2,00 € Première édition. No 12080 Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr

P’TIT LIBÉ : COMMENT S’OCCUPER

EN RESTANT CHEZ SOI cahier central

Avec les sapeurs- pompiers de Paris sur le pont pages 10-13 La détresse confinée des étudiants précaires page 16 Arnaud montebourg

Photo Bruno Amsellem «L’austérité se paye Arnaud Montebourg, mardi. aujourd’hui en morts dans nos hôpitaux» Pour l’ex-ministre, défenseur de la «démondialisation», la crise sanitaire du coronavirus met à jour la «conception stupidement budgétaire» de l’Etat qui prévaut en France. Interview, pages 2-6

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA. 2 u Événement économie Libération Mercredi 8 Avril 2020

malades pour contaminer marché mondial. Elle s’est re- indépendance minimale. en un mois tout un pays, il eût trouvée fort dépourvue quand L’heure du laisser-faire généra- éditorial fallu, préventivement, inter- la pandémie s’est déclarée. Et lisé est passée. Il faut une dire tout mouvement d’hom- on peut faire la même remar- ­planification, une volonté Par mes et de marchandises, ce qui que pour un certain nombre ­industrielle, voire certaines Laurent Joffrin est une vue de l’esprit. Donald d’industries stratégiques qui ­nationalisations, alliées à une Trump a fermé ses frontières ont déménagé à l’étranger au redistribution ferme : ce sont nord et sud et suspendu les fil des ans, ou bien pour l’ali- les outils classiques d’une gau- vols avec la Chine ; les Etats- mentation où la logique des che dont on dit les idées obso- Intervenir Unis sont aujourd’hui l’un des circuits courts doit se dévelop- lètes. Les crises bousculent les pays les plus touchés par le vi- per pour ménager le climat et idées reçues. L’idée que le La mondialisation, source rus. Autrement sérieuse est la préserver le peuplement des ­marché – certes efficace – est de tous les maux, et donc du question soulevée par cette campagnes. Fermer les frontiè- le principal régulateur de la ­coronavirus ? C’est beaucoup constatation accablante : pour res, interrompre les échanges, ­société, a fait son temps. Avec charger la mule. Les pandé- son approvisionnement en jeter bas l’Europe ? Certes non. des objectifs clairs et démocra- mies sont de toutes les épo- tests et en masques, au lieu de Mais la puissance publique tiquement définis, l’intérêt ques, ­notamment celles où les constituer des stocks et de faire doit en revanche intervenir ­collectif doit désormais l’em- échanges étaient moindres. travailler les entreprises loca- pour garantir à l’économie na- porter sur les forces aveugles Et comme il suffit de quelques les, la France s’en est remise au tionale – ou européenne – une de la rentabilité financière. • ARNAUD MONTEBOURG «Macron est-il le mieux placé pour parler de

patriotisme économique ?» Interview Promoteur de la «démondialisation» depuis dix ans, l’ancien ministre du Redressement productif dénonce le «transformisme intellectuel» du gouvernement pendant la crise et appelle à inventer une nouvelle puissance publique, indépendante.

Recueilli par continental avec des bons salaires et de nées, la puissance publique n’a jamais voulu Lilian Alemagna meilleurs prix pour rémunérer ceux qui pro- être présente pour pallier les défaillances du Photo Bruno Ansellem duisent ici.» privé. Un exemple : avoir laissé Sanofi déloca- Le 12 mars, lorsque vous entendez Em- liser la production de paracétamol en Chine ncien ministre du Redressement pro- manuel Macron déclarer que c’est une et en Inde, alors que nous aurions pu utiliser ductif puis de l’Economie de François «folie» de «déléguer […] notre protection la commande publique à des fins patriotiques A Hollande jusqu’en 2014, Arnaud Mon- […] à d’autres» notamment en matière de pour maintenir la production en France. Le tebourg défend depuis dix ans le concept de santé, vous tombez de votre canapé ? résultat est qu’on rationne aujourd’hui les «démondialisation», prônant la réappropria- Pour moi, les discours n’ont aucune valeur. Français en boîtes de paracétamol. tion des secteurs industriels stratégiques par Ce qui m’intéresse, ce sont les actes. Qu’a fait Mais lorsque Bruno Le Maire parle de l’Etat. En retrait de la vie politique depuis son Emmanuel Macron en la matière de- «nationalisations» et de «patriotisme échec à la primaire de la gauche en 2017 et dé- puis 2014 ? A Bercy – où il m’a succédé –, il a économique», vous le vivez comme une sormais à la tête de deux entreprises équita- malheureusement abandonné les 34 plans in- victoire idéologique ? bles : Bleu Blanc Ruche (miel) et la Mémère dustriels de reconquête de notre souveraineté Ce transformisme intellectuel aura du mal à (glace bio), il redonne de la voix à la faveur de technologique, et il y a en avait un important trouver sa crédibilité. Ces personnes ont en- la crise sanitaire, économique et sociale du co- dans le secteur des équipements de santé filé un costume, une apparence, mais est-ce ronavirus. Sévère sur l’action d’Emmanuel dont aujourd’hui nous aurions bien besoin. une réalité ? A Bercy, lorsque j’ai proposé des Macron et de la majorité, il appelle l’Etat à en- Le chef de l’Etat est-il le mieux placé pour me- nationalisations, Emmanuel Macron expli- gager une «reconstruction écologique» : «Le ner une politique de patriotisme économique, quait que l’on n’était «pas au Venezuela» et moins d’importations possible, une économie après avoir laissé filer Alstom, Technip, Alca- aujourd’hui lui-même propose donc de «faire «davantage tournée vers le marché intérieur tel, et combien d’autres ? Ces dernières an- le Venezuela»… Les nationali- Suite page 4 Arnaud Montebourg, mardi à Montret Libération Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3 Pour les politiques, l’Etat de nouveau en odeur de sainteté

Les conséquences du Covid-19 et européenne dans «les prochaines se- sur l’économie poussent les maines et les prochains mois». partis, de la gauche à la droite, Le défi, en France comme en Europe, à s’interroger sur le modèle consiste donc à assumer une forme de libéral et sur le besoin de souverainisme à la Jean-Pierre Chevè- renforcer l’indépendance et nement sans ouvrir de boulevard au l’interventionnisme de l’Etat. nationalisme de Marine Le Pen. Côté Rassemblement national, où on pointe ous démondialisateurs ? La crise depuis des lustres les «mondialistes» du coronavirus n’a pas achevé qui se succèdent au pouvoir, on mar- T ses ravages que, déjà, beaucoup tèle que la frontière nationale n’a ja- de responsables politiques convergent mais eu autant de pertinence : contre pour instruire le procès de la mondiali- les virus, les migrants ou les tra- sation telle qu’elle est. La période, par vailleurs détachés. Dans un registre les urgences qu’elle génère, questionne plus internationaliste et «humaniste», notre autonomie de production dans Jean-Luc Mélenchon fait lui aussi de- de nombreux secteurs, la fragilisation puis des années le procès de ce libéra- de notre système public hospitalier, lisme aussi sauvage que mondial, in- l’interdépendance de nos économies carnés par les traités de libre-échange financiarisées en temps de krachs signés par l’UE. boursiers et plus largement la capacité de notre Etat à faire face. «Trompe-l’œil». Au-delà des chapel- Les mots «biens communs», «relocali- les partisanes, les «nonistes» de 2005 sation» et même «nationalisation» sont rejoints par les écolos peuvent dire que désormais prononcés par des bouches l’Histoire leur donne en partie raison. que ces termes écorchaient jusque-là. Le «Made in France» d’Arnaud Monte- Et l’argent public semble à présent bourg (lire page 2) est un slogan plus couler sans se soucier du niveau futur que jamais d’actualité. «Parler de “relo- des dettes publiques. Sans parler de calisation” devient politiquement cor- victoire pour les antilibéraux, l’idée rect, ironise Emmanuel Maurel, ex-lea- que le capitalisme financier et la mon- der de l’aile gauche du PS aujourd’hui dialisation dérégulée sont dans l’im- eurodéputé LFI. Mais gare à la victoire passe est désormais affirmée jusqu’au culturelle en trompe-l’œil. Comment sommet de l’Etat. «Il nous faudra de- faire confiance à Macron pour mener main […] interroger le modèle de déve- cette politique ? Il continue de penser loppement dans lequel s’est engagé no- que l’attractivité de la France est une af- tre monde depuis des décennies et qui faire de “coût du travail” et de fiscalité dévoile ses failles au grand jour», a ainsi trop importante. Pour nous, c’est une lancé Emmanuel Macron le 12 mars, question de qualité de la main-d’œuvre, lors de sa première allocution télévisée donc de formation, et d’équipement pu- sur la crise du coronavirus. blics, donc d’investissements.» A droite aussi un certain aggiorna- «Ruptures». Mais si défendre, con- mento se fait jour. A l’instar du numé­- joncturellement, des actifs fragilisés ro 3 de LR Aurélien Pradié sur Libé.fr, par la chute des marchés financiers est une partie de la jeune garde interroge une chose, relocaliser sur le territoire la place de l’Etat et le rôle de la dépense national ou européen des industries publique au-delà des dogmes libéraux qui l’ont quitté pour des raisons de coût et avec l’idée qu’il s’agit de «renverser de production en est une toute autre. la table». Le courant interventionniste Chacune des deux en appelle au «patri- a une tradition à droite. Ce questionne- otisme économique», mais la première ment touche aussi un Gilles Carrez, consiste à mobiliser des capitaux pu- dix ans rapporteur général du budget, blics quand la seconde amène à mino- qui n’hésite plus à fustiger la «dictature rer des profits privés. A chaque fois, et la mondialisation de la finance». l’intervention de l’Etat apparaît Pour réussir une forme d’«union natio- comme un enjeu central. Or ces derniè- nale» d’après crise, le pragmatisme ma- res décennies, l’«Etat stratège» a plus croniste viendra-t-il piocher, dans les souvent été spectateur des délocalisa- prochains mois, dans ces familles de tions qu’acteur d’une réindustrialisa- pensées après avoir réuni libéraux et tion si possible écolo-compatible. «progressistes» des deux camps Soustraire certaines activités à la vora- en 2017 ? Un nouveau «en même cité capitaliste, même Emmanuel Ma- temps» protectionniste et non plus li- cron l’affirme désormais. Le 12 mars, il béral ? Pas si sûr… Le 30 mars, lors a expliqué «qu’il est des biens et des ser- d’une visite dans une usine de masques vices qui doivent être placés en dehors en Anjou, le chef de l’Etat a mis en des lois du marché». La santé et «l’Etat- avant ses «réformes», qui ont permis à providence ne sont pas des coûts ou des la France «d’être plus [compétitive]» charges mais des biens précieux», a-t-il pour permettre de «produire davan- insisté avant de souligner que «délé- tage en France» et «retrouver cette indé- guer notre alimentation, notre protec- pendance». Loin, pour l’instant, de la tion, notre capacité à soigner notre ca- «rupture» promise. dre de vie au fond à d’autres [était] une Lilian Alemagna folie». Et Macron de promettre «des dé- et Jonathan (Saône-et-Loire). cisions de rupture» à l’échelle nationale Bouchet-Petersen 4 u Événement économie Libération Mercredi 8 Avril 2020

Suite de la page 2 sations sont tout simple- comme les contre-exemples de la Corée du duire dans les crises et les transitions. Qui d’eux et auront défendu les mêmes valeurs ment des outils naturels d’exercice de la sou- Sud ou de Taïwan le démontrent. n’applique pas seulement des règles mais d’équité sociale et environnementale qu’eux. veraineté et de l’indépendance nationale. Si La faute à qui ? traite avant tout les problèmes. Aujourd’hui, Un «Made in France» écolo ? beaucoup le découvrent aujourd’hui, je m’en De nombreux rapports (parlementaires, nous avons une technostructure qui applique Pas seulement. Il s’agit d’une reconquête de réjouis. Mais que de temps perdu, d’usines scientifiques et même de technocrates au- des process, des réglementations et des nor- notre souveraineté au sens large : alimentaire, fermées, de brevets, de salariés et de savoir- jourd’hui au pouvoir) ont alerté, ces dernières mes. Cela bloque toute une société – d’élus technique, numérique, énergétique. Pourquoi faire abandonnés qu’on aurait pu conserver… années, sur les risques en cas de forte épidé- locaux, de PME, d’agents publics, d’associa- importer tant de pétrole ? Cette question va Dans un autre moment de sa vérité, le Prési- mie. Ils ont été ignorés. Les décisions ont été tifs… – qui essaie, elle, de s’organiser et de se très vite se poser… Il va falloir recentrer le plus dent avait qualifié ces Français anonymes qui prises en fonction d’intérêts de court terme. débrouiller. Le technocratisme vertical nous possible nos économies sur ce que nous som- travaillent dur pour vivre de gens «qui ne sont Nous payons le prix en nombre de morts de coule ! mes capables de produire. C’est ce que j’ap- rien». Va-t-il soudain proclamer qu’ils sont cette conception stupidement budgétaire et En même temps vous ne pourrez pas pelle la «reconstruction écologique» : le moins «tout» ? Car ils comptent effectivement pour faussement managériale de l’Etat. Car la changer tous les fonctionnaires… d’importations possible, une économie da- beaucoup, ceux, injustement méprisés, qui France a adapté sa politique sanitaire à des Ce ne sont pas eux qui sont en cause mais vantage tournée vers le marché intérieur con- font tourner le pays, caissières, éboueurs, in- moyens médicaux insuffisants. Résultat : on l’organisation de l’Etat. Elle est obsolète. Face tinental, avec des bons salaires et de meilleurs firmières, instituteurs, manœuvres et journa- confine tout le pays et on détruit l’économie aux marchés, l’Etat a été incapable d’affirmer prix pour rémunérer ceux qui produisent ici. liers de l’agriculture. Combien d’autres con- pour permettre aux chiches moyens médi- nos intérêts collectifs et s’est dévitalisé. Voilà Est-ce la suite de votre constat de «dé- torsions avec ses convictions devra-t-il caux de faire face. C’est reconnaître que le près de vingt ans que nos gouvernants s’ap- mondialisation» fait en 2011 ? accomplir encore pour retrouver la grâce coût économique et social énorme qu’aura pliquent à réduire le champ de l’Etat. On voit C’est la mise en œuvre d’une politique que j’ai électorale perdue ? cette crise aurait pu être atténué si nous le résultat : un Etat qui organise sa propre dé- appelée «Made in France» lorsque j’étais Que dit cette crise de l’état de notre Etat ? avions investi dans nos hôpitaux et dans no- faisance est donc défait en période de com- à Bercy. Car la mondialisation telle qu’on l’a Notre pays s’est soudé dans son histoire à tra- tre industrie des matériels de dépistage et de bat. Une reconstruction majeure se présente connue est instable, dangereuse et non-démo- vers la construction d’un Etat fort qui unifie protection. devant nous. Et il faudra s’y employer avec cratique. Personne n’a obtenu de mandat pour et protège. La France a survécu aux plus gra- Il faudra donc demain des budgets pour des règles nouvelles décidées avec la société, mettre en concurrence des Etats qui esclavagi- ves tourments grâce à lui. Lorsqu’on constate l’hôpital beaucoup plus conséquents… par les citoyens et les consommateurs. Les sent leurs travailleurs, piétinent les lois envi- une faiblesse chez cet Etat protecteur, on a le Ça va bien au-delà de l’hôpital ! Il s’agit là de premiers parce qu’ils vont décider d’organi- ronnementales élémentaires, avec des nations sentiment d’un affaissement du pays. C’est notre indépendance productive et technolo- ser la société à travers de nouveaux choix po- qui ont à leur actif deux cents ans d’acquis cette sensation d’humiliation que nous gique. litiques. Les seconds parce qu’ils voudront, syndicaux et sociaux et des lois environne- éprouvons en ce moment : en matière sani- C’est-à-dire ? dans les produits qu’ils choisiront pour leur mentales d’avant-garde. C’est pourquoi la taire, notre Etat a été imprévoyant, inconsé- Nous avons besoin d’inventer une nouvelle vie quotidienne, obtenir la preuve que les hu- fragmentation de la mondialisation me paraît quent et à l’évidence incapable de faire face, puissance publique, capable de nous con- mains qui les auront fabriqués sont proches irrésistible. Des secteurs clés à verrouiller

Si dans certaines General Electric validé par un France est ainsi passée en les salariés ni les machines ne filières, comme certain Emmanuel Macron, dix ans de 40 médicaments sont disponibles pour repren- les télécoms ou alors secrétaire général ad- répertoriés sous tension dre l’activité, interrompue de- joint de François Hollande en 2008… à 1 450 en 2019. puis fin 2019, ce qui rend la l’aérien, la France à l’Elysée… «Il faudra forcément que nous production impossible», leur est largement Ce décret stipule que toute soyons plus autonomes en ma- a répondu le ministre de indépendante, prise de contrôle d’une boîte tière de médicaments, que l’Economie. d’autres ont été stratégique par un action- nous relocalisions une partie largement naire étranger doit être sou- de la production», a déclaré Aérien fragilisées. mise au feu vert préalable de le ministre de la Santé, Olivier et automobile l’Etat, avec engagements à la Véran. Déjà bien protégés rnaud Montebourg a clé. Il a déjà servi au moment Les médicaments les plus Impossible d’être l’un des de la suite dans les du rachat des Chantiers de courants (antidouleurs, vac- deux géants mondiaux de A idées quand il s’agit l’Atlantique par l’italien Fin- cins, antidépresseurs, traite- l’aéronautique et de rester in- de protéger les secteurs clés cantieri. Et a été élargi aux ments contre l’hypertension sensible aux soubresauts de l’industrie française, à la technologies du numérique et le diabète) sont les plus dé- économiques ou sanitaires fois pourvoyeurs d’emplois et par l’actuel ministre de l’Eco- pendants des chimistes chi- de la planète. L’assemblage essentiels au bon fonctionne- nomie, Bruno Le Maire. Libé nois. Produits à faible coût des Airbus ne se résume pas ment du pays. La pandémie a balaye ici les secteurs clés en Asie, leur prix a fortement aux usines de Toulouse et de rappelé crûment le caractère qu’il va falloir sécuriser, voire baissé mais leur disponibilité Hambourg. Des appareils éminemment stratégique de relocaliser, à la lumière de est devenue plus aléatoire. Le sortent aussi des usines ca- plusieurs activités que l’Etat cette crise sanitaire. 24 février, deux jours avant nadiennes, américaines et peut – et doit – couver d’un que l’épidémie ne fasse sa chinoises du groupe. En cas regard plus vigilant : santé, Santé première victime en France, de contentieux avec les Etats- alimentation, transports, Réveil tardif le «Big pharma» tricolore Unis, des taxes dissuasives énergie, télécoms… face à la dépendance ­Sanofi a annoncé son inten- peuvent être imposées aux Et ce n’est pas un hasard si ce La souveraineté sanitaire de tion de relocaliser la produc- appareils produits en France chantre du «patriotisme éco- la France a montré ses limites tion de certaines de ses molé- mais aussi au Canada. nomique» redonne de la voix face au coronavirus. Avec cules phares en créant une Par ailleurs, le seul fournis- dans Libération pour appeler seulement quatre fabricants, nouvelle entité de six usines seur de matériau composite à «une reconquête de notre l’Hexagone s’est retrouvé en européennes – dont deux d’Airbus, HMC, qui permet souveraineté» dans tous ces grave pénurie de masques, en France. de fabriquer des avions plus domaines : en 2014, alors mi- produits à 80 % en Chine. Des Un recentrage illustrant bien légers, se trouve à Harbin nistre de l’Economie (et du difficultés d’approvisionne- les limites des délocalisations (nord de la Chine). Avec la «Redressement productif»), il ment qui se font aussi sentir en matière de santé, dont ne pandémie, l’approvisionne- Les salariés de l’usine Luxfer, spécialisée dans la avait édicté le fameux «décret sur le marché des médica- profiteront pourtant pas les ment a été interrompu juste Montebourg» listant ces sec- ments : 60 % des composants 136 salariés de l’usine Luxfer avant que le site de Toulouse teurs où l’Etat a son mot actifs – qui entrent pour 80 % à Gerzat (Puy-de-Dôme). Seul ne suspende sa production. Seine-et-Marne par Safran, Pas d’inquiétude en revan- à dire quand une entreprise dans leur fabrication – sont producteur sur le sol français Enfin, 30 % à 40 % de la va- avec General Electric. En re- che sur le capital d’Airbus : essentielle risque de passer importés d’Asie, les deux tiers de bouteilles à oxygène, ce leur d’un avion est constituée vanche, les appareils équipés la présence des Etats fran- sous pavillon étranger. Une venant de Chine. En raison site ne sera pas sauvé par une par ses moteurs. Le plus uti- de réacteurs Pratt & Whitney çais et allemands et l’inter- réponse au rachat des turbi- du manque de stocks orga- nationalisation comme le de- lisé pour les Airbus A320, sont dépendants d’une usine diction faite de posséder nes d’Alstom par l’américain nisé dans les laboratoires, la mandait son personnel. «Ni le CFM56, est assemblé en au Canada. plus de 15 % des parts protè- Libération Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5

