« Les yeux pour le croire » Pérennité et actualité des lieux de culte protestants en

par Mme Christiane Pignon-Feller, membre associé libre

Répartition des lieux de culte protestants en Moselle. Cartographie Hugues Duwig. La formation du territoire mosellan divisé en deux espaces linguistiques - un espace dialectal germanophone et un espace francophone — partageant le territoire en deux zones à peu près égales témoigne d'une histoire agitée, sans cesse tiraillée politiquement entre , duché de Lorraine et pays germani­ ques.

Dans le domaine religieux, outre la présence juive, la religion catholique majoritaire s'accompagne, à partir du XVIe siècle d'une religion protestante dédoublée en deux confessions appelées de nos jours ERAL Eglise réformée d'Alsace et de Lorraine et ECAAL Eglise de la Confession d'Augsbourg d'Al­ sace et de Lorraine.

Au sein de la Fédération protestante de France, née en 1905, qui rassem­ ble la plupart des Eglises et des associations protestantes de France, ces deux Eglises jouissent d'un statut particulier.

Toutes deux continuent à bénéficier des lois concordataires et des articles organiques de 1802 ainsi que des décrets du Second Empire de 1852, alors que dans le reste de la France, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat est de rigueur depuis 1905.

En effet, lors de l'annexion de l'Alsace et de la Moselle (agrandie d'une partie de la Meurthe) au Reich allemand, entre 1871 et 1918, le Concordat fut maintenu dans ses grandes lignes. En 1918, lors du retour de l'Alsace-Moselle à la France et jusqu'à nos jours, le régime de la séparation de l'Eglise et de l'Etat ne leur fut pas appliqué. Dans les trois départements Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle règne le statut local des cultes (qui concerne les quatre cultes reconnus) ce qui en fait des exceptions au sein de la France laïque et républicaine.

Alors que les églises catholiques ont bénéficié d'inventaires quasi exhaus­ tifs, les lieux de culte protestants ont été jusqu'à présent largement inexplorés au point de vue de l'histoire de l'architecture. Faut-il en incriminer la réputation de rigueur et de modestie liée à cette pratique dont l'excès de discrétion ne néces­ siterait aucune étude? Ou doit-on rappeler qu'en France du moins, le protes­ tantisme a été pendant longtemps une religion non officielle, minoritaire, voire réprouvée dont la Nation a parfois eu des difficultés à reconnaître la présence ?

Or, la Moselle, par sa situation d'entre-deux, entre une France catholique et des régions de langue allemande majoritairement protestantes présente une mosaïque de formes architecturales nées de la Réforme. Elle se trouve ainsi être un véritable laboratoire d'analyse des lieux de culte protestants. Du XVIe au XXe siècle, c'est près d'une centaine de lieux de culte qui furent érigés en Moselle dont une soixantaine, d'une étonnante diversité, continuent encore à signaler dans le paysage une présence spirituelle singulière et parfois une altérité. Ils se partagent également entre l'ERAL et l'ECAAL, une trentaine d'édifices pour chaque confession (1). Traditionnellement, on emploie le terme temple pour désigner un édifice calviniste (ERAL) et le terme église pour dési­ gner un édifice luthérien (ECAAL) (2).

A. DE A CREHANGE, UNE HISTOIRE DES LIEUX DE CULTE PROTESTANTS EN MOSELLE

1685, la révocation de l'édit de Nantes marque une date fatale pour les Huguenots. Leurs lieux de culte, dont le célèbre temple de Charenton (3), sont démolis dans toute la France. A , après de multiples tracasseries prémoni­ toires et après la destruction des trois premiers temples (4) selon les fluctuations de la politique et des alliances, le quatrième temple des Huguenots (construit en 1664 et sis au retranchement) est abattu lui aussi. Le premier temple de Courcelles subit le même sort.

Il en fut de même dans les deux villes libres ou villes-refuges de (fondée en 1568) et de (fondée en 1602) où les constructions calvinis­ tes ou luthériennes avaient été autorisées voire encouragées par les fondateurs. Elles furent rapidement anéanties par la Contre-Réforme.

Dans la baronnie de Fénétrange, les barons d'Empire convertis au luthé­ ranisme avaient imposé leur confession à leurs sujets dès le XVIe siècle et les églises catholiques avaient été affectées au nouveau culte. Mais, passée peu à peu à la Lorraine catholique puis à la France en 1766, l'ancienne baronnie vit la réaffectation des églises protestantes aux catholiques ou leur destruction.

1. Exception faite des aménagements de lieux non destinés originellement au culte. 2. Le terme temple fait allusion au temple de Jérusalem de l'Ancien Testament. Cette référence biblique permet de signaler que, le sacrifice du Christ ayant mis fin au culte sacrificiel de l'ancienne alliance, tout lieu où se célèbre le culte « en esprit et en vérité » est un équivalent du temple de Salomon et d'affirmer simultanément la légitimité du culte se tenant en un tel lieu par le fait que sa référence fondatrice était antérieure à celle de la messe (invention sacerdotale) célébrée dans les églises, un usage de ce mot qu'ils ne trouvaient pas dans le Nouveau Testament. La forme circu­ laire (tradition savante) du temple de Lyon ou la forme allongée (tradition populaire) du temple de Charenton fait probablement référence aux représentations que l'on se faisait du temple de Salomon. En Suisse romande réformée, on revient au terme église selon la tradition allemande et anglaise. 3. Reconstruit par l'architecte Salomon de Brosse. 4. Temple du Retranchement de Guise I (1562-1569), temple de la rue de la Chèvre (1576-1577), temple en Chambière (1601-1663). Ainsi, on pourrait croire que sur le territoire mosellan, comme dans toute la France, l'édit de Fontainebleau avait stérilisé pour plus d'un siècle la construction protestante. Il n'en est rien.

Baerenthal, 1603 (cl. CPF)

En effet, aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, les territoires de l'est du dépar­ tement, alors terres d'Empire et soumis à ses princes, comtes et barons palatins d'Empire, obéissaient, depuis le traité d'Augsbourg de 1555 à la règle du cujus regio ejus religio. Comme à Fénétrange, la religion du prince était devenue celle de ses sujets et les lieux de culte catholiques avaient été attribués aux protes­ tants. Il en alla ainsi dans le comté palatin luthérien de Hanau-Lichtenberg où les protestants occupèrent l'église Sainte-Catherine de Baerenthal et la recons­ truisirent en 1630 après un incendie. Le comté fut rattaché à la province d'Al­ sace en 1680. Or, celle-ci resta exempte des conséquences de la révocation de l'édit de Nantes et les protestants ne furent pas inquiétés. L'église de Baerenthal est notre plus ancienne église protestante encore en fonction.

