IPRAUS –DEVELOPPEMENT

Philippe Bonnin Avec la collaboration de ADACHI Fujio INADA Yoriko KANEYUKI Shinsuke YABUUCHI Hiroshi

Esthétique ordinaire de la ville KYÔTO-PARIS-TÔKYÔ :

Rapport final Septembre 2002 - 2 -

Ministère de la Culture et de la Communication Direction de l’architecture et du patrimoine Mission du patrimoine ethnologique Subvention n°228 du 20 octobre 2000

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TABLE

PROLOGUE 4 Sanjo le nouvelle et Sanjo l’ancienne : De Keage à Higashiyama-Sanjo

I. PRESENTATION 14

II. UN VASTE PROJET 20

- L’esthétique ordinaire - Assemblages et objets complexes - La question du jugement de fait/ de valeur - Axiologie classique et pratiques contemporaines - Dispositif expérimental - Les types de lieux à observer

Une question d’opportunité ? 27 Remarques transitoires

TERRAINS ET METHODES 31

- Les terrains : Paris / Japon : Kyôto, Tôkyô, - Mission au Japon - Le journal de terrain, photos, collecte des plans

III. DOUZE LIEUX 33

Exemple : Français/paris 35 Exemple : Japonais/ Paris 38 La démarche réflexive 41 Exemple : Japonais/Japon Observation croisée 43 Observateur Français / lieux japonais 45 Observateur japonais / Lieux japonais 51 Autres filières 57

IV. OBSERVATIONS I : LIEUX DECRITS 60

JAPON - Sagano nembutsuji - Takase - Jizô - Arbres indisciplinés - Toriimoto - Rue du marché voisin - Ebisu Yon chome - Hongo - Nezu - Hibiya - Nihonbashi - 3 - - 4 -

- Kagurazaka

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DEUX OU TROIS RUES 69 - “ Kita Onmaedori ” - “ Ebisuzaka ” - Ichijôdori

DIVERS autres lieux 73 - égratignures - Homeless - Un immeuble naturel (p 96) - Ginza yonchome / Tsukishima

V. OBSERVATIONS II : LIEUX DESIGNES 75

Les images proposées - les cartes postales de Kyôto - les CP de Yokohama (pp64-65) Le regard des photographes et des cinéastes 80

VI. LES CATEGORIES DE PENSEE DU BEAU 82

Un lexique Japonais ? 82 Deux remarques 92 Un lexique Français ? 94 Critique 95 Le jugement esthétique comme jugement de coïncidence 96 Ordinaire / populaire 100 L’esthétique n’est pas l’art 101 Impressions et sentiments 102 Le conformisme : Meishos et poèmes de voyage (Bashô) 106 Des échelles de l’esthétique / des rythmes 110 Ambiance 112 L’horreur : une beauté cachée ? 113

VII. IROIRONA TOKORO 119

VIII. SOURCES DOCUMENTAIRES 192 ET BIBLIOGRAPHIQUES CONSULTEES

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Prologue

SANJO la nouvelle et sanjo l’ancienne, de Keage à Higashiyama

D’abord cette avenue Sanjo. On pourrait traduire par “ troisième avenue ” est-ouest, ou plutôt gauche-droite, selon le regard du Tenno, empereur et fils du ciel, dans le plan de l’ancienne capitale, d’où provient son nom. Sanjo n’a rien d’extraordinaire, c’est bien ce qu’il me faut. Ni tonitruante ni morte, ni minuscule, ni autoroute urbaine. Une avenue, tout simplement. Particularité pourtant : cette avenue est la seule qui relie le centre de la ville à l’Est (on n’en trouve d’autres que bien plus au sud, au niveau de la voie ferrée du shinkansen), franchissant la montagne Kujoyama en montant doucement pour rejoindre le fameux lac Biwa et le légendaire pays d’Omi 1. De visu, en toute logique, l’avenue mesure au moins seize mètres de large, alors qu’elle n’est bordée que de maisons de deux niveaux souvent, d’immeubles de cinq, et parfois en recul. De fait, l’espace est très ouvert, on ne se trouve pas au fond d’un puits de murs-rideaux comme dans les avenues du centre-ville. Des travaux de réfection étaient entamés l’an passé, commencés par la chaussée, couverte maintenant sur ses quatre voies d’un bel enrobé drainant noir, impeccable, marqué de lignes blanches. On achève les trottoirs actuellement, carrelés sur leurs trois mètres de large de gros pavés de granito aggloméré, drainant lui aussi, brillant comme un marbre en vision rasante. Là, les territoires des piétons et des véhicules sont nettement séparés, et les passages de l’un à l’autre rendus plus nets, mieux tracés, plus difficiles : les trottoirs sont non seulement soulignés d’une bordure de ciment, très relevée pour empêcher son franchissement par tout véhicule, mais aussi protégés d’une balustrade métallique qui court tout du long, sauf aux passages. On achève

1 cf. Esthétique et urbanité : un aperçu japonais". avec Adachi Fujio, Espaces et Sociétés, n°100, mai 2000 : 127-156. - 6 - - 7 - actuellement le marquage des passages pour piétons, en prenant bien soin d’effacer toute trace ancienne de peinture blanche : les signes doivent être explicites, indiscutables, sans ambiguïté. Même vide de toute circulation, un japonais ne traversera pas une avenue avant que le signal n’ait retenti. Le désordre est ailleurs : sur sa lisière du trottoir, les grands pylônes électriques, surchargés comme des totems de toutes leurs toiles d’araignées de fils et de transformateurs, plantés tous les vingt mètres, alternent avec les jeunes arbres aux feuilles de cornouillers qu’on vient de planter dans la partie haute de l’avenue. L’avenue semble comme dans un entre-deux de son destin : la bordent de courtes séries de maisons de bois brun, cinq ou six à la file, et de deux ou trois kens de large chacune (ou ma, ou , ou toises, comme on voudra). Le rez-de-chaussée est occupé par un magasin, un restaurant, une boutique, un artisan. Il y a des restaurants et salons de thés, des antiquaires et galeries d’art payantes, des ateliers de réparation de vélos ou de motos, plusieurs coiffeurs, une pâtisserie “ Vance ” décorée d’un grand drapeau français pour suggérer la qualité des produits, un petit bureau de poste, des machines distributrices de boissons en cannettes ou de cigarettes, des vendeurs de souliers, de geta et surippa, de vêtements, de vaisselle et de fioles à sake, un atelier de tatami derrière la vitrine duquel est garée la voiture familiale aux heures de repos, et puis bien d’autres. Pour une fois, je me dispenserai d’une discipline d’énumération exhaustive et systématique, vue la longueur du chemin. Mais c’est bien à regret, et d’un manque de rigueur très contestable. Ces petites , “ maisons de ville ” littéralement traduit, alternent avec des parcelles six fois plus longues, bâties d’un seul tenant, et qui les remplaceront petit à petit, comme si la ville pulvérulente s’agglomérait par grumeaux, se durcissait en cristallisant : sévères bâtiments bouddhiques où sont rassemblés les autels mortuaires de nombreuses familles, bien rangés par étages2, voisinant avec des love-hôtels à la publicité lumineuse rose bonbon. Mais aussi des bâtiments publics, des immeubles d’habitations dont le rez-de–chaussée abrite une supérette de quartier, ouverte à toute heure ou presque —un dépanneur diraient les québécois— (Seven-Eleven, Lawson). Si l’architecture contemporaine de qualité est

2 cf. à ce propos le film réalisé par Natacha Aveline et Jimenez J. 1999, Mourir à , documentaire video de 52 mn en bétacam produit par le Centre Audiovisuel et Multimédia de l'Université Toulouse. Et : Aveline Natacha, 2003, le rail et la ville, stratégies foncières et diversification des compagnies ferroviaires privées à Tokyo et Osaka, Paris : ed. du CNRS, collection Asie orientale - 7 - - 8 - rare, ici comme partout, elle n’est pas absente, et une silhouette à la Ando tadao pointe agréablement au milieu du parcours. Deux mailles du tissu semblent non pas se superposer, mais lutter. Un peu comme il en est d’une feuille d’arbre : aux abords des vaisseaux nourriciers, les cellules se font plus larges, opulentes, tandis qu’elles restent menues au creux des domaines éloignés. Devant ces grandes constructions, souvent quelque large bac de terre accueille des plantations d’azalées, de buis, de camélias, de kimmokusei (osmanthe), voire de momiji (acer japonica, érable flamboyant de l’automne). Entre ces deux stations de métro, Keage et Sanjo- Higashiyama, on peut compter les départs d’allées plantées de hauts pins, de vénérables camphriers, de sakaki (clayère, variété de camélia, plante shintô sacrée), conduisant aux monuments religieux : deux temples bouddhistes aux lourdes portes monoxyles, tôt ouvertes et closes, un grand portique shinto ouvrant un long chemin dallé, plus ensauvagé et en face de l’avenue, entre deux petites maisons, un tout petit torii rouge vermillon, orné d’une corde de paille sacrée shimenawa, qui mène après un coude à un sanctuaire minuscule, au cœur des maisons à la vie desquelles on est alors mêlé, petit autel domestique élevé auprès de chaque puits. Il y eut ici, dans les temps anciens, une fonderie fameuse pour ses lames au trempage remarquable. Mais il faut encore compter ces petits autels dressés pour Jizô : j’en ai trouvé six sur cette portion de l’avenue. Des micro temples devrais-je dire plutôt, puisqu’ils affectent la forme d’une petite construction soignée, enfermant la divinité, Jizô, figurée par une grosse pierre de granit gris peinte aux traits d’un visage humain, et munie d’une sorte de bavoir de satin rouge, couleur de la naissance, qui blanchit au soleil et aux intempéries. Marqués du signe de la svastika, et quoiqu’on assimile cette divinité à Jizô bosatsu (Ksitigarbha), Buddha de l’est rédempteur des enfers, chargé de guider les âmes des défunts vers l'au-delà, c’est en fait la récupération bouddhiste d’une divinité bien plus ancienne, ancrée dans l’affection populaire, protectrice des enfants et de leurs âmes, et que l’on rencontre en tout lieu, sur tous les chemins, à des milliers d’exemplaires. Un jour, m’en revenant sur l’avenue, je butai sur des passants arrêtés, un père poussant son vélo où est assis son bébé, et sa jeune fille qui l’accompagne. Je vois celle-ci joindre les mains, incliner la tête. Me retournant, j’aperçois alors l’un de ces petits autels. Si je prête plus attention aux matériaux, les quelques maisons traditionnelles qui demeurent, à structure de bois brun offerte aux regards, font pendre devant leurs fenêtres - 8 - - 9 - d’étage ces légers stores de jonc , protégeant les tatami des ardeurs estivales du soleil. Mais les rez-de- chaussée offrent le plus possible les apparences d’une boutique moderne : glace de la vitrine, aluminium et acier, parements brillants et neufs, placards publicitaires aux couleurs acidulées, fluorescentes, aux matières synthétiques. Devant quelques-uns, malgré tout, on été disposés deux morishio de part et d’autre de la porte, petits tas de sel dans une coupelle qui assurent de la pureté symbolique du lieu. C’est la minéralité qui domine l’ambiance, s’ajoutant aux quelques soubassements de granite ou de basalte traditionnels qui peuvent subsister, aux parements de schiste plaqué. Malgré les coins de trottoir encore en chantier qui attendent sans doute de futures plantations, puisque les jeunes arbres manquent ici, plus on descend vers le cœur de la ville, plus l’avenue se minéralise. Pourtant, juste avant d’atteindre la station de métro, on longe à main gauche une grande et belle maison de bois ancienne, qui montre au-dessus de son auvent, portée par deux petits atlantes de bois, rondelets comme des sumotori, l’air revêche, une grande planche enseigne indiquant en langue française : “ INABA Cloisonné ”. Célèbre, cette maison n’exerce plus ses talents ici, mais le bâtiment fait figure de monument, et sera de plus en plus détonant sur cette avenue. Alors décidera-t-on de le démonter pour le déplacer, ou le supprimera-t-on purement et simplement ? L’affrontement des époques est aussi celui des matières.

Les trottoirs sont larges ici, et pas encore trop encombrés. Outre les pylônes, les rambardes dites plus haut, il faut noter les feux tricolores, les panneaux routiers qui les surmontent, panneau classique (indiquant les lieux voisins aussi bien en caractères romains que sino-japonais, et même avec un sigle visuel), ou panneau électronique grand format qui annonce aux arrivants en ville le plan des lieux et, j’imagine, l’état d’encombrement, les bouchons. Puis, au sol, les bandes de carrés jaunes striées ou ponctuées, selon la norme internationale, à destination des aveugles, tandis que les bordures de trottoirs s’abaissent aux passages, facilitant l’accès aux voitures d’handicapés, aux vélos qui empruntent les trottoirs dès qu’ils font plus de trois mètres, aux petites carrioles que les vieillards poussent devant eux, autant pour porter leurs paquets, pour s’asseoir et se reposer éventuellement, que pour se soutenir eux-mêmes ; aussi une grosse boîte postale rouge vif pour le dépôt du courrier, et une cabine téléphonique (sur l’autre trottoir), qu’une description indisciplinée, non systématique, laisserait facilement échapper : depuis le développement des téléphones portables, les petits - 9 - - 10 - téléphones publics de couleur verte qui pullulaient au moindre recoin de la ville, et offraient une commodité inégalée, ont presque tous disparu. Il y a aussi ces grosses armoires métalliques marron, pour quelque commutateur électronique. Au coin d’une maison, on peut remarquer au sol deux grandes bouteilles de plastique transparent, pleines d’eau. Elles ne sont nullement là par hasard, ni par oubli, mais bien parce que c’est le procédé le plus simple que l’on a trouvé pour effrayer les petits chiens et les dissuader de se soulager contre la paroi. Les petites figurines de torii rouges (que l’on peut acquérir dans les sanctuaires shinto), symboles de territoire pur et que l’on appose encore au bas du mur de certaines maisons, dans les ruelles à l’écart qui attirent le buveur à la vessie trop gonflée, présentent l’inconvénient de ne pas être compris par les animaux, même s’ils traînent un maître au bout de leur laisse. Plus difficile : il faut aussi noter les absences ? Il n’y a ici ni bancs de repos (seules les stations de bus principales en offrent parfois), ni corbeilles ou poubelles (l’exposition de choses impures est inconcevable). Il se forme aussi comme un paradoxe : l’avenue est large, claire, presque un peu vide par moments quoique dévolue à une circulation supposée importante. Il n’y a pratiquement pas de véhicules stationnés, mises à part quelques voitures de clients pressés d’acheter quelque babiole, ou d’artisans arrêtées temporairement, quelque livreur en course ou quelque taxi au repos. Je songe aux rues de Paris et d’ailleurs, devenues des surfaces de garage pour l’essentiel : quelle figure auraient-elles sans cela, quel visage avaient-elle auparavant, du temps des photographies d’Atget et de Marville ? Ici, le stationnement est formellement interdit sur la voie publique, et la contrevenue au règlement doit être sévèrement punie car les parkings payants en immeubles- tours munis ascenseurs sont multiples en centre ville. Chaque terrain sitôt débarrassé de sa construction est momentanément utilisé pour le stationnement tarifé. De plus, l’achat d’un véhicule est soumis à la démonstration de la propriété d’un emplacement libre pour sa voiture. La circulation n’étant pas entravée, du moins dans ce tronçon de l’avenue, et quand il n’y a pas de travaux, elle est fluide, calme, assez silencieuse, mais incessante, nuit et jour, et son ronronnement s’entend de l’intérieur de toute maison traditionnelle voisine, si peu isolée, ouverte aux vents, aux voisins, à la ville. En plus du métro, peu de bus desservent l’avenue : la ligne numéro cinq l’emprunte un peu, puis tourne vers le nord pour rejoindre le monumental sanctuaire Heian Jingu, et plus loin nombre de temples célèbres, au pied des montagnes. - 10 - - 11 -

