ISOLDA GAVIDIA

Les théories ruskiniennès de l'authenticité et leurs représentations dans les paysages nord-américains

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire de l'art pour l'obtention du grade maître ès art (M. A.)

DEPARTEMENT D'HISTOIRE FACULTE DES LETTRES UNIVERSITE LAVAL QUEBEC

2009

© Isolda Gavidia, 2009 11

Résumé

Le présent mémoire cherche à analyser les correspondances qui s'établissent entre les théories esthétiques et morales de (1819-1900) et les œuvres des paysagistes nord-américains. Plus particulièrement, nous nous attardons sur le cas particulier d'Allan Aaron Edson (1846-1888), un artiste canadien, dont la première période de sa carrière, située entre 1864 et 1880, rencontre les conceptions ruskiniennes. Par l'analyse des ouvrages de John Ruskin, la série des Modern Painters et Elements of Drawing, nous dégageons la notion d'authenticité, conception fondamentale de l'auteur sur l'art et la nature. Pour mieux cerner la complexité de cette médiation artistique, nous étudions les relations entre les théories' ruskiniennes et sa réception par l'Amérique du Nord. En traitant des questions identitaires, il nous est alors possible d'analyser le vocabulaire idéologique, stylistique et technique employé par les paysagistes américains. Nous analysons ensuite les implications de ces théories dans la pratique d'Edson. 111

Avant-propos

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à mon directeur de recherche, M. Didier Prioul. Je le remercie pour sa patience et ses conseils judicieux qui me furent d'une aide précieuse. Sa rigueur et son érudition ont grandement stimulé ma passion et mon intérêt pour l'histoire de l'art canadien.

Je désire également remercier mes parents pour leurs encouragements répétés au moment même où ils se faisaient nécessaires. Enfin, merci à Maxime, pour sa confiance et son soutien tout au long de ce projet. IV

RÉSUMÉ ...... ii

AVANT-PROPOS ...... iii

TABLE DES MATIÈRES-...... iv

TABLE DES FIGURES ...... ~ ...... vi

INTRODUCTION ...... 1

CHAPITRE 1 John Ruskin et l'authenticité de la nature ...... 8 1.1 Les assises historiques et culturelles au Royaume-Uni à l'époque victorienne 8 1.1.1 L'arrière plan de la société britannique ...... 8 1.1.2 Les avancées scientifiques et le doute religieux ...... 10 1 .1.3 L'avènement de la photographie ...... 13 1.1.4 Le contexte artistique en Grande-Bretagne ...... 15 1.1.5 John Ruskin, le critique ...... 18 1.2 L'authenticité en peinture ...... 20 1.2.1 La vérité ...... 21 1.2.2 La beauté ...... 23 1.2.3 L'œil innocent et le développement de la vision ...... 24 1.3 L'expérience ...... 26 1.3.1 Ruskin et les écoles de peinture ...... 26 1.3.2 La photographie et la gravure ...... 28 1.3.3 Les éléments du dessin: les leçons formelles ...... 29 1.3.4 Les formes organiques et les formes mathématiques ...... 32 Conclusion ...... 33

CHAPITRE 2 Les théories ruskiniennes aux États-Unis et au Canada ...... 35 2.1 Les deux nations ...... 35 2.1.1 Le contexte historique en Amérique du Nord ...... 35 2.1.2 Le progrès des transports ...... 39 2.1.3 Les excursion géologiques: la découverte physique de l'Ouest...... 40 2.2 Nations et identités ...... 43 2.2.1 L'esthétique du paysage et les modèles européens ...... 43 2.2.2 Les centres culturels ...... 46 2.2.3 La spécificité des paysages nord-américains et identités ...... 48 2.2.4 Le paysage comme source d'inspiration morale ...... 53 2.3 L'Amérique découvre John Ruskin ...... 54 2.3.1 L'introduction des idées de John Ruskin en Amérique du Nord ...... 54 2.3.2 Les expositions ...... 57 Conclusion ...... 58

CHAPITRE 3 L'authenticité dans la pratique du paysage en Amérique du Nord ...... 59 3.1 Les paysagistes nord-américains ...... 59 3.1.1 (1796-1886) ...... 61 3.1.2 (1826-1900) ...... 61 3.1.3 (1837-1926) ...... 62 3.1.4 Robert S. Duncanson (1817-1872) ...... 63 v

3.1.5 Allan Aaron Edson (1846-1888) ...... 66 3.2 Les éléments du dessin ...... \ ...... 69 3.2.1 Les thèmes et procédés de représentation ...... 69 3.2.2 Moyens et enjeux plastique ...... 73 3.3 Les sermons de la nature ...... 76 3.3.1 Les ciels: observation et imagination ...... 76 3.3.2 Études topographiques et géologiques ...... 79 3.3.3 L'eau: reflets et mouvements ...... 81 3.3.4 La végétation ...... 82 3.4 Lumière et atmosphères ...... 83 3.4.1 La lumière ruskinienne et la clarté scientifique ...... 84 3.4.2 Le paysage américain et la lumière ...... 85 Conclusion ...... 86

CONCLUSION ...... 87

BIBLIOGRAPHIE ...... 91

FIGURES ...... 100 VI

Table 'des figures:

Liste des abréviations :

SAAM Smithsonian American Art Museum MBAC Musée des beaux-arts du Canada MNBAQ Musée national des beaux-arts du Québec MBAM Musée des beaux-arts de Montréal MMC Musée McCord AGO Art Gallery of Ontario

Fig. 1 : John Everett Millais. Ophélie. 1851-52. Huile sur toile. 76.2 x 111.8 cm. Londres, Tate Britain (Photo extraite de : Allen Staley et Christopher Newall, Pre- Rapahelite Vision. Truth to Nature, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Britain, 12 février-3 mai 2004/ Berlin, Altes Nationalgalerie, 12 juin-19 septembre 2004/ Madrid, Fundacio « la Caxia », 6 octobre 2004-9 janvier 2005), Londres, Tate Publishing, 2004, p. 33).

Fig. 2 : John Everett Millais. John Ruskin. 1853-54. Huile sur toile. 78.7 x 68 cm. Londres, Tate Britain (Photo extraite de : Allen Staley et Christopher Newall, Pre- Rapahelite Vision. Truth to Nature, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Britain, 12 février-3 mai 2004 / Berlin, Altes Nationalgalerie, 12 juin-19 septembre 2004/ Madrid, Fundacion « la Caxia », 6 octobre 2004-9 janvier 2005), Londres, Tate Publishing, 2004., p. 145).

Fig. 3 : John Everett Millais. Mid-Spring. 1856. Huile sur plâtre sur panneau. 52.1 x 34.3 cm. Londres, Royal Academy (Photo extraite de : Christopher Newall, « Understanding Landscape», Pre-Rapahelite Vision. Truth to Nature, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Britain, 12 février-3 mai 2004 / Berlin, Altes Nationalgalerie, 12 juin-19 septembre 2004 / Madrid, Fundacion « la Caxia», 6 octobre 2004-9 janvier 2005), Londres, Tate Publishing, 2004., p. 44).

Fig. 4 : Alfred William Hunt. A river Landscape. 1861. Aquarelle. 23.8 x 33.7 cm. Londres, British Museum (Photo extraite : Christopher Newall, « Understanding Landscape», Pre-Rapahelite Vision. Truth to Nature, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Britain, 12 février-3 mai 2004 / Berlin, Altes Nationalgalerie, 12 juin-19 septembre 2004 / Madrid, Fundacion « la Caxia », 6 octobre 2004-9 janvier 2005), Londres, Tate Publishing, 2004., p. 163).

Fig. 5: William Holman Hunt. Our English Coasts. 1852. Huile sur toile. 43.2 x 48.4 cm. Londres, Tate Britain (Photo extraite de : Christopher Newall, « Understanding . Landscape », Pre-Rapahelite Vision. Truth to Nature, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Britain, 12 février-3 mai 2004 / ~erlin, Altes Nationalgalerie, 12 juin-19 septembre 2004 / Madrid, Fundacion « la Caxia », 6 octobre 2004-9 janvier 2005), Londres, Tate Publishing, 2004., p. 35).

Fig. 6 : . View trom Mount Holyoke, Northampton, Massachusetts, after a Thunderstorm - The Oxbow. 1836. Huile sur toile. 130.8 x 193 cm. , vu

Metropolitan Museum of Art (photo extraite de : Andrew Wilton et Tim· Barringer, American Sublime : in the United-States. 1820-1880, Catalogue d'exposition . (Londres, Tate Gallery, 21 février-19 mai 2002 / Philadelphie, Pennsylvania Academy of Fine Arts, 17 juin - 25 août 2002 / Minneapolis, Institute of Arts, 22 septembre - 17 novembre 2002), Londres, Tate Gallery, 2002, p. 41).

Fig. 7: Jasper F. Crospey. Autumn - On the Hudson River. 1860.151.8 x 274.9 cm. Washington D. C. National Gallery of Art (Photo extraite de : Andrew Wilton et Tim Barringer, American Sublime: Landscape painting in the United-States. 1820-1880, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 21 février-19 mai 2002 / Philadelphie, Pennsylvania Academy of Fine Arts, 17 juin - 25 août 2002 / Minneapolis, Institute of Arts, 22 septembre - 17 novembre 2002), Londres, Tate Gallery, 2002, p. 139).

Fig. 8: Frederic E. Church. Niagara. 1857. Huile sur toile. 108 x 229.9 cm. Washington D. C., Corcoran Gallery of Art (Photo extraite de : John K. Howat, Frederic Church, New Haven / Londres, Yale University Press, 2005, p. 71).

Fig. 9 : John F. Kensett. Lake George. 1869. Huile sur toile. 112.1 x 168.6 cm. New York, Metropolitan Museum of Art (Photo extraite de : Andrew Wilton et Tim Barringe~, American Sublime: Landscape painting in the United-States. 1820-1880, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 21 février-19 mai 2002 / Philadelphie, Pennsylvania Academy of Fine Arts, 17 juin - 25 août 2002 / Minneapolis, Institute of Arts, 22 septembre - 17 novembre 2002), Londres, Tate Gallery, 2002, p. 135).

Fig. 10 : . Approching Thunder Storm. 1859. Huile sur toile. 71.1 x 111.8 cm . .New York, Metropolitan Museum of Art (Photo: Heilbrunn Timeline of Art History, «Works of Art ». Site Metroplitan Museum of Art. [En ligne]. http://www.metmuseum.org/toah/hd/hurs/ho_1975.160.htm (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 11 : Frederic Church. Natura/ Bridge. Virginia. 1852. Huile sur toile. 71.1 x 58.4 cm. University of Virginia, Charlottesville, Bayly Art Museum (Photo tirée de : Rebecca Bedell, The Anatomy of Nature : Ge%gy and American Landscape Painting. 1825-1875, Princenton, Princenton University Press, c2001, p. 68).

Fig. 12 : John Ruskin. Fragments of the A/ps. c. 1854-56. Aquarelle sur papier vélin crème. Cambridge, Massachusetts, Collection Fogg Art Museum at (Photo extraite de : Theodore E. Stebbins Jr. et al., The Last Ruskinians. Char/es Eliot Norton, Char/es Herberet Moore and Their Circ/e, Catalogue d'exposition (Fogg Art Museum, Harvard University Art Museums; Cambridge, 7 avril- 8 juillet 2007), Cambridge, Harvard University Art Museums, 2007, p. 87).

Fig. 13 : Asher B. Durand. Landscape : Creeks and Rocks. c. 1850. Huile sur toile. 43 cm x 61 cm. , Pennsylvania Academy of Fine Arts (Photo extraite de : Rebecca Bedell, The Anatomy of Nature : Ge%gy and American Landscape Painting. 1825-1875, Princenton, Princenton University Press, c2001, p. 48).

Fig. 14 : Asher B. Durand. Study from Nature: Rocks and Trees. c. 1856. Huile sur toile. 43.2 x 54.6 cm. New York, The New York Historical Society (Photo tirée de : VIll

Rebecca Bedell, The Anatomy of Nature : Geology and American Landscape Painting. 1825-1875, Princenton, Princenton University Press, c2001, p. 61).

Fig. 15: Frederic Church. The Icebergs. 1861. Huile sur toile. 163.5 x 285.7 cm. Dallas, Dallas Museum of Art (Photo extraite de : John K. Howat, Frederic Church, New Haven / Londres, Yale University Press, 2005, p. 105).

Fig. 16: Thomas Moran. Grand Canyon of Yellowstone. 1872. Huile sur toile, montée sur aluminium. 213. 4 x 365.8 cm., Washington D. C., SAAM (Photo extraite de : Andrew Wilton et Tim Barringer, American Sublime: Landscape painting in the United-States. 1820-1880, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 21 février- 19 mai 2002 / Philadelphie, Pennsylvania Academy of Fine Arts, 17 juin - 25 août 2002 / Minneapolis, Institute of Arts, 22 septembre - 17 novembre 2002), Londres, Tate Gallery, 2002, p. 35).

Fig. 17 : Thomas Moran .. Fiercely the Red Sun Descending / Burned his Way Along the Heavens. Huile sur toile. 84.8 x 127.1 cm. Raleigh, North Carolina Museum of Art. (Photo extraite de Andrew Wilton et Tim Barringer, American Sublime: Landscape painting in the United-States. 1820-1880, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Britain, 21 février-19 mai 2002 / Philadelphie, Pennsylvania Academy of Fine Arts, 17 juin - 25 août 2002 / Minneapolis, Institute of Arts, 22 septembre - 17 novembre 2002), Londres, Tate Gallery, 2002, p. 247).

Fig. 18 : Joseph Mallord William Turner. Slavers Throwing overboard the Dead and Dying - Typhon Coming On (The Slave ShiP? Huile sur toile. 90.8 x 122.6 cm. Boston, Museum of Fine Arts (Photo : Tate Britain, «Turner worlwide », Site Tate Online [En ligne] http://www.tate.org.uk/servleWiewWork?cgroupid=999999953&workid=72888 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 19 : Thomas Moran. The Mo un tain of Holy Cross. 1875. Huile sur toile. 208.6 x 163.2 cm. Los Angeles, Autry Museum of Western Heritage (Photo tirée de: Rebecca Bedell, The Anatomy of Nature : Geology and American Landscape Painting. 1825-1875, Princenton, Princenton University Press, c2001, p. 141).

Fig. 20 : Robert S. Duncanson. Landscape with Sheep. s. d. Huile sur toile. 81.9 x 112.1 cm. ·Washington D. C., SAAM (Photo: SAAM, «Robert S. Duncanson », in Art inventories Catalog, Site SIRIS- Research Information System, [En ligne]. http://sirismm.si.edu/saam/acc1/1983.95.168_1b.jpg (page consultée le 4 décembre 2007).

Fig. 21 : Robert S. Duncanson. On the St. Annes, East Canada. 1863-1865. Huile sur toile. 23.2 x 38.1 cm. Washington D. C. , SAAM (Photo : SAAM, «Robert S. Duncanson », in Art inventories Catalog, Site SIRIS-Smithsonian Institution Research Information System, [En ligne] http://sirismm.si.edu/saam/acc1/1983.95.170_1 b.jpg (page consultée le 4 décembre 2007).

Fig. 22 : Robert S. Duncanson. Les chutes Montmorency. ~ 864. Huile sur toile. 45.7 x 70.8 cm . Washington, SAAM (Photo SAAM, «Robert S. Duncanson», in Art inventories Catalag, Site SIRIS-Smithsonian Institution Research Information System lX

[En ligne]http://sirismm.si.edu/saam/acc1 /1983.95.161_1 b.jpg (page consultée le 4 décembre 2007).

Fig. 23 : William Notman. La chute Montmorency près de Québec, QC, vers 1860. c. 1860. Stéréographie. 7.5 x 14.2 cm. Montréal, MMC (Photo: Musée McCord Museum, « Collections - Recherche », in Clefs pour l'histoire, Site du Musée McCord Museum [En ligne] http://www.musee-mccord.qc.ca/fr/collection/artefacts/N-0000.193.113.1 §ion= 196?Lang=2&accessnumber=N-000.193.113.1 §ion=196 (page consultée le 17 août 2007).

Fig. 24 : Allan Edson. Rivière aux Brochets, près de Stanbridge. c. 1864. Huile sur panneau de fibres dur. 22.8 x 32.2. Ottawa, MBAC (Photo MBAC, « Allan Edson », in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne] http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/search/artwork_zoom_f.jsp?mkey=14707 (page consulté le 4 décembre 2007).

Fig. 25: Robert S. Duncanson. Étude d'un coucher de soleil. 1863. Huile sur toile. 17.8 x 25.7 cm. Montréal, MBAM (Photo: Musée virtuel, « Allan Edson », in Galerie d'Images., Site Musée virtuel, [En ligne] http://www.museevirtùel.ca/PM.cgi?LM=Gallery&scope=GalleryH&LANG=Francais& AP=fulllmage2&k=MBAM22623 (page consultée le 4 septembre 2007).

Fig. 26 : Léon-Germain Pelouse. Un souvenir de Cernay. 1872. Huile sur toile. 81 x 128 cm. Paris, Musée d'Orsay (Photo tirée de: Philippe et France Schubert. Les peintres de la Vallée de Chevreuse. Paris, Les éditions de l'Amateur, 2001, p. 123.)

Fig. 27 : Allan Edson. Sentier dans les bois. 1860-1880. Huile sur toile. 132 x 90.1 cm. MBAM, Montréal. (Photo: MBAC, « Allan Edson », iln MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne] http://www.museevirtuel.ca/PM.cgi?LM=Gallery&scope=GalieryH&LANG=Francais& AP=fulllmage2&k=MBAM22625. (page consultée le 4 décembre 2007).

Fig. 28 : Léon-Germain Pelouse. Le chemin de Rustéphan. 1877-1880. Huile sur toile. 92 x 65.5 cm. Quimper, Musée des beaux-arts de Quimper (Photo: Musée des beaux-arts de Quimper, « Les œuvres d'inspiration bretonne», Site Musée des beaux-arts de Quimper, [En ligne] http://musee-beauxarts.quimper.fr/htcoib/oe_864.htm. (page consultée le 4 décembre 2007).

Fig. 29 : Allan Edson. Paysage. 1884. Huile sur toile. 32.8 x 46.3 cm. MBAC, Ottawa (Photo MBAC, « Allan Edson », in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne] http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/search/artwork_zoom_f.jsp?mkey=14542 (page consultée le 4 décembre 2007) .

Fig. 30 : Allan Edson. The Great Bluff on the Thompson River, B. C. 1872. Similigravure. (Photo: Archives et bibliothèque nationale, « Allan Edson», in Bibliothèque et Archives Canada, Site Canadian IIlustrated News. La nouvelle en Images. 1869-1888, [En ligne] http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de- x donnees/cin/001065-119.01- f. php? &n I_id _ nbr=2490&brws_ s= 1&&PH PSESS 1D=gvrtppf1 rit8grrpj7 rld4u pf1 (page consultée le 25 mai 2008).

Fig. 31 : Allan Edson. Habitants traversant le Saint-Laurent pour se rendre au "marché. 1860-1880. Aquarelle et gouache. 35.3 x 52.5 cm. Montréal, MBAM (Photo : RCIP, « Allan Edson», in Artefacts Canada. Site du ReIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newlmgWin.jsp?currLang=F rench&i=0&j=9 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 32 : Allan Edson. Ava"nt la tempête, lac Memphrémagog. 1868. Aquarelle. 27 x 45.5 cm. Québec, MNBAQ (Photo: RCIP, « Allan Edson », in Artefacts Canada, Site du RCIP, [En ligne] http://daryl.chin .gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newlmgWin.jsp?currLang=F rench&i=0&j=7 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 33 : Allan Edson. Étude pour averse et percée de soleil. c. 1870. Huile sur toile. 60.5 x 91.3 cm. Ottawa, MBAC (Photo: MBAC, « Allan Edson», in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne]. http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/search/artwork_f.jsp?mkey=1734 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 34 : Allan Edson. Le mont Orford le matin. 1870. Huile sur toile. 91.6 x 152.8. Ottawa, MBAC (Photo: Photo: MBAC, « Allan Edson », in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne]. http://cybermuse .gallery .ca/cybermuse/search/artwork_zoom _f.jsp?mkey= 13537 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 35 : Allan Edson. Paysage des Cantons-de-/'Est (probablement le Mont Orford). 1870-1879. Aquarelle, gouache blanche et graphite. 29.1 x 53 cm. Montréal, MBAM (Photo: RCIP, « Allan Edson», in Artefacts Canada, Site du RCIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newImgWin.jsp?currLang=F rench&i=0&j=8 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 36 : Allan Edson. Paysage. 1871. Huile sur carton (?).18.5 x 25.5 cm. Montréal, Musée des maîtres et artisans du Québec (Photo: RCIP, « Allan Edson», ln Artefacts Canada. Site du RCIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:80 15/Webtop/CH 1NApps/artefacts/newl mgWin .jsp?currLang=F rench&i=0&j=2 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 37 : Allan Edson. Automne sur la rivière Yamaska, rang Sutton. 1872. Huile sur toile. 75.5 x 120 cm. Québec, MNBAQ (Photo: RCIP, « Allan Edson », in Artefacts Canada. Site du RCIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newImgWin.jsp?currLang=F rench&i=O&j= 1 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 38 : Allan Edson. Montagne Sugar Loaf, Campbel/ton, N.-B. 1872. Aquarelle su ~ carton rigide. 29.2 x 44.7cm. Fredericton, La Galerie d'art Beaverbrook (Photo: Fredericton, La Galerie d'art Beaverbrook). Xl

Fig. 39: Allan Edson. Un après-midi tranquille. 1874-1880. Aquarelle. 28.6 x 23.2 cm. Québec, MNBAQ (Photo: RCIP, « Allan Edson », in Artefacts Canada, Site du RCIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newlmgWin.jsp?currLang=F rench&i=0&j=5 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 40 : Allan Edson. Preparing the Camp Site at Sunset. 1876. Huile sur toile. 41 .3 x 71.3 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/P D B/F AAD sea rch/LotDeta i IView. as px? lot_id =42431 0069 (Page consultée le 16 août 2007).

Fig. 41 : Allan Edson. La Restigouche. c. 1876. Aquarelle. 27.9 x 45.7 cm. M. A. M. Edson, Chesterville (Ontario). (Photo extraite de: Reid, Dennis, « Notre Patrie le Canada» : Mémoires sur les aspirations nationales des principaux paysagistes de Montréal et de Toronto. 1860-1900. Ottawa, Galerie nationale du Canada / Musées nationaux du Canada, 1979, p. 180).

Fig. 42 : Allan Edson. Le matin sur la Restigouche. c. 1876. Aquarelle. 32 .4 x 59.1 cm. Saint-Jean, Musée du Nouveau-Brunswick (Photo extraite de: Dennis Reid, « Notre Patrie le Canada» : Mémoires sur les aspirations nationales des principaux paysagistes de Montréal et de Toronto. 1860-1900, Ottawa, Galerie nationale du Canada / Musées nationaux du Canada, 1979. p. 180.

Fig. 43 : Allan Edson. Le temps est à l'orage, lac Memphrémagog. 1880. Huile sur toile. 60.6 x 107 cm. Québec, MNBAQ (Photo: RCIP, « Allan Edson », in Artefacts Canada, Site du RCIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newlmgWin.jsp?currLang=F rench&i=0&j=2 (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 44 : Allan Edson. Lac Massawippi. s. d. Huile sur toile. Calgary, Art Gallery of Alberta (Photo: Art Gallery of Alberta, Calgary).

Fig. 45 : Allan Edson. Glen Sutton. s.d . Aquarelle. 27.5 x 42 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetaiIView.aspx?lot_id=425264227 (page consulté le 16 août 2007).

Fig. 46 : Allan Edson. Rivière Matapédia. s. d. Aquarelle. 22.8 x 38.7 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Au.ction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetaiIView.aspx?lot_id=424330868 (page consulté le 16 août 2007).

Fig. 47 : Allan Edson. Chi/dren Fishing at a quiet Pool. S.d. Huile sur toile. 47.5 x 85 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetaiIView.aspx?lot_id=424303957 (page consulté le 16 août 2007). XlI

Fig. 48 : Allan Edson. Near Campel/ton, N.-B. Smoky Day, Restigouche. s.d . Aquarelle. 22.5 x 42 ~ 5 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetaiIView .aspx?lot_id=424311137 (page consulté le 16 août 2007).

Fig. 49 : Allan Edson. Sans Titre - Paysage avec vaches. s.d. Aquarelle sur papier. 25.3 x 35.5. Victoria, Art Gallery of Greater Victoria (Photo: Art Gallery of Greater Victoria, « Allan Edson », ln Art Gallery of Greater Victoria. Site ARTBase, [En ligne] http://collection.aggv.bc.ca/explore/2234 (page consulté le 16 août 2007).

Fig. 50 : Allan Edson. Bûcherons sur la rivière Saint-Maurice. 1868. Huile sur toile. 58.5 cm x 101. 5 cm. Montréal, MBAM (Photo: RCIP, « Allan Edson »,in Artefacts 'Canada. Site du Re/p, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newImgWin.jsp?currLang=F rench&i=O&j=O (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 51 : Allan Edson. A bit of Glen Sutton. 1870. Huile sur toile. 61.6 x 91.4 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, «Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En' ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetaiIView.aspx?lot_id=424378002 (page consulté le 16 août 2007).

Fig. 52 : Allan Edson. Paysage avec cascade. 1872. Huile sur toile. 50.5 x 91.7 cm. Ottawa, MBAC (Photo: MBAC, «Allan Edson », in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne]. http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/search/artwork_f.jsp?mkey=16479 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 53 : Allan Edson. Chutes géantes. 1872. Aquarelle. 55.7 x 45. Montréal~ MBAM (Photo: RCIP, « Allan Edson», ln Artefacts Canada, Site du RC/P, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newlrngWin.jsp?currLang=F rench&i=0&j=6 (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 54 : Allan Edson. Mountain Stream. 1872. Huile sur toile marouflée. 25.3 x 20.2 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetaiIView.aspx?lot_id=2142367 (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 55: Allan Edson. Landscape with Elk. 1872. Aquarelle. 54.6 x 90.2 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, En ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetaiIView.aspx?lot_id=3024301 (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 56 : Allan Edson. Les chutes Shawinigan, peinture d'AI/an Aaron Edson, copie réalisée en 1919-1920. Montréal, MMC. (Photo: Musée McCord Museum, Xl11

« Collections - Recherche », in Clefs pour l'histoire, Site du Musée McCord Museum [En ligne] http://www.musee-mccord.qc.ca/fr/coliection/artefactsNIEW-19168/ (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 57 : Allan Edson. Falls of the River Clyde. Head of Lake Memphremagog, P.Q. (reproduction) 17 octobre 1874. Similigravure. (Photo: Archives et bibliothèque nationale, « Allan Edson», in Bibliothèque et Archives Canada, Site Canadian Illustrated News. La nouvelle en Images. 1869-1888, [En ligne] http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/cin/001 065-119.01- .php?&nl_id_nbr=1621 &brws_s=1 &&PHPSESSID=gvrtppf1 rit8grrpj7rld4upf1 (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 58: Falls of Montgomery Creek. East Berkishire. V. T. (reproduction) 1874. Similigravure. (Photo: Archives et bibliothèque nationale, « Allan Edson», in Bibliothèque et Archives Canada, Site Canadian IIlustrated News. La nouvelle en Images. 1869-1888, [En ligne] http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/cin/001 065-119.01- f.php?&nl_id_nbr=1681 &brwss=1 &&PHPSESSID =gvrtppf1 rit8grrpj7rld4upf1 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 59 : Allan Edson. Paysage . . c. 1875. Huile sur toile. 91.8 x 66.4 cm. Toronto, AGO (Photo .tirée de: Suzanne Pressé, « Allan Edson. Effets de lumière et de brouillard », Magazin'art, vol. 3 n° 63 (printemps 2004), p. 143).

Fig. 60 : Allan Edson. Solitude. S.d. Huile sur toile. 90 x 76.2 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetaiIView.aspx?lot_id=424073990 (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 61 : Allan Edson. High Falls near North Troy. S.d. Aquarelle sur carton. 44 x 29 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, « Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/PDB/FAADsearch/LotDetailView.aspx?lot_id=3215906 (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 62 : Allan Edson. Paysage, saules et moutons. 1869. Huile sur toile. 61 x 90.8 cm. Montréal, MBAM (Photo: RCIP, « Allan Edson », in Artefacts Canada, Site du RCIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:80 15/Webtop/CH 1NApps/artefacts/newl mgWin .jsp?currLang= F rench&i=0&j=9 (page consultée le 16 août 2007)

Fig. 63 : Allan Edson. Moutons dans un paysage. 1869. Huile sur toile. 61.5 x 91.5 cm. Ottawa, MBAC (Photo: MBAC, « Allan Edson», in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne]. http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/search/artwork_f.jsp?mkey=9451 (page consultée le16 août 2007). XIV

Fig. 64: Allan Edson. Scène dans lesCantons-de-I'Est, enfants à la balançoire. 1860-80. Aquarelle, gouache et huile. 35.2 x 60.7 cm. Montréal, MBAM (Photo: RCIP, « Allan Edson », in Artefacts Canada, Site du RCIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newlmgWin.jsp?currLang=F rench&i=O&j=O (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 65: Allan Edson. Jeune fille dans un sous-bois. 1875-1885. Aquarelle. 40.8 x 76 cm. Québec, MNBAQ (Photo: RCIP, « Allan Edson », in Artefacts Canada., Site du RCIP, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:8015/Webtop/CHINApps/artefacts/newlmgWin.jsp?currLang=F rench&i=0&j=6 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 66 : Allan Edson. Paysage sylvestre. 1870-75. Aquarelle. 44.5 x 32.4 cm. Ottawa, MBAC (Photo: MBAC, « Allan Edson », in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne]. http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/search/artwork_f.jsp?mkey=96337 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 67 : Allan Edson. Automne, Mont Orford. c. 1876. Huile sur toile. 72.4 x 148.5 cm. Toronto, Collection particulière (Photo: Joyce Zemans, Encyclopédie canadienne, « Aaron Allan Edson», Site de l'Encyclopédie canadienne [En ligne] http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF 0002533 (page consultée le 17 août 2007).

Fig. 68 : Allan Edson. Woodland Scene. (reproduction) 1871. Similigravure. (Photo Archives et bibliothèque nationale, « Allan Edson», in Bibliothèque et Archives Canada, Site Canadian IIlustrated News. La nouvelle en Images. 1869- 1888, [En ligne] http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/cin/001 065- 119.01-f.php?&nl_id_nbr=4367&brws_s=1 &&PHPSESSID =gvrtppf1 rit8grrpj7rld4upf1 (page consultée le 17 août 2007).

Fig. 69 : Allan Edson. Mountain Torrent (reproduction). 1872. Similigravure (Photo: Archives et bibliothèque nationale, « Allan Edson», in Bibliothèque et Archives Canada, Site Canadian IIlustrated News. La nouvelle en Images. 1869-1888, [En ligne] http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/cin/001 065-119.01- f. php? &nl_id _ nbr=2558&brws_ s= 1&&PH P SESS 10 =nt9m61 bnnm34gb3p6gr6305175 (page consultée le 17 août 2007).

Fig. 70 : Allan Edson. Forêt et moutons. c. 1874. Aquarelle sur papier. 59.4 x 43.3 cm. Montréal, MMC (Photo: Montréal, MMC).

Fig. 71 : Allan Edson. Une forêt à l'automne ,. c. 1874. Aquarelle sur papier. 37.9 x 30.7 cm. Montréal, MMC (Photo: Montréal, MMC).

Fig. 72 : Allan Edson. Forêt à l'automne Il. c. 1874. Aquarelle sur papier. 38.5 x 27.6 cm. Montréal, MMC (Photo: Montréal, MMC).

Fig. 73 : Allan Edson. Ruisseaux à truites. c. 1875. Huile sur toile. 60.4 x 48.5 cm. Ottawa, MBAC (Photo: MBAC, « Allan Edson », in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne]. xv http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/search/artwork_f.jsp?mkey=1 0220 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 74 : Allan Edson. Paysage. c. 1875. Huile sur toile. s. d. Toronto, AGO (Photo: RCIP, «Allan Edson », in Artefacts Canada, Site du RC/P, [En ligne]. http://daryl.chin.gc.ca:80 15/Webtop/CH 1NApps/artefacts/newl mgWin .jsp?currLang= F rench&i=0&j=4 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 75 : Allan Edson. Camp in the Woods. 1876. Huile sur toile. 61.4 x 76.3 cm. Toronto, AGO (Photo tirée de: Suzanne Pressé. «Allan Edson. Effets de lumière et de brouillard ». Magazin'art. vol. 3 n° 63 (printemps 2004), p. 143).

