Un témoignage inédit : Foucauld vu par Meynier (1913) Paul Pandolfi

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Paul Pandolfi. Un témoignage inédit : Foucauld vu par Meynier (1913). Le Saharien, Paris:La Rahla : Amis du , 2020. ￿halshs-03177249￿

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Durant son séjour au Sahara, le Père de Foucauld – lui-même ancien saint- cyrien – a rencontré plusieurs officiers et échangé avec eux de nombreuses correspondances. Tel fut le cas avec Laperrine “l‘ami incomparable” mais également avec Niéger, Dinaux, Gardel, Charlet... Octave Meynier figurait aussi parmi ces officiers. Le témoignage que nous publions ici est cependant davantage fondé sur les lettres, jusqu‘ici inédites, que Meynier a transmises régulièrement à son épouse alors qu‘il était à la tête du Territoire des Oasis de 1913 à 1917. Il y narre les deux rencontres qu‘il eut alors avec Foucauld à . Photographie du général Meynier

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Paul Pandolfi

Succédant au général Laperrine et au colonel Payn, le commandant Meynier est nommé à la tête du Territoire des Oasis à la fin de 1913. Il y demeu- rera jusqu’en avril 1917 date à laquelle il sera affecté au er1 régiment des tirailleurs. Il rejoindra alors le front à Verdun. Durant les trois années où il demeurera au Sahara, il entretiendra une correspondance régulière avec sa seconde femme, Valentine Gisclard, qu’il avait épousée en 1911. C’est de ces lettres, conservées dans la famille du commandant Meynier, mais jusqu’ici inédites, que nous avons extrait les passages concernant le Père de Foucauld reproduits ci-dessous.

Le commandant Meynier, dès son arrivée sur le sol algérien, avait décidé d’entreprendre une grande tournée. Il désirait en effet parcourir l’immense territoire dont il était désormais le responsable. Il souhaitait aussi combiner une manœuvre d’ensemble avec les militaires de Tombouctou afin de s’opposer, si nécessaire, aux incursions des Beraber du Sud marocain qui régulièrement venaient razzier les tribus soumises à la France dans la zone frontalière entre Algérie et Soudan. Autre objectif : rencontrer Mûsa ag Amastan, le chef (amenûkal) des Kel-Ahaggar, qui se trouvait, avec ses proches, dans cette zone. Dans une lettre au gouverneur général d’Algérie, datée du 5 janvier 1914, le commandant Meynier écrivait : « Des renseignements reçus aujourd’hui même me donnent à penser que je pourrai, en arrivant à Boughessa, prendre immédiatement contact d’une part avec Moussa ag Amastane et les Touaregs nobles de son commandement, d’autre part avec d’importants détachements soudanais, venus de Gao le mois dernier et partis depuis vers Taodeni… » (in Galand 1999, p. 168)

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La première lettre « saharienne » de Meynier à sa femme est datée « El Golea, 14 décembre 1913 ». On y apprend qu’il a quitté et se dirige vers qu’il atteindra le 26 décembre. Après une halte de quelques jours, la tournée reprend la piste le 2 janvier 1914. Son escorte est réduite. Elle est composée pour moitié de méharistes arabes et pour moitié de méharistes touaregs. Font également partie de cette tournée : le journaliste, Jean Lefranc, et le médecin militaire Paul Vermalle. Le pre- mier nommé, dont le but est une traversée du Sahara, a été intégré dans la tournée. Il sera ensuite confié aux troupes du Soudan lorsque la jonction avec celles-ci aura été effectuée le 9 février 1914 à Bou-Ghessa dans le nord de La page de titre de l’ouvrage p­ osthume du Dr Vermalle est entachée d’une l’Adrar des Ifoghas. Dans ses correspondances, erreur sur le nom de l’auteur ! Meynier se montre souvent très critique envers lui. Ne supportant que fort mal les contraintes imposées par ce type de tournée, le journaliste se montrera aussi très insistant (voire indiscret) auprès du Père de Foucauld. Quant au médecin militaire, Paul Vermalle, il avait été nommé – à sa demande – dans l’Ahaggar fin 1913. La tournée entreprise par le commandant lui permet donc de rejoindre son poste. C’est lui qui, fin 1914, soignera Charles de Foucauld atteint du scorbut. Il deviendra très vite un ami du Père qui l’encouragera dans les diverses études qu’il entreprend alors sur les populations de l’Ahaggar. Mais, le docteur Vermalle trouvera la mort, le 13 février 1917, lors du combat d’Aïn el-Hadjadj. En 1926, à l’initiative d’Augustin Bernard, sera publié un ouvrage intitulé Au Sahara pendant la guerre européenne qui regroupe des extraits du courrier envoyé par Paul V­ ermalle à ses parents ainsi que ses notes de terrain.

