« Les Yeux Pour Le Croire » Pérennité Et Actualité Des Lieux De Culte Protestants En Moselle

« Les Yeux Pour Le Croire » Pérennité Et Actualité Des Lieux De Culte Protestants En Moselle

« Les yeux pour le croire » Pérennité et actualité des lieux de culte protestants en Moselle par Mme Christiane Pignon-Feller, membre associé libre Répartition des lieux de culte protestants en Moselle. Cartographie Hugues Duwig. La formation du territoire mosellan divisé en deux espaces linguistiques - un espace dialectal germanophone et un espace francophone — partageant le territoire en deux zones à peu près égales témoigne d'une histoire agitée, sans cesse tiraillée politiquement entre France, duché de Lorraine et pays germani­ ques. Dans le domaine religieux, outre la présence juive, la religion catholique majoritaire s'accompagne, à partir du XVIe siècle d'une religion protestante dédoublée en deux confessions appelées de nos jours ERAL Eglise réformée d'Alsace et de Lorraine et ECAAL Eglise de la Confession d'Augsbourg d'Al­ sace et de Lorraine. Au sein de la Fédération protestante de France, née en 1905, qui rassem­ ble la plupart des Eglises et des associations protestantes de France, ces deux Eglises jouissent d'un statut particulier. Toutes deux continuent à bénéficier des lois concordataires et des articles organiques de 1802 ainsi que des décrets du Second Empire de 1852, alors que dans le reste de la France, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat est de rigueur depuis 1905. En effet, lors de l'annexion de l'Alsace et de la Moselle (agrandie d'une partie de la Meurthe) au Reich allemand, entre 1871 et 1918, le Concordat fut maintenu dans ses grandes lignes. En 1918, lors du retour de l'Alsace-Moselle à la France et jusqu'à nos jours, le régime de la séparation de l'Eglise et de l'Etat ne leur fut pas appliqué. Dans les trois départements Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle règne le statut local des cultes (qui concerne les quatre cultes reconnus) ce qui en fait des exceptions au sein de la France laïque et républicaine. Alors que les églises catholiques ont bénéficié d'inventaires quasi exhaus­ tifs, les lieux de culte protestants ont été jusqu'à présent largement inexplorés au point de vue de l'histoire de l'architecture. Faut-il en incriminer la réputation de rigueur et de modestie liée à cette pratique dont l'excès de discrétion ne néces­ siterait aucune étude? Ou doit-on rappeler qu'en France du moins, le protes­ tantisme a été pendant longtemps une religion non officielle, minoritaire, voire réprouvée dont la Nation a parfois eu des difficultés à reconnaître la présence ? Or, la Moselle, par sa situation d'entre-deux, entre une France catholique et des régions de langue allemande majoritairement protestantes présente une riche mosaïque de formes architecturales nées de la Réforme. Elle se trouve ainsi être un véritable laboratoire d'analyse des lieux de culte protestants. Du XVIe au XXe siècle, c'est près d'une centaine de lieux de culte qui furent érigés en Moselle dont une soixantaine, d'une étonnante diversité, continuent encore à signaler dans le paysage une présence spirituelle singulière et parfois une altérité. Ils se partagent également entre l'ERAL et l'ECAAL, une trentaine d'édifices pour chaque confession (1). Traditionnellement, on emploie le terme temple pour désigner un édifice calviniste (ERAL) et le terme église pour dési­ gner un édifice luthérien (ECAAL) (2). A. DE BAERENTHAL A CREHANGE, UNE HISTOIRE DES LIEUX DE CULTE PROTESTANTS EN MOSELLE 1685, la révocation de l'édit de Nantes marque une date fatale pour les Huguenots. Leurs lieux de culte, dont le célèbre temple de Charenton (3), sont démolis dans toute la France. A Metz, après de multiples tracasseries prémoni­ toires et après la destruction des trois premiers temples (4) selon les fluctuations de la politique et des alliances, le quatrième temple des Huguenots (construit en 1664 et sis au retranchement) est abattu lui aussi. Le premier temple de Courcelles subit le même sort. Il en fut de même dans les deux villes libres ou villes-refuges de Phalsbourg (fondée en 1568) et de Lixheim (fondée en 1602) où les constructions calvinis­ tes ou luthériennes avaient été autorisées voire encouragées par les fondateurs. Elles furent rapidement anéanties par la Contre-Réforme. Dans la baronnie de Fénétrange, les barons d'Empire convertis au luthé­ ranisme avaient imposé leur confession à leurs sujets dès le XVIe siècle et les églises catholiques avaient été affectées au nouveau culte. Mais, passée peu à peu à la Lorraine catholique puis à la France en 1766, l'ancienne baronnie vit la réaffectation des églises protestantes aux catholiques ou leur destruction. 1. Exception faite des aménagements de lieux non destinés originellement au culte. 