Fig. 76 : Allan Edson. Evening (reproduction). 1874. Similigravure. (Photo: Archives et bibliothèque nationale., « Allan Edson », in Bibliothèque et Archives Canada, Site Canadian II/ustrated News. La nouvelle en Images. 1869-1888, [En ligne] http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/cin/001 065-119.01- f.php?&nl_id_nbr=1616&brws_s=1 &&PHPSESSID =gvrtppf1 rit8grrpj7rld4upf1 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 77 : Allan Edson. Paysage. c. ·1880. Aquarelle sur mine de plomb sur papier vélin. Ottawa, MBAC (Photo: MBAC, «Allan Edson », in MBAC, Site Cybermuse. Votre outil de recherche et d'éducation, [En ligne] http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/search/artwork_f.jsp?mkey=6285 (page consu Itée le 16 août 2007).

Fig. 78: Allan Edson. Sun/it Forest Stream. S. d. Huile sur toile. 42 x 63 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, «Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/P 0 B/F AAD sea rch/LotDeta iIView. as px? lot_id = 1736383 (page consultée le 16 août 2007).

Fig. 79 : Allan Edson. Two Hunters in the Forest. S. d. Aquarelle et encre sur papier entoilé. 46 x 60 cm. Collection particulière (Photo: Arnet, «Allan Edson - Past Auction results», Site d'Arnet, [En ligne] http://www.artnet.com/P 0 B/F AAD sea rch/LotDeta iIView. as px? lot_id =3178859 (pa ge consultée le 16 août 2007). Introduction

En 1843, en Grande-Bretagne, John Ruskin (1819-1900) publie l'ouvrage Modern Painters, où il discute de sa conception de l'art et de la nature. Ce livre a un retentissement important sur son époque, aussi bien dans son pays d'origine qu'en Amérique du Nord. L'objectif de cette étude est d'explorer les correspondances complexes qui existent entre les théories ruskiniennes et les œuvres d'artistes nord- américains, plus spécifiquement, les œuvres de l'artiste canadien, Allan Edson. Pendant la première période de sa carrière, de 1864 à 1880, Allan Aaron Edson (1846-1888) réalise des paysages extrêmement fouillés et soignés qui valorisent l'interprétation de la lumière et dont l'atmosphère évoque une façon bien particulière d'appréhender le monde réel. La manière dont son style se développe au cours de ces années s'avère complexe et présente des analogies avec des influences étrangères, notamment américaines avec les peintres de l'École de l'Hudson, et anglaises avec les préraphaélites. Si les œuvres d'Edson évoquent ces mouvements, c'est qu'ils ont en commun des intentions qui rejoignent les théories sur l'art et la nature professées par John Ruskin.

Au moment de sa mort en 1888, Allan Edson est salué par William Scott, marchand d'art, comme l'un des meilleurs paysagistes qu'ait produit le Canada 1. Son œuvre tombe pourtant dans l'indifférence jusqu'à sa redécouverte par les historiens de l'art canadien au début des années 1970. Depuis, l'historiographie de l'artiste démontre qu'il existe un nombre limité d'ouvrages s'étant intéressés à son œuvre et de ce nombre, plusieurs n'en dressent qu'un portrait général, n'y consacrent que quelques pages ou réaffirment des notions déjà formulées. Conséquemment, plusieurs pans de sa pratique demeurent encore incomplets ou méconnus. Des questions n'ont jamais été abordées en profondeur, comme celle d'une possible influence des conceptions esthétiques de Ruskin.

Parmi ces articles ponctuels, notices de catalogue d'expositions, articles de revues spécialisées, etc., nqus avons isolé des ouvrages qui ont alimenté notre

1 Elizabeth Collard, « Allan Edson - Eastern Townships artist », Canadian Antiques Collector, vol. 5, n° 1 (1970), p. 13. 2

réflexion. Soulignons tout d'abord, le mémoire de maîtrise de Gordon H. Day, The 2 . Life and Times of Allan Aaron Edson , l'unique recherche spécifique consacrée à Edson. Cette étude enrichit notre connaissance de l'artiste grâce à son approche biographique qui situe l'artiste dans le contexte artistique, professionnel ainsi que des sociétés artistiques dans lesquelles il évolua. L'intérêt majeur réside dans 3 l'utilisation de sources primaires importantes, comme le carnet personnel d'Edson , quelques lettres personnelles et enfin, une liste partielle des œuvres de l'artiste connues à ce jour. Si l'étude de G. Day identifie certains éléments formels, sa méthode historique événementielle et biographique ne contribue toutefois pas à définir de manière précise le style d'Edson.

En ce sens, l'ouvrage de Dennis Reid, Notre patrie le Canada: mémoire sur les aspirations nationales des principaux paysagistes de Montréal et Toronto. 1860- 4 1890 , constitue une base solide pour notre réflexion. En situant la peinture de paysage dans un contexte plus global, Reid nous a permis de mieux comprendre la complexité des influences étrangères dans la pratique du paysage. Il nous a également permis d'identifier des procédés picturaux et un vocabulaire spécifique dans les œuvres d'Edson. De manière plus générale, les études et les recherches 5 6 conduites par John R. Harper , Dennis Reid et Élizabeth Collard? nous ont également permis d'avoir une meilleure vue d'ensemble de l'artiste et de son œuvre. Jusqu'à présent, seulement Gordon H. Day et Dennis Reid ont clairement rattaché la

2 Gordon H. Day, The Life and Times of Allan Aaron Edson, Montréal, mémoire de maîtrise, Université Concordia, 1978, 80 p. 3 Ce livre de raison servait principalement à relever la vente de ses tableaux en Europe comme au Canada. On y retrouve également certaines notes plus personnelles, bien qu'il ne constitue pas un journal personnel. Toutefois, à ce sujet, il est important de spécifier que ce carnet personnel, autrefois ayant appartenu à un descendant d'Edson est désormais en possession de l'auteur et n'est pas disponible pour consultation, à la demande de la famille de l'artiste. Ceci empêche toute vérification et il nous est donc impossible de bâtir notre réflexion sur des sources écrites d'Edson qui auraient pu attester des liens possibles avec les écrits de Ruskin. 4 Dennis Reid, « Notre Patrie le Canada» : Mémoires sur les aspirations nationales des principaux paysagistes de Montréa! et de Toronto. 1860-1900, Ottawa, Galerie nationale du Canada / Musées nationaux du Canada, 1979, 454 p. 5 Russell J. Harper, La peinture au Canada, des origines à nos jours, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1966, 442 p. 6 Dennis Reid, A Concise History of Canadian Painting, Toronto, Oxford University Press, 1973, 319 p. 7 Elizabeth Collard, « Eastern Townships artist : Allan Edson », Canadian Antiques Collector, vol. 5, n° 1 Uanvier 1970), pp. 13-15 et « Allan Aaron Edson », Dictionnaire biographique du Canada, Vol. XI. Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1982, p. 325-326. 3 pratique artistique d'Edson à l'influence anglais~8 - celle de peintres préraphaélites - en raison des traits communs qu'elle présente avec la peinture de l'École de l'Hudson. C'est donc cette lacune que nous tenterons de combler à travers notre présente étude.

En ce qui concerne l'œuvre de John Ruskin, l'historiographie est impressionnante et imposante. Confrontées à une bibliographie riche de quelques centaines d'ouvrages et d'études de toutes sortes, nous avons limité notre recherche aux ouvrages qui traitent d'art, plus spécifiquement du paysage. Le centenaire de la mort de Ruskin, célébré en 2001, a depuis ravivé l'intérêt des historiens et des musées pour son œuvre. Plusieurs catalogues d'expositions constituent le point 9 d'ancrage de l'analyse des idées de Ruskin . Ces ouvrages nous ont permis de comprendre l'importance de replacer les principes ruskiniens sur la nature et l'art dans leur contexte de production. De plus, ils présentent des analyses de base sur les théories de Ruskin, sa conception de l'art et de la nature, en parallèle avec la pratique des artistes britanniques, essentiellement les préraphaélites. Selon Ruskin, que le but de l'art est de parvenir à exprimer le caractère sacré présent dans le monde naturel. Cette conception de l'art donne lieu à des paysages basés sur l'observation, une technique laborieuse et une connaissance scientifique. Il nous faut également souligner un bon nombre d'ouvrages analytiques essentiels à la compréhension de la pensée de Ruskin. Nous pouvons mentionner les ouvrages suivants: l'ouvrage de George P. Landow The Aesthetic and Critical Theories of John Ruskin, de Patricia M. Bali The Science of Aspects. The Changing Role in Fact

8 Dennis Reid, A Concise History of Canadian Painting. Toronto, 1973 et Gordon H. Day, The Life and Times of Allan Aaron Edson, 1978. Il Y a l'étude récente d'Anita Grants (<< Selectivity, Interpretation and Applications: The Influence of John Ruskin in Canada », thèse de doctorat, Montréal, Université Concordia, 2006, 255 p.), une thèse de doctorat importante pour comprendre l'implantation des idées ruskiniennes au Canada. Cependant, elle effleure au passage l'influence de Ruskin sur Edson, son champ d'études étant plus large. 9 Il s'agit des catalogues Allen Staley et Christopher Newall, Pre-Rapahelite Vision. Truth to Nature, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 12 février-3 mai 2004 / Berlin, Altes Nationalgalerie, 12 juin-19 septembre 2004 / Madrid, Fundacio « la Caixa », 6 octobre 2004-9 janvier 2005). Londres, Tate Publishing, 2004, 256 p.; Robert Hewison et al., Ruskin, Turner and The Pre-Raphaelites, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 9 mars-28 mai 2000), Londres, Tate Publishings, 2000, 288 p.; auxquels nous pouvons ajouter un autre catalogue antérieur, mais tout aussi important: Susan P. Casteras et al., John Ruskin and the Victorian Eye, Catalogue d'exposition (Phoenix, Phoenix Art Museum, 1993 / Indianapolis, Indianapolis Museum of Art, 1993), New York, Harry N. Abrams & Phoenix Art Museum, 1993, 223 p. 4 in the Work of Coleridge, Ruskin and Hopkins ainsi que Ruskin. Cycle de 1 conférences organisé au Musée du Louvre du 8 mars au 5 avril 2001 °.

Pour cerner et comprendre l'impact de Ruskin sur Edson, nous avons choisi de confronter ses œuvres à la pratique artistique américaine, afin de retracer la manière dont d'autres artistes ont compris les idées ruskiniennes, notamment parce que nous avons constaté que l'œuvre d'Edson est sans cesse associée au paysage américain. En outre, il nous faut souligner que les historiens de l'art américain ont davantage étudié le rôle joué par Ruskin dans l'art américain. Des auteurs comme Barbara 12 Novak 11 et Rebecca Bedell ont étudié les relations artistiques qui existent entre Ruskin et les paysagistes américains. Grâce à ces ouvrages, il nous est possible de connaître la place des théories ruskiniennes dans la pratique du paysage aux États- Unis. Un important catalogue d'exposition: American Sublime: Landscape painting in the United-States. 1820-188013 inscrit son étude dans une perspective' historique internationale. Cette étude nous informe donc sur les échanges artistiques entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, tout en nous présentant les particularités nationales et les contextes sociaux.

Ces nouvelles pistes de recherches nous permettent de considérer l'œuvre d'Edson sous un angle différent. En posant comme hypothèse de départ qu'il existe des rapports entre les théories ruskiniennes et les œuvres d'Edson, nous avons tenté d'analyser les implications de ces correspondances. Nous avons questionné la formation suivie par l'artiste, son vocabulaire plastique et formel ainsi que la signification de ces paysages. Notre compréhension de cette influence passe toutefois par la définition des théories ruskiniennes et par la mise en contexte de celle-ci. Nous défendons l'hypothèse que les idées ruskiniennes contribuent à l'élaboration d'un vocabulaire technique, stylistique et idéologique employé par

10 Stephen Bann et al., Ruskin. Cycle de conférences organisé au Musée du Louvre du 8 mars au 5 avril 2001. Textes inédits en français de John Ruskin. Sous la direction de Mathias Wascheck, Paris, Musée du Louvre / École nationale supérieure des beaux-arts, 2003, 253 p. 11 Barbara Novak, Nature and Culture. American Landscape and Painting. 1825-1875, Édition révisée. New York, Oxford University Press, 1995, 329 p. 12 Rebecca Bedell, The Anatomy of Nature: Geology and American Landscape Painting. 1825-1875. Princenton, Princenton University Press, c2001, 185 p. 13 Andrew Wilton et Tim Barringer, American Sublime: Landscape painting in the United-States. 1820- 1880, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 21 février-19 mai 2002 / Philadelphie, Pennsylvania Academy of Fine Arts, 17 juin - 25 août 2002 / Minneapolis, Institute of Arts, 22 septembre - 17 novembre 2002) Londres, Tate Gallery, 2002, 284 p. 5

Edson. S'il nous est impossible de démontrer, preuves à l'appui, que l'artiste connaissait bien les théories de Ruskin, nous démontrerons qu'il en adapte les idées à son style et aux lieux de représentation. Nous supposons ainsi que la connaissance implicite des théories ruskiniennes et des sciences naturelles explicitent davantage la vision de la nature d'Edson, bien plus que la recherche d'hypothétiques ressemblances formelles avec les œuvres préraphaélites. Pour mieux saisir la complexité du dialogue entre les idées ruskiniennes et leur réception par Edson, il convient cependant d'établir une confrontation avec d'autres dialogues établis en-dehors du milieu canadien, soit aux États-Unis, afin de mettre en perspective ce phénomène complexe. Par ailleurs, cette approche nous conduit ainsi à soulever la question de l'identité culture"e et des particularités nationales.

Afin de répondre à ces questions, nous avons constitué un corpus visuel d'œuvres réalisées entre 1864 et 1880, composé de peintures à l'huile, d'aquarelles et de quelques illustrations. Puisque l'œuvre d'Edson se définit par deux périodes distinctes, nous avons également choisi quelques œuvres de la deuxième période. E"es nous permettent, elles aussi, de mieux saisir les caractères particuliers de son style. Nous avons éliminé les œuvres non datées que nous n'avons pas pu classer avec certitude dans une ou l'autre de ces périodes.

Le corpus textuel de Ruskin s'articule autour des quatre volumes de Modern Pa in ters, ainsi que sur le manuel Elements of Drawing. Publié en 1843, le premier volume de Modern Painters se veut une défense du peintre anglais J. W. M. Turner qui est la proie de critiques virulentes. C'est dans cet ouvrage que Ruskin expose pour la première fois ses idées sur ce qu'il appelle des vérités générales, c'est-à-dire la coul~ur, la ligne, la lumière et le clair-obscur. Son deuxième volume (1846) se veut une définition des valeurs de vérité et de beauté, tout en proposant aussi une théorie de l'imagination. La publication suivante (1856) se consacre à l'analyse des idées sur la nature, l'imagination, l'émotion et l'importance des détails. Le quatrième ouvrage, publié en 1856 aussi, discute non seulement de la beauté, de l'imagination, mais aussi de la science, ce qui permet de compléter la définition de la vérité devenue scientifique. Ce dernier ouvrage est marquant pour ses réflexions sur la géologie. Enfin, le manuel d'enseignement Elements of Drawing nous intéresse pour l'élaboration de la théorie de l'œil innocent et parce que l'auteur y développe sa 6 vision idéale de l'enseignement des arts, plus particulièrement du dessin et de la peinture. De plus, cet ouvrage est considéré comme un des plus importants et les plus influents auprès des artistes, et ce, des deux côtés de l'Atlantique.

Notre étude s'appuie sur des méthodes historiques et analytiques articulées autour de la notion d'authenticité. Cette notion est centrale pour comprendre l'appropriation des idées ruskiniennes par Edson. Elle se construit autour de l'analyse des écrits de John Ruskin et de son propre concept de « truth to nature ». Dans la plupart des ouvrages francophones, cette notion est traduite par le terme de « fidélité à la nature ». Toutefois, pour Ruskin, la représentation de la nature relève d'éléments plus complexes que de simplement « donner une image très exacte de l'original » 14. Nous avons établi que l'authenticité relève à la fois de l'art, de la nature, de la religion et de l'interprétation qu'en fait l'artiste. Cette notion définit le rôle de l'artiste et régit ses procédés et modes d'expression lors de la création de l'œuvre.

L'étude que nous proposons se divise en trois parties. Le premier chapitre vise tout d'abord à comprendre le contexte général qui contribue à l'élaboration et à 'la réception des idées ruskiniennes. Nous avons également voulu expliciter et analyser les conceptions artistiques de Ruskin et isoler les questions centrales qui qualifient la notion d'authenticité. Le discours de Ruskin invite à une telle démarche, puisque sa réflexion n'est pas susceptible d'être saisie au premier regard. Puisque l'authenticité imbrique étroitement les questions de la vérité, de la beauté et de l'œil innocent, ce sont les ouvrages de la série des Modern Painters et Elements of Drawing qui nous fournissent les principes nécessaires à la compréhension.

Devant la connaissance restreinte de l'œuvre d'Edson, l'absence de sources et le manque d'information concernant les rapports entretenus par Ruskin avec l'art canadien, il nous faut reposer notre analyse dans un contexte plus globalisant, avant même d'analyser l'œuvre d'Edson. Cette étape est essentielle afin de comprendre le phénomène complexe des transferts artistiques, des croisements idéologiques et des conséquences sur l'œuvre d'Edson. D'un point de vue méthodologique, l'étude de la

14 Étienne Souriau, « Fidélité », Vocabulaire d'esthétique. Paris, PUF, 2004, p. 742. 7 pratique artistique américaine n'est pas présentée comme un processus de continuité, mais est plutôt envisagée dans une perspective de médiation artistique. La deuxième partie de notre mémoire relève donc d'une histoire de l'art comparée entre deux nations, soit les États-Unis et le Canada, mais va également au-delà en tenant compte des différences des contextes sociaux et des caractères nationaux qui contribuent à l'adoption ou au rejet des conceptions ruskiniennes.

Le troisième chapitre présente des études de cas probants et analyse les correspondances entre le discours de Ruskin et les œuvres d'artistes américains. Il nous amène vers une analyse attentive du cas particulier d'Edson. Il s'agit de relever les facteurs déterminants pour la connaissance du vocabulaire ruskinien. Nous discutons des thèmes majeurs dans la pratique d'Edson qui caractérisent ses œuvres. L'examen des œuvres nous conduit vers l'identification des éléments plastiques qui reflètent une recherche d'authenticité. Nous discutons également des connaissances scientifiques déployées par Edson dans les descriptions des éléments naturels. Bien que nous ne connaissions pas l'étendue de ses connaissances scientifiques, 'l'analyse de ses œuvres nous permet de comprendre sa façon d'appréhender la nature. Cette conception de la nature nous amène finalement à l'étude de la lumière et de l'atmosphère qui définissent sa démarche artistique. 8

CHAPITRE 1 John Ruskin et l'authenticité de la nature

« [..] There is the strong instinct in me which 1 cannot analyse to draw and describe the things 1 love - nor for reputation, nor for the good of others, nor for my own advantage, but a sort of instinct like that eating or drinking.» John Ruskin, Lettre à son père, 2 juin 1852.

Dans ce chapitre, il nous semble pertinent d'étudier les facteurs historiques, idéologiques et culturels qui conduisent John Ruskin à la formation de ses idées esthétiques. Nous traiterons également de la manière dont ses idées imprègnent la société et les artistes britanniques. Nous examinerons par la suite les textes écrits entre 1840 et 1857, soit les quatre premiers volumes de Modern Painters et Elements of Drawing, afin de discerner les valeurs qui qualifient le concept d'authenticité: la vérité, la beauté et l'œil innocent. Nous approfondirons alors la position idéologique de Ruskin qui conçoit la création artistique dans un rapport spirituel et naturaliste.

1.1 Les assises historiques et culturelles au Royaume-Uni à l'époque victorienne 1.1.1 L'arrière-plan de la société britannique Entre 1840 et 1860, la société victorienne laisse transparaître un enchevêtrement de n·ouveaux courants d'idées et de changements socioculturels qui correspondent aux progrès industriels et scientifiques que connaît le Royaume-Uni 15 depuis le XVIIIe siècle. Durant cette période, cette monarchie constitutionnelle connaît quatre souverains 16, mais c'est sous le règne de Victoria (1819-1901) qu'elle exerce une véritable hégémonie mondiale.

15 En 1707, l'Écosse est unie à la Grande-Bretagne, suivie de l'Irlande en 1800. 16 Georges III régnera de 1760 à 1820, Georges IV (1820-1830), Guillaume IV (1830-1837) et Victoria (1837-1900). Philippe Chassaigne et al., Religion et culture au Royaume-Uni. 1800-1914, Paris, Éditions Sedes, 2001, p. 13, « Regards sur l'histoire }). 9

Plusieurs facteurs expliquent qu'un tel essor industriel ait d'abord pris naissance en sol britannique, mais nous devons certainement considérer la révolution agricole et la mise en place des enclosures. En effet, lorsque au XVIIIe siècle, l'État décide de clôturer les champs autrefois ouverts à tous (les openfields), les britanniques connaissent alors les prémices d'une culture individuelle, intensive et capitaliste 17. Elle succède ainsi à une culture communautaire et de subsistance. À mesure que l'on avance dans le XIXe siècle, les enclosures entraînent une efficacité et une productivité supérieures, tout en amenant de nouvelles découvertes en agronomie 18. De surcroît, la révolution contribue à l'emploi d'une main d'œuvre locale, à la diminution des famines et à l'amélioration du niveau de vie des fermiers. Il fallut toutefois attendre les avancées technologiques, particulièrement l'invention de la machine à vapeur et leur application dans le domaine industriel pour que le pays atteigne le rôle de puissance mondiale. En outre, avec la fin du protectionnisme en 1849, le Royaume-Uni devient un chef de file dans l'exportation de produits manufacturés. Le pays profite également des nouvelles méthodes d'exploitation minière ainsi que de la baisse des coûts et de la rapidité de production dans le domaine métallurgique.

Puisqu'elle est indispensable au commerce, l'amélioration des routes et des voies navigables s'inscrit également dans cette ère de bouleversements. Grâce au train et . au bateau à vapeur, l'information, les marchandises et les personnes voyagent beaucoup plus rapidement. Dès lors, les artistes explorent plus facilement les contrées éloignées, bien que tout cela ne soit pas sans conséquences, puisque les paysages sauvages sont investis par les routes, les chemins de fer, les viaducs et les tunnels construits massivement.

Parallèlement, les agglomérations urbaines sont gonflées par l'essor démographique du XVII le siècle, entraînant une concentration des usines autour de ces centres urbains et en 1850, la majorité de la population habite les villes de

17 En effet, l'abandon des fumures et des jachères, l'adoption de meilleures rotations des cultures, l'assolement quadriennal et les nouveaux types d'engrais et instruments agricoles sont des exemples probants de ces avancées. Colin Matthew, The Nineteenth Century. The British Isles: 1815-1901, New York, Oxford University Press, 2000, p. 43. 18 Roland Marx, La Révolution industrielle en Grande-Bretagne, Paris, Armand Colin, 1997,p. 40. 10 l'Angleterre et du pays de Galles 19. Bien que les ateliers ait longtemps coexisté avec les usines, cette période marque la victoire du « factory system». En effet, « l'artisanat s'industrialisa, la division du travail fut opérée avec rigueur, et les petits artisans qui ne pouvaient rivaliser avec les grands établissements furent rejetés dans les rangs de la classe prolétarienne »20. Par ailleurs, très hiérarchisée, la société britannique est également marquée par l'opposition mouvementée entre deux nouvelles classes sociales, la bourgeoisie commerciale et le prolétariat. À mesure que les usines se multiplient, des milliers d'ouvriers s'entassent dans ces villes carbonifères, dans des logements insalubres, hors de prix et surpeuplées. Côtoyant la maladie et la pollution, ils sont également à la merci des abus des employeurs qui les soumettent à de longues heures de travail.

De ce qui précède, il ressort que les prolétaires connaissent des conditions misérables, d'autant plus que l'État n'a ni le pouvoir ni les ressources pour changer la situation. Devant l'inaction des classes dirigeantes, les prolétaires s'organisent et un vent de révolte se fait sentir. Des mouvements syndicalistes se manifestent, dont le mouvement chartiste, qui publie en 1838 la Charte des peuples et qui revendique, entre autres, le suffrage universel21 . Plus importantes encore, les révoltes de 1848 touchent non seulement l'Angleterre, mais aussi la France, l'Italie et l'Allemagne, alors que des millions de travailleurs protestent contre l'exploitation capitaliste. Poussés par un élan philanthropique, soulignons que plusieurs hommes de la classe dirigeante protestent devant ces abus, tels que Karl Marx, Samuel Richardson, Friedrich Engels et bien sûr, John Ruskin. En effet, l'auteur s'assigne dès la fin des années 1850, la tâche de lutter contre les injustices sociales, le capitalisme et le machinisme. En ce sens, certains de ces ouvrages sur l'art, comme Elements of Drawing exposent déjà ses préoccupations sociales.

1.1.2 Les avancées scientifiques et le doute religieux Le contexte suivant la Révolution française ainsi que la révolution industrielle favorise considérablement l'avancement des connaissances et des technologies. Le

19 Tim Barringer, Reading the Pre-Raphaelites, New Heaven & , Yale University Press, 1998, ~. 56. o Friedrich Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, Paris, Éditions sociales, 1960, ~. 36. 1 Roland Marx, 1997, p. 52-53. ,------~ ~~ -

Il

e XIX . siècle modifie sérieusement le rôle des sciences et leur compréhension avec des nouvelles découvertes et hypothèses. De fait, durant les années 1830, on 22 assiste à la naissance d'un bon nombre de sociétés savantes , régionales et nationales, qui s'ajoutent à la Royal Society fondée en 1660. Ces sociétés s'inscrivent dans le prolongement d'une nouvelle volonté scientifique de vulgarisation, le siècle ayant commencé par une « insistance sur la collection

systématique, la classification et la dissémination du savoir )}23.

La science acquiert donc une plus grande notoriété grâce à ses possibilités technologiques, mais aussi parce que les répercussions matérielles sont plus 24 notables dans les différentes facettes de la vie quotidienne • À partir du XVIIIe siècle, la recherche scientifique ne s'adresse plus qu'à quelques hommes privilégiés. Les scientifiques publient dès lors leurs travaux dans la presse et donnent des conférences populaires qui leur permettent de rejoindre un public plus élargi:

«Such literature was available for subscription or consultation in an increasing number of cultural contexts, where it sat alongside scholarly monographs, novels, sermons, and tracts in abundance: debating societies, mechanics' institutes, literary and philosophical clubs and (after 1850) public libraries. })25

En revanche, devant l'étendue des connaissances, les scientifiques réalisent rapidement qu'une spécialisation est nécessaire. Ainsi, les chercheurs en viennent à abandonner l'esprit encyclopédique des Lumières, puisqu'il est trop généraliste et ils se concentrent sur un champ en particulier, que ce soit la chimie, la physique, la géologie, la météorologie, la biologie ou la physiologie.

Par ailleurs, au début du XIXe siècle, la science connaît un affranchissement grandissant vis-à-vis de la religion; la Bible essuyant de sérieuses critiques 26 philologiques et historiques , particulièrement après les travaux de Charles Darwin.

22 La plus connue était la British Association for the Advancement of Science, mais plusieurs autres virent le jour, en Europe comme en Amérique. Colin Ronan, Histoire mondiale des sciences, Paris, Éditions du Seuil, 1988, p. 533. 23 Colin Matthew, 2000, p. 214-215 24 Colin Ronan, 1988, p. 533. 25 De plus l'auteur estime qu'il y avait environ 25 000 périodiques de toutes sortes, incluant les journaux, qui furent publiés en Grande-Bretagne durant la période victorienne. Colin Matthew, 2000, ~. 201. 6 Philippe Chassaigne et al., Religions et culture en Europe. 1800 à 1914, Paris, éditions Sedes, 2002, p. 180. 12

Néanmoins, jusqu'au premier tiers du XIXe siècle, on cherche malgré tout à maintenir une harmonie entre la science et la religion et pour les « tenants de théologie naturelle ( ... ) la science vient apporter une justification supplémentaire à la religion »27.

De toutes ces sciences, ce sont les sciences de la Terre (la géologie et la biologie) et les sciences de l'Homme (la paléontologie) qui se heurteront le plus à la Genèse de la Bible28 . Ainsi, lorsque Charles Lyell (1797-1875) fait paraître en 1833 son ouvrage Principes de géologie, il fait sensation. De fait, il avance que la formation de la Terre est un processus continu, ce qui est tout à fait en contradiction avec la théorie du catastrophisme avancé par la Bible. Il affirme également que l'émergence des espèces est un processus régulier, en lien avec la répartition géographique. Cet ouvrage, réédité dix fois, a un impact considérable notamment sur Ruskin, ainsi que sur Charles Darwin (1809-1882). En 1859, Darwin publie L'Origine des espèces, un véritable « best-seller» qui soulève un tempête de protestations29 .

. En plus d'influer sur l'harmonie qui existe au début du siècle entre la science et la religion, ces avancées perturbent fortement la foi et sèment le doute religieux. Aux prises avec les mêmes attaques que l'Église romaine, l'Église anglicane aura deux réactions face à celles-ci, soit le refus pur et simple soit « une acceptation pouvant conduire à des innovations théologiques d'une réelle richesse. »30 Quoi qu'il en soit, l'Église romaine luttera beaucoup plus vivement contre les idées modernes que ne le fera l'Église anglicane.

Dans ce contexte, il appert difficile de juger de l'impact de ces débats dans les milieux populaires. Il faut toutefois préciser qu'en 1851, un recensement religieux mentionne une baisse considérable dans la pratique du culte par les classes populaires. La religion connaît cependant certains réveils (revivais), alimentés par toutes sortes de groupes religieux. Un bon exemple est celui du mouvement

27 D'ailleurs, au début du premier tiers du XIXe siècle, le tiers des membres de l'association britannique pour l'avancement des sciences était des ecclésiastiques. Philippe Chassaigne et .al , Religions et culture au Royaume-Uni. 1800-1914, Paris, éditions Sedes, 2001, p. 68. 28 Philippe Chassaigne et al., 2001 , p. 68. 29 Colin Ronan , 1988, p. 544. 30 Philippe Chassaigne et al., 2001 , p. 71. c------

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d'Oxford (ou mouvement tractarien). Ce mouvement vise le renouveau de la foi avec des tendances romanisantes et publie des tracts destinés à réveiller la foi. Étonnamment, il considère également que certaines doctrines de l'Église catholique sont compatibles avec l'anglicanisme.

Si l'information circule plus librement, elle reste néanmoins accessible à une classe instruite et intéressée par la question. Pour l'élite, la religion occupe une place centrale dans le quotidien. En raison du contexte socio-économique, la religion demeure un soutien moral considérable. De plus, elle stimule les manifestations philanthropiques de l'époque ainsi que le côté moralisateur, propre aux valeurs victoriennes. Quant à Ruskin, et comme nous le verrons plus tard dans l'analyse de ses ouvrages, il est de cette « ère prédarwinienne » puisqu'il lui semble possible d'unir l'enseignement biblique avec l'observation scientifique31 . Son. interprétation symbolique de l'art tirée de l'exégèse de la Bible ' découle directement de son éducation protestante évangélique.

1.1.3 .L'avènement de la photographie Pendant que le pays progresse, les Britanniques assistent à la naissance d'une nouvelle culture visuelle qui entraîne une démocratisation accrue de l'image. En effet, publiés en grand nombre dès 1780, les guides pittoresques avec leurs gravures sur acier ou aquatintes sont un prélude à un nombre considérable de publications illustrées qui se multiplient durant le XIXe siècle. Les Britanniques deviennent vite fascinés par tout ce qui a trait avec « l'acte de voir, l'observation du monde naturel et de l'environnement urbain, ainsi que l'interprétation des œuvres d'art.»32 Un tel engouement pour les expériences visuelles et une ambition de rendre les images encore plus fidèles motivent les recherches sur les processus photographiques. Bien que plusieurs facteurs concoururent à la découverte de la photographie, la chambre noire ou camera obscura est certes d'une grande inspiration pour les chercheurs33 .

31 Tim Barringer, Reading the Pre-Raphaelites, New Heaven & Londres, Yale University Press, 1998, p.56. 32 Kate Flint, Victorians and the Visuallmagination, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 1. 33 Aaron Schaarf, Art and Photography, Harmondsworth / Baltimore, Penguin Books, 1974, p. 19. 14

À l'origine, la chambre noire est utilisée par les astronomes. Ce n'est qu'à partir du XVIe siècle que l'usage de l'instrument prend de l'ampleur auprès des artistes qui comprennent dès lors son utilité dans le rendu fidèle des représentations. 34 Surtout utilisée pour le dessin et la peinture de paysage, elle sert également à la reproduction de monuments architecturaux et particulièrement pour résoudre le problème de la perspective. Au . XVIIIe et XIXe siècle, plusieurs artistes et amateurs ont recours à cet instrument d'autant plus populaire que la pratique du Grand Tour a 35 encore lieu jusque dans les années 1830 . Cette pratique alimente alors le goût pour les représentations de paysages pittoresques. En ce sens, pour répondre à cet « intérêt croissant pour la nature et pour la description fidèle et détaillée36 », on cherche à fixer des images sur des supports de façon permanente.

