Louis BOUËT

« Crois peu, doute beaucoup, mais surtout sois tolérant ! » Sylvain MARÉCHAL.

Louis BOUËT

TRENTE ANS DE COMBAT

syndicaliste et pacifiste

Ouvrage précédé d une Vie de Louis BOUËT et suivi de documents

L'AMITIÉ PAR LE LIVRE 50910 BLAINVILLE-SUR-MER

Vie de Louis BOUËT 1880 - 1969

« Vivre, c'est encore prolonger un peu ceux que nous avons perdus. » France SERRET GROUPES FAMILIAUX 24 mars 1921

1938 L'enfance. Louis Bouët est né le 6 avril 1880 à Montfaucon-sur- Moine, jolie bourgade du pays des Mauges (Maine-et- Loire). La famille était de condition modeste. Le père, sabo- tier. s'employait, en outre, à divers travaux saison- niers : batteries, charrois. Homme à l'esprit plutôt ouvert, il aimait à s'extérioriser, à faire sa partie de car- tes au café. La maman, orpheline de bonne heure, avec la charge d'un petit frère et d'une petite sœur, était plus effacée, sans instruction, car elle avait dû se gager foute jeune. Il était une corvée que le petit Louis redoutait : sa mère l'envoyait parfois chercher le papa, de crainte qu'il ne s'attarde trop. Il savait ce qui l'attendait : on le ferait asseoir, on lui verserait deux doigts de vin qu'il avalerait difficilement, à la pensée du retour ! Aussi s'est-il toujours abstenu de fréquenter les cafés. Louis eut une petite enfance maladive. A sept ans seulement, il prit le chemin de l'école primaire. Il rattrapa vite ses condisciples et devint un auxiliaire précieux pour l'instituteur chargé d'une classe unique à effectif assez lourd. Il apprit à lire à sa mère... Déjà se dessinait la vocation de l'enseignement. Mais il y avait loin du rêve à la réalité : il fallait vivre. Pour compléter le budget, étoffer un peu le menu, il s'emploie avec la maman, à vendre de la marée plusieurs fois par semaine. Il accompagne aussi son père à la pèche, dans la Moine, rivière poissonneuse, et à la pipée, car le père Bouët, comme on l'appelait familièrement, était un tantinet braconnier. En ce temps-là, la maréchaussée était bon enfant, les choses se passaient en famille et les fritures de la Moine étaient bien bonnes. Vers la douzième année, le jeune garçon eut une crise de conscience. La mère et la sœur, croyantes, pratiquaient. Louis allait à l'église, comme les autres enfants ; mais il se prenait à réfléchir sur les rites de la religion, le contenu du catéchisme, celui de l'his- toire sainte. Il devenait peu à peu agnostique. Il était tourmenté. Dans le même temps, il eut à résoudre un autre grave problème. Un oncle, du côté paternel, curé à Angers, avait des visées sur son neveu. Par l'intermé- diaire du prêtre de Montfaucon, il lui proposa de le faire admettre au séminaire. Il prendrait à sa charge les frais, s'il en était besoin. Louis pourrait s'instruire, occuper une situation honorable dans la prêtrise et, qui sait ? devenir même professeur, comme l'autre oncle qui exerçait dans une institution libre renommée à Angers. La première réaction de l'enfant fut une attitude négative. On lui donna le temps de réfléchir. A la maison, la mère est assez flattée des perspec- tives qui s'ouvrent à son fils. Le père laisse ce dernier libre de sa détermination. Il faut dire qu'il était un de ces rares hommes qui n'allaient jamais à l'église. Au surplus, il avait fait partie de l'armée versaillaise que Thiers avait envoyée à l'assaut de la Commune. Bien qu'il parlât très peu de cette époque, il dut être mar- qué par l'événement vécu ! Les réflexions de l'enfant ne furent pas longues . il retourna seul au presbytère, porter un refus très ferme et motivé. Le prêtre se montra compréhensif et n'insista pas.

L'adolescence. Louis eut alors la chance de trouver un emploi chez le receveur de l'Enregistrement. C'était un homme libé- ral, cultivé. Il apprécia les qualités de sérieux, d'or- dre, la belle écriture régulière de son jeune commis, lequel fut vite initié à la législation de son emploi, si bien que le receveur se reposa bientôt sur lui pour toutes les affaires courantes. Louis fut même autorisé à utiliser la bibliothèque personnelle de son employeur. Quelle joie de découvrir les œuvres du XVIII" siècle, et bien d'autres richesses ! Quelle compensation ! Et deviennent plus vifs la vocation, le désir de se dévouer à l'éducation des enfants, de faire qu'ils puis- sent être plus heureux, plus émancipés que bien des gens qu'il côtoie chaque jour... Il prépare seul — ou à peu près — le concours de l'Ecole normale d'Angers. Il échoue une première fois, en particulier pour l'épreuve de musique (solfège) ; M. Chapiet, professeur consciencieux, notait sévèrement les concurrents. Le candidat revint, navré. Or, la dame du juge de paix lui enseigna gratuitement le solfège et le piano. Qu'elle en soit, aujourd'hui, remerciée ! Les progrès de l'élève furent rapides. L'année suivante, il fut reçu dans de bonnes conditions. Le normalien. Trois années heureuses : un régime alimentaire convenable, de bons professeurs et un directeur, M. Lestang, qui devait marquer d'une forte empreinte la plupart de ses disciples, Louis Bouët en particu- lier. C'était au temps de l'Affaire Dreyfus, qui passion- nait l'opinion. Dans ses causeries, le directeur ne crai- gnait pas d'aborder l'actualité. Il s'efforçait d'éveil- ler l'esprit critique des élèves-maîtres à l'aide d'une documentation sérieuse, objective. On a retrouvé, dans les papiers de Louis Bouët une relation personnelle de l'Affaire telle que la pouvait faire, dans un devoir libre, un jeune normalien. Le débutant. Comme on avait hâte de gagner sa vie, d'exercer le métier rêvé ! Las ! quelques désenchantements au départ : des écoles surchargées (50 élèves dans la classe préparatoire des «Récollets », à Saumur, 60 aux « .J ustices », à Angers !) des directeurs omnipotents, tatillons et, avec cela, un traitement de famine : 50 anciens francs pour se nourrir, s'habiller... et le reste. Fallait-il se résigner à devenir un Jean Coste (1) ? Un seul repas au restaurant était encore trop oné- reux. Avec deux autres sous-maîtres, Champeau et Louapre, ils décidèrent de faire leur cuisine en com- mun. L'étahlissemennt des Récollets était spacieux : chacun pouvait avoir une chambre individuelle. Il en restait encore assez pour installer un matériel culi- naire sommaire. Louis Bouët se charge des fonctions d'économe et de cuistot, ses co-associés le remplaçant pour les charges scolaires supplémentaires, comme les études du soir. L'expérience réussit. C eût été bien, mais il y avait un point noir à l'horizon : le service militaire sans traitement !

Le soldat. Avec son esprit d'indépendance, de libertaire en puis- sance, Louis eut du mal à s'adapter à la vie de caserne où il subit quelques brimades d'officiers subalternes peu délicats. Il en écrivit les péripéties à Gabrielle Dechezelles, sa fiancée (1). Les instituteurs, à cette époque, n'étaient astreints qu'à un service d'un an, fort heureusement. Louis Bouët avait suivi les cours d'élèves-officiers. Il en sortit caporal.

(1) Roman d'Antonin Lavergne, qui dépeignait la vie misérable d 'un instituteur de village. (2) De cinq ans sa cadette, Gabrielle avait suivi le même chemi- nement : mêmes difficultés matérielles, même vocation, et la volonté de vaincre les obstacles. Louis l'aidait de ses conseils, lui prêtait livres et revues. M. Lestang lui-même s offrit a corriger des devoirs de français à l'étudiante solitaire. Les premières années. Libéré du service militaire, Louis songe, avec plu- sieurs camarades, à grouper les adjoints pour conqué- rir l'indépendance, l'autonomie de leur propre classe. Ils admettent avec eux les maîtres de classe unique des campagnes. Le Jean Coste les hante toujours ! Il faut lutter pour améliorer les traitements de base, pour faire qu'institutrices et instituteurs aient une vie plus décente, plus digne. Amorce de luttes qui vont se poursuivre avec de plus en plus d'ampleur, sur le plan national et international, comme en témoignent et l'Histoire de la Fédération unitaire de l'enseigne- ment, et le présent ouvrage plus spécialement consa- cré au Maine-et-Loire.

L'homme de combat.

