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Samedi 14 octobre 2006 — 20h30

Opéra royal

Airs et suites d’Ariane & Bacchus et Alcyone

Frontispice du livret d’Ariane & Bacchus, extrait du Recueil General des representez par l’Academie Royale de Musique depuis son etablissement, Tome cinquième, Paris, Christophe Ballard, 1703 RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 189

Airs et suites d’Ariane & Bacchus et d’Alcyone

Ariane & Bacchus Ouverture Air pour la suite de la Nymphe « Quel plaisir prenez-vous » (Ariane) Air des Matelots « Hélas! Ce n’est point la tendresse » (Ariane) Symphonie du Sommeil «Dois-je m’abandonner à cette ardeur nouvelle? » (Ariane) Chaconne

Alcyone Prologue Ouverture Air des Faunes et des Dryades « Fuyez, Mortels » () « Aimable Paix » (Apollon) Marche Menuets 1 et 2 Passepieds 1 et 2

Acte premier Air « Ecoutez nos serment » (Alcyone, Céix) « Quel bruit! Quels terribles éclats! » (Alcyone, Céix, le Grand Prêtre)

Acte deuxième Prélude « Dieux cruels, punissez ma rage » (Ceix) « Vous, dont les mystères affreux » (Phorbas, Ismène) Premier Air des Magiciens « Sévère Fille de Cérès » (Phorbas) Deuxième Air des Magiciens

Acte troisième « O Mer, dont le calme infidèle » (Pélée) Airs des Matelots 1, 2 et 3: « Amants malheureux » « Quoi, les soupirs & les pleurs d’Alcyone » (Alcyone, Céix) « Il fuit… il craint mes pleurs » (Alcyone)

Pause Acte quatrième Prélude « Amour, cruel Amour » (Alcyone) 190 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

« O Toi, qui de l’Hymen défends les sacrez nœuds » (La Prêtresse) Symphonie « Le sommeil semble ici verser tous ses pavots » (Alcyone) Le Sommeil, accompagné des Songes « Volez, Songes, volez » (Le Sommeil) Tempête « Où suis-je & qu’ay-je vu! » (Alcyone)

Acte Cinquième Ritournelle « Ciel! que vois-je? c’est lui! » (Alcyone) « Je viens vous affranchir » (Neptune) « Chantez, chantez Divinités de l’Onde » (Neptune, Alcyone, Céix) Chaconne

Céline Scheen, dessus Guillemette Laurens, bas-dessus Cyril Auvity, haute-contre Stephan MacLeod, basse

Ricercar Consort Direction : Philippe Pierlot

Luis Otavio Santos (1er violon), Sophie Gent, Dmitri Badiarov, Sandrine Dupé, Blai Justo, Mika Akiha, Stephen Freeman, Stéphanie de Failly, Gabriel Grosbard, Odile Podpovitny, Pierre-Eric Mimilowitch, Anne Pekala, dessus de violon Masanobu Tokura, Michiyo Kondo, hautes-contre de violon Rainer Arndt, Marketa Langova, tailles de violon Cristobàl Urrutia del Rio, Bénédicte Verbeek, quintes de violons Kaori Uemura, Sofia Diniz, basses de viole Rainer Zipperling, Julie Borsodi, Bernard Woltèche, Steinuun Stefansdottir, basses de violon Frank Coppieters, contrebasse Georges Barthel, Manuel Grantiero, flûtes Martin Stadler, Luise Baumgartl, hautbois Josep Borras i Roca, basson Eduardo Egüez, Wim Maeseele, théorbes François Guerrier, clavecin Michèle Claude, percussions RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 191

Partition éditée par le Centre de Musique Baroque de Versailles

Concert enregistré par France Musique

Le Ricercar Consort bénéficie du soutien de la Communauté française de Belgique, Direction Générale de la Culture

Sommeilt d’Ariane & Bacchus, partition manuscrite, BnF, Rés F 1715 Livret d’Ariane & Bacchus, extrait du Recueil General des opera representez par l’Academie Royale de Musique depuis son etablissement, Tome cinquième, Paris, Christophe Ballard, 1703 RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 193

