Extraits De “Voyage En France Par Les Pays À Faible Densité » CNRS 1985- Le Pays De Luzy
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Extraits de “Voyage en France par les pays à faible densité » CNRS 1985- Le pays de Luzy 1 -Un paysage en faux-semblant Le canton de Luzy se situe aux confins sud-est de la Nièvre, à la limite de deux autres départements : l’Allier au sud, la Saône-et-Loire à l’est. A la périphérie sud du Morvan, qui en 2 –Précocité du caractère extensif de la ferme l’accès direct par le nord, il demeure à l’écart des axes importants (nationale 7, autoroute production A 6, nationale 6) et n’est traversé que par des réseaux secondaires, tant routiers (direction trans- 3 –Intégration sociale, intégration spatiale versale Limoges, Moulins, Autun, Dijon) que ferroviaires (Nevers, Chagny, Dijon). A 25 km d’Autun, à 35 km des petites villes de la Loire, Decize ou Bourbon Lancy, il est très éloigné du chef-lieu de département, Nevers (80 km), et de la moindre des grandes villes ; Autun, en Saône-et-Loire, reste la ville la plus proche (23 000 habitants en 1975). Bien que tout entier compris dans la « région agricole du Morvan », le canton de Luzy ne présente pas d’homogénéité sur le plan physique et comprend différents ensembles. Certaines communes (Larochemillay, une partie du territoire de Semelay) font partie du Haut Morvan : l’altitude (de 400 à plus de 800 m. au sommet du Mont Beuvray), les terrains schisteux et gréseux, la pluviométrie (supérieure à 1 000 mm par an), le climat froid en font un milieu presque montagnard. Le Parc Régional du Morvan en inclut quelques secteurs. Au sud, les communes de Luzy, Millay, Poil, Tazilly, Flety, Lanty, Chiddes se caractérisent par un modelé de collines dégagées tantôt dans les grès, tantôt dans les granites du massif de Luzy , l’altitude ne dépasse pas 300 à 400 m., le climat y est plus chaud et moins humide. A l’extrémité occidentale du canton, une partie du territoire des communes de Rémilly, Savigny- Poil Fol, Sémelay et Lanty se rattache aux plaines sableuses du pays de Fours, dont l’altitude ne dépasse guère 250 mètres; à ces larges épandages de sables pliocènes du Bourbonnais correspondent souvent de grands massifs forestiers. En dépit de l’hétérogénéité du milieu naturel, les caractéristiques au semis de peuplement sont Atlas des Paysages du Parc naturel Régional du Morvan 1 assez semblables. La densité moyenne est faible moins de 20 habitants au km2 en 1975. L’habitat est partout très dispersé (54 % de population éparse) sur des communes de grande étendue et de faible poids démographique. Fermes aux bâtiments souvent imposants qui cernent en ordre dispersé la cour et la mare, hameaux presque désertés mais sans ruines, petits bourgs peu rénovés encore typiques de l’architecture du XIXe siècle, nombreux châteaux situés bien en vue au milieu de leurs terre ou nichés dans un parc ombreux, larges parcelles de prairies cernées de haies, « bouchures » plus ou moins épaisses, forêts étendues aux limites précises qui forment, des sommets du Morvan jusqu’à la dépression de Luzy, un paysage remarquablement maîtrisé. Une petite ville, Luzy (2 735 habitants en 1975) est le chef-lieu incontesté mais aussi le centre d’attraction d’une zone rurale qui déborde le cadre cantonal. Ses fonctions agricoles et commerciales organisent encore un « pays de Luzy » en renforçant le caractère relativement isolé de cette petite région. 1 -Un paysage en faux-semblant Rien dans l’apparence ne renvoie à une situation critique : malgré sa taille, la toute petite ville de Luzy semble prospère. Chaque année son potentiel d’équipements publics va en augmentant ; il y est construit des logements neufs ; son rôle de micro-pôle est renforcé ; les commerces sont rénovés et le bilan cessation-création est positif ; le paysage aux environs ne révèle aucun signe flagrant d’abandon : ni friches ni reboisements intempestifs, peu de ruines et pas de toits effondrés, un patrimoine bâti assez bien entretenu, sauf peut-être au centre des anciens bourgs. Rien, guère de signal. Et pourtant le dépeuplement n’a pas cessé, depuis son amorce à la fin du siècle. Dans toutes les communes du canton, mis à part Luzy, la chute est vertigineuse. Larochemillay a ainsi perdu plus des deux tiers de sa population en moins de 70 ans. Luzy, le chef-lieu, connaît à nouveau depuis 1954 un renversement de tendance et une progression démographique manifestes dès 1962, confirmés en 1968 et 1975 ; mais il n’a toujours pas retrouvé le niveau maximum démographique atteint en 1911. La croissance de « l’agglomération » n’a pas encore compensé la « désertification » de l’habitat dispersé environnant. Tous les indices d’une « crise démographique » sont réunis. Le renouvellement naturel de la population ne s’effectue déjà plus puisque les naissances n’équilibrent pas les décès. Lié au Atlas des