Mais la technostructure en place est-elle banques, plus toutes les faillites que l’on es- Mais ne craignez-vous pas au contraire capable de mettre en œuvre des tels chan- «Personne n’a obtenu saiera d’éviter… Tout cela mis bout à bout, un renforcement des nationalismes ? gements ? de mandat pour mettre dans six mois, on sera pas loin de 300 mil- Soit l’Union européenne sert à traiter les pro- C’est la société tout entière qui définira ses liards d’euros au bas mot ! Aujourd’hui, au- blèmes des gens, soit les gens se passeront de objectifs et ses buts de paix. Tout cela sera dé- en concurrence des Etats cun traité européen ne le permet et le virus l’UE et elle sera à son tour victime du Co- battu et arbitré démocratiquement. Au- va mettre tous les pays – au Nord comme vid-19. C’est aussi simple que cela. Tout le jourd’hui, dans la société, il y a des tas de res- qui esclavagisent leurs au Sud – à égalité. Que fera-t-on ? Imposer des monde va devoir réviser ses précis de caté- sources, y compris dans les corps de l’Etat, travailleurs, piétinent les plans d’austérité ? Pas question de refaire les chisme européen. qui ne demandent qu’à être stimulées. L’Etat mêmes erreurs qu’il y a dix ans. Reste alors Dans Libération, Julien Dray a appelé à a sacrifié la préparation de l’avenir. La crise lois environnementales deux solutions : lever encore des impôts ou ce que «la gauche» – dont vous êtes issu – que nous vivons nous prouve qu’il faut penser élémentaires.» bien… annuler ces dettes. Le débat qu’il faut soit «au cœur d’un grand front républi- et bâtir le long terme. ouvrir n’est donc pas seulement la «mutuali- cain arc-en-ciel». Qu’en pensez-vous ? Vous diriez-vous désormais «souverai- sation» des dettes mais leur annulation. La J’ai trente ans de socialisme dans les jambes. niste» ? logique (ce sont nos industries pharmaceuti- France devra demander que la Banque cen- Mais aujourd’hui, je ne suis plus rattachable J’utilise le mot d’«indépendance». Etre indé- que, aéronautique, automobile, ferroviaire trale européenne monétise ces dettes car el- à un quelconque parti politique. Je suis «inor- pendant, c’est ne pas dépendre des autres, dé- aujourd’hui affaiblies), numérique (ce sont les seront insoutenables. Personne ne sera ganisé» et je ne sais plus ce que «la gauche» cider pour nous-mêmes. La France, pays li- les Gafa qui nous manquent). spolié. Il s’agira de faire tourner la planche veut dire parce que «la gauche» a mené des bre, n’a pas vocation à être assujettie aux Comment observez-vous les nouveaux à billets comme l’ont fait la Banque d’Angle- politiques de droite et enfanté Emmanuel décisions des autres. Pas plus de la Chine et désaccords au sein de l’UE dans cette terre et la Réserve fédérale américaine après Macron. Lorsque j’ai quitté le gouvernement des Etats-Unis que de l’Union européenne crise sanitaire ? la crise de 2008. C’est ce que l’UE aurait de Manuel Valls, on m’a dit qu’on ne partait quand les décisions sont gravement contrai- Si certains Etats refusent hélas de mutualiser dû faire au lieu d’imposer des cures d’aus­- pas pour 15 milliards d’euros à redistribuer res à ses intérêts. L’exercice de la souveraineté les dettes, après tout ils prennent le droit térité qui ont détruit les services publics. aux ménages… Ces «15 milliards», c’est la est un de nos fondements depuis la Révolu- d’être égoïstes, ce qui nous autorisera pour Des décisions qui, aujourd’hui, se paient somme finalement arrachée par les gilets jau- tion française qui l’a conquise sur les monar- une fois à l’être enfin pour nous-mêmes ! en morts dans nos hôpitaux et nos Ehpad. nes en 2018 ! Je ne sais plus ce qu’est «la gau- ques. Si on sort des débats de positionnement En revanche, tous devront dire ce que nous Oui, «l’argent magique» existe pour les Etats che», même avec une couche de peinture éco- politique et que l’on reste sur les contenus, je faisons de nos futures montagnes de dettes dans certains cas quand ils le décident. Ces logique dessus. En revanche, je sais ce que continuerais à parler d’«indépendance» : mili- publiques et privées. Faites un premier calcul derniers vont donc sortir renforcés de cette sont la France et les aspirations des Français. taire et stratégique (c’est la bombe atomique), pour la France : le coût du chômage partiel, épreuve comme outils de direction de l’éco- Que comptez-vous alors apporter ? énergétique (c’était le nucléaire et ce sont dé- plus les réinvestissements dans le secteur sa- nomie. C’est un point très important et très Une analyse, une vision, des idées, de l’en- sormais les énergies renouvelables), techno- nitaire, plus les crédits garantis par l’Etat aux positif. traide et chacun en fera ce qu’il voudra. •

des : l’Etat pour Orange, Pa- américains Netflix, Amazon trick Drahi (propriétaire et Disney (qui lançait mardi de Libé) pour SFR, la famille en France son service de Bouygues pour Bouygues Te- streaming). Quant aux infor- lecom et Xavier Niel pour mations, elles se partagent Free. Le risque d’une OPA d’abord sur des réseaux bâtis hostile est quasi-nul. Ce sont aux Etats-Unis : Google (You- plutôt les Français qui chas- Tube), Facebook (Instagram sent à l’étranger. Orange y fait et WhatsApp), Twitter… En presque la moitié de son chif- embuscade, la Russie et fre d’affaires ; Altice (SFR) est la Chine polissent leurs ins- à l’offensive aux Etats-Unis ; truments. Depuis plusieurs Free vient d’attaquer l’Italie. années, tentatives de désin- A domicile, le quatuor s’est formation et opérations d’in- engagé dans le déploiement fluence pleuvent. de la fibre optique, pour des Que fait la France ? Elle ré- débits plus rapides. duit les budgets de ses mé- La situation est moins pro- dias de service public. Mises pice au cocorico dans le do- à la diète par Macron, France maine des équipements télé- Télévisions et Radio France coms. La France a longtemps sont pourtant très suivies de- été une référence avec Alca- puis le début de la crise, signe tel. Mais après bien des dé- qu’elles sont des valeurs sûres boires, l’entreprise a été ab- pour la population, à l’instar sorbée en 2015 par le d’autres médias historiques. finlandais Nokia. A l’époque, Aussi, des premiers signes de Macron, ministre de l’Econo- revirement apparaissent mie de Hollande, vantait la dans la majorité. Le député naissance d’un «grand cham- Bruno Studer, qui préside la pion européen» face au géant commission des affaires cul- chinois Huawei. Cinq ans turelles, ne veut plus fermer plus tard, le nouvel ensemble France 4, la chaî­ne jeunesse est largement surclassé par montrant son utilité pédago- son rival asiatique et le sué- gique alors que les écoles dois Ericsson. Les plans so- sont fermées. Quant à Aurore ciaux s’enchaînent et l’entre- Bergé, rapporteure de la loi prise est en retard sur le plan de réforme de l’audiovisuel, technologique par rapport elle appelle à défendre la à Huawei. Comme d’autres «souveraineté culturelle» en pays, la France se demande si instaurant un crédit d’impôt elle peut faire confiance pour les annonceurs. Le but ? à l’équipementier chinois Soutenir l’ensemble de l’éco- pour son réseau mobile 5G… système médiatique français, La question va se poser en- menacé par une grave crise core plus après cette crise. publicitaire. La résistance à fabrication de bouteilles de gaz et désormais fermée, à Gerzat (Puy-de-Dome) le 12 février 2019. Netflix et Russia Today passe Médias aussi par la défense des télés, Combien radios et journaux privés. gent le ­fleuron européen est actionnaire à hauteur de Télécoms de consommation vidéo. de divisions ? Christophe Alix, d’un raid mené par des in- 15 %. Depuis 2013, l’Etat dis- Des opérateurs Pour ces infrastructures es- Dans le monde désormais Franck Bouaziz, vestisseurs inamicaux. pose de droits de vote dou- forts… et une faille sentielles à la vie numérique, numérique des médias, la Jean-Christophe C’est un montage encore plus bles qui le mettent en posi- Les réseaux télécoms français la souveraineté semble assu- France est mal partie pour Féraud et Jérôme solide qui protège le groupe tion de force face à une OPA ont tenu le choc du confine- rée. Les quatre grands du sec- ­gagner la bataille : les grands Lefilliâtre Renault, dans lequel l’Etat inamicale. ment avec son pic d’appels et teur ont des actionnaires soli- récits sont racontés par les Photo Pascal Aimar 6 u Événement économie Libération Mercredi 8 Avril 2020

A l’aéroport quasi désert de Roissy-Charles-de-Gaulle, le 25 mars. Photo Marc CHAUMEIL Air-France-KLM : l’Etat prêt à garantir des milliards d’argent frais

La compagnie aérienne naire qui s’est tenu vendredi et au prunt. Vu les perspectives de reprise, tié à ce qu’il était en juillet 2019. Et lier une situation d’urgence. Re- devrait être la première cours duquel ont été évoquées les ce ne sera pas chose facile», glisse à la reconquête des clients s’an- nault, dont une partie des usines est d’une liste de grandes prévisions de trafic pour les deux Libération une source très proche nonce longue. Selon une prévision fermée et qui ne vend que très peu années à venir. Air France-KLM se du dossier. faite de manière orale durant ce de véhicules en ce moment, et la entreprises à bénéficier préparerait ainsi à demander un même conseil d’administration, à SNCF, confrontée elle aussi à une de prêts exceptionnels prêt garanti par les Etats français et Sombres perspectives l’été 2022 Air France-KLM pourrait baisse de ses recettes. Dans ces garantis par l’Etat néerlandais pour un montant qui Sans compter que, pour les très n’avoir retrouvé que 75 % de l’acti- deux derniers cas, les entreprises dans le cadre de pourrait atteindre six milliards grandes entreprises comme Air vité de 2019. concernées n’ont pas fait officielle- la crise sanitaire ­d’euros, selon l’agence de presse France-KLM, l’Etat ne garantit en Dès les premiers jours de la crise sa- ment de demande et mettent en et économique. Reuters. fait que 70 % de ces prêts exception- nitaire, l’exécutif est monté au cré- avant, pour l’instant, leurs réserves Renault et la SNCF Cette somme correspond en fait à nels au lieu de 90 %. «Compte tenu neau pour assurer que tout serait disponibles et les lignes de crédit 25 % du chiffre d’affaires des deux de la situation financière d’Air fait pour sauver la compagnie aé- dont elles disposent. pourraient suivre. compagnies, ce qui représente le France-KLM, les prêteurs vont être rienne, à l’instar de Rome qui en- maximum prévu pour ce type d’em- hésitants et nous faire payer le ris- tend nationaliser Alitalia, en diffi- charges décalées ir France-KLM est visible- prunt. Sur ces six milliards d’euros, que que représente un tel finance- culté depuis des années. L’Etat Reste que la sortie de confinement ment la grande entreprise quatre seraient garantis par l’Etat ment», poursuit un responsable de français est prêt à «prendre ses res- sera des plus délicates, au moment A qui a le besoin le plus urgent français et deux par l’Etat néerlan- la compagnie. De fait, il n’est donc ponsabilités en tant qu’actionnaire», où le mécanisme de chômage par- d’argent frais. Avec seulement 5 % dais. Un montant colossal, sachant pas exclu qu’Air France-KLM de- faisait alors valoir le Premier minis- tiel compensé par l’Etat ne sera de ses vols encore assurés, la com- qu’en Bourse Air France-KLM ne mande une dérogation à Bercy afin tre. «Nous suivons de près la situa- vraisemblablement plus en vigueur, pagnie perd environ un milliard vaut pas plus de 2,5 milliards d’eu- que son prêt soit quand même tion de cette grande entreprise et tout comme le décalage des charges d’euros par mois, selon un chiffre ros. Le hic, c’est qu’«il faudra rem- ­garanti à 90 %… sommes prêts à nationaliser», avait sociales et fiscales. Devant le mon- non démenti par la direction. D’où bourser cette somme sur une durée D’autant que les perspectives n’in- abondé le ministre des Comptes pu- tant des factures à payer, le besoin la nécessité d’un prêt aussi consé- de quatre ans, six maximum, ce qui citent pas vraiment à l’optimisme : blics, Gérald Darmanin. d’argent frais et disponible ne sera quent que rapide, garanti par l’Etat. signifie 800 millions à un milliard selon les projections établies par la Deux autres grandes entreprises que plus impérieux pour ces grands La question a été abordée lors d’un à sortir chaque année uniquement direction, le trafic, s’il reprenait pourraient suivre sur la liste de ces groupes. conseil d’administration extraordi- pour le remboursement de cet em- le 1er juillet, serait inférieur de moi- prêts exceptionnels destinés à pal- Franck Bouaziz

8 u Événement Monde Libération Mercredi 8 Avril 2020

Par Sonia Delesalle- Stolper Correspondante à Londres

a reine Elizabeth II a envoyé un message à Boris Johnson, Boris Johnson L à sa fiancée Carrie Symonds, enceinte, et à sa famille. David Ca- meron et Theresa May, ses prédé- cesseurs à Downing Street, ont an- noncé «prier» pour qu’il se remette vite. Le président américain, Do- nald Trump, a proposé d’envoyer la cavalerie, sous la forme de compa- hospitalisé, gnies pharmaceutiques américai- nes qui travaillent sur le Covid-19. Le Royaume-Uni a poliment dé- cliné. Le pays, et une partie du monde, reste suspendu à l’évolution de l’état de santé du Premier minis- tre britannique. Mardi soir, Boris Johnson restait hospitalisé en soins intensifs au St Thomas’ Hospital, le gouvernement l’un des meilleurs hôpitaux univer- sitaires du Royaume-Uni. C’est là qu’avait été soigné, début février, l’un des premiers malades du Co- vid-19 identifiés dans le pays. C’est aussi cet hôpital qui a traité le plus de patients contaminés. Le Premier ministre britannique mis à l’épreuve s’apprêtait mardi soir à passer sa troisième nuit dans cet hôpital posé au bord de la Tamise, avec une vue spectaculaire sur le Parlement de Westminster. Son dernier bulletin Le Premier ministre britannique en soins de santé, communiqué dans la ­soirée lors de la conférence de intensifs, le ministre des Affaires étrangères presse quotidienne du gouverne- ment, le disait dans un «état sta- a pris mardi l’intérim à Downing Street ble», conscient, et avec «un bon mo- ral». Il «respire sans assistance», sans pour autant avoir les mêmes pouvoirs. avec l’aide d’un apport d’oxygène par masque mais sans être branché Une situation inédite et floue, en l’absence sur un respirateur artificiel. Il ne souffre pas de pneumonie, avait de constitution écrite. précisé un peu plus tôt son porte- parole. Récit Le journal anglais Metro a fait sa une de A priori, Boris Johnson, 55 ans, ne souffre pas de pathologies anté- rieures, si ce n’est une tendance au lui, alors qu’un membre de sa fa- surpoids. Il joue souvent et très bien mille souffre de symptômes «modé- au tennis, aime courir et, avant rés» du virus. Mais a indiqué être en- de s’installer à Downing Street, core en bonne santé. ­effectuait la plupart de ses déplace- ments à vélo. Codes nucléaires Vu le nombre de personnes «Un Battant» ­atteintes au sein du gouvernement Son intérim à la tête du gouverne- – le ministre de la Santé, Matt ment, le ministre des Affaires étran- ­Hancock, et le conseiller médical gères Dominic Raab, a insisté sur le en chef, Chris Whitty, ont aussi été fait qu’il était «entre de bonnes malades mais sont remis ; le con- mains». «Il n’est pas seulement seiller spécial Dominic Cummings ­notre Premier ministre, il n’est pas est ­toujours malade et en retrait… –, seulement notre chef, il est aussi Downing Street a pris la précaution ­notre collègue et notre ami», a-t-il de prévenir que si jamais Dominic déclaré, avant de se dire «confiant Raab venait lui aussi à être touché, sur le fait qu’il va s’en sortir, parce ce serait le chancelier de l’Echi- que s’il y a une chose que je sais quier, Rishi Sunak, qui reprendrait du Premier ministre, c’est que c’est les rênes. Mais a en revanche re- un battant.» fusé de préciser qui, à l’heure ac- L’incapacité de Boris Johnson tuelle, détient les codes nucléaires à remplir son rôle de Premier mi- du pays. nistre a suscité un certain nombre Le Royaume-Uni a enregistré mardi d’interrogations. Qui gouverne Boris Johnson, sur le seuil du 10, Downing Street, a applaudi jeudi le NHS. Photo Pippa Fowles. AP 786 décès des suites du Covid-19, un ­désormais le Royaume-Uni ? record. Ce qui porte le bilan La constitution non écrite du pays à 6 159 morts. Ce nombre ne com- implique un processus plutôt La charge d’intérim dévolue balayé l’idée de devoir trancher sur qui rassemble les 26 principaux mi- prend pas les décès dans les mai- flou dans une telle situation. Si ­à Dominic Raab ne lui donne pas les des questions délicates et a insisté nistres. Ce qui pourrait poser pro- sons de retraite ou à domicile. Les des Premiers ministres ont été, mêmes pouvoirs qu’au Premier mi- sur la «responsabilité collective». blème en cas de désaccord et de né- mesures de confinement, imposées dans le passé, malades ou même nistre. Il ne peut pas, par exemple, «Le Premier ministre m’a demandé cessité de trancher rapidement. le 23 mars, seront revues la semaine hospitalisés, c’est la première fois prendre la décision de lever les me- de prendre l’intérim pour le temps L’un des principaux ministres, Mi- prochaine, a indiqué Dominic Raab. qu’un tel événement se produit sures de confinement instaurées de- qu’il faudra», a-t-il ajouté. Les déci- chael Gove, en charge du bon fonc- Mais il faut attendre d’avoir atteint alors que le pays traverse une crise puis un peu plus de deux semaines. sions devraient se prendre collégia- tionnement du gouvernement, a le pic de l’épidémie et, a-t-il dit, sanitaire sans précédenrs. Lors de sa conférence de presse, il a lement, par l’ensemble du cabinet, annoncé mardi qu’il s’isolait chez «nous n’en sommes pas là». • Libération Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9

Les Faits du jour n La France a franchi, mardi la barre des 10 000 morts depuis le début de l’épidémie : 7091 à l’hôpital et 3237 en Ehpad). Dans les dernières 24 heures, on y a respectivement enregistré 607 et 820 décès. n En Espagne, le gouvernement de gauche veut accélérer la mise en place d’un revenu universel, alors que le pays a enregistré un record de 300 000 chômeurs supplémentaires en mars. Ce dispositif devrait rester en place après l’épidémie. Il pourrait avoisiner 440 euros mensuels. n En Grèce, des centaines de soignants ont manifesté devant les hôpitaux pour réclamer plus de moyens et d’embauches. Ils estiment que le système hospitalier manque de 30 000 médecins. Le pays décompte 81 morts et 1 755 cas avérés. n La Norvège a annoncé la levée prochaine de certaines mesures de confinement. A partir du 20 avril, les crèches pourront rouvrir et les déplacements vers les résidences secondaires seront autorisés. n Le bateau humanitaire Alan Kurdi erre en mer Méditerranée à la recherche d’un port d’accueil, après avoir porté secours à 150 migrants qui tentaient la traversée depuis la Libye. Malte et l’Italie ont refusé d’ouvrir leurs ports en raison de l’épidémie. n En Iran, les députés ont rejeté un texte proposant un confinement d’un mois. Alors que les chiffres du gouvernement laissent croire à un ralentissement de l’épidémie, les activités économiques à «faible risque» de propagation du virus pourront reprendre samedi. n La Chine n’a officiellement dénombré aucun mort du coronavirus pour la première fois depuis des mois. Wuhan, ville d’où est partie la maladie, devrait lever ce mercredi sa quarantaine mardi sur l’admission en soins intensifs du Premier ministre britannique. Photo Kirsty Wigglesworth). AP entamée le 23 janvier. Le NHS vénéré mais malade de l’austérité

Les Britanniques sont institution britannique à faire l’objet d’un véri- du congrès annuel du Labour en 1934, émise en bas des classements européens. Mais, très attachés à un système table culte. Mardi, Journée internationale de par le docteur Somerville Hastings. La Seconde comme partout, c’est son financement trop de santé public mis à mal par la santé, la reine s’est fendue d’un message à Guerre mondiale, ses morts et ses blessures fi- serré qui est remis en question. tous ces soignants qui «se dévouent pendant rent le reste. Le principe en est simple : l’accès les conservateurs depuis 2010. des circonstances particulièrement difficiles». à tous à des soins gratuits, sans discrimination, Privatisation. Après une manne financière Dimanche soir déjà, lors de son adresse ex- sans frais. «Tous – riche ou pauvre, homme, versée durant les années du travailliste Tony était le 27 juillet 2012. Il faisait très ceptionnelle à la nation, ses premiers mots de femme ou enfant – peuvent l’utiliser. Il n’y a rien Blair, le NHS n’a pas été épargné par les beau. Les yeux du monde étaient gratitude étaient allés au NHS. à payer, sauf quelques petites exceptions. Il n’est ­coupes drastiques imposées pendant dix ans C’ fixés sur Londres. Elizabeth II (enfin pas nécessaire d’avoir une assurance. Mais il ne d’austérité par les gouvernements conserva- une doublure) sautait en parachute et en robe «Armée de volontaires». Mardi aussi, s’agit pas d’une œuvre caritative. Tous, vous teurs de David Cameron puis Theresa May. rose à sequins au-dessus du stade olympique alors que le pays restait suspendu à l’évolu- payez pour, à travers vos impôts sur le revenu, Pendant les débats sur le Brexit, la privatisa- sous les hourras d’une foule déchaînée. La cé- tion de l’état de santé du Premier ministre, ce qui, en cas de maladie, éliminera pour vous tion partielle du NHS avait été soulevée par rémonie d’ouverture des Jeux olympiques le Boris Johnson, une «armée des volontaires» tout souci financier», expliquait un prospectus certains brexiters, sous la pression notam- prouvait une fois de plus : le Royaume-Uni s’est mise en branle. Appelée de ses vœux par distribué aux Britanniques. Le principe con- ment de sociétés pharmaceutiques améri­- était décidément très cool. A l’époque, le le gouvernement au début de l’épidémie du cerne toutes les spécialités, des généralistes caines alléchées par un marché juteux. Ces Brexit n’existait pas, le mot n’avait même pas Covid-19, cette troupe de Britanniques ordi- aux gynécologues, en passant par les dentistes suggestions avaient provoqué une levée de été inventé. A la nuit tombée, au centre du naires est venue aider le NHS. L’objectif ou les ophtalmo­logues. Les médecins et infir- boucliers. Pendant la campagne électorale de stade, c’est un sigle qui s’était affiché : NHS était de rassembler 250 000 volontaires, ils miers touchent un salaire mensuel du NHS. décembre, Boris Johnson avait dû se défendre pour le National Health Service. Son appari- sont 750 000 à s’être inscrits. Ils rempliront Seuls certains médicaments prescrits sont d’envisager un tel projet. Le travailliste tion avait provoqué une ovation. Pendant des tâches simples : livrer des médicaments payants. ­Jeremy Corbyn avait assené à chaque occa- ­plusieurs minutes, un ballet de lits d’hôpital, ou de la nourriture à 2,5 millions de per­- L’idée de base n’a pas vraiment bougé depuis. sion que «le NHS n’est pas à vendre» et promis d’infirmières et de médecins en costumes des sonnes vulnérables, passer un coup de fil à Le NHS, divisé en quatre entités régionales, d’ouvrir les vannes des finances de l’Etat années 40 avait célébré le Service national de des individus isolés ou les emmener à des est devenu une énorme machine. Il emploie au NHS. C’est finalement le conservateur Bo- santé publique. Au risque de troubler les au- rendez-vous médicaux. Et plus de 20 000 mé- environ 1,6 million de personnes. Son fonc- ris Johnson, poussé par le vote de confiance diences internationales pas forcément au fait decins, infirmières et infirmiers récemment tionnement subit parfois des ratés. La hiérar- de milliers d’électeurs précédemment tra- de l’amour immodéré des Britanniques pour à la retraite se sont dit prêts à reprendre du chie très rigide, les protocoles trop précis ou vaillistes, et par le déclenchement de l’épidé- leur NHS, le pays communiait autour de ce service pour aider «leur» NHS. la débauche d’administration sont souvent mie de Covid-19, qui a débloqué les budgets. dernier. Le National Health Service est né le 5 juillet critiqués par les personnels de santé. Avec Mais ces fonds arriveront sans doute trop tard Avec la reine Elizabeth II et dans une moindre 1948, sous un gouvernement travailliste. L’idée 6,6 lits en soins intensifs pour 100 000 per- pour compenser le manque criant de moyens. mesure la BBC, le NHS est sans doute la seule de sa création avait émergé avant la guerre, lors sonnes, le NHS se situait avant la pandémie S.D.-S. (à Londres) 10 u événement Santé Libération Mercredi 8 Avril 2020 Avec les pompiers, trois jours sur le front

Reportage Comme le Samu, les réanimateurs des sapeurs-pompiers de Paris et leurs ambulances sont en première ligne pour la prise en charge des patients les plus graves. «Libération» a embarqué à bord des véhicules de la caserne de Ménilmontant, qui interviennent dans l’Est parisien et en Seine-Saint-Denis. Rudy, médecin réanimateur, transfère un patient vers l’hôpital, dans une ambulance de