ARIANE & BACCHUS

Prologue La ville de Paris. La Nymphe de la Seine se félicite que les fureurs de la guerre ne peuvent l’atteindre et qu’ici seuls règnent les ris et les jeux. On prépare des fêtes nouvelles « pour le plus juste et le plus grand des Rois ». Terpsichore clai- ronne que l’on va retracer l’histoire de Bacchus et d’Ariane. Mais la Gloire descend au son des trompettes et des timbales. La nymphe demande alors si seule la gloire intéresse un si grand roi et si les plaisirs que les humains lui préparent l’indiffèrent? Évidemment Louis a pour premier souci la quiétude et le bonheur de ses sujets qui se réjouissent et lui rendent hommage.

Acte I Une grotte donnant sur la mer, dans l’île de Naxos. Ariane attend désespérément Thésée; s’il ne revient pas, qu’il périsse! Mais ses réflexions ne la satisfont pas; finalement elle aimerait n’être jamais vengée. En fait, elle regrette de l’avoir aidé dans l’épreuve du laby- rinthe, il n’aurait pas survécu, elle ne l’aurait pas aimé, il ne l’aurait point trahie. La rivale d’Ariane n’est autre que sa propre sœur, Phèdre, avec qui Thésée s’est enfui. Adraste, prince d’Ithaque promis à Dircée (sœur du roi Ænarus), apprend la fuite amoureuse de Thésée. Ce départ sert ses vues car il est amoureux, en vain, d’Ariane et il se réjouit de voir qu’elle souffrira maintenant les maux qu’elle lui a fait endurer. Devant Dircée, Adraste cache mal son embarras. Bacchus qui revient victorieux des Indes va bientôt gagner le port. On prépare alors un pompeux sacrifice au dieu des flots. Que Neptune conduise à Naxos le plus grand des héros en toute quiétude. Mais Junon, hostile au fruit des amours de Jupiter et de , met un terme aux festivités.

Acte II Le port. Ariane n’entrevoit qu’un seul remède à son tourment: la mort. Amour la sauve du suicide et lui conseille de consacrer sa tendresse à Bacchus qui, par ses soins, soupirera bientôt pour elle! Adraste vient alors offrir à Ariane son cœur et sa couronne; elle repousse ses propositions. C’est dans l’allé- gresse générale que débarque Bacchus qui est convaincu de n’être amou- reux que de la gloire. Arrive Ariane. Bacchus s’en éprend immédiatement. Les sentiments de la princesse sont alors confus; elle fuit. 194 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

Acte III Un jardin agrémenté de statues et de fontaines. Adraste implore Junon d’empêcher Bacchus de séduire Ariane. Junon apparaît sous les traits de Dircée qu’elle exile dans une île. Elle veut se ven- ger de Bacchus et pour cela s’adjoint le pouvoir du dieu du sommeil. Toujours sous les traits de Dircée, Junon fait croire à Ariane que Bacchus est amoureux de cette princesse. Un doux sommeil surprend les sens d’Ariane. Les songes, dans leur travestissement, jouent une scène d’amour entre Dircée et Bacchus. Ariane s’éveille prête à invectiver le fils de Jupiter mais aucun être ne s’offre à son regard. Amour lui révèle la machination de Junon, ce n’était qu’un songe trompeur; Bacchus est toujours épris d’elle; elle s’apprête à céder à sa tendresse.

Acte IV Le palais d’Ænarus. Rassérénée, Ariane en arrive à partager les sentiments de Bacchus. Adraste, à qui rien n’a échappé, devenu furieux, demande à Géralde d’user de ses pouvoirs magiques pour seconder sa vengeance. Mais les démons des Enfers refusent de répondre à la requête du magicien. Dans une seconde tentative, Géralde obtient que la furie Alecton, embrase le cœur d’Ariane d’une jalousie funeste.

