Gaston LAURENCIN

Histoire de Champier et de sa région

EDITIONS DU CNRS Nous remercions vivement Monsieur J. Revole et l'ensemble de la municipalité de Champier qui ont favorisé et soutenu la réalisation de cet ouvrage.

7ème Circonscription du CNRS : Ain, Allier, Ardèche, Cantal, Côte-d'Or, Doubs, Haute-Loire, Haute-Saône, Jura, Loire, Nièvre, Puy-de-Dôme, Rhône, Saône-et-Loire, Yonne.

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I.S.B.N. 2.222.02841.8 A ma femme, A mes enfants, A mes petits-enfants. G. LAURENCIN

AVANT-PROPOS

Champier, modeste village de sept cents habitants, situé dans la région des Terres Froides, sur la route Lyon- ne présente rien de particulier qui puisse solliciter la curiosité des touristes en quête de pittoresque ou de souvenirs. Ni château, ni abbaye, ni église pour retenir l'attention ; aucun événement marquant, aucune grande bataille, aucune rencontre de personnages célèbres ne justifie la moindre men- tion dans l'histoire générale ; le paysage lui-même formé de collines modérées couvertes de taillis paraît bien pâle à côté des Alpes presti- gieuses dont on aperçoit dans le lointain les cimes enneigées. Cette apparence est trompeuse : Champier, ignoré de l'Histoire, a un long passé dont ce livre essaye de soulever les voiles. Il faut que le lecteur se rende compte des difficultés d'une telle entre- prise et de ses limites. L'histoire n'est pas une oeuvre d'imagination ; elle ne peut se fonder que sur des documents authentiques. Si certaines villes, plus importantes que notre petite commune sont tellement riches en archives, que les spécialistes n'ont jamais fini d'en dresser l'inven- taire, Champier est un peu comme un voyageur sans bagages : les archi- ves de la mairie se réduisent aux registres d'Eglise sous l'Ancien Régime, aux registres d'état civil et aux délibérations du conseil municipal depuis la Révolution. Cependant il faut noter une relique d'une valeur inestimable : un beau parcellaire du XVIIe siècle. Pour compléter la documentation, il faut aller glaner de rares informations aux archives départementales de l'Isère, du Rhône, de la Savoie, dans les biblio- thèques de Lyon, Grenoble, Vienne, parfois même aux archives natio- nales. Il est évident que je ne serais jamais venu à bout de ce livre, si je n'avais été aidé par les recherches de Ferdinand Badin, faites à la fin du siècle dernier. Cette oeuvre importante, restée manuscrite, se trouve à la Bibliothèque de Grenoble : elle constitue un précieux recueil de docu- ments sur l'histoire de notre région. Malheureusement elle n'a jamais été connue des habitants de Champier. Je remercie les membres de l'Université qui m'ont aidé de leurs conseils et encouragé dans mon entreprise ; je remercie également Monsieur le Maire et la municipalité de Champier qui ont participé à la publication de cet ouvrage. Je n'ai pas la prétention d'avoir résolu toutes les énigmes d'un passé souvent obscur : les futurs chercheurs auront encore matière à aiguiser leur sagacité. Mais je m'estimerai grandement satisfait, si mes compatriotes se passion- nent pour l'histoire de leur petit pays. G.L. LIVRE I