En 1829, motivé par sa volonté de découvrir une méthode de reproduction des images, le français Joseph Niepce s'associe avec son compatriote Louis Jacques Mandé Daguerre. Quelques années plus tôt, soit en 1826, Niepce réussit à mettre au point l'héliographie, mais il n'obtient que des images positives qu'il ne peut reproduire. À la mort de Niepce, en 1833, Daguerre poursuit ses recherches avec Isadore, le fils de Nicéphore. Ensembles, ils élaborent le daguerréotype, qui donne lieu à des images d'une grande qualité et dont le temps de pose est réduit de façon considérable. En revanche, les images demeurent positives et ne peuvent être reproduites à grande échelle. Il faut attendre les découvertes de l'anglais, Henry William Fox Talbot, pour connaître les premiers processus négatifs. Breveté en 1841, soit deux ans après l'annonce publique du daguerréotype, le calotype ne peut rivaliser avec le daguerréotype qui est déjà fort populaire et qui offre des images

34 Aaron Schaarf, 1974, p. 19. 35 La pratique typiquement britannique du Grand Tour était au départ réservée aux jeunes hommes membres de l'aristocratie et plus tard, à ceux de la bourgeoisie. Datant du XVIIe siècle, mais surtout popularisé un siècle plus tard, le tour consistait à un long séjour (entre un et trois ans) à l'étranger, soit en France, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas ou au Moyen-Orient et plus particulièrement en Italie (surtout à Rome). Il permettait à ces jeunes hommes, outre de développer leur culture, de se familiariser avec l'art italien, de créer des contacts politiques, mais aussi d'asseoir leur rang social. Si les guerres françaises freinent les voyageurs, ils reprennent la route de plus belle avec l'avènement du romantisme, pour s'ouvrir finalement à une plus grande part de la population de toutes les provenances. Xavier Cervantes, L'Angleterre au XVIIIe siècle: 1740-1800, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998, p. 140-141. 36 Ann Thomas, Peinture et photographie canadiennes. 1860-1900, Catalogue d'exposition (Montréal, Musée McCord, 20 juin-12 août 1979), Montréal, Musée McCord, 1979, p. 16. ------~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~---,

15 d'une plus grande qualité. C'est toutefois à Talbot que les Victoriens doivent leur toute première exposition de photographies en sol britannique37 .

Malgré l'évolution technique que la photographie atteint et malgré sa grande popularité auprès du public, il reste qu'à ses débuts, le daguerréotype n'est pas bienvenu auprès des artistes et des critiques. En effet, si certains artistes y voient une économie de temps qui leur permet de remplacer les esquisses, d'autres le considèrent comme une menace. C'est que les aquarelles, autrefois prisées par les touristes, sont désormais remplacées par des photographies et que les studios de photographies deviennent de plus en plus populaires. Si, durant les années 1840, la peinture de portrait est grandement touchée par la photographie, les années 1850 et 1860 marquent l'influence de cette technique sur la peinture de paysage qui met alors l'accent sur le réalisme de ses représentations, chacune cherchant à surpasser l'autre. Bientôt, le débat se fit autour de la question de l'identité de la nouvelle technique. Est-ce une forme d'art ou simplement une autre démonstration de cette nouvelle ère de la maçhine? Plusieurs s'opposent contre « son échec à rendre la touche personnelle et l'œil sélectif de l'artiste. »38 Par contre, si la photographie acquiert ses lettres de noblesse sur le tard, vers la fin du XIXe siècle même, cela n'affecte en rien sa popularité auprès du public, si l'on en juge par le nombre considérable de photographies présenté lors de l'Exposition universelle de 1851, à Londres: plus de sept cents images sont exposées provenant de six pays.39 C'est"le perfectionnement de l'esthétique et des thèmes issus surtout de la peinture qui lui permettent d'affirmer sa place auprès des milieux artistiques.

1.1.4 Le contexte artistique en Grande-Bretagne En considérant l'héritage artistique qui les précède, certains artistes britanniques "du XIXe siècle se lassent du conformisme engendré par l'enseignement prodigué à la Royal Academy et valorisent plutôt une expression artistique qui

37 Roger Taylor, Photographies exposées en Grande-Bretagne. 1839-1865. Répertoire des photographes et leurs œuvres, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada / Bibliothèque et archives, 2002, p. 13. 38 Aaron Scharf, 1974, p. 27. 39 lan Warrel, «Roger Fenton, Bolton Priory, the West Window, 1854», dans Allen Staley et Christopher Newall, Pre-Rapahelite Vision. Truth to Nature, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 12 février-3 mai 2004), Londres, Tate Publishing, 2004, p. 42. 16 s'accorde davantage avec la sensibilité et la pensée de l'époque. Cette position cadre également avec la vision radicale et unique de John Ruskin.

Cependant, on ne peut comprendre l'enseignement de Ruskin sans parler d'abord d'une grande figure de l'art britannique: Sir Joshua Reynolds (1723-1792), fondateur de la Royal Academy of Arts (1768) qu'il préside jusqu'en 1789. La fondation de cette institution a pour but de favoriser l'émergence d'une école nationale de peinture en rehaussant la qualité de l'enseignement donné aux artistes 4o et en offrant des expositions aux standards d'excellence élevés . Pour ce faire, Reynolds réhabilite la tradition de la Haute renaissance italienne, fondée sur la notion de l'idéal. Selon lui, le but de tout artiste ambitieux est de représenter l'homme ou les objets de la manière la plus noble qui soit et non pas, tel qu'ils se présentent 41 ou devraient se présenter dans la réalité . L'artiste doit donc rechercher la forme parfaite, corriger les erreurs et imperfections, laisser de côté les particularités afin de « to conceive and represent their subjects in a poetical manner, not confined to mere matter of fact »42. Par conséquent, la peinture d'histoire est la forme d'art la plus achevée, puisqu'elle permet de traiter de sujets nobles et élevés qui mettent en scène l'homme et ainsi exprimer les pouvoirs intellectuels de l'artiste. Enfin, cette doctrine patronnée par l'Académie incite les artistes à étudier attentivement les artistes italiens comme Michel-Ange, Corrège, Titien et tout particulièrement, Raphaël, l'exemple par excellence de cet idéal esthétique.

Toutefois, malgré l'insistance de Reynolds, la peinture d'histoire ne s'implante 43 pas solidement en Grande-Bretagne, la demande allant plutôt vers le portrait . Mais puisque l'Académie privilégie toujours une vision idéaliste de l'art, on transpose donc cette tradition au genre du portrait. Dans un tel contexte, la peinture de paysage ne peut tenir un rôle bien important. À cette époque, le paysage n'est abordé que comme décor et est régi par des schèmes de composition très conventionnels, voire même artificiels. Popularisées par Claude Lorrain (1600-1682) et Nicolas Poussin (1594-1665), ces structures du paysage idéal accusent la profondeur par un habile

40 Lionel Lambourne, Victorian Painting, Londres, Phaidon Press Limited, 1991, p. 9. 41 Malcom Warner (dir.), The Victorians. British Painting, 1837-1901, Catalogue d'exposition Washington, National Gallery of Art, 1997, p. 20. 42 Sir Joshua Reynolds, Discourses, p. 59 cité par Malcom Warner (dir.), 1997, p. 20. 43 Lionel Lambourne, 1991, p. 11. 17 jeu entre les horizontales et les verticales: des repoussoirs (des arbres, des personnages ou des buissons) de chaque côté de la composition cadrent une vue 44 centrale (une succession de plans horizontaux) avec un horizon bas .

La démarche artistique des romantiques marque certainement une transition en réhabilitant l'individualisme, l'inspiration médiévale, ainsi qu'en exaltant la ~ature et les émotions intenses. Malgré cela, les romantiques ne renoncent pas complètement 45 à la tradition académique . C'est donc dans la foulée des deux premières . publications de John Ruskin (où il s'oppose publiquement à la position de la Royal Academy) qu'un groupe de jeunes artistes pousse plus loin la révolte contre la contrainte du classicisme à la fin des années 1840. L'année 1849 marque la 46 première exposition de la confrérie des préraphaélites , dont le nom est fortement 47 inspiré par deux premières publications de Ruskin . En effet, en voulant dénoncer la dégradation du goût artistique véhiculé depuis la Haute Renaissance, ils choisissent de revenir à un art authentique, antérieur à Raphaël. Ils puisent leur inspiration dans la naïveté et la simplicité des primitifs italiens du Quattrocento. Notons par ailleurs qu'ils sont grandement tributaires de la conception de l'art de Ruskin, de sa double préoccupation pour la nature et pour l'exactitude. Effectivement, les préraphaélites sont particulièrement intéressés par l'histoire naturelle et la géologie. En somme, le réalisme et l'exploration de leur environnement étaient au centre de leur démarche. Ils répondent ainsi à l'appel de Ruskin qui incite les artistes à aller dans la nature et à peindre celle-ci dans les moindres détails. Avant même les impressionnistes, ces artistes peignent leurs œuvres entièrement en plein air, encouragés par les 48 préceptes de Ruskin .

Mais, l'acceptation du mouvement n'est pas facile, puisque les critiques conservateurs ne s'attendent pas à voir autre chose que des œuvres classiques,

44 Tim Barringer, Reading the Pre-Raphaelites, New Heaven & Londres, Yale University Press, 1998, p.68. 45 Turner, par exemple, est de tradition classique. Il a étudié à la Royal Academy et ses peintures sont redevables de Claude Lorrain. 46 Le groupe est alors formé de William Holman Hunt, Dante Gabriel Rossetti, James Collinson, John Everett Millais, le sculpteur Thomas Woolner ainsi que des critiques d'art William Michael Rossetti et Frederick George Stephens. 47 Allen Staley, The Pre-Raphaelite Landscape, Londres, Oxford University Press, 1973, p. 8. 48 En effet, les peintres romantiques ou encore, ceux de l'école de Barbizon font des croquis en plein air, mais les toiles, elles, sont achevées en atelier. Seules les figures humaines sont réalisées en atelier. 18 c'est-à-dire idéalisées et ancrées dans la tradition académique. Les œuvres préraphaélites, qualifiées de « folies monastiques», dérangent par le souci poussé du détail naturel, que les critiques perçoivent comme « une simple imitation d'un style rigide, d'une fausse perspective et d'une couleur brute d'une Antiquité révolue. »49 C'est que les préraphaélites forcent le spectateur à observer attentivement le tableau en le submergeant de détails. Cette volonté d'enregistrer chaque infime détail correspond, entre autres, aux inquiétudes environnementalistes dues aux conséquences néfastes de l'urbanisation et de l'industrialisation, mais il cadre également avec la perception de la nature par Ruskin comme preuve de la création divine.

Les préraphaélites poussent leur audace encore plus loin en présentant des sujets bibliques50 , médiévaux ou tirés de la littérature anglaise (Tennyson, Keats, Shakespeare, etc). Par contre, la recherche d'une plus grande authenticité les incite à abandonner graduellement ces sujets pour se concentrer pleinement sur la peinture de paysage. D'autre part, et peut-être de façon encore plus marquante, les préraphaélites abandonnent complètement les conventions classiques, en délaissant les compositions idéalisées, en peig~ant dans des couleurs brillantes avec un minimum d'ombres et dans une certaine planéité. Ces couleurs brillantes, les peintres les doivent en grande partie à la révolution dans la fabrication des produits et des modifications des techniques avec « le broyage industriel, l'usage des tubes standards en étain, dont l'usage se répand après 1840 (inventés dès 1830 en Angleterre et aux États-Unis), la création de nouvelles couleurs de synthèse à partir de la houille (peinture au coaltar, en particulier) »51.

1.1.5 John Ruskin, le, critique Si le nombre croissant de publications diffuse plus massivement l'art et les images, ils mettent également la critique d'art sur le devant de la scène. Auteur fécond, John Ruskin connaît parfaitement le pouvoir que peuvent revêtir les publications dans le but d'atteindre un public cible et de confronter les attentes

49 Allan Staley, 1973, p. 15. 50 Des sujets d'inspiration catholique ne pouvaient que déranger une société protestante en proie à l'inquiétude face à la montée du catholicisme et du mouvement tractarien . 51 Jean-Philippe Breuille (dir.), L'atelier du peintre. Dictionnaire des termes techniques, Préface d'André Chastel. Paris, Larousse, 1990, p. 170. 19

52 conventionnelles . À cette époque, les Britanniques s'intéressent davantage à l'art par le biais des nombreuses galeries publiques et privées. En imitant l'aristocratie, la bourgeoisie s'approprie alors le rôle de mécène dans le but d'afficher son aisance matérielle, de définir et d'asseoir son nouveau statut:

«De même qu'elles (la classe moyenne et la bourgeoisie) surent imposer leur valeurs, elles façonnèrent la culture à leur image: c'était en fait d'elles et non plus de l'aristocratie que dépendait la fortune des artistes et des écrivains. Leur nombre faisait d'elles un marché de première importance, qui venait se substituer au traditionnel mécénat aristocratique: certains hommes achetaient des œuvres d'art à grande échelle ... })53

Dans un tel contexte, la bourgeoisie se tourne donc vers la critique d'art, car « la possession d'œuvres d'art et la connaissance du bon goût sont essentielles dans l'élaboration d'une élite culturelle. 54}) Parmi ceux qui visitent régulièrement les expositions des galeries et qui achètent des œuvres d'art en grand nombre se trouvent John Ruskin et son père, John James Ruskin, un homme d'affaires oeuvrant dans le commerce de Sherry. John Ruskin, particulièrement intéressé par l'art à un très jeune âge, manifeste le désir d'améliorer la conception de l'art et la pratique des artistes contemporains à travers ses écrits. Critique puritain, batailleur et intransigeant, il sait s'imposer par sa fougue et le génie de son écriture. " devient rapidement un des auteurs les plus lus et les plus influents de son époque. Durant les années cinquante, il est considéré comme une autorité dans le domaine des arts.

Sa façon d'aborder l'art a une résonance manifeste sur son auditoire majoritairement Évangéliste. Son style est unique, puisqu'il allie la technique du 55 sermon, de la prophétie biblique, de la satire et de la poésie romantique . Ruskin se démarque par sa volonté inébranlable de rétablir l'unité absolue entre l'art et la nature et à travers la nature, Dieu. Ainsi, puisqu'il voit la nature comme un livre

52 Jane Garnetl, « Intellectual and religious life }) , The Nineteenth Century. The British Isles : 1815- 1901, New York, Oxford University Press, 2000, p. 201. 53 Philippe Chassaigne, 2001, p. 74. 54 Claire Wildsmith, 2000, p. 16. 55 George P. Landow, « How to read Ruskin: The Art Critic as Victoriah Sage}) dans John Ruskin and the Victorian Eye , Catalogue d'exposition (Phoenix, Phoenix Art Museum, 1993), New York, Harry N. Abrams & Phoenix Art Museum, 1993, p. 54. 20

56 sacré, il se donne le rôle privilégié d'interprète . Les Britanniques apprécient sa prose et ses traits particuliers:

« Ruskin crée des descriptions détaillées de faits visuels, notamment lorsqu'il décrit des paysages ou qu 'il traite de représentations artistiques du monde naturel. Il combine également la description et la narration pour créer des paraboles d'une expérience visuelle exemplaire. 57)}

En somme, c'est · parce qu'il défie les conventions classiques et l'autorité reconnue que Ruskin est si populaire auprès de la bourgeoisie qui cherche à se définir et à se démarquer.

1.2 L'authenticité en peinture En déniant les anciens dogmes, Ruskin cherche à transmettre une nouvelle conception naturaliste et spirituelle de l'art qui conduit l'expression artistique vers l'authenticité. Pour sa part, la notion d'authenticité renvoie à deux valeurs essentielles, soit la vérité et la beauté. Notons que les deux premiers volumes des Modern Painters ont été pensés dans le but de défendre Turner contre les critiques proférées à son égard. Ruskin écrit ces livres dans le but de démontrer que Turner est non seulement un peintre authentique, mais aussi que ses peintures sont les 58 plus belles de tout l'art anglais . Toutefois, comme le souligne l'auteur George P. Landow, ces théories caractérisent l'ensemble de son œuvre et sont essentielles à 59 sa compréhension , malgré l'évolution de sa pensée et sa reformulation au fil du temps. Ainsi, comme nous le verrons par l'analyse de l'ensemble des textes retenus pour les besoins de notre étude, l'authenticité va bien au-delà du traitement pictural et des valeurs plastiques, puisqu'un lien s'établit entre les facultés conceptuelles de l'artiste et l'étude attentive de la nature. C'est cette filiation qui mène Ruskin à l'élaboration d'un troisième concept, l'œil innocent, qui vient compléter la notion d'authenticité.

56 Kenneth Clark, Ruskin Today, Londres, Murray, 1964, p. 85. 57 George P. Landow, 1993, p. 60. 58 George P. Landow, The Aesthetic and Critical Theories of John Ruskin, New Jersey, Princeton University Press, 1971, p. 55. 59 George P. Landow, 1971, p. 55. 21

1.2.1 La vérité C'est dans le premier volume des Modern Painters que Ruskin introduit la valeur de vérité, également associée à la fidélité à la nature. Directement liée à la représentation des faits naturels, cette valeur consacre la nature comme sujet d'art par excellence et la peinture de paysage comme le genre privilégié pour traduire la vérité. En effet, il convient de rappeler que la nature est pour Ruskin une démonstration tangible de la création de Dieu: l'art sert avant tout la cause de la 6o religion et de la moralité . Cette conception affirme donc la nécessité de rendre la nature telle qu'elle se montre à nous, dans le plus grand respect des détails observés.

Cette conception met également en lumière la pertinence de délaisser la généralisation au profit du détail puisque« the violation of natural distinctions is painting deadly sin, and fidelity to individual detail is as right for the inanimate aspects of nature as it is for the living: it is just as impossible ta generalize granite and slate, as it is to generalize a man and a cow ». En ce sens, il nous est permis de mieux comprendre la célèbre directive : «rejecting nothing, selecting nothing». Dans Elements of Drawing, l'auteur insiste sur celle-ci, notamment lorsqu'il est question des arrière-plans:

«Always draw whatever the background happens to be. [ ... } Ugly or not, else you will never know whether the light and shade are right. And this general law is to be observed in ail your studies.» 61 [ ... ] You must therefore try to discover sorne mode of execution which will more or less imitate, by its own variety and mystery, the variety and mystery of Nature, without absolute delineation of detail »62.

Ainsi, chez les peintres préraphaélites, cette préoccupation pour une observation scrupuleuse de la nature se profile dans leurs œuvres par une profusion de détails. L'œuvre de John Everett Millais, Ophélie (fig. 1), réalisée entre 1851 et 1852, démontre bien cette démarche où la figure même d'Ophélie est subordonnée à la nature avoisinante. Un rendu si précis des phénomènes naturels (la végétation, les nuages, les montagnes, etc.) implique selon Ruskin une parfaite connaissance de la nature dans son ensemble à laquelle s'ajoutait des connaissances particulières

60 George P. Landow, 1971. p, 65. 61 John Ruskin, « Elements of Drawing in Three Letlers to Beginners», The complete Works of John Ruskin, New York, The Kelmscott Society Publishers , p. 41-42 62 John Ruskin, The Elements of Drawing, p. 46. 22 dans le domaine de la biologie ou de la géologie, comme le Portrait de John Ruskin (fig. 2) réalisé entre 1853 et 1854.

Cette exigence nous conduit à considérer la vérité scientifique comme un moyen d'expression de l'authenticité. En analysant le quatrième volume des Modern Pain ters , il est indéniable que pour l'auteur, les connaissances scientifiques sont essentielles pour s'élever à un art authentique. Rappelons que la science est de plus en plus exacte et ses avancées incroyables entraînent avec elle un désir manifeste pour l'exactitude dans les disciplines artistiques. Ainsi, « plusieurs artistes se tiennent au courant des théories géologiques et qu'ils sont même capables de reconnaître les types de paysages» 63. Les artistes partagent la passion de Ruskin pour les sciences naturelles et particulièrement pour la géologie. C'est pourquoi, Ruskin juge inconcevable qu'un artiste puisse ignorer la véritable constitution de la nature, que ce soit de l'animé ou de l'inanimé. L'auteur Patricia M. Bali explique le point de vue de Ruskin: «The painter must achieve the accuracy of zoologist, geologist, botanist, and meteorologist, although he is not pursuing the same end as scientists. »64 Ainsi, la science peut être considérée comme un modèle pour l'art65 , puisqu'elle l'aide dans cette volonté de rendre le caractère distinctif de chaque objet. Par exemple, dans son œuvre Mid-Spring (fig. 3), l'artiste Millais témoigne bien de cette volonté scientifique botanique, des artistes, alors que le peintre cherche à peindre une grande variété de végétaux. Dans son manuel d'instruction, Elements of Drawing, Ruskin ira même jusqu'à approfondir des systèmes de classification pour les faits naturels, des arbres jusqu'aux montagnes.

De plus, il est également possible de relever que la vérité se construit autour d'une dualité qui unit à la fois l'exercice d'observation et l'émotion chez le peintre. Il s'agit pour Ruskin de transcender les simples représentations superficielles, les copies ou encore les démonstrations de virtuosité, puisque la vérité dépend également de l'interprétation personnelle, de l'effet de la nature sur l'imagination. Comme l'a souligné Richard Wollheim, l'imitation servile fait simplement appel au

63 Christopher Newall, « Understanding Landscape », dans Allen Staley et Christopher Newall, 2004, ~. 136. 4 Patricia M. Bail. The Science of Aspects. The Changing Role in Fact in the Work of Coleridge, Ruskin and Hopkins. Londres, The Athlone Press, 1971, p. 63. 65 Allen Staley, «Rejecting nothing, Selecting Nothing )} dans Allen Staley et Christopher Newall, 2004, p. 30. 23 regard alors que la vérité s'adresse avant tout à l'esprit. Il ajoute même: « Ruskin affirme-que la vérité doit passer par le filtre de l'âme - c'est-à-dire de l'âme et du corps - de l'artiste. Pour désigner cette dimension nécessairement subjective de la vérité, Ruskin utilise le terme expression» 66. C!est donc dire que l'expression est la réponse émotive qui différencie l'expérience visuelle d'une « recherche analytique », car selon lui, « there is a moral as weil as material truth, - a truth of impression as weil as of form, - of thought as weil as of matter; and the truth of impression and thought is a thousand times the more important of the two »67. En effet, le peintre doit également rendre compte de l'esprit des lieux et décrire de manière sensible le sujet. C'est un effort de perception et de compréhension: « the sacredness of fact does not involve slavish obedience to exact topography. It lies elsewhere, being apparent only to those capable of the perfect cognizance of the form, functions, and system of every organic or definitely structured existence» 68. - La justesse des représentations résulte d'une étude sérieuse qui rend possible la compréhension des lois qui structurent les objets et l'unité qui en découle.

1.2.2 La beauté Pour Ruskin, la vérité seule ne peut constituer l'authenticité d'une œuvre d'art. Cette dernière possède une double identité qui est composée, d'une part, de la vérité et d'autre part, de la beauté. Cette esthétique témoigne largement d'une interprétation moralisante selon laquelle l'art est l'instrument de la nature et donc de la création divine. En effet, selon Ruskin le rôle de l'homme est d'être témoin de la gloire de Dieu, de s'y soumettre et de la contempler, ce qui se matérialisè par l'art69 . S'appuyant sur sa compréhension des artistes italiens du XVe et XVIe siècle et sur une meilleure appréciation esthétique, Ruskin en vient à approfondir sa théorie de la beauté dans le deuxième volume de sa série. Par contre, dès son premier ouvrage, Ruskin avance la perception morale comme une condition / nécessaire à l'appréciation de la beauté: « ideas of beauty, be it remembered are subjects of

66 Richard Wollheim, « Ruskin et la question de la peinture» dans Stephen Bann et al., Ruskin. Cycle de conférences organisé au Musée du Louvre du 8 mars au 5 avri/2001, 2003.p. 137. 67 John Ruskin, « Modern Painters 1 », The complete Works of John Ruskin, New York, The Kelmscott Society Publishers, p. 25. 68 Patricia Bali, 1971, p. 66. 69 John Ruskin, « Modern Painters Il>> , The complete Works of John Ruskin, New York, The Kelmscott Society Publishers, p. 8. 24 moral, but not of intellectual perception »70. C'est-à-dire qu'il n'adhère pas à la philosophie de « l'art pour l'art », car celui-ci a une utilité et ne se réduit pas à de simples perceptions sensuelles ou intellectuelles. Puisque l'esthétique fait appel avant tout aux sens, Ruskin la remplace par ce qu'il appelle la theoritic facu/ty, qui fait appel à la connaissance et donc, aux perceptions visuelles et morales. Ainsi, la perception de la beauté est en relation avec la morale et la théologie naturelle. Poussant plus loin son analyse, Ruskin formule deux conceptions de la beauté, la beauté typique et la beauté vitale qu'il explique comme suit:

« First, that external quality of bodies already sa often spoken of, and which, whether it occur in a stone, flower, beast, or man, is absolutely identical: which, as 1 have already asserted, " may be shawn to be in some sort typical of the Divine attributes, and which, therefore, 1 shall, for distinction's sake, cali Typical Beauty: and secondarily, the appearance of felicitous fulfilment of function in living things, more especially of the joyful and right exertion of perfect life in man; and this kind of beauty 1 shall cali Vital Beauty »71.

La beauté typique concerne donc la beauté des formes et des qualités des objets et des êtres. Elles sont plaisantes parce qu'elles représentent la nature divine. La beauté vitale renvoie plutôt à l'expression des lois spirituelles et aux vérités morales comme le bonheur et l'énergie de la vie présents dans les choses vivantes. Ruskin valorise à la fois la forme et le contenu, le matériel et l'immatériel. Selon lui, la beauté dépend des deux.

1.2.3 L'œil innocent et le développement de la vision Si Ruskin perd la foi à la fin des années 1850, il demeure néanmoins convaincu que l'authenticité passe par la perception visuelle. La moralité évangéliste fait plutôt place à l'humanisme. Suite à cette transition, c'est dans E/ements of Drawing (1857) qu'il développe la notion de l'œil innocent ou la vue enfantine, qui annonce la venue 72 73 d'une analyse cognitive de la perception . « We never see clearly», disait-il et bien sûr, Ruskin se donne pour mission d'éduquer le regard des artistes:

« Everything that you can see in the world around you, presents itself ta you only as an arrangement of patches of different colors variously

70 John Ruskin, Modern Painters /, p. 33. 71 John Ruskin, Modern Painters 1/, p. 70-71. 72 Pascal Griener, « Le travail de l'œil» dans Stephen Bann et al., Ruskin. Cycle de conférences organisé au Musée du Louvre du 8 mars au 5 avri/2001, 2003, p. 27. 73 John Ruskin cité par Patricia M. Bali, 1971, p. 69. 25

shaded. The perception of Form is only a matter of experience. We see nothing but fiat colors. [ ... ] The whole technical power of painting depends on your recovery of what may be called Innocence of the eye; that is to say a sort of childish perception of these fiat stains of color, merely as such, without consciousness of what the.x signify, as a blind man would see them if suddenly gifted with sight. » 4

Ainsi, pour l'auteur, nous ne percevons que des « impressions colorées »?5, les objets n'étant que couleur et lumière puisqu'en fin de compte, la troisième dimension ne nous est pas perceptible. Afin que l'artiste puisse être fidèle à la nature, ce dernier doit donc se libérer des conventions, des traditions et de l'expérience acquise au fil de sa formation et de sa vie, car tout cela pervertit sa perception de la nature. Son regard doit s'affranchir. Lorsque l'artiste réussit à atteindre le degré de perception qui implique cette naïveté du regard, il retrouve la netteté, la variété et l'individualité de la nature?6. Si dans son manuel d'éducation, Ruskin s'astreint à un double processus d'identification et de classification des faits naturels, ainsi que des éléments plastiques, c'est dans le but de faire remarquer l'authenticité présente dans la nature. Pour Ruskin, nous l'avons vu, il est indéniable que toute authenticité est comprise visuellement. " soutient cette conviction en incitant les artistes à remarquer tous les phénomènes naturels qui autrement ne l'auraient pas été. " incite constamment le lecteur à voir, à observer, à considérer: «watch it », « observe the shades », « study them as carefully as other things ». Cette constance dans la pensée de Ruskin s'explique par sa conviction que la compréhension de la nature passe par l'observation assidue de celle-ci et qu'elle est mise en valeur par la main de l'artiste??

Suivant cette logique, l'artiste pourra alors comprendre l'unité qui relie les objets entre eux, car plus d'une fois, Ruskin demande aux artistes de s'attarder sur les relations présentes dans la nature. Cette unité conditionne un rapport nouveau avec la nature qui passe par le biais de l'imagination associative. Introduite dans le deuxième volume des Modern Painfers, l'imagination associative est la faculté qui « seizes and combines at the same instant ... ail the important ideas of its poem

74 John Ruskin, Elements of Drawing, p. 5. 75 Ernst Gombrich, L'Art et l'illusion. Psychologie de la représentation picturale, traduit de l'anglais par Guy Durand et Nordine Haddad, 6e édition, Paris, Phaidon, 2002, p. 151. 76 Ernst Gombrich, L'Art et l'illusion. Psychologie de la représentation picturale, 2002, p. 69. 77 Stephan W, « Ruskin's Drawings. 1844-1882 » dans Robert Hewison et al., Ruskin, Turner and The Pre-Raphaelites, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 9 mars-28 mai 2000), Londres, Tate Publishings, 2000, p. 147. 26 or picture; and while it works with any one of them, it is at the same instant working with and modifying ail in their relations to it, never losing sight of their bearings on each other »78. Ainsi, pour comprendre ce grand système où toutes les composantes sont reliées entre elles, mais aussi avec la vie de l'homme, l'artiste 79 doit regarder en premier lieu, pour pouvoir ensuite dessiner .

1.3 L'expérience 1.3.1 Ruskin et les écoles de peinture À cette nouvelle esthétique correspond une nouvelle relation avec les anciens maîtres. Le titre de la première publication de Ruskin témoigne de son refus de la 80 prééminence des Anciens et jette les bases d'une nouvelle conception de l'art . Si le but premier est de défendre l'œuvre de Turner, il devient également un moyen de confronter deux factions rivales, soit l'Académie Royale et les sociétés d'aquarellistes. Rappelons d'ailleurs que Ruskin fréquente et apprécie les sociétés d'aquarellistes et qu'il affectionne particulièrement ce·tte technique. En outre, il a suivi des cours de dessins privés auprès d'artistes bien établis: Charles Rucinman, Copley Fielding et James Duffield Harding, ce qui ·contribue dans l'ensemble à 81 développer et à parfaire son goût pour la peinture et l'aquarelle de paysage .

Parmi les artistes qui expriment cet idéal artistique de Ruskin, on en retrouve certains qu 'il connaît personnellement et d'autres qu'il collectionne. Nous avons répertorié les plus connus qui sont Samuel Prout, George Barret, David Cox, Peter de Wint, George Cattermole et ses professeurs Copley Fielding et J. D. Harding. Ruskin apprécie également le travail d'artistes tels qu'Augustus Callot, Edwin Landseer, David Roberts Clarkson Stanfield, Thomas Gainsborough, William Hogarth ainsi que Sir Joshua Reynolds, malgré des points de divergence majeurs tels qu'une conception idéalisante de la nature.

78 John Ruskin, Modern Painters 1/, p. 236. 79 Alan Davis, «The « Dark Clue» and the Law of Help: Ruskin, Turner and the Liber Studiorum », dans Robert Hewison, Ruskin 's Artists. Studies in the Victorian Visual Economy. Papers from the Ruskin Programme Lancaster University. Cambridge, University of Lancaster Press, 2000, p. 38. 80 Modern Painters / Their Superiority in the Art of Landscape Painting / To ail / The Ancient Masters / Proved by Examples of/The True, the Beautiful and the Intellectual / From the Works of Modern Artists / Especially / From those of J. M. W. Turner, Esq. , R. A. 81 Ray Haslam, « The Beautiful and the True ». Robert Hewison et aL , 2000, p. 11. 27

Par ailleurs, lorsque Ruskin parle de l'influence de l'école italienne sur l'esthétique britannique, il fait le constat suivant: en acceptant l'idée bien établie de la grandeur de l'art italien suivant Rapha~l, ainsi que de la tradition romaine en sculpture, il s'en suit une surestimation des artistes italiens, ce qui crée alors une discrimination:

« And the whole tone of modern criticism - as far as it is worthy of being called criticism - sufficiently shows it to proceed entirely from persons altogether unversed in practice, and ignorant of truth, but possessing just enough of feeling to enjoy the solemnity of ancient art, who not distinguishing that which is really exalted and valuable in the modern school, nor having any just idea of the real ends or capabilities of landscape art, consider nothing right which is not based on the conventional principles of the ancients ... })82

Si Reyno,lds établit dans ses Discours que les meilleurs peintres italiens sont Raphaël et Michel-Ange, Ruskin met plutôt l'emphase sur Giotto, Andrea Orcagna, Benozzo Gozzoli, Léonard de Vinci, Ghirlandaio et Masaccio. " proclame Cimabue comme le premier et le meilleur peintre toscan, voit Titien comme un grand coloriste et perçoit Gentile Bellini et Fra Angelico comme de bien meilleurs peintres que le Dominiquin et Dolci. " détruit également la notion de progrès en art telle qu'avancée par Giorgo Vasari et reprise par Reynolds. Par ailleurs, Ruskin dénigre le travail de Salvator Rosa, 'Canaletto, Gaspar Poussin et de Claude Lorrain, puisqu'il juge leur compréhension de la nature mauvaise.

