La Presse Clandestine En Belgique Occupée Pendant La Première Guerre Mondiale
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Université Catholique de Louvain Faculté de Philosophie et Lettres Département d’Histoire Les “soldats de la plume” : La presse clandestine en Belgique occupée pendant la Première Guerre mondiale. Promoteur : Laurence Van Ypersele Mémoire présenté par François Hirsch En vue de l’obtention du grade de licencié en histoire Année académique 2005-2006 2 La presse clandestine belge représente une véritable mine d’or pour l’historiographie de la Première Guerre mondiale. En effet, ce phénomène urbain, voire bruxellois, et francophone saisit d’un angle nouveau la “culture de guerre” qui anime la population belge occupée. Créée pour combattre les nouvelles décourageantes de sa consœur censurée, la presse clandestine soutient les déprimés et les hésitants. Dans ce but, elle informe les Belges des méfaits et violations dont l’Allemagne s’est et se rend toujours coupable, et incite la population à faire preuve de courage, de patience et d’optimisme, bref de patriotisme. Elle condamne tout contact avec l’ennemi, dont elle dénonce les crimes, et entretient l’esprit d’insoumission et de résistance morale. Au-delà de la diversité des points de vue, nous avons aperçu, au sein de cette communauté de pensée, la même foi dans le triomphe du Droit et de la Civilisation, la même passion pour la Liberté, la Paix et la Justice, la même haine de la barbarie, des crimes et des mensonges et la même volonté d’anéantir la Kultur allemande et de débarrasser le monde du militarisme prussien. 3 Tout d’abord, nous tenons à remercier sincèrement Mme. Van Ypersele pour son écoute attentive et ses précieux conseils. Nous remercions également Brigitte et Jacqueline pour leur aide. Sans elles, ce travail ne serait ce qu’il est. Merci à tous les autres qui de près ou de loin ont contribué à l’élaboration de ce mémoire ou nous ont tout simplement soutenu. 4 5 “Les écrits prohibés ne sont qu’un épisode presque insignifiant dans la lutte de chaque jour que les Belges de Belgique ont à soutenir contre les exigences de plus en plus âpres et de plus en plus injustifiées du pouvoir occupant. Mais mieux qu’aucun autre mode d’activité, la presse clandestine permet à l’étranger de saisir sur le vif l’incompressible énergie et la persistante bonne humeur d’un peuple qui refuse de se laisser écraser.” MASSART, J., La presse clandestine dans la Belgique occupée , Paris, 1917, p. XI. “Pendant la guerre, les journalistes belges, par l’action quand ils le pouvaient, par l’abstention et le sacrifice quand ils le devaient, ont bien servi la Patrie et porté très haut l’honneur de leur profession.” Albert Ier cité par FLAMENT, J., La Presse Belge pendant la Guerre in LYR, R., Nos héros morts pour la Patrie , Bruxelles, 1920, p. 303. 6 Introduction 1. La presse clandestine La Première Guerre mondiale voit fleurir en Belgique un phénomène nouveau dans sa forme et son ampleur : la presse clandestine. Celle-ci, née à cette occasion, remplit une fonction essentielle d’information et de propagande. Elle prend la forme de périodiques et s’oppose à la presse sous contrôle de l’occupant. Notre objectif consiste à découvrir les préoccupations de la presse clandestine mais surtout la manière dont elle traite les évènements et les principaux acteurs de la guerre. Certains concepts, tels que le patriotisme, le nationalisme, l’héroïsation ou la haine sacrée y ont une toute autre signification que celle qui leur est aujourd’hui attribuée. Puisque la plupart des prohibés sont gratuits, le lucre ne peut constituer la principale raison d’être de ces dévoués patriotes. Non seulement leur œuvre peut paraître totalement inutile, mais ces “combattants de l’intérieur” risquent l’emprisonnement, l’amende, la déportation, voire la mort à tout moment. Réalisent-ils cette tâche par patriotisme, par souci de remonter le moral de la population ou encore pour récupérer les brebis belges tentées par le loup allemand ? Bien sûr, des différences apparaissent en fonction des orientations linguistiques et culturelles, mais elles restent somme toute rarissimes. L’occupation crée une symbiose parmi ces combattants de la liberté n’ayant pour seule arme que leur plume. Chacun à sa manière, écrit à la main ou dactylographié, sur feuilles volantes ou reliées, en français ou en néerlandais, dans un langage châtié ou très direct, lutte contre un oppresseur commun. Souvent un clandestin renvoie à l’existence ou à la naissance d’un autre, jamais il ne le critique. Mais quels sont ces écrits et comment se présentent-ils ? En quoi les journaux clandestins s’accordent-ils et quelles sont les divergences, les nuances entre eux ? Ils n’ont peut-être pas une “culture du patriotisme” ou une “culture du combat patriotique” commune… Au-delà de pensées personnelles, quelles sont les raisons qui poussent tant d’hommes à braver