Avec sa haute taille, son port un peu raide, une parole parfois incisive, Louis Bouët pouvait paraître intransigeant, de prime abord. R. Guilloré, dans La Révolution prolétarienne donne même les épithètes de sectaire et de janséniste (entre guillemets, bien sùr) (1). Sectaire ? non. Il avait trop d'élévation de pensée, et trop de générosité pour être un partisan intolérant. Janséniste ? encore moins. Intransigeant ? oui, dans la mesure où il était contre les dérobades, les faux compromis qui mettent les contestataires en état d'in- fériorité devant des chefs, des patrons mieux armés, plus puissants. S'il lui arrivait de contourner l'obsta- cle, d'effectuer quelque recul stratégique, c'était pour mieux dominer la situation, pour mettre en difficulté les forces oppressives, ce qui faisait dire à un Sarthou (2) qu'il était retors et procédurier. Il était surtout très scrupuleux, avec une certaine timidité et, aussi, une certaine pudeur à exprimer ses

(1) Voir plus loin. (2) Sarthou : Inspecteur d'académie de Maine-et-Loire, qui s'est acharné à obtenir la révocation de G. et L. Bouët, espérant ainsi décapiter le mouvement syndicaliste révolutionnaire. sentiments. Il appréhendait plutôt de monter à la tri- bune. Ce n'était pas un homme de Verbe, cherchant des effets oratoires. Il y était poussé par le besoin de communiquer une certitude lentement mûrie. Il y puisait l'accent, la chaleur pour convaincre, pour en- traîner le plus possible de camarades à Vaction néces- saire. Maître de lui-même, il ne maniait jamais l'in- vective et ses adversaires loyaux l'estimaient pour sa droiture et le sérieux de sa documentation. Tout au plus, pourrait-on le taxer d'austérité, car il n'aimait guère se mêler aux foules bruyantes (foi- res, sports de compétition ou autres spectacles du mê- me genre). Il était plutôt un homme de cabinet, tran- quille près des siens, de ses amis... et de son jardin. On peut ajouter qu'il était sans ambition... Il écrivait à Gabrielle, le 7 juillet 1904 : « Quand donc aurons-nons enfin notre petit poste à la campa- gne ? Ho ! être tous les deux bien tranquilles avec votre mère, n'ayant pour nous rattacher au monde extérieur que le facteur apportant de temps à autre quelques journaux et revues, quelques lettres de pa- rents et d'amis. Voilà mon rêve. N'est-ce pas aussi le vôtre ?» (1) Le rêve s'est réalisé. G. et L. Bouët ont fait la ma- jeure (et la meilleure) partie de leur carrière à la campagne : Saint-Clément-des-Levées, Saint-Georges-sur- Layon, Méron...

L'Educateur.

Louis Bouët n'a jamais négligé la tâche essentielle, celle qu'il avait librement choisie. Avec quelle patience, quelle douce fermeté, il instruisait ses élèves, les acheminant peu à peu vers le self-governement, une

(1) Gabrielle était retournée au collège, après trois ans d'interrup- tion, puisqu'on ne paraissait pas disposé à lui accorder un poste dans l'enseignement, avec le Brevet élémentaire. D'autre part, elle désirait compléter son instruction. morale sans obligation ni sanction ! Les enfants l'ai- maient et le respectaient. Il savait aussi gagner la confiance des parents, des adultes, en organisant, avec sa compagne, des causeries, les soirs d'hiver. Cau- series à la fois éducatives et récréatives car elles étaient suivies de chants où les voix des enfants et des adultes se mêlaient harmonieusement, en parti- culier à Saint-Clément-des-Levées et à Saint-Georges- sur-Layon, avant la Grande Tourmente de 1914. C'était d'ailleurs la règle dans la Fédération unitaire de s'efforcer d'être irréprochable au point de vue pro- fessionnel dans une école rénovée. D'où la richesse de L'Ecole Emancipée, non seulement dans sa partie cor- porative et sociale, mais peut-être plus encore dans sa partie pédagogique où les concours furent très nom- breux, originaux. De même dans les éditions diverses de la Fédération unitaire. Sur la brèche. Cependant, la carrière de G. et L. Bouët ne fut pas toujours idyllique ! S'ils purent exercer le plus sou- vent leur rôle d'éducateur d'avant-garde, grâce à la compréhension des parents et à l'attachement des enfants, ils n'en furent pas moins en butte aux for- ces réactionnaires coalisées et soutenues par la bour- geoisie au pouvoir. Blâmés, réprimandés, censurés, enquêtés, déplacés d'office, perquisitionnés, révoqués, harcelés toujours, protégés par de bons anges gardiens, ils ont néan- moins tenu bon.

Le combat syndicaliste et pacifiste. Louis Bouët est un des pionniers du syndicalisme universitaire. Nombre de directeurs d'école se considéraient comme des sous-inspecteurs, fournissant des rapports sur leurs adjoints, s'arrogeant même un droit de contrôle jus- que dans leur vie privée. Aussi, devant l'attitude hostile de l'Amicale, avec ses directeurs en tête, les adjoints, déjà groupés, déci- dèrent, le 17 novembre 1904 de fonder une section angevine de L'Emancipation de l'instituteur, et de s'affilier à la Fédération nationale de l'émancipation, qui siégeait à Paris. Et, le 21 mai 1905, la section de L'Emancipation qui a étendu son recrutement, se transforme en Syn- dicat, et adhère à la Bourse du travail, entendant ainsi collaborer avec la classe ouvrière. Après avoir contribué à la création de la revue syndi- cale et pédagogique L'Ecole Emancipée (L.E.E.), confiée d'abord à l'actif syndicat des Bouches-du-Rhône, Louis et Gabrielle Bouët participent à la plupart des congrès de la jeune Fédération des syndicats d'institu- teurs. Le congrès de Chambéry (1912) venait de voter, entre autres, la motion suivante : « Pour maintenir les relations entre les cama- rades syndiqués soldats, et leur groupement, il est institué, dans chaque syndicat une œuvre dite sou du soldat, destinée à leur venir en aide mora- lement et pécuniairement. » Aussitôt, une violente campagne réactionnaire est déclenchée, dénonçant l'antipatriotisme des institu- teurs syndiqués, réclamant des sanctions sévères et la dissolution des syndicats. Là encore, G. et L. Bouët sont à la pointe de la résistance et, dans cette lutte pour la conquête du droit syndical, Louis Bouët est réprimandé, censuré, frappé d'amende par le Tribu- nal correctionnel. (Mais le- ministre de l'Instruction publique promit d'ajouter 40 millions à son budget !).

La grande tourmente de 1914-1918 La guerre ! Les reniements des chefs syndicalistes, socialistes ! Etait-il possible d'être complice, même tacitement ? C'est alors que va commencer le difficile, le périlleux combat, mais le plus beau des Combats : celui pour la paix et la fraternité des peuples, sans dis- tinction de religion, de couleurs, de race ! Voici, à ce propos, un message envoyé aux jeunes de la région parisienne, par l'intermédiaire de Rolande de Paepe, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la révolution d'octobre 1917 (1). La reproduction s'en impose ici car il représente l'évocation prenante d'une triste époque. « Saumur, le 9 novembre 1967 « Le cinquantième anniversaire d'octobre remé- more pour nous une des périodes les plus mar- quantes de notre vie militante. 1914 ! Nous étions alors à Saint - Georges - Chàtelaison (Chatelaison comme nous disions, pour déchristianiser !) Je revois Louis, ouvrant les journaux et s'écriant d'une voix altérée : « Jaurès est assassiné ! C'est la guerre ! » « Nous savions bien que les chancelleries, avec Poincaré en tête, la préparait. Notre Fédération unitaire, avec L'Ecole Emancipée, réagissait vigou- reusement, pour écarter cette triste éventualité et c'est surtout notre combat pour la paix qui nous valut les coups du pouvoir. « La mobilisation devait suivre aussitôt la mort du grand tribun. » « C'est alors que devait commencer pour nous et une poignée de militants, le véritable engage- ment, lutte exaltante, d'abord clandestine, en liaison avec des camarades de la région parisienne et avec d'au- tres, dispersés un peu partout en France ; tous ceux et toutes celles qui, à l'encontre des Jouhaux, des socia-