Les exigences artistiques et philosophiques de Ruskin l'amènent également à critiquer négativement la manière hollandaise et flamande qui, selon lui, accorde une trop grande importance à une imitation mécanique des détails. Les exceptions: Pierre Paul Rubens, pour sa couleur forte et son naturalisme, ainsi que, dans une moindre mesure, Antoine Van Dyck et Rembrandt. De plus, dans le quatrième volume des Peintres modernes, Ruskin critique le manque de spiritualité des œuvres flamandes et hollandaises et leur immoralité.

Ruskin est particulièrement marqué par ses voyages en Italie qui lui font découvrir les prouesses du Tintoret et Sandro Botticelli. Par contre, tout au long de

82 John Ruskin, Modern Painters volume l, p. 411. 28

sa vie, il reste un fervent admirateur de l'œuvre de J. M. W. Turner. Au départ, ce sont surtout les sujets topographiques qui le fascinent, tels que publiés dans l'ouvrage Picturesque Views in England and Wales, des gravures en noir et blanc et qui démontrent aux yeux de Ruskin une grande unité. En 1843, Ruskin découvre le . Liber Studiorum, ouvrage ambitieux de Turner qui cherche à faire une classification de différents types de paysages: l'historique, le montagneux, le pastoral, le pastoral épique, la marine et l'architectural. Dans l'ouvrage de 1857, Elements of Drawings, Ruskin l'utilise tel un manuel d'éducation, alors qu'il fait grandement référence aux mezzotintes qui s'y trouvent. Il conçoit cet ouvrage comme un exemple d'unité ou 83 comme un grand système, à la base du concept de l'association imaginative . Avec cette nouvelle vision de l'art, le peintre est placé devant la nécessité de sortir de l'atelier afin d'acquérir l'expérience de la nature.

1.3.2 La photographie et la gravure Même si Ruskin a des positions très fermes à l'égard de l'envahiss,ement des machines, il envisage la photographie avec un grand enthousiasme. Il découvre le

daguerréotype en 1842, acq~iert quelques exemplaires en 1844, mais c'est lors de son séjour en Italie (en 1845) et jusqu'en 1856, que sa fascination l'incite à rassembler une riche collection de photographies, des daguerréotypes ainsi que des 84 calotypes . Il considérait la photographie comme un outil profitable à l'artiste compte tenu de son caractère documentaire, mais ne s'y intéresse jamais en tant que forme d'art. En effet, des images réalisées par une machine ne peuvent guère se mesurer à un processus qui implique une démarche intellectuelle et de l'imagination. Son intérêt réside plutôt dans l'abondance des détails, utiles à la pratique du dessin, de la peinture ainsi que de l'architecture. Dans son ouvrage Elements of Drawing, Ruskin invite les artistes à se procurer des photographies dans le but d'étudier les éléments architecturaux, les drapés des sculptures, tout objet du paysage, ainsi que la gradation de la lumière. Si son enthousiasme vis-à-vis de la photographie s'éteint avec les années, il continue néanmoins de s'intéresser à celle-ci pour ses qualités documentaires.

83 John Ruskin, Modern Painters /, p. 40. 84 Robert Hewinson et al., 2000. p. 119. 29

Au même titre que la photographie, Ruskin conseille également l'étude de certaines gravures, plus particulièrement celles de Turner. Par contre, afin de ne pas pervertir le goût et le regard de l'élève, il est très sélectif dans les choix avancés, si bien qu'il établit des listes très précises des artistes et de leurs œuvres. Il souhaite ainsi leur éviter de tuer leur créativité, leur imagination ainsi que leur originalité.

1.3.3 Les éléments du dessin: les leçons formelles Les ouvrages que nous avons retenus nous permettent de constater que le raffinement de la perception des artistes est une préoccupation constante pour Ruskin, puisque celle-ci rend possible l'expression de l'authenticité. En ce sens, le livre Elements of Drawing est un véritable guide d'éducation formelle, visuelle et morale, destiné avant tout aux artistes amateurs:

({ [ ... ] If you wish to learn drawing that you may be able to set down clearly, and usefully, records of such things as cannot be described in words, either to assist your own memory of them, or to convey distinct ideas of them to other people; if you wish to obtain quicker perceptions of the beauty of the natural world, and to preserve something like a true image of beautiful things that pass away, or which you must yourself leave; if also, you wish to understand the minds of great painters, and to be able to appreciate their work sincerely, seeing it for yourself, and loving it, not merely taking up the thoughts of other people about it; then 1 can help you, or, which is better, show you how to help yourself. »85

Toutefois, ce qu'il nous faut retenir de cet ouvrage est la valorisation du dessin et de la pratique de celui-ci comme un moyen pour discipliner la main de l'artiste, mais surtout pour développer son acuité visuelle. D'ailleurs, Ruskin s'assigne la mission « d'apprendre à ses contemporains à voir en contemplant la nature ou scrutant l'œuvre d'art », il nous semble manifeste que la maîtrise des six éléments que sont la tonalité, la ligne, les ombres, la lumière, la couleur et la composition est indispensable à l'artiste.

Ruskin débute son enseignement par la tonalité, puisque « [ ... ] the first thing to be learned is how to produce extents of smooth colour without texture»86 Expression de presque toutes les formes, la tonalité est le premier aspect général visible de l'œuvre et elle exige donc énormément d'attention. Dans le premier volume des

85 John Ruskin, Elements of Drawing, p. 1. 86 John Ruskin, Elements of Drawing, p, 4. 30

Modern Painters, Ruskin insiste sur l'harmonisation des différentes lumières qui émanent des objets naturels et de la lumière primaire de l'image. L'artiste doit connaître les rapports exacts qui s'établissent entre les couleurs des objets sans lumière et les couleurs des objets éclairés. Il doit être conscient que la tonalité est proportionnelle à la proximité des objets et de leur distançe dans la nature. La réussite dépend donc fortement de la légèreté et de la fermeté de la main de l'artiste, mais aussi de son acuité visuelle, de la précision du regard et de sa- capacité à mesurer de façon juste. La discipline du regard passe par la recherche et l'examen constants des espaces gradués à même la nature, comme le ciel, pour pouvoir ensuite les distinguer dans un environnement immédiat.

Le deuxième élément est la ligne. Si la ligne de contour peut facilement restreindre i'artiste, elle demeure parfois nécessaire à la composition, notamment pour les dessins architecturaux. Pour Ruskin, les lignes sont plus intéressantes lorsqu'elles sont utilisées pour créer des ombres:

{{ A good artist see masses, not edges, and can in every case make his drawing more expressive (with any given quality of work) by rapide shades than by contours; so that ail good work whatever is more or less touched with shade; and more or less interrupted as outline. »87

L'auteur poursuit par l'étude du clair-obscur et la lumière. Ceux-ci s'avèrent très importants, puisque ce sont des éléments qui, lorsque bien rendus, permettent de mettre en évidence les détails et l'individualité des objets. La lumière, lorsque bien exploitée, permet d'illuminer et de clarifier la forme, comme en témoigne l'œuvre de William Holman Hunt, Our English Coast, de 1852 (fig. 5). Cette œuvre innove en ce sens avec un traitement de la lumière et des couleurs qui apparaissent pures, judicieusement juxtaposées pour créer de grandes masses de couleurs. Pour Ruskin, de façon générale, les objets sont perçus que partiellement par la lumière directe et grâce à la lumière qui est reflétée par les objets avoisinants ou, encore, par l'atmosphère ou les nuages. Ainsi, la lumière directe influence les côtés clairs d'un objet alors que les côtés obscurs dépendent de la couleur des objets qùi les voisinent. Par ailleurs, lorsque le soleil brille, l'aspect le plus évident dans un paysage est l'ombre, si l'on fait abstraction des lumières très vives. C'est pourquoi

87 John Ruskin, Elements of Drawing, p. 58. 31

Ruskin précise: « [... ] ln order to define strong light in landscape painting, shadow (even if not completely dark) must be fiat and even must conceal the details of the objects it crosses, and must love sharply defined edges.»88 Compte tenu de la ·riche diversité des sources de lumière dans la n.ature, exprimer ce genre de complexité requiert beaucoup de travail et l'artiste doit donc regarder attentivement les objets à l'étude. Ruskin constate également que la brillance propre au ciel et aux objets illuminés par le soleil est inimitable.

Dans la nature, les couleurs précises des objets ne sont pas clairement définies ou déterminées. Leurs formes sont plutôt relevées par les ombres et les lumières. Pour Ruskin, la vérité représentationnelle est d'une haute importance et celle-ci relève de l'harmonisation entre le clair-obscur et le contour. Il s'agit en fait d'obtenir une harmonie entre la ligne, la couleur et la lumière. Précisons toutefois que la vérité de la forme est plus importante que celle de la couleur. Bien que la couleur demeure un élément très important, elle est totalement relative et il est très facile de se tromper. L'artiste doit donc d'abord maîtriser la forme, ce qui est en soit déjà très difficile.

L'utilisation des couleurs doit ainsi être faite de façon réfléchie, en suivant certains principes. Ainsi, pour pâlir les couleurs les artistes devraient utiliser le blanc de Chine et non pas de l'eau. Et pour ne pas perdre la « noble translucidité» qui est obtenue en mélangeant les c9uleurs, les artistes éviteront le vernis ou des couleurs translucides. Afin d'obtenir la transparence, l'artiste doit briser les couleurs, en juxtaposant ses couleurs. Par ailleurs, pour obtenir des dégradés, Ruskin met au point trois procédés. Tout d'abord, il propose de mélanger les couleurs ensemble lorsqu'elles sont encore humides. Ensuite, l'artiste peut étendre les couleurs les unes par-dessus les autres. Finalement, et cela constitue une nouveauté, la couleur peut être fragmentée en petits points sur ou à travers une autre couleur, comme dans A river Landscape (fig. 4), réalisée en 1861, par Alfred William Hunt. Par ailleurs, les. couleurs noires et blanches sont à éviter. Voulant guider les artistes vers le droit chemin, Ruskin conteste également la pensée, très répandue, qui veut que ce soit la couleur bleue qui exprime la distance. En fait, il s'agit plutôt de la brume

88 John Ruskin, Modern Painters l, p. 54. 32 présente dans le ciel, elle-même bleue, qui teint les objets qui s'y trouvent. Par . exemple, explique-t-il, dans une eau vaseuse, c'est-à-dire brune, nous ne verrons pas les roches qui se trouvent au fond de l'étang bleu, mais bien brun. Ainsi: « neither blue, nor yellow, nor red, can have as such, the smallest power of expressing either nearness or distance: they express them (nearness or distance) only under peculiar circumstance wich render them at the moment or in that place, signs of nearness or distance. 89» Si des auteurs prétendent que les couleurs expriment l'éloignement (couleurs froides) ou la proximité (couleurs chaudes), Ruskin croit quant à lui que c'est avant tout la qualité de la couleur (profondeur, délicatesse, etc.) et non sa teinte qui exprime la distance.

Enfin, à plusieurs reprises, Ruskin reconnaît que la composition est un élément extrêmement complexe et important, puisqu'elle contribue à créer l'él~ment divin de l'unité. Ce pouvoir de peindre des objets ensemble et. d'en faire un tout, n'est donné qu'à une infime portion de gens. « 1 often been accused of slighting this quality in pictures », dit-il dans le quatrième volume des Modern Painters, « the fact being that 1 have avoided it only because 1considered it too great and wonderful for me to deal with it». Dans Elements of Drawing, Ruskin s'évertue à faire une identification visuelle des différentes lois qui régissent la composition et qui permettent à l'artiste de réussir son œuvre et de la rendre intéressante pour le spectateur. Ainsi, Ruskin croit que dans une grande composition, les lignes et les formes ont une quelconque relation et il explique que les lignes courbes expriment l'action; les lignes droites, le repos et la force. Les courbes mettent l'accent sur les lignes droites, créant ainsi une unité dans la variété ou une ambiance de repos dans la répétition. De plus, le contraste entre les courbes et les droites ajoute de l'intérêt à la composition.

1.3.4 Les formes organiques et les formes r:nathématiques La méthode d'enseignement introduite par Ruskin dans son manuel Elements of Drawing diffère grandement des autres méthodes en vogue à l'époque. En effet, au Gouvernement Schools of Arts, par exemple, les élèves adoptent la tradition académique qui les introduit à l'étude d'après nature seulement à la fin de leur formation. Visant la primauté du dessin, de la composition ainsi que des sujets

89 John Ruskin, Elements of Drawing, p. 129. 33 antiquisants, l'Académie impose une formation rigoureuse qui allie théorie et pratique. En effet, Héribert Hutter rapporte que le peintre commence sa formation en dessin ainsi: « en premier lieu, on trouve des modèles déjà réduits graphiquement sur une surface plane, ~onc d'autres dessins, des tableaux, puis plus fréquemment, des gravures. Le dessin d'après des sculptures était considéré comme un second stade [ ... ]. Le dessin d'après nature ne venait qu'en troisième lieu, mais, pour

Cennini déjà, il passait pour le couronnement du cycle des études artistiques. )}90 Cet enseignement sera à la base de détractions de la part d'artistes qui préfèrent se joindre à un mouvement dont les émotions sont plus spontanées.

Pa'r ailleurs, ce type d'écoles insiste sur un apprentissage axé sur la maîtrise des formes géométriques ou des structures mathématiques qui, selon Ruskin, inculquent la rapidité et l'efficacité nécessaires aux manufactures, mais pas à la finesse et la discipline du regard si importante pour le dessinateur ou le peintre. Une telle méthode lui semble donc ridicule et inutile pour des élèves qui aspirent à un art authentique. Ruskin remet cet enseignement en question puisqu'il croit fortement que l'importance doit être mise sur la perception de l'artiste. Les élèves de Ruskin sont donc initiés aux formes naturelles ou organiques dès le début de leur apprentissage, puisque ce sont elles qui so.nt réellement présentes dans la nature. D'entrée de jeu, il confronte les artistes à l'étude d'après nature et au travail en plein air de surcroît. Ainsi, à travers ce manuel d'éducation, il s'efforce d'inculquer une approche plus exigeante qui exercera également la patience de l'artiste afin de lui assurer une vision adéquate.

Conclusion En dénonçant une esthétique profondément enracinée dans une tradition rigide, les conceptions esthétiques de Ruskin trouvent un large écho auprès de l'opinion publique et de jeunes artistes émergents, les préraphaélites. Les quelques exemples évoqués montrent que les artistes britanniques sont séduits par les idées

90 Précisons également qu'en peinture et en dessin, il faut faire la distinctions de deux genres très différents: « La notion «d'étude d'après nature» couvre deux genres de dessins différents. Il faut distinguer le dessin d'après nature tel qu'il est pratiqué au cours de la formation de l'artiste, comme exercice d'école, du dessin «dans la nature» qui ne fut pratiqué que de façon épisodique. Notre étude se concentre principalement sur le deuxième. Héribert Hutter, Le dessin. Ses techniques, son évolution, Paris, Hachette, 1966, p. 26. 34 ruskiniennes et qu'ils n'hésitent pas à reproduire la nature avec toute l'authenticité possible.

Certes, on ne peut qu'être frappé par la complexité et par certaines contradictions du discours de l'auteur. Il nous faut néanmoins retenir que pour Ruskin, esthétique et morale ne sont pas opposées. Trop conscient des changements de son époque, Ruskin réagit par rapport à un monde qu'il juge trop matérialiste et immoral. La présence marquée de l'authenticité est ce qui relève l'excellence de l'art. Plus importante encore, elle accentue l'importance de la nature et donc, de la création divine. Définissant l'authenticité, la vérité fait appel à la vision et aux facultés conceptuelles de l'artiste; la beauté relève des formes et des qualités ou du matériel et de l'immatériel. L'authenticité consiste donc à saisir le caractère divin de la nature et à en rendre compte par le biais de l'art. L'observation de la nature est donc essentielle et exige la volonté de l'artiste de développer sa perception et sa vision. En se donnant cette mission d'éduquer le regard des artistes, Ruskin en vient à développer non seulement une théorie d'esthétique, mais aussi une méthode, avec des exercices concrets qui permettent aux artistes d'appliquer la notion d'authenticité. Pour ce faire, Ruskin exige beaucoup d'eux, allant d'une connaissance de la formation terrestre à la maîtrise de données scientifiques comme la biologie, la météorologie et géologie. En somme, Ruskin attribue à l'art un but bien plus important que la simple utilité, il appelle les artistes à entrer en communion avec la nature et le monde spirituel.

Les théories esthétiques de Ruskin sur l'art et la nature ont eu une large diffusion et il semble que les milieux artistiques nord-américains aient également eu connaissance des conceptions de l'auteur britannique. En revanche, la réception de ces théories connaît plusieurs étapes en Amérique du Nord. Puisque leur présence dans le vocabulaire des artistes canadiens n'est guère évidente, il nous faut tout d'abord situer ces théories dans un contexte plus global, afin de mieux comprendre par la suite, leur impact sur les œuvres d'Allan Edson. Ainsi, le prochain chapitre est consacré à l'étude des particularités nationales qui favorisent ou entravent les transferts artistiques entre les écrits de John Ruskin et les milieux artistiques des États-Unis et du Canada. 35

CHAPITRE 2 Les théories ruskiniennes en Amérique du Nord

« He has shown us the truth and we thank him for and give God the glory; and the truth once clearly shown becomes ours if we will receive it. It also becomes our imperative dut Y to proclaim it. »91

Pour comprendre la grande complexité entre les théories ruskiniennes et sa réception aux États-Unis et au Canada, pour comprendre également comment les artistes nord-américains assimilent ces concepts et doctrines, il nous faut d'abord présenter les contextes sociaux. Nous analyserons donc les conditions politiques, idéologiques et culturelles spécifiques des deux nations, au cours de la période située entre 1840 et 1880. Nous examinerons les diverses conceptions esthétiques qui circulaient également à cette époque et nous aborderons les facteurs déterminants à la connaissance des écrits ruskiniens.

2.1 Les deux nations 2.1.1 Le contexte historique en Amérique du Nord Aux États-Unis, tout comme en Grande-Bretagne, la révolution industrielle transforme immanquablement les structures économiques et sociales du pays. Si les États-Unis vivent des querelles internes depuis le début du siècle, c'est toutefois à partir des années quarante que l'essor industriel aggrave les ruptures, les clivages \ économiques et politiques ainsi que les malaises sociaux. En somme, ces divisions internes précipitent le pays vers une guerre civile. Les racines de ce conflit se situent dans l'opposition entre les deux systèmes économiques qui caractérisent les États du Nord et du Sud.

91 Charles H. Moore. « Fallacies of the Present School ». The New Path. No 6 (octobre 1863, p, 63 cité par Virginia Anderson, « Plain Faithful Recording. John Ruskin and the Art of Charles Herbert Moore». The Last Ruskinians. , Charles Herberet Moore and Their Circle. Catalogue d'exposition (Fogg Art Museum, Harvard University Art Museums, Cambridge, 7 avril-8 juillet 2007), Cambridge, Harvard University Art Museums, 2007, p. 31. 36

Depuis les années 1820, les villes et l'agriculture du Nord s'industrialisent et ces États vont rapidement assurer leur supériorité économique en se concentrant sur les secteurs du textile, de la métallurgie et des chemins de fer92 . C'est également dans la ville de New York que se trouvent les marchés financiers et boursiers du pays. Par ailleurs, plus les villes du Nord se développent, plus les immigrants et les travailleurs ruraux affluent de toutes parts et puisque l'esclavage est aboli, le Nord dispose alors d'une main-d'œuvre libre, abondante et bon marché. Pour sa part, le Sud se consacre plutôt à une économie agraire, « dominée par une aristocratie de planteurs esclavagistes »93. Elle se concentre principalement sur la culture du coton. Cependant, affaibli par le développement industriel et cherchant à occuper plus de terres, le Sud convoite les territoires situés dans l'Ouest. En effet, ces terres sont vues comme la solution qui rendrait possible la survie de la société sudiste. S'il y parvient, le Sud pérennise ainsi la tradition de l'esclavage sur laquelle reposent toutes ses structures économiques, politiques et sociales. Le désir du Nord d'abolir l'esclavage suscite par conséquent de graves conflits. Une des conséquences directes de ce débat virulent se manifeste d'abord par la sécession des sudistes au lendemain de l'élection d'Abraham Lincoln, en novembre 186094 . L'unité est gravement compromise. Quelques mois plus tard, le Sud n'hésite pas à se lancer dans la guerre et il s'en suit l'épisode le plus marquant de l'histoire américaine.

En 1865, lorsque l'armée de l'Union (du nord) l'emporte sur les Confédérés (du sud), c'est en même temps l'échec du système agraire sudiste qui se voit dans l'obligation d'ajuster ses traditions anciennes. Et pourtant, le Sud n'adoptera jamais véritablement le « capitalisme sauvage» que veut lui imposer le Nord et deviendra, au fil des ans, la région agricole la plus pauvre, tandis que le Nord est entraîné par l'élan industriel95. Au même moment, l'Ouest continue sa progression, mû notamment par l'impulsion de l'impérialisme et la Destinée manifeste (Manifest Destiny), idéologie qui étaye la mission divine des États-Unis de répandre la démocratie dans toute l'Amérique et de libérer ses peuples du joug européen. Encore là, un autre problème se pose: des sociétés amérindiennes habitent ces

92 Pierre Gervais, Les États-Unis de 1860 à nos jours, Paris, Hachette, 2001, p. 10. 93 Albert Desbiens, Les États-Unis d'Amérique. Synthèse historique, Québec, Septentrion, 2004, p. 128. 94 John Atherton et al., États-Unis. Peuple et culture, Paris, La Découverte, 2004, p. 49. 95 Albert Desbiens, 2004, p. 154. 37 terres convoitées par les pionniers. Mais le racisme se développe et l'avidité des pionniers, des éleveurs de bétail, des propriétaires miniers et des promoteurs des chemins de fer a raison de ces peuples. En somme, deux décennies après la guerre de Sécession, les États-Unis s'affirment comme une puissance mondiale, une sorte de « Terre promise» où il fait bon de vivre, mais où le problème des minorités (Afro- américains, Amérindiens et immigrants), de plus en plus marginalisées, demeure inquiétant.

Le XIXe siècle est également source de bouleversements pour les colonies anglaises de l'Amérique du Nord britannique. Au lendemain des rébellions de 1837- 1838 et du rapport / Durham, les tensions ethniques sont palpables entre les Canadiens anglais et français. Les recommandations du rapport Durham, qui propose l'assimilation des Canadiens français jugés «sans histoire et sans culture »96, ont pour résultat l'unification du Haut et du Bas-Canada et on concède au Haut-Canada - majoritairement anglophone, mais avec une population moins importante - un nombre égal de députés. Inévitablement, le Bas-Canada devient minoritaire. Devant ce problème, plusieurs opposants à l'union cherchent alors à obtenir la responsabilité ministérielle, instaurée en 1848.

Entre temps, Montréal est choisie comme la capitale de cette nouvelle province en 1843, ce qui encourage l'activité politique, économique et culturelle. À cette époque, Montréal met graduellement en place tous les éléments pour devenir une grande ville moderne. Sa position stratégique lui permet de développer un système de transport profitable, essentiel pour la distribution des produits manufacturés. La ville attire donc les sièges sociaux de plusieurs usines, conséquemment, une main- d'œuvre provenant des milieux ruraux. L'élite politique et économique, majoritairement anglophone, y implante ses institutions97 . Ainsi, à partir des années 1860, la ville de Québec se voit contrainte de céder son statut de métropole, au moment même où la population est plongée dans une certaine instabilité politique (1854-1864 )98.

96 John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, Sillery, Septentrion, 2003, p. 162. 97 L'université McGill, l'hôpital général de Montréal, l'Église Christ Church, etc. 98 John A. Dickinson et Brian Young, 2003, p. 170. 38

En 1865, le gouvernement canadien propose de scinder le Canada-Uni. On souhaite réaliser un projet bien ambitieux, soit celui d'unir les deux Canada aux autres colonies de l'Amérique du Nord britannique, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve. Le défi était énorme: unir des sociétés qui étaient profondément en contradiction. Cinq raisons sont avancées en. faveur de la Confédération. " s'agit tout d'abord d'obtenir un plus grand poids démographique face à la croissance fulgurante de la population américaine. Le Dominion permet également de diversifier l'économie puisque la mise en commun des ressources naturelles et financières augmente les possibilités de marchés. " laisse entrevoir la possibilité de mettre sur pied un réseau ferroviaire transcontinental. Les avantages politiques séduisent également, car les pères de la Confédération pensent ainsi améliorer les relations étrangères du Canada tout en demeurant au sein de l'Empire britannique. De plus, devant deux sociétés différentes, on espère élever les aspirations nationales à travers le Dominion. Enfin, les Canadiens craignent plus que toute la volonté impérialiste des États-Unis qui convoitent ouvertement les territoires canadiens. Approuvées en 1866, les 72 résolutions de gouvernement mènent à la proclamation royale, effective le 1 er juillet 99 1867 . Cette union fédérale comprend alors le Québec, l'Ontario, le Nouveau- Brunswick et la Nouvelle-Écosse, mais les pères de la Confédération manifestent rapidement leur volonté d'annexer les territoires de l'Ouest. Ainsi, au terme de leurs négociations avec le gouvernement canadien, la Compagnie de la Baie d'Hudson cède d'énormes territoires. En 1870, séduite par la promesse d'un chemin de fer transcontinental, la Colombie-Britannique se joint à la Confédération, suivie de 1'Î1e- du-Prince-Édouard, en 18731°°.

En 1873, la faillite du système bancaire autrichien entraîne une crise économique importante, dont les répercussions se font sentir dans le monde entier. Les États-Unis et le Canada ne furent pas épargnés. Les agriculteurs sont fortement touchés par la crise et les fonds pour la construction des chemins de fer se font rares. Au Québec, la crise sévit à partir de 1874. Partout, les industries ralentissent, les salaires diminuent et le chômage progresse. Mais cette crise ne fait que ralentir

99 Jean-Fr~nçois Cardin et Claude Couture, Histoire du Canada: espaces et différences, Québec, Presses de l'Université Laval, 1996, p. 57. 100 Terre-Neuve ne se joindra pas au pays avant 1949. 39 temporairement les États-Unis, dont l'essor économique reprendra de plus belle à la fin de ces précarités économiques.

2.1.2 Le progrès des transports Dans le sillage des découvertes scientifiques, l'Amérique du Nord profite, elle aussi, du progrès des techniques des transports, un élément important dans l'implantation d'une économie moderne. Mais bien avant que les voies ferrées ne traversent les terres nord-américaines, le meilleur moyen de communication demeure les voies de transport maritime. Motivés par la venue des bateaux à vapeur, plusieurs canaux seront construits en Amérique du Nord entre 1821 et 1840. En 1825, l'ouverture du canal Érié a un impact majeur sur la région de New York, mais aussi pour l'ensemble du pays, alors que le lac Érié est relié à la rivière Hudson. En effet, cette route navigable devient une importante artère commerciale qui stimule le progrès économique des États-Unis 101. Au Canada, des canaux sont construits sur le fleuve Saint-Laurent, la rivière des Outaouais, dont le canal Lachine. Les régions des Grands Lacs et de la Nouvelle-Angleterre sont donc plus facilement accessibles aux marchandises, aux touristes et aux artistes.

Les premiers réseaux ferroviaires canadiens permettent d'abord d'améliorer les relations économiques avec les États-Unis et ensuite, d'ouvrir les terres canadiennes. En 1836, le gouvernement canadien se dote de sa première ligne ferroviaire, la Champlain and St. Lawrence, qui relie ~a Prairie à Saint-Jean7"sur- Richelieu. C'est une voie bien modeste, avec des rails en bois et qui ne fonctionne qu'à la belle saison 102. C'est durant les années 1850 que les compagnies ferroviaires trouvent les investisseurs financiers (principalement britanniques) pour pénétrer plus à l'intérieur du pays. En 1853, le projet du Grand Tronc prévoit alors faire traverser toute la colonie par une ligne ferroviaire. La même année, la construction du pont Victoria est entamée et il est inauguré en 1860. Il relie alors Montréal à Longueuil qui est à son tour relié aux États-Unis par le chemin de fer, conférant ainsi à Montréal

101 Andrew Wilton, « The Sublime in the Old World and the New» dans Andrew Wilton et Tim Barringer, American Sublime: Landscape painting in the United-States. 1820-1880, Catalogue d'exposition (Londres, Tate Gallery, 21 février-19 mai 2002 / Philadelphie, Pennsylvania Academy of Fine Arts, 17 juin - 25 août 2002 / Minneapolis, Institute of Arts, 22 septembre - 17 novembre 2002) Londres, Tate Gallery, 2002, p. 48. 102 Ramsay Cook et al., Histoire générale du Canada, s'ous la direction de Craig Brown , traduction de Michel Buttiens, Montréal, Éditions du Boréal, 1990, p. 340. 40

son statut de carrefour des marchés. Après 1867, une deuxième vague de chemins de fer se met en place puisque le gouvernement conservateur s'est engagé à relier les provinces d'un océan à l'autre. Elle permet en outre d'installer les colons dans les Prairies, puis en Colombie-Britannique ..Ains i, entre les années 1862 et 1882, quatre chemins de fer transcontinentaux sont construits, dont le plus important, le Canadien Pacifique qui parcoure les provinces Maritimes jusqu'à la côte du Pacifique.

Aux États-Unis, cette même révolution des transports se profile dès les années 103 1830 . Son développement et son implantation marquent également un changement dans le tracé du réseau des villes, dont l'axe se traçait auparavant du nord au sud . Désormais, les villes de l'Ouest sont rapidement reliées à l'Est, permettant l'installation des pionniers qui affluent. Ainsi, les chemins de fer, une entreprise d'envergure, offrent aux pionniers et voyageurs, parmi lesquels des artistes, des sols non foulés par la machine. Mais ces chemins de fer, d'abord présentés comme un projet national, sont néanmoins une catastrophe pour les sociétés amérindiennes installées dans les régions exploitées par les promoteurs. En perturbant des modes de vie, vieux de plusieurs siècles, le chemin de fer contribue au déplacement et la destruction des sociétés amérindiennes, privées de leur liberté nomade et de leur mode de subsistance, la chasse aux bisons.

2.1.3 Les excursions géologiques: la découverte physique de l'Ouest Malgré certaines explorations, l'Ouest demeure, dans l'ensemble, inexploré et inexploité. Au XIXe siècle, sous l'impulsion de la géologie, nouvel outil de compréhension de ces vastes territoires, de nombreuses explorations sont organisées. Cette science anime un intérêt particulier auprès du public dans la mesure où elle était associée à un certain prestige provenant d'Europe. Tout comme les Européens, les Nord-américains connaissent les nouvelles découvertes et cherchent eux aussi à « collectionner, cataloguer et à maîtriser tous les éléments de

la nature 104 ». Entre les années 1820 et 1870, cette science devient donc très prisée par la classe moyenne, d'autant plus que cet engouement est motivé par les

103 Albert Boime, The Magesterial Gaze. Manifest Destiny and American Landscape Painting. c. 1830- 1865, Washington & London, Smithsonian Institution Press, 1991, p. 128. 104 Suzanne Zeller, Invenfing Canada. Early Vicforian Science and the Idea of a Transcontinental Nation, Toronto, University of Toronto Press, 1987, p. 6.

1_ _ - 41 nombreuses conférences, publications et différentes associations scientifiques 105. C'est avec la géologie que les explorateurs pourront découvrir des environnements étrangers, les définir et en faire l'expérience.

