La Touraine Dans L'histoire (1800-1940)
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LA TOU R AI NE DANS L'HISTOIRE A. de GIRY LA TOURAINE DANS L'HISTOIRE 1800-1940 C.LD La politique en Touraine 1 de 1800 à 1940 L'histoire politique de la Touraine fournit un reflet fidèle, quoique légèrement tamisé, de celle de la France, de même que la Loire réfléchit en les adoucissant les lumières changeantes de son ciel. Le tamisage consiste en une modération des passions bien conforme au tempérament tourangeau. On peut parler ici d'esprit de mesure joint à un bienveillant opportunisme. Avec l'Empereur, puis avec le Roi, puis avec la République, avec ou sans l'Eglise, le jardinier et le pêcheur à la ligne des bords de Loire, quelles qu'aient été leurs convictions person- nelles, n'ont rien perdu de leur sérénité coutumière... Terre de non violence, le jardin de la France est un jardin secret. La Touraine, après avoir été paisiblement révolutionnaire — la Terreur y fut beaucoup moins sanglante que dans bien d'autres provinces — traversa le Directoire, le Consulat et entra dans l'Empire sans impréca- tions ni murmures. La France, dans sa grande majorité, acclamait Napoléon I ; les Tourangeaux l'acclamèrent aussi. Ils lui firent une réception chaleureuse quand il s'arrêta à Tours, accompagné de Joséphine, le 2 août 1808. Son carrosse se fraya laborieusement un chemin à travers la foule enthousiaste pour parvenir au palais archiépiscopal où le couple impérial allait résider jusqu'au surlendemain. Son passage impressionna fortement les Tourangeaux. Le président de la Chambre de Commerce, Roze Abraham, fut si ému d'avoir été reçu le 3 août pendant un quart d'heure par « Sa Majesté Impériale et Royale » qu'il déclarait à ses collègues deux jours plus tard : « ... Je crois devoir vous retracer ce qui s'est passé pour le retransmettre à ceux qui nous remplaceront... ». De nombreuses personnalités locales étaient, d'ailleurs, dévouées à l'Empereur et entretenaient sur place une opinion favorable que le « général préfet » de Pommereul, en fonction à Tours de 1801 à 1806, avait su renforcer par son parfait savoir-vivre et son excellente administra- tion. Trois de ces grands partisans de l'Empire ont laissé des noms bien connus : — Joseph-Marie de Barral, promu de l'évêché de Meaux à l'arche- vêché de Tours en 1805, incarnation du prébendier courtisan, dont la carrière débuta sous la Révolution et se poursuivit brillamment sous l'Empire avec la charge — qui devait exiger de sa part beaucoup d'indul- gence — d'aumônier de l'impératrice Joséphine. — L'historien local Nicolas Chalmel, nommé par Bonaparte biblio- thécaire de la ville de Tours, puis, à partir de 1807, administrateur des droits réunis à Mayence, enfin sous-préfet de Loches en 1815 pendant les Cent-Jours. — Bernard François Balzac, père de l'illustre Honoré, agent en chef des subsistances de la 22e région militaire, adjoint au maire de Tours et administrateur de l'hospice. Sa gestion fut mise en cause, contestée notamment par de Pommereul et de Barral au point qu'il fut suspendu plusieurs fois mais toujours réintégré dans ses fonctions grâce à sa fidélité au régime. Les loges maçonniques, favorisées par Napoléon, groupaient, à l'époque, la plupart des représentants de la haute société : banquiers, propriétaires, hommes de loi, hauts fonctionnaires... de Pommereul, de Barral, Balzac, Chalmel, par exemple, étaient affiliés à « La Parfaite Union » de Tours. Ces cellules constituaient d'excellents foyers occultes de propagande pour le régime. Les francs-maçons de Chinon, poussant jusqu'au bout leur loyalisme, constituèrent en 1808 la loge « Saint- Napoléon-le-Grand » dont l'inauguration, en 1809, comporta des chansons, des discours et, naturellement, un banquet. Ainsi, à l'exception, peut-être, d'une faible partie de l'aristocratie et du clergé, la société tourangelle, après avoir accepté la République, ne s'opposa pas à l'Empire et le peuple des campagnes, presque entièrement analphabète, suivit docilement l'exemple que lui donnait la bourgeoisie. 1812-1815, le temps des désastres... La chute brutale des aigles avec l'intermède sanglant et inutile des « Cent-Jours »... « ... C'est votre vieille garde au loin jonchant la plaine, Demain c'est Waterloo, demain c'est Sainte-Hélène, Demain c'est le tombeau... » Les Français étaient largement revenus de leur vénération pour l'Empereur ; les Tourangeaux aussi. Leurs fils, happés par la conscription honnie, étaient tombés sur les champs de bataille ; les prix des denrées, d'ailleurs rationnées, s'élevaient en proportion des charges croissantes de la guerre. La paix, quelles qu'en fussent les conditions, répondait à une aspiration générale. Le culte de la personnalité n'avait pas résisté à l'épreuve du feu. Aussi cria-t-on en Touraine : « Vive le roi ! » après