peuvent se vanter de posséder leurs propres terres qu’ils peuvent disposer à leur guise. Le chef de famille extraverti oriente les retombés post-vente sur les projets d’intérêts communs (construction d’habitat à location, champs agricoles et assistance sociale). Des familles que dirigent les chefs de familles extravertis sont à Tabri des querelles intestines entre aînés et cadets. De plus, la collégialité dans la régulation du terroir empêche les pratiques de marchandisation imparfaite.

11.3.1.1.3.2. La confiscation des revenus par les chefs de famille et de sous- rémunération par les acteurs directs des ventes

Dans les localités, il y a des chefs de famille qui sollicitent l’aide du responsable familial de vente et des démarcheurs dans la vente des terres. Mais ceux-ci refusent de les rémunérer conformément aux clauses du contrat de vente. La marchandisation des terres dans les familles est organisée de sorte que le chef de famille soit toujours celui qui perçoit l’argent de vente. Le processus de

142 marchandisation implique au départ le chef de famille. Celui-ci engage l’ouverture du marché foncier par l’autorisation qu’il donne au responsable familial de vente de contacter un démarcheur. Le responsable de vente a la lourde tâche de planifier le processus de vente du terrain. Pour ce faire, il reçoit des mains du chef de famille un plan guide des terrains. Ce document permettra à celui-ci de justifier auprès du vendeur les lots et les numéros des ilôts correspondants aux terres de la propriété familiale. C’est par cette démonstration de preuve que l’acheteur s’engage à poursuivre le processus d’achat. Le responsable familial de vente transmet au démarcheur la décision de vente. Celui-ci à son niveau va mener toutes les démarches nécessaires pour trouver des acheteurs potentiels avec ses propres moyens. Il devra déceler le bon acheteur parmi ceux-ci. Une fois ce travail accompli, il est chargé de mettre en contact l’acheteur et le responsable familial de vente. Le responsable familial de vente à son tour conduit l’acheteur et le démarcheur chez le chef de famille après l’étape de la visite du terrain. L’acte final d’achat se fait toujours en présence du chef de famille. Celui-ci perçoit directement l’argent et délivre un reçu de paiement et une attestation d’attribution à l’acheteur. Les devises post-vente sont reparties au niveau des acteurs de vente comme suit : 10% pour le démarcheur, cinquante milles (50.000) Frs CFA quel que soit le prix d’achat au chef du village, au moins cent milles (100.000) Frs CFA au responsable familial de vente et le reste de l’argent revient au chef de famille. Malgré la part importante non définie dont bénéficie le chef de famille après l’achat d’une terre, certains chefs de famille refusent de rémunérer convenablement les autres acteurs de la marchandisation. L’argent qu’il donne est toujours en dessous du seuil défini. Il promet à ceux-ci d’honorer ses engagements dans un délai proche non défini. À l’issue d’une longue période d’attente sans suite, ces derniers se saisissent des autorités coutumières pour réclamer ce que de droit. Le différend qui oppose les autres acteurs au chef de famille est souvent réglé à l’amiable par la chefferie.

143 II.3.1.2. Les facteurs socioculturels

Les facteurs socioculturels interviennent surtout dans la répartition de l’argent post-vente au sein des classes d’âge dans la famille et dans le village. Dans le village, lorsqu’à lieu une vente de terrain, la répartition des devises se fait selon le critère de la génération au pouvoir. Les autorités coutumières en charge du partage du gain s’assurent d’abord de la dotation de la classe d’âge Dougbo au pouvoir. La somme est directement remise au responsable des classes d’âge. Les Dougbo s’approprient la moitié de l’argent. Cette partition, selon les dignitaires Dougbo est fonction des obligations liées aux objectifs de gestion du village (réhabilitation des écoles, réaménagement des routes, construction d’infrastructures communautaires, assistance sociale). Pour eux, les besoins sont illimités et la part qui leur revient est infime pour les combler. Cette situation selon les Dougbo donne l’impression à certains villageois que l’argent n’est pas utilisé pour la cause commune. Néanmoins, les membres de la classe d’âge Dougbo ne perçoivent pas directement l’argent perçu par le responsable familial. Cet argent est employé pour l’organisation des activités culturelles (fête de génération, danse guendère et fête de nouvel an). C’est dans ces actions culturelles que les Dougbo peuvent apprécier individuellement l’argent de vente. Les autorités coutumières procèdent ensuite à la répartition de l’argent au sein des différentes classes d’âge. L’autre moitié de l’argent est reparti par ordre de grandeur (en se basant sur le critère de l’âge) entre les autres. L’argent est directement remis au responsable des autres classes d’âge. Les Gnando perçoivent leur dû, ensuite les Tchagba. Cet argent n’est jamais reparti par individu dans la classe d’âge. À l’instar des Dougbo, l’argent est dépensé dans l’organisation des activités socioculturelles du village. Une partie de l’argent est toujours préservée pour l’assistance sociale des membres de classe d’âge (cas de maladie dont l’intervention médicale nécessite l’apport de moyens financiers considérables, perte de biens et de personnes). La gestion de l’argent se fait de manière collégiale à l’intérieur de chaque classe d’âge.

144 Il existe plusieurs types de conflits suscités par l’irrégularité de la marchandisation dans les localités étudiées. Les conflits sont souvent d’ordres collectifs et individuels. Aussi, est-il nécessaire de situer la nature des conflits dans le cadre de cette étude tout en établissant les méthodes de règlements de ceux-ci.

II.3.2. Typologie des conflits

On distingue deux grands types de conflits : les conflits personnels (acquéreurs et vendeurs) et collectifs.

11.3.2.1. Les conflits personnels Il s’agit des conflits qui opposent soit deux acquéreurs soit deux vendeurs.

II.3.2.1.1. Conflits entre acquéreurs

Plusieurs causes sont à l’origine de ce conflit, alors on distingue les cas suivants : Dépassement des limites fixées par les bornes

Destruction des travaux effectués n.3.2.1.1.1. Les dépassements des limites fixées par les bornes

Situation du conflit

Dans le village d’Abobo Baoulé, il arrive qu’un acquéreur exploite une partie de la parcelle d’un autre acquéreur. Monsieur N’KAYO, le président du COGES du village d’Abobo Baoulé est sollicité pour régler un différend qui oppose

145 Monsieur KOUAME ANDERSON et Monsieur KADJO APPOLINAIRE tous deux acquéreurs de terrain sur le nouveau site d’Abobo Baoulé extension. Monsieur KADJO APPOLINAIRE est le détenteur d’un terrain de mille deux cent mètre carré (1200m^) qu’il avait acheté avec Monsieur DOGBO CAMILLE (membre de la classe d’âge Gnando). En effet, le terrain en question a été utilisé partiellement par Monsieur KOUAME ANDERSON, le propriétaire d’un terrain voisin. A la découverte de cet incident, il décide de porter l’affaire devant Monsieur N’KAYO le Président du comité de gestion du village.

Gestion du conflit

Récit n”16. Auteur Monsieur KADJO Appolinaire, un acquéreur de terrain dans la localité d’Abobo Baoulé, discours « biographie » du vendredi 24 février 2012. {Durée 2heures 07 minutes}.

« Suite à ma plainte, Monsieur N’KAYO décide sagement de nous convoquer au palais de l’unité d’Abobo Baoulé en présence de l’ensemble des membres du comité local de gestion du foncier. Le comité local de gestion du foncier nous demande de nous expliquer. Après, nous avoir écoutés, ils décèlent une incohérence dans les informations fournies par Monsieur KOVAME ANDERSON. Car il confesse qu’il a acheté à Monsieur KOUTOUAN GERARD (le responsable familial de vente), un grand terrain de mille sept cent mètres carré (1700nP). Le comité local de gestion du foncier après une heure de concertation avec le chef du village en présence du Nana, soutient en s ’appuyant sur le document (plan guide des lots du village) que ce lieu où se situent ces deux terrains litigieux est du domaine d’Abobo Baoulé extension morcelé uniquement en des lots de mille deux cent mètres carrés (I2()()jif), tandis que Monsieur KOUAME

146 ANDERSON au cours de l'entrevue présente une attestation sur laquelle il est le bénéficiaire d'un lot de mille sept cent mètre carré (1700m^") ».

'A Résultat

« Le comité local de gestion du foncier après un quart d’heure de délibération exige que Monsieur KOUTOUAN GERARD, le vendeur étant l'auteur du conflit rembourse à Monsieur KOUAME ANDERSON dans un délai d'une semaine le prix du lot de cinq cent mètres carré (500m ). Quant à moi, il m'a restitué la partie mon loi qu'il a utilisé. En plus, de cette mesure Monsieur KOUTOUAN GERARD devra payer une amande estimée à cinquante mille (50.000) de Ers CFA au comité local de gestion du foncier ».

11.3.2.1.1.2. La destruction des travaux effectués

Situation du conflit

Il s’agit du cas ou un acquéreur démolit les travaux effectués par un autre au motif qu’il est le propriétaire du lot. Parmi les deux acquéreurs en conclave, l’un dispose de l’attestation d’attribution villageoise et l’autre d’une lettre d’attribution du MCUA et d’un titre foncier de l’État de Côte d’ivoire. De ce fait. ce dernier bénéficie d’un droit d’usage légal au détriment de l’autre.

Récit n”17, Auteur Monsieur ADIKO, un acquéreur de terrain dans la localité d’Abobo Baoulé, discours « biographie » du lundi 04 août 2012. {Durée 2 heures 23 minutes'}.

147 « Je suis détenteur d’un lot de mille deux cent mètres carré (IJOOiif) que j’ai acquis avec Monsieur AKOU GILBERT, Tun des aînés Gnando du village d’Anono. Un mois après le début de mes travaux de construction, je constate que ne suis pas le seul à revendiquer le droit de propriété du lot, car Monsieur SAHI BENOIT me montre en plus de l’attestation villageoise de propriété, un titre foncier. Je constate avec amertume que ce document fait de Monsieur SAHI BENOIT le véritable propriétaire du lot. Il n ’hésite pas à détruire ma construction alors que j'avais déjà investi la somme de deux millions trois cent mille (2.300.000) Frs CFA pour la réalisation de ces travaux. Voyant la gravité de la situation et surtout que tout recours à l’encontre de Monsieur SAHI BENOIT est une peine perdue ; je décide de m ’en prendre à Monsieur AKOU GILBERT, le doyen d’âge des Dougbo (membre de la chefferie d’Anono) vendeur du lot ».

V Gestion du conflit

« Je pose mon problème au comité local de gestion du foncier, mais celui-ci me révèle qu ’il ne dispose pas de compétence face aux preuves juridico-administratives de Monsieur SA HL Néanmoins, connaissant déjà l’origine du problème, il décide de concert avec la chefferie d’interpeller le doyen AKOU, celui qui m ’a vendu un terrain frauduleux. Malheureusement, celui-ci ne répond pas aux nombreuses convocations du comité local de gestion du foncier, car il prétexte qu ’il ne peut s ’humilier devant ses cadets qu ’il connaît bien. Selon ce que j ’ai entendu, il dit qu 'ils ne sont pas des saints et qu ’il n ’a aucun compte à leur rendre ».

148 Résultat

« Le comité local de gestion du foncier a sollicité ma patience dans cette affaire. Mais, étant exaspéré par la situation, je décide faire recours aux autorités judiciaires pour réclamer ce que de droit. Alors, le Doyen est arrêté par la police judiciaire et transféré à la MAC A d’Abidjan. Trois mois plus tard, j’ai reçu dédommagement et le doyen AKOU a été libéré suite à l’abandon de mes charges pénales ».

II.3.2.1.1.3. Les conflits vendeurs et acheteurs

On distingue les reventes de terrain, les ventes clandestines et la non- reconnaissance des transactions foncières dans les villages d’Abobo Doumé, de Locodjro et d’Akéikoi.

Situation du conflit

Dans les villages étudiés, cette situation est essentiellement causée par le non-respect des termes du contrat de vente par l’une des parties contractantes. En ce qui concerne l’acquéreur, lorsqu’il ne dispose pas de la totalité de la somme où ne peut pas payer comptant, en accord avec le vendeur, ils définissent les modalités de paiement par tranches. Cependant, il verse un acompte correspondant le plus souvent au moins au prix de la moitié du prix de vente du terrain. Quand le délai fixé est passé sans qu’il ne paye le reliquat, les sommes versées se font de manière irrégulière, le vendeur trouve un nouvel acquéreur a qui il revend le même terrain, mais comptant.

149 Récit n”18, Auteur Monsieur AKA Émile, un acquéreur de terrains dans la localité d’Anono, discours «biographie» du Jeudi 31 juillet 2012. {Durée 2 heures 07 minutes}

«Je suis le directeur de l’école du village d’Anono. J’ai contacté Monsieur NANDO ERIC, l’un des membres de la classe d’âge Dougbo au sujet du terrain que je souhaitais acquérir. Après un temps d’entrevue avec lui, il accepte de me céder au prix de trois millions (3.000.000) de Ers CFA deux lots de 600m^. Mais, n’ayant pas la totalité de l ’argent, j ’ai donc promis de faire un versement par tranche mensuellement sur une durée de six (06) mois. Trois mois après la première solde. Monsieur NANDO perçoit la somme de deux cent mille (200.000) de Frs CFA. Après, face aux difficultés que je traversais, je n’ai pu effectuer d’autres versements jusqu ’à épuisement du délai. Ensuite, Monsieur NANDO a pris tout seul la décision de céder ses lots à un autre acheteur qui lui a payé certainement comptant. J’ai convoqué Monsieur NANDO auprès du comité local de gestion du foncier ».

Y Gestion du conflit

« Le comité local de gestion du foncier après une séance d’entretien avec moi décide de nous convoquer. Monsieur NANDO est le premier à se présenter au foyer des jeunes. Il tenait dans sa main un porte-document. Une (01) heure après je suis arrivé en compagnie de mes enfants. Le responsable du COGES demande à Monsieur Nando de s’expliquer pour les faits qui lui sont reprochés. C’est ainsi que Monsieur NANDO affirme que je l’ai déçu parce que selon lui, j’ai manqué à mes engagements. Je

150 réagis avec mes enfants, nous l’avons accusé d’être un voleur. Voyant la situation se dégrader, le président du comité local de gestion du foncier intervient nous impose un silence. Le comité local de gestion du foncier affirme avoir cerné le problème dans son entièreté. Ainsi, le président du comité met fin à la réunion et fixe au lendemain le jour du verdict. »

V Résultat

« Le président du comité local de gestion du foncier, au cours de cette dernière séance demande à Monsieur NANDO de me rembourser, la totalité de mon argent. D’ailleurs, il fixe une amande de cinquante mille (50.000) de Frs CFA que devra payer Monsieur NANDO à la chefferie (pour avoir contourné les règles en vigueur sur le foncier coutumier). Quant à moi, j’estime être satisfait du verdict rendu. Monsieur NANDO mécontent exprime encore sa déception et promet de s ’acquitter des amandes qui lui ont été infligées dans un bref délai. Néanmoins, il affirme ne plus vendre un terrain par affinité, car selon lui, j’ai abusé de sa patience et de sa générosité ».

11.3.2.1.1.3.1. Les ventes clandestines

Situation du conflit

On constate dans les villages étudiés, les cas où le vendeur détourne un terrain à son actif à l’insu du vrai propriétaire. Monsieur DOGBO LAMBERT, l’un des doyens d’âge du village d’Anonkoua Kouté est confronté à une vente clandestine.

151 Récit n”19, Auteur Monsieur DOGBO Lambert, un Gnando, chef de famille DOGBO, dans ce village d’Anonkoua Kouté, discours « biographie » du vendredi 23mai 2012. {Durée 2 heures 03 minutes}

«J'ai confié à son cousin DOGBO ARNAUD, un membre de la classe d’âge Dougbo, en tant que démarcheur trois (03) lots de 1200m.^ Je l’ai chargé de trouver des acheteurs en prenant pour preuve les copies du plan guide des lots. Une fois qu ’il trouve des acheteurs, il doit les mettre en contact avec moi. Six mois plus tard, je tente plusieurs fois de m’informer de cette mission. Mais, il me déclare qu ’il est toujours en quête du vendeur idéal. Pour m ’assurer de l’état des lieux, je décide de me rendre sur le site oit se trouvent les lots. Là, je constate que des maisons y avaient été bâties. Après renseignement, je découvre que deux de ses lots ont été vendus, que le troisième abritait les travaux de la future résidence de mon cousin. Confus, je décide de porter l’affaire devant les autorités coutumières ».

Gestion du conflit

« Je me rends auprès du comité local de gestion du foncier pour exposer mon problème. Le responsable du comité local de gestion du foncier convoque immédiatement mon cousin pour entendre sa version des faits. Mais, les aveux de ce dernier fait ressurgir un contentieux familial opposant Dougbo et Gnando. Pourtant, je reconnais avoir procédé à un partage de lots au sein de la grande famille. Aussi, j’ai affirmé détenir la moitié des lots qui sont actuellement à ma charge. Pour moi, ma personnalité de chef de famille me donne bien droit à réguler le foncier comme bon me semble. Le responsable du comité local de gestion du foncier met

152 fin à la séance tout en signifiant que « le linge sale se lave en famille ».

•A Résultat

« Le comité local de gestion du foncier pendant une réunion en ma présence et en compagnie de mon cousin, déclare ne pas avoir les compétences pour régler ce type de contentieux. De ce fait, le responsable du comité local de gestion du foncier me suggère de régler moi-même ce problème ».

II.3.2.1.13.2. La non-reconnaissance de la transaction foncière par le propriétaire terrien

Il advient souvent que dans la localité d’Attécoubé, le responsable familial de vente procède à la vente du terrain à sa charge sans informer le chef de famille.

Récit n^20. Auteur Monsieur AHOUTO Emile, un acquéreur de terrains dans la localité d’Attécoubé, discours « biographie » du vendredi 28 mars 2012. (Durée 2 heures 21 minutes).

Situation du conflit

«Je suis un sexagénaire membre de la classe d’âge Gnando, je disposais d'un lot de mille deux cent mètre carré (l20()m^^ que je comptais mettre en vente pour faire face aux frais de ma prise en charge médicale estimée à plusieurs milliers de francs CFA. Pour la vente, j'ai fait recours au service de monsieur AWONDJO CAMILLE, un membre de la classe Dougbo. Celui-ci dans un bref

153 délai devait vendre le terrain et obtenir de l'acheteur la totalité de l’argent. Au contraire, il m’a déclaré que l’acheteur a versé seulement la moitié de la somme vue qu ’il devait parer au plus pressé. Néanmoins, il m’a informé que ce dernier lui l’apporterait l’autre moitié en début du mois. J’ai refusé la proposition de Monsieur AWONDJO EMILLE. Je lui ai demandé de me restituer dans un délai de deux semaines, la totalité de mon argent. Mais, il ne pu honorer les délais et ne pu rembourser l'argent. Je décide de faire fi de sa maladie pour me confier à la chefferie du village afin que justice me soit rendue ».

'A Gestion du conflit

«Aussitôt saisi de mon problème, aussitôt le comité local de gestion du foncier interpelle Monsieur AWONDJO pour lui rapporter les faits qui lui sont reprochés en ma présence. Pour la circonstance, le responsable du comité demande à Monsieur A WONDJO de se retirer du groupe pour occuper un siège isolé au centre de l’assemblé. Après l’avoir entendu, le comité par un vote de sanction, le déclare excommunié. Pour le comité, au-delà de l'atteinte à l'éthique du groupe, cet homme faisant partie de leur rang est démuni d’humanisme. Car celui-ci n’a point tenu compte de l'état de ma santé qui était précaire. Le comité me fait savoir qu ’en dépit de cette plainte, il existe quatre (04) autres plaintes à l'encontre de Monsieur A WONDJO pour cas de vente frauduleuse de terrain. Il affirme que cette mesure est la résultante du couronnement de plusieurs mis en garde. Le responsable du comité promet qu’un jugement exemplaire sera rendu. Sur ce, il nous renvoie pour le jour du verdict ».

154 Résultat

« J’ai obtenu la restitution de mon terrain. Bien que des travaux y eussent été déjà entamés par l’acheteur malheureux. De plus, Monsieur AWONDJO devra me verser cent mille (100.000) Frs CFA dans un délai de deux (02) jours pour frais de dédommagement. Quant à Monsieur AWONDJO, il est exclu de l’effectif du comité. Aussi, doit-il verser cinquante mille (50.000) Frs CFA à la chefferie comme caution. Deux semaines plus tard, il est mis aux arrêts par la police judiciaire sous inculpation de l ’acheteur malheureux ».

11.3.2.2. Les conflits collectifs

Les conflits collectifs sont des différends post-marchandisation des terrains qui opposent les familles et les autorités coutumières. Dans ce type de conflit, la chefferie en charge du foncier communautaire n’honore pas ses engagements auprès des différentes familles impliquées dans le contrat d’achat. Le dénouement de ce type de conflit est difficile et aboutit le plus souvent à une fracture sociale dans les localités. De plus, parmi les parties en conflits, l’une occupe la fonction de médiation. La chefferie est l’organe de médiation locale de résolution du conflit. La voie administrative / juridique ne peut être utilisée par les familles dans la mesure où celle-ci reconnaît l’autonomie des autorités coutumière et leur droit à se prononcer sur tous types de différends dans les localités. Surtout, elle préconise dans ce cas un règlement à l’amiable du différend au niveau local pour éviter des tensions sociales. Dans le village d’Attécoubé, un conflit terrien a opposé la classe d’âge Dougbo aux différentes familles du village en 2011.

155 Récit n“21. Auteurs Messieurs AKOU, NANDO, AKABLA, notables de la localité d’Attécoubé, « focused group » du mardi 06 mai 2012. {Durée 2 heures 57 minutes').

'A Situation du conflit

« Dans les débuts de l’année 2011, le village d’Attécoubé décide de mettre en vente une partie de ses terres situées sur l’axe Dabou- Abidjan. Ces terres s’étendent sur un demi-hectare. L ’acte de vente a lieu dans le courant du mois d’Août. Il implique la chefferie, le comité local de gestion du foncier et l’acheteur. Les actions post­ vente ont suscité plusieurs concertations entre autorités coutumières locales, les chefs de familles et l’acheteur. Elles aboutissent à la signature d’une convention locale définie en trois points (l’argent issu de la vente devra être reparti équitablement entre les différentes familles du village, la part qui revient à la chefferie doit être investie dans les besoins sociaux du village et une copie du reçu de paiement et de l’attestation doivent être remise aux chefs de famille à titre de preuves). Après la vente, la chefferie, en présence des autres parties contractantes, organise une séance de restitution de l’acte de marchandisation pendant laquelle aucun des points de la convention n’est abordé. Elle s ’atelle à expliquer les termes du contrat de vente aux villageois en donnant une valeur approximative du prix d’achat. Ces manquements sont signifiés à la chefferie par les chefs de famille et les responsables des classes d’âge Gnando et Dougbo. Quant aux représentants Tchagba, ils se sont contentés d’apprécier la situation en s’abstenant d’intervenir de toutes interventions, car ils 77 y ont pas droit. La chefferie dit être consciente de cette situation mais a agi de la sorte dans l’intérêt du village (préserver la

156 cohésion de la communauté) et qu 'elle donnera plus de détails aux chefs de familles qui se chargeront de le rapporter aux siens. Les dignitaires des classes d’âge et les chefs de famille s’opposent à la position de la chefferie. Toutefois, ils parviennent à fixer une autre séance pour le règlement des différends ».

Gestion du conflit

« La chefferie, le comité local de gestion du foncier, les responsables des classes d’âge et les chefs de famille se retrouvent dans la salle de réunion de la chefferie pour mettre fin aux différends qui les opposent. Le porte-parole de la chefferie est le premier à prendre la parole. Il débute son allocution par un historique portant sur la récente vente des terres communautaires. Pour lui, le désir de transparence de la chefferie a conduit les cadets Tchagba à un activisme néfaste. Ceux-ci voulaient à tout prix un effet immédiat de la vente des terres sur leurs projets de société. Dans les familles on a assisté à un manque de respect de l’autorité du chef de famille. Le porte-parole informe que la chefferie en optant de travailler dans le secret avec les chefs de famille a choisi de préserver la cohésion sociale. Néanmoins, la chefferie exhorte les différents responsables des classes d’âge à s’en remettre à leurs chefs de famille respectifs pour gérer de manière concertée les devises de cette vente. La chefferie promet d’honorer les clauses de la convention de vente qui la lie aux différentes familles au cours d’une prochaine concertation. Le porte-parole spécifie qu ’â cette rencontre ne devront être présents que les chefs de famille. Rassurés par les arguments de la chefferie, les autres protagonistes décident de la laisser agir tout en se

157 réservant le droit d’amendement en cas de non respect de la parole donnée ».

'A Résultat

« La chefferie applique tous les axes de la convention de vente en présence des chefs de familles à cette autre entrevue. Mais elle demande à ceux-ci de s’assurer de la bonne répercussion des retombées de la vente dans les familles. A cet effet, elle propose que chaque classe soit impliquée dans la gestion du gain de vente ».

11.3.2.2.1. Communauté villageoise-opérateur économique : Opposition à l’activité prévue

Dans certaines localités, il arrive que l’acte de vente de terrain à un opérateur économique soit remis en cause par les autorités coutumières. Cette situation n’advient que lorsque l’opérateur économique décide d’entreprendre sur le site acheté des activités pouvant créer un désagrément environnemental. Dans le village de Locodjro, un opérateur économique est contraint d’abandonner son entrepôt de scierie après un long différend qui l’oppose aux autorités coutumières actuelles.

158 Récit n“22. Auteurs Messieurs ME, TANO, DIBI, membres de la classe d’âge Gnando et Dougbo, « focused group » du mardi 26 août 2012. {Durée 2heures 5 7 minutes')

V Situation du conflit

« Depuis les années 1980, Monsieur GUICHARD est devenu rheureux propriétaire d’un hectare de terre situé à l’entrée du village. Celui-ci a acquis cette terre à vil prix auprès des autorités coutumières (les Gnando) d’alors. Mais, dès l’avènement des Dougbo au pouvoir ceux-ci estiment que Monsieur GUICHARD doit partir des lieux car non seulement ses activités émettent des vibrations sonores nuisibles à l’école du village située à environ deux cent mètres (200m) de son entrepôt. Mais encore, il trouble la quiétude des riverains situés dans le même champ. Les Dougbo soutiennent qu ’ils ne reconnaissent pas la transaction foncière de leurs aînés Gnando et que Monsieur GUICHARD avait abusé de la naïveté de ces derniers pour s’accaparer ces terres. Quant à Monsieur GUICHARD, il défend avoir les preuves d’achat des lieux. Ils présentent à ceux-ci une copie du reçu de paiement. Mais, cet acte provoque une montée de colère des membres du comité local du foncier. Pour eux, il est inadmissible qu ’un hectare de terre soit acheté à trois cent vingt-cinq milles (325.000) Frs CFA. Vu la dégradation de la situation. Monsieur GUICHARD décide de présenter la lettre d’attribution et son titre foncier à ses visiteurs. Il propose à ceux-ci d’utiliser les voies légales de revendication pour réclamer ce que de droit. Les membres du comité intensifient leur protestation par le saccage de l ’entrepôt de Monsieur GUICHARD. La témérité de ce dernier les pousse à incendier l’entrepôt. Suite à ces actions. Monsieur GUICHARD engage un recours en justice auprès du tribunal de première instance d’Abidjan pour réclamer réparation ».

159 •A Gestion du conflit

« Plusieurs convocations à comparution sont adressées aux autorités coutumières mais ceux-ci refusent de s ’y rendent car pour eux il est inadmissible de donner une explication sur ce qui leur appartient. Pour refus d’obtempérer, le juge en charge du dossier donne ordre au procureur du tribunal d’Abidjan avec l’escorte des agents de la police judiciaire de se rendre au village de Locodjro. Ils furent accueillis par les autorités coutumières. Une explication est demandée par le procureur aux autorités coutumières. Ceux-ci soutiennent leur version des faits tout en indiquant que l’acte de saccage qu ’il avait posé s ’inscrit dans la politique de récupération des terres spoliées par leurs aînés Gnando. Surtout, elles affirment que loin de bafouer l’autorité du tribunal d’Abidjan l’action qu’ils ont menée revêt une portée communautaire significative. Le procureur se retire tout en rassurant les autorités coutumières de rapporter au juge les faits en tout objectivité. Depuis le départ de Monsieur GUICHARD, le dossier judiciaire qui l’oppose au village de Locodjro est suspendu et le terrain conflictuel demeure toujours inoccupé ».

Résultat

« Le juge en charge du dossier a décidé de suspendre le dossier après écoute des parties en conflits. Par ailleurs, il suggère un règlement à l’amiable entre Monsieur GUICHARD et le village de Locodjro. Affecté par cette décision Monsieur GUICHARD décide se rendre en France en vue de s ’y reposer. Mais, depuis son départ les autorités coutumières affirment être sans nouvelles de celui-ci.

160 // décide de ne rien entreprendre sur le site avant la venue de Monsieur GUICHARD ».

11.3.2.2.2. Conflit interfamilial pour commerce ou débordement sur les limites foncières d’une autre famille

La marchandisation du foncier local oppose souvent des familles lorsque l’une dépasse les limites de sa parcelle de terre pour empiéter sur les ères de terres d’une autre. Dans ce cas, la famille en cause à toujours une bonne raison (ordre historique d’occupation de terres familiales, revendication de droit de terre) à l’initiative de son entreprise. Les conflits interfamiliaux posent donc un problème de justice sociale. Soit l’autorité coutumière en charge du partage des terres reconnaît les droits de propriété d’une des familles, mais décide de les ignorer pour parer à l’insuffisance des terres dans la répartition du foncier communautaires. Soit, elle ne dispose pas de preuves attestant les limites réelles de la terre familiale au moment du partage. Dans l’un ou l’autre cas, la stabilité du droit de terres familiales est liée à la succession intergénérationnelle dans la régulation des terrains locaux. Le droit de terre familial peut être reconnu par une classe d’âge au pouvoir et remis en cause par une autre qui parvient à son tour au pouvoir. Les conflits qui opposent les familles dans les villages sont résolus à l’amiable par les autorités coutumières locales, car pour les Bidjan « le linge sale se lave en famille ». Dans le village d’Anoumanbo, la chefferie est sollicitée dans le règlement des différends fonciers opposant la famille AHOUETO à la famille AKOUN.

Récit n”23. Auteurs Messieurs DOGBO, GUY, BIAHE des Gnando, membres de la famille AEIOUETO localité d’Anoumanbo, « focused group » du lundi 08 septembre 2012. {Durée 2 heures 57 minutes}.

161 'C Situation du conflit

« La famille AHOUETO possède une importante parcelle en dehors des limites du village d’Anoumanbo dans la commune de Port Bouet (Adjoufou). En 2000, la famille est sollicitée par les Gnando au pouvoir pour un compromis foncier. La chefferie d’alors avait besoin de terres pour parer à la revendication du droit de terres des cadets sociaux Dougbo qui s’apprêtaient à la prise du pouvoir. Alors, ils demandent à la famille AHOUETO de leur céder un demi-hectare de leurs terres. Ce qu’elle fit. En retour, les Gnando ont promis de garantir le droit exclusif des terres de la famille AHOUETO. Cette promesse fut tenue jusqu’à la dernière distribution des terres. Car la famille AKOUN s’est opposée à la réalisation des travaux de construction d’une palissade dont la portée s’étendait sur ses terres. Ces chantiers sont accomplis par un acquéreur à qui la famille AHOUETO a vendu des lots. Au regard de cette situation, la famille AHOUETO estime être victime d’une provocation et menace de saisir une partie de ces terres notamment celles de la famille AKOUN qu ’elle estime être leurs propriétés. Mais la famille AKOUN ne reconnaît pas le droit de propriété de la famille AHOUETO sur ses terres. Pour elle, ces terres sont celles du village et qu’elle compte défendre ses droits à l’instar des autres familles du village propriétaires de terres. La famille AHOUETO se rend auprès de la chefferie actuelle pour réclamer ce que de droit. Mais, les Dougbo actuellement au pouvoir disent ignorer l’accord passé entre la famille AHOUETO et leurs aînés Gnando. Par ailleurs, ils promettent à la famille AHOUETO de faire la lumière sur cette situation. A cet effet, ils convoquent les protagonistes à la maison de la chefferie »".

162 ’A Gestion du conflit

«A cette sollicitation, ont répondu les protagonistes, la famille AHOUETO, la famille AKOUN, la chefferie, le comité local de gestion du foncier et le doyen d’âge. Le porte-parole de la chefferie expose dans une brève allocution la cause de la réunion. Après quoi, il sollicite l’intervention du doyen d’âge. Celui-ci reconnaît avoir pris part à la transmission des terres entre la famille AHOUETO et les autorités coutumières datant. Dans ses propos, il tient à saluer la patience du chef de famille AHOUETO qui est pour lui une référence de générosité. Le concernant, la famille AHOUETO est exempte de toutes accusations dans l’exercice de son droit à la terre s’agissant des terres d’Adjoufou. Pour lui, elle est l ’instigatrice de la distribution des terres à plusieurs familles du village. Il demande à la chefferie de tenir compte de l’histoire foncière récente du village pour prononcer un verdict juste. Suite aux discours du doyen, la chefferie et le comité se concertent. Après une heure de délibération, le porte-parole de la chefferie prend la parole. Il présente des excuses publiques au chef de la famille AHOUETO. Il demande à celui-ci et à sa délégation de se retirer, car aucun soupçon n’entache leur crédibilité dans cette affaire. Par contre, il demande au chef de famille AKOUN de s’abstenir de toutes formes d’action pouvant remettre en cause l’exercice du droit foncier de la famille AHOUETO. Par la suite, il ramène l ’assistance à une prochaine séance pour la proclamation du verdict final ».