Dans ses lettres Meynier se réjouit de pouvoir rencontrer Foucauld à Tamanrasset. Dès le 8 janvier alors qu’il se trouve à 160 km au sud d’In Salah, il écrit à son épouse : « Tamanrasset, village du Hoggar où nous devons rencontrer le Père de Foucauld ». Et le 17 janvier alors qu’il vient de dépasser

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In Amguel : « Nous en avons encore pour quelque temps avant de rencontrer à Tamanrasset le Père de Foucauld ». Ce dernier n’est pas un inconnu pour lui. Dans un article publié en 1946, le commandant Meynier narre comment très tôt il eut le désir de rencontrer le « marabout de Tamanrasset ». Il faut dire que deux illustres Sahariens lui en avaient vanté et la personnalité et le rôle. C’est en premier lieu le général Laperrine ren- contré en 1909 à Niamey1 : « A chaque instant, dans ses propos, revenait le nom du R. P. de Foucauld, dont son ami ne se faisait pas faute de louer le dévouement et la profonde connaissance du Sahara L‘ouvrage que Meynier et de ses habitants. Il nous le décrivait comme un offrit au Père de Foucauld savant modeste et un homme de bien. » (1946, p. 91).

Enfin, en 1911, Meynier participe à une reconnaissance destinée à étudier l’éventuel tracé d’un chemin de fer transsaharien. À la tête de cette mission se trouve le capitaine Nieger, grand ami du général Laperrine et du Père de Foucauld. Là encore, il eut l’occasion d’entendre plusieurs fois parler du « marabout », car le capitaine Nieger « ne perdait aucune occasion de nous (en) vanter les mérites et la vertu ». Meynier aurait alors souhaité rencontrer Charles de Foucauld, mais les contraintes de la tournée ne lui permirent pas de réaliser ce projet. « Je dus me contenter de lui adresser une courte lettre et un de mes livres pieusement dédicacé. Je ne devais recevoir sa réponse que bien après ma rentrée à Alger. » (ibid. p. 95)2

1. Lors de ce séjour à Niamey, le général Laperrine et le colonel Venel mirent au point l’important accord connu sous le nom de Convention de Niamey, censé régler les relations entre les deux territoires dont étaient alors déterminées les limites. 2 Le livre évoqué ici est celui que Meynier publia aux éditions Flammarion début 1911. Intitulé L’Afrique Noire, il figurait dans la bibliothèque de Foucauld comme en témoigne la liste des ouvrages détenus par Foucauld établie après sa mort. Voir Cahiers Charles de Foucauld, 22, 1951, p. 41.

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La première rencontre (janvier 1914)

C’est le 20 janvier au matin que le commandant Meynier arrive à Taman- rasset. Il y demeurera trois jours. Voici comment dans la lettre qu’il écrit à son épouse il narre cette première rencontre et dresse le portrait de Charles de Foucauld. « C’est ici l’ermitage du Père de Foucauld, et dès que nous sommes en vue du village, dédaignant les vains honneurs que m’annonce le tambour battu de tous les côtés, je me dirige droit vers sa petite maison que surmonte une croix de bois. Le R. P. de Foucauld vient au-devant de nous. Homme de 55 ans qui en porte dix de plus, fagoté à la diable dans un vague habit de père blanc, ceinturé au-dessous du ventre par une ceinture de cuir où pend une poche mobile en toile d’Alsace certainement fabriquée par lui. Il a une physionomie extraordinairement vivante et bonne et nous fait un accueil paternel. C’est lui qui nous guide près de notre zériba installée près d’un immense éthel, arbre vert phénomène dans ce pays. Ensuite il nous ramène chez lui pour prendre une tasse de thé. C’est ici le point culminant du voyage de M. Lefranc qui compte beaucoup rapporter de son contact avec le P. de Foucauld et lui pose parfois des questions un peu gênantes. Il est entendu que le père prendra tous ses repas avec nous, mais il refuse absolument, en raison d’un travail très urgent (livre en préparation) de nous accompagner jusque dans l’Adrar soudanais. J’espère le décider à nous suivre au moins sur une partie de la route. » 1

Il est intéressant de comparer ces lignes écrites sur le vif au récit de cette rencontre que donnera Meynier quelque trente années plus tard.

« L’incident marquant fut ma rencontre à Tamanrasset avec le vénérable ermite du Sahara. Je revis encore la scène : Nous venons, après une longue ascension dans les monts du Hoggar, de pénétrer sur le vaste plateau décou- vert et sablonneux de Tamanrasset. Déjà, nous commençons d’apercevoir les misérables chaumières des “harratin”, les cultivateurs du arrem. Et voici que mes méharistes me montrent au loin une silhouette vêtue de blanc

1. Le « travail très urgent » qui justifie le refus de Foucauld d’accompagner la tournée n’est autre que la copie, largement améliorée, de son Dictionnaire abrégé Touareg-Français (Chatelard 1995 : 175).