Acte V Un grand salon décoré. De retour d’exil, Dircée déplore de ne point être animée de haine envers Adraste qui l’a délaissée. Elle apprend que, la croyant aimée de Bacchus, Ariane rôde hors d’elle à la recherche des prétendus amants qu’elle veut tuer. Mais une fois devant Bacchus le bras d’Ariane s’immobilise… Elle veut alors retourner les coups contre elle. Bacchus la désarme tandis que surgit Adraste qui, voyant Bacchus armé, pense que ce dernier veut attenter à la vie de celle qu’il aime. S’ensuit un combat dans lequel Adraste périt. Descend alors Jupiter. Après que Mercure a de son caducée rendu la raison à Ariane, Jupiter promet à Ariane et Bacchus une gloire céleste alors que Junon déclare être devenue favorable aux amants; la couronne d’Ariane est portée aux cieux et se transforme en une couronne d’étoiles. On peut main- tenant célébrer l’hymen dans le somptueux divertissement final. RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 195

NOTES Le nom du librettiste nous laisse dubitatif. Voici un auteur qui collabora avec l’un des compositeurs les plus extraordinaires de son temps et qui ne laisse aucune trace dans l’histoire, pas même son prénom, seul le patronyme nous est parvenu: Saint-Jean! Est-ce la conduite des vers ou la morosité ambiante du moment, qui trans- formait a priori une tragédie en musique en échec ? Qui porte la plus lour- de responsabilité dans la déconvenue des auteurs? Le succès d’Ariane & Bacchus en 1696 fut bien mince et l’on ne crut pas judicieux de reprendre l’ouvrage ultérieurement. Néanmoins, certaines pages purent prolonger le souvenir de cet opéra. Le succès obtenu par Les Fragmens de M. de Lully (1702) concoctés par Campra incita ce dernier à renouveler l’expérience deux ans plus tard. Un spectacle-fragments se constitue d’extraits d’œuvres différentes assemblés et reliés par des vers de liaison pour former un spec- tacle continu. En 1704, cette seconde expérience fort originale eut pour titre: Télémaque, Fragmens des Modernes. On y trouve, entre autres, des morceaux d’œuvres de Pascal Colasse, de Henry Desmarest, de Marc- Antoine Charpentier, de Jean Féry Rebel, de Campra lui-même mais aussi deux récitatifs d’Ariane & Bacchus qui se placent à l’acte IV des Fragmens. Le sort de ce spectacle fut égal à celui de la plupart des œuvres auxquelles il empruntait: un échec total. Le prologue d’Ariane & Bacchus se distingue par le lieu qu’il représente: la ville de Paris. C’est là une chose non conventionnelle que l’on trouvait dans le premier ouvrage donné à l’Académie de Paris, Pomone; en général il nous fait voir un lieu mythologique. À la fin de ce volet introductif, l’ou- verture, n’est pas reprise comme en veut l’usage. Marais en compose une nouvelle, c’est là un fait rarissime et seul, avant lui, Henry Desmarest dans Didon (1693) avait fait de même afin d’associer le caractère de cette page instrumentale au ton de la tragédie qui suivait. Harmonies dissonantes hardies pour évoquer la noirceur du destin des personnages, instrumentation brillante et raffinée caractérisent cette parti- tion. On ne peut manquer de souligner deux pages extraordinaires. C’est d’abord la Chaconne (Acte II, sc. 6), construite comme il se doit sur un des- sin de quarte descendante et qui possède la particularité de faire activement participer les parties de basse et aussi de présenter des passages en trio qui prennent valeur de véritables divertissements structurels. Enfin dans la « Symphonie du Sommeil » (Acte III, sc. 5) montre son habi- leté à traduire de façon originale, rythmiquement et mélodiquement, une situation dramatique particulière. De tous ces artifices il se souviendra. On peut considérer qu’après Alcide et Ariane & Bacchus, Marin Marais a trou- vé son langage dramatique propre. Il est maintenant armé pour produire un chef-d’œuvre. Ce sera Alcyone. 196 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

ALCYONE

Prologue Le mont Tmole. Dans un concours devant récompenser la plus belle des voix, Pan s’op- pose à Apollon. Ce dernier remporte le prix et invite les bergers à fêter le retour de la paix. La fin du prologue annonce le sujet de la tragédie. Apollon demande aux muses de renouveler l’histoire des Alcyons afin de marquer sa victoire par un spectacle grandiose.