Au XVIIIe siècle, l'ancien comté de la Petite-Pierre, rattaché lui aussi à la province d'Alsace, ne fut pas davantage affecté par l'édit de Fontainebleau. A l'opposé du « désert » français, de nouvelles églises furent reconstruites dans quatre villages totalement protestants : à (1720), Berling et (1738), (1780). Cette dernière, la plus grande église protestante du département en 1870, est restée dans son état d'origine.

En 1790, la création du département de la Moselle bouleversa la géo­ graphie de la région. Par ailleurs, la Révolution et ses suites en apportant la liberté de conscience et la liberté de cultes modifièrent profondément l'ordre religieux antérieur. Au début du XIXe siècle, bénéficiant des lois concordataires, des articles organiques et des subsides publics, des lieux de culte ruraux neufs refleurirent, comme autant de résurgences, dans les anciens fiefs des barons de Fénétrange: Fénétrange (1806), (1833), (1840), (1866), tandis que de petites communautés ouvraient des lieux de culte jumelés à des écoles à (1852) et à (1834).

A Lixheim, les réformés achetèrent le couvent des tiercelins construit au XVIIe siècle pour le transformer en temple, école presbytère. A Metz, dès 1803, l'ancienne église des trinitaires devint temple de la communauté renaissante. A Courcelles, les réformés obtinrent un lieu de culte neuf en 1839.

Comme l'avait fait Louis XIV pour 160 paroisses alsaciennes, Napoléon 1er ordonna un catastrophique simultaneum dans deux églises mosellanes catholi­ ques à l'origine, celles de Hellering et de . La cojouissance de ces deux lieux de culte par les catholiques et les protestants ne fut levée que tardivement par l'intervention énergique de l'évêque Dupont des Loges et la construction d'églises neuves réservées à un seul culte.

Au cours du XIXe siècle, à ces résurgences en général rurales, s'ajouta une deuxième catégorie d'édifices. Ceux-ci étaient liés à la première industria­ lisation dont les capitaines protestants attirèrent des ouvriers coreligionnaires et financèrent des constructions d'églises ou de salles de prière.

La première église protestante de I (5) (1845) est redeva­ ble aux faïenciers protestants Utzschneider puis de Geiger ; celle de I (1846) doit beaucoup aux cartonniers Adt, celle de Boulay I (1849) au fabri­ cant Somborn, celle d'Ars-sur-Moselle I (1854) aux industriels Karcher & Westermann ; la paroisse de Hombourg-Haut est née grâce aux industriels pro­ testants Gouvy et le temple de I (1870) à un fabricant de gélatine et à l'effort des salines. I (1843) doit sa naissance aux industries du bois. Tous ces édifices furent remplacés après 1871. Subsiste l'église de (1857) fondée par les maîtres de forges alsaciens de Dietrich.

En 1871, l'annexion de la Moselle au Reich allemand marqua le début d'une nouvelle ère du protestantisme dont les effectifs de fidèles passèrent de 3 % de la population en 1871 à 10 % de la population vers 1914. L'annexion fut aussi un véritable âge d'or de l'architecture protestante.

5. Nous ajoutons la référence I aux édifices disparus qui furent en général remplacés par des édifices neufs. La militarisation de l'espace frontalier engendra la construction d'édifices prestigieux : le temple de garnison de Metz (1881), la plus vaste église de garni­ son d'Allemagne avec 2400 places mais dont ne subsiste que la tour clocher de façade, le temple de garnison de Dieuze (1900, disparu), l'église de garnison de (actuellement dans une situation catastrophique). D'autres édifices furent liés à la présence d'une garnison qui renforçait les effectifs des fidèles (à , Saint-Avold, , Montigny-Sablon).

Le processus des constructions dans les zones industrielles conquises s'amplifia considérablement: l'industrie sidérurgique appela un afflux de mineurs et d'ouvriers protestants et permit l'érection de paroisses et la construc­ tion de temples dans la vallée de la Fensch à et (1891), Audun-le-Tiche (1893), Rédange (1905), (1910), (début de la construction en 1914). Dans la vallée de l'Orne, la construction des temples de Moyeuvre (1897), de (1901), de (1914) fut épaulée par les financements des grands groupes industriels rhéno-westphaliens. Dans le bassin houiller s'ouvrirent les églises luthériennes de Saint-Avold (1889), Petite-Rosselle I (1914), L'Hôpital (1914-19), Freyming (un premier projet date de 1914). L'ouverture du temple d' (1900) est liée à l'industrie du bois. La création des paroisses et la construction des églises de Montigny (1894), Avricourt (1898) et I (1903) s'expliquent par le développement du chemin de fer et l'afflux de cheminots protestants.

Outre ces créations de temples et églises « du fer et du charbon », les anciennes paroisses des chefs-lieux d'arrondissements de Boulay, Forbach, Sarrebourg, Sarreguemines, Thionville qui étaient passées avec l'annexion au rang de chefs-lieux de Kreis virent affluer un nombre important de fonction­ naires allemands protestants avec leurs familles. Dans ces villes, les paroisses furent contraintes de faire construire des édifices neufs mieux adaptés, plus vastes et plus modernes que les précédents.

De cette période florissante de l'annexion, il reste 35 édifices des deux confessions confondues. Quelques-uns ont malheureusement disparu au cours des deux guerres mondiales sans être reconstruits.

En 1918, la défaite de l'Allemagne entraîna l'exode d'un nombre impor­ tant de protestants. On se contenta de terminer les édifices commencés (Fontoy, 1930) ou projetés (Freyming, 1926, Yutz, 1929). La construction du temple d'Amnéville (1953) fut contrecarrée et ajournée deux fois à cause des conflits.

