Éducation et sociétés plurilingues

35 | 2013 Varia

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/esp/2695 DOI : 10.4000/esp.2695 ISSN : 2532-0319

Éditeur Centre d'Information sur l'Éducation Bilingue et Plurilingue

Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2013 ISSN : 1127-266X

Référence électronique Éducation et sociétés plurilingues, 35 | 2013 [En ligne], mis en ligne le 13 janvier 2020, consulté le 06 septembre 2021. URL : https://journals.openedition.org/esp/2695 ; DOI : https://doi.org/10.4000/esp. 2695

Crédits de couverture remerciements à l'École Lissardy, Hendaye

Ce document a été généré automatiquement le 6 septembre 2021.

© CIEBP 1

SOMMAIRE

Présentation Andrée Tabouret-Keller et Gabrielle Varro

Presentazione Andrée Tabouret-Keller et Gabrielle Varro

Val d'Aoste

Un projet pour l'éducation plurilingue et interculturelle Marc-André Jullian

Toponimi e identità: la percezione dei parlanti valdostani (Prima Parte) Luisa Revelli

Didactique & enseignement bi/plurilingue

Réalité virtuelle et jeux: de nouveaux outils pour des apprentissages plurilingues ? Gérald Schlemminger, Mickaël Roy, Manuel Veit, Antonio Capobianco et Gilles Noeppel

Expériences & Recherches

Les discours officiels sur les élèves étrangers et l’exigence de la « maîtrise » du français Gabrielle Varro

Informe de los encuentros sobre la didáctica de lenguas en la Universidad de Rouen: buenas expectativas en el interés por el plurilingüismo Ana-Isabel Ribera Ruiz de Vergara

Des Français et de la langue française Yannick Lefranc

Langues et dialectes dans l’arc alpin Tullio Telmon et Jeanine Médélice

La Glossodiversité, prolongement de la biodiversité chez Homo Sapiens Gilbert Dalgalian

Débat

Enseigner en anglais dans les universités françaises: quels effets prévisibles ? Claude Truchot

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Comptes rendus d'ouvrage

L’épreuve de français à l’examen d’Etat à la fin du cycle primaire en Vallée d’Aoste Marie-Thérèse Weber

Le spectre identitaire Entre langue et pouvoir au Mali Andrée Tabouret-Keller

Do you speak Swiss? Andrée Tabouret-Keller

Code switching Michael Clyne

Résumé de thèse

Approche anthropologique et sociolinguistique des usages linguistiques et des mixités matrimoniales en Inde Madhura Joshi

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Présentation

Andrée Tabouret-Keller et Gabrielle Varro

Chers lecteurs,

1 Exceptionnellement, ce numéro est composé presque entièrement de textes écrits par les membres du Comité de lecture de la revue. Ainsi, nos lecteurs auront un aperçu de qui nous sommes, de ce que nous faisons comme recherches, quels sont nos centres d’intérêt et nos préoccupations. Ceux-ci, comme on le verra, tournent essentiellement autour de la place des langues et du langage dans nos sociétés, bien vaste sujet qui permet à chacun de contribuer à nos questionnements communs, comme lecteur déjà mais aussi en nous envoyant une contribution écrite.

2 Faisons donc connaissance ! Participez aux débats ! Continuez à nous envoyer vos articles !

3 Bien amicalement,

4 Andrée TABOURET-KELLER et Gabrielle VARRO

AUTEURS

ANDRÉE TABOURET-KELLER

Université de Strasbourg (France)

GABRIELLE VARRO

Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (France)

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Presentazione

Andrée Tabouret-Keller e Gabrielle Varro

Cari lettori,

1 In via del tutto eccezionale, questo numero è formato quasi integralmente da testi scritti dai membri del Comitato di lettura della rivista. Così i nostri lettori avranno un’idea di chi siamo, dell’orientamento delle nostre ricerche, dei nostri centri d’interesse e delle nostre preoccupazioni. Come vedrete, essi hanno come punto centrale il posto delle lingue e del linguaggio nelle nostre società, un argomento decisamente vasto, che può permettere a ciascuno di contribuire ai nostri interrogativi comuni, come lettore certo, ma anche mandandoci un contributo scritto.

2 Allora facciamo conoscenza! Partecipate ai dibattiti! Continuate a mandarci articoli!

3 Con amicizia,

4 Andrée TABOURET-KELLER et Gabrielle VARRO

AUTORI

ANDRÉE TABOURET-KELLER

Université de Strasbourg (France)

GABRIELLE VARRO

Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (France)

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Val d'Aoste

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Un projet pour l'éducation plurilingue et interculturelle

Marc-André Jullian

1 Inverser l'ordre des mots pour faire sien un titre d'article est chose facile, mais je ne peux faire autrement qu'évoquer ici, en préambule, l'origine d'un projet qui a impliqué plus de 25 partenaires attachés à l'Éducation durant plus de 2 ans.

2 Le titre original auquel je fais référence est "L'éducation plurilingue et interculturelle comme projet" produit par Marisa Cavalli, Daniel Coste, Alexandru Crisan et Piet-Hein van de Ven en 2009 pour la plateforme de ressources et de références pour l'éducation plurilingue et interculturelle au sein de la commission des politiques linguistiques du Conseil de l'Europe. Cette étude détaillée qui donne de multiples définitions attachées aux notions de plurilinguisme et d'interculturalité tombait à point nommé dans une phase de recherche pour redynamiser l'enseignement bilingue français/langue régionale dont j'avais pour mission de développer dans l'exercice de mes fonctions. Ce texte met en valeur plusieurs points dont : la notion de projet qui vient étayer une entreprise d'avenir pour l'enseignement des langues, la formation des enfants et des enseignants. Je n'en citerai ici qu'un seul passage qui me semble résumer, et entamer à la fois, une démarche à suivre contre les représentations sociales et parfois institutionnelles, pour tenter de convaincre par des résultats. Il s'agit des "fonctions multiples des langues 'autres' dans l'éducation plurilingue et interculturelle", considérant que : • "toutes les langues ont une valeur indépendamment de leur statut dans une société donnée (langues officielles, régionales, minoritaires, de la migration,…) et de leurs statuts didactiques (langue 1, langue 2, langues "étrangères" d'origine, langues étrangères vivantes, langues classiques) • les diverses langues qui font partie du répertoire personnel des apprenants, mais qui n'entrent pas parmi les langues enseignées comme matières du programme, revêtent une importance éducative toute particulière: ce sont des langues que l'École à travers des approches plurielles et partielles, peut valoriser, en confortant l'identité des apprenants et en leur donnant d'égales opportunités de réussite scolaire".

3 La prise en compte et la mise en valeur des langues et des cultures, sans exclusive, nous conduira de l'enseignement bilingue vers un développement du plurilinguisme comme projet pédagogique et didactique.

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La problématique de l'enseignement bilingue français/ occitan

4 Comme dans la plupart des régions françaises possédant une langue régionale reconnue, l'enseignement bilingue français/occitan inscrit dans l'enseignement public souffre des représentations plutôt négatives ou tout au moins de l'ignorance convergente dont font preuve trop souvent les acteurs de l'éducation (parents, enseignants, responsables administratifs). S'ajoute à cela une confusion entre deux organisations de l'éducation aux langues étrangères entre les sections bilangues et celle de section bilingue ; la première autorisant l'enseignement de deux langues autres que le français (enseignées comme matière), la seconde incluant l'apprentissage de la langue 2 (dont le français – langue de scolarisation) dans l'apprentissage des disciplines.

5 De cette situation plutôt néfaste à l'avenir des cursus bilingues, il devenait nécessaire de construire un projet porteur d'ouverture qui tenterait de promouvoir la langue régionale et l'enseignement bi-plurilingue dans l'intérêt des enfants déjà inscrits ou en devenir dans les sites de l'académie de Montpellier.

D'un projet à l'autre

6 Les lectures ciblées de nombre de linguistes et spécialistes de la question de l'apprentissage des langues1, les rencontres lors de colloques, formations spécifiques ont largement servi la nécessité d'aller se rendre compte in situ du fonctionnement du bi- plurilinguisme en Vallée d'Aoste comme souvent décrit dans les expérimentations didactiques et pédagogiques.

7 D'une première rencontre à laquelle ont participé la plupart des formateurs en langues régionales de l'académie de Montpellier (occitan et catalan), est née une volonté de poursuivre les échanges et d'associer les enseignants chargés de classes bilingues, de part et d'autre de la frontière. Une base de réflexion a été lancée autour des contes et légendes via la plateforme e.Twinning et ces échanges ont permis de fédérer une grande majorité des maitres et maitresses languedociens et valdôtains sur un besoin de formation et d'échanges pédagogiques. La connaissance réciproque des fonctionnements scolaires devenait quant à elle indispensable, tout comme le développement de l'utilisation des techniques de communication (TICE). La concertation et les relations professionnelles entre les formateurs de l'Assessorat de l'Éducation et de la Culture (Mme Vernetto en particulier) et de l'académie de Montpellier ont grandement favorisé la mise en place d'une aventure beaucoup plus ambitieuse, impliquant deux collectivités territoriales comme porteurs officiels d'un projet européen Comenius Regio.

Quelques éléments sociolinguistiques et économiques

"La Vallée d’Aoste est l’une des cinq régions italiennes bénéficiant d’un statut d’autonomie (Loi constitutionnelle n°4 du 26 février 1948) qui reconnaît deux langues officielles (français et italien) enseignées pour un même nombre d’heures dans tous les établissements scolaires de la région, ainsi qu’une troisième langue, l’allemand, pour les communes Walser de la Vallée du Lys. Entre les aspects les plus

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caractéristiques de la Vallée d’Aoste, sa configuration linguistique joue un des premiers rôles. À cette configuration contribuent naturellement les présupposés bilingues statutaires mais aussi une constellation plurilingue bien enracinée et diffusée inhérente au domaine des langues d’utilisation lors de la communication quotidienne, qui regroupe les variétés linguistiques natives de la zone (le francoprovençal de la Vallée d’Aoste), ainsi que les variétés minoritaires d’importation plus ancienne (telles que les dialectes alémaniques des Walser de la Vallée du Lys ou le dialecte piémontais parlé dans la Basse Vallée) ou plus récente (les différents dialectes italiens et le langues de l’immigration). Suite aux lois nationale (482/99) et régionale (18/2005) pour la promotion des langues minoritaires et régionales, l’Assessorat de l’éducation et de la culture de la Vallée d’Aoste a mis en œuvre une série d’initiatives diversifiées en faveur de ces langues: formation des enseignants, publication d’outils et de ressources pédagogiques, ateliers de sensibilisation à l’intention des élèves de tous les niveaux scolaires. Ces initiatives font partie intégrante des actions envisagées pour l’éducation plurilingue et la promotion de la diversité linguistique et culturelle (dimension européenne de l’éducation), dans le cadre d’une approche holistique de l’enseignement/apprentissage des langues qui intègre la valorisation des langues régionales, au lieu de proposer une approche centrée exclusivement sur les langues minoritaires, ce qui constituerait une espèce de ghettoïsation de ces langues et de folklorisation des cultures qu’elles véhiculent" (Gabriella Vernetto in dossier de candidature au projet Comenius Regio 2011).

8 L'académie de Montpellier, quant à elle, correspond à la région Languedoc Roussillon, composée d'une large bande littorale méditerranéenne à densité de population importante et un arrière-pays allant jusqu'aux plateaux auvergnats où la population est plus clairsemée et moins diversifiée à l'exception de quelques villes plus importantes (Nîmes, Alès, Lodève, Carcassonne…). Elle a la particularité d'avoir deux langues régionales sur son territoire : l'occitan et le catalan. Langues de même origine, leur statut linguistique a évolué différemment de par une influence économique/politique de la Catalogne sud (Espagne) très importante pour le catalan. L'occitan est langue passerelle entre les régions occitanophones de l'Espagne et des vallées piémontaises italiennes. Elles ont toutes deux le même statut linguistique dans le domaine de l'éducation nationale, au titre des langues régionales, et sont enseignées sous plusieurs formes, dont l'enseignement bilingue à parité horaire (50% du temps en français et 50% du temps en LR) dans l'enseignement public (sept sites au total pour l'occitan et quinze pour le catalan).

Des objectifs ciblés

9 À l'issue de l'évaluation des besoins, deux catégories d'objectifs ont constitué la base de l'architecture de notre projet. les objectifs centraux : • le développement des programmes éducatifs par projets pour promouvoir la transversalité des curricula et des compétences de base ; • la promotion de la dimension européenne et internationale des établissements scolaires ; • le soutien au bi-plurilinguisme et au dialogue interculturel ; • l’emploi des TICE et du multimédia en tant qu’outils de partage et de collaboration.

10 et les objectifs dits "concrets" du partenariat : favoriser la dimension européenne à travers une communication de pratiques pédagogiques, par la mise en place d'une sorte de laboratoire bilatéral "permanent" de réflexion et d'essais en pédagogie du bi-

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plurilinguisme avec des enfants de 3 à 11 ans qui se rejoignent de façon pertinente dans les objectifs du programme Comenius : • Améliorer la qualité des mobilités des élèves ainsi que des personnels enseignants et non enseignants, en augmenter le nombre dans tous les États membres ; • Améliorer la qualité des partenariats entre établissements de l’enseignement scolaire des États membres, en accroître le nombre avec pour but d’impliquer au moins 3 millions d’élèves dans des activités éducatives conjointes pendant la durée de la programmation ; • Encourager l’apprentissage des langues vivantes étrangères ; • Soutenir le développement de contenus, services, pédagogies et pratiques qui s’appuient sur l’utilisation des TICE dans l’éducation et la formation tout au long de la vie ; • Améliorer la qualité et la dimension européenne de la formation des enseignants ; • Soutenir les améliorations en matière d’approches pédagogiques et de gestion des établissements de l’enseignement scolaire.

Des partenaires choisis

11 La structure particulière du Comenius Regio implique des collectivités territoriales, des établissements scolaires et des acteurs de l'éducation informelle. Vingt-sept structures se sont donc regroupées pour le bon déroulement du projet : 2 collectivités territoriales que sont l'Assessorat de l'Éducation à Aoste et la ville du Vigan, commune rurale cévenole de 4000 habitants, 15 établissements ou institutions scolaires, 6 organismes attachés à l'éducation par leurs activités de recherche, de promotion linguistique ou de diffusion d'ouvrages littéraires et 4 structures expertes de tutelle des enseignants et formateurs français. Un ensemble à coordonner et informer régulièrement pour que le projet suive les perspectives et actions définies autour des objectifs retenus.

Des actions spécifiques

12 Deux volets d'actions conjuguées ont mobilisé les acteurs du projet autour de la formation didactique des enseignants et la création pédagogique par les élèves. Cette vision globale de la formation au bi-plurilinguisme et la mise en pratique en classe a permis la production d'un outil de développement des pratiques plurilingues, conforme aux préconisations de Michel Candelier (Université du Maine) et Luisa Revelli (Université d'Aoste) qui nous ont présenté leurs réflexions sur le plurilinguisme et l'enseignement précoce des langues ou encore la didactique intégrée des langues.

13 Née en 1997 en Angleterre, l'initiative "sac d'histoires" a évolué au Québec où elle a pris une dimension bilingue. C'est en Suisse (2007) où le concept est devenu porteur de plurilinguisme et s'est doté de multiples atouts pour motiver sa circulation dans les familles grâce aux travaux de Christiane Perregaux et Élisabeth Zurbriggen (coordinatrice pédagogique SCOP-DEP- Genève) et qui a fait l'objet de plusieurs publications. Nous sommes donc les premiers à les diffuser en Italie et en France avec une adaptation supplémentaire.

14 Le statut particulier des langues régionales, reconnues par l'administration française mais pas encore entièrement considérées comme support d'apprentissage des langues, a induit une démarche intégrative, associant le fait culturel à l'activité linguistique. Après la présentation et l'étude de contes et légendes locales ou régionales, de

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productions thématiques en classe, la plupart des productions est fondée sur un élément culturel fortement attaché à la région d'implantation de l'école, écrit ou transcrit dans la langue régionale d'enseignement : occitan, catalan, francoprovençal, titsch ou toïtschu.

15 D'une péniche voulant des couleurs sur le canal du Midi à la naissance du glacier du Ruitor2, chaque conte a été écrit, corrigé, repris, relu, validé puis illustré en classe. L'aide d'un comité scientifique composé de personnalités de l'éducation ou de la recherche en linguistique a permis une production finale conforme aux attentes et aux normes linguistiques espérées3.

16 Dans l'optique des sacs d'histoires et du développement du plurilinguisme par la valorisation des langues de l'environnement, chaque conte a été traduit dans plusieurs langues, en fonction des communautés représentées au moment de l'enquête auprès des familles, puis édité en version bilingue dont le français comme langue du projet. Les langues régionales déjà citées sont, de fait, au même niveau que les langues de large diffusion (anglais, allemand, espagnol, italien) et que les langues moins répandues ou de l'immigration (portugais, turc, japonais, albanais, arabe). La richesse de notre projet réside également dans sa particularité d'ouverture à d'autres langues, non encore présentes sur les territoires concernés. En effet, une version de chaque album dite à "pochettes" permettra d'enrichir l'inventaire des traductions. Parallèlement aux albums, chaque sac est composé, comme dans les productions suisses, d'un CD audio autorisant l'écoute de toutes les versions linguistiques enregistrées, d'un glossaire permettant un réel retour des familles et une étude des langues en approches plurielles (Candelier; Revelli; Zurbriggen; Dominguez-Fonseca: interventions en formation), un jeu lié à l'histoire donnant à l'enfant une place centrale lors de la découverte du sac en famille, et enfin une surprise comme élément de motivation pour l'ensemble de ces activités.

Une mémoire virtuelle

17 La richesse des productions et la qualité des interventions, la multitude de documents édités ou les nouvelles du projet ne pouvaient être mises de côté au risque de les perdre. Un site spécifique pour tous ces éléments a été spécialement créé par les experts en nouvelles technologies de l'information de l'assessorat de l'éducation valdôtain. http://www.scuole.vda.it/comenius/ Composé d'un double volet, il répond au premier objectif d'information sur l'ensemble du projet, de son organisation et déroulement, de ses nouvelles. Le second volet est d'ordre plus réservé et constitue la banque de données à disposition des utilisateurs des sacs d'histoires tant du point de vue didactique que matériel pédagogique. Il continuera à vivre en fonction des initiatives et de la poursuite de l'opération "sacs d'histoires".

Un projet ouvert : des langues régionales aux langues étrangères de proximité ou de l'immigration

18 Comment aborder les cultures et les partager pour accéder au "dialogue interculturel" comme précisé dans nos objectifs ? Notre réflexion a pris très rapidement en compte un élément commun à toutes les cultures : le conte ou la légende, domaine transversal et

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universel à tous les peuples et à toutes les langues. Choisir d'intégrer la culture régionale dans les productions linguistiques n'est donc pas un hasard mais un vecteur d'ouverture à la connaissance de tous les autres et bien sûr d'échanges futurs par comparaison tant en ressemblances qu'en différences. La circulation des sacs d'histoires dans les familles offre une double plus-value pédagogique : d'une part ils mettent en valeur toutes les langues de l’environnement des élèves, y compris les langues de l'immigration, avec toutes les représentations qui s'y rattachent tant du point de vue des locuteurs que de celui de la société; de l’autre ils impliquent les familles dans un va-et-vient entre l’environnement familial et l’école. Chaque enfant partant normalement à la maison avec le sac contenant la version bilingue du conte correspondant à sa langue d'origine, voilà l'occasion de mettre en contact les deux univers des langues et des cultures. Il est probable que l'existence de la même légende ou de la thématique très proche suscite un échange intergénérationnel et la transmission de savoirs. C'est alors à l'école qu'il conviendra d'exploiter cette ouverture aux cultures. Plusieurs axes sont envisageables tels les arbres à histoires rassemblant les titres de livres lus ou racontés à la maison, l'utilisation des glossaires (Zurbriggen 2011, Conférence d'Élisabeth Zurbriggen lors du séminaire d'ouverture Aoste 10-2011).

D'une phase de conception/construction vers une phase d'utilisation-évaluation

19 À l'heure actuelle, nos collections de sacs sont terminées et sont parties dans les sites partenaires du projet. C'est ce que nous appelions la phase de réalisation. Et si l'idée semble tout à fait intéressante, sa conception/construction n'a pas été sans poser quelques problèmes. Le choix des premiers contes ou légendes, la détermination du thème central de la production, l'attachement culturel, et ensuite l'imagination des auxiliaires d'accompagnement constituant le "concept" ont suscité nombre de questionnements et d'échanges au cours des deux années d'élaboration. Il nous revient maintenant la deuxième phase, celle de l'utilisation et de l'évaluation de notre opération. Nous basons nos premières réflexions sur les expériences déjà menées à Genève et diffusées par vidéofilm interposé. Les commentaires et réflexions des parents interrogés sont porteurs d'espérances. Qu'en sera-t-il de notre côté ? Les premières présentations aux parents ou enseignants sont prometteuses, car plusieurs établissements scolaires valdôtains se sont inscrits dès ce mois de septembre pour l'utilisation et l'expérimentation de nos sacs d'histoires. Il est certain que tout sera mis en œuvre pour un suivi et une évaluation des retombées pédagogiques dans le domaine des transmissions linguistiques et culturelles et des pratiques plurilingues.

20 La spécificité des albums à format "pochette" permettra une ouverture supplémentaire par prolongement dans la création. La modification de la carte sociologique des langues représentées dans un territoire pourra donc être prise en compte par la traduction et l'enregistrement du ou de certains contes dans les langues non encore présentes en édition ou disponibles sur le site dédié.

21 La deuxième partie de l'évaluation portera également de façon interne sur l'image des langues, et en particulier des langues "modimes" c'est-à-dire moins dites et moins enseignées. Il s'agira de vérifier si pour la plupart, elles demeurent dans leurs représentations sociales quelque peu stéréotypées et ensuite de tenter d'agir pour les

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modifier. Ces langues souvent considérées comme non "capitalisable", c'est-à-dire qui ne servirait pas dans le monde d'aujourd'hui à un quelconque rapport économique, sont comme toutes les autres, porteuses d'une culture et d'une autre façon de voir le monde. Au cœur des activités d'exploitation pédagogiques, l'occitan au même titre qu'une autre langue romane ne servira-t-il pas à repérer les ressemblances, à fédérer les familles de mots, à construire un savoir plurilingue utile dans l'apprentissage général des langues ? De même pour les langues d'origine arabe d'où sont issus bien des emprunts en français par exemple et qui sont riches d'une vision scientifique (liaison entre chiffre et zéro par exemple).

Le projet comme vecteur de modifications des pratiques

22 Au cours de ces deux années de suivi du déroulement du projet, certaines évaluations ont eu lieu, et notamment quant aux modifications des pratiques pédagogiques et des rapports au travail en équipe. De façons très différentes, certains enseignants ont partagé le travail à accomplir, en fonction de leurs classes (âge des élèves, compétences, temps disponible) ou de la configuration organisationnelle et géographique de l'établissement/institution. Il est à relever certaines remarques très positives quant à l'ouverture autour du projet. Plusieurs échanges donc, entre les enseignants d'une même école, d'écoles de niveaux d'enseignement différents (maternelle/élémentaire/collège)4 ont été organisés pour l'organisation du projet, les répartitions de travaux, les décisions et validations ; entre les classes où les élèves ont été répartis en groupes ou ateliers pour les réflexions, préparations, confrontations ; pour des présentations (lectures d'ébauches de textes, illustrations, mise en scène…). D'autres situations n'ont pas permis ce travail de collaboration interne et locale et l'échange s'est réalisé uniquement à travers les modules de formation. La deuxième phase d'exploitation des sacs devrait permettre une poursuite de ce processus de communication pour gérer la circulation, l'évaluation et l'enrichissement des productions.

Pour un développement des compétences plurilingues

23 Les objectifs du projet sont liés aux approches plurielles dans l'apprentissage des langues, en suivant les conseils de Michel Candelier qui préconise l’utilisation de plusieurs langues pour acquérir des notions par un effet de retour et d’éclairage sur la L2 pour mieux comprendre la L1. Cette didactique des langues intégrée permet de jouer sur les particularités de chacune pour en comprendre le fonctionnement ou au contraire sur leur proximité pour favoriser l’intercompréhension, quand il s'agit de langues parentes. Et c'est la multiplication de ces opérations qui doit contribuer à la formation des compétences plurilingues mais également interculturelles comme définies ci-après : On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement possédée par un locuteur qui maîtrise, à des degrés divers, plusieurs langues et a, à des degrés divers, l’expérience de plusieurs cultures, tout en étant à même de gérer l’ensemble de ce capital langagier et culturel…. (Coste, Moore et Zarate,2009, p.11) tout en prenant garde à valoriser la variation intra et interlinguistique autant que la différenciation intra et interculturelle pour

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"aider les apprenants • à construire leur identité langagière et culturelle en y intégrant une expérience diversifiée de l’altérité; • à développer leurs capacités d’apprenants à travers cette même expérience diversifiée de la relation à plusieurs langues et cultures autres." (Coste,Moore, Zarate 2009 p9/10/12, Version revisitée de Compétence plurilingue et pluriculturelle Conseil de l'Europe, www.coe.int/t/dg4/.../CompetencePlurilingue)

Pour une valeur ajoutée européenne

24 La prise en compte des langues de l'environnement des enfants a déjà permis de réaliser la diversité et la multiplicité des situations linguistiques et sociales de chaque établissement, et par là, de participer de la construction d'une image de l'Europe en tant que territoire porteur d'une richesse culturelle intra et inter continentale. L'intérêt sera de transmettre de façon la plus pédagogique possible cette réalité à l'ensemble des élèves impliqués dans l'opération sacs d'histoires.

25 Présenté dans plusieurs séminaires ou colloques en France, Italie et Espagne, c'est le caractère de transférabilité de notre projet qui suscite l'intérêt majeur d'autres institutions d'éducation et de formation, ce qui n'est pas sans intérêt pour un développement des objectifs didactiques d'enseignement des langues auquel il a été fait référence, et par la prise en compte indispensable des particularités linguistiques locales ou régionales5. Si l'on veut consolider une valeur fondamentale de cohésion à l'entité Europe, cette démarche me semble porter sa modeste contribution.

Conclusion

26 Si j'ai tenté de montrer ou démontrer en quelques lignes que notre projet est porteur d'ouverture sur le plurilinguisme et l'interculturalité, la présence dans cette publication est pour moi une preuve de son intérêt dans la construction en devenir d'une société plurilingue, quelle que soit la langue porteuse d'initiatives, quand bien même ce serait une ou des langues régionales. Pour cette prise en considération non encore établie à tous les niveaux, je tiens à en remercier les responsables. Je souhaite reprendre un passage extrait d'un article paru dans Éducation et Société plurilingue : "Ce que constate J. Cummins au Canada est valable aussi pour la France et d'autres pays européens: «Le capital culturel, linguistique et intellectuel de nos sociétés augmentera de manière significative quand nous aurons fini de considérer les enfants différents, sur le plan linguistique et culturel, comme un "problème à résoudre" et quand nous nous ouvrirons aux ressources linguistiques, culturelles et intellectuelles que ces enfants apportent à nos écoles et à nos sociétés.» (Abdelilah Bauer, 2010)

27 Le plurilinguisme et l'interculturalité restent bien comme un grand projet.

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BIBLIOGRAPHIE

CAVALLI M., COSTE D., CRISPEN A. vAN DE VEN P-H. 2009. L'éducation plurilingue et interculturelle comme projet, Division des Politiques linguistiques, Conseil de l'Europe, Strasbourg.

COSTE D., D. MOORE et G. ZARATE. 2009. Compétence plurilingue et pluriculturelle, version révisée de la parution initiale de 1997, Conseil de l'Europe, Strasbourg.

CAVALLI M. 2005. Éducation bilingue et plurilinguisme, le cas du Val d'Aoste LAL Didier Paris

CANDELIER M. 2008. Approches plurielles, didactique du plurilinguisme : le même et l'autre Les cahiers de l'Acedle, volume 5, n°1 Recherche en didactique des langues – L'Alsace au cœur du plurilinguisme

DUVERGER J. 2011. Les pédagogies de projets bilingues : des pratiques à privilégier dans les dispositifs bilingues, ADEB Enseignement bilingue Le professeur de "Disciplines Non Linguistiques", Paris.

NOTES

1. Tous les auteurs ne sont pas cités ici, certains sont dans la bibliographie 2. Liste des 13 titres : La péniche qui veut des couleurs - La cornemuse languedocienne - La toupie égarée - La petite souris qi cherchait un mari - Pourquoi les grenouilles ont une longue langue - Le dragon de Loo – Morena – Cornetta - La légende de l'édelweiss - Les trois jours de la merlette – Gune - Le gacier du Ruitor - Monella. 3. Les membres en étaient: Rita Decime (Inspectrice honoraire, Vice présidente du CIEBP Aoste), Gabriella Vernetto (Inspectrice Assessorat Aoste), Christiane Dunoyer (Ethnologue, Centre d'études francoprovençales Aoste), Luisa Revelli (Professeur Université Aoste), Claire Torreilles (IPR honoraire en Langue et culture occitanes Montpellier), Élisabeth Zurbriggen (Département éducation Genève), Jean Duverger (Président de l'ADEB, professeur formateur honoraire à l'ISEN), Gérard Roques (IEN Narbonne France) 4. Un seul collège a participé au projet et a contribué à l'histoire interculturelle et plurilingue de Monella, conte imaginé par 3 classes de niveau Cycle 3 et collège. 5. Cf Duverger J. Extrait - Précautions pour un enseignement bilingue efficace: "… Complémentairement, une quatrième condition est d’approcher très vite, sous des formes plus légères, d’autres langues prises dans le capital de l’école, de l’environnement proche ou plus lointain: utiliser les langues régionales si elles existent, les langues des élèves issus de l’immigration, les langues du voisin, etc." dans un article paru dans Le français dans le Monde

RÉSUMÉS

This text presents a pedagogical tool created through and during a European French- Valley project mainly based on the regional languages taught in the two parts of the country. Occitan and catalan, francoprovençal, titsch and toïtschu demonstrate the place they occupy in the

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universe of the other languages and their legitimate nature in the service of plurilingual and intercultural teaching and education.

Questo testo è la presentazione di uno strumento pedagogico creato nel corso e per mezzo di un progetto europeo franco-valdostano condotto principalmente dalle lingue regionali insegnate nelle due regioni. L’occitano e il catalano, il franco-provenzale, il titsch e il töitschu cercheranno di mostrare nell’universo delle altre lingue e all’interno di questo progetto il posto che occupano e la loro piena legittimità nel contesto dello sviluppo dell’insegnamento o dell’educazione plurilingue ed interculturale.

AUTEUR

MARC-ANDRÉ JULLIAN

Conseiller pédagogique, Montpellier (France)

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Toponimi e identità: la percezione dei parlanti valdostani (Prima Parte)

Luisa Revelli

Premesse: la toponomastica in Valle d’Aosta

1 A differenza di quanto avvenuto in molte altre regione italiane, in cui la presenza di parlate minoritarie o seconde lingue ufficiali ha dato origine a soluzioni ufficiali alternative per le diverse trafile, in Valle d’Aosta i toponimi dispongono formalmente di un’unica forma che costituisce l’esito di una tradizione nel corso dei secoli esposta a rese oscillanti o arbitrarie indotte dalla complessità dei processi interlinguistici di conversione dalla sfera orale, dominata dal francoprovenzale, a quella scritta, veicolata dal latino prima, dal francese poi, dall’italiano infine (Raimondi 2003, 2006).