Cette discipline est donc très rapidement associée aux explorations qui sont organisées tout au long du XIXe siècle. Aux États-Unis, elles sont organisées dès les années 1830, dans le but de soutenir le développement industriel. Certaines d'entre elles sont financées par les fonds publics (le ministère de l'Intérieur ou l'armée) alors que d'autres sont organisées par des intérêts particuliers. « The Great Surveys »106, parcourt les territoires de l'Oregon, la Californie, le Sierra Nevada, le nord-ouest du Wyoming et le Colorado. Le Kansas, le Nebraska et les Rocheuses sont à leur tour 107 explorés par Frederick West Lander . Ce n'est qu'en 1879 que les États-Unis se dotent d'une institution scientifique, The Geological Survey, soit trente-sept ans après le Canada.

En effet, c'est en 1842 que la province du Canada-Uni met sur pied une institution essentielle au développement de la science au Canada: la Commission géologique du Canada (CGC). Née de cet esprit de découvertes, cette commission se donne pour mandat d'explorer et de cartographier les différentes régions du pays, tout en relevant les ressources naturelles à valeur économique, telles que la houille 108 ou le fer . Tout comme aux États-Unis, les explorateurs canadiens sont également à l'affût de nouvelles terres cultivables, de forêts exploitables et de terrains propices à l'implantation du réseau ferroviaire. Pour sa part, le Canada tente également d'évaluer la possibilité de devenir autosuffisant. Ces expéditions jouent un rôle majeur dans le double processus de définition et d'identification du pays 109. En effet, les découvertes géologiques témoignent d'une riche histoire naturelle qui flatte

105 Rebecca Bedell, The Anatomy of Nature: Ge%gy and American Landscape Painting. 1825-1875, Princenton, Princenton University Press, c2001, p. 3. 106 Connues plus précisément sous les noms de Hayden's Surveys of the Territories et John Wesley Powell's Geographical and Topographical Survey of the Colorado River of the West pour celles organisées par le ministère intérieur et Lieutenant George Wheeler's Geographical Surveys of the Territories west of the 100th Meridian et King's Fortieth Parallel Survey pour l'armée. 107 Andrew Wilton et Tim Barringer, 2002, p. 229. . 108 Morris Zaslow, Reading the Rocks: the story of the Ge%gica/ Survey of Canada. 1842-1872, Toronto, MacMillan Company of Canada / Dept. of Energy, Mines, Ressources and Information Canada, 1971, p. 68. 109 Suzanne Zeller, 1987, p. 9 citée par Mary-Jo Hughes-Genosko, « Science, Ruskin and Illustration: The Developpement of William Hind's Vision of Nature in his Labrador Works of 1861-1862 », Mémoire de maîtrise, Kingston (Ontario), Queen's University, 1990, p. 9. 42 l'orgueil des Nord-américains. Car l'appellation de « Nouveau Monde» n'était pas sans causer un certain ressentiment notamment parce qu'il est associé au préjugé européen qui voit l'Amérique comme une « contrée sauvage sans histoire et privée de stimuli intellectuels et esthétiques 110 ».

Les premières excursions canadiennes se concentrent sur les territoires du 111 Canada-Uni , tout en débordant sur le Bouclier canadien. À la fin des années 1860, les expéditions amènent les explorateurs dans les environs de la rivière Rouge, la péninsule du Labrador, l'Assiniboine, la rivière Saskatchewan, le Yukon et la Colombie-Britannique. Toutes ces expéditions ont pour but l'étude géologique, tout en cherchant avidement l'attention du public. Puisqu'il y a un public intéressé, la CGC publie ses découvertes dans le Canadian Journal, de l'Institut Royal du ' Canada, un journal dédié à la science et à l'industrialisation. Aux États-Unis, c'est l'American Journal of Science qui s'intéresse vivement à cette question. Les journaux populaires et les revues ~opulaires publient les récits agrémentés d'illustrations. Ainsi, dans les deux pays, les promoteurs ou les chefs d'excursion's collaborent fréquemment avec des artistes et des photographes 112 qui se joignent alors aux expéditions afin d'observer et de mettre sur papier l'histoire ancienne et la topographie de ces régions. Elles deviennent dès lors des attractions. Les journaux populaires augmentent leurs ventes, les promoteurs immobiliers et ferroviaires annoncent leurs produits et les chercheurs leurs découvertes. Ces illustrations captivent les lecteurs qui découvrent ainsi la vie des Amérindiens, la migration des colons, la ruée vers l'or et des paysages inconnus. Ainsi, grâce aux voyages, aux explorations et à la colonisation, le monde entier devient sujet à appropriation: cette époque est témoin de l'extension géographique du champ du visible et de la représentation 113.

110 Bedell, c2001, p. 13. 111 Principalement la Gaspésie, le Témiscamingue, l'Ontario et le Lac Supérieur. 112 Au Canada, durant les premières expéditions des années 1850, on eut moins recours à la photographie, car elle était jugée lente et fragile. (Mary-Jo Hughes-Genosko, 1990, p. 11). C'est à partir des années 1860 (notamment grâce au travail de William Notman) que la photographie fait valoir ses qualités documentaires et devient plus populaire. 113 Kate Flint, 2002, p. 3. 43

2.2 Nations et identités

« For decades after independence American culture remained strongly Anglocentric, and many of the patterns of cultural exchange established during the colonial era persisted at least until Civil War years. For American artists and writers, London continued to be a dominant cultural centre challenged only by Paris and Rome, while Düsseldorf emerged as a major competing venue for artistic education» 114.

Par ces lignes, l'historien Andrew Wilton met en évidence la filiation qui existe encore au XIXe siècle entre la culture américaine et la culture britannique. Il en est de même au Canada où la circulation britannique (les voyageurs, les immigrants et les militaires, parmi lesquels on trouve des peintres et des aquarellistes) imprime sa marque sur les institutions culturelles de J'époque 115. Ainsi, bien que des différences s'expriment dans leurs œuvres, les artistes nord-américains et britanniques du XIXe siècle ont néanmoins une attirance commune pour la peinture de paysage. Les œuvres reflètent des points de convergence conceptuelle portant sur la nature et les théories théocentriques de John Ruskin peuvent être comptées parmi celles-ci. Toutefois, afin d'apprécier la révolution effectuée par John Ruskin dans la peinture de paysage nord-américain, il nous faut situer ses théories au centre d'un réseau d'influences antérieures et contemporaines, d'autant plus que cette multiplicité de sources et d'exemples explique en partie la spécificité des artistes nord-américains.

2.2.1 L'esthétique du paysage et les modèles européens La conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques marque la naissance artistique du paysage en Amérique du Nord, puisque les militaires artistes sont les premiers . à reconnaître visuellement les beautés naturelles de ces vastes

étendues 116. Jusque-là, les éléments du paysage épars dans les représentations artistiques se limitent à des fonctions décoratives. De fait, comme le démontre la production des artistes américains, le climat culturel est plutôt favorable au portrait et à la nature morte 117. Parallèlement, au Canada français, l'art est indéniablement associé à la religion chrétienne, étant donné que la peinture, la sculpture et les arts

114 Andrew Wilton et Tim Barringer, 2002, p. 41. 115 Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec. 1760-1896, Montréal, Fides, 2000, p. 137. 116 Laurier Lacroix, « Entre la norme et le fragment: éléments pour une esthétique de la période 1820- 1850 au Québec », dans Mario Béla·nd (dir.) La peinture au Québec. 1820-1850. Nouveau regards, nouvelles perspectives, Québec, Musée du Québec, 1991, p. 69. 117 Bien que les Américains pouvaient se targuer d'avoir un peintre d'histoire d'envergure internationale - Benjamin West (1738-1820) - ce genre fut surtout populaire après la révolution américaine. 44 décoratifs sont surtout destinés à la décoration des églises. Lorsque l'on sait l'importance de la religion en Nouvelle-France, on comprend donc que les thèmes religieux jalonnent la production artistique de la colonie. Et avec l'émergence des nobles et de riches commerçants qui désirent orner leurs intérieurs, la peinture de portrait viendra par la suite se joindre à l'activité artistique.

Ainsi, au lendemain de la prise de possession de la colonie, la vue topographique devient une alliée essentielle de l'Empire britannique pour découvrir, explorer, prospecter le pays, mais aussi, pour se l'approprier. C'est pourquoi, au cours de leurs séjours dans les possessions anglaises, les militaires artistes réalisent des dessins et des aquarelles qui deviennent des sources d'information sur les structures militaires et le mouvement des troupes 118, ainsi que sur les habitants, les coutumes, les ressources naturelles et la géographie du pays. En l'occurrence, elles traduisent les caractéristiques naturelles et la composition physique des paysages nord-américains. Néanmoins, si les vues topographiques répondent à une commande bien p~écise, plusieurs militaires sont des topographes aquarellistes d'expérience, au talent affirmé et pour qui le croquis de paysages constitue un véritable passe-temps 119. Parmi ces artistes amateurs, nous pouvons mentionner Thomas Davies (actif au Bas-Canada entre 1757 et 1812), James Peachey (entre 1773 et 1797), George Bulteel Fisher (entre 1791 et 1794) et James Pattison Cockbu rn (entre 1820 et 1840).

Les paysages de ces artistes, qu'ils soient un passe-temps ou un outil d'information, expriment le goût et les idées de la société britannique en s'articulant autour des normes qui régissent ce genre pictural. Par conséquent, ils transmettent, au-delà des attitudes impérialistes, les conceptions européennes de la nature et les manières de la représenter. Ces images sont donc représentatives à plusieurs niveaux parce qu'elles fixent la nature dans des structures figuratives provenant d'Europe. Car, comme le remarque D. Prioul, ces artistes possèdent tout de même une « une formation soutenue et précise transmise par des générations de professeurs qui avaient pris leurs antécédents dans les premiers rudiments de la

118 Didier Prioul, {{ Les Paysagistes britanniques au Québec: de la vue documentaire à la vision ~oétique », dans Mario Béland (dir.), 1991, p. 53. 19 J. Russell Harper, La peinture au Canada, des origines à nos jours, Québec, Les Presse de l'Université Laval, 1966, p. 42. 45 topographie au siècle précédent» 120, une formation transmise notamment à la célèbre académie de Woolwich où enseigne l'artiste de renom Paul Sandby. C'est .avec la triade beau-pittoresque-sublime, associée au classique ainsi que les grands maîtres Claude Lorrain, Gaspard Dughet, Nicolas Poussin et Salvator Rosa, que les artistes vont apprendre à regarder un environnement qui commence à peine à -être perçu comme une présence positive et non plus comme une force étrangère 121.

Rappelons que ce changement d'orientation est dû à l'essor du tourisme et des sciences, ainsi qu'à la domestication graduelle de la nature qui transforment la perception générale. Il s'agit pour les militaires, amateurs et artistes de rendre compte de l'immensité et de la variété de la nature nord-américaine, mais également d'emprunter un vocabulaire connu pour interpréter cet exotisme qui caractérise les paysages admirés. Ce faisant, dès les années 1790, il s'effectue un changement dans les représentations de paysage, alors que les artistes délaissent le côté documentaire pour favoriser une plus grande liberté d'expression et des techniques 122. Durant cette période, ces images gagnent en popularité et en raffinement, se multipliant à travers les pages des guides de voyage, devenant des souvenirs emportés lors d'un séjour à l'étranger.

Mais si l'apport des artistes topographes est considérable et perdure jusqu'aux années 1840, pour le Canada du moins (notamment avec le groupe de 1838), l'art profite également - au Canada comme aux États-Unis - du phénomène de mobilité et d'immigration des artistes dont plusieurs provenaient de la Grande-Bretagne. En effet, ceci a pour résultat d'encourager l'assimilation et l'enracinement des modèles européens. Le Liber Studiorum, qui circule en sol américain bien avant le Modern Painters, est sans doute l'œuvre qui fait le mieux connaître Turner aux artistes américains. L'empreinte que laissa cet artiste est certes l'une des plus durables sur les paysagistes américains 123 . .

120 Didier Prioul, 1991, p. 51. ' 121 Susan Platt, « Paradigms and Paradoxes. Nature, Morality and Art in America », Art Journal, vol 51, n° 2 (été 1992), p. 82. 122 Didier Prioul, 1991, p. 55. 123 Elle est également largement documentée. Barbara Novak, Nature and Culture. American Landscape and Painting. 1825-1875, Édition révisée, New York, Oxford University Press, 1995, p. 246 46

Enfin, aux États-Unis, quiconque a un intérêt pour les arts peut se procurer les 124 journaux britanniques l'Arl Journal ou l'Art Union . Les artistes américains peuvent y admirer le travail des artistes européens, car des illustrations de tableaux y sont insérées. Au XIXe siècle, les publications illustrées connaissent un énorme succès et les éditeurs savent qu'elles sont susceptibles de multiplier les ventes de leurs publications. Puisque la population américaine a rarement l'occasion de voir des originaux d'artistes étrangers, ces publications sont un moyen accessible de les apprécier. C'est également de cette façon que les œuvres de Constable et de Turner se font connaître du public et des artistes américains.

2.2.2 Les centres culturels Après 1825, une véritable effervescence artistique s'amorce dans la ville de

New York 125. Effectivement, celle-ci profite à la fois du développement touristique, ce qui fait découvrir les beautés naturelles de la région, et du commerce florissant, qui fournit le support financier nécessaire aux artistes. Commence donc une période artistique tout à fait nouvelle, alors que les artistes cherchent à New York plutôt qu'à Philadelphie ou à Boston leur inspiration. C'est le début des peintres paysagistes américains, chez qui l'empreinte de la région de la vallée de l'Hudson est très marquée. Puisqu'il se forme une nouvelle perception de la nature et de l'art aux États-Unis, les paysages de ces peintres, imprégnés de la sensibilité romantique et puisés à même la nature avoisinante, sont propices à émouvoir et à séduire la société américaine. Dès lors, la peinture de paysage constitue le point central de l'activité artistique des paysagistes, établis en grand nombre à New York. De même, plusieurs auteurs contemporains partagent cette admiration pour la nature américaine.

Il est important de préciser que la ville est, depuis le tournant du siècle (soit une génération avant les peintres de ·l'Hudson) le centre littéraire national où évolue un groupe d'auteurs devenus prolifiques et influents, les « Knickerbockers» 126. Nous constatons donc que la peinture de paysage s'inscrit dans le sillage d'une tradition littéraire du courant romantique et que les peintres bénéficient de l'appui d'auteurs

124 Andrew Wilton, 2002, p. 30. 125 Andrew Wilton, 2002, p. 30. 126 James T.Callow, Kindred Spirits: Knickerbocker Writers and American Artists, 1807-1855, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1967, p. 3 47 dont les œuvres sont déjà consacrées. Durant le deuxième quart du XIXe siècle, le romantisme domine les œuvres de Washington Irving, James Fenimore Cooper, William Cullen Bryant et plusieurs autres poètes et écrivains qui ont déjà développé des principes sur l'emploi de sujets nationaux, c'est-à-dire propres aux États-Unis 127. Ensemble, peintres et écrivains, particulièrement durant les années trente, chercheront à ouvrir les yeux des Américains sur les beautés de la nature nationale, à un moment où les progrès de la civilisation menaçaient sa survie. Le remarquable succès, la formidable notoriété dont jouissent les Knickerbockers s'essouffle durant les années 1840 et s'achève durant les années 1855 pour laisser la place à des auteurs provenant de" diverses régions des États-Unis, comme Ralph Waldo 128 Emerson, Henry Longfellow, etc .

Un autre signe de l'importance culturelle de New York est l'émergence de la presse écrite et des sociétés artistiques, dont les plus importantes sont la National Academy of Design (NAD) et l'American Art-Union (AAU). Fondée en 1825, par les artistes Samuel F. B. Morse et Asher B. Durand, la NAD a pour mandat de promouvoir les beaux-arts, soit la peinture, la sculpture, l'architecture et la gravure 129, par le biais de l'enseignement, en offrant des cours et des conférences. Elle organise également des expositions annuelles qui contribuent à la vente de tableaux. Contrairement à la Pennsylvania Academy of Fine Arts qui privilégie surtout la peinture d'histoire, la NAD accorde une plus grande place à la peinture de paysage, comme le prouve la durée de présidence de Asher B. Durand: seize ans 130.

L'American Art Union a elle aussi un penchant manifeste pour la peinture de paysage. Par contre, elle insiste davantage sur la valorisation d'un art et d'un style purement américains 131. On remarque également que l'AAU favorisait le langage formel propre à l'époque: la minutie du détail et la qualité du fini. Cette société

127, Andrew Wilton, 2002, p. 47. 128 James T. Callow, 1967, p. 6 129 Le mot «design» réfère au dessin, la base de toute éducation artistique. Linda S. Ferber. « Drawing from Nature: Sight and Insight» dans Rita Armory et al., Nature Observed, Nature interpreted. Nineteenth-Century American Landscape Drawings & Watercolors from the National Academy of Design and Cooper-Hewitt National Museum, Smithsonian Institution, New York, National Academy of Design with Cooper-Hewitt / National Design Museum / Smithsonian Institution, 1995, p. 7. 130 Linda S. Ferber, 1995, p. 21. 131 John K. Howat, Frederic Church. New haven / Londres, Yale University Press, 2005, p.41 48 poursuit la formule de l'association britannique, l'Art-Union, fondée en 1837 à Londres. Le public s'abonne annuellement à l'association qui, en échange, lui offre l'illustration d'une œuvre américaine, des bulletins publiés régulièrement et la chance d'être éligible au tirage d'une œuvre réalisée par un artiste local. L'argent des abonnements est utilisé à l'achat d'œuvres américaines qui sont également exposées" contribuant ainsi à promouvoir l'art américain.

À partir des années 1860, le Canada cherche également à mettre en place de meilleures conditions de formation et d'exposition, afin de rehausser le prestige des artistes canadiens. La ville de Montréal est alors devenue un centre culturel important, l'élite angl

2.2.3 La spécificité des paysages nord-américains et identités Nous venons de noter une volonté commune des peintres et des hommes de lettres des années 1830: mettre l'accent sur la singularité américaine et ainsi rivaliser avec les œuvres européennes. À ce moment, les commentateurs cherchent à définir la nation américaine, affirmer son unité et à se libérer des traditions européennes, particulièrement britanniques. Cette mission, qui se veut nationale,

132 Dennis Reid, « Notre patrie le Canada» : Mémoires sur les aspirations nationales des principaux paysagistes de Montréal et Toronto. 1860-1890, Ottawa, Galerie Nationale du Canada / Musées nationaux du Canada, 1979, p. 62. 133 Francis Fulford, Montreal Herald, 28 février 1865 cité dans Dennis Reid , 1979, p. 62 49 peut être rapprochée de l'esprit romantique qui non seulement glorifie le paysage, mais adopte également une nouvelle attitude à l'égard du passé national qui se manifeste par un culte des ruines et de l'architecture gothique. Aux États-Unis, il faut le reconnaître, l'histoire est encore bien jeune et « l'emblème le plus significatif et le plus manifeste de la nouvelle nation - en l'absence des dynasties, traditions et monuments anciens servant à définir les aütres cultures nationales - était le paysage lui-même» 134.

La peinture de paysage avive donc le sentiment de fierté nationale, car les artistes ont trouvé dans la nature américaine « un élément important de l'identité collective de la nation 135» et de son histoire, un élément qui exprime un caractère unique. De surcroît, l'Europe ne possède aucun paysage capable d'égaler l'immensité, la variété et le caractère sublime de la nature américaine. En 1836, l'artiste Thomas Cole fait ce constat:

« J'aimerais rappeler que la nature a donné à ce pays beauté et magnificence, et bien que ces paysages diffèrent par leur caractère de ceux du Vieux Monde, il ne faudrait pas conclure à leur infériorité; car bien que le paysage américain soit privé d'un grand nombre de circonstances qui donnent de la valeur au paysage européen, il a malgré tout de splendides particularités, inconnues en Europe [ ... ] La caractéristique la plus spécifique et peut-être la plus impressionnante du paysage américain est son aspect sauvage. C'est ce qui le rend si singulier, car, dans l'Europe civilisée, les composantes originelles du paysage ont depuis longtemps été détruites ou modifiées: les forêts très étendues qui en recouvraient autrefois une grande partie ont été abattues; les sommets montagneux en dents de scie ont été émoussés; les fleuves impétueux ont été détournés de leurs cours de manière à répondre aux goûts et aux besoins d'une population dense; les bois à la végétation autrefois inextricable ont cédé la place à des plaines herbeuses; le ruisseau aux eaux agitées a été transformé en un fleuve navigable; les rochers escarpés dont on ne pouvait se débarrasser ont été couronnés de tours; et les vallées les plus inhospitalières, domptées par la charrue» 136.

Ainsi, les régions de New York ainsi que de la Nouvelle-Angleterre deviennent des thèmes récurrents des paysagistes établis dans la vallée de l'Hudson. De fait, si

134 Timothy Barringer, « Nation, narration et historiographie de la peinture de paysage américaine », dans Veerle Thielemans et Matthias Waschek (éd.), L'art américain. Identités d'une nation, Giverny / Paris, Musée d'art américain Giverny / Terra Foundation for American Art / École nationale supérieure des beaux-arts, 2005, p. 45-46. . 135 David Schuyler, « The Sanctified Landscape: The Hudson River Valley, 1820 to 1850 », Landscape in America, Austin, Texas University Press, 1995, p. 97. 136 Thomas Cole, « Essay on American Scenery », American Monfhly Magazine, nO 1, janvier 1836 cité par Timothy Barringer, 2005, p. 50. 50 ces territoires comptent des paysages industriels et des terres agricoles, ils comportent encore des terres sauvages d'une grande variété et originalité. Le succès de Cole repose sur de grands paysages allégoriques, mythologiques pour certains, qui intègrent des composantes typiques du paysage américain: les couleurs de l'automne, les formations géologiques caractéristiques et la figure quasi imperceptible de l'Amérindien, comme l'illustrent l'œuvre View trom Mount Holyoke, Northampton, Massachusetts, after a Thunderstorm-The Oxbow (fig. 6). Très rapidement, une signification culturelle et identitaire est inscrite dans le paysage, une signification menacée par la progression industrielle qui impose des 137 changements fondamentaux à cet environnement naturel . Aussi, au fil des paysages que Cole offrira au public, la peinture "de paysage devient un outil de réflexion morale et se fait le témoin de ces changements dramatiques, tout en puisant dans l'esthétique du sublime et du pittoresque.

Si l'oeuvre de Cole est indissociable de la production artistique des paysagistes américains, à la fin des années 1840 - et dans la foulée de la mort de Cole en 1848 - la pratique artistique diffère fort de celle qui prévaut une décennie plus tôt. Ils ne cherchent plus autant les effets dramatiques ou spectaculaires. Avec les écrits de Ruskin et l'introduction des sciences naturelles en art (particulièrement la géologie), tout concorde pour les mener vers des paysages authentiques. Les artistes se sont certes approprié la nature américaine et l'ambition d'offrir des « vues américaines» les habite toujours. Cette ambition est visible dans l'œuvre Jasper Francis Crospey qui exploite en 1860 les couleurs de l'automne dans son œuvre Autumn - On the Hudson River (fig. 7). Alors que plusieurs s'attardent à un élément très particulier et spectaculaire de la nature nord-américaine avec l'œuvre Niagara Falls de Frederic Edwin Church (fig. 8), d'autres comme préfèrent une vue paisible, mais tout aussi représentative comme Lake George (fig. 9). Durant les années 1850, les artistes accordent une attention soutenue à la peinture de paysage et cherchent à répondre à la nouvelle demande, soit de comprendre et rendre compte des forces météorologiques et géologiques 138, comme l'illustre par exemple Approching Thunder Storm (fig. 10) de Martin J. Heade ou The Natural Bridge, Virginia (fig. 11) de Church. Les peintres de marines excellent également à peindre

137 David Schuyler, 2005, p. 102. 138 Linda S. Ferber, 1995, p. 23. 51 la lumière (que plusieurs nommèrent « lumière américaine» 139) ainsi que les effets atmosphériques. En outre, portés par des idées expansionnistes, des propensions à s'étendre à travers le continent, les artistes ne se limitent plus qu'aux paysages de la vallée de l'Hudson et de ses environs, mais leurs regards se tournent également vers l'Ouest, l'Amérique latine et même le Canada.

Malgré le nombre considérable de paysagistes ou encore, de groupes d'artistes qui évoluent sur une aussi longue période, nous pouvons reconnaître une volonté, des thèmes et des procédés communs qui persistent. À ce sujet, Albert Boime affirme:

« [ ... ] The central, underlying component that the Hudson River and luminist artists ail share and that unites them across generations : the desire to carve unit y, harmony and order from endless vistas. The preoccupation with light, the surface treatment, atmospheric effects, and use of baroque conventions may vary from artist to artist, group to group, but the assumed presence of the spectator, the horizontal format, the directional sense of descent from height and generally - with the exception of Martin J. Heade and Fitz H. Lane - from overgrown thicket to clearing body of water to trappings of civilization, are central to every landscapist grouped at one time or another under the Hudson River or luminist rubrics »140.

Les choses se présentent différemment pour les peintres paysagistes du Canada. C'est surtout sous l'influence des idées provenant de Grande-Bretagne et des États-Unis, au milieu du XIXe siècle, que se manifeste une nouvelle sensibilité à l'égard du paysage canadien. Cependant, si certains commentateurs sont désireux de voir naître une activité littéraire et artistique purement canadienne, cela ne peut être rattaché à un phénomène de nationalisme naturaliste tel que vécu aux États- Unis; le pays n'étant pas encore constitué au plan national et toujours considéré comme un prolongement de la Grande-Bretagne 141. Néanmoins, en 1858, Thomas D'Arcy McGee affirmait: «We have the materials - our position is favorable - northern latitudes like ours have been famed for the strength, variety and beauty of their literature »142.

139 À ce sujet, nous référons le lecteur à l'essai de Tim Barringer, « Nation, narration et historiographie de la peinture de paysage américain », où il discute du « mythe luministe ». 140 Albert Boime, 1991, p. 35. 141 Eric Kaufmann, « "Naturalizing the Nation": The Rise of Naturalistic Nationalismin the United States and Canada », Comparative Studies in Society and Hisfory, vol. 40, no. 4 (oct. 1998), p. 683. 142 Eric Kaufmann, 1998, p. 683. 52

Toutefois, avant même que les chemins de fer n'ouvrent les territoires sauvages canadiens, quelques peintres paysagistes de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick s'aventurent dans les régions moins connues des Prairies, des Rocheuses, du Labrador et du Nouveau-Brunswick, en l'occurrence, Robert R. Whale, Frederick A. Verner et William G. R. Hind 143 et surtout Paul Kane qui en est le précurseur. À cette époque, durant les années 1850 et 1860, plusieurs peintres, d'origine britannique ou allemande, s'établissent au Canada: Charles J. Way, John A. Fraser, Alexander Henderson ainsi que Otto Jacobi, Alfred Vogt et William Raphael. Par ailleurs, la communauté artistique de l'époque est grandement affectée par l'ouverture des Studios Notman, à Montréal et à Toronto. De fait, « la liste de peintres canadiens du XIXe siècle devenus photographes, professionnels ou amateurs est assez longue» 144.

Vers 1867, avec la Confédération, les premiers signes d'un nationalisme canadien commencent à se manifester plus visiblement et les artistes tombent sous les charmes des paysages qui composent la nature canadienne. En revanche, les artistes de cette génération ne se concentrent pas dans une seule région, mais parcourent le pays et voyagent continuellement. Au Canada, on assiste plutôt à une prise de conscience des distinctions régionales et au développement d'une identité communautaire qui met l'accent sur les spécificités environnementales qui distinguent ces communautés des grands centres urbains 145. C'est un semblable intérêt qui incite des artistes montréalais et ontariens à choisir la région des Cantons- de-l'Est «comme terrain de prédilection pour aller peindre leurs esquisses» 146 : Cornélius Krieghoff, William Notman, Robert S. Duncanson, C. J. Way, Henry Sandham, William Raphael, Frederic Bell-Smith, Robert Gagen ainsi que trois peintres natifs ou habitant cette région, Charles W. Eaton, John A. Fraser et bien sûr, Allan Edson. Par contre, il n'existe pas de style commun à ces artistes, puisqu'ils ont tous des pratiques bien différentes, qui leur sont propres.

143 J . Russel Harper, 1966, p. 145. 144 Ann Thomas, 1979, p. 23. 145 Victoria Baker, «Establishing a Sense of Community: Early Representations of the Eastern Townships », Revue d'études des Cantons-de-l'Est, n° 14 (printemps 1999), p. 27. 146 Victoria Baker, 1999, p. 16. 53

2.2.4 Le paysage comme source d'inspiration morale La pratique qui traverse les années 1840 jusqu'aux années 1880 nous permet de saisir l'importance de la signification culturelle de la nature américaine ainsi que son implication théologique sur les peintres. De fait, le développement de cette identité nationale unique, fondée sur la nature, est directement lié à un discours qui redéfinit les rapports entre l'homme et la nature, des rapports spirituels et moraux. Il n'est pas surprenant que la ferveur religieuse ait ainsi inspiré cet idéal de la nature. Depùis les débuts de la colonisation, la religion est très présente dans la société américaine et définit son essence même 147. Ce fait peut également expliquer dans une certaine mesure, l'attachement des peintres américains à glorifier Dieu à travers la peinture de paysage, alors qu'ils s'inscrivent dans une tradition protestante. Ce nationalisme naturaliste est par ailleurs partagé par plusieurs auteurs, théologiens et artistes, dont James F. Cooper, Henry Thoreau, Ralph Waldo Emerson et Thomas Cole.

C'est en 1835 que Thomas Cole publie Essay on American Scenery, un guide spirituel, idéologique et esthétique très marquant auprès des artistes américains. Il y expose sa vision de la nature et sa conception du rôle social de l'artiste. Selon Cole, le paysage américain révèle . non seulement le caractère national, mais est également une preuve de la manifestation divine. Ainsi, la perception des beautés de la nature sauvage, « les splendides particularités» du paysage américain, peut inspirer des émotions intenses qui mènent vers une expérience mystique. Ces nouveaux monuments spirituels de la nature américaine, qui tiennent lieu de ruines ou de cathédrales, des éléments caractéristiques du néo-gothique, contribuent à conférer un caractère sublime et à sanctifier le paysage américain 148. Cole voit en la nature américaine un nouveau jardin d'Éden 149, une analogie entre le paradis mythique et la nature sauvage des États-Unis. La nature américaine ne renvoie pas au passé, mais plutôt au présent et au futur. En ce sens, Cole s'inquiète grandement du progrès industriel et de son impact sur la nature sauvage. Il confère donc à l'artiste un rôle majeur, un rôle moral, soit celui d'illustrer ces beautés divines, de

147 Wilton, 2001, p. 54. ~ 148 Barbara Novak, « American Landscape : Changing Concepts of Sublime », American Art Journal, vol. 4, no. 1 (été 1972), p. 39. J49 Susan Platt, « Paradigms and Paradoxes. Nature, Morality and Art in America », Art Journal, vol 51, n° 2 (été 1992), p. 82. 54 témoigner des derniers moments de ces régions et de « learn the laws by wich the Eternal doth sublime and sanctify his works, the we may see the hiden glory veiled from vulgar eyes» 150. Éprouvant le besoin d'élever la peinture de paysage américaine, Cole réalise d'ambitieux paysages allégoriques, chargés d'une signification morale.

L'ouvrage de Ralph Waldo Emerson, Nature (1836), contemporain de Cole, témoigne également des principes théologiques qui façonnent la peinture de paysage américain. Dans cet essai, cet ancien pasteur unitarien pose les fondements du transcendantalisme, un mouvement littéraire, philosophique et spirituel. Selon Emerson, « l'Oversoul» réfère à un système qui unit l'homme, la nature et Dieu. Trois composantes du paysage américain reflètent de manière probante ce système: la lumière, le ciel et l'eau. Par exemple, Emerson identifie l'horizon comme un élément unificateur du paysage et fait valoir le pouvoir créatif de la lumière. Pour la peinture de paysage, cela se manifeste par la représentation de l'horizon comme élément dominateur de la composition, le ciel et les cours d'eau comme des réflecteurs de la lumière. À ce propos, B. Novakaffirme : « ln American Art, especially light has often been used in conjunction with water to aid towards spiritual transmutation, either dissolving form [ ... ] or rendering crystalline »151. Les artistes associés à cette esthétique, soit Fitz Hugh Lane, Sanford Gifford ou John F. Kensett entre autres, n'adhèrent jamais officiellement au mouvement transcendentaliste. Par contre, ils trouvent dans les idées d'Emerson une partie du vocabulaire qui leur permet d'exprimer leur propre expérience de la nature 152.