24 Le Saharien 232 - 1er trimestre 2020 Foucauld vu par Meynier (1914) qui se dirige vers nous. “Le marabout blanc…”, me disent-ils avec une nuance indéfinissable de respect. En effet, je dis- tingue bientôt la coiffure caractéristique de l’ermite, képi sans visière, pourvu d’un cache-nuque de toile, et, sur sa poitrine, le rouge Sacré-Cœur. Il m’est insupportable de penser que le saint homme vient ainsi à pied vers moi, et je saute à bas de ma monture. Très ému, je cours le saluer avec respect ; de son côté, estimant que le chef a droit ici à tous les égards, il me gronde doucement de m’être ainsi diminué vis-à-vis de lui, puis il m’entraîne à l’ombre d’un éthel légendaire où, de tradition, se fait la réception du “Commandant”. » Le dictionnaire abrégé touareg-français Autant le premier texte, daté de 1914 du Père de Foucauld sera publié et non destiné à la publication, est pure- après sa mort par René Basset ment informatif, autant le second, plus tardif (1946) et publié dans une revue consacrée pour l’essentiel à la personne et au rôle de Foucauld1, s’inscrit bien dans le discours hagio- graphique qui se tient alors. Les termes employés sont ici significatifs. Le Père de Foucauld devient un « saint homme » ou encore « le marabout blanc », expression employée « avec une nuance indéfinissable de respect » par les méharistes qui accompagnent le commandant Meynier, mais que ce dernier n’avait pas utilisée dans sa lettre de 1914. Dans cette même correspondance, Charles de Foucauld est « fagoté à la diable dans un vague habit de père blanc, ceinturé au-dessous du ventre par une ceinture de cuir où pend une poche mobile en toile d’Alsace certainement fabriquée par lui. » Désormais, dans la version plus tardive, apparaît le « rouge Sacré-Cœur ». Notation pour le moins étonnante, car, en 1914, Charles de Foucauld avait, semble-t-il, abandonné ce signe distinctif. Mais la force de la légende est telle qu’elle peut fausser – en toute bonne foi – la vision du réel. 1 Cahiers Charles de Foucauld, n° 2, 1946.

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Dans cette même lettre de janvier 1914, Meynier précise que : « Le premier jour s’est passé en réceptions. Le Khalifat de Moussa-ag-Amastane, Aflane, est le Touareg noble d’assez grande allure, et surtout Ouksem chef des Dag-Rali une tribu vassale d’ici qui est l’ami intime du Père de Foucauld. »

Le lendemain, 21 janvier 1914, il évoque ce qu’il nomme des « réjouis- sances locales » : « Hier matin après une grasse matinée dans la zériba où il faisait plusieurs degrés en dessous de zéro, et un tub réconfortant par sa rareté et sa nécessité, déjeuner somptueux au champagne avec le P. de Foucauld et réjouissances locales toute l’après-midi. »1 Surtout dans ce courrier apparaît pour la première fois un projet sur lequel Meynier reviendra fréquemment par la suite. Prenant prétexte d’une demande de Dassin ult Ihëmma, il propose à son épouse de le rejoindre dans le Sud algérien et d’y passer, avec leur jeune fille Linette, les mois d’été dans l’Ahaggar. Le climat qui règne alors dans les montagnes de l’Atakor est l’argument principal. Mais il avance aussi que son épouse aurait bien des « choses intéressantes » à faire dans la région. Et il ajoute qu’il a longuement discuté de ce projet avec Charles de Foucauld et que celui-ci s’est montré particulièrement favorable à la venue de Mme Meynier. Apparaît également Dâssin ult Ihëmma. Célèbre pour sa beauté et son art de l’imzad, Dâssin avait été courtisée par de nombreux nobles de l’Ahaggar à commencer par Mûsa ag Amastan qui l’avait chantée dans plusieurs poèmes (cf. Foucauld 1925 : 374-382). Quand le commandant Meynier

1. Paul Vermalle se montre beaucoup plus disert à propos des dites « réjouissances locales ». Mais, au vu de la description fournie par le docteur, on peut comprendre que le Cdt Meynier soit plus discret dans les courriers adressés à sa jeune épouse. « Pour toutes ces populations c’est un événement inouï que notre arrivée ; aussi le soir, il y a de grandes réjouissances que nous offrent harratines et nègres. Devant notre case on allume de grands feux ; des groupes hommes et femmes se forment et dansent et chantent successivement. Ces danses sont admirablement belles et expressives, toutes érotiques, bien entendu. Les femmes, par leurs chants et claquements de mains, excitent le danseur qui est tout contre elles et se livre à des contractions d’une superbe souplesse et à des pas de danse dignes de nos meilleures coryphées. Nous organisons des concours de beauté. Les prix de beauté consistent en peignes, glaces, aiguilles, distribués à ces dames qui en conçoivent un orgueil extraordinaire. Moi, carré dans une chaise de toile, j’assiste en pacha aux réjouissances, à la lueur des brasiers ! »