LA PERIODE GALLO-ROMAINE ET LES "SIECLES OBSCURS" Champier est situé dans une vallée qui brise la chaîne des collines et permet une communication facile entre la plaine du Liers et le plateau d'Eclose et de Badinière. I — La période gallo-romaine C'est plus d'un siècle avant notre ère que les Romains firent la con- quête de notre région où régnait la tribu des Allobroges. L'Empire Romain devait durer jusqu'au milieu du cinquième siècle où il s'écroula sous la poussée des invasions barbares. C'est une banalité d'affirmer que cette civilisation qui brilla d'un vif éclat a laissé dans notre histoire une empreinte ineffaçable : Rome nous a donné sa langue, son droit ; elle nous a appris à tracer des routes, à construire des temples, des théâ- tres, en un mot à bâtir des cités organisées. Dans des villes comme Vienne, Lyon, Bourgoin il suffit de creuser le sol pour voir surgir des poteries, des statues, des mosaïques, des inscriptions, vestiges de ce loin- tain passé. Notre région, qui était à l'écart des grandes voies romaines et qui fut pendant longtemps d'une pénétration difficile, était déjà un centre d'habitation à l'époque gallo-romaine et nous en trouvons encore quel- ques traces : • Une villa romaine à Lanconnay C'est ainsi qu'en 1893 Ferdinand Badin découvrit les fondations d'une construction gallo-romaine au sud-est du carrefour de Lanconnay, au croisement des routes de Champier à la Côte-Saint-André et de la Tour-du-Pin à Serrières. Les vestiges se trouvaient à environ 150 mètres dudit carrefour. Cette terre porte le nom de Couvent et faisait autrefois partie d'un communal, terrain vague, landes et bruyères où les habitants menaient paître leurs troupeaux. C'est l'état même du terrain qui a conservé à tra- vers les siècles les ruines d'une villa romaine et il faut se rappeler que c'est seulement au XIXe siècle qu'on a entrepris de défricher systémati- quement la plaine de la Blache et du Liers. Une portion du terrain en question était pleine de débris de maçonnerie, ce qui la rendait peu propre à la culture : son propriétaire voulut la miner. Le travail fit découvrir quantité de tessons de poterie auxquels on ne prêta d'abord aucune attention. Mais lorsqu'on connut la nature des objets trouvés, on prit des mesures pour recueillir ceux qu'on découvrirait encore. • Description des lieux Par l'examen des fondations, il a été permis de reconstituer à peu près la disposition des bâtiments. Grossièrement on peut dire que la villa (en latin villa désigne la ferme) était constituée de deux corps de bâtiments parallèles séparés par une cour : à droite était la maison d'habitation et à gauche les bâtiments ruraux. Le sol de trois pièces était recouvert d'une sorte de mosaïque formée d'un mélange de mor- tier et de petits morceaux de tuiles brisées. Un aqueduc, dont il serait facile encore de retrouver les traces, amenait dans cette habitation les eaux de la fontaine qui flue actuel- lement au nord du pré dit des Serves. Il se dirigeait du nord au sud en longeant le bas du coteau de Lanconnay. Il avait un peu moins d'un kilomètre de longueur ; il n'était pas constitué par des tuyaux mis bout à bout, mais fait en béton avec une couverture en pierres erratiques et mesurait 15 centimètres carrés environ de vide. Un abreuvoir en maçon- nerie avec un revêtement intérieur en mosaïque recueillait l'eau au nord de la villa. Les bâtiments furent détruits par un incendie, comme le prouvent les nombreux morceaux de charbon trouvés sur toute la surface bâtie. Le choix du lieu était particulièrement heureux puisqu'on avait de l'eau en abondance : eau potable venant de la source des Serves et eau courante du ruisseau de Vauchesse tout proche. Au moment des labours, quand la terre est fraîchement retournée, les curieux trouveront facilement l'emplacement signalé et ils pourront VOIES ROMAINES

Les voies romaines contournent La région des Terres Froides

LA VILLA ROMAINE DE LANCONNAIS Plan schématique constater que les débris de briques, de tuiles sont répandus sur une grande surface, ce qui laisse supposer qu'il y a peut-être eu plusieurs constructions.

• Les objets trouvés 1) un petit buste en bronze servant d'applique à un vase, avec la lame également en bronze, sur laquelle il était soudé. 2) une pièce de monnaie, fort usée, à l'effigie de l'empereur Vespasien, fondateur de la première famille Flavienne qui régna de 69 à 79. 3) une grosse brique en terre rougeâtre portant l'estampille de CLARIANUS, potier célèbre de la vallée du Rhône. 4) un fragment de fond de vase, en terre grise portant l'estam- pille de SEVVO, potier dont l'atelier se trouvait à Vienne et qui fabri- quait dans les premiers temps de l'occupation romaine. 5) un autre fragment de fond de vase en terre grise portant le sigle FECIT. 6) un autre fragment de vase gris cendré portant le sigle MICAM. Nous insistons sur ces objets parce qu'ils fournissent un repère chronologique. Il n'y a pas d'erreur possible : cette villa est bien de l'époque romaine. On trouve encore beaucoup d'autres objets moins significatifs : des tessons de poterie d'origine italienne ou grecque, de la vaisselle brisée, des tuiles romaines, un grand nombre de morceaux de marbre et de pierre sous formes de tablettes et enfin des instruments agricoles ou domestiques : une houe, un gros trident, un fer de lance, deux haches, deux serpes, deux pelles à feu, deux crémaillères, une clochette à boeufs etc.