Acte I Le palais de Céix. Le jour de l’union de Céix et d’Alcyone, Phorbas conseille à son maître Pélée de troubler la fête. Pélée refuse par amitié pour Céix, mais Phorbas, convaincu de servir son maître, en appelle à la magicienne Ismène. Alcyone et Céix essaient de faire partager leur joie (divertissement) mais, au moment où les futurs époux prononcent leur serment, un bruit de tonnerre interrompt la cérémonie. Pour protéger Alcyone, Céix tente d’attirer sur lui le courroux des dieux.

Acte II Une solitude et l’entrée de l’antre de Phorbas et d’Ismène. Ce sont Ismène et Phorbas qui ont déclenché le coup de tonnerre. Phorbas cultive une haine profonde pour Céïx, le considérant comme un usurpateur puisqu’il trône là où régnèrent ses ancêtres. Imputant le coup de tonnerre aux Cieux, Céix interroge Ismène sur son devenir et réclame une consulta- tion des Enfers. Les magiciens paraissent. Phorbas dit entrevoir le futur: Céix doit perdre Alcyone et périr.

Acte III La mer et le vaisseau qui doit conduire Céix. Phorbas qui a habilement organisé l’éloignement du roi, annonce à Pélée qu’il reverra Alcyone. Cependant, Pélée n’accepte pas d’être à la fois heu- reux et coupable. L’embarquement est imminent, les marins qui veulent obtenir les faveurs de Neptune lui offrent un divertissement. Alcyone vou- drait suivre Céix qui le lui interdit; il compte sur un prompt retour. Alors que le navire gagne le large, Alcyone implore Neptune d’écarter tout risque de tempête puis s’effondre inanimée. Arrive Pélée qui lui porte secours. Elle reprend connaissance en prononçant le nom de Céix. RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 197

Acte IV Le palais de Junon. Un sacrifice qu’Alcyone destine à Junon se prépare quand une musique suave annonce l’arrivée du Sommeil. Le pouvoir de ce dernier plonge l’hé- roïne dans un profond repos. S’exécute alors un dessein établi par Junon. Endormie, Alcyone rêve: elle assiste à une formidable tempête qui emporte Céix ! Songe et réalité se confondent. En s’éveillant, horrifiée par ce qu’el- le a entrevu, elle implore Junon de lui donner la mort.

Acte V Le théâtre est couvert des ombres de la nuit. Pélée avoue à Alcyone son amour criminel et dévoile le rôle maléfique de Phorbas; il lui tend son glaive et lui demande de lui porter un coup fatal. Alcyone refuse et prétend alors le punir par sa propre mort. Mais Phosphore descend des Cieux et annonce à Alcyone qu’elle reverra Céix ce jour même et qu’elle lui sera unie… Alcyone implore l’Aurore d’accélérer la levée du jour. Tout à coup la mer rejette le corps d’un naufragé: on reconnaît Céix. La folie s’empare alors d’Alcyone. Elle saisit le glaive de Pélée et s’en frappe. L’oracle s’accomplit: Alcyone a revu Céix et la mort les unit. Cependant, Neptune, touché par ce destin tragique, élève les amants au rang d’immor- tels afin qu’ils ne soient jamais plus séparés. Ce dieu nous annonce que les Alcyons rendront le calme aux flots démontés. Neptune ordonne enfin un divertissement mené par les divinités de l’onde.