Après les dramatiques conséquences humaines et matérielles de la secon­ de guerre mondiale qui anéantit un nombre considérable d'édifices, l'heure fut à la reconstruction. Grâce au ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, (MRU) qui délégua des architectes parisiens dans les régions sinistrées, les églises de Petite-Rosselle et de Freyming ruinées furent reconstruites tandis que dans une Moselle hissée au rang de Texas français, les HBL et la sidérur- Créhange, 1982 (cl. CPF) gie intégrèrent les édifices cultuels dans leurs projets et leurs programmes de nouvelles cités ouvrières à Stiring-Wendel (1952), (1957), (1957), Behren-lès-Forbach (1960), Farébersviller (1963), Maizières (1968) et enfin Créhange, la dernière en date (1982)

B. DES FONDS, DES LOIS ET DES HOMMES

La construction publique étant affaire de lois, d'hommes, de pierres et de fonds, il faut aborder la question des contraintes économiques qui pèsent sur les édifices de culte.

Le financement

Alors qu'au XVIIIe siècle, la construction était du ressort des princes et des communautés, à partir du XIXe siècle, subventionnés en partie par les fonds publics, luthériens ou réformés bénéficièrent aussi d'aides pécuniaires provenant de fortes organisations protestantes françaises ou internationales de la diaspora. Le Gustav AdolfVerein devenu de nos jours Gustav AdolfBund est le plus connu. Les églises de garnison, pour leur part entrent dans le cas particulier d'un financement par le ministère berlinois de la Guerre qui permit d'en faire de prestigieux édifices de propagande. On connaît certes l'exceptionnelle prodigalité de Guillaume II pour le temple de Courcelles qui fut entièrement payé sur sa liste civile. Mais, pour faire mentir les légendes qui voient en l'empereur le constructeur et le financier de tout édifice protestant en Moselle, il faut dire que la manne impériale se faisait surtout en nature et ne tombait que sur quelques communautés chanceu­ ses ou plus quémandeuses que les autres. Les empereurs offrirent surtout des cloches. Les cloches du temple de la garnison de Metz furent fondues sur ordre de Guillaume 1er dans les canons de la guerre de 1870. Le même Guillaume 1er fit don de 14 tonnes de bronze pour l'église simultanée de Vibersviller. Ce cadeau retentissant mais empoisonné engendra d'ailleurs d'homériques querel­ les entre les catholiques et protestants. Guillaume II, quant à lui, appliquait la politique des Gnadengeschenke plus ou moins aléatoires. Les orgues et la bible de Sarrebourg, les cloches d'Ars font partie de ces dons gracieux. Au Temple Neuf de Metz, Guillaume II, quoi qu'on en dise, n'intervint que sur la forme de l'édifice financé légalement et en partie par la subvention municipale (6).

La maîtrise d'ouvrage des édifices, quant à elle, est étroitement contrô­ lée. Au XIXe siècle, c'est le ministère des Cultes et le service des bâtiments civils qui en assure l'expertise. Sous l'annexion, les services de la Présidence et les services du Kreis contrôlent scrupuleusement les financements, surveillent les adjudications de travaux, vérifient les techniques constructives, testent la sécurité des édifices. Aucune construction publique n'échappe à la règle.

La communauté, le consistoire réformé ou le directoire luthérien inter­ viennent, pour leur part, en dressant un cahier des charges et en orientant la forme des édifices dans le sens des réflexions des théologiens. On verra les exemples issus de nouveaux concepts à Nilvange, , . A Rombas c'est la communauté qui, de son propre chef, a commandé le plan centré de ce bel édifice (7).

Les maîtres d'œuvre sont très rarement des architectes libéraux. Au XIXe siècle, les auteurs des projets sont des architectes communaux ou départe­ mentaux (Maurice Dérobe à Courcelles I, Ferdinand Boudot à Sarrebourg I).

Au cours de l'annexion, ce sont les architectes fonctionnarisés du Kreis qui sont légalement responsables des projets. Retenons les noms de Josef Ernst à Sarrebourg, véritable homme de foi, à qui l'on doit quatre édifices(8),

6. PIGNON-FELLER (Christiane), « Le Temple Neuf de Metz, une architecture des paradoxes », 50sept, n° 6, décembre 2006. 7. C'est ainsi que certains matériaux furent jugés inadéquats pour des constructions monumentales. Au Temple Neuf, le grès fut préféré au calcaire de Jaumont insuffi­ samment résistant. 8. Abreschviller (1900), Sarrebourg (1898), Avricourt (1898), Dieuze (1904). Wilhelm Hermann à Thionville qui en donna 3 (9), et surtout Conrad Wahn, un architecte protestant (10) nommé expert ès bâtiments religieux dans toute la Moselle allemande à qui l'on doit huit projets (11) dont sept furent réalisés.

Le rôle des théologiens n'est pas négligeable surtout quand ils détiennent savoir et pouvoir décisionnel. Ainsi, au tournant du XXe siècle, l'arrivée du pro­ fesseur de théologie et d'histoire de l'art Johannes Ficker (12) à la faculté de Strasbourg infléchit les tendances et modifia le paysage architectural. Orientant les décisions du directoire et des consistoires, Johannes Ficker imposa à la Lorraine l'architecture et les architectes de son choix. Ce fut l'époque des archi­ tectes berlinois Eduard Fürstenau, Martin-Richard Herrmann, Arthur Kickton qui supplantèrent les architectes locaux.

Si le retour à la France en 1918 favorisa à nouveau les architectes alsaciens ou lorrains comme Théophile Berst à Fontoy, Edmond Gresser à Stiring-Wendel, Charles Dornseiff à Yutz, la période de la Reconstruction appela en Moselle un grand nombre d'architectes parisiens agréés par le MRU (John Sergy à Freyming, Jacques de Bary à Behren et Farébersviller, Georges Clément, asso­ cié d'Emile Aillaud à Creutzwald) ou des architectes locaux accrédités par le même MRU.

De rares églises furent construites après concours (Petite-Rosselle par Willy Grossmann). Les dernières en dates sont dues à des agences libérales (Jean Krier à Maizières-lès-Metz, Roger Zonca à Créhange). Ces dernières proposèrent une architecture moderne libre de tout a priori.

Le nombre d'acteurs impliqués et les trajectoires des architectes sur un axe Berlin-Paris expliquent la diversité et l'hétérogénéité des formes de l'architec­ ture des protestants en Moselle.

