Pour Une Éthique De La Non- Violence Et Du Respect De La Vie Rallier Humanisme Écologique Et Écologie Humaniste
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16 forumforum 380384 WirtschaftDroits des animaux Pour une éthique de la non- violence et du respect de la vie Rallier humanisme écologique et écologie humaniste Paul Hentgen Partons d’une prémisse très simple : de l’idéal éthique Encore faudrait-il préciser à quel humanisme, à quel de la non-violence et du respect de la vie. De cette animalisme et à quel écologisme il est fait référence. prémisse découle tout le reste. L’éthique de la non-violence a une tradition mil- Décliner un tel idéal en pratique ne se passe évi- lénaire (Bouddha, Lao-Tseu, Jésus, Gandhi, etc.). demment pas sans rencontrer de sérieux dilemmes Citons, dans le contexte plus récent qui nous pré- éthiques, à la limite de l’insoluble. Ce qui n’est pas occupe : l’éthique du respect de la vie (Albert une raison pour renoncer à l’idéal, mais, bien au Schweitzer), l’éthique de la terre (Aldo Leopold), le contraire, pour en aiguiser le bien-fondé. principe responsabilité (Hans Jonas), l’écologie pro- fonde (Arne Naess). Le but de ces lignes n’est pas d’en développer l’ar- gumentaire, d’en préciser les concepts, d’en retracer Pour Emmanuel Lévinas, l’exigence de non-violence l’histoire des idées, d’en expliciter les controverses, est le principe même de la philosophie. Rien n’em- d’en fournir les références bibliographiques :nous pêche a priori d’étendre l’éthique du visage lévinas- l’avons tenté ailleurs, dans un document trop long sienne aux non-humains : à travers le visage apparaît pour être publié dans ces pages. à la fois la vulnérabilité de l’être, et sa transcendance. En procédant ainsi, on ne fait du mal à personne. En voici plutôt une très brève esquisse, un trop bref condensé (avec nos excuses au lecteur), mis en rap- Cela dit, la violence humaine est à considérer sous port avec deux sujets d’actualité au Luxembourg toutes ses formes : violence subjective, objective, (voir aussi forum N°382, 383) : d’une part, le pro- symbolique, systémique, structurelle, etc. Si des pro- cessus de légifération sur la protection des animaux blématiques aussi importantes que celles relatives à la (l’étonnant projet de loi N°6994 qui sera prochaine- paix, à l’équité et à la justice entre humains ne sont ment soumis au vote parlementaire), et d’autre part, pas abordées de front dans le cadre de cette esquisse, le scénario d’une future coalition entre chrétiens-so- il est à noter qu’elles constituent des préoccupations ciaux et écologistes (qu’il s’agira d’interroger quant majeures de toute réflexion humaniste et de toute au fond en cette période préélectorale). écologie politique à prétention humaniste. Éthique de la non-violence Une écologie politique à plusieurs vitesses La question sous-jacente porte sur la confrontation La confrontation mentionnée renvoie aux champs souvent violente entre humanisme, animalisme et de tension existant entre courants idéologiques et écologisme alors que la thèse avancée est celle d’un politiques qui se soutiennent prioritairement tantôt agenda commun sous-tendu par l’idéal éthique de la d’une philosophie humaniste métaphysique et/ou non-violence et du respect de la vie. postmétaphysique, et tantôt d’une écologie politique qui est elle-même dans un rapport de tension com- Autrement dit, le projet de rallier humanisme écolo- gique et écologie humaniste au sein d’un paradigme intégrant humanisme, animalisme et écologisme. Paul Hentgen est psychiatre et anthropologue. DroitsWirtschaft des animaux Januar Mai 20182018 17 plexe avec l’éthique environnementale d’une part, et Meyer-Abich ; contrat naturel, Michel Serres ; écou- avec l’éthique animale d’autre part. mène, Augustin Berque ; écosophie, Arne Naess ; Au sein de l’écologie écoféminisme, Val Plumwood. politique se Au sein de l’écologie politique se confrontent de nos confrontent de nos jours comme jadis les tenants d’une écologie pro- L’écologie profonde (Arne Naess, George Sessions, jours comme jadis fonde (philosophique, spirituelle, fondamentale, David Rothenberg, Warwick Fox, Edward Golds- les tenants d’une etc.) et les tenants d’une écologie superficielle (scien- mith, etc.) se soutient du biocentrisme et de l’écocen- écologie profonde tifique, pragmatique, gestionnaire, etc.). Ces cou- trisme, alors que l’écologie superficielle est, en défi- (philosophique, rants s’inscrivent par ailleurs sur l’échiquier habituel nitive, anthropocentrique (approche pragmatique spirituelle, progressiste-conservateur, gauche-droite (écologie combinant anthropocentrisme faible et acquis de fondamentale, etc.) sociale vs. écologie libérale, etc.). l’écologie scientifique, Bryan G. Norton, Catherine et les tenants d’une Larrère). écologie superficielle Si l’écologie profonde est préservationniste (valeur (scientifique, intrinsèque de la nature), l’écologie superficielle est Si pour l’ensemble des postures mentionnées il pragmatique, conservationniste (valeur instrumentale de la na- existe des variantes théoriques respectivement hié- gestionnaire, etc.). ture). Le développement durable peut être rangé rarchiques et égalitaires, les variantes hiérarchiques du côté de l’écologie superficielle, aussi bien la sou- accordant une prééminence morale à l’humain l’em- tenabilité forte que la soutenabilité faible (virage portent en éthique appliquée. constructiviste et pragmatiste d’une écologie poli- tique rejetant tant l’éthique environnementale que Aux principales traditions morales de l’éthique en- l’éthique animale). vironnementale que sont l’écoféminisme, l’écolo- gie profonde et l’éthique de la terre Hess rajoute Une éthique environnementale à postures l’éthique de la conscience cosmique : une éthique de inégales la sollicitude, de la vertu, fondée non seulement sur la vulnérabilité et le soin, mais également sur des En éthique environnementale sont discutés les diffé- valeurs comme le souci de l’autre, la bienveillance, la rents discours éthiques sur la relation de l’homme à vigilance, la solidarité, l’humilité. la nature, permettant de distinguer différentes pos- tures éthiques en fonction du degré d’extension de Éthique animale réformiste et abolitionniste la communauté morale ou d’attribution de la valeur intrinsèque. L’objet de l’éthique animale est le statut moral des animaux considérés dans leur individualité et la Ce qui donne, en suivant la typologie de Gérald responsabilité morale des humains à leur égard. Se Hess : posture éthique naturaliste non extensionniste confrontent ici la théorie welfariste (réformiste) des (anthropocentrisme moral fort/faible, argument droits des animaux (droit au bien-être, principe de théocentrique/ratiocentrique, Luc Ferry, Lothar non-cruauté, Joël Feinberg) et l’approche aboli- Schäfer, Peter Carruthers, John Passmore, Bryan G. tionniste (droit à la vie, principe de non-dommage, Norton, Martin Seel, etc.) ; postures éthiques na- Tom Regan). Si le welfarisme souhaite limiter la turalistes extensionnistes (pathocentrisme, biocen- souffrance des animaux au cours de leur utilisation, trisme, écocentrisme naturaliste) ; posture éthique l’abolitionnisme met en cause le principe même de holiste, refus du dualisme ontologique homme/na- cette utilisation. ture (écocentrisme holiste). Le biocentrisme repose sur le respect de la valeur inhérente à toute vie, ou Une controverse oppose également les tenants d’une encore sur la thèse de la structure téléologique du vi- éthique par la justice (déontologisme, Tom Regan, vant (éthique du respect de la vie, Albert Schweitzer ; Gary Francione ; conséquentialisme/utilitarisme, Pe- éthique du respect de la nature, Paul W. Taylor; ter Singer) et les tenants d’une éthique par la solli- éthique de l’intendance, Robin Attfield, etc.). citude (éthique de la vertu, Rosalind Hursthouse, Martha Nussbaum, Mark Rowlands ; éthique du Dans le cas de l’écocentrisme naturaliste, l’extension care, Brian Luke, Carol J. Adams, Marti Kheel). de la communauté morale englobe l’ensemble de la nature (Hans Jonas), qui disposerait par ailleurs Le pathocentrisme fut conceptualisé par Richard d’une valeur intrinsèque objective (Holmes Rolston Ryder en tant que troisième voie entre le déontolo- III) et d’une valeur esthétique objective (Eugene C. gisme et l’utilitarisme. C’est la posture du consensus Hargrove), tandis que dans le cas de l’écocentrisme qui est habituellement défendue en éthique animale, holiste la valeur intrinsèque est attribuée à la com- alors que les défenseurs résolument antispécistes de munauté biotique (Aldo Leopold, J. Baird Callicott). la cause animale peuvent s’appuyer sur des postures Voir aussi : totalité de la nature, Klaus-Michael inégales dont le zoocentrisme et le biocentrisme. 18 forumforum 384380 DroitsWirtschaft des animaux Paradigme postanthropocentrique n’est-il en train de changer qu’en fonction de son an- thropomorphisation progressive, autrement dit par La vraie question à la fois philosophique, scienti- identification à l’humain (humanisme animal, Frans fique et sociétale sous-jacente à ces discussions est de Waal), au fur et à mesure de l’avancement des celle du changement de paradigme repéré par d’au- recherches en primatologie comparative et en neuro- cuns : le dépassement du biais anthropocentrique sciences ? Homme-Dieu vs. homme-animal, homme des sociétés occidentales en faveur d’un paradigme transcendant vs. homme réduit à son animalité, à sa postanthropocentrique. naturalité. Celui-ci est au centre du tournant animaliste, de la Le respect du vivant : une question politique posture postcarniste, de la vague végane, de la tran- sition végétale, etc., sinon même du tournant on- À notre avis, les déterminants et les