Par se posent quotidiennement. Ce pour plonger une personne dans Cette femme va mourir dans les Dans cette maison de retraite pour- Ismaël Halissat jour-là, Marie travaille à la caserne le coma, l’intuber, le ventiler et le prochaines heures. L’un des mé­- tant «médicalisée», personne n’est Photos Marc Chaumeil de Ménilmontant, dans le XXe ar- transporter dans un service de decins qui suivent les résidents de prêt pour accompagner les malades rondissement, où stationnent deux ­réanimation. l’Ehpad s’impatiente : «Vous savez du Covid-19 face à la mort. Aucun es périodes de crise, Marie ambulances de réanimation qui La garde de vingt-quatre heures de où elle va aller ? Parce que moi je dois médecin ni infirmier ne sont pré- en a connu d’autres. Mais ­interviennent dans l’Est parisien Marie débute par une impasse. Elle partir, je travaille aussi ailleurs.» sents la nuit. «A part l’emmener aux D rien ne l’avait préparée à et une petite dizaine de villes intervient en urgence dans une urgences, je ne vois pas ce qu’on peut ­vivre une telle épidémie. Cette mé- de Seine-Saint-Denis (Montreuil, maison de retraite de Villemomble, «Je me mets à la faire», se désole Marie, au télé- decin réanimatrice de 40 ans est ­Aulnay-sous-Bois, Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis. Une résidente phone avec régulation médicale du arrivée à la brigade des sapeurs- Les Lilas, Romainville…). Des quar- de 62 ans a de la fièvre et une dé- place des urgences. Samu 93. La discussion s’engage pompiers de Paris (BSPP) il y a tiers particulièrement touchés par tresse respiratoire aiguë. Sur la et s’enlise. La réanimatrice est dé- douze ans. Elle fut notamment l’épidémie. porte de sa chambre, une feuille A4 Mais en même sarmée. Le service des urgences de l’une des premières à pénétrer dans Libération a passé trois jours à bord a été scotchée par le personnel de temps, je trouve l’hôpital André-Grégoire à Mon- les locaux de Charlie Hebdo après de ces véhicules, équipés comme l’établissement : «Covid-19.» Le taux treuil, débordé comme tous les l’attentat de janvier 2015. Le mal est ceux du Samu, avec un réanima- d’oxygène dans le sang est critique, que c’est chaud de ­autres établissements franciliens, aujourd’hui bien différent. Le défi teur, un infirmier et un ambulan- elle suffoque. Mais ses antécédents laisser [la patiente] refuse l’admission. Le Samu sou- pour les urgentistes s’étire sur plu- cier. Ces soignants assurent une médicaux – autonomie très limitée, haite que la malade soit laissée sur sieurs semaines, voire plusieurs prise en charge médicale d’urgence diabète, hypertension, obésité mor- seule dans son lit et place. Avec une certaine logique : en mois. Les questions éthiques de avant l’arrivée à l’hôpital. Face à bide… – ne permettent pas d’envisa- temps normal on envoie des gens poursuite de soins, d’intubation ou une détresse respiratoire vitale, le ger des soins lourds, avec intuba- de fermer la porte.» aux urgences pour les sauver et non non d’un malade pour le réanimer ­médecin dispose de tout le matériel tion et assistance d’un respirateur. Marie médecin réanimatrice pour qu’ils y meurent. «Le toubib Libération Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11

Vendredi, Rudy, 37 ans, médecin réa- nimateur au Samu 92 et réserviste de la BSPP, est appelé pour une in- tervention dans un ­centre d’héber- gement d’urgence du XXe arrondis- sement de Paris. Un homme de 65 ans a été retrouvé ­inconscient dans sa chambre, son cœur s’est ar- rêté. Des résidents l’avaient entendu tousser ces ­derniers jours et se plaindre d’une ­fièvre. Sur place, son voisin de palier entrouvre sa porte quelques ­secondes et passe sa tête, inquiet. Puis la referme aussitôt. Dans la ­chambre, Rudy et Pauline, infirmière de 25 ans, tentent une in- tubation et un massage cardiaque. Au bout d’une dizaine de minutes, la réanimation est interrompue et le décès constaté. Cet homme de 65 ans, sans famille ­connue, arrivé dans ce centre en juin, ne sera pas testé pour confirmer qu’il était bien infecté par le coronavirus. Mais le doute emporte tout. «Faut-il désinfecter la chambre ? de- mande Karim, responsable de cette structure spécialisée dans l’accueil de résidents avec des pathologies lourdes. — Là, il faut tout nettoyer deux fois à la javel, répond le médecin. — Et la literie ? — Je pense qu’il faut la jeter.» Le corps est immédiatement placé dans une bâche en plastique par les pompiers. Sur la fiche de décès, Rudy coche la case «cercueil hermé- tique». Plus personne ne reverra cet homme. «Ce sera une mise en bière immédiate, je suis sûr que c’est un Covid. Il faut que les pompes fu­- nèbres viennent vite», insiste le mé- decin réanimateur face au chef de la structure. «Ce sont des gens géné- ralement sans papiers, qui sont sous dialyse, ont des maladies lourdes, des cancers, pour eux, le Covid, c’est la cerise sur le gâteau», explique Ka- rim, dépassé par ce premier mort. Dans cette résidence, une autre per- sonne qui avait présenté des symp- tômes est hospitalisée. «Pourtant, ce sont des gens qui sortent peu.» «Les patients sont dans un état de gravité terrible» Dans le service médical de la ca- serne de Ménilmontant, plusieurs soignants ont été eux-mêmes ma­- lades. Ces médecins réanimateurs la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, le 2 avril. sont particulièrement exposés au virus : leurs interventions se dé­- roulent en urgence, au domicile des s’est barré, il n’y a plus personne, je dicale et trouve des places d’hospita- tout et qu’on intube de nouveau le personnes en détresse respiratoire, me mets à la place des urgences, in- lisation. Pour elle, «cette crise révèle ­suivant.» «Ce sera une mise et les ambulances ne permettent siste Marie. Mais en même temps, je tous les problèmes préexistants» : Certains malades graves, qui au- en bière immédiate, pas des mesures de protection aussi trouve que c’est chaud de la laisser des Ehpad incapables de gérer la fin raient habituellement été placés efficaces qu’à l’hôpital. Au moment seule, dans son lit, dire “au revoir de vie de leurs résidents, une coor- sous ventilation artificielle dès je suis sûr que c’est de l’intubation, le visage du méde- madame” et de fermer la porte.» Au dination parfois laborieuse avec l’ambulance, arrivent donc au- cin est à quelques centimètres de bout de quelques minutes, le Samu les autres acteurs de la chaîne jourd’hui aux urgences avec un un Covid. Il faut celui du patient. Louise, médecin finit par céder. La résidente est ­d’urgence, des soignants à bout de masque à oxygène et l’incertitude que les pompes réanimatrice, a été infectée au début transportée aux urgences, où de souffle à l’hôpital… Un empilement d’avoir une place en réanimation si de l’épidémie : «J’ai été malade assez l’oxygène et des médicaments la de problèmes auquel s’ajoute main- leur état se dégrade brutalement. funèbres vite, un jour je me sentais vraiment soulageront jusqu’à la mort. tenant une «sursaturation» : «Là, on Face à cet engorgement des hôpi- viennent vite.» pas en forme, et j’ai voulu vérifier ma est en mode ultradégradé, les réas taux, «tout le système est obligé de saturation en oxygène. En la prenant «Cette crise révèle sont pleines, il n’y a plus de place et changer ses pratiques». Rudy médecin réanimateur rapidement dans l’ambulance, j’ai tous les problèmes plus assez de matériel pour l’en­- au Samu 92 vu seulement 85 %.» Un taux inquié- préexistants» semble des malades dans les hôpi- «Il faut tout nettoyer tant, synonyme de possible détresse Deux jours auparavant, Marie était taux. A notre niveau, on est obligés deux fois à la javel nières semaines. Jusqu’à constituer respiratoire. Mais l’urgentiste n’a à l’autre bout du fil, dans la salle de d’en tenir compte : on ne peut pas et jeter la literie» certains jours la grande majorité des pas le temps de vérifier et part en régulation médicale des pompiers. travailler en se disant qu’on intube «Suspicion Covid.» Cette mention missions. Avec souvent le même ta- ­intervention avec l’angoisse d’être Une tour de contrôle où l’urgentiste chaque cas grave car on a un res­- dans l’ordre de départ des ambulan- bleau de symptômes : fièvre, toux, elle-même en danger. «Après avoir guide les ambulances sur le terrain, pirateur dans l’ambulance, qu’on ces de réanimation est devenue ha- détresse respiratoire. Et dans les cas déposé le patient en réa, j’ai vu participe à la prise de décision mé- l’emmène à l’hôpital, qu’on nettoie bituelle pour les secouristes ces der- les plus graves, l’arrêt cardiaque. qu’il restait des lits Suite page 12 12 u événement Santé Libération Mercredi 8 Avril 2020

Suite de la page 11 de disponibles départ annonçait une saturation de hospitalisé aux urgences pour l’ai- détaille un autre médecin du Samu, tin-là, c’est Jérôme, ambulancier, dans l’hôpital, je me suis dit : “Si ja- l’oxygène dans le sang de 60 %. Mais der à respirer avec de l’oxygène. Le actuellement en stage pour intégrer qui est de retour de l’aéroport mais je dois être hospitalisée, c’est au repos et avec le masque à oxy- médecin réanimateur juge néces- la brigade. d’Orly. A la caserne, l’équipe scrute bon.” J’ai demandé à l’infirmière de gène, le taux remonte à 95 %. «On saire de préparer la famille : si son le JT de TF1 pour l’apercevoir sur les reprendre ma saturation, j’osais arrive tôt, pour l’instant il est sur- cas s’aggrave, les soignants ne pro- «Mon ancien images. «Eh ! Il est là tonton, regarde pas regarder le résultat, et finale- tout essoufflé à l’effort mais il y a le poseront peut-être pas une intuba- chef m’a fait signer à droite.» ment ça allait.» La peur du virus risque que ça s’aggrave», explique tion. L’homme souffre de diabète et un CDD “renfort réa”» Pour faire face à cette mobilisation ronge même les plus rationnels. Julien à sa nièce. Le malade va être d’hypertension, mais aussi de trou- En ce début du mois d’avril, tous les hors-norme, plusieurs médecins Reste l’étape la plus difficile, ce mo- bles psychiatriques qui pourraient soignants de la caserne sont aussi se sont portés volontaires pour en- ment où il faut annoncer le pire aux rendre impossible la difficile phase mobilisés pour transférer des pa- chaîner les gardes. Comme Samuel, malades ou à leurs familles. Dans L’étape la plus de rééducation. «Je trouve ça mons- tients vers l’ouest de la France et dé- médecin réserviste de 45 ans. Avant l’ambulance, Julien, 31 ans, interne trueux», réagit la nièce. «Avant cette charger les services de réanimation l’épidémie, ce soignant avait pra­- en anesthésie-réanimation, effec- difficile : ce crise, les questions se posaient pour franciliens. Des «évacuations sani- tiquement décroché après dix ans tue son dernier semestre avec les moment où il faut des personnes âgées, pour qui l’on taires», dans le langage militaire de aux urgences. Il avait quitté l’hô­- médecins de la brigade des sapeurs- savait qu’on ne pouvait rien faire, on la brigade des sapeurs-pompiers de pital, s’occupait d’un restaurant et pompiers de Paris. Il est appelé annoncer le pire est habitués. Avec cette maladie, et Paris. Plusieurs ambulances de préparait l’ouverture d’un hôtel à pour une nouvelle détresse respira- aux malades ou à notamment quand il y a des arrêts ­réanimation sont réquisitionnées Paris. «J’ai recontacté mon ancien toire, un homme de 70 ans à Noisy- cardiaques, on se pose des questions pour ces opérations à haut risque en chef et il m’a fait signer un CDD le-Sec. «Suspicion Covid.» L’ordre de leurs familles. pour des personnes dès 60, 65 ans», train, hélicoptère, avion… Ce ma- “renfort réa” à l’hôpital Ambroise- Libération Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13 «On est entraînés, mais c’est lourd à porter»

Le général Jean-Marie les personnels sont à jour en secou- tière et, dans le pire des cas, nous Gontier, commandant risme, donc même la personne qui ­contraindre à fermer un centre de se- de la BSPP, raconte remplit les contrats pour les marchés cours. Aujourd’hui, nous avons une publics ou s’occupe des ressources hu- quarantaine de cas avérés de Covid-19. comment ses équipes maines peut monter dans un véhicule Et 370 pompiers sont sortis des gardes se sont adaptées face et assurer les missions. Depuis dix parce qu’ils sont symptomatiques. à l’épidémie de Covid-19. jours, on a dû faire appel à cette ré- En quoi vos interventions liées au Une organisation qui serve, notamment pour Covid-19 sont-elles spé- doit composer avec avoir plus de véhicules cifiques ? les habituelles missions disponibles dans l’est de Quand vous aidez quel- contre les incendies. Paris et en Seine-Saint- qu’un qui a pris un coup Denis. Ce sont les en- de couteau, vous savez droits où l’on reçoit le faire les gestes techniques. a brigade des sapeurs-pompiers plus d’appels. On a essayé Mais face à un cas de Co- de Paris (BSPP) a souvent été en aussi d’apporter des vid-19, ce n’est pas de la première ligne lors de crises ­forces en dehors de nos technicité, c’est de l’hu-

L Marc Chaumeil ­récentes. Lors des attentats de 2015, casernes. Certains de nos main à 100 %. On est en- avec un afflux massif de victimes à se- médecins s’occupent de Interview traînés, mais c’est lourd à courir. Mais aussi plus récemment face soins intensifs dans les porter. Même si le combat à des incendies de grande ampleur, hôpitaux militaires de Percy et Bégin. le plus dur, actuellement, est bien sûr comme celui de la rue Erlanger, en fé- Nos soignants sont également mobili- à l’hôpital. Quand on part sur incendie, vrier 2019, ou encore deux mois plus sés sur les transferts de patients graves comme Notre-Dame par exemple, c’est tard celui de la cathédrale Notre- dans d’autres régions. Enfin, on a des un combat intense de huit à dix heures, Dame. Cette unité d’élite de 8 500 per- sections de brancardiers qui vont sou- il y a un ennemi visible, le feu, et puis à sonnes qui intervient à Paris et dans tenir les équipes d’infirmiers à tourner la fin de l’intervention, on passe à autre les départements de Seine-Saint-De- les personnes intubées afin de les aider chose. Là, ça fait depuis le mois de jan- nis, des Hauts-de-Seine et du Val-de- à respirer. vier qu’on est face à cette épidémie et on Marne est aujourd’hui confrontée à de Comment gérez-vous le risque pris ne sait pas quand ça se terminera. On nombreuses interventions liées à l’épi- par les pompiers face à l’épidémie ? n’a pas l’habitude d’être confrontés à ça. démie de Covid-19. Le général Jean- On doit effectivement être très vigilant Une forme d’impuissance se révèle à Marie Gontier dresse pour Libération pour repérer les symptômes, car un nous et il faut de l’endurance. un état des lieux de l’action et des dif- malade peut contaminer une garde en- Recueilli par Ismaël Halissat ficultés ­rencontrées par sa brigade du- rant cette crise. Etiez-vous prêt à affronter la vague de l’épidémie qui frappe l’Ile-de- France depuis le mois de mars ? Retrouvez Pour nous, les premières prises en charge ont débuté dès janvier. En fé- vrier, nous étions entre un et deux pa- tients Covid-19 par jour. Au début du mois de mars, c’était aux alentours de 100-120 interventions quotidien- nes. Et depuis une semaine, on est en- tre 350 et 550. Certains jours, nous n’avons plus qu’une réserve d’une vingtaine ou d’une trentaine de véhi- dans 28 minutes cules de secours disponible. C’est très peu, mais ça a tenu. Sur le terrain, on presente par elisabeth quin n’a jamais été dépassés. En revanche, au niveau de la prise d’appels, c’était du lundi au jeudi a 20h05 sur beaucoup plus compliqué. On a pris la vague, avec un très grand nombre de per­sonnes inquiètes. Cette activité liée à l’épidémie n’est pourtant pas la seule à gérer pour la BSPP… Dans le pré-hospitalier, il y a tout un tas Paré, là où j’avais travaillé comme Interventions d’acteurs qui se complètent. De mon interne.» Un contrat qu’il cumule en des sapeurs- côté, je dois aussi m’assurer que pour ce moment avec les gardes à la bri- pompiers en les incendies, où nous sommes seuls, gade. «Je n’avais jamais rencontré Ile-de-France, on dispose de forces suffisantes. D’au- une telle situation, les patients dont les 2 et 3 avril. tant que les immeubles d’habitations on s’occupe sont dans un état de gra- Photos Marc sont soumis en ce moment à une utili- vité terrible.» Alors Samuel s’accro- Chaumeil sation plus intensive. Dès que la crise che aux signes d’espoir et regarde le a commencé, on a donc dû réfléchir tableau de bord des interventions au moyen de conserver toute notre ca­- en cours à Paris et dans la petite pacité opérationnelle car il ne fallait couronne : «J’ai pas vu un cas de Co- ­surtout pas négliger les interventions vid sur toute la page, on dirait que courantes. c’est redevenu comme avant.» Plu- Avez-vous dû adapter votre fonc- sieurs douleurs thoraciques, un tionnement ? ­malaise dans la rue… Une accalmie Nous avons réorganisé nos équipes en précaire. Quelques instants plus interne. En ce moment, nos pompiers tard, l’alarme de son ambulance font des gardes de cinq jours, contrai- sonne à nouveau dans la caserne : rement à deux habituellement. L’avan- «Un Covid.» • tage, c’est que dans les bureaux, tous 14 u événement Santé Libération Mercredi 8 Avril 2020 «Moi aussi, j’ai envie d’être quelqu’un qui fait juste son travail»

l trépigne depuis deux semaines dans son explique Mathis. Lui reste dans le couloir, ­d’études – ont vu leur stage se terminer plus appartement. «C’est le parfait moment, cette chargé de retranscrire les constantes dans le tôt que prévu et sont donc mobilisables. Mais Etudiants en I crise. Pouvoir aider. Se sentir utile, ­réaliser classeur ad hoc, puis de nettoyer poignées de aussi les élèves de kiné ou de dentaire. Gérard ce qu’on veut faire à la base, quoi.» Eliot, 22 ans, porte et hublots extérieurs, tout cela pour «li- Friedlander, doyen de la faculté de médecine médecine et élèves en quatrième année de médecine à Paris, a em- miter au maximum les va-et-vient» avec les de l’université Paris-Descartes, frétille : «Le bauché lundi comme infirmier à l’hôpital zones à risque. Jade, qui sera infirmière diplô- 1er avril, on avait 360 redéploiements d’étu- infirmiers sont Saint-Joseph, dans le XIVe arrondissement. mée dans quelques mois, occupe le même diants, dont 76 infirmiers, 119 aides-soignants «Faut pas non plus que je sois un boulet. Mais poste à Lyon. Là-bas, ils appellent cela les «ai- ou brancardiers, 11 à la logistique, 84 qui sont nombreux à venir j’envisage cela comme une expérience assez sti- des-soignantes circulantes». Ces petites mains à Covidom [plateforme de télésuivi médical mulante», dit le futur médecin, avec un peu facilitent le travail des soignants, ou les rem- installée dans le centre de documentation de en renfort dans d’appréhension et, surtout, de l’impatience. placent parfois quand les effectifs manquent. l’AP-HP] et 72 déployés au Samu et dans les cen- «Ça fait du bien de se sentir utile, ne pas subir. Comme Thibault, 21 ans et étudiant en troi- tres 15. Nous avons de la gratitude et de l’admi- les hôpitaux. C’est un privilège», estime, quant à lui, Mathis, sième année de médecine, missionné dans un ration. On fait uniquement du bénévolat. Pas en deuxième année. Lui aussi commence cette service de gériatrie parisien : «On a besoin de besoin de réquisition pour l’instant.» Une entrée en semaine, en enfilant une blouse de «renfort ai- nous, parce que les aides-soignants et les infir- de-soignant» à l’hôpital Saint-Louis. miers titulaires sont appelés dans les services «C’est extrêmement frustrant matière souvent En pleine crise du Covid-19, toutes les bonnes Covid. Et pas mal sont infectés aussi. On per- de rester chez soi» éprouvante. volontés – y compris les apprenties bonnes met de soulager des équipes déjà en sous-effec- Cela dépend tout de même des secteurs. Des volontés – sont accueillies à bras ouverts. Plan tif chronique toute l’année.» élèves d’une école d’infirmiers lyonnaise ra- d’attaque : «Les troisième année font du secré- Depuis la flambée de l’épidémie, les étudiants content ces messages un peu ambigus de la Par Guillaume Krempp tariat, comme répondre aux familles, faciliter sont nombreux à s’être portés volontaires. De direction, invitant les volontaires à se mani- (à Strasbourg), Anaïs Moran, les trajets des brancardiers et ambulanciers. tous horizons. Médecins en herbe, bien sûr : fester en précisant que «ces missions sont né- Sylvain Mouillard Pour les “2A” [deuxième année, ndlr] comme depuis l’activation du fameux «plan blanc» le cessaires pour valider votre année»… «Autant et Marie Piquemal moi, notre mission, c’est le bionettoyage. On 6 mars et la réorganisation dans les hôpitaux, dire qu’on n’a pas vraiment le choix, com- Photos Marie Rouge doit assister les infirmiers ou aides-soignants beaucoup d’externes – ces étudiants de mente l’une des étudiantes. De toute façon, qui entrent dans les chambres des malades», ­quatrième, cinquième et sixième année la plupart d’entre nous voulaient participer. Sinon, il y a de quoi se poser des questions sur le métier qu’on s’apprête à faire, non ?» A d’autres endroits, le nombre de volontaires dépasse les besoins… Avec parfois une forme de frustration, voire de culpabilité. Mathias, interne à Strasbourg, s’en désole : «C’est un peu la drôle de guerre. Avec de nombreux collègues internes en neurologie, on a le fusil au pied, mais on attend l’ouverture d’un nouveau ser- vice d’hospitalisation Covid.» Pour l’instant, il n’a aidé «que» trois demi-journées au Samu, pour faire de la régulation téléphonique. «C’est extrêmement frustrant de rester cantonné chez soi. J’ai beaucoup moins de travail que d’habi- tude, mais les collègues infirmières ou les méde- cins en réanimation subissent une fatigue et un stress extrêmes. Moi, je ne mérite pas qu’on m’applaudisse le soir, parce que je ne peux pas aider.» Oriane, en cinquième année et confi- née à Paris, opine : «Quand on est externe, on veut faire partie des équipes médicales. Sinon, on a l’impression d’être à côté de l’endroit où tout se passe.» Dans sa fac, ce sont les élus (les élèves représentants) qui proposent des mis- sions sur des groupes Facebook privés, et c’est limite la bagarre. «Il y a tellement de volontai- res et trop peu de missions, en l’espace d’une heure tous les postes sont pris.» Oriane avait d’abord postulé pour intégrer une équipe du Samu. Elle vient finalement d’être appelée pour un poste d’assistante de recherche clini- que à Necker. Certainement débordés par l’afflux initial de volontaires, les hôpitaux passent de l’improvi- sation à une organisation cadrée d’un point de vue légal. «Dès l’instant qu’ils travaillent à l’hô- pital, les étudiants de la faculté de médecine sont des travailleurs hospitaliers comme les au- tres, donc protégés et couverts de la même ma- nière, assure le doyen Friedlander. C’est plus Eliot, en quatrième année de médecine, est devenu infirmier, et Mohamed a été affecté dans un service de médecine générale. compliqué pour les envoyer dans les ­Ehpad, car Libération Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15

mière. «Mini-interne» aussi. Charlotte a quelques patients attitrés, même si un méde- cin plus expérimenté la supervise constam- ment. La rémunération, elle n’y pense plus. «C’était une évidence pour moi de rester là où je suis utile. Je suis impressionnée par ce que je vois à l’hôpital, les personnels sont hyper présents, tous font des horaires de fou.» Forcément, vivre cette crise de l’intérieur aux prémices de leur carrière les interpelle puis- sance XXL. Pas tant sur le sens du métier : «En ce moment, il y a une sorte d’idéalisation autour du corps médical et paramédical, alors qu’ils font juste leur travail, pose Oriane. Ils le font très très bien, mais c’est leur mission. Et moi aussi, j’ai envie d’être quel- qu’un qui fait juste son travail.» Mais tous s’interrogent sur «l’état de l’hôpital», qu’ils découvrent «complètement dans le dur», pour reprendre les mots de Mohamed, parti ren- forcer l’équipe de médecine interne de la Pi- tié-Salpêtrière à Paris : «Pour trouver des gants, il faut faire les fonds de tiroir, les désto- cker de la réserve.» Ils se retrouvent plongés dans le vif, sans mé- nagement. Comme Selma (1), étudiante en deuxième année, qui dès le début de son vo- lontariat a dû préparer «des kits décès», en re- groupant dans une petite pochette le certificat de décès et d’autres documents. «On doit aussi s’assurer qu’on a assez de draps pour envelop- per les défunts. Il en faut deux par corps. Hier, on avait juste le nécessaire pour les quatre dé- cès du jour. On a dû demander à la famille d’un défunt de rester dehors, ça m’a brisé le cœur. Je les ai vus devant l’hôpital pleurer leur père. On n’a pas le temps de prendre en charge convena- blement le deuil des familles.» Elle a fini la journée «chamboulée et bousculée».

