Document generated on 09/23/2021 5:40 a.m.

Québec français

Chansons à mûrir et chansons mûres Roger Chamberland

Mille et une façons de lire Number 116, Winter 2000

URI: https://id.erudit.org/iderudit/56135ac

See table of contents

Publisher(s) Les Publications Québec français

ISSN 0316-2052 (print) 1923-5119 (digital)

Explore this journal

Cite this review Chamberland, R. (2000). Review of [Chansons à mûrir et chansons mûres]. Québec français, (116), 97–99.

Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2000 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ chanson ; « « o •» » PAR ROGER CHAMBERLAND

L'automne a été marque pur lu parution d'albums de nouveaux venus dans lu chanson. Entendons ici que certains d'entre eux ont déjà brûlé les planches des cafés, des buis et des boites à chansons, mais qu'ils n'ont jamais eu l'opportunité de graver un album. Voilà que tout d'un coup Jean-François Fortier, Daniel Dupuis et Nicola Ciccone se démarquent d'une certaine production un peu trop orientée vers le son des radios commerciales pour que l'on puisse espérer trouver une relève de qualité.

EAN-FRANÇOIS FORTIER a tant au rock rythmé qu'à la Jécrit tous les textes et com­ moins trois ou quatre (« Je se­ musique latino-américaine ou posé la musique de toutes ses rai libre », « Écueil », « In­ grammé des percussions que au ska. « L'argent fait le bon­ chansons qu'il interprète avec somnie »), qui nous laissent | l'on croyait d'une époque révo­ heur » compte une douzaine sa voix de tête qu'il sait mo­ souhaiter que Fortier par­ lue. Dupuis est plutôt inter­ de titres qui « démoulent » et duler selon les atmosphères vienne à privilégier le style prète et compositeur que paro­ célèbrent la vie, l'amour et l'ar­ qu'il veut créer. S'il parle abon­ musical où il excelle plutôt lier et cela s'entend dans la gent. Et pourquoi pas ? Ce souf­ damment de sa propre vie, de que de tenter de pousser sa manière de rendre ces textes fle de gaieté traverse l'album et ses amours et de ses états voix sur un fond de riffs de qui ne semblent pas habités par donne plus de force à ces mu­ d'âme, c'est avec un soupçon guitares. celui qui les chante pas plus siques qui mêlent les rythmes de légèreté et une certaine fa­ d'ailleurs que la musique qui avec brio sans s'enfermer dans cilité dans le choix des images vec DANIEL DUPUIS, les souffre d'être aussi anonyme un style où il serait trop à qui restent toujours au niveau A choses se gâtent, s'il fal­ que commune. l'étroit. d'un réalisme de bon aloi. Par lait juger un album à partir de ailleurs, Fortier a un talent de la première piste, l'amateur de vec LES RESPECTABLES, un mélodiste qui donne une cou­ musique se détournerait rapi­ Agroupe de Québec fort dement de ce premier album. leur particulière à cet album, connu et qui a plusieurs succès i^-nàespectables mais qui sombre parfois dans On se réconcilie tranquillement commerciaux à son actif, nous des airs de déjà-entendus parce mais difficilement avec les pis­ mesurons la distance qui existe que les arrangements musicaux tes suivantes même si on reste entre ceux qui commencent et privilégient les sons lourds des agacé par le peu d'inventivité ceux qui se sont trouvés une guitares électriques et le mar­ musicale et le langage pro­ personnalité musicale. Les Res­ tèlement de la batterie. Sur la pectables, c'est un amalgame douzaine de titres, il y en a au de sonorités aussi diverses qu'inventives qui empruntent

