La traversée du désert

On dit parfois que a connu dans les années 1980 une sorte de "traversée du désert" : l'expression n'est pas tout à fait conforme à la réalité. Certes, ce sont des années de vaches maigres sur le plan financier. Mais si Brigitte Fontaine n'a enregistré aucun disque pendant plus de dix ans, elle n'en est pas restée pour autant inactive. Les années 80 seront au contraire une période où Brigitte Fontaine va beaucoup créer, en se consacrant presque uniquement à l'écriture théâtrale et romanesque. Entre 1980 et 1983, elle interprète avec Areski une pièce inédite, L'inconciliabule, qui sera présentée en Avignon, et donnera lieu à une longue tournée un peu partout en , en Suisse, en Belgique et au Québec. Soutenue par un sens comique très original, l'écriture de L'inconciliabule a été guidée par la révolte de Brigitte Fontaine contre la triste habitude qui nous conduit tous à porter des jugements et à exercer ainsi une forme d'autorité sur les autres qui nourrit toutes sortes de conflits, qu'ils soient querelles de ménage, disputes entre amis ou guerres atomiques. Sur un plan métaphysique, L'inconciliabule exprime aussi, dans ses passages les plus lyriques, une colère contre notre impuissance à "réconcilier les inconciliables" et à rejoindre l'Unique, que certains appellent Dieu... Certaines parties du texte étaient chantées, et l'une de ces chansons, Le train deux mille cent dix , est devenue célèbre depuis en figurant, quinze ans après sa création, sur le disque . En 1984, Brigitte écrit une autre pièce de théâtre, Les Marraines de Dieu, qu'elle joue au Lucernaire avec son amie Léïla Derradji. Elle publie également un roman, Paso doble (chez Flammarion, 1987), et un recueil de short stories, Nouvelles de l'exil (à l'Imprimerie nationale, 1988).

C'est finalement au Japon que sa carrière musicale est relancée en 1988, grâce à une tournée et à la sortie d'un nouveau disque solo : French Corazon. Bien que la voix de Brigitte soit désormais voilée par le tabac, l'ensemble du disque ne respire pas le parfum de naphtaline d'un come-back nostalgique. Il s'en dégage une sensation de fraîcheur et de vitalité qui s'épanouit dans de véritables farces sonores comme par exemple Le nougat . Le clip de cette chanson, réalisé par la dessinatrice Olivia Clavel, va devenir en 1990 un moment-culte du jeune "Boulevard des clips" de M6... Avec ce nouveau disque, on pourrait presque dire que Brigitte Fontaine recommence sa carrière solo en remettant les compteurs à zéro. S'il reste compositeur, Areski ne chante plus en duo avec Brigitte, sans doute pour se démarquer des années Saravah... Pour accoucher de leur oeuvre commune, les deux artistes ont donc trouvé ensemble une autre forme d'accomplissement, et, malgré les apparences, les rôles de chacun sont équitablement répartis à la scène comme à la ville.

En 1995, le disque Genre Humain va sacrer le retour définitif de Brigitte Fontaine sur le devant de la scène musicale française. Le CD bénéficie d'une couverture médiatique très large. Ainsi, Anne-Marie Paquotte constate dans Télérama que " La magicienne traverse les frontières des générations. Et des genres musicaux. Genre humain fait sonner d'étonnantes et captivantes rap-mélopées, mêle synthés et bouzouki, invente un hip-hop arabisant. Chant libre, mots délivrés de toute pesanteur politiquement et commercialement correcte. " Rock & Folk partage la même analyse : " Fontaine a toujours plusieurs longueurs d'avance. Là où la plupart des rockers et des rappeurs

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s'échinent à traquer des bribes de folie, elle s'affirme comme totalement cinglée et hors norme. " Et, dans Libération, Hélène Hazera pose franchement la question : "Sous ses déguisements, Brigitte Fontaine n'a-t-elle pas la stature de nos meilleurs auteurs ?"

Deux ans plus tard, Brigitte Fontaine enregistre un nouvel album, intitulé . Force est de constater à l'écoute de ce disque que, sans renoncer à la modernité, Brigitte Fontaine et sont manifestement de plus en plus séduits par les formes classiques. Délaissant la prose et les vers libres, Brigitte s'amuse à respecter la métrique traditionnelle dans des textes où elle laisse exprimer son amour du vocabulaire le plus précieux. Abandonnant le dépouillement de sa guitare, Areski affectionne désormais le raffinement du piano et la chaleur soyeuse des orchestres de cordes. C'est dans ce même esprit que, pour conclure ce CD, elle rend un vibrant hommage à la littérature dans une litanie de titres glorieux qui inspire à Areski l'une de ses plus belles partitions...

La symphonie pastorale (extrait 30s), par Barbara Carlotti

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