(1) Informations ouvrières. 14 novembre 1967. listes défaillants, voulaient rester fidèles à notre idéal, et agir en conséquence. « Les tracts, les brochures, les papillons divers furent glissés sous les portes, jetés dans les boîtes aux lettres, expédiées au front comme correspondance, où on leur réservait l'accueil qu'il est facile de deviner. « 1916 ! La camarade Izamhard, lors d'une réunion clandestine, ayant mis son logement des Buttes-Chau- mont à notre disposition, pour la période des vacances, nous y avons passé un mois avec nos enfants : Lucien, Il ans, Elsie, 9 ans. Nous cherchions, avec Merrheim, Bourderon, et d'autres pacifistes, le moyen d'arrêter la tuerie et d'examiner les possibilités d'une regroupement des forces révolutionnaires. Trotsky et sa compagne ont assisté à plusieurs de nos réunions. Ils étaient impa- tients d'aboutir à quelques résultats positifs, car ils étaient toujours sur le qui-vive. Nous les comprenions bien, étant dans le même état d'esprit et nous avions accepté de prendre en charge leurs deux garçons, le cas échéant (1). « Les événements ont tourné autrement. Expulsés, nos camarades et leurs enfants sont d'abord passés en Espagne, à défaut de la Suisse, qui leur était refusée. « Il y eut Zimmerwald (1915) et Khienthal (1916) qui devaient renouer les relations internationales, prélu- der la révolution d'octobre que vous allez commémorer. Avec quelle émotion nous avons suivi les étapes de cette marche triomphale qui n'aurait pu aboutir sans le visionnaire-animateur Lénine, admirablement secondé par Trotsky et tant d'autres. La mort de Lénine, l'exil de Trotsky ont permis la triste période de Staline et la dégénérescence qui a suivi. La faute n'en incombe pas seulement à la Rus- sie qui n'a pas été suffisamment épaulée par les autres pays. Il y eut aussi la famine..- « Il aurait fallu pouvoir, au temps de la révolution montante, que les Russes ne restent pas isolés. C'est bien ce que pensait et voulait Trotsky. (1) Serge, mort dans les bagnes soviétiques, son frère Léon, mort mystérieusement à Paris en 1938. « Il n'en reste pas moins que cette grande épopée a servi grandemennt l'émancipation du peuple, comme notre révolution de 1789. C'est d'ailleurs d'elle, comme de la Commune que devaient s'inspirer les combat- tants de 1917, après en avoir compris la force et étu- dié les faiblesses. « L'histoire révolutionnaire est un perpétuel recom- mencement. Il ne faut jamais se décourager. C'est pour- quoi nous sommes heureux de voir des jeunes et des moins jeunes continuer le bon combat. « Courage donc. « Vives amitié à tous, avec le regret de ne pouvoir vous assister davantage. G. et L. Bouët. »

La répression. En 1920, Louis Bouët est nommé secrétaire fédéral. Le Syndicat de Maine-et-Loire prend en charge la revue L'Ecole Emancipée. G. et L. Bouët seront constamment épaulés durant quinze années par une équipe de quasi permanents, bénévoles comme eux, actifs et dévoués : Eugénie Beaumont-Boudault, Léontine Rolland-Bertrand, Edmond Bazot. Mandaté par la Fédération pour la représenter au congrès confédéral de 1920, au moment de la grande grève des cheminots, Louis Bouët demande une autori- sation d'absence qui lui est refusée. Au nom du droit syndical, il passe outre et, pour abandon de poste, l'Ins- pecteur d'académie Sarthou obtient sa révocation. Il va ensuite s'acharner sur Gabrielle. Il la place d'of- fice dans une école de Saumur où la directrice a une réputation détestablé. Dès le premier contact, Gabrielle est avertie : — Monsieur l'Inspecteur d'académie m'a donné la consigne de vous tenir à l'œil. Alors s'en suivent des tracasseries sans nombre : une inspection dans la classe de l'adjointe en congé de ma- ladie..., déplacement d'office et, enfin, révocation. 1920. Louis Bouët doit encore faire face aux pour- suites contre la Fédération et les Syndicats qui refu- sent de se dissoudre (poursuites que le gouvernement n'abandonnera qu'en 1923). Il joue aussi un rôle actif dans la création et les premier pas de l'Internationale de l'Enseignement. Campagne de solidarité. Au temps du Bloc national (1919-1924) (1) il y eut beaucoup de révoqués dans l'enseignement et chez tous les fonctionnaires. Une campagne fut organisée pour hâter leur réintégration. Des meetings se tinrent avec succès dans de nombreuses villes. Fonctionnaires et travailleurs manuels y prirent une part active et enthou- . siaste. G. et L. Bouët, étant libres, y participent dans une large mesure. Des réintégrations eurent lieu peu à peu. Face à l'Eglise. En 1925, Louis et Gabrielle Bouët sont nommés à Lézigné, au bord du Loir, tout heureux de retrouver le métier, les enfants. Ils ne se doutaient pas qu'ils auraient à lutter àprement contre le curé du pays, cette fois encouragé par l'administration, surtout en la personne de l'Inspecteur primaire. Si bien qu'après des prêches diffamatoires, des détournements de courrier privé (faits reconnus, avoués) le curé fut cité devant la justice... qui l'acquitta scandaleusement.

(1) Président de la République, Millerand (1919-1924) Gouvernement Poincaré (1922-1924). La lettre adressée au préfet du Maine-et-Loire en août 1926 donne un aperçu de cette triste affaire moyen- âgeuse ! « Monsieur le préfet, « Nous avons l'honneur de vous rappeler cer- tains faits graves concernant l'école publique de Lézigné et dont l'administration académique a dû vous entretenir. « Réintégrés en février 1925, nous avons tout de suite été l'objet de tracasseries de la part du curé et du maire clérical qui s'opposèrent tout d'abord à la gémination des écoles. Un espionnage sys- tématique fut organisé. Le curé prétendait diriger l'école laïque comme au temps de la loi Falloux. Il allait jusqu'à accepter des papiers que ses en- fants de chœur prenaient à l'école. Aux mêmes enfants, le curé faisait déposer dans l'école des tracts politiques (propagande de Castelnau) (1) leur demandant ensuite : « Qu'est-ce que M. Bouët vous a dit de M. de Castelnau ? » Le curé jouait ainsi le rôle de provocateur. Ne s'introduisait-il pas lui-même à l'école sous le prétexte de venir chercher les enfants de chœur, mais dans le but évident de créer un incident ? Il faisait venir gar- çons et fillettes chez lui pour les interroger sur ce qui se faisait à l'école, préparant ainsi, par des répétitions, l'affaire qu'il entendait faire éclater plus tard. « Le jeudi 21 mai, jour de l'Ascension, le curé fait un prêche violent au cours duquel il diffame l'Ecole laïque et les instituteurs. Les jours sui- vants, profitant des retraites préparatoires à la communion, il fait un essai de grève, et retient à la cure les enfants les 22,' 23, 25 mai. Cette abs- tention se prolonge. Le 27 mai, une mère de famille

(1) Castelnau : Commandant les forces armées de l'Est (1917-1918). Ensuite député de l'Aveyrôn. Fonde la Fédération nationale catholique pour organiser la propagande réactionnaire. retire sa fille. Une seule suit : une orpheline, pupille de la nation, petite-fille du jardinier- domestique d'un châtelain, ennemi de l'Ecole laï- que. « Le 30 mai, le curé convoque au presbytère les enfants des écoles publiques pour les interroger avec le maire, en présence d'un conseiller muni- cipal et d'une notabilité de la commune réputée pour ses opinions cléricales. Il s'agit, évidemment, d'une mise en scène pour impressionner les pa- rents, et d'une répétition générale. « En l'absence des instituteurs (vacances de la Pentecôte) deux pétitions circulent : l'une, dite du curé, est portée dans les familles par les chan- teuses ou enfants de Marie et le fils du sacristain. L'autre, dite du maire, est portée par le maire lui-même qui déclare prendre ses responsabilités, et un mutilé, chez les veuves de guerre, père d'en- fants tués aux armées. Ces pétitions sont envoyées à l'Inspecteur d'académie. « Une campagne de presse est ensuite menée par la presse catholique et l'Union nationale des combattants. Les pétitions sont reproduites avec des commentaires qui aggravent encore la diffa- mation. « Ces faits sont suffisamment édifiants. En les tolérant, l'administration enlèverait toute sécurité et toute autorité aux instituteurs dans les communes réactionnaires. Nous espérons, Monsieur le Préfet, que vous ne permettrez pas qu'un maire clérical puisse se faire impunément l'agent d'un curé pour humilier, bafouer, diffamer l'Ecole et ses maîtres. « Veuillez agréer l'expression de nos sentiments respectueux. L'Instituteur : L. Bouët, » L'Institutrice : G. Bouët. » Le répit. Des essais de grève ayant échoué, le maire de Lézigné démissionne. Il sera réélu à quelques voix près. Le préfet, d'accord avec le ministre Herriot, lequel a besoin, pour conserver la majorité, de s'appuyer sur les éléments de droite, prononce le déplacement d'office, en septembre, alors que les mouvements sont faits . Offre de postes éloignés de toute communication, avec des municipalités réputées réactionnaires. Finalement G. et L. Bouët permuteront avec de jeunes amis de Saumur qui acceptaient volontiers le poste de Lézigné. Ce sera Méron, une municipalité républicaine. Avec M. Thibault, homme simple, compréhensif, dévoué à l'école laïque et M. Reynier, instituteur demeuré au pays, l'accueil sera grandement facilité... Méron ! Six années de tranquillité pour terminer une carrière bien tourmentée.