9. Thionville, Algrange et Hayange (1891) 10. qui avait cependant épousé une catholique... 11. (projet 1888), Saint-Avold (1889), Forbach (1892), Audun-le-Tiche (1893), Montigny (1894), Sarreguemines (1898), Rombas (1901), Metz Temple Neuf (1904). 12. Johannes Ficker (1861 Leipzig - 1944 Halle) joua un rôle éminent dans le domaine des constructions religieuses protestantes en Alsace et en Moselle. Sa participation aux divers congrès qui eurent lieu à Berlin sur l'architecture des protestants, ses conférences (notamment à Metz) et surtout son ouvrage Evangelischer Kirchbau, 1905, dans lequel il promouvait une architecture dessinée par l'architecte berlinois Eduard Fürstenau firent de lui le maître à penser de la question. C. PEUT ON PARLER D'ARCHITECTURE PROTESTANTE?

C'est la question que pose VEncyclopédie du protestantisme. En effet, « de toutes les expressions artistiques, l'architecture semble a priori être celle qui est la plus étrangère au protestantisme qui a trouvé dans l'écriture et la musique des moyens d'expression plus proche de sa théologie que les arts plastiques ». Calvin, dans YInstitution de la Religion chrétienne III, XX, 30 n'affirme-t-il pas : « Les lieux de culte ne sont pas des habitacles particuliers où notre sei­ gneur nous prête l'oreille de plus près ». Mais, comme le culte a un caractère communautaire et public, les premiers huguenots tiennent pour « requis que pour ce faire, il y ait des temples assignés ». Chez les luthériens, le culte est par excellence le moment où la communauté chrétienne se manifeste comme Eglise de Dieu vivant de sa parole. L'édifice qui l'abrite a donc une signification spécifique et métonymique.

Dès ses origines, s'appuyant sur le deuxième commandement du déca- logue, le protestantisme s'en prend aux arts visuels, architecture religieuse comprise. Pourtant, née avec la Renaissance, la Réforme a bien intégré le fait qu'avec l'invention de la perspective, l'architecture n'est plus un art de l'image mais un art de l'espace qui prend conscience de sa responsabilité dans l'organi­ sation de la communauté et de la cité.

Dès lors, il est pertinent de s'interroger sur une organisation de l'espace propre aux communautés protestantes tant il est vrai que les édifices de culte sont la première expression visible de la nouvelle doctrine et de la liturgie qui en découle. Les Allemands affirmant que « Die Liturgie ist die Bauherrin der Kirche », la liturgie est maîtresse d'ouvrage de l'église, il faut questionner les nouveautés apportées à la doctrine et au culte par la Réforme et apprécier leurs conséquences perceptibles ou leur concrétisation dans l'architecture intérieure des lieux de culte protestants.

Ces nouveautés doctrinales (et non dogmatiques) sont exprimées dans l'église de Sarreguemines où l'on peut lire les inscriptions : sola scriptura, sola fide, sola gratia. Ces fondamentaux communs aux deux confessions protestan­ tes reconnues en Moselle fournissent les clés programmatiques de tout aména­ gement de lieu de culte protestant (13).

13. Le protestantisme se réunit autour de six affirmations : la bible seule, la foi seule, la grâce seule, le sacerdoce universel, se réformer sans cesse, à Dieu seul la gloire. D. L'ESPACE INTERIEUR ET LA DOCTRINE: SOLA SCRIPTURA, SOLA FIDE, SOLA GRATIA Le plan La Réformation, fidèle à la seule parole révélée, a répudié la messe, a expulsé les dévotions particulières aux saints, rejeté les reliques et les conces­ sions funéraires, a proscrit les rites processionnels. De la sorte, l'architecture protestante a éliminé les cryptes, les chapelles intérieures, les autels secondai­ res, les déambulatoires de l'espace pluriel catholique pour aménager un espace totalement unifié pour un culte unique. Le plan des églises mosellanes du XVIIIe siècle (Berling, Zilling, Wintersbourg, Hangviller) ou du début du XIXe siècle Fénétrange, Postroff, Schalbach, Mittersheim, Courcelles I, Sarralbe en donnent des exemples pro­ bants. Lorsque, à la fin du XIXe siècle, le programme de la construction inclut l'emploi d'un style issu du Moyen Age, gothique ou roman, les architectes n'auront de cesse de parvenir, en partant du schéma médiéval cruciforme conventionnel, à l'idéal d'un plan centré. Ils dilatent proprement l'espace intérieur en raccourcissant de plus en plus la nef et en élargissant les bras de transept (Forbach, Sarreguemines, Montigny, Temple Neuf de Metz). Les chapelles d'axe ou les chapelles rayonnantes, nécessaires à l'esthéti­ que « archéologique » du chevet, sont coupées de l'espace intérieur et réduites à une fonctionnalité parfois triviale. Le plan centré ou en croix grecque finit souvent par s'imposer car il offre la meilleure expression d'un espace unifié. Les temples de Sarrebourg, Rombas et le temple impérial de Courcelles en sont les plus beaux exemples.

L'élévation L'injonction sola scriptura détermi­ ne également la conception de l'élévation des édifices. L'unité de l'espace intérieur induit d'emblée un gommage des zones d'ombres propices au sentimentalisme, à la distraction, à la dispersion, à l'isole­ ment. Aussi, les protestants accordent-ils une importance primordiale à la clarté et à l'ouverture des édifices à la lumière du jour. Sur le modèle du temple de Charenton, véritable « cathédrale de verre », ils accueillent la lumière à flots. Les baies de façade et de chevet des églises du XIXe siècle de type grange, les immenses roses des bras de transept des édifices néogothiques ou néo-romans ou les vastes baies des églises de la Reconstruction, (Amnéville, Stiring-Wendel, Behren-lès-Forbach, Freyming, Créhange) inondent les édifices de lumière.

Les matériaux

Courcelles, 1895, la charpente (cl. CPF) Zilling, 1720, la chaire (cl. CPF)

De cet espace communautaire unifié et clair la Bible occupe le centre. Elle est toujours ouverte sur la table ou l'autel, elle est la seule source. L'injonction du prophète Esaie « Ecoutez et votre âme vivra » qui figure à l'entrée du temple de Yutz implique que tout doit être fait pour favoriser des conditions d'écoute optimales de la Parole révélée et de la prédication. Aussi l'architecture protes­ tante privilégie-t-elle le bois comme le matériau aux meilleures performances acoustiques. Les plafonds de bois, les voûtes carénées, les charpentes comple­ xes participent alors autant de l'acoustique que de l'esthétique et les églises granges révèlent de véritables chefs d'œuvre de charpentes (Boulay, Hayange, Abreschviller, Courcelles-Chaussy, Créhange)

La chaire, la table de la sainte Cène, les fonts baptis­ maux

Sola scriptura, c'est aussi la prééminence accordée à l'endroit d'où est proclamée la Parole. La chaire devient ainsi le point focal de l'espace cultuel protestant, magnifiant le caractère royal et sacerdotal de la prédication.