2 Con l’obiettivo di individuare soluzioni grafiche uniformi e al contempo volte al recupero delle forme ritenute più fedeli alla tradizione, con un recente provvedimento normativo1 il governo regionale ha nominato e affidato a una Commissione il compito di elaborare i “Critères à suivre pour la graphie des dénominations officielles”, criteri che hanno sancito un principio di base secondo cui le grafie dei toponimi, basate sulle convenzioni ortografiche del francese, devono tenere conto della tradizione orale di matrice francoprovenzale e prevedere accorgimenti quali la conservazione o restituzione di –z, -x e –d finali diacritiche2.

3 Al tentativo di ristandardizzazione delle denominazioni ufficiali si sono intanto affiancati interventi sulla microtoponomastica messi in atto dalle singole amministrazioni municipali: il di Aosta ha, per esempio, recentemente provveduto a modificare la denominazione di alcune zone urbane e a ripristinare nelle targhe delle vie del centro le grafie francesi settecentesche. Alcune di queste iniziative - come la francesizzazione della denominazione di quartieri nati e storicamente indicati con appellativi italiani (ad es. Quartiere Dora, diventato Quartier-de-la-Doire) o la traduzione nella lingua d’Oltralpe dei primi nomi dei personaggi cui le vie sono intitolate (ad es. Antonio Gramsci, diventato Antoine Gramsci) - hanno acceso vivaci dibattiti politici che però non sembrano aver coinvolto né tanto meno appassionato la

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comunità dei parlanti. La pronuncia dei toponimi da parte di questi ultimi è del resto caratterizzata da un bassissimo livello di codificazione: le scelte che contraddistinguono i comportamenti orali appaiono svincolate dalle soluzioni scrittorie tramandate e/o istituzionalmente validate e lontane da un’idea di norma riconducibile ad un sistema linguistico univoco. Negli enunciati dei parlanti valdostani un medesimo referente toponimico può, infatti, dare origine a svariate soluzioni denominative antagoniste. Non si tratta però mai di trasposizioni in direzione della traduzione da un codice all’altro: semplicemente, le forme di base, mantenendo i tratti caratterizzanti della matrice francese, vengono reinterpretate in modo diversificato a seconda che il modello fonologico e le norme di conversione dallo scritto al parlato si orientino prevalentemente sull’italiano, lingua oggi prevalente in tutti domini (Berruto 2003), al francoprovenzale, codice endogeno in consistente fase di rivalutazione anche nella prospettiva del particolarismo autonomista, o al francese, statutariamente seconda lingua ufficiale della regione, veicolata dall’insegnamento scolare e all’interno della comunità rappresentativa di valori simbolici di alterità e prestigio (Puolato 2006).

4 Le diverse varianti concorrenti si alternano così, tanto nei contesti informali quanto in quelli pubblici (trasmissioni radio-televisive locali, discorsi politici, ecc.), più o meno pacificamente convivendo a livello individuale e comunitario.

5 Nasce su queste basi l’idea di censire, attraverso un’indagine rappresentativa di molteplici categorie di parlanti, le polimorfe rese orali per uno stesso toponimo, e di elicitare, per mezzo di interviste mirate, i livelli di consapevolezza e le idee di norma sottese alle singole scelte di pronuncia, le potenziali rappresentazioni di prestigio, stigma, inadeguatezza e le esplicite e implicite valenze identitarie attribuite a specifiche soluzioni: se riconosciamo, infatti, la natura funzionale della differenziazione delle pronunce regionali italiane, accogliendo l’ipotesi che la loro resilienza alla standardizzazione “serva a strutturare i gruppi e contribuisca attivamente a costituire l’identità degli individui” (Antonini-Moretti 2000: 12), la correlazione tra i comportamenti linguistici e i modelli normativi rispettivamente adottati e dichiarati dai parlanti valdostani per la pronuncia delle denominazioni di luogo costituisce un oggetto di studio particolarmente interessante, potendo in un contesto di italofonia così profondamente mosso dalla stratificazione plurilingue i toponimi assumere il ruolo di referenti simbolici di un’identità asserita per esibire lealtà linguistica e culturale alla tradizione del territorio, e quindi per affermare – in presenza o a maggior ragione in assenza di abitudini linguistiche individuali al particolarismo conformi – sentimenti di inclusione e appartenenza alla comunità.

L’inchiesta: aspetti metodologici

6 L’inchiesta, condotta sul campo da Hélène Champvillair nel periodo compreso tra l’ottobre 2012 e il marzo 2013, ha coinvolto 135 parlanti, omogeneamente suddivisi per genere, ripartiti in tre macroclassi di età3 e provenienti da diverse aree della regione4. Il campione è risultato sufficientemente variegato in relazione al titolo di studio posseduto5 e rappresentativo delle abitudini linguistiche tipiche della Valle d’Aosta contemporanea: il 70% degli intervistati ha, infatti, dichiarato di utilizzare nel contesto familiare l’italiano, mentre il 30% ha affermato di usare il francoprovenzale, da solo (9%), in alternanza con l’italiano o in combinazione con altri codici.

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7 L’intervista è stata condotta interamente in italiano, e articolata in due parti, attraverso la combinazione di tecniche escussive complementari. Nella prima sezione a ciascun parlante è stata presentata una mappa della Valle d’Aosta ripartita secondo i confini rappresentativi dei territori comunali. Alla mappa mancavano le etichette relative a 16 dei 74 Comuni valdostani: gli intervistati venivano quindi invitati a denominare i toponimi mancanti, possibilmente menzionando anche quelli confinanti. La natura topografica del compito, che induceva gli intervistati a concentrare tutta l’attenzione sulla collocazione geografica delle aree comunali, ha consentito di ottenere realizzazioni poco o affatto foneticamente sorvegliate.

8 Una volta illustrato lo scopo del test, la seconda parte dell’intervista prevedeva che l’informatore venisse sollecitato a conversare a proposito dello statuto linguistico delle denominazioni dei Comuni valdostani: l’obiettivo era in questo caso quello di far affiorare, nell’interazione con l’intervistatore e a partire da alcune domande-stimolo, le opinioni metalinguistiche e meta-sociolinguistiche a proposito di cause ed effetti della variazione; di attivare valutazioni a proposito della sovrabbondanza di pronunce e ipotesi relative alle rappresentazioni di correttezza; di sollecitare consapevolezza rispetto alla coerenza dei comportamenti propri e altrui; di rendere esplicita l’adesione a norme, canoni, paradigmi di riferimento; di far emergere eventuali pregiudizi, stereotipi, cliché nella formulazione di giudizi di valore o disvalore.

9 Relativamente ai risultati della parte dell’inchiesta basata sull’elicitazione delle pronunce ci limitiamo qui a riferire che i tratti di oscillazione più rilevanti e diffusi hanno riguardato le alternanze accentuali, ossitone o parossitone, soprattutto nella pronuncia delle denominazioni bisillabe; il discontinuo trattamento di –e, -d, –s e –z finali, alternativamente pronunciate o omesse; vari adattamenti introdotti per la resa di suoni estranei al sistema fonologico dell’italiano invece implicati nel modello francese adottato per la grafia (ad esempio /y/ > /u/; /ʒ/ > /ʤ/ ), le fluttuazioni nell’articolazione delle vocali seguite in una stessa sillaba da -m o –n, nasalizzate secondo il modello francese o più spesso pronunciate con una sequenza di vocale orale+consonante nasale, secondo la tipica pronuncia italiana del francese (Maturi 2006: 145).

Tabella 1

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ESEMPI DI VARIAZIONE NELLA PRONUNCIA DEI TOPONIMI COMUNALI DELLA VALLE D’AOSTA

FÉNIS [NDPV: “fe-nìs ou fen-ìs, n nasal”]: /ˈfenis/: 62%; /feˈnis/: 38%. Nessuna correlazione di rilievo emerge in rapporto alle lingue utilizzate in ambito familiare, né in relazione ai luoghi di nascita e residenza o al titolo di studio. A prescindere dalla scelte d’accento, la –n- non è mai nasalizzata e la – s finale è sempre pronunciata, come sorda. [NDPV: “do-nàs”]: / d nna / (15 occ.), / d nnas/ (49 occ.), / d nna/ posizionamento ˈ ɔ ʦ ˈ ɔ ˈ ɔ (2 occ.), /don nas/ (64 occ.), /don na/ (1 occ.) Accentazione parossitona: 49%; dell’accento tonico ˈ ˈ │ ossitona: 51%. in toponimi bisillabi Tendono a privilegiare le varianti ossitone i giovani più degli anziani, i quali conservano in alcuni casi la pronuncia terminante con –ts, probabile residuo della grafia Donnaz in uso fino al 1976. VERRÈS [NDPV: s.v. Verès: “ve-rès”]: /ˈvɛrrɛs/: 75 occ. La pronuncia parossitona è preferita anche fra coloro che dichiarano di utilizzare in famiglia il patois (18 occ.; ossitona: 15 occ.).

QUART [NDPV: s.v. Quar “kàr”]: (/kwart/: 56%; /kar/: 44%). A privilegiare la pronuncia italianizzante sono prevalentemente i parlanti trattamento dialettofoni, specie se collocati nella fascia d’età oltre i cinquant’anni. I modelli del digramma qu televisivi escludono invece la pronuncia della semivocale e della consonante finale, che anche alcuni giovani esplicitamente stigmatizzano, facendo riferimento alla norma francese veicolata dalla scuola.

BARD [NDPV: s.v. Bar: “bàr”]: /bard/: 20 occ. (17%); /bar/: 83%. L’esito /bard/, che non è raro sentire anche nei modelli televisivi locali, è stato selezionato in tre casi da parlanti dialettofoni, in quattro da parlanti provenienti da altre trattamento di –d regioni. Alcuni testimoni condotti a riflettere sulla loro scelta hanno affermato di usare alternativamente le due forme antagoniste a seconda della collocazione del toponimo all’interno della frase, e quindi sulla spinta di ragioni eufoniche o fonosintattiche

BIONAZ [NDPV: s.v. Biòna: “bi-ò-na”]: /ˈbjona/: 73%; /ˈbjonaʦ/: 35 occ. Soltanto otto parlanti che hanno optato per la variante terminante in -ʦ applicano poi lo stesso principio al tipo [NDPV: s.v. Perlo: “pèr-lo”]: /ˈpɛrlo/: 75 occ.; /ˈpɛrloʦ/: 32 occ.; /perˈlo/: 4 occ. Tendenzialmente sembra di osservare una trattamento di –z predilezione della pronuncia con –ts nelle persone più mature (età media: 44 anni; esiti vocalici: 36 anni), mentre non si riscontrano correlazioni evidenti con le abitudini linguistiche dell’ambito domestico né con il paese di nascita o l’area di provenienza

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Soltanto 15 fra gli intervistati hanno indicato il territorio di SARRE [NDPV: s.v. Saro “sa-ro”] preferendo la dicitura /ˈsarre/ a /ˈsarrə/. La –e finale è stata pronunciata occasionalmente anche nei tipi HONE e VALPELLINE [NDPV: s.v. Vapellena “va-pe-le-na, accent tonique sur l’avant-dernière sillabe], peraltro trattamento di –e esposto a avariate oscillazioni (/valpəˈlinə/: 97; /valpeˈliɲ/: 23; /valpel’lin/: 2; /valpel’line/: 4). Tre dei 10 intervistati che hanno indicato [NDPV: “kò-gne”] come / ˈkɔɲe/ (/ˈkɔɲə/: 117; in un solo caso, /ˈkɔɲɲe/) hanno dichiarato di utilizzare il patois in famiglia e due sono nati e cresciuti in quella stessa località.

Il riferimento al modello di pronuncia francoprovenzale è indicato tra parentesi quadre, con la riproduzione dell’indicazione fornita dal Nouveau dictionnaire de patois valdôtain di Aimé Chenal e Raymond Vautherin (Quart, Musumeci, 1997 = NDPV)

10 Rimandando a Revelli 2013 per un più analitico resoconto dei fenomeni di variazione registrati e delle correlazioni esistenti tra le scelte di pronuncia e alcune variabili sociolinguistiche rivelatesi significative, riportiamo nella Tabella 1 qualche esempio utile a contestualizzare la dimensione all’interno della quale si collocano i fenomeni a proposito dei quali i parlanti consultati hanno espresso le opinioni che nelle prossime pagine ci proponiamo di commentare, avvertendo che: • gli intervistati vengono indicati, tra parentesi quadre, attraverso la sigla P seguita da un codice numerico convenzionale; • nella riproduzione delle battute di parlato i toponimi sono rappresentati tra barre oblique, in alfabeto IPA, con introduzione del segno /ˈ/ prima della sillaba accentata; • pause, reticenze ed esitazioni sono riprodotte attraverso i tre punti /…/, a prescindere dalla durata; • riempitivi e vocalizzi non verbali sono resi in modo approssimato, attraverso soluzioni grafiche come mhm, eh, boh; • le grafie ufficiali per i 73 Comuni della Valle d’Aosta che si aggiungono a quello di Aosta- Aoste, unico a possedere doppia denominazione ufficiale, sono, in ordine alfabetico, le seguenti6:

11 , Antey-Saint-André, , , , Ayas, , Bard, , , Brusson, Challand-Saint-Anselme, Challand-Saint-Victor, , Chamois, , , , Châtillon, Cogne, , Donnas, , Emarèse, Etroubles, Fénis, , Gaby, , , Gressoney-La-Trinité, Gressoney-Saint-Jean, Hône, , , , Jovençan, , La Salle, La Thuile, , , , , , , Perloz, , , , Pont-Saint-Martin, Pré-Saint- Didier, Quart, Rhêmes-Notre-Dame, Rhêmes-Saint-Georges, , Saint-Christophe, Saint- Denis, Saint-Marcel, Saint-Nicolas, Saint-Oyen, Saint-Pierre, Saint-Rhémy-en-Bosses, Saint- Vincent, Sarre, , , Valpelline, , , , Verrès, Villeneuve.

La variazione secondo i parlanti

12 Una prima seppur provvisoria ripartizione interna del campione degli intervistati può essere operata sulla base delle risposte alla domanda: “Secondo lei il fatto che i nomi

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dei Comuni vengano pronunciati in modi diversi è un fatto positivo, negativo o che non ha importanza?”.

13 Il 42% del campione dichiara di attribuire al fenomeno scarso rilievo ([P32]: non ha nessuna importanza: basta farsi capire), considerandolo come radicato nell’area ([P27] mi accorgevo anche quando andavo a fare l’università che già in treno quando non c’erano ancora quelle cose come adesso… le voci registrate… che quindi teoricamente lo dicono giusto maaa… a seconda di chi c’era una volta diceva /ˈverres/ una volta diceva /verˈres/, /saŋvenˈsɑn/ o / sɛŋvenˈsaŋ/), o registrandone l’esistenza con rassegnazione o indulgenza: [P118]: secondo me… sì, boh, c’è un po’ una confusione … non so, forse un po’ di ignoranza, però a me… non mi sembra così grave… cioè: mi sembrerebbe grave se da qualche parte ci fosse…un riferimento che tutti sanno… che si chiama /ˈverres/ piuttosto che /verˈres/, però invece siccome mi sembra che a livello generale ci sia una tale confusione, allora dici: va beh. [P33]: magari per quelli del posto cambia qualcosa perché sanno come andrebbe pronunciato quindi dà fastidio se qualcuno lo pronuncia in modo diverso, però così … non credo che sia una cosa… rilevante. [P132]: per quanto riguarda /kwart/, probabilmente bisognerebbe dire /kar/, perché … perché è in francese. Poi sono io il primo che dico /kwart/. Nel caso di / ˈfenis/… sinceramente non so se è giusto /ˈfenis/ o /feˈnis/, però proprio appunto perché non do importanza. Non è che se uno…: l’importante è che ci si capisca.

14 Atteggiamenti di malcelata o esplicita ostilità nei confronti dell’oscillazione delle pronunce sono invece individuabili in un terzo delle risposte (34%), e si manifestano prevalentemente attraverso commenti di negazione della possibilità che esistano varianti dotate di pari dignità: [P2]: non è che vengano pronunciati in maniera diversa: vengono pronunciati in modo giusto o sbagliato. [P11]: se un posto ha un nome, se c’ha degli accenti bisogna rispettarli. Ci sono degli accenti nelle parole, non è che uno se li inventa! [P 77]: se c’è una pronuncia dev’essere quella. [P119]: io sono uno molto preciso e secondo me è negativo che ci sia questa promiscuità di pronunce, perché comunque… se mhm… se un Comune ha quel nome, dev’essere pronunciato in una certa maniera.

15 I giudizi più categorici – non necessariamente provenienti da parlanti endogeni – fanno riferimento a due principi fondamentali: la sacralità dello statuto del nome proprio, sentito come inviolabile e intraducibile ([P134] è importante, perché tipo… se mi chiamano Dàniela invece che Danièla… beh: la pronuncia è importante) e il riferimento a norme grammaticali, evocate però in modo astratto e indeterminato, senza che sia chiaro quale sia il codice del repertorio e le specifiche convenzioni cui viene fatto riferimento. Così, ad esempio, [P6] afferma: I nomi dovrebbero essere giusti, cioè…: è grammatica.

16 Alcuni motivano la loro disapprovazione per la compresenza di soluzioni alternative esprimendo fastidio per l’intersecarsi dei diversi codici disponibili ([P6] secondo me questa varietà delle pronunce è un casino. Per esempio mia madre sbaglia perché pronuncia in italiano come in dialetto) o lamentando inconvenienti comunicativi conseguenti a una mancata mutua comprensibilità ([P 88] la pronuncia dei nomi dei paesi cambia tanto. La gente non si capisce. Non mi piace.) che i più danno invece per scontata ([P38]: /kwart/ o / kar/: ci capiamo lo stesso ).

17 Il 24% degli intervistati guarda con favore alla varietà e all’assenza di convenzioni condivise ([P127]: mi diverte l’idea che nessuno sappia esattamente come pronunciare …

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diciamo che mi diverte eh l’idea di non sapere dove sta la verità, se sbaglio io o sbaglia lui o sbaglia l’altro, quindi… va bene così).

18 L’eterogeneità delle pronunce è interpretata come veicolo di una libertà che consente a ciascuno di selezionare le varianti più consone al proprio idioletto ([P 76] Secondo me la varietà è bella: con la pronuncia … collochi la persona al suo posto): in questo senso, alcuni – manifestando un senso della diatopia interna (Telmon 2002) che, come vedremo oltre, si è rivelato in generale molto spiccato e diffuso – fanno riferimento alla storica frammentazione dialettale del territorio: [P133] [la varietà di pronuncia] è bella perché è molto legata al linguaggio del territorio, che a seconda del patois che solitamente viene utilizzato – perché son tutti diversi – allora la pronuncia cambia.

Lealtà linguistica e appartenenza culturale

19 Non sempre le dichiarazioni di principio hanno trovato corrispondenza nelle successive fasi della conversazione: anche da parte dei parlanti maggiormente aperti alla variazione sono, infatti, spesso emersi atteggiamenti rivelatori di sentimenti di imbarazzo nei confronti di una francofonia o dialettofonia asserita ma vissuta con conflittualità rispetto agli usi spontanei: [P98]: a me mi è sempre venuto da dire /ˈfenis/ invece che /feˈni/, /ˈdonnas/ invece che /donˈna/, e invece… invece bisognerebbe dargli l’accento sull’ultima sillaba sennò … ehm… beh, perché io ci tengo ad essere valdostana e mi piace che… che vengano pronunciati nel modo giusto, ecco. [P129]: se io dico /kar/ è perché mi sforzo per non dire /kwart /.

20 Lo iato tra intenzione ed esecuzione, tra lealtà al territorio e spontaneità della produzione linguistica provoca in non pochi degli intervistati un senso di inadeguatezza che si concretizza nell’uso frequente di enunciazioni ottative e espressioni formulate attraverso verbi di tempo condizionale: [P6]: noi dovremmo essere una regione francoprovenzale e quindi dovremmo essere più …forti … cioè: ci dovrebbe venire … cioè …eh, più spontaneo dire /kar/ , /feˈnis/ … E invece non ci riusciamo. [P20]: (il nome di un paese) uno deve dirlo come … secondo me… com’è il più giusto. Secondo me ogni popolazione del paese dovrebbe sapere il modo giusto di dirlo. [P56]: sono nomi francesi e quindi dovrebbero avere una pronuncia francese e invece in realtà qui ad Aosta spesso sbagliamo. Anch’io personalmente sbaglio. [P67]: adesso … cioè io … da parte mia preferisco la pronuncia valdostana, francese, eh… così…almeno… secondo me. Poi ciascuno... Per me è un po’ negativo [che ci siano pronunce diverse] perché comunque… cioè… siamo anche … francofoni, quindi dovremmo... [P84]: sarebbe giusto saperlo dire …come si dice…cioè…siamo un paese che confina con la Francia quindi i paesini bisognerebbe… almeno… penso… secondo me, eh… bisognerebbe saperli dire nel modo giusto. [P 101]: è che siamo forse un po’ ignoranti su alcune cose… nel senso che … mhm, è un modo di dire, però in realtà non conosciamo forse …abbastanza bene… i nomi dei posti per pronunciarli nel modo giusto, non so come dire …eh, è un po’ un discorso di… cioè …perché son nomi francesi per cui dovresti dargli l’intonazione, e invece col tempo… tipo Monˈʤiove: l’hanno italianizzato. 21 In questo contesto, ma non necessariamente stigmatizzando il fenomeno, diversi parlanti riconoscono di non adottare, per lo meno non sempre, comportamenti omogenei e di non scegliere necessariamente le soluzioni che pure ritengono più “corrette”:

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[P10]: /kar/ si deve dire, e invece noi diciamo tutti /kwart/. [P35]: io stessa una volta dico in un modo e la volta dopo dico in un altro. Non so come si dica nella realtà. [P50]: vedo che … alcune volte dico /ˈfenis/, altre volte /feˈnis/, ma … non so perché: me ne accorgo che cambio. [P55]: io li dico a seconda di come …bhò… non lo so, dipende… anche dipende da con chi sto parlando… dipende anche dal contesto, dalla frase. [P66]: sì, eh… succede che tipo /monʒoˈve/ diventa /monˈʤiove/, /ˈdonnas/ … / donˈnas/ : diciamo che andrebbero pronunciati bene alla francese, però… vengono un po’ italianizzati. Diciamo che mi piacerebbe pronunciarli sempre giusti, però… faccio un po’ come capita. [P 97]: dico più che altro /ˈverres/, ma dipende …eh… dipende dai giorni. [P 113]: son già io la prima che pronuncio male! /ˈfenis/: io non dico mai /feˈnis/, dico sempre /ˈfenis/! O /kar/ , io lo chiamo sempre /kwart/.

La norma (in)desiderata

22 L’assenza di regolarità nelle pronunce viene da molti ricondotta alla mancanza di canoni fonologici e modelli normativi di sicuro riferimento. Anche chi si dichiara maggiormente contrariato dalle oscillazioni manifesta poi dubbi e incertezze nell’orientarsi fra le diverse soluzioni disponibili: [P14]: una cosa che noto è che molti dicono /kwart/ invece che … cioè … non so … ma penso che sia giusto dire /kar/ . [P29]: mi dà fastidio non sapere se è giusto /ˈverres/ o /verˈres/, per esempio. [P30]: io …da quello che so… è che comunque ad esempio /ˈbiona/ … vedi, io dico / ˈBiona/, ma in teoria si dovrebbe dire /ˈbionaz/. O no? [P37]: è che non si sa la pronuncia giusta, cioè … la si diceee così… alle volte sbaglio anch’io: /ˈdonnas/ o /donˈnas/? [P53]: io non so mai come dirli, dove mettere l’accento, se dire la esse alla fine. [P 85]: per esempio io dico /ˈfenis/ anche se so che sarebbe /feˈni/. No, non so in realtà. Io dico /ˈfenis/. /feˈni/ non mi sembrerebbe giusto. Comunque ci sono dei nomi di certi Comuni che vengono detti in una maniera… tipo /ˈdonnas/ che molti dicono /ˈdonna/ o /donˈnas/ . [P 93]: a me mi viene da dirli alla francese… perché mi sembra più giusto… però poi non so se è giusto. [P115]: a volte è un po’ complicato, tipo /kar/ e /kwart/: alcuni dicono… ma anche chi ci abita… alcuni dicono in un modo, altri in un altro…. A me…cioè… io tutte le volte mi pongo il quesito, e dico: ma come lo devo dire? O se no… non so… tipo / ˈperlo/: alcuni dicono /ˈperloz/, chi ci abita anche. A me piacerebbe sapere di preciso come va detto. [P120]: delle volte mi chiedo quale sia la pronuncia giusta, perché sicuramente ce n’è una giusta.

23 L’incertezza attiva, soprattutto ma non soltanto in chi proviene da fuori regione, dispositivi di orientamento sugli interlocutori e sulle loro aspettative: [P 111]: da persona che è qua da 21 anni … ho dovuto cercare di capire - un po’ come con i cognomi, del resto - ho dovuto cercare di capire cosa si aspettava la maggior parte della gente nella pronuncia dei Comuni […] Per i Comuni in realtà io cerco di rispettare da un lato quella che è la pronuncia giusta, visto che in molti casi son nomi francesi, e dall’altro capire un po’ come vogliono che vengano pronunciati qua, per cui non so… io dico /kar/ , però molta gente dice /kwart/. [P 101]: io dico a volte /ˈdonnaz/, a volte /donˈnas/ , perché … perché so che la gente di lì vuole che si dica /ˈdonnaz/ in quanto… in realtà è così che loro lo pronunciano, per cui… eh, dipende un po’.

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[P127]: a volte io stessa prima di pronunciare il nome di un Comune mhm mentalmente eh… ci penso, e poi dico: ma l’avrò detto giusto? Perché in effetti lo sento magari pronunciare in modo diverso da altri.

24 Il senso di smarrimento provocato dalla sovrabbondanza delle varianti induce alcuni a desiderare regolarità e modelli univoci, o addirittura a formulare l’auspicio che si possa pervenire a una codificazione imposta centralmente: [P18]: a me piacerebbe che i paesi venissero chiamati col loro nome e che anch’io potessi sapere esattamente qual è questo nome: che ci fosse …. eh … una pronuncia prestabilita. [P28; ]: la varietà crea confusione. Anche dal punto di vista istituzionale. Proprio ieri sera parlavamo che /arˈna/ era /arˈnaz/ fino aaaa… all’Ottanta forse, e poi è diventato /arnad/. Cioè: sarebbe il caso di definire una volta per tutte… E /ˈverres/, anche, che /verˈès/ lo chiama pochissima gente. [P38]: sarebbe bello che ci fosse una pronuncia unica per tutti. [P40]: io trovo piuttosto negativo che un paese proprio vicino… che abbiano una pronuncia … che uno lo dice in un modo uno in un altro … non si capisce. [P81]: magari anche per chi non parla patois o francese sarebbe più comprensibile cioè più chiaro avere un’unica pronuncia. [P131]: direi che dovrebbe essere data una linea d’indirizzo sulla lettura corretta, però probabilmente i locali lo pronunciano nel modo giusto mentre le persone non abitanti nel … nel paese… non conoscono esattamente la pronuncia, se c’è l’accento sulla e piuttosto che se si pronuncia la zeta finale o meno. Però se ci fosse un ordine sarebbe sicuramente produttivo per i turisti ma nel contempo anche per gli abitanti perché vengono riconosciute le loro… caratteristiche … anche fonetiche.

25 Il denominatore che accomuna i parlanti che si auspicherebbero una ristandardizzazione delle pronunce lascia però trapelare presupposti diversi: se i più danno per implicito o scontato che un modello prescrittivo debba fare riferimento al francese ([P 75] sarebbe bello che fossero pronunciati tutti in francese uguale), alcuni fanno invece riferimento ai canoni del francoprovenzale ([P 102] bisognerebbe pronunciarli alla francoprovenzale; [P 110] Io credo che la cosa più giusta sarebbe fare riferimento al nome in patois, e poi eventualmente riproporlo in termini… francesizzandolo, per dargli una grafia), mentre le voci inclini a un adattamento verso l’italiano risultano decisamente fuori dal coro ([P 88] Poi anche siamo italiani: i nomi dovrebbero essere italiani, non francesi. Noi non c’entriamo niente con la Francia).

26 Rarissimi sono per converso gli atteggiamenti di avversione nei confronti dei tentativi di standardizzazione, sentiti come inutili forzature: [P21]: io odio le omologazioni: /arˈna/ è giusto che ognuno lo pronunci, eh…[come vuole]. Adesso rifanno le targhe ad Aosta per avere il toponimo preciso e perfetto con la targhetta e invece è bello andare a scoprire come… in qualche modo un tempo si metteva la zeta, un tempo si metteva la di: è la cosa più bella! Adesso no: tutto standardizzato.

L’idiosincrasia per le pronunce ‘sbagliate’

27 Non tutti gli scarti rispetto alle pronunce considerate desiderabili sono giudicati con pari severità. In linea di massima, i commenti negativi si concentrano su determinati tratti percepiti come marcati perché corrispondenti a pronunce che si distanziano dai modelli fonologici del francese e del francoprovenzale, ossia ritenuti compromessi dall’adattamento di suoni, come le vocali nasali e quelle turbate, verso rese semplificate che trovano corrispondenza nell’inventario fonematico dell’italiano:

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[P24]: quando senti dire al telegiornale /curmaˈiɛr/ ti da fastidio, perché noi siamo in Valle d’Aosta, almeno la nostra tradizione, le nostre… i nostri valori… cioè… i nomi francesi che abbiamo nella nostra Valle dobbiamo tenerli francesi. [P 110]: quello che mi disturba è quando c’è un evidente errore, tipo chiamare / saŋvenˈsɑn/ invece di /sɛŋvenˈsaŋ/: quello mi disturba moltissimo. [P73]: io non ci faccio caso, nel senso che sono abituata a sentire italiano e patois continuamente, per cui non ci faccio caso sinceramente se cambia la pronuncia, cioè lo sento se so che è sbagliata. Nel senso, tipo /saŋvenˈsɑn/ so che è sbagliata ma la pronunciano quelli che non sanno il francese tipo, che ne so, calabresi immigrati che non l’hanno mai studiato. Sennò non ci faccio caso: solo se è sbagliata me ne accorgo. Se sono abituata a sentirla in patois… non ci faccio caso; in italiano neanche; in fran… - cioè, eh, in italiano: i valdostani che parlano in francese – mi accorgo che mi dà fastidio se la pronunciano sbagliata quelli che non sanno il francese. [P120]: ad esempio quando dicono /nus/ invece che /nys/ mi dà terribilmente fastidio.

28 L’intolleranza è maggiore quando ad adottare una pronuncia disallineata sono persone residenti in Valle d’Aosta ([P23]: Un conto è il milanese che lo pronuncia sbagliato, un conto è il valdostano che dice /monˈʤiove/ per /montʒoˈve/), e soprattutto se si tratta di personalità che rivestono ruoli istituzionali: [P34]: quando sento il sindaco di /enˈtro/ che dice /inˈtro/ o quello di /sɛ◌̃ŋvenˈsaŋ/ che dice /saŋvenˈsɑn/ mi dà proprio fastidio.

29 Oggetto di diffusa disapprovazione sono, inoltre, i giornalisti delle testate televisive locali: [P49]: secondo me la cosa più critica è che per esempio al TG-Regione i nomi dei comuni vengano pronunciati in maniera scorretta che… voglio dire… dovrebbe essere un esempio eh … e poi ci stupiamo che la gente comune non sappia pronunciarli, ma è ovvio! [P 106]: francamente non mi sono mai posto il problema di come io pronuncio, però devo dire che mi dà molto fastidio se per esempio sento un giornalista del TG3 che massacra il nome di un paese.