Il faut alors parler du pont. C’est ce qui m’a décidé à choisir ce parcours et à le décrire. Parler de ce pont qu’aucune voiture lancée à vive allure n’apercevra même pas. Le premier jour que je passai ici, encore un peu hébété, je m’en allai faire mes courses dans une petite ruelle commerçante où nous allons arriver. J’allai tranquillement, la marche facile sur ce trottoir large, nullement entravée, presque à destination. Une belle et large lumière baignait le parcours. Et : la rêverie du marcheur s’est brusquement interrompue. Sans raison apparente. Sinon que son œil, aspiré par l’ouverture béante dans la continuité des façades, ne pouvait s’empêcher d’y glisser un regard transverse, de vérifier la conformation de l’espace. Rien d’autre, rien de plus. Ce n’est pas immédiatement que le mouvement de la marche s’est interrompu. Il a certainement fallu un pas ou deux avant l’arrêt, avant un léger retour, le temps que l’esprit se pose la question : qu’est-ce ? Puis seulement après : qu’y a-t-il là de particulier ? Et j’ai reconnu l’un de ces lieux qui m’avait été nommé par l’un de mes informateurs dans le travail ludique des “ 12 lieux que j’aime/n’aime pas ” auquel je les avais soumis. Je connaissais cet endroit par l’autre côté, un peu plus au nord, à cinquante mètres de là peut-être, juste après le coude de la rivière, maintenant caché par les ramures d’un grand kaki penché sur l’eau. J’avais apprécié cet autre tableau, cet autre paysage, un peu différent. Il ne faut pas être autrement surpris de cette surprise : la figure du pont est bien de relier deux rives, deux pays, deux moments, et même d’effacer le plus possible l’obstacle, d’assurer une continuité territoriale et sociale de part et d’autre, si parfaite qu’on en oublie jusqu’au procédé. En milieu urbain, en prolongeant la chaussée et les trottoirs comme s’il n’était de rien, le pont n’est dénoncé que par l’absence de façades, et encore depuis qu’on ne bâtit plus de baraques sur les ponts, comme il en fut longtemps. Ce n’est qu’un peu ensuite, même si la sensation était déjà présente, qu’on prend conscience de l’odeur de vase, de moisi plutôt, et de terre mouillée, avec un rien de fraîcheur au fond de l’air. Pourtant, le tableau est simple : c’est un petit cours d’eau, la shirakawa (la rivière blanche), que l’on traverse. Ses petites eaux s’étalent sur cinq à six mètres de large, mais avec à peine dix centimètre de profondeur, claires, absolument transparentes, cristallines, laissant briller des galets colorés d’oxydes et de petites algues vertes, copiant en vaguelettes leurs ressauts à la surface. A gauche, le grand pignon blanc d’une maison de bois et de plâtre. A - 11 - - 12 - droite, après un sentier de rive d’où monte un escalier couvert de plaques ondulées vers l’étage d’une première maison, on aperçoit à l’arrière une seconde, plus modeste, pelotonnée derrière sa palissade, toute bourgeonnante de plantes, de jouets d’enfants, de figurines. Le grand kaki qui la devance se penche sur les vaguelettes, abritant une petite estrade verte posée presque au raz de l’eau, mieux encore que celles des restaurants huppés de Pontocho. On ne peut manquer de s’y imaginer, dans la fraîcheur du ruisseau, la main glissée au fil du courant. Derrière la maison, qui agite ses linges à sécher aux longues perches de bambou saodake, d’immenses arbres émergent d’un jardin, une vaste propriété que l’on devine seulement. Lorsqu’on fait le tour, on découvre qu’elle portait le nom de “ Y. Namikawa Cloisonné ”. Le pont lui-même, arbore quatre jolies piles art-déco de granit clair, bien oxydé maintenant, qui datent sa construction. Avec leurs trois quarts de siècle, elles font figure d’antiquité en ce pays. De l’autre côté du pont, descendant vers le sud et des quartiers plus renommés, la shirakawa a été rénovée, plantée de saules pleureurs yanagi, pour annoncer les quartiers des fleurs, dans la plus pure tradition romantisante. Non pas que le lieu soit laid, mais presque vulgaire : trop offert, apprêté, imposé à l’admiration, ne laissant pas la place à la trouvaille d’une beauté simple, même imparfaite. Tout cela n’est fait de rien, ou presque. Et pourtant, c’est bien cet agencement de riens qui compose un lieu détenteur d’une puissance d’émotion, c’est cette manière spécifique d’associer et d’assembler des ingrédients, des matières, des formes, en des arrangements évocateurs, significatifs, qui nous happent, nous envoûtent, nous émeuvent.

La ruelle du marché est à deux pas, à main gauche. Certes, elle est étroite, sombre et le passage réduit par l’avancée des étals dans l’allée, pas trop engageante pour qui ne connaît pas, à moins d’une curiosité à toute épreuve, proche de la témérité. Elle est fermée en toiture par une couverture à peine translucide, qui protège tant du soleil que des intempéries, mais assombrit à coup sûr ce petit souk japonais. C’est aussi un de ces lieux essentiellement commerçants, que je n’aime guère d’habitude, où il ne me reste plus de identité que celle de consommateur potentiel, que ma capacité d’achat, et où les sollicitations s’élèvent sur mon passage, les “ irasshaimase ”, les “ ikaga desuka ”, comme pour faire vaciller mon libre arbitre, avant les “ okini ” un peu obséquieux du dialecte kyôtoïte, quand j’aurai payé. Mais je suis amadoué par la simplicité de ces étals - 12 - - 13 - domestiques : pas ici de marchandises rares et chères comme dans la trop célèbre allée commerçante nishikikoji, dans le centre, site dûment classé. La chalande est clairsemée, s’arrête patiemment si deux vélos tenus à la main ne peuvent se croiser. L’atmosphère bonhomme d’un marché de quartier. Car ici voisinent tous les commerces de voisinage, fruits et légumes, droguiste kusuri, poissonniers et boulangers, et jusqu’à la vieille marchande de chaussures, surippas et getas, pliée en deux par l’arthrose. Evités les éclairages éblouissants, les musiques amplifiées, tonitruantes des passages en arcade que les Japonais fréquentent en rangs serrés dans tous les centre ville (dont l’un est précisément l’aboutissement de l’avenue Sanjo, lorsqu’elle pénètre le quadrillage de la capitale ancienne, un kilomètre plus loin). Ce n’est pas non plus un de ces labyrinthes souterrains où le client ne sait plus s’il fait jour ou nuit, pluie ou soleil, où il doit oublier le nord comme l’ouest pour ne plus se soumettre qu’aux désirs retenus, inassouvis qu’on veut réveiller chez lui, de ces complexes en rhizome qui travaillent cette terre. Pas non plus de ces dépâto (departement store) construits autour de chaque gare par les compagnies possédant également les lignes de chemin de fer, et qu’il est impossible de ne pas traverser après être descendu du train et avoir rendu son billet. Non, là, je suis presque libre de flâner, de choisir, de ne rien acheter, de m’échapper par la première ruelle que j’aperçois. Et pourtant, ils relèvent apparemment de la même logique commerciale, de la même civilisation japonaise. Mais à cinq heures, l’après- midi, tout le monde replie déjà bagage et solde les denrées fraîches, avant de retourner à sa maison proche, préparer le bain et le souper, tandis que les dépâto continuent, tard, même le dimanche et les jours fériés, abolissant les repères. Dimanche, lorsque je repasse dans la ruelle vide, tous les magasins sont fermés, au repos. Le premier yaoyasan (marchand de fruits et légumes, des précieuses tomates et pêches vendues à la pièce, des haricots verts en poignée au creux de la main, des aubergines encore en bourgeon pesées par trois…), a relevé ses étals agemise de bois et les a cadenassés, ces sortes de bancs relevables qui allongent le sol de la première pièce de la maison au- dehors pour faire commerce, dans les traditionnelles. Il y a tout à coup de l’épaisseur, quelque chose de la prouesse d’une survie ethnique, de la performance et de la résistance de procédés populaires malgré la domination du marketing.

C’est un peu par hasard, par intuition, pour changer aussi, pour m’échapper ou pour tenter ma chance que j’ai ce premier jour décidé d’emprunter la première ruelle à - 13 - - 14 - ma gauche, à peine distante de deux épaisseurs de maisons de l’avenue parallèle, pour revenir. Instantanément le statut de l’espace change : c’est une petite rue habituelle, comme on en rencontre au sein de chaque quartier, dès qu’on quitte les avenues. Elles composaient un quadrillage bien orthogonal à l’origine, délimitant les quartiers chô, îlots élémentaires de la ville japonaise, mais dans lesquels se coulent encore de plus petites venelles rôji, étroites et tortueuses, presque des couloirs. Nombre de quartiers conservent cette architecture de rues et, même très rénovées, elles gardent une atmosphère de convivialité que tous les auteurs ont dépeint (N. Bouvier, J. Pezeu- Massabuau, A.Berque, J-F. Sabouret, Ph. Pons, etc.). Celle-ci n’échappe pas à la règle. Les maisons de bois y dominent, avec leurs barrières en avancée pour les plus distinguées, afin qu’on n’encombre pas l’espace sous l’auvent. Alors les seaux de plastique rouge vif du service contre les incendies s’alignent, toujours pleins d’eau et prêts à la moindre alerte. La voie, plus étroite évidemment, de trois mètres environ, il faudrait même dire d’une largeur variable, n’est qu’approximativement rectiligne, s’offrant des sinuosités, des rattrapages, voire de baïonnettes, des coudes parfois. Elle n’a pas à proprement parler de trottoirs : les marques qui bordent la chaussée, quatre à cinq centimètres de ciment blanchi, qui ressemblent à de menus caniveaux, sont en fait les limites de parcelle d’où se reculent les façades. Dans l’espace laissé libre sous l’auvent, certaines disposent un garage pour une voiture, des vélos et scooters, soit plus souvent, lorsque cette bande n’offre qu’une vingtaine de centimètres, ce sont des plantes, des bonzaï, des pots de fleurs un peu disparates, parfois des amoncellements pléthoriques et joyeux étagés sur des présentoirs en escalier. En fait, cet espace de retrait qui devrait être précisément d’un demi-, la largeur d’un tatami, protégé sous un auvent issashi où le passant peut s’abriter, comme un hôte invité le temps d’une averse, est le plus souvent réduit, et ne suffit plus. Les maisons débordent largement sur la chaussée, l’espace privé diffuse en halo devant la porte, comme une haleine de la maison, avec impudeur et confiance. Au balcon, en ce samedi après-midi où le soleil est revenu, après deux jours de crachin, le linge est pendu sous l’auvent de la toiture. Parapluies à l’égouttoir, choses à montrer ou débarras. J’y ai vu parfois l’aquarium des poissons rouges (quartier Nezu, à Tôkyô). Devant l’une d’elles, c’est même une très grande caisse de bois, maintenant blanchi par les intempéries, de celles où l’on rangeait entiers les kimonos, sans même avoir à les plier, à l’abri des insectes, du jour, de la poussière. L’interpénétration du privé et du public - 14 - - 15 - est permanente, et les rideaux sudare ne sont plus ici à l’étage, mais bien au rez-de-chaussée, pour conserver un peu d’intimité, au moins visuelle (sonore, c’est impossible), à ces pièces aux fenêtres toujours ouvertes pour capter un souffle rafraîchissant. Les mêmes maisons, mais aussi d’autres un peu modernisées, montrent en façade, sur les auvents, leurs ventilateurs pour l’air conditionné. Ils voisinent avec les figurines de Shôki-sama, statuettes de terre cuite gris métallisé d’une semi-divinité d’origine chinoise, guerrier protégeant la maison contre les intrusions démoniaques [D’après une légende chinoise, un empereur de la dynastie T’ang, fiévreux, avait été attaqué en rêve par deux démons, et sauvé par un petit esprit barbu avec un sabre dans la main droite et de hautes bottes. Quand l’empereur demanda à l’esprit qui il était, le petit homme répondit : “ Je suis le shôki. J’ai été appelé par six fois dans ma vie passée pour aider quelqu’un en difficulté et j’ai manqué à chaque fois, aussi me suis-je tué. Mais merci à vous, mon corps défunt était vêtu de cette fine étoffe bleue. Je suis là pour vous remercier de votre gentillesse. ” Quand l’empereur se réveilla, il était guéri. Il commanda immédiatement aux artistes de sa cour de peindre le Shôki tel qu’il s’en souvenait. A la fin de la dynastie T’ang, les statuettes de céramique du Shôki étaient devenues une forme commune de protection sur les toits chinois (au- dessus de l’entrée). La tradition s’étendit au Japon durant la période Heian (794-1185).]. Au linteau de la porte, c’est souvent un bouquet de chimaki porte-bonheur3. Parfois c’est aussi une parabole de télévision. Les petits autels de Jizô, plus proches de leurs fidèles, sont encore bien plus nombreux ici, plus fleuris et soignés. J’en compte au moins huit sur le même trajet, non compris les temples et sanctuaires que les allées annonçaient tout à l’heure, et qui s’ouvrent en fait sur cette rue. L’atmosphère est plus au végétal, malgré le macadam ordinaire, un peu vieilli et fendillé, que transperce à la bordure quelques herbes affolées par l’humidité tropicale. Tout un chacun le partage, véhicule ou piéton, sans même besoin de marque, de lignes blanches comme on en peint parfois, pour délimiter son territoire : peu de disputes avec les rares voitures rangées sous leur housse de plastique gris argenté et qu’on ne voit presque pas circuler, ou plutôt se faufiler dans le jimkana des obstacles. Mais alors elles progresseront très lentement, obligées à des manœuvres compliquées pour obliquer dans une rue transversale, un peu comme dans l’entrelacs de nos ruelles moyenâgeuses.

3 cf. pour plus de précisions : "Dispositifs et rituels du seuil : une topologie sociale. Détour japonais". Revue : Communications n°70, mai 2000, pp. 65-92. - 15 - - 16 -

Ce qui se déroule dans ce théâtre, ce n’est nul drame héroïque, c’est la comédie du quotidien : un petit enfant de trois ou quatre ans, qui marche librement au-devant de ses parents, s’arrête sur une plaque de fonte, et y opère quelques pirouettes, confiant, sans que ses parents aient à intervenir. Eux-mêmes s’arrêtent, entament ou poursuivent une discussion avec un voisin, en pleine voie. Parfois une bicyclette passe, doucement, attentive aux passants nonchalants, car ce sont les piétons qui règnent. Enfants qui jouent, mères et voisines qui bavardent, se croisent et s’excusent d’un rapide “ gomenna… ”. S’y trouve aussi l’établissement de bain du quartier, le sento, avec son grand bleu ciel marqué du simple hiragana rouge vif YU (eau chaude, bain). Tout le monde, même peu lettré, saura le lire. Bien sûr, cette rue s’anime aussi de quelques magasins, ateliers, petits restaurants et nomiyas (bistrots), devant lesquelles trônent les machines automatiques à canettes, les enseignes lumineuses de trottoir, les caisses de bouteilles vides, les paquets de vieux papiers et journaux bien ficelés que le récupérateur viendra chercher. Ce qui frappe aussi dans cette rue, avec une largeur bien moindre, une échelle si intime, sans grandiloquence, une échelle profondément humaine et même doucement réduite, approchant la modestie, c’est l’irrégularité de la rue, toute de rattrapages, de distorsions. Comme si ce petit peuple grignotait sans cesse un bout d’espace, un grain de désordre, s’inclinant “ avec stupeur et tremblement ” au passage du prince et de son aréopage, mais désobéissant sitôt la poussière de son char retombée et son sillage refermé. Dans cette architecture modeste, ce paysage ordinaire, l’œil n’a pas le temps de s’ennuyer, pas même de se reposer. Il ne peut s’aventurer à l’horizon, trop court. Il est là, obligatoirement là, dans un temps et un espace restreints, un petit oasis. Dans le silence qu’impose cette tranquille province, à deux maisons de l’avenue, tous les menus bruits se perçoivent, et jusqu’aux sempiternels croassements rauques des grands corbeaux d’encre aux reflets bleus, aux yeux vifs et mobiles, aux becs menaçants comme des dagues brandies. Ils quittent la montagne voisine le matin, la rejoignent au soir, peuplant ses immenses camphriers, au-dessus des cimetières. Plus loin, en remontant, ce sont deux gros vieux cerisiers qui percent le sol et se penchent un peu, imposant le respect de leurs tronc vieillis et gercés, pourtant promesses d’explosions printanières d’une légèreté de neige. Leur font face des contreforts clôturant les temples, presque des remparts aux blocs de granite épais, patinés et moussus, taillés précisément et posés sur la diagonale, à la - 16 - - 17 - manière des anciens châteaux forts. C’est alors qu’on m’explique seulement : mukashi mukashi, il y a bien longtemps, cette simple rue awataguchi était en réalité la véritable avenue Sanjo, juste à l’aboutissement du Tokaidô, la tant fameuse route de Kyôto à Edo, dans les provinces de l’est4. On quittait ici Miyako, la capitale, à partir de la rivière Kamogawa, sous la protection des derniers sanctuaires, pour des semaines de marche périlleuse à l’est de la barrière qui, sur le mont Ausaka, marquait la limite orientale du bassin de Kyôto. Poètes et peintres l’ont chanté tant et plus (Ikku, alis Chikamatsu, dans le Hizakurige, récit burlesque des cinquante-trois stations du Tokaido, qu’Ando Hiroshige illustrera par la suite). L’autre Sanjo n’a été percée qu’à l’ère Meiji, pour y passer la ligne de chemin de fer d’Otsu, et ce n’est qu’en l’an dix de Heisei, en 1998, que celui-ci a été descendu en souterrain, comme un métro. Mais aujourd’hui, celle-ci est interrompue, plus loin, par la construction du grand hôtel de luxe, Miyako westin, à la station Keage.