Ouverture d’Alcyone, Paris, l’Auteur, 1706 198 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

NOTES Au fil des reprises, la partition fut l’objet de nombreux ajouts et coupures, et en 1771 l’œuvre entendue était assez éloignée de la création de 1706. Dès 1730 on écarta le prologue qui fut définitivement supprimé en 1756. De toutes les pages de la partition, la « tempête » qui se place à la scène 4 de l’acte IV fut de tout temps la plus admirée. À elle seule, elle assura la célébrité de l’ouvrage qui – dans l’interrègne qui sépare Lully de Rameau – se hisse au niveau de la renommée de L’Europe galante de Campra (1697). On la considéra longtemps comme la référence en matière de « symphonie descriptive ». Son impact fut considérable et elle marqua tous les succes- seurs de Marais. Près de trente années plus tard, Jean-Philippe Rameau n’échappe nullement à son influence à tel point que la plus célèbre des pages descriptives du compositeur dijonnais, le tremblement de terre des « Incas du Pérou » qui forme la troisième entrée des Indes galantes, s’ins- pire du plan structurel de la tempête d’Alcyone. Néanmoins, il convient d’apporter une précision d’importance: Marin Marais n’est pas le premier à avoir conçu une telle « tempête » en musique. En 1689, paraissait à l’Académie royale de Musique, une tragédie en musique intitulée Thétis & Pélée. L’auteur du livret est Fontenelle, le compositeur s’appelle Pascal Colasse qui deux années après la mort de Lully signait sa première tragédie en musique. Thétis & Pélée contient la première tempête digne de ce nom et Marin Marais s’y réfère pour établir la sienne, tant du point de vue de la construction que dans le maniement de l’orchestre. Mais, en 1706, la tem- pête de Marais éclipsa celle de Colasse. Il convient de souligner l’impor- tance que le librettiste d’Alcyone donne à cette tempête. Dès le troisième acte elle devient un objet de préoccupation, Alcyone demandant à Neptune d’écarter toute éventualité de cataclysme. On n’est donc pas surpris quand survient la catastrophe à l’acte suivant. La tempête est traitée de façon fort originale: en songe. Il s’agit bien de l’un des sommeils les plus effrayants de l’histoire de l’opéra de cette époque. Un des points forts tient dans le fait que la tempête ne s’apaise pas, au contraire de Thétis & Pélée, car Alcyone se réveille en sursaut. Hormis le divertissement de l’acte III et de l’épilogue, l’ouvrage n’accorde qu’une place réduite à la danse. On remarquera néanmoins l’originalité de la Marche et des Airs pour les Matelots de la scène 2 de l’acte III. L’ouvrage se termine par le divertissement ordonné par Neptune. Ce happy end fut large- ment critiqué et on reprocha au librettiste d’avoir affadi la conduite dramati- que finale. Néanmoins, cette apothéose nous offre l’une des plus belles cha- connes de Marin Marais dont ses successeurs se souviendront.

EDMOND LEMAÎTRE RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 199

ARIANE & BACCHUS

Ouverture Air pour la suite de la Nymphe

ARIANE Quel plaisir prenez-vous à prolonger ma peine? Que ne me laissiez-vous mourir? Sans vous, hélas! ma mort étoit certaine; Sans vous, je cessois de souffrir: Ah! cruelle pitié, bonté trop inhumaine, Quel plaisir prenez-vous… Air des Matelots

ARIANE Hélas! ce n’est point la tendresse, Qui nous fait d’heureux jours, Le fruit des plus tendres amours, N’est très souvent qu’une affreuse tristesse; Et c’est sans raison, qu’on s’empresse, De risquer un repos, qu’on regrette toûjours. Hélas! ce n’est point la tendresse, Qui nous fait d’heureux jours. De ces tranquiles lieux, rien ne trouble la paix, Les oyseaux gardent le silence, Les vents ne souflent plus que pour donner du frais, Et les ruisseaux coulent sans violence. Flore, de toutes parts, étale ses attraits; Et les Zéphirs, d’une amoureuse haleine, Portent l’odeur d’un brillant plaisir, Aux boccages les plus épais. Dans cette aimable solitude, Un doux sommeil surprend ses sens, Je cède à ses charmes puissants, Luy seul peut de mon cœur calmer l’inquiétude. Symphonie du Sommeil (Ariane s’endort)