• Autres vestiges trouvés à Champier Ferdinand Badin signale des vestiges de bains ou abreuvoir au bois Pitou, un vase à trois pieds gris cendré jaune trouvé au Gouin à Flévin, des tuiles romaines au Gouin, au Mas de Combayoud. Nous-mêmes, nous avons trouvé des tuiles romaines au Bois Pitou, aux Grolles (à l'emplacement de la piste d'autocross). La seule conclusion que l'on puisse tirer de ces découvertes est assez décevante : dans notre région, à l'époque gallo-romaine, il y avait certainement des habitations dispersées, mais y avait-il un village ? C'est peu probable.

• Les noms de lieux d'origine latine Pourtant le mot Champier (1) vient certainement du latin : c'est un dérivé de campus. Ce nom latin désigne la plaine, dans son sens premier, ce qui ne convient guère pour désigner notre région au relief plutôt tourmenté. Mais ce même mot avait pris un grand nombre de sens et il est un de ceux qui ont été les plus utilisés pour former des noms de villages ou de lieux-dits. Dans le même ordre d'idées, mentionnons que Flévin, hameau de Champier, vient du latin "Flavianus", nous avons vu plus haut que l'Empereur Vespasien fut le fondateur de la première famille Flavienne. Toujours au hameau de Flévien existe une combe qui est dénom- mée dans le terrier des Buffevent en 1435, "Combe Jovere" et qui s'ap- pelle encore "Combe Jove" c'est-à-dire le mont de Jupiter. Au-dessus de la Combe Jovere existe un mamelon qui porte dans le terrier des mêmes Buffevent le nom de "Marmont", c'est-à-dire "le mont de Mars", dieu de la guerre. Tous les habitants de Flévin connaissent la cave des Marmots à Gouran. Ce mot de marmots qu'on a appliqué à une famille n'est qu'une déformation de Marmont et désigne à l'origine un lieu-dit. Il est probable que Martinan, lieu-dit de Flévin, est une défor- mation de Marmont (2).

II — Les siècles "obscurs"

Les historiens appellent ainsi la longue période qui s'étend du mi- lieu du Ve siècle à l'an mille. Nous manquons de documents pendant plus de six siècles. Cela ne signifie pas d'ailleurs que rien d'important ne se soit passé. Beaucoup de signes nous permettent d'affirmer que c'est dans cette période que s'est constituée, étendue et consolidée la puissance des grandes familles qui allaient dominer notre région, en particulier celle des Bocsozel. Autre fait important : l'extension du christianisme et sa victoire totale sur le paganisme. Les historiens pensent que les paroisses étaient déjà fixées au VIe siècle. Notre région dépendait du diocèse de Vienne. Nous y reviendrons plus loin.

NOTES

1 — Le nom de notre village n'est attesté qu'à une date récente et sous les formes suivantes : CHAMPEES (XIIIe et XIVe siècles), CHAMPERS (XIIIe siècle), CHAMPES (XIVe siècle), CHAMPIES (XVe siècle), CHAMPIACI (latin ecclésiastique XVIe siècle), CHAMPIERES (XVIe siècle), CHAMPIEZ. 2 — Antonin Macé, traduisant Aymar du Rivail, écrivain du XVIe siècle, qui écri- vit en latin une histoire des Allobroges, crut à tort que CHEPPIA correspon- dait à CHAMPIER, alors qu'il s'agissait de Chépie (aujourd'hui Saint-Jean-de- Chépie, hameau de la commune de ). A la suite de cette erreur, Crozet, dans Description du Département de lIsère, 1869, attribue à Champier un grand nombre d'inscriptions de marbre gravées par les Romains, inscriptions qui n'ont jamais existé. HISTOIRE GENERALE

Quelques dates

121 avant J.C. Victoire romaine sur les Allobroges. 1029-30 L'archevêque Bouchard inféode le sud-Viennois à Guigue "le Vieux" et le Nord au comte de Savoie. L'acte de naissance du Dauphiné est scellé. La région des Terres Froides fait partie de la Savoie. 1084 Saint Bruno fonde la Grande-Chartreuse. Fin du XIe siècle : Fondation de Saint-Antoine. 1100 Fondation de l'abbaye du Chalais. 1117 Fondation de l'abbaye de Bonnevaux. Deuxième moitié du XIIe siècle : fondation du MOUSTIER de BOCSOZEL. 1349 Humbert vend le Dauphiné au. Roi de : Champier reste rattaché à la Savoie. 1355 Traité franco-savoyard de Paris : le Faucigny est rattaché à la Savoie et le Viennois est rattaché au Dauphiné. Le Dauphiné, en théorie, reste rattaché à l'Empire Germanique. 1378 L'empereur d'Allemagne renonce à ses droits sur le Dauphiné.