4 cf. Pigeot Jacqueline trad. 1999, Voyage dans les provinces de l'Est, Paris: Gallimard/le promeneur. - 17 - - 18 -

I. Presentation

L’esthétique urbaine est à coup sûr une question complexe, et nous n’aurons certes pas la prétention de l’épuiser ici. Complexe en particulier parce qu’elle renvoie à de nombreuses autres questions, dont traitent habituellement d’autres disciplines ou que prennent en charge des pratiques professionnelles diverses. Et premièrement à la notion même du beau dans une société et ses composantes, dont avaient essentiellement traité les philosophes. Malgré l’intérêt indéniable de leurs travaux pour une réflexion fondamentale sur l’axiologie5, ces travaux dont l’essentiel s’est résumé à savoir si le beau résidait dans l’objet ou dans le regard porté sur lui, ne nous sont pas d’un grand secours, du fait même qu’il se posent d’emblée sur un plan idéel, abstrait, totalement distant et coupé des systèmes sociaux réels, historicisés, spécifiés en cultures et en groupes sociaux, en systèmes spécialisés ou non dans l’élaboration, la production, l’échange ou la consommation de la valeur esthétique. Cependant, il nous fallait néanmoins nous poser cette question, ne serait-ce que pour confirmer qu’elle est singulièrement relativisée par la confrontation de cultures aussi divergentes sur ce point que l’Europe occidentale et le Japon6. De plus, et ce n’est une question ni secondaire ni aisée, se pose celle des moyens linguistiques, cultivés, spécialisés ou non, par lesquels sera exprimée l’émotion esthétique, non plus dans la relation sujet-objet mais dans la relation à l’autre, avant même tout jugement (nécessairement reconstruit). Le choix et l’évolution de ce vocabulaire, l’étendue de son registre connotatif, de ses occurrences, seront des moyens d’approche à notre portée, du moins de celle des linguistes7. Mais immédiatement derrière ce champ de questionnement passionnant se pose

5 Tout du moins tant que la philosophie n’avait pas adopté la posture docte du philosophe et du cuistre, mais qu’elle se donnait pour objectif d’éclairer jusqu’au plus humble sur les fondements de ses actes et de ses choix. 6 Cf. sur ce point la note de Takashima Shûji dans le dictionnaire de la civilisation japonaise, quand bien même ses raccourcis caricaturaux sur l’esthétique occidentale, procédé classique pour les besoins de toutes les démonstrations “ nippologiques ”, sont pour le moins contestables. Ilo n’en demeure pas moins que la faiblesse, la fragilité, la réduction, l’abnégation, l’intimité, la tristesse, et surtout la pureté, font partie intégrante du sentiment du beau nippon. 7 Souriau Etienne (1990) Vocabulaire d'esthétique. Paris: Puf. 1415p. - 18 - - 19 - alors la question de cette communication elle-même, de la nécessité de ce partage de l’émotion, de l’appel à l’altérité et à la communauté, et des moyens non seulement verbaux mais plastiques de cette communication, qui introduisent alors de manière compréhensible au monde de l’art. La philosophie, et malheureusement souvent avec elle les ethnologues qu’elle a entraîné dans son sillage de par son antériorité et son prestige, s’est presque exclusivement intéressée à la question des arts, de la création et de la réception artistique, au système des beaux-arts, et fort peu à ce qui serait à la racine, l’émotion esthétique proprement dite, avant tout jugement répéterons-nous, dans cette frange de la culture, du social, où les certitudes savantes vacillent, où le bon-sens commun lui-même ne se risque pas trop. Ainsi leur ont échappé l’observation de la formation initiale des valeurs et des formes ou assemblages expressifs, qui trouveront leur acmé dans les arts proprement dits (religieux, sacrés ou non, occidentaux, asiatiques ou africains, etc.). Mais aussi leur ont souvent échappé les transformations de ces valeurs selon qu’elles s’appliquent à un domaine considéré comme purement esthétique ou à des domaines qui relèvent habituellement plus de la fonctionnalité, du quotidien. Lorsqu’on se situe dans un champ professionnel spécialisé, dans l’échange avec l’élite d’une société, ou bien dans la culture commune d’un groupe social dont l’élite ne reconnaît même pas le droit à traiter d’esthétique, à en ressentir la moindre émotion au-delà du “ nécessaire ”. La notion même de ville ensuite, que l’on aurait pu croire aller de soi, mais qui diffère sensiblement dans sa définition selon qu’on songe à Aiges-mortes ou à une conurbation protéiforme de trente millions d’habitants, voire à la continuité bâtie sur les cinq cent kilomètres de shinkansen, de Tôkkyô à Osaka, si ce n’est au-delà. Les notions de d’urbanité, de forme de la ville, telles qu’en ont discouru les théoriciens de l’architecture depuis Vitruve, Alberti, précisément ceux qu’on a redécouvert à la Renaissance, époque où cette notion d’embellissement des villes va prendre forme pour donner naissance à l’urbanisme. Celui-ci trouvera son apogée avec Haussmann, Alphand, Cerdà, C. Sitte, etc., la ville acquérant une forme visible, sensible, ordonnée, fruit d’une volonté supérieure marquée d’ordre et d’assujettissement à une puissance supérieure. La théorie de l’architecture n’a cessé de poser alors la question du rapport de la forme avec la commodité, le rapport de l’ornement (superflu ou expression ?) avec la forme fonctionnelle, à l’origine des théories fonctionnalisetes. - 19 - - 20 -

Il faut bien noter ce que sont les procédés mis en œuvre par les acteurs de l’embellissement, en Europe tout du moins car la ville Japonaise traditionnelle est toute différente : c’est en tout premier lieu l’ordonnancement, le tracé des voies, hiérarchisées l’alignement, le ménagement de places et de respirations ; ensuite les plantations arborées, la constitution de jardins ou leur ouverture au public ; enfin la création de monuments, de points de repère visuels et symboliques, et d’équipements collectifs, en tout premier lieu les fontaines, lavoirs etc. ; la notion de mobilier urbain ne se fait pas attendre, qui prendra une importance grandissante. Or, ce sont précisément tous ces éléments que nous retrouverons, entre autres, dans les composantes du jugement esthétique sur les quartiers et lieux de la ville. Elle touche aussi précisément au rapport de notre société avec la nature, autre instance indéfinissable8, et longue histoire dont Ariès nous avait donné l’introduction en nous montrant le renversement de la représentation, d’une nature hostile à une nature dominée, anthropisée, à la Renaissance. Histoire qu’ont largement écrite les travaux récents sur le paysage et le rapport de nos sociétés à leur environnement. Ce qui apparaissait au départ comme un retrait par rapport à la nature, une libération de ses contraintes incontournables, a donné ces villes minérales d’où se retirait en principe toute dimension sauvage, pour ne plus laisser subsister que le cultivé, l’urbanisé et l’urbanité, et ses aspects industrieux, artefactuels autant qu’artificiels. Ce n’est qu’à force de concentration, de densification, suite aux premiers exodes ruraux, aux épidémies cholériques répétitives qui en résultèrent, que se produisit un autre renversement, faisant désormais apparaître l’urbain (antinomie de rustre, rustique et de sauvage, paganus, païen, paysan) comme source de déclin d’une civilisation “ dénaturée ”, d’inhumanité et d’immoralité, de dégradation tant sanitaire, sociale que morale, tandis que nature et campagne retrouvaient un statut salvateur, angélique, arcadien, bucolique. On verra se formuler tous les avatars du retour à la nature arcadienne et pastorale, ou de la ville-nature, toujours vivants dans la dialectique irrésolue. Ce qui explique la réintroduction naturelle dans la ville sous forme de plantations arborées, de squares publics, de floraisons diverses, durant plus d’un siècle, et la mesure ou l’évaluation de cet “ ennaturement ” dans les statistiques urbaines, les concours de villages floraux, etc. C’est

8 singulièrement, l’herbe peut être bonne ou mauvaise, semer la zizanie, etc. selon qu’elle a vocation utilitaire, esthétique, ou ne peut être interprétée dans une catégorie de l’action, dans un échange social prédéterminé (cf. les travaux de Martine Berges à ce propos). - 20 - - 21 - précisément un des éléments majeurs de la réintroduction actuelle des aménités urbaines dans les villes nippones, après la période de “ grande croissance ” sauvage des dernières décennies9. Et encore ne parle-t-on là pour simplifier que de la dimension végétale et non animaleù ù(parcs zoologiques, animaux domestiques tolérés ou non, faune sauvage, symbiotique ou parasite, etc.). S’agissant de ville, la question renvoie alors aussi tant au rapport avec le sacré, auquel la société consacre les points les plus marquants de l’espace urbain (points les plus élevés, rocades et étoiles, pattes d’oie, places etc.) pour y établir ses monuments religieux et politiques (statues et diverses autres sculptures), mais aussi et concomitamment à son rapport au temps. Temps long surtout, assurément, et nous le verrons plus en détail par la suite : temps qui dépasse la durée d’une existence humaine, et qui sauvegarde les productions urbaines portant les signes des temps passés, des étapes de la société dont provient l’état actuel. Sauvegardant et le sacré, et les productions considérées comme les plus remarquables de son industrie. La société se convainc de la perdurance de ses valeurs en conservant trace de l’artefact urbain jusque dans sa forme même10, dans ses tracés, ses voies, ses cours d’eau naturels et artificiels. Conserver, c’est à dire non seulement utiliser au-delà de l’usage initialement prévu, au-delà de l’usage le plus rentable, mais aussi reconvertir ou retraduire. Enfin, tout ce dont relève notre politique patrimoniale, notre législation afférente, notre culture historique et notre fascination pour l’authentique, dont on

9 Dans “ 100 ans d’urbanisme à Tokyo ”, publié par la ville en 1994, on note ces aveux : “ vers le milieu des années 1980 (…) Tokyo lance plusieurs programmes visant à embellir le paysage urbain en tirant le maximum de ses fleuves, de ses rues, de ses ponts et de ses monuments. (…) restaurer le front de mer et en rendre les environs plaisants (…) faire revenir les courants d’eau douce qui alimentaient autrefois la ville (…) remplacer les lignes téléphoniques aériennes (…) la construction de trottoirs avenants et l’installation de réverbères plus attrayants. La ville s’efforce de préserver ses monuments historiques, y compris les immeubles modernes de style occidental. Des endroits pittoresques ont été officiellement classés “sites protégés” pour tenter de préserver le paysage urbain de Tokyo. La publicité extérieure est effectivement soumise à des indications et des restrictions, dont des limitations quantitatives. ” On ne doute pas que “ Tokyo veut devenir une ville belle et agréable à vivre ”, que les habitants se soient mobilisés, et que la ville ait “ formulé un plan directeur sur le paysage ”, mais les termes employés : “ s’efforce de préserver ”, “ pour tenter de préserver ”, trahissent à eux seuls l’inféodation de la volonté politique à la dictature économique. Il n’y a que la limite du sacré qui maintienne encore les sanctuaires en place, parfois dans des situations abracadabrantes. 10 JINNAI Hidenobu (1987) Changement morphologique et continuité de la ville. in : La qualité de la ville : urbanité française, urbanité nippone. (Berque A. Dir.) : 73-80. - 21 - - 22 - sait qu’elle ne présente nullement le même visage de part et d’autre du continent Euro-asiatique11.

Si tous ces questionnements ne peuvent être ignorés ni balayés d’un revers de main, et mériteraient d’entreprendre une plus vaste synthèse que les éléments d’éclairage que nous pourrons apporter ici, ce sont pourtant des champs d’interrogation ouverts, identifiés, et sur lesquels les travaux avancent régulièrement. Or, notre questionnement est autre, et pour une double raison. D’une part, c’est sans doute l’apport considérable des travaux récents sur le paysage12, qui nous permet le mieux de sortir du champ clos de l’esthétique philosophique et de son cantonnement à une théorie des beaux-arts considérée comme centrale. Les travaux sur le paysage, en abordant un objet qui ne ressortissait pas a priori du champ de l’art, ont particulièrement mis en valeur les questions de la relation entre acteur (plutôt que spectateur, et plutôt que réception) et objet complexe d’une part, et celle de l’herméneutique de l’autre. Si la composante “ naturelle ” y dominait encore, pouvant masquer le caractère profondément construit de cette relation, cette avancée méthodologique et conceptuelle nous permet un pas de plus. Il n’y a pas si longtemps, la notion de “ paysage urbain ” ne se référait encore qu’à des réintroductions de la nature naturante dans la ville, qu’à sa partie végétale, au reverdissement , à la création de ses parcs et plantations, ce qui est tout dire de la confusion des représentations d’alors (par exemple, un paysage de cimes montagneuses totalement minéral, ou bien un paysage marin n’auraient alors pas eu droit au substantif “ paysage ”). En même temps qu’un rétablissement s’est opéré, que par l’aide de métaphores l’étendue de la ville a pu être vue comme un paysage, avec son horizon, sa ligne de ciel (skyline), ses lignes de force, ses points de repère et ses hauts lieux, ses points d’admiration panoramiques, les professionnels paysagistes eux-mêmes se dressaient contre l’idée d’un travail paysager seulement réparateur et comme allant contre l’édification urbaine elle-même13. Artialisé lui aussi depuis le début de ce siècle au moins (si

11 Cf. Suzuki Takashi (p.17) : “ En fait, le développement urbain d’après-guerre a fait disparaître des villes et des campagnes japonaises plus de patrimoine culturel et historique —et un patrimoine de meilleure qualité— que ne l’avait fait la guerre. ” 12 Cf. en particulier : Paysages au pluriel : pour une approche ethnologique des paysages, 1995, Paris : ed. de la MSH. Et : Image / Paysage (dir. Ph. Bonnin), Xoana, n°5, 1997, Paris : ed. J. M. Place, 190p. 13 Cf. Bernadette Blanchon, 1999, "les paysagistes francais de 1945 a 1975, l'ouverture des espaces urbains", n°85 des annales de la recherche urbaine - 22 - - 23 - ce n’est depuis Carpaccio) par le post-impressionnisme (on pensera aux Raboteurs de parquet et au Pont de l’Europe de Caillebotte, par exemple, respectivement en 1875 et 76, et en général à sa prédilection pour les thèmes urbains), voire par la photographie (celles d’Atget et de Marville en particulier, mais sans oublier celles, contemporaines, de Felice Beato au Japon) le spectacle urbain présente en définitive toutes les caractéristiques visuelles et toutes les conditions posées par Roger ou Berque pour accéder au statut de paysage. Et, de fait, nous avons à son endroit les mêmes attitudes et les mêmes dispositions que vis à vis de paysages naturels : non seulement un tourisme spécifique s’est développé (que l’on ne peut réduire à un pur goût historique pour l’architecture, ni à une formation continue à l’histoire de cet art), mais une nouvelle législation qui ne protège plus seulement des monuments mais également des sites, des quartiers, sans qu’aucun édifice remarquable ou spectaculaire les ait jusque là distingués. Nous avons montré comment cette législation s’était d’ailleurs développée au Japon en parallèle chronologique exact avec la France, alors même que l’application et les résultats sont aussi divergent14. Mais ce qui nous importe ici n’est plus de savoir comment une société s’organise pour préserver et protéger ce qu’elle a désigné comme objet esthétique collectif et public, parfois à l’encontre des intérêts privés, mais plutôt pourquoi et comment ces objets, ces lieux, ont été source d’émotions esthétiques suffisamment partagées et communiquées pour entrer dans cette catégorie. Réciproquement, pourquoi d’autres lieux n’y entre-t-ils pas ? Mais n’y entreront-ils jamais, rien n’est moins sûr, puisque les paysages industriels qui ont fait l’horreur du goût bourgeois durant les siècles passés accèdent à la patrimonialisation. Il faudrait même dire que la question est encore en-deçà : avant-même que le lieu puisse être pensé, individuellement ou intersubjectivement comme relevant de la catégorie des objets esthétiques, de la beauté en langage commun, il y a comme un état d’agrément et d’émotion (non pas violente et cataleptique15, mais tranquille et comme sourde, ou plutôt muette) qui fait que ce lieu offre une plaisance. Sans qu’on sache si cette plaisance ne se rapporte qu’à des éléments subjectifs, liés à la biographie, à l’expérience personnelle du sujet, ou

14 ici encore, je renverrai à : Esthétique et urbanité : un aperçu japonais". avec Adachi Fujio, Espaces et Sociétés, n°100, mai 2000 : 127-156. 15 On pense évidemment au syndrome de Stendhal dont P.Prado nous rappelait la permanence. In : Terrain, n°25, 1995. - 23 - - 24 - bien à une pré-désignation collective, voire à une esthétique émergeante. On se convaincra que ces trois registres coexistent en parcourant par le menu les réponses formulées à nos question, dont on trouvera le détail en annexe. Or, il ne s’agit pas toujours de lieux qui seront le fruit d’une volonté et d’une politique publique d’embellissement, auquel cas nous serions ramenés à une esthétique de la réception, qui caractérise celle de l’art, et qui n’en serait alors qu’un sous produit : une esthétique de la réception de l’art urbain16. Il s’agit bien souvent, et c’est la caractéristique de la ville, de lieux qui sont le produits de volontés multiples, souvent contradictoires et pour le moins autonomes et divergentes, publiques et privées, étagées dans le temps, sédimentées, pratiques laissant des traces durables comme pratiques labiles s’abolissant dans le moment. Pratiques contradictoires aussi, d’embellissement comme d’enlaidissement.