Résultat

« A cette dernière séance, étaient présents la chefferie, le comité local de gestion du foncier, le doyen d’âge, un représentant de la

163 famille AHOUETO et le chef de famille AKOUN. Dans un bref discours, le porte-parole de la chefferie prononce la sentence suivante : « La chefferie prend l'engagement de restituer à la famille AKOUN sa parcelle de terre en cause après qu’une vérification soit établie ». Il lève la séance par la suite ».

11.3.2.2.3. Classe d’âge-individu pour occupation non autorisée

Dans le système de partage de terres, il advient que certaines attributions faites par une classe d’âge au pouvoir soient remises en cause par une classe d’âge qui la succède. Cette situation est constatée lorsque des cas de favoritisme dans la distribution des terres sont perpétués par une classe d’âge sortante. Ce type de répartition est répertorié par la classe d’âge entrante et dès leur accession au pouvoir, elle dépossède les récipiendaires qu’elle considère comme des fraudeurs. Dans le village de Djrogobité, les aînés sociaux Gnando ont cédé des terres à leurs neveux et enfants sans tenir compte des dispositions locales. Dans ce village, la terre ne peut être détenue que par une classe d’âge initiée qui parvient au pouvoir. La classe Dougbo actuellement au pouvoir décide de retirer ces terres mais elle est confrontée à des recours d’annulation de la procédure par les concerner.

Récit n**24. Auteur Messieurs ADIKO, un Tchagba, de la localité d’Attécoubé, Entretien du jeudi 26 juin 2012. {Durée 1 heure 29 minutes}

Situation du conflit

« Dans le courant de l'année 2003, les Dougbo parvenus au pouvoir dans le village de Djrogobité décident d’appliquer une justice sociale. Pour ce faire, ils entreprennent une campagne de

164 dépossession des terres distribuées illégalement par leurs prédécesseurs Gnando en vue de faire face aux manques de terres dans la répartition au sein des Dougbo. Mais, cette campagne est freinée par les complaintes des bénéficiaires qui disent avoir vendu les terres en leur possession. Néanmoins, ceux qui ont perdu leurs terres dans cette campagne demandent que leurs terres soient restituées. Cette doléance est récusée par les nouvelles autorités coutumières. Ils insistent dans ce cas pour que la chefferie accomplisse l’action de déguerpissement ou a contrario les restitue leurs terres qu 'elle a saisies. Cette tension sociale se solde surtout par des heurts entre aînés et cadets. Cependant, le sage du village use de son influence pour convaincre les aînés et cadet.s sociaux à une séance de dialogue. Une sorte de procès publique dans laquelle chaque protagoniste devra s'expliquer ».

Gestion du conflit

« A ce grand rassemblement local, on dénote la présence du doyen d’âge, d’une délégation des anciens du village d’Abobo Baoulé, du comité local de gestion du foncier, de la chefferie et des personnes concernées par le retrait des terres. Par souci d’impartialité, l’initiative est laissée aux anciens du village d’Abobo Baoulé comme instance arbitrale. Le porte-parole des ancien.s demande aux représentants des Gnando de s'expliquer sur les accusations dont-ils font l’objet. Le représentant des Dougbo débute son allocution en situant le contexte qui a entériné l'octroie des terres à leurs proches. Il soutient que le chef du village d’alors avait donné des terres aux dignitaires Dougbo pour appuyer sa politique de mise en valeur des terres. Les terres devraient être vendues et Vargent obtenu utilisé pour la construction d'habitats. Il explicjue

165 que peu sont ceux qui ont utilisé ces terres à cet objectif. Beaucoup ont préféré redistribuer ces terres à leurs proches. La parole fut également donnée au représentant Dougbo pour expliquer les motivations qui ont impulsé leur politique de dépossession des terres. Dans ces propos, celui-ci insiste sur le manque de terres qui crée un malaise dans la répartition des terres au sein du groupe. Pour les Dougbo, il est inadmissible que ceux qui ont droit aux terres en soient privés ; tandis que ceux qui n ’y ont pas droit en disposent. Pour lui, c’est pour corriger cette inégalité qu’ils ont engagé cette opération de récupération et de redistribution des terres à ceux qui ont réellement droit. Après avoir entendu les protagonistes, le porte-parole des anciens d’Abobo Baoulé demande qu ’une heure leur soit accordée pour délibérer ».

Résultat

« Environ deux heures après la concertation entre les anciens d’Abobo Baoulé et le doyen d’âge de Djrogobité, les protagonistes et les concernés sont rappelés pour la proclamation du verdict. Le porte-parole des anciens d’Abobo Baoulé est chargé de dire la sentence. Il affirme qu’après délibération le conseil des anciens demande à la classe d’âge Dougbo actuellement au pouvoir d’abandonner son projet de récupération des terres. A la classe d’âge Gnando, il est demandé à ceux qui n’avaient pas encore vendu leurs terres de céder une partie aux autorités coutumières actuelles. Enfin, il est demandé aux autres personnes impliquées de bien vouloir se soumettre aux verdicts sous peine d’être dépossédées des terres. Le porte-parole des anciens met fin à la séance ».

166 IL3.2.3. Mode de reeours et Processus de gestion des conflits

II.3.2.3.1. Acteurs et choix des instances de médiation

Les conflits se créent entre acquéreurs eux-mêmes, entre acquéreurs et vendeurs, entre familles différentes et communautés et entre communautés villageoises et les opérateurs économiques. Dans le processus de gestion, plusieurs instances arbitrales peuvent être sollicitées (en même temps ou séparément). Elles interviennent en fonction des protagonistes. De manière générale, deux instances peuvent être citées : les instances locales et les instances modernes. -Au niveau des instances locales, on distingue la chefferie, le comité local de gestion du foncier et le conseil des sages. -Au niveau des instances modernes, elles se répartissent en deux genres : les instances juridiques constituées par la police judiciaire, la justice et l’instance administrative constituée par le MCUA (voir schéma ci-dessous).

167 Schéma n° 06 : les protagonistes et les instances arbitrales.

Protagonistes

Acquéreur / Acquéreur,

Acquéreur / Vendeur,

X

Instances locales Instances étatiques

X 4-

Voie Judiciaire Voie Administrative

Chefferie Comité Conseil des local de sages/ X gestion du doyens foncier d’âge Police Gendarmerie Justice Ministère de la construction et de l’urbanisme

Source : Etude vente de terrains villageois et conflits fonciers 2011-2012

IL3.2.3.2. Choix des instances de médiation

Dans un conflit foncier, les protagonistes disposent de deux moyens de recours à savoir : les instances coutumières et les instances étatiques. Les autorités coutumières en charge du foncier dans les localités constituent également les instances de médiation des conflits fonciers intracommunautaires (entre familles et entre classes d’âge du village) et extracommunautaires (village- opérateur économique, famille-opérateur économique, vendeur-acheteur, entre acquéreurs). Dans l’ensemble des conflits, le choix de l’instance de médiation est

168 tributaire de l’un des protagonistes qui se pose en victime. Celui-ci, fera recours à l’instance qu’il juge crédible pour faire valoir ce que de droit. Concernant les conflits locaux (entre familles et entre classes d’âge), les protagonistes se réfèrent toujours aux autorités coutumières. Pour des cas de litiges entre les familles du village, celles-ci se focalisent sur la prééminence des valeurs socio-culturelles dans la résolution du conflit. Elles abordent une démarche prospective dans le but de trouver la source du conflit. Ce mode de résolution du conflit est étroitement lié à l’histoire du terrain litigieux. Cette rétrospection dans le règlement du contentieux permet aux instances arbitrales coutumières d’éviter toute confusion dans le processus de recherche de la vérité. Cette démarche légitime au regard des protagonistes les verdicts proclamés. Lorsqu’une part de responsabilité des autorités est établie, celles-ci s’engagent à faire des concessions dans le but d’éviter toute fracture dans le tissu social. Pour la résolution d’un contentieux local opposant les classes du village Gnando, Dougbo et Tchagba dans la marchandisation des terres, la démarche de résolution tient en marge la classe d’âge Tchagba. Le processus de médiation prend en compte l’opinion de chaque classe d’âge excepté celle des Tchagba. Celle-ci devra se contenter de mettre en pratique les résolutions de ses aînés. Concernant les conflits extracommunautaires (village-opérateur économique, famille-opérateur économique, vendeur-acheteur, entre acquéreurs), les protagonistes disposent de deux moyens de recours. Pour le cas de conflit entre le village et un opérateur, le village qui dispose d’une instance de médiation fait le choix de recourir à sa propre justice. Les autorités coutumières disposent d’un organe sécuritaire du foncier (le comité local de gestion du foncier). Celui-ci est reparti en deux sous-organes (administratif et militaire). L’organe militaire est sollicité pour des actions vigoureuses sur le terrain. L’organe administratif se charge de fournir les preuves coutumières et administratives légitimant la position du village dans le conflit foncier. Dans les différends opposant le village de Locodjro à l’opérateur économique Monsieur GUICHARD, les autorités coutumières prônent toujours une raison d’avance « Abidjan est un territoire Tchaman ». Ainsi, il est inadmissible pour un village Tchaman de rendre des

169 comptes à un individu ou une institution au sujet de sa propriété. L’operateur n’a de recours dans ce type de contentieux que l’instance juridique. Aussi, devra-t-il établir au préalable les preuves administratives de sa propriété foncière (lettre d’attribution et titre foncier). Après quoi, il pourra entreprendre une procédure juridique pour réclamer ce que de droit. Même avec ses acquis, il est rare que les autorités coutumières capitulent dans un conflit les opposant à un opérateur économique qu’il juge indésirable. Pour des différends entre une famille et un opérateur économique le jugement est tout tranché lorsque l’une des parties dispose de plus de preuves que l’autre. Si l’opérateur présente en plus de l’attestation villageoise, la lettre d’attribution et un titre foncier ; alors quelle que soit l’instance sollicitée celle-ci tranchera en sa faveur. Néanmoins, la famille dispose d’un moyen de recours lorsque l’opérateur mène des activités menaçant sérieusement l’environnement. Cet alibi devra également être reconnu comme preuve par les instances de médiation. L’opérateur est donc contraint de changer d’activité ou de site pour perpétuer son activité. Aussi, pour un contentieux entre vendeur et acheteur de terres, l’acheteur à toujours tendance à recourir aux instances coutumières de résolution de conflit en vue d’un règlement à l’amiable du conflit. S’il constate que la médiation locale est restée stérile par rapport à ses attentes, il pourra se diriger vers l’instance administrative ou juridique pour réclamer ce que de droit. Pour un conflit opposant deux acquéreurs, quelle que soit l’instance sollicitée par l’un des protagonistes, le verdict sera prononcé en faveur du protagoniste qui dispose des preuves administratives (la lettre d’attribution et le titre foncier) en plus de celles coutumières (l’attestation villageoise, le contrat de vente et le reçu de paiement).

170 11.3.2.3.3. Insuffisances des instances de médiation

Elles se situent aussi bien au niveau des instances coutumières que des instances étatiques.

II.3.2.3.3.1. Au niveau des instances coutumières

La réussite d’une médiation dépend selon Hammond D. (2006 : 18), « dans une large mesure de la confiance envers les autorités et de la procédure de règlement des différends fonciers ». Dans le cas d’espèce, les jugements qui I sont effectués par ces instances sont sujets à caution et qualifiés quelquefois d’arbitrales. En effet, elles ont un double rôle : juge et partie. Elles participent (en l’occurrence, le chef de famille et de village) aux décisions d’attribution de terrains et, en cas de conflit, ce sont également elles qui sont chargées de la gestion. Ce qui entame selon Vanga et Affou (2006 : 93) « la crédibilité de leur médiation et remet en cause leur impartialité dans les différends ». De plus, l’efficacité des instances locales n’est pas toujours effective. A ce niveau, leurs insuffisances semblent être liées aux caractères personnels des faits conflictuels. En fait, les terrains vendus sont des biens familiaux, même si le chef de village est aussi le garant du patrimoine des familles ; il ne dispose pas toujours d’autorités suffisantes pour imposer des décisions aux individus.

IL3.2.3.3.2. Au niveau des instances étatiques

Il s’agit à ce niveau de la longueur et du coût de la procédure.

171 IL3.2.3.3.2.1. La complexité de la procédure

Les procès en justice sont généralement longs et semblent compliqués. En comparaison avec la procédure coutumière qui se déroule en l’espace de quelques jours, les règlements des conflits au tribunal d’État selon Vanga et Affou, (2006 : 93) passent par plusieurs étapes. Ceux-ci d’ailleurs se distinguent en trois étapes : -la première est celle du tribunal de première instance. C’est à cet échelon que la saisine du tribunal est faite par le plaignant. Si l’une des parties en conflit conteste le verdict du juge, il saisit à nouveau la justice. - la seconde est celle de la cour d’appel. En cas de remise en cause de la décision rendue, la possibilité est donnée au contestataire de recourir à l’arbitrage de la cour suprême. -la cour suprême est la dernière étape. A ce stade, c’est la chambre judiciaire qui se saisit de l’affaire. Cela constituerait sans doute un frein au recours à ces instances dans le règlement des conflits.

IL3.2.3.3.2.2. Coûts des frais de procédure

Tous les frais engendrés sont essentiellement à la charge des protagonistes. Ils se résument en frais de justice et des coûts de la procédure judiciaire (honoraire de l’huissier de justice, les frais de transport, les frais de l’étude technique et les frais divers). Les coûts de ces actions pourraient constituer une des causes principales de la réticence des plaignants à recourir aux tribunaux étatiques. En somme, qu’il s’agisse des institutions étatiques ou coutumières, l’un des principaux objectifs de leur intervention dans les conflits est de maintenir l’ordre social et de rechercher par la négociation une solution consensuelle entre les protagonistes.

172 La procédure de conciliation ne s’amorce que quand le conflit est déclaré. Et comme Mel Mélèdje (1994 : 330), on peut déterminer globalement quatre phases : -l’écoute de la déposition des parties, -la recherche de la vérité. - le jugement et le verdict,

-Enfin la recherche de conciliation et d’unité.

L’écoute de la déposition des parties Généralement, un face-à-face est organisé entre les protagonistes. La parole est donnée aux protagonistes (les acquéreurs et les vendeurs) pour exposer leur version des faits tels qu’ils se sont déroulés et ressentis par les individus.

La recherche de la vérité Les juges procèdent par le questionnement et la demande d’éclaircissement de certains points obscurs. Cette étape est importante, et même indispensable pour l’instance arbitrale car elle lui permet de mieux appréhender et comprendre le différend.

Le Jugement et le verdict Le jugement est un examen, une réflexion, une critique des faits. Grâce à ce procédé, l’instance arbitrale arrive à faire la lumière sur la situation conflictuelle. Elle discerne le tort et la raison des parties.

La recherche de conciliation et d’unité Elle consiste, à l’unité du groupe, à la restauration des liens et la cooptation. Cette recherche de l’unité préserve les familles et les villages d’éclatement en situation de conflit intracommunautaire. Pour cela, on fait appel à l’esprit de fraternité qui a toujours prévalu entre les parties et qui sert de boussole à tous.

173 IL3.2.3.4. Les résultats obtenus

Les résultats sont généralement fonction des instances arbitrales auxquelles on a recourt pour trouver une issue au conflit. Nous distinguons alors plusieurs cas :

II.3.2.3.4.1. Au niveau des instances locales ; les règlements à Pamiable

Ces règlements se soldent le plus souvent par : -le maintien sur le terrain, -l’octroi d’une nouvelle parcelle, -un remboursement des sommes perçues. Ce verdict est rendu lorsque le chef de famille ou la chefferie conserve une part ou la totalité de l’argent de vente destiné aux autres parties impliquées dans la marchandisation. Ceux-ci posent une plainte auprès des instances de médiation locale (chefferie, le conseil des sages, comité local de gestion du foncier). Aussi, le remboursement des sommes perçues, est la résolution la plus courante dans un règlement d’un contentieux concernant une marchandisation imparfaite (vente d’un terrain à plusieurs acheteurs. Augmentation imaginaire des limites d’un terrain vendu dans le but d’en tirer un meilleur profit financier, confiscation de revenus et le paiement non achevé de terre).

le maintien sur le terrain

Le maintien sur le terrain est un mode de règlement portant sur les conflits de vente de terrain entre deux acheteurs. Lorsque l’un des protagonistes saisit les instances locales, celles-ci préfèrent maintenir sur le terrain le premier à le mettre en valeur. Seulement ce mode de résolution est envisagé lorsque les deux acheteurs ne disposent que pour preuve l’attestation d’attribution villageoise. L’autre reçoit un autre terrain ou le prix d’achat de la part du vendeur. Par contre

174 lorsque l’un des acheteurs détient les documents administratifs de propriété foncière (lettre d’attribution et le titre foncier), les instances de médiation obligent le vendeur à rembourser l’argent de l’acheteur malheureux.

l’octroi d’une nouvelle parcelle

Dans toutes les résolutions de conflit, l’octroi d’une terre est la solution que proposent les instances coutumières de médiation, lorsque le vendeur mis en cause ne dispose pas d’argent mais de terres.

11.3.2.3.4.2. Au niveau des instances étatiques

Le règlement du conflit foncier au niveau étatique mobilise trois institutions (policière, juridique et administrative) qui travaillent en étroite collaboration dans la recherche de la vérité.

IL3.2.3.4.2.1. Les autorités policières

Lorsque le plaignant (acquéreur) constate l’échec de toutes ses tentatives pour un règlement à l’amiable au niveau local, il est contraint de recourir aux instances étatiques. Alors, il s’adresse à la police pour porter une plainte à l’endroit du contrevenant (le vendeur). La police procède à son niveau en trois étapes dans la résolution du différend : -l’émission de la convocation, -l’audition des protagonistes, -l’arrestation du contrevenant.

175 L’émission de la convocation Elle consiste pour l’autorité policière à délivrer un ordre écrit d’interpellation sur demande du plaignant à l’encontre de l’accusé. L’entame de cette procédure, nécessite le paiement d’une caution de la part du plaignant au poste de police saisit du dossier. La convocation une fois émise est frappée d’un délai de péremption allant de vingt-quatre (24) à soixante-douze (72) heures. Pendant ce délai l’interpellé peut se rendre sans encombre au poste de police pour répondre aux charges qui lui sont adressées. Lorsque le délai de vigueur de la convocation vient à s’épuiser sans que le contrevenant ne s’exécute, alors celui-ci s’expose à une arrestation sans préavis.

l’audition des protagonistes

Cette démarche est envisagée lorsque l’accusé honore l’ordre d’interpellation de la convocation dans un délai raisonnable (celui signifié dans la convocation). Alors, l’autorité policière engage une procédure d’audition à l’issue de laquelle elle confirme ou infirme les accusations adressées au contrevenant.

l’arrestation du contrevenant

À l’issue de l’audition lorsqu’il apparaît que les plaintes de l’accusateur sont fondées, l’autorité policière procède à la détention préventive du contrevenant à l’attente d’une incarcération pénale (à l’issue d’un procès juridique).

n.3.2.3.4.2.2. Les tribunaux

Le tribunal de première instance d’Abidjan est la dernière instance dans la médiation à laquelle fait recours le plaignant (acquéreurs). L’intervention policière précède l’action en justice. L’affaire est confiée à un huissier chargé

176 d’organiser un procès. Celui-ci se charge de rassembler les preuves (l’attestation villageoise, le contrat de vente et le reçu de paiement portant la signature du contrevenant) en vue d’engager une procédure judiciaire. Le travail de ce dernier est rémunéré sous forme d’honoraires par l’accusateur. Le procès juridique se déroule en présence du juge d’instruction, de l’huissier de justice, des avocats (si les protagonistes disposent de plus de moyens financiers), des témoins et des membres du jury. Dans l’ensemble des procès organisés pour des affaires de marchandisation imparfaite, les contrevenants sont souvent condamnés à un délai d’emprisonnement allant de 02 mois à 05 ans d’emprisonnement avec sursis. Néanmoins, celui-ci peut bénéficier d’une liberté conditionnelle après s’être acquitté d’une caution financière établie par le juge.

II.3.2.3.4.2.3. L’administration

Le MCUA est l’instance de médiation administrative. Il joue un rôle préventif dans le conflit terrien opposant deux acheteurs d’un même terrain local. Cette situation se justifie quand l’un des acquéreurs de terrain détient la lettre d’attribution ou le titre foncier délivré par le MCUA dans un contentieux l’opposant à un autre qui se prévaut également du droit de propriété du foncier. Dans ce type de conflit, le protagoniste en possession des preuves administratives l’emporte sur l’autre qui ne dispose que de l’attestation villageoise quelque soit l’instance de médiation sollicitée. Dans les villages étudiés, toute démarche de médiation est abrogée lorsque l’un des protagonistes fournit comme preuve, soit la lettre d’attribution, soit le titre foncier. Seul ce dernier est le véritable propriétaire du terrain reconnu par toutes les instances de médiation (coutumière, administrative, juridique et policière).

177 CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

Vue de la situation historique et contemporaine du foncier Ebrié

En somme, l’organisation sociale, politique des Tchaman est étroitement liée au foncier. Depuis, l’incursion qui les a conduis à fouler le territoire de l’actuel Côte d’ivoire, il n’avait que pour leitmotiv vivre sur les terres qui leur appartiendraient et sur lesquelles ils pourront faire régner leurs propres ordres sociaux. Ce vœu s’est réalisé lorsqu’ils se sont implantés sur les rives du bassin littoral de lagune Ebrié. La conversion de ce territoire autrefois coutumier en espace pleinement urbanisé a fortement perturbé les fondements socio-économiques et culturels de la société Tchaman. Le terroir autrefois sacré est devenu profane. La marchandisation du foncier a prévalu sur le don. Donc, la mutation d’Abidjan va également affecter les pratiques foncières des autochtones. Bien que dispersés sur le territoire Abidjanais, ils se rassemblent en trois grandes fratries (Bidjan, Nonkoua et les Niangon). L’hospitalité les conduit à partager certaines parties de leurs terroirs avec les Akye vers la fin du XIX^ siècle. En ces lieux, ils entretiennent des rapports économiques qui au fil du temps sont devenus fraternels. Avec l’urbanisation et l’accentuation des déterminants économiques, urbains et démographiques du pays, les localités sont contraintes d’abandonner leurs activités d’origines (pêche et agriculture) pour la marchandisation des terres. Toute l’organisation socio-économique et politique est désormais consacrée à la marchandisation. Au niveau socio-économique, les transactions foncières s’inscrivent désormais dans la logique des populations villageoises à trouver une solution aux problèmes de revenu familial depuis la transformation de l’économie traditionnelle. Actuellement, elle est devenue un enjeu socio- économique de premier ordre.

178 TROISIÈME PARTIE : RÉSULTATS DE LA RECHERCHE, DISCUSSION ET PERSPECTIVES

179 Dans cette rubrique, nous exposons et interprétons les pratiques de marchandisation de terres dans les localités. Aussi, discutons-nous des données significatives et aboutissons à des perspectives.

180 INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE

Discussion et mis en perspectives Les données d’enquêtes que nous avons obtenues grâce aux méthodes et techniques appropriées telles définies à la première partie de notre exposé sont ainsi présentées dans cette partie. Le troisième chapitre y est consacré. Nous traitons de l’animation du marché du foncier. D’abord, il s’agit des différents cas de marchandisation auxquels nous avons assisté dans les localités. Surtout, de ceux que nous avons obtenus par les entretiens semi-directifs, par le « focused group » et les autobiographies. Ces informations recueillies sont restituées sous deux angles. Soit, en relatant avec précisons les faits tels que rapportés par l’auteur. Pour ce faire, nous avons adopté un style impersonnel dans la mesure où l’auteur n’a pas lui-même été un témoin direct des faits. À cet effet, nous avons tenu à vérifier ces faits révélés auprès des autres interlocuteurs. Lorsqu’ils sont confirmés, nous validons leurs prises en compte dans le travail. Soit, en transcrivant directement l’expérience vécue par l’auteur à la première personne du singulier ce qui explique bien que nous sommes dans les cas de l’autobiographie. Quel que soit l’origine des informations reçues, nous avons tenu à préserver l’identité des auteurs et des personnages mentionnés dans les récits pour des exigences qui conviennent à ce type d’exercice. Ensuite, cette partie aborde la nature des conflits liés à la marchandisation et le mode de recours et de gestion de ceux-ci. Nous avons rapporté à ce sujet, les différents cas que nous avons pu recueillir comme témoin ou auditeur. Le processus de restitutions ne diffère pas de celui auparavant énoncé. Nous achevons notre réflexion par la discussion des principales données d’étude tout en s’ouvrant sur des perspectives.

181 CHAPITRE PREMIER : ANIMATION DU MARCHÉ FONCIER DANS LES LOCALITÉS

Il découle de cette partie la présentation de la marchandisation par les instances régulières de gestion. Nous exposerons l’organisation de la vente, la vente effectuée par la chefferie, la vente effectuée par les membres de la chefferie, la vente effectuée par le chef de famille, la vente effectuée par les responsables familiaux de vente et la vente effectuée par les autres membres de la famille. Au terme, nous évoquerons la marchandisation imparfaite des terres.

III.l. Marchandisation de terrains des instances régulières de gestion

Dans les localités étudiées, les transactions foncières effectuées par les instances régulières (autorités coutumières et chef de famille) se rapportent essentiellement aux terrains communautaires et familiaux. Nous illustrons d’une part des types de marchandisation de lots réalisés par le village d’Anonkoua Kouté, d’Anoumanbo et d’Adjamé Bingerville. D’autre part, celle accomplie par les chefs de famille N’KAYO (Anonkoua kouté), ASSIN (Abobo Baoulé) et KINDIA (Djrogobité).

'C Le village d’Anonkoua Kouté

Récit n^l. Auteur Monsieur N’KAYO Benoit, un Tchagba de la famille N’Kayo, entretien du mardi 03, avril 2012. {Durée 2 heures 14 minutes).

« Le 13 avril 2009, Monsieur KOUAME BASIL responsable de l’agence immobilière «Sagesse » prend contact avec les autorités coutumières d’Anonkoua Kouté. Au cours de cette rencontre, il fait une proposition de marché portant sur un vaste espace situé à proximité de la forêt du Banco. Celui-ci démontre avec des

182 documents l'intérêt que porte la société SIPIM de réaliser une cité riveraine moderne en ce lieu. Ce marché mobiliserait plus de trois cent cinquante millions (350.000.000) Frs CFA d’investissement. Une fois l’accord passé, le village recevrait quarante millions (40.000.000) Frs CFA comme caution d’achat du site. Après la réalisation des travaux, la société SIPIM devra encore versée 10% du prix d’achat d’un Habitat au village. La chefferie prend connaissance des termes de l'offre et elle fixe un autre rendez-vous au 10 juin 2010. À cette autre concertation Monsieur KOUAME BASIL arrive avec une délégation des experts de la société SIPIM. Sous l ’arbre à palabres du village, était aussi présent le conseil des sages, la chefferie, les chefs de famille et les responsables des classes d’âge. Pendant cette réunion, le chef du village Monsieur GNAMBA explique les attentes des villageois qui souhaitent le respect des termes du contrat de vente. Il sort par la suite de son cartable l’attestation villageoise de propriété avec le plan guide qu ’il remet aux experts pour consultation. Après une demi-heure de concertation, ceux-ci proposent à la chefferie une visite guidée sur le terrain. De retour, les représentants de la société SIPIM et les géomètres experts en présence de Monsieur KOUAME BASIL se retirent à huis clos avec la chefferie pour signature du contrat de vente. Les experts et le démarcheur se sont retirés laissant sur place les autres membres conviés à cette réunion. De retour, les autorités coutumières décident de rendre compte à l ’ensemble des classes d’âge du village de la porté de l’acte qui vient d’être accompli. Le représentant de la classe d’âge Tchagba souhaite que la chefferie procède à un partage de l’argent reçu entre les différentes classes d’âge. Il suggère qu ’une part de la somme reçue soit remise à chaque responsable de génération. Ensuite, celui-ci de concert avec ses congénères pourront décider de l'usage qu 'ils pourront en faire. Mais le porte-parole de la chefferie informe

183 que l’argent de la vente est versé sur le compte bancaire du village par la société SIPIM. La chefferie promet que l'argent sera utilisé pour la rénovation de l’école, la construction du palais de la chefferie, l’aide aux veuves, aux orphelins et aux personnes du troisième âge. »

Le village d’Anoumanbo

Récit n”2. Auteur Monsieur AKALE Marins, un Gnando, entretien du lundi 04, juin 2012. {Durée 2 heures 29 minutes)

« Le 5 février 2012, la chefferie reçoit la visite de Monsieur FAYED l'un des responsables de la société SOGIM. Celui-ci est accompagné de Monsieur GNAMBLY chef d’entreprise immobilier. Au cours de l’entretien Monsieur FAYED explique l’intention qu’a sa société de réaliser un investissement immobilier de deux cent soixante et seize millions (276.000.000) de Frs CFA sur trois (03) hectares des terres du village situées à la zone de petit Bassam. Ce projet s'entendra sur dix-huit (18) mois. En cas d’accord la société SOGIM versera vingt-sept millions (27.000.000) au village d’Anoumanbo comme caution d’achat des terrains. A la fin, il percevra dix pour-cent (10%) du prix d’achat d’un logement. La chefferie propose d’étudier les termes du contrat avec le conseil des sages et villageois. Elle propose une autre rencontre à la fin de la première semaine du mois de mars. Une semaine plus tard Monsieur AHOTO le secrétaire de la chefferie reçoit le mandat d’appeler Monsieur FAYED pour la confirmation de la date de la prochaine rencontre. Le samedi 03 Mars, Monsieur FAYED accompagné de Monsieur GNAMBLY arrive au village où ils rencontrent la chefferie avec le doyen d’âge. Après concertation,

184 ils se rendent tous sur le site concerné avec le plan guide des terrains du village. Dans l’après-midi, ils reviennent se concerter au palais de la chefferie. La chefferie remet l'attestation villageoise de vente à Monsieur FA YED. Celui-ci donne à son tour un document relatif au projet au chef du village. Une heure après leur départ, la chefferie organise une rencontre avec l’ensemble des classes excepté les Blessoué (enfants de moins de vingt ans). Avec ceux-ci, elle explique les termes du contrat de vente des terres du village et les orientations qu’elle ambitionne donner à l’argent reçu. Mais, ce rapport semble ne pas convenir à Ict délégation des Tchagba, présente à cette réunion. Elle demande par l’intermédiaire de son responsable que l’argent de la vente serve cette fois-ci à la cause de la communauté. Le porte-parole de la chefferie rétorque que les Tchagba n’ont pas le droit à la parole, seulement les aînés Gnando ont le droit de s'exprimer de la sorte. Il affirme que c 'est faire preuve de largesse pour la chefferie d’inviter les cadets Tchagba à cette rencontre. Pour la prochaine rencontre, il exclut la participation de la délégation des cadets Tchagba seule leur représentant recevra un rapport de la prochaine rencontre. A cette rencontre ne seront conviés que les Dougbo et les Gnando. »

Y' Le village d’Adjamé Bingerville

Récit n^3. Auteur Monsieur AMATCHA, un Dougbo, chef de famille, entretien du jeudi 17, mai 2012. {Durée 1 heure 14minutes}

« En février 2012, une importante société immobilière désireuse de bâtir des logements en banlieue Abidjanaise se rencontre avec la

185 chefferie d’Adjamé-Bingerville. Celle-ci entreprend de réaliser un projet de constructions de trois (03) grands complexes immobiliers de plus de quatre cents (400) logements. Le projet immobilier s ’étendra sur trente et deux (32) hectares. L ’aboutissement du chantier nécessitera environ un milliard quatre cent cinquante millions (1.450.000.000) de Frs CFA. Les promoteurs immobiliers suggèrent dès le début des activités verser cent soixante-quinze millions (175.000.000) de Frs CFA au village et construire un toit pour chaque famille. La chefferie trouve les propositions alléchantes, mais décide de les soumettre à l’approbation des Gnando et des Dougbo. Une rencontre d’harmonisation et de validation des termes du contrat de vente est fixée en février 2010. A la date indiquée, la chefferie et les promoteurs s ’accordent sur les termes de la clause. La première pierre à l’initiative du chantier est posée en mai 2010. Mais dès l’entame des travaux d’aménagement du site, la crise militaro-politique s’intensifie, obligeant les promoteurs à se retirer. Ils posent comme condition de reprise des œuvres la stabilité du pays. »

Chef de famille N’KAYO

Récit n”4. Auteur Monsieur N’KAYO Benoit, un Dougbo de la famille N’Kayo, entretien du vendredi 18, mai 2012. {Durée 2heures 13 minutes}

« Monsieur N’KAYO LEON est un chef de famille, membre de la classe Dougbo du village d’Anonkoua Kouté. Il détient une dizaine de lots au compte de sa famille. Dans la matinée du 17 octobre 2011, il est approché par Monsieur BEDA CASMIR qui lui suggère l’achat de deux (02) lots de mille deux cent mètres carré (1200 mf pour un million cinq cent mille (1.500.000) Frs CFA l’unité. Il

186 demande un délai d’examen de la proposition à celui-ci. Dans la soirée, il convie à son domicile les ainés Gnando et ses congénères de la famille. L’objet de cette réunion est la demande d’achat de deux (02) lots de mille deux cent mètre carré (1200nf). À l’issue de la rencontre, il reçoit l’aval de ces paires de la famille d’effectuer la transaction. L’argent de la vente devra servir à l’achèvement des maisons de la famille. Le lendemain dans la matinée Monsieur BEDA CASMIR est reçu à son domicile pour la signature du contrat de vente. A cette seconde entrevue Monsieur N’KAYO est assisté par le doyen d’âge de la famille et de Monsieur AYI PIERRE l’un des aînés. Après consultation du plan guide et la visite des terrains. Monsieur CASMIR paye comptant trois millions (3.000.000) de Frs CFA. Il obtient de la part de la famille N’KAYO le reçu de paiement. Ensemble, ils se rendent chez le chef du village qui accepte de signer l’attestation d’attribution. Avant la remise de celle-ci, une caution de cinquante mille (50.000) Frs CFA est versée par Monsieur BEDA CASMIR au chef du village. »

'Y Chef de famille ASSIN

Récit n°5. Auteur Monsieur MLIN Franck, un Gnando de la famille ASSIN, entretien du lundi 30, avril 2012. {Durée 2heures 18 minutes)

« Monsieur ASSIN GABRIEL est un sexagénaire. Il est membre de la classe d’âge Gnando et chef de famille (la famille ASSIN est un modèle de réussite sociale dans le village d’Abobo Baoulé). Le 22 mars 2011, il reçoit la visite de Monsieur ASSI SERAPHIN un frère de l’église. Celui-ci est accompagné par Monsieur ATTA ERIC qui ambitionne de construire une école privée à Abobo Belleville (Angré extension). Le projet nécessite quatre (04) lots de

187 mille deux cent mètre (I200nf) pour sa réalisation. Monsieur ATTA ERIC propose quatre millions cinq cent mille (4.500.000) Frs CFA le prix d’achat d’un lot. Pour Monsieur ASSIN GABRIEL cette somme est en dessous de l’offre concernant les terrains situés au site indiqué. En ce lieu le prix d’un (01) lot de mille deux cent mètres carré (I200m^) est à six millions (6.000.000) de Frs CFA. Monsieur ASSI SERAPHIN se pose en négociateur et entreprend de faire rabattre le prix d’achat. Après une heure de discussion avec Monsieur ASSIN GABRIEL, ils parviennent à un accord sur le prix d’achat cinq millions (5.000.000) Frs CFA. Monsieur ASSIN GABRIEL demande à MONSIEUR ATTA et à Monsieur ASSI SERAPHIN de l’accompagner chez le chef du village pour le paiement et la délivrance de l’attestation d’attribution. Au cours du déplacement, il appelle certains aînés de la famille (Gnando et Dougbo) pour une rencontre immédiate au palais de l ’unité. Ils se retrouvent avec le chef du village, après un moment d’entretien, celui-ci signe l’attestation d’attribution et perçoit cinquante mille (50.000) Frs CFA de fais de commission. Monsieur ATTA ERIC solde la totalité de la somme et reçoit les reçus de paiement avec les attestations d’attribution. »

>6 Chef de famille KINDIA

Récit n^6, Auteur Monsieur ABOGA, un Tchagba de la famille KINDIA, entretien du mercredi 02, mai 2012. {Durée 2 heures 27 minutes)

« Monsieur KINDIA MAURICE est un chef de famille de 74 ans issu de la classe d’âge Gnando dans le village de Djrogobité. Il est le responsable d’un patrimoine foncier familial de deux (02) hectares dans la commune de Cocody. Il est approché par Monsieur LATHE son démarcheur le vendredi 27 janvier 2012.