«à l’hôpital, on s’en prend plein la figure» «C’est tellement le rush que tu t’actives très vite, tu ne réfléchis pas trop», pointe Jade, en cinquième année de dentaire. Elle s’est re- trouvée catapultée dans le service de gériatrie de l’hôpital Charles-Foix d’Ivry-sur-Seine, à l’étage des patients diagnostiqués positifs au Covid. Un environnement radicalement dif- férent de l’univers de Covidom, où l’étudiante œuvrait bénévolement jusqu’alors : «Là-bas, ma mission était de rassurer par téléphone des malades anxieux, qui craignaient d’avoir le Covid car ils avaient de la fièvre ou un peu de toux. Ici, on s’en prend plein la figure. A l’hô- pital, l’ambiance est hyper anxiogène, avec des pancartes “Covid-19” affichées partout. Psychologiquement, je pense que ça va vite être difficile.» Dans la région lyonnaise, Julia (1), future in- firmière, parle d’une voix un peu chancelante, même si elle ne doute pas un instant d’être là où elle doit être. Depuis le début de la crise, elle fait des vacations dans une caserne de pompiers, où elle intervenait déjà comme vo- lontaire. Elle est habituée aux situations d’ur- gence, elle a appris à agir avec calme et ri- gueur pour être efficace. Mais en l’écoutant, on mesure la difficulté du moment. Elle ne veut pas trop s’épancher de peur de trahir le secret médical, mais à mots couverts elle ex- prime l’impuissance face à «ces situations où Jade, en cinquième année de dentaire, s’est retrouvée dans le service de gériatrie d’un hôpital, à l’étage réservé au Covid-19. tu n’as aucune prise» : «Tu arrives, la personne parle, semble aller à peu près. Et en l’espace de vingt minutes, elle désature. Tu fais tout ce il faut rédiger des conventions particulières à désavantagés, comme Charlotte (1), étudiante «On a dû demander qu’il faut, tu donnes de l’oxygène, et rien ne chaque fois.» Un arrêté du 28 mars fixe la rému- en cinquième année de médecine. Libérée de marche.» Comme cet homme embarqué en nération : les étudiants de médecine exerçant son service de chirurgie orthopédique à l’an- à la famille d’un défunt urgence devant son épouse désemparée, qui un job d’infirmier sont payés comme des infir- nonce du «plan blanc», elle a été très vite en- n’était pas autorisée à l’accompagner. Julia miers, ceux occupant un poste d’aide-soignant voyée en réanimation. Depuis, elle enquille de rester dehors, décrit aussi ces équipiers, pourtant profes- sont rémunérés comme des aides-soignants… les gardes avec des malades du Covid-19 pour ça m’a brisé le cœur. Je les sionnels aguerris, qui reviennent d’interven- une indemnisation de 210 euros par mois. Elle tion sans décrocher un mot durant un long «Je suis impressionnée note les constantes, remplit les protocoles de ai vus devant l’hôpital moment, le visage marqué. «On le vit. On se par ce que je vois» recherche qui sont ensuite envoyés aux atta- pleurer leur père.» rend compte à quel point c’est violent.» • Les étudiants restés sous le statut de stagiaire chés de recherche clinique. La semaine der- au moment du confinement sont en revanche nière, elle était mi-brancardière mi-infir- Selma étudiante en deuxième année (1) Les prénoms ont été modifiés. 16 u Expresso Libération Mercredi 8 Avril 2020

Confinement : une «fracture alimentaire» LIBÉ.FR Si pour beaucoup de parents, la fermeture des écoles ­engendre l’inquiétude de ne pas faire correctement l’école à la maison, chez les plus précaires, s’ajoute parfois la crainte de ne pas être en mesure de nourrir correctement ses enfants. Pour Meriem, mère de famille, «c’est difficile d’avoir les enfants à la maison au lieu de les faire manger à la cantine, où ils mangent de tout. Comme on n’a pas de budget, on fait pas forcément équilibré». Alors que certaines associations sont fermées, les antennes du Secours populaire sont sur le pont. Photo ANNE-CHRISTINE POUJOULAT. AFP Etudiants confinés : «Certains confient ne pas avoir mangé depuis deux ou trois jours»

compliqué à gérer», poursuit la jeune femme.

«Folie». Le collectif, qui ré- clame le gel des loyers pour ce public fragile, enregistre environ 40 à 50 demandes par jour. «C’est la folie ! Et la preuve qu’il faut agir sans tarder», alerte Jean. Il pré- cise que «l’initiative a aussi séduit des collectifs lyonnais et parisiens désireux de met- tre en place le même sys- tème». A Bordeaux, pour tout financer, une cagnotte en li- gne a été lancée. Elle comp- tabilise à ce jour environ 45 000 euros de dons. «Le problème, c’est que les fonds sont bloqués le temps que la plateforme vérifie les justifi- catifs. On a dû avancer 20 000 euros de notre poche et on arrive à court de mar- chandises», se désolent les bénévoles, qui craignent de ne plus pouvoir assurer leurs livraisons quotidiennes. «Ce qu’on aurait aimé, c’est plus de réactivité. De la part du Crous notamment», raille l’une des membres du collec- tif. «Nous assurons la conti- nuité de nos services, répond Anie Bellance, responsable du service social du Centre régio- Abdessamad, 25 ans, a perdu son job étudiant à cause de l’épidémie. «Je ne sais pas trop comment je vais faire», dit-il. nal des œuvres universitaires et scolaires à Bordeaux. Il a Depuis le début brosser les dents, attraper un pas chercher à manger équili- fermeture des restaurants «colis de survie» dans un local fallu toutefois les renforcer du- du confinement, un sachet de pâtes ou travailler bré», mais plutôt à se «rem- universitaires, cafétérias et prêté par l’université. «Dès le rant cette période, ce qui ne se collectif bordelais à son bureau, Abdessamad, plir le bide pour pas cher». associations étudiantes. début, on a diffusé un formu- fait pas du jour au lendemain. 25 ans, a seulement deux op- C’est le cas d’Imarou, un laire de ­contact sur les ré- La temporalité n’est pas la a distribué plus tions : pivoter sur lui-même «Solidarité». Comme lui, ­Nigérian de 22 ans d’allure seaux sociaux. On a aussi même entre un collectif et une de 700 colis à des ou tendre le bras. L’étudiant environ 3 500 étudiants sont ­fluette qui étudie l’électroni- posé des affiches pour connaî- administration… Nous avons étudiants précaires en ingénierie des risques restés confinés dans le cam- que : «Jusque-là, je m’en sor- tre leurs besoins. Certains dû attendre les directives de coincés sur le économiques et financiers à pus de Bordeaux. Dans cette tais plutôt bien. Les repas sont étudiants nous ont carrément l’Etat.» Des distributions ali- campus et affamés l’université de Bordeaux ne zone périurbaine désormais copieux et pas chers dans les confié ne pas avoir mangé de- mentaires ont désormais lieu par la fermeture se plaint pas. Il a l’habitude. quasi déserte, on repère aisé- restos U. Mais depuis que tout puis deux ou trois jours», sou- deux fois par semaine, sur des restos U. D’origine marocaine, il vit ment leurs silhouettes. De a fermé, je suis sur le fil. Je me pire Jean (1), doctorant en présentation de la carte étu- depuis deux ans sur le cam- temps à autre, au milieu du rationne pour tenir sur la du- philosophie. diante, grâce au soutien de la pus. Ce qui le stresse, surtout, silence, ils passent une tête à rée.» Ce «régime forcé» lui a A l’intérieur des sacs distri- Banque alimentaire et de la Par c’est d’attraper le Covid-19. travers les seules fenêtres res- déjà valu de perdre deux kilos bués gratuitement, des fécu- chambre d’agriculture. Des -Eva Fonteneau Alors, tous les jours, il désin- tées ouvertes. La plupart sont depuis la mi-mars. lents, des conserves, des pro- points de vente sont égale ,Correspondante à Bordeaux fecte à l’eau de Javel le sol, des étrangers ou des ultrama- Marqués par «leur détresse», duits d’hygiène… De quoi ment prévus. Pour l’heure Photo son bureau, les poignées… rins qui n’ont pas pu rentrer une quinzaine de doctorants, tenir au moins une bonne se- 500 étudiants ont été identi- Rodolphe Escher Mais plus encore que le virus, chez eux. Les plus fragiles d’étudiants et d’enseignants maine. «On respecte un pro- fiés et bénéficient de cette Abdessamad a peur de ne pas s’enfoncent dans la précarité – un noyau dur de militants tocole sanitaire ultrastrict», aide. «Ce chiffre devrait croî- uand on est un grand pouvoir manger à sa faim. car ils ont perdu leur job d’ap- contre la réforme des retrai- indique Natacha, étudiante tre. La principale difficulté est gaillard de 1,87 mètre «J’avais un petit job étudiant. point ou parce que leurs pa- tes – ont monté un collectif en philo. En vingt jours, plus de les capter et de les informer. Q enfermé depuis trois J’ai dû tout arrêter. Là, je suis rents, eux-mêmes en diffi- citoyen baptisé «Solidarité : de 900 requêtes ont été re- Jusque-là, beaucoup étaient semaines dans un logement à découvert depuis une di- culté, ne peuvent plus les continuité alimentaire Bor- censées sur le campus et inconnus de nos services», du Crous de 9m2, la notion de zaine de jours. Je ne sais pas soutenir. Il y a ceux aussi qui deaux». Depuis le 18 mars, 700 paquets livrés. «Par souligne Anie Bellance. • confinement prend une tout trop comment je vais faire», sont rupture familiale. Tous ces bénévoles se relaient cha- ­contre, on ne peut pas mettre autre dimension. Pour se soupire-t-il. Il explique «ne subissent de plein fouet la que jour pour préparer des de produits frais, c’est trop (1) Le prénom a été modifié. Libération Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 17

L’Académie de médecine favorable LIBÉ.FR au déconfinement par régions L’Académie nationale de médecine a recommandé mardi que «la sortie du confinement soit décidée sur la base de la région et non par classe d’âges». Un choix assorti de conditions drastiques (et difficilement réalisables), comme l’interdiction de circuler entre une région en sortie de confinement et une autre encore confinée. Pour la société savante, il s’agit surtout de mettre en cause une piste examinée avec intérêt par le gouvernement : un déconfinement étalé en fonction de l’âge.

Restriction Anne Hidalgo interdit le running entre 10 et 19 heures Au Rwanda, la commémoration du La maire de Paris et le préfet de police ont annoncé dans un com- génocide des Tutsis à l’heure du Covid muniqué l’interdiction de «toute activité sportive individuelle» dans la capitale entre 10 heures et Le portable de Chaste Uwiho- commémorations démarrent pés souffrent de dépression aux commémorations. Plus 19 heures à partir de ce mercredi. reye, psychologue, n’arrête en plein ­confinement de majeure. Et le souvenir du gé- de marches du souvenir, de La capitale devient la première pas de sonner. la population nocide reste un événement veillées nocturnes, de témoi- ville à renforcer les mesures du «Je me sens Reportage décrété le incontournable dans cette gnages de victimes dans les

AFP confinement après l’appel du mal, j’ai des 22 mars en petite nation africaine qui mémoriaux à travers le pays. gouvernement lundi à ne pas relâ- maux de tête, des an­goisses, je raison de l’épidémie de coro- a réussi à renaître de ses cen- Les Rwandais sont invités à se cher les efforts pour lutter contre le Covid-19. Emmanuel panique», lui ex­plique Del- navirus. Un vrai défi pour dres. La mémoire est d’autant recueillir chez eux, dans l’in- Grégoire, premier adjoint de Hidalgo, a précisé sur Twitter phine, 36 ans, à l’autre bout les rescapés les plus trauma­- plus sollicitée qu’encore au- timité. A l’exception d’une cé- que les «promeneurs» n’étaient pas concernés. Fin mars, du fil. Cette femme est une tisés, comme pour ceux qui jourd’hui, plus d’un quart de rémonie à huis clos qui a eu Edouard Philippe avait déjà durci les conditions de sortie rescapée du génocide des les aident. siècle après le drame, on re- lieu mardi au mémorial de Gi- pour se dégourdir les jambes : déplacements limités à une Tutsis en 1994. Ces jours-ci, Pour aider sa patiente, Chaste trouve des morts, comme sozi à Kigali, où les restes de heure et dans un rayon d’1 km autour de son domicile, y les images qui la hantent en- Uwihoreye lui conseille de ce fut le cas dimanche avec la plus de 250 000 personnes compris pour les coureurs. L’activité sportive a augmenté core, ressur­gissent de façon dessiner tout ce qui lui passe découverte d’une fosse com- sont inhumés, en présence du en France depuis le 17 mars, or elle est vecteur de contami- plus violente. Chaque année, par la tête. Le même exercice mune près d’un barrage qui Président, Paul Kagame. A la nation : les gens se côtoient sans respecter la distanciation le 7 avril, date du premier jour qu’il lui aurait demandé lors pourrait contenir jusqu’à télé, des émissions spé­ciales physique. «Chaque sortie évitée est utile à la lutte contre des massacres, marque le dé- d’une séance en face-à-face, 30 000 cadavres. sont programmées toute la l’épidémie», précisent le communiqué d’Anne Hidalgo et but des commémorations du dans son cabinet. Il y soigne Mais cette année, pour cause semaine. Et un numéro d’ur- de Didier Lallement, pour une fois sur la même ligne. Le génocide qui a fait près d’un les survivants du génocide de Covid-19 (le pays compte gence, le 112, a été mis en préfet de police a annoncé prendre un arrêté, en accord million de victimes il y a aux côtés de quatre psycho­- au moins 105 cas de contami- place pour les rescapés. avec la maire socialiste, pour «réduire certaines possibilités vingt-six ans. Mais mardi, logues. Au Rwanda, on estime nation), les autorités ont an- MARGOT Chevance de sortie en cours de journée». pour la première fois, les qu’au moins 35 % des resca- nulé tous les événements liés Correspondante à Kigali

ligne-t-il. Au début, nous n’avions pas de tests, il y A la poursuite avait un décalage énorme «Sur l’étendue entre le nombre de personnes malades et le nombre de de la molécule «N» ­personnes infectées et sans de l’épidémie, symptômes. On ne savait pas Jean-Paul Mari suit au jour non, pas vraiment. «La frange misés en double aveugle, quelle était l’étendue de l’épi- le jour le combat d’une obscure, c’est l’endroit où la deux groupes comparatifs, c’est la même démie. Aujourd’hui, c’est un équipe médicale dans un molécule s’agrège au virus !» avec placebo et toutes les au- peu la même inconnue.» hôpital d’Ile- Mais une preuve torisations nécessaires : celle C’est sur la question du dé- de-France. Vu de moléculaire n’est de l’Agence nationale de sé- inconnue que pistage que Rozenbaum se Il est médecin l’hôpital pas une preuve curité du médicament et du montre le plus ferme «Si urgentiste le jour cellulaire, in vitro. Comité de protection des pour le sida vous vous savez infecté, ça et chercheur la nuit. Ou l’in- A Lyon, un labo passe son personnes, qui lui ont fait change tout, alors vous faites verse. Là, le jour va poindre, il temps à tester des molécules parvenir une liste de ques- attention et vous n’avez finit sa garde et bondit en ou- dans une course effrénée tions à donner le tournis à l’époque.» plus le même comportement. vrant ses mails : «Ah ! Enfin, pour trouver un médicament à un virus. Indispensable Donc, dès que c’est possible, voilà un résultat encoura- contre la pandémie. Le pro- ­processus. il faut dépister.» Autre ré- geant !» Avec lui, il faut tout tocole prévoit plusieurs do- Sauf que dans l’urgence ac- flexion : «La grande diffé- décrypter. C’est un scienti­- sages de la molécule N. Le tuelle, avec des humains qui rence entre le Covid-19 et le fique, chercheur de haut ni- premier résultat tombe, dé- s’asphyxient en salle de réa- VIH, c’est que le Covid-19 est veau, rationnel et compliqué cevant… négatif ! Quinze nimation, l’urgentiste espère sacrément contagieux, tout en diable. Tout a commencé jours de travail à la poubelle. obtenir un début des essais avance très vite. Et puis, le avec l’appel d’une collègue On passe à la deuxième sous quinze jours. Et sau- Willy VIH, au début, induisait un biochimiste, amoureuse de la étape, plus concentrée, à ver des vies ? Il se barricade : Rozenbaum décès quasi inéluctable. Là, modélisation mathématique : 100 micromolaires. Et là, sur- «C’est implicite.» Le méde- médecin on est dans une maladie dont «Ça t’intéresse de monter prise. Le mail de ce matin du cin veut soigner mais le cher- codécouvreur du VIH les gens vont guérir naturel- un essai clinique sur la mo­- labo révèle que la charge né- cheur se doit de douter : «La AFP lement à plus de 90 %.» lécule N. ?» Oui. Et comment ! gative du virus s’effondre science médicale n’est pas Une hypothèse alerte le mé- Il y croit depuis si longtemps, de 50 %… «et le protocole pré- un dogme intangible. On tâ- A 74 ans, Willy Rozenbaum, deux grands pontes de la decin : «On a appris avec le alerté par ses capacités à se voit d’envoyer jusqu’au double tonne, on recule, on avance, le codécouvreur du VIH, médecine ont vanté lors VIH que pour qu’une per- coller au coronavirus pour dans la gueule du virus !» Ga- on se trompe.» Et l’homme continue de consulter à d’une conférence de presse sonne modifie son comporte- ­inhiber son ARN, en clair, gné ? Est-ce qu’il y croit ? La sous la blouse ne peut s’em- ­l’hôpital Saint-Louis à Paris. les mérites de la ciclosporine ment, il faut qu’elle adhère ­paralyser le tueur. Quinze question le fait bondir : «Al- pêcher de frémir : «J’ai tou- Quand on l’interroge sur (un antirejet) pour guérir du aux mesures prises. Là, on jours de travail acharné pour lons ! Ce n’est pas un problème jours eu peur de mal faire. d’éventuels rapprochements sida. Quelques jours plus évoque le fait d’isoler des écrire un protocole de re­- de croyance. Je ne crois pas, je Peur de tuer au lieu de sauver. entre le sida et le Covid-19, il tard, on apprenait que tous personnes, de faire donc cherche. Mathématiquement, pense… qu’il y a des probabi- Ça ne m’est jamais arrivé reste un brin perplexe. Puis les patients traités avec un dépistage ciblé, avec le cela fonctionne. Il ouvre son lités que ce médicament soit mais… le risque zéro n’existe rappelle que toute nouvelle étaient morts. Willy Rozen- ­risque d’aller vers des “coro- écran, pointe un écheveau co- efficace.» Reste maintenant à pas.» Il ne l’avouera pas mais épidémie a vu une course baum insiste sur «l’intérêt natoriums”. Or je sais d’ex- loré de lignes folles à la Hans lancer les essais cliniques en sur son écran les lignes dan- aux médicaments effrénée, irremplaçable d’études bien périence que ce n’est pas une Hartung : «Vous voyez ? C’est respectant une méthodologie sent en forme de fol espoir. avec des dérapages inouïs. menées». «L’émotion et l’ur- mesure optimale.» évident, n’est-ce pas ?» Heu, irréprochable : tests rando- Jean-Paul Mari Ainsi en France, en 1985 gence étaient les mêmes, sou- Éric Favereau 18 u Libération Mercredi 8 Avril 2020

Répertoire Annonces légales [email protected] 01 87 39 80 20 [email protected] 01 87 39 84 00 Libération est officiellement habilité pour l’année 2020 pour la publication des annonces ANTIQUITÉS/ légales et judiciaires par arrêté de chaque BROCANTES préfet concerné dans les départements : 75 (5,50 €) - 92 (5,50 €) - 93 (5,50 €) tarifs HT à la Ebeniste ligne définis par l’arrêté du ministère de la ABONNEZ-VOUS Culture et la Communication de décembre 2019 Achète Vernisseur Bronzier 75 PARIS tableaux Restauration Constitution de société anciens de meubles 636782008/04/20LIB1

10

0000010000712468@ Par SSP en date du 13/03/2020, il a été anciens constitué une SARL dénommée : XIXe et Moderne avant 1960 Devis à DUJARDIN Tous sujets, école de Barbizon, Siège social : 13 rue Guillaume Tell 75017 domicile PARIS Capital : 5000 E Objet social : orientaliste, vue de Venise, Création confection de tenues de mariage Gérance : Mme Azéline SITTA demeurant 4 marine, chasse, peintures de rue Jacquemont 75017 PARIS ; Mme Angéline genre, peintres français & 06 09 47 13 74 TANCHAUD demeurant 23 rue Carnot 92300 [email protected] LEVALLOIS-PERRET Durée : 99 ans à comp- étrangers (russe, grec, ter de son immatriculation au RCS de PARIS. américains...), ancien atelier de peintre décédé, bronzes... Estimation gratuite ACHÈTE EXPERT MEMBRE DE LA CECOA tous types voitures [email protected] 06 07 03 23 16 motos, camions, camping cars et caravanes, même accidentés ou HS pour EXPORT par Paiement immédiat Offre mois(1) La reproduction de Déplacement gratuit intégrale ,90€ N° Siret 300636873 N° Siret 34 nos petites annonces est interdite Soit plus de 37% de réduction par rapport au prix de vente en kiosque. O re à durée libre 06 43 38 61 06 sans engagement valable jusqu’au 31.12.2020.

A découper et renvoyer sous enveloppe affranchie à Libération, service abonnement, 2 rue du Général-Alain-de-Boissieu 75015 Paris. Offre réservée aux particuliers.

AUTLIB20 Oui, je m’abonne à l’o re intégrale Libération. Mon abonnement intégral comprend la livraison chaque jour de Libération et chaque samedi de Libération week-end par portage(1)+ l’accès au site et à l’application Libération sans publicité + des newsletters exclusives. CORONAVIRUS Nom Prénom

N° Rue

Code postal Ville

Numéro de téléphone

E-mail @ (obligatoire pour proter des services numériques et accéder à votre espace personnel sur liberation.fr)

Règlement par carte bancaire. Je serai prélevé de 34,90€ par mois (au lieu de 56€, prix au numéro). Je ne m’engage sur aucune durée, je peux stopper mon

L Saavedra/SPF service à tout moment.

Face au Coronavirus, et pour maintenir son activité dans le respect des règles Carte bancaire N° de sécurité recommandées par le Ministère de la santé, le Secours populaire en appelle à la mobilisation de tous et aux dons financiers. Expire le Signature obligatoire : mois année Faites un don sur secourspopulaire.fr

Règlement par chèque. Je paie en une seule fois par chèque de 384€ pour un an d’abonnement (au lieu de 664€, prix au numéro).