30 Una minoranza degli intervistati dichiara di sanzionare, attraverso esplicite correzioni, gli interlocutori che impiegano varianti di pronuncia ritenute improprie: [P5]: a volte con gli amici litighiamo per come è più giusto dire. [P24]: però tipo io ho una compagna di /ˈfenis/ che si arrabbia quando noi diciamo / ˈFenis/, perché secondo lei si dice /feˈnis/. [P49]: io tendo a correggere la gente che dice … degli errori. [P52]: per me la pronuncia non ha importanza, ma per mia mamma ne ha un sacco: lei mi dice sempre di dire /feˈnis/, /kar/ … [P 72]: se è gente che conosco li correggo, cioè … che ne so… se è gente di famiglia li correggo. Chiaro che se è gente … estranea ….allora no. [P 91]: io probabilmente prima li pronunciavo malamente, ad esempio /feˈnis/ lo pronunciavo /ˈfenis/. Poi mi è stato fatto presente da un professore e da allora sono molto più attenta, anche se gli stessi abitanti di /ˈfenis/ quando parlano in italiano sbagliano la pronuncia perché dicono /ˈfenis/ anziché /feˈnis/ … Però non è una cosa sentita in paese, nessuno ti correggerebbe mai [P 92]: molti fanno così… eh, dicono /sar/ o /sarre/. Per me, non essendo nata qua, io come lo dico lo dico, non m’importa tanto, però… vedo che c’è gente qua, del posto, valdostani che a volte ti correggono… ho trovato alcune persone che mi hanno corretto, e però non si sa mai come si deve dire. Ad esempio: /ˈfenis/ o /fe ˈnis/? [P 96]: io correggo quando sento dire sbagliato, anche i miei figli li correggo, perché… non mi piace sentir dire tipo /ˈverres/: io ci tengo, perché poi alla fine … altrimenti è italianizzato.

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[P116]: i valdostani doc, ad esempio… cioè… io queste discussioni ce l’ho sempre a casa perché mio papà lui dice: “no, assolutamente non dire /ponte/: è /pont/ [Pont- Saint-Martin), e si deve pronunciare correttamente” però no… io trovo che invece sia mhm … normale.

31 Soltanto due degli intervistati sottolineano la distinzione tra oralità e scrittura, attribuendo agli scarti ortografici un peso decisamente maggiore: [P42]: la pronuncia dipende dalle zone, dai dialetti, dalla lingua … comunque il nome è sempre quello, finché si scrive sempre uguale, ognuno … è sempre la stessa cosa. A me non disturba. Se proprio non cambiano la scrittura, è quella la cosa importante. [P 110]: mi disturba molto di più quando la grafia è sbagliata.

32 Che la reattività dei parlanti sia molto minore di fronte alle realizzazioni orali rispetto a quelle scritte è tuttavia dimostrato dalla frequenza e dai toni con cui veri e propri collezionisti di “errori” denunciano, attraverso lettere ai giornali, pagine web dedicate (ad esempio: www.facebook.com/valdaosta.vda) o anche pubblicazioni locali la presenza di pecche ortografiche nelle scritture esposte (cartelli stradali, insegne, manifesti), pubbliche e istituzionali.

33 FINE PARTE PRIMA (à suivre!)

NOTE

1. Legge Regionale n. 4 del 28 febbraio 2011: Modificazioni alla legge regionale 9 dicembre 1976, n. 61 (Denominazione ufficiale dei comuni della Valle d’Aosta e norme per la tutela della toponomastica locale). 2. Annexe A à la délibération du Gouvernement régional n° 828 du 20 avril 2012: «les graphies s'inspirent de la tradition valdôtaine. Il s'agit donc de graphies françaises tenant compte, plus particulièrement, des caractères propres a l'aire francoprovençale, même quand elles ne rentrent pas dans les standards du français ». Più in particolare si prevede che le grafie debbano « conserver le z final, non prononcé après les voyelles o - a - ou finales atones […]; conserver le x final non prononcé, quand il existe dans la tradition graphique, pour les voyelles finales toniques é et i […]; privilégier la consonne d après les voyelles finales toniques a o et ou […] ; utiliser la séquence ey en position finale quand, en patois, la prononciation est èi […]; insérer les traits d’union quand le nom à officialiser est composé […]; réinsérer l’article (souvent négligé dans les sources écrites) quand il est présent dans l’expression patoise». 3. Giovani e giovani adulti (18-31 anni), adulti (32-50 anni), tardo-adulti e anziani (51-88 anni). 4. Luoghi di nascita: Valle d’Aosta: 73%; altra regione italiana: 23%; Stato estero: 4%; domicilio: Aosta: 29%; altri Comuni: 71%. 5. Laurea e postlauream: 34%; secondaria superiore: 31%; secondaria inferiore+elementare: 35%. 6. Le popolazioni walser della valle del Lys sono autorizzate dalla Legge Regionale n. 61 del 9 dicembre a «ajouter aux dénominations officielles les dénominations, selon les variantes locales, titsch et töitschu».

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RIASSUNTI

Les noms de lieux de la Vallée d'Aoste reproduisent les phénomènes historiques de la stratification plurilingue: bien qu'ayant fait l'objet d'interventions de normalisation graphique, encore aujourd'hui – et même à certains égards, aujourd'hui plus que jamais – ils sont exposés dans l’oralité à une prolifération de variantes représentatives des profils linguistiques diversifiés des locuteurs. L’article présente les résultats d'une enquête menée en VDA dans le but de recenser les différentes réalisations phonétiques d'une sélection de noms de lieux, de corréler les formes concurrentes aux caractéristiques personnelles et sociolinguistiques des locuteurs, de détecter les perceptions de connexion entre types de prononciation et évaluations d’exactitude, crédibilité sociale, stigmatisation, prestige et enfin de remarquer la possible valeur symbolique et identitaire attribuée aux toponymes comme référents d’une présumée fidélité aux traditions linguistiques et culturelles de la région.

Placenames in the reflect the historical phenomena of plurilingual stratification: though they underwent a process of written normalization, today – and sometimes more than ever – they are subject, in spoken language, to a proliferation of variations representing the varied linguistic profiles of speakers. The ’article presents les the results of a survey carried out in the Valley in order to count all the different phonetic realizations of a selection of placenames, to correlate competing forms with speakers’ personal and sociolinguistic characteristics, to detect the connections between types of pronunciation and evaluations of exactitude, social credibility, stigmatization, prestige and lastly to note the possible symbolic and identity markers attributed to toponyms as a reference to a supposed loyalty to the linguistic and cultural traditions of the region.

AUTORE

LUISA REVELLI

Università della Valle d’Aosta

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Didactique & enseignement bi/ plurilingue

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Réalité virtuelle et jeux: de nouveaux outils pour des apprentissages plurilingues ?

Gérald Schlemminger, Mickaël Roy, Manuel Veit, Antonio Capobianco et Gilles Noeppel

1 Dans cet article, nous chercherons à savoir dans quelle mesure les nouveaux outils de la technologie de l’information et de la communication (TIC), tels que la réalité virtuelle 3D et les jeux vidéo, peuvent être utiles pour promouvoir le plurilinguisme dans l’enseignement des langues. Des applications de la réalité virtuelle sont largement utilisées dans des domaines tels que l’aviation (simulateur de vol), la chirurgie, la mécanique (réparation assistée des moteurs), la prévention routière ou les jeux vidéo. Dans l’éducation et pour les apprentissages scolaires, ces outils ne sont pas encore très répandus et les expériences ne sont que rarement publiées.

2 Certes, il existe des exemples : Pierre Wild, professeur de sciences physiques dans un lycée alsacien, a expérimenté des outils pédagogiques basés sur l'utilisation d'OpenSim1. Il a réalisé un espace de simulation en ligne, réservé à un usage pédagogique, où ses élèves de seconde, présents dans le monde virtuel via leur avatar, réalisent des expériences scientifiques dans le cadre du module de chimie « sciences et laboratoire » (Blocci 2012).

3 Pour l’apprentissage des langues, l’université populaire de Goslar (VHS Goslar) propose sur la plateforme « Second Life » un espace appelé « vhs-Insel ». Elle y offre des cours de langues (payants) mais aussi un espace de discussion. Représentés par leur avatar, les participants y échangent à l’écrit ou à l’oral. Le Goethe-Institut dispose de son « île » appelée « Deutschlern-Treff », où les participants peuvent converser gratuitement en allemand avec des enseignants et d’autres participants.

4 Mais avant d’approfondir le sujet, nous proposons de faire un tour d’horizon des questions technologiques. Ensuite, nous présenterons le projet EVEIL-3D qui étudie plus particulièrement l’impact de ces technologies sur l’apprentissage guidé des langues.

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De quelles technologies parlons-nous ?

5 Nous aborderons d’abord la notion de « réalité virtuelle » avant de définir les « jeux sérieux ». Ensuite, nous les mettrons en rapport avec l’enseignement des langues et ce que ces nouvelles technologies peuvent lui apporter.

La réalité virtuelle : immersion, interaction et présence

6 Nous aborderons les différents aspects de la réalité virtuelle ainsi que ses concepts essentiels, tels que la notion d’interaction homme-machine, d'immersion et de présence.

7 Fuchs et al. (2006 : 5) définissent la réalité virtuelle de la manière suivante : « La finalité de la réalité virtuelle est de permettre à une personne (ou à plusieurs) de déployer une activité sensori-motrice et cognitive dans un monde artificiel, créé numériquement, qui peut être imaginaire, symbolique, ou une simulation de certains aspects du monde réel ».

8 Cette définition permet de mettre en avant un aspect fondamental de la réalité virtuelle : la personne interagit physiquement avec des éléments virtuels. Mais ne succombons pas à l’erreur fréquente de croire que la finalité de la réalité virtuelle consiste en la création d’un monde aussi réaliste que possible.

9 Ce monde virtuel peut être imaginaire ; il ne constitue plus une simulation du monde réel et de ses conditions de vie. Il peut s’agir de créer un monde symbolique qui permet à l’utilisateur d’obtenir une représentation mentale améliorée de son environnement, par exemple le flux acoustique de l’oreille interne pour un cours de biologie.

10 Des signaux de tout ordre peuvent être ajoutés à un environnement virtuel réaliste pour attirer par exemple l’attention sur un danger potentiel. Avec la réalité augmentée, on visualisera la réalité environnementale à laquelle le concepteur aura associé numériquement des objets, des phénomènes physiques, visibles par exemple à l’aide d’une paire de lunettes spécifiques. La figure 1 montre, sur un axe horizontal, le continuum allant de l'environnement réel (ou écologique) à un monde entièrement virtuel, en passant par la réalité augmentée et la virtualité augmentée (monde virtuel avec des objets du réel), désignées comme « réalité mixte ».

Fig. 1 : Représentation simplifiée du continuum réalité-virtualité (d’après P. Milgram, F. Kishino 1994) « L’utilisateur agit sur l’environnement virtuel grâce à l’usage d’interfaces motrices qui captent ses actions (gestes, déplacements, voix, etc.). Ces activités sont transmises au calculateur [ordinateur] qui l’interprète comme une demande de modification de l’environnement. Conformément à cette sollicitation de

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modification, le calculateur évalue les transformations à apporter à l’environnement virtuel et les restitutions sensorielles (images, son, efforts, etc.) à transmettre aux interfaces sensorielles. Cette boucle en environnement virtuel interactif n’est que la transposition de la boucle ‘perception, cognition, action’ du comportement de l’homme dans un mode réel ». (Fuchs et al. : 9).

Fig. 2 : La boucle « perception, cognition, action » passant par le monde virtuel (de Fuchs, et al. 2006 : 9)

11 Mais les mêmes auteurs avertissent également de deux phénomènes pouvant perturber cette boucle : la latence et les incohérences sensori-motrices. La latence est le décalage entre une action de l’utilisateur et la perception par celui-ci des modifications de l’environnement virtuel engendrées par son action (visuelles, sonores…). Si l’écart entre l’action et ses répercutions sur l’environnement est trop important, l’environnement virtuel perd en crédibilité. Rappelons avec Bouvier (2008 : 12) l’importance de la crédibilité de l’expérience pour l’utilisateur : l’immersion sensorielle et l’interaction doivent lui permettre de se prendre au jeu et ressentir un sentiment de présence dans l’environnement virtuel.

12 D’après Slater (2003 : 3), l’immersion se définit comme le niveau de fidélité sensorielle du stimulus de réalité virtuelle. En d’autres termes, l’immersion dépend de la technologie utilisée pour générer l’environnement, et non de l’expérience subjective vécue par l’utilisateur. On pourra considérer qu’un environnement sera plus ou moins immersif selon que la technologie utilisée permet d’obtenir un champ de vision plus ou moins large, un réalisme graphique plus ou moins important, une richesse sensorielle (par exemple, par le biais de dispositifs tactiles ou de stéréoscopie) plus ou moins importante.

13 L’immersion favorise la présence. À l'inverse de l'immersion, la présence renvoie au vécu subjectif d’un individu face à l’environnement immersif. Elle est associée à la propension d’un individu à répondre à l’environnement virtuel comme si celui-ci était réel (Sanchez-Vives & Slater 2005). Elle est donc en lien avec la perception et la réponse émotionnelle de l’individu, et caractérise son sentiment d’être effectivement présent dans le monde virtuel.

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14 Il y a bien sûr des interactions entre les concepts de présence et d’immersion. Les facteurs pouvant avoir une influence sur la présence sont nombreux ; des recherches se sont penchées sur l’analyse de l’influence de quelques paramètres liés à l’immersion : • Affichage : la fréquence d’affichage, la stéréoscopie, le suivi des mouvements de la tête et la gestion du champ visuel sont des facteurs qui semblent tous être positivement corrélés à la présence. • Réalisme visuel : la qualité des graphismes ne semble pas être un facteur primordial pour le sentiment de présence. • Environnement sonore : la présence de sons dans l’environnement à un effet positif sur le sentiment de présence. • Retour haptique : de la même façon, la présence d’un retour tactile, c’est-à-dire d’un dispositif (gants de données par exemple) permettant à l’utilisateur d’avoir la sensation physique de toucher les objets virtuels, semble avoir un effet positif sur la présence. • Représentation virtuelle du corps : lors de l’utilisation d’un casque de réalité virtuelle, offrir une modélisation virtuelle du corps de l’utilisateur (par exemple de sa main) semble accroître le sentiment de présence. • Engagement corporel : cette notion fait référence au fait d’inciter l’utilisateur à réaliser les gestes réels de l’action qu’il entreprend dans l’environnement virtuel (par exemple, marcher réellement pour se déplacer dans l’environnement plutôt qu’utiliser un périphérique de type flystick (manette de commande dans un environnement de réalité virtuelle).

Immersion et apprentissage

15 De nombreux environnements d’apprentissage en réalité virtuelle ont été développés en vue d’exploiter leurs potentialités de visualisation accrue (notamment les informations liées à la perception spatiale : stéréoscopie, parallaxe (effet du changement de position de l'observateur sur ce qu'il perçoit, etc.). Ils visent en général à favoriser l’apprentissage de gestes et de comportements par la mise en situation et le transfert de compétences du virtuel vers le réel (Patel et al. 2006). Parfois ils servent l’apprentissage de concepts abstraits, par exemple de principes mathématiques ou de principes physiques.

16 Si les études réalisées tendent à montrer une plus-value liée à l’usage de ces environnements, l’influence effective de l’immersion offerte a été peu étudiée jusqu’à présent. Les seules études approfondies, à notre connaissance, sont celles réalisées (Heers 2005) par Ragan et al. (2010). Leurs études montrent que le niveau d’immersion a une influence significative sur l’apprentissage, une plus grande immersion entraînant un meilleur apprentissage de contenus disciplinaires, avec par exemple chez Heers (2005), en chimie, une meilleure compréhension des processus.

17 Il y a néanmoins peu de travaux portant sur l’usage d’environnements immersifs pour l’apprentissage des langues. Dernièrement, les travaux se sont plutôt tournés vers les univers virtuels en ligne, tels que « Second Life », pour proposer des outils d’apprentissage de type « Serious games » (Amoia et al. 2011). Ce type d’environnement escompte tirer parti de l’immersion dans l’environnement pour favoriser l’apprentissage. Ici, le terme immersion renvoie à la notion d’immersion langagière, c'est-à-dire le fait de placer l’apprenant dans une situation où il n’a pas d’autre recours que l’utilisation de la langue seconde pour comprendre et communiquer avec son

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environnement. Cette immersion langagière se différencie de l’immersion sensorielle en réalité virtuelle, plus holistique.

Présence et apprentissage

18 À notre connaissance il existe peu d’études sur l’influence du facteur « présence » sur l’apprentissage. Dans la communauté des sciences de l’éducation, ce concept est décliné sous trois formes (McKerlich et al. 2011) : • Présence sociale : l’intensité de la projection de l’apprenant dans l’environnement et la perception que d’autres participants peuvent en avoir, dans le cas d’un apprentissage en environnement collaboratif. • Présence cognitive : la capacité de l’apprenant à tirer du sens et renforcer une connaissance par le biais de l’expérience virtuelle. • Présence enseignante : l’influence directe (intervention) ou indirecte (structuration de l’activité pédagogique, scénarisation) de l’enseignant sur l’expérience vécue.

19 L’expérience éducative surviendrait lorsque l’expérience proposée se place à l’intersection de ces trois facteurs. Une plus grande présence permettrait un apprentissage plus rapide (Lane et al. 2010). L’expérience de P. Wild en sciences physiques illustre bien les différents aspects de la réalité virtuelle et de sa scénarisation pédagogique possible : « En fait, j’ai reconstitué une scène de crime dans l’univers virtuel. Les élèves devront visiter ce lieu et y trouver des indices. L’objectif sera de faire des expériences réelles en laboratoire pour vérifier les hypothèses suscitées par ces indices. Exemple : des traces de pas contiennent du pollen, quel est l’arbre qui l'a produit ? (biologie) ; un message codé est affiché sur l'écran de l'ordinateur, qu’est- ce qu’il signifie ? (cryptographie, mathématiques) ; une pierre a dû être lancée par la fenêtre, quelle a été sa trajectoire ? (physique). Chaque piste étudiée correspond à un élément du programme scolaire de la classe concernée » (interview in Wild 2012 s.p.).

20 Cet exemple nous amène à nous intéresser de plus près aux jeux sérieux, en lien avec la scénarisation d’une séquence pédagogique.

Le jeu sérieux : une première approche

21 L'expression « jeu sérieux », à laquelle est d'ailleurs préférée « serious game », désigne d'après Alvarez (2007) : « [une] application informatique, dont l’intention initiale est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game). Une telle association, qui s’opère par l’implémentation [la mise en oeuvre] d’un « scénario pédagogique », a donc pour but de s’écarter du simple divertissement. »

22 Les serious games sont habituellement classés en cinq catégories : • les serious games engagés (militant games), • les serious games publicitaires (advergames), • les serious games éducatifs (edugames), • les serious games informatifs (informative games) et • les serious games d'entraînement / simulation (training games).

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23 Selon Alvarez (2007), le gameplay semble être le lieu de mise en relation du jeu vidéo avec l'apprentissage. Il décompose le mot pour en expliquer le sens : le « game » représente les règles définissant l'objectif à atteindre par le joueur, le « play » spécifie les moyens et les contraintes pour que le joueur atteigne cet objectif. Ces précisions permettent de distinguer différents dispositifs en fonction de la façon dont le « game » est appréhendé, dont : • Le serious game : les objectifs apparents du jeu correspondent à des objectifs pédagogiques sous-jacents prévus lors de la conception du jeu ; les jeux sont conçus dans un objectif d’apprentissage. • Le serious gaming : il s’agit de jeux originellement ludiques détournés dans un objectif d’apprentissage.

24 Djaouti (2011 : 28) va plus loin en proposant une classification qui nous semble pertinente, puisqu’elle spécifie, en plus de ce que permet de faire le jeu sérieux, le domaine d'application (militaire, santé, écologie, mathématiques, etc.) et le public visé, proposant ainsi le modèle G-P-S avec trois critères : le critère « Gameplay » pour la dimension ludique, le critère « permet de » ou « Purpose » pour la finalité sérieuse et le critère « secteur » ou « Scope », prenant en compte le marché et le type de public que le concepteur veut atteindre.

Jeux sérieux pour l’apprentissage des langues

25 Les jeux numériques en général, comme aide à l’apprentissage des langues, font aujourd’hui partie de l’offre de base des manuels scolaires et de leurs supports en ligne. En didactique des langues, nous parlons de Game-Based Learning, l’apprentissage basé sur des jeux sérieux.

26 Puisque le jeu peut être considéré comme support d’apprentissage, le pédagogue et le didacticien des langues se doivent d’interroger son utilisation pour l’appropriation d’une langue étrangère. S’intéressant aux performances des apprenants en langue utilisant des jeux sérieux, Peterson (2009) met en lumière la plus-value apportée par les jeux de simulation et les jeux de rôle. L’utilisation de la langue étrangère de manière pragmatique pour la résolution de problèmes semble ainsi favoriser la motivation de l’apprenant et le plaisir dans l’apprentissage.

27 Peterson souligne cependant l’utilisation de supports d’accompagnement adaptés aux compétences langagières de l’apprenant. Mandin (2011) préconise elle aussi la résolution de problèmes, mais également la possibilité donnée au joueur d’agir sur le déroulement de l’action (voir aussi Schmoll 2011).

28 L’action est aujourd’hui un élément central de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères. La perspective actionnelle, largement diffusée par le Cadre européen commun de référence pour les langues, envisage l’apprenant comme un acteur social ayant à accomplir des tâches dans des circonstances et un environnement donnés. Pour la réalisation de la tâche, l’apprenant a recours à des activités de communication langagières et au non verbal. Ainsi, la langue apprise constitue un outil au service de l’action et bénéficie de l’action comme support d’apprentissage. C’est sur cette approche holistique que se fonde la réflexion sur la Discipline Enseignée en Langue 2 (EMILE/CLIL) (Schlemminger 2008). Contrairement à la classe de langue classique, la langue apprise n’est plus l’objet principal d’étude, mais devient un outil fonctionnel

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pour des interactions centrées sur le contenu d’apprentissage et l’acquisition de nouveaux concepts. Ici, la focalisation sur les formes de la langue laisse place à la construction de savoirs adaptés au niveau des apprenants.

29 Voici deux exemples de logiciels de jeux sérieux pour l’apprentissage du FLE (français langue étrangère)2 : • Thélème, développé par Almédia (2009) avec l’appui du laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » de l’Université de Strasbourg, est un jeu sérieux en ligne multi-participants. Une fois son avatar choisi, le joueur évolue dans un univers de cape et d’épée, se voyant confier des missions par les personnages du scénario. Sa réussite dans le jeu dépendra des actions entreprises et de sa capacité à communiquer en français. D’un point de vue technique, l’univers de jeu est représenté visuellement en 2D isométrique. Les dialogues ont lieu à l’écrit par l’intermédiaire d’un chat et le joueur déplace son personnage avec la souris de l’ordinateur. Développé à partir de 2007 et mis en ligne en 2009, ce jeu fait figure de précurseur dans le domaine des jeux pour l’apprentissage des langues. À ce titre, il est accueilli positivement par la presse spécialisée et le grand public. • La même équipe lance en 2012 Les Éonautes (Almédia 2012), jeu sérieux d’apprentissage du français langue étrangère. Les Éonautes s’adresse davantage à des apprenants de niveau A2. Ce niveau semble adapté à la participation de l’apprenant au développement de l’action. Contrairement à Thélème, Les Éonautes permet à l’enseignant de communiquer directement avec chaque apprenant, mais surtout d’intervenir sur le scénario en sélectionnant différentes missions que l’apprenant se verra confiées. Il peut ainsi effectuer des choix didactiques, afin de créer un parcours d’apprentissage personnalisé pour les apprenants. L’analyse didactique de ces dispositifs d’apprentissage met en lumière la forte orientation actionnelle et la pratique fonctionnelle de la langue induite par les univers de jeu.

La réalité virtuelle et le jeu au service de l’apprentissage des langues

30 Nous venons de présenter les enjeux technologiques, pédagogiques et didactiques à la fois de la réalité virtuelle et du jeu sérieux. Dans le cadre du projet franco-allemand EVEIL-3D (Schlemminger et al. 2012), nous sommes en train d’élaborer, développer et mettre en œuvre tous les éléments de la réalité virtuelle pour la mettre au service de l’apprentissage des langues étrangères. Nous proposons aux élèves de plonger dans un monde numérique en trois dimensions. Un jeu les place en situation d'immersion sensorielle et interactive dans le but de susciter une implication plus forte. Ils voyagent dans le temps et découvrent l’histoire de la Cathédrale de Strasbourg en participant à sa construction.

31 Grâce à la toute nouvelle combinaison de la reconnaissance des gestes et de la parole, les joueurs pourront parler, agir et interagir comme dans le monde réel. La musique, les bruitages renforcent encore le sentiment d’être présent dans la scène virtuelle. Nous partons de l’idée que ces facteurs favorisent l’apprentissage des langues, à condition que les élèves soient également sollicités cognitivement par du contenu (Schwienhorst 2009).

32 Nous élaborons un scénario global basé sur le principe d'une variante de jeu de rôle appelé « jeu en réalité alternée » (aussi appelé Alternate Reality Game). Les jeux de rôles classiques placent chaque joueur dans la peau d'un personnage différent de sa propre personne qui évolue dans un univers fictif. Pour ce projet, ce type de jeu présente

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l’inconvénient de devoir faire intervenir un maître du jeu humain qui a pour objectif d'animer et de créer des obstacles dans l'univers de jeu.

33 À l’inverse, le « jeu en réalité alternée » repose principalement sur le maintien du flou entre les expériences perçues lors du jeu et hors du jeu. Il permet au joueur de s'approprier la trame globale du scénario en recevant de nouveaux éléments un par un, plutôt qu'à travers la narration d'un maître de jeu. Le joueur incarne sa propre personne comme un des protagonistes principaux de l'intrigue. Le professeur n'est pas exclu de ce type de scénario, puisqu'il peut y tenir le rôle d'accompagnateur et de facilitateur de la progression des joueurs, à travers la présentation des nouveaux éléments du scénario aux joueurs.

34 L'utilisation du dispositif technique constitue un point culminant du scénario global puisqu'il engendre une inversion du rapport du joueur avec le jeu : le joueur était habituellement immergé dans l'univers de jeu, ici c'est le jeu qui s'invite dans l'univers du joueur.

35 Les études didactique et technique ont montré le besoin de créer des moments de jeu en dehors de l'utilisation du dispositif technique afin de pouvoir développer le scénario et le contenu pédagogique. Ces phases ne se déroulent pas les unes après les autres : la phase d'enquête s'étend par exemple tout au long de l'aventure.

Phase 1 : enquête

36 Cette phase est la base du « jeu à réalité alternée ». Elle permet d'amorcer l'enquête qui s'étend tout au long de l'aventure. Le joueur incarne sa propre personne dans cet univers et est projeté dans l'univers de jeu en utilisant des outils qu'il utilise quotidiennement pour mener à bien son enquête : sites internet, réseaux sociaux, messageries.

Phase 2 : immersion

37 Cette phase se focalise sur l'utilisation du dispositif technique. Elle est divisée en deux parties : une première pour l'étalonnage de la reconnaissance de la parole, et une seconde pour le dispositif technique dans son intégralité.

Phase 3 : visite

38 Enfin, cette phase constitue la concrétisation de ce qu'a vécu le joueur au travers des deux premières phases. Les rôles et les univers s'inversent, puisque c'est désormais le joueur qui explore le lieu dans la réalité environnementale en quête d'indices à ramener dans l'univers de jeu. Le schéma suivant permet de résumer les différentes phases du jeu et leur découpage :

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Fig. : Répartition des trois différents types de phases, la phase d'enquête englobe tout le jeu, les phases d'immersion et de visite interviennent aux débuts des second et troisième tiers de l'aventure

39 Avec le projet EVEIL-3D, les élèves partent pour un voyage dans le temps : ils parcourent les 400 ans de construction de la cathédrale de Strasbourg. Ils ont pour mission de libérer Arthur Steinbach, tailleur de pierre bloqué dans le passé, enfermé dans les murs de l'édifice. À différentes époques de la construction et à plusieurs endroits de la cathédrale, les joueurs doivent, entre autres, reconnaître des styles architecturaux ou comprendre la symbolique des couleurs de la rosace ou des statues d'animaux merveilleux. Au bout de leur voyage, ils graveront leur nom dans le mur de la tour, comme l’a fait Goethe. C’est ainsi qu’ils délivreront enfin le tailleur de pierre.

Synopsis

40 Le scénario gravite autour de deux personnes nommées Arthur et Céline Steinbach, respectivement père et fille. Le père est tailleur de pierre, alors que la fille est directrice d'une entreprise de recherche en réalité virtuelle 3D. Tous deux ont eu l'occasion de travailler sur le thème de la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. Il y a peu, Céline a inventée une technologie révolutionnaire permettant à son utilisateur de visiter la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg à différentes époques du passé : cette technologie se nomme Eveil-3D. Arthur a tenu à être le premier à tenter l'expérience.

41 Malheureusement, au moment de la connexion d'Arthur, un virus informatique s'attaqua à Eveil-3D, condamnant l'accès au monde virtuel et empêchant Arthur de revenir. Céline assista impuissante à la disparition de son père et de toute la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg dans cet univers virtuel. Récemment, alors que tout semblait perdu, Céline reçut un message cryptique signé de son père : « Les architectes verront le chemin. Fais-leur confiance... Arthur ». Quelques secondes plus tard, des dizaines d'établissements ont signalé avoir vu leur imprimante sortir la même feuille énigmatique…

Conclusion : soutenir le plurilinguisme dans l’apprentissage guidé des langues

42 Le projet EVEIL-3D est conçu pour le français et l’allemand langues étrangères. Malgré un travail de programmation didactique importante des dialogues, ce type de jeu peut être adapté à d’autres langues, cultures et contenus. D’ailleurs, la création d'un logiciel permettant aux enseignants de créer leurs propres scénarios est prévue. Une

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intégration didactique et pédagogique forte de la 3D immersive dans un scénario pédagogique soutenue par les TIC constitue un large éventail d’applications pour un apprentissage des langues centré sur les contenus. Cette démarche participe assurément à une forte motivation à apprendre les langues. La scénarisation, avec des phases avant et après le jeu constitue le défi majeur de l’intégration de la réalité virtuelle et de la 3D dans l’apprentissage.

43 Les objectifs pédagogiques pensés dès la conception du scénario ludique sont à priori mieux intégrés à l'univers de jeu, donc moins visibles pour le joueur. Cette « didactique invisible » (Ollivier 2010) présente une plus grande chance de motiver l'apprenant. Les objectifs sérieux sont utilisés en situation et deviennent plus fonctionnels puisqu'ils sont le médium qui permet d'avancer et de réussir dans le jeu. Si ces objectifs sont trop apparents, la notion de « didactique invisible » n’opère pas et n’a que peu d’impact sur l’implication du joueur-apprenant. Si, au contraire, l’objet parait trop ludique, l'apprenant risque de perdre de vue le contenu sérieux.