2. Le terme temple fait allusion au temple de Jérusalem de l'Ancien Testament. Cette référence biblique permet de signaler que, le sacrifice du Christ ayant mis fin au culte sacrificiel de l'ancienne alliance, tout lieu où se célèbre le culte « en esprit et en vérité » est un équivalent du temple de Salomon et d'affirmer simultanément la légitimité du culte se tenant en un tel lieu par le fait que sa référence fondatrice était antérieure à celle de la messe (invention sacerdotale) célébrée dans les églises, un usage de ce mot qu'ils ne trouvaient pas dans le Nouveau Testament. La forme circu­ laire (tradition savante) du temple de Lyon ou la forme allongée (tradition populaire) du temple de Charenton fait probablement référence aux représentations que l'on se faisait du temple de Salomon. En Suisse romande réformée, on revient au terme église selon la tradition allemande et anglaise. 3. Reconstruit par l'architecte Salomon de Brosse. 4. Temple du Retranchement de Guise I (1562-1569), temple de la rue de la Chèvre (1576-1577), temple en Chambière (1601-1663). Ainsi, on pourrait croire que sur le territoire mosellan, comme dans toute la France, l'édit de Fontainebleau avait stérilisé pour plus d'un siècle la construction protestante. Il n'en est rien. Baerenthal, 1603 (cl. CPF) En effet, aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, les territoires de l'est du dépar­ tement, alors terres d'Empire et soumis à ses princes, comtes et barons palatins d'Empire, obéissaient, depuis le traité d'Augsbourg de 1555 à la règle du cujus regio ejus religio. Comme à Fénétrange, la religion du prince était devenue celle de ses sujets et les lieux de culte catholiques avaient été attribués aux protes­ tants. Il en alla ainsi dans le comté palatin luthérien de Hanau-Lichtenberg où les protestants occupèrent l'église Sainte-Catherine de Baerenthal et la recons­ truisirent en 1630 après un incendie. Le comté fut rattaché à la province d'Al­ sace en 1680. Or, celle-ci resta exempte des conséquences de la révocation de l'édit de Nantes et les protestants ne furent pas inquiétés. L'église de Baerenthal est notre plus ancienne église protestante encore en fonction. Au XVIIIe siècle, l'ancien comté de la Petite-Pierre, rattaché lui aussi à la province d'Alsace, ne fut pas davantage affecté par l'édit de Fontainebleau. A l'opposé du « désert » français, de nouvelles églises furent reconstruites dans quatre villages totalement protestants : à Zilling (1720), Berling et Wintersbourg (1738), Hangviller (1780). Cette dernière, la plus grande église protestante du département en 1870, est restée dans son état d'origine. En 1790, la création du département de la Moselle bouleversa la géo­ graphie de la région. Par ailleurs, la Révolution et ses suites en apportant la liberté de conscience et la liberté de cultes modifièrent profondément l'ordre religieux antérieur. Au début du XIXe siècle, bénéficiant des lois concordataires, des articles organiques et des subsides publics, des lieux de culte ruraux neufs refleurirent, comme autant de résurgences, dans les anciens fiefs des barons de Fénétrange: Fénétrange (1806), Postroff (1833), Schalbach (1840), Mittersheim (1866), tandis que de petites communautés ouvraient des lieux de culte jumelés à des écoles à Lafrimbolle (1852) et à Metting (1834). A Lixheim, les réformés achetèrent le couvent des tiercelins construit au XVIIe siècle pour le transformer en temple, école presbytère. A Metz, dès 1803, l'ancienne église des trinitaires devint temple de la communauté renaissante. A Courcelles, les réformés obtinrent un lieu de culte neuf en 1839. Comme l'avait fait Louis XIV pour 160 paroisses alsaciennes, Napoléon 1er ordonna un catastrophique simultaneum dans deux églises mosellanes catholi­ ques à l'origine, celles de Hellering et de Vibersviller. La cojouissance de ces deux lieux de culte par les catholiques et les protestants ne fut levée que tardivement par l'intervention énergique de l'évêque Dupont des Loges et la construction d'églises neuves réservées à un seul culte. Au cours du XIXe siècle, à ces résurgences en général rurales, s'ajouta une deuxième catégorie d'édifices. Ceux-ci étaient liés à la première industria­ lisation dont les capitaines protestants attirèrent des ouvriers coreligionnaires et financèrent des constructions d'églises ou de salles de prière. La première église protestante de Sarreguemines I (5) (1845) est redeva­ ble aux faïenciers protestants Utzschneider puis de Geiger ; celle de Forbach I (1846) doit beaucoup aux cartonniers Adt, celle de Boulay I (1849) au fabri­ cant Somborn, celle d'Ars-sur-Moselle I (1854) aux industriels Karcher & Westermann ; la paroisse de Hombourg-Haut est née grâce aux industriels pro­ testants Gouvy et le temple de Dieuze I (1870) à un fabricant de gélatine et à l'effort des salines. Sarrebourg I (1843) doit sa naissance aux industries du bois. Tous ces édifices furent remplacés après 1871. Subsiste l'église de Mouterhouse (1857) fondée par les maîtres de forges alsaciens de Dietrich. En 1871, l'annexion de la Moselle au Reich allemand marqua le début d'une nouvelle ère du protestantisme dont les effectifs de fidèles passèrent de 3 % de la population en 1871 à 10 % de la population vers 1914.

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