LIVRE II

DE L'AN MIL A 1789

CHAPITRE I : LA NOBLESSE

Origine du nom de

Tous les historiens du Dauphiné sont maintenant d'accord : ces familles de guerriers qui apparaissent vers l'an mille étaient d'origine locale. A défaut de textes, l'étude de la toponymie laisse entrevoir dans un passé fabuleux l'existence de princes qui régnaient sur des territoires considérables. Les Francs n'élevaient pas des arcs de triomphe pour célébrer leurs victoires ou éterniser leur mémoire ; peu sensibles à l'architecture, ils se contentaient, pour laisser une empreinte dans l'histoire, de baptiser de leurs propres noms les lieux sur lesquels s'exerçait leur autorité. Le nom même de Bocsozel, si longtemps mysté- rieux, s'éclaire lorsqu'on le rapproche d'autres noms de lieux. Ce nom en fait est assez répandu, Bocsozel vient du nom d'homme Boggis, Bodegisillus : forme complète employée par les clercs. Au 7ème siècle, Saint Arnoulf, conseiller du roi Dagobert, était le fils de Boggis et d'Oda. Vers la fin du VIIIe siècle, on retrouve un autre membre de la famille : le duc Arnoald Boggis, marié aussi à une Oda.. Ce nom a une grande extension géographique : en Savoie, le vieux nom des Bogis, Bozel en Tarentaise, qui est le pendant de Bocsozel en Viennois, Boëge en Haute-Savoie. Il faudrait tenir compte aussi de tous les lieux-dits Bougé. On peut, sans témérité excessive, imaginer des princes d'origine franque dont le pouvoir s'étendait depuis le Viennois jusqu'à la Tarentaise. La richesse foncière en "alleux" des Bocsozel confirme l'ancien- neté de leur famille. L'alleu ou franc-alleu était un domaine possédé en toute propriété sans aucun lien de subordination du propriétaire. C'était donc un privilège exorbitant dans le monde féodal, où chaque détenteur d'un fief devait l'hommage au seigneur qui lui avait concédé le fief. Il est probable qu'au moment de la conquête franque, des terres avaient été distribuées aux guerriers francs avec jouissance et propriété sans aucune restriction.

Les seigneurs de Bocsozel L'historien C. Renaux faisait remarquer que "les membres de cette famille se rencontrent si constamment à la suite des princes de Savoie qu'on les croirait volontiers unis à eux par quelque alliance de famille". Cette hypothèse est confirmée par les textes : Humbert I de Bocsozel n'est pas nommé parmi les fondateurs de la Chartreuse en 1104 mais parmi ceux de la Correrie en 1129. Six familles y ont par- ticipé : - Boniface de Miribel et ses fils Amédée et Humbert ; - Borno, Ademar et Amédée de ; - Humbert de Bocsozel ; - Berlion et Guifred de , seigneurs de Tolvon ; - Guillaume et Hugues de Martel ; - Ademar et Humbert, fils de Pagan. Il est certain qu'ils étaient tous apparentés entre eux et descen- dants d'Humbert-aux-Blanches-Mains. On remarque aussi que les noms d'Humbert, d'Aimon, d'Amédée reviennent sans cesse dans les premiers degrés de leur généalogie. Humbert I de Bocsozel a joué un rôle très important à la cour d'Humbert II et d'Amédée III de Savoie. L'alliance avec la famille com- tale ressort clairement d'une charte contenue dans le Cartulaire de Domène. Vers 1104, Humbert de Bocsozel et son frère Aimon donnent au prieuré de Domène une vigne en Maurienne pour le repos de l'âme de leur frère Jean le moine, de leurs parents et du comte Humbert II, père d'Amédée III. Le comte Amédée est témoin. La mention du comte Humbert à la suite des parents du donateur est assez significative. Ruines du château de Bocsozel, au début de ce siècle. La toiture était encore en bon état et la tour était habitable. Mais le temps a fait son oeuvre, la toiture maintenant est pourrieaccentuées. ; les Ildégradations serait nécessaire se sont de fixer ces ruines vulnérables dans leur état actuel ; sinon dans quel- ques décades, il n'y aura plus qu'un tas informe de cailloux.