44 La technologie de réalité virtuelle constitue par conséquent un outil susceptible de favoriser l’implication de l’apprenant dans l’environnement d’apprentissage. L’immersion sensorielle et l’interaction qu’elle permet ne doivent cependant pas occulter le défi de scénarisation. L’enjeu est bien d’utiliser cette technologie nouvelle en proposant une sollicitation cognitive adaptée à l’apprenant. Le jeu sérieux constitue une piste d’exploitation de la réalité virtuelle, faisant de la langue un outil fonctionnel alors utilisé par l’apprenant dans un environnement d’apprentissage adapté.

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NOTES

1. Il s’agit d’un simulateur de régions 3D en code source libre, sous licence BSD, qui peut être visualisé par l’univers virtuel Second Life. Cet outil permet à l’enseignant de créer, de scripter et d'administrer son propre monde virtuel et aux joueurs-apprenants de chatter, d'importer des textures, modifier leur avatar et de terraformer (c’est-à-dire de transformer l'environnement pour le rendre « habitable » selon des conditions d'une vie de type terrestre) et, par l’intermédiaire d’avatars de participer à une ou plusieurs interactions plus ou moins guidées. 2. Pour l’allemand, langue étrangère, le Goethe Institut propose un jeu sérieux pour apprendre l’allemand langue étrangère à partir du niveau A2: Lernabenteuer Deutsch – das Geheimnis der Himmelsscheibe.

RÉSUMÉS

Der Artikel erörtert die Verwendung der virtuellen Realität zur Förderung der Mehrsprachigkeit. Diese neue Technologie macht es möglich, dass der Lernende durch die Integration von sensorischen und haptischen Parametern sowie Gestenerkennung in das vom Computer generierte Umfeld eintauchen kann und somit die subjektive, gefühlsmäßige Erfahrung des Spielenden erhöht wird. Durch diese Wahrnehmungsillusion entsteht beim Lernenden ein Präsenzgefühl in der virtuellen Umgebung, welches das Erlernen von Lerninhalten begünstigt. Um eine dem Lernenden angepasste kognitive Förderung sowie eine pragmatische und kontextualisierte Anwendung der Fremdsprache zu gewährleisten, stellt das Serious Game eine Anwendungsmöglichkeit der virtuellen Realität dar.

The article examines the use of virtual reality as a tool for multilingualism. This new technology allows for sensory immersion and the learner’s gestural involvement in a computer-generated environment. It is through this perceptual illusion that the learner develops a feeling of presence in the virtual environment, thereby promoting both language and additional subject learning. The use of serious games is a path through which virtual reality may be used as a learning tool for multilingualism, as it offers a pragmatic and contextualized use of the language and its cognitive demands can be adapted to the individual learner.

AUTEURS

GÉRALD SCHLEMMINGER

Pädagogishe Hochschule, Karlsruhe (Allemagne)

MICKAËL ROY

Université de Strasbourg (France)

MANUEL VEIT

Université de Strasbourg (France)

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ANTONIO CAPOBIANCO

Université de Strasbourg (France)

GILLES NOEPPEL

Université de Strasbourg (France)

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Expériences & Recherches

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Les discours officiels sur les élèves étrangers et l’exigence de la « maîtrise » du français Official discourse on foreign (or formerly foreign) pupils learning French in the French school system Discurso oficial francés sobre la escolarización de los alumnos (antiguos y actuales) extranjeros inscritos en clase de iniciación a la Lengua francesa

Gabrielle Varro

Ce texte est une adaptation de Varro 2012.

1 Si l’on cherche dans le discours officiel français des représentations des langues parlées par les élèves (ex-)étrangers en France, il faudrait plutôt parler soit de représentations négatives, soit de la représentation d’une absence de langue – comme si, ne possédant pas la langue française, ces enfants n’auraient pas de langue du tout ! De la part des décideurs français, il s’agit d’une approche ethnocentrique et « culturaliste », puisque le postulat sous-jacent est qu’il y a chez l’enfant étranger, non pas la potentielle richesse d’une autre langue et culture et donc d’un bilinguisme éventuel, mais un manque – puisqu’il ou elle ne possèderait pas la langue et la culture françaises.

2 Comme l’échec scolaire et l’échec de l’école en général sont au premier rang de nos préoccupations aujourd’hui, il est instructif de voir comment cette représentation négative des élèves (ex-)étrangers a été officiellement construite et entretenue par le discours officiel depuis une quarantaine d’années et comment elle impacte les discours des enseignants.

3 Nous allons évoquer les représentations officielles en examinant les circulaires ministérielles sous l’angle des désignations des publics concernés – « enfants ou élèves étrangers ou issus de l’immigration » – mais aussi sous l’angle de ce qui est exigé d’eux, à savoir la maîtrise de la langue française.

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Un leitmotiv du discours officiel : la « maîtrise de la langue française »

4 Quels que soient les gouvernements et les réformes qui se succèdent en France, un facteur persistant de la politique scolaire est l’insistance sur le nécessaire apprentissage de la langue officielle (le français). En 1925, dans une circulaire réglementant la présence des moniteurs étrangers de langues vivantes en France, l’ambition du législateur concernant l’enfant étranger était modeste : « Il ne peut s’agir que d’initier les enfants étrangers à l’usage des mots courants de notre langue pour leur permettre d’entrer le plus rapidement possible dans les classes françaises » (circulaire du 21.12.1925 ; dans les citations, c’est moi qui souligne).

5 Une présentation chronologique nous permettra de repérer la continuité et les changements dans le discours officiel. Ne souhaitant pas répéter ce que j’ai déjà écrit ailleurs et dans le but d’avancer dans la réflexion (en actualisant l’histoire de cette construction sociolinguistique), je passerai rapidement et pour mémoire sur les trois premières décennies.

Les années 1970

6 L’ambition à l’endroit des jeunes étrangers d’alors est restée modeste : on leur demandait d’acquérir « rapidement l’usage du français, ce qui leur permet de s’intégrer au milieu scolaire et de poursuivre normalement leurs études » (circ. du 13.01.1970 instituant les CLIN (classes d’initiation à la langue française), à visée plutôt terre-à- terre : « donner aux élèves la connaissance d’un français courant indispensable pour faire face aux problèmes de la vie quotidienne… », circ. du 25.09.1973 instituant les CLAD (Classes d’adaptation) et « assurer le plus tôt possible, mais surtout le mieux possible une insertion satisfaisante des enfants étrangers nouveaux arrivants dans l’école et la société française, en particulier par une saisie de la langue orale et écrite française qui permette l’accès à l’enseignement commun de l’âge considéré » (texte inaugurant les futurs CEFISEM (Centres de formation et d’information pour la scolarisation des enfants de migrants), note du 25.06.1975). Si l’on prête attention aux pronoms et adjectifs employés par les rédacteurs (signalés par les caractères en italique), on voit que, bien que l’ambition reste modeste, le ton n’est pas neutre : « ...amener [les enfants étrangers] à une connaissance suffisante de notre langue pour faciliter leur adaptation à l’enseignement dispensé dans les classes normales » (texte d’orientation générale, circ. du 25.07.1978).

7 Le dispositif des ELCO1, créé à la même époque, pourrait dénoter un intérêt des décideurs français pour les langues d’origine des élèves ; mais de fait, le dispositif avait deux objectifs précis tout à fait autres : il devait certes faciliter l’adaptation des enfants étrangers en France, mais aussi, au cas où la famille repartirait – l’incitation au retour faisant partie de la politique gouvernementale de l’époque – leur « réintégration » au «pays d’origine» – fiction maintenue, alors que beaucoup étaient déjà nés en France…

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Le tournant des années 1980

8 L’élection de François Mitterrand en mai 1981 et l’alternance politique ont apporté des changements notables dans le système éducatif, en particulier grâce à la création des Zones d’Éducation Prioritaire (ZEP) (cf. infra), mais aussi à cause de l’ambition, cette fois immodérée, exprimée à l’égard de tous les élèves issus de l’immigration. La « maîtrise de la langue française » devient l’antienne du discours officiel de cette période – et l’est restée jusqu’à nos jours. Il faut signaler l’intensité avec laquelle elle s’exprimait alors : le projet d’intégrer les élèves étrangers à l’école s’est transformé en une exigence d’apprentissage de la langue et de la culture françaises en vue d’intégrer le corps national : « …Il est indispensable qu’ils acquièrent une parfaite maîtrise de la langue et de la culture française. L’apprentissage du français, y compris pour les enfants immigrés, est un facteur essentiel de réussite » (Note d’information de 1984 ‘La politique du ministère de l’Éducation nationale en faveur de l’intégration scolaire des enfants d’immigrés’).

9 Remarquons toutefois que le ton reste ethnocentrique, comme le montre d’ailleurs la suite du texte : « C’est le seul moyen pour eux de connaître la façon dont nous vivons » (ibid.).

10 Quant au texte fixant les programmes pour l’École élémentaire en 1985, sa rhétorique vibrante est remarquablement proche d’un manifeste du siècle des Lumières proclamant l’amour de la République (École élémentaire. Programmes et instructions, arrêté du 23.04.1985) : La maîtrise de la langue française commande le succès à l’école élémentaire. Elle est d’une part le préalable à tous les apprentissages ; elle forme d’autre part une pensée claire, organisée et maîtresse d’elle-même ; elle favorise enfin la réussite dans la vie sociale et professionnelle. C’est pourquoi elle est le premier instrument de la liberté [...] Dans la vie à l’école et dans l’enseignement dispensé seront cultivées les vertus qui fondent une société civilisée et démocratique : la recherche de la vérité et la foi dans la raison humaine, la rigueur intellectuelle et le sens des responsabilités, le respect de soi et d’autrui, l’esprit de solidarité et de coopération, le refus des racismes, la reconnaissance de l’universel présent dans les différentes cultures, l’amour de la France qui se confond avec l’attachement à la Liberté, à l’Égalité, et à la Fraternité [...].

11 Répondant à la pression identitaire ambiante et face à la diversité des populations, la « gauche » avait rejeté la version restrictive du modèle républicain pour réinterpréter plus largement le principe de la laïcité (Henry-Lorcerie, 1996) et pour affirmer la viabilité du « vivre ensemble » qui, dans le système scolaire, avait aussi pris la forme d’une éducation interculturelle.

L’interculturel et le « modèle républicain »

12 Promu par le Conseil de l’Europe (1983), l’interculturel figure explicitement dans les textes français depuis les années 1970. Plusieurs auteurs considèrent que les dispositifs CLIN et ELCO en relèvent. Interprétation quelque peu hâtive, parce que ce que ces dispositifs visent, c’est le retour des étrangers au pays d’origine. En outre, seule la fraction étrangère de la population scolaire est concernée, sans réciprocité (il n’y a donc pas d’inter-). D’ailleurs, tout dispositif spécifique ne constitue pas une rupture par rapport aux principes républicains : devant la volonté d’intégrer les enfants étrangers,

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ces choix ne sont que des moyens provisoires. Les décrire comme « interculturels » indique seulement qu’il s’agit de mesures dérogeant un temps au principe d’égalité de traitement de tous les enfants.

13 La pédagogie interculturelle a pu représenter la reconnaissance de l’identité culturelle indispensable pour que des « jeunes d’origine étrangère assument leur différence et n’y trouvent pas motif à dépréciation à leur propres yeux et vis-à-vis des nationaux » (Marangé, 1982). Dans un arrêté de 1985 édictant les programmes et instructions pour l’école élémentaire, la variation langagière et culturelle est officiellement reconnue, y compris pour les élèves « français » : face à la diversité, le rôle de l’école est de permettre à tous de maîtriser « la langue commune, orale et écrite ». Un an plus tard, une circulaire visant à améliorer l’intégration des étrangers dans les écoles fait un pas de plus, en affirmant que leur présence est à la fois « une chance pour la France moderne » – mais aussi une circonstance fortuite : Les nouveaux programmes des écoles et des collèges, ceux en préparation pour les lycées, comportent un objectif d’ouverture sur d’autres cultures, nécessaire dans un monde où tout se passe de plus en plus à l’échelle internationale. La présence des enfants étrangers dans les classes constitue de ce point de vue une chance pour la France moderne. Cependant, ces élèves ne constituent ni le seul public bénéficiaire de cette ouverture, ni son seul support ; l’application des nouveaux programmes est indépendante du seul nombre d’enfants étrangers dans les classes et de leur nationalité (circ. n°86-119 du 13.03.1986).

14 Aboutissement de la prise en compte de la diversité, l’opération interministérielle signée en 1989 par MM. Jospin, Lang et Evin, joliment intitulée ‘Composition française : les apports étrangers dans le patrimoine français’, prendra en compte la diversité annoncée par « la reconnaissance de l’universel présent dans les différentes cultures » (cf. circ. n° 86-119 citée ci-dessus) : « Dépassant les premières initiatives centrées sur la seule découverte des différences, s’attachant à l’histoire des communautés immigrées en France», renouvelée les années suivantes, l’opération apparaît comme un triomphe de la notion de l’interculturel. La volonté des ministres signataires de « faire progresser l’esprit d’ouverture et de tolérance » s’exprime en termes suffisamment généraux pour que les principes d’égalité et de laïcité soient préservés. Mais, comme l’intégration souhaitée demeure à sens unique, elle ne suffit pas à réduire le fossé entre les deux termes de l’équation : « nous, Français » / « eux, immigrés ».

15 Si la capacité de communiquer en français était en 1986 « une condition indispensable à l’intégration de l’enfant étranger dans l’école française » (circ. du 13.03.1986), l’approche récupérait du même coup le thème de l’interculturel (que la droite républicaine avait rejeté comme étant contraire au principe de l’égalité de traitement de tous les enfants). Personne n’avait plus besoin de faire table rase de son passé pour être français. Mais, ayant transformé l’identité française en un nouvel universalisme, ce discours, quoique de « gauche », restait à la fois ethnocentrique et paradoxal, réconciliant des positions autrefois antinomiques.

Les ZEP

16 Tous les textes règlementant les ZEP depuis 1981 insistent sur les apprentissages de base et l’apprentissage du français pour les élèves issus de l’immigration, ainsi que l’enseignement de la lecture (1985), et rappelleront toujours la priorité à donner à la maîtrise de la langue (B.O. n°7 du 15.02.1990 et B.O. n°47 du 10.12.1992). En 2002, J. Lang

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invita des représentants des ZEP-REP (Réseaux d’Éducation Prioritaire) à participer à un colloque international sur la discrimination positive en France et dans le monde. Dans son discours, le bilan des ZEP était contrasté. Et pourtant, il semblait que les ZEP, sans toutefois avoir réduit l’écart entre les résultats des enfants de milieux populaires à la moyenne nationale dans son ensemble, avaient fait progresser les élèves dans certains domaines : les résultats semblaient meilleurs dans la maîtrise de la langue que dans les activités scientifiques – néanmoins, l’éducation prioritaire continua comme par le passé à mettre l’accent sur la maîtrise de la langue, de la lecture et de l’écriture dès l’école maternelle (2003), comme si c’était toujours le « problème » majeur des populations défavorisées.

17 Cette rigidité apparemment constitutive des représentations dans le discours officiel est d’autant plus dramatique lorsque l’on approfondit l’historique des ZEP : comme elles devaient répondre à une approche globale de l’échec scolaire, les enfants d’immigrés n’y apparaissent théoriquement pas ès qualité. Cependant, le bref délai qui séparait la décision de créer ce dispositif du moment de la rentrée en 1981 ne laissait pas le temps de réellement étudier le terrain de près. On se rend compte alors que c’étaient donc les rapports et observations des inspecteurs, chefs d’établissement, partenaires du système éducatif et organisations représentatives, qui ont servi à découper la carte scolaire. Or parmi les personnes à statut économique faible (ouvriers non qualifiés, manœuvres, chômeurs), il se trouvait (comme encore de nos jours) un pourcentage significatif de familles de nationalité ou d’origine étrangères.

18 Ainsi, par manque de temps, un des arguments érigé en « critère » par le ministre Savary est devenu la présence d’enfants étrangers ou non francophones dans un établissement : le nombre de classes élémentaires comportant plus de 30% d’étrangers ou de non francophones et le pourcentage global d’élèves étrangers ou non francophones dans les collèges et Sections d’Éducation Spécialisée (SES) a été retenu pour déterminer les besoins de toute une population économiquement défavorisée. Sans doute involontairement, le dispositif a ainsi nourri l’amalgame entre échec scolaire et origines étrangères et consolidé pour longtemps les représentations officielles des élèves concernés.

Les années 1990

19 Qu’il soit de gauche ou de droite, le discours officiel a inscrit la présence des enfants d’immigrés dans un paradigme encadré de part et d’autre par les notions d’accueil – sans condition, bien sûr, car l’obligation scolaire est la loi2 – et d’intégration, dont la preuve résidait dans le degré de maîtrise du français scolaire. En 1990, le ministre Jospin reprenait cette exigence à son compte, en rappelant qu’elle constituait toujours l’objectif prioritaire de l’enseignement primaire : Maîtriser la langue, c’est, pour un élève, pouvoir accéder à tous les savoirs dispensés à l’école élémentaire. C’est également avoir toutes les chances de réussir sa scolarité ultérieure, au collège puis au lycée ... Pour toutes ces raisons, ainsi que le prévoit le rapport annexé à la loi d’orientation, je mets en place un plan pour la lecture, élément essentiel d’une action plus large en faveur de la maîtrise de la langue (Une nouvelle politique pour l’école primaire, B.O. n°9 du 01.03.1990).

20 Certes on peut débattre, dans ce contexte, du sens du mot « maîtrise » et objecter que ce n’est qu’une manière de dire « se débrouiller » ou « communiquer », sans qu’une

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véritable domination de l’outil linguistique ne soit réellement attendue. Mais l’examen de la situation sur le terrain et du discours des enseignants donne un autre son de cloche.

Le discours des enseignants dans les années 1990

21 La réticence des enseignants des classes ordinaires à intégrer les « ex-non francophones » dans leurs classes semblerait indiquer qu’ils souhaiteraient bel et bien exiger une véritable maîtrise de la langue française (bien sûr rapportée à l’âge des élèves) : ils ne sont d’accord pour admettre dans leur classe les élèves ayant fréquenté la CLIN que s’ils estiment que ceux-ci « possèdent la langue » – et la métalangue – aussi bien qu’un locuteur natif du même âge (Varro & Mazurkiewicz 1997). Or le problème d’une telle attente, même si elle honore l’enfant étranger jugé apte à la satisfaire après un laps de temps aussi court (le temps alloué en CLIN ne doit pas dépasser une année en principe), est double : elle ne tient pas compte du fait – aujourd’hui reconnu – que la langue scolaire est un facteur d’exclusion pour la plupart des élèves des classes populaires, y compris pour ceux des familles françaises où le français académique ressemble à une langue « étrange(re) » (cf. infra).

22 L’exigence ne tient pas compte non plus de l’absurdité du fait de séparer d’abord les non-francophones des autres (sur la base de leur « déficit » linguistique ou « manque de langage ») pour ensuite exiger d’eux, comme condition d’intégration aux classes «banales», une compétence aussi grande voire plus grande que celle des «francophones». Or c’est un réel problème sur le terrain, car certains enseignants des classes ordinaires freinent par cette attitude (le plus souvent inconsciente ou inavouée) l’intégration des élèves passés par une CLIN (« ils ont une étiquette sur le dos »).

23 La langue française apparaît ainsi comme le lieu d’une double contrainte : destinée à les intégrer, la langue – puisque défaillante – sert en même temps à les maintenir à l’écart.

Le retournement de la rhétorique

24 En décembre 1992, l’ambition sous-jacente à l’égard de ces élèves était encore perceptible : « La maîtrise de la langue est la première condition de la réussite scolaire (et ultérieurement sociale) de l’élève ». Mais dans les instructions du ministère pour l’année scolaire 1998-1999, co-signées par C. Allègre (ministre de l’Education nationale) et S. Royal (ministre déléguée à l’enseignement scolaire), la perspective était renversée. On y lit : « les faiblesses dans la maîtrise de la lecture et les insuffisances dans la connaissance du français à l’écrit et à l’oral sont à l’origine de la plupart des échecs scolaires ». Toute velléité d’ambition (ou d’optimisme) à l’égard des élèves étrangers est écrasée sous ce constat sans appel.

25 Une nouvelle notion est apparue : la maîtrise des langages, à laquelle toutes les matières devaient contribuer, afin de rattraper les lacunes identifiées au moment de l’évaluation individuelle des élèves : « mettre l’accent, fortement et à travers toutes les disciplines, sur la maîtrise des langages et l’éducation à la citoyenneté » (circ. du 09.01.1998). La « maîtrise de la langue comme outil transversal » sera continuellement reprise depuis (cf. les instructions ministérielles pour la rentrée 2007), solution impliquant tous les acteurs et l’ensemble de l’institution scolaire dans cette mission d’urgence nationale.

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26 La maîtrise de la langue française à l’écrit et à l’oral a donc été englobée dans la maîtrise des langages, sans que l’on ait précisé ce qu’il fallait entendre exactement par là. En même temps, concernant la désignation des élèves, la rupture avec le discours officiel classique – où les enfants d’immigrés figuraient comme les destinataires principaux de la fonction intégrante de l’école – semblait consommée ; on ne parlait plus que de jeunes et adolescents. La catégorie discriminée par l’origine disparaît ainsi au profit d’une population scolaire indifférenciée sauf par l’existence de difficultés scolaires (« jeunes déscolarisés »). La prise en compte de l’âge permettait d’intégrer tous les jeunes dans la catégorie unique des adolescents, approche qui normalisait la situation de tous les élèves au sein de l’institution, au nom d’une appartenance (biologique) universelle : N’oublions pas que le collège accueille des adolescents en pleine mutation personnelle. Leur soif de dialogue et de considération ne peut, pour certains d’entre eux, trouver de réponse qu’au collège. L’éducation par l’exemple revêt une importance de premier plan. L’écoute, le respect, la prise en compte du besoin de mouvement d’adolescents toniques, la tolérance d’une susceptibilité excessive propre à cet âge, qui n’est pas exclusive de mesures de fermeté lorsqu’elles sont nécessaires, doivent permettre d’obtenir d’eux des comportements respectueux des adultes et l’apprentissage de la maîtrise de leurs pulsions et du respect des règles ... Il est nécessaire d’inscrire ces démarches dans une logique de prise en charge personnalisée mais temporaire, l’objectif étant le retour vers une scolarité ou une formation dans un circuit ordinaire» (Organisation de la rentrée scolaire..., circ. du 09.01.1998).

27 À remarquer que même la maîtrise des langages se trouve ici surclassée par la maîtrise des pulsions, laissant transparaître le (nouveau ?) problème lancinant de l’école : la violence. Dans un texte ultérieur, il sera « recommandé qu’un spécialiste des questions d’adolescence accompagne les équipes en charge des classes relais » (circ. du 12.06.1998).

28 On peut s’interroger quant à l’applicabilité de principes imposés par décret, mais l’équipe Allègre-Royal a toujours présenté sa politique comme étant une « reprise en main » suite aux dérapages qui auraient entraîné la « crise de l’École ». Cette impression se dégage de leur insistance explicite et implicite sur la nécessaire normalisation des situations, concrétisée par la mise en place de dispositifs relais destinés à permettre aux élèves qui connaissent une difficulté (supposée provisoire) de « (re)gagner » leur classe d’âge au plus vite et/ou de décrocher une qualification par une « formation de type alterné comportant des stages en milieu professionnel » (Classes relais, circ. du 4.10.1999).

29 Un retournement remarquable de la rhétorique administrative s’est donc opéré, par lequel le discours officiel s’est résolument séparé de l’approche différentialiste à base identitaire : là où la circulaire du ministre Chevènement avait vocation à renforcer l’intégration des enfants d’immigrés en déclarant que « la présence des enfants étrangers … constituait ... une chance pour la France moderne » (circ. n° 86-120 du 13.03.1986), c’était maintenant au contraire aux élèves de reconnaître la chance qu’ils ont d’être à l’école française : Ces élèves [en situation de rejet de la scolarité, voire déscolarisés], dont l’itinéraire est un souci pour l’équipe éducative, doivent comprendre que l’école est une chance pour eux et qu’elle fait tout pour lutter contre leur exclusion et pour reconnaître chaque élève dans sa dignité (Organisation de la rentrée scolaire..., circ. du 09.01.1998).

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30 En 1999, cinq collèges et deux lycées professionnels de la Région parisienne accueillaient dans des classes spécifiques une nouvelle catégorie, les ENSA (Élèves Non- Scolarisés Antérieurement) « peu ou pas scolarisés dans leur pays d’origine et présentant des retards scolaires importants » (Rectorat 1999). Dans l’espace public, d’ailleurs – cf. la question écrite posée à l’Assemblée Nationale en février 2000 par une députée de l’Hérault – l’insuffisance des structures d’accueil est dénoncée, et une « augmentation progressive de jeunes d’origine étrangère, primo arrivants, en âge de scolarisation obligatoire et sans aucune connaissance de la langue française » est signalée comme une menace (Lazerges, 2000).

Les années 2000, notre temps

31 Decrescendo donc de la rhétorique concernant le devenir des « jeunes d’origine étrangère », puisqu’on (re)trouve en 2002 la volonté d’obtenir d’eux seulement une maîtrise satisfaisante du français et la désignation désabusée (réaliste ?) : « élèves nouvellement arrivés en France sans maîtrise suffisante de la langue française ou des apprentissages… ». Sentiment de fatalité aussi : les décideurs ont-ils tiré un trait sur les élèves issus de la migration ? ou en tout cas sur ce que l’on pourrait en attendre ?

32 En avril 2002, apparaît le dernier texte officiel concernant les CLIN sur lequel l’école fonctionne encore de nos jours : ‘Scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage’ (circ. 2002-100 du 25 avril 2002). Voilà du nouveau ! On ne sait plus quel biais va être pris pour marginaliser les uns et/ou les autres… Les autres appellations sont : élèves de nationalité étrangère (circ. 2002-063 du 20 mars 2002) et élèves nouvellement arrivés en France sans maîtrise suffisante de la langue française ou des apprentissages.

33 Les deux points principaux qui ressortent de ce texte sont 1) l’affirmation du droit de tous les enfants sur le territoire français d’être scolarisés, quel que soit leur statut administratif par ailleurs et 2) l’objectif d’intégration dans un « cursus de réussite » comportant une véritable qualification professionnelle.

La rhétorique dans les circulaires préparant les rentrées scolaires

34 Les textes émanant du ministère de l’Éducation nationale à chaque rentrée scolaire donnent la philosophie du ministre du moment en énumérant ses priorités pour l’année.

35 En 2003, Luc Ferry souhaite améliorer la maîtrise de la langue française et du langage, condition nécessaire de la prévention de l’illettrisme. L’échec scolaire s’enracine très tôt (insiste sa circulaire) et trop souvent de façon irréversible, dans l’insuffisante maîtrise de la langue. L’accent mis sur la prévention de l’illettrisme à l’école primaire constitue une première étape (selon lui) vers la réduction de la fracture scolaire. Le plan de prévention mis en place doit trouver un prolongement dans la formation des collégiens et sous-tendre l’exigence de réussite générale, avec une attention particulière pour la maîtrise de la langue. Outre la priorité à accorder à la maîtrise de la langue française dans toutes les disciplines… on doit répondre sans délai aux besoins des élèves les plus vulnérables face à la maîtrise de la langue et du langage…

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36 En 2004, le ministre François Fillon évoque « les enfants et les jeunes nouveaux arrivants en France et non francophones », en précisant que pour tous ces élèves, la maîtrise de la langue constitue la priorité.

37 En 2005, Gilles de Robien déclare que la maîtrise de la langue constitue la priorité absolue de l’enseignement du premier degré. La priorité est à donner à la maîtrise de la langue française. Tous les enseignants, quelle que soit leur discipline, sont concernés par cette priorité. Toujours ministre en 2006, il le réaffirme : la maîtrise de la langue reste la première priorité de l’école primaire et, conformément à l’article 9 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005, le décret définissant le Socle commun précisera… les connaissances et les compétences à prendre en compte dans chacun de ses cinq volets. Le premier est la maîtrise de la langue française.

38 En 2007, Xavier Darcos rappelle que, concernant la maîtrise de la langue, l’année scolaire 2007‑2008 est la deuxième année de mise en œuvre des principes définis par la circulaire ‘Apprendre à lire’ et par la modification des programmes du 24 mars 2006 en matière d’enseignement de la lecture. La maîtrise de la langue comme outil transversal est désormais à considérer par les enseignants dans toutes les disciplines. En 2008, le ministre enfonce le clou : « L’École doit se donner comme premier objectif la maîtrise par tous les élèves de la langue française, pivot de tous les apprentissages et condition de toute expression démocratique ». Et il introduit ce qui fait figure de nouvelle thématique, le bilinguisme, mais – ne nous réjouissons pas trop vite – bordée d’un côté par la restriction sur le type de langues concernées (« langues vivantes étrangères », celles qui sont étudiées à l’école), de l’autre par son côté optionnel (« peut ») : « La pratique des langues vivantes étrangères pour soutenir et renforcer le bilinguisme de certains élèves peut être proposée »… En 2009, Xavier Darcos érige la langue des signes française en priorité (‘Améliorer la scolarisation des élèves handicapés’) du plan Espoir banlieue (‘Lutte contre le décrochage scolaire’). La Priorité n°12 (‘Assurer la réussite scolaire des élèves socialement défavorisés’) ne contient plus aucune mention ni de langue, ni du français, ni de l’immigration : il n’y a plus d’étrangers, il n’y a plus que des «défavorisés ». La circulaire de préparation de la rentrée 2009 et, depuis juin 2009, le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, n’ont pas mentionné ces sujets non plus.

La question des langues sort du seul domaine national

39 Concernant l’enseignement des langues, que ce soit par l’ELCO ou comme langues vivantes étrangères le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) a été généralisé en France, ainsi qu’à toute l’Europe. Les programmes de langues étrangères pour l’école primaire et la mise en œuvre du « socle commun de connaissances et de compétences » (Bulletin officiel hors-série n° 8 du 30 août 2007), précisent les langues concernées : allemand, anglais, arabe, chinois, espagnol, italien, portugais, russe.

40 On constate donc que les langues de la plupart des élèves non-francophones ne sont mentionnées nulle part dans les textes officiels, ou seulement de façon allusive. Or s’il y a une chose que les recherches sociolinguistiques ont démontré depuis longtemps, c’est que les élèves venus d’ailleurs, quelle que soit leur provenance, parlent rarement la langue standard de leurs « origines ». Eh bien, qu’ils soient donc trilingues !

41 La maxime « donner plus à ceux qui ont moins » figurait dans les textes fondateurs des ZEP de 1981 ; elle encadrait toujours la circulaire organisant la rentrée de 1998. Le

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discours officiel de l’institution scolaire à la fin du XXe siècle réitérait aussi le « principe républicain de l’égalité et de l’universalité de l’instruction » : Au cours de leur scolarité en collège, les élèves doivent acquérir une culture et une formation communes, ainsi que les fondements de leur vie citoyenne... Il s’agit aujourd’hui de construire effectivement un collège pour tous, c’est-à-dire de conduire l’ensemble d’une classe d’âge jusqu’en troisième en écartant la structuration en filières d’exclusion (circ. du 09.01.1998).