HIVER 2000 / NUMERO QUÉBEC FRANÇAIS 97 assez aisément le « Ô Sainte- ambiance si particulière où ou plus loin, dans une autre chan­ Nuit » qui devient « Tshitshitua Miossec récite ses textes plus qu'il son, la trompette, le violon, le Tepiskhat » ; « Minuit Chrétiens » ne les chante, voilà ce que nous violoncelle, le cor français et le « Nipaiamianan » ; « Les anges livre ce disque. trombone. Malgré ces innovations dans nos campagnes » « Eku Papa- importantes, on reste sur notre Petakakut » et ainsi de suite. our son deuxième album, sim­ faim au niveau des textes qui sont Autrement dit, Nipaiamianan est P plement intitulé Humain, d'une banalité criante et d'une la version innue d'un disque de SYLVAIN COSSETTE a décidé de écriture désolante. Situation fâ­ Noël tel qu'il s'en publie des dizai­ prendre les choses en main et cheuse où nous sommes en pré­ nes chaque année. Il est tout de d'assurer lui-même la réalisation sence de l'une des plus belles voix même curieux que l'on n'ait pas et la direction artistique de son masculines du Québec qui n'arrive précisé la « coloration » particu­ disque en plus d'écrire tous les pas à se démarquer du mainstream n pourrait en dire autant de lière de cet album qui mêle autant textes, la musique et les arrange­ en ressassant les mêmes thèmes O NICOLA CICCONE, un nouveau les chants religieux de Noël que ments musicaux. Signé Cossette, et les mêmes termes. Un album venu qui, dès son premier album, ceux de la tradition innue quoique entièrement. À l'écoute, cela destiné aux vrais amateurs de Syl­ a trouvé un son et une voix do­ l'on ne sait pas de quoi ils parlent vain Cossette. rénavant reconnaissables parmi au juste. Une fois passée cette toutes les autres. Ciccone est le surprise, on prend mieux cons­ isons-le d'emblée : Le voyage maître d'oeuvre de son disque : il cience de l'impact de l'évangélisa- D de PAUL PICHÉ n'est vraiment en a écrit les textes, composé la tion sur ces peuples en constatant pas à la mesure de nos attentes. musique et assuré la direction ar­ que Voilant possède un héritage Après plus de cinq ans de silence, tistique. C'est dire que L'opéra du religieux identique à celui des Piché essaie de reprendre pied et mendiant porte la signature de Québécois pure laine. Est-ce de se refaire une nouvelle per­ son auteur et qu'il démontre une d'ailleurs pour cette raison que sonnalité musicale. Fini le temps rare qualité d'accomplissement plusieurs artistes québécois ont de l'engagement politique et de pour un premier disque. Ciccone prêté leur concours (Richard la contestation, on prend des ri­ chante en français, mais un fran­ Séguin, Luce Dufault, Ray Bon­ des et de la sagesse et on se re­ çais relâché que ne dédaignerait neville, Réjean Bouchard et le ca­ plie frileusement sur soi. Même pas Richard Desjardins ou Plume jun Zachary Richard) à la réalisa­ donne des résultats surprenants s'il s'agit d'un album-bilan, Latraverse, et en italien (sur une tion de cet album ? qui auraient pu nous réconcilier comme l'ont écrit plusieurs com­ chanson) pour chanter la vie quo­ avec celui qui avait la fâcheuse mentateurs, on se demande bien tidienne, mais pas n'importe la­ HRISTOPHE MIOSSEC, que tendance de pousser sa voix au à qui servira ces bilans. Il y a pire quelle, celle des parias, des lais­ C l'on connaît mieux sous le so­ maximum. Ce défaut n'est pas en­ encore puisque même la musique sés-pour-compte, des mendiants briquet de Miossec, est bien connu tièrement éliminé, mais Cossette est à verser au passif de l'auteur du bas de la ville qui n'ont rien du public qui fréquente les Franco­ a appris à introduire des subtili­ dans la mesure où l'on s'en remet sauf l'espoir et les rêves. De la folies de Montréal. Ce Breton d'ori­ tés dans son interprétation que à la programmation pour assurer première à la onzième chanson, gine est venu à quelques reprises l'on apprécie et qui lui donne une la trame sonore. On passe d'une Ciccone nous fait pénétrer dans présenter ses albums, mais le sou­ nouvelle personnalité musicale pièce à l'autre sur la pointe des un univers où règne une poésie venir que l'on en garde, c'est plu­ parfois proche de celle de Daniel pieds sans fracture ni brisure, sincère servie par des musiques tôt une réputation de bon vivant. Bélanger. De la même manière, il sans vouloir déranger l'auditeur. dominées par le piano et la gui­ À prendre, disponible en pressage a travaillé les arrangements mu­ Le désir, la liberté, la mort, tare qui laissent toute la place canadien sous étiquette Audio­ sicaux afin d'apporter de plus l'amour, la vie constituent le par­ aux textes et à la voix. On gram, son dernier album, est pro­ grandes variations, voire une tou­ cours thématique d'un artiste qui s'étonne de trouver une telle ma­ bablement le meilleur qu'il a fait che d'originalité comme dans la a vraiment décidé de vieillir. Et turité dans les paroles et la com­ paraître jusqu'à maintenant. Des chanson « Dans tes yeux » où la vite en plus de ça ! Dommage position et une telle maîtrise textes incisifs et un peu sombres flûte traversière se fait entendre. pour son public. dans l'interprétation. On écoute construits autour de musiques qui avec un plaisir renouvelé ce dis­ juxtaposent les sonorités que qui nous réserve des surpri­ acoustiques et électroni­ ses à chaque fois. L'un des mes ques afin de créer cette choix de l'automne.