(1)Cette o re est valable jusqu’au 31/12/20 en France métropolitaine. La livraison est assurée par un porteur avant 8h dans plus de 500 villes, les autres communes sont livrées par voie postale. Les informations requises sont nécessaires à Liberation pour la mise en place et la gestion de l’abonnement. Elles pourront être cédées à des Partenaires commerciaux pour une nalité de prospection commerciale sauf si vous cochez la case ci-contre . Conformément à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 vous disposez d’un droit d’accès, de rectication, de limitation, d’opposition et de suppression des données que vous avez transmises en adressant un courrier à Libération – 4 rue de Mouchy – 60438 NOAILLES cedex. Pour en savoir plus sur les données personnelles, rendez-vous sur http://bit.ly/LibeCGV Libération Mercredi 8 Avril 2020 u 19

À LA TÉLÉ CE SOIR

www.liberation.fr TF1 FRANCE 4 TFX 2, rue du Général Alain de Boissieu, 75015 Paris 21h05. Grey’s Anatomy. 21h05. Rien que pour vos 21h05. Camping Paradis. tél. : 01 87 25 95 00 Série. De la part de yeux. Policier. Avec Roger Téléfilm. La grande invasion. Par GAëTAN Cristina. 21h05. Grey’s Moore, Carole Bouquet. Avec Laurent Ournac. 22h50. Edité par la SARL Libération on s’en grille Une ? GORON Anatomy Station 19. 23h10. Un grand cri d’amour. Camping Paradis. Téléfilm. SARL au capital Série. Je connais ce bar. Théâtre. Retrouvailles au camping. de 15 560 250 € 22h45. Chicago Med. FRANCE 5 CSTAR 2, rue du Général Alain de Boissieu CS 41717 1 2 3 4 5 6 7 8 9 FRANCE 2 20h50. La grande librairie. 21h00. Tokarev. Action. Avec 75741 Paris Cedex 15 21h00. Vivre sans eux. Magazine. Quelles solutions Nicolas Cage, Rachel Nichols. RCS Paris : 382.028.199 I Téléfilm. Avec Bernard Le pour notre planète ?. 22h30. 22h40. King rising 2 : les deux Principal actionnaire Coq. 22h35. Dans les yeux C dans l’air. Magazine. mondes. Film. SFR Presse d’Olivier. Documentaire. II PARIS PREMIÈRE TF1 SÉRIES FILMS Affaires non élucidées. Cogérants 20h50. Zemmour et Naulleau. 21h00. New York section FRANCE 3 Laurent Joffrin, Magazine. 22h20. Thierry criminelle. Série. La mémoire Clément Delpirou III 21h05. La carte aux trésors. Le Luron, l’humour de ma vie. traquée. Une rançon suspecte. Jeu. Polynésie française. Docuemnetaire. 22h40. New York section Directeur de la publication 23h30. Pièces à conviction. criminelle. Série. 2 épisodes. et de la rédaction IV TMC Laurent Joffrin Magazine. Olympique de 6TER Marseille : quand le milieu 21h15. Burger Quiz. Jeu. Directeur délégué faisait la loi. 3 épisodes. 23h25. Julien 21h05. Elementary. Série. de la rédaction V Doré, le concert événement. Trou noir. Le petit doigt du Paul Quinio CANAL+ yakuza. 22h40. Elementary. W9 Directeurs adjoints 21h00. La Gaule d’Antoine. VI CHÉRIE 25 de la rédaction Documentaire. Pays de La 21h05. Enquêtes criminelles. Stéphanie Aubert, Loire. 22h25. Beaux- Magazine. 2 reportages. 21h05. Les enquêtes de Christophe Israël, parents. Film. Présenté par Nathalie Renoux. l’inspecteur Wallander. Alexandra Schwartzbrod VII 23h10. Enquêtes criminelles. Téléfilm. La muraille invisible. ARTE Rédacteurs en chef Magazine. 22h55. Snapped : les femmes Michel Becquembois 20h55. Marie-Thérèse tueuses. Magazine. VIII NRJ12 (édition), Christophe d’Autriche. Série. Épisode 1. Boulard (technique), RMC STORY Avec Marie-Luise Stockinger. 21h05. FBI : portés disparus. Sabrina Champenois 22h40. Marie-Thérèse Série. Le coupable idéal. Voie 20h55. Le scandale du gaspil- (société), Guillaume IX Launay (web) d’Autriche. Série. Épisode 2. de garage. 22h55. FBI : portés lage alimentaire. Documen- disparus. Série. 5 épisodes. taire. 22h00. Hypermarchés, M6 Directeur artistique des bas prix à quel prix ?. Nicolas Valoteau X C8 21h05. Top chef. Jeu. Épisode 8. LCP Présenté par Stéphane 21h15. Enquête sous haute Rédacteurs en chef adjoints Jonathan Bouchet- XI Rotenberg. 23h15. Top chef : tension. Magazine. Chauffards 20h30. Débatdoc. Petersen (France), les grands duels. Jeu. contre justiciers de la route : Magazine. Abbas by Abbas. Lionel Charrier (photo), Baptiste Renouard / Merouan la guerre est déclarée. 23h00. 21h30. Débatdoc. 22h00. Cécile Daumas (idées), Bounekraf. Enquête sous haute tension. Vers un monde altruiste. Vittorio De Filippis Grille n° 1491 (monde), Gilles Dhers HORIZONTALEMENT (web), Fabrice Drouzy I. Elle fait progresser les petits enfants II. Qui ont changé de frin- (spéciaux), Matthieu gues III. Prépare son corps à l’effort (s’) # Trois amis dont Emerson Ecoiffier (web), Christian Losson (enquêtes), qui envoient du son IV. Véhicule école # Il habite l’élève dans la lune Catherine Mallaval pendant le cours V. Homère par exemple # La classe de troisième MERCREDI 8 JEUDI 9 (société), Didier Péron VI. Il n’était pas unique à Prisunic, mensonge ! # Etrangleur indien (culture), Sibylle VII. Quart de portion à Paris # Jésus arabe VIII. Endroit de savoir # Le soleil s'impose rapidement après la Les conditions anticycloniques persistant Vincendon (société) rapide dissipation de quelques brumes ou avec un soleil très généreux accompagné Unité de fluidité IX. Ce prénom est commun chez les Suisses- Allemands et commune en Ariège # Avoir les mains qui se collent nuages bas localisés. Des nuages élevés d'une très grande douceur l'après-midi. Abonnements X. Troquerai un soutien contre un poste XI. Cours au long cours sont présents à l'Ouest. Seule la Bretagne verra arriver une abonnements.liberation.fr VERTICALEMENT L’APRÈS-MIDI [email protected] 1. Maîtres mais pas d’école 2. Mont où Hercule quitta les humains Très belle après-midi perturbation accompagnée de nuages. tarif abonnement 1 an printanière avec du soleil et une très grande EN SOIRÉE La dégradation du temps se France métropolitaine : 384€ pour le divin # Tout juste 3. Mettrai tout ensemble # Port européen tél. : 01 55 56 71 40 entouré d’O 4. Titre de Mick Jagger # Il permet de mettre la distance douceur. Quelques cumulus se développent confirmera sur la façade Ouest avec nuages qu’on nous incite à prendre # Centre de dépouillements 5. Pressé à l'Ouest et sur les reliefs et peuvent et quelques pluies éparses. Le temps calme et bien agité # Ce dessin est terminé une fois la seiche sèche Publicité 6. Tête d’épingle # Sans bavure # A, B, C, D et E 7. Il a moins de vingt occasionner quelques averses. et doux persiste partout ailleurs. Altice Media Publicité - Libération ans # Famille de politiciens libanais 8. Cent millions d’Indiens le 2, rue du Général Alain parlent # C’est la seconde franchise NBA de la grille 9. Jeu d’enfants 0,3 m/11º Lille 0,3 m/11º Lille de Boissieu, 75015 Paris Solutions de la précédente Hz. I. TOLÉRANTS. II. REAL. NOIP. tél. : 01 87 25 85 00 0,3 m/11º 0,3 m/12º III. AISSES. FI. IV. CANETON. V. SHA. CRISA. VI. VERGE. BOL. VII. ESSONNE. VIII. RI. TSÉ-TSÉ. IX. SOÛL. TAIN. X. ADDICTION. Caen Caen Paris Paris Strasbourg Strasbourg Petites annonces XI. LESBIENNE. Vt. 1. TRANSVERSAL. 2. OEI. HÉSIODE. 3. LAS- Brest Brest Carnet CARS. UDS. 4. ELSA. GOTLIB. 5. ENCENS. CI. 6. ANSER. NETTE. 7. NO. Orléans Orléans Team Media TIBÉTAIN. 8. TIFOSO. SION. 9. SPINALIENNE. [email protected] Dijon Dijon 10, bd de Grenelle CS 10817 Nantes Nantes 75738 Paris Cedex 15 tél. : 01 87 39 84 00 [email protected] 0,6 m/13º 0,6 m/14º ◗ SUDOKU 4241 MOYEN ◗ SUDOKU 4241 DIFFICILE Lyon Lyon Impression Bordeaux Bordeaux 8 9 5 8 Midi Print (Gallargues), POP (La Courneuve), 1,5 m/14º Montpellier Nice 1m/15º Montpellier Nice Nancy Print (Jarville), 2 4 5 7 3 8 6 1 2 8 3 Toulouse Toulouse ◗ SUDOKU 4241 MOYEN ◗ SUDOKU 4241 DIFFICILE Marseille Marseille CILA (Nantes) Imprimé en France 7 8 1 9 5 2 4 8 6 9 4

04 01 16 91 27 Membre de OJD-Diffusion 0,1 m/15º 0,3 m/16º Contrôle. CPPAP : 1120 C 2 4 75 7 53 86 6 91 2 58 9 3 3 7 1 IP IP 80064. ISSN 0335-1793. 7 1 2 4 6 9 4 Origine du papier : France 5 3 8 4 2 -10/0° 1/5° 6/10° 11/15° 16/20° 21/25° 26/30° 31/35° 36/40° 7 5 6 9 5 9 3 7 1 5 2 3 1 9 8 5 4 2 1 3 4 6 4 2 12 9 5 3 19 3 94 6 6 8 1 4 2 3 9 9 6 8 1 Soleil ÉclairciesNuageuxPluieCouvert Orage Pluie/neige Neige Taux de fibres recyclées : 8 8 4 45 75 2 76 2 5 6 3 5 9 3 9 100 % Papier détenteur de Agitée Peu agitée Calme Fort Modéré Faible l’Eco-label européen 7 6 8 7 6 N° FI/37/01 7 6 8 7 6 15 Indicateur SUDOKU 4240 MOYEN SUDOKU 4240 DIFFICILE d’eutrophisation : PTot 0.009 kg/t de papier SUDOKU9 7 8 1 3 42402 4 5 6MOYEN3 8 1 2 9 4 6 5 SUDOKU7 4240 DIFFICILE FRANCE MIN MAX FRANCE MIN MAX MONDE MIN MAX 1 2 3 5 4 6 8 7 9 9 7 2 3 5 6 4 1 8 4 5 6 7 8 9 1 2 3 4 6 5 7 8 1 9 2 3 Lille 12 22 Lyon 9 22 Alger 12 18 596 77 8 113 32 924 4 5 6 6 2 7 4 1 9 8 3 53 8 1 2 9 4 6 5 7 Caen 11 18 Bordeaux 11 22 Berlin 8 20 814 21 93 255 43 667 8 7 9 5 1 4 6 3 8 2 7 99 7 2 3 5 6 4 1 8 La responsabilité du 349 52 46 677 85 891 1 2 3 8 9 3 5 2 7 1 4 64 6 5 7 8 1 9 2 3 Brest 10 13 Toulouse 11 19 Bruxelles 12 22 6 8 5 3 7 1 9 4 2 Solutions des 1 3 9 8 4 5 7 6 2 journal ne saurait être 751 64 27 988 16 335 2 9 4 2 4 6 9 7 3 5 8 16 2 7 4 1 9 8 3 5 Nantes 11 20 Montpellier 9 19 Jérusalem 8 18 engagée en cas de non- 283 49 61 594 27 158 3 grilles6 7 d’hier 7 5 8 1 6 2 3 9 45 1 4 6 3 8 2 7 9 restitution de documents. Paris 12 21 Marseille 14 15 Londres 11 22 3 9 2 4 6 7 5 8 1 8 9 3 5 2 7 1 4 6 6 8 5 3 7 1 9 4 2 Solutions des 1 3 9 8 4 5 7 6 2 Strasbourg 9 22 Nice 13 18 Madrid 10 20 Pour joindre un journaliste 7 1 4 2 9 8 6 3 5 2 4 6 9 7 3 5 8 1 par mail : initiale du Dijon 8 21 Ajaccio 10 18 New York 12 17 pré[email protected] 2 3 9 6 5 4 7 1 8 grilles d’hier 7 5 8 1 6 2 3 9 4 20 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 8 Avril 2020 Idées/

ton qu’elle utilise pour s’adresser aux chiens attachés qui aboient sur son passage. Ce que tu es en train de me dire, c’est que si l’on «Pourquoi quitter doit se préparer au scénario du pire, tu voudrais que je travaille cet aspect-là ? Afin que le jour où tu meurs sous mes yeux dans la salle des urgences, je ne me mette cette vie merveilleuse ?» pas à pleurer ?» J’approuve avec enthousiasme. C’est un moment rare. La plupart L’écrivain israélien epuis que l’épidémie s’est lement ce jeune docteur daignait pas d’y avoir une seconde saison. du temps, elle ne comprend pas Etgar Keret déclarée, je peux enfin jeter un regard dans ma direc- Et qui voudrait d’une dernière bien ce que je veux. s’imagine victime D imaginer ma propre mort. tion, il serait aussitôt frappé par scène montrant une famille en «Donc, si je te promets, là, tout de Non pas que je n’essayais pas mon humanité, mon visage larmes dans un service d’urgence suite, que quoi qu’il arrive, je ne du coronavirus. avant, mais chaque fois que je blême lui rappellerait un oncle surpeuplé ? Je dis bien «famille», pleurerai pas et qu’à la place je… Un peu d’humour m’allongeais sur mon lit, fermais qu’il aimait autrefois et qui mou- même si mon fils n’est pas là. je ne sais pas, moi… je te fais un noir en ces temps les yeux et tentais d’imaginer rut tragiquement dans un acci- Il est à la maison en train de jouer clin d’œil ?» s’interroge-t-elle. Je d’épidémie. mon dernier souffle, les choses dent de plongée. Mais il ne le fait à Fortnite. En tout cas, c’est ce lui explique qu’elle n’a pas besoin allaient toujours de travers. Si je pas. Il regarde un géant velu aux qu’il faisait quand on m’a em- de me faire un clin d’œil, elle me voyais en train de perdre le tempes dégarnies en train de mené à l’hôpital. Je lui ai dit de peut juste me tenir la main et contrôle de ma voiture sur l’auto- faire un esclandre dans le bureau ne pas venir car j’avais peur qu’il se montrer douce et sereine. Par route par exemple, zigzaguant des infirmières. Je déduis de ses attrape quelque chose aux urgen- A l’image de ces mères en- Etgar Keret entre les voies, roues bloquées, hurlements qu’il attend depuis ces. Mieux vaut éviter de tomber deuillées qui apparaissent à la à près de 100 kilomètres/heure trois heures que quelqu’un malade durant cette période de télé pour demander que l’on ne alors que des conducteurs agres- veuille bien examiner son père. coronavirus, même si l’on est un plie pas devant le terrorisme. sifs me klaxonnaient comme des L’infirmière la plus âgée lui de- enfant. Je suis heureux qu’il ne On voit bien que c’est difficile fous, quelques secondes avant mande de se calmer. Au lieu de soit pas là pour me voir au bout pour elles, qu’elles sont déchirées l’accident fatal, ma voiture se lui répondre, le géant velu allume de ma vie. S’il était là et s’il voyait à l’intérieur, mais elles veulent mettait à glisser sur le flanc et une cigarette. Un agent de sécu- ma femme pleurer, il s’y mettrait préserver les apparences et mon- même si c’était très angoissant rité râblé se précipite et lui de- aussi : question émotion, il ne trer qu’elles sont fortes. Il est bien

P.Normand et si les airbags se déclenchaient, mande de la boucler, le géant prend jamais l’initiative. Et alors plus facile de quitter cette terre j’arrivais toujours à m’en sortir. velu lui dit qu’il le fera à la se- là, l’affaire deviendrait vraiment en sachant que vous laissez der- Ecrivain. Et je n’envisageais pas seulement conde où un médecin acceptera compliquée. J’aimerais dire à ma rière vous une femme solide Dernier livre paru : des accidents de voiture. Tout d’examiner son père. Ma femme femme quelque chose qui la comme un roc. «Pas de problème, Incident au fond de la galaxie, y passait : attaques terroristes, essaie de capter l’attention du rende heureuse, qui lui fasse pen- dit ma femme. Si c’est plus facile Editions de l’Olivier, mars 2020. ­accrochages violents avec les voi- jeune docteur, mais celui-ci, ser à autre chose, n’importe quoi pour toi, je le ferai. Pas de larmes. sins, crise cardiaque en direct à la l’ignorant, se dirige vers le géant pourvu qu’elle arrête de pleurer. Marché conclu.» télévision au milieu d’une émis- et son père. Je sens que, quelque Mais je ne peux plus parler. Cette nuit-là, je suis allongé dans sion culturelle. J’avais beau ima- effort que je fasse, il m’est impos- Je suis mort. Et alors je n’arrive mon lit, éveillé une fois de plus. giner les pires horreurs, je m’en sible de respirer. C’est comme plus à m’endormir. Ma femme dort, j’entends son tirais toujours. Cela se terminait pousser une porte fermée à clé. J’en parle à ma femme. Je sais souffle régulier à mes côtés, et parfois par une interview à la Je connais cette sensation depuis que ces jours de coronavirus ne quand je ferme les yeux, tout est télé, les cheveux en vrac, dans le l’enfance. Je me souviens de sont pas les plus propices pour là : la douleur, les ampoules fluo- journal du soir. Ou alors je me ré- ­chaque détail de mes crises confier de telles choses, mais tout rescentes clignotant au-dessus veillais à l’hôpital et mon fils se d’asthme. Mais quand j’y re- cela me brûle à l’intérieur comme de mon lit, l’air qui ne parvient précipitait sur moi pour me ser- pense, il m’était toujours possible une hémorroïde et je dois clari- pas à entrer dans mes poumons. rer dans ses bras. Malgré mes d’emplir mes poumons d’un filet fier la situation. «C’est ça ? s’excla- J’entends le géant velu hurler et ­efforts, tous ces drames finis- d’air. Et les médecins prenaient me-t-elle, c’est vraiment ce qui te l’infirmière la plus âgée essayer saient sans victime. soin de moi. Je regarde ma préoccupe ? Non pas le fait de de le calmer. Je m’efforce d’inspi- Puis est arrivé le coronavirus qui femme. Elle pleure, ce qui me mourir jeune ou de laisser der- rer, de pousser la porte aussi fort a tout balayé. Chaque nuit, rend fou. Ma mort est proche, je rière toi une femme, un enfant et que possible, mais elle est fer- quand je vais me coucher, je l’ai toujours acceptée. C’est une un lapin, mais le fait que je mée. Au-dessus de moi, je vois ferme les yeux et je me vois trans- question de minutes. Mais ces pleure ?» J’essaie de lui expliquer ma formidable femme chercher porté au pas de course à l’hôpital larmes ! Pourquoi dois-je quitter que le coronavirus, mes pou- désespérément le médecin. Elle en ­détresse respiratoire sévère. la vie merveilleuse qui était la mons abîmés, le système de sait qu’elle ne le trouvera pas, Les quelques docteurs encore mienne de cette façon : plus de santé défaillant, le géant velu mais elle essaie quand même. présents aux urgences sont épui- soleil, plus de ciel bleu, un géant hurlant aux urgences, tout cela, Je manque d’air et elle s’en aper- sés et à bout. Ma femme de- velu hurlant et me soufflant la fu- ce sont des faits concrets. Je ne çoit. Elle me regarde et, dans ses mande poliment à un jeune mé- mée au visage, et mon épouse peux rien y changer. En revan- yeux, je vois que c’est la fin. decin aux yeux chassieux s’il adorée en train de pleurer ? La che, si elle pleure, c’est son choix. Elle prend ma main et approche peut m’examiner en lui expli- mort est censée être la fin de la Et pour moi, c’est extrêmement son visage du mien. Elle est forte, quant que je suis un malade à première saison de cette série perturbant. comme ces mères à la télé, mais haut risque car je souffre télé qu’est ma vie ; le fait est que, «OK ! dit ma femme en faisant bien plus calme. Ses yeux verts d’asthme. Il pose sur elle un re- puisque je suis mort, il ne risque mine de comprendre, du même me disent : «T’es en train de nous gard vide, pensant manifeste- quitter, mon pote, dommage, mais ment à autre chose. Peut-être à sa ça va aller ici après ton départ, propre mort quand l’heure vien- ça va aller.» Je m’endors. • dra. Ou à une bonne douche. La mort est censée être la fin J’essaie de sourire – j’ai lu quel- de la première saison de cette série Texte traduit de l’hébreu en anglais par que part que l’on suscite davan- Jessica Cohen et de l’anglais en français tage l’empathie quand on sourit, télé qu’est ma vie ; le fait est que, par Alexandra Schwartzbrod. c’est pourquoi les escrocs sou- puisque je suis mort, il ne risque pas A voir prochainement sur Arte, la série l’Agent rient beaucoup –, j’esquisse mon immobilier, d’Etgar Keret et de Shira Geffen, sourire le plus charmeur. Si seu- d’y avoir une seconde saison. avec Mathieu Amalric et Eddy Mitchell. Libération Mercredi 8 Avril 2020 u 21

oblige à accepter l’emprise de l’épidémie. Les relations humaines s’en trouvent à la fois intensifiées et atténuées. Le langage de l’amitié s’appauvrit. Le besoin de l’au- tre est accru, mais si l’aimé·e est absent·e, son visage s’efface progressivement pour ne laisser qu’un vague souvenir. Avec l’épidémie, c’est la force des sentiments et du langage qui se trouve mise à mal. L’écriture de Camus reproduit les effets de l’épidémie sur notre quotidien : «La peste, ça ­consiste à recommencer.» Parce que la quarantaine et la lutte contre la maladie n’ont rien d’exaltant, l’épidémie ne saurait donner lieu à un récit trépidant et épique – d’où le style sobre de la Peste. D’ailleurs, il y aurait beaucoup à dire sur la parole en temps d’épidémie. Chacun étant menacé, tout le monde se sent autorisé à tenir un discours pseudoscientifique sur la mala- die. L’heure est également aux grands dis- cours : «Au commencement des fléaux et lorsqu’ils sont terminés, on fait toujours un peu de rhétorique. Dans le premier cas, l’habitude n’est pas encore perdue et, dans le second, elle est déjà revenue. C’est au moment du malheur qu’on s’habitue à la vérité, c’est-à-dire au silence.» A travers le personnage du docteur Rieux, Camus met en garde contre les discours : en temps de crise, il convient de parler moins pour parler mieux. Le docteur apparaît comme «un homme lassé du monde où il vivait, ayant pourtant le goût de ses semblables Image issue du film la Peste (1992) réalisé par l’Argentin Luis Puenzo d’après l’œuvre de Camus. Photo AKG Images. et décidé à refuser l’injustice et les conces- sions». L’épidémie met à rude épreuve le pouvoir de la science, notamment lorsque le sérum n’empêche pas la mort d’un en- fant. Pourtant, Rieux sait qu’il faut conti- «La Peste» de Camus ne nuer à agir malgré les échecs, à espérer sans rien ­attendre. Loin de tout héroïsme, il entend seulement «faire son métier d’homme». Si le public a encore besoin meurt ni ne disparaît jamais de désigner des héros, Rieux refuse ce ­titre car il sait que ces hommages sont un leurre. L’épidémie n’offre pas une L’écrivain montre comment lors que le succès des romans Camus évoque la miraculeuse survie de ­occasion de glorifier certains ; elle révèle l’épidémie met à rude ­Notre-Dame de Paris (Victor Hugo) fossoyeurs en contact permanent avec les un problème préexistant qu’on n’avait épreuve le pouvoir A et ­Paris est une fête (Ernest He- ­cadavres quand des bourgeois, croyant pas voulu voir et elle engage toute la mingway) rendait hommage au monu- échapper à la peste en fuyant le pays, ­communauté. de la science, la parole ment et à la vie parisienne, la Peste nous avaient succombé malgré tout. La Peste Pour Camus, tout individu, en fonction politique, appauvrit offre, de ­façon à peine déformée, un reflet souligne aussi le décalage entre le corps de ses qualités et de ses possibilités, doit le langage mais renforce de la crise que nous traversons. Comment médical et les autorités politiques. Au dé- faire son métier d’homme, c’est-à-dire les liens de solidarité. expliquer l’intérêt pour ce roman ? Camus but, les dirigeants minimisent l’épidémie : ­«essayer au moins de ne pas propager Toute ressemblance s’est inspiré des travaux du médecin «Les mesures n’étaient pas draconiennes, et ­volontairement le microbe». Quand l’épidé- avec le Covid-19… Adrien Proust (père de l’écrivain). Quicon- l’on semblait avoir beaucoup sacrifié au dé- mie disparaît, Rieux peut affirmer qu’«il y a que parcourt les premiers chapitres du sir de ne pas inquiéter l’opinion publique.» dans les hommes plus de choses à admirer ­livre sera frappé par les convergences avec De fait, la panique ­générale et la quaran- que de choses à mépriser» tant la solidarité les prémices du Covid-19. taine mettent en branle l’autorité politique a prévalu. Face à Oran en liesse, il rappelle De prime abord, personne ne veut croire à et l’économie. Le roman dépeint une ville ­cependant le risque d’une nouvelle conta- l’épidémie : «On se dit donc que le fléau est où les habitants «travaillent beaucoup, gion : «Car il savait ce que cette foule en joie Par irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. toujours pour s’enrichir». ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, Aurélie Palud Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais Une fois la quarantaine instaurée, Camus que le bacille de la peste ne meurt ni ne dis- rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes montre le «sentiment de l’exil» qui touche paraît jamais.» qui passent.» A l’instar du jeune journa- les habitants. Enfermés dans leur ville et A quoi ressemblera la société après le liste Raymond Rambert qui souhaite dans un présent distendu, les Oranais ­Covid-19 ? Après une période de vigilance, ­rentrer à Paris pour vivre son histoire ­oscillent entre repli sur soi et besoin d’au- reviendrons-nous à la société d’avant ? d’amour, chacun tente de se sauver et de trui. Le romancier exprime cet entre-deux Quelle société émergera de ce ralentis­- sauvegarder ses privilèges. On s’octroie qui transforme les habitants en «dormeurs sement de l’économie, de la consomma-