2.3 L'Amérique découvre John Ruskin 2.3.1 L'introduction des idées de John Ruskin en Amérique du Nord Réédité à New York en 1847, Modern Painters de John Ruskin connaît un énorme succès puisqu'il renforce cette association entre le paysage et les qualités morales et spirituelles auprès des Américains tout comme chez les Européens. Avec cette œuvre, qui selon Worthingtori Whitteredge, un paysagiste américain, « se

150 Barbara Novak, 1972, p. 39. 151 Barbara Novak, 1972, p. 41. 152 Wilton, 2001, p. 26. 55 trouvait en main de chaque peintre de paysage» 153, Ruskin connaissait une popularité bien plus grande qu'en Grande-Bretagne, ce qui lui permit de s'imposer comme un grand théoricien de l'art et de jouir d'une excellente réputation, à son grand étonnement d'ailleurs: «1 have much to thank America for - heartier appreciation and a better understanding of what 1 am and mean, than 1 have ever met in England » 154. À cette première publication s'ajouteront par la suite les quatre autres volumes de la série des Modern Painters, The Seven Lamps of Architecture, le pamphlet Pre-Raphaelitism, The Stones of Venice et Elements of Drawing, sans 155 oublier un bon nombre de copies illégales de ces ouvrages dès 1847 . Par ailleurs, il est intéressant de noter que les grandes maisons d'édition de New York ou de 156 Londres ont également élu domicile à Toronto . Ainsi, au Canada, la publication des ouvrages de Ruskin ne se fait que vers la fin des années 1890, mais des éditions new-yorkaises sont néanmoins accessibles.

Il est également révélateur d'examiner les périodiques publiés à New York à partir des années 1850, puisqu'ils deviennent des éléments majeurs dans la diffusion des idées ruskiniennes. A~ cours de cette période, les périodiques manifestent une volonté d'atteindre un plus grand lectorat en insérant dans leurs publications des articles accessibles à tous. Parmi les revues qui soutiennent les idées de Ruskin, il y a The Crayon, première revue américaine entièrement consacrée à l'art et la culture et publiée entre 1855 et 1861. Fondé par John Durand157 et William J. Stillman, ce journal s'intéresse au domaine culturel et particulièrement à l'art. On peut y lire « des essais, des critiques d'expositions, des notes de voyage, des poèmes, des critiques littéraires, des fictions et des scénarios pour des pièces de théâtre» 158.

153 Tim Barringer, Reading fh~ Pre-Rapahelifes. New Haven / London, Yale University Press, 1998, p. 77. 154 Theodore E. Stebbins Jr. et Susan C. Ricci, 2007, p. 13. 155 Anita Grants, « Selectivity, Interpretation and Applications: The Influence of John Ruskin in Canada », Thèse de doctorat, Montréal, Université Concordia, 2006, p. 250. 156 Anita Grants, 2006, p. 250. 157 John est le fils de Asher B. Durand. 158 David B. Dearinger (dir.), Rave Reviews. American Art and ifs Crifics. 1826-1925, Catalogue d'exposition (New York, national Academy of Design, 20 septembre-31 décembre 2000 / Tulsa, Gilcrease Museum, 31 janvier-1 er 2001 / Indianapolis, Indianapolis Museum of Art, 29 avril-1 er juillet 2001), New York, National Academy of Design, 2000, p. 21. 56

Dans cette perspective, cette revue publie également de façon régulière des extraits, des lettres et des articles écrits par Ruskin 159. Il n'est donc pas surprenant qu'en 1855, Asher B. Durand y publie son ouvrage Letfers on Landscape Painting, une interprétation américaine des théories de Ruskin. Bien qu'adressées à des peintres professionnels, au contraire de Ruskin, Durand reprend les idées de celui-ci sur l'étude directe de la nature, exercice à la fois spirituel et conceptuel, ainsi que sur la pratique du dessin. Son but est alors d'aider les artistes à aiguiser la perception et la technique pour ainsi leur permettre de comprendre et enregistrer les détails naturels 160. Tout comme Ruskin, il invite les artistes à porter une grande attention aux particularités de chaque espèce, à la géologie. S'il permet d'omettre certains aspects du paysage, de les modifier, tout comme Ruskin, il précise: « the elevations and depressions of earth's surface ... may not be changed in the least perceptible degree, most especially the mountain and hill forms. On these God has set his signet, and Art may not remove it when the picture profess to represent the scene » 161. Les dernières années de la guerre de Sécession précipitent la fin de la revue The Crayon et elle cède sa place à The New Path en 1863. Cette revue est fondée par un regroupement d'artistes, attachés aux idées ruskiniennes: l'Association for Advancement of Truth in Art, notamment associée au groupe des préraphaélites américains. À sa tête, Charles Eliot Norton et Charles Herbert Moore, émules et amis de Ruskin. Ces deux professeurs d'art contribuent également à l'implantation des idées ruskiniennes dans le système d'enseignement universitaire américain.

Au Canada, « si on 'achète et on lit des revues américaines» 162, c'est bien parce que la proximité des États-Unis rend ces publications accessibles. Quelques périodiques canadiens anglophones, en l'occurrence The Canadian Independent, The Week, The Dominion IIlustrated suivent la carrière, la vie et l'œuvre de Ruskin. Ainsi, lorsque la maison d'édition new-yorkaise K. Funk & Co. publie l'ouvrage Fors Clavigera, le Canadian Independent écrit: «Those who know Ruskin's writings will not need any commendation for "Fors"; for those who do not, it may be sufficient to say that for good sound, common sense, pervaded by a religious spirit, faultlessly

159 Robert Hewison, 2000, p. 156. 160 Linda S. Ferber, 1995, p. 20. 161 Asher B. Durand, « Letter 9 », The Crayon 2 (11 juillet 1855), p. 6 cité par Bede", c2001, p. 51. 162 John R. Harper, 1966, p. 70. 57 expressed, they are few writers equal to John Ruskin)} 163. Toutefois, au Canada, il n'y a pas de discussions formelles autour des idées de Ruskin de la même manière qu'elles se font en Grande-Bretagne ou même aux États-Unis, c'est-à-dire à travers les institutions artistiques ou encore les périodiques: « Ruskinian ideology was usually based on the selective interpretation of these ideas, often by emigres or visitors )} 164.

2.3.2 Les expositions Comme nous l'avons vu, il n'est pas toujours facile pour le public et les artistes nord-américains d'admirer les œuvres d'artistes européens. -Par conséquent, l'exposition d'art britannique (American Exhibition of British Art), la première du genre au pays, tenue à New York en 1857, prend une importance majeure. Il est alors possible d'y voir des -œuvres de peintres britanniques, dont un nombre important d'œuvres préraphaélites 165, des paysages comme des natures mortes. Ces œuvres préraphaélites reçurent de nombreux éloges des critiques américains et contribuent à « to the propagation outside Britain of the principles of truth in art as preached by

Ruskin and applied by Pre-Raphaelite artists )} 166. La présence d'une aquarelle réalisée par Ruskin, Fragment of the Alps (fig. 12), retient également l'attention, une œuvre qui illustre bien l'importance de la connaissance de la géologie en art, ainsi que la notion d'authenticité. Le succès que connaît l'exposition à New York contribua à la faire voyager à Philadelphie et à Boston.

Plusieurs historiens de l'art -américain s'accordent pour dire que les principes ruskiniens se propagent et sont assimilés par la connaissance directe des écrits de Ruskin plutôt qu'à travers la connaissance des œuvres préraphaélites. En effet, « les préraphaélites sont normalement associés au nom de Ruskin après la publication de sa brochure en 1851, mais le contraire n'est pas nécessairement le cas)} 167. Nous adhérons à cette thèse, d'autant plus qu'au Canada, des études récentes vont en ce

0 163 « Literary Notices. Fors Clavigera ». The Canadian Independent, nouvelle série v. 27, n 18, (29 avril 1880), p. 5. 164 Anita Grants, 2006, p. 39. 165 On y trouvait notamment des œuvres de William Holman Hunt, Ford Madox Brown, Arthur Hughes ainsi que d'autres artistes bien établis comme Lord Frederik Leighton. William H. Gerdts, «The Influence of Ruskin and Pre-Raphaelitism on American Still-Life Painting », American Art Journal, vol. 1, n° 2 (automne 1969), p. 85. 166 Grants, 2006, p. 175. 167 Roger B. Stein, cité par Barbara Novak, 1995, p. 250. 58 sens. En effet, les études portant sur le travail de l'artiste canadien William G. R. Hind affirment que les liens entre les écrits de Ruskin (Les Modern Painters et Element of Drawing) et les sciences naturelles nous donnent une meilleure définition de sa pratique artistique 168 et préfèrent écarter les similarités avec les préraphaélites.

Conclusion Nous avons vu que la renommée de John Ruskin parvient jusque dans les milieux culturels américains et même canadiens. Toutefois, les États-Unis sont davantage séduits, puisqu'ils souscrivent déjà à de telles idées. En effet, les ouvrages de Thomas Cole et de Ralph Waldo Emerson par exemple nourrissent cette vision de l'art et de la nature. Par le biais des périodiques et des expositions, Ruskin se fait également connaître d'un public relativement large. Parallèlement, les milieux culturels cherchent à créer une iconographie américaine et un art national qui peuvent servir les intérêts impérialistes, idéologiques et religieux du pays. Au Canada, l'impact est plus subtil, moins marqué et plus tardif. Aussi, le pays ne manifeste pas une unité nationale semblable à son voisin. La réception des écrits de Ruskin et les jugements qui en découlent sont intimement liés aux particularités nationales. Ce chapitre nous a donc permis de réfléchir sur les questions identitaires. Il nous est désormais possible d'établir un meilleur profil des différents paysagistes impliqués. Au cours du chapitre suivant, nous pourrons nous attarder sur les diverses manières dont les artistes nord-américains s'approprient les idées ruskiniennes, pour finalement analyser plus profondément le cas d'Allan Edson.

168 Mary Jo Hughes-Genosko, «Science, Ruskin and Illustration: The Developpement of William Hind's Vision of Nature in his Labrador Works of 1861-1862 », Mémoire de maîtrise, Kingston (Ontario), Queen's University, 1990, ainsi que Catharine M. Mastin, William G. R. Hind: The Pictou Sketchbook. Le carnet Pictou, Catalogue d'exposition (Windsor, Art Gallery of Windsor, 22 septembre - 4 novembre 1990, Mendel Art Gallery, Saskatoon, 10 janvier -24 février 1991, Dalhousie Art Gallery, Halifax, 4 avril - 2 juin 1991, Vancouver Art Gallery, Vancouver, 10 septembre - 4 novembre 1991 )Windsor, Robert Stacey éditeur, 1990, 206 p. 59

CHAPITRE 3 L'authenticité dans la pratique du paysage en Amérique du Nord

Après avoir tenu compte des différences de contextes sociaux et des particularités nationales, il appert que l'appréciation des idées ruskiniennes peut mener à des résultats plastiques variés. Pour cerner la démarche artistique d'Allan Edson, il nous faut d'abord étudier les dialogues établis par les artistes américains avec les écrits de Ruskin. Ensuite, nous discuterons des thèmes majeurs dans la pratique d'Edson qui caractérisent ses œuvres. Nous examinerons également les éléments plastiques qui reflètent une recherche d'authenticité et qui découlent d'une connaissance directe des écrits de Ruskin. Enfin, nous aborderons le traitement de la lumière et de l'atmosphère qui contribue à définir sa démarche artistique.

3.1 Les paysagistes nord-américains Puisque les traités de Ruskin trouvent un écho favorable en Amérique du Nord, spécialement aux États-Unis, il existe à cette époque des peintres dont le caractère découle de ses idées. Les lecteurs américains assimilent surtout l'affirmation de l'importance culturelle et spirituelle de l'art et la volonté de saisir les moindres détails de la réalité. Toutefois, les principes ruskiniens se mêlent à d'autres influences étrangères, par exemple le style de l'école de Düsseldorf, par le biais notamment de (1830-1902). D'une part, ces principes se soumettent à l'esprit américain et au goût des New-Vorkais qui chérissent les grandes toiles représentant des lieux exotiques et des scènes catastrophiques, tout comme les innovations 169 optiques de toute sorte comme les dioramas, diaporamas, etc . D'autre part, les Américains ne partagent pas les idées sociales de Ruskin, pas plus que son dédain pour le progrès économique moderne, ses idées arrêtées sur les peintres primitifs et son anticlassicisme.

169 Wilton, 2001, p. 45. 60

Un autre groupe d'artistes américains associés à Ruskin est celui des préraphaélites américains, parmi lesquels Charles Hebert Moore (1840-1930), (1833-1905), Henry Farrer (1843-1903), etc. Ces peintres manifestent une grande admiration pour Ruskin et'ils connaissent un certain succès entre les années 1860 et 1870. L'influence de Ruskin est si grande que leurs petits paysages et natures mortes sont exécutés à l'aquarelle, les détails rendus avec une extrême minutie. La poursuite d'authenticité des préraphaélites américains se caractérise par un rendu très précis qui dénote une connaissance et un grand intérêt scientifique des phénomènes étudiés. Ces peintres renoncent cependant aux sujets narratifs, médiévistes et moralistes qu'affectionnent leurs homologues britanniques.

Mais de façon générale, en ce qui a trait à la peinture de paysage, l'authenticité des représentations se manifeste autrement. Selon V. Wagner, « landscape painters selectively applied Ruskin's theories and approach in three ways: by painting rocks studies, by delineating the geological consistency of the Earth, and by interpreting scenes in Ruskinia'n terms » 170. En outre, les paysagistes américains n'abandonnent jamais tout à fait la peinture à l'huile, bien que Ruskin contribue à hausser la réputation de l'aquarelle aux États-Unis 171. Au Canada, l'influence de Ruskin est indirecte, subtile et il n'existe pas de groupe organisé autour de ses idées 172. Il est toutefois possible d'affirmer que les idées ruskiniennes sont connues au pays, mais elles n'engendrent pas l'engouement connu aux États-Unis.

Les années 1870 marquent un changement dans le goût du public et des critiques qui se détournent tranquillement de l'esthétique britannique, pour aller vers le naturalisme français et l'École de Barbizon. L'esthétique qui fit la gloire de certains paysagistes, comme Albert Bierstadt ou Thomas Moran est, à partir de 1880, largement rejetée. Mais durant les années qui précèdent, certains peintres répondent / avec enthousiasme aux principes avancés par Ruskin. Nous avons retenu cinq noms pour illustrer cette assertion: les paysagistes Asher B. Durand, Frederic E. Church, Thomas Moran, Robert S. Duncanson et bien sûr, Allan Edson.

I7°Virginia L. Wagner, « John Ruskin and Artistical Geology in America », Winterthur Portfolio, Vol. 23, nO 2/3 (été-automne 1988), p. 153. 171 Linda S. Ferber, 1995, p. 27. 172 Anita Grants, 2005, p. 172. 61

3.1.1 Asher Brown Durand (1796-1886) C'est sous les conseils de son ami, Thomas Cole, que Asher Durand entreprend de devenir peintre paysagiste, à partir de 1837. À la mort de Cole, il prend le rôle de chef de file des paysagistes. En 1855, il publie son ouvrage Letters on Landscape Painting. Durand ne s'est jamais réclamé de l'influence de Ruskin, il . est pourtant un de ceux qui se sont le mieux approprié ses principes sur l'art et la géologie. Déjà à la fin des années quarante et au début des années· cinquante ~ Durand abandonne le paysage allégorique apprécié par Cole pour se tourner vers des paysages « simples et sans artifices» 173.

Pour Ruskin, l'authenticité se trouve dans le rendu précis des caractéristiques de chaque espèce, tout comme dans Landscape: Creeks and Rocks (fig. 13). L'œuvre Study trom Nature: Rocks and Trees (fig. 14) montre non seulement sa compréhension de la géologie, mais aussi son souci de rendre chaque détail, même ceux de l'avant-plan. Ruskin considère l'avant-plan de grande importance, puisqu'il fournit une foule de renseignements scientifiques sur le paysage. Durand aborde également le paysage d'une manière différente de Cole, mettànt plutôt l'accent sur 174 les bienfaits thérapeutiques de l'étude de la nature sur l'esprit .

3.1.2 Frederic Edwin Church (1826-1900) Seul élève de Thomas Cole et l'unique peintre à égaler son talent, Church est actif durant les années 1840 jusqu'aux années 1870. Il est reconnu pour ses grandes toiles de paysages, aux États-Unis et en Amérique latine. Souvent co.mparée à l'art préraphaélite, son œuvre manifeste aussi un certain enthousiasme pour la volonté de Ruskin de relever la grandeur de Dieu à travers l'art. Par le traitement de la lumière, le rendu des détails, ses tableaux manifestent effectivement un sens religieux très fort. Par ailleurs, son exécution raffinée, son intérêt pour les éléments géologiques et météorologiques dévoile sa compréhension des volumes III et IV des Modern Painters qui traitent des qualités de l'eau, des nuages et des montagnes. Dans son premier volume, Ruskin parle de l'eau comme l'un des éléments naturels le plus merveilleux. L'œuvre de Church, Niagara (fig. 8), fut grandement acclamée pour l'exercice du rendu détaillé et de l'eau en mouvement. Exposée à Londres, l'Arl

173 Bedell, c2001, p. 49. 174 Bedell, c2001, p. 55. 62 journal écrit à son sujet: «Aucune œuvre de cette catégorie n'a jamais été plus réussie: sans aucun doute, c'est la vérité» 175 (trad.). C'est sans doute ce qui vaut à Church l'admiration de Ruskin qui sera lui aussi impressionné par le tableau. Cette œuvre est également acclamée dans son pays parce qu 'elle revêt un caractère symbolique majeur aux yeux des Américains. En effet, les chutes Niagara sont un symbole national de fierté, la représentation naturelle de l'histoire et de la richesse des paysages américains.

En 1861, Church réalise une œuvre qui laisse transparaître l'influence de Turner, notamment ses œuvres alpines. The Icebergs (fig. 15) étonne par les couleurs vives utilisées dans les reflets des icebergs, par le rendu minutieux ainsi que par «ces coups de pinceaux simples pour capturer couleurs, formes et textures» 176. Pour Church, ces phénomènes naturels, au même titre que les formations géologiques sont chargées d'une symbolique toute religieuse, puisque l'artiste les compare aux cathédrales gothiques, dont la beauté et l'immensité servent à rendre gloire au Créateur.

3.1.3 Thomas Moran (1837-1926) Cet artiste d'origine britannique joue un rôle important dans la promotion et la documentation de l'exploration de l'Ouest, lui-même ayant participé à huit explorations à travers cette région. Ayant reçu une formation d'illustrateur et d~ graveur, Moran est également grandement influencé par l'œuvre de Turner et de Ruskin, notamment par son discours sur la beauté des montagnes, qui le guide dans le choix de «grands sujets dans la nature» 177. Ayant participé à l'expédition de Ferdinand Hayden, en 1871-72, Moran s'exprime en ces termes auprès de son ami:

«But 1 have always held that the Grandest, Most Beautiful, or Wonderful in Nature, would, in capable hands, make the grandest, mast beautiful, or wonderful pictures & the business of a great painter, should be the representation of great scenes in Nature. Ali the characteristics attach to the Yellowstone region & if 1fail ta prove this, 1 fail to prove myself worthy [of] the name of painter. »178

175 John K. Howat, 2005, p. 73. 176 Tim Baringer, 2000, p. 224. 177 William H. Truettner, « Scenes of Majesty and Enduring interest : Thomas Moran Goes West ». The Art Bulletin, Vol. 58, N° 2 (Juin 1976), p. 241. 178 Thomas Maran à Hayden, 11 mars 1~72 , HSC, cité par William H. Truettner, (Juin 1976), p. 243. 63

Son œuvre Grand Canyon of Yellowstone (fig. 16), de 1872, est remarquable par l'observation scientifique des $Iéments topographiques. La grandeur du paysage est relevée par la présence de deux minuscules personnages à l'avant-plan, par les couleurs chaudes et brillantes 179 ainsi que par sa composition qui réfère au sublime. L'oeuvre de Moran fait aussi des allusions très directes à l'œuvre de Turner ce qui lui valut d'ailleurs le titre de « Turner américain» ainsi que l'admiration et l'amitié de Ruskin. Le tableau Fiercely the Red Sun Descending / Burned his Way Along the Heavens (fig. 17), de 1875-76 est fortement inspiré par Slave Ship (Slavers Throwing Overboard the Dead and the Dying Typhon coming soon) (fig. 18). Pour réaliser des oeuvres d'un grand réalisme, Moran s'appuie sur les théories du géologue Charles Lyell, sur les œuvres de J. M. W. Turner et les écrits de Ruskin. Son grand intérêt pour l'évolution géologique est bien présent dans' ses œuvres qui décrivent habilement les structures montagneuses et rocheuses. The Mountain of Holy Cross (fig. 19) s'incsrit dans cette démarche qui vise à dramatiser « the geological forces that have shaped and are shaping the land: the generative work of fire, the erosive force of water, and the sculpting power of ice 180».

3.1.3 Robert S. Duncanson (1817-1872) Lorsqu'en 1861, la famille Edson quitte définitivement le canton de Stanbridge pour s'installer à Montréal, le jeune Allan ne tarde pas à manifester son désir de devenir peintre 181. L'emploi qu'il occupe chez A. J. Pell, un encadreur et marchand d'art montréalais, lui fournit l'occasion de côtoyer des peintres paysagistes: Otto Jacobi, Charles J. Way, John Fraser, James Duncan et Robert S. Duncanson. Ce dernier peut d'ailleurs être considéré comme le premier maître d'Edson, celui qui lui fait connaître l'art du paysage et l'introduit aux théories ruskiniennes.

Robert Scott Duncanson, premier peintre afro-américain, bénéficie d'une .excellente réputation et fait sa place comme peintre de l'Ouest. Il vit la majeure partie de sa vie à Cincinnati, Ohio, un centre important du mouvement abolitionniste, ce qui

179 Selon Wilton, le mauve, le pourpre et l'écarlate rappellent vivement les couleurs des gouaches réalisées par Turner. Wilton, 2001, p. 35. 180 Bedell, c2001, p. 125. 181 Julia H. S. Bugeia et Theodora Cornell Moore, Academy Days ... In Old Missisquoi, Montréal, J. Lovell, 1910, p. 2. 64

182 "'expose moins aux préjugés défavorables attachés aux personnes de couleur . Au cours des années 1840, il entame une carrière d'artiste en daguerréotypie et durant les années cinquante, il s'affiche comme peintre paysagiste 183. Il est probablement autodidacte, puisqu'aucun document ne nous permet d'affirmer avec certitude qu'il ait acquis une forrt:lation artistique. Il n'est pas moins ouvert ,et attentif à la peinture de ses contemporains, dans la mesure où il assimile le travail d'artistes tels que William Sonntag (1820-1900), (1820-1910) et Frederic Church. Il étudie également les reproductions qui paraissent dans les périodiques et est ,parfaitement au courant des écrits d'Asher B. Durand (Letters on Landscape

Painting) et de John Ruskin 184.

En 1863, la guerre civile pousse Duncanson à s'exiler à Montréal, où il est rapidement remarqué grâce à son tableau, Les mangeurs de lotus (1853), inspiré de l'œuvre du Britannique Alfred Tennyson, un des poètes les plus célèbres de l'époque victorienne. En effet, bien qu'il sache apprécier les beautés de la nature, Duncanson puise fréquemment ses sujets dans la littérature romantique. Aussi, plusieurs de ses

œuvres se caractérisent par une « dualité romantique réaliste)} 185, c'est-à-dire qu'il peint des paysages idéalisés. L'œuvre Landscape with sheep (fig. 20) présente des éléments récurrents dans la pratique artistique de Duncanson, soit une utilisation de tons pastel pour les ciels et les montagnes ainsi qu'une douce lumière dorée. Cette lumière, à la fois sereine et poétique, met en valeur les moutons et suppose une conscience du langage luministe.

J. D. Ketner divise l'œuvre de Duncanson en trois périodes distinctes, soit entre 186 les années 1842-1850, 1851-1859 et 1860-1872 . C'est lors de cette dernière période, mais plus particulièrement après 1864 que l'on remarque le vocabulaire ruskinien dans son œuvre. Cela se manifeste par l'abandon des paysages imaginaires, tirés de sources littéraires, au profit de lieux identifiables 187, dont

182 En effet, il bénéficia du support des mécènes abolitionnistes. Joseph D. Ketner, The emergence of the African-American artist : Robert S. Duncanson, 1821-1872, Columbia, University of Missouri Press, 1993, p. 3. 183 Il s'adonna également au portrait, à la peinture de genre, à la nature morte et la décoration murale. 184 Joseph D. Ketner, 1993, p. 5. 185 Joseph D. Ketner, «Robert Duncanson (1821-1872): The Late Literary Landscape paintings», American Art Journal. Vol. 15, nO 1 (hiver 1983), p. 35. 186 Joseph D. Ketner, 1983, p. 42 187 Joseph D. Ketner, 1993, p. 149 65 plusieurs sites canadiens très prisés des paysagistes et des photographes 188. Illimite également l'utilisation des conventions picturales reliées au pittoresque et au paysage idéal. On the St. Annes, East Canada (fig. 21), réalisée entre 1863 et 1865, témoigne d'une observation minutieuse des éléments naturels, comme les éléments géologiques et la végétation, et du regard plus objectif que porte Duncanson sur la nature à partir de cette époque 189. Le réalisme de la représentation est soutenu par le dessin précis et la gamme étendue de couleurs. L'artiste a structuré sa composition grâce aux diagonales, renfonçant ainsi la profondeur de l'image. L'éclairage provient d'une source globale, située quelque peu à gauche et contribue à atténuer les contrastes entre les zones d'ombres et de lumière.

Mais Ruskin n'est pas le seul à avoir eu une incidence sur la pratique de Duncanson. D'une part, il nous faut .reconnaître l'apport de la photographie dans sa démarche, d'autant plus qu'il connaît cette technique et qu'il travaille pour le Studio Notman. Cet énoncé s'applique notamment à l'œuvre Les chutes Montmorency (fig. 22). Joseph D. Ketner identifie la photographie La chute Montmorency près de Québec, QC (fig. 23) comme étant celle que Duncanson a copiée, puisque le réalisme, le point de vue ainsi que le rendu des arbres et des chutes secondaires rappellent la photographie du Studio Notman 190. D'autre part, l'esthétique l'École de Düsseldorf a également une incidence sur sa démarche, puisqu'il entretient des liens avec l'américain William Sonntag ainsi qu'avec les artistes de la communauté allemande installée à Montréal, particulièrement avec Otto Jacobi (1812-1901).

On peut également faire un rapprochement entre Duncanson et Edson. Duncanson arrive en septembre 1863 et il est possible qu'il ait rencontré Edson au 191 cours de cet automne, puisqu'Edson quitte pour l'Angleterre en 1864 . Leurs liens professionnels auraient alors duré quelques mois. Devant l'œuvre Rivière aux Brochets, près de Stanbridge (fig. 24 - 25), réalisée en 1864, les tons pastel du ciel, la composition et la frondaison des arbres nous indiquent tout au moins qu'Edson

188 Québec, la rivière Sainte-Anne, · le lac Saint-Charles, le lac Beauport, les chutes Montmorency, le Mont-Royal, la montagne Owl's Head, etc. 189 Allan Pringle, «Robert S. Duncanson in Montreal, 1863-1865», American Arljournal, vol. 17, n° 4 (automne 1985), p. 35. 190 Joseph D. Ketner, 1993, p. 152. 191 La date exacte de son départ n'est pas connue. 66 connaît l'œuvre de Duncanson et qu'il a absorbé certaines de ses stratégies picturales.

3.1.4 Allan Aaron Edson (1846-1888) Durant les années 1860, non seulement les peintres canadiens n'ont pas de multiples possibilités d'études, l'école des beaux-arts et l'Académie royale n'ayant 192 toujours pas vu le jour , mais ils ne possèdent pas non plus de tradition artistique solide. Il n'est donc -pas surprenant qu'un jeune artiste comme Edson ait voulu parfaire sa formation artistique en Europe, particulièrement en Angleterre. De fait, le nombre d'artistes américains ou de canadiens d'origine anglophone qui choisissent ce pays pour ses idées artistiques atteste qu'à ce moment, l'art britannique répond encore à leurs ambitions. Edson, pour sa part, bénéficie du support financier d'un important banquier et collectionneur d'art de Stanbridge, John Carpenter Baker, qui finance une partie de son voyage. La durée exacte ce premier voyage d'études suscite encore quelques interrogations. Edson quitte le Canada au cours de l'année 1864 et demeure absent du milieu artistique montréalais jusqu'en 1866. Cette année- là, il est présent à une exposition de l'ABAM et un de ses tableaux est remis lors du tirage de la tombola 193. Pour cette raison, Dennis Reid, de même qu'Elizabeth Collard supposent que son séjour à l'étranger dure environ deux ans. Au cours de cette période, il fréquente assidûment deux musées londoniens importants, soit la

National Gallery et le South Kensington Museum 194, où il peut contempler et observer les tableaux des maîtres anciens et modernes. Par conséquent, il est intéressant de s'attarder, en termes généraux, à la pratique artistique en Angleterre durant le passage d'Edson.

En septembre 1860, devant l'absence prolongée des œuvres préraphaélites, un 195 critique de l'Arl Journal tire comme conclusion que le mouvement est dépassé . Il

192 En effet, en 1867, les artistes canadiens tiraient un constat déprimant sur le travail de l'ABAM, « incapable d'atteindre les objectifs fixés », notamment d'offrir une formation adéquate aux artistes en mettant sur pied une école des beaux-arts. Dennis Reid, 1979, p. 101. 193 Elizabeth Collard, « Allan Aaron Edson ». Dictionnaire biographique du Canada, Vol. XI, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1982, p. 325 .. 194 Edson avait obtenu la permission de visiter ces deux musées du lundi au jeudi. Gordon H. Day, 1970, p. 5. 195 « Pre-Raffaellism is out of the field; we do not remember an essentially Pre-Raffaelite work in any of the exhibitions - we hear of it only in whispers ». Septembre 1860, Art Journal, p. 125. cité par Allen A. Staley, « Pre-Raphaelites in the 1860s : "' », The British art journal, vol. 5, n° 3 (automne 2004), p. 11. 67 nous faut cependant considérer que la Confrérie cesse d'exister en 1853 et que depuis, les trois figures majeures - William Holman Hunt, John Evertt Millais et Dante Gabriel Rossetti - manifestent des styles individuels. Cependant, s'il est vrai que ces artistes cherchent à se détacher de l'esprit dissident qui marque leurs débuts, c'est bien · à ce mouvement que l'on doit une partie de la pratique qui caractérise la peinture victorienne des années 1860. Car en dépit de la dissolution du groupe, l'influence préraphaélite se fait encore sentir; la peinture victorienne ayant volontiers embrassé le goût pour le détail.

Toujours durant la même décennie, une deuxième vague préraphaélite est amenée par William Morris (1834-1896), chez qui les idées ruskiniennes sont encore vivantes et présentes. En 1861, il fonde la firme Morris, Marshall, Faulkner and Co. (devenue en 1875 la Morris and Co.), une société de décoration à laquelle se joignent des préraphaélites, notamment Dante Gabriel Rossetti, Edward Burne- Jones et Ford Madox Brown. Ce courant représente une nouvelle conscience artistique qui germe alors dans l'esprit victorien et qui, sous l'influence de Ruskin, « se tourne vers l'artisanat dans l'espoir de fournir un contrepoids à la laideur et à l'absence d'âme de la production industrielle» 196. Depuis longtemps, Ruskin décrie l'industrialisation qui cause l'avilissement de l'art et de l'artisanat, ainsi que la déshumanisation du travail. En ce sens, il admire le Moyen âge pour son organisation sociale et pour sa valorisation du travail manuel et de ses vertus. À l'évidence, ses idées rejoignent encore les intérêts et les préoccupations des artistes de cette époque. Et puisque le cinquième volume de la célèbre série des Modern Painters est achevé en 1860, Ruskin se consacre par la suite à développer ses principes économiques et politiques, à dénoncer le machinisme et le capitalisme. En 1862, son ouvrage Unto the Last choque grandement la classe moyenne par ses critiques agressives à l'égard du laisser-faire économique. Mais malgré le traitement sévère que lui réservèrent ses concitoyens, Ruskin suscite encore un vif intérêt.

Suite à cette mise en contexte, on peut penser qu'Edson prend connaissance de la peinture préraphaélite. Toutefois, nous pensons que la pratique artistique d'Edson, l'élaboration de ses idées formelles et techniques impliquent une

196 William Gaunt, La peinture anglaise. 1260-1960, Paris, Thames & Hudson, 1993, p. 185. ~ ---~- ~~~~~~~~~------,

68 connaissance directe des écrits de Ruskin et ne s'appuient pas sur la manière préraphaélite. Par conséquent, l'influence est plus ruskinienne que préraphaélite.

Cette influence se reflète dans les œuvres d'Edson de 1864 jusqu'aux environs de 1880, ce que nous considérons comme sa première période artistique. Durant cette période, il retourne en Angleterre pour une deuxième fois, en 1877, mais il cherche également son inspiration ailleurs, soit en France. À cette époque, les impressionnistes commencent à être acceptés, alors que l'École de Barbizon atteint une étape tardive. Par contre, c'est sous l'enseignement du paysagiste français, Léon-Germain Pelouse (1838-1891) qu'Edson se tourne définitivement vers les modèles du paysage français. Ainsi, malgré des séjours intermittents en Angleterre au cours des années 1880, Edson devient par la suite lié à la tradition française à partir de cette date.