LORENTVOLLANT, un ancien F du groupe Kashtin, nous in­ vite à partager ces chants que lui ont inspiré les Aînés de la terre innue, ce nord mystérieux autre­ ment nommé « Tshiuetin ». Cette inspiration de la tradition orale innue n'a jamais été aussi près de la nôtre tant on se demande où commence l'héritage des Aînés dans la mesure où l'on reconnaît

98 QUÉBEC FRANÇAIS ôté chanson française, il faut absolu­ ment souligner l'excellent album de JEAN-LOUIS MURAT intitulé Mustango. Grâce à la complicité de plusieurs musiciens de l'avant-garde américaine et réalisé dans un stu­ dio de Nashville (Texas), ce disque n'a pourtant pas marque de la country d'où il émerge. Bien au con­ traire, voilà onze chansons dont aucune ne se res­ semble musicalement, mais ayant comme seul trait commun cette voix un peu éteinte de Mu­ rat qui étire langoureusement les paroles. La grande force des disques de Murat tient à la qualité des textes qui éclatent en tous sens et font fi de la métrique et de la versifica­ tion pour jouer avec les sonorités inouïes des mots, voire des syllabes. En revanche, il y a toujours une petite histoire, tordue ou surréaliste, et des paysages hallucinés ou, à l'inverse, d'un grand réalisme qui nous invitent à être toujours très attentifs aux mots tant ils semblent faire contraste avec le rythme. Un disque surprenant dont on arrive difficilement à épuiser la richesse en autant qu'on aime ce style musical bien particulier.

RIGITTE FONTAINE continue chansonnier qui et les préjugés les plus tenaces. Bde nous étonner avec Les pa­ ne se prend pas En revanche, il peut être sérieux, laces, un énième album paru au sérieux et qui voire pathétique comme dans la enl997 en France, mais qui nous peut aussi bien chanson « Javer » où il raconte est parvenu il y a quelques mois écrire une chanson la mort d'un serbe de Pristina. à peine. L'attente en valait la la chanson sur la limonade, la Très près d'un Thomas Fersen peine puisque les onze chansons « La symphonie pastorale » vous mort d'une vieille avec qui il partage une même lé­ qu'elle nous présente portent le propose d'identifier les titres et oie grise qu'un tango langoureux gèreté dans la manière de signe d'une réalisation soignée et leurs auteurs qu'elle cite. ou une ode à Boileau. On ne s'en­ désarmorcer des situations dra­ s'affichent comme des pièces es­ nuie pas avec D. Annergan et son matiques, Annergan joue sur les sentielles à la saisie de l'univers out autre est Adieu ver­ sens de la dérision qui sait dé­ contrastes tant au plan musical de Fontaine qui, depuis bientôt T dure le plus récent album de boulonner en quelques strophes qu'au niveau des textes. Cette trente ans, a choisi la chanson. DAVID ANNERGAN, cet les statues les plus hautes manière de faire nous vaut Grâce à la complicité de son fidèle Hollandais qui a choisi i un album dont chaque ami , qui signe à de chanter en français ,\ écoute renouvelle le peu près toutes les musiques, sauf avec sa voix de chan­ a plaisir. celles de « La cour » qui est de teur de blues qui est et « City » d'Alain devenu sa marque de Bashung, chante commerce avec son ac­ Paris et la vie dans les palaces, ses cent atypique. Voilà un beautés et ses laideurs, et se per­ met une reprise de la chanson « C'est normal » qu'elle avait déjà endisquée au milieu des années 1970. On passe d'une pièce à l'autre en sautant d'un style mu­ sical à un autre sans se perdre dans cette poésie qui a le souci du mot juste et le sens de l'ex­ pression imagée. Pour ceux qui voudraient mesurer l'étendue de leurs connaissances en littérature,