MARCEL ACHARD Par ANDRE ROUSSIN
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MARCEL ACHARD par ANDRE ROUSSIN epuis plus de quarante ans Marcel Achard riait et souriait. Du rire le plus large et non pas du sourire crispé des sceptiques!, qui finit par marquer le visage d'un pli. Achard souriait amplement et ses joues n'en avaient pas de rides. Certains visages disent non ; le sien disait oui et c'était l'harmonie de ses traits dans le sourire qui marquait cet acquiescement. Il disait oui à tout ce qui était; drôle ou tendre, à tout ce qui était neuf, une édition originale de Molière ou un vieux film soudain découvert. Peu d'êtres auront aimé autant la vie que Marcel Achard. Il l'aimait à la manière des enfants, n'en voulant connaître que ce qui lui apportait plaisir, joie ou enthousiasme. Il était le garçon joufflu, toujours en quête d'un « truc formidable », et qui plaît au premier regard. Tous ceux qui ont été ses amis l'ont aimé ainsi le premier jour et n'ont jamais pu se détacher de lui ; c'est pourquoi ils sont innombrables au vrai sens du mot : il serait impossible d'en faire le compte. Achard devait penser qu'il est facile d'être aimé lorsqu'on ne veut de mal à person• ne, et que sourire suffit. Il se trompait. On l'aimait quand il riait — car il riait comme personne —, mais sitôt que son visage était au repos, il émouvait et l'on s'inquiétait. Parce que ce visage n'expri• mait plus la joie, il semblait que cet homme sensible ait été brusque• ment blessé. Pour un rien on craignait d'apercevoir des larmes der• rière les grosses lunettes comiques. Et c'est pour sa fragilité, pour son cœur de jeune fille qu'on aimait alors celui qui un instant plus tôt, épanoui, vous faisait rire. C'était là le secret de Marcel Achard et ce qui explique ses amis incalculables et sa réussite, car c'est le secret de son œuvre : on s'y plaît parce qu'elle est drôle, on y tient parce qu'elle attendrit. Cette œuvre est grosse de soixante pièces qui toutes sont des comédies mais chacune d'elles a pour sujet l'amour de Tristan et Yseult. Cet auteur comique-né fut un grand cœur tou• jours prêt à battre. L'amour fut son seul sujet et sa tendresse déferle de pièce en pièce ; elle va aux amoureux de tous les temps, aux 10 clochards et même aux vieillards. Je ne sais rien de plus joli que le vieux monsieur bougon d'Auprès de ma blonde hurlant dans le cor• net acoustique de sa femme, après cinquante ans de vie commune : « Je t'adore ! ». A quoi sa femme répond : « Et moi je t'aimerai sinon longtemps, du moins toujours ! » Cette fois Tristan et Yseult ont réussi leur voyage. Les amants du Corsaire, eux, manqueront le leur, mais que manque-t-on si la mort vous prend l'amour aux lèvres ? « Si le soleil doutait il ne brillerait plus. » Ce proverbe de William Blake placé en tête de Jean de la Lune explique le héros et mieux encore son auteur. Celui-ci ne voulait pas douter que la vie soit belle, et il eut un jour à ce propos une idée; ravissante ; il voulut que ces mots fussent affichés sur les murs de Paris. Publicité faite à la Vie. Pour que cette publicité eût lieu il écrivit une pièce dont le titre fut fait de ces quatre mots : « La vie est belle ». Ce slogan affiché en majuscules sautait aux yeux de cha• cun à toute heure du jour et de la nuit sur les colonnes Moriss. Paris pendant toute une saison s'en porta mieux. arcel Achard aimait les histoires, et de toutes celles qu'il a Mrécoltées ou inventées, voici sa préférée : « Un aveugle, passe ses journées assis sur un pont, comptant sur la charité publique. Mais son écuelle ne s'emplit pas. Un poète s'attarde puis s'approche. Il prend la pancarte. « Aveugle de naissance », la retourne et écrit au verso : « Le printemps approche et je ne le verrai pas. ». Dès lors tous les passants — émus — s'arrêtent et font aumône à l'infirme. » — Et l'on dit que les poètes ne servent à rien ! s'écriait Marcel dont cette histoire embuait chaque fois les petits yeux. Le triomphe de Patate ce fut la pancarte de l'aveugle. Au verso de ce titre qui pouvait n'attirer personne, Achard a écrit une comé• die où il est dit que vingt ans passés à haïr un être sont vingt ans perdus pour l'amour et que la vengeance vous laisse les mains vides et le cœur sec. Cela suffit à faire rêver. Voilà pourquoi pendant sept ans tous les passants de Paris, qui sont les passants du monde entier, se sont arrêtés au Théâtre Saint-Georges. A notre époque où sévit une véritable compétition