188 Celui-ci dit être contacté par Monsieur BONSOU PIERRE désireux d'acheter deux (02) terrains de mille deux cent mètre carré (1200 m ). Ce dernier propose de payer quatre millions cinq cent milles (4.500.000) Frs CFA l’unité au lieu six millions (6000.000) Frs CFA, le prix fixé par Monsieur KINDIA MA URICE. Celui-ci accepte tout en soutenant que la crise sociopolitique qu 'à connu le pays a fortement réduit l'engouement des clients. Pour lui à cette zone, il vendait un lot de mille deux cent mètre carrés (1200m^) à sept millions (7000.000) de Frs CFA avant la crise de 2001. Au lendemain. Monsieur LATHE et Monsieur BONSOU PIERRE se rendent sur le site concerné. En ce lieu, il rencontre Monsieur KINDIA MA URICE avec le plan guide. Celui-ci coche sur le document les parcelles demandées. Ensemble, ils se rendent à son domicile pour la rétribution. Une fois sur les lieux, il encaisse l’argent et délivre un reçu à son client. Il sort du porte- document qu’il tenait, l’attestation d’attribution, mais demande à Monsieur BONSOU PIERRE de l’accompagner chez le chef pour la signature de l’attestation d’attribution villageoise. Après l’émargement du document. Monsieur BONSOU remet cent milles (100.000) Frs CFA de frais de commission au chef du village ».

ni.1.1. Organisation du contrat de vente

Elle concerne l’ensemble des transactions foncières dans lesquelles interviennent soit les autorités coutumières, le comité de gestion des terrains du village et les responsables des classes d’âge. Soit le chef de famille, le responsable familial de vente, les membres représentant les classes d’âge de la famille et les démarcheurs. Le contrat de vente est un document complémentaire de l’attestation d’attribution villageoise de terrain. Il est délivré à un acheteur par les autorités coutumières et les chefs de famille des villages de Locodjro, d’Abobo Doumé,

189 d’Abobo Baoulé, d’Anono et de Béago. Ce document est aussi connu par les autres villages mais ceux-ci ne l’utilisent pas à cause de sa complexité (l’émargement du chef de village ou de famille, du responsable du comité de gestion locale des terres ou du responsable familiale de vente). Pour eux, ce document n’a aucune valeur administrative et juridique, sa portée est locale. Néanmoins, il est une solution préconisée par ceux-ci pour éviter le monopole de gestion de certaines autorités coutumières ou familiales et la marchandisation imparfaite des terres dans ces localités.

I1L1.2. Vente effectuée par la chefferie

Nous présentons le contrat de vente effectué par la chefferie de Locodjro qui s’évertue d’exercer une gestion maîtrisée. Depuis le conflit de l’an 2002 qui opposa les ainés Gnando aux cadets Dougho^^, un comité local de gestion est désormais mis en place pour coordonner les efforts de gestion de la chefferie. Ce comité est constitué de l’élite de la classe d’âge Dougbo. Il est chargé de faire appliquer les règles coutumières et administratives dans la vente des terres au niveau locale. Son rôle est déterminant dans toutes les transactions foncières qui impliquent la chefferie. Parmi les différents contrats réalisés par la chefferie, celui du mercredi 05 janvier 2011 nous servira d’illustration dans la mesure où il révèle bien le rôle du comité local de gestion.

Récit n”7. Auteur Monsieur GOMON, un Dougbo membre du COGES de Locodjro, entretien du jeudi 10, mai 2012. {Durée 2 heures 05 minutes}

Le conflit de l’an 2002 qui opposa les aînés Gnando aux cadets Dougbo : en février 2002, les Gnando sont chassés du pouvoir par la force. Les biens matériels de ceux-ci sont détruits et confisqués par les cadets. Des affrontements entre Dougbo et Gnando causent 2 morts et 7 blessés. La résolution de ce conflit a mobilisé l’intervention du MCUA, du Ministère de la sécurité nationale et de l’ensemble des villages de la fratrie Bidjan.

190 « Dans la nuit du samedi 01 janvier 2011, Monsieur ALLA se rend au domicile du chef du village Monsieur NANDJO FREDERIC pour une proposition d’achat de terrain. Au cours de l’entretien, celui-ci fait connaître son projet d’ouvrir une grande ferme de volailles sur l’axe Dahou-Abidjan. Pour ce faire, il veut acquérir sept (07) lots de mille deux mètre carrés (1200 m^) sur le site appartenant au village de Locodjro. Après une heure de dialogue, le cheffixe une prochaine rencontre à Monsieur ALLA au Mercredi 05 Janvier 2011. Il spécifie que cette rencontre se déroulera en présence du conseil des sages, du doyen d’âge et des membres du comité local de gestion du foncier. Aussi, lui suggère-t-il de prendre toutes les dispositions nécessaires à l’offre qu ’il a faite. Au environ de dix (10) heures du matin du jour de rencontre, Monsieur ALLA en compagnie d’un autre homme se rendent au domicile du chef. Il trouve sur place la chefferie (le chef du village et les notables), les membres du conseil des sages et les membres du comité local de gestion du foncier. Ceux-ci demandent à Monsieur ALLA de réitérer sa demande et de faire une offre financière en présence de l’assemblée. Celui-ci prenant la parole pour confirmer son projet d’achat de sept (07) lots du village, fait l’offre d’acheter pour trois millions 3000.000 de Frs CFA l’unité. Cette proposition est aussitôt examinée par les autorités coutumières pendant une demi-heure. Elles acceptent de lui vendre les terrains. Monsieur ALLA accepte de payer comptant mais le porte-parole de la chefferie demande que le paiement se face à hui-clos avec les comptables du COGES. Par contre, la signature du contrat se fera en présence de tous les acteurs. Ce que fit Monsieur ALLA. Environ une demi-heure plus tard l’attestation d’attribution des terrains est signée par le chef du village. Quant au document du contrat de vente, il est émargé par le chef du village, le doyen d’âge et le responsable du COGES. Ensuite, ces

191 documents sont remis à Monsieur ALLA par la chefferie. Une exploration du site est immédiatement organisée en compagnie des membres du COGES. Néanmoins, les autorités coutumières décident d’informer officiellement les classes d’âge Gnando et Tchagba absentes ».

in.1.2.1. Vente effectuée par le comité local de gestion

Dans le village d’Abobo Doumé, la régulation du foncier est dévolue au comité local. Il est assisté par la chefferie et le doyen d’âge. Celui-ci est chargé de sécuriser le foncier du village. Ses actions sont portées sur la légitimation de l’acte de vente des terrains communautaires. Pour le responsable du comité local de gestion du foncier Monsieur ASSI « la terre de la communauté doit être bien vendue de sorte qu’elle puisse être profitable pour le village tout entier et qu’il n’y ait pas de contentieux après la vente ». Le contrat de vente du vendredi 13 novembre 2011 confirme bien ces allégations.

Récit n”8. Auteurs Messieurs YAO, DOGBO, NAGNI ; des Dougbo du COGES d’Abobo Doumé, focused group du vendredi 21 septembre, 2012. {Durée 2 heures 35 minutes}

« Le 02 novembre 2011, le responsable du service de vente Monsieur AKE MAURICE reçoit la visite d’un opérateur économique Monsieur FAWAZ au foyer des jeunes. Dans l’entretien qui dure une heure, les deux hommes débattent des conditions d’achat des terrains situés sur la rive de la lagune Ebrié. En effet. Monsieur FAWAZ veut acheter huit (08) lots de mille deux cent mètre carrés (1200 nf). Il compte débourser quatre millions (4000.000) Frs CFA pour chaque lot. Mais cette offre est qualifiée d’insuffisante par Monsieur AKE MAURICE. Il remet à

192 Monsieur FAWAZ un catalogue dans lequel sont consignés les différents prix des lots. Après consultation, Monsieur FAWAZ aperçoit que le type de terrain qu’il désire est à six millions (6000.000) de Frs CFA l’unité. Après quelques minutes de réflexion, il déclare être toujours intéressé par l ’offre surtout qu ’il est disposé à payer comptant. Monsieur AKE consulte son agenda et demande à Monsieur FAWAZde revenir le 13 novembre avec les documents et l ’argent qu ’il faut pour la transaction. Pour l ’instant, il doit informer le responsable du comité local de gestion et par la suite, le village. Dès le départ de Monsieur FAWAZ, celui-ci appelle Monsieur ASSI pour une entrevue. Il se rend au foyer des jeunes après une heure de concertation. Ces deux hommes se rendent au bureau de la chefferie. Là, ils rencontrent le chef du village à qui ils font un rapport détaillé au sujet de l’offre. Le chef décide à son tour d’informer le doyen d’âge et l’ensemble de la classe d’âge Dougbo. A la date du rendez-vous Monsieur FAWAZ est reçu par le Bureau du comité local de gestion dans la cour du foyer des jeunes. Juste après un bref aperçu, ils se rendent sur le site d’achat avec le support documentaire du plan guide. Ils explorent les terrains et se rendent par la suite au bureau du chef pour la signature du contrat de vente. Ils trouvent à leur arrivé la chefferie, certains Dignitaires de la classe d’âge Dougbo et le doyen d’âge. Monsieur FAWAZ, le responsable de vente, le responsable du COGES et le chef du village se retirent en aparté dans le bureau du chef pour le paiement. Le contrat de vente et l’attestation d’attribution sont signés par le chef, le responsable du COGES et le doyen d’âge. Ces documents sont remis à Monsieur FA WAZ en présence des autres personnalités ».

193 111.1.2.2. Vente effectuée par le chef de famille

Dans le village Anono, certaines familles ont opté pour une gestion concertée de sorte à permettre aux classes d’âge Gnando (passé), Dougbo (présent) et Tchagba (futur) d’être associées aux efforts de gestion exemplaire du foncier dans le village. Parmi ces familles, celle de Monsieur DJAMA AKE (membre de la classe d’âge Gnando et chef de famille) en est un exemple. Dans cette famille, tout accord de vente de terrain est l’affaire de toutes les classes d’âge. Le contrat du samedi 01 octobre 2011 illustre cette situation.

Récit n”9, Auteur Monsieur DJAMA, un Dougbo responsable familial de vente, discours « biographie » du jeudi 09, août 2012. {Durée 1 heure 47 minutes}

« Le lundi 26 Septembre 2011, mon démarcheur Monsieur DJAMA SYLVAIN (responsable de la génération Tchagba) se rend à mon domicile avec Monsieur OKON BLAISE, un acheteur. A leur arrivée, je les reçois. Après un bref moment de conversation Monsieur DJAMA SYLVAIN m'expose Tobjet de leur visite. Il déclare que Monsieur OKON BLAISE que voici voudrait deux (02) terrains de mille deux cent mètre carré (1200nf) dans le quartier de la Riviera Palmerais extension. Je confirme que la famille dispose sur ce site seulement de cinq (05) lots de mille deux cent (12()0jif). Je précise toutefois que les terrains en ce lieu sont excessivement coûteux, le prix d'un lot de six cent mètre carré (600m~) se chiffre à quatre millions (4.000.000) de Frs CEA. J'accorde le temps à l'acheteur de faire une estimation de ce.s moyens financiers pour engager si possible la transaction. Monsieur OKON BLAISE rétorque, qu 'il avait déjà été informé du prix par mon neveu. Il dit être venu pour acheter. Je demande à l'acheteur de revenir le 01 octobre 2011. Dès le départ de

194 Monsieur OKON BLAISE, moi et mon neveu nous décidons de nous rendre chez Monsieur DJAMA AKE, notre chef de famille pour une concertation au sujet de l'action auparavant menée. Celui-ci, après nous avoir attendus m'ordonne d'iriformer les membres des classes d'âge Gnando, Dougbo et Tchagba d'honorer par leur présence l'acte de vente du 01 Octobre2011. Au jour indiqué. Monsieur OKON BLAISE accompagné de mon neveu se rendent aux environs de dix heures (10) heures du matin à mon domicile. Je les accueille à la grande terrasse de ma résidence. A cet endroit, sont également présents le chef du village et tous les responsables des classe d'âge Gnando, Dougbo et Tchagba et quelques-uns de leurs membres. Le chef de famille me demande de procéder à l'identification des lots par l'acheteur sur le plan guide. Après quoi, celui-ci demande à Monsieur OKON BLAISE de donner l'argent. Ce qu'il fit en payant comptant la totalité de la somme. Je lui délivre un reçu de paiement. Aussi, je lui remet.s la lettre d'attribution signée par le chef du village et le chef de famille. Le contrat de vente est aussi validé par l'émargement des responsables des classes d'âge Gnando et Dougbo. Je m'assure de la bonne transmission de tous les documents de vente à Monsieur OKON. Il accepte à son tour de solder cinquante mille (50.000) Frs CFA comme frais de commission au chef. Le chef de famille nous demande de faire une visite guidée du site en compagnie de l'acheteur. D ’ailleurs, il nous indique que l'argent de vente servira d'abord à achever le chantier de construction de la famille. Ensuite, le reste sera affecté aux besoins sociaux ».

195 ni.1.2.3. Vente effeetuée par les responsables familiaux de vente

Dans la localité de Béago, certains chefs de famille acceptent de laisser la primeur des actions de vente aux responsables familiaux de vente. Soit pour des problèmes sanitaires, soit pour témoigner de la confiance qui le lie à celui-ci. Dans ce cas, le responsable familial est chargé de trouver directement ou par l’intermédiaire du démarcheur un acheteur et de vendre le terrain. Seulement, le chef de famille intervient à la fin de l’achat pour signature du document. L’argent de vente est géré par le responsable familial de vente avec l’accord du chef de famille. La famille MANDAN est l’une des familles à appliquer ce mode de gestion à cause des conditions de santé du vieux MANDAN THEOPHILE, un octogénaire de la classe d’âge Gnando. Monsieur MANDAN ERIC (membre de la classe d’âge Dougbo) désormais en charge du foncier familial signe un contrat de vente de terrain le Jeudi 17 Novembre 2011.

Récit n*T0, Auteur Monsieur MANDAN, un Dougbo, responsable familial de vente discours « biographie » du mercredi 25, juillet 2012. {Durée 1 heure 24 minutes}

« Le mercredi 16 novembre, je suis approché par Monsieur ESSIS LASM, un frère de l’église Méthodiste Unie qui veut acheter un terrain de six cent mètres carré (600 mj pour bâtir son habitat. Je lui annonce que je possède plusieurs terrains en ma charge mais hors des limites du village dans le quartier lièvre rouge de la commune de yopougon. Je lui dit que les terrains de six cent mètres carré (600nf) sont à trois millions (3000.000) de Frs CFA. Monsieur ESSIS LASM dit être disposé pour la transaction à condition que je rabatte le prix du lot. A l'issu de l'entretien, je décide de lui faire visiter le site. Je décide de fixer une prochaine rencontre au domicile du chef de famille le jeudi 17 Novembre

196 2011. A mon arrivé, au village j’informe les responsables Gnando et Dougbo du projet de vente de terrain à la date indiquée. Au jour du rendez-vous, nous nous retrouvons au domicile du chef de famille en présence du chef de village. Après un bref moment d’entretien cordial que nous avons eu avec l’acheteur, voici les personnalités présents, moi. Monsieur ESSIS LASM, le chef de famille, le chef du village, le représentant des Gnando et Dougbo. Nous décidons de nous retirer dans une salle pour le paiement, la signature de l’attestation d’attribution et du contrat de vente ».

II.1.2.4. Vente effectuée par les autres membres de la famille

Dans les localités étudiées, certains chefs de famille prônent l’équité dans la distribution du foncier au sein des différentes classes d’âge. Pour ceux-ci, la terre est un bien commun qui ne doit faire l’objet d’une gestion égoïste. Dans ces familles, le partage des terres s’applique aux Gnando, Dougbo et Tchagba. Dans le village d’Abobo Baoulé, Monsieur BEUGRE, un chef de famille (membre de la classe d’âge Dougbo) décide de mener une régulation concertée du foncier en réponse à la gestion personnifiée^^ du terroir de son prédécesseur (Gnando). Les terres de la famille étaient auparavant placées sous l’autorité du chef de famille AKE NORBERT. Il gérait sans partage les terres de la famille. Il tirait de la marchandisation des terrains des devises considérables qui lui ont permis d’accomplir d’importantes réalisations immobilières (villas, maisons à louer et des magasins). Il vivait dans l’opulence tandis que la misère prospérait dans la famille. Le 18 février 2009, Monsieur BEUGRE se rend au domicile de Monsieur AKE NORBERT pour lui faire part de son mécontentement pour son manque de soutien financier pendant la maladie de sa femme. De plus, elle est décédée à

Gestion personnifiée : mode de partage de terres uniquement basé sur la personnalité du chef de famille. Type de régulation opaque, source de contestations entre les classes d’âge de la famille et celui-ci.

197 cause de sa maladie. La rencontre entre Monsieur AKE NORBERT et son neveu Monsieur BEUGRE aboutit à une violente altercation. Deux mois après cette dispute. Monsieur AKE NORBERT est frappé d’une maladie mystérieuse^^^. Il décède des suites de cette maladie deux semaines après. Le conseil de famille désigne immédiatement son neveu pour le succéder. Monsieur AKE décide dès sa prise de fonction de permettre l’accès du foncier à toutes les classes d’âge de la famille (Gnando, Dougbo et Tchagba). Ainsi, chaque terre distribuée est sous l’autorité directe de l’ayant droit. Ce qu’il compte en faire n’engage que lui. Néanmoins, en cas de vente, un contrat de vente portant la signature du chef de famille et du chef de village, doit être délivré à l’acheteur. Monsieur BEUGRE ANATHOLE (membre de la classe Tchagba), le neveu du chef de famille vend une partie sa parcelle de mille deux cent mètre carré (HOOm^) à Monsieur ALLOU JACQUES.

Récit Auteur Monsieur BEUGRE Anathole, un Tchagba membre de la famille BEUGRE, discours «biographie» du jeudi 09, août 2012. {Durée 02heure 17 minutes)

« Dans la matinée du mardi 02 Août 2011, je reçois à son domicile la visite de Monsieur ALLOU JACQUES, un ami d’enfance exerçant la profession d’enseignant dans l’école primaire du village. Celui-ci au cours d’une conversation expose à son ami son projet d’achat d’un lot à Abobo Baoulé extension pour bâtir sa maison. Je lui déclare avoir la même ambition sauf que je ne dispose pas de moyen financier. Alors, je propose à mon ami d’acheter une partie du lot que j’ai reçu dans le but d’investir l’argent obtenu à la réalisation de mon projet. L’idée est favorablement appréciée par mon ami. Il me demande à quel prix.

Maladie mystérieuse : Monsieur AKE souffre de diarrhée chronique et de vomissement. Les diagnostiques médicales n’ont pu établir la cause de cette maladie.

198 je compte lui vendre le terrain. Je l ’informe que le prix du lot de six cent mètres carré (600m^) est à trois millions (3.000.000) Frs CFA. Mais pour raison d’amitié, je lui demande un apport de deux millions cinq cent mille (2.500.000) Frs CFA. Mon ami suggère de me rencontrer dans la soirée pour la signature du contrat d’achat. Aux environs de dix neuf heures (19) heures, il se rend à mon domicile. Je lui suggère que nous nous rendions au domicile de mon oncle BEUGRE pour accomplir l’acte de vente. À notre arrivée, il nous accueille et après s ’être acquis de l ’ohjet de notre visite, il signe l’attestation d’attribution et le contrat de vente, Il me demande à mon tour d’émarger le contrat de vente et de nous rendre par la suite chez le chef du village pour que celui-ci signe également ces documents. Moi et mon ami, nous nous sommes rendus chez le chef de famille pour achever l ’acte de vente par la signature de l’attestation d’attribution et le contrat de vente fut émargé par le chef du village. Mon ami donne cinquante mille (50.000) Frs CFA au chef du village comme frais de commission ».

IIL1.3. Marchandisation imparfaite des terrains

La marchandisation imparfaite des terres est une pratique en vogue dans les localités étudiées. Elle est le fait des autorités coutumières et des classes d’âge Gnando, Dougbo et Tchagba (pour motif de protestation à quelques rares occasions). La vente des terres dans ce cadre s’effectue soit par le contournement des règles établies, soit par une défiance de l’autorité de tutelle. Elle est une pratique socialement sublimée par les autorités coutumières au niveau local (règlement à l’amiable des conflits par les chefferies dans les villages et règlement punitif des autorités judiciaires).

199 III.1.3.1. Au niveau de la chefferie

La marchandisation des terres est une réalité qui implique en bonne position la chefferie dans les villages étudiés. Cependant, elle semble rejeter vigoureusement cette pratique en son sein. Les différents entretiens que nous avons eus avec elle à la place publique, étaient infructueux. Les informations compromettantes à leur égard, ont pu être rapportées par certains des leurs (membres de la classe d’âge Dougbo). Ces informations ont été confirmées par des membres des classes d’âge Gnando et Tchagba. Parmi les données recueillies, celles de Djrogobité sont les plus pertinentes à ce sujet.

Récit n^l2. Auteur Monsieur ADAO, un acquéreur de terrains dans la localité de Djrogobité, discours «biographie» du lundi 18, juin 2012. {Durée lheure 52 minutes}

« Le 13 avril 2004, je me rends en compagnie du démarcheur du chef du village de Djrogobité chez lui dans le motif d’acheter deux (02) lots de mille deux cent mètre carré (1200m ). Dès notre arrivé, Monsieur ADJA ACHI, le chef du village nous demande de bien vouloir l’accompagner sur les différents sites où se trouvent les différents lots en sa charge. Il tenait en possession le plan guide du village. Dans les environs de la Riviera Palmerais, il me montre plusieurs lots situés à différents lieux. Il me demande d’effectuer un choix à ma guise dans la variété des lots que Je venais de visiter. Ce que Je fis, Je dis être intéressé par deux (02) lots Jumelés (des terrains côte-à-côte, présentant une surface plate et régulière) situés à proximité du camp militaire d’Akouedo. Alors, monsieur ADJA ACHI sort de son cartable le plan guide du village et marque l’emplacement de ces lots sur le plan au crayon. Nous nous sommes rendus par la suite au domicile du chef pour

200 raccomplissement de la transaction. Monsieur ADJA AC PII exige, qu'on lui verse quatre millions (4.000.000) de Frs CFA pour le prix d'un lot. J'accepte, et je paie comptant huit millions (8.000.000) Frs CFA pour les deux lots. Monsieur ADJA ACHI me délivre des reçus pour le prix de chaque lot. Il signe aussi deux attestations d'attribution villageoise qu’il me remet. Satisfait d'avoir fait une bonne affaire avec Monsieur ADJA ACHI, Je me rends six mois après au MCUA pour établir sa lettre d'attribution légale. Je suis reçu par Monsieur KACOU, le directeur des plans et projets de l'institut qui me présente les plans guide du village. Après la vérification. Je découvre que les numéros des ilôts figurant sur l'original du plan guide du village ne portaient nulle part mon nom. Il demande de bien vouloir me rendre chez le vendeur pour réclamer ce que de droit. Monsieur KACOU m’informe que d'autres acheteurs avaient également été victimes d'une marchandisation imparfaite de la part de cet homme. Je me suis retourné au village, mais le discrédit que les activités illicites de Monsieur ADJA ACHIJetaient sur le village Djrogobité a conduit les cadets de la classe d'âge Tchagba à le chasser du pouvoir. Ensuite, il est remplacé par un intérimaire Dougbo Monsieur AKE JEROME. Celui-ci décide d'imputer à Monsieur ADJA ACHI l'entière responsabilité de ses actes. Monsieur ADJA ACHI a fui le village avec sa famille pour une destination inconnue, dans le but d'échapper aux poursuites Judiciaires ».

in.1.3.2. Au niveau des classes d’âge

La marchandisation imparfaite est l’œuvre de certains membres de la classe d’âge Dougbo. Ceux-ci vendent les terres communautaires qui ont été mises à leur disposition lors de leur initiation à la vie sociopolitique dans les

201 localités. Selon les autorités coutumières dans les localités, les terres communautaires ne sont pas à vendre. La marchandisation de ces terres entraine l’annexion du village mettant surtout en mal tout projet d’extension du village. On assiste pour ce fait à la présence des bâtisses appartenant de plus en plus à des allochtones et allogènes. Dans les villages, les autochtones sont obligés de louer la maison des « étrangers » pour y vivre. Parmi ces villages, celui de Locodjro en est le prototype.

Récit n”13, Auteur Monsieur BOGUE, un notable dans la chefferie de Locodjro, entretien du mercredi 05, décembre 2012. {Durée 2 heure 07 minutes}.

« Le lotissement du site de Jérusalem II à Locodjro extension a produit quatre cent vingt et deux (422) lots de mille deux cent métré carres (1200) m en 2008. La chefferie a initié ce projet en vue de pourvoir à la répartition de ces lots au sein de la classe d'âge Dougbo. Ainsi, les terres ont été distribuées à chaque membre de la classe d’âge Dougbo. L’acte accompli était frappé d’une restriction majeure, celle de l’interdiction de vendre ces terres communautaires. Déjà, dès le début de l’année 2010 la chefferie constate que cent vingt et huit (128) lots ont été vendus par les récipiendaires. Alors, elle décide de mettre en pratique la sanction prévue par le règlement foncier du village (la terre est retirée de la propriété des ayants droits). L’application de cette mesure s ’est fortement heurtée à un refus radical des Dougbo à obtempérer. Ceux-ci posent comme prétextes qu ’ils refusent d'être « les cabris de sacrifice ». Car pour eux, les sillons de marchandisation imparfaite tracés par les aînés Gnando ne peuvent être occultés par les autorités coutumières actuelles. Pour endiguer la continuation de ce problème, ils suggèrent qu ’un crédit financier de mise en valeur des lots soit accordé aux bénéficiaires.

202 Si ce n ’est le cas, ils poursuivront impunément ces actes de même que leurs prédécesseurs Gnando. La chefferie décide néanmoins de s ’en tenir au respect de cette disposition (la terre communautaire ne doit pas être vendue). Elle décide de ne pas émarger l’attestation d’attribution villageoise. Mais les Dougbo disent avoir pris les mesures qui s ’imposent pour atteindre leur objectif. Au regard de la situation, les Tchagba se disent déçus par l’impuissance des autorités coutumières à maîtriser réellement le foncier. Ils dénoncent une complicité entre ceux-ci et la chefferie. Pour eux, ils sont du « même camp ». En représailles, ils disent à leur tour être libre de toutes décisions au sujet de la vente illicite des terres. En outre, qu ’ils n ’ont de leçons de gestion à recevoir de personne. Surtout, pas de ceux-là qui ont « brutalisé » leurs pères Gnando pour s ’accaparer le pouvoir en 2002 ».