Paysages du Parc naturel Régional du Morvan 2 vieillissement de la population, le taux brut de mortalité s’élève fortement, avec 14 décès pour 1 000 habitants entre 1954 et 1962, 17 entre 1968 et 1975, tandis que le taux de natalité va décroissant. Le bilan naturel ne cesse de se dégrader. La persistance de l’exode, qui contraste avec les tendances récentes enregistrées dans de nombreuses régions rurales, inquiète les municipalités. Aucun point fort ne paraît susceptible de l’enrayer et Luzy, seul « centre urbain » n’a « gagné » que 70 habitants face aux 540 perdus par le canton entre 1968 et 1975. Une analyse des directions de départ de 300 émigrants des communes de Millay et Sémelay montre que 34 % seulement restent dans les environs (échanges de voisinage liés au mariage, départ pour la maison de retraite de Luzy...), 30 % vont vers Nevers et les petites villes industrialisées de la Nièvre et de la Saône-et-Loire (Decize, Montceau-les-Mines, Autun, Gueugnon), 19 % vers des villes plus éloignées de la Bourgogne et surtout vers Paris et Lyon (10 %). Cette même étude montre que 50 % des jeunes qui avaient entre 10 et 25 ans en 1968 ont quitté la commune en 1975 et que sur 100 émigrants 70 ont moins de 30 ans. L’exode sélectif des jeunes vers les villes se poursuit donc, souvent à longue distance, selon le même schéma que durant la première moitié du siècle. L’intense dépeuplement de la région se lit dans la pyramide des âges, laquelle exprime un vieillissement très prononcé. Comparé à la structure d’âge de la population française, le profil révèle le déficit des jeunes ménages (25 à 35 ans) qui entraîne la raréfaction des enfants et l’hypertrophie des classes de gens âgés, deux fois plus importantes, relativement, dans le canton que dans la population de la France entière. Les personnes de 65 ans et plus représentent plus du quart des habitants, atteignant des records dans les petites communes. A Poil ( 228 habitants et 8 habitants au km2 en 1975 )une personne sur trois a plus de 65 ans et la réputation de « pays de vieux garçons » est bien établie, Il y a partout cumul du « vieillissement par déclin »et du « vieillissement par regain . Le renouvellement naturel ne s’effectuant déjà plus les perspectives démographiques sont très mauvaises, d’autant que les apports migratoires qui existent encore reposent sur des bases fragiles et que, pour de nombreuses catégories d’actifs résidant dans le canton, l’avenir est incertain (commerçants et artisans des petites communes, agriculteurs petits et moyens, etc.). Le mouvement de retour au pays des générations ayant quitté la région entre les deux guerres va sans doute se ralentir du fait même de la baisse de l’émigration et rien ne permet d’affirmer que Atlas des Paysages du Parc naturel Régional du Morvan 3 « l’attraction » du pays de Luzy, qui est réelle, en particulier pour la petite ville, va s’étendre à des personnes n’y ayant pas d’attaches. L’accueil d’enfants de l’Assistance, traditionnel depuis le début du siècle, se tarit également d’autant que le bureau de placement de Luzy a été fermé en 1976. Il y a donc bien un paradoxe dans ce cas : la dépopulation s’accentue, le pays s’achemine de façon irréversible vers un espace de très faible densité, mais la désertification ne s’accompagne pas de changements d’usages apparents, d’enjeux contradictoires aisément décelables. La crise démographique va de pair avec une phase d’intégration progressive des structures économiques (agricoles en particulier) déjà largement avancée. Mais alors, quelles sont les possibilités de croissance et de prospérité économique, pour une petite ville isolée dans un milieu peu dense ? Quelles catégories sociales pâtissent de cette intégration économique et, tout particulièrement, celle-ci est-elle compatible avec le vieillissement de la population par accueil de retraités modestes ? C’est autour de ces questions que l’étude du pays de Luzy vaut d’être menée. 2 –Précocité du caractère extensif de la production C’est par un lent processus, d’allure presque linéaire malgré quelques moments d’accélération, que le pays de Luzy s’est acheminé vers ce système de production extensif qui explique sa faible densité aujourd’hui. Retraçons-en les principales phases. « MAXIMUM DEMOGRAPHIQUE » L’analyse des courbes d’évolution depuis 1801 montre que le canton de Luzy est en quelque sorte le cœur d’une aire touchée très tardivement par le dépeuplement. Au nord, le Haut Morvan entame une phase de déclin démographique un peu avant 1851 ; il en est de même des communes rurales à l’ouest du canton, progressivement attirées par les implantations d’industries lourdes le long de la Loire et par la création du carrefour ferroviaire de Cercy-la-Tour à l’est et au sud, le dépeuplement gagne aussi, en reculant Atlas des Paysages du Parc naturel Régional du Morvan 4 à partir des centres industriels.