La Retraite. Voici venir le moment de la retraite. Louis Bouët, assez fatigué, désire l'avancer de quelques années. Sa compagne le suit. Elle y a droit, ayant élevé trois enfants. Il devenait de plus en plus difficile de cumuler le travail scolaire et celui de la revue, qui exigeait de fréquents déplacements à bicyclette ou en train. De plus, la liaison avec les camarades qui nous aidaient, n 'en était pas facilitée.

L'Equipe de L'Ecole Emancipée. G. et L. Bouët n'auraient jamais pu entreprendre la . gestion d'une revue comme L'E.E. s'ils n'avaient pas eu la certitude d'être secondés par l'ensemble des camara- des de la Fédération, et, en particulier par ceux du Maine-et-Loire qui ont fourni un très gros effort pour alimenter les diverses rubriques : partie générale et par- tie scolaire. Au siège même, d'abord rue Fardeau puis rue du Temple, c'est un gros travail qui est accompli. Ces journées si bien remplies, Léontine Bertrand en a gardé un souvenir très vivant :

« Chaque mercredi soir nous réunissait rue du Temple à Saumur, pour la préparation d'un numéro de L'Ecole Emancipée. « Gabrielle et Louis Bouët venaient de Méron, petit pays à 16 km, où ils étaient instituteurs dans une école à deux clas- ses. Le plus souvent, ils faisaient le trajet à bicy- clette, avec Camille, leur plus jeune fille, encore enfant à cette époque et qui trouvait, parfois, le chemin bien long. Elle aurait aimé rester à la maison et jouir de ses parents, toujours préoccupés par une tâche écrasante. « J'arrivais, moi aussi, par la route, d'un joli pays des coteaux de Loire où j'étais chargée d'une école mixte à tous les cours. « Il était tard quand nous nous retrouvions. Nous dînions à la hâte pour être au travail le lendemain de bonne heure. La maison, inhabitée toute la se- maine, était triste et froide, mais la chaleur de notre amitié remplaçait le soleil absent. « Le jeudi matin, c'était Louis qui allumait le poêle dans la salle du premier étage où nous devions travailler. « Edmond Bazot arrivait d'Angers par un train du matin, et la journée d'intimité commençait ! « C'était d'abord le dépouillement du courrier. Des divers coins de France et des colonies loin- taines, les camarades envoyaient des nouvelles et, ainsi, nous les évoquions, les uns après les autres, pour les avoir vus, connus, dans les Congrès. « Un mot à l'emporte-pièce, une intervention véhémente, incisive, c'était Maurice Dommanget , une belle voix prenante, aux inflexions nuancées, c'était Rollo ; une ardeur, une fougue qui l'em- portait jusqu'à l'épuisement, c'était Gilbert Ser- ret ; une ironie, fine, savoureuse, qui faisait de ses interventions un véritable régal, c'était François Bernard. « Et encore : Josette Cornec, vibrante à la tri- bune, en sa défense de Sacco et Vanzetti ; Hen- riette Alquier, poursuivie en justice pour son action féministe, et qu'il fallait défendre, Marie Guillot, révoquée pour son action syndicale. Tous nous réapparaissaient dans ces lectures, vivants, en pleine action, luttant de toute leur énergie pour la justice et pour la paix. « Ils venaient se confier à leurs amis, Gabrielle et Louis Bouët, les assurer qu'ils faisaient partie de la grande famille, demander un conseil, cher- cher un appui près de celui qui savait si bien (avec tant de bonté et de compréhension), les éclai- rer de sa clairvoyance et de sa rigoureuse logique. « Mais il fallait revenir. à la partie pratique : corriger les épreuves, les porter chez Féron (L'Im- primerie du Progrès), enregistrer les abonne- ments, lire les articles à faire paraître, vérifier les textes pour la partie scolaire, besognes multiples qui se faisaient dans l'entrain d'une activité joyeuse. , « Les jours étaient beaux, même s'ils étaient gris, et passaient bien vite, à notre gré. Le jeudi soir, quand nous nous séparions pour rejoindre nos postes respectifs, un léger regret accompagnait notre dernière poignée de mains, mais une pléni- tude nous assurait que nous emportions pour la semaine une provision de courage et de joie. Léontine. »