Lorsqu'Edson arrive à Cernay-la-Ville, au début de 1882, pour y poursuivre sa formation artistique, la réputation de Pelouse est déjà bien établie et il attire un bon nombre d'élèves auprès de lui. Pelouse est reconnu pour ses descriptions complexes et variées de la nature. Dans sa recherche de réalisme, il n'hésite pas à travailler ·sur le motif, directement sur des toiles de grand format. Ses œuvres se « caractérisent1 par une nature très dense, impénétrable, oppressante, dans des compositions où le ciel paraît à peine à travers les entrelacs des branches et l'épaisseur des feuillages» 197, comme dans Un Souvenir de Cernay (fig. 26), de 1872. Cette œuvre témoigne également de la sobriété de la palette et des effets de lumière dans les feuillages, des caractéristiques propres à Pelouse. La variété des textures et des formes, le fouillis de la nature, l'union des plans et l'utilisation d'un éclairage particulier nous font comprendre le paysage comme un tout cohérent. Les recherches plastiques du peintre français vont donc à l'encontre de la description détaillée valorisée par Ruskin.

Edson est grandement marqué par son maître français à la suite de ce séjour qui dure quatre ans 198. Une correspondance peut être établie entre Sentiers dans le bois (fig. 27) réalisée par Edson et Le chemin de Rustéphan (fig. 28), de Pelouse.

197 Philippe et France Schubert, 2001, p. 122. 198 Dennis Reid, 1979, p. 365. 69

Les thèmes de ces deux œuvres sont similaires et l'on remarque des similitudes dans la composition qui s'organise par des plans verticaux. La lumière est fine et la \ palette des peintres est atténuée. Ils utilisent principalement les tons de terre, le vert, le gris et le noir. De plus, ces œuvres se rapprochent par la mélancolie que dégagent ces paysages. Dans Paysage (fig. 29), Edson est attentif à la réalité des choses, mais il aspire surtout à saisir l'essentiel du paysage, l'appréhendant dans son ensemble. En fait, Edson se concentre davantage sur un réalisme subjectif et plus libre, délaissant la description détaillée de chaque motif présent dans la nature. La partie se fond alors dans la totalité. Aussi, malgré des différences, on reconnaît la manière de Pelouse de traiter la lumière, de peindre la végétation ainsi que sa manière de travailler les premiers plans avec une économie de moyens. Edson assimile le traitement de la lumière, la facture et les tonalités feutrées de Pelouse. 199 Même l'atmosphère se rapproche de l'ambiance des œuvres de Pelouse . Edson demeure à Cernay-la-Ville jusqu'en 1885, fait quelques séjours intermittents en Angleterre, puis s'installe à Paris jusqu'en 1886. De retour au Canada, il valorise à nouveau les paysages des Cantons-de-l'Est.

3.2 Les éléments du dessin Si la dimension de formation artistique est importante afin de découvrir les origines de la démarche artistique d'Edson, plus importante encore est l'identification de la contribution des théories ruskiniennes à travers les caractéristiques stylistiques et techniques.

3.2.1 Les thèmes et procédés de représentation Nous l'avons vu, l'authenticité, telle qu'expliquée par Ruskin, insiste sur les faits naturels, puisqu'ils reflètent le caractère divin de la nature. En cela, l'expérience des qualités morales et spirituelles de la nature a lieu à travers des paysages peints en plein air. De son côté, Edson manifeste une franche prédilection pour la peinture de paysage tout au long de sa carrière. Toutefois, ce n'est qu'entre 1864 et 1880 qu'il observe les rivières, les montagnes, !es sous-bois et les ciels avec une conscience qui prouve une approche ruskinienne. Nous croyons par ailleurs que les thèmes explorés au cours de cette période peuvent refléter un souci d'authenticité de la part

199 La toile Paysage est également un des rares exemples à adopter les grands formats, très appréciés par Pelouse, l'œuvre mesurant 183.3 X 114.8 centimètres. 70 de l'artiste. Dans Elements of Drawing, Ruskin n'hésite pas à dévoiler à ses lecteurs les sujets qu'il évalue comme authentiques:

« ln general, ail banks are beautiful things, and will regard work better than larger landscapes. If you live in a lowland country, you must look for places where the ground is broken to the river's edges, with dècayed posts, or roots of trees; or, if by great good luck there should be such things within your reach, for remnants of stone quays or steps, mossy mill-dams, etc. [ ... ] ln woods, one or two trunks, with the flowery ground below, are at once the richest and easiest kind of study »200.

Ainsi, à travers les œuvres qui couvrent cette période et que nous avons pu répertorier pour la présente étude, nous avons noté trois thèmes majeurs: les cours d'eau et les montagnes, les jeux d'eau ainsi que les scènes sylvestres et sous-bois. De plus, à ces trois thèmes s'ajoutent également les sous-thèmes des saisons, des scènes quotidiennes et des scènes animalières.

Les œuvres du prem,ier groupe (fig. 30 à 50) unissent trois motifs porteurs de la notion d'authenticité: l'eau, les montagnes et le ciel. En général, une voie d'eau - une rivière, un lac, un ruisseau, etc. - figure au premier plan et le point de vue est situé au niveau du rivage ou du sol. The Great Bluff on the Thompson River, B. C (fig. 30) nous offre toutefois un point de vue différent. L'utilisation de diagonales contribue à focaliser l'attention vers le deuxième plan qui met en scène les montagnes. À l'arrière-plan, les ciels déclinent de multiples variations. Pour rendre adéquatement l'âme de ces paysages, Edson a choisi des vues panoramiques, dans lesquelles il ajoute une présence humaine ou animale qui se fond dans le paysage, en harmonie avec la nature. Par contre, avec l'œuvre Un après-midi tranquille (fig. 39) l'artiste a plutôt opté pour un format vertical. Les arbres qui encadrent cette représentation de part et d'autre contribuent alors à ouvrir l'image vers le ciel. Mais quel que soit le format, le contraste entre les personnages ou les animaux et l'ampleur du paysage - largement dominant dans la composition - est toujours s~isissant. Ainsi, un groupe de personnages conduit un canot ou rejoint la rive alors qu'ailleurs, des troupeaux paissent en liberté le long de la berge. En revanche, d'autres paysages évoquent plutôt l'activité humaine par des éléments artificiels comme des embarcations ou des maisons.

200 John Ruskin, Elements of Drawing, p. 85. 71

Les exemples qui constituent le groupe des jeux d'eau (fig. 51 à 61) accordent une place importante aux chutes d'eau, cascades et cataractes. Elles traduisent le mouvement, l'agitation de l'eau, mais permettent également d'enregistrer la géologie et la topographie des paysages. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que le choix du point de vue, qu'il soit frontal ou surélevé, permet d'exploiter au maximum l'apparence, la texture et la variété des éléments naturels: la force, la progression et la qualité transparente de l'eau, les masses rocheuses et la végétation. Edson insiste davantage sur ces éléments, puisque l'horizon très haut est dans certains cas, presque exclu de la représentation. Du coup, la présence humaine est moins valorisée. Si elle est présente, comme dans Bit of Glen Sutton (fig. 51) et Paysage (fig. 59), elle aide à établir l'échelle du tableau, mais demeure submergée par le paysage.

Du côté du troisième groupe, les scènes sylvestres et sous-bois (fig. 62 à 79), la terre et la végétation constituent les éléments principaux dans lesquels, le motif de l'arbre est parfois prétexte à des interprétations de la lumière. Edson y enregistre chaque détail: le feuillage vert et luxuriant, la mousse sur les troncs des arbres, les fougères au sol, les couleurs de l'automne, etc. L'artiste adopte un point de vue intimiste et présente des figures humaines, parfois des enfants, ainsi que des animaux qui s'insèrent dans une nature paisible, sans la troubler. Enfin, en s'approchant de près du tableau, un point d'eau apparaît parfois dans un des coins inférieurs de la composition. Les contours indéfinis brouillent la distinction entre les éléments, tout en mettant en évidence l'interaction des couleurs entre elles.

Si le principe de variété est important aux yeux de Ruskin, Edson a tout de même recours à des motifs récurrents et il peint parfois à partir d'un schéma de départ toujours identique avec plus ou moins de variantes. Dans les œuvres du premier groupe, les compositions se caractérisent par ·Ieurs plans horizontaux et le mouvement dynamique obtenu par les masses triangulaires des montagnes. Le point de vue est toujours situé sur la rive, aucune œuvre répertoriée ne témoigne d'un point de vue élevé. Les montagnes à l'arrière-plan contribuent à arrêter la progression du regard vers l'arrière-plan. En fait, ces œuvres semblent plus préoccupées par la tranquillité et le silence de la nature. Et lorsqu'il introduit des 72 figures humaines, celles-ci sont à peine perceptibles, bien que parfaitement engagées dans la nature.

Les thèmes, quant à eux, sont issus de la synthèse des écrits de Ruskin. En effet, en parcourant ses œuvres, il appert que ces thèmes permettent l'expression des idées ruskiniennes d'observation, d'inventaire, de précision et de diversité qui composent l'authenticité: il exprime la topographie, la géologie, les phénomènes météorologiques et la végétation. Or, dans le premier volume des Modern Painters, Ruskin attire l'attention des artistes sur l'essence authentique du paysage qui se manifeste à travers la qualité et la variété des ciels, des formations nuageuses, des masses rocheuses, des montagnes, de l'eau et des végétaux, un principe auquel semble adhérer Edson.

Par ailleurs, comme bien des artistes de son temps, Edson trouve son inspiration dans de nombreux voyages qui le conduise~t en Europe bien sûr (en Angleterre et en France), aux États-Unis, sa -proximité lui permettant de visiter le Vermont et le New Hampshire201 et enfin, différentes régions du Canada. Des paysages canadiens, indissociables de l'œuvre d'Edson, dont plusieurs sont présents dans les collections publiques canadiennes. De ces œuvres, une grande majorité appartient à la première période inhérente à l'esprit ruskinien.

Au cours de ces déplacements, Edson parcourt le Nouveau-Brunswick, comme en témoignent plusieurs œuvres, dont Sugarloaf Mo un tain , La Restigouche, et Le matin sur la Restigouche (fig. 38, 41 et 42), tout comme l'Ontario et le Québec. D'autres titres évoquent quant à eux, les régions de l'Ouest canadien et américain (Yellowstone Park, Falls at Yellowstone, etc.), bien qu'il n'existe aucune preuve 202 factuelle de la présence de l'artiste dans cette région . Par conséquent, l'illustration The Great Bluff on the Thompson River (fig. 30), parue dans le Canadian IIlustrated News de 1872, fait plutôt preuve de l'utilisation d'une photographie comme image de

201 Elizabeth Collard spécifie: « Like many Townshipers, he had American connections - his parents were actually born in the United Sates », Elizabeth Collard, « Eastern Townships Artist: Allan Edson », Canadian Collector, vol. 5, n° 1 Uanvier 1970), p. 15. . 202 Gordon H. Day, 1978, p. 22. En outre, ces oeuvres ne sont pas parvenues jusqu'à nous et ne sont pas présentes dans les collections publiques. 73

203 référence . Bien sûr, ces territoires éloignés et étrangers fascinent grandement les artistes et le public qui . apprécient leur valeur géographique, historique et surtout, exotique. Avec les diversès explorations et le développement des transports, certains artistes sont appelés à les parcourir afin d'alimenter l'engouement pour ces paysages. Par contre, Edson ne compte pas parmi les artistes sollicités et l'intérêt qu'il manifeste pour ces régions ne nous permet pas d'affirmer qu'il ait traversé le Canada pour y peindre. Enfin, de toutes les régions qu'Edson a peintes, aucune n'égala l'affection qu'il a' pour la région des Cantons-de-l'Est, région qu'il fréquente tout au long de sa vie.

3.2.2 Moyens et enjeux plastiques Edson maîtrisait la peinture à l'huile aussi bien que l'aquarelle, mais c'est 204 surtout pour cette dernière qu'il est admiré de ses contemporains . La pratique de ces deux techniques marque essentiellement sa démarche. Il nous faut souligner l'existence d'une gravure, The Great Bluff on the Thompson River (fig. 30), réalisée par Edson et publiée dans le Canadian IIlustrated News, en 1870. Par contre, il semble qu'il s'agisse d'un cas isolé et unique, puisque les reproductions publiées par la suite dans les périodiques canadiens sont réalisées « sans la collaboration directe d'Edson. Rien ne nous permet de croire qu'il revint à la gravure» 205.

Au XVIIIe et au XIXe siècle, nous avons vu qu'en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord, l'aquarelle prend une importance nouvelle et contribue à rehausser le sens de réalisme de l'art du paysage. Ruskin apprécie notamment son -caractère graphique qui permet à l'artiste d'étudier de près la nature et d'en accentuer ses caractéristiques avec une grande finesse. Mais bien que Ruskin favorise l'usage de l'aquarelle, chez Edson c'est plutôt l'usage des deux techniques qui renvoie aux caractéristiques considérées comme intimement liées à la notion d'authenticité. Tant la maîtrise de l'aquarelle que celle de la matière picturale sont des composantes déterminantes dans la recherche de l'authenticité. Dans Elements of Drawing, Ruskin se préoccupe entre autres du traitement pictural, du mélange des couleurs et du rôle de la touche.

203 Dennis Reid , 1979, p. 124. 204 Elizabeth Collard, 1982, p. 326. 205 Dennis Reid, 1979, p. 124. 74

Remarquons tout d'abord que les œuvres d'Edson qui précèdent la période française montrent un souci de précision qui est rendu par la qualité descriptive du travail pictural, basées sur une techniqüe souvent linéaire. Aussi, est-il possible de distinguer nettement tous les éléments de la composition, même ceux situés dans les zones d'ombres. Par ailleurs, à ce travail linéaire s'ajoute également le traitement de la couleur, un élément qui, en plus de la lumière, contribue à définir l'œuvre d'Edson. Rappelons que l'étude de la nature, «des peintres modernes» (dont Turner) et des maîtres italiens amène Ruskin à se pencher sur le problème de la couleu,-2°6. Selon lui, nous ne percevons pas la troisième dimension, mais plutôt des mélanges de couleurs, des taches de couleurs plates. L'artiste doit donc se libérer de toute son expérience antérieure et peindre tel un aveugle qui recouvre la vue. S~ivre cette théorie ne manque pas de susciter une certaine confusion. Pourtant, à la lumière de celle-ci, Ruskin propose de nouvelles solutions techniques qui sont adoptées par Edson.

Ainsi, un des traits caractéristiques de la méthode de Ruskin pour le rendu des couleurs locales est l'utilisation conjointe de l'aquarelle et de la gouache. La qualité translucide de l'aquarelle est certes essentielle pour peindre certains éléments de la nature, mais il recommande néanmoins de ne pas en abuser et d'éviter de délayer les pigments dans l'eau et d'utiliser un minimum d'eau. 1\ convient, précise-t-il, d'ajouter de la gouache ou du blanc de Chine afin d'obtenir des couleurs opaques et saturées qui conviennent mieux au rendu des formes et des textures. Aussi, la gouache se distingue par sa consistance épaisse qui rend les couleurs opaques. Puisqu'elle est plus onctueuse, elle sèche également moins rapidement, ce qui permet à l'artiste de travailler plus aisément en plein air. Une fois séchées, les couleurs peuvent être superposées, créant ainsi un effet de transparence: les couleurs posées en première couche son visibles à travers celles qui les recouvrent. Par conséquent, les couleurs sont plus éclatantes, plus variées et rehaussent la lumière.

Les œuvres Habitants traversant le Saint-Laurent pour se rendre au marché (fig. 31), Chutes géantes (fig. 53), Scènes dans les Cantons-de-/'Est (fig. 64),

206 Le problème de la couleur chez Ruskin est traité au point 1.3.3 du premier chapitre. 75 rejoignent les leçons de Ruskin en associant aquarelle et gouache. Dans Chutes géantes, «l'artiste fait un bon usage de la gouache »207. Les couleurs y sont vibrantes, les variations de tonalité subtiles et la palette variée. Précisons également qu'Edson utilise des couleurs à base d'aniline et de bitume, de nouveaux pigments 208 qui rendent les couleurs plus intenses et variées .

Bien que le temps ait provoqué un certain affaiblissement des couleurs, l'œuvre Rivière Ma tapé dia (fig. 46) montre une appositio~ de couleurs fines et brillantes, les différents tons de vert, par exemple, permettant à l'artiste de traduire la variété de la végétation. Toutefois, l'utilisation très limitée du noir contribue à rendre les couleurs plus profondes et plus riches. Ruskin conseille plutôt de rompre les couleurs, en les mélangeant avec une teinte plus foncée, pour ainsi éviter l'ajout de noir et de gris, des couleurs qui dénaturent le paysage. L'utilisation du noir, bien que moins fréquente (elle le sera davantage dans les œuvres françaises), apparaît néanmoins dans des œuvres telles que Preparing the Camp Site at Sunset (fig. 40) ou Chi/dren Fishing at a quiet Pool (fig: 47).

L'authenticité des couleurs est également obtenue par un traitement moins spécifique de l'aquarelle, soit par la surcharge de la matière. En effet, Ruskin préfère l'aquarelle solide qui permet la juxtaposition de couches épaisses de pigments. Les aquarelles conservées au Musée McCord d'histoire naturelle, Fôrets et moutons (fig. 70), Une forêt à l'automne 1 (fig. 71) et Une forêt à l'automne 1/ (fig. 72), sont les meilleurs exemples d'un tel emploi des couleurs, appliquées en couches épaisses. L'attention qu'il porte à la couleur concourt à traduire une multitude de formes et de textures. \ Des effets singuliers sont créés par une touche minutieuse, qui laisse transparaître des coups de pinceaux fins. Dennis Reid affirme « ici, nul besoin de souci de fidélité à un paysage réel: ces œuvres se ressemblent toutes )}209, la perception des caractéristiques du paysage se· fait néanmoins grâce à la variété de la touche.

207 Dennis Reid, p. 175. 208 Gordon H. Day, 1978, p. 27. 209 D. Reid, 1979, p. 176 76

De même, Jeune fille dans un sous-bois (fig. 65), traite une matière peu diluée à la pointe du pinceau que réclame « l'innocence du regard}}. Paysage, saules et moutons (fig. ·62), une peinture à l'huile, évoque également cette touche faite de petits coups de brosse. La variété de touches équivaut alors à une variété de formes et de textures présentes dans la nature. Par contre, cette recherche plastique n'est pas toujours présente, puisqu'Edson aime également appliquer la couleur par des 21o traits larges et légers . Enfin, le rendu très détaillé des différents motifs de la nature, particulièrement dans le traitement de la végétation nous permet de constater l'utilisation de pinceaux très fins ou effilés, ce qui correspond à la délicatesse d'exécution, visible sur la surface picturale.

Précisons également que les tableaux de la période à l'étude ont des dimensions modestes, parfois petites. La dimension de ses tableaux permet de réaliser des compositions plus intimistes qui incitent davantage à la contemplation . rapprochée, ce qui est plus près des peintres américains de tendance luministe ou des préraphaélites.

3.3 Les sermons de la nature 3.3.1 Les ciels: observation et imagination Depuis longtemps en peinture, les ciels - particulièrement les nuages - sont souvent associés au sacré et au spirituel. Au XIXe siècle, ils intéressaient les artistes tout autant que les météorologues et sont donc propices à la rencontre de l'art et de la science. John Ruskin est parmi ces auteurs dont les écrits montrent un intérêt premier pour les ciels. C'est de là que vient la lumière et ils contribuent à l'ambiance du tableau. Et puisque la faiblesse de nombreux peintres est leur incapacité à traduire adéquatement les nuages, Ruskin exige qu'ils recherchent leurs modèles dans la nature. Dans Modern Painters l, il affirme donc l'importance des nuages, car leur passage, bien que sobre et tranquille, enseigne les leçons de la dévotion et 211 appelle la bénédiction divine par sa beauté . La particularité des nuages, écrit-il ailleurs, c'est qu'ils sont à l'abri de l'intervention humaine et qu'ils sont toujours

2 10 D. Reid, 1979, p. 125. 211 John Ruskin, Modern Painters 1, p. 183. 77

212 magnifiquement agencés . Par ailleurs, les ciels subissent de constantes variations. Par conséquent, reconstituer leurs effets requiert beaucoup d'observation et de précision, étant donné que cela dépend des connaissances et de la compréhension de la nature. Effectivement, selon Ruskin, on ne peut peindre les nuages sans savoir identifier les principaux caractères et même, les connaître en détail. C'est pourquoi il en vint à énoncer une classification des nuages, afin de diriger le choix des artistes, rendre les compositions plus riches, mais surtout moins académiques. Car, à travers les ciels, l'artiste exprime non seulement la qualité des objets matériels, mais aussi ses émotions, ses impressions et ses idées sur les phénomènes naturels.

Le système de désignation expliqué par Ruskin se base sur les formes 13 communes des nuages et sur l'altitude à laquelle ils se formenf . Il y a trois régions: les cirrus se forment dans la région haute, les cumulus dans la région centrale et les stratus dans la région basse. Parmi ces trois régions, le choix des stratus ou les nuages de pluie (rain-cloud) sont au cœur de la théorie de l'authenticité, certainement parce qu'ils enflamment davantage l'imagination que tout autre nuage. De fait, ils s'imposent à la vue et créent également d'intéressantes difficultés pour l'artiste, tandis que la région centrale est beaucoup trop simple, trop banale et que la région haute dissout les formes. Ainsi, « [ ... ] through the rain-cloud, and its accessory phenomena, ail that is beautiful is manifest, and ail that is hurtful is concealed. [ .. .]. Nature herself uses it constantly, as one of her chief means of most perfect effect ; not in one country, nor another, but everywhere - everywhere at least, where there is anything worth calling landscape »214. Et pourtant, cette assertion ne sera pas partagée par les paysagistes américains. Selon Barbara Novak, il existe un lien indissociable entre les artistes américains et l'iconographie du ciel, pour laquelle ils avaient une affection toute particulière. Par contre, règle générale, ces artistes ont ignoré les préceptes de Ruskin concernant la représentation des nuages215 et leur 216 attention vaplutôt vers les nuages de la région centrale .

2 12 John Ruskin, Elements of Drawing, p. 102. 2 13 En fait, Ruskin reprend la classification proposée par le météorologue britannique Luke Howard, en 1803. De nos jours, toutes les classifications sont basées sur ce système. 214 John Ruskin, Modern Painters l, p. 232. 215 -II nous cependant préciser que la référence visuelle de Ruskin sont les paysages européens, particulièrement les paysages anglais. Bien qu'il voyageât constamment au cours de sa vie, il ne visita 78

Chez les peintres canadiens, l'intérêt pour les ciels ne semble pas aussi manifeste. Par conséquent, à quelle pratique peut-on alors associer les motifs présents dans les œuvres d'Edson ? Pour répondre à cette interrogation, il nous faut étudier principalement les œuvres des cours d'eau et de montagnes. Les deux autres groupes sont loin d'aborder les ciels de la même façon, les jeux d'eau proposent des ciels bleus, dépourvus de nuages et les scènes sylvestres et sous- bois évacuent presque complètent ce motif. Dans le premier groupe donc, le ciel joue un rôle important et contribue à l'harmonie du tableau. Si certains peintres 217 américains n'hésitent pas à peindre invariablement les mêmes nuages , Edson préfère capter leurs différentes formes et couleurs et recourt souvent aux nuages de la région basse, tels que proposés par Ruskin. Par exemple, dans Avant la tempête, lac Memphrémagog (fig. 32), Étude pour averse et percée de soleil (fig. 33), Le temps est à /'orage, lac Memphrémagog (fig. 43) les ciels sont composés de nimbostratus, une nappe nuageuse de basse altitude reconnaissable par sa couleur grise et son aspect échevelé. " est également possible d'apercevoir des stratocumulus - à base plate - dans les œuvres Habitants traversant le Saint- Laurent pour se rendre au marché (fig. 31) et Étude pour averse et percée de soleil. Ailleurs, dans Children Fishing at a quiet Pool (fig. 47) ou Le mont Orford le matin (fig. 34), le ciel est formé de stratus de montagnes ou de nappes de brouillard (stratus bas), qui se forment généralement la nuit et se dissipent lentement au matin.

En revanche, il arrive également qu'il peigne des ciels où plusieurs structures nuageuses se côtoient. Ailleurs, on aperçoit des cirrus dans Bûcherons sur la rivière Saint-Maurice (fig. 50) et parfois des cumulus, comme l'attestent les œuvres Preparing the Camp Site at Sunset (fig. 40), Lac Massawippi (fig. 44) et Rivière Matapédia (fig. 46). Le tableau Lac Massawippi est tout de même représentatif de l'idée qu'avait Ruskin des ciels et des cirrus:

« If you watch for the next sunset when they are considerable number of .. . cirri in the sky, you will see ... that the sky does not remain of the same color for two inches together; one cloud has

jamais l'Amérique. En conséquence, certaines de ses conceptions ne convenaient pas toujours à la représentation des paysages nord-américains. 216 Barbara Novak, 1995, p. 97. 217 Par exemple, Martin J. Heade avait une préférence marquée pour le cumulus lenticularis et en fit presque une signature. Barbara Novak, 1995, p. 98. 79

a dark side of cold blue, and a fringe of milky white; another, above it, has a dark side of purple and an edge of red ... 218 ».

Quoique seule une partie de l'œuvre d'Edson nous soit parvenue, il semble néanmoins que le travail du motif des nuages soit souvent orienté vers une même fin: le rendu convaincant des détails et une bonne perception des formes et des couleurs. En effet, bien que certains tableaux présentent des ciels flous, Sans Titre - Paysage avec vaches (fig. 49), Un après-midi tranquille (fig. 39), par exemple, en général, les principaux caractères des nuages sont discernables et il nous est possible de les identifier. De toute évidence, Edson s'est inspiré du vocabulaire ruskinien, qui encourage fortement la variété. Il ne se limite pas qu'à peindre des nuages de pluie. À travers ses ciels et ses nuages, leurs formes et les couleurs, il réussit à animer ses tableaux en offrant un catalogue en perpétuelle évolution. Enfin, il témoigne également de la formation des nuages, poussés, formés et déformés par le vent et autres forces atmosphériques. Par exemple, dans l'œuvre Le temps est à l'orage, lac Memphrémagog (fig. 43), des nuages denses et sombres, d'un bleu profond, s'amoncellent à gauche. Des taches de gris ajoutées recréent le mouvement des nuages roulant vers la droite, devant de plus en plu's clairs et laissant apercevoir un peu de ciel clair à droite. Il parvient ainsi à rendre l'effet des forces naturelles.

3.3.2 Études topographiques et géologiques Selon Ruskin, les bases de l'authenticité sont directement liées à la vérité de· la Terre (Truth of Earth), c'est-à-dire à l'étude de l'aspect, du caractère géologique et du processus physique de la Terre. Ce fondement est à mettre au compte de l'intérêt de Ruskin pour la géologie et de sa volonté d'introduire la science dans l'art du paysage. Ainsi portés par des connaissances scientifiques, les écrits de Ruskin soutenaient que les roches procurent des informations scientifiques qui font le lien avec un système géologique plus vaste et finalement, avec Dieu. En effet, Ruskin concevait les roches comme des montagnes miniatures et les montagnes, comme le lien existant entre la terre et le paradis. Très sensible à l'essence des montagnes, il les considérait comme les os, la structure même du paysage. Pleines d'expression, de passion et d'énergie, expliquait-il, elles communiquent l'énergie et l'esprit interne de la terre. Leur pouvoir sur l'imagination de l'artiste, et de l'homme en général, est

218 John Ruskin, Modern Painters l, p. 221. 80

donc considérable. Dans cette perspective, la juste représentation de l'aspect, des strates et des surfaces érodées des roches prend toute son importance. Et puisque celles-ci éclairent notre compréhension des paysages montagneux, les peindre exige une grande habileté, de la précision et une pratique cons~ante du.dessin.

Les œuvres du premier et du deuxième groupe de représentation témoignent de l'intérêt d'Edson pour la géologie. Ses œuvres nous permettent d'affirmer qu'Edson connaît ces éléments du vocabulaire ruskinien, mais que tout comme les artistes américains, il en fait une interprétation personnelle, l'adapte à son style et aux lieux de ses représentations. Par exemple, il ne fait pas grand cas de la classification des montagnes très élaborée et technique proposée par Ruskin dans le quatrième 219 volume des Modern Painters . Les paysages d'Edson reflètent cependant une conscience de l'évolution géologique et adoptent la classification des roches selon Ruskin. La profusion des détails géologiques présents dans certaines œuvres tend à exposer le caractère du paysage ou de la région, en exposant la structure géologique et l'histoire naturelle de ceux-ci. Pour parvenir à un tel résultat Ruskin établi trois classes de roches: les cristallines, les compactes et les diluviums (ou sédimentaires ).

Les roches compactes et les diluviums sont surtout présents sur les bords des cours d'eau et on les retrouve dans plusieurs tableaux d'Edson. Pour réaliser les œuvres Rivière Matapédia (fig. 46) ou Sans Titre - Paysage avec vaches (fig. 49) déploie ses connaissances géologiques dans la description graphique des roches en avant-plan. Dans Le temps est à l'orage, lac Memphrémagog (fig. 43), l'artiste a soigneusement détaillé chaque galet, chaque roche, définissant même la mousse verte qui y pousse. En général, l'artiste ne néglige pas l'avant-plan de ses tableaux, sans doute sous l'influence de Ruskin qui croit que l'avant-plan établit une relation 22o scientifique avec les autres parties de la composition . De fait, cet agencement pousse le spectateur à examiner les roches une par une; à associer le spécifique au général, le petit au grand; à comprendre la totalité comme faisant partie d'un

219 Une analyse de cette classification nous entraînerait trop loin. Il nous faut cependant souligner l'importance du sujet pour l'auteur qui consacre à la géologie une place considérable dans le . quatrième volume de la série. 220 Virginia L. Wagner, « John Ruskin and the Artistical Geology in America», Winterthur Portfolio, vol. 23, nO 2-3 (été 1988), p. 164. 81

« système plus grand et éventuellement, de Dieu »221. L'artiste va donc au-delà de l'effet physiologique et fournit des informations scientifiques.

L'œuvre Paysage avec cascade (fig. 52) participe à ces mêmes recherches d'authenticité. L'angle de vue inusité met en valeur les formations rocheuses dont les flancs sont érodés et brisés par l'exposition aux éléments. Elles témoignent d'un paysage en constante évolution. A bit of Glen Sutton (fig. 51) place le point de vue frontal et en contre-plongée. L'amoncellement de roches est frappé par des rayons de lumière filtrés par le feuillage luxuriant situé à gauche. Cette lumière situe l'intérêt visuel du tableau dans la partie supérieure droite de la composition. Les points de lumière rendent les couleurs plus vives et les détails des rochers contrastent alors avec les zones demeurées dans l'ombre, dans la partie inférieure du tableau. Bien que ces contreparties ne soient pas exposées à la lumière, les roches sont traitées séparément les unes des autres, étudiées de manière fouillée et soignée. Le regard se déplace par la suite vers les différentes masses d'eau qui descendent le long de la pente. Ces torrents continuent le travail d'érosion qui progresse dans le paysage, un autre rappel de la progression des processus naturels.

3.3.3 L'eau: reflets et mouvement Dans Modern Painters 1, Ruskin soutient que l'eau est la plus merveilleuse de toutes les substances organiques. Si elle suggère l'instabilité et le mouvement essentiel de la nature - tout comme le ciel - l'eau possède en plus la qualité unique de réflexion, qualité qui deviendra un élément de fascination pour Ruskin. De fait, elle consent des effets très riches sur le plan de la couleur, de la lumière, des formes et des textures. À travers sa variété, sa complexité et sa beauté, qui lui permettent de refléter les objets matériels, elle exprime également la vie et les sentiments: « it's like trying to paint a soul »222. C'est donc dire que l'eau permet de transposer l'interaction entre le physique et la métaphysique, le matériel et l'immatériel.

L'eau constitue un élément récurrent de l'œuvre d'Edson. Sauf dans de rares cas comme dans Le mont Orford le matin (fig. 34), chez Edson, les motifs ne sont pas renvoyés selon un effet miroir, comme c'est le cas par exemple chez les

221 Virginia L. Wagner, 1988, p. 161. 222 John· Ruskin, Modern Pa in te rs, vol. l, p. 323. 82 paysagistes américains. Ici, l'eau n'est qu'une grande masse lisse et silencieuse, dont l'étendue n'est troublée que par un canard - presque imperceptible - à gauche du tableau. Cette masse translucide unifie l'ensemble en réfléchissant les montagnes.