16 Segaud, M. (1988) Esquisse d'une sociologie du goût en architecture. Thèse d'état ; 474p. (sous la Dir. de M.François Gresle) - 24 - - 25 -

II. Un vaste projet

Contrairement aux théorisations de l’art, notre projet est centré sur l’esthétique prise comme dimension permanente, quotidienne, de toute pratique, même et surtout ordinaire. Celle-ci ne s'imprime pas seulement dans des objets concrets et isolés, mais également dans des dispositifs et assemblages complexes. Les lieux qui composent la ville sont de ceux-là, et la question de leur capacité à esthétiser la vie sociale se pose de manière permanente. Pour simplifier, on se demande : qu’est-ce qui fait percevoir et juger esthétiquement la cité, ses rues, ses carrefours, ses lieux d’échange, les fait entrer dans les catégories du laid ou beau, du gai ou sinistre, qu’est-ce qui les rend attrayants ou repoussants, voire effrayants. Quelles traces de leur pratique les créateurs de ces lieux laissent-ils ou proposent-ils ? Réciproquement, quelles traces explicites ou implicites de leur lecture, de leur usage, les individus utilisateurs –selon leurs appartenances– laissent-ils derrière eux ? Quelles pratiques directes de ces lieux donnent-ils à voir ? Quels discours concordants ou contradictoires tiennent-ils sur ces lieux ? La question de l'observation de cette production, mais surtout de l’expérience esthétique, positive ou négative, concernant la valeur s'il en est, est une question méthodologique délicate. Nous avons donc élaboré un dispositif spécifique : d’abord l’usage intensif de la description et du journal de terrain, ensuite la mise en œuvre d’un croisement entre les cultures de l'observateur et celle des lieux observés, à Paris et au Japon. Jouant sur l’identité/altérité de la culture de l’observateur et de celle de l’objet, il garantit à la fois la capacité de décodage, et permet de faire émerger les pré-requis.

L’esthétique ordinaire

L’esthétique ne peut se réduire aujourd’hui au domaine des pratiques labellisées comme artistiques, fussent-elles exotiques, populaires, naïves, psychiatriques ou “brutes”. On sait maintenant qu’il s’agit d’une dimension permanente, quotidienne de toute pratique, qu’elle soit placée au premier plan ou qu’elle demeure voilée et quasi- imperceptible derrière les aspects techniques ou économiques.

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C’est précisément la leçon que nous a donné le Japon lors de sa réouverture, en 1868 (restauration de l’empereur Meiji) : lorsque les cultures occidentales ont su dépasser le premier exotisme, puis le japonisme –comme imitation fascinée–, pour accéder à une connaissance plus profonde et plus exacte de cette culture, longtemps “nec-plus-alter” pourrait-on dire, parce que longtemps fermée à l’Occident, elles ont découvert une tout autre manière de comprendre l'esthétique. Là, nos catégories du beau et notre hiérarchie des beaux-arts perdaient toute pertinence : l’objet le plus simple et le plus commun y devenait le plus propre à investissement esthétique. C’est là que réside la notion essentielle de seihin : honorable pauvreté, principe de frugalité, austérité, prôné par les religieux japonais, particulièrement Kamo no Chômei à l’époque Kamakura.

Assemblages et objets complexes

Observer l’expérience, l’émotion, puis la relation esthétique ne se réduit plus alors à observer les pratiques de production d’objets spécifiques par des acteurs légitimés, ni les pratiques de leur simple réception. La relation esthétique concerne tout objet, et plus encore l’objet dit "commun", ordinaire, quotidien, c’est à dire en fait toute pratique (dans sa dimension esthétique) et tout résultat, toute trace de cette pratique. Par "objet", il faut également entendre objet simple et isolé, ou bien "dispositif", assemblage, ensemble complexe d’objets coordonnés selon des règles précises (ou au contraire une apparente absence de règles), et des valeurs choisies, exprimées. Un exemple particulièrement riche de ces assemblages sont les lieux de la ville, produits, ressentis et pratiqués quotidiennement par le plus grand nombre d’une société (et non par les fractions spécifiques qui fréquentent les lieux artistiques spécialisés). Qu’est-ce qui, au-dehors du monumental et de “ l’embellissement ” urbanistique, fait percevoir et juger la dimension esthétique de la cité, ses rues, ses carrefours, ses lieux d’échange, les fait entrer dans les catégories du laid ou beau, du gai ou sinistre, qu’est-ce qui les rend attrayants ou repoussants, voire effrayants. Au-delà des discours plus ou moins convenus ou malhabiles (semblables en cela à ceux que Martin de la Soudière a recueilli pour parler de cet autre objet insaisissable qu’est “ le temps qu’il fait ”) qu’il faut pourtant recueillir, on peut se concentrer sur les “ traces ” que les créateurs de ces lieux autant que les usagers quotidiens, traces explicites ou implicites donnent à lire. Les objets en - 26 - - 27 - situation,les dispositifs et assemblages spatiaux sont chargés et même surchargés de sens, et permettent une lecture herméneutique par l’observateur. Enfin, les pratiques directes de ces lieux ou dans ces lieux donnent à voir des types de rapport aux lieux sous-tendus par les jugements : contemplation, délectation, traversée utilitaire voire fuyante, etc. Recueillir le témoignage de l’agrément ou du désagrément des personnes quant aux lieux habités et parcourus, lieux publics, n’est pas chose indifférente : c’est en leur nom qu’on aménage les villes, c'est pour les séduire qu’elles se livrent une concurrence débridée.

De plus, il ne faut pas considérer cette rencontre avec les lieux comme purement passive ou hasardeuse. La promenade est une notion largement répandue, une technique quasi institutionnalisée pour goûter le monde, une philosophie pourrait-on dire depuis les péripatéticiens. Il faut d’ailleurs noter qu’à Kyôto, un très joli parcours bordant le canal Sosui, planté de sakura nombreux, est appelé le chemin des philosophes. Dans notre littérature également, depuis le piéton de paris jusqu’au passant considérable, en passant par Kracauer et Benjamin, les rencontres poétiques du promeneur ne manquent pas. Il faut en fait considérer le promeneur comme un amateur de lieux actif, qui explore, recherche, parvient à produire une haute probabilité pour que surviennent les émotions, les heureuses surprises, comme un fouineur ne manque pas un marché aux puces. A ce titre, la pluralité des “ centres d’attention ” de l’amateur décrits par l’équipe d’A. Hennion s’appliquent parfaitement à sa technique de jouissance, incorporant la dimension physiologique du dégagement d’endorphines par l’échauffement de la marche. Le flâneur-promeneur peut se complaire dans la répétition des leix de son enfance, des lieux désignés comme objets nécessairement labellisés comme esthétiques, ou bien poursuivre une recherche personnelle d’émotion, qu’il tend à partager, tout en se questionnant, autant sur les procédés par lesquels il parvient à ces moments délectables, sur la constitution de cette délectation, sur les conditions pour y parvenir (conditions corporelles, saisonnières, météorologiques, temporelles), sur le partage ou non des conventions culturelles en cours (par exemple les codes du surplomb que l’on a décelé dans les descriptions du guide bleu). Cela dit, il n’est pas aisé non plus de délimiter un lieu, dans un accord avec l’informateur. L’unité morphologique d’on aura tendance à privilégier dans une démarche rationnelle ne recouvre pas nécessairement le mode de repérage ni celui de communication de la personne pour - 27 - - 28 - désigner et localiser le lieu.

La question du jugement de fait / de valeur

Il ne faut pas se cacher les difficultés méthodologiques d’une telle entreprise. Trop souvent, la question de l'observation est considérée comme un fait acquis, ne posant plus problème. Or en réalité, et plus encore s'il s'agit précisément d'observer des jugements de valeur plutôt que de simples pratiques techniques, il faut y regarder de plus près. Comment l’observateur peut-il objectiver sa démarche, différencier la description des lieux-mêmes, des pratiques qui s’y déroulent et des traces qu’elles laissent, du jugement qu’il porte nécessairement à leur endroit (et qu’il porte de plus en position d’observateur, qui n’est pas celle de la pratique quotidienne), parce qu’il est lui-même un sujet sensible à ce qui se dit dans la présence publique des choses ? Le propre de la dimension esthétique des objets, tels que nous les avons définis plus haut, est de provoquer une émotion, positive ou négative, un sentiment, par leur présence-même, leurs co-présences, leurs formes, leurs assemblages, c’est à dire en définitive de générer une interprétation de la part du passant (lequel ne se réduit pas à ce seul statut, car il fait également preuve de pratiques d’exploration, de création, de détournement, de ruse, etc.), en fonction de sa connaissance des codes, de sa proximité du groupe social concerné. Il participe au moins partiellement des codes mis en œuvre, et les connaît au moins, à défaut de les partager : un cordon lagunaire planté de pins n’est qu’un joli paysage pour un étranger ignorant, tandis qu’il bouleverse un Japonais qui le lit comme l’image du “ pont dans le ciel ” (amanohashidate) de sa mythologie. La basilique du sacré cœur de Montmartre remplit d’aise un religieux conformiste, et désole un communard. Maintenant, après les fidèles de Bruant puis ceux de Mouloudji, il fait accourir les amoureux d’Amélie… Le Nihonbashi surmonté d’une autoroute horrifie un voyageur occidental, tandis qu’un Japonais le détache de son contexte, et le conserve dans sa splendeur symbolique. Ainsi, la sortie de la culture de référence, parce qu’elle dissocie l’objet du code, fait émerger avec évidence les choix qui ont été opérés, ainsi que leur relativité. Donc, au-delà de l’observation des pratiques d’un lieu, de leurs traces (parcours, stations, consommations pratiques et symboliques, détournements, embellissements, dégradations, conflits éventuels), et des discours associés, –ce à quoi l’ethnologue est largement - 28 - - 29 - habitué et qui ne constitue pas une difficulté nouvelle–, l’observation et l’interprétation intra- et extra-culturelle sont au centre de la recherche, pour faire émerger en particulier les hiatus et contradictions entre pratique et émergence d’un discours esthétique sur des objets complexes, sur des lieux urbains : “ Car peu de nations auront autant saccagé leur environnement que la société nippone contemporaine. Et pourtant, ce sentiment de symbiose du cœur de l’homme avec la nature, d’une intimité avec son environnement est bien une constante de leur culture ”. (Ph. Pons, op. cit). Mais ce que cet observateur occidental a bien perçu, est-ce pourtant le seul fait de la ville nippone ?

Axiologie classique, imitation/catégorisation esthétique, et pratiques contemporaines

On sait qu’au sein de chaque culture se dessine un noyau de valeurs sur lesquelles s’arc-boute le jugement du beau. Cependant, l’observation de la réalité contemporaine donne une image fort éloignée de ces discours théoriques. Par exemple, on distingue, dans l’esthétique japonaise classique, trois sentiments du beau : utsukushi, kuwashi, kiyoshi. Utsukushi exprime en fait plus l’affection qu’une pure admiration esthétique. Il traduit le sentiment d’attachement éprouvé par le sujet envers des êtres chers, faibles et petits, plutôt que leurs qualités intrinsèques : “ Tout ce qui est petit provoque une affection mêlée d’un sentiment protecteur (nanimo nanimo chiisaki mono wa mina utsukushi) ”[Sei shônagon, Makura no sôshi). En second, Kuwashi a le sens originel de ce qui est fin, raffiné, détaillé : les Japonais trouvent un plaisir esthétique de ce qui est minutieux et riche de détails. Enfin, Kiyoshi signifie “ pur, sans taches ”, ce qui le rattache à la tradition shintô, essentielle pour comprendre ce sentiment omniprésent, et qui instille toutes les autres formes de qualificatifs : les Japonais associent le beau à la pureté et à l’absence de souillure. C’est moins la présence du désirable, comme dans la pensée grecque, que l’absence du nuisible ou de la souillure qui génère alors le jugement du beau. Mais ce que révèle l’observation de la mégapole Tôkyôïte actuelle répond-il le moins du monde à cette axiologie ? Par ailleurs, les discours des théoriciens de l’esthétique sont eux-mêmes produits par des sujets appartenant à une culture donnée, à une époque donnée, et sont pris dans des débats et des enjeux dont ils n’on pas toujours une conscience nette. Ainsi depuis Watsuji Tetsurô s’est développée une quantité astronomique d’études, rarement - 29 - - 30 - scientifiques malgré leurs prétentions, destinées à démontrer et exacerber la spécificité insigne du peuple, de la race et de la culture Japonaise, les nihonjiron. La question lancinante du positionnement “ par rapport à ” l’autre (l’Occident et l’ex-occupant vainqueur américain), y constitue une véritable obsession. Ainsi ne sera-ton pas étonné de trouver sous la plume d’un théoricien de l’esthétique japonaise des propositions qui caricaturent une “ esthétique occidentale ” (englobant donc Las Vegas, le Parthénon, les abbayes cisterciennes et le cabanons provençal), afin de construire une opposition flagrante et commode pour sa démonstration ad hoc. L’idée du beau occidental serait ainsi étroitement liée à l’expression de la force, de la richesse et de la grandeur. A l’opposé, le Japon aurait généralement privilégié ce qui est petit, fragile, éphémère. De plus, la beauté n’y aurait jamais été conçue comme la qualité intrinsèque d’un objet donné ; “ elle existe dans le cœur de ceux qui savent la sentir ” et acceptent tout objet de la nature tel qu’il est. (Takashina Shûji, in : Dic. De la civilisation japonaise). Cette esthétique de l’abnégation, associée à l’amour du détail, donne naissance au goût du découpage, du morcellement et du gros plan (l’objet est abstrait de son contexte, comme sur un fond blanc, doré ou argenté). C’est aussi la direction esthétique de l’émouvante intimité des choses (mono aware), théorisé par Motoori Norinaga. C’est également les notions de wabi (simplicité, dépouillement, austérité des formes) et sabi (marques du temps, déclin, dépérissement, renoncement), notions à la fois esthétiques et morales. Il paraît certain qu’il faut regarder ces écrits et études d’apparence savante et parfois scientifique, plus comme des discours porteurs d’une intentionnalité que comme des énoncés totalement objectivés. Il est hors de doute cependant que les jugements esthétiques dialoguent avec ces concepts et positions philosophiques du passé, qui ne peuvent être ignorées, mais qui furent souvent émis en des périodes de pénurie (et sans doute pour les justifier), de développement érémitique, de faible développement urbain et technique, fort loin des conditions qui règnent actuellement dans les capitales et mégapoles qui sont les nôtres.