La chaire, haut placée avec son dorsal et son vaste abat-voix, occupe en général une situa­ tion centrale et frontale (Zilling, Fénétrange, Lixheim...). Fénétrange, 1806, la chaire (cl. CPF) Creutzwald, 1963, l'allée latérale et la chaire (cl. CPF)

Quand temporairement, à la fin du XIXe siècle, les questions stylistiques prennent quelque peu le pas sur celles de la liturgie, la présence d'une abside plus ou moins marquée reporte la chaire en position latérale, adossée à l'arc triomphal. Elle n'en occupe pas moins une place primordiale voire prend une véritable dimension esthétique (Montigny, Temple-Neuf de Metz). Parfois, intégrée dans le bâti, elle sort du domaine mobilier pour prendre une dimension architecturale (Boulay, Lutzelbourg, Creutzwald).

Les protestants rejetant les sacrements institués par l'Eglise catholique (14) et le sacrifice de la messe, l'avant de leur lieu de culte s'ouvre pour la célébration des deux sacrements institués par le Christ: la sainte Cène et le Baptême. L'autel ou la table de communion sont placés en position centrale face aux fidèles. Souvent, la table est située significativement sous la chaire, car c'est la Parole qui donne son sens au sacrement. Y ont disparu les taber­ nacles, ostensoirs, retables, statues, voire candélabres (15). En bois, en pierre, en marbre, l'autel porte parfois sur l'antependium des versets bibliques ou une figure de l'Agneau, (référence à l'évangile de Jean), la dédicace de fondation (Phalsbourg, Yutz) ou les symboles de l'alpha et de l'oméga.

Le Baptême, quant à lui, se célèbre à l'avant de l'église. Les fonts baptis­ maux ou baptistères, parfois appelés Taufstein ne sont jamais isolés au fond de l'église, mais placés devant, à la vue de la communauté. Ils sont parfois réduits à de simples vases liturgiques autour desquels se rassemble la communauté.

14. Confirmation, extrême onction, mariage, ordination, confession. 15. Exceptionnellement, quelques autels restent adossés (Ars), voire sont surmontés de retables (église de la rue Mazelle à Metz). Le grand retable de Sarreguemines a été donné à la paroisse par l'église Saint-Paul de Strasbourg. La place des fidèles

Le second fondamental de la doctrine, sola fide, laisse entendre qu'il n'existe pas d'intermédiaire ecclésiastique ou dogmatique entre les fidèles et Dieu. Il institue le sacerdoce universel. De ce fait, une place identique est affectée à chacun dans l'organisation spirituelle et matérielle de l'église et de la communauté. La conséquence en est la disparition du narthex (réservé aux catéchumènes chez les catholiques), l'absence de chœur proprement dit ou l'étroite union du chœur et de la nef, en tous les cas, l'absence de séparation des deux espaces.

Les piliers ou colonnes sont éliminés. Les bas-côtés ou collatéraux réduits à leur simple rôle de passage dégagent l'espace central. A Thionville, à Forbach, ce passage a donné naissance à un beau motif architectural. A Creutzwald, d'étroits arcs diaphragmes apportent une solution moderne à la question des circulations et des accès.

Les tribunes

Le troisième fondamental de la doctrine, sola gratia, nous dit que la valeur d'une personne ne dépend ni de ses qualités ni de son mérite, ni de son statut social mais de l'amour gratuit de Dieu qui confère à chaque être une valeur inestimable. Aussi, dès les origines, l'organisation intérieure des édifices abou­ tit-elle à un effacement des hiérarchies et à des conditions d'écoute favorables à tous donc à une rationalisation de l'espace en hauteur. Les tribunes apportent une solution pragmatique à la question. A la différence des tribunes catholiques réservées à certaines catégories de fidèles, les tribunes des édifices protestants sont facilement accessibles à tous de l'extérieur grâce à un nombre important de portes (7 au Temple Neuf, 9 à Morhange), caractéristique toujours soulignée par les architectes. Ces tribunes sont en U, en fer à cheval, voire uniquement élevée dans les bras du transept. Rue Mazelle, à Metz, elles longent la nef sur deux étages. Parfois, pour des raisons pratiques, les tribunes ne sont construites que d'un seul côté, comme à Metting, Nilvange, Queuleu ou Stiring-Wendel.

L'orgue

« Il n'y a rien qui ait si grande efficace à esmouvoir les cœurs qu'une musique chantée ». disait Martin Bucer en 1529. A cette remarque correspond l'invite du psalmiste qui figure au-dessus de l'orgue de Sarreguemines : Jubilate, Cantate, Rogate, Réjouissez vous, chantez, priez. Cette invite pose la question de l'accompagnement et du soutien des chants, des cantiques et des psaumes par un instrument de musique. L'orgue, banni d'abord par les calvinistes, admis tar­ divement par Zwingli, fut finalement adopté partout en Moselle au XIXe siècle. Il est intéressant d'observer sa place dans l'espace cultuel et l'impact visuel de certains buffets en général harmonisés au style de l'église.

L'orgue est en général placé en tribune, au revers de la façade. Du plus ancien in situ (orgue de Fénétrange de Verschneider) au plus récent rapporté (orgue de Forbach de Théo Haerpfer), son buffet adopte en général le style de l'édifice. Certains buffets du début du XXe siècle, dessinés par les archi­ tectes (buffet néo-roman de l'orgue du Temple Neuf de Contrad Wahn, buffet Jugendstil de l'orgue de Philippsbourg dessiné par Arthur Kickton) sont parti­ culièrement remarquables. Dans le domaine des buffets néo-baroques, on peut remarquer celui de l'orgue Weigel de Nilvange.