26 Le Saharien 232 - 1er trimestre 2020 Foucauld vu par Meynier (1914) la rencontre, elle est devenue l’épouse d’Aflan ag Douwa, le représentant de Mûsa à Tamanrasset. « Dassine m’a demandé si tu n’avais pas l’intention de venir ici et faut-il te le dire ma chérie que j’y ai déjà songé et que le P. de Foucauld m’y encourage vivement. Tous les deux nous détestons les longues séparations, je crois, et serions décidés même à un peu d’isolement, pourvu que ce fût à deux et à trois avec Linette. Eh bien ne vois-tu pas comme possible et j’ajouterais très possible la combinaison qui consisterait lorsque tu reviendras en octobre prochain à passer d’abord deux ou trois mois à Ouargla, à partir ensuite en auto à In-Salah, puis une fois l’hiver passé (très sain, très agréable à In-Salah) monter passer l’été dans les montagnes du Hoggar où la température est toujours agréablement douce et le climat sain en cette saison. Je t’assure que je considère la chose comme pratiquement très faisable et j’ajouterai très désirable (à) tous égards, car tu aurais ici beaucoup à faire de choses intéressantes, en rapport avec ta situation. Le Père de Foucauld est très séduit par cette idée et il y a déjà l’exécution de tout un programme qui t’est réservé dans sa tête. »

Le 23 janvier, le commandant Meynier et ses compagnons quittent Tamanrasset pour rejoindre Fort Motylinski. Mais une dernière rencontre avec Foucauld a alors lieu. « C’est il y a trois jours, le 23 au matin que j’ai remis au brave Père de Foucauld le courrier que tu auras reçu quelque trois semaines avant celui- ci. Après avoir griffonné un dernier petit mot, j’étais allé, en hâte, traiter avec le père les dernières questions qu’il n’avait pu encore me soumettre. Et il y en a !! Pense donc, ce brave homme qui a mis toute sa vie dans le Hoggar, qui aime ses Touareg comme ses enfants et les voudrait tous heureux, comme il était satisfait de se déverser dans mon cœur. En même temps que nous travaillions, près de nous Jean Lefranc, fiévreusement prenait des notes sur les papiers du père qui va lui fournir sa principale documentation touarègue et auquel il pose vraiment parfois des ques- tions… déconcertantes. J’ai réussi tout de même à le décrocher et après cette dernière séance de travail, nous sommes allés pour la dernière fois déjeuner ensemble. Le brave père, qui d’ordinaire fait sa cuisine lui-même et par suite mange peu, se rattrape les jours où il y a du monde ici et il fait très gaiement honneur à nos repas. À midi, on se lève de table et à pied

Le Saharien 232 - 1er trimestre 2020 27 Paul Pandolfi on se dirige vers les maisons (avec murs S.V.P.) que le général Laperrine fit autrefois construire pour l’amenokal-sultan du Hoggar, Moussa ag Amastane. C’est là que loge son khalifa (représentant) Aflane et la célèbre Dassine dont nous allons prendre congé. On nous montre un modèle d’akhaoui, selle pour dames, fait par Dassine elle-même et qui me paraît mieux qu’un bassour. Je lui en ferai fabriquer un à ton intention. À une heure nous prenons enfin congé de tout le monde et le Père de Foucauld que l’idée de ta prochaine arrivée ravit, me charge de te présenter tous ses respects. Dassine m’assure qu’elle te recevra du meilleur accueil et qu’avec ses amies, les dames nobles du Hoggar, elles te montreront tous leurs travaux, étant toutes fort adroites de leurs doigts. »

« Les maisons avec mur » évoquées par Meynier sont en fait une construction destinée à Mûsa ag Amastan. Située sur la rive droite de l’oued, en amont de ce qui était alors le petit centre de Tamanrasset, cette maison qui comportait un étage, grande nouveauté pour l’époque, fut dénommée « douro » par les habitants. Sa construction eut lieu en juillet 1908 sur ordre de Laperrine (voir Foucauld 1998, p. 630 et Pandolfi 2006, p. 240)1. Dans un texte publié en 1913, Laperrine met en rapport la construction de Fort-Motylinski et celle de la résidence de Mûsa : « Pour atténuer le petit froissement d’amour-propre que cette construction pouvait causer à Moussa, il fut entendu que, conformément à son désir souvent exprimé, je lui ferais construire une maison de commandement à Tamanr’asset. » (p. 522)

Ce même jour, le Père de Foucauld écrit au général Laperrine : « Ici, il (= Meynier) a été reçu par Aflan, Dassîn et Ouksem. Il a été extrêmement aimable pour tous, et tous sont enchantés de lui. Il voyage avec une très petite escorte qu’il a composée exprès de moitié de Touaregs, moitié d’Arabes ; il s’est mis à l’étude du touareg. » (in Sourisseau : 596) Un peu plus tard, dans une lettre à René Basset, datée du 27 février 1914, le Père de Foucauld écrira : « Le nouveau commandant supérieur des oasis sahariennes est le commandant Meynier, précédemment officier d’ordonnance du Gouverneur général de l’Algérie. C’est un homme plein

1. Négligées depuis plusieurs décennies, les ruines – laissées à l’abandon – de cette batisse sont encore visibles à l’heure actuelle.