la première abdication de Napoléon en avril 1814. Honoré de Balzac a évoqué dans son roman « Le lys dans la vallée » le passage du duc d'angoulême, fils aîné du futur Charles X, « ... l'enthousiasme qui saisissait la vieille France au retour des Bourbons... La Touraine en émoi pour ses princes légitimes ; la ville en rumeur, les fenêtres pavoisées, les habitants endimanchés, les apprêts d'une fête... ». Il y eut bien ensuite l'épisode des Cent-Jours, mais il fut si court que la plupart des hauts fonctionnaires et dignitaires en place conservèrent leurs postes et leurs charges ; ils n'eurent qu'à faire en trois mois deux professions de foi politique diamétralement opposées. De hauts personnages locaux firent la preuve de leur agilité en ces exercices giratoires. Deux d'entre eux — et non des moindres — ont été évoqués par M. Pierre Leveel dans son « Histoire de la Touraine ». Leur comportement est symptomatique : Aussitôt après la première abdication, l'archevêque de Tours Joseph Marie de Barral, oubliant en un instant ce qu'il devait à l'Empereur déchu, célébra par un magnifique Te Deum chanté en la cathédrale la chute de l'aigle, et le baron Deslandes, maire de Tours depuis 1803, assista avec recueillement à cette cérémonie. L'excellent maire prit même la tête d'une délégation qui alla présenter au roi ses hommages. Cependant, « l'ogre » revint de l'Ile d'Elbe. Sans plus attendre, le baron Deslandes lui redonna en mai 1815 l'assurance de son dévouement absolu... limité, en fait, à bien peu de temps car, après Waterloo et la seconde abdication de juin, il mani- festa son attachement à Louis XVIII remonté sur le trône en assistant à un deuxième Te Deum sous les voûtes de la cathédrale. Tours était une ville importante mais il en alla de même dans les autres communes. M. J. Maurice a conté avec humour dans son « Histoire de la Vallée Verte » les pirouettes du maire de Ballan-Miré, M. Sain des Arpentis, qui prêta serment en premier lieu, comme tous les maires de France, à l'Empereur tout puissant, puis, en 1814, à Louis XVIII, puis en 1815 à Napoléon de retour, enfin, en septembre de la même année, au roi revenant de Belgique. Cela faisait beaucoup de serments. Quant à Balzac père, il avait pris prudemment les devants en publiant un « opuscule sur la statue équestre que les Français doivent faire pour perpétuer la mémoire d'Henri IV et de leur amour envers sa dynastie avec des recherches sur les anciens monuments de ce genre ». L'occupation étrangère freina l'enthousiasme des populations pour le nouveau régime. A Tours, la bouderie larvée fut cependant de courte durée car la présence détestée se limita assez vite à un détachement prussien cantonné sur les hauts de Saint-Symphorien entre juillet et sep- tembre 1815. Enfin, les paysans, pour la plupart analphabètes, étaient peu informés — et généralement avec du retard — des grands événements nationaux. Les nouvelles ne leur parvenaient guère qu'apportées par les colporteurs, les ouvriers itinérants, les soldats permissionnaires, ou, parfois, tombaient de la bouche du plus instruit, quand il y en avait un, lisant à haute voix le journal au cabaret, à l'intention des autres. Aussi accordaient-ils certainement beaucoup plus d'intérêt à la santé de leurs vers à soie, de leurs vaches laitières et à l'état de leurs récoltes qu'au retour du roi de France. Paul-Louis Courier a décrit avec humour, en 1815, dans sa « pétition aux deux chambres » la prudente indifférence des ruraux du canton de Luynes : « ... Là, on ignore jusqu'aux noms des factions et des partis ; on cultive ses champs ; on ne se mêle d'autre chose. Les haines qu'a semées partout la Révolution n'ont point germé chez nous où la Révolution n'avait fait ni victimes ni fortunes nouvelles. Nous pratiquons surtout le précepte divin d'obéir aux puissances ; mais avertis tard des changements, de peur de ne pas crier à propos : Vive le Roi ! Vive la Ligue ! Nous ne crions rien du tout... » Puis, ce furent « les Trois Glorieuses » des 27 au 29 juillet 1830. Elles firent plus de 1 800 victimes à Paris et assurèrent l'accession de Louis- Philippe à la Lieutenance Générale du royaume. La nouvelle n'en parvint que le 30 juillet en Indre-et-Loire. Elle y provoqua quelques manifestations sans lendemain, la plupart de caractère antireligieux, mais il n'y eut à déplorer ni morts ni blessés... Seulement des bandes vociférantes dans les rues de Tours et à la porte de l'archevêché où fut accroché un placard : « Archevêché à brûler, Saint-Gatien à vendre, Dufêtre (le grand vicaire) à pendre » ; à Chinon et à Châteaurenault, destruction de croix plantées par des missionnaires, bris de statues, et ce fut tout. Le vote du 7 août suivant qui fit du lieutenant général du royaume Louis-Philippe le « roi des Français » n'eut, lui non plus, aucune inci- dence explosive.