Le programme de Wiesbaden: une disposition originale du mobilier cultuel

En 1891, en Allemagne, après d'innombrables et houleux congrès aux­ quels participèrent des architectes praticiens, des théologiens comme Johannes Ficker et des hymnologues comme Friedrich Spitta, apparaît un nouveau programme d'organisation des édifices protestants appelé programme de Wiesbaden. Considérant dorénavant comme secondaires les questions de style et d'élévation, les architectes se préoccupent de la disposition du mobilier litur­ gique et se focalisent notamment sur la place de l'orgue dans l'espace cultuel. L'orgue est alors placé face aux fidèles dans un dispositif totalement original inventé et expérimenté par chaque architecte. (Sarrebourg par Joseph Ernst, Montigny et Rombas par Conrad Wahn, Queuleu par Ludwig Levy, Longeville- lès-Metz par Franz-Josef Herrmuller) (16). Dans ces édifices l'orgue, face au peuple, domine la chaire qui elle-même surplombe l'autel ou la table de Cène. A défaut d'y voir une symbolique, on peut apprécier la rationalisation de l'espace réservé au culte dans ce programme de Wiesbaden dont l'application a donné de remarquables résultats.

Sola Scriptura : la question des images

Le décalogue enjoignant: « tu ne te feras aucune image sculptée et tu ne te prosterneras pas devant ces images », l'aniconisme et la nudité des édifices apparaissent logiquement comme une de leurs premières caractéristiques, sur­ tout chez les réformés.

Les images sont souvent remplacées par l'écriture de versets bibliques soit en langue vernaculaire, soit en latin, voire en grec avec l'évocation de l'alpha et l'oméga. A Dieuze figure l'inscription: « Dieu est amour et qui demeure en l'amour demeure en Dieu / Jésus Christ est le même hier, aujourd'hui, éternel­ lement ». A Schalbach on peut lire une partie de la parabole des Vierges sages et des vierges folles : « Veillez car vous ne savez ni le jour ni l'heure, Wachet denn ihr wisset weder tage noch Stunde ».

16. On remarquera qu'il s'agit uniquement de temples réformés urbains.

N'allons pas croire pourtant que le protestantisme est un désert icono­ graphique. Si Luther critique le culte les images, il les admet pourtant soit pour leurs vertus pédagogiques ou mnémotechniques soit comme de simples objets qui n'engagent pas la foi (17). Mais, alors que de nombreuses bibles sont illustrées, les images peintes, les tableaux et les statues sont en général absents des églises protestantes. La statue du Christ à l'entrée du temple de Sarrebourg (copie par le sculpteur Strasbourgeois Riegger d'un Christ de Thorwaldsen à Copenhague) et celle du Christ à l'entrée du temple de Queuleu sont de nota­ bles exceptions, de même que les deux huiles sur toiles originelles du temple de Sarrebourg et celles offertes à l'église de Phalsbourg et au temple de Lixheim.

Le vitrail, une pédagogie lumineuse

C'est de préférence dans l'immatérialité et la transcendance éclatante du vitrail que les luthériens et les réformés de Moselle « donnent à voir » les arti­ cles de leur credo. Ils ont des yeux pour le croire(\%).

En référence à la pédagogie de l'histoire, les portraits des grands réfor­ mateurs Luther et Zwingli sont représentés en médaillons dans les vitraux de Sarrebourg ; au Temple Neuf de Metz, les portraits en médaillon de Farel et de Calvin des maîtres-verriers Ott de Strasbourg ont disparu.

Dans l'éclat des vitraux, les « images » ont toujours valeur didactique et se réfèrent, sola scriptura, aux écrits vétérotestamentaires et néotestamentaires. On en verra des exemples de vitraux tableaux rue Mazelle à Metz avec une repré­ sentation de VAscension (L Ferdinand Muller Quedlinburg), à Longeville avec un Christ de la Passion selon Durer (Michel Thiria Metz), à Rombas avec une Nativité (R. Francke, Naumburg), à Nilvange avec un Christ prêchant (ateliers Zettler, Munich).

Après la guerre, on voit apparaître des programmes plus ambitieux. Le maître-verrier Tristan Ruhlman de Haguenau multiplie les représentations figu­ rées de l'Evangile (Baptême, Cène, Crucifixion, Résurrection) dans les églises de l'Est du département tandis que l'on fait appel, à Morhange, au grand verrier mosaïste Auguste Labouret pour encadrer une Crucifixion de figures bibliques et évangéliques.

Plus tard, certains programmes se font visionnaires et symboliques. A Behren-lès Forbach, Arthur Schouler nous dépeint la Genèse, à Berling,

17. Ainsi, tandis que la simple croix figure dans les temples réformés, le crucifix des luthériens est habité, car, dit Luther, le Christ s'est donné comme représentation aux hommes. 18. CHRISTIN (Olivier), Les yeux pour le croire, Lyon, 2005. Morhange, vitraux Auguste Labouret, 1954 (cl. CPF)

Behren, vitrail Arthur Schouler, 1964 (cl. CPF) Sonia Ganglof évoque la grande histoire de l'Alliance divine, à Stiring Wendel, Yvonne Maury suggère les grandes scènes de l'Evangile.

L'étonnante présence « d'images de verre » dans les édifices (19) tant réformés que luthériens est une des singularités mosellanes héritées de son histoire. Elle est explicable par la cohabitation de deux communautés et l'inter­ pénétration des influences à un moment donné de leur histoire.

Ainsi, fidèle à la doctrine et à la liturgie qui en découle, l'édifice protes­ tant propose une nouvelle appréhension de l'espace de culte autour de la Parole et des deux sacrements institués par le Christ, la Cène et le Baptême. Mais en dehors du culte, l'église n'a aucun caractère de sacralité car selon Paul « Le Très haut n'habite pas des demeures construites par les hommes ». Ces maisons de Dieu abritent simplement la communauté des hommes.

Pourtant tous les édifices rendent gloire à Dieu selon une des dernières clés de la doctrine qui nous fera découvrir l'évolution des formes extérieures de l'architecture protestante en Moselle.

E. UNE TYPOLOGIE DES LIEUX DE CULTE EN MOSELLE

Soli deo gloria, Gott allein die Ehre, A Dieu seul la gloire

Quelle que soit la langue dans laquelle il s'exprime, cet énoncé qui figure au linteau de l'église de Metting appelle au témoignage et donc à la visibilité de la communauté dans la cité. Pour ce faire, les protestants ont conservé la tour clocher comme signal et la cloche comme appel. A cette fière manifestation de la foi, commune à la plupart des édifices religieux, la Moselle protestante ajoute des traits particuliers dus à une histoire religieuse et politique particulièrement mouvementée (20).