42 Cependant, depuis le lancement en Europe des dispositifs d’accueil et d’intégration des élèves étrangers non francophones, les contextes scolaires nationaux ont beaucoup changé, sous les effets conjugués de la massification, du regroupement familial et des demandes d’asile. En France, de grandes enquêtes ont confirmé que la performance scolaire est liée aux conditions socio-économiques des élèves plus qu’à leurs origines nationales (Vallet & Caille 1996). Les situations scolaires ont dû être redéfinies. Pour les élèves allophones qui arrivent aujourd’hui, en petit nombre dans l’ensemble, mais dont la présence peut être localement significative (Francequin 2000), des structures d’initiation et de soutien – dont ils devraient pouvoir bénéficier pendant toute leur scolarité – existent. En ce qui concerne les enfants de parents ou grands-parents immigrés, ils sont comptés comme « francophones » et ne sont pas distingués des « tout venants ». Mais beaucoup de « tout venants » ont des problèmes liés à la langue scolaire et devraient pouvoir bénéficier des structures officiellement destinées aux seuls « non- francophones ». En fait, c’est le contraire de la pratique des dispositifs spéciaux réservés aux « non-francophones » qui devrait devenir la règle pour tous : au lieu de chercher à les intégrer au plus vite aux classes banales, mieux vaudrait étendre à ces dernières les conditions favorables des CLIN et des CLAcc : effectif réduit, espace plurilingue, latitude pédagogique.

43 Puisque les textes ne mentionnent pratiquement plus de manière spécifique les élèves « étrangers ou issus de l’immigration », l’objectif politique d’incorporer tous les éléments allogènes et allophones à la Nation semblerait aujourd’hui atteint, du moins en paroles. Ces élèves sont désormais inclus dans les dispositifs visant les milieux défavorisés. Certes, tout le monde ne se satisfait pas de ce constat : si certains sont d’accord avec le fait qu’il s’agit effectivement de la fin d’une stigmatisation et de l’aboutissement logique du modèle français d’intégration, d’autres craignent au contraire qu’il s’agisse d’un abandon pur et simple ("on ne s’en occupe plus"). Une telle crainte pourrait paraître infondée, étant donné que l’ancien dispositif existe encore et a même été étendu.

Conclusion

44 Pour analyser la situation des élèves « d’origine étrangère » associés à la question de l’échec scolaire, les chercheurs se sont divisés en deux camps : les économistes marxisants et les culturalistes psychologisants. L’articulation des deux pans de l’identité des élèves est sans doute la difficulté la plus délicate à traiter, à savoir leur identité sociale (milieu socio-économique) et leur identité culturelle (milieu familial), sans réduire l’une à l’autre mais sans nier l’une par l’autre, difficulté d’arriver à reconnaître, accepter et valoriser leur (et notre !) « mixité ».

45 Le débat sur l’échec scolaire et les origines ne s’est toujours pas éteint et il nous faut interpréter ce qui apparaît comme une « impasse de la réflexion », non seulement dans

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les textes officiels mais dans les sciences humaines et sociales en France. L’aporie semble résider dans 1) l’impossibilité de faire advenir l’idéale « égalité des chances pour tous les enfants » puisqu’on n’arrive pas à réduire les deux catégorisations (socio- économique et socioculturelle) et qu’on n’arrive pas à supprimer la catégorie « enfants défavorisés en échec scolaire » et 2) parallèlement, l’impossibilité de reconnaître l’inégalité sociale – c’est-à-dire d’en tirer toutes les conséquences (notamment financières).

46 Une conclusion plus pragmatique consiste à dire : en effet, la difficulté sociolinguistique est celle de l’écart entre la langue normée de l’école et la langue réellement pratiquée. Il semblerait qu’aujourd’hui les autorités tiennent compte de la complexité et de la diversité à la fois des situations de terrain et des publics. Le ministre de l’Éducation nationale en 2007 (Darcos) semblait en avoir pris conscience, précisant qu’il fallait accorder une attention particulière aux besoins des publics pour lesquels « la langue de l’école » est « éloignée » de la langue « habituellement parlée ». C’est par ce constat laconique que le discours officiel reconnaît que des enfants issus de l’immigration peuvent posséder d’autres langues.

BIBLIOGRAPHIE

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HENRY-LORCERIE F. 1996, Laïcité 1996. La République à l'école de l’immigration, L’école et la question de l'immigration, Revue Françaisede Pédagogie 117 (oct.-déc.), pp. 53‑86.

LAZERGES C. 2000. Question écrite. Paris, Assemblée nationale, 11 février (question formulée par la députée de l'Hérault, vice-présidente de la Commission des lois, conseillère municipale de Montpellier).

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VARRO G. & MAZURKIEWICZ M.-C. 1997. Les non-francophones, leurs cultures et la culture scolaire, pp. 190‑214 in J.-L. CHISS & D. BOYZON-FRADET (dir.), Enseigner le français en classes hétérogènes. École et immigration. Paris, Nathan Pédagogies.

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NOTES

1. Enseignement des Langues et Cultures d’Origine : accords bilatéraux signés avec huit pays exportateurs de main d’œuvre à l’époque : Portugal (1973), Italie, Tunisie (1974), Espagne, Maroc (1975), Yougoslavie (1977), Turquie (1978), Algérie (1982). 2. « Tout enfant français ou étranger résidant en France et âgé de 6 à 16 ans a le droit à l’instruction » (Loi du 18 mars 1882, ordonnance du 6 janvier 1959). L’inscription au sein de l’école ne saurait donc être subordonnée à la présentation d’un titre de séjour.

RÉSUMÉS

When looking through French official texts to see what French administrators think of immigrant children’s languages, one must admit that either they hold a rather negative view of them or have no opinion at all. It is as if, since those children do not possess a mastery of the French language, they had no language at all. That ethnocentric attitude has been long dominant in France, as perusing four decades of government instructions, decrees, etc. shows. The most persistent approach in school policies regarding those pupils has been to insist on their learning, even mastering, the official language (French), whatever the administration in place, even though attitudes and motivations are not exactly the same on the “right” and on the “left”. Official language has framed the presence of immigrant children in a paradigm bordered by the notions of welcoming them and integrating them, and the proof of the latter resides in how well they master school French. French thus becomes a double bind: since these pupils do not perfectly “master” the language – in theory the instrument of their integration – French is also what keeps them at a distance from the mainstream. The article ends with an analysis of the reasons why the situation has evolved so little over such a long period of time (1969-2009).

Si queremos investigar cómo las autoridades francesas se representan las lenguas de los niños de familias de inmigrantes, es muy probable que encontremos, en las representaciones oficiales, o bien representaciones negativas, o bien una ausencia total de representación, como si al no dominar la lengua francesa, estos niños ni siquiera conocieran un idioma. Este etnocentrismo hacia los alumnos (ex-) extranjeros ha prevalecido en Francia desde hace mucho tiempo, tal y como lo demuestra el estudio de cuatro décadas de circulares, instrucciones ministeriales y otros decretos y textos oficiales. El rasgo común de la política educativa, a pesar de los sucesivos gobiernos, aun si las actitudes y motivaciones no hayan sido idénticas a "derecha" y a "izquierda", fue la insistencia acerca de la necesidad del aprendizaje, o mejor de la posesión, de la lengua oficial (el francés). El discurso oficial incluyó la presencia de niños inmigrantes en un paradigma enmarcado por las nociones de acogida e integración, cuya prueba resulta del nivel de competencia en el francés escolar. El francés reviste entonces una doble obligación: si los alumnos no lo dominan, la lengua -teóricamente el instrumento de su integración - sirve al mismo tiempo para aislarlos. El artículo termina con un análisis de las razones por las cuales esta situación ha cambiado muy poco a pesar del tiempo transcurrido entre 1969 y 2009.

Nel discorso ufficiale francese, le lingue parlate dagli alunni (ex-)stranieri vengono ignorate, come se, non conoscendo il francese, questi bambini non parlassero alcuna lingua! Questa rappresentazione negativa è stata costruita ufficialmente e portata avanti dal discorso ufficiale da una quarantina d’anni a questa parte e ha un impatto nel discorso tenuto dagli insegnanti.

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AUTEUR

GABRIELLE VARRO

Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (France)

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Informe de los encuentros sobre la didáctica de lenguas en la Universidad de Rouen: buenas expectativas en el interés por el plurilingüismo

Ana-Isabel Ribera Ruiz de Vergara

Introducción

En el departamento de Filología Románica de la Universidad de Rouen, en colaboración con el laboratorio ERIAC (Équipe de Recherche Interdisciplinaire sur les Aires Culturelles), hemos llevado a cabo tres seminarios titulados Encuentros sobre la Didáctica de las Lenguas. El primer seminario tuvo lugar en abril de 2011 y, desde entonces hasta hoy, ya hemos realizado tres seminarios: • Primer encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas (abril 2011): La competencia comunicativa en primer año de español en la universidad. • Segundo encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas (abril 2012): El teatro como herramienta para el aprendizaje de las lenguas. • Tercer encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas (abril 2013): La pédagogie numérique des langues. El tipo de público asistente a estos seminarios está compuesto, en general, por una parte, por profesores, formadores de profesores, doctorandos, investigadores y estudiantes interesados por la didáctica de lenguas; por otra parte, el público está constituido tanto por los estudiantes que asisten a nuestras clases de lengua extranjera para especialistas como por los que asisten a nuestras clases de lengua extranjera para fines específicos.

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Objetivos y desarrollo de los seminarios sobre la Didáctica de las Lenguas

El objetivo principal de los seminarios sobre la Didáctica de las Lenguas, llevados a cabo cada mes de abril en la Universidad de Rouen, es el de explicar cómo y por qué se escogen y/o se crean las actividades de comunicación lingüística, concernientes a la enseñanza/aprendizaje de la lengua extranjera, que se les propone a nuestros estudiantes en los primeros semestres de las Facultades de Filología Románica y de LEA (Lenguas Extranjeras Aplicadas), con el fin de debatir y avanzar en el análisis de la didáctica de lenguas en los dos primeros años del ciclo universitario.

Primer encuentro (abril 2011): La competencia comunicativa en primer año de español en la universidad.

Este primer encuentro se realizó en francés y en español y se llevó a cabo en tres partes: 1) En la primera parte se les presentó a los asistentes el tema principal y los objetivos del encuentro. El tema principal se refería a la enseñanza/aprendizaje de la lengua extranjera (en este caso el español) en primer año de Filología Románica. El objetivo del seminario era explicarle al público asistente cómo y por qué se escogen y/o se crean las actividades de comunicación lingüística que se les propone a nuestros estudiantes de primer año de Filología Románica. Antes de pasar a la segunda parte del seminario, se presentó el prototipo de estudiante de primer año de Filología Románica. Según unas encuestas llevadas a cabo en la Universidad de Rouen con los estudiantes que realizan el primer año de Filología Románica, estos piensan, en un 70%, tener un nivel de lengua española bastante elevado y, darse cuenta, desde las primeras semanas de estudio en la universidad, que el nivel con el que acceden a la universidad no es tan elevado como ellos pensaban. Algo más de la mitad de los encuestados, un 60% aproximadamente, dicen acceder a la universidad con el fin de convertirse en profesores de español. Entre las profesiones deseadas por el 40% restante, las más destacadas son la traducción, el turismo, las profesiones relacionadas con la comunicación y el periodismo. Entre las asignaturas con las que dicen llegar a alcanzar el objetivo propuesto, en lo que a nivel de lengua se refiere, más de la mitad de los encuestados opina que es la gramática la asignatura que necesitan estudiar en profundidad. 2) En la segunda parte se explicó, por un lado, que la competencia comunicativa está constituida por unas destrezas relacionadas con los componentes lingüístico, sociolingüístico-cultural y pragmático. Estas destrezas se desarrollan a través de asignaturas tales como la comprensión escrita (CE), la expresión o producción escrita (EE), la comprensión oral (CO), la expresión o producción oral (EO), la interacción oral y la fonética. Por otro lado, se les indicó a los asistentes cuáles son los elementos teóricos y prácticos que hay que tener en cuenta en la enseñanza/aprendizaje de la competencia comunicativa. En primer año de Filología Románica de la Universidad de Rouen, nuestro objetivo es el de guiar y dirigir al aprendiente para que se acerque, al máximo,

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al nivel B2 en la competencia comunicativa de la lengua. A continuación, mostramos, de manera esquematizada, las exigencias referidas al nivel B2:

Objetivos para 1er año Filología Románica (especialidad español) Siguiendo el Marco Común Europeo de Referencia para las Lenguas (MCERL)

Acercarse al Nivel B2 (nivel avanzado e independiente) = Adquirir la competencia comunicativa al nivel B2

¿CÓMO?

Acercando a los alumnos hacia la autonomía en la utilización de la lengua a través de las asignaturas de CE, EE, CO, EO, interacción, fonética

Se les mostró cómo, para lograr este objetivo, los profesores guían al aprendiente en el aprendizaje de la competencia comunicativa, y cómo, a partir de las asignaturas anteriormente citadas, se practican los diferentes componentes de la competencia comunicativa. Por ejemplo, con la comprensión y expresión escritas se ponen en práctica, de forma más destacada, el componente lingüístico (en la producción escrita, saber utilizar correctamente la conjugación, el léxico, la sintaxis, la ortografía, la puntuación, la acentuación y, en cierta medida, la fonología) y el componente pragmático (saber reconocer el tipo de texto, diferenciar las ideas principales de las secundarias, saber organizar y estructurar las ideas). Con la comprensión y expresión orales se ponen en práctica el componente lingüístico (hacer uso correcto en la producción oral de la conjugación, el léxico, la sintaxis, la prosodia, la fonética y la fonología); el componente sociolingüístico y cultural (en este componente, entran en juego los rasgos relativos al uso de la lengua y, además, al aprendiente se le exige utilizar correctamente los marcadores propios de las relaciones sociales, las reglas de cortesía, las expresiones populares, distinguir los acentos) y el componente pragmático (saber organizar, adaptar y estructurar el discurso). Con la interacción oral se practican los mismos componentes que intervienen en la comprensión y expresión orales. Con la fonética se aprenden y practican las destrezas básicas necesarias para el buen aprendizaje de la comprensión y expresión orales. Se explicó que las actividades propuestas en fonética se realizan después de haber analizado los rasgos fónicos de las lenguas francesa y española, para ver cuáles son los rasgos diferenciadores entre ambas lenguas, y, por consiguiente, los rasgos inexistentes en francés con respecto al español. De esta manera, se logra agrupar los sonidos que van a causar mayor dificultad a los aprendientes francófonos. 3) En la tercera parte, se les mostró, a los asistentes al encuentro, algunas actividades de comprensión y expresión escritas, comprensión y expresión orales, interacción oral y fonética, todas ellas llevadas a cabo con nuestros estudiantes de primer año de Filología Románica de la Universidad de Rouen.

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El Primer encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas concluyó con la invitación a participar en el Segundo encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas que tendría lugar al año siguiente.

Segundo encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas (abril 2012): El teatro como herramienta para el aprendizaje de las lenguas.

Este segundo encuentro se realizó en español y en italiano y se llevó a cabo en tres partes: 1) En la primera parte se les presentó a los asistentes el tema principal y los objetivos del encuentro. El tema principal se refería a la enseñanza/aprendizaje de la lengua extranjera (en este caso el español y el italiano) en primer año de Filología Románica en la Universidad de Rouen y en la enseñanza/aprendizaje de lenguas en el LANSAD (Langues pour Spécialistes d'Autres Disciplines) en la Universidad de Grenoble. El objetivo del seminario era explicarles a los asistentes al encuentro cómo y por qué se escogen y/ o se crean, a partir de actividades relacionadas con el teatro, las actividades de comunicación lingüística que se les propone a los estudiantes de primer año de Filología Románica en la Univ. de Rouen y de LANSAD en la Univ. de Grenoble. 2) En la segunda parte, después de explicarle a la asistencia algunos de los fundamentos científicos en los que se basa la idea de que el teatro puede ser una herramienta útil para la enseñanza/aprendizaje de lenguas, los dos ponentes (Filippo Fonio, profesor e investigador en lingüística aplicada en el LANSAD en la Universidad de Grenoble y Ana Isabel Ribera, profesora e investigadora en lingüística aplicada en la Universidad de Rouen) destacaron tres niveles que aporta el teatro para la adquisición lingüística de lenguas: • El primer nivel. La fonética y la competencia ortoépica: Se le transmite al aprendiente no sólo la pronunciación normativa sino también diversas variaciones de la pronunciación de una lengua. • El segundo nivel. La fonética sintáxica: Se le sensibiliza al aprendiente con la musicalidad de una lengua y con el encadenamiento harmonioso de las secuencias habladas. • EL tercer nivel. La prosodia: Se le transmite al aprendiente la entonación de la lengua. Aparte de estos tres niveles lingüísticos, relacionados con la competencia lingüística de la lengua, se mencionaron, asimismo, algunas dimensiones, que aporta el teatro, correspondientes a la competencia sociolingüística y cultural en la enseñanza/ aprendizaje de lenguas, tales como: Los diferentes registros de la lengua, las relaciones verticales y horizontales en la comunicación, las relaciones entre los sexos, el tuteo, las reglas de cortesía, etc. 3) En la tercera parte, los dos ponentes mostraron a los asistentes al encuentro, algunas actividades teatrales llevadas a cabo con estudiantes de primer año de Filología Románica de la Universidad de Rouen y de LANSAD en la Universidad de Grenoble. El Segundo encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas concluyó con la invitación a participar en el Tercer encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas que tendría lugar al año siguiente.

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Tercer encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas (abril 2013): La pédagogie numérique des langues.

Este tercer encuentro se realizó en francés y en español y se llevó a cabo en tres partes: 1) En la primera parte se les presentó a los asistentes el tema principal y los objetivos del encuentro. El tema principal se refería a la enseñanza/aprendizaje de la lengua extranjera (en este caso el alemán, el español, el francés y el inglés) en Filología Alemana, Filología Románica, FLE (Francés Lengua Extranjera), Filología Inglesa y LEA (Lenguas Extranjeras Aplicadas). El objetivo del seminario era explicarles a los participantes cómo y por qué, utilizando las nuevas tecnologías, se escogen y/o se crean las actividades de comunicación lingüística que se les propone, en Filología y LEA, a nuestros estudiantes de Rouen. 2) En la segunda parte, se les presentó a los asistentes al ponente invitado: Patrick Lemaire, experto en ingeniería pedagógica en la Universidad de Rouen, que analizó las herramientas numéricas de las que se dispone en la pedagogía numérica para la enseñanza/aprendizaje de lenguas. En este encuentro intervinieron asimismo: • Representando la enseñanza/aprendizaje de la lengua inglesa, Philippe Decloître, experto en ingeniería pedagógica y docente de inglés, que propuso algunos dispositivos numéricos para la enseñanza/aprendizaje a distancia; • Representando la enseñanza/aprendizaje de la lengua alemana, Bertrand Blanchard, encargado de la misión CLES (Certificación de Competencias en Lenguas de la Enseñanza Superior) en la Universidad de Rouen y docente de alemán, que habló sobre el aprendizaje de lenguas, en particular el alemán, a partir del CLES; • Representando la enseñanza/aprendizaje del español, Esther Ceballos, docente de español, y Ana-Isabel Ribera, profesora titular e investigadora en lingüística aplicada en la Universidad de Rouen, explicaron cómo utilizar las nuevas tecnologías, las plataformas numéricas y las redes sociales como apoyo a la clase presencial, en la enseñanza/aprendizaje del español; • Representando la enseñanza/aprendizaje de FLE, Marion Dufour, doctora en ciencias del lenguaje, presentó la plataforma del proyecto PFC [Fonología del Francés Contemporáneo, (ver sitografía al final del artículo)] como recurso innovador en la enseñanza/aprendizaje de FLE. 3) En la tercera parte, algunos de los ponentes mostraron a los asistentes al encuentro, algunas actividades prácticas sobre comunicación lingüística, creadas con la ayuda de las nuevas tecnologías, dirigidas a estudiantes de lengua extranjera. El Tercer encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas concluyó con la invitación a participar en el Cuarto encuentro sobre la Didáctica de las Lenguas al año siguiente.

Conclusión y expectativas

Al principio de este artículo, se han comentado los dos objetivos principales con los que se han organizado los seminarios sobre didáctica de lenguas, denominados Encuentros sobre la Didáctica de las Lenguas. El primer objetivo se va logrando cada año, desde 2011, y, además, las expectativas son positivas puesto que los seminarios ya no sólo reúnen a los estudiantes de Filología Románica y LEA, sino que cada año se van abriendo a estudiantes de Filología Alemana, Inglesa, FLE y estudiantes de lengua extranjera para

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fines específicos. El segundo objetivo muestra también unas expectativas positivas puesto que los seminarios acogen ya no sólo a ponentes especializados en la didáctica de lenguas románicas, sino también a ponentes especialistas en la didáctica de otras lenguas. Para acabar, me gustaría resaltar que, en un principio, los seminarios se celebraban con la colaboración y el apoyo del laboratorio de investigación ERIAC (mencionado en la introducción de este artículo); a partir del 2014, a la colaboración del ERIAC se le irán sumando las colaboraciones del REDESC (Recherches en Didactique et Sociolinguistique sur l’Espagnol et le Catalan) y el GERES (Groupe d’Étude et de Recherche en Espagnol de Spécialité). Queda reflejado, en todo caso, el interés por el plurilingüismo.

BIBLIOGRAFÍA

Para información sobre el Marco Común Europeo de Referencia para la Lenguas (MCER), consultar el sitio http://cvc.cervantes.es/ensenanza/biblioteca_ele/marco/

Para información sobre el Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL), consultar el sitio http://www.coe.int/T/DG4/Linguistic/Source/Framework_FR.pdf

Para información sobre la certificación de Competencias en Lenguas de la Enseñanza Superior (CLES), consultar el sitio http://www.certification-cles.fr/

Para información sobre el proyecto de Fonología del Francés Contemporáneo (Phonologie du Français Contemporain, PFC), consultar el sitio http://www.projet-pfc.net/

Para información sobre los seminarios Rencontres sur la Didactique des Langues en la Universidad de Rouen, consultar los sitios http://eriac.univ-rouen.fr/didactique-des-langues/; http://eriac.univ- rouen.fr/troisieme-rencontre-sur-la-didactique-des-langues/

RESÚMENES

En avril 2011 j’ai organisé la première Rencontre sur la Didactique des Langues à l’Université de Rouen, avec pour principal objectif d’expliquer à mes étudiants d’Études Romanes (spécialité espagnol) et de LEA (Langues Étrangères Appliquées), comment et pourquoi on choisit et on crée des activités de communication langagière qui leur sont proposées dans les cours de compréhension et expression écrites, compréhension et expression orales et phonétique. Dans un second temps, mon intention était d’attirer les professeurs, formateurs de professeurs, doctorants, chercheurs et autres personnes intéressées par la didactique des langues, pour, avec le temps, se regrouper pour créer et avancer des projets communs de recherche sur la linguistique appliquée à la didactique des langues en contexte universitaire. Trois ans plus tard, trois rencontres ont eu lieu et le projet prend forme. Voici le compte-rendu de ces trois années de rencontres.

In April 2011 I organized the First Encounter on Language Didactics at Rouen University. The main objective was to explain to my students how and why one chooses to study language activity through written comprehension, oral expression and phonetics. I then wished to attract

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teachers, trainers, PhD students and other people interested by language didactics, to propose joint research projects in applied linguistics in University language teaching. Three years later, three encounters have taken place and the project is on-going. Here is the record of those encounters.

AUTOR

ANA-ISABEL RIBERA RUIZ DE VERGARA

Université de Rouen Normandie (France)

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Des Français et de la langue française

Yannick Lefranc

Une première version de cet article est parue sous le titre « De la langue française et de ses habitants associés. Remarques et propositions sur les droits, devoirs et pouvoirs linguistiques des citoyens parlants », Savoirs et Formation, Revue de l’AEFTI n° 82, décembre 2011.

1 Rythmés et modelés par la succession des lois sur la formation professionnelle et sur le séjour en France des migrants, les débats sur le droit à la langue soulèvent des questions de philosophie et de mesures politiques. D’un point de vue républicain, l’apprentissage et la maîtrise de la langue française, son appropriation, font partie des droits mais aussi des devoirs des habitants de France. Si l’on admet le principe « tous ceux qui vivent en France ont des droits et devoirs de citoyens ». Ces derniers ont le devoir de se confronter aux énoncés et au système de la langue-culture en communiquant pour se mêler aux autres habitants – leurs semblables civiques – et ils ont le droit-pouvoir de se mêler en langue française des affaires de la cité.

2 Quelle importance et quelles caractéristiques donner aujourd’hui au « français langue nationale » (FLN), dans une Europe capitaliste où la mise en avant des diversités culturelles va de pair avec un renouvellement modernisé de la polarisation sociale ? Les réflexions qui suivent avancent des définitions, des interrogations et des propositions qui cherchent à prendre en compte les nouvelles réalités françaises.

Français : langue-système et langue de discours

3 Comme les autres idiomes, le français est une langue-culture historique. C’est non seulement un « système », selon la conception réductrice de la grammaire scolaire et de la linguistique traditionnelle, mais c’est d’abord une langue trésor1, composée de quantités de « discours en français » aux normes ou pas, légués par les siècles ou créés

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d’aujourd’hui, et que l’on réénonce et l’on incorpore plus ou moins partiellement et fidèlement.

4 Chaque citoyen parlant apprend et pratique le français au milieu d’un ensemble de formes verbales en circulation. Il en tire et mémorise une anthologie de discours et de formules (proverbes, expressions et phrases toutes faites). En même temps, il en extrait et associe des lexies (mots simples, expressions et autres formules), tandis qu’il en abstrait le système de distinctions et de combinaisons : il le construit et le met en schèmes.

5 Ce que j’appelle « le français » réfère à un ensemble hétérogène d’énoncés oraux et écrits circulants, des discours qui sont certes surveillés et contrôlés par les autorités et les agents des institutions chargés de les surnormaliser, mais qui sont aussi diversement régulés au fil des échanges formels ou informels entre les parleurs. Ainsi, la masse composite et changeante des paroles et des écrits en français déborde les régularités retravaillées de l’écrit standardisé : ce « français» que l’on apprend à oraliser par l’école et par les médias, avec ses énoncés modèles réglés, revus-relus, et corrigés.

6 À partir du français vivant instable et changeant, contre et au-dessus de son désordre plus ou moins organisé, les États de France ont institué et réinstitué une langue officielle, ou légitime : le français de la Nation, un idiome stabilisé et unifié par les conditionnements administratifs, juridiques, scolaires, littéraires, et médiatiques. Imposée à tous comme « le français », cette langue agit comme un modèle et fait pression sur les variations linguistiques orales et d’abord écrites. Le français surnormé exclut de son système et de son trésor bien des constructions et des mots propres aux pratiques langagières des classes populaires et moyennes inférieures des villes et des campagnes. Parmi les formes courantes du français ordinaire qui se disent et se reprennent, mais n’entrent pas dans le corpus restreint des écrits et des paroles du bon usage, académiquement et administrativement homologué, on remarquera beaucoup d’expressions et de constructions françaises créées accidentellement ou volontairement par des migrants, des ex-migrants, leurs enfants… et leurs petits- enfants.

Le français de la République, ses normes et ses contraintes

7 Si c’est une langue internationale, et européenne, et s’il est proche de la langue des autres nations francophones, le français trésor-et-système qui s’apprend et se parle en France est avant tout la langue des habitants de cette République sociale et laïque (suivant la constitution), la langue des « citoyens » qui y vivent et qui doivent pouvoir se l’approprier, quels que soient leur origine et leur milieu socioculturels, leur classe sociale ou leur communauté. C’est que les habitants ont intérêt à l’apprendre, pour « se défendre dans la vie » individuellement et collectivement.

8 Certes, une telle vision correspond plus à un principe et à un idéal qu’à une réalité effective, mais c’est que la République sociale laïque est un processus créatif, conflictuel, et à l’avenir incertain. De ce point de vue, la Révolution française, sociale et culturelle, ne serait pas terminée.

9 Langue de la communication publique, des rencontres et du mélange entre des habitants en accord ou en désaccord, le français doit l’emporter en France sur les

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autres langues du pays : les langues de la famille et les langues des médias, les langues régionales ou nationales. Pour autant, les citoyens doivent aussi pouvoir les apprendre, les pratiquer et les diffuser.

10 C’est parier ici que la réalisation effective du droit à la langue nationale accroisse la capabilité des habitants jeunes ou vieux : i.e. qu’elle renforce leurs capacités affectivo- cognitives, conjuguées aux possibilités et aux libertés effectives d’exercer leurs capacités. Tout cela participe de ce processus de socialisation à la française, qui oblige les habitants à en accepter les normes et les principes pour exercer leurs pouvoirs politiques. Soulignons que, philosophiquement, les « valeurs républicaines » (les buts de vie déclarés bons pour tous) ne sont pas présentées comme surnaturelles mais sociohistoriques et politico-juridiques : elles dépendent d’une définition de l’intérêt général démocratiquement discutable.

11 Puisque les lois de la démocratie française l’emportent sur les lois des dieux et des déesses, sur celles des communautés (ou plutôt de leurs dirigeants), et sur celles des familles ou des ancêtres, la langue de la République – langue de Molière, Voltaire, Prévert, Césaire, et Cavanna – est aussi un espace linguistique où circulent des discours et des textes irrespectueux des croyances et des convictions des concitoyens (même républicaines), ce qui mécontentera ou choquera toujours quelqu’un.

12 Cependant, si la diversité conflictuelle des discours doit être reflétée par l’enseignement public et commun du français national, elle n’échappe pas à certaines prescriptions et proscriptions démocratiques. L’apprentissage du français comme langue des citoyens de France entre en contradiction avec des manières de faire, de parler et de penser ethnicistes, sexistes ou classistes présentes dans la société et incompatibles avec les principes, les idéaux et les pratiques universalistes de la République – une République dont les réalisations démocratiques sont précaires et insuffisantes.

13 Cette socialisation linguistique des habitants promeut également une culture de l’instruction et de l’esprit critique obligatoires qui revêt une dimension paradoxale de « contrainte émancipatrice ». Des lois, des mesures et des appareils d’État imposent officiellement que, comme tout le monde, les non Français soient exposés aux discours de l’éducation et de la formation nationales. Que ces personnes, ou ceux qui parlent en leur nom (chefs de famille, patrons, directeurs de conscience, vedettes des médias, experts) le veuillent ou non. De Condorcet à aujourd’hui, la citoyenneté active dépend toujours de la diffusion d’une culture générale pour tous.

14 Dans ce cadre philosophique et politique que penser de l’institution d’un français langue de l’intégration (FLI)2 ? Le FLI aura sans doute des effets dissuasifs, et plusieurs bénéficiaires n’auront pas recours à ce « droit à la formation linguistique » s’il se traduit par des contraintes et des corvées administratives pour les migrants, avec des menaces et des sanctions pour les récalcitrants ou les méfiants3. En tout cas, si l’on admet qu’une certaine connaissance et compétence de même qu’une pratique régulière du français sont indispensables pour obtenir la nationalité française, mais aussi pour être capable d’exercer des droits de citoyen avec ou sans la nationalité, une maîtrise insuffisante du français standardisé, ou même le refus de l’apprendre ne doivent entraîner ni expulsion du territoire, ni exclusion, ni suppression de droits et de libertés.

15 Si elles sont démocratiquement élaborées et débattues, les formations et les certifications linguistiques devraient servir les intérêts de ces nouveaux citoyens, s’ils

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acquièrent la culture générale, civique et professionnelle nécessaire, et des pouvoirs politiques.

16 Cette acculturation en français impose également des obligations non négociables. Les citoyens doivent suivre les lois et certaines règles de vie créées au cours de luttes historiques, un ensemble de normes peu à peu construit contre des normes étatiques, religieuses, familiales et même entrepreneuriales. Aujourd’hui encore, les habitants doivent se battre pour défendre, consolider et enrichir les conquêtes sociales du passé français : droits à la santé, droits des salariés, droits des femmes, droits à l’instruction publique et à la culture générale, droits à la liberté de conscience et à l’expression publique de ses opinions – y compris critiques et satiriques.