111.1.3.3. Au niveau du chef de famille

L’autorité du chef de famille est indéniable dans le processus de gestion communautaire du foncier. Cette place de choix qu’occupe le chef de famille n’est toujours pas honorée. Il advient que des chefs de famille se livrent à des actions illicites pour accroître leur gain après une vente de terre. La plus courante de ces pratiques illicites est la vente d’un terrain à plusieurs individus. Celle-ci démontre clairement l’implication du chef de famille dans la marchandisation imparfaite des terres. Dans le village de Béago, le chef de famille DOGBO GUY (membre de la classe d’âge Gnando) a la réputation de pratiquer la marchandisation imparfaite des terres. Celui-ci a reçu plusieurs mises en garde de la part des autorités coutumières (saisie de ces lots, exclusion dans les affaires courantes du village, confiscation de biens, manque d’assistance communautaire en cas d’accusation pénale). Mais ces mesures n’ont pas permis à celui-ci d’améliorer sa conduite. En Août 2011, il est conduit devant les autorités judiciaires par Monsieur KOUADIO

203 HENRI qui l’accuse de l’avoir dupé pour l’achat de deux (02) lots de mille deux cent mètres carré (HOOm^).

Récit n^l4. Auteur Monsieur KOUADIO Henri, un acquéreur de terrains dans la localité de Béago, discours « biographie » du vendredi 24, février 2012. {Durée 1 heure 54 minutes}

«Le 13 Août 2011, je me suis rendu en compagnie d’un démarcheur Monsieur ATTA GUSTAVE au domicile du chef de famille DOGBO GUY dans l’intention d’acheter deux (02) lots de mille deux cent mètres carré (1200 m~). Dès notre arrivée. Monsieur DOGBO GUY nous demande de bien vouloir l'accompagner sur les différents sites où se trouvent les différents lots en sa charge. Il tenait en possession le plan guide du village. Dans les environs de Yopougon lièvre rouge, il me montre plusieurs lots situés à différents lieux. Il me demande de procéder à un choix dans la pluralité des lots qu’il m'avait présenté, ce que je fis. Je dis être intéressé par deux (02) lots situés en bordure de route. Monsieur DOGBO GUY sort de sa voiture, une copie du plan guide du village pour inscrire mon nom dans les cases correspondantes à remplacement des lots, Nous nous sommes rendus par la suite à son domicile pour la réalisation de la transaction. Alors, Monsieur DOGBO GUY exige que je lui verse six millions (6.000.000) de Frs CFA pour le prix des lots. J'accepte et paie comptant la somme exigée pour les deux lots. Monsieur DOGBO GUY me délivre des reçus pour le prix de chaque lot. Il signe aussi deux attestations d'attribution villageoise qu’il me remet. Trois (03) mois plus tard, j’entreprends des travaux de construction de logement de location. Après un mois du début du chantier, je reçois un avis d’arrêt des travaux du MCUA. Encore

204 quelques jours, je constate un matin des inscriptions en peinture rouge sur les palettes de murs construits. Surpris par les évènements, je décide de me rendre au MCUA pour me renseigner. Je suis reçu à son arrivé par Monsieur KACOU qui me demande de présenter la pièce justificative des travaux. Je présente à Monsieur KACOU l’attestation villageoise de propriété. Mais celui-ci estime que ce document ne m'autorise pas à entreprendre de tels travaux. Par ailleurs, il m‘informe que les lots en cause sont la propriété de Madame KOUA ANGELINE, la seule détentrice de la lettre d’attribution légale délivrée par le MCUA. Monsieur KACOU me demande, un arrêt définitif et sans délais de mes travaux en cours sous peine de subir la rigueur de la loi. Monsieur KACOU me suggère de m'en prendre au vendeur de terres. Je me rends auprès de la chefferie de Béago pour porter mon problème à la connaissance des autorités coutumières. Mais ceux-ci m'informent que plusieurs plaintes impliquant Monsieur DOGBO GUY dans la vente illicite de terrains avaient été portées à leur connaissance. Les différents efforts au niveau local se sont avérés vains pour prévenir les actions de celui-ci. Alors, ils me demandent de recourir aux voies que j'estime juste pour défendre ma cause, je porte l’affaire à la connaissance de la police judiciaire. Un mandat d’arrêt est émis à l’encontre de Monsieur DOGBO GUY. Deux semaines plus tard il est arrêté et écroué à la MACA le jeudi 18 juin 2011 ».

111.1.3.4. Au niveau des membres de la famille

Le marché imparfait des terres des membres de la famille est tributaire de la trop grande emprise de l’autorité du chef de famille sur la régulation foncière. 11 ressort que le marché imparfait des terrains a lieu dans les familles où le chef

205 exerce une gestion sans partage du foncier. Il est en amont et en aval du processus de marchandisation des terrains. Il décide de l’orientation que doivent emprunter les retombées financières issues des ventes. Sa forte autorité entraine la réduction voir la suppression du rôle du responsable familial de vente, il joue lui-même ce rôle dans la majorité des cas. Marginalisée par la forte autorité de celui-ci, les différentes classes d’âge choisissent comme moyen de protestation la vente des terrains familiaux par la production de documents frauduleux (imitation de la signature du chef de famille sur le reçu du paiement et l’attestation d’attribution villageoise). Dans le village de Djrogobité, le chef de famille KINDIA, un membre de la classe d’âge Gnando voit son autorité bafouée par ces cadets Dougbo et Tchagba.

Récit n'TS. Auteur Monsieur AMOA Ange, un Gnando, un proche de la famille KINDA de Djrogobité, entretien du lundi 20, février 2012. {Durée 2 heures 12 minutes}

«Dès les débuts de l’année 2011, des conflits opposent le vieux KINDIA (chef de famille) à ses cadets. Celui-ci rapporte devant les autorités coutumières que ses cadets Dougbo et Tchagba se sont ligués contre lui. Il accuse particulièrement son petit frère KINDIA DELAFOSSE d’être à l’initiative de cette action subversive qui a occasionné la perte de quatre (04) lots de mille deux cent mètres carrés (1200m ). En effet, dans le mois de Janvier 2011, il se rend avec un acheteur sur les lots de la famille situés à cinq cent (500) mètres du camp militaire d’Akouedo. Il constate avec surprise que des travaux de construction de logements sont engagés sur deux (02) des lots à sa charge. Alors, il se rend auprès des ouvriers pour s’informer. Ceux-ci lui remettent les contacts téléphoniques des instigateurs des chantiers. Il décide de les appeler pour s ’enquérir auprès d’eux de l’origine de ces transactions foncières. Il

206 entreprend de les rencontrer chacun sur les terrains concernés. Chaque acheteur lui fournit les preuves de la transaction foncière. Tous lui ont présenté une attestation d'attribution portant sa signature et des reçus frappés par son caché tampon. Stupéfait, il mène ses propres investigations dans le but de connaître Tauteur des ventes frauduleuses. Mais, il découvre que ces actions ont été menées de manière concertée par ses cadets. Il est donc le seul à être tenu en marge de la situation, car tout le village est informé de cela. Pour certains de ses amis, il devrait s’entretenir avec son petit frère KINDIA DELAFOSSE car « le linge sale se lave en famille ». Il décide de se rendre immédiatement chez celui-ci. Ces deux hommes s'engagent dans une âpre discussion ne pouvant parvenir à un consensus, ils se séparent. Le vieux KINDIA décide de porter l'affaire à la connaissance du doyen d’âge du village. Mais celui-ci lui explique qu’il a reçu déjà la visite de son frère cadet KINDIA DELAFOSSE avec plusieurs de ses contemporains. Ceux-ci dénonçaient une gestion fermée de sa part et qu 'ils ne percevaient pas les fruits de la marchandisation du foncier. A son niveau, le doyen d'âge les oriente vers une solution concertée entre aînés et cadets de la famille. Néanmoins, il demande au chef de famille de préconiser le règlement pacifique de ce différend et si possible avec l'aide des autorités coutumières ».

IIL1.4. Position sociale et stratégies des acteurs

Il s’agit ici de mettre en évidence les stratégies développées par ces acteurs lors des ventes de terrains. Quelles sont les ressources de chacune des parties en présence ? Comment mobilisent-ils ces ressources ?

207 111.1.4.1. Position sociale des acteurs

La position sociale des acteurs dans cette activité permet de mieux cerner leurs capacités stratégiques. Ceux-ci peuvent être classifiés en trois groupes selon les termes de Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG (1977: 500): stratégique, conservateur et erratique.

Les groupes stratégiques ; il s’agit des comités de gestion des terrains locaux et des responsables familiaux de vente. Ce sont eux qui interviennent directement dans les opérations de ventes. Ils ont la responsabilité de trouver les acheteurs, de négocier les prix de vente des terrains et de définir les stratégies de cooptation des clients. Ils disposent en général d’un projet plan et la photocopie d’une attestation d’attribution, documents qui leur permettent de contracter les acheteurs. Les groupes conservateurs : Ils sont constitués essentiellement des membres de la classe d’âge Gnando et Dougbo (chefs de familles, doyens d’âge et d’autorités coutumières). Ils ne participent pas à la recherche de clients, mais légitiment les actes de vente qui sont effectués. En ce qui concerne le chef de famille, c’est lui qui émarge toutes les attestations d’attribution, fixe le prix de vente des terrains, reçoit et gère l’argent des ventes.

Les groupes erratiques : ils sont constitués par les membres de la classe Tchagba (les neveux, les cousins, les autres membres de la famille) en marge du circuit régulier de marchandisation. Mais ils aident le responsable des ventes dans ses démarches. Quelques fois, ils ont en leur possession les photocopies des documents utilisés pour la recherche de clients. Ils ne sont investis d’aucune responsabilité vis-à-vis de la famille mais jouent souvent un rôle déterminant dans les ventes. Au niveau des relations, le chef de famille entretient des relations étroites avec le responsable familial des ventes puisque c’est à ce dernier que revient officiellement le devoir de faire fonctionner cette organisation (trouver les clients). Par contre, entre le chef de famille et les démarcheurs, les relations sont très faibles puisque leur existence n’émane pas de lui. Entre le responsable

208 familial des ventes et les démarcheurs, les relations sont également très fortes car ce sont eux qui interviennent de façon décisive dans la recherche de clients. A travers cette typologie et en considérant la position stratégique de ces différents groupes, on se rend compte que les groupes stratégiques et erratiques ont « une capacité d’action et d’intervention » très grande dans cette activité de vente des terrains. Ces deux groupes assurent et maintiennent beaucoup plus directement et fortement le fonctionnement de la vente. Ils disposent « d’atouts propres liés à la maîtrise des informations » relatives à la quête des acheteurs. Ainsi, l’organisation qui au départ disposait de mécanismes restreignant les responsabilités des acteurs va offrir, au fil du temps des opportunités nouvelles dont ils vont se servir. Dans cette situation prédominante, ils vont tout naturellement exploiter ces atouts pour atteindre leurs objectifs.

111.1.4.2. Capacités stratégiques : de l’identification et la manipulation des zones d’incertitudes

Trois éléments permettent d’apprécier ce facteur : la non uniformité des attestations villageoises, le faible moyen de contrôle des terrains vendus et les signatures des attestations villageoises.

IILl.4.2.1. La non-conformité des attestations villageoises

Même si des caractéristiques essentielles demeurent sur la plupart des attestations villageoises qui sont remises aux acquéreurs, n’empêchent qu’il y a des différences. Le tableau qui suit nous en donne un exemple.

209 Tableau n”10 ; Présentation des caractéristiques communes et/ou différentes des attestations en fonction du type de lots

Types de lotissements Caractère commun Caractère différent : les signatures

Village -Référence du terrain (n° du lot, n° Ilot)

-Références de l’extension Chef du village (nom et prénoms, Extension du village n°téléphonique, adresse Chef du village postale) + Comité Local de gestion du -Références famille cédant foncier (nom) Village extension -Référence village cédant (nom) Chef de village +

Chef de famille

Source : étude vente de terrains villageois et conflits fonciers 2011-2012

Commentaire sur le tableau

Comme il apparaît dans ce tableau, les attestations délivrées lors des ventes diffèrent d’un village à un autre. Mais, elles peuvent être regroupées en deux groupes. D’une part, celles délivrées par les villages ayant opté pour le contrat de vente impliquant au niveau communautaire : le chef du village, le comité local de gestion du foncier et les classes d’âge. Celles attribuées par les familles impliquent le chef de famille, le responsable familial de vente et les classes d’âge de la famille. D’autres parts, celles délivrées par les villages basées sur la régularité du processus de vente, au plan communautaire : chef du village et

210 membres de la communauté villageoise. Plan familial : chef de famille et responsable familial de vente. Donc, l’organisation qui au départ disposait de mécanismes restreignant les possibilités des acteurs va offrir, au fil du temps, des opportunités nouvelles dont ils vont se servir. Dans cette prédominante, ils vont tout naturellement exploiter ces atouts pour atteindre leurs objectifs. Avec le développement de la technologie et des NTIC, certains revendeurs procèdent à la falsification des documents (l’attestation d’attribution villageoise, le contrat de vente et le caché tampon) soit en effectuant des photocopies soit en effectuant le scannage de ceux-ci.

III.l.4.2.2. Le faible contrôle des terrains cédés et des attestations villageoises lors des signatures

En principe, après la fin des travaux de lotissement, un projet plan est remis aux propriétaires de terrains lotis(le chef du village et le chef de famille). Et c’est à partir de ce projet que le chef du village ou le chef de famille découvre le nombre de lots qui revient à la famille ou au village. Les terrains communautaires à la charge de la chefferie constituent le bien commun de tous les villageois. Mais ils ne sont pas distribués pour autant à chaque individu dans le village. Ils sont attribués seulement à la classe nouvellement initiée à la vie sociale du village. Dans les localités étudiées, ce sont les Dougbo qui sont à l’honneur. C’est au sein de cette classe d’âge qu’à lieu la distribution des ten'es communautaires dans les villages. Néanmoins, ces terres distribuées ne doivent pas être vendues. Cette mesure n’est toujours pas respectée par les Dougbo bénéficiaires des terres communautaires. De surcroit, ils échappent à la sanction réservée aux contrevenants (retrait de la terre à l’ayant droit) car ceux-là qui doivent la faire appliquer sont ceux là qui sont mis en cause. Les liens de fraternité et de complicité au sein du groupe étouffent les efforts de maîtrise du foncier.

211 Selon nos enquêtes, il ressort que dans les familles, aucun véritable contrôle n’est effectué à la fois par le chef de famille et par le chef de village lors de la signature des attestations villageoises d’attribution. Dans le cas spécifique du chef du village (dernier maillon dans la chaîne de validation des actes d’actes d’achat), la transmission du dossier à son niveau suppose préalablement que les vérifications d’usage ont été effectuées par le chef de famille. Surtout que ce dernier lui-même issue du groupe des aînés (Gnando et Dougbo) est le garant du patrimoine foncier familial dont il a la charge de procéder présentement à la vente. Cette marque de confiance placée en celui-ci, le conduit à la personnification du pouvoir foncier et ne le pousse guère à effectuer de plus amples vérifications dans le processus marchandisation du foncier.

111.1.4.2.3. Stratégie de mobilisation des ressources : Du détournement des règles d’organisation et marchandisation par les acteurs

Plusieurs stratégies sont développées ou mises en œuvre par les acteurs. Ce qui aboutit à un détournement des règles de fonctionnement. On s’aperçoit alors que ces acteurs ne se saisissent pas seulement des opportunités existantes, mais en créent de nouvelles.

111.1.4.2.3.1. Vente directe avec falsification de tous les documents

Schéma 03 : Vente avec falsification des documents

Source : étude vente terrains villageois et conflits fonciers 2011-2012

212 Explication du schéma

La finalisation de la vente est effectuée entre deux parties, c’est-à-dire entre l’acheteur et le vendeur. La somme est directement perçue par le vendeur (responsable de vente ou le démarcheur) au lieu qu’elle soit remise au chef de famille. Dans ce cas-ci, les documents fournis ainsi que les signatures du chef de famille et de village sont des falsifications. Ce genre d’opération est effectué généralement par les acteurs du groupe erratique : membres de la classe d’âge Tchagba et quelques fois du groupe stratégique, c’est-à-dire le responsable familial des ventes (membres de la classe Dougbo).

IILI.4.2.3.2. Vente avec falsification de la signature du chef de famille

Schéma 04 : Vente avec falsification de la signature du chef

Source : étude vente terrains villageois et conflits fonciers 2011-2012

Explication du schéma

Dans cet autre cas, le chef de famille n’est pas informé de la vente qui est effectuée. Ici, seule la signature du chef de village est authentique, celle du chef de famille est très souvent une imitation. Cette autre opération est généralement 1 effectuée par le groupe stratégique (le responsable familial de vente) et quelques fois par le groupe erratique (membres de la classe d’âge Tchagba).

IILl.4.2.3.2. Vente avec les signatures authentiques du chef de famille et de village

SchémaOS : Vente avec signature du chef de famille

Source : étude vente terrains villageois et conflits fonciers 2011-2012

Explication du schéma

Dans ce dernier cas, toutes les signatures sont authentiques. Mais, le chef de famille en délivrant l’attestation n’est pas informé de la vente qui est effectuée. En générale, on lui dit qu’il s’agit d’un duplicata qu’il doit délivrer pour un client qui aurait égaré sa première attestation. Ce à quoi il ne s’oppose guère puisque l’acheteur a besoin de cette pièce (la première d’ailleurs) pour obtenir les autres documents. Comme il apparaît ainsi, les acteurs usent de plusieurs stratégies pour atteindre leurs objectifs. Mais en cas de conflit, comment se fait alors le processus de gestion ?

214 CHAPITRE DEUXIIÈME : DISCUSSION DES DONNÉES SOCIO­ ÉCONOMIQUES ET PERSPECTIVES

Dans cette rubrique, nous porterons nos commentaires sur les attributions socio-culturelles des acteurs de vente dans les localités les déterminants économiques qui fondent la marchandisation des terres. Par ailleurs, nous mettrons en perspective ses résultats.

IIL2.1. Attributions socio-culturelles des acteurs de vente

Les attributions socioculturelles des acteurs de vente dans les localités étudiées s’analysent sur les points suivants : le droit d’accès au foncier, le pouvoir des aînés sociaux et l’exercice du droit de propriété.

111.2.1.1. Le droit d’accès au foncier

Les autorités coutumières ont opté pour un droit conditionnel d’accès au foncier dans les différentes localités étudiées. Pour eux, le droit d’accès originel à la terre est inadéquat face aux mutations foncières en cours dans les localités. La répartition des terrains était jusque dans les années 1990 basée sur le système égalitaire d’accès aux biens de la société Tchaman. Auparavant, les quatre classes d’âge (Gnando, Dougbo, Tchagba et Blessoué) avaient tous droit aux terroirs, ce que MEMEL-Fotê (1980 : 478) qualifie de «statut de groupe social officiel ». Seuls les aînés sociaux qui exerçaient ou qui étaient en position d’exercer le pouvoir politique pouvaient accéder directement aux tenes communautaires. Le terroir participe ainsi à la sécurisation sociale du citoyen. Paul Richards et Jean- Pierre Chauveau (2007 : 69) affirment qu’ « il confère des droits d’accès aux utilisateurs des terres et est à la base du lien social en rattachant les individus à une communauté ». Elles permettaient aux aînés sociaux d’implanter leurs habitats et de disposer des ères cultivables. Tandis que les cadets sociaux

215 pouvaient bénéficier d’une croissance sociale sereine, car une importante garantie en terres leur étaient réservée. Ce mode de partage selon MEMEL-Fotê {op.cit} repose sur le « statut d’égalité ». Les Tchaman naissent égaux en droits sans discrimination entre les groupes sociaux. Ce principe majeur qui règle les rapports des membres de la communauté est fondé dans une certaine mesure sur l’existence des terres en quantité suffisante pour les générations contemporaines et futures. À mesure que le terroir s’est réduit au fil du temps, aussi le principe d’égalité s’est peu à peu dégradé. Depuis ces deux dernières décennies, les autorités coutumières ont opté pour une fusion du droit politique au droit cadastral. Pour eux, la situation foncière actuelle ne permet pas d’appliquer le mode de partage coutumier des terres. IZARD. M, (1985a : 27) pense que « toute tentative d'identification des "autochtones" d'hier et d'aujourd'hui qui de toute évidence ne peuvent avoir été les mêmes ». Avec l’urbanisation accélérée de la ville d’Abidjan, les autochtones adaptent leur système de gestion des terres aux nouvelles contraintes sociales (forte demande en logements, plus de 20.000 logements par an ; pression démographique dans l’ordre 3,7% depuis 2002) suivant les estimations de PINS. Alors, on assiste à la naissance d’un système foncier Hybride basé sur un brassage des règles traditionnelles et modernes. Alfred BABO (2006 : 22) soutient que c’est « la saturation foncière et la pression démographique qui conduisent à la réinterprétation des processus de négociation des droits fonciers ». Pour les autorités coutumières, cette disposition est nécessaire pour la sécurisation des terres. En effet, la forte demande des terrains coutumiers et la hausse des prix des lots ne pouvaient être appréciées indifféremment pas ceux-ci. Surtout, qu’à cause du manque de terres dans les villages étudiés en zones urbaines, les autochtones sont privés d’activités agricoles. Alors, la seule alternative qui s’impose à eux est de tirer un profit marchand légitime de leurs fonds de terre. Cette initiative passe par la corruption

216 des valeurs foncières coutumières^^au profit de la promotion de « Ici loi du plus iort ». Désormais, dans les localités, se sont les aînés sociaux (Gnando et Dougbo) qui disposent des terres. Pour nous, le droit d’accès à la terre dans les localités connaît une révolution fondamentale à trois temps. La première période peut être qualifiée de « conformiste ». Elle s’étend depuis l’implantation des Tchaman sur les rives de la lagune Ebrié jusque dans les années 1970. À cette époque, les autochtones pratiquaient sans contrainte les règles coutumières d’accès aux fonciers. Toutes les classes d’âge disposaient d’un droit d’accès à la terre communautaires. Les aînés sociaux mettent en valeur les terres mises à leur disposition. Ils y bâtissent leurs demeures et exercent les activités champêtres. Quant aux cadets sociaux, ils s’adonnent passionnément à l’apprentissage de la vie sociale auprès des aînés. Ceux-ci pouvaient reproduire les valeurs de la société Tchaman par des imitations du jeu social sur le terroir. Aussi, lorsque des allochtones et allogènes manifestaient la volonté d’accéder aux terrains coutumiers, il suffisait pour ceux- ci d’émettre la demande auprès des autorités coutumières (chefferie ou chef de famille). Ces derniers en retour permettent aux demandeurs de profiter d’un droit d’usage à la terre. En contrepartie, les demandeurs apportent un gage symbolique (une liqueur forte) aux offreurs. La seconde période est dite « modeste ». Elle se traduit par le balbutiement d’un nouveau droit d’accès à la terre. Cela se caractérise par la corruption du droit d’accès originel du foncier. Les fondements du système foncier sont perturbés par les offres économiques des acheteurs de terrains de plus en plus persuasifs. Dans les localités, les autochtones assistent à la perte des terres (le cas des Bidjan contraints d’abandonner leur village pour la construction de la ville du Plateau, des Nonhvci obligés de concéder leurs terres pour l’édification des cités urbaines de la Riviera I et II). Ces situations entraînent une prise de conscience des

Des valeurs coutumières foncières : la terre ne doit pas être vendue, elle est la mère nourricière de la communauté ; le citoyen jouit d’un droit d’accès direct à la terre pourvu qu’il appartient à une classe d’âge ; la terre est donnée à l’allochtone ou l’allogène s’il en fait la demande.

217 autochtones de la valeur vénale de leurs terres. Néanmoins, les autorités coutumières sont oppressées par un désir de conservatisme de valeurs coutumières et la marchandisation du foncier. Ce dilemme se traduit par un début de la marchandisation des terrains coutumiers depuis les années 1980. Les coûts des lots sont relativement faibles (vingt (20) à cent cinquante mille (150.000) Frs CFA le prix d’un lot de mille deux cent mètres carré (1200m2)). Car la vente de terres est une nouvelle réalité à laquelle les vendeurs locaux ont du mal à souscrire. Pour les autochtones ceux qui vendent les terres peuvent être victimes de mauvais sorts. Rappelons que la terre ne doit pas être vendue dans la tradition Tchaman. La troisième période est qualifiée de « renoncement ». Elle s’étend depuis les années 2002 jusqu’à actuellement. Cette époque marque le début d’une révolution des cadets sociaux (Dougbo) dans le système foncier des villages étudiés. Ils récusent le mode de gestion de leurs aînés qu’ils jugent obsolètes. Pour eux, le sort des terres autochtones est déjà scellé. Ils expliquent qu’aucune politique de protection des terres locales ne saurait aboutir. Ils brandissent comme prétexte la condition de vie précaire de la communauté Tchaman à l’instar de la crise économique que connaît le pays depuis les années 1980. En effet, la population majoritairement jeune est au chômage. Celle-ci ne peut réellement jouir de son terroir tant convoité que déjà, la mère patrie a réclamé en partie pour la consolidation de sa souveraineté (construction de la capitale économique, des cités urbaines, des unités de production industrielles, portuaires et des infrastructures routières). Pour les cadets sociaux Dougbo, le fondement foncier (la terre est la mère patrie de la société Tchaman, elle est inaliénable) de la tradition Tchaman a été ébranlé. De ce fait, la perpétuation de ces principes est déplacée. D’où la nécessité d’adapter le système foncier des localités à l’expansion urbaine de la ville d’Abidjan. Les Dougbo soutiennent que ce choix est d’autant plus judicieux qu’elle permettra aux autochtones de bénéficier directement de la valeur pécuniaire de leurs terres.

218 111.2.1.2. Le pouvoir des aînés sociaux

Les aînés sociaux (Dougbo et Gnando) occupent une place primordiale dans le système foncier Tchaman. Ils représentent les autorités coutumières tant au niveau de la chefferie que de la famille. Au niveau de la chefferie, les chefs de villages et les notables sont issus de la classe d’âge Dougbo. Le conseil des sages et le doyen d’âge sont quant à eux, aux mains des membres de la classe d’âge Gnando. Le comité local du foncier est constitué que des membres de la classe d’âge Dougbo. Ceux-ci sont les garants et les dépositaires de la tradition dans les pratiques foncières locales. L’organisation du système foncier dans les villages étudiés reconnaît la prépondérance du Nana{\Q doyen d’âge) dans l’exercice du droit d’accès à la terre. Celui-ci est un symbole de la stabilité de la vie sociopolitique. Il est l’incarnation de la sagesse locale. Sa parole fait office de lois ou de référent principal dans le système foncier. Le doyen d’âge dans la société Tchaman est le garant de l’originalité du foncier coutumier Tchaman. Il est le lien entre le contemporain et le passé. Christine TERRIER (1995 : 9) affirme que les doyens d’âge ont «des relations privilégiées avec les génies et les ancêtres. Lorsqu'ils les sollicitent ou les invoquent, c'est pour leur demander d'accorder durabilité, protection ou bénédiction à la chose matérielle ou personne humaine, au profit de quoi ou de qui ils sont sollicités ». Puisque la terre est sacrée dans la société Tchaman, le doyen d’âge ou le chef de terre est consulté par le chef du village et le chef de famille avant toute action foncière. Par sa prestation, il bénit l’acte foncier. Lorsqu’il oppose un refus à une action foncière en cours, celle-ci est immédiatement délaissée par crainte d’une malédiction quelconque. Il est donc incontournable dans le système foncier local. Le chef et les notables sont les régulateurs de terrains coutumiers. Le chef est le détenteur exclusif des preuves juridico-administratives du terroir (le plan guide du village, la lettre d’attribution, le titre foncier et les extraits topo). Il a un droit de regard sur toutes les transactions foncières dans les villages, car toute

219 marchandisation authentique est avisée par celui-ci. D’ailleurs, il perçoit une compensation financière à cet effet. Il joue ainsi un rôle déterminant dans la marchandisation des terres communautaires et familiales. Il est un stratège social. De ce fait, il semble être en marge des actions foncières dans les localités. Dans la mesure où les notables et les membres du comité local de gestion du foncier constituent sa main d’œuvre. Il est rarement l’objet de suspicion au sein de ses administrés. Quel que soit l’état d’avancement de sa prospérité post-fonction, il a le bénéfice du doute. Selon Francis AKINDES (2011 :38), il s’agit de la philosophie du « grilleur d’arachides ». « L ’on ne regarde pas dans la bouche de celui qui grille des arachides ». Pour lui, « cette parabole africaine ne prend son sens que rapporté à une certaine représentation des attributs du pouvoir politique en Afrique en général, et en Côte d’ivoire en particulier. Griller l’arachide suppose qu ’à un moment donné de la cuisson, « le grilleur » en apprécie la teneur en sel. Symboliquement, la relation entre l ’acte de griller et la bouche qui gouttes tient dans le privilège « du grilleur » d’appartenir au cercle restreint de la clientèle politique, bénéficiaire de la répartition inégale, mais socialement et politiquement légitime du fait de son positionnement. L’évocation de la bouche renvoie ici à la logique de manducation fortement présente dans la représentation sociale de l’exercice du pouvoir politique en Afrique». Par la conscience collective de cette imagerie populaire, le chef de village peut jouir d’une sorte d’immunité au sein du groupe social. Les notables et les membres du comité local de gestion du foncier sont les collaborateurs immédiats du chef de village. De ce fait, ils sont couverts par les faveurs sociales de celui-ci. Ils constituent pour IZARD, M. (1985b : 454) les « gens du pouvoir ». Au niveau de la famille, c’est le chef de famille qui est le seigneur incontesté du foncier familial. Cette position sociale tire ses fondements d’un système stable de répartition de biens sociaux. Il s’agit du système matrilinéaire, par lequel le neveu hérite de son oncle. Ce mode de transmission de richesses d’une génération à une autre continue de se perpétuer dans l’ensemble des localités, de sorte qu’elle est devenue l’une des pratiques sociales Tchaman à échapper aux différentes variations de la société Tchaman dans le temps. Mel

220 Melèdje (2009 : 22) reconnaît à juste titre que « pour les Akan en général et les Akan lagunaires en particulier, la matrilinéarité est un héritage historique qui prend son origine dans la descendance et le mouvement migratoire de la reine Abla Pokou (XVII - XVIIIe siècle) ». Le pouvoir foncier du chef de famille est inhérent à la tradition Tchaman. Encore, pour lui « la pratique de la matrilinéarité se révèle décisive dans la transmission des privilèges et ses règles incommensurables ». D’ailleurs, celui-ci ne rencontre pas dans la communauté, un contre-pouvoir à même de constituer pour lui un rival social. Dans la famille, il exerce un pouvoir total sur le terroir. Il est au début et à la fin de toutes les transactions foncières. De sa personnalité, dépend la clarté ou l’opacité du système foncier familial. Le chef de famille élabore sa propre méthode de gestion. S’il est introverti, le mode de gestion des terrains sera moins inclusif. C’est ce qui se démontre dans les familles où le chef de famille occulte le concours des autres classes d’âge dans le processus de marchandisation des terres. S’il est extraverti, le mode de gestion du foncier est démocratique. Alors, le chef de famille désigne un responsable familial de vente et un démarcheur pour l’aider dans la marchandisation des terres. Aussi, celui-ci s’attelle à mettre les retombées issues de la vente de terrains au profit de la famille tout entière. Par ses attributs, le chef de famille exerce un pouvoir foncier autonome dans les localités. Nous concernant, le pouvoir des aînés sociaux exerce une sublimation sur les aspirations souvent avides des cadets sociaux. Surtout que la nature de leurs pouvoirs demeure encrée dans les us et coutumes locales. Les cadets se méfient d’être frappés par la malédiction prononcée par les aînés. Ils s’efforcent de conserver une attitude respectueuse des règles foncières établies. Le pouvoir des aînés sociaux est le maillon essentiel à l’initiative du fonctionnement du système foncier dans la société Tchaman. Dans le village, la chefferie s’attelle à réguler le foncier communautaire tout en comptant sur la passivité des autres classe d’âge. Cette réalité même si elle parait difficilement supportable par les cadets sociaux est acceptée par ceux-ci. Pour eux, « chacun à son tour » selon Monsieur AHOUETO Bernard (le chef Tchagba de Bingerville ville). Par cette allégation, il ressort que les cadets sociaux refusent de s’insurger contre les aînés sociaux

221 même s’ils n’approuvent pas la gestion de leur devancier. Ils adoptent cette posture de peur d’être à leur tour perturbé. Pour YAPI Florentin (membre de la classe d’âge Tchagba d’Abobo Doumé), « notre silence, ne signifie pas que nous sommes aveugles. Car au moment opportun, nous nous ferons entendre et nous imposerons aussi notre vision ». Cette assertion, nous situe sur la nature de la passivité des cadets sociaux. Ceux-ci font preuve de silence pour mieux servir leurs ambitions futures. L’attitude des cadets sociaux se fonde sur le principe de causalité suivant « nous ne versons pas du sable dans la nourriture des autres donc on ne versera pas à notre tour du sable dans la nôtre ».^^ Cette condition fonde la personnalisation du mode de gestion du terroir par les générations successives parvenues au pouvoir.

111.2.1.3. La chefferie

Dans les localités, la chefferie joue un rôle primordial dans toutes les transactions foncières tant au niveau du village qu’au niveau de la famille. Cette position privilégiée lui confère aussi un rôle régulateur dans la marchandisation du foncier local. La classe d’âge Dougbo a la vocation d’assurer la fonction de chefferie dans les villages étudiés. Elle est un groupe homogène. Au sein de celle- ci, on trouve deux couples de fraternité. Les Dougbo Djéou et les Dougbo Dogba représentent le couple de fraternité des aînés tandis que les Dougbo Agban et les Dougbo Assoukrou constituent le couple de fraternité des cadets. Le lien socioculturel qui unifie ces couples est consolidé par un ciment social dense. Car tout au long de leur vie, les différents membres du groupe social sont condamnés à se côtoyer depuis l’apprentissage social jusqu’à leur initiation à la vie courante du village. C’est ce lien social qui fonde aussi le rapport des membres de la

Propos de Monsieur AKE Léon, chef de la classe d’âge Tchagba du village d’Abobo Baoulé dans son allocution de la réunion du vendredi 04 Mai 2012. Réunion mensuelle du groupe social au cours de laquelle sont exposées les ambitions des Tchagba au regard des difficultés de gestion du foncier des aînés.