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Les ruines de la maison de Mûsa ag Amastan d’activité qui a non seulement recommandé, mais commandé l’étude des Touaregs aux officiers et sous-officiers français du pays touareg ; il donne l’exemple et l’apprend lui-même. »1

Quant à Meynier, après son départ de Tamanrasset, il continuera à proposer à son épouse de venir séjourner – durant la saison chaude – dans l’Ahaggar. Là, selon lui, elle pourra utilement s’employer : «Tu auras bien des observations de mœurs à faire ici si tu veux t’y intéresser. Tu sais d’ailleurs que je t’ai annoncée déjà à tout le monde ici et dans l’all- ocution très étudiée que je vais adresser dans quelques jours à l’aménokal Moussa, je te cite à preuve de mon désir de faire ici de la bonne besogne d’amicale et fraternelle collaboration, comme devant venir me joindre sous peu en pays touareg. /.../ Quelle belle tâche sera la tienne, si tu le veux ma toute chérie. Tu m’aideras à amener pour toujours à la France toute cette population touareg qui est tellement belle, si près de nous, si intéressante. Le Père de Foucauld qui rêve de faire venir ici des femmes de France – Croix rouge (et après tout pourquoi pas ?) – serait désireux que tu prennes leur direction et il y aurait là, en dehors de tes enfants, bien des choses pour t’intéresser. »

La tournée du commandant Meynier atteindra Boughessa le 9 février 1914. Là, deux déceptions l’attendaient. La jonction prévue avec les forces soudanaises ne put se réaliser. Il s’en explique dans la lettre qu’il envoie alors à son épouse : « Nous devions ici rencontrer un détachement soudanais avec lequel j’avais projeté tout un plan d’opérations, mais malheureusement je n’ai vu venir ici que le commandant du bataillon de Tombouctou, mon 1. De même, dans une lettre au colonel Voinot, datée elle du 25 avril 1914, le P. de Foucauld se réjouit de l’activité déployée par le Cdt Meynier (in Gorrée 1946, p. 134).

Le Saharien 232 - 1er trimestre 2020 29 Paul Pandolfi camarade Cauvin, avec deux Sénégalais, car l’état de ses chameaux et le peu d’expérience de ses tirailleurs ne lui ont pas permis de venir nous rejoindre… ».

Restait cependant l’espoir qu’un autre objectif de cette tournée, la rencontre avec Mûsa ag Amastan, pourrait lui se réaliser. « Je compte aujourd’hui ou demain recevoir la visite de Moussa ag Amastane le chef des Touareg Hoggar. Cela va être l’incident marquant de mon arrêt à ce puits de Boughessa… » (ibid). Espoir là aussi déçu. Le commandant Meynier quittera Boughessa sans avoir rencontré le chef des Kel Ahaggar. Dans une lettre, datée du 27 février 1914, le Père de Foucauld ne s’en montrera pas surpris : « Aujourd’hui même, j’ai appris que Moussa n’est pas arrivé en temps voulu et que vous ne l’avez pas vu : c’est un gros homme irrémédia- blement lent. » (Gorrée 1946, p. 395). Mais Meynier aura au moins une satisfaction : il peut confier le journaliste Lefranc à ses camarades soudanais et c’est peu dire qu’il s’en réjouit, vu les rapports conflictuels qui s’étaient établis entre les deux hommes. Meynier va ensuite très vite remonter vers le nord. Il sera à In Salah le 20 mars et arrivera à Ouargla, son lieu de résidence administrative, le 6 avril. Mais, peu après, il repart à nouveau en tournée. Cette fois-ci, c’est vers la partie Est de l’immense territoire dont il a la charge qu’il se dirige1. Accompagné du lieutenant Bettembourg et du brigadier Laulanier, il atteint Ghadamès le 26 mai. Il y sera – selon ses dires – fort bien reçu par les officiers italiens en poste dans ce lieu2. Le lendemain de son arrivée, il écrit à son épouse : « J’ai été enchanté de recevoir dans Ghadamès l’hospitalité la plus courtoise et la plus complète qui puisse s’imaginer ». Après cette halte, le commandant Meynier se rendra successivement à Fort Polignac

1. « Pour connaître à fond mon territoire et bien mériter le repos de l’année prochaine, il me faut au préalable avoir parcouru tout mon territoire et pris contact avec tous mes voisins » écrit le Cdt Meynier à son épouse le 19 mai 1914. 2. « Ce matin enfin j’ai fait la visite de Ghadamès. J’en rentre réellement émerveillé, car tu ne peux imaginer ville indigène plus riche et mieux conservée et plus curieuse aussi. Nous avons circulé dans des rues tunnels avec de temps à autre des éclaircies de ciel. au beau milieu de la ville la source qui alimente l’oasis se présente sous la forme d’un immense bassin où l’eau jaillit à gros bouillons/… /Bref je suis enchanté de mon séjour trop bref ici et je repartirai demain dans l’après-midi avec un entouthiasme modéré jusqu’au poste de Polignac à dix jours d’ici. Je n’y trouverai certainement pas les curiosités de cette ville radamésienne, mais j’y serai chez moi. »