ARIANE Dois-je m’abandonner à cette ardeur nouvelle? Contre mes sentiments, dois-je me révolter? Non, Bachus est toûjours fidèle, L’Amour me deffend d’en douter. Rigoureuse raison, cédez à la tendresse, Cédez, fierté, cédez, quand l’amour vous en presse, En vain, contre ce Dieu, mon cœur a combattu, Je n’ay que trop connu, Sa force & sa foiblesse. 200 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

Il triomphe, & mon cœur, enfin, se sent vaincu. Cédez, fierté, cédez, quand l’amour vous en presse, Rigoureuse raison, cédez à la tendresse.

Chaconne

Frontispice du livret d’Alcyone, extrait du Recueil General des opera representez par l’Academie Royale de Musique depuis son etablissement, Tome neuvième, Paris, Christophe Ballard, 1710

PROLOGUE Le Théâtre représente le Mont-Tmole. Des Fleuves & des Nayades appuyées sur leurs Urnes, occupent la Montagne, & forment une espèce de cascade.

Ouverture Air des Faunes et des Dryades

PAN commence la dispute, & chante la Guerre. Fuyez, Mortels, fuyez un indigne repos; Non, ne vous plaignez plus des horreurs de la guerre, Elle vous donne les Héros, Elle fait les Dieux de la Terre. RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 201

Courez affronter le trépas, Aller joüir de la victoire; Sur son front couronné, qu’elle étale d’appas! L’affreuse mort qui vole au devant de ses pas Fait naître l’immortelle Gloire.

APOLLON chante la Paix, & l’Écho répond à ses chants. Aimable Paix, c’est toy que célèbrent mes chants! Descend, viens triompher du fier Dieu de la Thrace, Tout rit à ton retour, tout brille dans nos champs, Dès que tu disparois, tout l’éclat s’en efface. Règne, Fille du Ciel, met la Discorde aux fers; Que le bruit des tambours, dont la Terre s’allarme, Ne trouble plus nos doux concerts. Heureux, heureux cent fois le Vainqueur qui ne s’arme, Que pour te rendre à l’Univers. Marche Menuets 1 et 2 Passepieds 1 et 2

ACTE PREMIER Le Théatre représente une Gallerie du Palais de Céix, terminée par un endroit du Palais consacré aux Dieux. Air

ALCYONE & CÉIX, ensemble Ecoutez nos serments, Arbitres des Humains. Vous, qui pour punir le parjure, Tenez la foudre dans vos mains; Vous, qu’en tremblant adore la Nature, Maître des Dieux…

ALCYONE, CÉIX, & LE GRAND PRESTRE, ensemble Quel bruit! Quels terribles éclats! L’air s’allume! le Ciel fait gronder son tonnerre! Quel gouffre affreux s’est ouvert sous nos pas! Tout l’Enfer en courroux sort du sein de la terre! Des furies sortent des Enfers, saisissent en volant les flâmbeaux de l’Hymen dans les mains des Prestres, & embrasent tout le Palais.

ACTE II Le Théatre représente une solitude affreuse, & l’entrée de l’Antre de Phorbas, & d’Ismène.

Prélude 202 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

CÉIX sans appercevoir Phorbas, & Ismène Dieux cruels, punissez ma rage, & mes murmures, Frapez Dieux inhumains, comblez vôtre rigueur. Vous plaisez-vous à voir dans mes injures L’excès du désespoir où vous livrez mon cœur? Je touchois au moment où la Beauté que j’aime, M’eût rendu plus heureux que vous; D’un extrême bonheur, Dieux! vous étiez jaloux. Et vous vous en vengez par un supplice extrême; Mes maux sont aussi grands, que mon espoir fut doux. Dieux cruels, punissez ma rage, & mes murmures, Frapez, Dieux inhumains, comblez vôtre rigueur; Vous plaisez-vous à voir dans mes injures L’excès du désespoir où vous livrez mon cœur? Il apperçoit Phorbas, & Ismène qui s’approchent.