DR des passe-droits, on brave l’interdit, on fuit éveillés». D’un côté, on peine à prendre la tion, de la pollution ? A l’instar de Rieux, la ville en quarantaine. Si certains veulent mesure du fléau malgré les chiffres an- il faudra sans doute collecter les traces, Agrégée de lettres modernes et docteure croire en leur invincibilité, d’autres ten- noncés : «Et puisqu’un homme mort n’a de ­recueillir les paroles. Pour construire la en littérature générale et comparée au tent de se prémunir par tous les moyens : poids que si on l’a vu mort, cent millions de ­société à venir, il conviendrait aussi de Centre d’études des langues et littératures désignation de boucs émissaires, adhésion cadavres semés à travers l’histoire ne sont ne pas abandonner ce «soupçon d’autre anciennes et modernes (Cellam), à de fausses rumeurs, superstitions. Or qu’une fumée dans l’imagination.» De l’au- chose» que l’épidémie nous aura laissé université de Rennes-II. l’épidémie ne répond à aucune logique : tre, la métamorphose du paysage urbain ­entrevoir. • 22 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 8 Avril 2020 Idées/

Etats seraient suspectés de profi- à résidence, alors que nous ter de la situation pour déployer ­doutons de l’utilité de données des méthodes normalement into- moins intrusives dans le cadre lérables, au risque de les banali- d’une pandémie ? Lorsque Goo- ser et de remettre en cause gle nous informe de la fréquen­- ­nos libertés fondamentales. tation d’un magasin en temps Nos libertés sont pourtant déjà réel ou lorsque Facebook analyse largement entravées. La liberté ­notre fréquentation de rayons de de se mouvoir ou de commercer magasins partenaires, leurs moti- a été strictement encadrée en vations et les bénéfices que nous l’espace de quelques jours. Aussi, en retirons sont-ils plus essen- après les révélations d’Edward tiels ? Alors que nous sommes Snowden ou des pratiques de confinés et que nos pratiques Cambridge Analytica, nous au- ­numériques se sont intensifiées rions pu penser que la situation plus encore, pourquoi ne som- était claire : nous sommes massi- mes-nous pas plus inquiets de vement surveillés ! Alors, préci- la surveillance de nos moindres sons un peu le contexte : les don- communications, des personnes nées mobilisées par Orange ou avec qui nous échangeons, de la par Swisscom sont déjà utilisées liste des sites que nous visitons, en urbanisme, pour prédire les des films que nous regardons, embouteillages, dans le cadre des livres que nous lisons et de d’enquêtes criminelles ou pour la musique que nous écoutons ? retrouver des personnes dispa- ­Serait-ce parce que nous sommes rues. Orange, comme l’Union consentants ? Serait-ce parce que ­européenne, dit n’utiliser pour nous ne sommes pas obligés l’instant que des données agré- d’utiliser de tels services, parce gées, ne pouvant pas renvoyer que ce sont des entreprises pri- Issue de la série sur la reconnaissance faciale, à Rennes, en 2019. Photo Maxime MATTHYS à un individu. Nous pourrions vées ? Aussi, lorsque Facebook ne pas les croire et rappeler que collecte des informations sur pour agréger des données, il faut des individus n’ayant même pas bien qu’elles soient collectées de compte Facebook, à quoi sous leur forme la plus élémen- ­consentons-nous vraiment ? taire. Nous pourrions douter La surveillance de nos vies, Avec votre de leurs intentions, anticiper que de la mobilité de nos corps à cela ne durera pas et souligner nos communications les plus in- que la tentation de suivre tous times, c’est déjà la norme de nos les individus un à un est grande. existences. Ce sont essentielle- consentement Nous pourrions aussi rappeler ment Google et Facebook qui en l’impératif du consentement, ont la maîtrise, et beaucoup plus de la légitimité et de la propor- marginalement Amazon, Micro- tionnalité de la surveillance. soft, Apple, Visa et Mastercard, A la peur de la ors de la grippe espagnole, voilà exposés et relativement Mais ne devrions-nous pas nous suivis localement de quelques propagation du virus, nous étions trop occupés ­démunis. demander, plus largement, banques et opérateurs de télé- L par la guerre pour discuter Dès lors, nous sommes à l’affût si nous avons consenti à ce que communication. Si nous accep- s’est ajoutée de ce mal qui tuait pourtant des de la moindre information nous ­vivons actuellement ? tons d’être surveillés individuel- celle d’être surveillés millions de personnes. Nous vi- ­susceptible de nous éclairer, et la Ne devrions-nous pas nous poser lement par de telles entreprises par des outils vons aujourd’hui une situation tentation est grande de mobiliser la question en d’autres termes : sans réel ­consentement et que numériques. radicalement opposée. Nos corps tous les moyens en notre pouvoir de quoi avons-nous peur ? nous refusons de l’être de nos Pourquoi s’inquiéter sont assignés à résidence et nous pour traquer ce virus et contenir Pourquoi accepterions-nous gouvernements, il est temps de de ces collectes de ferions la «guerre» à un virus la menace qui se fait chaque jour d’être suivis massivement et indi- saisir que ce n’est pas avec le nu- données en période dont nous comptons chaque jour plus pesante. Dépourvus de mas- viduellement en temps normal, mérique que nous avons un pro- les victimes. Nous avons finale- ques et de tests en nombre suffi- avant même d’avoir été assignés blème, mais avec le politique. d’épidémie alors que ment pris acte de la trivialité sant, il nous faut suivre chaque Lorsque nous acceptons que de nous acceptons d’être ­selon laquelle le virus se propa- corps. Chacun d’entre nous est telles ­entreprises collectent suivis massivement geait de corps en corps, dans une devenu suspect, véhicule poten- les moindres détails de nos exis- en temps normal ? relative discrétion. N’étant éton- tiel du Sars-Cov-2 [virus respon- Les Etats seraient tences pour le compte de leurs namment pas préparés à cela, sable du Covid-19, ndlr]. suspectés clients et que nous doutons dans un déni remarquable, Lorsque le PDG d’Orange ­conjointement des régimes poli- il nous faut à présent repousser ­annonce que sensiblement 17 % de profiter tiques qui nous gouvernent, le drame et attendre d’être des Franciliens sont partis en nous réalisons que les effets de ­équipés pour affronter ce mal province en l’espace d’une se- de la situation la propagation du Sars-Cov-2 ne Par micros­copique et non moins maine, il est précisément ques- pour déployer sont qu’un révélateur de l’am- redou­table. tion d’individus mobiles, accom- pleur de notre vulnérabilité. Boris Beaude Alors que nos gouvernements pagnés de leurs virus et de leurs des méthodes C’est plus fondamentalement la successifs ont fait la sourde téléphones, qu’il suffirait donc de normalement confiance en ce qui constitue oreille à ceux qui alertaient sur suivre à la trace. En l’espace notre Monde commun qui est l’état de délabrement des struc­- de quelques jours, l’Union euro- intolérables, au remise en cause, c’est ce que re- tures hospitalières, alors que les péenne, la Suisse, le Royaume- couvre le «nous» qui est disputé, mesures d’exception mises en Uni ou les Etats-Unis ont risque de les ce sont, enfin, la pluralité, l’hori- œuvre par la Chine furent attri- ­successivement manifesté leur banaliser et de zon et les moyens de notre

DR buées à son régime non moins intention d’exploiter de telles ­coexistence qu’il convient exceptionnel, alors qu’il fut sup- données. Soudainement, à la remettre en cause de questionner dès à présent, Géographe, chercheur à l’Ecole posé que la situation dramatique peur de la propagation du virus, ­nos libertés et sans attendre la fin de cette polytechnique fédérale de l’Italie devait bien avoir une s’est ainsi ajoutée celle d’être expérience ­anthropologique de Lausanne (EPFL) vulnérabilité spécifique, nous massivement surveillés. Les fondamentales. majeure. • Libération Mercredi 8 Avril 2020 u 23

vie. La grippe espagnole ne l’a pas lecture n’a rien de très cueilleurs, peu nom- La Cité des livres épargné. Deux jours plus tard, réjouissant, on s’en breuses et séparées les Blaise Cendrars, son ami, assista à doute, mais elle permet unes des autres, y survi- ses obsèques. Comme il suit son aussi de mettre en per- vaient facilement. C’est cercueil vers le Père-Lachaise, une spective l’actuelle pan- l’invention de l’agricul- foule exubérante les entoure en démie, par la simple ture et de l’élevage (et poussant des hurlements de joie : comparaison, et aussi non l’apparition de l’in- nous sommes le 11 novembre, jour de se rassurer un peu : dustrie), en multipliant Par de l’armistice. Cendrars en est cho- de toute évidence, l’évo- les contacts homme- Laurent Joffrin qué, sans doute à raison. On fête la lution des moyens de animal, qui a favorisé victoire et la fin de la tuerie mais lutte contre la grippe les épidémies. Celles-ci une autre tuerie est à l’œuvre dont laisse espérer, en 2020, Laura Spinney ont frappé au fil des siè- on parle peu, même si le nombre un bilan qui n’a pas La Grande cles toutes les sociétés des morts ne cesse de s’accroître : grand-chose à voir avec Tueuse, humaines, à travers le L’autre grippe celle que perpètre un ennemi invi- le massacre planétaire comment même mécanisme : sible, encore plus meurtrier que les survenu il y a un siècle. la grippe transmission du virus C’est le moment ou jamais de lire cet ouvrage armées innombrables amassées En 1918, la guerre espagnole de certaines espèces consacré à l’une des plus grandes pandémies dans le monde et qui va laisser der- s’achève en Europe. Les a changé animales (les oiseaux, de l’histoire, la grippe espagnole qui décima rière elle plus de morts que les gouvernements belligé- le monde les chauves-souris…) à entre 1918 et 1919 de 20 à 50 millions de personnes. combats de la Grande Guerre. rants censurent étroite- Albin Michel des animaux d’élevage, Journaliste scientifique et roman- ment la presse, sauf en 432 pp., 24 euros puis aux humains. Par- algré une grave blessure à de souffrance, la peau envahie cière britannique, Laura Spinney Espagne, qui n’a pas fois, la consommation la tête qui le forçait à por- d’une teinte bleu foncé, terrassé a consacré à cette pandémie, sans pris part au conflit : on y parle de la directe de certains animaux sauva- M ter un cercle de métal au- par la fièvre, étouffant et soufflant doute la pire de l’histoire humaine pandémie, ce qui fait croire un mo- ges provoque une transmission di- tour du crâne, il avait survécu aux comme un asphyxié. Guillaume en nombre de victimes, un livre à ment que le mal ne touche que les recte (on pense que c’est le cas pour combats. Il était l’inventeur du Apollinaire est mort ce jour-là la fois savant et bien écrit, paru Espagnols. En fait, en deux vagues le coronavirus, sans certitude ab- mot «surréalisme» et, déjà, l’un des dans son appartement du VIIe ar- il y a deux ans, mais dont l’actualité successives, l’une banale au prin- solue). En revanche, l’apparition de plus grands poètes français. Mais rondissement. Les balles et les connaît un regain manifeste en ces temps, la deuxième désastreuse villes immenses au XXe siècle, liée, le 9 novembre 1918, il gît sur un lit obus allemands l’avaient laissé en temps de confinement général. Sa pendant l’automne, la plupart des elle, à l’industrialisation, a accru pays de la planète sont traversés les contaminations et, surtout, leur par le fléau. vitesse de propagation. Jusqu’à la Face à l’épreuve, la science est dé- diffusion massive des vaccins, qui sarmée. On sait depuis Pasteur que ont vaincu une grande partie des L'œil de Willem le coupable est un microbe. Mais maladies infectieuses (peste, cho- on ne peut identifier et encore léra, tuberculose, etc.). Mais pas la moins isoler le virus, que les mi- grippe. croscopes de l’époque ne peuvent Laura Spinney étudie, avec mé- détecter en raison de sa taille, très thode, tous les aspects de la grande inférieure à celle des bactéries. On catastrophe de 1918, origines, itiné- ignore même, pour l’essentiel, ce raire, propagation par bateau en qu’est un virus… On sait, en revan- raison des transports de troupes che, que la grippe est une maladie liés à la guerre, influences démo- immémoriale. Laura Spinney en graphiques, culturelles, autant de retrace l’histoire de manière fort passages qu’on lit avec intensité utile. Ses premières traces connues dans cette atmosphère de confine- remontent à l’Antiquité, quand les ment mondial. L’aspect le plus habitants de Périnthe, au bord de frappant concerne la réaction des la mer de Marmara, sont pris de autorités. Plutôt homogène toux et d’éternuements et que cer- en 2020 (avec des exceptions), elle tains meurent dans la fièvre. C’est est totalement disparate en 1918. un médecin grec qui en fait la des- Certains gouvernements laissent cription, précise et chiffrée. Son faire, tout occupés par la guerre. nom est appelé à une certaine no- D’autres prennent des mesures fai- toriété : il s’appelle Hippocrate. bles et relâchées qui engendrent Alors que les Anciens attribuaient des pertes humaines considéra- les épidémies à la vengeance des bles. D’autres, enfin, recourent aux dieux (on entend cela aujourd’hui mêmes méthodes qu’aujourd’hui, chez certains intégristes religieux), avec un succès inégal : interdiction Hippocrate est persuadé que le des rassemblements, fermeture fléau est purement terrestre, et il des écoles, des stades et des salles tente de le comprendre. Mais il se de spectacle, gestes barrières, in- trompe en bâtissant la «théorie des terdiction des déplacements. Mais humeurs», source de tant d’aberra- à la différence de la situation ac- tions médicales (voir les médecins tuelle, l’équipement sanitaire de Molière). Il faudra attendre la d’une majorité de pays ne permet découverte des microbes au pas d’endiguer le mal. Morgues dé- XIXe siècle pour se débarrasser de bordées, soignants dépassés, beau- ces funestes conceptions. coup de malades graves ne reçoi- Certains avancent aujourd’hui que vent aucun soin et meurent chez la dissémination rapide du virus eux. Certains succombent dans la est liée au mode de vie de la société rue et les cadavres jonchent les industrielle. C’est largement faux voies publiques. Terrible, le bilan (mais en petite partie vrai). En fait, mondial du coronavirus s’élevait explique Laura Spinney, la grippe lundi à plus de 70 000 décès. Celui existe depuis l’aube de l’humanité. de la grippe espagnole est compris Mais les sociétés de chasseurs- entre 20 et 50 millions de morts. • 24 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 8 Avril 2020 CULTURE/

Par de nos yéyés. Le premier trip mar- Olivier Lamm quant du jeune Hosono n’eut lieu qu’en 1973, quand son groupe folk- crire sur la maladie, si rock Happy End partit pour la Cali- l’on est, en plus d’être fornie afin d’enregistrer son troi- «E gravement malade, hy- sième album. Rendez-vous avait été pocondriaque, est un acte de déses- pris aux mythiques studios Sunset , poir ou de masochisme», écrivit vers Sound avec Van Dyke Parks. Colla- la fin de sa vie Roberto Bolaño, borateur de Randy Newman ou des qui se savait depuis longtemps Byrds, le fameux parolier du maudit ­condamné par une insuffisance hé- Smile des Beach Boys (lire Libéra- patique, et qui rédigea la partie la tion du 23 mars) tentait alors d’ima- plus conséquente de son œuvre giner une pop américaine qui aurait dans le temps compté de sa rémis- dérivé directement du bluegrass sion. Etre atteint d’un mal moins aux sixties, sans passer par la case grave, en revanche, peut donner des Beatles – et sans oublier le trauma l’Inde aux tripes ailes à l’imagination. de Pearl Harbor. Ho- Comme l’opium ou le voyages sono avait 22 ans, bourbon, une gastro inspirés (1/9) une passion particu- Adepte des voyages imaginaires, le musicien ou un simple rhume lière pour Buffalo japonais s’est lancé en avril 1978, à l’invitation agrémenté de fièvre sont d’excel- Springfield et Little Feat, et rêvait lents psychédéliques, qui peuvent d’enregistrer en Californie depuis de l’artiste de pop art Tadanori Yokoo, dans influencer les artistes de mille ma- qu’il avait posé pour la première fois nières inattendues. Ainsi le géant le doigt sur une guitare électrique. une expédition de New Delhi jusqu’au Kerala. pop japonais Haruomi Hosono est «Pourquoi les disques américains catégorique quand on l’interroge sonnaient-ils si bien ? rapportait-il Gravement malade de la tourista, il en tirera sur l’inspiration de Cochin Moon, en 2018 dans une interview avec Yo- son premier disque électronique suke Kitazawa. A cause de l’électri- son premier album électronique, «Cochin Moon», (réédité en 2018 par Light in the At- cité ? Voilà le genre de questions entre visions mystiques et troubles intestinaux. tic), universellement jugé comme le qu’on se posait.» plus fantasque, le plus mystérieux et le plus innovant : une bonne croisières vieille tourista des familles, comme postmodernes en attrapent la majorité desvoya- Son premier album solo, enregistré geurs étrangers en Inde, même les la même année, proposait pourtant plus scrupuleux avec l’hygiène et la un tout autre genre d’aventure. traçabilité de ce qu’ils ingèrent. ­Titré Hosono House et effective- ­Hosono fit son premier voyage dans ment enregistré dans sa maison de le pays en avril 1978, à l’invitation de Sayama, avec la console de mixage Tadanori Yokoo, artiste bien connu au milieu du séjour, il proposait en Occident pour son pop art et ses d’imaginer le reste du monde, de pochettes de disques (Miles Davis, l’Etat de New York où se nichait la Santana) ; un tour luxueux, long «Big Pink House» de aux d’un mois, des sites touristiques de plus vieux temples de Kyoto où l’on New Delhi à la pointe du Kerala, or- célèbre chaque février la fête du ganisé par l’office du tourisme, et ­haricot, depuis son inconscient que le musicien envisageait comme confiné. Déjà très occupé comme une promenade de santé. Il n’en se- producteur, auteur-compositeur rait rien : au bout de trente jours, pour les hit-parades et bassiste de Hosono rentrerait avec la certitude studio, Haruomi Hosono se consa- d’avoir aperçu une soucoupe vo- cra tout au long de la décennie 1970 lante, et l’impression d’être passé à à développer pour son compte une deux doigts de la mort. «paradise music» de voyages imagi- Plus tôt dans sa carrière, Haruomi naires, impossiblement vagabonde, Hosono avait très peu voyagé hors inspirée par les exotismes du de son pays. Pourtant, musicien monde entier. Une manière de tout professionnel depuis qu’il avait re- confondre et tout mélanger – ca- joint le groupe psyché rock Apryl lypso, funk de La Nouvelle-Orléans, Fool à la fin des années 60, le Japo- swing d’avant-guerre, exotica… – nais né en 1947 à Tokyo était tribu- mais surtout d’inverser les clichés, taire d’un fait qu’on aurait tendance Hosono étant tout particulièrement à oublier dans le réel polycentré intéressé par les fantasmes orienta- de 2020 : à l’exception des groupes listes des Américains, qu’ils zonent anglo-saxons, la grande majorité en poste à Okinawa ou soient ren- des musiciens pop n’avaient voca- trés au bercail après la guerre du Pa- tion à jouer nulle part ailleurs que cifique. Renommé pour l’occasion dans leur propre pays. Les mouve- «Harry Hosono», déguisé en capi- ments eleki et group sounds qui taine de paquebot, le Japonais pro- exaltèrent la jeunesse nipponne posait avec Tropical Dandy (1975) dans les sixties après les venues des ou Bon Voyage Co. (1976) des croi- Ventures et des Beatles, furent des sières postmodernes de port rêvé en phénomènes nippo-japonais, à port fantasmé, à Hawaï ou Yoko- Haruomi Hosono en juillet 1976. Photo Courtesy of The Masashi Kuwamoto Archives l’instar de la rumba congolaise ou hama, tout en se sachant incapable Libération Mercredi 8 Avril 2020 u 25

d’être un «orientaliste véritable» puisque faisant partie d’un peuple «enfermé dans ce lieu que les Occi- dentaux appellent l’Extrême- Orient».