30 Le Saharien 232 - 1er trimestre 2020 Foucauld vu par Meynier (1914) puis à qu’il atteindra le 18 juin. Il s’y arrêtera plusieurs jours avant de prendre la direction de l’Ahaggar. Mûsa qui se trouve alors à Motylinski où il devait assister aux festivités prévues pour le 14 juillet vient au-devant de lui. Le 4 juillet, à Tin-Tarabin, la rencontre entre le militaire français et le chef touareg a enfin lieu. Meynier arrivera à Fort Motylinski le 8 juillet. Il y restera plusieurs jours pour y fêter le 14 juillet avec les hommes qui se trouvaient en garnison à cet endroit. Il avait proposé à Foucauld de l’y rejoindre pour participer aux réjouissances programmées pour la fête nationale, mais ce dernier avait décliné cette invitation1.

La deuxième rencontre (juillet 1914)

Meynier se rendra à Tamanrasset le 16 juillet et en repartira le 18 (voir Foucauld 1986 : 302-303). C’est sa deuxième et dernière rencontre avec le Père de Foucauld. De ce court séjour, Meynier retient surtout les échanges qu’il eut alors avec le P. de Foucauld et, selon lui, leur parfait accord quant aux projets à mettre en œuvre au Sahara. Dans une lettre datée du 24 juillet, il écrit : « L’autre jour je t’écrivais de Tamanrasset où je me trouvais en visite chez le Père de Foucauld. J’avais vainement essayé de le faire venir pour le 14 juillet à Taraouhaout, mais le brave père n’aime pas le bruit ni les fêtes. Il a craint aussi de troubler notre gaieté et il est resté sagement à Tamanrasset espérant bien que je viendrais l’y voir et que nous pourrions causer. Car tu ne peux soupçonner à quel point nos idées, nos façons d’envisager les rapports avec les indigènes, les améliorations à apporter au pays, etc., coïncident et sauf que le bon Père est de tempérament bien plus militaire et bien plus absolu que moi, et que pour lui le respect de la vie humaine (pour les bandits s’entend) est moins fort que chez moi, nous nous comprenons à merveille. Nous avons échafaudé ensemble beaucoup de beaux projets, quelques-uns peut-être châteaux en Espagne, mais d’autres prêts de se réaliser si je veux – tel l’éta- blissement d’une piste auto entre In-Salah et le Hoggar que je fais étudier

1. « … j’ai quitté Motylinsky pour venir ici voir le Père de Foucauld que j’avais invité à Tarhaouhaout pour le 14 juillet, mais que le bruit avait effrayé. D’ici je partirai faire quelques ascensions sans danger et très pittoresques dans le Hoggar et j’arriverai à où je resterai jusqu’au 15 août, avant de remonter vers In-Salah… et vers la chaleur. “(lettre du 16 juillet 1914)

Le Saharien 232 - 1er trimestre 2020 31 Paul Pandolfi incontinent… L’installation au Hoggar de la majorité des Européens qui dépérissent à In-Salah pendant la saison chaude… tout un programme de cultures potagères et arbori… (je ne sais comment) introduites ici. Bref, nous entraînant l’un l’autre notre imagination forme les projets les plus séduisants pour un avenir prochain. »

Tout indique que les opinions de Foucauld et de Meynier se rejoignaient grandement quand ils envisageaient le futur de l’Ahaggar. Cette volonté commune de progrès matériel passait notamment par une politique de désenclavement de la région. D’où leur objectif de créer des pistes reliant les principaux centres du sud algérien et au-delà. Dans un courrier adressé à Meynier, le 1er septembre 1916, Foucauld se réjouit de l’avancée de ce projet : « L’arrivée à Insalah de la première voiture automobile a été une grande satisfaction pour vous ; vous savez à quel point je la partage. Le tronçon Meniet-Tamanrasset est fait ; le tronçon Insalah-Meniet sera bientôt terminé, j’espère. Espérons que les automobiles feront bientôt le voyage et que ce succès décidera à construire les pistes Tamanrasset-Kidal et Tamanrasset-Agadez dont je désire si vivement l’établissement. » Mais d’autres projets furent évoqués entre les deux hommes. Ainsi dans une lettre adressée le 2 août 1914 à Meynier, Foucauld envisage différentes possibilités en vue de créer un « orphelinat touareg » qui avait manifestement été évoqué par les deux hommes : « J’ai bien pensé, depuis votre départ, au personnel d’un orphelinat touareg. Je vois six solutions, qui ont toutes des difficultés ou des inconvénients. /.../ Je vous serais bien reconnaissant de penser à ces diverses combinaisons et aux autres que vous trouverez comme vous en avez le temps, et de me dire vers lesquelles vous inclinez ; si vous m’engagez à faire des démarches pour l’une de ces six combinaisons, ou pour une autre, je les ferai… »1