222 chefferie dans la gestion du foncier. À cet effet, Anne-Marie AUGER (2006 : 16) soutient qu’ « au sein des environnements complexes, de nombreuses alliances, en réseaux, permettent à un environnement donné de se restructurer ou d’en modifier les relations ». Alors, prétendre à l’objectivité dans le mode de distribution des terres entre les membres de la classe d’âge Dougbo apparaît comme une entreprise périlleuse à laquelle s’évertuent les autorités coutumières. Dans la plupart des localités étudiées en occurrence dans celles de Locodjro, d’Abobo Doumé, de Djrogobité la distribution des terrains est sans cesse obstruée par un manque de rigueur des autorités coutumières. Celles-ci sont incapables de faire appliquer des sanctions aux membres de la classe d’âge (Dougbo) qui contreviennent au principe de non-vente des terres communautaires. Car, le fort lien social au sein de la classe d’âge est le facteur qui les en empêchent. Ainsi, Francis AKINDES (2003 : 30) explique que « dans les sociétés où la solidarité mécanique domine, les liens sociaux peuvent être soumis à des tensions porteuses de changement parce que celles-ci bousculent les mécanismes de coercition sociale ayant une fonction d'intégration ». Donc, pour les aînés Gnando et les cadets Tchagba hors du circuit régulier, la chefferie elle-même est à l’initiative de la marchandisation imparfaite. C’est ce qui conduit Monsieur AHOUETTO Bernard {op.cit} à l’assertion suivante « nous n’avons pas de leçon à recevoir de leur part ». Par ces allégations, les autres classes d’âge en marge du circuit régulier de gestion du foncier local réfutent la crédibilité des autorités coutumières notamment de la chefferie. Ceux-ci disposent désormais d’un prétexte pour transgresser la règle foncière coutumière (la terre communautaire ne doit pas être vendue). Pour Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG (1977:439), « quelques positions procurent cependant des ressources importantes permettant plus particulièrement le contrôle des sources du pouvoir ». Ainsi, les classes d’âge Gnando et Tchagba disposent d’une «zone d’incertitude » qui découle du manque d’application des sanctions aux contrevenants par les autorités coutumières. Alors, ils peuvent également se livrer à la marchandisation frauduleuse des terres sans craindre les représailles des autorités coutumières.

223

fin de chaque mandat ceux qui sont au pouvoir vont aussi rendre compte de leurs actes dans le village ».

IIL2.1.4. Le chef de famille

Le chef de famille est un chef de terre à plein pouvoir dans les localités étudiées. Il est le détenteur exclusif du droit de propriété familial. De ce fait, il a en sa possession l’ensemble des lots du groupe communautaire. Ces terres sont placées sous son entière responsabilité. Il n’est contraint à aucune obligation vis- à-vis des membres de la famille et du village. C’est ce que BERNOUX (2006 : 30) appelle eTétat de grandeur y>. C’est la caractérisation de la valeur la plus haute entre les membres du groupe social. Cette trop grande emprise sur le système foncier familial conduit souvent le chef de famille à des initiatives (gestion personnalisée du foncier, asociabilité envers les autres classes d’âge, manque de partage des retombées économiques post-vente) fort déprécié par les autres membres de la famille. D’ailleurs, il ressort de nos études que le chef de famille est issu le plus souvent de la classe d’âge Gnando. Ainsi, sa double domination en âge et en biens dans la famille est la première source de conflit à laquelle doivent faire face les cadets sociaux Dougbo et Tchagba en cas de divergences. En occurrence, la situation conflictuelle qui oppose le vieux KINDIA à son cadet KINDIA DELAFOSSE dans le village Djrogobité traduit bien cette réalité. En ce sens que le cadet monsieur KINDIA DELAFOSSE détourne en sa faveur les approbations de ses contemporains Tchagba pour les ventes des terres à la charge de son aîné le vieux KINDIA. Pour Francine SIMBARE (2008 : 99) « toute différence entre parties conduit nécessairement à un conflit ». Aussi, depuis l’avènement des Dougbo au pouvoir, il est constaté une radicalisation du pouvoir du chef de famille à l’égard des autres classes d’âge. Ceux-ci ont tendance à individualiser le processus de marchandisation des terres. De surcroît, les chefs de famille sont de plus en plus à l’initiative de la marchandisation des terres sans l’aide du responsable familial de vente (membre de la classe Dougbo)

225 ce qui conduit à la marchandisation imparfaite des terres. Surtout que l’existence de cette fonction dépend entièrement du chef de famille. Pour une gestion exemplaire des lots, le chef de famille, un membre de la catégorie Gnando, faisait recours à son cadet Dougbo en qualité de responsable familial de vente pour l’aider dans sa tâche. Mais, depuis la prise du pouvoir des Dougbo, la rivalité entre aînés et cadets sociaux s’est accentuée. Cette situation se démontre d’une part par l’exclusion du responsable familial de vente du processus. D’autre part, une absence ou faible rémunération du service du chef de famille par le chef de famille. La privatisation de la marchandisation ou de l’argent de vente est la seconde source de conflits qui opposent aînés et cadets sociaux. Francine SIMBARE {Qp.cit} enseigne que « dans la vie quotidienne, un conflit apparaît comme une situation de mésentente, de manque d'harmonie dans les relations interpersonnelles ».

Nous appréhendons le chef de famille comme le symbole authentique du pouvoir dans la société Tchaman. Ainsi, les mutations sociales (crise économique, pression démographique et urbaine) n’ont pu ébranler cette autorité. Il est donc le véritable chef dans la société Ebrié. Il détient en plus de ses attributs socioculturels un pouvoir religieux. Il est le dépositaire de la tradition. C’est surtout sur lui que repose le sort de la famille. Il peut ainsi par sa personnalité influencer la destinée de la famille. Par des actions foncières (marchandisation abusive ou conservation des terres), des chefs de famille ont contribué à la pauvreté ou à la richesse de la communauté. Néanmoins, même si le chef de famille a conservé son autorité, la valeur vénale des terres depuis ces deux dernières décennies a dépeint sur son mode de gestion du pouvoir. Dans la société Tchaman, le chef de famille est un homme rassembleur et généreux. C’est autour de lui que s’accordent les autres membres de la famille dans les rapports qui lient les membres du groupe social. Il est sollicité par ses cadets sociaux poul­ ies règlements de litiges fonciers entre les membres de la famille. Toutes ces valeurs qu’inspirait le pouvoir du chef de famille se sont dissipées. De nos jours, le chef de famille est envié dans son rôle de chef de terre par les autres classes

226 d’âge. Il est de plus en plus désavoué par ses confrères qui ne veulent que s’arroger le pouvoir de gestion des terres familiales. Mel Melèdje Raymond {Op.cit} corrobore cette thèse en ces termes « les conflits de générations, soit au niveau des objets de développement, soit au niveau des terres que l’histoire commune a réservé à leur intention, soit au niveau de la hiérarchie sociale face à la pression du changement global affaiblissent l’unité, l’égalité, le dynamisme et la fraternité des classes d’âge et développent des oppositions souvent farouches entre elles ». En ce sens, il arrive que la vie du chef de famille soit en péril. C’est le cas de Monsieur BEUGRE, un membre de la classe d’âge Dougbo qui succède à son oncle {Gnando} suite à la mort « mystérieuse » de celui-ci dans le village d’Abobo Baoulé. Loin d’être un cas isolé, cette tragédie est récurrente dans les familles des localités étudiées depuis ces deux dernières décennies. D’ailleurs, pour se protéger des menaces, le chef de famille opte pour la confiscation de ses droits fonciers au détriment des autres membres de la famille. Cette initiative entraine la perte des valeurs socio-culturelles de la famille (la cohésion, la paix et l’amour). Ainsi, assiste-t-on à la balkanisation des rapports entre les membres de la famille dans le système foncier. Les conservateurs (aînés sociaux) et leurs opposants (cades sociaux) luttent incessamment pour le contrôle de la marchandisation des terres dans les familles. Les aînés sociaux Gnando et Dougbo se battent pour la conservation des pratiques foncières originelles (la primauté du pouvoir des chefs de famille et l’exercice sans encombre de ces attributs) tandis que les cadets sociaux {Tchagba} veulent être associés pleinement au processus de marchandisation des terres.

IIL2.L5. Le responsable familial de vente

Le responsable familial de vente est la seconde personnalité en charge de la marchandisation des terrains de la famille. Il est placé sous l’entière responsabilité du chef de famille. D’ailleurs, celui-ci est désigné par le chef de famille dans le but de l’aider dans ses activités foncières. Surtout, il peut être aussi

227 démis de ses fonctions par ce dernier. Il est chargé d’assurer la bonne marche du processus de marchandisation. En ce sens, le chef de famille lui donne un exemplaire copié du plan guide des terrains. Il arrive que la relation entre le responsable familial de vente et le chef de famille soit conditionnée par des facteurs extérieurs'^. En ce sens, le responsable de vente peut même détenir le carnet du reçu de paiement, le cachet et le cachet tampon du chef de famille. Notamment, dans la localité de Béago, Monsieur MANDAN ERIC (responsable familial de vente) accroît son emprise sur la marchandisation à cause de la dégradation de l’état de santé du vieux MANDAN THEOPHILE (chef de famille). Ne disposant que de pouvoir limité, celui-ci peut se saisir des « zones d’incertitudes » en vue de détourner les buts de la marchandisation en sa faveur. Pour Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG (Op.cit) « Ce sont les incertitudes qui viennent créer les situations propices aux jeux d’acteurs ». La première zone d’incertitude dont dispose le responsable familial de vente dans les localités est la copie du plan guide. Lorsque le responsable familial s’estime à chaque fois lésé dans la répartition des retombées financières post-vente, il arrive que celui-ci réalise la marchandisation d’un ou de plusieurs terrains à son actif sans informer le chef de famille. Il arrive sans difficulté à persuader les acheteurs de terrains dans la mesure où, il dispose d’une copie conforme du plan des terres familiales. 11 délivre lui-même le reçu de paiement en se faisant passer pour le chef de famille. Aussi, il authentifie l’acte de vente par une imitation de la signature du chef de famille. La seconde zone d’incertitude, est la détention en plus du plan guide, du carnet du reçu de paiement et du cachet tampon par celui-ci. Avec toutes ces preuves, le responsable familial parvient à inverser le sens du pouvoir dans la relation qui le lie au chef de famille. Ce qui se justifie par les cas où les chefs de famille constatent la perte de ses terres au profit d’une tierce personne dont-il ignore l’existence. Dans la famille, le chef de famille est en amont et en aval dans le processus de marchandisation. Il contrôle apparemment le circuit

Des facteurs extérieurs : la maladie et le poids de l'âge sont les difficultés qui obligent le chef de famille à renoncer à une partie de son pouvoir au bénéfice du responsable familial de vente.

228 régulier de la vente des terres dans la famille. En dépit de l’emprise qu’il exerce sur le foncier familial, il subit souvent la désapprobation du responsable familial de vente. En effet, la marchandisation imparfaite des terres par le responsable de vente des terres familiales échappe au totalitarisme du chef de famille. Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG {Op.cit} soutiennent à cet effet que « le pouvoir n’existe pas dans l’absolu ; il surgit autour des zones d’incertitudes. Quelques positions procurent cependant des ressources importantes permettant plus particulièrement le contrôle des sources du pouvoir ». Nous pouvons dire que le rôle du responsable de vente dans les relations conflictuelles qui le lie au chef de famille peut être assimilé à la vocation des cadets sociaux, dans les localités étudiées, de s’arroger le pouvoir des aînés sociaux. Surtout, lorsque ceux-ci ne disposent pas de dispositions légitimes pour s’opposer à la politique de gestion du chef de famille. Le rapport entre le chef de famille et le responsable de vente obéit donc à un double enjeu. Soit, le chef de famille accepte de toujours octroyer fidèlement la part du responsable de vente. Alors, le rapport entre ces deux acteurs essentiels de la marchandisation demeure stable. Soit, le chef de famille refuse de verser la totalité de la part d‘argent du responsable de vente. Alors, les relations entre ces deux acteurs se dégradent. Aussi, c’est du manque d’engagement du chef de famille que découle la volonté des cadets de mener une révolution dans la vente des terres des localités étudiées. Dans les villages étudiés les cadets sociaux aspirent au changement dans les rapports qui les lient aux chefs de famille. Aussi, le responsable familial de vente poursuit souvent des buts contraires à celui du chef de famille dans la vente des terres. Celui-ci est issu de la classe d’âge Dougbo. Il incarne la volonté des cadets dans le système foncier familial. Tandis que le chef de famille qui est issu de la classe d’âge Gnando incarne le dessein protectionniste des aînés sociaux. Ces tendances qui opposent des fois le responsable de vente et le chef de famille sont liés à la perte de la quasi-totalité de terres villageoises au profit d’une urbanisation de la ville d’Abidjan. Les prévisions en matière de terres sont de plus en plus négatives pour les cadets. Ainsi, la peur du lendemain conduit ceux-ci à la volonté de ravir le droit de

229 gestion des terrains à leurs aînés. Puisque ne disposant pas de tribune d’expression, ils se liguent derrière la personnalité du responsable familial de vente. Par conséquent Monsieur KINDIA APPOLINAIRE (membre de la classe d’âge Dougbo) reçoit le soutient de ses contemporains et des cadets Tchagba pour contrarier la politique foncière du vieux KINDIA (membre de la classe d’âge Gnando). A cet effet, la marchandisation imparfaite comme moyen de protestation du responsable familial de vente à l’encontre de la mauvaise régulation du chef de famille implique la complicité des cadets Tchagba et Dougbo.

IIL2.1.6. Conventions sociales du foncier

Les conventions sociales sont l’ensemble des procédés par lesquels le village ou la famille vend ses terres à un acheteur ou une entité privée. Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes fiés à la marchandisation des terrains communautaires des chefferies du village d’Attécoubé et de Locodjro. Cette marchandisation regroupe la communauté villageoise et les opérateurs économiques. Ce type de transaction concerne les terres communautaires (le foncier appartenant au village tout entier). Néanmoins, il arrive que par manque de terres, les autorités coutumières se réfèrent aux familles qui disposent suffisamment de terres. Selon les cas énumérés, le rôle de la chefferie et du chef de famille est un facteur décisif dans l’acte de vente des terrains. Aussi, nous savons que ces deux institutions communautaires sont gérées par les classes d’âge Gnando et Dougbo. Ce qui traduit souvent un monopole abusif de ses autorités tutélaires du foncier dans la répartition et l’usage des gains de vente au détriment des cadets sociaux de la classe d’âge Tchagba et des autres membres du village. MEL Mélèdje Raymond {Op.cit} constate à juste titre que « dans l’organisation des sociétés, les classes d’âge accomplissent des fonctions importantes au bénéfice des membres qu’au bénéfice de la société globale ». Rappelons que les conventions foncières se présentent aussi comme l’opportunité économique par laquelle un village peut accéder à un niveau de vie amélioré. Elles sont surtout

230 l’affaire de tous (la chefferie, le chef de famille, les classes d’âge et les autres membres de la communauté). Par contre, il apparaît que dans les différentes conventions réalisées, la chefferie adopte un double rôle. À l’initiative de la marchandisation elle assure la crédibilité du projet de vente par l’implication des classes d’âge et des chefs de famille dans le processus. À L’issue de la vente, elle voile les résultats de la transaction à ceux-ci. C’est seulement par la protestation que la chefferie permet de manière sélective l’accès à l’information des résultats de l’après vente. Seuls les chefs de famille et les responsables de la classe d’âge Gnando et Dougbo peuvent se réjouir d’avoir accès à ce privilège. Ainsi, Michel CROZIER et Erhard Friedberg {Op.cit) pensent que « l’organisation est le royaume des relations de pouvoir, de l’influence, du marchandage et du calcul ». Quant à la classe d’âge Tchagba, elle ne devra se contenter que des informations sommaires auprès de la chefferie ou des chefs de famille. Les autorités coutumières en charge du foncier dans les localités étudiées approuvent ce mode de gestion du système foncier dans le but de préserver la cohésion sociale. Surtout que la période la plus violente de la régulation foncière dans les villages a été impulsée par les cadets sociaux (les Dougbo à cette époque). De même, actuellement les cadets sociaux Tchagba par leurs initiatives (demande d’investir une bonne part des profits de ventes dans les projets les concernant) semblent reproduire cette situation. Nous constatons que ces manœuvres expliquent bien l’opacité du mode de régulation du système foncier coutumier. Pour les autorités coutumières, ces ambigüités concourent à la paix sociale. Selon les propos de Monsieur ASSAGOUA Bernard^’ « l’argent n’aime pas le bruit ». À travers cette assertion, il expose la perception qu’ont les Tchaman de la richesse. Ainsi, dans la société Ebrié la fortune est réservée au plus âgé. Car l’expérience de la vie sociale les qualifie à mieux gérer la richesse. Ce qui n’est pas le cas chez les plus jeunes. Ils sont jugés inaptes par leurs devanciers qui refusent de les associer à la gestion des

Monsieur ASSAGOUA Bernard l’ex-secrétaire de la chefferie d’Anono

231 revenus de la marchandisation. Par ailleurs, même si cette situation semble maintenant éviter les remous dans la communauté ; elle est aussi un facteur d’accentuation des dissensions entre aînés et cadets sociaux. Pire, l’attitude des aînés Gnando et Dougbo dresse un mûr de méfiance qui les séparent davantage des cadets Tchagba. En ce sens que ces derniers affirment que « c 'est par le respect des plus âgés que nous ne disons rien pour l'instant. Bien que nous savons qu’ils font des combines pour garder à eux seul l’argent du village Alors, ce n’est pas l’exemplarité du mode de régulation qui amène les cadets à tolérer les manipulations des aînés. C’est plutôt la soumission au principe causal tel transcrit par les propos de Monsieur KINDI: « ce que tu feras aux autres ; on te fera aussi de même » qui dispose les cadets à plus de retenus face à l’attitude de leurs aînés. Ainsi, dans les villages, les rapports entre classes d’âge sont discontinus quand il s’agit de la répartition des revenus de la marchandisation collective des terres. Ces irrégularités constituent pour une bonne part la cause de la passation brutale du pouvoir dans les localités étudiées.

IIL2.1.7. L’évocation des droits de propriété et de contestation des limites foncières

Il apparait de manière récurrente les contentieux qui opposent les acheteurs de terres dans les localités étudiées. Le processus d’acquisition du foncier local met souvent enjeu deux acheteurs d’un même terrain ; souvent, deux acheteurs de terrains différents sur une même parcelle. Les conflits qui découlent de ces situations sont de deux ordres. Dans la première situation, les litiges éclatent lorsque l’un des acquéreurs qui détient la lettre d’attribution ou le titre foncier décide de faire valoir ce que de droit dans le contentieux qui l’oppose à l’autre

Propos de Monsieur Aké Gilbert, un membre de classe d’âge Tchagba du village d’Abobo Doumé

Monsieur KINDIA est l’ex-président du comité local de gestion du foncier du village de Djrogobité. Il a été brutalement démis de sa fonction par ses cadets de la classe d’âge Dougbo. acquéreur (en possession de l’attestation d’attribution villageoise). C’est ce qui transparait dans le conflit qui oppose Monsieur ADIKO à Monsieur SAHI BENOIT, tous deux, acquéreurs d’un même terrain coutumier dans le village d’Abobo Baoulé. Monsieur SAHI a procédé à la destruction des travaux de monsieur ADIKO dans la mesure où la détention du titre foncier fait de lui l’unique propriétaire du terrain. Pour Francine SIMBARE {op.cit'} « les conflits éclatent pour diverses raisons : émotion, divergence d’intérêts, de valeurs, etc. ». De prime abord, l’acquéreur n’ayant que l’attestation d’attribution villageoise s’incline devant les preuves de celui qui détient soit la lettre d’attribution, soit le titre foncier. Ensuite, il dispose d’une voie de recours que lui présente sa situation. Sa position de victime de double vente d’une même terre lui dispose à s’adresser aux autorités coutumières pour demander réparation. Cette voie de résolution est la plus prisée dans ce type de conflit. L’acquéreur en position de faiblesse choisit les instances coutumières de résolution du conflit (chefferie, conseil des sages, doyens d’âge, responsable du COGES local) parce qu’elles sont moins onéreuses. De plus, une situation à l’amiable est toujours trouvée au conflit par les autorités coutumières. Ceci dit, l’acquéreur trouve toujours une issue aux différends qui l’oppose au vendeur quelque soit l’instance de médiation sollicitée pour la résolution du conflit foncier. Pour Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG {Op.cit} c’est « la rationalité limitée » qui dispose ce dernier à user de tous les moyens à sa disposition en vue d’aboutir à une solution pratique de sa situation. Toutefois, lorsque la voie coutumière de recours présente des limites, alors l’acheteur a la possibilité de présenter sa situation devant les autorités administratives (police, tribunal et MCUA). Le recours aux instances administratives est une décision ultime à laquelle recourt l’acquéreur lorsque tous ses efforts d’une résolution pacifique du conflit sont épuisés. Le processus d’édification de la vérité est coûteux à ce stade. Le plaignant (l’acquéreur) va investir de l’argent et le temps pour obtenir de la part du vendeur dédommagement. Néanmoins, il arrive que l’effort pour établir la justice au niveau des instances administratives ne soit pas récompensé. Dans ce cas, le vendeur use de tous ses moyens pour faire échouer le processus.

233 Par ailleurs, dans les villages étudiés, il advient des conflits ou un acquéreur revendique les limites de son terrain dans les parcelles d’un autre acquéreur. Ici, une seule instance médiation intervient dans la résolution du conflit. C’est l’instance coutumière de médiation (chefferie ou doyen d’âge). Le processus de résolution du conflit engage les deux protagonistes. La recherche de la vérité par les autorités coutumières prend son élan dans l’histoire sociocommunautaire. C’est ce qu’Alain TOURAINE (1978 : 363) appelle « le principe de totalité». Par l’histoire de la délimitation de terres coutumières, l’instance de médiation arrive à l’aide des preuves topographiques dont-elles disposent, à établir l’authenticité du terrain en conflit. Si les informations concordent avec les faits tels que rapportés par le plaignant, l’autre acquéreur concède la parcelle en cause. ADAM et REYNAUD (1978 : 404) expliquent cette procédure comme « un effort pour contraindre l'adversaire à exécuter ma volonté ». Si les informations sont aux antipodes des faits tels que présentés par le plaignant ; celui-ci devra s’en remettre au vendeur du terrain pour exiger réparation. Telles sont les axes de solutions présentés par les autorités coutumières pour ce type de conflit.

Nous apprécions le droit de propriété de la terre coutumière comme l’aboutissement à un processus périlleux par lequel doit passer l’acquéreur. La réappropriation du foncier local est d’abord un investissement à risque. La marchandisation du foncier se subdivise en deux grandes étapes (coutumière et administrative). L’étape coutumière représente le mode d’acquisition. L’acquéreur s’engage dans le processus par l’achat de terre auprès d’un vendeur autochtone. Il ne dispose d’aucun moyen formel pouvant garantir son investissement. Il se contente plutôt de saisir l’opportunité d’affaire que lui offrent ses réseaux de relations. Dans ce cas, l’acquéreur achète la terre en accordant sa confiance à ses amis et parents en relation avec le vendeur. C’est la marchandisation par affinité du foncier. Quand la vente de la terre se déroule convenablement selon les attentes de l’acheteur, on assiste à un affermissement du réseau de relations de l’acheteur. L’acquéreur juge crédible, le rapport qu’il entretien avec l’ami ou le frère à l’initiative de l’achat. Bien plus, celui-ci noue de nouveaux liens d’amitié avec le

234 vendeur. Celui-ci pourra se servir de cette relation pour des transactions futures. Par ailleurs, il pourra lui-même être l’intermédiaire d’une autre marchandisation ; jouant le rôle d’un démarcheur circonstanciel. Quand la vente s’oppose aux attentes de l’acheteur (possibilité de perte d’argent), les liens d’amitié ou de fraternité à l’intermédiaire de cet investissement se détériorent. Surtout, il s’ouvre un front de conflit permanent avec le vendeur qui ne se referme qu’après dédommagement.

111.2.1.8. Des bouleversements survenus dans les villages

Dans les localités étudiées, les autochtones assistent à une suite d’évènements qui affectent progressivement le mode de transaction des terres. En effet, le retour au village des jeunes ouvriers et agents de l’administration admis à la retraite anticipée^"^ provoque la reforme du système foncier par ceux-ci. Les Gnando prennent par la suite le contrôle de la gestion du foncier dans les localités. Anne-Marie AUGER {Op.cit} déclare que « ces initiatives offrent une occasion d’explorer de nouvelles manières d’agir et de penser ». De plus, ils prétextent de leurs connaissances des nouvelles réalités socioéconomiques pour s’arroger le pouvoir auprès de leurs aînés Blessoué dans les villages. Ils optent pour la rupture avec le mode traditionnel d’accès au foncier. Aussi, ils introduisent des dispositions économiques dans les transactions. Alors, avec eux, on assiste à la monétarisation du foncier. Au regard des villageois, ceux-ci ne pratiquaient pas de marchandisation en tant que telle, mais ils assuraient la continuité des valeurs culturelles dans les transactions foncières. Mais contrairement à l’estime locale, ils ont développé une marchandisation discrète

Ces jeunes ouvriers et agents de l’État sont des membres de la classe d’âge Gnando.

235 basée sur la dette morale^^. Ainsi, bien que les transactions foncières ne reposent pas sur l’argent, les richesses dont pouvaient bénéficier les Gnando étaient souvent conséquentes. Certaines autorités coutumières à cette époque ont reçu des biens (nourritures, vêtements, soins, des maisons et de l’argent) en reconnaissance de leur générosité. Ces actes de bienfaisance n’étaient pas toujours délibérés. Car à des moments spécifiques le donateur effectuait une visite chez le récipiendaire. Une rencontre dont l’objectif du bienfaiteur est de remémorer à la conscience du bénéficiaire l’acte du don. En retour, ce dernier manifeste des actes de reconnaissances envers le donateur. D’ailleurs, les villages Tchaman situés dans la métropole Abidjanaise vont perdre une importante partie de leur patrimoine foncier au profit de l’urbanisation (plus de 20.000 logements par an). Les terres aménagées et viabilisées par l’État ne peuvent plus couvrir les besoins des populations en matière d’habitats. De cet fait, les populations vont focaliser leur demande en terrains sur les localités situées dans les environs de la ville d’Abidjan notamment les villages Tchaman que nous étudions. Déjà affaiblis par la spoliation de leurs terres par l’Etat, les autochtones sont obligés de céder aux offres alléchantes des acheteurs de terrains. En ce sens, Alfred BABO {Op.cit^ pense que c’est « la saturation foncière et la pression démographique qui conduisent à réinterpréter le processus de négociation des droits fonciers ». Ainsi, la vente de terres devient une nécessité pour les Tchaman de cette zone. Contrairement à leurs confrères des villages de Songon et de Diopodoumé libres de toutes contraintes qui peuvent librement pratiquer des activités agraires d’agriculture et de pêche. Les Tchaman de la ville d’Abidjan font fi de leur tradition pour vendre leur terroir de peur de perdre ce dernier avantage qu’ils pourraient tirer de leur foncier. Pour ceux-ci, il est actuellement impossible de concilier conservatisme et modernisme dans la régulation des terrains coutumiers. En ce sens que s’ils voulaient maintenir leurs

La dette morale est un concept dans notre étude qui désigne la culpabilité d’un bénéficiaire de terrain coutumier de jouir abusivement de ce don sans rien donner en contrepartie. Alors, pour se consoler, celui-ci perpétue des actes de reconnaissances matérielles.

236 pratiques culturelles à l’instar des localités situées en zone rurale, ils se poseraient ainsi en obstacle à l’urbanisation de la capitale économique. Alors, dans ce cas, ils couraient donc le risque de perdre la totalité de leurs terres sans profit. Car, pour arriver à ses fins l’Etat a la possibilité de prôner un droit de propriété exclusif sur l’ensemble des terres d’Abidjan. La marchandisation est l’opportunité qu’ont les villageois de tirer profit de leur terroir là où règne une perpétuelle menace d’expropriation. Selon Yapi DIAHOU (1997 : 23) « La logique de la démarche décrite ci-dessus conduit à penser cette régularisation comme un passage obligé d'une sphère à l'autre ». C’est l’avènement du « droit intermédiaire » dans la gestion du foncier local. Nous apprécions les bouleversements survenus dans les localités étudiées comme la cause de la marchandisation des terres. En effet, ils permettent de comprendre l’origine des conflits entre aînés et cadets sociaux dans les localités. Les membres de la classe d’âge Gnando qui étaient directement visés par les licenciements liés à la crise économique des années 1980 retournent au terroir. Ceux-ci dès leur arrivé au village décèlent des irrégularités (régularisation anarchique et illettrisme) dans la gestion du foncier de leurs aînés de la classe d’âge Blessoué. Les Gnando promettent de moderniser le système foncier local tout en perpétuant le droit coutumier Tchaman dans la distribution des terres locales. Ils initient le paiement de vingt mille (20.000) Frs CFA comme frais d’engagement que doit souscrire le demandeur de terres. Cette somme qu’ils percevaient représentait symboliquement un gage de la part de l’intéressé. Tandis que les devanciers, auparavant, ne réclamaient rien aux demandeurs de terres. Toutefois, les récipiendaires pouvaient en toute liberté manifester leurs reconnaissances aux donateurs par des contredons. Deux décennies plus tard, les mêmes reproches (marchandisation imparfaite des terres et analphabétismes) sont adressés aux Gnando par les cadets Dougbo. Pour ces derniers, la méthode de régulation de leur aîné Gnando n’est pas adaptée aux réalités foncières de la capitale économique du pays. Alors, ils mettent brutalement un terme au mandat des Gnando dans les localités étudiées en 2002. Les Dougbo jugent leur avènement au pouvoir salutaire en ce sens qu’il permettra aux villages de tirer le meilleur profit de leurs terres. Après une décennie au pouvoir, la promesse des Dougbo de permettre aux autochtones de bénéficier des retombées économiques avec plénitude tarde à se réaliser. Exaspérés, les cadets de la classe d’âge Tchagba s’insurgent à leur tour contre la gestion des ainés sociaux Dougbo. Les bouleversements économiques qui se sont succédé dans les localités étudiées ont contribué à la dynamisation du système foncier local par le jeu politique des classes d’âge successif.

111.2.2. De Porganisation économique du foncier

Dans cette partie, nous porterons nos appréciations sur les dispositions économiques de la marchandisation du foncier dans les localités étudiées.

1II.2.2.1. La marchandisation des terrains

La marchandisation du foncier dans les localités étudiées repose sur l’aspiration des autochtones à une meilleure situation économique. Les fondements de cette entreprise sont tributaires d’une part des facteurs économiques suivants : le bouleversement économique survenu dans les villages. Cette situation se justifie dans les villages par l’évocation du droit de propriété et la contestation des limites foncières par les acteurs de vente. D’autre part, ils découlent de la perception de la marchandisation comme une source de revenus par les autochtones. C’est ce que nous percevons d’abord dans le mode de gestions de ces revenus, dans la confiscation des retombées financières post­ marchandisation des autorités coutumières et dans le sentiment de sous- rémunération par les acteurs directs de vente.

238 III.2.2.2. Des facteurs économiques

Les facteurs économiques sont les causes essentielles de la marchandisation dans les villages, Ils sont la résultante des mutations socio- économiques qu’a connu le pays ces trois dernières décennies. La situation foncière des localités Tchaman a subi une transformation due à la crise économique survenue en Côte d’ivoire depuis les années 1970. La dégradation de l’économie aura d’abord pour conséquence le licenciement anticipé de la main d’œuvre encore valide parmi laquelle se trouvent les fils des dites localités. Ensuite, le délaissement par les autochtones, des activités halieutiques dont la fonction est d’assurer la subsistance du groupe.Enfin, l’urbanisation de la ville d’Abidjan par l’Etat avec pour conséquence la perte du foncier villageois. L’ensemble de ces facteurs entraînent un bouleversement économique dans les localités étudiées.

III2.2.3. La perception de la marchandisation comme génératrice de revenus

Dans les localités étudiées, la marchandisation du foncier est perçue par les autochtones comme la première source de revenus. De même que les matières premières agricoles le sont pour les villages situés en zone rurale. Ainsi, la bataille pour le contrôle du foncier est âpre entre les classes d’âge successives appelées à sa régulation. La forte pression urbaine (plus de 20.000 habitats par an) entraine une forte demande de terres coutumières dans la mesure où les terres aménagées et viabilisées sont assez coûteuses et insuffisantes. Pour Anne-Marie AUGER {Op.cit} « Les environnements complexes se caractérisent par des comportements imprévisibles ». Aussi grande est l’anxiété des classes d’âge de tirer le meilleur profit des derniers fonds de terre. De plus, conscient de la rareté du foncier

Les autochtones font face à une violation de leurs ères de pêche par des immigrés Awnan et les navettes des bateaux de commerce et de transport qui troublent constamment la lagune ébrié éloignent les poisons.