Autre argument : c'est à Bocsozel qu'apparaissent pour la première fois les membres de la Maison de Savoie, le comte Humbert-aux-Blan- ches-Mains et ses frères, l'évêque de Belley, Odon et Bouchard de Saint-Genis. La famille possédait sans doute le château et ses dépen- dances. Le château devint le chef-lieu d'un mandement décrit ainsi par Guy Allard : "ses limites étaient à l'ouest, un chemin appelé Saint- Martin, allant de Vienne à Saint-Marcellin, par ; au nord, une croix plantée vers le Grand Lens, à l'est un chemin vers Belmont. Il comprenait les paroisses de Flachère, d', de Nantoin, de La Frette, de Saint-Hilaire, de , de , de Bocsozel (Le ), de Champier, de Saint-André (La Côte-Saint-André). Au XIe siècle, les propriétés des Bocsozel dépassent largement les limites de ce mandement puisqu'ils avaient des biens dans le Sermo- rens (Voiron, Tolvon) et même en Maurienne (voir la donation citée plus haut). Le chanoine Marc Perroud a essayé de préciser le lien de parenté qui unissait les Bocsozel à la famille comtale : il semblerait que Humbert I de Bocsozel soit l'arrière-petit-fils d'Humbert-aux-Blanches- Mains, premier comte de Savoie. Il n'est pas sûr que la démonstration, appuyée sur une argumentation solide, soit admise par tous les histo- riens, qui tous reconnaissent cependant que les Bocsozel étaient liés aux comtes de Savoie par des liens de parenté. C'est dans la deuxième moitié du XIIe siècle que Guilinus fonda le prieuré de Bocsozel qui fut rattaché à la Chaise-Dieu. Le nom de la commune du Mottier rappelle l'existence de ce prieuré : Mottier est la forme moderne de Moutier qui dérive lui-même de "monastérium". Les Bocsozel contribuèrent également à la fondation du prieuré de la Part-Dieu. On fit appel à eux pour occuper les plus hautes dignités : en 1233 Guillaume de Bocsozel est abbé de la Chaise-Dieu. Cette famille s'est subdivisée en six branches : 1) celle des seigneurs de Montgontier, qui intéresse plus spéciale- ment l'histoire de Champier et dont nous parlerons plus longuement. 2) celle des seigneurs d'Eydoche, tombée en quenouille vers 1650 (on dit qu'une famille tombe en quenouille quand la succession tombe aux mains d'une femme, parce qu'il n'y a pas d'hériter mâle). 3) celle des seigneurs d'Eclose, tombée aussi en quenouille ; 4) celle des seigneurs de la Bâtie-Gillonnay et de Charly en Lyon- nais éteinte au commencement du XVIIe siècle. 5) celle des seigneurs de Maubec, quatrième baronnie du Dauphiné. Elle avait en 1230 succédé aux nom et armes de l'ancienne et puissante maison de Maubec, par mariage d'Aymon de Bocsozel avec Béatrice de Maubec. Elle possèdera pendant plus de trois cents ans la baronnie de Maubec. 6) celle des seigneurs de Gières, finie en 1380. Les Bocsozel ont étendu leur souveraineté pendant plusieurs siècles sur des territoires considérables. Ils formaient un clan puissant qui a toujours veillé à conserver les biens de la famille et en acquérir d'autres si possible. En 1458, lors d'une révision des feux (= foyers) on trouve des Bocsozel à la Côte-Saint-André, à Champier, à Saint-Auban (= St-Alban), à Saint-Geoirs, aux Eparres, à Châbons et pourtant la puissance des Bocsozel était déjà sur son déclin. PARENTE ENTRE LES BOCSOZEL ET LA MAISON DE SAVOIE Riches en alleux, les Bocsozel relevaient pour les fiefs ordinaires des comtes de Savoie qui avaient toujours conservé quelques droits de suzeraineté sur le mandement. Leur prospérité ne subit aucun obstacle tant que les comtes de Savoie vécurent en bonne entente avec les Dau- phins, c'est-à-dire pendant cent cinquante ans. Mais l'enclave savoyarde en Viennois devint rapidement l'objet de multiples conflits : la poli- tique des Dauphins étant de récupérer ce territoire qui semblait devoir compléter naturellement le Dauphiné. Les Bocsozel eurent à souffrir de ces multiples guerres entre la Savoie et le Dauphiné : les projectiles que l'on trouve encore dans le sol près du château sont la marque certaine d'un siège. Les comtes de Savoie cherchèrent de leur côté à récupérer les avan- tages qui avaient été accordés à la famille Bocsozel et à devenir proprié- taire des maisons fortes. Le 12 mars 1286 Pierre de Bocsozel, fils de feu seigneur Burnon, chevalier, vend à l'illustre seigneur Amédée, comte de Savoie, moyennant un prix de 300 livres viennois, ses maisons, tour et autres édifices qu'il possède à Bocsozel, le tout situé au-dessus et à côté de la porte de Bocsozel, et ayant pour confins les bâtiments ruraux d'Eymaret de Bocsozel, d'une part et les bâtiments ruraux de Guillaume Durgeoise d'autre part (Archives de l'Isère B 3612).