Les édifices du XVIIIe siècle

Au XVIIIe siècle, l'inspiration de la forme des nouvelles églises luthérien­ nes non touchées par la révocation de l'édit de Nantes tire ses références des églises construites par l'architecte baroque Friedrich Joachim Michael Stengel

19. L'histoire du vitrail protestant (absent des grands inventaires du vitrail) reste à faire... 20. Pour mémoire, citons les édifices catholiques reconstruits ou réaménagés en temples; Baerenthal 1630, Lixheim (1653), simultaneum der Hellering (1780), église des tri- nitaires de Metz 1720 qui fut temple de 1802 à 1904. L'ascèse fut leur lot commun. A Metz et à Lixheim elle avait été précédée par l'iconoclasme révolutionnaire. pour les princes de Nassau-Sarrebrùck. Elle est caractérisée par l'unité de l'espace, l'absence de chœur proprement dit, la place éminente de la chaire et l'avancée de la table de communion, les tribunes en U. L'extérieur suit la mode du baroque simplifié de l'architecte Stengel en usage sur les bords de la Sarre. L'église de Berling et celle de Hangviller, n'ayant subi que de minimes modifi­ cations, sont les meilleurs exemples de ce type d'édifice.

Les édifices post concordataires

Fénétrange, 1806 (CP coll. CPF)

Après le concordat, pour de transparentes raisons d'économie, les pro­ grammes se radicalisent. Les églises sont souvent couplées avec des écoles comme à Metting et à Lafrimbolle.

Les édifices protestants du XIXe siècle sont en général des salles rectan­ gulaires, à chevet plat, sans choeur saillant, à chaire centrale et à tribunes. La façade fait référence à un classicisme austère et sans fantaisie, le style du classi­ cisme romantique européen du début du XIXe siècle (Fénétrange et Mittersheim bâties sur le même modèle en 1808 et en 1867, Schalbach, 1841, Postroff, 1834. Le clocher rajouté en façade au temple de Lixheim en 1866 affecte les mêmes formes. En 1889 encore, rue Mazelle à Metz, dans un registre urbain plus éla­ boré, le style de la façade est le même, quand bien même on prétende y voir une influence de la Renaissance. Abreschviller, 1900 (cl. N. Pinier)

Les édifices de l'annexion : néogothiques et/ou néo-romans ?

A partir de 1871, la construction des édifices des protestants (toujours à l'époque scindés nommément entre luthériens et réformés) devient une affaire complexe nourrie de théories en constante évolution.

A l'inverse de la France, l'Allemagne en majorité protestante s'est, en effet, dès le début du XIXe siècle, préoccupée de l'architecture protestante (21). Lorsque, en 1823, on redécouvrit les plans de la cathédrale de Cologne inachevée et que l'on entreprit comme un devoir national de la terminer, celle-ci apparut comme l'idéal de l'architecture et le gothique du XIIIe siècle passa pour la plus ardente manifestation de la spiritualité allemande, qu'elle soit catholique ou protestante. Malgré les oppositions des tenants de styles plus conformes à l'histoire religieuse (22), en 1861, le congrès d'Eisenach sur l'architecture pro­ testante officialisa la victoire des modèles gothiques pour les protestants alle­ mands. Sous l'influence de Conrad Wilhelm Hase et de ses élèves (dont Conrad Wahn), le style néo-gothique protestant se répandit dans toute l'Allemagne et par conséquent dans les pays annexés. Le style néo-gothique fit dorénavant par­ tie du programme de la construction avec des adaptations plus ou moins savan­ tes mais toujours fonctionnelles et organisées de l'intérieur vers l'extérieur.

21. Contre Schinkel qui avait projeté un édifice gothique, un théologien, Louis Catel prôna le retour à l'antiquité grecque. En France, c'est Viollet-le-Duc qui mena la campagne de gothicisation de l'architecture. 22. Notamment Gottfried Semper Au sein de la proliférante catégorie des édifices protestants néogothiques (on en compte 20 sur 25 de 1881 à 1904) parfois proches des modèles locaux originaux, certains ne se dégagent pas d'un conformisme qui est aussi le lot des églises catholiques néogothiques du Second Empire et du deuxième Reich. Le temple de Boulay apparaît comme la première manifestation de ce type néogothique en Moselle. Puis suivent Avricourt, Abreschviller, Dieuze (dont l'architecte prétend s'inspirer de l'église Saint-Vincent de Metz). Algrange, Hayange, Moyeuvre en sont des déclinaisons moins inspirées. Thionville, plus vaste, manifeste les difficultés liées à l'histoire de sa conception.

Courcelles, 1895 (cl. CPF)

Par bonheur, certains architectes savent donner aux édifices néo-gothiques décorés à la manière du XIIIe siècle, une élégance où éclate leur talent. A Saint- Avold, Montigny, Forbach, Sarreguemines, Rombas, Conrad Wahn réussit à traiter les formes et les masses avec talent et un grand souci de variété tandis qu'à Sarrebourg, Josef Ernst, inspiré par sa foi, réinvente le gothique pour l'adapter au protestantisme. Au temple impérial de Courcelles-Chaussy, Paul Tornow propose un style gothique tardif inspiré de celui de la cathédrale de Metz dont il est l'architecte. (CP coll. CPF) Metz Queuleu, 1904 (cl. CPF) Qu'en est-il alors du mythique style néo-roman rhénan favori de Guillaume II ? Il faut bien dire que le style néo-roman ne fut que rarement employé en Moselle sinon pour présenter une alternative aux édifices catholi­ ques gothiques ou néogothiques dans un village ou parfois par caprice impérial. Bitche, Vibersviller, Queuleu et le Temple Neuf de Metz sont les seuls représen­ tants de ce type. Le paradoxe veut que, pour être proche des modèles archéolo­ giques dont il se prétend issu, le style néo-roman rhénan se pare d'une iconogra­ phie inaccoutumée et inusitée chez les protestants (23). Il est, par conséquent, plus onéreux. Ce qui explique probablement son insuccès relatif.