239 chaque classe d’âge se pose en ultime défenseur des terres. Alors, les aînés et les cadets sociaux s’affrontent dans un jeu politique sans merci pour jouir des retombées financières des derniers lopins de terres du village, La marchandisation étant un fait social récent a engagé d’abord la classe d’âge Gnando et Dougbo dans les débuts du processus. Les Gnando qui inaugurent la marchandisation des teiTes hésitent entre conservatisme des valeurs foncières coutumières et monétarisation des transactions des terres. Les Dougbo attirent l’attention des communautés locales sur la perte des terrains coutumiers. Pour eux, cette situation est causée par le faible niveau intellectuel de leurs aînés Gnando qui ont bradé les terres. Ils promettent de restaurer la situation foncière dès leur avènement au pouvoir. Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG {Op.cit} soutiennent que «chaque acteur dispose donc, quel que soit l'endroit où il se trouve, d'une zone au sein de laquelle il rend son comportement incertain, imprévisible pour les autres acteurs ». Ainsi, le désir ardent des Dougbo de tirer les avantages économiques de la marchandisation les conduits à s’arroger brutalement le pouvoir dès l’an 2002 dans les villages étudiés. Depuis leur prise du pouvoir, les communautés locales constatent que le mode gestion des Dougbo ne diffère pas de celui des Gnando. Pire, ils mènent une gestion opaque du foncier et la marchandisation imparfaite des terres s’est accrue. Maintenant, les Tchagba promettent à leur tour d’œuvrer pour maîtriser totalement le foncier et de permettre à chaque villageois de jouir de sa terre. Cette fois-ci Olivier BABEAU et Jean-François CHANLAT (2007 : 24) révèlent que « Chacun doit se demander en permanence si l'acteur considéré appliquera les règles, dans quelle mesure, avec quelle rigueur ». Au regard de ce qui précède la marchandisation du foncier se présente comme un jeu stratégique du contrôle économique du foncier par les classes d’âge. Le souci réel des classes d’âge dans les localités n’est pas la maîtrise du foncier comme ils le prétendent, il consiste à tirer un dernier profit économique des terres disparates du village. La peur d’être venu trop tard maintient la classe d’âge hors du circuit régulier de gestion dans une angoisse perpétuelle. C’est ce sentiment qui est à l’origine de la violence dans la transmission du pouvoir dans les localités Tchaman de la ville d’Abidjan.

240 Pour nous, la marchandisation est certes une source de revenus pour les autochtones. Mais elle est l’expression d’une résignation sociale. À l’instar des autres groupes identitaires de la Côte d’ivoire, les Tchaman ont tissé un lien fort avec leurs terres. Cette symbiose des autochtones de la ville d’Abidjan est mise à rude épreuve dès les années post-indépendances. La communauté Tchaman est exposée à un grand dilemme. Il s’agit soit d’abandonner ses terres au profit du développement socioéconomiques de la capitale Abidjanaise, soit lutter pour la conservation de leur terre d’origines en dépit des aménagements fonciers d’Abidjan par l’Etat. Les Tchaman préfèrent défendre leurs terres. Ce qui explique la présence des poches de résistance des autochtones sur les sites du Plateaux et de Cocody à l’initiative des grands Travaux de l’édification de la ville d’Abidjan. Les Tchaman décident de ne pas céder à la demande de l’État de quitter les sites stratégiques devant abriter les travaux d’urbanisation de la métropole Abidjanaise. La résistance fut de courte durée. Car deux ans après des négociations infructueuses, l’État décide de passer à l’action en délogeant de force les villages opposants . Pour les Tchaman, la réalisation des projets d’urbanisation de l’Etat ne respecte leur autochtonie. Sur les nouveaux sites où ils aménagent contre leur gré, le sentiment d’humiliation est toujours partagé par tous les autochtones. Ainsi, le cordon ombilical qui les liait à la terre a été rompu après qu’ils y ont été arrachés brutalement. Leur perception originelle de la terre comme un bien sacré inaliénable s’est estompée. Désormais, ils trouvent judicieux de la vendre. Pour les Tchaman, ils gagneraient de profiter du nouveau système tel qu’il se présente sans épouser les valeurs qu’il incarne. Alors, les autochtones peuvent vendre leurs terres tout en comptant toujours sur la générosité de l’État. Notamment, quand celui-ci peut rapporter d’importantes sommes. L’argent de la terre n’est qu’un moyen pour les autochtones de se consoler de « rhumiliaiion subie ». Alors, la marchandisation du foncier est un moyen pour l’autochtone de tirer profit de ce

Villages opposants : Ce sont les villages de Locodjro, de Cocody village, d’Anono et d’Akouedo qui refusent de partir de leurs emplacements d’origine pour de nouvelles terres aménagées par l’État.

241 prétexte. Mais la raison profonde qui motive les acteurs du système foncier local à la marchandisation, est le sentiment de rétribution. Pour les autochtones Abidjan est toujours un territoire Tchaman. Alors, la vie des Tchaman ne saurait être en marge de la prospérité d’Abidjan. Tant que les autochtones pourront tirer de leurs terroirs un profit matériel en compensation des terres déjà cédées à l’Etat, la marchandisation des terres se perpétuera. Par ailleurs, dans les localités étudiées, les autorités coutumières conscientes de ce fait se sont engagées dans les efforts d’une institutionnalisation de la vente des terrains. Même si ces initiatives ont permis de contenir la vente anarchique des terres, elles n’ont pas pu éradiquer définitivement la marchandisation imparfaite des terres qui handicape toujours la gestion du foncier coutumier.

IÏI.2.2.4. Du mode de gestion des revenus

Le mode de gestion des revenus repose sur le principe de dominance sociale. La dominance sociale se définit Selon SIDANIUS et PRATTO (2010 : 6) comme « la domination de groupes inférieurs par les groupes supérieurs et les inégalités sociales ». Ce sont les aînés sociaux « dominant » Gnando et Dougbo qui sont en charge de la gestion des retombées économiques de la vente des terres dans les localités étudiées. Tant au niveau de la chefferie que dans la famille, l’emprise de ces derniers sur l’argent obtenu après la vente des terres est totale. Ils occupent une position sociale honorable. De par leur statut, les membres de la chefferie et le chef de famille bénéficient de plus d’avantages économiques que les cadets. Ils sont non seulement à l’initiative du processus de marchandisation, mais aussi de la régulation de l’économie du groupe social. Ils tiennent les cadets sociaux « dominés » en marge des planifications économiques locales. Ceux-ci doivent se contenter de suivre les décisions arrêtées par les aînés. Dans les localités étudiées, on observe un contraste entre le mode de vie des aînés et des cadets sociaux. Les aînés sont les détenteurs des biens sociaux (meubles, immeubles et véhicules). Des fonds sociaux sont mis en place dans les villages

242 pour les épauler en situation de crise économique et sanitaire. Ils bénéficient aussi des allocations financières annuelles. De même, dans la famille, le privilège accordé aux aînés sociaux se démontre davantage à travers le rôle du chef de famille. Celui-ci est le prototype de l’ascendance des aînés sur les cadets. Issu généralement de la classe d’âge Gnando, le chef de famille est au centre de l’attention sociale. De lui, dépend le bien-être ou le malaise de la cellule familiale et même du village. Surtout qu’il n’est pas contesté dans ses décisions. Les fonds qu’il obtient après une vente de terre sont à son entière disposition. C’est lui qui décide d’en faire un bon ou un mauvais usage. Il lui appartient de personnaliser ou « communautariser » les devises de la marchandisation. Cette situation est d’autant plus visible dans les villages étudiés que certains chefs de famille concentrent à leurs actifs une bonne partie de l’argent de la marchandisation avec laquelle ils investissent dans l’immobilier, dans les produits de luxe et à des fins strictement privées. Par ailleurs, les cadets sociaux issus de la classe d’âge n’ont pour source de revenus que l’héritage parental. Cette situation se laisse entrevoir chez certains Tchagba pères de famille qui vivent dans la promiscuité dans la maison de leurs parents. Ils sont tenus en marge de la répartition de l’argent de la vente des terres. Cependant, une part leur est accordée. La somme est versée au chef de la classe d’âge Tchagba. Elle est destinée à l’organisation des festivités sociales (les fêtes de nouvel an et les fêtes de génération « fatchwè »). C’est à ce privilège que doivent se contenter les cadets sociaux. Cependant, SIDANUIS et PRATTO soutiennent que « la hiérarchie sociale, fondée sur l'appartenance à des groupes distincts, serait à l'origine des conflits intergroupes ». A cet effet, cette situation ambivalente obnubile les cadets à vouloir s’arroger le pouvoir des aînés. Dans les familles, soit les cadets succèdent aux aînés après leur décès mystérieux, soit ils contournent l’autorité du chef de famille pour s’adonner à la marchandisation imparfaite. Par conséquent, le responsable familial de vente détourne souvent l’argent de la marchandisation des terres. Pour Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, « il surgit autour des zones d’incertitudes quelques positions qui procurent cependant des ressources importantes permettant plus particulièrement

243 le contrôle des sources du pouvoir ». De plus, cette dominance des aînés alimente l’habilité des cadets à user de violence dans leur prochaine prise de pouvoir. Nous appréhendons le mode de gestion des revenus post-vente comme un privilège élitiste. Il n’y a que les classes d’âge parvenues au pouvoir ou celles ayant exercé le pouvoir seulement qui bénéficient pleinement des retombées de la marchandisation. Tandis que celles-ci n’ayant pas encore exercé le pouvoir sont reléguées au rend de la valetaille. Ceux-ci peuvent se contenter de petite allocation financière pour les activités socio-culturelles. Ce mode de distribution de la richesse communautaire met en phase les aînés et les cadets sociaux. Les aînés Gnando et Dougbo occupent une position sociale honorable. Ils jouissent pleinement des avantages du système foncier. Ils ont part à toutes les commodités sociales. Ce sont eux qui décident des orientations que doit prendre l’argent obtenu de la marchandisation. Ils l’imposent aux cadets qui s’y soumettent avec amertume. La concentration du pouvoir autour des aînés attise la frustration des cadets. Ce qui provoque une rébellion latente des cadets. D’ailleurs, des réunions sont organisées souvent sur les stratégies de la prochaine éviction des aînés. 11 existe une situation de conflit latent entre aînés et cadets sociaux. Ainsi, le mode de répartition des ressources financières de la marchandisation est une autre source de la fracture sociale entre les différentes classes des villages étudiés.

III.2.2.5. La confiscation des revenus par les autorités coutumières et le sentiment de sous-remunération par les acteurs directs de vente

La marchandisation du foncier dans les villages étudiés mobilise plusieurs acteurs. En situation de vente de terres communautaires par le village ; la chefferie, le comité local de gestion du foncier et l’agence immobilière sont les instances qui interviennent dans le processus. Parmi celles-ci, une est souvent mal prise en charge économiquement. C’est l’agence immobilière ou le démarcheur qui ne bénéficie pas souvent du gain de vente. Lorsque, l’acheteur (société immobilière ou personne privée) verse l’argent aux autorités villageoises pour le

244 terrain acheté, celles-ci procèdent par la suite à sa distribution. Le souci majeur des autorités coutumières est d’octroyer la part de la chefferie, du comité local de gestion du foncier, des familles et des classes d’âge. Une fois l’argent distribué au niveau local, elles se chargent de remettre la part de l’agence immobilière. Cette part est souvent jugée excessive par les autorités coutumières. Pour elles, c’est un abus de remettre jusqu’à 10% du prix d’achat à l’agence immobilière ou aux démarcheurs. L’argent provenant de la marchandisation doit d’abord servir les « objectifs propres des Tchaman. Déjà avertis par ces dispositions des autochtones, les représentants des agences immobilières et démarcheurs exigent en présence de l’acheteur que leur part soit versée immédiatement dès le paiement du terrain. Seules les agences immobilières et les démarcheurs qui ont des liens d’affinités avec les autorités coutumières acceptent de réclamer leur dû à un délai ultérieur après la vente. Ceux-ci acceptent d’accorder leur confiance aux autorités coutumières. Tandis qu’elles s’appuient sur des considérations égocentriques pour retenir l’argent de ceux-là qui ont rendu possible la marchandisation des terres. Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG {Op.cit} soutiennent que d’acteur ne cherche pas Voptimisation, mais la satisfaction ». Ainsi, le manque d’engagements des autorités coutumières envers ces acteurs clés de la marchandisation occasionne des conflits. Les plaignants (les agences immobilières et les démarcheurs) choisissent d’abord un règlement à l’amiable du contentieux. Lorsque les autorités coutumières refusent d’obtempérer alors, elles sont dans l’obligation de saisir les autorités judiciaires. Ayant pour preuve le contrat de bail qui atteste leur part dans la somme versée par l’acheteur de terrain, les sociétés immobilières parviennent à obtenir une issue en leur faveur auprès des autorités arbitrales compétentes. La marchandisation des terrains familiaux mobilise l’action des personnages clés suivant : le chef de famille, le responsable familial de vente et le démarcheur. Le processus de marchandisation oscille autour du chef de famille.

Michel CROZIER et Enhard FRIEDBERG. {Op.cit)

245 C’est aussi de celui-ci que dépend la répartition des retombées économiques de la marchandisation. Le mode de répartition repose donc sur la personnalité de celui- ci. Pour le chef de famille dont la vocation est de servir l’intérêt de la cellule familiale, la rémunération du responsable familial et du démarcheur a lieu dès le paiement du terrain par l’acheteur. Celui-ci adopte cette attitude pour prévenir les conflits au sein de la famille. Contrairement, au chef de famille qui personnalise le processus de marchandisation à son compte. À cet effet, ce chef de famille fait preuve d’une attitude avide voulant toujours tirer le maximum de profit de la marchandisation des terres. Il octroie une part de l’argent des autres acteurs de vente dès que le paiement est effectué. Surtout que le paiement s’effectue dans ce cas à huis clos entre l’acheteur et le chef de famille à l’insu des représentants des classes d’âge et de la chefferie. Le chef de famille trouve des arguments pour les convaincre de patience. Mais ceux-ci découvrent l’irrégularité de leur situation que lorsqu’il constate l’absence à long terme de l’acheteur. Ils décident par la suite de s’en prendre au chef de famille qu’ils conduisent auprès des instances coutumières. Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG {Op.cit} admettent que « c’est la capacité de cet individu à agir volontairement sur le système cpii lui donne la maîtrise de l’incertitude pertinente yy. Par conséquent, les instances arbitrales à partir des preuves formelles et du témoignage des plaignants (responsable familial de vente et démarcheurs) contraignent le chef de famille à s’acquitter de sa dette. Les mesures dissuasives des instances coutumières en l’encontre du chef de famille peuvent aller jusqu’au bannissement de ce dernier de la vie associative du village. Cette disposition est l’extrême des sanctions que peut recevoir un Tchaman. Par conséquent les différends qui opposent le chef de famille soit au responsable familial de vente, soit au démarcheur sont résolus par les autorités coutumières. Nous appréhendons la confiscation des revenus par le chef de famille comme l’expression d’un abus de pouvoir. La situation sociocommunautaire des villages Tchaman situés dans le milieu urbain d’Abidjan entraine au niveau local la perte de valeurs traditionnelles. En effet, depuis plus de deux décennies, on assiste à une intellectualisation de la vie sociopolitique dans les villages étudiés.

246 Les plus âgés moins lettrés sont confrontés à une mutation des sources de pouvoir vers les plus jeunes. Ceux-ci se distinguent de leurs aînés par leurs perspicacités dans le système foncier. Ils sont toujours à l’initiative des reformes et des innovations dans la gestion du foncier local. Contrairement, on assiste à une sorte de déconnection des aînés aux réalités contemporaines, lesquelles sont confrontées au foncier local. Leur champ de prédilection semble être l’aspect historique du foncier. C’est pourquoi, ils optent pour la conservation des pratiques traditionnelles dans la régulation du foncier moderne. Ce contraste entre aînés et cadets remonte dans les villages étudiés depuis la prise de pouvoir des Gnando. À cette époque les Gnando traitaient déjà leurs pères Blessoué d’analphabètes. De ce fait, ils étaient considérés par ceux-ci d’inapte à poursuivre la gestion du foncier local. Des décennies plus tard. Ce sont les Dougbo qui traitent les Gnando d’illettrisme. Cette tendance élitiste du système foncier local autour des plus jeunes est une menace pour le pouvoir des aînés. Ceux-ci sont disposés à saisir les opportunités qui s’offrent à eux pour faire prévaloir leur autorité. Ils veulent réaffirmer par la confiscation des revenus leur suprématie dans le système foncier local. Mais, cette attitude loin de fédérer l’assentiment des cadets est encore un autre alibi qui conforte l’opinion néfaste qu’ils ont des aînés.

111.2.2.6. De la gestion des eonflits

Cette partie portera sur les instances de médiation, leurs limites et leurs résultats obtenus.

111.2.2.6.1. Du choix des instances de médiation

Lorsqu’un différend survient entre un acheteur et un vendeur, deux acheteurs de terrain dans les villages étudiés, trois instances de médiation (les autorités coutumières, la cours de justice et le MCUA) sont sollicitées par les protagonistes. ADAM et RRYNAIJD (1978 : 404) déclarent que « Ae.v acteurs

247 seraient orientés vers un objectif et chercheraient à employer les moyens les plus adéquats pour y arriver ». Les conflits qui éclatent sont circonscrits d’abord au niveau local. En effet, les instances coutumières de résolution du conflit (chefferie, comité local de gestion du foncier, doyen d’âge et chef de famille) constituent les voies les moins onéreuses de gestion du contentieux qui divise des protagonistes. C’est ce qui explique la préférence des protagonistes de se référer en premier lieu aux instances coutumières. Non seulement, les autorités coutumières préconisent un règlement à l’amiable du conflit, mais encore elles parviennent dans un bref délai à l’issue de quelques procès à trouver une issue moins coûteuse et équitable pour les protagonistes. Néanmoins, il arrive qu’elles soient dans l’incapacité de résoudre un conflit. L’impasse dans le processus de gestion de crise advient que pour une double raison. D’abord, quand le vendeur n’a d’égard pour les autorités coutumières. Le plus souvent, c’est un aîné Gnando qui refuse de répondre à l’appel des cadets Dougbo au pouvoir. Celui-ci juge la comparution comme une humiliation. Alors, il refuse pour cette raison de répondre à la convocation. Cette situation s’explique quand le doyen AKOU GILBERT (membre de la classe d’âge Gnando), auteur de la vente d’un lot de mille deux cent mètres carré (1200 m^) à Monsieur ADIKO et à Monsieur SAHI BENOIT. Monsieur AKOU GILBERT refuse de répondre à la convocation du comité local de gestion du foncier sous prétexte qu’il ne peut s’humilier devant ses cadets. Du fait que les conditions de dédommagement fixées par les instances locales ne sont pas respectées par le coupable, alors, dans le souci d’assurer la continuité du processus de gestion du conflit, les autorités coutumières permettent au plaignant d’engager sans délais un recours auprès des autorités policières et judiciaires. ADAM G et Jean-Daniel RAYNAUD {Op.cit) affirment que c’est « la poursuite de la négociation par d'autres moyens ». Aussi, il y a des conflits qui impliquent les autorités coutumières et un acquéreur extérieur. Tel est le cas du conflit qui oppose Monsieur GUICHARD au village de Locodjro. Rappelons que cette discorde puise ses origines dans le refus des cadets Dougbo actuellement au pouvoir de ne pas reconnaître la transaction de leurs prédécesseurs Gnando. Dans ce type de conflit, le choix de la première voie de résolution du conflit est déjà

248 compromis. En ce sens que l’un des protagonistes ne peut occuper la place déjugé et d’accusé. Dans cette situation, le plaignant choisit de porter directement l’affaire devant le MCUA ou devant le tribunal de première instance habileté à juger un tel cas. Le recours aux instances administratives et policières nécessite un autre investissement économique de la part du plaignant. Contrairement aux instances coutumières, les instances juridiques administratives ne garantissent pas l’indemnisation du plaignant. Celui-ci ne pourra être dédommagé que si à l’issue du processus de résolution, le verdict prononcé par le juge est en sa faveur. A contrario, le coupable est contraint de s’acquitter de sa caution et de purger une peine de prison. Pour ADAM et REYNAUD {Op.cit} « dans toute négociation, il existe toujours au moins une solution qui coûte plus cher aux deux parties ». Nous apprécions d’abord l’origine de ce conflit comme étant la résultante des dissensions entre aînés Gnando et cadets Dougbo. Le refus obstiné des cadets d’approuver les transactions foncières des aînés a des répercussions extracommunautaires. Ici, Monsieur GUICHARD est en réalité une victime du conflit entre cadets et aînés sociaux. En effet. Monsieur GUICHARD démontre preuves à l’appui qu’il est le détenteur du foncier qu’il a acquis avec les prédécesseurs Gnando. Cette preuve qu’apporte ce dernier exacerbe les autorités actuelles en charge du foncier. Pour eux, il est inadmissible qu’un vaste espace de terre soit attribué à Monsieur Guichard à un prix qu’ils jugent déraisonnable. Alors, il est expulsé sans ménagement du site. Par cet acte les Dougbo actuellement au pouvoir nient la transaction des aînés Gnando et l’acte légal du titre foncier délivré par l’Etat. Par conséquent, la tension sociale entre aînés et cadets sociaux dans les localités est la source d’une gestion anarchique du foncier par les autorités coutumières actuellement en charge du foncier. En outre, le choix des instances de médiation est comme un «jeu d’intérêt » dans lequel les acteurs se livrent à un combat sans merci pour conserver leur objet de prédilection (le terrain coutumier). Aussi, la médiation des autorités coutumières est une couverture sociale implicite qu’elles offrent à leur congénère déviant. En ce sens, le règlement à l’amiable est lui-même une manœuvre subtile de protection de l’autochtone en situation irrégulière. La

249 gratuité du processus est assurée à dessein par les instances arbitrales en vue d’inciter le plaignant à prôner la voie locale de la résolution du conflit. Lorsque les efforts de médiation des autorités coutumières échouent cela implique également l’effondrement du système de rachat du « fils prodigue » par les autorités locales. L’acharnement des instances de médiation locale pour une résolution à l’amiable du conflit est surtout un moyen de sublimation de la honte sociale . Par ailleurs, l’acheteur qui se plaint d’être victime d’une marchandisation imparfaite importe peu aux instances de médiation locale. Ce n’est pas la victime qui est la priorité dans le processus de gestion du conflit poul­ ies autorités coutumières. C’est le sort du coupable qui est l’objet de leur préoccupation. La victime est un « étranger ». Alors, le verdict doit être prononcé en sa faveur afin que la réputation des Tchaman ne soit pas ternie par celui-ci. Le coupable est un autochtone Tchaman qui doit être racheté d’une éventuelle incarcération en cas de comparution auprès des autorités judiciaires. En effet, la prison est perçue dans la tradition Tchaman comme le lieu de perdition et de damnation des inadaptés sociaux. Le Tchaman qui représente le « brave homme »

1 n’est pas destiné à cet endroit. D’où l’obligation des instances locales de trouver des moyens de répression locale pour sauver un autochtone déviant. En d’autres termes, c’est auprès des instances administratives et juridiques que l’équité est pratiquée en prenant en compte la position véritable des protagonistes.

IIL2.2.6.2. Des limites des instances de médiation

Les instances de médiation qui interviennent dans le processus de gestion des conflits de la marchandisation du foncier local sont souvent happées par sa complexité. Pour ENRIQUEZ (1997 : 48) c’est « comme si une certaine forme sociale ne pouvait exister sans faire naître en son sein ce qui la condamne ». Ce

’’ La honte sociale : est un acte de déshonneur posé par l’autochtone qui dépeint sur la notoriété de la communauté toute entière.

250 qui explique souvent le désengagement ou l’inertie de celles-ci à une étape bien précise de la résolution du conflit. Concernant les instances coutumières de résolution du conflit foncier, les difficultés apparaissent lorsque l’effort de médiation est confronté au refus de l’un des protagonistes de collaborer. Pour gérer un conflit, il faut que les deux protagonistes s’accordent sur le choix de l’instance de médiation, Lorsque l’acheteur qui s’estime être grugé introduit une plainte au niveau des autorités coutumières, il faut que le vendeur mis en cause accepte ou réfute l’accusation devant les instances de médiation locale. Mais, la convocation adressée au vendeur par les autorités coutumières ne connaît pas souvent de suite. Soit le refus de l’accusé est fonction des conclaves entre aînés Gnando et cadets Dougbo. En ce sens, le vendeur est un dignitaire Gnando qui ayant été victime du « coup de force » des cadets Dougbo en 2002, refuse de se soumettre encore à leurs ordonnances. Par motif de conscience, l’accusé refuse de coopérer pour une résolution à l’amiable du différend. L’attitude de ce dernier puise son explication dans les actes antérieurs de celui-ci. Plusieurs fois, ayant comparu devant les instances coutumières de médiation, il les banalise et demeure insensible à leur appel. Dans ce cas, ces vendeurs de terrains coutumiers s’appuient sur des pratiques mystiques pour contraindre leurs adversaires à battre en retraite. Puisqu’il n’a jamais été appréhendé par les autorités compétentes pour ses forfaitures ; il se complaît à la défiance des autorités coutumières qui ne peuvent que perpétuer des mi en garde à son encontre. Heureusement, il arrive que celui-ci soit subitement appréhendé par la police judicaire et déféré par les autorités judiciaires sans préavis à la MACA. Pour Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG (op.cit) « L'organisation érige une structure qui limite la liberté de l’acteur ». Concernant les autorités judicaires, leur incapacité est démontrée lorsqu’il survient un conflit d’autorité entre elles et les instances coutumières de résolution de conflit. C’est ce que nous constatons dans les différends qui opposent le village de Locodjro et Monsieur GUICHARD. Monsieur GUICHARD n’a de choix que de recourir aux instances étatiques. Car, l’instance coutumière (le

251 village) est ici impliquée dans le conflit. Puisque, le village qui est l’une des parties prenantes ne peut se constituer en instance arbitrale alors, les protagonistes s’en remettent à l’autorité judiciaire légalement compétente pour régler le différend. Lorsque c’est le village qui porte plainte pour un contentieux foncier qui le lie à un individu, les autorités coutumières s’en remettent aux autorités judiciaires pour demander ce que de droit. Tandis que lorsque c’est un individu ou une entreprise qui engage un recours au tribunal pour un contentieux foncier qui l’oppose au village, les autorités coutumières se résignent. Ils s’appuient sur le prétexte suivant : « Abidjan est le village des Tchaman avant d’être la capitale économique du pays ». L’attitude ambivalente des autorités coutumières s’explique par le désir des autochtones de vouloir à tout prix maintenir leur hégémonie sur les terres d’Abidjan. Leur refus d’obtempérer handicape l’appareil judiciaire dans son fonctionnement. Ainsi, nombreux sont les tentatives de médiation de ce type que les autorités judiciaires ont choisi d’abandonner. Cette position des instances judiciaires se justifie dans un souci de prévention de la cohésion sociale dans les localités de la ville d’Abidjan. Pour la raison qu’elles craignent les manifestations souvent violentes des autochtones au sujet de leur terroir. AMBLARD et BERNOUX (Op.cit) soutiennent que « Ce sont les incertitudes qui viennent créer les situations propices aux jeux d’acteurs ». Les autorités coutumières préfèrent classer sans suite les conflits fonciers qui impliquent toute la communauté villageoise plutôt que s’aventurer dans une démarche dont l’issue est incertaine.

Nous comprenons les limites des instances de médiation comme le résultat d’une manœuvre stratégique dont les autochtones sont les bénéficiaires tant au plan local qu’administratif. Les conflits fonciers sont devenus un moyen de reconquête identitaire pour les Tchaman. L’idée de « la terre perdue » est un prétexte par lequel les Tchaman se saisissent des opportunités qui s’offrent à eux pour imposer leur mode de pensée. Les autochtones revendiquent ainsi une autodétermination de leur communauté en dépit de l’évolution de leur milieu de vie. Désormais, Abidjan n’est plus le village des Bidjan l’une des phratries

252 Tchaman, mais la capitale économique de l’Etat de Côte d’ivoire. Le mode de gestion des conflits des autochtones semble ignorer cette réalité. Toujours, le Tchaman veut éviter les contraintes de l’urbanisation pourtant, il profite de ses avantages. La marchandisation des terres situées dans la ville rapporte des devises considérables aux autochtones. Vu leur emplacement en pleine zone urbaine l’ensemble des communautés étudiées bénéficie de l’électricité, de la voirie, de l’adduction en eau potable. Ainsi, les autorités coutumières sont dans une logique perpétuelle de récrimination de l’Etat. Pour les Tchaman, l’Etat a contracté une dette insolvable en choisissant de faire de leur terroir, un pôle de développement (la capitale économique de la Côte d’ivoire). C’est ce qui transparait dans la remise en cause de certaines décisions de justice et par leur refus d’obtempérer aux appels judiciaires.

III.2.2.7. Des résultats obtenus

Les résultats obtenus par les instances de médiation sont le résultat de mis enjeu de procédés divers. Les instances coutumières s’appuient sur la négociation pour aboutir à une résolution à l’amiable du conflit tandis que les autorités judiciaires et administratives se focalisent sur les preuves (l’attestation villageoise d’attribution, la lettre d’attribution et le titre foncier) pour une résolution rigoureuse des litiges fonciers.

111.2.2.7.1. Au niveau des instances locales

Les instances locales de résolution du conflit foncier notamment : la chefferie, le comité local de gestion du foncier, le conseil des sages et le chef de famille, bien que vivant dans le même milieu social ont des approches différentes de résolution des litiges de marchandisation de terrains. Ainsi, « l’acteur n’est jamais complètement enfermé dans son rôle dans l’organisation » selon ces allégations de Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG (Op.cit).

253 D’abord, s’agissant de la chefferie, elle est l’instance suprême habilitée à régler tout type de conflit. C’est elle qui délègue son autorité au comité local de gestion du foncier même si celui-ci bénéficie d’une certaine autonomie dans ses prestations. La chefferie ne prend part à la résolution d’un conflit que si les autres instances ont échoué dans leurs tentatives de dénouement du conflit. Elle réunit les représentants du comité local de gestion du foncier, des classes d’âge, le doyen d’âge et le chef de famille dans la résolution d’un conflit foncier. Par la concertation, elle entend aboutir à un résultat consensuel du problème qui lui est soumis. La chefferie adopte une démarche logique et déductive. Elle procède premièrement par l’écoute de chaque protagoniste. Ensuite, elle analyse les allocutions de chaque partie avec les preuves qu’elle dispose de part et d’autre. Elle procède par la suite à la vérification des preuves par les faits. C’est à l’issue de ce processus qu’elle rend le verdict. Les décisions de la chefferie en matière de résolution du conflit foncier se soldent par le dédommagement de la victime et les pénalités fixées au coupable. La forme la plus sévère du jugement est l’excommunication du contrevenant. Ensuite, le comité local de gestion du foncier dans sa démarche de résolution emprunte les mêmes procédés que la chefferie. Jean-Daniel REYNAUD {Op.cit'} soutient que « La régulation des subordonnés ne se trouve pas être différente de celle de la direction parce qu 'elle a un objet différent, mais parce qu’elle essaie d’affirmer une autonomie.» Seulement, il associe le droit de regard de la chefferie au processus. De plus, lorsque l’ampleur du contentieux semble dépasser ses limites, elle s’en remet à la chefferie. Le conseil des sages ou le doyen d’âge est autonome dans la médiation qu’il exerce dans le processus de résolution du différend foncier. Il intervient rarement dans les litiges fonciers. Il est aussi l’ultime recours des autres instances de médiation locale. Le jugement qu’il rend sur le problème foncier qui lui est soumis et la solution qu’il propose à force de lois pour la communauté. Ainsi, par sa médiation, le doyen d’âge oblige les Dougbo à reconnaître les accords passés avec leurs prédécesseurs Gnando dans le conflit qui oppose la famille AHOUETO à la famille AKOUN dans le village d’Anoumanbo. AMBLARD et BERNOUX {Op.cit} pensent que e c’est

254 autour du principe supérieur commun que se scelle l’accord entre les personnes ». Ainsi, il n’intervient que lorsque les différends qui engagent deux protagonistes sont difficiles à démêler pour les autres instances de médiation du village. Quant au chef de famille, il est autonome dans la gestion des conflits fonciers qui advient dans la famille. Son action pour la résolution d’un litige foncier est circonscrite dans la famille. Il règle les différends fonciers qui lient les membres de la famille. Quand il est lui-même impliqué dans un différend qui l’oppose soit aux différentes classes d’âge de la famille, soit à un acheteur de terrain coutumier, il a deux voies de règlement qui s’offrent à lui. Soit il se réfère à la chefferie, soit il sollicite la médiation du doyen d’âge. Notre étude sur les résultats des instances coutumières de gestion du conflit foncier, nous dispose aux réflexions suivantes. Primo, les instances de régulation des litiges au niveau local fonctionnent selon le principe d’autodétermination. C’est un procédé par lequel chaque instance fonctionne de manière libre tout en restant liée aux autres. C’est-à-dire que les instances de médiations locales peuvent rendre indépendamment un verdict à l’issue de leur intervention. Mais, ce principe autorise une instance à se référer à une autre plus compétente lorsqu’elle est limitée dans son fonctionnement. Néanmoins, quelle que soit l’instance sollicitée dans les villages pour la résolution d’un conflit foncier, le résultat repose sur la conciliation des parties belligérantes « le règlement à l’amiable ». Secundo, quand un conflit est difficile à dénouer au niveau des instances coutumières, grande est aussi la possibilité de sombrer dans le subjectivisme. Car toutes les instances de médiation lorsqu’elles présentent des faiblesses ont pour ultime recours, le doyen d’âge. Celui-ci est un individu qui peut laisser transparaître ses propres jugements de valeur dans un contentieux. Alors, l’intervention du doyen d’âge comme instance de médiation d’un litige cadastral ne saurait être une décision juste. Par contre, la sollicitation du conseil des sages mène à l’impartialité dans les règlements des différends fonciers dans les localités. Car la diversité et l’âge avancé des membres qui la constitue aide à la recherche

255 de la vérité. Bien plus, le conseil des sages comme ultime recours, convient mieux à la résolution d’un conflit foncier au niveau local.