L'Imprimerie du Progrès. Lorsqu'au congrès de Paris (1920), les camarades confièrent à Louis et Gabrielle Bouët la gestion de L'E.E., ils acceptèrent, en principe, sous condition de trouver un imprimeur qui consentirait à se charger du travail. Il y avait bien, à Saumur une coopérative ouvrière où s'imprimait déjà L'Emancipation (groupement de bulletins syndicaux mensuels de Maine-et-Loire et des départements limitrophes, avec une partie commune encartée). A1cide Féron, le Maître-imprimeur, était un ouvrier qualifié, le travail qui sortait des presses de la rue Dacier donnait toute satisfaction. Mais, faute de ressources financières suffisantes, le matériel était un peu ancien. Une revue importante, hebdomadaire, nécessiterait plus de main-d'œuvre, des clichages, un outillage plus moderne. Il fallait étudier le problème, prendre avis des intéressés. Après mûres réflexions, des hésitations, Féron et sa femme tentèrent l'expérience. Hortense Féron, ordonnée, discrète, fut l'élément déterminant : avec une équipe de jeunes filles, elle assurait le pliage, les encartages, la mise sous bande. Quelle émotion, à la parution du premier numéro de la revue (lIer octobre 1921 !). Il dépassait en tenue ce qu'il était permis d'espérer. Et, quinze années durant, jusqu'à la fusion, le travail fut accompli avec une méthode et une régularité exemplaires. Peu à peu, aussi, l'imprimerie améliorait son maté- riel. il fallait voir l'émulation qui régnait chez les typos, comme ils étaient contents et fiers de l'E.E., mais peut-être encore plus des Editions de la jeunesse, et ensuite des Lectures de la jeunesse, revue men- suelle, dont ils emportaient des exemplaires à la mai- son pour la femme, les enfants... Aussi est-il juste de leur rendre l'hommage qu'ils méritent et de leur exprimer notre fraternelle recon- naissance ! La fusion. En 1935, la Fédération unitaire de l'enseignement devait disparaître (congrès d'Angers). Louis Bouët, à l'occasion de cette fusion syndicale, eut le mot de la fin : « Eh bien ! dit-il à Marcel Vallière, le dernier secrétaire fédéral, cette Fédération, nous en écrirons l'histoire... » Les camarades des Bouches-du-Rhône acceptèrent de prendre la relève pour L'Ecole Emancipée, G. et L. Bouët étant dans l'inquiétude au sujet de la santé de leur fils Lucien. En collaboration avec François Bernard, Maurice Dommanget, Gilbert Serret, Louis Bouët devait contri- buer à la rédaction de cette Histoire de la Fédération unitaire de l'enseignement. Dans la partie qui lui est confiée (pendant la première guerre mondiale et ses lendemains, tome II) il donnera, là encore, le meil- leur de lui-même, comme dans le présent ouvrage et dans les brochures suivantes qui sont épuisées (la question de leur réédition a été posée). a) Les pionniers du syndicalisme universitaire. Extrait de la préface : « Nous avons, occasionnellement rappelé dans L'Ecole Emancipée, quelques faits saillants du syndicalisme chez les instituteurs. Cela a donné l'idée à plusieurs jeunes camarades de nous deman- der une relation plus systématique des principaux événements. Nous pensons leur donner satisfac- tions en retraçant la vie des militants qui se sont nisation.montrés particulièrement actifs à la tète de l'orga- « Il était très difficile de faire un choix. L'ex- Fédération Unitaire de l'enseignement et sa devan- cière la Fédération des syndicats d'instituteurs étaient des pépinières de militants. Nous nous bor- nerons à présenter les secrétaires généraux de la période héroïque et quelques secrétaires adjoints : LE CAMP DU SABLOU Marius Nègre, A. Ripert, Maurice Dubois, Louis Léger, André Chalopin, Marcel Cottet, Hélène Brion, , Audoye, Marie Guillot, François Bernard. b) Les militants du syndicalisme universitaire. Extrait de la préface : « Pour répondre au désir exprimé par divers camarades, nous donnons une nouvelle série de biographies, celles des militants qui ont été pla- cés successivement à la tête de l'ex-Fédération uni- taire de l'enseignement, de 1924 à 1935 : Joseph Rollo, Maurice Dommanget, Jean Aulas, Gilbert Serret. Nous y ajoutons deux camarades (aujour- d'hui disparus) qui furent adjoints au Bureau fédéral et restèrent fidèlement attachés à L'E.E., au syndicalisme révolutionnaire : Elise Avenas, Edmond Bazot. « Ainsi, nous avons de nouveau l'occasion de passer brièvement en revue les faits essentiels se rapportant à l'histoire du syndicalisme dans l'en- seignement. L. B. » Les Camps de concentration. L'âge aidant, des deuils cruels, grandement déçu par la politique de l'Est depuis la mort de Lénine, Louis Bouët se tenait plutôt en dehors, se réservant sur- tout pour travailler à la cause de la paix, sérieuse- ment menacée à nouveau. Et c'est 1939-1940, l'exodé de milliers et de mil- liers de pauvres gens sur les routes, fuyant devant l'a- vance allemande, les longues théories de prisonniers faits sur le front... Mais il y avait aussi les autres. Les précautions étaient prises : «En vertu du décret du 11 novembre 1939, les individus dangereux pour la défense nationale ou la sûreté publique (cas prévu par la loi du 11 juillet 1938) peuvent, sur décision du préfet, être, en cas de nécessité, astreints à résider dans un centre désigné par décision du ministre de la défense nationale et de la guerre et du ministre de l'intérieur. ». Une dernière faveur administrative était réservée à Louis Bouët, dangereux pour la sûreté de l'Etat. A soixante ans passés, le 13 juin 1940, alors qu'il cultivait surtout l'art d'être grand-père, les gendar- mes vinrent le cueillir à son domicile, 3, avenue Victor-Hugo, pour le conduire au Château du Sablou, camp français, en zone non-occupée, dans la commune de Fanlac, en Dordogne. En novembre 1940, Gabrielle Bouët réussit à lui rendre visite. Elle renseigne famille et amis dans une lettre, heureusement parvenue, qui donne un aperçu ile la situation au camp. Montignac, le 15 novembre 1940. Chère Elsie, chère Eugénie, chers tous, « Voici déjà une semaine que je suis montée pour la première fois au Sablou. J'y trouvai des visages consternés : mon arrivée coïncidait avec celle de quarante gardes mobiles et gendarmes... et le départ du capitaine Daguet qui avait inauguré un régime libéral ! Les bruits les plus alarmants circulaient (c'est d'ailleurs la règle chez les pri- sonniers : les nouvelles, bonnes ou mauvaises, s'exagèrent vite). Néanmoins, le camp était remis à l'autorité civile : le commissaire chargé désor- mais de la surveillance avec le lieutenant de gen- darmerie était décidé à revenir au régime sévère du capitaine Saule dont nous avions eu quelques pénibles échos. Je tombais bien, en effet ! Mais, pendant plusieurs jours, la garde restait assurée par les soldats qui m'ont laissé passer... Depuis, je bénéficie de l'interrègne : les gardes mobiles font comme les soldats. Il faut dire que je suis bien dÏs- crète. « J'arrive vers 10 h 30. J'apporte quelques pro- visions pour déjeuner dans la chambrée. Comme Louis a été désigné chef de groupe, il est exempt de corvée et cela nous permet de rester ensemble : causer, lire, écrire un peu. Quand nous pouvons nous échapper, nous allons faire un petit tour. C'est ici que nous est arrivé le journal nous appre- nant la mort de François Bernard. Nous en avons été très malheureux. Heureusement, j'étais là, car cette nouvelle aurait encore davantage affecté Louis. Francois était un des derniers survivants de ce que l'on appelait la période héroïque. « Le Sablou est à 6 km environ de Monti- gnac. On y accède par une route qui monte, sur près de 3 km. Ensuite, les creux et les bosses sont moins sensibles. Enfin ! Une place où l'on patauge, la guérite du planton, une palissade avec des bar- belés. Au-delà, les bâtiments : la chapelle, le ma- noir, les granges et les caves. « C'est dans la cour, en entrant, que se trouve la chambre de papa : des murs délabrés, sales, un plafond qui laisse passer les malpropretés de ceux qui habitent au-dessus. Un soir, un ivrogne s'étant oublié, les habitants de la grange furent arrosés. Depuis, ils ont tendu de gros papiers au plafond. Ils ont eu beaucoup à souffrir, cet été, des mou- ches, des puces et des poux : une véritable inva- sion ! Ce sont les puces qui leur laissent le plus mauvais souvenir : il y en a encore ! Des souris aussi gesticulent au plafond, se laissent tomber jusque dans les plats ! 'courent sur les lits, les musettes ! Elles ont détérioré une manche du ves- ton de Louis et une du pardessus de Charles Klein. « Les gardes- mobiles sont logés dans les caves et ne semblent pas goûter ces pièces humides, pri- vées de lumière. Leur métier a des inconvénients ! « Ce qui est notoirement insuffisant au Sablou, c'est la nourriture des internés. Très souvent, re- viennent les carottes, rutabaga, sans viande. Et il y a là 300 hommes de 18 à 70 ans. Au temps du régime libéral, ils pouvaient compléter l'ordinaire en s'approvisionnant à Montignac. Mais, le camp fermé, c'est impossible. Les caractères s'aigrissent, la promiscuité devient pénible. Père dit qu'il a eu du mal à faire régner l'harmonie, surtout au début. Ils étaient entassés, les paillasses à même la terre, et se touchant. Maintenant, ils ne sont plus que six. Ils ont obtenu des cadres de bois pour mettre la literie. Diverses revendications formulées par écrit avaient reçu en partie satisfaction avec M. Daguet et ils ont fabriqué, à la manière de Robin- son une table et des sièges. Il y a aussi un poèle qu'ils alimentent avec du bois qu'ils ramassent... et qui permettait de faire cuire des chàtaignes du sous-bois. « Les gens sont hospitaliers et, en général, à Montignac, favorables au Sablou. Si je fais des commissions pour les surveillés.. on donne les mar- chandises sans tickets, et on fait bonne mesure. Un cordonnier à qui j'ai porté des chaussures pour quelques réparations urgentes m'a dit, comme je lui demandais le prix : — C'est pour eux ? — Oui ! — Alors, ce n'est rien. « La Vallée de la Vézère est assez pittoresque, mais comme toutes ces collines sont pauvres et désolées ! C'est bien le pays des pierres. Des arbres rabougris, çà et là, des masures en partie démolies qui rappellent la tuilière abandonnée où Jacquou et sa pauvre maman s'étaient réfugiés... Pas de fleurs et pas d'oiseaux. Je suis allée à Fanlac, à Auberoche, j'essaierai d'aller à Bars, le pays de la petite Lina, la fiancée de Jacquou, à Hautefort, lieu de naissance d'Eugène Le Roy. Il y avait long- LE CAMP DU SABLOU

Lucien HAUSSARD

Charles KLEIN

LE SALUT AU DRAPEAU temps que nous rêvions de faire ce voyage au pays d'un auteur que nous aimions, mais je ne pensais pas que ce pourrait être dans de telles conditions ! « La santé de Louis s'améliore. Je compte rester encore un peu avec lui, voir si l'on fera des libé- rations. Le capitaine Daguet en demandait 80. « De toute façon, je ne pourrais prolonger mon séjour au-delà d'un mois, si on me tolère. G. B. »

Il était impossible de dire dans la lettre ci-dessus — expédiée par des voies particulières — que notre principal souci fut de chercher les moyens de faire appliquer l'armistice, voté depuis sept mois ! Nous avons dressé une liste approximative des camps de concentration français : Chibron (Var) Gurs (Basses-Pyrénées) L'Ile d'Yeu (Vendée) Le Vernet (Ariège) Fontevrault (Maine-et-Loire) Fort-Barreaut (Isère) Le Sablou (Dordogne) Guzet-sur-Baïze (Lot-et-Garonne) Riom-ès-Montagne (Cantal) Saint-Paul-d'Eygeaux (Hte-Vienne). Il fut entendu que Gabrielle Bouët irait à Paris dès son retour pour rencontrer les personnes susceptibles de nous aider et leur soumettre les éléments d'un pro- jet de campagne de presse ou des tracts comportant entre autres, les documents suivants : 1°) sept mois après l'armistice, dans les camps de concentration en zone non-occupée, 2°) Les victimes de Daladier, de Reynaud, de Mandel, 3°) Les victimes des dénonciations calomnieuses, 4°) La circulaire Huntziger (non appliquée) du 25 septembre 1940, AU JARDIN DES CHAPPES-NOIRES

20 juillet 1946 1941 avec Mme MARTINET (et une de ses petites-filles)

1941

avec Louis BOUDAULT 5°) La France au travail, 6°) Qu'on les juge ou qu'on les libère. Après son retour, Gabrielle Bouët prit en effet con- tact avec Daniel Martinet, Georges Pioch, Marcel Déat de L'Œuvre, Galtier-Boissière du Crapouillot... Rendez-vous aussi avec la bonne camarade Marie Lecoin, très inquiète sur le sort de son mari. Louis Lecoin était au camp de Gurs, tristement célèbre. Marie nous communiquait des lettres impressionnantes. Voici un extrait :