Les édifices de la réaction théologienne : une liberté pittoresque

A l'entrée du XXe siècle, le conformisme stylistique des uns ou les excès iconographiques des autres amenèrent une réaction décisive et une rupture définitive. Cette rupture est due à la fois à la montée du mouvement européen appelé en Allemagne Heimatschutz, préservation du patrimoine national et régional et aux effets des congrès multiples qui s'étaient tenus à Berlin au début du XXe siècle. Dès lors théologiens et hymnologues strasbourgeois tout puis­ sants impliqués dans la question de l'architecture protestante entrèrent en jeu. Selon des points de vue assez personnels, ils préconisèrent des modifications de l'architecture protestante et attirèrent des architectes berlinois en Lorraine. Le pittoresque, un folklore approximatif, le baroque voire l'Art nouveau orne­ mentèrent les édifices dont les plans affichèrent une dissymétrie volontaire qui devait résoudre la question de la distinction entre édifices catholiques et édifices protestants.

Les uns donnèrent des déclinaisons d'un art sévère teinté de réminiscen­ ces romanes rappelant le cantique Eine Feste Burg ist unser Herr (paraphrase par Luther du psaume 46) (24) comme à Ars-sur-Moselle et à L'Hôpital, une église et un temple construits par le même architecte berlinois Martin Richard Herrmann.

Johannes Ficker quant à lui, dans son ouvrage de référence Evangelischer Kirchbau préconisa l'emploi du style de la Renaissance primitive combiné au gothique tardif qu'il pensait être la marque spécifique de l'architecture religieu­ se d'Alsace-Lorraine. Son influence est manifeste dans l'église de Lutzelbourg du Berlinois Eduard Fürstenau.

23. PIGNON-FELLER (Christiane), ouv. cit. 24. WEEDA (Robert), De Friedrich Spitta à nos jours : la perception de la « Marseillaise » du XVIe siècle », Strasbourg 1900, naissance d'une capitale, Musée de Strasbourg / Somogy, 2000. Longeville, 1908 (CP coll. CPF) Ailleurs, Ficker autorisa Fürstenau à importer d'improbables et fantaisis­ tes modèles baroques. A et à Rédange s'élevèrent des chapelles (disparues) à clochers filiformes couronnés de bulbes. Le temple de Nilvange, néo-baroque, souleva un tollé général à cause de sa ressemblance avec le casino voisin.

A Philippsbourg, Arthur Kickton, autre architecte berlinois, mêla le roman et le baroque sur fond de paysage vosgien.

Cette mode fantaisiste contamina les rares architectes locaux encore en lice, voire imposa ses modèles encore tard dans le siècle. A Longeville-lès-Metz l'architecte Herrmüller tout en inventant une disposition intérieure originale, combina ruralité de l'Allemagne du Sud et Art nouveau (1907). A , une église néo-gothique asymétrique et pittoresque fut encore construite en 1934.

1918-1940: néo-classicisme et coup d'éclat

Yutz, 1929, (cl. CPF) Entre les deux guerres, on termine ce qui est commencé. A Phalsbourg, à défaut de nouvelle église, on ajoute une tour clocher classique sur la petite église luthérienne agrandie. A Fontoy on revient à une austérité proche du début du XIXe siècle, sans négliger les apports technologiques du béton armé. A Yutz, le temple au plan en croix grecque, sans hiérarchie de façades, avec ses toits bombés et sa coupole d'allures romano byzantine surprend par son audace et son étrangeté.

1945-1980 Chapelles de fortune et propositions audacieuses

Après la guerre et ses destructions, deux mouvements se dessinent. D'une part, de petites communautés construisent ou aménagent des chapelles de fortu­ ne à Falck, Hombourg-Haut, Cité Jeanne-d'Arc , Uckange, . Par ailleurs, de plus grands édifices, empreints de sobre modernité, sont élevés dans les mêmes zones industrielles du fer et du charbon. Stiring-Wendel, 1952, Amnéville 1953, Freyming, 1957, Petite Rosselle, 1960, Creutzwald 1963, Behren-lès-Forbach, 1966, Farébersviller, 1965, Maizières-lès Metz, 1968, Créhange, 1980. Les recherches s'orientent vers la conception de centres parois­ siaux; les lieux de vie succèdent aux lieux de culte stricto sensu. Lorsqu'elle réussit à se dégager des modèles traditionnels anciens, l'architecture protestante ouvre le pari de la structure et des nouveaux matériaux : les églises de Freyming et de Petite-Rosselle en sont les exemples les plus convaincants.

De nos jours, l'attention est davantage portée sur l'aspect communautaire et festif du bâtiment cultuel, sur une intégration sans ostentation dans la cité. A l'intérieur, on assiste à une revalorisation des sacrements et une façon plus conviviale, proche et intime d'apporter la prédication d'où le remplacement de la chaire par un ambon dans la plupart des églises.

Une architecture à découvrir

Comme les catholiques et selon les époques, et tout en restant fidèle à une doctrine immuable, les protestants ont su trouver un langage architectural propre et donner une forme singulière à la métonymie du contenu (l'Eglise communauté) et du contenant (l'église bâtiment). Les protestants de Moselle ont apporté des réponses diverses et évolutives à la question de l'architecture de leurs lieux de culte. Première expression de la doctrine et de la liturgie qui en découle, les édifices protestants ont toujours été conçus selon le principe de la liturgie maîtresse d'ouvrage. Pourtant, commanditaires, communautés, théologiens, maîtres d'œuvre et artistes ont su soumettre les formes monumen­ tales aux techniques constructives et aux courants esthétiques de leur époque. Celles-ci ne peuvent s'appréhender qu'à la lumière du contexte historique et religieux de notre région. Ce contexte explique que l'architecture protestante mosellane harmonise à des degrés divers « die reformierte Klarheit und die lutherische Innigkeit ». Cette ambivalence qui appelle à une ouverture d'esprit œcuménique est une des singularités de ce patrimoine méconnu qui mérite notre respect (25).

Un tableau commandé à un artiste protestant contemporain, Pascal Henri Poirot, polarise toute la dynamique du protestantisme qui réside dans la néces­ sité de se réformer sans cesse. Cette Tour de Babel en construction apparaît comme la plus belle métaphore de l'architecture protestante.

Abreschviller, La tour de Babel, Pascal-Henri Poirot, 2000

25. On trouvera une synthèse, une chronologie, des notices sur chacun des édifices de Moselle, un index et une bibliographie exhaustive dans PIGNON-FELLER (Christiane), Architecture protestante. Moselle XVIIe-XXe siècle, Editions Serpenoise / Conseil général de la Moselle, 2006. Photographies Nicolas Pinier, cartographie Hugues Duwig, design graphique atelier Ithaque, coordination relecture, Marie Gloc.