Par ailleurs, nous avons pu constater lors de nos précédentes recherches que ces jugements esthétiques, même classiques, relevaient déjà d’hybridations, elles- mêmes révélatrices. Le jugement de beauté n’ose pas s’affirmer bien souvent en-dehors d’une reconnaissance déjà pré-formée. Ainsi le modèle continental chinois, avec son antériorité, sert-il aux japonais à catégoriser les objets - 30 - - 31 - et paysages dignes d’admiration, et dignes de composition poétique. Ensuite l’existence de poèmes écrits antérieurement, la citation dans des récits anciens, deviennent la condition d’admiration d’un lieu. De même, il aura fallu que les architectes occidentaux “ redécouvrent ” Katsura Rykyu ou le jardin du Ryoanji pour que les japonais les acceptent au rang des chefs d’œuvres majeurs. Et c’est encore sans parler des effets de mode et du suivisme17.

Dispositif expérimental

L’observation révèle fréquemment une dissonance entre les énoncés d’un jugement esthétique et les pratiques effectives des lieux de la ville. C’est bien pourquoi il est nécessaire d’aller au-delà de ces énoncés, lesquels sont en fait des jugements élaborés, construits pour la communication en fonction du locuteur, de ce qu’il est supposé connaître, attendre, pouvoir acquiescer, utilisant des termes de désignation et de repérage des lieux qui n’ont rien d’anodins, et donc déjà fort éloignés du sentiment premier et de l’expérience corporelle, émotionnelle, vécue dans un cadre, des circonstances, une ambiance qui la plupart du temps ne sont plus présents. La poursuite de l’observation des pratiques et des traces demeure nécessaire. Le recueil des discours spontanés ou provoqués auprès de simples utilisateurs-usagers de la ville, en situation, ne génère le plus souvent que des énoncés tirés de la vulgate médiatique, et ne suffit pas. Ils sont généralement en contradiction avec la pratique réelle. C’est pourquoi nous avons adopté un dispositif expérimental plus élaboré, en ethnologie croisée. Si l’on veut progresser dans l’observation et dans la compréhension de l’échange esthétique, il faut pouvoir différencier le constat de présence de l’objet, tout ce qui est du domaine du “il y a” (jugement de fait), de l’observation des évocations, des réminiscences, des ondes de sens que l’objet produit chez son observateur ou son usager, provoquées par la mise en jeu des éléments les plus communs de la culture partagée, et qui fait l’objet du décodage. Ainsi pourront être perçues les composantes de la naissance de l’énoncé esthétique (références à des ensembles sociaux de même expérience en particulier). En effet, lorsqu’il est ensuite émis, le jugement esthétique a précisément pour fonction de tester le degré

17 cf. nos remarques à propos du paysage in : Ph. Bonnin et Adachi F., "Esthétique et urbanité : un aperçu japonais". Espaces et Sociétés, n°100, mai 2000. - 31 - - 32 - d’intersubjectivité entre les locuteurs, les bornes de l’univers partagé, et décidera ainsi des actions et comportements futurs. Moyennant ces précautions nécessaires, on peut utiliser à juste titre les capacités d’observation et de description de l’ethnologue. Il lui faut alors tenir les deux bouts : d'une part observer au plus profond le jeu du partage culturel, de l'autre objectiver cette observation. On a donc défini l’échantillon de lieux à observer par l’autre ethnologue (de l’autre culture). • Primo, l’observateur s’efforce de retenir, dans l’écriture même du journal d’observation, ce qui relève du descriptif, du constat de fait18. • Secundo, les notes d’observation sont confrontées avec l’autre ethnologue, (cf. Spradley), afin de garantir l’objectivation, et surtout de faire émerger tout ce qui relève de la connivence esthétique, positive ou négative.

Les types de lieux à observer

Il paraît opportun de faire porter l’observation sur une gamme de lieux aux deux pôles de la valorisation/dévalorisation commune. Mais ce choix lui- même n’est pas des plus aisés. En effet, nombreux sont les lieux décriés dans la vulgate médiatique, mais extrêmement fréquentés en réalité (supermarchés, galeries marchandes souterraines, stations et carrefours des systèmes de transport en commun, les carrefours de Barbès ou de Belleville…), au point qu’il faut se demander si l’un n’est pas cause de l’autre. Inversement, d’autres lieux ont l’attrait de la modernité, de l’embellissement urbain, sont auréolés du prestige de la culture ou de l’écologie, mais demeurent délaissés la plupart du temps, voire toujours. Ces dissonances du jugement esthétique sont particulièrement intéressantes à interroger. A ce titre-là, les lieux mythiques de la capitale Tôkyôïte –ou ceux de Kyôto– (Shijo et Kyôto eki, Shibuya, Shinjuku, Akihabara, Ueno, Harajuku, Nihonbashi, Omotesando… –et les équivalents parisiens de la Défense, du Forum, de Vélizy, etc.–, qui épouvantent les occidentaux par reportages sensationnels interposés, méritent d’être observés le plus rigoureusement qui soit, en contrepoint de lieux plus ordinaires (Kamigyoku à Kyôto, Nezu, Tsukishima, Hongo, Sakurazaka… à Tokyo –le Marais, Belleville, etc…–, ou des banlieues telles que

18 cf. les travaux récents sur l’écriture de l’ethnologie, le numéro de la revue Communication n°58 dirigé par Martyne Perrot et Martin de la Soudière “ L'écriture des sciences de l'homme ”, ainsi que Laplantine, F. La description ethnographique. Paris : Nathan, 1996. - 32 - - 33 -

Komae et leurs gares-centres –l’équivalent de Palaiseau par exemple–). Enfin les lieux désignés à une admiration esthétique vague, floue mais obligatoire, parce que célèbres et célébrés, (par exemple ceux qui sont décrits dans les guides touristiques : où sont envoyés les touristes japonais à Paris, les touristes français au Japon ?), méritent une attention particulière, au-delà de l’encensement nostalgique. Mais nous voudrions néanmoins conserver au cœur de cette recherche la question d’une esthétique ordinaire des objets complexes de la ville, tels qu’un carrefour, un immeuble, une rue (quels embellissements ordinaires, quelles dégradations ?), sans qu’ils bénéficient d’une désignation particulière. Nous choisissons pour cela le lieu de vie des observateurs eux-mêmes (ce qui nous garantit une capacité de connaissance et de décodage des pratiques quotidiennes), mais observé par l’ethnologue de l’autre culture. Une autre recherche consisterait en une confrontation croisée des lieux généralement valorisés et dévalorisés, attirants et repoussants des deux capitales (lieux précis et lieux génériques), éventuellement cette catégorie des “ non-lieux ” définie par Auger, en s’aidant pour cela non seulement de guides touristiques populaires de chaque pays sur l’autre (dont on analyserait systématiquement les discours), mais également d’un dépouillement de presse. Nous n’avons qu’esquissé une telle approche, mais elle nous a été fort utile pour débusquer les préconstructions dans l’admiration portée à certains lieux de manière récurrente. Nous avons ainsi entrepris la description in-situ et l’analyse des composantes de ces lieux, de leur fonctionnement, et des traces qui permettent de dégager les lectures qui en sont effectivement opérées au quotidien.

Une question d’opportunité ?

On a pu entendre, de la bouche d’un idéologue, vieux stalinien nostalgique, que les intellectuels n’ayant aujourd’hui plus d’engagement politique ni de combat à mener sur la ville, en étaient réduits à traiter d’esthétique, au sens où cette question serait seconde, sans grande importance pour le plus grand nombre en général, pour les plus démunis en particulier19. Voire même qu’il s’agirait

19 Cf. "L'esthétique de la grande pauvreté, à propos du livre de Sylvie Péju "Scènes de la grande pauvreté", Nahoum-Grappe, V., in : Sociétés, revue des sc. Humaines et sociales, n°14, juin-juillet 1987 : - 33 - - 34 - d’une question oiseuse pour personnes oisives. Ce propos nous touche, non parce qu’il remettrait en question l’utilité de notre démarche, mais parce qu’on peut le dire touchant, en raison de sa puérilité et de son aveuglement militant. Il revient à affirmer que l’esthétique serait un champ de préoccupation réservé à une élite, auquel n’auraient pas accès le populaire. L’histoire, dans un survol plus que rapide, aurait donné en apparence doublement raison à cette courte vue. L’aristocratie, en centralisant à son profit plus qu’au bien commun comme il devrait en être (rappelons cependant que la Bibliothèque Nationale autant que le Louvre sont constitués à l’origine de la collection royale, et que le jardin des Tuileries était ouvert à tous périodiquement) une partie de l’économie, faisait effectivement produire par les meilleurs artistes la version la plus luxueuse et la plus artialisée de chaque objet, des représentations dessinées ou picturales, de la musique, de la sculpture, de l’architecture. Quant aux philosophes, penseurs et premiers théoriciens de l’esthétique, ils se prirent à ce miroir aux alouettes, et ne surent généralement penser que cette production spécifique des Beaux-arts. Et c’est bien l’ambition que se donne Hegel dès les premières pages de son Esthétique, qui fera et fait encore référence. En matière urbaine, les représentations collectives furent ainsi focalisées sur l’architecture monumentale, celle des châteaux et des églises, des “ monuments et palais nationaux ”, pour lesquels on formait et sélectionnait l’élite —ou dite telle— des professionnels. Il n’est pas jusqu’à l’embellissement des villes —étaient-elles naturellement si laides ?—, qui se concevait comme un prolongement et une mise en scène des lieux de pouvoir. Ethique et esthétique populaires, voire du dépouillement monastique ou de la simple fonctionnalité des lieux de production (qu’on songe aux arsenaux de Venise, aux entrepôts Laisné de Bordeaux, etc.), rejetant décorum et affèteries, sont ainsi demeurées longtemps dans un angle aveugle de l’analyse esthétique, comme ne relevant tout simplement pas de cette catégorie de pensée. Il aura sans doute fallu la conjonction du travail des ethnologues sur des cultures éloignées, et particulièrement la rencontre avec celle du Japon, pour que l’idée d’une esthétique ordinaire, du quotidien, puisse se former et se penser. Encore s’est-elle avant tout appliquée à l’objet, aux “ arts et traditions populaires ”, avant que ne puisse s’envisager une esthétique des espaces, et singulièrement de l’espace paysager d’abord, urbanisé ensuite, qui ne se réduise pas à la lecture d’éléments remarquables ou exceptionnels, à celle des traces du passé. Mais en définitive, quand Bourdieu nous explique et 37-39. - 34 - - 35 - nous aide à comprendre pourquoi le goût des élites bourgeoises est légitime, et pourquoi celui des classes populaires ne saurait répondre qu’à l’empire de la nécessité, il contribue à reproduire les catégories de l’esthétique occidentales qui furent celles de son apprentissage, qui lui ont été imposées et dont il a souffert de l’ignorance, oubliant de se demander en quoi la maison Kabyle est belle pour son occupant, en quoi le célibataire paysan des Pyrénées est attaché à son pays par une certaine esthétique. Ce qu’il aurait été pourtant bien placé pour connaître.

Remarques transitoires

L’intérêt de notre démarche est évidemment l’expérience de l’altérité, nécessairement appuyée sur une bonne connaissance de la culture japonaise, ce qui est le propre de la démarche ethnologique. Elle permet de revenir ensuite sur sa propre culture avec des questions nouvelles. Mais nous en sommes déjà plus loin. Le japon ancien nous a appris la possibilité d’une esthétique ordinaire, du quotidien, qui était chez nous réfutée, ou méconnue. On voudrait la prendre pour appui pour se demander quel est le regard japonais sur des objets plus complexes comme les lieux de vie urbains. Le problème et premier résultat, c’est qu’à vaste échelle au moins, il semble y avoir disjonction entre les principes esthétiques traditionnels et la production actuelle de la ville. Il faut toutefois prendre garde ici aux échelles d’observation, et ne pas opposer immédiatement le désordre de la mégapole Tôkyôïte à la relation d’un habitant avec son voisinage. Cependant, l’observation de “ la dégradation ” du paysage urbain d’une ville comme Kyôto (désignée comme belle par les nombreux touristes japonais qui la visitent encore ; désignée comme enlaidie par d’autres que l’observateur, et pas tous occidentaux : Adachi par exemple), dans des quartiers non centraux (kamigyoku), selon des processus qui sont analysés par ailleurs (cf. les travaux de N. Aveline par exemple), tend à accréditer soit l’abolition du système de l’esthétique traditionnel ou sa transformation (d’autres valeurs, telles que la modernité, la fascination pro-occidentale), soit son éviction au profit d’autres dimensions de la pratique (le profit économique, l’inaliénable liberté du propriétaire, ce qui est une manière d’exprimer d’autres valeurs aussi). Ces faits sont les plus massifs et les plus patents dans la production des lieux urbains, mais ils ne doivent pas masquer les pratiques quotidiennes (ou festives) plus modestes : la floraison des - 35 - - 36 - devants de maisons, l’arrosage de la chaussée, les décorations festives, mais aussi les aspects négatifs tels que les débordements ou halos, les manifestations d’indifférence au voisinage (machines à air conditionné orientées sur le passant, passerelles pour piétons aux carrefours, etc.) Quant à l’observation croisée, il n’est pas assuré que cette méthode soit mécaniquement fructueuse, sans y prendre garde. En effet, l’extériorité de l’observateur de la culture dont il observe les lieux, leurs agencements, les pratiques et leurs traces, pourrait en théorie lui faciliter une description plus objective, moins impliquée. Par contre, elle lui interdit de jouer le rôle d’un individu moyen de cette société dans la lecture réception de l’impression que produit ce lieu. Certes il peut enregistrer ce qu’il ressent, et en confronter la description à l’interprétation qu’aurait l’autre observateur en pareil cas. Mais la symétrie n’est pas assurée obligatoirement : la capacité descriptive et la connaissance de base de l’autre culture n’est pas identique de part et d’autre. Nous pensons qu’il faut pourtant poursuivre la tentative, mais ne pas tout faire reposer sur elle. Venons-en au choix d’un objet complexe : les “ lieux urbains ”, jugés positivement ou négativement a priori par certains informateurs (ou par l’observateur), de leurs pratiques et des traces de leur pratique. Si ce choix n’est pas à remettre en question, la tentative de désignation des lieux à observer, objectivée par des acteurs extérieurs, s’avère complexe. Elle peut conduire à des ambitions et à un programme démesurés. D’une part en outrepassant son objectif premier de simple désignation, pour recueillir également des éléments de justification de l’appréciation, lesquels désigneraient les registres personnels (biographique) ou consensuel comme univers de référence, les japonais étant hypothétiquement plus consensuels. En fait, il s’avère très difficile d’assurer une homogénéité dans le recueil de cette information, et il n’est pas sûr qu’elle puisse être traitée de manière symétrique et systématique. Ensuite, la quantité de lieux désignés proscrit la possibilité de les visiter, observer et décrire tous. Ne choisir que ceux qui présentent une certaine redondance, quand bien même ce serait possible, entraînerait ipso facto un biais, en ne retenant que des lieux plus célèbres, plus consensuels, voire touristiques. Il faut procéder à un choix raisonné et à un échantillonnage.

Enfin, concernant le choix d’un objet situé au-dehors de la production des acteurs spécialisés, objet dit artistique. Si ce choix n’est pas plus à remettre en question, il faut - 36 - - 37 - néanmoins préciser qu’on n’entend pas que les architectes, les daikus, et autres acteurs qui sont intervenus dans la production de l’urbain ne soient pas des acteurs spécialisés peu ou prou dans le domaine de l’esthétique. Mais que la multiplication, la succession, la superposition, le côtoiement de leurs interventions contribuant à la production dans le cas général (il est assez rare que la production d’un lieu urbain résulte d’une action d’ensemble maîtrisée et unifiée, du moins totalement et pour une durée longue), brouille les pistes, en composent un message d’ensemble complexe, anonyme, éventuellement contradictoire ou illisible. On est généralement plus dans la situation du palimpseste, des ajouts et remords, des biffures et suppressions, des archaïsmes jouxtant les expressions savantes, modernistes ou argotiques, pour prendre la métaphore d’une ville “ textuelle ”, puisque porteuse de messages. Et si tel n’est pas le cas, le degré d’unité, de désordre ou de diversité des messages mérite interrogation. Est-ce précisément les lieux “ coordonnés ”, d’une logique unifiée, unitaire, totale ou totalitaire, qui sont considérés comme les plus porteurs d’esthétique (la rue de Rivoli, les tronçons de Teramachi réaménagés, Shinbashi, etc.) ? En fait, ce jugement sur les lieux nous est apporté par : - la désignation par les informateurs - la désignation des indicateurs et guides touristiques (consensus à analyser : regard d’une culture sur l’autre, pré-désignation par le pays visité. Les japonais viennent tous filmer le marché au légumes de la rue Mouffetard, et les occidentaux sont sur-représentés parmi ceux qui fréquentent les marchés aux puces du japon) - la désignation que peuvent constituer les cartes postales mises sur le marché - la désignation opérée par l’administration en termes de sites ou périmètres protégés en France, de “ bikan chiku ” (sites à caractère historique, artistique, naturel ou pittoresque, définissant les “ zones de spéciale beauté ”), quartiers préservés pour leur valeur esthétique, en-dehors de la présence d’un monument historique remarquable.