III.2.2.7.2. Au niveau des instances étatiques

Les instances étatiques de médiation du conflit au sujet du foncier coutumier à Abidjan sont : le tribunal de première instance et le MCUA. Ces deux instances présentent un mode opératoire différent. Le tribunal de première instance est l’appareil judiciaire étatique compétent à se prononcer sur tout différend foncier dès qu’il est sollicité. Tandis que le MCUA qui est un organisme de régulation étatique. Il est compétent à l’administration des documents cadastraux (le plan guide des lots, les extraits topo, la lettre d’attribution et le titre foncier). Il n’intervient pas comme une instance régulière des contentieux fonciers. C’est plutôt son habilité à administrer des preuves sur la propriété terrienne qui fait du MCUA une instance de médiation. Le tribunal de première instance d’Abidjan lorsqu’il est saisi d’un dossier relatif au litige foncier se donne les moyens pour faire valoir ce que de droit. De ce fait, elle sollicite le concours de la police judiciaire. Celle-ci est à l’initiative de la procédure judiciaire. Elle a pour rôle de déterminer le niveau d’incrimination des protagonistes lorsqu’elle est saisie d’une plainte. Jean-Daniel RAYNAUD (1979 : 376) asserte que « l'étude du conflit est indispensable pour comprendre la portée et la solidité des solutions ». Quand l’inculpation est établie, elle procède à l’arrêt du contrevenant. Toutefois, elle dispose d’une marge de manœuvre limitée dans le temps lui permettant d’envisager un arrangement à l’amiable. L’issue de cette condition exceptionnelle dépend de la capacité de l’inculper d’honorer dans un bref délai les conditions de l’accusé. Passé ce temps, l’inculpé est déféré à la MACA pour l’exécution de la procédure judiciaire. Alors, l’appareil judiciaire entre en action avec l’organisation d’un premier procès juridique pour la confirmation des charges. Après, un autre procès est organisé. Dans ce procès, l’accusé peut faire appel pour sa défense à un avocat. S’il n’a de moyens

256 financiers pour payer les services d’un avocat de son choix, un autre lui sera commis d’office. Si la culpabilité de l’incarcéré est établie, il devra purger une peine d’emprisonnement assortie d’une caution. La caution est déterminée par la victime. Le paiement de la caution est la condition préalable pour le coupable de bénéficier de mesures d’atténuation de la peine ou de libération. La procédure judiciaire est complexe en ce sens qu’elle mobilise l’appareil répressif de l’État (la police judiciaire) et l’appareil intelligible de l’État (le tribunal de première instance d’Abidjan). La procédure judiciaire exige des investissements en temps et en argent de la part du plaignant. Les efforts de celui-ci peuvent être récompensés. Seulement si le verdict final des autorités judiciaires est en sa faveur. Aussi, le plaignant peut perdre quand l’accusé possède les moyens de défense pouvant faire pencher la balance du verdict des juges en sa faveur ou quand l’affaire est classée sans suite par le tribunal. Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG {Op.cit} affirment à juste titre que « L’organisation est le royaume des relations de pouvoir, de rinfluence, du marchandage et du calcul » au vu des procédés et des résultats, l’instance de médiation juridique représente pour les acheteurs de terrains coutumiers victimes de marchandisation imparfaite, une entreprise audacieuse. Bien que, plusieurs d’entre eux soient déçus par l’échec de leur recours auprès des instances coutumières, ils hésitent toujours à engager une procédure judiciaire. Pour Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG {Op.cit'} « il surgit autour des zones d’incertitudes » qui freinent l’acheteur dans son élan de faire appliquer la justice. C’est de cette « zone d’incertitude » dont se servent certains vendeurs de terrains coutumiers pour gruger certains acheteurs. En ce sens qu’ils se disent conscients du fait que la plupart des acheteurs ne peuvent intenter une action en justice tant bien qu’ils soient victimes d’une marchandisation imparfaite. Monsieur ACHI BROU (responsable de la classe d’âge Gnando de Akéikoi) l’affirme en ces termes « ce n’est pas tous les acheteurs de terrain qui ont les moyens et le courage de conduire les faussaires en prison. C’est pourquoi, ils n’ont aucune crainte et peuvent tout se permettre. » Concernant la médiation du MCUA, elle est essentiellement basée sur la résolution d’un différend foncier qui éclate par la fourniture de la preuve attestant

257 le droit de propriété de l’un des belligérants. Lorsqu’un conflit foncier éclate entre acheteurs ou vendeurs et acheteurs, seul le titre foncier ou la lettre d’attribution délivrée par le MCUA peut y remédier. Cependant, la solution apportée par le MCUA n’autorise que le protagoniste qui dispose de preuves administratives d’exercer en toute impunité son droit de propriété sur le terrain conflictuel. Par son intervention, le MCUA apporte aussi un éclairage sur la responsabilité des différents protagonistes, car il permet une fois la preuve administrative fournie au vrai propriétaire du lot à l’autre protagoniste de savoir qu’il est victime d’une marchandisation imparfaite. Donc, la médiation du MCUA donne suite à d’autres conflits. C’est par son action que le vendeur frauduleux de terres est démasqué dans sa falsification. Le diagnostic des résultats obtenus au niveau des instances de médiation étatique nous conduit à deux types de remarques. Premièrement, il y a une inadéquation du système judiciaire avec les réalités foncières d’Abidjan. Il procède dans la recherche de la vérité par l’arrestation ou la garde à vue du contrevenant sans auparavant mener une enquête. Lorsqu’un conflit foncier est soumis à sa médiation, c’est qu’il a déjà fait l’objet d’une tentative de résolution antérieure. C’est ce qui occasionne la détention provisoire du détenu par la police judiciaire. Pourtant, nous savons qu’un conflit engage toujours la responsabilité des deux protagonistes. Certes, la vente frauduleuse de terre est pour une bonne part tributaire de la mauvaise foi du vendeur autochtone. Par ailleurs, une fois que l’acheteur reçoit l’attestation villageoise d’attribution, il a l’obligation de la soumettre à vérification auprès du MCUA. Alors, les conflits de marchandisation imparfaite dépendent aussi de la négligence des acheteurs de terrain coutumier. Les confits fonciers doivent être résolus par les autorités coutumières en tenant compte de la responsabilité des deux protagonistes. Si le vendeur est puni pour sa marchandisation imparfaite, l’acheteur doit aussi être réprimé pour son mépris de la loi sur la propriété foncière. Il apparaît en réalité que le vendeur n’est pas puni pour la vente illicite de terrain mais plutôt pour recèle frauduleux de biens privés. Ce n’est donc pas la marchandisation imparfaite que réprime le tribunal de première instance, c’est le mobile qui est jugé. Les

258 autorités judiciaires ne jugent pas le crime de la « marchandisation imparfaite » mais l’objet du crime « recel frauduleux de biens privés ». Car si elles devaient juger l’acte de la marchandisation imparfaite, l’acheteur (le plaignant) devra aussi être réprimé pour le crime d’ignorance de la loi cadastral du pays. Même le tribunal de première instance semble faire prévaloir la légitimité et pas la légalité dans la résolution des contentieux sur les terrains coutumiers. C’est ce qui nous dispose à parler d’appropriation arbitraire par les autorités judiciaires. Ensuite, le manque d’une étroite collaboration du MCUA avec les autorités coutumières dans la gestion du foncier coutumier encourage la marchandisation imparfaite des terres. Car toutes les ventes de terrains locales devraient impliquer directement le MCUA. Surtout, lors du paiement et de la signature de l’attestation villageoise de propriété. Le MCUA doit relayer la marchandisation des terrains en permettant à chaque acheteur de terrain coutumier d’avoir l’opportunité d’établir les preuves administratives de propriétés (la lettre d’attribution et titre foncier). L’implication plutôt du MCUA dans le processus de marchandisation des terres coutumières est un moyen pour y extirper la fraude. Ainsi, l’acheteur aurait l’opportunité de savoir si le terrain qu’il veut acquérir n’a pas été auparavant attribué à une tierce personne.

1 CHAPITRE TROISIÈME : MISE EN PERSPECTIVES DES RESULTATS

L’histoire foncière des localités étudiées nous enseigne jusqu’à la période coloniale et l’avènement des indépendances, le terroir était le socle de la stabilité socioculturelle, économique et politique. Ces facteurs qui sont nécessaires à l’intégrité du groupe social se sont brutalement dégradés ces deux dernières décennies à cause de la marchandisation accélérée et imparfaite des terres. Alors, pour résoudre ces problèmes, l’avis des villageois a été consulté et pris en compte à l’issue d’un atelier de validation des questions foncières^^. Deux (02) questions majeures ont constitué l’objet de nos réflexions.

IIL3.1- Pourquoi préserver le foncier coutumier périurbain ?

Faut-il préserver les terres locales en milieu périurbain dans une région qui doit accueillir près d’un million de nouveaux habitants dans les prochaines dix années? La question se pose d’autant plus que les professionnels du foncier se font l’écho régulier du manque de terrains à bâtir.

IIL3.1.1 Le foncier coutumier préexistant à l’urbanisation

La zone périurbaine d’Abidjan accueille plus des deux-tiers (2/3) de la population nationale (données INS). Une population qui a épuisé les capacités d’infrastructures d’habitations tant au niveau étatique que privé. Au niveau de l’Etat, les logements sociaux, bâtiments administratifs et les édifices publics sont vétustes et datent de la période des indépendances (de 1960 à 1980). Malgré leur état de dégradation avancée, ses bâtisses sont au maximum de leur rendement à

A l’issu de réalisation de notre étude nous avons organisé un atelier de réflexion sur les problèmes du foncier coutumier en milieu périurbain. Etait présent, les représentants des classes d’âge, des chefferies, des géomètres experts, des acquéreurs, des ouvriers, des résidents, des agents du MCUA et des experts indépendants.

260 cause de leur positionnement sur des sites stratégiques dans le centre-ville. Bref, il est devenu presqu’impossible de loger dans la ville d’Abidjan. Même s’il existe quelque uns, leur acquisition nécessite la mobilisation de moyens financiers considérables. Tandis que le pouvoir d’achat des citoyens a considérablement baissé. La seule alternative qui s’offre à eux c’est l’espace périurbain. À cet endroit, le coût relativement bas des terrains entraine la construction de maisons à loyer modéré. Le foncier coutumier est donc primordial à l’expansion de la ville d’Abidjan.

III.3.1.2. Une marchandisation intelligente des terrains coutumiers est une alternative à la gestion des risques de saturation foncière

Par ailleurs, beaucoup de citadins s’asphyxient dans l’espace urbain et deviennent de plus en plus exposés aux risques de construction anarchique des habitations et d’engorgement du plan directeur de la ville d’Abidjan. Le coût de toute nouvelle urbanisation sur le littoral Ebrié devient supérieur à l’avantage supposé, en particulier fiscal pour les collectivités. Les zones de résidence s’éloignent démesurément des lieux de travail (jusqu’à 40 km pour les travailleurs qui habitent les villes de Dabou, Bingerville et Bassam), avec son cortège d’embouteillages et de pollutions. La marchandisation intelligente des terres des localités périurbaines peut participer à un meilleur équilibre du foncier et à la prévention des risques de perte du pouvoir d’achat et de rendement de la main d’œuvre active d’Abidjan.

111.3.1.3. La dégradation du paysage urbain de la ville d’Abidjan est tributaire de l’absence d’une politique foncière durable

Mais, le retrait de l’État du système foncier coutumier a encouragé la libre initiative dans le domaine de la construction immobilière. 11 a arrêté de bâtir depuis les années 1970. De plus, le plan directeur de la construction de la ville d’Abidjan qui date de cette époque a largement dépassé les contraintes actuelles de l’urbanisation. Cette situation a favorisé l’émergence de quartiers dits précaires. Ainsi, autour des grands bâtiments officiels se trouve de vastes études

261 d’habitations mal construites. Cela se justifie par le fait qu’il suffit d’avoir un terrain acheté à bon marché au près des autochtones, pour bâtir un logement à sa guise. La conséquence immédiate de l’inactivité de l’État dans la sphère de la marchandisation des terres dans les localités est le pourrissement de « la perle des lagunes ». En ce sens que la lagune Ebrié qui constitue son apparat est devenue le bassin qui recueille toutes les eaux usées en provenance des quartiers dits précaires. Le coût de cette négligence de la part de l’Etat est énorme dans la mesure où elle affecte le tourisme^*, le bien-être et le bien vivre des citadins.

Il est recommandé à l’État de bien vouloir reformer la marchandisation des lots coutumiers. Cela, en travaillant de concert avec les autochtones à ce sujet. Par ailleurs, il ressort de l’étude que le MCUA est l’instance stratégique qui légitime la vente des terres dans les localités. Alors, il devrait permettre que tout le processus de marchandisation du foncier local se déroule dans le cadre cette institution. Bien sur. L’action de cette dernière ne sera que formel et non- pécuniaire.

IIL3.1.4. Sécurisation foncière une nécessité pour le développement de l’entrepreneuriat

Enfin, comment ignorer le besoin croissant de sécurité des terrains coutumiers à Abidjan. Nous savons maintenant qu’à l’issue de notre étude que plusieurs acquéreurs perdent leurs investissements en voulant s’approprier des lots dans les villages étudiés. Pour le MCUA, ces pertes se chiffrent à plus de deux (02) milliards de francs CFA. Ce qui cause un appauvrissement de la classe moyenne. L’acquisition d’un terrain à Abidjan est un atout économique important. Le bénéficiaire pour s’approprier et mettre en valeur le terrain verse des dividendes à l’État (taxe pour l’établissement de la lettre d’attribution, le titre foncier, expertise de construction et impôts) et emploie dans la plupart des cas des ouvriers spécialisés en bâtiments.

” Abidjan était jusqu’en 1990, l’une des premières destinations touristiques d’Afrique.

262 111.3.2. Comment préserver le foncier coutumier ?

La situation actuelle, si elle n’est pas enrayée maintenant, conduit à la disparition inexorable du foncier coutumier ou du moins, les espaces coutumiers libres.

in.3.2.1. Une volonté collective appuyée sur l’usage des outils réglementaires

Seule peut répondre à cette urgence, la volonté collective affirmée et publiée de ne plus céder un hectare de terres périurbaines, transcrit non seulement dans des chartes mais aussi dans les documents d’aménagement du territoire ou d’urbanisme (MCUA). Un tel principe ne doit pas souffrir d’exception. Si des ouvrages d’intérêt général ne pouvaient trouver d’autres solutions pour leur établissement qu’une zone foncière coutumière, un mécanisme de surcompensation devrait être mis en œuvre, à la charge des autorités coutumières. Le versement de cette surcompensation serait assuré auprès d’un fonds régional d’intervention foncière qui viendrait en soutien des actions foncières menées dans les localités étudiées. Cette disposition pourrait s’inspirer de celles inscrites dans la charte foncière des autochtones du département de Dabou ou encore dans le projet d’agglomération du pays qui conjugue les possibilités de mise en place d’un système de compensation en surface ou celle d’une compensation financière calculée sur le même principe que les « 1% parcelle ».

Ces outils peuvent d’ores et déjà s’appliquer de marnière concertée avec les acquéreurs, mais une disposition législative contribuerait à lever toute incertitude juridique sur leur utilisation.

III.3.2.2. Une politique contractuelle

Même si elle est indispensable, cette protection réglementaire a démontré ses insuffisances devant les attitudes spéculatives sur la marchandisation comme sur les prix des lots ; pour porter à terme, son plein effet, elle doit, dans l’immédiat et pour plusieurs années, être associée à une politique d’intervention

263 foncière, partie constituante d’une politique contractuelle qui assoit la triple légitimité évoquée plus haut.

Si l’urgence appelle à une politique réglementaire et d’interventions foncières, la pérennité des terrains mise en vente nécessite plus largement l’établissement d’un nouveau contrat solidaire entre les autochtones et le MCUA.

Ce contrat doit reposer sur la constitution d’une légitimité forte de l’autorité coutumière locale, économique et sociale. Il s’agit d’un contrat de proximité et son cadre naturel est celui des communautés de communes. Il doit être fondé sur un diagnostic local partagé socio-économique et foncier. Un contrat qui doit être soutenu par l’Etat dans le cadre de sa politique respective et activement partagée par les autorités coutumières

111.3.2.3. Renforcer la légitimité économique

La légitimité économique est peut-être la plus évidente. Les terres locales sont le siège d’une activité économique, ce qui la différencie du patrimoine privé. Elle doit constituer le lieu d’une exploitation contractuelle et rémunératrice pour les catégories sociales habilitées à la gestion du terroir dans un contexte d’accès difficile au foncier (bâti en particulier) comme au financement des investissements.

111.3.2.4. Renforcer la légitimité sociale en développant les circuits locaux de marchandisation

Le développement des circuits locaux de marchandisation contribuera à la conquête d’une légitimité sociale accrue. Ils correspondent à des modes de consommation émergents, et au souhait du consommateur d’identifier l’origine des lots mis en vente non seulement par un label, mais aussi par la transaction commune (MCUA-autochtone). Ces circuits courts sont polyformes : développement de contrats directs entre acquéreurs et vendeurs au travers des associations, mais aussi des marchés locaux labellisés (marchés identifiés avec

264 des acquéreurs labellisés). Tout ceci suppose une mise en œuvre labellisée et contrôlée dans le processus de marchandisation la chaîne d’attribution des terrains du vendeur à l’acquéreur dont les prémices existent. Il ne s’agit pas de prôner une quelconque exclusivité des circuits courts, mais plutôt rechercher une sécurisation des lots et des usages qui correspondent tout autant à l’intérêt de l’acquéreur et du vendeur.

265 CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE

Diagnostic des résultats de recherche

En définitif, il résulte de l’exposition, de l’analyse, de la discussion de l’organisation socioéconomique du foncier et de la gestion des conflits que la marchandisation des terres bien qu’étant une activité récente des autochtones est surtout un fait social total dans les localités étudiées. Dans les villages, ce sont les aînés sociaux qui ont accès à la terre. Par ailleurs, l’organisation économique qui régit la marchandisation de terres dans les villages est aussi animée par la lutte intergénérationnelle tant au niveau de la communauté que de la famille. Au niveau du village, le partage des gains financiers post-marchandisation est régit par des manies opaques des aînés. Au niveau de la famille, le chef de la famille lui-même issue de la catégorie des aînés sociaux s’accapare les retombés économiques de la marchandisation au détriment des cadets sociaux et des autres acteurs de vente. La marchandisation imparfaite des terres incite des conflits entre vendeur et acheteur de terre coutumière. L’intervention des instances coutumières vise à préserver la notoriété du groupe social à travers un règlement à l’amiable des conflits. Pourtant, l’effort de ces instances de médiation local connaît des limites d’où la contrainte pour les protagonistes de solliciter l’intervention des instances administratives de médiation. Toutefois, le coût et les contraintes de leur concours dans la médiation des différends fonciers handicapent la volonté des acheteurs (victime d’une marchandisation imparfaite) à faire valoir ce que de droit. Par ailleurs, dans le but de répondre aux questions qui nuisent le système foncier des localités la participation des villageois aux efforts de solutions a été avalisée dans ce travail.

266 CONCLUSION GÉNÉRALE

Conceptualisation de l’approche socio-anthropologique de la gestion du foncier chez les Tchaman

Principaux résultats de la thèse Le parti-pris de cette thèse est de considérer que l’urbanisation des périphéries de la ville d’Abidjan et la gestion du foncier coutumier dans les villages Ebrié se côtoient mutuellement. Ce qui implique de considérer la mutation des procédures socio-économiques, non pas comme un fait social isolé, qui se manifeste sans raison apparente, mais comme une « évolution causale » tributaire de la transformation de l’espace autrefois autochtone en espace pleinement urbanisé, c'est-à-dire par un ensemble de processus sociaux déclenchés par la reconfiguration des terres coutumières, par des investissements de capitaux de plus en plus considérables dans le foncier périurbain, par la saturation urbaine, par la sclérose du système foncier Tchaman et se traduisant, au niveau micro social, par des phénomènes tels que la construction de niches sociales (aînés et cadets sociaux) et la concurrence de statut, qui renvoient, eux, aux structures micro sociales (domination, pouvoir symbolique) et micro-économiques (individualisation des centres d’intérêt, profitabilité, mercantilisme). Ce travail se fonde sur trois mouvements : le premier concerne les questions théoriques, méthodologiques et la présentation du champ d’enquête ; le second concerne l’approfondissement historique des problématiques sociales, politiques, économiques et de la gestion du foncier ; le troisième expose les résultats de recherche, de la discussion et des perspectives. La rubrique des questions théoriques est abordée dans le chapitre premier (01) de la première partie. Nous soulignons la problématique à travers les questions de recherche, la thèse, les hypothèses, les objectifs de recherche. Nous achevons notre réflexion sur la définition des concepts opératoires et la revue de la littérature. Nous retenons que notre cadre théorique suit une introduction. Il vise quatre éléments : i) des objectifs qui cadrent avec des hypothèses de recherche ; ii) une définition des concepts utilisés dans la recherche ; iii) une recension des écrits qui apportent des réponses ou des éléments de réponses à la question de recherche ; iv) une synthèse de ces réponses qui permet d’en voir les limites. Ce cadre théorique permet en effet de préciser le sens donné aux concepts manipulés. Il a pour vocation d’assurer une lisibilité du texte tout en permettant une articulation entre les différentes parties, de manière à faire du travail un ensemble cohérent, permettant ainsi une interprétation pertinente des données recueillies. Ensuite, le deuxième chapitre de la première partie porte sur les questions méthodologiques. Nous présentons la méthodologie de recherche en se référant aux lieux et critères de choix, à l’échantillonnage, à la nature de la recherche des données, aux moyens matériels mis enjeu, aux outils de collecte de données, à la période d’enquête et à l’analyse des données. Nous pouvons retenir à ce niveau que le degré de fiabilité des informations était un peu réduit, il a quand même fallu s’en contenter. Il est important de rappeller qu’il n’y avait pas de statistiques officielles sur le recensement général de la population (RGPH de l’INS), ni de listes d’une typologie des conflits fonciers liée à la marchandisation, ni de registres où ces derniers auraient été consignés. Il a donc fallu faire le recensement de la population. Nous avons actualisé les données que possédaient les différentes chefferies à ce sujet. Nous avons construit une typologie des litiges occasionné par la vente des terres à partir d’un traitement des données par le logiciel Nvivo. Il faut aussi souligner que l’objet du travail se fonde sur les pratiques foncières historiques et actuelles des autochtones, c’est une approche ethnographique. La rubrique portant sur la présentation du champ d’enquête est mis en exergue dans le chapitre trois (03) de la première partie. Elle porte sur les données physiques et humaines. En ce sens, elle présente le district d’Abidjan, l’origine et la localisation des villages étudiés, la structure et les équipements sociaux communautaires, les activités des populations. Nous comprenons qu’Abidjan est la capitale économique de l’Etat de Côte d’ivoire. Aussi, terroir des Tchaman ou Ebrié d’Abidjan, elle a connu une mutation foncière accentuée durant ces deux dernières décennies. L’urbanisation s’est accrue en menaçant les terres coutumières situées à la périphérie des grands centres urbains.

268 Dans le second mouvement de ce travail, nous évoquons la problématique de l’approfondissement historique ou diachronique de la question en trois (03) chapitres. Ainsi, dans le premier chapitre, la question de l’organisation sociale, politique et foncière est abordée en ces termes. Au niveau social, il s’agit des classes d’âge et des sous-classes d’âge. Au niveau politique, il est question du système cyclique du pouvoir chez les Tchaman qui repose sur la personnalité du doyen d’âge {Nana). Au niveau foncier, le mode de gestion du pouvoir foncier et l’organisation foncière sont mises en exergue. Nous retenons dans ce chapitre que l’organisation sociale et politique des Tchaman est étroitement liée au foncier. Depuis, l’incursion qui les a conduit à fouler le territoire de l’actuelle Côte d’ivoire, il n’avait que pour leitmotiv de vivre sur les terres qui leur appartiendraient et sur lesquelles ils pourront faire régner leur propre ordre social. Ce vœu s’est réalisé lorsqu’ils se sont implantés sur les rives du bassin littoral de lagune Ebrié. A cet endroit où ils se sont installés et ont bâti leurs premiers villages s’est aussi érigé une cité prospère, l’actuelle capitale économique du pays. La conversion de ce territoire autrefois coutumier en espace pleinement urbanisé a fortement perturbé les fondements socio-économiques et culturels de la société Tchaman. La problématique des mutations foncières dans les localités est évoquée dans le deuxième chapitre. Les aspects socio-économiques du foncier local et le rapport entre les stratégies de gestion du foncier des autochtones et les mutations qu’à connue Abidjan sont respectivement abordés. Aussi, quelques réflexions sont menées sur les logiques des autochtones dans la réinvention du terroir. Le terroir autrefois sacré est devenu profane. La marchandisation du foncier a prévalu sur le don. Ainsi, la mutation d’Abidjan va également affecter les pratiques foncières des autochtones. Avec l’urbanisation et l’accentuation des déterminants économiques, urbains et démographiques du pays, les localités sont contraintes d’abandonner leurs activités d’origine (pêche et agriculture) pour la marchandisation des terres. . Toute l’organisation socio-économique et politique y est consacrée. La problématique de l’actualisation du foncier coutumier est notifiée dans le chapitre trois (03). Elle révèle les règlements du foncier local, les compromis fonciers, les dispositions d’attribution des terrains coutumiers, la

269 répartition des terres locales, les acteurs de la marchandisation du foncier, les stratégies des démarcheurs le processus de marchandisation des terrains et la marchandisation imparfaite des terres. Notons de ce chapitre que les transactions foncières s’inscrivent désormais dans la logique des populations villageoises à trouver une solution aux problèmes de revenu familial depuis la transformation de l’économie traditionnelle. Cette situation ne fait qu’exacerber la marchandisation imparfaite des terres qui profitent en premier lieu aux aînés sociaux et attise les critiques des cadets sociaux. Notre première hypothèse ainsi justifiée (les ainés sociaux sont critiqués par les cadets parce que les modes de gestion ne les conviennent pas). Elle précède les deux autres du fait qu’elle en fonde l’existence. Par ailleurs, jusqu’à une période récente, la terre était encore perçue comme un bien matériel d’où était exclu tout intérêt économique. Actuellement, elle est devenue un enjeu socio-économique de premier ordre. Dans le troisième mouvement nous divulguons les résultats de la recherche, la discussion des points clés de ces résultats et une des mises en perspective. La problématique de l’animation du marché foncier dans les localités est dévoilée à travers la marchandisation par les instances de gestion, l’organisation du contrat de vente, la marchandisation imparfaite par les acteurs principaux du système foncier coutumier et la position sociale et stratégique des acteurs. Ce mouvement rend étroitement compte de nos deux autres hypothèses d’étude : la deuxième hypothèse (02) (cette contestation engendre de nouvelles stratégies de marchandisation et conduit à l’application individualisée d’échanges économiques autour du foncier périurbain). La troisième hypothèse (03) (Dans le large public Ivoirien la marchandisation imparfaite et excessive devient une caractéristique majeure du groupe ethnique autochtone qui la pratique). En effet, il ressort de ce chapitre, l’effort des aînés sociaux de se maintenir au-dessus du système foncier et l’impatience des cadets sociaux d’y accéder. Toutefois, la principale source de motivation des classes d’âges gouvernant et subalternes est l’argent. Cette réalité se laisse entrevoir dans les droits d’accès aux terres. Dans les villages, ce sont les aînés sociaux qui ont accès à la terre. Ainsi, ils exercent une emprise sur les terres dans les villages. Cette radicalisation du droit d’accès

270 aux fonciers communautaires et familiaux par les aînés sociaux incite les cadets sociaux à la volonté de s’arroger le pouvoir foncier. Aussi, le manque d’implication réel des cadets sociaux dans le processus de marchandisation alimente le sentiment de méfiance et de défiance des cadets sociaux envers les aînés sociaux. Cette situation qui justifie la transgression de l’autorité des aînés sociaux par les cadets sociaux explique bien la crise du lien social dans les communautés étudiées La problématique de la typologie, de la cause et du mode gestion des conflits est abordée en soulignant la typologie des conflits, les causes des conflits, les acteurs et le choix des instances de médiation et les résultats obtenus. De cette rubrique, nous pouvons retenir qu’un contentieux foncier qui s’ouvre entre un vendeur autochtone et un acheteur étranger, plusieurs voies de médiation sont envisageables notamment les instances coutumières et les instances administratives de médiation. L’intervention des instances coutumières vise à préserver la notoriété du groupe social à travers un règlement à l’amiable des conflits. Pourtant, l’effort de ces instances de médiation locales connaît des limites d’où la contrainte pour les protagonistes de solliciter l’intervention des instances administratives de médiation. Celles-ci par leur intervention donnent une solution déterminante dans les litiges fonciers. Néanmoins, le coût et les contraintes de leur concours dans la médiation des différends fonciers handicapent la volonté des acheteurs (victime d’une marchandisation imparfaite) à faire valoir ce que de droit. Dans le troisième chapitre de la dernière partie du travail, nous discutons des données socio-économiques et de la mise en perspective des résultats. De prime abord, nous nous consacrons à l’analyse et à la discussion des attributions socioculturelles des acteurs de vente et à l’organisation économique du foncier. Aussi, nous abordons la mise en perspective à partir de deux questions fondamentales : Pourquoi préserver le foncier périurbain ? Et comment préserver le foncier coutumier ? Nous pouvons soutenir dans cette partie que l’analyse de la discussion de l’organisation socioéconomique du foncier et de la gestion des conflits que la marchandisation souvent imparfaite des terres bien qu’étant une activité récente des autochtones est surtout un fait social total dans les localités

271 étudiées. De surcroît, l’organisation économique qui régit la marchandisation de terres dans les villages est aussi animée par la lutte inter-générationnelle tant au niveau de la communauté que de la famille. Au niveau du village, le partage des gains financiers post-marchandisation est régi par des manœuvres opaques des aînés. A cet effet, les cadets jugés immatures sont exclus des modes de répartition des revenus. Néanmoins, ils peuvent compter sur des subventions strictement destinées à l’animation de la vie sociale. Cette attention ciblée des aînés exacerbe le complexe d’infériorité des cadets qui ne veulent que s’accaparer la gestion des terres locales pour en tirer aussi profit. Au niveau de la famille, le chef de la famille lui-même issu de la catégorie des aînés sociaux s’accapare les retombés économiques de la marchandisation au détriment des cadets sociaux et des autres acteurs de vente. Ce gel des avoirs par le chef de famille occasionne tantôt la marchandisation imparfaite des lots de la famille, tantôt, c’est la vie de ce dernier qui est menacée. Cette situation qui justifie la transgression de l’autorité des aînés sociaux par les cadets sociaux explique bien la crise du lien social dans les communautés étudiées. La marchandisation imparfaite des terres incite des conflits entre vendeur et acheteur de terre coutumière. Pour un contentieux foncier qui s’ouvre entre un vendeur autochtone et un acheteur étranger plusieurs voies de médiation sont envisageables notamment les instances coutumières et les instances administratives de médiation. L’intervention des instances coutumières vise à préserver la notoriété du groupe social à travers un règlement à l’amiable des conflits. Pourtant, l’effort de ces instances de médiation local connaît des limites d’où la contrainte pour les protagonistes de solliciter l’intervention des instances administratives de médiation. Celles-ci par leur intervention donnent une solution déterminante dans les litiges fonciers. Toutefois, le coût et les contraintes de leur concours dans la médiation des différends fonciers handicapent la volonté des acheteurs (victime d’une marchandisation imparfaite) à faire valoir ce que de droit. Par ailleurs, une démarche participative a permis de consigner l’avis des villageois sur les différentes interrogations soulevées par l’étude. Ce procédé se justifie dans la mise en perspective des résultats.