« J'assiste à des scènes terribles, horrifiantes, qui me font honte d'être homme. Des épidémies déciment le camp. J'ai entendu un major déclarer qu'il ne buvait que du vin, depuis qu'il connais- sait le résultat de l'analyse de l'eau. Plus de six cents internés sont morts en quarante jours. « La population de cet affreux camp est d'en- viron dix mille, composée surtout de juifs alle- mands. « Quiconque frémirait de douleur et d'indigna- tion s'il savait ce que je sais, s'il voyait ce que je vois, s'il entendait ce que j'entends. « Oh, oui ! je serai heureux de sortir de là ! Je souffre trop, non de ce que je subis moi-même, mais de ce que d'autres endurent. Gurs, 5 décembre 1940 ». Le retour à la terre. Louis Bouët avait toujours pris soin des jardins des écoles, ce qui lui valut la sympathie des paysans du cru. Au retour du Sablou, d'une maigreur effrayante (il . venait de faire une grave hémoptysie qui aurait dû l'emporter), il eut le courage d'entreprendre le défri- chement d'un terrain de vingt-deux ares, au lieu dit Les Chappes Noires, proche de la maison familiale. Les troupes allemandes occupaient la ville, c'était une période d'intenses restrictions. Louis Bouët se bat- tit avec les ronces et les pierres pendant trois ans, se- mant, plantant de nombreux arbres fruitiers. Petit à petit, la jachère s'est transformée en un beau verger, avec un peu de vigne. Le retour à la terre, dans la libre Nature, l'avait sauvé. — G. B. — TE.IIOIGNA GES. Pour clore cette biographie, nécessairement un peu succincte, voici quelques-uns des très nombreux témoi- gnages si émouvants que nous avons reçus. Charles Fabre (un vétéran de la Fédération : il est de 1880, lui aussi) : 12 juillet 1969. Chère et malheureuse amie, Soyez courageuse et forte. Vivez avec le souvenir de Louis Bouët qui fut pour vous un bon et fidèle compagnon, pour ses enfants un père modèle et pour les syndicalistes de l'époque héroïque un militant sans peur et sans reproche. Il a honoré les siens et sa profession ; vous pouvez en être fiers.