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Terrains et methodes

Une des premières opérations de la recherche a été de conjoindre un questionnement des informateurs avec une procédure de désignation objectivante des lieux à observer. Ce point est décrit au chapitre suivant, sous le simple titre “ Douze lieux ”. Simultanément, nous avons opéré les observations et descriptions de lieux.

Les terrains

Les terrains prévus par le projet étaient situés à Paris et au Japon. Il faut évidemment entendre par là l’ensemble de l’agglomération parisienne et non la seule ville de Paris. De manière identique, les observations japonaises portent sur les villes de Kyôto, Tôkyô, et Yokohama. Les premières descriptions parisiennes ont été effectuées et rédigées avant que ne soient collectées les listes de lieux des informateurs. Nous n’en joindrons pas le texte ici, pour ne pas surcharger ce rapport. Elle ont porté sur : “ quatre points ” de la ville : -l’aéroport, -la Défense (détail), -un supermarché de bricolage (Leroy-Merlin), -l’opéra Bastille (hall) On a poursuivi par : - une observation dans les rues du quartier St médard, en particulier sur les inscriptions murales qui les ornaient, signées de l’artiste désormais connue Miss-tic. - une observation localisée de l’ensemble des publicités distribuées en un lieu de la ville, et renvoyant à d’autres lieux de celle-ci. Nous souhaitons poursuivre cette démarche en nous appuyant sur la collecte des listes de lieux effectuée depuis.

Deux missions au Japon ont été opérées. On y a tenu un important journal de terrain quotidien. Elles ont permis d’effectuer de nombreuses observations et descriptions, d’interroger les informateurs, de collecter les plans des rues et quartiers observés (trois rues systématiquement décrites à Kyôto, une rue et un quartier à Tôkyô), de collecter des archives photographiques. Les descriptions sont appuyées sur des enregistrements photographiques, des croquis effectués sur place.

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Cela dit, il nous reste un regret, c’est de n’avoir pu développer l’observation des pratiques les plus labiles et les plus simples sur les lieux observés, autant que nous l’aurions voulu, même si l’on a pu apprécier les notations effectuées de manière non systématique dans certaines des observations.

Enfin, nous aurions eu la possibilité d’effectuer une analyse “ secondaire ”, qui n’a rien de secondaire en réalité mais plutôt de caractère transversal, des cahiers de notes quotidiennes, abondantes, prises par l’un des observateurs de l’équipe durant ses missions au Japon dans les années passées, avant que ne soit formulé ce projet, c’est à dire d’une certaine manière indépendamment de lui. La recherche systématique des occurrences de qualificatifs d’ordre esthétique, ou de termes appartenant au domaine, a été très fructueuse, tellement que l’analyse aurait constitué une recherche nouvelle en elle-même, et a du être abandonnée.

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III. Douze lieux

Nous avons engagé une importante opération de collecte, sous ce nom de “ douze lieux ” : il s’agit de demander à un échantillon carré d’informateurs (français habitant en France, français habitant au Japon, japonais habitant au Japon, japonais habitant en France), de désigner 12 lieux de la ville qui leur plaisent, ainsi que 12 lieux qui leur déplaisent, et si possible d’indiquer en quelques mots les raisons de ce choix. Les français expatriés ou résidant au japon pour une durée conséquente, de l’ordre de l’année au moins, c’est à dire dépassant la découverte superficielle d’un bref séjour. La collecte initiale était prévue auprès de 12 personnes, mais nous avons largement dépassé ce nombre, puisque nous disposons de 50 réponses, les réponses françaises s’étant avérées fort nombreuses, les japonaises plus détaillées dans l’ensemble.

Paris Tôkyô Kyôto

Japonais 8 6 2 Français 29 2 3

Cette collecte prend donc plusieurs aspects : Le premier peut être entendu comme une procédure de désignation objectivante des lieux que les observateurs ont ensuite observé, décrit et analysé. La seconde est une collecte classique auprès des informateurs, à ceci près que le croisement des regards permet d’enrichir l’interprétation.

On ne peut se cacher le côtoiement de cette recherche avec une dérive situationniste, recherchant donc une cohérence entre la méthode et l’objet, au sens où l’on se refuserait à avaliser qu’il y ait les heures de loisirs, destinées à la balade dans les coins de la ville qui enchantent ou émeuvent, des plages de temps dévolues à l’enjolivement de la vie, et les heures de labeur, de transport, qui seraient nécessairement rébarbatives, contraintes, déplaisantes. Méthodologiquement, ce serait réfuter qu’il y ait les moments de jeu différents des moments de pensée, ce qui n’est pas sans rappeler les jeux intellectuels oulipiens, et le travail d’observation et de description éminemment fructueux, on pourrait dire - 40 - - 41 - exemplaire, d’un Perec. Nous serions donc tenté de les assembler dans une composition simultanément pensée et ludique, c’est-à-dire inventive. Au moins faire que le lecteur ne s’ennuie pas, et surtout qu’une part de la personne ne soit pas reniée par l’autre. C’était la recherche d’un art total des situationnistes, de celle de situations esthétiques. C’est plus encore une question de cohérence avec l’objet de notre recherche : parler d’esthétique ordinaire, c’est bien refuser d’avaliser pour les sujets observés une coupure radicale et institutionnalisée entre l’esthétique et le quotidien, le monde du travail ou celui de la maison. Alors, reproduire cette coupure au sein du travail de recherche serait un non-sens, proprement contradictoire. La démarche scientifique se doit d’être réflexive, et de s’appliquer en premier lieu les outils d’analyse qu’elle applique aux sociétés.

Le principe du “ jeu ” qui leur est proposé, pour ne pas prendre la forme pesante de l’interview, leur laisse le choix d’indiquer des lieux connus, nommés, célèbres, ou bien des lieux ordinaires, génériques, mal localisés. Les raisons pour lesquelles ils les choisissent différeront nécessairement pour chaque catégorie de personnes : les Japonais de souche auront plus de chance (éventuellement) de se référer à leur biographie personnelle, ce qui paraît impossible à un simple touriste.

Lorsque la demande a été faite par écrit plutôt que verbalement, elle a revêtu cette forme : “ Ma dernière lubie : Demander à 12 personnes de me désigner 12 lieux qu’ils aiment et 12 lieux qu’ils n’aiment pas, dans la ville de Paris (et/ou celle de Tôkyô), avec une indication du pourquoi de ce choix. Je dis exprès “ aimer ” ou pas (ou éviter, ou détester), pour laisser toute liberté. Et je dis “ lieu ” de manière vague aussi pour que ça puisse être très petit ou plus grand ; seulement, ce serait bien que je puisse localiser. Ce serait bien aussi de m’indiquer votre lieu de domicile et votre lieu principal de travail. Si ce n’est pas possible dans la ville de Paris que je connais mieux, c’est intéressant de parler d’une autre ville, même si je ne la connais pas, mais ce sera plus difficile pour moi. D’avance, un grand merci. ”

Il a fallu parfois apporter des précisions, qui furent : “ quand je parle de 12 “ lieux ”, ça peut être des lieux très petits, qui n’ont pas de nom, qui ne sont pas célèbres ou n’ont même pas de forme, mais que tu as apprécié un - 41 - - 42 - jour, que tu aimes revoir, pour une raison ou pour une autre. Et aussi les lieux que tu n’aimes pas, ou que tu évites, pour d’autres raisons. ”

Bien sûr, leurs réponses apporteront d’autres indications que la seule énumération des lieux. Certaines, assez détaillées, permettent de situer la racine du jugement plus dans l’expérience existentielle personnelle, plus dans la pré-catégorisation, ou la célébrité, plus dans l’élaboration d’une éthique ou d’une esthétique, etc.

En voici quelques exemples :

Français/Paris

M. C. 45 ans. A habité Paris longtemps, et à plusieurs reprises. Y revient fréquemment, même s’il habite actuellement en province.

J'AIME

1 - L'escalier du 29 de la rue des Gobelins Pour un souvenir unique : c'est mon anniversaire - je dois avoir cinq ou six ans - je monte cet escalier en compagnie de mes parents. Mon père tout en grimpant émet des bruits annonciateurs d'une formidable surprise. Lorsque la porte du très petit studio s'ouvre devant moi, je vois un grand paquet qui, une fois défait, laisse apparaître une magnifique voiture à pédale de couleur bleue. Mon "Rosebud" à moi.

2 - Un studio rue Daubenton Parce qu'il est petit, parce qu'il est chaud, parce qu'il est accueillant et pour l'intimité amoureuse que j'y ai vécu.

3 - Le Kinopanorama Aujourd'hui disparu, autrefois lorsque je me rendais à Paris, la première chose que je cherchais était de savoir quel film y était programmé. Pour moi, c'était un vrai cinéma : écran géant, films en 70mm et les gouttes de sueur sur la peau brune de Claudia Cardinale de la taille d'une assiette !

4 - La façade et l'intérieur de la boutique Roger-Viollet C'est ancien, presque désuet, ça sent l'ordre et la classification, c'est la mémoire en vitrine, les archives de la planète à portée de main. Ce ne sont pas des conservateurs qui s'en occupent mais des hommes d'affaires : on demande, on voit, on paie et on prend. On n'est pas obligé de dire d'où l'on vient et ce que l'on fait et c'est pour cela qu'on a, quand on y consulte, cette impression de facilité et de simplicité d'accès. On pense alors qu'on est un peu privilégié.

5 - La statue de Danton, boulevard Saint-Germain Parce que dans un rayon de 100 mètres autour d'elle on trouve au moins quatre cinémas, plusieurs bouquinistes et des cafés dont autrefois une brasserie, "la petite source", temple mythique de la frite.

6 - La station de métro Concorde J'aime beaucoup la juxtaposition de tous ces carrés blancs et bleus portant des lettres, formant des phrases à reconstituer avec - 42 - - 43 - effort, le cou tendu et que l'on finit par comprendre comme étant des éléments de "la déclaration des droits de l'homme". Mais la rame arrive toujours trop tôt ce qui fait qu'on en repart, ignorant du dessein des ayatollahs de la Terreur.

7 - La salle des Courbet au musée d'Orsay Elle est, comme tout ce musée, mal foutue. Ouverte, immense, est- ce vraiment une salle ? Un hall plutôt où d'immense toiles écrasent le visiteur. Et puis au fond, dans le coin, placé là comme si on en avait encore honte, le sublime "L'origine du monde".

8 - Les soubassements de la cour carrée du Louvre Là, génialement mis à jour et restitués au peuple, l'ancien donjon de Philippe-Auguste autour duquel on tourne en empruntant les anciennes douves. Un pur morceau d'histoire comme le tombeau de Clytemnestre à Mycènes.

9 - Le sous-sol de la librairie Gibert On y déambule au milieu de milliers de livres d'occasion, récents ou anciens, à très bon prix. Quelque chose d'introuvable en province. On peut y faire son marché et on y trouve toujours, forcément, l'un des livres que l'on cherche ou, plus sûrement encore, l'un des innombrables que l'on ne cherche pas.

10 - Les quais de la Seine Un cours d'eau c'est en général la colonne vertébrale d'une ville. Ce qui est beau ici, c'est l'ampleur du fleuve, sa couleur marron clair, la pierre des hauts murs qui le bordent et les longues marches qu'on peut y faire en le longeant.

11 - L'église Saint-Julien le Pauvre Au coeur du quartier latin, l'une de ces vestigiales branches de l'église chrétienne primitive y pratique le rite grec. On y assiste aussi à des concerts. Les vieilles voûtes, les arcades de la nef, le piano devant la mystérieuse iconostase composent alors un décor face auquel on se sent bien surtout accompagné de celle que l'on aime.

12 - Le parvis de la Défense et son arche La cohabitation du CNIT et de l'Arche a quelque chose d'époustouflant. L'espace est grand, bien dessiné, puissant dans sa perspective. Quand au "cube", quoi de plus simple et de plus parfaitement dessiné. Lorsque l'on est dessous on sent qu'il est l'une des dix merveilles du siècle.

JE N'AIME PAS

1 - La gare de Lyon Chaque fois qu'on va à Paris en sortant du train, c'est là qu'on retrouve la morosité du ciel de la capitale. Quand on essaie de s'en extraire, on ne sait jamais par où il faut passer et on essaie de se faufiler entre les taxis, les autocars et les voitures. Et puis, cette tour de l'horloge est vraiment affreuse comme tout l'environnement urbain de la gare.

2 - Les colonnes de Buren Les rayures de bagnards je trouve cela plutôt sinistre. C'est un motif trop systématique chez l'artiste et c'est comme si on avait commandé une sculpture géante à Viallat : il nous aurait du coup collé des spontex dans tous les sens. Quant à la fontaine, puisque - 43 - - 44 - cette grande sculpture en est une, on ne la voit pas, on ne la comprend pas, elle n'apporte aucun de ces charmes ou fonctions que l'on attend en général d'une fontaine.

3 - La sortie du métro au coeur du forum des halles Il y en a plusieurs mais celle de la station qui donne dans le forum fait partie pour moi des lieux à éviter. L'ambiance melting-pot criminogène est évidente. Sans avoir peur on est inquiet et chacune des petites scènes auxquelles on peut être conduit à assister ne fait que renforcer ce sentiment. Ce qui en ressort : l'idée que rôde ici la lie "malfaisante" de la société urbaine parisienne.

4 - Le ministère des finances à Bercy L'architecture est quelconque sinon laide. Mais le pire n'est pas là. Le pire est dans le symbole : tout cet argent du peuple dépensé pour nourrir et engraisser ce qui demeure l’état dans l’état. La toute puissance inquisitoriale du fisc et des ses agents aux traques à géométrie et justice variables. C'est le temple de la compromission, celui du "réalisme économique" de notre socio-merdocratie, là où de petits argentiers médiocres voient naître leur rêve de devenir un jour "grands de ce monde".

5 - L'intérieur du musée d'Orsay (parce que j'aime l'extérieur) Ou comment donner plus d'importance à la sacro-sainte "scénographie muséale" qu'aux oeuvre destinées à y être exposées. C'est une italienne me semble-t-il qui a composé de manière aussi calamiteuse cet espace. Tout cet amoncellement de pierre et de marbre édifiant de hauts murs et des tours dans des rythmes assommants et ôtant toute clarté, toute ampleur à la grande nef ferroviaire : c'est affligeant !

6 - Le boulevard périphérique Le nec plus ultra de l'horreur parisienne. Cette autoroute circulaire, à moitié enterrée et donc à moitié aveugle, donne quand même à voir la laideur d'une cité moderne et sur-urbanisée. Sans doute est-ce commode mais on peut y passer des heures coincé pare- chocs contre pare-chocs. Pour un provincial c'est insupportable.

7 - La queue aux expositions du Grand Palais Paris ou l'art de faire la queue. Toute cette masse qui se presse pour voir la dernière grande machine produite par les élites culturelles de la nation, c'est aussi odieux que les caisses saturées d'un hypermarché, car au fond leur seule raison d'être c'est bien celle de permettre la consommation... à outrance bien sûr. Dieu que l'on a l'air con quand on est au milieu !

8 - Le musée Grévin J'ai toujours trouvé que les musées de cire très cons et peu intéressants. Celui-là remporte la palme puisqu’il se fait un point d'honneur à statufier sans cesse ce qu'il y a de plus vil dans nos sociétés, je veux parler des célébrités. Je me suis toujours demandé : que deviennent les personnages quand ils sont passés de mode ? Enfin, ça amuse les enfants alors des fois il faut bien y aller...

9 - La place de la tour Montparnasse Cet exploit architectural des années 1970 n'offre rien d'intéressant. Au pied tout est mal foutu. Bref c'est très vilain.