17 Cette problématisation politique de la communication langagière demande d’admettre que toute vie en société comporte une dimension conflictuelle, et qu’il s’agit de la démocratiser. Une telle conception s’oppose à l’idéologie multiculturaliste, moraliste et crypto-religieuse véhiculée par tant de travaux éducatifs et linguistiques du Conseil de l’Europe, qui vantent la cohésion sociale en minorant ou en escamotant les rapports de forces, de domination et d’exploitation, de soumission et de lutte.

Droit à la langue française et droit aux autres langues de France

18 L’apprentissage du français, dit-on, doit tenir compte des langues premières des parleurs et les intégrer dans les cours de FL «M» et de FLS. Comment y parvenir si l’on en examine froidement les conditions de possibilité et de contrainte d’une France qui n’émerge pas en bon état de la crise mondiale ? Comment financer ces formations, les organiser et les concrétiser ?

19 En nous limitant aux principes, on conviendra cependant que le français, ses apprentissages, ses usages et son système-trésor doivent se renouveler pour s’adapter aux changements historiques d’une nation socio-économiquement et culturellement mondialisée. Mieux encore, s’il se veut républicain et social, l’enseignement actualisé du français associera les langues des migrants au FL «M», au FLS et au FLI. Conjuguant ses capacités-pouvoirs de communication et d’expression à son « pouvoir de traduction » (Balibar, 1985), l’étudiant-stagiaire apprendra et pratiquera le français en s’accoutumant à faire des allers et retours entre sa/ses langue/s première/s et la langue légitime – articulée au français familier et populaire. En France, la langue nationale servirait à la traduction et à la reformulation des discours de ses citoyens. Le français légitime se montrerait enfin ouvert aux autres idiomes du pays. À condition que la République crée les emplois de formateurs–interprètes de français dont la population, la nation, a besoin.

Du droit à la parole au droit sur la langue

20 Les institutions d’instruction et de culture ont à faire du français national une langue véritablement commune, rendue disponible et intelligible pour tous : une langue communale - comme on parle de terrains communaux. Il s’agit donc à la fois de faire advenir et d’accroître les pouvoirs d’expression, de communication et de traduction en français de tous, mais également de créer des règles et des institutions démocratiques

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pour que chacun ait réellement la possibilité de se mêler aux autres habitants en langue française. Y compris en employant des formulations et des tournures influencées par d’autres langues et par d’autres variétés de français. Elles renouvelleront et elles enrichiront la langue de tous.

21 Pour devenir réellement démocratique, le français normalisé sera remis sur le métier, et l’on s’inspirera de la souplesse et de la créativité du français populaire, comme de celles de l’anglo-américain, officiel ou courant. En comparaison avec l’anglais national- international, la langue française « correcte » apparaît actuellement comme une langue tout à la fois appauvrie et corsetée. Un idiome dont les nouveautés verbales sont des calques de l’anglais médiatique et managérial de la mondialisation. Et si l’on remettait le bonnet rouge au dictionnaire (Victor Hugo), en enrichissant le français des mots et des expressions des langues régionales, et des créations des parleurs des classes populaires et moyennes de toutes origines ?

22 La lutte sociale et politique qui promeut le droit à la langue pour tous, pour tous les habitants (Viviane Forester), pour tous les icitiens (Jamel Debbouze), qu’ils soient migrants, ex-migrants ou non migrants, pourrait jouer un rôle de révélateur, et lever du même coup le voile sur la dépossession de la langue nationale que vivent la majorité des citoyens de France – pourtant scolarisés et médiatisés. Le droit et le devoir de s’approprier le français standardisé écrit-oralisé va de pair avec un droit sur la langue qui doit échapper au monopole des dirigeants et des experts économiques, étatiques, et académiques.

Capabilité et conditions de possibilité

23 Si le droit à et sur la langue française et si le devoir de connaître et de pratiquer cette langue sont indissociables, comment passer de ces principes à des réalités tangibles ?

24 Comment en réunir « les moyens » en personnels, en locaux, en temps, en ressources et en techniques didactiques, et les mettre en interaction avec les capacités d’enseignement des professeurs de français, et avec les capacités d’acquisition des apprenants ?

25 On voit bien que l’apprentissage et la pratique du français excèdent les possibilités et même les missions des institutions éducatives et des organismes de formation. L’appropriation et les usages de cette langue c’est aussi une question de politique économique et de citoyenneté : chacun doit être en mesure d’exercer et d’enrichir son français sur son lieu de travail, dans des associations culturelles et les médiathèques, dans des organisations syndicales et politiques, dans des cafés et des salles des fêtes, mais aussi individuellement, grâce aux livres, à la presse et aux œuvres audiovisuelles. De beaux rêves, ou plutôt un programme de luttes sociales ?

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BIBLIOGRAPHIE

BALIBAR R. 1985. L’institution du français, PUF.

GODEL R. 1957. Les sources manuscrites du cours de linguistique générale de F. de Saussure, Droz.

MESCHONNIC H. 1997. De la langue française, Hachette.

VICHER A. (coord.). 2011. Référentiel FLI, DAIC/Ecrimed.

NOTES

1. J’interprète ici librement le terme de Saussure (Godel, 1957) que je redéfinis comme une configuration langagière où les formes verbales mémorisées par les sujets (leurs «trésors» au sens de Saussure) interagissent avec les discours circulants : avec le «trésor» des formes discursives produites par les locuteurs en communication sociale. Cette vision de la langue comme langue-de-discours ou discours-de-la-langue s’inspire de Meschonnic (1997). 2. Depuis 2011, les étrangers non européens candidats à la nationalité française doivent prouver qu’ils ont un niveau de compétence orale du français qui équivaut au niveau B1 du CECR européen. Le FLI se distingue cependant du FLE par son contenu et ses finalités civiques et politiques. 3. Sur le phénomène du non-recours aux droits et aux services sociaux, voir le site: http:// www.inegalites.fr/spip.php?article1495

AUTEUR

YANNICK LEFRANC

Université de Strasbourg (France)

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Langues et dialectes dans l’arc alpin

Tullio Telmon et Jeanine Médélice

Cet article est d’abord paru en 2006 dans la partie «Les langues des Alpes», in C. Jourdain Annequin (a c. di). Aires culturelles, aires linguistiques dans les Alpes occidentales. Actes du Colloque de Grenoble, 18-19 novembre 2004. p. 127-140, Grenoble: Glénat.

1 Les manuels donnent souvent une image très simplifiée de la situation linguistique des Alpes; cette image ne tient presque jamais compte des entrecroisements entre langues de l’usage populaire, langues officielles, langues de la culture, langues écrites et langues exclusivement ou principalement orales. En principe, dans la plupart des cas, la caractéristique la plus particulière de la situation linguistique, soit sur le versant extérieur (français, suisse, austro-allemand, slovène) de la chaîne alpine, soit surtout sur l’intérieur (italien) est celle d’un plurilinguisme très répandu, qui dans la plupart des cas revêt l’aspect de diglossie. Les conditions les plus fréquentes sont celles de communautés linguistiques qui possèdent une langue locale à elles, et qui utilisent cette langue locale pour la communication à l’intérieur de leur village ou de leur famille, à côté d’au moins une deuxième langue, celle-ci apprise surtout par l’intermédiaire de l’enseignement scolaire, et utilisée pour les rapports avec l’administration et la culture.

Les langues de l’usage populaire

2 Par cette définition un peu sommaire, nous voulons ici parler de la réalité linguistique qui, généralement, est comprise dans l’univers des dialectes. Quels que soient la famille, le groupe ou le sous-groupe linguistiques d’appartenance, chacun des dialectes locaux dont nous parlerons devra être considéré comme une langue à part complète, puisqu’il remplit toutes les fonctions que remplit tout système linguistique, et puisqu’il possède, comme tout système linguistique, les différents éléments (phonologique, morphologique, syntaxique et lexicale, et, en plus, un ensemble de normes socio- pragmatiques) qui sont nécessaires pour fonctionner en tant qu’outil pour la

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communication. C’est pour cette raison que l’expression “langue locale” est préférable à celle de dialecte.

3 Il faut également considérer qu’aucune de ces “langues locales” n’a jamais dépassé le niveau de l’usage exclusivement oral. Pour mieux dire, il peut arriver que, çà et là et à certains moments, certains locuteurs se soient exprimés dans l’écriture de leur langue locale: ce faisant cependant ils ne se sont jamais placés à l’intérieur d’une “tradition textuelle” qui ne fût celle de l’autre ou des autres langues de référence dont, conformément aux conditions de diglossie citées ci-dessus, ils sont également des utilisateurs, notamment pour l’écriture.

4 Une recommandation: notre besoin de regrouper et de classifier les langues ne devra pas être confondu par le lecteur avec une classification “naturelle”. En d’autres mots, si nous serons forcés, pour les besoins de classement, de parler, par exemple, de “francoprovençal” (ou de “groupe francoprovençal”), ou de “walser” ou de “provençal alpin”, le lecteur devra toujours considérer que l’on ne veut pas, par ces étiquettes, faire allusion à des langues vraies et propres, réelles et concrètes, mais tout simplement à des regroupements de facilité, qui assemblent d’une façon parfois même arbitraire des réalités linguistiques différentes, ayant toutefois certains traits communs.

5 Nous donnons ici encore deux avertissements, de caractère terminologique: lorsque nous parlons de «koïnè», nous nous référons, bien sûr, à une «langue commune», mais celle-ci peut être le résultat de la suprématie de la langue d’une localité, le résultat d’une sorte de «collage» entre plusieurs variétés, ou encore celui d’un échafaudage intellectuel d’un système abstrait. La deuxième précaution concerne la notion de «langue toit», par laquelle on entend un système linguistique «standardisé» qui domine, en tant que langue de la culture et modèle normatif, une ou plusieurs variétés dont il est un parent plus ou moins proche.

6 Dans le secteur occidental des Alpes, nous pouvons immédiatement observer en acte l’une des plus importantes et fréquentes “règles” de la situation linguistique alpine: la ligne de partage des eaux, qui à partir de la formation des grands “États-nations” a été employée pour tracer les soi-disant frontières naturelles (c’est la même ligne qui avec quelques exceptions marque aujourd’hui les limites entre la France et l’Italie à l’Ouest; puis, au Nord, entre la Suisse et l’Italie et entre l’Autriche et l’Italie et enfin, à l’Est, entre la Slovénie et l’Italie) ne joue pas le même rôle pour ce qui concerne la détermination des frontières linguistiques. Le parler populaire de Barcellonette, sur le versant occidental (français) de la crête de faite, tout en constituant une langue locale à part entière, est pourtant plus apparenté au parler populaire de Demonte, à l’Est du Col de Larche, qu’au parler d’autres localités, même plus proches ou placées du même côté de la chaîne alpine.

7 La Fig. n° 1 nous montre que trois grandes familles linguistiques (romane, germanique, slave) se partagent l’espace alpin: à l’intérieur de chacune d’elles, les linguistes distinguent d’habitude des groupes plus petits.

La famille linguistique romane

8 À l’exclusion du français, dont nous traiterons plus loin et qui, tout en étant lui-même, dans la France du nord, une continuation du latin, ne s’est affirmé qu’au Moyen Âge dans le milieu alpin, il s’agit toujours des continuations locales “naturelles” du latin vulgaire, modelé, selon des quantités et des modalités différentes, par des éléments de

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substrat, d’adstrat ou de superstrat. À partir des Alpes Maritimes, le premier groupe qu’on trouve est celui des parlers occitans.

Le provençal

9 Le regroupement des parlers occitans est très étendu et subdivisé en plusieurs sous- groupes. Dans l’aire alpine, c’est le provençal (et plus précisément le provençal alpin) le sous-groupe à qui reviennent les parlers des Alpes Maritimes et des Alpes Cottiennes, à partir du Col de Tende jusqu’au Col de Mongenève. Ce groupe occupe, dans le territoire français, toutes les vallées tributaires des bassins du Var et de la Durance; en territoire italien, les vallées de la province de Coni (Pesio et Ellero, Vermenagna, Gesso, Stura de Demonte, Grana, Maira, Varaita, Po) et les plus méridionales de la province de Turin (Pellice, Cluson, Germanasca, Aute Vallée de Suse). Il faut remarquer l’absence totale de toute forme de koïnè ou de standardisation et l’inexistence de toute possibilité de reférence à une “langue-toit”, soit du côté oriental soit de celui occidental. Pour donner une idée des aspets que la variabilité géographique du provençal alpin peut revêtir (mais le phénomène regarde également le francoprovençal, l’alémanique, le bavaro- autrichien, le ladin, le frioulan ou le slovène), on donne ici un exemple tout-à-fait casuel de la fragmentation lexicale. Les «épluchures» de la pomme de terre, peuvent se dire lo paraules, le paralhe, la paralhes, avec des diversités fonetiques et morphologiques mais avec le même type lexicale, à Le Pin, Galaure, La Grave; elles deviennent cependant louz eploeshe à Crolles; mais aussi les pelures, lis espelouìro, las peluìres à Charnècles, Saoû, Baratier; le peliotes à La Chapelle-de-Surieu et à St-Jean-de-Bournay; le pelalhes, la pelali, les pelayes à Allevard, La Mure, Aiguilles; lou trioun à Saoû; et encore: les pieràires à St-Véran; les plumàlias et les plumalhes à Gap, dans le Champsaur et à Laragne1.

Le francoprovençal

10 En France, l’aire de cette famille linguistique, découverte et définie par le linguiste italien Graziadio Isaia Ascoli dans la deuxième moitié du XIXème siècle, occupe un espace qui s’étend vers l’Ouest au-delà de l’espace exclusivement alpin, jusqu’au Lyonnais et au Forez, dans la zone du Massif Central; en territoir alpin, les parlers que l’on peut attribuer à la famille francoprovençale vont du Grésivaudan (Daufiné septentrionale) à la Savoie, à la Suisse Romande et, à l’Est de la ligne de partage des eaux, des vallées de la province de Turin (Sangone, Basse Vallée de Suse, Cenischia, Stura de Viù et de Ala, Grande de Lanzo, Locana, Soana) jusqu’à tout le bassin valdôtain de la Doire Baltée (à l’exclusion de la vallée du Lys, dont le parler est walser (v. infra, au point 1.2). Les conditions de survie des parlers francoprovençaux sont assez différentes, selon les aires: réduites à quelques valétudinaires dans le territoire français, elles sont un peu plus vivantes en Suisse; sur le versant italien, elles sont encore assez vives en province de Turin et décidément vitales en Vallée d’Aoste. Tout comme dans les autres terroirs francoprovençaux, dans le Val d’Aoste n’a d’ailleurs jamais existé une tradition écrite, ni une tendance vers des formes d’unification: là aussi, la langue a toujours eu un usage exclusivement oral.

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Le français

11 Contrairement aux autres deux composantes du groupe gallo-roman (occitan et francoprovençal), la présence desquels est sur les Alpes la continuation directe et ininterrompue du latin vulgaire, le français s’est ajouté comme un code ultérieur d’apprentissage; initialement, avec des fonctions de langue écrite. La langue française s’est de plus en plus répandue, à partir surtout de l’Ordonnance de Villers-Cotteret, par laquelle en 1539 le roi de France François Premier imposait l’emploi du français à la place du latin ou des langues vulgaires pour rédiger tout document officiel. Du côté oriental de la chaîne alpine, quelque chose de pareil fit aussi le duc Emanuel Filibert avec les “Lettere patenti” de 1561; avec cette différence que le duc de Savoie, conscient de gouverner un État inter-alpin et plurilingue, imposa l’emploi de «la lingua volgare» (c’est à dire du toscan, avec beaucoup de traits régionaux) dans ses États en deçà des Alpes et du français dans ses États transalpins. Alors que le français s’accorda assez tôt , sous la forme d’un bilinguisme presque parfait, avec les parlers provençaux du peuple dauphinois ou francoprovençaux des savoyards, l’italien n’eut pas le même sort près des sujets du versant “italien”. À quelques exceptions près, les montagnards des vallées provençales alpines et francoprovençales du Piémont continuèrent à ignorer l’italien jusqu’à très récemment. Les exceptions sont la Vallée d’Aoste, la Haute Vallée de Suse, le Haut Val Cluson, la Haute Vallée Varaita et les vallées dites “vaudoises”. Pour des raisons différentes et souvent superposées (l’appartenance d’abord au Dauphiné et puis à la France dans les cas des Vallées Varaita, Cluson et Suse; l’inclusion des valdôtains parmi les sujets francophones; le lien des vaudois avec le mouvement réformé dont le centre principale était la Genève francophone de Calvin), ne fut pas l’italien la langue de leur bilinguisme, mais plutôt le français, qui eut ainsi la chance de devenir la langue du progrès social des classes populaires, de sorte que dans toutes ces vallées put se développer une vraie et propre alternative sociale dans le choix entre le code langue locale et le code langue française en tant que langue maternelle. C’était inévitable que, dans de telles conditions, le français commence à revêtir, un peu à la fois, des

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connotations particulières, conservant, d’un côté, de traits que le français “de France” a entre-temps abandonné et introduisant, de l’autre côté, des localismes et des emprunts de l’italien ou des dialectes di Piémont. Parmi les exemples, on peut citer la tendance à l’articulation d’une voyelle muette en fin de mot, alors que la prononciation «correcte» la ferait disparaître: [‘lynë] à la place de [lyn] («lune», la plupart des patois ayant luno, luna), [e’kolë] pour [e’kol] («école»; patois eicòlo, eicòla), etc. Ou encore, l’articulation de la latérale palatale dans des mots où la palatalisation «parisienne» arrive à effacer la consonne: [fa’miλë] pour [fa’mij] («famille»), [mu’λe] pour [mu’je] («mouiller»), etc. Et pour le lexique: boureiller, bourrelier «sellier»; bouter «pousser»; commerçable «vendable», etc.

Le gallo-italique

12 Dans l’ensemble des dialectes de l’Italie du Nord, s’appellent gallo-italiques les dialectes du Piémont, de la Ligurie, de la Lombardie et de l’Émilie-Romagne. Tout en étant le résultat du latin appris par des populations d’origine celtique – pas moins que le gallo- roman qui comprend l’occitan, le francoprovençal et la langue “d’ oïl” – l’histoire linguistique, culturelle, administrative, économique de ces régions s’est orientée depuis toujours vers les grands centres de la culture et du pouvoir politique italiens. Par conséquent, leur évolution linguistique s’est développée différemment par rapport avec celle de la famille gallo-romane. Les régions alpines de parler gallo-italique sont le Piémont et la Lombardie.

Les parlers “pédémontans” du Piémont

13 À vrai dire, à la partie alpine du Piémont appartient surtout son secteur occidental, c’est-à-dire celui dont les populations ont, come on vient de le voir, des parlers de type gallo-roman, que se soit provençal alpin ou francoprovençal ou français. Pour ce qui regarde la partie restante de la région, les parlers de type alpin se bornent au Piémont septentrional, où les Alpes ont déjà la dénomination d’Alpes Centrales, et plus précisément d’Alpes Pennines. Ces parlers sont gallo-italiques. À leur intérieur, nous trouvons la variété des dialectes “valsesiani”, dont les caractéristiques sont sensiblement éloignées de celles du turinois, variété de référence principale du type gallo-italique «pédémontan», présentant certains traits qui les approchent aux dialectes de la Lombardie. Comme l’on verra plus loin (cfr. infra, prf. 1.2), dans ce même secteur du Piémont septentrional se trouvent aussi quelques colonies méridionales du type germanique alémanique.

Les dialectes de la Lombardie

14 Toutes les Préalpes Lombardes et le versant sud des Alpes Lepontines, comprenant le Canton suisse du Tessin et les provinces de Varese, Como et Sondrio en Lombardie sont habités par des populations dont les parlers lombards ne sont pas moins différenciés, à leur intérieur, des parlers «pédémontans» du Piémont. On peut en effet y relever au moins trois variétés différentes: le “brianzolo” dans la zone des Préalpes et des grands lacs de Como et de Lugano; le tessinois, à son tour très fragmenté mais en même temps assez proche du «brianzolo»; le «valtellinese», beaucoup plus éloigné que les autres du modèle urbain de Milan.

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L’italo-roman

15 Dans les régions italiennes Trentino-Alto Adige, Veneto et Friuli Venezia Giulia, les parlers qui n’appartiennent pas aux regroupements ladins et friulans ou aux communautés germaniques ou slaves (dont on parlera plus loin), sont du type italo- roman. Le substrat de ces parlers n’est pas celtique, comme dans les parlers du Piémont et de la Lombardie, mais vénitien, et les issues historiques des développements linguistiques ont abouti à des parlers beaucoup moins éloignés des parlers toscans que les parlers «pédémontans» et lombards.

Les dialectes de la Vénétie

16 Les dialectes de la Vénétie sont eux aussi très différenciés. Ils s’étendent sur les Préalpes de la Vénétie (Monti Lessini, Haut plateau d’Asiago, Monte Grappa, Préalpes Bellunesi, Préalpes Juliennes), sur le Carso (entre la basse vallée de l’Isonzo et le Quarnaro): les variétés linguistiques les plus remarquables sont celles du Haut Vicentino, du Bellunese, du Triestino.

Les dialectes de la province de Trente

17 Les dialectes italo-romans de la province de Trente, repartis sur les Alpes et les Préalpes à partir du Passo del Tonale et des Giudicarie jusqu’à la moyenne et basse vallée de l’Adige, sont des variétés de transition entre les dialectes lombards orientaux (Haut Bergamasco, Bresciano) et les dialectes vénitiens qu’on vient de décrire.

Le rhéto-roman

18 Pour plus de commodité de classement, nous suivons ici la tradition scientifique allemande, qui classe en une même famille tous les parlers de l’Engadine et des Grisons suisses, ceux du groupe étalé autour du massif montagneux du Sella et ceux du Frioul: trois groupes qui n’ont jamais connu aucune unité, ni politique, ni culturelle, ni géographique.

Le romanche

19 C’est le plus occidental des trois groupes linguistiques rhéto-romans. Il occupe le territoire du Canton des Grisons, situé à nord-nord-ouest du Tessin, dans les hautes bassins du Rin et de l’Inn, au cœur des Alpes Centrales, et plus précisément des Rhétiques. Dans le système linguistique de da Suisse, le romanche jouit du statut de “langue officielle” de la Confédération, quoiqu’il n’existe (ou, pour mieux dire, ne soit pas existé jusqu’à il y a quelques années) aucune forme de koïné, et bien que l’on puisse déterminer cinq grandes variété: sursilvan, sutsilvan, surmiran, haut engadinois et bas engadinois, à leur tour fragmentées en des parlers locaux. Pour arrêter le déclin de cette famille linguistique et son recul face à la propagation de l’allemand, les autorités fédérales et cantonales ont déployé de grands efforts; malgré cela, même dans la petite capitale Coire (lat. Curia Raetorum; en romanche Cuera et en allemand Chur) de nos jours est beaucoup plus utilisé l’allemand que le romanche: que ce soit le Rumantsch grischun souhaité comme koïné par la Lia Rumantscha (“Ligue romanche”), ou celui de la variété locale.

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Le ladin

20 Strictement parlant, l’emploi de ce glossonyme devrait se limiter à la seule localité de San Martino in Badia, où ladin est effectivement la dénomination populaire de la langue locale. Selon la coutume des linguistes, cette dénomination a été élargie jusqu’à comprendre tous ces parlers (ayants pourtant des caractères considérablement différentes par rapport aux dialectes italo-romans de la province de Trente et de la Vénétie septentrionale) qui se sont développés du latin dans le système de vallées qui pivote autour du massif du Sella, dans les Dolomites. Les vallées où les langues ladines sont aujourd’hui vivantes – elles aussi à l’état d’oralité presque exclusive, malgré de récentes démarches d’emploi littéraire et d’unification orthographique – sont les vallées Gardena et Badia, en province de Bolzano; Fassa (province de Trente), Cordevole (province de Belluno) et, selon une conception élargie, aussi Boite et haut Piave (province de Belluno).

Le frioulan

21 C’est la “section orientale” du groupe rhéto-roman. De même que les variétés ladines, les variétés alpines du frioulan sont au sud de la ligne de partage des eaux; les plus remarquables sont les variétés de la Carnia, sur les Alpes Carniques, entre le Passo di Monte Croce di Comelico et le Passo di Camporosso. Des parlers de type frioulan sont cependant présents aussi sur les Alpes Juliennes septentrionales, parfois en alternance avec des parlers de la famille slave. Des trois regroupements rhéto-romans, le frioulan est probablement le plus homogène et compact, tant et si bien qu’il a été aussi celui qui s’est le plus approché de la formation d’une koïné. À l’élargissement de cette koïné à la région tout entière se sont opposées d’abord les variétés marginales, hostiles à accepter la proposition d’un frioulan unitaire sur la base de la variété centrale, et surtout la carence de lexiques techniques spécifiques, autres que celui des activités agricoles.

La famille linguistique germanique

22 Comme l’on peut observer dans la Fig. 1, la famille linguistique germanique est, sur les Alpes, la plus nombreuse et répandue. Abstraction faite de quelques exceptions, dont on traitera plus loin, elle est entièrement placée au nord de la ligne de partage des eaux, sur les versants suisse, allemand et autrichien de la chaîne alpine, des Alpes Centrales aux Orientales. Les regroupements qui en font partie sont trois, tous appartenant au “haut-allemand”: alémanique, bavaro-autrichien et carinthien.

L’alémanique

23 En partant du côté oriental du Canton suisse du Valais (le côté occidental est romand, de parler francoprovençal et/ou d’oïl), l’ensemble des parlers germaniques de souche alémanique s’étend sur tout le versant nord des Alpes Centrales, jusqu’au Lichtenstein et aux Alpes de l’Autriche occidentale. Une partie des populations de parler alémanique s’identifie avec la dénomination de walser (contraction de walliser “valais”). Au sud de la crête alpine, des colonies alémaniques, qui se sont fixées dans la vallée valdôtaine du Lys (Gressoney St Jean, Gressoney La Trinité, Issime), en Valsesia (Alagna, Rima, Rimella), dans l’Ossola (Macugnaga, Ornavasso – désormais assimilé aux parlers romans

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environnants – et Formazza) et dans le village tessinois de Bosco Gurin, prennent aussi bien la dénomination de walser.

Le bavaro-autrichien

24 C’est le groupe germanique le plus nombreux. Il s’étale sur une partie des Alpes Rhétiques, sur les Alpes et les Préalpes Bavaroises, sur les Alpes Nordiques et sur les Préalpes du Salzburgeois, de l’Autriche et de la Styrie. De nombreux groupes bavaro- autrichiens se trouvent aussi au sud des Alpes: le plus important est celui qui en plusieurs vagues s’est installé, à partir de l’époque médiévale, dans le territoire qui s’appelle aujourd’hui Tyrol méridional ou Haut Adige (correspondant à la province de Bozen/Bolzano, à l’exception près des vallées ladines de Gardena e Badia). Hors de la province de Bolzano, le long d’un couloir qui de la vallée du Fersina se prolonge jusqu’aux collines du Veronais, nous trouvons encore quatre noyaux de populations de parler bavaro-autrichienne. Le premier est celui des “mòcheni”, fixés en Val Fersina, dans le Haut Perginese (communes de Frassilongo, Roveda, Fierozzo, Palù); le deuxième celui de Luserna (dans le dialecte local Luzern), aujourd’hui isolé, le troisième noyau est celui du plateau d’Asiago, siège de la “Ligue des sept communes vicentins” (réduits aujourd’hui à Roana, Rotzo et Gallio); le dernier est sur les collines veronaises, siège de la «Ligue des Treize Communes véronais», l’autonomie desquels fut longtemps reconnue par la République de Vénise (réduits désormais à la seule commune de Selva di Progno, ou mieux au seul hameau de Giazza). Sensiblement différente est par contre l’origine de a colonie de Sappada (Plodn), à propos de laquelle il paraît qu’il faut parler d’une émigration “par ricochet”, de colons provenant du Val Pusteria.

Le carinthien

25 Entre les Dolomites, les Alpes Carniques, le Carso, les Noriques et les Caravanches se place infin le groupe germanique carinthien. Le noyau plus nombreux de ce groupe occupe le haut bassin de la Drava, mais, tout comme pour le bavaro-autrichien, quelques colonies se trouvent aussi sur le versant italien de la chaîne alpine. Il s’agit d’établissements de paysans, bûcherons, mineurs, datables autour du XIII-XIV siècle, localisés dans le Frioul à Sauris (dans le dialecte local Zahren), à Timau, hameau de la commune de Paluzza, et dans le Val Canale, de Pontebba à Tarvisio.

La famille linguistique slave

26 Elle s’étale des Alpes Juliennes à l’extrémité sud-orientale de la chaîne alpine, avec les Caravanches, les Alpes de Kamnik et le Pohorje. Du point de vue politique, la plupart du groupe slave est concentré dans la République Slovène, mais il forme une minorité linguistique aussi en Autriche (Styirie et Carinthie) et en Italie.

Le slovène

27 Dans la famille des langues slaves, c’est le groupe slovène que nous trouvons tant sur les Alpes de la Slovénie, que sur le Alpes autrichiennes et italiennes. Pas moins que les autres groupes qu’on a vus jusqu’ici, ce groupe aussi est subdivisé en de nombreuses variétés locales, dont la physionomie est parfois assez éloignée de celle du slovène standard, notamment dans les zone alpines plus hautes et isolées, ou dans les aires où

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le slovène se trouve dans des conditions sociolinguistiques subalternes par rapport à des langues d’état différentes (l’allemand en Autriche, l’italien au Frioul oriental). Dans cette dernière région, les parlers slovènes sont concentrés surtout dans les terroirs de frontière avec la Slovénie, où ils forment ce qu’on appelle «Beneska Slovenija» ou «Slavia Veneta» («Slavie vénitienne»), qui correspond à la Vallée du Resia, aux hautes vallées du Torre et du Natisone et au haut Isonzo.

Les langues d’emploi officiel

28 La caractéristique des langues populaires est donc celle d’une tendance marquée à la dialectalité. Cette dialectalité se révèle à travers: a) un emploi presque exclusivement parlé; b) une tendance à l’identification entre la langue et le village; c) la fragmentation; d) l’absence ou la marginalisation de koïnés ou de tendances à la standardisation. Les langues officielles, c’est-à dire les langues qui l’emportent dans les usages des administrations des États à qui appartiennent les territoires alpins qu’on a vus jusqu’ici, sont au contraire assez vivement standardisées et visent à revêtir, dans la hiérarchie des répertoires linguistiques, les positions les plus hautes, occupées par les emplois de type formel. À quelques exceptions près, nous trouverons donc des “langues-toit” d’État appartenant à la famille romane où les langues populaires sont elles-mêmes de type roman; par contre, nous trouverons l’allemand où les langues populaires sont de type germanique et le slovène où les parlers locaux sont eux-mêmes slaves.

La famille linguistique romane

Le français

29 Si nous revenons dans le secteur occidental, nous pouvons observer, à un tout premier coup, que la ligne de partage des eaux qui était normalement enjambée par les parlers provençaux alpins et francoprovençaux, redevient une frontière plutôt nette. Sur le versant français des Alpes Maritimes, Cottiennes et Graïennes, en effet, c’est uniformément le français qui est la langue officielle de l’État; à l’est, c’est l’italien, à l’exception de la Vallée d’Aoste, où, grâce au Statut spécial et à l’autonomie régionale qui en découle, le français et l’italien sont toutes deux considérées langues officielles. Après la promulgation, de la part du Parlement italien, de la loi 482 de 1999 pour la protection des “minoranze linguistiche storiche”, font exception aussi ces communes des Vallées vaudoises, du Val Cluson et de la Vallée de Suse qui ont décidé leur appartenance à une minorité linguistique de langue soit française soit occitane (ou francoprovençale). Également française est la langue officielle de ces cantons suisses (Suisse Romande) dont les langues locales sont, par contre, francoprovençales.