Maurice Poperen (Dans La Raison, août septembre 1969) : Louis Bouët n'est plus ! C'est un militant exem- plaire, de grande classe, qui disparait. Peut-ètre son nom ne dira-t-il que peu de choses aux hommes de la présente génération ? Pour nous, qui devons beaucoup à son enseigne- ment, qui fûmes à ses côtés, dans quelques-uns de ses combats, le souvenir de ce lutteur d'une exceptionnelle énergie et d'une rare élévation de pensée, ne saurait s'effacer de notre mémoire. Son nom reste intimement lié aux premières décennies de ce siècle. Avec lui disparaît l'un des derniers militants de ces temps révolus, l'un des pionniers du syndicalisme universitaire. J'espère pouvoir dire, quelque jour, de façon plus détaillée, ce que fut ce combat. Aujourd'hui, pressé par la mise en page de ce journal, je me bornerai à l'essentiel, essayant de dégager les traits de cette forte personnalité que fut le camarade Bouët. Celle-ci, d'ailleurs, s'affirme au travers de quelques mots : fidélité, fermeté, abnégation, rectitude de vie. Né en 1880, parmi ces pauvres tisserands à la cave du pays des Mauges et dont l'extrême dénue- ment n'avait d'égal que la stupéfiante résignation, Bouët découvrit très tôt les données du problème social : servitude du salariat, réalité des opposi- tions de classes et — bien naturellement — par voie de conséquence, pour tendre vers un monde meilleur, plus humain, l'urgente et impérieuse nécessité d'une lutte cohérente, sans merci. Devenu instituteur public, dès ses premières années d'enseignement, il s'emploie à convaincre ses jeunes collègues (alors véritables prolétaires en faux-cols) de la nécessité de mettre sur pied un groupement combatif et résolu. C'est ainsi que nait, en 1904-1905, le Syndicat des instituteurs du Maine-et-Loire, l'un des pre- miers de France qui, tout de suite, donne son adhésion à la jeune Fédération des syndicats d'ins- tituteurs de France. Puis, pour donner tout son sens aux luttes qui vont suivre, Bouët est de ceux qui préconisent l'adhésion du syndicat à la Bourse du travail d'Angers. Ce fut, à l'époque, le grand scandale ! Les bourgeoisies de gauche aussi bien que de droite s'élèvent (avec quelle violence !) contre une pareille prétention. Menaces et sanctions de l'ad- ministration suivent bientôt. Bouët et ses amis n'en ont cure ! Fermes dans leurs convictions, forts de leur bon droit, ils font front, sans défaillance ni concession. Et le syndicat, malgré clameurs et injures, se maintient, se renforce. Il est solidement implanté lorsque éclate le premier conflt mondial. C'est alors que Bouët donna toute la mesure de son courage, de sa fidélité à l'idéal, mais aussi de sa clairvoyance quant aux intérêts véritables du peuple. Il fut alors (et incontestablement) un moment de la conscience ouvrière, et l'on peut affirmer que son attitude et celle de quelques autres mili- tants de sa trempe, sauvèrent l'honneur du syndicalisme français, tant universitaire qu'ouvrier. Alors que tant de militants de haut rang (hier, antimilitaristes déclarés) sombraient dans l'Union sacrée, Bouët et ses amis, rassemblés autour de L'Ecole Emancipée, disaient un Non catégorique et sans appel à la duperie guerrière, fidèles en cela à l'internationalisme prolétarien qu'ils avaient salué en leur congrès de Chambéry (1912). Des sanctions administratives et policières devaient inévitablement frapper pareille audace, en un moment où tant de gens sacrifiaient au Moloch guerrier. Mais, une fois de plus, rien ne put entamer les prises de position de Bouët et de ses amis qui, jusqu'au bout, s'affirmèrent fidèles à leur idéal de paix et de fraternité : humaine. La guerre terminée, le combat syndical reprend aussitôt. Bouët et le Syndicat de Maine-et-Loire assument la charge de la Fédération de l'enseigne- ment. A ce titre, tous les responsables du Bureau fédéral sont trainés devant les tribunaux et, bientôt, Bouët et sa femme sont révoqués. Leur réintégration n'aura lieu que quelques années plus tard. Entre temps, l'un et l'autre participent active- ment à toutes les luttes ouvrières qui marquent la période agitée de l'entre-deux-guerres, ainsi qu'aux luttes antifascistes des années 1934-1936. Dans le même temps, ils assument la gestion de L'Ecole Emancipée, l'organe pédagogique de la Fédération, et cela jusqu'en 1939. C'est alors que Bouët connaît une nouvelle épreuve ! La bourgeoisie, dont la haine est tenace et qui (rendons-lui cette justice !) sait déceler ses ennemis irréductibles, fait arrêter Bouët et l'envoie dans un camp de concentration où (en dépit de son âge et d'un état de santé déficient) il restera incarcéré plusieurs mois. De retour au logis, il consacrera ses années de vieillesse à rédiger l' Histoire de la Fédération, où s'inscrit le meilleur de son combat. Ainsi, de l'enfance à l'heure de la retraite, toute la vie de Bouët fut une longue lutte, menée sans faille et sans répit, au service d'un idéal de jus- tice sociale et de fraternelle solidarité. Un tel exemple de rectitude de vie, de fidélité dans l'engagement, méritait un rappel. C'est chose faite. Affirmons, en terminant, que Bouët a droit à la reconnaissance des enseignants, mais aussi des travailleurs de toute condition, auxquels il a donné le meilleur de lui-même, cela sans défail- lance, en dépit des peines intimes qui vinrent, à différentes reprises, marquer douloureusement sa vie. C'est pourquoi, au nom de ses amis angevins de L'Ecole Emancipée, ainsi que de la section sau- muroise de la Libre pensée dont il était membre, j'ai cru devoir adresser cet ultime hommage au militant exemplaire que fut Louis Bouët. Nos pensées attristées se portent également vers sa compagne, Gabrielle Bouët-Dechezelles qui fut toujours présente à ses côtés, partageant, avec le même courage tranquille, les multiples épreuves qui jalonnèrent leur vie militante... Maurice Dommanget (article dans L'Ecole Emancipée). C'est une bien pénible tâche qui m'échoit, d'adresser un ultime salut à l'ami et compagnon de lutte Louis Bouët. ...Je ne peux me faire au grand vide creusé par l'inexorable et séparant pour toujours deux combattants de la plus juste des causes. Encore convient-il de souligner que, malgré tant de luttes et conflits sévères qui marquèrent le syndicalisme révolutionnaire dans l'enseignement, jamais, entre nous, ne se fit jour la moindre divergence. Louis a d'ailleurs tenu à marquer fortement le parfait accord qui n'a cessé de régner entre nous. ...Tout enfant, il est frappé du double sceau du lieu et du temps. Il naît à vingt kilomètres de Cholet, en pleine chouannerie, dans ce Maine- et-Loire qu'il devait défricher. A l'Ecole Normale d'Angers, en pleine affaire Dreyfus, il devient socialiste et, à sa sortie, devenu instituteur adjoint à Saumur, il subit l'influence d'Emile Masson (Brenn) et s'oriente vers les idées libertaires qui gagnaient tant de jeunes de sa génération. C'est là qu'il connaît Gabrielle, se préparant à la carrière enseignante dans un esprit laïque. Deux âmes si fières, deux cœurs si chauds, ne pouvaient que se comprendre, s'aimer, s'épauler, se dévouer sur le triple plan intime, corporatif et social. On n'insistera jamais assez dans la glorieuse histoire de notre glorieux mouvement, sur l'action bénéfique de ces ménages-enseignants. Ils en constituèrent l'armature solide, ils jouèrent le rôle de ciment que l'administration omnipotente, arbitraire et persécutrice, ne put jamais entamer. Et comme ces ménages militants prenaient à cœur de pratiquer par surcroît le refus de parvenir, même dans la classe ouvrière, étant donné leur méfiance des appareils et des permanents (qui ravalent le syndicalisme au rang d'un métier) on ne peut s'étonner que la Fédération se soit distinguée entre toutes les organisations syndi- cales de fonctionnaires par son franc-parler, sa pureté, sa volonté irréductible. Passé à Angers par voie de mutation, Louis, en réaction contre les Amicales, fonde l'Emancipation, avec Sausseau et Bordier. C'est la luttre contre les directeurs qui épiaient, mouchardaient et tyrannisaient leurs adjoints. L'idée (et le fait) de grève chez les instituteurs date d'alors. Louis faisant flèche de tout bois malgré sa haine de la justice bourgeoise, poursuit son directeur au tribunal de paix. C'est une forme inattendue d'action directe. Puis, c'est la constitution du syndicat et toutes les affaires retentissantes qui placent le syndicat du Maine-et-Loire (le syndicat des Bouët, comme on dira) en tête du mouvement corporatif des ins- tituteurs. Naturellement, ces luttes épiques sont illustrées, pour Louis, par des peines disciplinaires et la révocation. D'évidence, il est tout désigné pour sortir du plan local et jouer un rôle national. Il est à cette charnière qu'on retrouve chez tous les lut- teurs parvenus à la maturité et que le grand Babeuf a avoué ingénument. Il se dresse contre les arrivistes et les arrivés, il empêche les déviations et, aux périodes de reculade et de palinodies, il reste ferme sur son pilier d'airain. On l 'a surtout vu au cours de la tuerie de 1914-1918, ce grand crible ouvert par les circonstances tragiques entre les internationalistes véritables, les citoyens du globe et ceux qui sacrifièrent à la défense dite nationale en régime capitaliste. Dès le début du carnage, Louis Bouët pro lesta contre l'enlisement dans le bourbier de l'Union sacrée au nom de « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Il fut zimmerwaldien et kienthalien : c'est tout dire. Et les jqunes, plus ou moins atteints par la déchéance du syndicalisme, du socialisme et de tous les ismes de la classe ouvrière ne peuvent soupçonner la portée incalculable de ces deux mots explosifs, symboles de l'antipatriotisme orgueilleux, quand le patriotisme des marchands de phrases et des marchands de canons faisait rage. Aussi, à la sortie de la dure épreuve, c'est vers Louis et Gabrielle Bouët que les militants d'avant- garde de l'enseignement qui veulent se regrouper face aux capitalistes triomphants et aux banque- routiers de la Sociale se tournent, pleins d'ardeur et de confiance. Louis devient secrétaire fédéral. La Fédération monte irrésistiblement. Elle résiste aux poursuites judiciaires et aux révocations du Bloc national. Elle participe à la fondation de l'Internationale de l'enseignement, rêvée par Anatole France. Elle lutte sans merci pour la défense de la Laïcité. Et, quand expirent ses deux années de gestion, Louis Bouët se consacre à L'Ecole Emancipée qui avait repris vaillament un titre que les gouver- nants, pour la punir de son attitude courageuse avaient ignominieusement oblitéré. Il administre la revue avec méthode et dévoue- mnel, toujours épaulé par la si ferme et pour- tant si douce Gabrielle, sans oublier le brave et modeste Tonton Bazot. Quinze ans durant, comme je l'écrivais naguère, il assuma cette tâche écra- sante, avec une constance admirable, tout en fai- sant son travail professionnel (quand il n'était point suspendu) tout en ripostant aux chouans locaux et aux chouans du Palais-« Bourbeux ». Naturellement, comme il était de règle dans la Fédération, sans souiller sa gestion par un gain ou un émolumennt quelconque. Les jeunes qui, absorbés par les tâches de l'heure, font actuellement la chaîne avec les vieilles générations, ceux des pionniers du syndicalisme universitaire comme ceux de la relève doivent puiser dans la vie magnifique, dans l'apostolat de Louis Bouët des leçons de militantisme indéfec- tible. C'est le vœu ardent de tous ceux qui ont combattu avec celui qui disparaît. J'en appelle à leur souvenir ému. Il faut que le double sentiment d'admiration et de reconnaissance envers Louis Bouët manifesté par les vétérans, (auxquels les jeunes se joignent) accroisse le potentiel révolutionnaire, la force d'organisation et de dévouement quotidien des amis de L'Ecole Emancipée. Lettre des Amis de l'Ecole Emancipée (présents au séminaire d'été 1969, à Briare-Loiret) : à G.-B. : Nous apprenons le décès du vieux militant Louis Bouët, le compagnon de ta vie, et le défenseur infatigable du syndicalisme lutte de classe. Plusieurs générations de militants Ecole Eman- cipée sont représentés ici. Certains de ces cama- rades ont connu personnellement Louis Bouët et lui doivent beaucoup. Mais la plupart ne le connais- sent que par l'Histoire de la Fédération unitaire de l'enseignement, enfin éditée. Tous expriment fraternellement la peine qui est la leur et chacun d'entre nous s'efforcera dans son activité syndicale de s'inspirer du grand lutteur arrivé au terme de sa course, (suivent soixante signatures). Guilloré (dans la Révolution Prolétarienne) Louis Bouët est mort le 9 juillet 1969. Tout un pan de souvenirs de batailles syndicales, de directives doctrinales, d'intégrité et d'exemples à suivre, s'écroule avec lui. Cela est vrai au moins pour deux générations d'instituteurs syndicalistes. Mais qui était Bouët ? Que la question puisse être posée cela ne nous étonne ni ne nous indigne. C'est le destin des militants de cette qualité que leur nom passe alors que le sillon qu'ils ont tracé reste toujours visible pour ceux qui les ont connus à l'œuvre. Dès la première guerre mondiale, la silhouette de Louis Bouët avait dépassé les têtes dans ces premiers congrès d'instituteurs liés au mouvement syndical ouvrier et en butte, par là-même, à la répression du pouvoir bourgeois. Avec la Fédé- ration des syndicats de l'enseignement, avec L'Ecole Emancipée, son organe, Louis Bouët s'opposa à la guerre impérialiste et à la politique d'Union sacrée où se perdirent plusieurs leaders syndicalistes. Il n'est pas étonnant qu'on le retrouve en 1919 dans la minorité révolutionnaire qui demanda des comptes à ceux qui avaient agi, pendant les quatre années, à l'encontre de ce qu'ils avaient dit et proclamé à la veille de cette guerre. Dans le numéro spécial que La Révolution Prolé- tarienne consacra au soixante-dixième anniversaire de son fondateur, le camarade , nous retrouvons la photographie d'un groupe de mili- [ants au congrès de la C.G.T., à , en 1919. Nous y voyons Louis Bouët tel qu'il était physi- quement : une haute taille, maigre et droite. Cette rectitude n'était pas seulement dans l'allure et le port, elle était dans la pensée et dans l'action. Elle a même pu paraître à certains sèche comme un couperet. Des militants, intègres comme lui, mais ne partageant pas toutes ses vues, notamment parmi ceux qui accompagnèrent plus longtemps Pierre Monatte, ont pu, parfois, en être blessés. C'est la loi de la lutte sociale et de ces rencontres difficiles de personnalités exceptionnelles. Elles sont souvent solidaires dans l'hommage qui leur est dû. GROUPES FAMILIAUX

