L'écriture Subjective Des Enjeux Contemporains Dans Les Romans
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L’écriture subjective des enjeux contemporains dans les romans des auteures autochtones Virginia Pésémapéo Bordeleau et Naomi Fontaine Alice Charbonneau-Bernier Thèse soumise à la Faculté des études supérieures et postdoctorales dans le cadre des exigences du programme de maîtrise en lettres françaises Département de français Faculté des études supérieures et postdoctorales Université d’Ottawa © Alice Charbonneau-Bernier, Ottawa, Canada, 2018 Résumé Cette thèse explore la nouvelle voie empruntée par les auteurs autochtones publiant en français au Québec dans les dernières années, en prenant comme exemple les œuvres des romancières contemporaines Virginia Pésémapéo Bordeleau (Ourse bleue, 2007, L’amant du lac, 2013 et L’enfant hiver, 2014) et Naomi Fontaine (Kuessipan, 2011 et Manikanetish, 2017). Lorsque cette littérature émerge au début des années 1970, elle est surtout politique et polémique, et elle est accompagnée d’analyses qui se penchent sur les aspects sociocritiques des textes et le message qu’ils transmettent. Si les auteures abordent aujourd’hui encore des thématiques reliées à l’histoire de leurs nations respectives, leur intégration a changé; les textes semblent présenter ces questionnements d’un point de vue plus subjectif. Pour expliquer ce phénomène, ce travail s’interroge sur la tension entre la parole individuelle et collective que l’on retrouve dans les œuvres de Pésémapéo Bordeleau et de Fontaine, sur les caractéristiques littéraires de leurs romans et sur la notion de « décolonisation personnelle », afin de mettre en lumière une certaine « poétique de l’intime », une intériorité dominante dans la façon d’exposer les conséquences de la colonisation par rapport à la génération antérieure. ii Remerciements Je souhaite d’abord remercier mon directeur de thèse, Monsieur Marcel Olscamp, pour toute l’aide apportée au cours des deux dernières années. Son intérêt constant envers ma recherche, ses conseils et ses suggestions m’ont été plus qu’utiles pour terminer cette thèse. Je tiens également à remercier mon copain, mes amis et ma famille pour leur soutien et leurs encouragements. Ils ont été d’une aide précieuse pour me changer les idées et me donner l’énergie nécessaire afin de mener à terme ce projet. Enfin, je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et l’Université d’Ottawa pour les bourses octroyées durant mes études supérieures, qui m’ont permis de me concentrer entièrement sur ma thèse et d’y consacrer tout le temps nécessaire. iii Introduction Depuis quelques années, les littératures écrites par des auteurs des Premières Nations en français au Québec semblent emprunter une nouvelle direction. Lorsque ces littératures sont nées au début des années 1970, elles s’affichaient « principalement comme tentative de réponse et de réappropriation culturelle1 ». En effet, les écrivains prenaient alors la parole, dans leurs œuvres, afin de présenter une image des peuples autochtones différente de celle qu’on avait donnée d’eux dans les discours et les productions littéraires québécoise et canadienne-française. Or, les auteurs contemporains abordent aujourd’hui des thèmes beaucoup plus variés, dans un style plus personnel et individuel2. D’autre part, les recherches portant sur la poésie ou la fiction autochtone tendent aussi à se concentrer de plus en plus sur les voix singulières qui émergent et sur les caractéristiques particulières de chaque création en lien avec la nation respective des auteurs. Emma Larocque, une critique crie métisse, mentionne en effet que cette composante avait souvent été ignorée lors des premières lectures des œuvres d’écrivains des Premières Nations : « First Nation and Métis writing has been frequently analyzed under political or ethnological terms. Often overlooked are the individual authors themselves, with their unique styles, imaginations, and tropes and metaphors3. » Par conséquent, les études plus récentes 1 Maurizio Gatti, Être écrivain amérindien au Québec. Indianité et création littéraire, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2006, p. 79. 2 On note ce changement dans certains travaux plus récents, notamment chez Joëlle Papillon qui parle « d’œuvres plus variées », dans son article « Texte de présentation », Temps Zéro [en ligne], dossier Imaginaires autochtones contemporains, 2013, www.tempszero.contemporain.info, ou dans l’article de Jonathan Lamy Beaupré, « Quand la poésie réinvente l’image de l’Indien », tiré du même dossier de la revue en ligne Temps Zéro, où il note cette orientation individuelle et intimiste qu’ont prise les poètes autochtones publiant au Québec dans les dernières années. 