Dans la suite de sa lettre du 24 juillet, Meynier évoque un autre projet de Foucauld, mais cette fois-ci en gardant davantage ses distances. Selon lui, en effet, « Le bon père va même beaucoup plus loin que moi, et n’est pas éloigné de penser à des unions légitimes entre Français et femmes touareg, ce en quoi il n’a tort, je crois, que lorsqu’il veut au préalable envoyer les

1. Lettre inédite que nous avons pu consulter à la Maison diocésaine Charles de Foucauld à Viviers.

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Le Père de Foucauld assis (à gauche) devant son ermitage. dites femmes en France ou en Algérie pour apprendre la couture… voire le piano. » Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Meynier présente cette idée de Foucauld d’encourager des unions mixtes entre militaires français et femmes touarègues. Dans une lettre précédente, datée elle du 10 juillet 1914, il écrivait : «… je dois faire également les devis pour l’installation d’un grand jardin potager doublé d’un verger, si bien que mes Français seront très bien, même l’été, au Sahara et seront contents et dans les meilleures conditions pour faire du bon travail. Il ne leur manquera même pas des petites « épouses » touareg et le Père de Foucauld y voit déjà l’amorce d’une race nouvelle franco-berbère, intéressante à tous points de vue. Inutile de t’assurer que ce dernier point de la question est exclusivement réservé aux habitants du poste et que personnellement les charmes de ces dames ne m’attirent point. »

Dans sa correspondance du 24 juillet 1914 Meynier estime que, sur de nombreux points, les Touaregs sont proches des Européens. « Du reste, plus cela va, plus je suis frappé des points de ressemblance entre les Touareg et notre race. » Or ce rapprochement est présenté en opposition à la relation instaurée avec les populations arabes. Ainsi, dans une autre lettre (30-

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07-1914), il écrira : « Tu ne peux imaginer à quel point mes administrés touareg m’intéressent par leur intelligence éveillée, leurs curiosités et leurs ressemblances avec nous. Il me semble avoir affaire à des gens intelligents et toujours distingués de chez nous. Ils marchent avec enthousiasme dans les directions qu’on leur indique et qui leur paraissent profitables ! Quelle différence avec l’apathie dédaigneuse des Arabes, leurs voisins. » C’est dire que, sur ce point, Meynier reprend la caractéristique la plus marquée du « stéréotype touareg ». Les Touaregs sont valorisés, pensés comme proches de nous, et cette appréhension positive inclut une différenciation d’avec les populations arabes voisines (cf Pandolfi 2001). Mais, juste après ce passage, Meynier distingue les nobles des vassaux. Autant le jugement concernant les premiers est négatif autant les seconds lui paraissent dignes d’intérêt. « Parmi eux du reste il y a toute une catégorie, les aristos, qui ne vaut pas plus chipette que nos petits noceurs parisiens… décavés. Les nobles, depuis notre arrivée, n’ont plus aucun moyen d’existence sinon la mendicité déclarée auprès de leurs vassaux d’autrefois. Actuellement cela va encore, mais je crois que cela ne sera pas pour longtemps, car les anciens vassaux devenus libres, connaissent maintenant le prix de l’argent, veulent devenir riches, même au prix du travail qu’ils ne redoutent point et ils sont désormais moins disposés à se laisser tondre par des oisifs. »

L’influence de Foucauld nous semble ici manifeste1. Celui-ci s’est toujours montré extrêmement critique envers ces « apaches » que sont les nobles. A contrario, il a toujours présenté les vassaux comme de « braves gens », des personnes sur lesquelles devait s’appuyer toute politique destinée à amener progrès et bien-être en Ahaggar (cf Pandolfi 2017). Exemple parmi bien d’autres, cette lettre adressée le 9 janvier 1912 à Joseph Hours. La « caste » noble y est ainsi présentée : « pauvre, fastueuse, dépensière, sans foi ni loi, menteuse, de mœurs ultra légères, orgueilleuse, insolente par goût et par préjugé, regardant tout travail comme indigne d’elle… » Dans cette même lettre, le P. de Foucauld définit ainsi les vassaux : «… laborieux, économes, très simples dans leur vie ; beaucoup ont une grande droiture naturelle et sont de braves gens ; ils sont habituellement bons et charitables entre eux ; /… /, des gens reconnaissants et délicats, qui ressemblent beaucoup à de

1. Elle l’est très certainement aussi dans le jugement similaire que porte Paul Vermalle sur les nobles et les vassaux (1995, p. 160-163)