Gargouillis synthétiques D’emblée, Cochin Moon fut une tout autre histoire. C’est Tadanori Yokoo, déjà «coauteur» d’un «opéra» rock électronique avec le compositeur d’avant-garde Toshi Ichiyanagi (premier époux de Yoko Ono), qui avait été missionné par la maison de disques King Records pour composer un album de «colla- ges» à partir d’enregistrements ef- fectués en Inde. L’extension de l’in- vitation à Hosono est surtout due au fait que Yokoo en était artisti- quement incapable. Le musicien accepta sans trop savoir dans quoi il s’engageait, un peu à con- tre-cœur. A la manière de ces tou- ristes en visite à Paris en proie au «Paris shokogun», syndrome tou- chant les Japonais trop désorientés par l’écart entre le réel et leurs fan- tasmes dérivés des films de la Nou- velle Vague, Hosono ­craignait en effet que l’expérience, réelle, de l’Inde ne vienne dissiper ses fantas- mes d’un paradis de santal et de pa- lais en ruines. Yokoo le convainquit en lui promettant une expérience mystique, à base de paysages subli- mes et de crises diarrhéiques. Et diarrhée il y eut, vite et fort. Après une semaine à courir les charmeurs de serpents avec un mi- La pochette de l’album Cochin Moon de Haruomi Hosono a été réalisée par Tadanori Yokoo. Photo DR cro et une rencontre traumatisante avec un mendiant dans une ruelle d’Old Delhi, Hosono se résigna à la Le premier trip exempte de clichés comme on en catégorique : à son retour d’Inde, il quelque prodige mystique, Hosono contemplation pour emmagasiner entendrait tant dans les fusions de avait été «transformé». Et à bien des avait entrevu que l’évocation de son des expériences à poser sur bande marquant de musique indienne et d’électronique égards, Cochin Moon est bien plus trip, pas franchement fabuleux plus tard… Avant d’être plongé dans des années 90, pleine d’humour et révolutionnaire que le premier al- quand on y repense, aboutirait à l’abîme, un soir, à Chennai, sans Haruomi Hosono, de mélodies. Un disque unique en bum de YMO, plus proche par ses quelque chose de spécial, considé- doute à cause d’un glaçon dans un né en 1947 à Tokyo, son genre, et dans la carrière de textures de l’ambient d’avant-garde rable pour son œuvre, s’il s’autori- verre de jus de fruit – contrairement son auteur. qu’il développerait à partir de la se- sait à y revenir par le biais le moins à ses camarades de voyage qui n’eut lieu qu’en 1973, conde moitié des années 80, et plus évident – plutôt qu’un album de avaient pour habitude de les mé- quand son Tour de force visionnaire dans son brouillage des chansons ou un collage de field re- langer à leur whisky d’apéro («ça technologique cultures par le biais de la technolo- cordings, de longues séquences de devait tuer les microbes»), le musi- groupe folk-rock Hosono le composa à son retour au gie, comme le conceptualiseraient techno pop, imbibées de pop de cien ne buvait pas d’alcool. Pendant Japon, au milieu d’un boom créatif plus tard Jon Hassell, Brian Eno et Bollywood, de surréalisme et de trois semaines, Hosono fut malade Happy End partit sans précédent dans sa carrière, David Byrne avec leur Fourth World traditions populaires pendjabi. Sur à en crever, «le masque de la mort pour la Californie dont la découverte de Kraftwerk, Music. Hosono crédite volontiers les photos du voyage inscrites dans sur son visage», comme il le racon- sur les bons conseils de Yokoo, ne Ryuichi Sakamoto, présent aux cla- la pochette du disque, sous le col- terait des années plus tard en sémi- afin d’enregistrer fut pas le dernier des bouleverse- viers, et l’assistante technique du lage merveilleux de Yokoo, Hosono, naire à la Red Bull Music Academy. son troisième ments. Quel rôle joua cette petite surdoué des synthétiseurs modu- malgré une casquette de yacht club, Au point que le consul général, un odyssée indienne dans la transfor- laires Hideki Matsutake – qui avait ressemble moins au Capitaine Stu- médecin, s’inquièta pour son sort. album. mation du musicien de rockeur so- assisté la première «star» de la mu- bing de Tropical Dandy qu’à un C’est la femme de ce dernier qui au- phistiqué en sorcier des synthéti- sique électronique Isao Tomita, Aguirre hagard, qui serait revenu rait sauvé Hosono et Yokoo en leur seurs ? On sait que son idée de déjà célèbre au Japon pour un al- du pire. Ou de la rencontre avec un préparant un teishoku japonais ty- de Haruomi Hosono ­déborde littéra- fonder le bum d’interprétations de Debussy ovni. Quel ovni ? Les journalistes pique à base de riz blanc et de sau- lement de gargouillis synthétiques (YMO) – qui fut d’abord envisagé remarquables par la délicatesse de sont nombreux à avoir cuisiné Ho- mon grillé. Elle est l’une des héroï- à la fois avant-gardistes et on ne comme un trio de disco électroni- ses timbres et sa poésie. Pourtant, sono à travers les années, qui nom- nes de Cochin Moon, donnant son peut plus explicites dans ce qu’ils que kitsch avant de devenir ce au-delà du tour de force technologi- mait encore en 2007 un album nom au dernier morceau (Madam imitent – un estomac en pleine groupe super pop qui emmena le que, on «entend» littéralement le Flying Saucer 1947. A ce jour, il n’a Consul General of Madras), à égalité crise (mystique) de nerfs. Pour Japon vers le futur – remonte à fé- vertige du musicien Hosono au fur toujours pas répondu. • avec la maladie elle-même (Hepati- le reste, Cochin Moon est une vrier 1978, plusieurs mois avant son et à mesure qu’il déclenche les sé- tis) et surtout ses effets : le premier ­splendeur perchée et merveilleuse- départ pour New Delhi. Mais Ho- quences de notes et accélère sa pro- Vendredi, prochain épisode album intégralement électronique ment harmonieuse, étonnamment sono, dans toutes ses interviews, est pre mutation cybernétique. Par de notre série : Fellini à Tulum. 26 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 8 Avril 2020 culture/

3 Avec Beethoven Laissez tomber, même confinés dans une cave sibérienne vous n’échapperez pas En guerre contre l’ennui : aux commémorations des 250 ans de la nais- sance de Beethoven. Ce coup-ci, l’initiative vient de Dijon, avec la diffusion, les mardis et jeudis, de l’intégrale des symphonies par les des strips, des robots ninjas Dissonances. Cet ensemble, en résidence à l’Opéra de Dijon, se place à la frontière du chambriste et du concertant, et s’empare d’œuvres vastes interprétées sans chef, n’était et des symphonies virtuelles leur fondateur, le charismatique gourou vio- loniste David Grimal. Histoire d’enfoncer le clou, les enfants peuvent participer à des ate- Chaque jour de la semaine, liers Beethoven virtuels, mais on peut aussi «Libération» vous propose 1 les laisser respirer à la fenêtre. Côté lyrique, une sélection culturelle pour ceux qui voudraient parfaire leur histo- adaptée à la vie en rique des productions dijonnaises, sont diffu- confinement, en attendant sés des opéras chaque samedi à 20 heures, ce 11 avril, l’Orfeo de Monteverdi mis en scène la capitulation du Covid-19. par Yves Lenoir. G.Ti. www.opera-dijon.fr/fr/l-opera-de-dijon- 1 Avec des feutres vous-invite-chez-vous Jeff Mahannah se décrit comme «une belle personne gentille et douce qui boit du soda de temps à autre et apprécie le football 4 Avec des cinéphiles américain». A en croire les BD dévergondées Les happy hours et autres opérations qu’il publie assidûment sur son compte Insta- open bars se poursuivent sur les sites payants gram, sans doute faut-il dissocier l’homme de pour la durée du bouclage sanitaire, et ne se son œuvre. A grand coups de feutres aux cou- contentent pas de donner accès à la culture leurs pétantes, l’artiste flingue en effet les en tranches dans sa formule «tapas». L’un des produits dérivés du rêve américain. Sitcoms buffets les plus affriolants de ces derniers à l’eau de rose, fast-food, centres commer- jours offre la possibilité de se plonger libre- ciaux, surfeurs bodybuildés, superflics, voilà ment et gratuitement (le temps du confine- la matière première de ses strips surréalistes ment) dans les entretiens filmés long format où les pires obscénités se muent toujours in de l’émission Dans le film sur le site Hors-Sé- extremis en un ultime happy-end grinçant. rie, présentée par notre consœur Murielle Jeff Mahannah est porteur d’un message d’es- Joudet (le Monde, les Inrocks) en dialogue, à poir : quand il pleut sur le monde, songez que chaque épisode thématique, avec un confrère. l’arc-en-ciel n’est jamais loin – et qu’il sort Les critiques s’adonnent à de longues paren- tout droit de la bite d’un leprechaun. M.K. thèses réflexives, très riches, sur un film ou

www.instagram.com/jeffmahannah/ Jeff Mahannah l’œuvre entière de cinéastes. On y chausse des lunettes de théoricien pour aborder la lé- gende urbaine de Batman, et on se coltine la 2 Avec des monstres 2 question de la violence dans les films de Scor- Des Vénusiens à tête de chimpanzé sese sans se hâter, en laissant tourner la mon- vous balancent des rayons laser depuis une tre. Plus que jamais, rien ne presse. S.O. moto, vous les évitez de justesse et vous trans- www.hors-serie.net/ formez en robot ninja quand surgit un cy- clope hurleur qui vole en éclats, désintégré par un vaisseau spatial en forme de pneu pi- 5 Avec des vibrations loté par cinq enfants et un réveille-matin «Un dialogue entre des rêveurs.» D’un ­géant (mais farceur) : pas d’erreur, vous êtes côté du combiné, Floating Points, dont le der- dans un tokusatsu, une série télé japonaise nier album d’electronica jazzy, smart et in- pleine de monstres protéiformes et d’explo- tense, nous avait passablement ravis ; de l’au- sions aberrantes dont les héros se nomment tre, nous autres confinés lambda, accrochés Guruguru, Robotack, Laserion ou Masked Ri- à nos devices en quête ininterrompue, même der. Créés au Japon dans les années 60 dans la nuit, d’art apte à nous contredire ou nous la foulée du succès de Godzilla par la major accompagner dans nos plus sévères accès de Toei, les tokusatsus ont fait main basse sur le malaise eschatologique. Et dans le tuyau, un

monde, s’imposant dans les années 80 Courtesy of Ishimori Production & Toei vrai beau mix du DJ anglais, enchaînant seize comme un élément incontournable de l’ima- diamants de chanson cosmique ou folk en- ginaire et de la culture populaire. Toujours robé d’étoffes symphoniques, dénichés dans prolifique, le genre est désormais à l’honneur 3 4 autant de raretés méconnues ou réédités du via une chaîne YouTube gratuite lancée lundi jazz, de la soul et de la musica popular brasi- par la Toei. Démarrant avec plus d’une cen- leira – Flora Purim, Susan Pillsbury, Steve taine de références, elle sera mise à jour régu- Kuhn… – qui ravira autant les chercheurs de lièrement et permettra de revoir les épisodes gemmes que ceux qui n’ont plus un CD à la de séries importées en France comme X-Or maison. Car la vibration est bonne et l’inten- et San Ku Kaï ou de découvrir des merveilles tion de remonter le moral, fervente – connec- méconnues comme la très vintage National tez-vous y donc, par exemple, au réveil après Kid ou le délirant Robot 8-Chan. L.J.B. un cauchemar, voir ce que ça répare. O.L.

www.youtube.com Gilles Abegg. Opéra de Dijon DR https://soundcloud.com/floatingpoints/ Libération Mercredi 8 Avril 2020 u 27 Shellac

principal du film est la caméra. Si flâne encore sur les limites du confi- cette formule est valable pour tous nement planétaire. Que le film les films, c’est rarement aussi ou- d’Eduardo Williams, qui raconte «The Human Surge», vertement qu’ici : on y voit le monde l’histoire d’une caméra errant sur comme si on le voyait depuis l’inté- les réseaux d’un monde à la fois rieur d’une caméra, ou peut-être connecté et disjoint, soit distribué d’un ordinateur ou d’un téléphone, sur Internet aux temps d’une épidé- vibrants solos de flux en tout cas d’une machine capable mie qui coupe la plupart des autres de sensations et d’émotions, et qui types de circulation et de communi- A travers le parcours de son, ou un enclos, au contraire : gentin de passage dans le monde fonctionne comme une interface cation mondiaux, cela a un certain jeunes désœuvrés dans mais s’il est devenu un circuit ou un entier né en 1987, suit quelques jeu- entre plusieurs espaces extérieurs sens (un vague sens, fait d’angoisse, trois pays, le superbe réseau infini, l’absence radicale nes personnages désœuvrés de ne (entre les différentes parties-pays de détachement, d’attention et de d’une destination claire y vaut tous pas faire grand-chose (il n’y a plus du film, connectées entre elles de désir). C’est le film de l’époque de la premier long métrage les enfermements des époques pré- de travail que celui qu’on appelle façon relâchée, et le regard qui les circulation, celui des flux fragiles, d’Eduardo Williams cédentes. Avec The Human Surge, chômage) dans trois pays de trois connecte, agi par un désir flottant). précaires et violents de marchandi- dresse le portrait nous sortons encore à l’extérieur, continents, et invente des circula- C’est toute l’expérience étrange que ses, d’informations, d’images et de d’une génération confusément conscients du fait tions possibles entre eux. Ces passa- The Human Surge propose à notre sentiments, et celui des créatures désabusée à l’heure qu’il n’y a pas tellement de dehors, ges sont opérés par la caméra de propre inattention connectée, et qui les peuplent tant bien que mal, de la mondialisation. ou que la distinction n’a plus beau- ­diverses façons évidentes et impro- c’est pourquoi il se place au-delà de les traversent ou se laissent traver- coup de sens. Cette conscience, bables qu’il serait absurde de révé- la précision et de l’imprécision, de ser par eux. Dans tout ça, il y a en- dans le film, produit simultané- ler à qui n’aurait pas encore vu le l’attention et du détachement, de core quelques différences de rythme he Human Surge d’Eduardo ment : une angoisse sourde et ordi- film. Il y a donc dans The Human l’improvisé et du structuré, du ma- (entre les humains, ou entre les hu- Williams sort sur Internet et naire, un détachement absolu à la Surge des confins, des personnages niéré et du brut, ou de l’ennuyeux et mains et les fourmis, dont un pas- T tombe bien, puisqu’il est une limite de l’indifférence, une atten- et des passages. Mais le personnage de l’intéressant. Il ne cherche rien sage montre qu’elles sont elles aussi expérience de déconfinement. C’est tion aiguë aux quelques derniers si- de précis et trouve toujours quelque capables de flânerie et de chômage), un film qui ne fait qu’aller à l’exté- gnes intéressants ou émouvants qui chose. C’est comme ça qu’il change des différences d’échelles, des diffé- rieur, qui multiplie les sorties, flâne se produisent alentour, et un désir Dans «The le cinéma, dans l’indifférence, rences de formats (de l’argentique, dans les confins de la planète. Ar- flottant pour tout ce qui se passe ou Human Surge», comme il se doit, générale. du numérique, et un mélange des gentine, Mozambique, Philippines. pourrait encore se passer. C’est le deux), quelques différences d’expé- Buenos Aires, Maputo, Bohol. Nous film du désir flottant, qui s’affirme de l’Argentin Fourmis. Il y aura peut-être un riences que le cinéma peut capter à flânons avec lui, sans d’ailleurs qu’il sans le dire comme révolutionnaire, Eduardo Williams, avant et un après El Auge del Hu- sa manière, nous envoyant parfois nous renseigne sur les noms des le film de la révolutionnaire et ordi- mano dans l’histoire du cinéma, à des morceaux de la vie par message- lieux que nous traversons. Mais naire indifférence de la jeunesse du il y a des confins, condition que personne ne s’en rie vidéo instantanée. cette expérience nous fait sentir, de monde. rende trop compte. Et on semble Luc Chessel manière confuse, délibérément des personnages avoir toujours autre chose à faire confuse, que le déconfinement n’est Interface. The Human Surge, en et des passages. que de penser à ce qui est en train de The Human Surge pas, ne peut pas être un retour à l’air espagnol El Auge del Humano, en changer autour de nous : on cherche d’Eduardo Williams libre : il ne sera jamais rien d’autre français «l’apogée de l’humain» (ti- Mais le personnage du réseau, une connexion wi-fi, du avec Sergio Morsini, que la description du confinement, tre non pas ironique, mais critique principal du film travail, une bonne rencontre, on Chai Fonacier… (1h37). de ses limites et de ses détours. Ce et absolument déceptif), premier marche dans la banlieue inondée, En VoD sur le site de Shellac : n’est pas que le monde soit une pri- long métrage de son auteur, un Ar- est la caméra. dans le désert et dans la jungle, on shellac-altern.org Libération Mercredi 8 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe

son corps. Sa silhouette bataille ferme avec des envies de «bons vins, bonnes bières et de bons fromages». On apprend Hussarde sur le toit que «le saint-nectaire se congèle très bien» dans ses astuces cuisine et confinement. «J’imagine que ces temps-ci les gens Cécile Coulon La romancière de 29 ans, confinée en se remettent à cuisiner.» Raison de plus pour durcir ses exerci- ces quotidiens. Elle nuance. «Je suis plus inquiète sur la durée appartement à Clermont-Ferrand, a modifié sa pratique du confinement que pour ma silhouette. Si je fais beaucoup de sport, c’est plus pour rester en forme et ne pas en sortir complè- sportive et réussit à prendre de la hauteur à sa manière. tement épuisée et hystérique.» Elle pratique des exercices de renforcement musculaire sans appareil ni haltères. Un tapis suffit «pour éviter que les muscles fondent». Elle continue de courir «une fois par semaine, de préférence la nuit et dans un périmètre très limité». Tout autour, elle connaît par cœur. C’est sa terre. Une pleine nature «qui ne [l’]a jamais effrayée». Elle ne l’a jamais quittée. «Je n’y ai jamais pensé, même ado !» Son bac option cinéma et la khâgne sont made in Clermont. «J’habite en ville pour être près de la gare, pour le boulot, mais en une demi-heure je peux être au sommet d’un volcan.» Elle se rassure. Elle assume cet attachement «pas à la mode». Elle voyage peu et en France. Elle n’a pas de voiture, privilégie le train, jamais l’avion «sauf quand [elle est] obligée pour le boulot». «Je n’ai pas de rêves de pays lointains, je suis comme un animal, comme le blaireau qui reste près de son terrier.» ­Cécile Coulon n’est engagée nulle part, ne milite pas. 13 juin 1990 Naissance. «Mon engagement, c’est peut- 2012 Le roi n’a pas être de rester là où je suis. De sommeil. m’en nourrir pour mes fic- 2017 Trois Saisons tions, de défendre ma région, d’orage. de dire cette chance que nous 2018 Les Ronces. avons d’avoir des fermes au- 2019 Une bête tour de nous, des producteurs au paradis. qui bossent pour vendre ce dont on a besoin pour prendre soin de soi et à moindre coût. Je milite en faisant ma part ici, pour dire que l’enclave n’est pas une injustice.» Elle a grandi à Saint-Saturnin, un village au pied des volcans, à 25 kilomètres de Clermont-Ferrand. Elle se souvient d’une enfance «paradisiaque» passée à boulotter «des Figolu» sous le nez de ses deux grands frères. Sa mère, directrice de l’ap- pellation saint-nectaire, et son père, chercheur agronome à l’Inra, habitent toujours le village. Son «boulot», comme elle l’appelle, c’est de raconter des histoires. Elle a toujours lu. S’est nourrie tôt des voix de John Fante, Faulkner, Stein- beck, ­Bukowski. Elle découvre Yourcenar et ses Flandres, Ma- rie-Hélène Lafon et son Cantal. «D’un coup, je me suis sentie moins seule. Elles m’ont autorisée à écrire avec mon terroir.» Cécile Coulon ose aussi écrire et publier de la poésie. «Pas à la mode non plus, mais c’est en train de changer. La poésie se déploie notamment sur les réseaux sociaux, où elle est lue et très demandée.» Elle vit de son boulot depuis 2013. Depuis Le roi n’a pas sommeil, un succès «vertigineux» pour lequel elle a touché son premier beau chèque de droit d’auteur. Elle a alors 23 ans. Elle s’achète des films, des baskets, des bou- quins et un petit appartement à Clermont-Ferrand. Elle va «manger dehors» et rassure : «Comme je ne suis pas auver- gnate pour rien, j’ai mis le reste de côté.» Cécile Coulon travaille. Le sourire en coin appliqué, elle s’ex- cuse d’employer des mots simples pour le dire et se vanne : «A part les livres, il ne se passe rien dans ma vie.» Depuis écile Coulon est d’une blondeur qui perce l’œil autant tage sa dernière trouvaille pour amuser la galerie de ses qu’elle a débuté dans une petite maison d’édition locale «à que l’écran. Un blond qui tire sur l’étrange. Si blanc qu’il 16 000 amis Facebook. la bonne franquette», depuis sa révélation avec Le roi n’a pas C vire parfois au bleu spectre selon la lumière et l’humeur L’«autrice» – comme elle se présente – a le post facile et sympa sommeil chez Viviane Hamy, elle travaille, infuse, ne fait rien de la fille. Si elle n’avait pas un peu grandi, on verrait la gamine en guise d’antijournal de confinement. De ses allers-retours d’autre. Même en vacances. Elle emporte son manuscrit et au générique du Village des damnés. Cette tête d’ange est han- entre ses fenêtres et son ordinateur, on peut lire : «Arrêtez de des amis qu’elle met volontiers à contribution. «J’ai passé une tée, débarquée elle aussi sur Terre pour y mettre son grain de promener votre chien, je viens d’en voir passer un plus musclé semaine studieuse avec Cécile dans sa maison de famille dans sel. Ça explique la précocité qu’on lui connaît. Cécile Coulon que moi !» Ou de relayer : «Je n’ai pas de poitrine mais en ce mo- la Drôme», rapporte Myriam Lépron, une amie prof de fac. a écrit et publié son premier roman à l’âge ment il y a du monde au balcon.» Qu’elle «Une semaine de lecture, relecture, réécriture, de promenades de 16 ans. Douze ans plus tard, elle signe n’a pas non plus d’ailleurs. Elle habite un et de piscine.» L’autrice ne se réjouit jamais longtemps. «Un li- un septième roman, Une bête au paradis, Le Portrait appartement au dernier étage d’un im- vre, c’est passager, et le prochain jamais joué.» Son corps entier qui atteint les 70 000 exemplaires en meuble de Clermont-Ferrand. Sans balcon en porte les marques. «Je me fais tatouer très souvent des six mois. Cécile Coulon a de quoi déranger. «Oui, je porte plus ni jardin attenant, mais avec la possibilité de se hisser sur le ­images de chacun de mes ouvrages pour en garder la trace.» de fantômes en moi que d’expériences. Mais si je suis hantée, toit. «C’est un toit en tuiles, pas du tout fait pour ça, mais Hissée ou pas sur son toit, Cécile Coulon contemple ces mots c’est dans le sens positif. Je le suis par les voix, les histoires, les comme j’ai une fenêtre qui donne dessus, j’en profite et c’est sans qu’elle adore de Bernard de Chartres et qu’elle nous collerait paysages de ceux qui nous ont précédés. Je suis à la tête d’un risque.» Elle rassure. «Là-haut, je trouve de quoi respirer, bien à la peau : «Nous sommes des nains juchés sur des épaules troupeau de fantômes, mais ils ne me mènent pas.» Elle rassure. d’apercevoir un ailleurs, je lis, c’est agréable.» Le grand air, les de géants.» • «La maturité qu’on me prête tient au fait que je sais écouter ces volcans, les lacs, le vélo et courir, c’est ce qui lui manque le voix d’avant et sais me taire pour les écrire.» Elle dit ça dans un plus. «Mais c’est qu’un gros caprice face à ce que vivent les cais- Par Céline Walter petit sourire, toujours en coin. «Je souris beaucoup quand je sières, les éboueurs ou le personnel hospitalier. J’ai une chance Photo Pascal Aimar. Tendance floue parle, c’est pour ça.» Elle a deux fossettes qui en rajoutent et énorme d’être là, seule, sans enfant, je veux dire, sans avoir à En raison du confinement, les entretiens et photos du lui taillent une mine joueuse, qui s’éclaire pendant qu’elle par- m’occuper de personne d’autre que de moi-même.» Comme de portrait de dernière page peuvent être réalisés à distance. FAIS TA POULE EN ŒUF DUR ! MES MOTS

1. Fais bouillir de l’eau dans une casserole. PSYCHIATRE 2. Ensuite, ajoute ton œuf et fais-le cuire Médecin dont le métier est d’aider les gens pendant 10 minutes. à se sentir mieux dans leur tête. 3. Ton œuf dur est prêt. Sors-le de l’eau chaude avec une grande cuillère et laisse-le PSYCHOLOGUE refroidir. Personne dont le métier est d’aider les gens 4. Enlève la coquille. à se sentir mieux dans leur tête. 5. Coupe le bas de ton œuf pour qu’il puisse tenir debout. PANDÉMIES 6. Coupe un bout de carotte et donne lui Maladies qui touchent un très grand nombre une forme de crête et une forme de bec. de personnes en même temps sur tout 7. Fais une entaille à l’aide d’un couteau un continent, voire dans le monde entier. en haut de l’œuf et mets-y ta crête en carotte. Puis place le bec avec la même méthode CHRONOBIOLOGISTE sur le devant de l’œuf. Scientifique spécialiste du rythme du corps 8. Prends deux brins de ciboulette humain. ou des grains de poivre et ajoute-les de chaque côté du bec. 9. Ça y est, ta poule est terminée ! Tu peux maintenant en faire pour toute ta famille !

Bon appétit ! LA BLAGUE DE RAFAEL, 7 ANS ET DEMI

Deux ogres passent devant une école. Un peu plus loin, l’un dit à l’autre : «Faisons demi-tour, on a raté le restaurant !»