Le château de Bocsozel Les ruines que nous contemplons maintenant sont celles d'un château construit au Moyen-Age. La tour encore debout date probable- ment du XIIIe siècle. Cette position stratégique avait été repérée par tous les occupants successifs. Elle permettait de surveiller toute la plaine du Liers ; la défense était complétée par les châteaux de Montgontier (à Lanconney) et du Chatelard (à Champier) qui dominaient l'ancienne route du Moyen-Age qui reliait Grenoble à Lyon par la Frette, Champier, Meyrieu, Artas. On a trouvé dans le sol de Bocsozel des fragments de poterie ita- lienne, de couleur rouge et noire lustrée et des tuiles à rebords ; ces ves- tiges prouvent que la hauteur avait été occupée et sans doute fortifiée par les Romains. En 1428, le roi Charles VII ordonne que le château et le bourg de la Côte-Saint-André seront désormais entretenus par les habitants du mandement et que tous les "vingtains" particuliers seront supprimés, c'est-à-dire les impôts prélevés par les seigneurs pour l'entretien de leurs maisons fortes. Cette mesure acheva la ruine de Bocsozel. Faute d'entre- tien, les toitures s'effondrèrent ; les murailles rongées par les gelées s'écroulèrent, les fossés d'enceinte se comblèrent peu à peu. Bientôt il ne resta plus qu'une seule maison forte, celle qui fut acquise par le comte Amédée. Cette maison et l'ancien bourg furent successivement possédés par Guillaume de Briord, Egidius de Bocsozel, Amédée de Miribel seigneur d'Ornacieux, Aynard de Chateauneuf, la famille de Lovat de Lafrette et celle des de La Porte d'Eydoche. En 1809 Mademoiselle de la Porte vendit le domaine de Bocsozel à Joseph Laurencin, maire du Mottier. Son fils Jean s'établit à Bocsozel et fut l'ancêtre des Laurencin, dits de Bocsozel. Marie-Louise Chavant, épouse Vallin, de Champier, qui appartenait à la famille Laurencin, hérita de la Tour. Elle choisit comme légataire universel de ses biens l'évêque de Grenoble, qui retrocéda les ruines du château à la commune du Mottier, qui, nous l'espérons, se fera un devoir de sauver de la destruction totale ces reliques vénérables d'une riche histoire.

Maisons fortes de Montgontier et Chatelard La vallée de Champier est une voie de passage, qu'il importait de surveiller. Aussi ne nous étonnons pas si on a élevé sur le coteau boisé qui se trouve au couchant deux maisons fortes : la première porte le nom de Montgontier et la seconde celui de Chatelard. Montgontier était situé au point culminant du bois de Lanconnay, au-dessus de la carrière de terre glaise exploitée récemment par la tui- lerie de Champier. On peut encore suivre sur le sol la trace des fossés d'enceinte. Le Chatelard s'élevait plus au Nord sur la colline à l'ouest du Chatelard actuel : un bouquet de sapins et un pan de mur perdu dans les bois en marquent l'emplacement. M. Gerbollet, qui acquit en 1760 la propriété des Bocsozel, se servit des matériaux pour construire le Chatelard actuel qui porte le nom de l'ancienne maison forte. Pour créer un effet pittoresque, il laissa debout une tour, qui fut démolie à la Révolution, sur les instances de Madame Gerbollet, qui voulait sup- primer ce signe de noblesse. Dans le parcellaire de Champier, le Chate- lard porte un deuxième nom mystérieux : Gatonnet.