34 Le Saharien 232 - 1er trimestre 2020 Foucauld vu par Meynier (1914) bons campagnards de France avec souvent plus de distinction naturelle…» (2005, p. 81-82). Le 18 juillet, en début d’après-midi, le commandant Meynier, accom- pagné du brigadier Laulanier, quittait Tamanrasset pour se diriger vers Tazrouk. Mais avant de rejoindre ce village, il dut traverser l’Atakor et il fit halte à l’Assekrem1 qu’il décrit ainsi à son épouse : « Le lendemain, ascension de l’Assekrem, ermitage que le P. de Foucauld s’est fait construire par 2 800 m d’altitude dans un site ravissant, mais combien difficile à atteindre ! Le bon père lorsqu’il est là-haut se trouve à une heure d’une source qui produit chaque heure un peu plus d’un litre d’eau. Il n’a du bois que très loin et pas de voisins à moins d’une journée à la ronde. Si bien que si il veut bien, lui, y rester, se reposant de ses travaux par la méditation, il n’a pu jusqu’ici trouver personne pour lui tenir compagnie. » Meynier arrivera à Tazrouk le 24 juillet. Il n’en repartira que le 15 août pour remonter sur In Salah. Dans son courrier du 2 août 1914, Foucauld avait conseillé un itinéraire : «J’espère que vous ferez un bon voyage de retour. En serrant de près le pied des monts Tefedest, vous aurez de forts beaux paysages, surtout vers la vallée d’Ouhet et le Mont Oudan ; ils ressemblent plus que l’Atakor à nos sites de France ; ce sont des chaînes et des massifs au lieu d’être un désordre de pics et d’aiguilles. »

Le commandant et le Père de Foucauld se sont donc côtoyés un peu moins d’une semaine au total. Si l’on s’en tient aux correspondances tant de Meynier que de Foucauld, ces deux rencontres furent fructueuses. Le premier nommé s’était d’ailleurs promis de revenir à Tamanrasset et même d’y emmener sa femme et sa fille. Mais l’histoire en décida autrement. Le 26 août, alors qu’il se trouvait à , Meynier reçut l’avis de la déclaration de guerre2. Au Sahara même, la situation le contraignit à se porter rapidement sur la frontière avec la Tripolitaine.

1. Une lettre du P. de Foucauld, datée du 2 août 1914, nous apprend qu’il avait confié la clé de son ermitage au commandant Meynier. 2. L’Allemagne avait déclaré la guerre à la France le 3 août 1914 et dès le 4 août les troupes allemandes étaient entrées en Belgique. C’est donc avec beaucoup de retard, dû aux difficultés de transmission dans le Sahara de l’époque, que le Cdt Meynier fut informé. Quant à Ch. de Foucauld il n’apprit la nouvelle que le 3 septembre 1914 (voir 1986 : 310).

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S’ils ne se revirent pas, les deux hommes continuèrent à s’écrire. Cer- taines des correspondances de Foucauld sont reproduites dans l’ouvrage Les Amitiés sahariennes du Père de Foucauld 1. On y voit le « marabout » exposer longuement la situation qui règne alors au Sahara central. De son côté, Meynier n’aura pas l’occasion de retourner à Tamanrasset et d’y retrouver Foucauld. Ce dernier en avait pourtant le désir. Le 1er septembre 1916, ayant appris la promotion du commandant Meynier au grade de colonel, il lui transmet ses félicitations et ajoute : «Je voudrais vous les faire bientôt de vive voix. Les événements et les menaces de la frontière tripolitaine vous permettront-elles de venir bientôt dans l’Ahaggar ? Je le voudrais, je le souhaite ardemment. Vous savez combien, par la force des choses, l’Ahaggar se trouve délaissé depuis que vous l’avez quitté en août 1914 et combien lui serait utile votre visite ».

Mais cette rencontre n’eut jamais lieu. Trois mois après l’envoi de cette lettre, le 1er décembre 1916, le Père de Foucauld était tué. En janvier 1917, à l’instigation du général Lyautey, le général Laperrine faisait son retour au Sahara. Il était alors nommé commandant supérieur des territoires sahariens. Meynier quitte lui le Sahara pour prendre le commandement du 1er régiment de tirailleurs algériens sur le front de Verdun. Il y sera sérieusement blessé le 5 avril 1918 : le bras gauche arraché par un obus. Il reviendra cependant au Sahara. Le 20 mai 1925, il est nommé chef du cabinet militaire de M. Violette, gouverneur général de l’Algérie, et le 1er janvier 1926, directeur des Territoires du Sud. Il prend sa retraite en 1935, avec le grade de général de brigade.

1. Dans cet ouvrage sont reproduites onze lettres adressées par le P. de Foucauld au Cdt Meynier. En introduction, G. Gorrée cite un courrier que le Cdt Meynier lui a fait parvenir le 14 janvier 1941 : « J’ai voulu rechercher dans mes archives personnelles, qui sont volumineuses, les lettres du Père de Foucauld qui pouvaient y rester. Mes recherches sont hélas demeurées presque sans résultats… Mon regret est d’autant plus grand que, dans le très important ensemble de lettres que le Père de Foucauld m’avait adressé, il y en avait toute une série consacrée aux “nouveautés” que les Français introduisaient à cette époque au Sahara : T.S.F., automobiles, avions… » (1946 : 393)

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Bibliographie

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