10 - Un petit square parisien (n'importe lequel) C'est l'expression même de la nature contrainte et forcée. Tout y - 44 - - 45 - est trop propre, nécessairement. L’îlot dans lequel l'urbain s'en va retrouver un peu d'humanité. Il inspire les créateurs pour les rencontres qui souvent s'y produisent mais il symbolise plutôt la misère de la vie en ville. C'est toujours étriqué et triste. Cela me rappelle un peu, une toute petite période de mon enfance.

11 - La rue Mouffetard On ne sait jamais si on est dans du vrai ou du factice qui a force de faire dans le style "parigot" finit par se prendre pour du vrai. Au bas de la rue, les étalages des marchands sont beaux comme au cinéma et je n'arrive pas à les croire : j'y vois toute la rouerie du petit commerce. Là, j'ai toujours l'impression que Gene Kelly va sauter, coiffé d'un béret, de l'une des fenêtres de la rue, et nous faire quelques entrechats sur l'air de "Un américain à Paris". Heureusement elle me fait aussi rire, sans doute à cause de ce côté praticable et peut-être aussi à cause de son nom.

12 - Le lycée Louis Le Grand Sans doute à cause des élites et de la fausse aristocratie qu'on y fabrique.

Japonais / Paris

Madame E., 66 ans, retraitée, vit en France depuis 39 ans. Elle a résidé longtemps dans le XVe et habite actuellement dans le XIIIe, la rue Campo Formio.

Les lieux que j’aime : 1. La Place des Vosges C’est un endroit très familier pour moi. Je l’aime beaucoup. J’y sens le poids de l’histoire de la France. Malgré son apparence aristocratique, c’est un lieu assez „populaire‰. (Madame Endô a employé le terme „shomin-teki‰, qui veut dire „ être proche du milieu non-privilégié‰.)

2. Le Jardin de Luxembourg Ce que j’apprécie de ce jardin est d’abord son grandiose. Et je trouve fantastique le fait que s’y trouvent des gens de toutes les générations, depuis les tout petits bébés jusqu’aux personnes âgées de 80 ou 90 ans et que ces personnes s’y amusent dans un même espace en faisant complètement de différentes choses. Je remarque, de plus, que ce phénomène n’a pas du tout changé depuis 40 ans, c’est-à-dire, depuis que je suis en France.

3. Le Jardin des Plantes A mon avis, ce jardin n’est pas fait pour que les gens s’y promènent, mais plutôt pour qu’ils puissent passer leur temps, assis sur un banc, à contempler les fleurs et les arbres. Je trouve que dans ce parc, chacun est indépendant, dans le sens où on peut y rester sans croiser le regard des autres, ni penser à eux. Sur ce point, ce jardin contraste avec celui de Luxembourg.

4. Le Musée du Louvre C’est un peu banal, mais c’est un lieu où on peut vraiment sentir combien la France a été un pays imposant dans l’histoire et comment les Français ont été de grands envahisseurs. On y sent aussi combien ce peuple attache de l’importance à la culture et à la civilisation. - 45 - - 46 -

J’apprécie également l’architecture des bâtiments. Je les trouve beaux. En ce qui concerne la pyramide, je me demandais pendant sa construction si elle pourrait aller. J’en doutais franchement. Or, le résultat est excellent. Ils ont parfaitement réussi à y créer une harmonie exquise entre la beauté antique et celle du moderne.

5. Le Musée de la Mode (Avenue Marceau, 75016) C’est surtout son jardin qui me plaît. Il est tout petit et calme. J’aime bien y entrer, en passant à côté un peu par hasard, d’une manière imprévue. Cela m’arrive de temps en temps quand je me balade par là toute seule ou quand je me promène avec une copine. Occasionnellement, je vais aussi à l’exposition du musée. Je la trouve intéressante surtout quand il s’agit de l’expo du tissu. Par exemple, j’ai trouvé excellente l’expo de coton qui y avait lieu il y a quelques mois. (Après, Madame Endo a ajouté : „C’est probablement parce que je suis petite, j’aime bien le lieu qui est petit et bien arrangé.‰)

6. Le Musée Jacquemart André (Bd Haussmann, 75008) Dans ce musée, on peut souvent voir l’expo de mobilier. J’y vais fréquemment puisque je m’intéresse beaucoup aux meubles. J’y amène aussi mes amis qui sont venus du Japon, pour leur présenter un lieu qui n’est pas touristique.

7. La Place du Trocadéro + la Tour Eiffel (75016) D’abord, j’apprécie le Palais de Chaillot, son architecture datant du début du XXe siècle. Et j’aime beaucoup regarder d’ici la tour Eiffel. Sa beauté est ineffable. Elle est belle comme de la dentelle. Avant, quand j’habitais dans le XVe arrondissement, cette tour était pour moi un repère. J’ai senti que je m’approchais de chez moi, en la voyant. C’est pourquoi, j’ai un sentiment familier pour cet édifice. Maintenant puisque j’habite dans le XIIIe, je n’ai plus ce plaisir. Dommage!

8. L’avenue Daumesnil (75012) Cette avenue était très sale autrefois, mais grâce au renouvellement, elle est devenue fort jolie et charmante. J’aime regarder les ateliers et les boutiques d’artisans situés sous les arcades. Je trouve que chaque atelier cherche à approprier son style unique, ce que j’apprécie beaucoup.

9. La rue Mouffetard (75005) Il est amusant de marcher dans cette rue, car j’ai l’impression de me trouver dans une rue commerciale d’une province française. Je suis un peu étonnée d’y voir aujourd’hui beaucoup de touristes, mais cela ne me gêne pas. Dans cette rue, j’ai ma fromagerie préférée et ma boulangerie préférée.

10. L’Allée des Cygnes (entre 75015 et 75016) Il s’agit d’une petite île qui est sur la Seine. Elle est très bien pour une promenade. Quand j’habitais dans le XVème, j’y allais fréquemment pour me promener ou faire du jogging le matin. Il n’y a pas grand-chose, sauf un chemin que j’aime pour sa simplicité. Aujourd’hui, cette allée est de plus en plus occupée par des SDF, ce qui me déçoit un peu. Par ailleurs, je trouve très laids les buildings de Grenelle qui se trouvent à côté, mais j’essaie toujours de me promener sans les regarder.

11. Le quartier St Antoine - St Paul (75004) J’aime me balader dans ce coin, parce qu’on y trouve beaucoup - 46 - - 47 - de magasins de mobilier, et qu’il y a aussi, dans des rues un peu reculées, des ateliers de meubles où les artisans font un travail extrêmement raffiné. Autrefois, on pouvait entrer facilement dans ces ateliers et regarder leur travail. Aujourd’hui, ils ont mis des digi- codes partout et on n’a plus d’accès. Je trouve cela dommage. J’aime également l’église St Paul. Si je ne me trompe pas, Mozart y avait joué. Non loin de là, il y a un appartement où avait logé ce compositeur. Je trouve amusant de marcher dans Paris en cherchant des inscriptions gravées aux murs et suivre des traces historiques.

12. Barbès (75010,75018) Lorsque je vais à la rue St Pierre pour acheter des tissus, j’aime bien continuer le chemin vers le Bd de Magenta pour flâner dans le quartier africain et dans le quartier indien. C’est amusant de découvrir le mode de vie des gens qui sont nés dans une culture complètement différente de la mienne. Pour la même raison, j’aime aussi aller au quartier Passy du XVIème arrondissement pour découvrir le style de vie des grands bourgeois français.

Les lieux que je n’aime pas :

1. Le Centre Georges Pompidou (75004) Le bâtiment lui-même est assez intéressant. J’apprécie aussi les oeuvres d’art contemporain exposées à l’intérieur. Mais ce que je n’aime pas de ce centre, c’est qu’il est en travaux en permanence. Cela me donne l’impression qu’il est abîmé partout. Je n’aime pas non plus l’atmosphère d’alentour : artistes de rues, autocars stationnés, etc. En ce qui concerne ses visiteurs, on dirait que ce ne sont pas des individus, mais une masse qui marche sans avoir un but précis. Dans d’autres lieux monumentaux, je trouve que les gens y viennent, chacun, avec un but précis, qu’il soit artistique, culturel, ou autres. Je ne trouve pas cela chez les visiteurs de Pompidou. C’est comme si on a transporté à ce lieu la foule qui était sur l’avenue des Champs- Elysées. A côté de ce centre, il y a une fontaine avec des sculptures drôles (une grosse bouche rouge, etc.). J’apprécie l’originalité de ces sculpture et j’admire surtout cette ouverture de la culture française qui accepte ainsi les oeuvres d’art moderne sans précédent et audacieuses. Mais malheureusement, l’atmosphère qui les entourent n’est pas à la hauteur, ce qui fait diminuer la valeur esthétique de ces sculptures.

2. Le Musée Grévin (75009) Il peut être amusant pour certains, mais à mon avis, ce n’est pas un lieu où on a envie de retourner. C’est peut-être parce que je ne m’intéresse pas à la célébrité.

3. La Bibliothèque François Mittérand (75013) J’apprécie son intérieur, au niveau du système et des livres fournis. Mais en ce qui concerne son architecture, je ne trouve aucun goût à son allure qui est banalement droite avec des dalles. Quand il y a du vent il fait très froid, quand il y a du soleil, il fait très chaud. Je n’aime pas non plus l’espace environnant les bâtiments. L’idée de reproduire la forme des livres était peut-être intéressante, mais il aurait fallu suffisamment de „support‰ aux alentours pour pouvoir soutenir une telle idée. A mon avis, quand on fait un édifice révolutionnaire comme celui-ci, il faut avoir beaucoup de verdure autour qui puissent adoucir l’esprit des gens. - 47 - - 48 -

4. L’Opéra Bastille (75011) Cette opéra a bien sûr quelques avantages. Son effet acoustique est remarquable. Il n’y a pas de grande différence de prix entre les places. De plus, contrairement à l’Opéra Garnier, la scène est bien visible de partout. De ces points de vue, c’est une opéra très „démocratique‰, ce que j’apprécie. En revanche, son allure est vraiment décevante. On peut trouver n’importe où ce type de bâtiment, où que ce soit au Japon, aux USA, en Allemagne. Il me semble que les architectes français de nos jours n’arrivent pas encore à approprier leur nouveau style. Je me souviens que quand la Maison de Radio-France a été construite il y a 40 ans, je l’ai bien appréciée pour son style original. Je ne trouve pas cela dans les bâtiments modernes d’aujourd’hui.

5. La Défense (92) + Grenelle (75015) A la Défense, il fait froid quand le vent souffle et il fait un froid de canard quand il neige. En marchant dans ce quartier, j’ai l’impression de devenir une partie de machine. De plus, c’est une machine cassée. J’ai le même sentiment en me trouvant dans le quartier Grenelle avec des buildings. Ce qui est pourtant intéressant, c’est qu’il y a des Japonais qui rêvent d’habiter dans un de ces buildings. En général, ce sont des gens qui viennent d’arriver du Japon et qui attachent d’une extrême importance à la propreté et à l’hygiène. Ce n’est pas mon cas. Je préfère vivre dans un immeuble ancien qui est de „couleur de terre‰.(Selon Madame Endo, les immeubles parisiens non-modernes sont de couleur de terre et exalte l’odeur humaine.)

6. La Porte Maillot (75017) Je ne l’aime pas pour la même raison.

7. Le quartier de la Place d’Italie (75013) C’est le quartier où j’habite. En fait, si on entre dans des rues reculées et cachées, on peut trouver des coins intéressants. Surtout du côté de la Manufacture de Gobelins, il reste des bâtiments qui gardent des traces historiques. Mais à part cela, c’est un quartier qui néglige complètement la culture et la civilisation française. Je me demande parfois pourquoi j’habite ici. Il n’y a ni mode, ni culture, ni art. La Mairie de XIIIème fait quand-même des efforts pour rendre intéressant le quartier. Par exemple, elle organise une fois par an la journée de porte ouverte aux ateliers des artistes du quartier. Ce jour, nous pouvons entrer librement dans leur atelier et même dans leur demeure chez certains artistes. Tout cela est à apprécier. Mais malheureusement, ce qui est représentatif dans ce quartier, c’est l’ensemble des bâtiments modernes situés autour de la Place, dont le Centre Commercial de Galaxie. Je les trouve vraiment laids.

Bien sûr, tous ne sont pas aussi détaillés.

La démarche réflexive

Comme nous venons de l’indiquer, la réflexivité s’impose dans notre démarche, afin d’éviter les dérivations intempestives de la subjectivité des

- 48 - - 49 - observateurs. Pour ce faire, nous les avons soumis en priorité à la même question. Ainsi que certains informateurs nous l’avaient d’ors et déjà signalé, la réponse à ce “ jeu-question ” s’avère plus délicate qu’il n’y paraît dès lors qu’on le prend au sérieux. Elle prend donc des formes différentes parfois.

Voici par exemple celle de l’un d’entre nous :