1947

Une des petites-filles : LINE et l'arrière-petit-fils : ERIC En tout cas, ceux qui ont connu dans sa vie personnelle, dans son entourage familier, ce sec- taire, ce janséniste, s'accordent sur sa bonté, sur les rapports cordiaux qu'il entretenait avec tous, sur la sérénité de ses dernières années. Après la première guerre mondiale et la scission syndicale qu'elle engendra, Louis Bouët devint un des principaux militants de La Fédération unitaire de l'enseignement, un parmi d'autres, dont beau- coup ne vivent plus que par le souvenir, mais un souvenir impérissable. L'histoire de cette Fédéra- tion a été écrite par Louis Bouët, pour une grande part. Elle restera, pour l'édification des jeunes et pour tous ceux qui voudront connaître et compren- dre le mouvement ouvrier révolutionnaire de l'entre-deux-guerres. Les luttes que mena Louis Bouët y furent constamment associées. Nous reparlerons de Louis Bouët. Mais comrnent le laisser aujourd'hui, sans dire un mot de sa compagne, Gabrielle Bouët, qui lui survit. Il y a, comme cela, dans l'enseignement syndicaliste, des couples inséparables. On ne disait pas Bouët, mais les Bouët. L'Ecole Emancipée fut longtemps leur œuvre et dans sa plus belle période. Grâce à eux, le Maine-et-Loire, où ils exercaient, devint un des foyers de l'enseignement syndicaliste. Nous saluons ici Gabrielle Bouët avec fraternité et solidarité dans la peine. La courte biographie que nous venons de tracer fera dire aux jeunes : « cet homme devait être bien vieux ». Oui, il était vieux. Pourtant, sa santé avait toujours paru fragile et les malheurs ne l'avaient pas épargné. Mais les militants de l'action ouvrière-vivent longtemps. Depuis vingt ans, Louis Bouët était devenu un sage et il cultivait son jar- din. Ce qu'il a semé dans le jardin commun des syndicalistes révolutionnaires poussera après lui et fer-ib- preuve.

TRENTE ANS DE COMBAT AVANT-PROPOS

Le syndicat de l'Enseignement de Maine-et-Loire a joué un rôle assez important dans le mouvement syndica- liste des trente dernières années pour que son histoire intéresse de nombreux camarades. Le moment est venu de l'écrire puisque le groupement a cessé d'exister par suite de la réunification des forces syndicales. Bien qu'ayant été constamment, depuis les origines jusqu'aux derniers jours, un des éléments les plus actifs du syndicat, nous nous efforcerons de donner à cette monographie un caractère objectif. Etre vrai, tel doit être et tel est, précisément, notre principal souci au moment où nous entreprenons l'étude de cette parcelle d'histoire ; et nous pensons servir encore ainsi la cause à laquelle nous avons consacré la plus grande partie de notre temps. L.B. PREMIÈRE PARTIE

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DE L'AMICALE A L'EMANCIPATION

Le groupement dont nous voulons raconter la vie est né à Angers, le 17 novembre 1904. Il était en gestation depuis un an environ quand se tint la réunion consti- tutive. C'est, en effet, le 12 novembre de l'année précédente, à l'occasion de l'Assemblée générale de l'Amicale que fut lancée l'idée d'un groupement spécial d'instituteurs adjoints ou sans adjoint. Pendant que les aînés banquetaient sous la présidence du député radical Bichon, du délégué de la préfecture et des Inspecteurs primaires, les jeunes déjeunaient, selon la tradition, dans une gargote de la rue Toussaint (restaurant Chouleur) et c'est à l'issue de ce modeste repas que Paul Sausseau, d'accord avec Louis Bouët et Marcel Bordier, prit la parole pour faire quelques réserves sur l'action trop timide des amicales d'instituteurs et dire la nécessité d'une liaison plus étroite, plus suivie, entre les débutants, les plus déshérités de la corporation. L'idée parut bien accueillie, mais on ne la mit pas à exécution le jour même. Les chanteurs tinrent ensuite la rampe et il ne restait bientôt plus, avant le départ des trains, que le temps de visiter la foire de la Saint-Martin avec laquelle on faisait coïncider l'unique assemblée de l'Amicale. Sausseau était d'ailleurs intervenu le matin même, à l'Assemblée générale, et avait fait adopter à l'unanimité une motion qu'il n'est pas inutile de citer :

« Les Institutrices et Instituteurs de Maine-et-Loire, membres de l'Amicale, réunis au nombre de cinq cents en Assemblée générale, réprouvent énergiquement les paro- les par lesquelles M. le Député de Saumur affirme que seule la lie du corps enseignant primaire assistait au Congrès de Marseille et rejettent les félicitations que leur adresse ce même Député, tous se faisant solidaires des camarades qu'ils ont régulièrement délégués comme leurs mandataires au Congrès de Marseille. »

Le député de Saumur, le réactionnaire de Grandmaison, maire de Montreuil-Bellay où exerçaient Sausseau et Bouët, s'était fait, en la circonstance, l'écho de la presse nationaliste et cléricale qui menait grand tapage autour du troisième Congrès des Amicales tenu à Marseille au mois d'août précédent. Le chef du gouvernement, le père Combes, alors tout entier à sa lutte contre les congrégations dont il faisait fermer les écoles, avait présidé la dernière séance de ce congrès ; et dans les manifestations qui suivirent, à Marseille et à Toulon, les congressistes avaient chanté l'Internationale ! Ces incidents pourraient faire illusion sur l'état d'esprit des instituteurs de l'époque et sur le caractère des Ami- cales. Il importe donc de mettre les choses au point en un rapide coup d'oeil sur les faits corporatifs des années précédentes.

Les Amicales, qui n'étaient à l'origine que des associa- tions d'anciens élèves de l'Ecole Normale d'Instituteurs, s'étaient transformées peu à peu en Amicales d'anciens élèves des deux Ecoles Normales d'instituteurs et d'insti- L'amitié par le livre 50910 BLAINVILLE s-mer Louis BOUET : TRENTE ANS DE COMBAT syndicaliste et pacifiste 502 pages 14 x 22 avec nombreuses photos Le premier Syndicat des Instituteurs fut créé en 1904 en Maine-et- Loire. La revue l'Ecoie Emancipée et son groupement en sont sortis. Un nom domine tout ce mouvement d'émancipation extraordinaire : Louis Bouët (1880.1969), Il développe dans cet ouvrage une monographie extrêmement documentée et précise du Syndicat de l'Enseignement dfz Maine-et-Loire, sujet original qu'il connaissait parfaitement. Cette monographie, nourrie, circonstanciée et vivante, on s'aperçoh: bien vite qu'elle n'est qu'une trame et qu'à travers e'!e se brosse larges traits incisifs la vie politique de la France de 1904 à 1935, avec tes velléités vers la gauche, ses retours d'une droite agressive, se^ compromissions, ses trahisons... Quelques noms retiennent plJS longue. ment l'attention : Léon Jouhaux, sursitaire de 1914, le besogneux Pierre Laval, Edouard Herriot, prisonnier d'accords politiques, etc... On trouve aussi Léon Trotsky, le temps d'un de ses séjours en France. Et s'élèvent les grandes voix de l'espérance et de la fidélité : Anatole France qui participe au Congrès de et qui écrit en faveur des 22 révoqués, Marcel Martinet, le poète des « Temps Maudits », Romain Rolland, au-dessus de la mêlée... Et comme pour maintenir en tout ceci le ton dramatique le Préfet, en 1940 fit interner Louis Bouët, les soixante ans passes, comme « dangereux pour la sûreté de l'Etat et la sécurité publique ». Un ouvrage que tout syndicaliste, de l'enseignement comme de la classe ouvrière, se doit de lire pour la documentation qu'il apporte, multiple et précieuse, pour les exemples donnés qui font reprendre courage les jours de lassitude, pour que le flambeau vers la libération de l'homme continue en passant dans de nouvelles mains, pour témoigner notre gratitude envers ceux et celles qui ont indiqué la route au syndicalisme d avant-garde. H.F. Pour comprendre cette époque lisez ces romans documentaires : A.V. JACQUiER : Refus de Parvenir, dont l'idéalisme est presqu'incroyable pour ceux d'aujourd'hui. Jean ROGISSART (Prix Th. Renaudot - Prix Eugène Le Roy - Prix Populiste) Le Temps des Cerises, Les Semailles deux romans qui retracent la vie militante du célèbre premier maire de Montmartre J.B. Clément. Charles MARCUARD (ancien secrétaire général du S.N.I., Aube) Orage sur les Ceps. (En 1911. !a révolte des viticulteurs de l'Aube) Sur le pacifisme : Florilège poétique de Marcel Martinet. Jean de Hodan, par Tristan Klingsor. et ce formidable : P.-E. Catoh : 1939-1940 : UNE GUERRE PERDUE EN 4 JOURS. Perdue avant d'être déclarée. « Votre étude met bien en lumière ce qui fut l'essentiel et le déterminant. » Général de Gaulle. Deux étoiles recommandent ce livre aux bibliothèque dans l'importante revue biblio- graphique de l'Education Nationale : Les Livres. « Tout est passionnant. Il faut lire ce livre. » Emile Pradel (l'Ecale Libératrice). « Travail de premier ordre. Je n'avais encore rien lu de tel sur le sujet. » Jean Basdevant, ambassadeur. « Le premier livre qui sorte de l'ornière l'histoire de la guerre. » Général du Vigie.'. (Un volume 14 x 22 de 702 pages).

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