Néanmoins, Ruskin n'accordait pas cette propriété à l'eau, puisqu'elle ne peut réfléchir les objets d'une manière aussi parfaite. Elle est en fait dépendante de l'angle d'entrée des rayons de lumière. Dans ses oeuvres, en général, les reflets des montagnes possèdent des contours irréguliers, leurs couleurs sont estompées, les tons assombris. Dans Lac Massawippi (fig. 44), l'eau réverbère la lumière du ciel, tout en laissant voir la profondeur du lac, le tronc d'arbre qui se trouve à droite établit le fond. L'eau devient alors prétexte à dépeindre une multitude formes et de textures.

L'eau dormante est un choix facile, selon Ruskin, tandis que rendre le relief et l'agitation de l'eau en mouvement relève véritablement du talent du peintre. Ces paysages transmettent davantage la perception du temps, de la vitesse, du désordre et du dynamisme propre au monde sensible dans lequel les hommes évoluent, tout en renvoyant à la structure essentielle de la nature. Dans la plupart des œuvres des jeux d'eau, les figures humaines ou leur évocation sont reléguées àu deuxième rang, afin de mettre toute l'emphase sur le pouvoir destructeur de l'eau contre les silhouettes des rochers. L'angle de vue souligne la progression de l'eau et ,l'œil du spectateur va du haut jusqu'en bas, pour suivre le flot constant de l'eau, comme dans Chutes géantes (fig. 53), Falls of the River Clyde. Head of Lake Memphremagog, P.Q. (fig. 57). Avec l'œuvre Paysage avec cascade (fig. 52) évoque les effets irréguliers de la lumière sur l'eau en mouvement.

3.3.4 La végétation Le rendu réaliste de la végétation est une préoccupation majeure pour Ruskin qui insiste pour que les artistes s'attardent sur les individualités, les spécificités des arbres et des plantes, ainsi que sur la variété, puisque c'est à travers ces qualités 223 que l'excellence du travail de Dieu émerge . Aussi, Ruskin recommande-t-il de rien rejeter, ne rien sélectionner. La même intention anime sans doute Edson, dont les

223 John Ruskin, Modern Painters l, p. 384. 83

œuvres présentent un rendu précis des formes et des textures de la végétation qui habite ses paysages. Dans Lac Massawippi (fig. 44), la frondaison des arbres, le rendu des fougères à l'avant-plan montrent un souci de précision. Le tronc des épinettes à gauche, 'se dégage nettement des branches qu'il génère et les ramifications sont clairement représentées. L'inclinaison de l'arbre à gauche de la composition, tout comme le tronc d'arbre à droite, suggèrent la force dynamique et continuelle de la nature. En ce sens, le tableau Le mont Orford le matin (fig. 34) est très évocateur. Chaque pinceau équivaut à un brin d'herbe, chaque brindille présente sur les parois du rocher est définie, les racines des arbres sont exposées du sol. Les reflets de lumière font briller les couleurs de la végétation de 'la rive éloignée du lac ainsi que sur les roches et les troncs pourrissants de la rive rapprochée. Ils contribuent à la vraisemblance et à l'harmonie du tableau. Devant ce tableau, un commentateur n'hésita pas à souligner « le don d'observation et la puissance d'exécution de l'artiste »224, confirmant ainsi son statut de peintre rigoureux. Ainsi, le réalisme parachevé par l'observation et la description détaillée des éléments naturels confirme une compréhension de l'authenticité: « [ ... ] naissance, croissance, mort se succèdent, et assurent la continuité du changement. C'est là un exemple classique de la métaphysique que sous-tend l'expression consacrée de l'époque « fidélité à la nature 225}).

Ailleurs, -tout comme chez les préraphaélites - mais dans une moindre mesure - cette profusion du détail repousse la profondeur spatiale et crée une certaine planéité de la composition, ce qui est visible dans les œuvres Une forêt à l'automne 1 et Une forêt à l'automne" (fig. 71 et 72). Cet agencement n'est toutefois pas garant d'authenticité ruskinienne, comme en témoigne Two Hunters in the Forest (fig. 79), sans doute une œuvre plus tardive.

3.4 Lumière et atmosphères À travers sa recherche d'authenticité, Edson s'est toujours efforcé d'étudier attentivement le monde visible, ce qui lui fait atteindre une grande précision de la matière, de la forme et de la couleur. Pourtant, pour bien des commentateurs et historiens, ces tableaux sont remarquables en raison d'une harmonie entre les

224 The Gazette, 6 mars 1871 cité par Dennis Reid, 1979, p. 122. 225 Dennis Reid, 1979, p. 123. 84 qualités plastiques, le rendu de la lumière et les effets atmosphériques. De façon générale, les historiens associent ce traitement de la lumière au paysage américain ou encore, à l'utilisation de la photographie. Par conséquent, est-il possible. que les œuvres du peintre canadien puissent aussi révéler la conception ruskinienne de la lumière? Pour répondre à cette interrogation, il nous faut étudier les divergences conceptuelles de la lumière qui séparent Ruskin des peintres américains pour ensuite, évaluer leurs implications.

3.4.1 La lumière ruskinienne et la clarté scientifique Si Ruskin croit que la lumière reflète la présence de Dieu, il apprécie avant tout son essence qui permet d'affirmer la beauté spécifique, distincte et parfaite des objets naturels. En effet, puisque le but de l'artiste est de saisir fidèl·ement tous les détails du monde naturel - afin de rendre compte de la Création divine - la lumière rend possibles la transcription de chaque qualité, chaque partie de la forme ainsi que la distance relative entre chaque objet. L'artiste doit donc parvenir à une unité entre la ligne, la lumière et les ombres; harmonie qui atteste de la présence divine. Cela se remarque surtout par l'utilisation d'une lumière blanche et claire, proche de la lumière diffusée par le soleil au moment où il est à son zénith. Cet éclairage intensif suscite alors des ombres aux contours nets (sharp-edge). Toutefois, devant un paysage sombre par exemple lorsqu'obscurci par une couverture nuageuse, l'artiste doit tout de même rendre avec délicatesse les détails de la nature.

L'œuvre Chutes géantes (fig. 53) résume très bien cette manière d'appréhender la lumière. Par de faibles variations de la lumière, Edson réussit à capter des couleurs pures et saturées, sans aucun contraste violent. Ailleurs, comme dans Paysage avec cascade (fig. 52), la lumière contribue à illuminer et à clarifier les formes, tout en créant d'intéressants jeux de lumière avec l'eau. De même, Paysage, saules et moutons (fig. 69) témoigne de l'utilisation d'une lumière brillante qui, bien que filtrée par le feuillage des arbres, éclaire toutes les surfaces visibles. Par contre, à l'évidence, Edson ne manifeste pas de préférence nette pour les lumières de milieu de journée. Il lui arrive effectivement de peindre des crépuscules, comme dans Lac Massawapi (fig. 44), des effets atmosphériques ou encore des ciels dramatiques, couverts de nuages menaçants. 85

3.4.2 Le paysage américain et la lumière Edson adhère à la vision qu'a Ruskin de la lumière, quoique d'une manière plus réservée, puisqu'il existe des tableaux qui évoquent le langage formel des peintres américains. Il a été vu précédemment226 que le paysage américain est associé à l'iconographie du ciel et, de surcroît, à la lumière. À l'instar de Ruskin, ces paysagistes attribuent à la lumière une qualité divine. À la fois céleste et naturelle, 227 elle exprime les mystères les plus profonds de Dieu . Ainsi, chez les peintres de l'École de l'Hudson, la lumière est atmosphérique, vaporeuse. lien résulte un effet diffus et plus ou moins estompé. L'ambiance qui découle alors de ces œuvres est sereine, bien qu'empreinte d'un sentiment de mélancolie face à la destruction de la nature. La seconde génération des peintres de cette école évoque quant à elle des

« paysages lumineux et des distances infinies au calme sacramentel» 228. C'est dans les œuvres des scènes sylvestres et des sous-bois, ainsi que dans toute œuvre impliquant un phénomène atmosphérique que les jeux les plus complexes de la lumière sont visibles. À l'évidence, Edson se plaît à dépeindre le jeu d'ombres et de lumière sur le feuillage des arbres, dont les exemples les plus probants sont les tableaux Moutons dans un paysage (fig. 63), Le temps est à l'orage, lac Memphrémagog (fig. 43).

Dans Automne sur la rivière Yamaska, rang Sutton (fig. 37), Edson réalise un · paysage à l'atmosphère tranquille et douce. À travers les nuages et la brume, les contours des montagnes sont estompés au loin, tandis que les couleurs pastel sont intensément brillantes. Un effet similaire est obtenu avec Automne, Mont Orford (fig. 67), dont la lumière semble provenir du ciel entier. Il en résulte que les reflets du soleil doré du soir se détachent des ombres contrastées. Le choix de certains sujets amène également l'artiste à un éclairage plus contrasté, comme l'attestent les œuvres Preparing the Camp Site at Sunset (fig. 40) et Children Fishing at a quiet Pool (fig. 47). Dans les deux cas, les personnages sont presque imperceptibles. Ce traitement de la lumière se détache à coup sûr de la vision ruskinienne : les ombres mystérieuses camouflent les formes et dénaturent les couleurs.

226 Voir le point 3.3.1 227 James F. Cooper, Knights o'the Brush : the and the Moral Landscape, New York, Hudson Hill Press, 1999, p. 59. 228 Andrew Wilton et Tim Barringer, 2002, p, 187. 86

Conclusion Les faits naturels constituent l'élément principal des paysages d'Edson. Toutefois, ses paysages vont au-delà des simples représentations topographiques ou scientifiques, grâce à des éléments de composition, des artifices visuels et à un langage formel qui participent à l'atmosphère générale des tableaux. L'analyse de ces éléments nous permet de mieux comprendre la conception d'Edson concernant la nature et ainsi, mieux évaluer l'impact des théories ruskiniennes sur sa peinture.

Les œuvres du groupe des montagnes et des cours d'eau évoquent pour la plupart une atmosphère intimiste et force la contemplation des éléments immédiats. Ces œuvres semblent davantage préoccupées par la tranquillité et le silence. Lorsque des figures humaines sont présentes, celles-ci sont à peine perceptibles, bien que parfaitement engagées dans le paysage. Il arrive également qu'Edson n'évoque que sporadiquement la présence humaine, allant même jusqu'à l'évacuer entièrement. Il nous est alors permis de contempler les beautés de la nature en elle- même ou encore, les éléments qui se déchaînent, soit des chutes d'eau ou des orages. Ces œuvres nous permettent de constater la compréhension qu'a Edson de la nature.

L'allusion au temps qui passe est également évoquée par les motifs d'épaves ou de bateaux abandonnés le long des berges, à l'image des luministes, dont il partage avec eux l'absence de la figure humaine ou sa présence métaphorique par le motif de la barque. À la lumière de ce qui précède, on peut penser qu'il a voulu témoigner du changement continuel et de la puissance qui régit r'univers, une sorte d'allégorie de la création. Tout comme les peintres américains, Edson ne semble pas considérer la nature comme quelque chose de sauvage et d'hostile. À l'instar des peintres américains, lorsqu'il dépeint des scènes orageuses, il choisit le moment avant que la tempête n'éclate, alors qu'un calme sinistre fixe le moment avec un suspense qui incite à la contemplation et au silence. Ainsi, il récrée l'expérience directe de la nature, car il fait corps avec la nature et intègre sa sensibilité à la nature. D'ailleurs, Ruskin ne croyait pas que le simple rendu scientifique du paysage le rendait authentique. Il concédait que l'artiste pouvait l'interpréter et transposer ses impressions, sans toutefois le dénaturer. 87

Conclusion

Notre mémoire avait pour but de rendre compte de l'extrême complexité des

rapports entre les théories ru~kiniennes et les œuvres d'artistes nord-américains. En étudiant plus attentivement le cas particulier d'Allan Edson, nous nous sommes donné pour tâche d'explorer ces correspondances, tant en ce qui concerne ses recherches plastiques, formelles que spirituelles dans le domaine des représentations de la nature.

Nous avons choisi la notion d'authenticité comme cadre d'analyse, car elle nous permet d'esquisser les grandes articulations des théories ruskiniennes. À la lecture des ouvrages Modern Painters 1 à V et Elements of Drawing, publiés entre 1843 et 1857, il appert en effet que l'authenticité traduit les préoccupations artistiques, scientifiques et spirituelles de John Ruskin. Ces préoccupations étaient également partagées par la société britannique, confrontée alors à des changements profonds, induits depuis le XVIIIe siècle par la révolution industrielle, le développement des sciences et les réveils religieux. L'observation de ce contexte historique nous a permis de constater que les écrits de John Ruskin s'adressaient aussi à un large public intéressé par les questions artistiques.

Si certains artistes poursuivent la tradition académique, d'autres, comme ' les préraphaélites sont séduits par l'authenticité ruskinienne. Celle-ci exige de nouveaux critères, à commencer par l'observation directe de la nature en retrouvant . «l'innocence de la vision», la compréhension des phénomènes naturels et l'expression personnelle de l'artiste. L'artiste doit à cet effet posséder un certain savoir scientifique afin de respecter la vérité: il doit être botaniste, géologue, météorologue et zoologue. Il doit également respecter la forme et les qualités des objets naturels, ce qui s'exprime à travers la pratique assidue d'exercices plastiques proposés par Ruskin. En outre, l'authenticité adopte de nouveaux procédés artistiques qui forment une partie intégrante de sa conception de la peinture et qui rompent avec la tradition académique. Chez les préraphaélites, l'authenticité se manifeste alors par une précision scientifique, des couleurs brillantes, le travail de l'espace en plans horizontaux et une facture minutieuse. 88

La renommée de Ruskin parvient jusqu'aux États-Unis qui sont à leur tour séduits par ses conceptions artistiques. Cependant, le fait que le Canada ait lui aussi connut les idées ruskiniennes a été beaucoup moins étudié dans le domaine de l'art du paysage, ce qui constitue une grande difficulté pour notre réflexion. Devant ce constat, il nous a fallu situer notre étude dans un contexte plus large, notamment aux États-Unis dont des cas probants sont fortement imprégnés de la conception ruskinienne. Par ailleurs, les bouleversements créés par la révolution industrielle en Grande-Bretagne et qui contribuent aux changements survenus dans l'art s'exercent aussi en Amérique du Nord. Nous avons pu constater que les nouvelles sciences - particulièrement la géologie - et les avancées technologiques intéressent le public américain, bien qu'il s'efforce de concilier cet esprit scientifique avec une dimension spirituelle. Au Canada, si l'intérêt est moins marqué, il est tout de même présent comme en témoigne la Commission géologique du Canada.

Le succès populaire et critique des idées ruskiniennes n'est pas étranger à ces transformations. Ainsi, lorsqu'on examine la production des paysagistes américains, il appert que Ruskin est connu et même admiré par certains, quoique pas toujours avec le même degré. Aux États-Unis, la littérature et la peinture sont alimentées par un nationalisme qui est présent depuis les années 1830. La plupart des paysagistes américains participeront à la volonté d'affirmer la singularité de la nation américaine à travers la grandeur et la puissance de la nature sauvage américaine. À cette valeur iconique s'ajoute également une valeur morale, tributaire d'une morale protestante, bien présente aux États-Unis. Au cours des années 1830, Thomas Cole, Ralph Waldo Emerson et Henry David Thoreau soutiennent que la nature est la création de Dieu et la peinture du paysage, un éloge du divin. Au Canada, la nature prendra une importance nouvelle, sans toutefois souscrire à un tel discours identitaire.

L'analyse de ces différents facteurs nous a alors permis de constater que l'appropriation des théories ruskiniennes dans le champ artistique est plus marquée aux États-Unis qu'au Canada, bien que le public canadien ne les ignore pas totalement. Les déplacements des artistes - dont certains sont nés ou se sont formés en Angleterre - les voyages, les importations et la multiplication des contacts contribuent à faire pénétrer les idées ruskiniennes au Canada. 89

La vision de la nature qu'on trouve dans les ouvrages de Ruskin conduit donc ces paysagistes à valoriser et à se réapproprier la notion d'authenticité, d'autant plus qu'elle rejoint les idées professées par des hommes tels qu'Emerson ou Thoreau. Les paysagistes de l'École de l'Hudson s'intéressent à la vérité scientifique, ne se contentent plus de représenter la nature en général, ils vont insister sur les traits particuliers, la couleur exacte et évoquent la dimension divine de la nature, tels que représentée dans Landscape: Creeks and Rocks (fig. 13), de Asher B. Durand (1796-1886), The Icebergs (fig. 15), de Frederic Church (1826-1900), ou encore, Grand Canyon of Yellowstone (fig. 16), de Thomas Moran (1837-1926). Ces tableaux appartiennent à l'esthétique ruskinienne. Ils se concentrent davantage sur l'attention du détail rendu avec un réalisme et une objectivité qui découlent de son intérêt pour les sciences naturelles. L'analyse des œuvres d'Allan Edson nous conduit à une semblable conclusion.

À la lumière de nos recherches, nous pouvons maintenant affirmer que le parallélisme entre l'authenticité ruskinienne et les œuvres d'Edson est frappant. Sa recherche d'authenticité est évidente dans le choix des sujets, les recherches plastiques, la précision scientifique ainsi que dans l'atmosphère générale qui se dégage de ses œuvres. En effet, il faut d'abord souligner l'omniprésence du paysage dans son œuvre, par contraste à la modestie de la figure humaine. Et, de surcroît, ces paysages sont significatifs de la vision de la nature chez Ruskin. Nous avons pu comparer les thèmes récurrents chez Edson, en les classant sous trois catégories, soit les cours d'eau et les montagnes, les jeux d'eau et les scènes sylvestres et les sous-bois. Nous constatons par exemple que ces paysages mettent en évidence les principes d'observation, de précision, d'inventaire et de diversité.

De même, l'analyse du travail des techniques picturales fait immédiatement penser à la conception ruskinienne. Edson a recours à des couleurs vibrantes, une palette variée et des variations de tonalités subtiles. Dans les exemples évoqués, nous avons également remarqué un grand désir de réalisme, de vérité et un esprit scientifique. Rappelons le rendu convaincant du ciel dans Lac Massawappi (fig. 44) ou encore, Le Mont Orford, le matin (fig. 34), dont la forme et la couleur des nuages sont scrupuleusement étudiées. " sait rendre les masses et le volume de formations rocheuses et s'attarde sur la variété foisonnante de . la végétation. En somme, 90 l'authenticité se manifeste par le goût pour la représentation exacte des éléments naturels.

Les œuvres de la première période de la carrière d'Edson témoignent d'un artiste conscient des théories ruskiniennes et de leurs possibilités. En fait, il y a là une volonté d'aller au-delà de la copie littérale ou du simple rendu topographique. L'atmosphère qui enveloppe ses paysages témoigne d'une vision de la nature comme source de changement et d'évolution constante et, par là, il semble que Ruskin ait fournit le vocabulaire nécessaire à l'artiste afin qu'il exprime bien plus que des connaissances scientifiques. Son traitement de la lumière témoigne, quant à lui, d'un souci de conciliation et d'une tentative de construire une vision de la nature qui se situe à mi-chemin entre l'authenticité et la peinture luministe. Néanmoins, la répétition des éléments ruskiniens et la cohérence de la pratique tendent à prouver qu'Edson a trouvé en Ruskin une vision de la nature qui rencontre la sienne, une vision qui contribue à définir son identité artistique.

À travers ce mémoire, nous avons voulu offrir de nouvelles pistes de recherches pour mieux comprendre l'œuvre d'Allan Edson, une figure encore méconnue de l'histoire de l'art au Canada. Les théories de Ruskin sont largement diffusées aux États-Unis, mais se font particulièrement discrètes au Canada. Le cas spécifique d'Edson soulève donc l'intérêt qui demeure pour les historiens de l'art d'une étude minutieuse des relations artistiques entre les idées ruskiniennes et la pratique des artistes canadiens au XIXe siècle. 91

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Fig. 1 : John Everett Millais. Ophélie. 1851-52. Huile sur toile. 76.2 x 111.8 cm. Londres, Tate Britain.

Fig.2: John Everett Millais. John Ruskin. 1853-54. Huile sur toile. 78.7 x 68 cm. Londres, Tate Britain.

Fig. 3 : John Everett Millais. Mid-Spring. 1856. Huile sur plâtre sur panneau. 52.1 x 34.3 cm. Londres, Royal Academy. 101

Fig. 4 : Alfred William Hunt. A river Landscape. 1861. Aquarelle. 23.8 x 33.7 cm. Londres, British Museum.

Fig. 5: William Holman Hunt. Our English Coasts. 1852. Huile sur toile. 43.2 x 48.4 cm. Londres, Tate Britain"

Fig. 6 : Thomas Cole. View (rom Mount Holyoke, Norlhampton, Massachusetts, after a Thunderstorm - The Oxbow. 1836. Huile sur toile. 130.8 x 193 cm. New York, Metropolitan Museum of Art. 102

Fig. 7 : Jasper F. Crospey. Autumn - On the Hudson River. 1860. 151.8 x 274.9 cm. Washington D. C. National Gallery of Art.

Fig. 8 : Frederic E. Church. Niagara. 1857. Huile sur toile. 108 x 229.9 cm. Washington D. C., Corcoran Gallery of Art.

Fig. 9: John F. Kensett. Lake George. 1869. Huile sur toile. 112.1 x 168.6 cm. New York, Metropolitan Museum of Art. 103

Fig. 10 : Martin Johnson Heade. Approching Thunder Storm. 1859. Huile sur toile. 71.1 x 111.8 cm. New York, Metropolitan Museum of Art.

Fig. 11 : Frederic Church. Natural Bridge, Virginia. 1852. Huile sur toile. 71.1 x 58.4 cm. University of Virginia, Charlottesville, Bayly Art Museum.

Fig. 12 : John Ruskin. Fragments of the Alps. c. 1854-56. Aquarelle sur papier vélin crème. Cambridge, Massachusetts, Collection Fogg Art Museum at Harvard un iversity. 104

Fig. 13 : Asher B. Durand. Landscape : Creeks and Rocks. c. 1850. Huile sur toile. 43 cm x 61 cm. Philadelphia, Pennsylvania Academy of Fine Arts.

Fig. 14 : Asher B. Durand. Study tram Nature: Rocks and Trees. c. 1856. Huile sur toile. 43.2 x 54.6 cm. New York, The New York Historical Society.

Fig. 15 : Frederic Church. The Icebergs. 1861. Huile sur toile. 163.5 x 285.7 cm. Dallas, Dallas Museum of Art. Fig. 16 : Thomas Moran. Grand Canyon of Yellowstone. 1872. Huile sur toile, montée sur aluminium. 213.4 x 365.8 cm., Washington D. C., SAAM.

Fig. 17 : Thomas Moran. Fiercely the Red Sun Descending / Burned his Way Along the Heavens. Huile sur toile. 84.8 x 127.1 cm. Raleigh, North Carolina Museum of Art.

Fig. 18 : Joseph Mallord William Turner. Slavers Throwing overboard the Dead and Dying -.Typhon Coming On ('The Slave ShiP? Huile sur toile. 90.8 x 122.6 cm .. Boston, Museum of Fine Arts. 106

Fig. 19 : Thomas Moran. The Mountain of Holy Cross. 1875. Huile sur toile. 208.6 x 163.2 cm. Los Angeles, Autry Museum of Western Heritage ..

Fig. 20 : Robert S. Duncanson. Landscape with Sheep. s. d. Huile sur toile. 81.9 x 112.1 cm. Washington D. C., SAAM.

Fig. 21 : Robert S. Duncanson. On the St. Annes, East Canada. 1863-1865. Huile sur toile. 23.2 x 38.1 cm. Washington D. C. , SAAM. 107

Fig. 22 : Robert S. Duncanson. Les chutes Montmorency. 1864. Huile sur toile. 45.7 x 70.8 cm. Washington, SAAM.

Fig. 23 : William Notman. La chute Montmorency près de Québec, QC, vers 1860. c. 1860. Stéréographie. 7.5 x 14.2 cm. Montréal, MMe.

Fig. 24 : Allan Edson. Rivière aux Brochets, près de Stanbridge. c. 1864. Huile sur panneau de fibres dur. 22.8 x 32.2. Ottawa, MBAC. 108

Fig. 25 : Robert S. Duncanson. Étude d'un coucher de soleil. 1863. Huile sur toile. 17.8 x 25.7 cm. Montréal, MBAM.

Fig. 26 : Léon-Germain Pelouse. Un souvenir de Cernay. 1872. Huile sur toile. 81 x 128 cm. Paris, Musée d'Orsay.

Fig. 27 : Allan Edson. Sentier dans les bois. 1860-1880. Huile sur toile. 132 x 90.1 cm. MBAM, Montréal. 109

Fig. 28 : Léon-Germain Pelouse. Le chemin de Rustéphan. 1877-1880. Huile sur toile. 92 x 65.5 cm. Quimper, Musée des beaux-arts de Quimper.

Fig. 29 : Allan Edson. Paysage. 1884. Huile sur toile. 32.8 x 46.3 cm. MBAC, Ottawa.

Fig. 30 : Allan Edson. The Great Bluff on the Thompson River, B. C. 1872. Similigravure. Fig. 31 : Allan Edson. Habitants traversant le Saint-Laurent pour se rendre au marché. 1860-1880. Aquarelle et gouache. 35.3 x 52.5 cm. Montréal, MBAM.

Fig. 32 : Allan Edson. Avant la tempête, lac Memphrémagog. 1868. Aquarelle. 27 x 45.5 cm. Québec, MNBAQ.

Fig. 33 : Allan Edson. Étude pour averse et percée de soleil. c. 1870. Huile sur toile. 60.5 x 91.3 cm. Ottawa, MBAC. 111

/ Fig. 34 : Allan Edson. Le mont Orford le matin. 1870. Huile sur toile. 91.6 x 152.8. Ottawa, MBAC. 112

Fig. 35 : Allan Edson. Paysage des Cantons-de-/'Est (probablement le Mont Orford). 1870-1879. Aquarelle, gouache blanche et graphite. 29.1 x 53 cm. Montréal, MBAM.

Fig. 36 : Allan Edson. Paysage. 1871. Huile sur carton (?).18.5 x 25.5 cm. Montréal, Musée des maîtres et artisans du Québec.

Fig. 37 : Allan Edson. Automne sur la rivière Yamaska, rang Suttan. 1872. Huile sur toile. 75.5 x 120 cm. Québec, MNBAQ. 113

Fig. 38 : Allan Edson. Montagne Sugar Loaf, Campbel/ton, N.-B. 1872. Aquarelle sur carton rigide. 29.2 x 44.7cm. Fredericton, La Galerie d'art Beaverbrook.

Fig. : 39 : Allan Edson. Un après-midi tranquille. 1874-1880. Aquarelle. 28.6 x 23.2 cm. Québec, MNBAQ.

Fig. 40 : Allan Edson. Preparing the Camp Site at Sunset. 1876. Huile sur toile. 41.3 x 71.3 cm. Collection particulière. 114

Fig. 41 : Allan Edson. La Restigouche. c. 1876. Aquarelle. 27.9 x 45.7 cm. M. A. M. Edson, Chesterville (Ontario).

Fig. 42 : Allan Edso.n. Le matin sur la Restigouche. c. 1876. Aquarelle. 32.4 x 59.1 cm. Saint-Jean, Musée du Nouveau-Brunswick. 115

Fig. 43 : Allan Edson. Le temps est à l'orage, lac Memphrémagog. 1880. Huile sur toile. 60.6 x 107 cm. Québec, MNBAQ. 116

Fig. 44 : Allan Edson. Lac Massawippi. s. d. Huile sur toile. Calgary, Art Gallery of Alberta. 117

Fig. 45 : Allan Edson. Glen Suttan. s.d . Aquarelle. 27.5 x 42 cm . Collection particulière. - - - ~------.,

118

Fig. 46 : Allan Edson. Rivière Matapédia. s. d. Aquarelle. 22.8 x 38.7 cm. Collection particulière. 119

Fig. 47 : Allan Edson. Chi/dren Fishing at a quiet Pool. S.d. Huile sur-toile. 47.5 x 85 cm. Collection particulière. 120

Fig. 48 : Allan Edson. Near Campel/ton, N.-B. Smoky Day, Restigouche. s.d. Aquarelle. 22.5 x 42.5 cm. Collection particulière.

Fig. 49 : Allan Edson. Sans Titre - Paysage avec vaches. s.d. Aquarelle sur papier. 25.3 x 35.5.Victoria, Art Gallery of Greater Victoria.

Fig. 50 : Allan Edson. Bûcherons sur la rivière Saint-Maurice. 1868. Huile sur toile. 58.5 cm x 101. 5 cm. Montréal, MBAM. 121

Fig. 51 : Allan Edson. A bit of Glen Sutton. 1870. Huile sur toile. 61.6 x 91.4 cm. Collection particulière. 122

Fig. 52 : Allan Edson. Paysage avec cascade. 1872. Huile sur toile. 50.5 x 91.7 cm. Ottawa, MBAC. 123

Fig. 53 : Allan Edson. Chutes géantes. 1872. Aquarelle. 55.7 x 45. Montréal, MBAM. 124

Fig. 54 : Allan Edson. Mountain Stream. 1872. Huile sur toile marouflée. 25.3 x 20.2 cm. Collection particulière.

Fig. 55 : Allan Edson. Landscape with Elk. 1872. Aquarelle. 54.6 x 90.2 cm. Collection particulière.

Fig. 56 : Allan Edson. Les chutes Shawinigan, peinture d'Allan Aaron Edson, copie réalisée en 1919-1920. Montréal, MMe. 125

Fig. 57 : Allan Edson. Falls of the River Clyde. Head of Lake Memphremagog, P.Q. (reproduction) 17 octobre 1874. Similigravure.

Fig. 58 : Falls of Montgomery Creek. East Berkishire. V. T. (reproduction) 1874. Similigravure

Fig. 59 : Allan Edson. Paysage. c. 1875. Huile sur toile. 91.8 x 66.4 cm. Toronto, ' AGO. 126

Fig. 60 : Allan Edson. Solitude. S.d. Huile sur toile. 90 x 76.2 cm. Collection , particulière.

Fig. 61 : Allan Edson. High Falls near North Troy. S.d. Aquarelle sur carton. 44 x 29 cm. Collection particulière. 127

Fig. 62: Allan Edson. Paysage, saules et moutons. 1869. Huile sur toile. 61 x 90.8 cm. Montréal, MBAM. 128

Fig. 63 : Allan Edson. Moutons dans un paysage. 1869. Huile sur toile. 61.5 x 91.5 cm. Ottawa, MBAC. 129

Fig. 64 : Allan Edson. Scène dans les Cantons-de-/'Est, enfants à la balançoire. 1860-80. Aquarelle, gouache et huile. 35.2 x 60.7 cm. Montréal, MBAM.

Fig. 65: Allan Edson. Jeune fille dans un sous-bois. 1875-1885. Aquarelle. 40.8 x 76 cm. Québec, MNBAQ.

Fig. 66 : Allan Edson. Paysage sylvestre. 1870-75. Aquarelle. 44.5 x 32.4 cm. Ottawa, MBAC. 130

Fig. 67 : Allan Edson. Automne, Mont Orford. c. 1876. Huile sur toile. 72.4 x 148.5 cm. Toronto, Collection particulière.

Fig. 68 : Allan Edson. Wood/and Scene. (reproduction) 1871. Similigravure.

Fig. 69 : Allan Edson. Mountain Torrent (reproduction). 1872. Similigravure. 131

Fig. 70 : Allan Edson. Forêt et moutons. c. 1874. Aquarelle sur papier. 59.4 x 43.3 cm. MMe, Montréal. 132

Fig. 71 : Allan Edson. Une forêt à l'automne 1. c. 1874. Aquarelle sur papier. 37.9 x 30.7 cm. Montréal, MMe. 133

Fig. 72 : Allan Edson. Forêt à J'automne Il. c. 1874. Aquarelle sur papier. 38.5 x 27.6 cm. Montréal, MMe. 134

Fig. 73 : Allan Edson. Ruisseaux à truites. c. 1875. Huile sur toile. 60.4 x 48.5 cm. Ottawa, MBAC. 135

Fig. 74 : Allan Edson. Paysage. c. 1875. Huile sur toile. s. d. Toronto, AGO.

Fig. 75 : Allan Edson. Camp in the Woods. 1876. Huile sur toile. 61.4 x 76.3 cm. Toronto, AGO.

Fig. 76 : Allan Edson. Evening (reproduction). 1874. Similigravure. 136

Fig. 77 : Allan Edson. Paysage. c. 1880. Aquarelle sur mine de plomb sur papier vélin. Ottawa, MBAC.

FIg. 78: Allan Edson. Sunlit Forest Stream. S. d. Huile sur toile. 42 x 63 cm. Collection particulière.

Fig. 79 : Allan Edson. Two Hunters in the Forest. S. d. Aquarelle et encre sur papier ~ entoilé. 46 x 60 cm. Collection particulière.