Trente Ans De Combat Syndicaliste Et Pacifiste. Précédé D
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Louis BOUËT « Crois peu, doute beaucoup, mais surtout sois tolérant ! » Sylvain MARÉCHAL. Louis BOUËT TRENTE ANS DE COMBAT syndicaliste et pacifiste Ouvrage précédé d une Vie de Louis BOUËT et suivi de documents L'AMITIÉ PAR LE LIVRE 50910 BLAINVILLE-SUR-MER Vie de Louis BOUËT 1880 - 1969 « Vivre, c'est encore prolonger un peu ceux que nous avons perdus. » France SERRET GROUPES FAMILIAUX 24 mars 1921 1938 L'enfance. Louis Bouët est né le 6 avril 1880 à Montfaucon-sur- Moine, jolie bourgade du pays des Mauges (Maine-et- Loire). La famille était de condition modeste. Le père, sabo- tier. s'employait, en outre, à divers travaux saison- niers : batteries, charrois. Homme à l'esprit plutôt ouvert, il aimait à s'extérioriser, à faire sa partie de car- tes au café. La maman, orpheline de bonne heure, avec la charge d'un petit frère et d'une petite sœur, était plus effacée, sans instruction, car elle avait dû se gager foute jeune. Il était une corvée que le petit Louis redoutait : sa mère l'envoyait parfois chercher le papa, de crainte qu'il ne s'attarde trop. Il savait ce qui l'attendait : on le ferait asseoir, on lui verserait deux doigts de vin qu'il avalerait difficilement, à la pensée du retour ! Aussi s'est-il toujours abstenu de fréquenter les cafés. Louis eut une petite enfance maladive. A sept ans seulement, il prit le chemin de l'école primaire. Il rattrapa vite ses condisciples et devint un auxiliaire précieux pour l'instituteur chargé d'une classe unique à effectif assez lourd. Il apprit à lire à sa mère... Déjà se dessinait la vocation de l'enseignement. Mais il y avait loin du rêve à la réalité : il fallait vivre. Pour compléter le budget, étoffer un peu le menu, il s'emploie avec la maman, à vendre de la marée plusieurs fois par semaine. Il accompagne aussi son père à la pèche, dans la Moine, rivière poissonneuse, et à la pipée, car le père Bouët, comme on l'appelait familièrement, était un tantinet braconnier. En ce temps-là, la maréchaussée était bon enfant, les choses se passaient en famille et les fritures de la Moine étaient bien bonnes. Vers la douzième année, le jeune garçon eut une crise de conscience. La mère et la sœur, croyantes, pratiquaient. Louis allait à l'église, comme les autres enfants ; mais il se prenait à réfléchir sur les rites de la religion, le contenu du catéchisme, celui de l'his- toire sainte. Il devenait peu à peu agnostique. Il était tourmenté. Dans le même temps, il eut à résoudre un autre grave problème. Un oncle, du côté paternel, curé à Angers, avait des visées sur son neveu. Par l'intermé- diaire du prêtre de Montfaucon, il lui proposa de le faire admettre au séminaire. Il prendrait à sa charge les frais, s'il en était besoin. Louis pourrait s'instruire, occuper une situation honorable dans la prêtrise et, qui sait ? devenir même professeur, comme l'autre oncle qui exerçait dans une institution libre renommée à Angers. La première réaction de l'enfant fut une attitude négative. On lui donna le temps de réfléchir. A la maison, la mère est assez flattée des perspec- tives qui s'ouvrent à son fils. Le père laisse ce dernier libre de sa détermination. Il faut dire qu'il était un de ces rares hommes qui n'allaient jamais à l'église. Au surplus, il avait fait partie de l'armée versaillaise que Thiers avait envoyée à l'assaut de la Commune. Bien qu'il parlât très peu de cette époque, il dut être mar- qué par l'événement vécu ! Les réflexions de l'enfant ne furent pas longues . il retourna seul au presbytère, porter un refus très ferme et motivé. Le prêtre se montra compréhensif et n'insista pas. L'adolescence. Louis eut alors la chance de trouver un emploi chez le receveur de l'Enregistrement. C'était un homme libé- ral, cultivé. Il apprécia les qualités de sérieux, d'or- dre, la belle écriture régulière de son jeune commis, lequel fut vite initié à la législation de son emploi, si bien que le receveur se reposa bientôt sur lui pour toutes les affaires courantes. Louis fut même autorisé à utiliser la bibliothèque personnelle de son employeur. Quelle joie de découvrir les œuvres du XVIII" siècle, et bien d'autres richesses ! Quelle compensation ! Et deviennent plus vifs la vocation, le désir de se dévouer à l'éducation des enfants, de faire qu'ils puis- sent être plus heureux, plus émancipés que bien des gens qu'il côtoie chaque jour... Il prépare seul — ou à peu près — le concours de l'Ecole normale d'Angers. Il échoue une première fois, en particulier pour l'épreuve de musique (solfège) ; M. Chapiet, professeur consciencieux, notait sévèrement les concurrents. Le candidat revint, navré. Or, la dame du juge de paix lui enseigna gratuitement