L'origine des Bocsozel-Montgontier La formation de cette branche est assez compliquée comme toutes les histoires de famille. Nous avons une première mention de la maison forte de Montgontier en 1290 : elle appartient alors à Humbert de Bocsozel de la branche de Châtonnay, Maubec et Roche. Au XIIe siècle, un mariage entre Bonnefille de Bocsozel et Pierre de Rivoire, qui représentait une des grandes familles nobles du Dau- phiné, fit passer dans la famille des Rivoire des biens situés notamment à Nantoin et Champier. C'est pourquoi en 1309 le Châtelard appar- tenait à Pierre Rivoire, arrière petit-fils de Pierre de Rivoire et de Bonnefille de Bocsozel. Guy Allard, dans son inventaire des titres des familles nobles, rapporte que Agnès de Clermont, veuve d'Humbert de Bocsozel, seigneur de Maubec (cf. plus haut), mère et tutrice de Aymon, Hugues et Eynard, fils dudit Humbert, vendit la maison forte de Montgontier en 1310 à Guillaume de Gottafrey, qui la revendit à Guichard de Bocsozel en 1312. Remarquons qu'à travers toutes ces mu- tations, les places fortes restent toujours dans la tribu des Bocsozel. Le Chatelard fut plus tard vendu à Guillaume de Bocsozel, sei- gneur de Montgontier qui en prêta hommage en 1368. Les deux maisons fortes passèrent ainsi dans les mains des Boc- sozel-Montgontier qui les gardèrent jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Ils possédaient d'ailleurs d'autres biens : une maison forte à Eydoche, des moulins, des près, des vignes, des bois, des usages, des services et des tailles dans les paroisses de Saint-Hilaire, de Chabons, de Virieu.

Un grand seigneur : Guillaume de Bocsozel Résident désormais, au château de Montgontier à Lanconnay, Guillaume de Bocsozel, fils de Guichard, fut un des hommes remar- quables de la branche des Montgontier. Il est dénommé chevalier et noble et puissant seigneur dans la donation que son père lui fit le 28 juillet 1346 de la maison forte de Montgontier. Ce haut degré de con- sidération lui vint tant à cause de sa naissance et de son propre mérite qu'à cause de son mariage avec Marie de Miribel qui appartenait à l'une des premières familles du Dauphiné. Le 30 juin 1335 il acheta des époux Barthelemy Soliers et Jeanne de Rivoire la maison forte de Montbuffet (versant occidental de la vallée de Vauchesse à Nantoin), fief qui appartenait à cette dernière. En 1345 il acheta de noble Eymonnet de Lespinay la maison forte de Bocsozel (au Mottier) mais cette acquisition fut éphémère. Il se montra fidèle à son suzerain, François de Bocsozel, seigneur de Maubec qui s'était mis dans une fâcheuse posture. D'un caractère emporté et violent, ce dernier s'était livré à des actes de brigandages envers les habitants de Bourgoin et les religieux du Temple de Vaux. Le roi de France (le Dauphiné a déjà été rattaché au royaume de France), qui ne laissait à personne le soin d'exercer la justice ou de se faire justice, le fit emprisonner dans la maison de Cornillon près de Grenoble. Guillaume de Bocsozel-Montgontier, aidé par ses parents et ses nombreux alliés intervint en faveur de François de Bocsozel. Le roi se laissa fléchir et accorda des lettres de grâce. Cette heureuse inter- vention ne fut pas entièrement gratuite. En effet, le 22 juin 1381, François de Maubec pour se libérer des 2 000 francs d'or qu'il s'était engagé à payer au Dauphin, vendit à Guillaume, moyennant un prix de 1 010 florins d'or, la terre des Eparres. Le 20 août de la même année, Guillaume prête hommage au Dauphin pour le château des Eparres. "Guillaume se tint debout, mit ses mains jointes entre les mains du gouverneur et donna un baiser sur la bouche de ce dernier en signe de fidélité, alliance et amour". (Acte passé à Grenoble). Guillaume mourut à Champier vers l'année 1385 dans son château de Montgontier où il avait, comme son père, établi sa résidence habi- tuelle. Notons qu'à cette époque-là, les Bocsozel-Montgontier pour marquer leur attachement à la paroisse de Champier veulent être enterrés dans le cimetière de Champier. En 1470, François de Bocsozel, petit-fils de Guillaume, fit cette recommandation expresse dans son testament : "il élit la sépulture de son corps dans le cimetière de Champier, au tombeau de ses prédé- cesseurs". (Testament enregistré par Antoine de Bocsozel, notaire à la Côte-Saint-André). Il s'agit naturellement de l'ancien cimetière situé près de l'ancienne église bâtie sur la colline du Calvaire, à peu près à l'emplacement de l'actuelle chapelle dédiée à la Vierge Marie. Comme leurs ancêtres les Bocsozel-Montgontier restèrent fidèles au métier des armes : Jean de Bocsozel, fils de Guillaume est présent à la bataille d'Azincourt en 1415. Antoine, arrière-petit-fils se distingue à un grand tournoi donné à Romans en 1450 en l'honneur de Louise de Clermont ; il figure comme assaillant parmi les chevaliers dauphinois. On le trouve également en 1485 suivant le duc d'Orléans, lorsque ce dernier mit des troupes sur pied pour commencer la guerre que l'on appela "folle". Il accompagna le roi Charles VIII dans les guerres d'Italie et mourut à Rome où il fut enterré dans l'église de Saint-Jean de Latran. En considération des services qu'il avait rendus, sa Majesté accorda à sa veuve une pension de 300 livres pour l'aider à élever ses enfants.