PHORBAS, & ISMÈNE, ensemble Vous, dont les mystères affreux Pour soûmettre l’Enfer, sont d’invicibles armes, Quittez vos antres ténébreux, Venez vous unir à nos charmes; Accourrez, hâtez-vous, Nôtre voix vous appelle; Accourrez, signalez pour nous Vôtre pouvoir, & vôtre zele. Premier Air des Magiciens

PHORBAS Sévère Fille de Cérès, Et toy, des sombres bords formidable Monarque, Vous à qui la fatale barque Ameine à chaque instant mille nouveaux sujets, Écoutez-nous, Dieux redoutables; Que nos vœux, que nos cris vous trouvent favorables! Deuxième Air des Magiciens

ACTE III Le Théatre représente le Port de Tracnimes, & un Vaisseau prest à partir. Prélude

PÉLÉE O Mer, dont le calme infidèle Attire les Humains sur tes perfides flots, Hélas! les Malheureux qu’a trompez ton repos Ont mille fois gémi de ta fureur cruelle. Par l’espoir trop charmant de ses fausses douceurs, L’Amour, comme toy nous engage, RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 203

Mais bien-tôt le trouble, & l’orage Succèdent à l’espoir dont il flattoit nos cœurs. O Mer, dont le calme infidèle… Airs des Matelots 1, 2 et 3

UN MATELOT Amants malheureux, Si mille écüeils fâcheux Troublent vos vœux, Le désespoir est le plus dangereux. Quelque vent qui gronde, L’Amour calme l’onde; Peut-on perdre l’espoir Quand on connoît son pouvoir?

ALCYONE Quoy! les soûpirs & les pleurs d’Alcyone Ne pourront-ils vous arrester? Vous partez!

CÉIX L’Amour me l’ordonne

ALCYONE Quoy! vous m’aimez, & vous m’allez quitter?

CÉIX Je tremble pour vos jours, & mon unique envie Est d’écarter les maux qu’on m’a fait redouter.

ALCYONE Hélas! vous tremblez pour ma vie, Et par vôtre départ vous allez me l’ôter. Mon cœur à chaque instant vous croira la victime Des flots, & des vents en courroux: Je connois l’ardeur qui m’anime; Je mourray des dangers que je craindray pour vous.

CÉIX Ah! plus dans cet amour mon cœur trouve de charmes, Et plus je sens pour vous, redoubler mes frayeurs: Laissez-moy sur vos jours dissiper mes allarmes, Et ne craignez pour moy que vos propres malheurs.

ALCYONE Au nom de mon amour, ne hâtez point ma mort.

CÉIX Amour infortuné!

ALCYONE Tendresse déplorable! 204 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

ENSEMBLE Qu’est devenu l’espoir qui séduisoit nos cœurs?

CÉIX Dieux cruels!

ALCYONE Ciel impitoyable!

ENSEMBLE Ah! deviez-vous troubler de si tendres ardeurs?

ALCYONE O funestes Adieux! Vous m’abandonnez?

CÉIX Dans ces lieux Je vous laisse un Autre moy-même. (à Pélée) Prends soin d’adoucir ses tourments. Je t’en conjure encor par mes embrassements. Céix monte sur le Vaisseau, & part.

ALCYONE Il fuit… il craint mes pleurs, ah! cher Époux, arreste. Ciel! il ne m’entend plus, son vaisseau fend les mers. Neptune, écarte la tempeste, Toy, mon Père, retiens tous les Vents dans les fers. Hélas! de ce vaisseau que la fuite est soudaine! Que son éloignement irrite mes douleurs! Déjà mes yeux l’apperçoivent à peine; Je cesse de le voir… je meurs. Elle tombe évanoüie.