le solfège et le piano. Qu'elle en soit, aujourd'hui, remerciée ! Les progrès de l'élève furent rapides. L'année suivante, il fut reçu dans de bonnes conditions. Le normalien. Trois années heureuses : un régime alimentaire convenable, de bons professeurs et un directeur, M. Lestang, qui devait marquer d'une forte empreinte la plupart de ses disciples, Louis Bouët en particu- lier. C'était au temps de l'Affaire Dreyfus, qui passion- nait l'opinion. Dans ses causeries, le directeur ne crai- gnait pas d'aborder l'actualité. Il s'efforçait d'éveil- ler l'esprit critique des élèves-maîtres à l'aide d'une documentation sérieuse, objective. On a retrouvé, dans les papiers de Louis Bouët une relation personnelle de l'Affaire telle que la pouvait faire, dans un devoir libre, un jeune normalien. Le débutant. Comme on avait hâte de gagner sa vie, d'exercer le métier rêvé ! Las ! quelques désenchantements au départ : des écoles surchargées (50 élèves dans la classe préparatoire des «Récollets », à Saumur, 60 aux « .J ustices », à Angers !) des directeurs omnipotents, tatillons et, avec cela, un traitement de famine : 50 anciens francs pour se nourrir, s'habiller... et le reste. Fallait-il se résigner à devenir un Jean Coste (1) ? Un seul repas au restaurant était encore trop oné- reux. Avec deux autres sous-maîtres, Champeau et Louapre, ils décidèrent de faire leur cuisine en com- mun. L'étahlissemennt des Récollets était spacieux : chacun pouvait avoir une chambre individuelle. Il en restait encore assez pour installer un matériel culi- naire sommaire. Louis Bouët se charge des fonctions d'économe et de cuistot, ses co-associés le remplaçant pour les charges scolaires supplémentaires, comme les études du soir. L'expérience réussit. C eût été bien, mais il y avait un point noir à l'horizon : le service militaire sans traitement ! Le soldat. Avec son esprit d'indépendance, de libertaire en puis- sance, Louis eut du mal à s'adapter à la vie de caserne où il subit quelques brimades d'officiers subalternes peu délicats. Il en écrivit les péripéties à Gabrielle Dechezelles, sa fiancée (1). Les instituteurs, à cette époque, n'étaient astreints qu'à un service d'un an, fort heureusement. Louis Bouët avait suivi les cours d'élèves-officiers. Il en sortit caporal. (1) Roman d'Antonin Lavergne, qui dépeignait la vie misérable d 'un instituteur de village. (2) De cinq ans sa cadette, Gabrielle avait suivi le même chemi- nement : mêmes difficultés matérielles, même vocation, et la volonté de vaincre les obstacles. Louis l'aidait de ses conseils, lui prêtait livres et revues. M. Lestang lui-même s offrit a corriger des devoirs de français à l'étudiante solitaire. Les premières années. Libéré du service militaire, Louis songe, avec plu- sieurs camarades, à grouper les adjoints pour conqué- rir l'indépendance, l'autonomie de leur propre classe. Ils admettent avec eux les maîtres de classe unique des campagnes. Le Jean Coste les hante toujours ! Il faut lutter pour améliorer les traitements de base, pour faire qu'institutrices et instituteurs aient une vie plus décente, plus digne. Amorce de luttes qui vont se poursuivre avec de plus en plus d'ampleur, sur le plan national et international, comme en témoignent et l'Histoire de la Fédération unitaire de l'enseigne- ment, et le présent ouvrage plus spécialement consa- cré au Maine-et-Loire. L'homme de combat. Avec sa haute taille, son port un peu raide, une parole parfois incisive, Louis Bouët pouvait paraître intransigeant, de prime abord. R. Guilloré, dans La Révolution prolétarienne donne même les épithètes de sectaire et de janséniste (entre guillemets, bien sùr) (1). Sectaire ? non. Il avait trop d'élévation de pensée, et trop de générosité pour être un partisan intolérant. Janséniste ? encore moins. Intransigeant ? oui, dans la mesure où il était contre les dérobades, les faux compromis qui mettent les contestataires en état d'in- fériorité devant des chefs, des patrons mieux armés, plus puissants. S'il lui arrivait de contourner l'obsta- cle, d'effectuer quelque recul stratégique, c'était pour mieux dominer la situation, pour mettre en difficulté les forces oppressives, ce qui faisait dire à un Sarthou (2) qu'il était retors et procédurier. Il était surtout très scrupuleux, avec une certaine timidité et, aussi, une certaine pudeur à exprimer ses (1) Voir plus loin. (2) Sarthou : Inspecteur d'académie de Maine-et-Loire, qui s'est acharné à obtenir la révocation de G. et L. Bouët, espérant ainsi décapiter le mouvement syndicaliste révolutionnaire. sentiments. Il appréhendait plutôt de monter à la tri- bune. Ce n'était pas un homme de Verbe, cherchant des effets oratoires. Il y était poussé par le besoin de communiquer une certitude lentement mûrie.