François II de Bocsozel, épouse Jeanne de Terrail (1) François de Bocsozel, seigneur de Chatelard et Montgontier sur Cham- pier, de la Bâtie-Charlieu sur Saint-Hilaire et, après son mariage, de la maison forte d'Eydoche, naquit vers l'année 1483. Comme son père, il alla combattre en Italie. Il s'y distingua sous les yeux du Chevalier Bayard, son parent. (La grand-mère du côté paternel de Bayard était Marie de Bocsozel d'Eydoche, arrière-petite-fille d'Humbert de Bocsozel, frère du chevalier Guillaume, seigneur de Montgontier, ce dernier trisaïeul de François. Le chevalier Bayard et François de Bocsozel étaient donc parents au neuvième degré). François assista aux batailles de Marignan et de Pavie. Il épousa en première noces Catherine de la Colombière en 1508 : il n'en eut aucun descendant. En 1525, à l'âge de 42 ans, il épouse en secondes noces Jeanne de Terrail, fille naturelle de feu magnifique Pierre Terrail, seigneur de Bayard, chevalier de l'ordre du roi et capi- taine de cent hommes d'armes. Ce dernier est naturellement le cheva- lier légendaire "sans peur et sans reproche" dont les histoires populaires retracent complaisamment les exploits. 1 – Bibliothèque de Lyon : Fonds Morin-Pons 87 Carton XX Bocsozel 1525 Contrat de mariage de François de Bocsozel et de Jeanne de Terrail. Une telle alliance soulevait beaucoup de difficultés en raison des mentalités de l'époque. Jeanne de Terrail était de naissance illégitime ; même si son père et, après la mort de celui-ci, ses oncles l'avaient traitée en enfant légitime, il n'en restait pas moins qu'on ignorait quelle était sa mère. Certains affirmaient que Bayard avait eu cette fille d'une demoiselle de Trêques, de Cantu en Lombardie, rien n'est moins sûr. On compensa ce vice de naissance par un éclat tout particulier donné à la cérémonie et par une dot importante. Nous possédons encore le contrat de mariage qui se trouve actuellement à la biblio- thèque de la Ville de Lyon. (Fonds Morin-Pons 87 Bocsozel). Transportons-nous donc un moment dans le palais épiscopal de Grenoble à la date du 24 août 1525. Philippe Terrail, évêque de Glan- dève et Jacques Terrail, abbé de Josaphat, oncle de la future épouse, assistent à la cérémonie. Tant en leur nom que comme fondés de pou- voir de leur frère, Georges Terrail, seigneur de Bayard, héritier de l'illus- tre défunt, ils constituent à leur nièce une dot de 1 400 écus d'or. Les dernières volontés du héros dauphinois avaient fixé à 1 200 écus d'or la dot de sa fille, y compris le trousseau ; la libéralité de Philippe et de Jacques Terrail y ajoute deux cents écus d'or pour compléter la somme promise et deux cents livres tournois par l'évêque de Grenoble Laurent Allemand. De son côté, François de Bocsozel fait donation de 700 écus d'or à sa future épouse et lui en promet trois cents de plus pour ses ornements et joyaux. Le montant du legs fait par Bayard à sa fille ne sera pas payé en espèces, mais par la cession au profit de l'époux de la maison forte d'Eydoche avec ses terres, prés, vignes, forêts, moulins, archives, etc. à la charge pour lui toutefois de rembourser une dette de cinq cents écus d'or. Cette terre d'Eydoche était un ancien fief de la maison de Bocsozel et François de Bocsozel ne faisait qu'entrer à nou- veau en possession d'un bien qui lui avait échappé dans les vicissitudes des successions. Des personnages considérables assistèrent à la cérémonie et en rehaussèrent l'éclat par leur présence : il y avait Falques d'Aurillac, président du parlement delphinal, trois conseillers : Jacques Gallien, Georges de Saint-Marcel, Aymar du Rivail, le célèbre historien dauphi- nois, l'auteur du livre "De Allobrogibus". Viennent ensuite Barthélemy de Montfort, receveur des Echelles, Jacques de Buffevent. C'est naturel- lement le souvenir de Bayard qui suscitait de telles sympathies. I.S.B.N. 2.222.02841.8 Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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