dans l'étalage de la haine, de la violence, de la muflerie, un auteur n'a pas craint de plaider pour l'amour, la tendresse, la bonté. En quoi la fameuse « habileté » d'un auteur à succès est quelquefois en vérité un simple acte de courage. Courage dont Achard n'a pas été conscient. Tel que je le connaissais, se voyant courageux il se serait fait peur. Mais c'est cette incon• science qui donna du prix à son succès ; elle prouvait que celui-ci n'avait pas été calculé et qu'il était allé tout naturellement à une idée généreuse. Achard triomphait parce qu'il ne jouait pas les malins. Il n'avait suivi que son cœur. Celui-ci depuis longtemps était sa boussole. Il ne la perdait jamais. S'il passait, lui, à côté d'un aveugle qui ne peut pas voir le printemps il le lui chantait en vers. 11 « // est une route où le bonheur passe... ». Dès sa deuxième pièce le bonheur s'installait comme thème de son théâtre, mais la chanson de Malborough disait déjà ce que font les hommes « quand le bonheur passe sur la route », ces pauvres hommes qui ne savent rien d'autre que « lui jeter des cailloux ». 11 y a peu d'auteurs au sujet de qui il soit plus nécessaire que pour Marcel Achard de distinguer la personne du personnage. Le personnage, c'était celui qu'il appelait lui-même « le clown » avec le col bas et large des augustes, les cravates à gros pois, le chapeau de traviole, le pantalon flottant, la pochette en oreille de lapin, le tout portant la griffe des meilleurs faiseurs et délicieusement parfumé: c'était selon sa propre description, « ce noctambule impénitent, cet aficionado du bruit qui n'est jamais rentré chez lui qu'au chant de l'alouette, ce compagnon des réverbères, cette herbe du pavé, cette hirondelle du faubourg, ce chat de gouttière ». Le personnage, c'était celui qu'il s'était fait de sortie en sortie, de galas en jurys, de géné• rale en générale, celui qui avec la voix de Crokson, et insistant sur les sifflantes, vous accueillait d'un « Salut, fils ! » affectueux et goguenard. Un instant plus tard un formidable éclat de rire guttural laissait entendre que Crokson venait de raconter sa dernière blague. Le personnage Achard fidèle à lui-même, de déjeuners en dîners, de « Castel » en « Régine », de théâtres en cinémas, traversa et retra• versa Paris sous les flashes des photographes, et ce personnage que ses lunettes célèbres annonçaient, comme son cigare annonçait Churchill, irrita souvent les jaloux et les malveillants. Ces sots s'ar• rêtaient aux lunettes et ne voyaient pas le regard ; ils moquaient le personnage parce qu'ils ne connaissaient pas la personne ou ne voulaient pas la voir. Tous ceux qui l'ont vue et connue en ont été séduits et n'ont plus regardé le personnage qu'avec tendresse car ils savaient quelle personne ce personnage s'amusait à cacher. Achard fut élu à l'Académie française au premier tour et brillamment. Aussitôt le chœur des crapauds se fit entendre. Un crapaud plus rancunier qu'un autre s'adressa même à François Mauriac : « Pourquoi avoir élu Achard ? » — « Parce qu'il est auteur drama• tique de grand talent, répondit Mauriac, et aussi parce qu'il a rendu visite à chacun de nous et qu'il nous a tous séduits. » Oui, Marcel était la séduction même. Il séduisait par l'intelli• gence, par cette gentillesse du cœur qui n'appartient qu'aux élus du ciel, par la gaieté et le goût de la gaieté que personne peut-être depuis Beaumarchais n'a mieux manifestés que lui, par l'immense réservoir de ce qu'il avait lu, vu, entendu, par cette inlassable curio• sité de tout ce qui était théâtral, cinématographique, pictural, de tout ce qui faisait la joie de vivre pour celui que vivre enchantait et qui citait souvent ce mot de Lucien Guitry : « Quand on a l'honneur d'être vivant ». Cet honneur il le ressentait à toute heure et je l'imagine assez bien répétant chaque matin en se rasant la belle phrase de Jean Giono : « Le soleil n'est jamais si beau qu'un jour où l'on se met en route. » Achard se mettait en route chaque jour, 12 c'est pourquoi chaque jour il trouvait —• même à Paris — le soleil beau et la vie belle. Puisque j'ai parlé de la séduction d'Achard et que j'ai cité Giono, comment ne pas m attarder sur ce « coup de foudre de l'amitié » qui éclata entre ces deux hommes se rencontrant dans un jury litté• raire ! C'est une bien belle histoire et qui jette sur Marcel Achard une lumière très différente de celle trop connue des projecteurs de l'actualité parisienne.