272 Réponse aux objectifs de départ Au moment de conclure, nous espérons, à travers cette étude de cas empirique que nous avons menée dans les localités d’Abobo Baoulé, d’Abobo Doumé, d’Anono, d’Anon, d’Anonkoua Kouté, d’Anoumanbo, d’Akéikoi, d’Attécoubé, de Béago, d’Adjamé-Bingerville, de Djrogobité et de Locodjro a contribué à l’éclairage de différents points jusque-là obscures. Par conséquent, nous revisitons les objectifs que nous nous sommes fixés au départ de notre travail de recherche, à savoir un objectif principal et trois objectifs spécifiques. Rappelons que l’objectif principal est centré sur l’analyse et l’explication des facteurs explicatifs de la marchandisation imparfaite. Les trois objectifs secondaires portent respectivement sur 1) la description du système des classes d’âge Ebrié et les modes de gestion du foncier des classes d’âge gouvernantes et les logiques subséquentes de marchandisation 2) L’analyse et l’explication des logiques qui sous tendent la marchandisation imparfaite continuelle malgré les contestations internes et externes 3) Suggérer quelques perspectives de solution à la marchandisation des terres. Rappelons aussi que ces trois objectifs secondaires sont évidemment interdépendants dans la mesure où les deux derniers objectifs spécifiques sont tributaires de la première. Ainsi, le troisième objectif secondaire est lié au second. Déjà, dans la deuxième partie de l’étude les raisons urbaines, sociales et économiques qui fondent la déliquescence des rapports entre cadets et ainés sont établies. Ces arguments sont primordiaux à l’émergence des autres facteurs explicatifs de la marchandisation imparfaite des terres dans la gestion foncière chez les Tchaman. Donc, la deuxième partie de notre travail valide notre premier objectif secondaire. Par ce procédé, nous permettons une meilleure compréhension de notre deuxième objectif secondaire. Ainsi, la description des mécanismes d’appropriation des normes coutumières dans la marchandisation de terrains par les aînés sociaux dans les localités étudiées est abordée dans la troisième partie de l’étude. Spécifiquement, c’est le premier chapitre qui en fait la mention à travers la thématique animation du marché foncier dans les localités. Cette partie, rend bien compte de notre deuxième objectif secondaire. Elle expose les mécanismes de marchandisation, le rôle et la position des aînés et cadets

273 1 sociaux à travers les récits des acteurs. Le deuxième chapitre de la troisième partie porte sur la typologie, causes et mode de gestion des conflits, l’identification les logiques des aînés et cadets sociaux dans les nouvelles stratégies de vente des terrains villageois et la typologie des différents conflits observés. Cette partie est aussi le point d’ancrage de notre troisième objectif secondaire de recherche. Nous confirmons que les trois objectifs secondaires rendent compte de l’objectif principal.

Leçons et limites de l’étude Au terme de cette recherche, nous pouvons retenir que l’approche socio- anthropologique de la gestion des terres coutumières dans la ville d’Abidjan permet d’une part de cerner les rapports qui lient les aînés et les cadets sociaux dans le système foncier local. D’autre part, elles nous disposent à comprendre les mécanismes de marchandisation du foncier villageois, En d’autres termes, la valeur vénale de la terre est la raison fondamentale de la marchandisation imparfaite des terres source de dissensions communautaires et extracommunautaires. Les autochtones prennent conscience des opportunités économiques que leur offre leur terroir. Ceux-ci sont donc engagés à jouir de leur situation géographique dans la ville d’Abidjan pour tirer un profit considérable de leurs terres. Cette logique mercantile motive les tensions sociales dans les villages étudiés et compromet l’acquisition des terrains coutumiers. C’est ce qui explique aussi la prolifération des pratiques opportunistes qui développent la marchandisation imparfaite des terres dans les localités. En outre, les logiques d’acteurs dans ce champ sont diverses : logiques économiques, politiques, sociales. La logique politique s’explique entre autres par le fait que le droit d’accès à la terre communautaire est lié à la prise du pouvoir selon le mode de gestion actuel des autorités coutumières dans les villages. Alors, les cadets sociaux n’aspirent qu’à s’arroger le pouvoir politique jusque-là aux mains des aînés sociaux pour aussi profiter du système. La logique économique se déploie par le fait que la marchandisation du foncier offre des moyens financiers aux aînés sociaux en ce sens qu’elle permet d’améliorer leurs conditions de vie dans les localités étudiées. Cette position sociale des aînés, motive l’impatience des cadets

274 à s’arroger le pouvoir des aînés. Le contrôle des terres est donc perçu comme un moyen d’ascension sociale par les cadets sociaux. La logique sociale se traduit par la lutte des cadets sociaux pour le changement des coutumes liées au foncier en les substituants par les pratiques de marchandisation. D’abord, cela s’explique par l’entorse posée au mandat des aînés, par les actions révolutionnaires des cadets. Même, dans la famille le pouvoir du chef de famille jusque-là stable est de plus en plus perturbé par l’obstination des cadets sociaux à vouloir la contourner à tout prix. Les contestations des cadets sociaux en faveur du changement social traduit inéluctablement la démocratisation du pouvoir politique dans nos sociétés traditionnelles en Afrique. En outre, la marchandisation imparfaite est devenue un mode alternatif de reconquête de la fertilité du foncier coutumier aspiré par l’urbanisation. Elle ainsi un moyen de rétribution de l’aspiration de l’espace coutumier par l’espace moderne. Elle représente aussi un pont de ralliement des droits d’usages traditionnels et modernes de la terre. Elle est également le produit des stratégies des classes d’âge qui s’inscrivent dans ces différentes logiques. L’enchevêtrement de leurs intérêts, confère à l’espace coutumier une complexité qui expose les acquéreurs de terrains à une marchandisation imparfaite continuelle. Cette situation a considérablement ternie la notoriété des Tchaman de sorte que dans la conscience collective des Abidjanais toute évocation de la marchandisation imparfaite est l’apanage des autochtones. Il faut retenir de cette recherche que la gestion du foncier dans les localités périurbaines de la ville d’Abidjan est désormais une voie d’harmonisation des diverses politiques foncières à une volonté commune. La terre est un bien commun à tous. En ce sens, elle doit être transmise comme tel aux générations successives. Toutefois, la régulation du terroir ne doit pas être que l’écho de l’animation du jeu politique des nouvelles démocraties africaines. Une arène sociale dans laquelle s’oppose continuellement les aînés et cadets sociaux, une sorte de reflet du jeu politique de nos États africains. Là où la jeune génération intellectuelle éprise de valeurs démocratiques sous fond occidental s’insurge contre la gestion souvent dictatoriale du pouvoir politique des aînés. Le « printemps arabe », les nombreux

275 vents de contestations et d’indignations à l’échelle continentale voire mondiale témoignent de cette extrapolation et justifie l’intérêt de notre étude.

Enfin, pour achever cette conclusion, les résultats mis en évidence par la recherche peuvent ne pas être exhaustifs, nous le reconnaissons, il nous faut évidemment souligner les limites de notre travail. Limites que nous considérons, positivement, comme des perspectives de réflexion pour une amélioration de l’approche socio-anthropologique de la gestion du foncier chez les Ebrié. La première limite concerne le niveau d’analyse auquel nous cantonne cette approche en termes de discipline de connaissance, c'est-à-dire une étude socio- anthropologique, qui se propose sans aucun doute comme une démarche originale à la croisée interdisciplinaire. Certes, dans cette étude, elle s’inscrit dans les débats actuels de la gestion du foncier coutumier dans le contexte périurbain d’Abidjan. Les résultats et perspectives qu’elle propose permettent de mieux saisir la régulation du terroir dans ses continuités et ses mutations. Mais une approche socio-anthropologique, est aussi une vision mitigée du fait social qui peut donner libre cours à des interprétations subjectives dans l’étude. Le recours à l’ethnographie conforte cette observation. Dans la mesure où celle-ci est basée sur une étude descriptive et explicative des pratiques foncières du groupe social Tchaman. La deuxième limite concerne l’analyse de la gestion du foncier chez les Ebrié sous l’angle social et économique. Nous pouvons remarquer que les Tchaman constituent avant tout une unité socio-culturelle. Donc, cet aspect davantage exposé dans les différentes facettes de l’étude serait d’une richesse capitale. La troisième limite porte sur l’aspect univoque de l’urbanisation des périphéries de la ville d’Abidjan. Dans cette étude, l’accent est essentiellement mis sur la gestion du foncier tandis que l’étude les nouvelles politiques cadastrales de l’Etat au sujet des terres périurbaines serait fort intéressante.

276 BIBLIOGRAPHIE

LOUVRAGE GÉNÉRAUX

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IV. THÈSES-MÉMOIRES

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Botti-bi, T.C. (2008). Logique et Stratégies d’intégration des villages ébrié à la métropole d’Abidjan : L’étude du cas des villages de la commune de Cocody. Aménagement Urbain et Régional, Institution de géographie tropicale, mémoire de maîtrise, pl 83. Mel Mélèdge, R. (1994). “EMORK“, Système de gestion des conflits chez les Odzukru (Côte d’ivoire), Thèse régime unique, EHESS, Paris, p330.

V. DICTIONNAIRE

Dictionnaire Larousse. (2008). Super Major, Paris.

VI. ARTICLES DE JOURNAUX

Djésou Casimir. « Autochtones contre allogènes à Bingerville : Des équipements détruits ». in Fraternité-Matin du mercredi 03 mai 2005, p9.

282 Djésou Casimir. « Adjamé Habitat Mirador : Palabres autour d’un projet immobilier ». in Fraternité-Matin du jeudi 30 mars 2006, p7. Gneproust Marcelin. « Aboboté : le chef de village reçoit le soutient des Gnando ». in Fraternité-Matin du mercredi 03 mai 2006, p6. Koffi Kouamé. « Accès à la terre et aux ressources naturelles : source de conflits violents ». in Fraternité Matin du jeudi 30 Mars 2006, pp2-3. Kohon Landry. « Conflits fonciers : Géré, Malinké, Baoulé et Burkinabé font la paix ». in Fraternité-Matin du mercredi 28 mars 2006, p2.

I

283 Annexes

284 Annexe 1 : Schéma arborescent obtenu sous Nvivo pour la variable « marchandisation du foncier »

285 Annexe 2 ; Guide d’entretien AUX AUTORITES COUTUMIERES -Pouvez-vous faire l’historique de votre village ? -Quelle est l’activité économique principale des populations ? -Après le lotissement de la zone comment ont été repartis les différents lots ? -Etes- vous aussi bénéficiaire de lots ? -Comment gérez-vous les lots du village ? -Comment se font les ventes des lots ? -Avez-vous déjà vendu des lots ? -En cas de vente, comment procédez-vous au partage du gain ? -Quels types de documents remettez-vous aux acheteurs de lots ? -Depuis le démarrage des actions de vente des lots, avez-vous été déjà confronté à des cas de litiges entre acquéreurs ou entre vendeurs-acquéreurs ?

GEOMETRE-EXPERT -Pouvez-vous nous définir ce qu’est une opération ou une action de lotissement ? -Au niveau des terrains villageois, qui formule la demande de lotissement ? -Comment sont fixés les prix des lots ? -Au terme de votre travail quels documents remettez-vous à vos clients ? -Ces documents sont-ils falsifiables ? -A qui remet-on ces documents ? -Quelles sont les raisons souvent évoquées dans les conflits ?

AGENTS DU MCUA -Quels sont les documents que vous remettez aux acquéreurs de terrains villageois ? -Quels documents vous exigez au préalable ? -Y a-t-il des cas conflictuels dans l’attribution que vous faites ?

286 -Quels sont vos moyens de résolution des contentieux ? -Ces moyens sont-ils efficaces ?

QUESTIONS RELATIVES A L’ORGANISATION DES VENTES DANS LA FAMILLE -Qui est le premier responsable du foncier dans la famille ? - Quelle est la méthode de sa désignation ? -Quels sont ses pouvoirs ? - Désigne-t-on un responsable chargé de la vente ou tous les membres de la famille se charge chacun à leur niveau de la vente des terrains ? -Les membres de la famille sont-ils tous conviés à la vente d’un terrain ? -En dehors des membres de la famille, des personnes en dehors d’elle peuvent- elles intervenir dans les ventes ? - Sollicitez-vous quelques fois l’aide des agences immobilières ? -Concrètement, expliquez nous comment procédez-vous pour trouvez des acquéreurs ? -Quels sont les prix des terrains et qui les fixe ? -Comment se fait l’achat d’un terrain : comptant ou par tranches ?

REMUNERATION ET PERCEPTION DES ACTEURS -Comment se fait la répartition des revenus au niveau du village /de la famille ? -Que pensent les acteurs de leur part respective ? -Constate-t-on quelques fois des cas d’insatisfaction ? - Selon vous quels sont les avantageux et les délaissés de ce partage ?

QUESTIONS RELATIVES AUX CONFLITS -Quels sont les types de conflits auxquels vous êtes régulièrement confrontés ? -Pouvez-vous raconter les cas de conflits auxquels vous avez été confrontés ?

287 QUESTIONS RELATIVES AUX MODES DE REGLENENT DES CONFLITS -En cas de conflit, à quelles autorités arbitrales recourt-on ? -Quel est le lieu choisi pour les règlements du conflit ? -Tous les conflits se règlent-ils au village ? -Quelles sont les personnes présentes lors de ces procéssus de médiation ? -Fait-on toujours appel aux mêmes acteurs pour tous les conflits ? -A quels résultats ou solutions aboutit-on en général lors de ces médiations ? -Les résultats ainsi obtenus satisfont-ils toujours les différents protagonistes ? QUESTIONS RELATIVES AUX NORMES FONCIÈRES -Existe-t-il des règles qui régissent la gestion du foncier ? -Les règles établies sont-elles respectées ? -Quelles sont les infractions commises envers ces règles ? -Quels sont les acteurs impliqués Quels sont les moyens de répression à l’égard des contrevenants ? -Ces moyens sont-ils efficaces ?

QUESTIONS RELATIVES À LA MARCHANDISATION IMPARFAITE -Quelles sont les méthodes de vente illicite de terrains -Pouvez-vous m’expliquer cette pratique ? -Quels sont les types de ventes illicites que vous connaissez ? -Quels sont les acteurs impliqués ? -Quels sont les différends qu’on peut observer ? -En cas de conflit, quelles sont instances médiations sollicités ?

288 Annexe 3 : L’attestation d’attribution villageoise

VILLAGE DE DJOROGOBITE 1 REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE Union — Discipline — Travail COMMUNE DE COCODY

ATTESTATION D’ATTRIBUTION DE JLOT

Le Comité de Gestion du village de DJOROGOBITE 1 , atteste que le lot N°2620 ILOT 255 situé dans T extension du village est attribué à ;

Mme/ M ;

Profession...... Boite postale : .... O.Lf...... Q zS... .A.&.

En foi de quoi, la présenté attestation lui est délivrée pour ser\'ir et valoir ce que de droit /

NB : L’Attributaire devra s’acquitter des frais de bornage s’élevant à la somme ; Cent cinquante mille francs CF'A à verser au Comité de Gestion du village.

Fait à DJOROGOBITE, le 20 Novembre 2005

Le chef d» village

MrADJA ACHI ALFRED

289 Annexe 4 : Un exemplaire de la lettre d’attribution délivré par le MCUA

e/f

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; .- ia. cj^fitUrue/imi

S et elo u-r^a^ü/ne

Attribution du lot 05 à Str. ISSIAKA KOUYATE Ilot 01 de Yopougon NIANGON SUD BP 10 ABIDJAN 24 DE L'OPERAION IMMOBIIIERE ' ABIDJAN 24 LIEVRE ROUGE

Monsieur, J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'il est attribué sur la base de 150 F Le mètre carre, le lot N’ 05 ilôt 01 sis à Yopougon NIANGON .SUD QUARTIER LIEVRE ROUGE. Je vous signale cependant que seul l'arrêté de concession provisoire vous donnera le droit d'occuper durablement le terrain.je vous invite donc à en déposer la demande auprès de la Direction du Domaine Urbain dans un délai de quatre (4) mois à compter de ce jour.

Dans l'hypothèse ou vous n'auriez pas accompli cette formalité dans le delai fixé, je me verrai contraint de vous retirer le bénéfice de la présente attribution.

Toutefois, je vous rappelle qu'aucune construction ne peut se faire sans Permis de Construire qu'il faut solliciter auprès de la Construction et 1'Urbanisme. Veuillez agréer, monsieur l'expression de ma considération distinguée

290 Table de matières

Sommaire i Résumé iii Mots clés iii

Abstract IV Keywords iv

Remerciements V Sigles et abréviations vi Avant-propos...... vil INTRODUCTION GÉNÉRALE : Contexte de l’étude et plan de restitution de la thèse 1 1. Contexte de l’étude : rapport entre les politiques foncières étatiques et coutumières 2. Plan de restitution de la thèse 6 PREMIÈRE PARTIE : QUESTIONS THÉORIQUES, MÉTHODOLOGIQUES ET LA PRÉSENTATION DU CHAMP D’ENQUÊTE...... 9 INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE : Cadre théorique méthodologique et champ d’étude ...... 10 CHAPITRE PREMIER : Questions théoriques 11 I. Problématique 11 1.1 .Objet de la recherche 12 1.2. L’analyse de la situation 12 1.2.1. Constats de recherche 12 1.3. Questions de l’étude 17 1.3.1. Questions spécifiques 17 1.3.2. Questions de recherche 18 1.4. Thèse et hypothèses 19

291 1.5. Variables catégorielles 19 1.5.1 Variables indépendantes 20 1.5.1.1. Gestion du foncier coutumier 20 1.5.2. Les variables dépendantes 21 1.5.2.1. Normes de gestion foncière 21 1.5.2.2. Marchandisation imparfaite 22 1.6. Objectifs de recherche 23 1.6.1. Objectif principal 23 1.6.2. Objectifs spécifiques 24 1.7. Revue de la littérature 24 1.8. Définition des concepts opératoires 29 1.9. Cadre théorique d’analyse...... 31 CHAPITRE DEUXIÈME : Questions méthodologiques 37 1.2. Méthodologie de la recherche 37 1.2.1. Nature de la collecte de données 37 1.2.2. Lieux et critères de choix 38 1.2.3. L’échantillonnage 40 1.2.3.1. Techniques d’échantillonnage 40 1.2.4. Moyens matériels mise enjeu 52 1.2.5. Outils de collecte des données 52 1.2.5.1. Le guide d’entretien semi-directif 52 1.2.5.2. L’observation directe 53 1.2.5.3. L’entretien complémentaire 53 1.2.5.4 « Le focusedgroup » 54 1.2.5.5. Les diagnostics participatifs 55 1.2.5.6. Les autobiographies 56 1.2. 6. Période d’enquête 57 1.2.7. Analyse des données 58

292 1.2.7.1. Technique de dépouillement et analyse des données 58 1.2.7.2. Limites des options méthodologiques et difficultés...... 58 CHAPITRE TROISIÈME : DONNÉES PHYSIQUES ET HUMAINES...... 60 1.3.1. Le district d’Abidjan 60 1.3.2 Origine et localisation des villages étudiés 63 1.3.3. Structures et équipements sociocommunautaires 72 1.3.4. Les activités des populations...... 80 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE : Notes sur les questions théoriques, méthodologiques et champ d’enquête...... 82 DEUXIÈME PARTIE : APPROFONDISSEMENT HISTORIQUE DES PROBLEMATIQUES SOCIALES, POLITIQUES, ECONOMIQUES ET LA GESTION COUTUMIÈRE DU FONCIER...... 83 INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE ; Esquisse du contexte socio- économique, politique, historique du foncier Ebrié...... 85 CHAPITRE PREMIER : Origines sociopolitiques culturelles et économiques de la régulation foncière chez les Ebrié 86 II.l. Organisation sociale 86 ll.l .1. La classe d’âge 86 11.1.2. Les sous-classes d’âge 88 11.1.3. Organisation politique 89 11.1.4. Le mode de gestion du pouvoir foncier 91 11.1.5. Les classes d’âge et la division du travail politique entre promotions. 93 11.1.6. Organisation foncière 94 11.1.7.Les mutations de la gestion du foncier 94 11.1.7.1. La transformation du foncier coutumier dans les localités 94 11.1.7.2. Les aspects sociaux du foncier local 97 11.1.7.3. Les aspects économiques du foncier local 98

293 11.1.7.4. Rapport entre stratégies de gestion du foncier des autochtones et les mutations qu’a connues Abidjan...... 100 11.1.7.4.1. L’époque de l’immuabilité des attributs du foncier (XVIIe au XIXe siècle)...... 100 IL 1.7.4,1.1. La tene est le socle de la vie spirituelle 100 IL 1.7.4.1.2. La terre est le fondement de la vie socio-économique 101 IL 1.7.4.1.3. La terre est le socle de la vie politique 11.1.7.4.2. L’époque de la relativité entre normes coutumières et modernes du foncier (XIX siècle à 1960) 103

IL 1.7.4.2.1. L’époque de la marchandisation du foncier 104 11.1.7.4.2.2. L’intellectualisation de l’élite villageoise 104 IL 1.7.4.2.3. La crise économique de 1980 106 11.1.7.4.2.4. La saturation urbaine 107 11.1.7.4.3. Quelques réflexions sur les logiques des autochtones dans la réinvention du terroir...... 108 II.l .7.4.3.1. L’époque de l’immuabilité des attributs socioculturels du foncier...... 108 11.1.7.4.3.2. L’époque de la relativité entre normes coutumières et modernes IL. 1.7.4.3.4. L’époque de la marchandisation du foncier 109 CHAPITRE DEUXIEME : STRATEGIES LOCALES DE GESTION DU FONCIER...... 11.2.1. Les règlements du foncier local...... 11.2.2. Les compromis fonciers 112 11.2.3 Les dispositions d’attribution du foncier local 11.2.4. La répartition du foncier local 11.2.4.1. Le foncier communautaire 11.2.4.2. Le foncier familial 114 11.2.5. Le lotissement des terrains 114 11.2.5.1. La remise de l’ouvrage 11.2.5.2. Le plan projet 115

294 IL2.5.3. Le plan guide 115 IL2.5.4. L’attestation d’attribution 116 11.2.6. Organisation de la marchandisation des terrains II.2.6.1. Acteurs de la marchandisation 118 11.2.6.1.1. Le chef de famille 118 II.2.61.2. Le responsable de familial des ventes 118 11.2.6.1.3 Les démarcheurs 119 II.2.6.1.4. Le chef de village 119 II.2.6.2. Stratégies de cooptation des demandeurs 119 11.2.6.2.1 Les affiches 11.2.6.2.2. La presse 120 11.2.6.2.3. Les agences immobilières 120 II.2.6.2.4 Les réseaux de relations 120 II.2.6.3. Le processus de marchandisation des terrains 120 11.2.6.3.1 Vente directe avec le responsable familial 120 II.2.6.3.2 Vente par le biais des démarcheurs 121 11.2.6.3.3. Achat direct avec le chef de famille II.2.6.3.4 Convention foncière : vente, modalité de paiement et document remis...... 122 II.2.6.3.4.1 La convention foncière 122 II.2.6.3.4.2 La vente 124 11.2.6.3.4.3. Le prix de vente 124 II.2.6.3.4.4. Modalités de paiement 127 II.2.6.3.4.5. Documents remis 127 11.2.6.3.4.6. Mode de répartition des ressources 128 11.2.6.3.4.6.1. Au niveau du chef de famille 128 11.2.6.3.4.6.2. Le responsable familial de vente 128 11.2.6.3.4.6.3. Les membres de la famille 128

295 11.2,6.3.4.6.4. Au niveau du chef de village 129 II.2.6.3.4.6.5. Au niveau du démarcheur 129 II.2.6.3.4.7. Le marché imparfait des terres locales 129 II.2.6.3.4.7.1. Les origines 130 11.2.6.3.4.7.2 Des causes 132 11.2.6.3.4.7.3. Les acteurs concernés 133 II.2.6.3.4.7.3.1. De la responsabilité des classes d’âge au pouvoir. 133 11.2.6.3.4.7.3.2. De la responsabilité du chef de famille 134 11.2.6.3.4.7.3.3. De la responsabilité des villageois 134 CHAPITRE TROISIÈME : CONFLITS FONCIERS : ORIGINES, TYPOLOGIE ET MODES (LOCAUX) DE GESTION 135 11.3.1. Les origines des conflits 135 11.3.1.1 Les facteurs économiques 135 11.3.1.1.1 Les bouleversements économiques survenus dans les villages 135 11.3.1.1.2 L’évocation de droit de propriété et contestation des limites Foncières...... 11.3.1.1.3 La perception de la marchandisation comme génératrice de revenus...... 140 11.3.1.1.3.1 Le mode de gestion des revenus 140 11.3.1.1.3.2 La confiscation des revenus par les chefs de famille et de sous rémunération par les acteurs directs des ventes 142 II.3.1.2 Les facteurs socioculturels 144 11.3.2. Typologie des conflits 145 II.3.2.1. Les conflits personnels 145 11.3.2.1.1. Conflits entre acquéreurs 145 II.3.2.1.1.1. Les dépassements des limites fixées par les bornes 145 11.3.2.2.1.2. La destruction des travaux effectués 147 11.3.2.1.3. Les conflits entre vendeurs et acheteurs 149 151 I 11.3.2.1.3.1. Les ventes clandestines

296 11.3.2.1.1.3.2. La non reconnaissance de la transaction foncière par le propriétaire terrien...... 153 11.3.2.2. Les conflits collectifs 155 11.3.2.2.1. Communauté villageoise-opérateur économique : opposition à l’activité prévue...... 158 11.3.2.2.2. Conflit interfamilial pour commerce ou débordement sur les limites foncières d’une autre famille 161 11.3.2.2.3. Classe d’âge -individu pour occupation non autorisée 164 11.3.2.3. Mode de recours et processus de gestion des conflits.. 167 II.3.2.3.1 Acteurs et choix des instances de médiation 167 II.3.2.3.2 Choix des instances de médiation 168 II.3.2.3.3 Insuffisance des instances de médiation II.3.2.3.3.1 Au niveau des instances coutumières 171 11.3.2.3.3.2 Au niveau des instances étatiques 171 II.3.2.3.3.2.1 La complexité de la procédure 172 11.3.2.3.3.2.2 Coût des frais de procédure 172 II.3.2.3.4. Les résultats obtenus 174 II.3.2.3.4.1. Au niveau des instances locales : Les règlements à l’amiable 174 II.3.2.3.4.2 Au niveau des instances étatiques 175 II.3.2.3.4.2.1. Les Autorités policières 175 11.3.2.3.4.2.2. Les tribunaux 176 11.3.2.2.2.3 L’administration 177 CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE : Vue de la situation historique et contemporaine du foncier...... 178 TROISIÈME PARTIE : RÉSULTATS DE LA RECHERHE, DISCUSSION ET PERSPECTIVES 179 INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE 181

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297 CHAPITRE PREMIER : ANIMATION DU MARCHÉ FONCIER DANS LES LOCALITÉS 182 III. 1. Marchandisation de terrains des instances régulières de gestion 182 III. 1.1 Organisation du contrat de vente 189 III. 1.2. Vente effectuée par la chefferie 190 III. 1.2.1. Vente effectuée par le comité local de gestion 192 III. 1.2.2 Vente effectuée par le chef de famille 194 III.1.2.3. Vente effectuée par les responsables familiaux de vente 196 III. 1.2.4 Vente effectuée par les autres membres de la famille 197 III. 1.3. La marchandisation imparfaite des terres 199 III. 1.3.1 Au niveau de la chefferie 200 III. 1.3.2 Au niveau des classes d’âge 201 III. 1.3.3 Au niveau du chef de famille 203 III. 1.3.4. Au niveau des membres de la famille 205 III. 1.4. Position sociale et stratégies des acteurs 207 111.1.4.1. Position sociale des acteurs 208 111.1.4.2. Capacités stratégiques : de l’identification et la manipulation des zones d’incertitudes...... 209 III. 1.4.2.1. La non-conformité des attestations villageoises 209 III. 1.4.2.2. Le faible contrôle des terrains cédés et des attestations villageoises lors des signatures...... 211 III. 1.4.2.3. Stratégie de mobilisation des ressources : du détournement des règles d’organisation et marchandisation par les acteurs...... 212 III. 1.4.2.3.1. Vente directe avec falsification de tous les documents 212 IL 1.4.2.3.2. Vente avec falsification de la signature du chef de famille 213 III. 1.4.2.3.3. Vente avec les signatures authentiques de chef de famille et de Village...... 214

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298 CHAPITRE DEUXIÈME : DISCUSSION DES DONNÉES SOCIO-ÉCONOMIQUES ET PERSPECTIVES215 III.2.1. Attributions socioculturelles des acteurs de vente 215 III.2.1.1. Le droit d’accès au foncier 215 III.2.1.2 Le pouvoir des aînés sociaux 219 III.2.1.3. La chefferie 222 III.2.1.4 Le chef de famille 225 III.2.1.5. Le responsable familial de vente 227 III.2.1.6. Conventions sociales du foncier 230 III.2.1.7. L’évocation des droits de propriété et contestation des limites foncières...... 232 III.2.1.8. Des bouleversements survenus dans les villages 235 III.2.2. De l’organisation économique du foncier 238 III.2.2.1 La marchandisation des terrains 238 111.2.2.2. Des facteurs économiques 239 111.2.2.3. La perception de la marchandisation comme sources de revenus .... 239 111.2.2.4. Du mode de gestion des revenus...... 242 111.2.2.5. La confiscation des revenus par les autorités coutumières et le sentiment de sous rémunération par les acteurs directs de vente....244 IIL2.2.6. De la gestion des conflits fonciers...... 247 III.2.2.6.1. Du choix des instances de médiation 247 III.2.2.6.2. Des limites des instances de médiation 250 III.2.2.7. Des résultats obtenus 253 IIL2.2.7.1. Au niveau des instances locales 253 III.2.2.7.2. Au niveau des instances étatiques...... 256 CHAPITRE TROISIÈME : MISE EN PERSPECTIVES 260 III.3.1. Pourquoi préserver le foncier périurbain ? 260 III.3.1.1. Le foncier coutumier préexistant à l’urbanisation 260

299 III.3.1.2. Une marchandisation des terrains coutumiers est une alternative à la gestion des risques 261 III.3.1.3. La dégradation du paysage urbain de la ville est tributaire de l’absence d’une politique foncière...... 261 III.3.1.4. La sécurisation foncière une nécessité pour le développement de l’entrepreneuriat...... 262 III.3.2. Comment préserver le foncier ? 263 III.3.2.1. Volonté collective appuyée sur l’usage d’outils règlementaires..... 263 III.3.2.2. Une politique collective 263 III.3.2.3. Renforcer la légitimité économique 264 III.3.2.4. Renforcer la légitimité sociale en développant les circuits locaux de marchandisation ...... 264 CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE : Diagnostique des résultats de Recherche...... 266 CONCLUSION GÉNÉRALE : Conceptualisation de la mutation des procédures socio-économiques dans la gestion du foncier chez les Tchaman...... 267 BIBLIOGRAPHIE 277 Annexe 284

1 Résumé

La gestion du foncier périurbain à Abidjan est un fait social complexe. D’abord, ôlle êSt liée Û LQ représentation socioculturelle et économique des autochtones Ebrié et Akye. Ensuite, elle est la

préoccupation de l’État dans sa politique de sécurisation foncière. Chez les Ebrié et Akye, nous constatons une niulaiion des pratiques foncières durant ces deux dernières décennies. Cette Situation llOlh dlllCnC Ù

formuler trois hypothèses. D’abord, leS aînés sociaux sont critiqués par les cadets sociau.x parce que les modes de gestion ne leur conviennent pas. Ensuite cette contestation engendre de nouvel les .QtmtégigÇ (10 marchandisation et conduisent à Tapplication individualisée d’écliailgeS économiques autour du foncier périurbain. Enfin, dans le large public Ivoirien, la marchandisation devient une caractéristique majeure du groupe ethnique des autochtones qui la pratiquent. Pour vérifier nos hypothèses, nous avons utilisé des méthodes comme la recherche qualitative et la démarclie ethnographique. Ces procédés nous ont permis de corroborer nos hypothèses de départ. De ce fait, pour comprendre l’approche socio-anthropologique de la t gestion du foncier chez les Ebrié, nous statuons sur le champ d’étude et l’organisation de la vente de terrains ; l’animation du marché foncier dans les localités, la position sociale et les stratégies des acteurs ; la typologie, les causes des conflits, le mode de recours et le processus de gestion. Nous analysons et discutons par ailleurs des données significatives qui fondent l’usage du foncier des autochtones en zone périurbaine Abidjanaise.

Mots-cics « Urbanisation des périphéries, ville d’Abidjan, approche socio-anthropologique, gestion, foncier coutumier. t

Abstract

The management of the outer-urban land tax in Abidjan is a social complex fact. At first, it is bound to the sociocultLiral and économie représentation of the autochthons Ebrié and Akye. Then, it is the concern of the State in its politics of land reassurance. To Ebrié and Akye, we notice a transfer of the land practices duriiig these last two décades. This situation brings us to formulate three hypothèses. At first, the social elder brothers are criticized by the social younger because the modes of management them do not suit. Then this contesting engenders new strategies of commodification and lead to the individualized application of économie exchanges around the outer-urban land tax Finally, in wide public native of the Ivory Coast, the commodification bccomes a major characteristic of the ethnie group of the autochthons which practises it. To verify our hypothèses, we used metliods as the joint research and the ethnographical approach. These processes allowed us to confirm our hypothèses of departure. Therefore, to include the socio-anthropological approach of the management of the land ta.x to Ebrié, we rule on the field of study and the organization of the t sale of grounds. The animation of the land market in localities, social position and strategies of the actors. The typology, the causes of the conflicts, the mode of recourse and the process of management. We analyze and discuss besides significant data which establish the custom of the land tax of the natives autochthons in Abidjan outlying suburbs.

4 Kevwortls

Urbanization of the périphéries, city of Abidjan, socio-anthropological approach, management, customary land.