ACTE IV Le Théatre représente le Temple de Junon Prélude

ALCYONE Amour, cruel amour, soy touché de mes peines, Écoûte mes soûpirs, & voy couler mes pleurs. Depuis que je suis dans tes chaînes, Tu m’as fait éprouver les plus affreux malheurs, Le départ d’un Amant a comblé mes douleurs; Mais, malgré tant de maux, si tu me le ramènes, Je te pardonne tes rigueurs; Amour, cruel Amour… RICERCAR CONSORT - SAMEDI 14 OCTOBRE 205

LA PRESTRESSE O Toy, qui de l’Hymen dépend les sacrez nœuds, O Junon, puissante Déesse, Reçois nôtre encens, & nos vœux; Et que jusqu’à ton trône ils s’élèvent sans cesse. Les prestresses dansent autour de l’Autel, & y jettent l’encens dans le feu. Symphonie

ALCYONE Le Sommeil semble icy verser tous ses pavôts. Ma douleur ne peut m’en défendre. Le Sommeil, accompagné des Songes

LE SOMMEIL Volez, Songes, volez; faites-luy voir l’orage Qui dans ce même instant luy ravit son Époux. De l’onde soulevée, imitez le courroux, Et des vents déchaînez l’impitoyable rage. Toy, qui sçais des Mortels emprunter tous les traits, Morphée, à ses esprits offre une vaine image; Présente-luy Ceix dans l’horreur du naufrage, Et qu’elle entende ses regrets. Qu’en luy montrant son sort, ce songe affreux l’engage À ne plus perdre icy ses vœux, & son hommage. Tempête

ALCYONE s’éveillant en sursaut Où suis-je, & qu’ay-je vû! je perds ce que j’adore, Tous les Vents à mes yeux ont soulevé les mers, Céix est englouti sous les flots entr’ouverts, Je l’ay vû, je le vois encore! De ses mats emportez, il saisit les débris; Inutile secours, Ciel! faut-il qu’il périsse? Il m’appelle, j’entens ses cris; Attend, attend… que l’onde avec toy m’engloutisse. Que dis-je! ma douleur a troublé ma raison, Je ne me croyois plus au Temple de Junon. Déesse, c’est donc toy qui m’offre cette image, Tu viens m’avertir de mon sort; Eh bien! pour prix de mon hommage Achève, donne-moy la mort.

ACTE V Le Théatre, couvert des ombres de la nuit, représente un endroit des Jardins de Céix, terminé par la Mer. Ritournelle 206 MARAIS, VIOLISTE À L’OPÉRA

ALCYONE (Elle approche, & reconnoît Céix) Ciel! que vois-je? c’est luy! Non, ma douleur encor ne me l’a pas ravie, Par pitié, hâtez mon trépas. Est-ce là ce bonheur que je devois attendre, Et dont les Dieux m’étoient garants? Vous me rendez Ceix, ah! barbares Tyrans, Dieux cruels, est-ce ainsi qu’il falloit me le rendre? Vous plaisez-vous aux maux des fidelles Amants. Elle prend l’épée de Céix, & s’en frappe.

NEPTUNE Je viens vous affranchir de la Parque cruelle, Vivez heureux Amants, d'une vie immortelle, Rien ne peut plus vous séparer ; Les Dieux, touchés d'une flamme si belle, N'ont permis vos malheurs, que pour les réparer. Vous chasserez les vents de l'empire de l'Onde, Et vous rendrez le calme à mes flots soulevés. Les Alcyons naissants vont être aux yeux du monde Un gage du pouvoir que vous en recevez. Céix, & Alcyone reviennent; des Alcions naissent du sang d’Alcyone, & vont se placer sur le Trône de Neptune.

ALCYONE Quoy! je revoix Céix!

CÉIX Je revois Alcyone.

NEPTUNE Aimez-vous, aimez-vous toûjours.

ALCYONE, & CÉIX, ensemble L’immortalité qu’on nous donne Doit éterniser nos amours.

NEPTUNE Aimez-vous, aimez-vous toûjours.

ALCYONE, & CÉIX, ensemble Aimons-nous, aimons-nous toûjours.

NEPTUNE Chantez, chantez Divinitez de l’Onde, Formez mille concerts charmants; Que vos voix annoncent au monde Le triomphe de ces Amants. Chaconne Les Dieux de la Mer célébrent l’apothéose de Céix, & d’Alcyone.