L’italien

30 L’italien est, comme on vient de le dire, langue officielle dans l’aire alpine du Piémont, où les langues populaires appartiennent pourtant aux groupes occitan, francoprovençal ou français. À côté du français, il est la langue officielle du Val d’Aoste. Dans les Alpes Centrales, c’est la langue officielle dans toutes les aires où des dialectes de type gallo- italique sont parlés populairement (y compris le Canton suisse du Tessin). Dans le Haut

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Adige/Sud Tyrol est prévu un bilinguisme officiel, comprenant l’allemand (Hochdeutsch) et l’italien. Dans le secteur oriental des Alpes, l’italien est la langue officielle au Frioul, même là où les dialectes frioulans, carinthiens ou slovènes constituent le patrimoine linguistique populaire.

Le romanche

31 On avait déjà remarqué (cfr. supra, prf. 1.1.6.1) que le Canton des Grisons est marqué par l’existence, au niveau de langues parlées locales, d’un groupe linguistique roman particulier, dit “rhéto-roman”. Quoique les parlers attribuables à ce groupe soient de plus en plus perdants, face à la diffusion de l’allemand, et bien que les efforts pour constituer et imposer une variété de koïné ne se soient révélés très efficaces, la Confédération suisse a reconnu aussi le Romanche comme langue officielle, à côté du français, de l’allemand et de l’italien.

La famille linguistique germanique

L’allemand (Hochdeutch)

32 Dans les Alpes Centrales, l’allemand littéraire est la langue officielle de la Suisse allemande. Dans le secteur oriental des Alpes, l’allemand est également la langue officielle dans le Liechtenstein, en Bavière, en Autriche et, en alternance bilingue avec l’italien, dans la province de Bolzano/Bozen. Pour ce qui regarde, en particulier, la Suisse allemande, il faut cependant observer que le Schwitsertütsch, variante régionale d’allemand dont la base est constituée par les parlers populaires haut-allemands de type alémanique, est de plus en plus répandue et standardisée, même aux niveaux de l’officialité et de la formalité.

La famille linguistique slave

Le slovène

33 Sur les Alpes, le slovène est la langue officielle de la République slovène, une bonne partie de laquelle appartient à l’aire alpine des deux chaînes qui vont des Alpes Juliennes aux Dinarides et, plus au nord, des Caravanches aux Alpes de Kamnik et au Pohorje.

L’officialisation des langues minoritaires historiques en Italie

34 Depuis le 15 décembre 1999, date de l’approbation de la loi de l’État italien pour la sauvegarde des minorités linguistiques historiques, dans les communes qui ont décidé leur appartenance à une des minorité prévue par l’article 2 de la loi («les populations albanaises, catalanes, germaniques, grecques, slovènes et croates, et celles parlant le français, le francoprovençal, le frioulan, le ladin, l’occitan et le sarde») toutes les langues populaires dont on a parlé au premier paragraphe (sauf les gallo-italiques et les italo-romans) ont assumé, en toute rigueur, une forme d’officialité, puisqu’elles peuvent être utilisées, par exemple, dans les conseils et dans les bureaux municipaux. Il

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reste à résoudre le nœud de la/des variété/variétés: si le but de la loi est celui de sauvegarder des minorités, l’hypothèse de privilégier une variété au détriment des autres, ou de créer artificiellement une autre variété «de référence» ou bien encore, de chercher à l’extérieur du terroir une variété douée d’un prestige particulier semble alors très peu plausible et surtout très peu cohérente avec ses fins.

NOTES

1. Pour une lecture correcte des mots dialectaux exposés ci-dessus, il faut remarquer que, étant donné que la plupart d’eux porte l’accent de mot sur la pénultième syllabe (non pas sur la dernière, comme c’est la règle pour la langue française), les voyelles ou les diphtongues soulignées sont par conséquent les porteuses de l’accent du mot. En plus, le lecteur français doit toujours prononcer les «-s du pluriel» en fin de mot, et articuler comme voyelles «pleines» les «- e-» qui les précèdent.

RÉSUMÉS

Dopo la legge sulla tutela delle minoranze linguistiche storiche, approvata dal Parlamento italiano nel dicembre del 1999, tutte le lingue dell’uso popolare presentate in questo articolo, con la sola eccezione delle parlate galloitaliche e italo romanze, hanfno assunto una forma di ufficialità. Esse possono infatti essere usate, per esempio, nei consigli comunali e negli uffici municipali. Il vero problema è però quello delle varietà: se lo scopo della legge è quello di salvaguardare delle minoranze, l’ipotesi di privilegiare una varietà a scapito delle altre (o di trovare altre “soluzioni”) appare assai poco coerente con i suoi obbiettivi.

Since the Italian State law for the preservation of historical linguistic minorities, all the vernacular languages presented in this article (except those of the gallo-italic group and the italo-roman ones) have become official in a way, since they can be used for example in board meetings or town halls. The problem of varieties remains: if the aim of the law is to save minorities, the idea of giving precedence to one form above the others, or of finding other «solutions», does not seem very coherent with its objective.

AUTEURS

TULLIO TELMON

Université de Turin (Italie)

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JEANINE MÉDÉLICE

Université Stendhal Grenoble 3 (France)

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La Glossodiversité, prolongement de la biodiversité chez Homo Sapiens

Gilbert Dalgalian

Conférence donnée au CREDD'O à Eyragues, 28 septembre 2013.

Avant-propos

1 Avant d'expliciter ce titre, deux mots sur mon parcours, étroitement lié au thème. Je suis psycholinguiste, plus connu pour ma spécialisation sur les apprentissages précoces et le bilinguisme précoce. Ce qui explique mon engagement pour l'enseignement des langues régionales.

2 Mais je suis passé peu à peu de la construction du langage chez l'enfant à l'émergence du langage dans l'espèce, autrement dit à l'invention fondatrice d'Homo Sapiens. Ce qui m'a obligatoirement conduit vers l'anthropologie, la paléoantropologie et la génétique. Cette pluridisciplinarité correspond aux multiples dimensions de l'humain, à la multiplicité de facteurs qui ont fait advenir Homo Sapiens. Et que je vais rappeler brièvement.

Deux mots sur le titre

3 Je vais me focaliser ici sur la filiation entre la biodiversité dont Sapiens est le produit et la diversité des langues et des cultures dont Sapiens est l'inventeur et le véhicule.

4 Plusieurs auteurs ont pressenti cette filiation et l'ont curieusement nommée 'biodiversité linguistique', comme si les faits observés étaient de même nature. Or, s'il y a filiation, il y a aussi une différence qualitative, suffisante en tous cas pour inventer un néologisme. Ce que j'ai fait en proposant le terme de 'Glossodiversité' dans mon premier livre (Reconstruire l'éducation, réédité en 2012), terme repris et approfondi dans mon dernier livre, Capitalisme à l'agonie: quel avenir pour Homo Sapiens? L'Harmattan, 2012

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(voir le compte rendu par Yannick Lefranc dans le n° 34 d’Éducation et Sociétés Plurilingues).

5 Dans Glossodiversité j'englobe évidemment la diversité culturelle dont les langues sont porteuses.

Reprenons cette biodiversité dont l'humain est un produit

6 Ici je serai sommaire et forcément succinct. Car je ne prétends pas me substituer à Yves Coppens, notre grand paléoanthropologue, mais je vais m'en inspirer. Comme je vais m'appuyer sur Albert Jacquard pour les dimensions génétiques.

7 Leurs disciplines se recoupent et conduisent à une même hypothèse forte. Pourquoi hypothèse? Et pourquoi forte? Hypothèse, parce qu'il manque encore quelques fossiles humains, quelques habitats rudimentaires, quelques outils préhistoriques qui viendront confirmer et peut-être nuancer cette hypothèse.

8 Mais c'est une hypothèse forte. D'autant plus forte que, sans elle, on ne comprend ni le singulier paradoxe du bébé humain (j’y viens), ni la prolifération époustouflante qui a saisi Sapiens et probablement déjà Erectus depuis les origines.

9 En effet, comment comprendre qu'une telle profusion de profils – ethniques, linguistiques, culturels, des techniques de vie et de survie, des croyances et des rituels – et de profils individuels ait proliféré à ce degré inouï dans l'espèce humaine? Il y a nécessairement un facteur déclencheur, un moment privilégié, un saut qualitatif. Est-ce la continuation sans heurts ni ruptures de la biodiversité?

L'hypothèse forte, la voici

10 La première probablement – et la plus formidable certainement – des auto-inventions qui ont précédé l'émergence d'Homo Sapiens fut le passage à la bipédie, suite à la perte de l'habitat forestier et de la vie dans les arbres. Ce fut la naissance d'Homo Erectus.

11 La confrontation brutale et durable avec la savane, les déserts, les vastes étendues, ont changé l'homme et la femme: redressement de la colonne vertébrale, verticalisation du bassin, descente du larynx, repositionnement du crâne, gain de volume du cerveau et nourriture diversifiée, affinement des sens pour observer et aller plus loin, conquête de nouveaux outils, d'habiletés corporelles inédites, longtemps avant le feu.

12 Mais la conséquence la plus cruciale de cette très longue métamorphose va concerner la femme Erectus: avec son bassin désormais plus fin et verticalisé, elle ne peut plus garder le bébé jusqu'au terme d'une grossesse qui était à l'origine plus longue de plusieurs semaines ou mois (peut-être ne saura-t-on jamais exactement de combien plus longue). La grossesse va finir par se caler sur les neuf mois que nous connaissons.

13 Voici ce que dit Yves Coppens dans L'Histoire de l'Homme (pp. 56-57): «… ce raccourcissement de la distance entre l'articulation sacro-iliaque et l'articulation de la hanche qui a l'avantage de décroître le moment de rotation créé par le poids du corps sur la hanche, a [aussi] le désavantage de réduire la taille de la cavité pelvienne, entrainant une parturition ventrale … contrairement à celle des grands singes qui est dorsale …

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«Cette constatation de l'apparition très précoce du mode humain de parturition souligne ses liens avec la bipédie et non pas, comme on l'a souvent écrit, avec l'agrandissement du cerveau».

14 On voit que la paléontologie a nettement identifié à la fois la nouvelle anatomie de l'accouchée, la nouvelle physiologie de l'accouchement et – le plus important pour l'émergence de Sapiens – la durée plus courte de la grossesse. Depuis quand? Et de combien de mois? Nous ne pourrons probablement pas atteindre avant longtemps la réponse à ces deux questions. Une chose est acquise: la femme Erectus, en se redressant, ne pouvait plus garder jusqu'à son terme un bébé dont la tête était désormais trop grosse pour un bassin verticalisé et plus étroit.

15 Avec cette conséquence jusqu'à ce jour et pour longtemps: depuis Erectus – au plus tard – nous sommes tous des prématurés. Et parce que prématuré, le cerveau du bébé humain, bien que parfaitement doté de milliards de neurones à la naissance, arrive au monde totalement immature. Il ne possède qu'un seul savoir-faire, contrairement aux autres espèces beaucoup mieux dotées pour la survie: il n'a que le réflexe de la tétée.

16 C'est cela le paradoxe du bébé humain: un cerveau richement doté, mais immature, qui va connaître la plus longue éducabilité de toutes les espèces vivantes. Et pour cette raison le petit Erectus, puis Sapiens, va subir comme jamais auparavant la pression ou l'influence de l'environnement: naturel, social, technique et culturel. Environnement partout différent et toujours changeant! Avec l'impact le plus long et le plus marquant entre zéro et sept ans, l'âge des acquisitions fondamentales.

17 C'est donc l'évidence d'une gestation plus courte et d'une naissance plus précoce qui a conduit Albert Jacquard à formuler distinctement cette hypothèse forte sans laquelle on ne peut comprendre l'infinie diversification des morphotypes ou variantes d'Homo au fil des âges. Ni par la suite celle des ethnies, des langues et des cultures et même des profils individuels.

18 Le regretté Albert Jacquart aurait pu, s'il était parmi nous, développer davantage les implications de cette prématurité. Je vais m'y efforcer le plus clairement possible..

19 Depuis cette mutation fondatrice, notre immaturité à la naissance nous a ouvert le plus vaste champ de potentialités d'acquisitions, d'apprentissages et d'inventions, que seule la combinaison unique d'un cerveau inachevé mais bien doté avec une très longue épigenèse aura fait surgir dans le règne du vivant. L'extrême vulnérabilité de nouveau- né humain est compensée par une très longue prise en charge par une mère ou un clan qui lui assurent la survie et la transmission des savoirs indispensables à son autonomie.

20 Notre éducabilité unique et exclusive dans le monde vivant est le bénéfice induit de notre naissance en tant que prématurés. Et qui induit, par la suite, notre longue sujétion à l'environnement. C'est la pression de l'environnement qui transforme nos potentialités génétiques en réalités de savoirs et de savoir-faire.

21 Le langage, mais aussi les nouveaux outils, les mythes, les musiques, les techniques et les religions ne sont pas le premier saut qualitatif; ils sont la conséquence et les retombées de cette éducabilité inédite d'un prématuré. Si Homo n'a jamais cessé de naître au fil de ses inventions, c'est bien à partir de cet accouchement précoce qu'il connaîtra sa véritable accélération en Sapiens Sapiens. Toujours sous pression de l'environnement.

22 Que nous restions si longtemps ouverts à des myriades d'acquistions précoces et par la suite à de multiples reconfigurations neuronales, c'est bien dû essentiellement au fait

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de cette très archaïque naissance prématurée il y a plus d'un million d'années. On doit s'étonner que l'on n'ait pas pressenti plus tôt l'origine de cette ouverture infinie de l'humain et de l'humain seul à ces milliards d'acquisitions qui ont fait Sapiens! Comme une étrange myopie sur nous-mêmes … et il faudra bien s'interroger longuement sur cette myopie-là.

23 On peut dire que sa naissance avec ce cerveau immature a permis à Homo d'échapper à la dictature des gènes pour accéder non pas à une nouvelle dictature de l'environnement, mais à une nouvelle ère d'interactions intenses et permanentes entre les gènes et l'environnement.

24 C'est ce changement du rapport à l'environnement qui s'intensifie et va déterminer les nouvelles évolutions inédites de l'espèce Homo. Comment imaginer en effet qu'avec ses nouveaux outils et capacités, Sapiens n'ait pas prolongé l'évolution darwinienne sur des chemins inédits? Evolutions qui ne dépendent plus exclusivement du patrimoine génétique, mais viennent au contraire le compléter par un nouveau patrimoine d'innovations et d'apprentissages acquis et transmis de génération en génération.

25 Entre biodiversité et glossodiversité il y a en même temps filiation essentielle et rupture dans les formes et les évolutions.

26 Si le maintien de la biodiversité est à terme la condition de la survie physique de l'humanité, la glossodiversité et son corollaire, la diversité intellectuelle, sont les facteurs fondamentaux de notre créativité et de nos adaptations futures, de notre aptitude même à trouver des solutions collectives aux urgences d'aujourd'hui et de demain.

27 Le dernier saut qualitatif qui reste à inventer vers une civilisation solidaire, si Sapiens veut survivre, n'est pas à espérer d'un nivellement culturel et d'une uniformisation linguistique qui sont autant de régressions et d'apauvrissements – et je ne pense pas seulement à l'anglais dominant – mais ce saut qualitatif est à rechercher dans nos enrichissements mutuels et notre respect de l'Autre: le respect de nos diversités est le test de notre aptitude à l'auto-invention collective.

28 Cela passe par la promotion et la transmission de toutes les langues et cultures. N'oublions jamais que le mépris colonial et post-colonial se sont manifestés entre autres dans la morgue linguistique et culturelle des dominants. Cela a commencé au sein même des Etats, avant de s'exporter dans les empires coloniaux. L'ethnocentrisme imprègne encore largement les mentalités, malgré les nombreuses tentatives de désintoxication dont nous sommes redevables aux ethnologues, aux sociologues, aux philosophes et aux linguistes.

29 En conclusion et pour le dire sans détours, la révision de nos repères et la réforme de nos mentalités exigent la reconnaissance active de ce qui a fait de nous des humains: la diversité, le métissage et l'invention dès la préhistoire de la solidarité organisée, et aujourd'hui en net recul. Au point qu'elle est à repenser de fond en comble.

30 La glossodiversité et la diversité intellectuelle sont une condition sine qua non de la démocratie à inventer. Pour une civilisation qui tourne le dos à l'actuelle barbarie émergente.

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AUTEUR

GILBERT DALGALIAN

Linguiste

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Débat

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Enseigner en anglais dans les universités françaises: quels effets prévisibles ?

Claude Truchot

1 Comme la proposition de loi relative à l’attractivité universitaire de la France, l projet de loi d’orientation de l’Enseignement supérieur et de la Recherche propose de rompre avec le principe qui fait du français la langue de l’enseignement, des examens, des concours et des thèses. Ce principe est inscrit dans la loi de 1994, dite loi Toubon, et découle de l’article 2 de la Constitution selon lequel «La langue de la République est le français». Une partie des enseignements effectués dans le cadre d’accords avec des universités étrangères ou de programmes financés par l’Union européenne pourrait ainsi être dispensée en langues étrangères, ce qui veut dire en anglais. Dans la mesure où tous les cursus et diplômes à caractère international incluent nécessairement ces partenariats, et où toutes les formations universitaires ont vocation à être internationales, le champ ainsi ouvert à l’enseignement en anglais est donc vaste.

2 On aurait pu s’attendre à ce que les effets prévisibles d’un tel projet aient fait l’objet d’études préalables et d’évaluations par les autorités publiques compétentes. Or il n’en est rien. Pourtant on peut se référer à de nombreuses références instructives puisque l’enseignement en anglais s’est très largement répandu en Europe du Nord, et qu’il a été développé en Allemagne depuis une dizaine d’années. Sur l’Europe du Nord on dispose d’études et de témoignages que j’ai présentés dans diverses publications1 et sur l’Allemagne une véritable évaluation a été réalisée par la Conférence des chefs d’établissements d’enseignement supérieur, Hochschulrektoren-conferenz, c’est-à-dire l’équivalent en France à la fois de la Conférence des présidents d’université et de la Conférence des grandes écoles2.

3 En Europe du Nord, le recours à l’anglais a été un moyen de compenser la faible diffusion internationale des langues nationales, considérée comme un handicap pour l’attractivité internationale des universités, notamment lors de la mise en place du programme d’échanges universitaires Erasmus qui a vu les étudiants se tourner en masse vers les universités britanniques, françaises et espagnoles. Pour ce faire les

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universités nordiques et néerlandaises se sont appuyées sur une compétence acquise: la connaissance de l’anglais. Ces universités on ainsi pu attirer une proportion plus importante d’étudiants étrangers. Précisons toutefois que celle-ci reste très largement inférieure à ce qu’elle est en France. Par contre, les effets négatifs sont multiples et de plus en plus mis en évidence. • Les langues nationales disparaissent des enseignements de haut niveau. Aux Pays-Bas, les masters tendent à avoir lieu presque exclusivement en anglais. Ainsi, en 2008-2009 à l’université de Maastricht, sur 46 masters le seul qui n’était pas en anglais était celui de droit néerlandais. • Calqués sur les enseignements dispensés par les universités américaines, les cursus perdent toute spécificité et ignorent les travaux scientifiques européens. • Aux Pays-Bas, les universités ont perdu non seulement l’usage du néerlandais, mais aussi l’ouverture internationale qui les caractérisait traditionnellement par la connaissance d’autres langues surtout l’allemand et le français, actuellement ignorées des étudiants. • Si le niveau de connaissance de l’anglais parmi les enseignants est généralement considéré comme correct, l’usage qu’ils peuvent en faire n’est pas celui qu’en ferait un anglophone. Les cours sont récités, les échanges avec les étudiants sont limités et ont lieu souvent dans une langue approximative, la perte d’information dans la transmission des connaissances est considérable.

4 Le bilan probable – mais les autorités n’ont jamais osé le faire – est que la qualité de l’enseignement supérieur a baissé dans ces pays.

5 Cette prise de conscience s’est faite en Allemagne à la suite de dix ans d’anglicisation. Le bilan par les chefs d’établissements est sans concession. • S’ils admettent que l’enseignement en anglais a pu renforcer l’attractivité de certains cursus, ils constatent qu’ils attirent des étudiants étrangers dont le niveau en anglais est insuffisant. De nombreux enseignants allemands n’ont pas «les compétences linguistiques requises pour garantir que l’enseignement dispensé en anglais soit de haut niveau ». • La polarisation sur l’anglais se fait au dépend des autres langues et de l’ouverture internationale des universités. • La mise à l’écart de l’allemand des enseignements internationaux contrecarre les efforts faits pour développer la diffusion et le prestige de cette langue dans le monde. • Alors que les échanges internationaux devraient permettre aux étudiants, chercheurs et enseignants venant de l’étranger de connaître la culture et apprendre la langue du pays qui les accueille, ici l’allemand, cet aspect est marginalisé. • Ce mode d’internationalisation crée de multiples problèmes de gestion auxquels les universités ne peuvent faire face.

6 En lieu et place de l’anglicisation, les chefs d’établissements prennent position en faveur d’une ouverture internationale fondée sur des politiques linguistiques d’universités. La Recommandation qu’ils ont adoptée en novembre 2011 assigne à ces politiques un double objectif, celui de préserver le rôle de l’allemand comme langue d’expression et de transmission des savoirs et celui de garantir une formation linguistique diversifiée et de niveau élevé, incluant la formation à l’allemand des chercheurs et étudiants étrangers, la connaissance de l’anglais mais aussi d’autres langues.

7 En somme, on s’apprête à faire en France ce qui a été fait en Allemagne il y a dix ans et ce à quoi les responsables universitaires allemands tournent résolument le dos actuellement, après un constat très négatif des conséquences qu’ils ont pu mesurer.

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8 On pourrait ajouter à que si les pays nordiques, les Pays-Bas, l’Allemagne ont estimé pouvoir miser sur anglais, et constatent actuellement ses limites, un constat préalable réaliste est qu’en France on n’est pas en compétence de miser sur cette langue.

9 Par contre, on a celle de miser sur le français, de recruter dans cette langue en s’appuyant sur des réseaux internationaux bien organisés et constitués à l’échelle planétaire, de garantir aux étudiants et chercheurs étrangers une formation en français grâce à une compétence reconnue dans l’enseignement du français langue étrangère et seconde (FLE/FLS). Ce que les établissements d’enseignement supérieur devraient offrir en plus, qui ferait la différence, et que n’offrent pas les universités anglophones, ni les universités nordiques, c’est une formation approfondie et diversifiée en langues étrangères. C’est dans le développement cette compétence plurilingue qu’il faudrait investir.

10 On ne contribuera pas à redresser l’économie française en faisant bafouiller dans l’enseignement supérieur un anglais de composition, mais en valorisant nos ressources linguistiques, en ouvrant nos universités et nos étudiants à des langues qui permettent de nouer des partenariats solides et durables, celles des autres pays, et en premier lieu celles de nos partenaires les plus proches,

11 Il serait mieux pour une ministre de l‘enseignement supérieur et de la recherche d’attacher son nom à une initiative linguistique novatrice qu’à un projet suiviste et dépassé.

NOTES

1. Europe: l’enjeu linguistique, Paris: La documentation française, Collection Études, 160 pages, «L’enseignement supérieur en anglais véhiculaire, la question de la qualité», revue de géopolitique diploweb.com, http://www.diploweb.com/L-enseignement-superieur-en.html 2. Hochschulrektorenconferenz, Politique linguistique dans les universités allemandes. Recommandation de la XIe assemblée plénière du 22 novembre */2011 à Berlin. https:// www.hrk.de/positionen/position/beschluss/detail/empfehlung-sprachenpolitik-an-deutschen- hochschulen/

AUTEUR

CLAUDE TRUCHOT

Université de Strasbourg (France)

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Comptes rendus d'ouvrage

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L’épreuve de français à l’examen d’Etat à la fin du cycle primaire en Vallée d’Aoste

Marie-Thérèse Weber

RÉFÉRENCE

Assessorat de l’Education et de la Culture, Département Surintendance des écoles, Aoste, septembre 2009.

1 Ce volume, issu des travaux de l’unité Résultats de l’apprentissage de la Structure régionale d’évaluation du système scolaire, analyse des épreuves de français d’élèves à la fin du premier cycle.

2 Avant l’autonomie de la vallée d’Aoste, des programmes ministériels s’appuyant sur des indications méthodologiques précises réglementaient l’école. Dès que l’autonomie a été accordée, «les équilibres entre l’Administration centrale et les écoles pour ce qui est de la planification didactique ont complètement changé» (p. 9). De ce fait, les indications de l’Administration centrale ne concernent plus, actuellement, la méthodologie didactique, mais les acquis des élèves lors des examens d’Etat du 1er du du 2ème cycle. La Vallée d’Aoste a eu «l’obligation de se donner les instruments juridiques et pédagogiques pour parvenir à des mesures d’accompagnement des écoles d’abord, d’harmonisation des critères d’évaluation ensuite et à des épreuves uniques sur tout le territoire régional à plus long terme» (p. 9). En 2000, une loi régionale «a prévu la constitution d’une structure régionale chargée de l’évaluation du système valdôtain» (p. 9). Cette structure, qui a vu le jour en 2007, est soutenue et contrôlée par un Comité scientifique et un Comité consultatif.

3 L’étude présentée par W. Tonetta et G. Vernetto a été élaborée pour aider les enseignants impliqués dans la préparation des épreuves de français à l’Examen d’Etat de fin de cycle. Elle vise «à harmoniser le format et l’évaluation des épreuves avec le

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Cadre européen commun de référence pour les langues: Apprendre, Enseigner, Evaluer du Conseil de l’Europe» (p. 11).

AUTEURS

MARIE-THÉRÈSE WEBER

Professeur, Fribourg (Suisse)

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Le spectre identitaire Entre langue et pouvoir au Mali

Andrée Tabouret-Keller

RÉFÉRENCE

Lambert-Lucas, Limoges, 2008

1 L’hypothèse générale qui oriente les recherches que rapporte cet ouvrage – et donc l’analyse de leurs résultats – est celle de l’hétérogénéité constitutive du langage à partir de laquelle se construisent les processus d’homogénéisation d’une langue; ceux-ci ont comme supports les discours politiques et scientifiques qui visent à réduire l’hétérogénéité à des formes normatives explicites qui fonctionnent comme autant de mises en frontières aboutissant à des «agencements collectifs d’énoncés, plus ou moins figés, au sein des continuums langagiers» (p. 15).

2 L’hypothèse est mise à l’épreuve au Mali que l’auteur re-situe dans le cadre linguistique complexe de l’Afrique noire. Elle est introduite et discutée dans l’Introduction «Pour une anthropologie des pratiques langagières» dans lequel l’auteur précise les conditions exceptionnelles de son travail: le partage à Bamako, parfois pendant de longues périodes, de la vie d’une grande famille, une quinzaine de personnes, avec laquelle se nouent depuis 1993 des liens d’amitié. Ce «terrain» – pour reprendre les termes de l’auteur – est l’occasion de «conversations libres» enregistrées à propos des pratiques langagières avec différents membres de la famille, leur analyse va conduire à préciser comment les processus d’homogénéisation prolifèrent constamment sur le fond de l’hétérogénéité constitutive.

3 Dès le premier chapitre de l’ouvrage, «Des hommes qui parlent», l’appui constant sur des transcriptions d’enregistrements permet à l‘auteur d’illustrer comment «la multiplicité des usages dans un même lieu et pour un même locuteur [l’a conduite] à appréhender les paroles dans leur hétérogénéité même» (p. 19). Les discours épilinguistiques des locuteurs sur les pratiques de langage sont révélateurs des processus de subjectivation à l’œuvre dans leur prise de parole et des positionnements

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adoptés dans les interactions; leur analyse conduit à des interprétations qualitatives dont on ne peut postuler aucune généralisation dans la mesure où «pour chaque contexte interactionnel, des éléments comme la territorialisation, la mobilité, le parcours biographique, la place dans la filiation, le désir de ville, les relations sociales et personnelles avec l’interlocuteur, etc., peuvent jouer de manière complexe dans l’émergence des formes» (p. 20). Le parcours de ce chapitre est l’occasion de préciser l’incidence des positionnements subjectifs des locuteurs, en particulier dans le jeu des pratiques des cousinages à plaisanterie, face aussi aux déplacements multiples liés aux obligations domestiques et sociales et, de manière plus générale, à la mobilité des places avec son cortège d’identifications et de prises de distance. Dans ce cadre général, «la subjectivité se définie d’emblée dans l’entre-deux des noms, des places, des positionnements. Elle n’est pas une substance et se construit à tout moment» (p. 36). Pour autant, les locuteurs qui, pour mille raisons, nomment, catégorisent, mettent en frontières des groupes autant que des langues, produisent des agencements au quotidien, dans les actes autant que par la parole, qui font osciller en permanence ces frontières (p. 49). Et ce malgré les facilités offertes par le discours courant à l’étayage de ce que l’auteur nomme «les fantasmes de l’UN», parmi lesquels elle retient la nomination, la catégorisation et la hiérarchisation (p. 50). Parmi de multiples exemples tirés des entretiens, l’auteur choisit le cas de «la langue malinké», aujourd’hui inscrite dans la liste des langues nationales du Mali, pour rétablir le déséquilibre qui l’avait écartée au profit du bambara. Si le locuteur ordinaire «navigue dans de multiples formes bamakoises, sans se préoccuper de savoir ce qu’elles représentent ‘culturellement’ ou ‘identitairement’, il reste que la part des discours précédents, qui pour des raisons politiques évidentes ont conservé leur attrait, est toujours sous- jacentes: ils ‘proviennent d’un autre continent, l’Europe, auquel l’Afrique a été fortement liée lors des colonisations’» (p. 60).

4 «La mise en discours de l'Afrique» – le titre du second chapitre – présente un vaste historique des écrits sur l'origine des langues et sur les langues en Afrique, de J. Herder avec le Traité sur l'origine des langues (1770) à J.- L. Amselle et M'Bokolo avec Au coeur de l'ethnie. Ethnie, tribalisme et Etat en Afrique (1995, ré.éd. 1999), avec un large arrêt sur les écrits de M. Delafosse, entre 1912 et 1929, et ses classifications ethniques fondées sur des critères linguistiques, en particulier entre malinké et bambara. Les sciences du langage actuelles ne sont pas en reste dans cette mise en discours: le français devient-il aujourd'hui une langue africaine et la sociolinguistique se met-elle au service de la francophonie? (p. 91).

5 Les graves questions soulevées au chapitre 2. trouvent des illustrations concrètes au cours du chapitre 3. «L'invention des langues» avec de riches extraits d'entretiens, la plupart réalisés à Bamako (Mali). Le colonialisme, avec les hiérarchisations des langues qu'il a produites et imposées – langues ethniques, langues riches, langues pauvres – l'ethnologie avec les états de choses et les énoncés qu'elle met en place, laissent des traces qui persistent mais qui révèlent les changements en cours: par exemple, l'opposition entre le malinké et le bambara encore attestée dans les discours, ne l'est plus du tout dans les pratiques. Le modèle de «l'état-nation», le langage politique qu'il génère, ne manquent pas de retentir dans la manière dont les populations d'origine rurale tentent de s'insérer dans la vie urbaine tout en se raccrochant à des identités auxquelles ils demandent de sauvegarder leurs origines – c'est le versant traditionaliste – et de promouvoir leurs nouvelles insertions – c'est le versant internationaliste.