Rédaction Cécile Bourgneuf, Elsa Maudet et Julie Vayssière Illustrations Émilie Coquard et Laure Lacour Maquette Émilie Coquard

OFIE E NOE OFFE ÉCIALE MERCREDI 8 AVRIL 2020 LA VIE CONFINÉE

OI Trois semaines déjà sans quasiment sortir de chez soi à cause E I LIÉ de ce satané virus ! On a toutes et tous un peu perdu nos repères et ce n’est pas forcément simple de trouver une nouvelle organisation. Suis mes conseils pour bien occuper tes journées. LEILIEF DOSSIER SPÉCIAL À RETROUVER CHAQUE JOUR SUR LEPTITLIBE.FR EN ACCÈS LIBRE LA VIE CONFINÉE

UN MORPION Que faire à la maison ? Pas toujours facile de trouver ses repères GRANDEUR NATURE quand plus rien n’est comme avant. Voici plusieurs idées Fais une grille au sol, de 3 cases sur 3, pour t’aider à bien remplir tes journées sans voir le temps passer. en collant du scotch noir ou en plaçant Profite aussi de cette période pour rêver ! des cerceaux les uns à côté des autres. Puis fais un chemin menant jusqu’au morpion, en plaçant des objets sur lesquels tu peux marcher sans risque.

ORGANISER C’est prêt ? Alors on y va : commence par faire cinq sauts à cloche-pied, puis cours sur les objets sans SA JOURNÉE tomber, comme s’il y avait de l’eau dessous, et enfin jette une peluche dans une case, sans qu’elle en sorte. Chaque joueur joue «Tout le travail, c’est le matin qu’il faut le chacun son tour et le gagnant est le faire, c’est là que les enfants sont le plus premier à avoir aligné trois frais», assure Claire Leconte, chronobio- peluches à lui ! logiste spécialiste des rythmes scolaires. C’est généralement à ce moment-là que les professeurs font classe, donnent des exer- cices, font des corrections, enseignent de nouvelles choses… Après manger, on se LE JEU détend. Ce n’est pas le moment de courir AAE AENION DE LA BOMBE partout et de s’exciter, au contraire, on A VA ONNE Prends une peluche ou une reste calme. C’est important pour la suite petite balle et mets en route un de la journée. minuteur pour trente secondes ou une minute. Tout le monde doit L’après-midi est réservé aux activités lu- se renvoyer la balle et, quand le diques : des jeux de société, des activités temps défini se termine, celui manuelles… Ça peut être des exercices qui a l’objet dans les mains a pour l’école, mais sous forme de jeux. Et FAIRE perdu. Vite, vite, il faut puis, quand on est coincé à la maison avec s’en débarrasser ! les frères et sœurs et les parents, c’est une super occasion pour créer du lien avec eux, DU SPORT «discuter, parler des choses qui nous pré- occupent», recommande Claire Leconte. Que tu aies un grand jardin ou un appar- tement sans balcon, tu peux te dépenser UN CIRCUIT Le meilleur moment pour apprendre en restant chez toi ! L’important, c’est de DANS LA MAISON ses leçons, c’est en fin d’après-midi, une voir le sport à la maison comme un jeu, Demande à tes parents de pré- fois qu’on a pris le goûter. Et un conseil : et pas comme une corvée. Fais des petits parer quatre idées de mouvements révise quelques minutes juste avant de exercices régulièrement plutôt qu’un gros et de placer des étiquettes avec leur t’endormir. Parce qu’ensuite «une partie effort d’un coup, prends bien le temps de nom dans ta maison ou ton appartement. du sommeil travaille sur cette leçon. Le t’échauffer, hydrate-toi, mets des baskets Ça peut être «mets un ballon contre ton cerveau va trier tout ce qui est important afin de ne pas te blesser et termine par un ventre et descends huit fois en pliant les et c’est une leçon qu’on temps de retour au calme. OK ? Voici trois genoux», par exemple. Il te suffit ensuite retiendra très long- idées d’activités proposées par Jérôme d’aller d’une étiquette à l’autre et de temps», affirme Claire Fortunato, président de la salle de sport reproduire ce qui est écrit ! Leconte. Ensuite, c’est Family Move, et Thomas Belleau, créateur Retrouve mon parcours parti pour une super du P’tit Club, un réseau de salles de sport sur leptitlibe.fr. nuit de sommeil ! pour enfants.

FABRIQUE TON CARNET DE BORD PRENDS SOIN DE TON SOMMEIL !

Devoir rester chez soi tout le temps, ça C’est quoi alors, la bonne heure pour Matériel nécessaire : des feuilles A4 Prends tes feuilles, perce-les et fait tout drôle. On peut être tenté de aller se coucher ? «Quand on a un coup à carreaux ou blanches, une vieille noue des fils comme sur le modèle se dire que c’est l’occasion de faire ce de froid en fin de journée», indique éponge, du carton, un pinceau, ci-dessous. Tu peux mettre autant qu’on veut, comme on veut… et notam- Claire Leconte. Bien sûr, on ne se met de la peinture, un bouchon, des de feuilles que tu le souhaites mais ment se coucher quand ça nous chante ! pas à grelotter tous les soirs à 20 h 30 ciseaux et de la colle liquide. attention à ce que le carnet ne soit Mais, pas de chance, il est très impor- ou 21 heures. Mais, même si on ne se pas trop épais. Demande à un adulte tant de se coucher tous les jours rend pas compte que notre corps Si tu n’as pas de feuilles à carreaux, de t’aider pour cette partie afin de à la même heure. Eh oui, le refroidit, il le fait ! Ton corps utilise des feuilles blanches et trace ne pas te blesser. sommeil, il faut le chou- ne perd pas 5 degrés d’un dessus des lignes ou des quadril- chouter, même quand coup, «ça peut passer de lages à la règle. Tu peux aussi on est confiné•e. 37° à 36,3°», indique donner des formes marrantes à Claire Leconte. tes lignes. Parce qu’au début de la nuit, «on fait un Voilà une idée pour Découpe un carré de 8 cm dans sommeil très parti- t’occuper un peu dans le carton pour faire la base de ton culier qui permet de la journée et être pré- tampon. Colle le bouchon au centre lutter contre les virus paré·e pour le coucher : du carton. et contre ce qui est dessine ta courbe de mauvais pour la santé. température. Pour ça, En attendant que la colle sèche, Actuellement, c’est vrai- prends ta température avec dessine une forme sur ton éponge Retourne ton carnet, peins ton ment très important qu’on ait un thermomètre, plusieurs fois et coupe-la. Astuce : pour faire éponge de la couleur de ton choix beaucoup de ce sommeil», conseille dans la journée, pendant plusieurs un cœur, utilise les bords de ton et tamponne ta couverture. Tu peux Claire Leconte, chronobiologiste spé- jours. Tu verras : «Il y a toujours une éponge et fais juste deux petites faire des mélanges de couleurs et cialiste des rythmes scolaires. Si on se baisse à la même heure», constate Claire bosses au milieu. mettre plus ou moins de peinture couche plus tard qu’il ne le faudrait, on Leconte. C’est l’heure à laquelle tu dois sur l’éponge, ça te fera des rendus rate cette étape. aller dormir pour être en pleine forme, ONNE NI différents. en bonne santé et bien apprendre. ON OIN Voilà, ton carnet est fini ! Écris tout ce que tu ressens dedans et personna- lise-le avec des tampons différents. Plus tard, tu pourras le relire pour te souvenir de cette période un peu Chaque jour, sur leptitlibe.fr, je te propose de quoi t’occuper afin de ne pas étrange. trop tourner en rond à la maison. Au programme : des tutos pour apprendre à fabriquer tout un tas de choses, mais aussi des conseils de films ou de livres, Colle ensuite l’éponge de l’autre souvent accessibles gratuitement sur Internet. côté du carton et attends que ça sèche. Si tu as envie, tu peux faire DESSINER, C’EST GAGNÉ d’autres tampons pour avoir diffé- Les illustrateurs et illustratrices jeunesse ont pensé aux enfants qui s’ennuient. rentes formes. Ils mettent à disposition leurs illustrations en noir et blanc pour que tu puisses t’évader dans leurs univers et leur donner les couleurs que tu veux ! Le site du Salon du livre et de la presse jeunesse en compile plusieurs, dont l’Arabe du futur de Riad Sattouf ou les Sacrées Sorcières de Pénélope Bagieu. [https://slpjplus.fr/]

DU BON SON DANS LES OREILLES La plateforme québécoise de podcasts la Puce à l’oreille va à coup sûr égayer ÉCRIS-MOI ! ton confinement et satisfaire ta curiosité ! Grâce à ces jolies pauses sonores, tu deviendras incollable sur des sujets décalés, comme le chiffre zéro, les TU AS DES QUESTIONS ? sorcières ou les poils. Le site propose des formats courts pour apprendre des Pose-les-moi en écrivant à [email protected] choses, accompagnés des illustrations de l’artiste Maylee Keo. Des podcasts et j’y répondrai. jeunesse sur un ton déjanté comme on n’en avait (encore) jamais écouté. [https://lpalo.com/] LA VIE CONFINÉE

UN MORPION Que faire à la maison ? Pas toujours facile de trouver ses repères GRANDEUR NATURE quand plus rien n’est comme avant. Voici plusieurs idées Fais une grille au sol, de 3 cases sur 3, pour t’aider à bien remplir tes journées sans voir le temps passer. en collant du scotch noir ou en plaçant Profite aussi de cette période pour rêver ! des cerceaux les uns à côté des autres. Puis fais un chemin menant jusqu’au morpion, en plaçant des objets sur lesquels tu peux marcher sans risque.

ORGANISER C’est prêt ? Alors on y va : commence par faire cinq sauts à cloche-pied, puis cours sur les objets sans SA JOURNÉE tomber, comme s’il y avait de l’eau dessous, et enfin jette une peluche dans une case, sans qu’elle en sorte. Chaque joueur joue «Tout le travail, c’est le matin qu’il faut le chacun son tour et le gagnant est le faire, c’est là que les enfants sont le plus premier à avoir aligné trois frais», assure Claire Leconte, chronobio- peluches à lui ! logiste spécialiste des rythmes scolaires. C’est généralement à ce moment-là que les professeurs font classe, donnent des exer- cices, font des corrections, enseignent de nouvelles choses… Après manger, on se LE JEU détend. Ce n’est pas le moment de courir AAE AENION DE LA BOMBE partout et de s’exciter, au contraire, on A VA ONNE Prends une peluche ou une reste calme. C’est important pour la suite petite balle et mets en route un de la journée. minuteur pour trente secondes ou une minute. Tout le monde doit L’après-midi est réservé aux activités lu- se renvoyer la balle et, quand le diques : des jeux de société, des activités temps défini se termine, celui manuelles… Ça peut être des exercices qui a l’objet dans les mains a pour l’école, mais sous forme de jeux. Et FAIRE perdu. Vite, vite, il faut puis, quand on est coincé à la maison avec s’en débarrasser ! les frères et sœurs et les parents, c’est une super occasion pour créer du lien avec eux, DU SPORT «discuter, parler des choses qui nous pré- occupent», recommande Claire Leconte. Que tu aies un grand jardin ou un appar- tement sans balcon, tu peux te dépenser UN CIRCUIT Le meilleur moment pour apprendre en restant chez toi ! L’important, c’est de DANS LA MAISON ses leçons, c’est en fin d’après-midi, une voir le sport à la maison comme un jeu, Demande à tes parents de pré- fois qu’on a pris le goûter. Et un conseil : et pas comme une corvée. Fais des petits parer quatre idées de mouvements révise quelques minutes juste avant de exercices régulièrement plutôt qu’un gros et de placer des étiquettes avec leur t’endormir. Parce qu’ensuite «une partie effort d’un coup, prends bien le temps de nom dans ta maison ou ton appartement. du sommeil travaille sur cette leçon. Le t’échauffer, hydrate-toi, mets des baskets Ça peut être «mets un ballon contre ton cerveau va trier tout ce qui est important afin de ne pas te blesser et termine par un ventre et descends huit fois en pliant les et c’est une leçon qu’on temps de retour au calme. OK ? Voici trois genoux», par exemple. Il te suffit ensuite retiendra très long- idées d’activités proposées par Jérôme d’aller d’une étiquette à l’autre et de temps», affirme Claire Fortunato, président de la salle de sport reproduire ce qui est écrit ! Leconte. Ensuite, c’est Family Move, et Thomas Belleau, créateur Retrouve mon parcours parti pour une super du P’tit Club, un réseau de salles de sport sur leptitlibe.fr. nuit de sommeil ! pour enfants.

FABRIQUE TON CARNET DE BORD PRENDS SOIN DE TON SOMMEIL !

Devoir rester chez soi tout le temps, ça C’est quoi alors, la bonne heure pour Matériel nécessaire : des feuilles A4 Prends tes feuilles, perce-les et fait tout drôle. On peut être tenté de aller se coucher ? «Quand on a un coup à carreaux ou blanches, une vieille noue des fils comme sur le modèle se dire que c’est l’occasion de faire ce de froid en fin de journée», indique éponge, du carton, un pinceau, ci-dessous. Tu peux mettre autant qu’on veut, comme on veut… et notam- Claire Leconte. Bien sûr, on ne se met de la peinture, un bouchon, des de feuilles que tu le souhaites mais ment se coucher quand ça nous chante ! pas à grelotter tous les soirs à 20 h 30 ciseaux et de la colle liquide. attention à ce que le carnet ne soit Mais, pas de chance, il est très impor- ou 21 heures. Mais, même si on ne se pas trop épais. Demande à un adulte tant de se coucher tous les jours rend pas compte que notre corps Si tu n’as pas de feuilles à carreaux, de t’aider pour cette partie afin de à la même heure. Eh oui, le refroidit, il le fait ! Ton corps utilise des feuilles blanches et trace ne pas te blesser. sommeil, il faut le chou- ne perd pas 5 degrés d’un dessus des lignes ou des quadril- chouter, même quand coup, «ça peut passer de lages à la règle. Tu peux aussi on est confiné•e. 37° à 36,3°», indique donner des formes marrantes à Claire Leconte. tes lignes. Parce qu’au début de la nuit, «on fait un Voilà une idée pour Découpe un carré de 8 cm dans sommeil très parti- t’occuper un peu dans le carton pour faire la base de ton culier qui permet de la journée et être pré- tampon. Colle le bouchon au centre lutter contre les virus paré·e pour le coucher : du carton. et contre ce qui est dessine ta courbe de mauvais pour la santé. température. Pour ça, En attendant que la colle sèche, Actuellement, c’est vrai- prends ta température avec dessine une forme sur ton éponge Retourne ton carnet, peins ton ment très important qu’on ait un thermomètre, plusieurs fois et coupe-la. Astuce : pour faire éponge de la couleur de ton choix beaucoup de ce sommeil», conseille dans la journée, pendant plusieurs un cœur, utilise les bords de ton et tamponne ta couverture. Tu peux Claire Leconte, chronobiologiste spé- jours. Tu verras : «Il y a toujours une éponge et fais juste deux petites faire des mélanges de couleurs et cialiste des rythmes scolaires. Si on se baisse à la même heure», constate Claire bosses au milieu. mettre plus ou moins de peinture couche plus tard qu’il ne le faudrait, on Leconte. C’est l’heure à laquelle tu dois sur l’éponge, ça te fera des rendus rate cette étape. aller dormir pour être en pleine forme, ONNE NI différents. en bonne santé et bien apprendre. ON OIN Voilà, ton carnet est fini ! Écris tout ce que tu ressens dedans et personna- lise-le avec des tampons différents. Plus tard, tu pourras le relire pour te souvenir de cette période un peu Chaque jour, sur leptitlibe.fr, je te propose de quoi t’occuper afin de ne pas étrange. trop tourner en rond à la maison. Au programme : des tutos pour apprendre à fabriquer tout un tas de choses, mais aussi des conseils de films ou de livres, Colle ensuite l’éponge de l’autre souvent accessibles gratuitement sur Internet. côté du carton et attends que ça sèche. Si tu as envie, tu peux faire DESSINER, C’EST GAGNÉ d’autres tampons pour avoir diffé- Les illustrateurs et illustratrices jeunesse ont pensé aux enfants qui s’ennuient. rentes formes. Ils mettent à disposition leurs illustrations en noir et blanc pour que tu puisses t’évader dans leurs univers et leur donner les couleurs que tu veux ! Le site du Salon du livre et de la presse jeunesse en compile plusieurs, dont l’Arabe du futur de Riad Sattouf ou les Sacrées Sorcières de Pénélope Bagieu. [https://slpjplus.fr/]

DU BON SON DANS LES OREILLES La plateforme québécoise de podcasts la Puce à l’oreille va à coup sûr égayer ÉCRIS-MOI ! ton confinement et satisfaire ta curiosité ! Grâce à ces jolies pauses sonores, tu deviendras incollable sur des sujets décalés, comme le chiffre zéro, les TU AS DES QUESTIONS ? sorcières ou les poils. Le site propose des formats courts pour apprendre des Pose-les-moi en écrivant à [email protected] choses, accompagnés des illustrations de l’artiste Maylee Keo. Des podcasts et j’y répondrai. jeunesse sur un ton déjanté comme on n’en avait (encore) jamais écouté. [https://lpalo.com/] «JE JESAIS TOUT PRÉFÈRE SUR… LE CORONAVIRUS NE PAS JE ME DEMANDE… TROPC’EST QUOI ENTENDRE CE VIRUS ? TOUT EST-CE QUE C’EST Un coronavirus, c’est un type de virus qui provoque NORMAL D’AVOIR PEUR ? CEdes maladies QU’IL pouvant aller d’un SE rhume à unePASSE pneumonie, » une maladie des poumons. Celui dont on parle beaucoup C’est tout à fait normal d’avoir peur en LA PEUR PEUT NOUS ENVAHIR L’uneen ce vitmoment en ville, porte l’autre le nom à la de campagne. Sars-Cov-2. Myriam La maladie et Jeanne habitent loin l’une de cette période. «C’est une situation excep- Parfois, la peur se met en revanche à l’autrequ’il transmet mais elles a étépartagent baptisée un Covid-19. point commun : On retrouve comme le «co»tous les enfants, elles doivent tionnelle, que personne n’avait imaginée. prendre beaucoup trop de place. On n’a resterde «corona», confinées le «vi» chez de elles.«virus» Elles et leracontent «d» de «disease», leur quotidien. qui veut dire «maladie» en anglais. «19» se réfère à l’année Toute la planète est touchée, on ne connaît plus envie de s’amuser, on pleure, on où c’est apparu, c’est- pas tout sur ce virus et on n’est, pour le dort mal. Alors là, ce n’est pas bon. «Si à-dire en 2019. moment, pas plus fort que lui», constate la on imagine des scénarios terrifiants du Jeanne, 12 ans, Myriam, 10 ans, psychiatre pour enfants Marie Rose Moro. type “C’est la fin du monde”, il faut se dire CeSaint-Sorlin- virus est apparu Paris Cette peur est donc partagée : beaucoup que c’est seulement le fruit de son imagi- chezen-Bugey les humains (Ain) au « On est 4 dans un de personnes sont inquiètes face à cette nation», affirme Béatrice Copper-Royer. mois« J’adore de décembre, le confine- grand appartement épidémie. enment Chine. parce Les que pre ça- d’un immeuble de Ce qui se passe est grave mais on fait tout mierschange. cas Je ont trouve été si- 9 étages. Ça se passe En plus de ça, le confinement nous pour que ça s’arrête en étant confiné. Des gnalésmarrant dans d’être la tousville les 4, avec ma petite bien. C’est comme un week-end très pro- empêche de profiter de ce qui nous fait scientifiques du monde entier cherchent desœur Wuhan, et mes dans parents. l’est du On pays. habite une longé. Mon papa reste avec ma sœur et du bien : les amis, les grands-parents, les des médicaments et un vaccin. Et il y a déjà maison avec un petit jardin dans un moi. Il ne peut pas travailler. Ma maman, sorties au parc ou les activités comme eu des pandémies : elles se sont à chaque village entouré par la nature. On n’arrive elle est aide-soignante et s’occupe de la danse et la musique. Alors la peur est fois arrêtées et la vie a repris comme avant. pas à faire assez de choses ensemble malades qui ont le coronavirus. J’ai peur là, celle de la maladie et de la mort parce Eh oui, elle est là, la bonne nouvelle : ça ne parce que tout le monde a du travail. Il qu’elle ramène la maladie à la maison. qu’on en entend beaucoup parler dans va pas durer. Dans plusieurs semaines, faudrait que j’aie moins de devoirs pour l’actualité, bien plus que d’habitude. on pourra de nouveau s’amuser dehors, faire plus de jeux de société. J’aime bien « Les devoirs, c’est un peu plus facile jouer avec ses amis, voir toute sa famille… l’école à distance mais je trouve que qu’à l’école. C’est plus calme, même LA PEUR PROTÈGE DES DANGERS Et comme on sera content de profiter de les profs ne devraient pas nous mettre si, des fois, je me dispute avec ma On peut aussi avoir peur pour l’avenir : cette liberté retrouvée ! On va même sans de notes : ça creuse encore plus l’écart sœur. Mais on joue aussi ensemble au «Les parents qui ne peuvent pas tra- doute la savourer bien plus que d’ordinaire. entre les élèves parce qu’il y en a qui ne Puissance 4 ou au jeu des 7 familles. vailler en ce moment peuvent parfois dire sont pas aidés par leurs parents comme J’aime bien discuter avec mes copines “Qu’est-ce qu’on va devenir ?”, “On ne va moi. sur WhatsApp, regarder des dessins pas pouvoir payer le loyer”, note Béatrice animés à la télé, des vidéos sur YouTube Copper-Royer, psychologue spécialisée COMMENT LUTTER CONTRE « Par rapport à d’habitude, j’ai plus le ou jouer à des jeux sur ma tablette. Je dans l’enfance et l’adolescence. Il arrive LA PEUR QUAND ELLE PREND temps de lire, de jouer de la flûte tra- suis sortie dehors une seule fois depuis que les grandes personnes disent des TROP DE PLACE ? versière, de dessiner… J’aime aussi le début du confinement. Je n’ai pas choses qui font très peur mais elles ne les cuisiner et jardiner un peu. Je fais des envie. J’ai trop peur d’attraper le coro- pensent pas forcément, ce sont ces expres- • Dis à tes parents ce que tu ressens, Skype avec mes grands-parents et des navirus. Et dehors il y a des gens avec sions. Cette crise atteint tout le monde : si ce qui t’inquiète. Si ça ne va toujours amis. Le soir, j’essaie d’aller courir pour des masques, même des policiers.» tes parents ont des soucis d’argent, ils ne pas, ils peuvent prendre contact me défouler. Je vais aussi observer des seront pas les seuls et il y aura des aides, pour toi avec un psychologue ou oiseaux à l’aide de jumelles avec mon des solutions.» psychiatre pour enfants. Beaucoup père ou ma mère. On va au-dessus de proposent des consultations par la maison, pas loin. On s’assoit et on La peur que nous avons en ce moment téléphone ou vidéo en ce moment observe. Le soir, quand on a le temps, sert à quelque chose : elle nous protège et certaines sont gratuites. on regarde un film tous les 4 avec un vi- des dangers ! Elle nous évite de sortir déoprojecteur. Le coronavirus, ça m’in- dans la rue par exemple. «Les enfants • Ne reste pas tout le temps devant quiète un petit peu mais je préfère ne ont, comme tout le monde, un grand rôle les chaînes d’information en continu pas trop entendre tout ce qu’il se passe à jouer pour combattre le virus. Il fait parce que c’est stressant. pour pouvoir penser à autre chose.» peur mais on peut à notre tour lui faire peur en se lavant les mains ou en ac- • Occupe-toi afin de ne pas laisser ceptant de ne pas voir les copains !» dit ton esprit imaginer des scénarios Dessin réalisé par Jeanne, avec son père. Il est accroché sur le mur de leur maison. Thierry Baubet, psychiatre pour enfants catastrophe. PHOTO DROITS RÉSERVÉS. et adolescents.