les sanctions ? Rédiger, réaliser et diffuser un clandestin, c’est donner à chacun des éléments de cette chaîne le sentiment – plus que légitime – d’agir sans attendre contre l’occupant, de pouvoir s’exprimer librement. Du feuillet dactylographié jusqu’aux milliers d’exemplaires 7 sortis de presses puissantes, le clandestin participe à cette même volonté d’expression, sans trop grand souci de forme, ni de certitude de diffusion. Il est également fort intéressant de jeter un coup d’oeil dans les coulisses. Bien que l’organisation d’un journal clandestin pourrait faire l’objet, à elle toute seule, d’une étude à part entière, nous ne ferons que soulever un coin du voile afin de mettre ces informations en perspective. Quels sont les canaux via lesquels la presse recueille l’information ? Comment La Libre Belgique , malgré les contrôles de plus en plus poussés, parvient-elle à publier des articles du Temps et du Matin ? Les on-dit, les communiqués de guerre alliés, les textes de discours et les récits de témoins oculaires proviennent tous de sources étrangères entrées secrètement en Belgique. L’étude du décalage entre l’évènement et sa parution dans la presse nous donne des indices quant à l’organisation pratique d’un clandestin. La bataille de Verdun (février – décembre 1916) est ainsi annoncée dès avril 1916. Mais les fausses informations et les exagérations sont légion, peut-être causées par une exaltation démesurée tendant parfois vers une pure propagande contre les journaux censurés. Peut-on vraiment parler de “journaux” ou faut-il plutôt en décrire certains comme des tracts, des pamphlets ou des déclarations de propagande ? Ces quelques interrogations ne peuvent nous faire oublier que les clandestins constituent la raison de vivre de centaines d’hommes et de femmes sous l’occupation. De la fabrication à la diffusion, tout constitue un danger 1, parfois mortel. Il est indispensable de garder cette donnée à l’esprit quand on lit ces pages dont certains accents peuvent aujourd’hui paraître puérils. L’étude de la presse clandestine représente une extraordinaire plongée dans la mentalité de guerre, à scruter au-delà du texte, en tentant de percevoir la motivation du rédacteur. Un journal ne peut être valablement utilisé si l’on ne prend pas la mesure de la spécificité de la presse et du journalisme, si l’on n’apprend pas à connaître les intérêts qui l’animent, les hommes qui le rédigent, le public qu’il vise et les buts qu’il se donne. 1 Un arrêté du gouverneur général, daté du 5 février 1916, annonce que quiconque possède des imprimés sera puni d’une peine d’emprisonnement de trois ans ou d’une amende pouvant atteindre 3.000 marks. BERTRAND, L., L’occupation allemande en Belgique. 1914-1918 , t. I, Bruxelles, 1919, p. 79. 8 Au final, nous tenterons de répondre à cette question essentielle, qui sera le fil rouge au long de cette étude : quelle est la culture de guerre 2 de la presse clandestine pendant la Première Guerre mondiale ? 2. Portées chronologique, géographique et thématique Etant donné qu’il n’y a de censure allemande ni avant ni après la guerre, cette étude se penchera tout d’abord, d’un point de vue chronologique, exclusivement sur la Première Guerre mondiale, c'est-à-dire du début du mois d’août 1914 au 11 novembre 1918. Néanmoins, quelques ex-cursus seront effectués, telle l’étude du 171 e et dernier numéro de La Libre Belgique , paru le 12 novembre 1918. En excluant les feuilles volantes du début du conflit, les premiers journaux clandestins dignes de ce nom n’apparaîtront pas avant la fin du mois d’août 1914. En réalité, l’explosion des journaux a lieu en 1915. Nous nous bornerons à étudier les journaux imprimés clandestinement en Belgique occupée, même si de nombreux journaux alliés et neutres, tels que le Times , le Matin et le Nieuwe Rotterdamsche Courant sont introduits, lus et reproduits par les prohibés en Belgique. Les journaux belges paraissant entre le début de l’invasion et le jour où l’armée impériale pénètre dans la ville où ils éditent ne seront pas non plus analysés, tout comme les brochures, pamphlets et feuilles volantes distribués par les airs ( Die Feldpost, Le Clairon du Roi, Le Courrier de l’Air , …). Enfin, qu’entend-on exactement par “presse clandestine” ? Il s’agit exclusivement des journaux créés pour tenir tête aux autorités allemandes et mettre les Belges en garde contre les nouvelles, souvent fausses et déprimantes, publiées quotidiennement par la presse censurée. La périodicité et le nombre de numéros ne constituent pas un critère de (non-)sélection, au contraire des contextes géographique et chronologique. 3 Cette presse défie la censure et est 2 Stéphane Audoin-Rouzeau définit cette notion “ comme le champ de toutes les représentations de la guerre forgées par les contemporains : de toutes les représentations qu’ils se sont données de l’immense épreuve, pendant celle-ci d’abord, après celle-ci ensuite.