3 Emma Larocque, « Opening Address », Studies in Canadian Literature, vol. XXXI, n° 1, 2006, p. 13. « L’écriture des Premières Nations et des Métis a fréquemment été analysée dans des termes politiques ou 1 souhaitent inclure, dans leur compte rendu des textes, une dimension axée plus directement sur l’écriture même des auteurs et sur la créativité dont chacun d’entre eux fait preuve. On commence donc, pour ce qui est des écrits et de la critique elle-même, à s’éloigner de ce qui se faisait depuis les années 1970 : un corpus littéraire d’abord polémique et politique accompagné d’analyses qui se penchaient sur les aspects sociocritiques des œuvres et le message qu’elles transmettaient. Cependant, si l’on souhaite aujourd’hui s’intéresser davantage à la singularité des différentes productions et à leurs spécificités littéraires et esthétiques, il faut mentionner que, étant toujours dans un contexte particulier relevant de l’histoire de la colonisation en Amérique du Nord, les auteurs autochtones publiant au Québec continuent quand même à développer plusieurs thèmes en lien avec la situation coloniale et leurs conditions collectives. Comme le rappelle Maurizio Gatti, en effet, « [on doit] reconnaître que tout en exprimant d’abord son individualité d’Amérindien, chaque écrivain s’exprime aussi inévitablement avec le langage culturel de son groupe ou de sa classe sociale et que son œuvre est le reflet ou l’expression de la société qui l’entoure4 ». Le contexte dans lequel créent les auteurs des Premières Nations peut donc difficilement être passé sous silence, ce qui n’empêche pas de porter une attention particulière aux qualités formelles, stylistiques et narratives des textes, étant donné que « les dimensions politiques et esthétiques des œuvres littéraires ne sont pas forcément inconciliables5 ». ethnologiques. Les auteurs, en tant qu’individus avec leurs styles uniques, leurs imaginations, leurs tropes et leurs métaphores sont souvent mis de côté. » C’est moi qui traduis. 4 Maurizio Gatti, op. cit., p. 146. Plusieurs autres auteurs, critiques, ethnologues, historiens ou autres chercheurs du domaine des sciences sociales en arrivent au même constat. Voir Sarah Henzi, « Stratégies de réappropriation dans les littératures des Premières Nations », Études en littérature canadienne, vol. XXXV, n° 2, 2010, p. 76-94. Selon elle, il faut « reconnaître que la colonisation n’est pas une affaire du passé » (p. 88) afin de pouvoir rester lucides par rapport aux oppressions que vivent toujours les peuples autochtones aujourd’hui. 5 Isabelle St-Amand, « Discours critiques pour l’étude de la littérature autochtone dans l’espace francophone du Québec », Études en littérature canadienne, vol. XXXV, n° 2, 2010, p. 40. 2 De plus, les thématiques d’ordre social, qui étaient abordées sur un plan historique, se retrouvent maintenant développées de façon plus intime par les auteurs, comme l’ont remarqué plusieurs critiques récents. Jean-François Létourneau, par exemple, note dans sa thèse de doctorat que la génération contemporaine de poètes autochtones au Québec emprunte désormais « une nouvelle voie, plus intime6 »; selon lui, ce qui les distingue majoritairement de leurs prédécesseurs est que « leur univers poétique est ancré dans une histoire qui se veut d’abord personnelle7 ». Ce sont ces quelques prémisses qui nous amènent à explorer, dans ce corpus, la tension entre la parole individuelle et collective, les caractéristiques littéraires qui sont parfois laissées de côté, et une poétique de l’intime, une façon plus subjective de traiter les enjeux qui semble avoir émergé dans les productions plus récentes. Ainsi, nous en sommes venues à nous poser la question suivante : en quoi les stratégies d’écriture singulières mises en place par les romanciers autochtones d’aujourd’hui permettent-elles un traitement de différents enjeux (identitaire, sociaux, spatiaux, culturels, individuels, collectifs) d’une manière renouvelée ? Nous prendrons comme objet d’étude les romans de deux auteures contemporaines : Ourse bleue8 publié en 2007 par Virginia Pésémapéo Bordeleau et Manikanetish9 publié par Naomi Fontaine en 2017. Ces deux œuvres présentent, malgré leurs particularités, une démarche semblable et propice à l’exploration de la question. En effet, dans les deux cas, grâce à des choix d’écriture qui favorisent l’introspection, tant en ce qui concerne la forme 6 Jean-François Létourneau, « Le territoire dans les veines : Études de la poésie amérindienne francophone (1985-2014) », Thèse de doctorat en lettres et sciences humaines, Sherbrooke, Université de Sherbrooke, 2015, p. 75-76. 7 Ibid., p. 158. 8 Virginia Pésémapéo Bordeleau, Ourse bleue, Montréal, Mémoire d’encrier, 2007, 200 p. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle OB et placées entre parenthèses dans le texte. 9 Naomi Fontaine, Manikanetish, Montréal, Mémoire d’encrier, 2017, 140 p. Désormais,