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Pendant ce temps, le français conserve une suprématie que la pratique d'Internet, en cours d'extension, conforte.

6 Qu'apporte à cette situation déjà bien complexe le cadrage politique de l'instrumentalisation des langues par l'Etat? c'est la question à laquelle le chapitre 4. «L'instrumentalisation politique des langues» tente de répondre. Le français demeure la langue officielle du Mali qui à ce jour compte treize langues nationales qu'il convient de gérer. Les grands secteurs où l'État devrait, voire doit intervenir sont ceux de l'école et de la radio où les directives en faveur des langues nationales rencontrent de solides résistances. Par exemple, les élèves des écoles bilingues qui associent une langue nationale au français obtiennent, à l'entrée du second cycle des résultats bien inférieurs (29,56%) que ceux des élèves monolingues en français (41,66%); les écoles bilingues passent pour des écoles de paysans, sans avenir (p. 145). Du côté de la radio, si du point de vue linguistique le bambara est langue dominante, tout est fait pour veiller à la représentation des différentes cultures du pays grâce à des pratiques culturelles diverses comme les chants et les danse traditionnels. Dans le même temps, la pratique des cousinages à plaisanterie qui était un des piliers de la cohésion sociale, est affectée par l'urbanisation, les cousinages deviennent plus lâches cédant du terrain aux relations qui se construisent en fonction des nouvelles réalités politiques. Où placer alors un avenir possible pour un pouvoir authentiquement africain? le mythe d'un langue à soi continue à être entretenu comme garante du «génie de l'âme noire» (p. 166), le patrimoine linguistique à sauver nourrissant le fantasme d'origine des «afrocentristes» par l'écriture dans une langue africaine (plutôt qu'en français).

7 Dans ses conclusions, Entre langue et pouvoir, Cécile Canut envisage la possibilité d'une pluralité de langues et du multiculturalisme qui garantirait à chacun sa liberté et sa singularité. C'est dans les milieux urbains des jeunes, plus qu'ailleurs, que la multiplicité des formes d'expression, «la grande liberté des écritures et des traductions, le flou permanent entre écrit et oral attestent de manière exemplaire l'hétérogénéité des pratiques langagières» (p. 206).

AUTEURS

ANDRÉE TABOURET-KELLER

Université de Strasbourg (France)

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Do you speak Swiss?

Andrée Tabouret-Keller

RÉFÉRENCE

Walter HAAS (éditeur avec le comité de direction), Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zürich, 2010

1 Cet ouvrage, entièrement publié en trois langues, le français, l’italien et l’allemand, rend compte des travaux du Programme National de Recherche 56 (PNR 56) dans le cadre du Fond national suisse de la recherche : Diversité des langues et compétences linguistiques en Suisse. La mise en œuvre du projet s’est déroulée entre 2003 et 2009 avec un budget de 8 millions de francs suisses Un comité de direction international sous la présidence du Professeur Walter Haas a été mis en place dès 2003, la coordination du programme de recherche étant assurée par Ch. Mottaz pour le Programme National. Les PNR sont considérés comme un instrument de la Confédération helvétique pour encourager la recherche en contribuant à élaborer les bases rationnelles de ses politiques.

2 Le titre de l’ouvrage n’est pas sans un brin d’humour ! Le Swiss n’existe pas! La Suisse est un pays plurilingue. La loi sur les langues de 2007 mentionne dans son Article 5 les langues officielles suivantes: l’allemand (plus de 60% de la population, dont plus de 90% emploie un dialecte alémanique), le français (autour de 20% de la population), l’italien (autour de 3% de la population), langues qui sont utilisées dans leur forme standard par les autorités fédérales (c’est aussi dans cette loi qu’apparaît pour la première fois le terme de « forme standard ») mais qui ne sont de loin pas quotidiennement employées sous cette forme ; le romanche, la quatrième langue nationale, n’est nommée langue officielle que dans les rapports avec les locuteurs de cette langue et ne connaît majoritairement que des emplois dialectaux. Le cas de l’allemand illustre clairement les difficultés liées à la nomination des langues avec un emploi majoritaire de formes dialectales, dont certaines sont d’un emploi dominant dans une portion plus ou moins importante de la population, face à une forme standard (« bon allemand », Hochdeutsch, ou Standartdeutsch). Le cas du français est différent : « en Suisse romande il n’existe plus

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guère de dialectes mais des sociolectes plus ou moins marqués » (p. 52). « La particularité du pays plurilingue qu’est la Suisse réside dans le fait que plusieurs langues y sont officiellement reconnues égales, partiellement ou totalement, alors même que la population qui les parle est de nombre inégal » […]. Par ailleurs, « au cours des dernières décennies, le quadrilinguisme officiel de la Suisse s‘est mué en multilinguisme, avec les migrations et la globalisation, et le nombre des minorités y a décuplé » (p. 10). L’hypothèse sur laquelle s’appuie le projet du PNR 56 est « que les acquis politiques et culturels du paysage linguistique doivent être remis sur l’ouvrage en permanence, et que les compétences linguistiques de la population doivent suivre le rythme de l’évolution de la société » (p. 11).

3 L’ouvrage de 240 pages comprend 4 grandes parties : une introduction, un bref aperçu des différents projets, les projets, les perspectives, avec un appendice rendant compte du déroulement du programme de recherche.

4 Trois grands axes de recherches sont définis (p. 11) : 1. Conditions et cadres juridiques: repenser les bases légales d’une politique cohérente des langues dans un État fédéraliste et multilingue comptant de nouvelles minorités; 2. Compétences linguistiques: obtenir une vue d’ensemble des compétences linguistiques des hommes et des femmes qui vivent en Suisse, dans leur langue maternelle et dans les langues qu’ils apprennent par la suite, à l’école ou en dehors de l’école; 3. Langues et identités: examiner le rôle que joue la langue dans l’identité des individus et des communautés.

5 Une fois le programme de recherche lancé, 90 propositions sont reçues, dont plus de la moitié correspondent à l’axe 2. Après évaluation par un panel de composition internationale, 26 projets de recherche sont retenus, les recherches étant menées à bien de 2006 à 2008, période pendant laquelle plus de 200 conférences, rencontres et communications diverses le font connaître. Les retombées de ce programme se poursuivent jusqu’à aujourd’hui, surtout stimulées par la réflexion critique liée à la mise en valeur des résultats, parfois additionnelle, parfois contradictoire. C’est ainsi que le deuxième chapitre de l’ouvrage « synthèse des résultats », « met en parallèle les résultats des 26 projets en vue d’identifier de nouvelles voies et de nouvelles orientations, mais également des tensions et des contradictions » (p. 46). Les 26 projets font chacun l’objet d’une description donnant son argument, ses recommandations ainsi que le détail des activités de valorisation (publications, formations, interventions) auxquelles il a conduit.

6 Cinq grands questionnements sont identifiés: « comment le plurilinguisme fonctionne », « apprendre le plurilinguisme », « anglais », « variétés standard et non- standard », « minorités ». Dans les limités de ce compte rendu, je souligne certains constats qui me paraissent significatifs de la réflexion engagée par la recherche:

Comment le plurilinguisme fonctionne

7 Dans des conditions de fonctionnement au quotidien de groupes dont les membres parlent des langues différentes, l’acquittement d’une tâche commune favorise la compréhension et la collaboration : l’usage qualifié de « flexible » ou « pragmatique » peut être considéré comme point de départ et base de la politique linguistique d’un pays plurilingue, à l’inverse, des règles formelles sont moins efficaces. Cette flexibilité

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trouve des limites dans la composition des groupes chargés d’élaborer les lois nationales du pays quadrilingue, dans le fait que les tâches à régler exigent suffisamment de personnel dans les quatre langues nationales avec la garantie d’une collaboration améliorée qui devrait faire coïncider les contenus de la communication dans les langues nationales tout en assurant qu’ils fonctionnent dans les différentes cultures (mon commentaire : il est indispensable de l’affirmer mais c’est un idéal dont la réalisation reste problématique). Un autre aspect clairement souligné est celui de la nécessité d’une formation linguistique continue, tant bilingue que plurilingue, en particulier dans le milieu enseignant. Dans les milieux économiques, le plurilinguisme des personnels devrait d’avantage être identifié et mis à profit.

Apprendre le plurilinguisme

8 L’école assume l’essentiel du fardeau de la transmission des langues, reste que la définition et le nombre des langues étrangères qui doivent être enseignées par l’école fait débat. Le choix de deux langues étrangères à l’école primaire, quoique accepté, fait l’objet de craintes – la surcharge des élèves – que les enquêtes réalisées permettent d’écarter. La plupart des cantons de Suisse allemande choisissent l’anglais comme langue initiale (contre le français dans les autres cantons alémaniques et le Tessin, l’allemand dans les cantons romands). Le choix de l’anglais précoce fait l’objet de discussions car il entre en concurrence avec les plus petites langues nationales en tant que langues scolaires et mérite d’autres travaux de recherche sur le long terme. La question de l’âge reste elle aussi en débat (acquisition bilingue ou bien apprentissage précoce et successif), de même l’attitude face à l’apprentissage (place donnée aux règles formelles ou bien aux exercices de « pure » communication (p. 50), enfin la place de l’enseignant en tant que personne.

Anglais

9 Sa fonction comme lingua franca donne lieu à débat: considéré comme « langue de la jeunesse », c’est un stéréotype dont on risque de surestimer les effets positifs: « les élèves tendraient à séparer distinctement leur vie scolaire et leur vie privée » (p. 50). « Pour nombre de migrants la lingua franca la plus logique reste une langue officielle suisse, comme le français pour les ressortissants africains, l’italien pour les albanophones » (p. 51).

Variétés standard et non standard

10 La problématique de la diglossie entre ces variétés n’est pas uniforme: « La problématique de la diglossie suisse allemande s’exprime déjà dans le simple fait qu’environ la moitié des personnes interrogées lors d’un sondage ont indiqué comme ‘première langue étrangère’ l’allemand standard, obligeant à apporter d’importantes corrections à la base de données utilisée pour l’exploitation statistique » (p. 51). Inversement, le français standard est jugé de manière positive par un tiers des personnes interrogées. « La principale conclusion à retenir est que les habitants des deux régions linguistiques, y compris les jeunes et les individus des couches moyennes

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inférieures, maîtrisent les variétés et les registres dans la vie quotidienne en fonction de la situation » (p. 52).

Minorités

11 Un certain nombre de problèmes sont soulignés : la représentation des petites communautés n’est pas équilibrée dans les domaines de la législation plurilingue, ni de la représentation proportionnelle des langues dans l’administration fédérale, ni dans celui de l’enseignement dans les petites langues nationales. On exige des membres des communautés autochtones d’avantage d’efforts linguistiques pour assurer leur place dans les groupes linguistiques mixtes. Une tâche pédagogique importante en résulte: la manière contraignante à l’extrême que peut revêtir l’apprentissage d’une langue étrangère devrait pouvoir être vécue de manière positive (p. 53). La situation des minorités des nouveaux groupes linguistiques dont la langue n’est pas reconnue par la Constitution est préoccupante: alors que les minorités autochtones exigent d’être protégées d’une dissolution dans des groupes plus larges, les minorités allochtones sont traitées de manière opposée dans la mesure où le mot clé qui décide de leur avenir est celui d’intégration : les premiers doivent pouvoir rester distincts de la majorité qui les entoure, les seconds doivent s’y fondre. Le terme d’intégration est à lui seul source de multiples interrogations sur les critères qui pourraient le définir, ces derniers étant loin d’être circonscrits (p. 53). On pense à la place à réserver à la langue d’origine, à l’exploitation des capacités linguistiques des élèves dans leur vie extrascolaire, par exemple leurs compétences en lecture, tant des adultes que des élèves, et leur compétence à une communication plus large (p. 54).

Langues et médias

12 Plusieurs problèmes sont précisés: comment les journalistes peuvent-ils « remplir le mandat de droit public des médias officiels qui consiste à encourager l’intégration sociale par une compréhensibilité générale, tout en touchant réellement leur public » ? Comment encore tenir compte à la fois du fait que les régions possèdent réellement des cultures politiques différentes et des mentalités politiques propres, héritées de leur histoire, et que par conséquence l’influence des discours médiatiques n’est pas le même ? Il semble que les médias ne thématisent et n’interprètent pas un problème de manière semblable selon la région linguistique à laquelle ils appartiennent : de manière autosuffisante, ils ne seraient tenus que par leur « territoire linguistique » et seraient anxieux de ne pas imposer d’autres langues nationales à leur public (p. 55).

13 Dans l’ouvrage, cette revue des grandes questions posées au PNR56 est suivie par une concise mais précise présentation des 26 projets qui ont fait l’objet d’un travail de recherche. Il n’est guère possible d’en faire le compte rendu ici. Par contre, il est possible de mentionner les principales perspectives qui s’en dégagent. Un rappel d’abord: en prescrivant une thématique, un PNR fait de la recherche appliquée dans la mesure où il propose des thèmes « qui réclament d’urgence un examen scientifique » (p. 151). En ce qui concerne l’objectif idéal dans le cas du PNR56, il s’agit de « favoriser la compréhension et la cohésion entre les groupes linguistiques et d’encourager les identités linguistiques des habitants ainsi que leurs compétences dans une ou plusieurs langues » (p. 151), objectif qui s’inscrit dans les principes fondamentaux de la politique

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des langues du Conseil de l’Europe affirmés dans Un cadre européen commun de référence pour les langues (CRCRL, Conseil de l’Europe, 2001). Ce dernier souligne que la diversité linguistique et culturelle en Europe « au lieu d’être un obstacle à la communication, devienne une source d’enrichissement et de compréhension réciproque » (CECRL, p. 10). Mais comment traduire ces principes idéaux dans des réalités sociales, s’interrogent avec pertinence les responsables du PNR 56.

14 La plupart des soucis exprimés dans les perspectives qui clôturent l’ouvrage découlent de la manière dont les projets ont été conçus et dont, dans leur ensemble, ils ont favorisé certains aspects du plurilinguisme suisse ou, au contraire, les ont ignorés. Pour le lecteur, ces remarques sont particulièrement stimulantes: l’examen critique des projets, fait dans l’après-coup, et la liberté des réflexions qui l’accompagnent prennent leur relief dans le contexte de la Suisse dont l’exiguïté, par comparaison aux grands États voisins, permet sans doute cet exercice; malgré ces différences, ils peuvent faire office de modèle.

15 Si dans leur ensemble, les projets s’intéressent aux situations à plurilinguisme dominant, quelque-soit par ailleurs ses particularités, l’encouragement et la promotion d’un plurilinguisme fonctionnel, en particulier par le soutien empirique aux mesures scolaires qui le favorisent, semble insuffisant ; il convient d’identifier les points névralgiques des situations de contact en surmontant le manque de collaboration et de recherche comparée au-delà des frontières linguistiques ; d’encourager la pratique des langues après l’école ; de favoriser le dépassement de frontières linguistiques surtout quand elles coïncident avec des tendances au nationalisme, tâche qui n’est pas suffisamment exigée des grandes communautés mais l’est particulièrement de la part des plus petites communautés linguistiques (p. 152). Un autre type de frontière linguistique est également visée, c’est celui qui sépare les disciplines et qui touche à la promotion de l’interdisciplinarité dont on déplore le peu d’impact dans les projets. Il serait fondamental de mener une discussion interdisciplinaire ouverte sur la problématique du plurilinguisme, des variétés et des minorités, à condition d’aller au- delà des formules incantatoires et de considérer les champs de tension réels (p. 153), par exemple le fait que les problèmes juridiques attachés aux langues indigènes sont insuffisamment abordés. Par ailleurs, « les efforts visant à surmonter les frontières linguistiques de toute nature se heurtent vite au désir d’identité linguistique des individus, voire aux revendications, reconnues à l’échelle européenne, d’encouragement de toutes les ‘variétés’ et de reconnaissance de leur dignité » (p. 153).

16 Un autre objet de souci concerne la limitation de l’encouragement des langues à l’école et aux institutions de formation spécialisées : « Pour beaucoup, le plurilinguisme de l’État signifie le droit de l’individu de ne pas avoir à prendre conscience de l’existence des autres langues. Il s’en suit une fétichisation de la traduction et l’efficience de l’enseignement des langues à l’école d’une part, et d’autre part le fait que l’encouragement des compétences linguistiques ne saurait se limiter à l’école. Les possibilités de promotion dans la vie quotidienne sont quasiment inépuisables […]. Or aucun des projets n’a sondé les chances, exploitées ou manquées, de l’éveil aux langues dans la vie quotidienne » (p. 154). Que peut englober la notion de vie quotidienne : la clarification des interactions sociales – j’ajoute à la fois complexes et hétérogènes – représente une énorme tâche empirique et un défi théorique. La difficulté du travail de recherche proprement dit est soulignée: comment le citoyen moyen peut-il s’en faire une idée et ne pas formuler face aux scientifiques des demandes élevées et souvent

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impatientes, en particulier dans le domaine des sciences humaines ? Comment passer du langage des chercheurs et même dans un temps décalé à celui du grand public et des autorités ? Et comment passer encore des résultats de la recherche aux applications politiques ? In fine, l’on partage le regret de la limitation temporelle d’un PNR: dans le domaine des situations linguistiques, des études longitudinales s’imposent.

17 L’exposé que nous a fait lors du dernier Samedi matin du CIBP à Paris le 16 mars 2013, Jean-François De Pietro (« Quelques approches originales pour une didactique du plurilinguisme ») illustre le programme ÉOLE, Éducation et ouverture aux langues de l’école: il peut être considéré comme une application importante dans la direction des recommandations du PNR 56. Nous en publierons le texte dans un prochain numéro de notre revue.

AUTEURS

ANDRÉE TABOURET-KELLER

Université de Strasbourg (France)

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Code switching

Michael Clyne

REFERENCES

Cambridge University Press, Cambridge, 2009 This review first appeared in International Journal of Bilingualism, 14, 3: 369-372, 2010.

1 Readers of this journal are well aware of the explosion which the area of bi-/ multilingualism/language contact has undergone in the past two decades. There are numerous new journals, conferences, handbooks and textbooks, and masses of monographs in the area. A central aspect of this study – one not clearly defined – is code switching. So why do we need a new book entitled Code-switching? It is a critical synthesis of the field, very accessible to specialists, linguists from other fields, and students being initiated into the field; a book that points the way to new approaches for decades to come – just what is needed at this time.

2 Penelope Gardner Chloros (hereafter GC) has contributed empirical sociolinguistic and descriptive linguistic studies to the literature on language contact for well over 20 years and is best known for her research on Alsatian-French bilingualism in Strasbourg and on Greek-English bilingualism in London. She is not one of the grand theorists of the field but has made available her innovative ideas, energy and experience to many collaborative ventures including the European Science Foundation Network on Code Switching (CS) and the LIDES bilingual data base project. GC’s volume, perhaps more than any other, is characterized by an open-mindedness – not being wedded to any school or paradigm – and by an attempt to understand all the contributions the way their originators would wish them to be understood. One chapter each is devoted to CS and language contact, social factors in CS, conversational, grammatical and psycholinguistic approaches, and the acquisition of CS. There are introductory and concluding chapters.

3 Attitudes are a crucial topic that keeps cropping up throughout the volume. The book is about processes as well as products so that methodological approaches are also

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foregrounded. Transcription conventions are explained early (on page xii), typical of a book which is very user friendly.

4 Examples are derived from the author’s and others’ research data bases or from the media, signage, etc. not just in contact between European and Asian languages but in smaller and endangered languages. They also come from different historical periods, including antiquity –. from Cicero (p 80) and from official and non-official sources in the Medieval period (p 40).

5 The book is written in a captivating style– a pleasure to read - and logically presented. Conclusions follow very directly from chapters, and there is clearly a development from chapter to chapter, which flow on. GC is constantly engaging with the reader as well as with the content and thereby encouraging the reader to develop their own relationship with the content.

6 The introductory chapter starts with examples explaining both what CS is and why it is worth studying, both for its own sake and for what it tells us about speech and language. The different types and functions of code-switching are outlined. In just a few words she is able to discuss terminology, main references, speakers’ insights, and different types of CS.

7 The second chapter deals with the place of CS in language contact and its relation to borrowing, pidginization, convergence, ‘mixed languages’, and language shift – as she shows, code-switching can indicate both convergence and differences.. Examples are very clearly explained, sometimes even beyond the coverage in the original source. Paradoxical and challenging issues such as whether CS signifies vitality or shift/death are discussed in a lively and lucid way.

8 The dichotomy social/structural factors is introduced in this chapter but becomes the focus of Chapter 3. This practice stresses the point that one needs to examine all aspects of CS to understand some of them. In Chapter 3, GC is able to utilize her own work on French-Alsatian bilingualism in Strasbourg and Greek-English bilingualism in London to explain different types of CS such as dense CS, triggering and (non-indexed) unmarked CS. Issues of identity and values are introduced, which will also inform the following chapter.

9 In Chapter 4 the emphasis is on conversational/pragmatic motivation of CS in which Myers-Scotton’s rational choice approach is contrasted to the verbal action approach of Auer and Li Wei. But accommodation theory and the role of gender also enter the discussion on the role of CS in conversation (which includes humour, bonding, and dampening directness).

10 In Chapter 5, after a very brief overview of grammatical theories, GC discusses the role that grammar can play in the understanding of the importance and limitations of grammar in CS. GC’s position as a sociolinguist is that grammatical approaches have not sufficiently addressed variation (p. 90). In this chapter, the examples are always of some tool, method or classification. Constraints proposed and their violations in different language contact pairs are dealt with as are (especially Myers-Scotton’s MLF and Muysken’s tripartite model). The relation between sociolinguistic and typological factors is considered in different types of code-switching and it is suggested that more studies of the same and different languages in different sociolinguistic environments could throw light on the primary determinants. GC agrees with Muysken that grammatical frameworks account less well for some types of CS than others.

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11 Chapter 6 takes up psycholinguistic research of potential relevance to CS such as storage in the brain, separate and joint access to bilingual lexicon, encoding/ production, and bilingual aphasia.

12 The discussion in Chapter 7 then proceeds to the acquisition of CS, an innovative topic for a chapter in a book on language contact. GC’s encyclopedic knowledge of the field enables her to capture the diversity of existing contributions to this topic, ranging from parental input studies and ones on pragmatic and linguistic development to Tabouret-Keller’s description of CS acquisition in a family where CS is normal behaviour. GC then proceeds to classroom CS in bilingual education and the factors motivating this. An important point raised is the absence of studies on whether children brought up on CS are able to speak in a monolingual mode if required. Equally important is the need mentioned to take into account fully individual and contextual factors to understand CS in children.

13 The theme ‘What is a language?’ comes up in a number of ways throughout the book. GC criticizes the equation in much language contact research of ‘language’ with ‘standard language’ rather than the speaker’s variety of the language. I regret that there is not much consideration of tri- and multilingualism, a field that has grown substantially in the past decade and a half. Particularly in the final chapter, formulations about CS seem to preclude three or more languages from consideration (eg ‘the characteristics of the two contributing languages’ p.172; ‘Neither language is inhibited’, p.174; The same applies to references: De Bot’s adaptation of Levelt’s speaking model for bilingualism (1992) is referred to but his adaptation for multilingualism (2004) is only mentioned in relation to bilinguals.

14 The climax of the book is the final conclusions. On p 164 the question is raised: ‘What do we know about CS?’ GC’s synthesis focuses on variation between individuals and between communities, internal variation, problems of analysis, need for interdisciplinary approaches.

15 GC pays attention to the fuzziness of CS and the studies that do justice to this. After 170 pages she summarizes ‘the story so far’ admirably: 1. There are problems defining CS so that the selection of a unit of analysis is crucial. 2. CS can be found in a wide range of situations, both macro (eg diglossia) and micro (accommodation and role in structuring conversation) 3. There is an identifiable relationship between the grammatical patterns of CS and the features of the constituent languages. GC rejects constraints or Base/matrix language with their ‘external notion of what a language is’(p 173) rather than leaving the speakers to construct their own systems from the input. 4. While giving credit to some psycholinguistic studies such as Green’s showing that CS occurs where neither (or no) language is inhibited, GC states that psycholinguistic research often relies on ‘elite bilinguals’ (standard speakers learning another standard language academically) often based on monolingual research. It generally ignores context. 5. There is only indirect research on children’s or L2 learner’s CS.

16 She also proposes future directions of CS research: 1. Comparative studies to gauge the effect of different types of variables affecting CS. 2. Bring psycholinguistic research closer to the sociolinguistic requisite to consider natural language. She suggests basing the data on authentic recordings. (I wonder if such a radical

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departure from psycholinguistic methodology may be a lost cause – Grosjean is unusual as a mediator between psycho- and sociolinguistics.) 3. Increase in phonological studies of CS (underrepresented in the literature.)

17 GC ends with a plea for the acceptance of crossing and mixed lects, with which I concur.

18 I am not sure that I would welcoming as enthusiastically as GC appears to be a dictionary of ‘Espanglish’ by a professor of Espanglish at Amherst College, Mass. I would first like to know a lot more about norms and variation in American Spanish, which covers a wide range of national varieties and convergence between them, and who sets norms. The same applies to the translation of Don Quixote into ‘Espanglish’. It reminds me of a controversy in the late 1970s over the ‘imitation’ of American Swedish in the film The Emigrants. We need to be sure that the variety of a literary work is really a mixed variety and not an idiolect and that this is not interpreted by the speakers as a put-down. But this is a minor point of disagreement.

19 Code-Switching is a superb book which conveys an appreciation of the longterm presence of language contact phenomena, shows how ambivalence between languages is a natural state, and offers an approach for an increasingly plurilingual global future.

20 The appendix discusses methods of coding and analyzing plurilingual data which promotes comparability and collaboration.

BIBLIOGRAPHY

DE BOT, K. 1992. A bilingual production model: Levelt’s ‘speaking’ model adapted. Applied Linguistics 13, 1-24.

DE BOT, K. 2004. The multilingual lexicon: modeling selection and control. International Journal of Multilingualism 1, 17-32.

AUTHORS

MICHAEL CLYNE

Academy of Social Sciences (Autralie)

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Résumé de thèse

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Approche anthropologique et sociolinguistique des usages linguistiques et des mixités matrimoniales en Inde

Madhura Joshi

RÉFÉRENCE

Thèse soutenue le 30 novembre 2012 à l'université Paul-Valéry, Montpellier-III, sous la direction de Jean-Marie Prieur

1 Cette étude conduite pour une thèse de Doctorat en Sciences du langage présente une analyse croisée des discours sur le mariage en Inde et de récits de vie recueillis sur le terrain. Loin de vouloir proposer des descriptions de rites de mariage, l'approche anthropologique est ici investie dans le recueil de données, sous forme d'observations participantes dans des familles. L'approche sociolinguistique permet d'observer la circulation des discours sur l'objet d'étude en privilégiant la parole des sujets sur leur propre mariage.

2 Le terrain, au sens anthropologique et sociolinguistique du terme, reste une notion marquée par l'investissement subjectif du chercheur/de la chercheuse, malgré l'objectivité visée en sciences sociales. En décidant de faire du terrain « chez soi », l'ignorance de celui/celle qui fait sa recherche se révèle davantage et, dès lors, le « chez soi » devient un terrain à « exploiter ».

3 Qu'entend-on par « mariage » lorsqu'on est en présence d'une hétérogénéité de normes régissant la vie sociale dans un pays qu'on qualifie de « sous-continent » ? Étape dans la vie, rite de passage incontournable dans les discours sociaux, le mariage en Inde est d'autant plus capital qu'il remplit une fonction de protection sociale par les réseaux de parenté qu'il génère. L'honneur est aussi une notion attachée à la vie communautaire,

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qui intervient pour empêcher les unions mixtes, et au nom de laquelle une centaine de personnes sont tuées chaque année pour avoir fait un mariage qui va l'encontre des normes sociales.

4 En replaçant la notion de mariage dans la historicité des discours et dans le contexte social et politique actuel, l'on perçoit l'acception devenue courante du mariage comme « don de la fille ». Une des interrogations soulevées, et à laquelle il est difficile de répondre, c'est de savoir comment du « don » facilitant l'échange entre les hommes, les filles deviennent une « dette » pour leurs familles. Ce qui éclaire quelques-unes des contradictions entre l'égalité théorique (entre les sexes, entre tous les sujets...) déclarée par exemple, par la Constitution, et les inégalités persistantes dans cette société hautement complexe et fortement hiérarchisée. Les communautés ne laissent pas toujours aux individus de « droit de sortie » par la capacité d'agir par eux-mêmes, par exemple lorsqu'ils choisissent un conjoint « non-convenable ».

5 Les mariages mixtes sont souvent des mariages « par choix » (qu'ils soient arrangés ou non par la famille ou les amis) et ont le potentiel de remettre en question l'ordre social. La question de la mixité matrimoniale renvoie à celle des appartenances, à la mise en frontières entre un « nous » et un « non-nous ». Si l'appartenance de castes (jati) s'avère important du point de vue « -émique » – c'est-à-dire « de l'intérieur » de la société – il faut entendre le terme jati comme un terme générique. En effet jati renvoie à la « naissance » (de la racine « jan- »), ce qui peut désigner, dans les discours et selon les circonstances, aussi bien l'appartenance à une communauté endogame, religieuse, régionale, linguistique, nationale... – autant de marqueurs de la mixité matrimoniale. Si les discours normatifs valorisent les mariages endogames (à l'intérieur de la communauté) c'est parce qu'ils sont censés assurer une certaine homogénéité des pratiques coutumières des familles des deux conjoints. Cette question de la similarité des pratiques sociales concerne plus particulièrement les femmes. Car en général, ce sont les épouses qui s'adaptent au mode de vie de leurs belles-familles.

6 Une analyse des annonces matrimoniales et des discours des sujets eux-mêmes met en lumière la préférence pour les pratiques endogames. Néanmoins malgré le poids des discours normatifs, tous les mariages mixtes ne sont pas nécessairement rejetés par les familles. Il s'agit là d'un clivage que l'analyse du discours met en évidence. Les mariages mixtes sont implicitement considérés comme des « mariages d'amour ». Cette dernière nomination peut porter aussi bien une valeur péjorative, qu'une revendication d'une capacité à agir. Et les « mariages d'amour » s'opposent implicitement aux mariages arrangés par les familles. L'on peut imaginer ainsi le poids, et le regard (dé-)valorisant que portent des désignations utilisées pour qualifier un mariage. En effet, tous les mariages mixtes ne sont pas des « mariages d'amour ». Mais leur caractère déviant par rapport à la norme endogame apparaît dans les discours par l'emploi du qualificatif « mariage comme cela » (ashe lagna en langue marathi).

7 Une présentation des évolutions historiques et sociales dans le domaine des lois du mariage, ainsi que de revendications régionalistes, depuis 1947 (date de l'indépendance de la colonisation britannique) est proposée dans cette recherche. La comparaison avec le cinéma, souvent évoquée pour parler des mariages mixtes, les politiques linguistiques dans les familles mixtes, le choix du nom et du prénom des enfants (et des épouses) sont quelques-uns des thèmes auxquels place est également faite dans les analyses. Enfin, cette étude démontre que malgré tous les discours interdisant la mixité

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matrimoniale, les familles acceptent bon gré mal gré, ces unions. Sauf dans de très rares cas – dans cette enquête – où « l'honneur familial » les en empêche...

AUTEURS

MADHURA JOSHI

Université Toulouse 1 (France)

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