“ “ Y a-t-il 12 lieux que j'aime ou que je n'aime pas dans la ville de Kyôto, où j’habite, c'est une question difficile. Même a Kyôto, réputée la plus belle ville du Japon, il n'y a pas beaucoup de quartiers intéressants dans le centre de la ville. Dans les quartiers plus urbains et plus centraux, les paysages sont déjà dévastés par la construction désordonnée de hauts immeubles et de bâtiments très laids. C'est la même chose a Tôkyô, en plus catastrophique. A Tôkyô, même la banlieue a déjà disparu. Il y a plus de lieux attractifs dans la banlieue de Kyôto, car beaucoup témoignent de scènes historiques. Ce n'est pas toujours une évocation matérielle, mais plutôt émotionnelle, un souvenir, une réminiscence. Mais il y a cependant un rapport étroit entre le charme du paysage et l’évocation de la légende, qui le baigne de sa propre atmosphère. Ainsi j'aime beaucoup la banlieue ouest de la ville, le quartier de Sagano, près d’Arashiyama (qui est trop populaire et devenu banal aujourd'hui). Plusieurs endroits sont présents dans la littérature classique (les contes de Yukionna –la femme de neige-, ou de Miminashihôichi –Hôichi qui n’avait pas d’oreilles-), et l'ensemble du quartier nous produit des impressions agréables. C’est le cas du cimetière Adashinonenbutsuji, où étaient enterrés les multitudes d’enfants avortés. Chacun est représenté par une statue de Jizôsama. La partie ouest de la ville, comprises entre Arashiyama et le centre, a été longtemps humide et marécageuse (le quartier Uzumasa était habité par les seuls coréens autrefois), aussi les gens la fuyaient-elle et la ville s’est-elle déplacée vers l’Est. Peut-être Sagano est-il ainsi demeuré longtemps à l’écart de la ville, et plus longtemps préservé. Ce printemps, je suis allé à Okitayama, un village dans les collines au nord-est de la ville, autour desquelles on cultive les sugis très hauts et rectilignes avec lesquels on construit les tokobashiras. Je ne savais pas que s’y trouvait un jardin des cerisiers : il y avait beaucoup de monde, et le droit d’entrée était très cher (1500¥ par personne). Actuellement, je vais aussi souvent me promener le long de la rivière Kamogawa, presque quotidiennement (parce que c’est proche de chez moi), et j’en remonte la rive depuis Kuramaguchi jusqu’au second pont, celui de Kitayama. [C’est sur cette portion que la ville a fait planter des cerisiers, et ceux-ci composent un vrai tunnel de neige au moment de la floraison. C’est un spectacle d’une grande beauté, éphémère, et le vent qui emporte les pétales forme des tourbillons légers qui rappellent la neige heureusement passée] A la tête du pont de Kuramaguchi se trouve un cerisier plus ancien, et bien plus gros, que je m’étais attaché à visiter et à prendre en photo chaque année. Mais cette année, j’en ai perdu le goût. On pourrait croire que j’aime ce chemin comme j’aimerais ma rue (Kuramaguchi dôri) et mon quartier. Mais c’est faux. Je ne les aime pas et ne les ai pas choisis. J’habitais Sapporo à l’époque, et ne pouvais le quitter tant il y avait d’occupation. Pourtant, il me fallait trouver un nouveau logement ici, à Kyôto. C’est la femme de mon - 49 - - 50 - professeur (décédé l’an dernier) qui, se promenant dans cette rue, a vu cet immeuble en construction. Questionnant le daiku (le maître charpentier), elle sut qu’il allait rapidement être mis en location, et m’en avertit. Mais je ne pouvais décider au loin, et c’était le 26 décembre 1994, le dernier jour ouvrable de l’année, dans une période très occupée. J’ai dû demander à mon fils aîné de faire le voyage pour aller voir. J’habite donc cet immeuble depuis 5 ans, mais je n’apprécie pas le quartier, je ne connais pas les voisins de l’immeuble. Tout cela ne m’intéresse pas. Il y avait eu l’auteur d’un grand dictionnaire très célèbre au Japon qui habitait ce quartier, mais il est décédé, ainsi que son fils, récemment. J’aurais pu habiter dans le quartier où réside l’une de mes sœurs, mais je n’apprécie guère son mari. Le seul avantage : je suis près d’une station de métro, en ligne directe de la gare centrale, très commodément pour aller prendre mon train hebdomadaire. Ce n’est pas un quartier que je fréquentais quand j’étais étudiant, juste après la guerre. Originaire de la préfecture, mais côté mer du Japon (ura-nihon, le japon de l’arrière), j’ai passé 6 ans à l’université de Kyôto, de 51 à 57, et j’ai déménagé 4 fois, d’une chambre chez l’habitant à l’autre. - La première, où je suis resté 2 ans, se trouvait un peu à l’ouest de Higashioji, au-dessus du chion-ji, près de Hyakumanben. - La seconde était au bord du canal Sosui-bunryu, près de la préfecture de Kyoto. Je n’y suis resté que 6 mois. - La troisième, pour 4 ou 5 mois à peine, était près de la première, et du Chionji. - la quatrième, pour une durée équivalente, était près de l’hôpital de Kyodai. - La cinquième enfin, où je suis demeuré 2 ans, était de nouveau plus au nord, mais un peu moins, au milieu du quartier Shimogamo, au N-O du sanctuaire. [il faut remarquer qu’elles se trouvent toutes dans un périmètre restreint, autour du confluent de la Kamogawa et de la Takano, près de l’université naturellement]. Revenant habiter Kyoto presque 40 ans après, j’ai voulu retrouver ère ces maisons, comme un petit pèlerinage. La 1 avait disparu, la seconde était encore en place, avec un extérieur presque intact. J’ai demandé à la visiter, mais le maître de maison, âgé et malade, était e au lit. Je n’ai pas pu retrouver la 3 au sein des petites rues toutes si e semblables du quartier. La 4 existe encore, avec la même façade. Peut-être l’intérieur a-t-il été modernisé. La dernière semble pareille qu’à l’origine, mais je n’ai pas pu en visiter l’intérieur non plus : n’y habitait qu’une vieille femme seule, un peu apeurée. C’étaient toutes des maisons en bois, machiyas plus ou moins grandes, typiques de l’atmosphère urbaine de Kyôto. Trois d’entre elles au moins sont conservées dans leur apparence : je pense que c’est à peu près ce qu’il reste du tissu urbain ancien de la ville, du moins de plus de 40 ans, 60% en gros. [Y a-t-il des statistiques municipales sur l’âge des maisons de Kyôto ? Peut-être reconstruit-on plus souvent les petites maisons, de moins bonne qualité, que les grandes machiyas, de meilleure qualité, dont on ne rénove que l’intérieur ?] Il y avait un restaurant, dans le centre ville, près de Keian-sanjo, que je fréquentais. Mais ce n’étais pas que j’aime ce quartier. C’est seulement que ce restaurant était moins cher, pour une qualité convenable. Tout ce quartier des avenues commerçantes centrales, Kawaramachi dôri par exemple, objectivement : ce n’est pas beau. Et - 50 - - 51 - pourtant, les habitants de Kyôto en sont “ fiers ”. Les visiteurs et touristes des autres villes sont admiratifs, non pas de la ville elle- même, mais de l’atmosphère (funiki). [une atmosphère de kermesse, de joyeux commerce, de fête presque, de produits de qualité et de grande renommée, de distinction parce que les Kyôtoites se croient encore la capitale qu’ils ont été pendant 1000 ans, et se prennent pour des aristocrates]. Les habitants de Kyoto entretiennent un complexe de supériorité par rapport à ceux d’Osaka, par exemple, la ville marchande, côtière, celle des pêcheurs. Il y a aussi quelques lieu que j’aime, en-dehors de Kyôto. Par exemple Setonaikai, la mer intérieure du japon [pourquoi ?]. Ou bien Asuka, une très petite ville au sud de Nara, près d’Imai-cho. C’est aujourd’hui essentiellement un paysage de rizières. Il faut faire un effort d’imagination pour retrouver l’épopée de l’ancienne capitale, celle où s’est formé le Japon, en 645. On y fait des fouilles actuellement. Maintenant, je ne peux pas énumérer 12 lieux. Je réfléchirai. ”

Observation croisée

Jeudi 12 juillet 2001 : “ Visite à Sagano, en prenant le petit autorail qui part de la gare voisine de Kitano, et arrive à Arashiyama. Recherche à pied du Adashinonenbustuji, pas très facile à trouver : il n’est indiqué que pour les japonais. Il n’y a pratiquement personne, en semaine, mais on sent qu’il peut y avoir beaucoup de promeneurs parfois, ou le dimanche, dans cette zone : nombreuses boutiques et restaurants. (…) Photos d’une belle porte d’entrée de propriété, avec auvent de chaume. On commence à monter un peu au pied de la colline, déjà dans le calme et un peu de fraîcheur des forêts proches, pour atteindre le temple Adashinonenbustuji . Un escalier à gravir, un guichet derrière le portail, évidemment (500¥ par personne, notice en anglais). Les allées sont trop bien tracées et bornées, indiquant la fréquentation populaire trop abondante, mais passent entre des parterres de mousse où poussent de frêles momijis, encore verts à cette époque, qui donnent un peu d’ombre claire et de fraîcheur sous leurs feuilles fines. Même en été, et peut-être grâce à l’orage de la dernière nuit, le vert acide des mousses naines se mêle à des nuances de brûlé, de vert plus profonds, dans les plaques de mousses étoilées (sugikoke). Quelques petits bouddhas de pierre mal dégrossies parsèment la pelouse : certains portent des bavoirs de tissu rouge, la couleur de la naissance (akachan, sekihan), nous montrant bien leur signification de Jizô bosatsu, ce dieu populaire des enfants, plein de bonté, de charité et de compassion, dont les effigies bordent les chemins et les carrefours du pays. Le rouge des bavoirs a brûlé au soleil, a passé, virant à l’argenté du satin. On contourne une sorte de gros monument de pierre cylindrique, surmonté d’une coupole de pierre à l’étage supérieur, qui a la puissance d’un cénotaphe, sa brutalité de forme parfaite et close qui se refuse au siècle actuel. L’escalier qui monte en contournant la paroi est interdit. Peut-être serait-ce le crématoire ? la partie centrale de l’Adashinonenbustuji : un enclos, entouré d’un muret bas ponctué de petits stupas (superpositions du cube, de la sphère, du croissant, de la pyramide et du corps piriforme, symbolisant les cinq grands éléments, qui forment la décoration des plus beaux monuments funéraires); au milieu de cette enceinte ont été regroupées, bien alignées, des centaines ou milliers de petites pierres de tombes anciennes, parfois toutes petites, à peine formées et - 51 - - 52 - sculptées, déjà très attaquées par le temps et patinées, qui font comme un moutonnement ou comme les alignements de Carnac en miniature, selon l’angle du regard. Ce serait donc des tombes pour enfant avortés. Mais alors que j’en avais vues de récentes, où chacun était symbolisé par une petite statue de Kannon grise, identique, devant la grande statue de la déesse, celle-ci ont avec elle l’individualité, et l’empreinte du temps. L’esprit ne peut rester indifférent aux évocations, à tout ce que dit ce spectacle : les vies même pas accomplies, même pas commencées, pour cause de pression sociale, de carcan des castes. Des vies même plus, et peut-être jamais nommées, qui n’on même pas eu droit à l’inscription d’un nom de défunt sur leur pierre tombale. Pas eu droit non plus à ces plaquettes de bois (ihai) qu’on dresse à leur chevet chaque année. Et pourtant, une mère compatissante, douloureuse, rongée de remords et de regrets, aura fait dresser un maigre monument pour la mémoire d’une inexistence, pour tout l’amour qu’elles n’ont pu donner. Ces pierres presque informes, à peine oblongues et dessinées, se chargent des sentiments dont on les a investies, voici longtemps, et qui nous paraissent y demeurer présents, incrustés, resurgir maintenant, tant est évident ce dont elles nous parlent, et que nous croyons comprendre. Ces êtres de pierre se délitent maintenant, rouillent et se pulvérisent, partent en sable et en reflets, comme la mémoire de ceux qui ont existé, mukashi mukashi, il y a bien longtemps. Au centre du cimetière, une pagode de granit aux nombreux étages s’élance vers le ciel, emportant les prières. Sur un grand côté de l’enclos, et y offrant le passage, un clocher montre sa grosse masse de bronze sombre, aux flancs tombant droit à la manière japonaise, avec son bélier prêt à sonner. Par l’imagination des résonances graves qu’il donnerait, faisant taire tout alentour, nous enfermant et nous emportant dans ses vibrations qui prennent au ventre, le silence est plus aride encore.

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Observateur Français / lieux japonais :

“ je n’ai aucun mal à énumérer 12 lieux que j’apprécie, je ressens pourtant en sourdine plusieurs difficultés que je ne m’avouais pas jusqu’à présent, et que peut-être certains de mes cobayes auraient voulu m’exprimer eux aussi. D’abord une certaine difficulté à choisir si j’aime ou non tel lieu. Et je l’aime pourquoi ? pour une raison et une seule, ou pour tout un entrelacs de causes que je ne distingue même pas ? Ensuite : avec quelle intensité ? Assez pour le dire et l’affirmer, pour le choisir au rang des lieux préférés, en quelque sorte, puisque leur nombre est limité ? N’y a-t-il pas plutôt quantités de rues qui, au moins, ne me sont pas désagréables, que je ne dédaigne pas de parcourir, qui ne démentent pas ce que j’attend plus ou moins confusément de cette ville, de ce quartier, qui au moins ne me font pas fuir, et qui, dans leur absence de pittoresque affirmé ou remarquable, recèlent certainement des multitudes de charmes auxquels s’accrochera mon attention un jour, pour peu que je lui accorde le temps. Et quelle limite donner à ce lieu pour l’identifier ? Comment le nommer ? Sont-ce des lieux ponctuels et identifiables, des parcours, des zones que j’apprécie ? Je les apprécie, ou les ai apprécié, ou les apprécierai un jour, à telle saison, à telle heure que j’attend. je vais détester les artères commerçantes à l’heure de la cohue consommatoire, et adorerai leur désenchantement lorsque, rideaux baissés, dans la lumière blafarde d’une nuit avancée, elles offrent de vastes étendues désolées, inutiles, déniant avec ironie la fonctionnalité, l’utilitarisme des publicités criardes, des mobiliers urbains canalisant le consommateur. Je les apprécierai dans telle ambiance, et dans telle humeur qui sera la mienne, rêveuse et flâneuse ou préoccupée et affairée. J’aime être rassuré et j’aime la surprise, j’aime retrouver mes marques après une longue absence, et j’aime l’intensité du moment de la première découverte, tous sens aux aguets, j’aime la banalité d’un parcours quotidien mille fois emprunté et qui me dispense d’une attention soutenue, et j’aime un jour ou l’autre m’arrêter, comme par surprise, devant un bout de mur quelconque devant lequel j’étais passé cent fois sans y prêter attention, parce que ce jour là j’ai l’humeur observante, questionnante, curieuse, en résonance avec “ ce que me dit ce bout de mur ”. A Kamigyoku, je suis ainsi passé quotidiennement pendant des semaines devant des façades de maison sans rien percevoir qu’une ambiance agréable, sans rien faire que retrouver mes marques et mon chemin (ce qui n’est pas peu), jusqu’au jour où j’ai perçu tel détail de l’articulation de la maison et de la rue, du domaine privé et du domaine quasi-public, puis plus tard un autre, et chaque fois ce détail se retrouvait multiplié à des centaines d’exemplaires devant autant de maisons, me faisant douter de mes capacités d’observateur, me posant la question de l’aveuglement. Peut-être même aimé-je qu’un lieu ne soit pas tout beau ou tout laid, tout beau au point qu’il soit incontestable, incontournable, labellisé et désigné à l’admiration populaire universelle obligée. Je veux avoir le loisir de choisir ma beauté des lieux et mes lieux de beauté, et même de les révoquer s’il le faut. Dites-moi que la rue de Rivoli est un chef d’œuvre incontestable et elle me sortira par les yeux, au moins le temps que je l’oublie, que je la fuie, que son image s’estompe, imprécise, un qu’un hasard me la fasse redécouvrir un jour, un petit matin plutôt, sans témoins, sans parade, sans obligations. Ni tout laid pour la même raison : on a fait de la tôle ondulée et rouillée la marque du bidonville, de la dégradation, de la pauvreté, de l’avilissement, de la laideur en un mot, révélant ainsi - 53 - - 54 - notre incapacité à en percevoir la plastique, et même souvent la fonction préservatrice, de sauvegarde de bâtiments que la pauvreté respecte, et que la fortune détruit, dénature, chamboule. Aimerai-je le cake s’il n’avait que ses fruits confits ? sa pâte qu’ils ont parfumée, qui contraste par sa chair plus rustique, plus grumeleuse, qui se fait plus sucrée et plus intense à leur approche parfois, n’est-elle pas l’essentiel du gâteau, et eux de simples agréments, de simples ponctuations, et qui plus est contaminés dans la cuisson par leur gangue, leur écrin. Ainsi je dévore la ville des yeux, de tous les sens gourmands, à grandes enjambées, quitte à m’inventer des parcours qui contourneront exprès des pépites trop tentantes, pour un jour de gourmandise m’y jeter directement, en connaissance de cause. C’est aussi que, parfois, ce n’est qu’un détail au sein d’un lieu connu (ou non) et dénommé, qui m’a attiré : un cercle de pierres au sol d’un temple, aperçu du bus à travers sa porte ouverte, ou bien d’autres cercles de grosses pierres autour du pied de grands arbres, dans le parc du palais impérial, selon une logique totalement indépendante du tracé rectiligne des allées. Des détails, qui me parlent personnellement, sur le moment, qui vont me fasciner en fonction d’une question lancinante qui me travaille l’esprit à ce moment. On serait là plutôt à l’intérieur d’un lieu, comme on peut- être aussi à l’extérieur, dans un halo un peu flou et indéfini. Enfin, comme il peut en être du lieu, il en est aussi des trajets et parcours : pour me rendre chez telle amie bloquée chez elle par une jambe plâtrée, j’ai pris un malin plaisir d’aller chaque fois par un chemin nouveau, m’y perdant, m’y retrouvant, découvrant, dessinant un écheveau de chemins tremblants, absolument pas fonctionnels ni rentables (ni le plus court chemin, ni la diagonale courbe de Mordicus d’Athènes), attachés ensemble à leur deux extrémités.

Mes 12 Lieux à Kyôto— J’avais tenté également de constituer ma propre liste de 12 lieux, avant de la demander aux autres. Mais il m’est apparu bien vite que j’aurai du mal à me limiter à 12 lieux, d’une part, et d’autre part qu’il était difficile de savoir si j’aimais particulièrement ces lieux, s’ils avaient un charme singulier. Je pourrais tout aussi bien les détester quelquefois, mais je ne les fuis pas, comme je fuis kawaramachi / shijo. - la confluence de la Kamogawa, cet espace large et ouvert, qui respire, où l’on aperçoit les “ montagnes ”, le cours un peu sauvageon de ces rivières très canalisées, et la pointe où les jeunes viennent faire la fête, se retrouver, juste avant le shimogamo ; avec ces passages piétons à gué que je trouve intelligents, même si aux tortues de béton j’aurais préféré de gros blocs de pierre qu’aurait choisi un jardinier. - le carrefour Hyakumanben ; à cause de son nom un peu fou, aussi parce que j’y suis très habitué maintenant, qu’on s’y donne rendez-vous facilement devant la banque ou la poste, que j’ai habité pas loin plusieurs fois, qu’il y a l’institut et l’université tout près, le café aux grandes tables de bois, une ambiance estudiantine. - le canal Takase, surtout au sud j’avais noté Kyamachi dori, c’est le nom qui lui est donné sur un autre plan) - le jardin hakusonso, même si ce n’est pas un lieu ordinaire - La Nijojin’ya, de même, mais que j’ai cherchée à revoir, pour son côté mystérieux de roman policier du début du siècle - la rue Ichijôdori, évidemment, que j’ai habitée 4 ou 5 fois, et toutes les rues de Kamigyoku autour, dont j’ai dû observer chaque maison je ne sais combien de fois pour y découvrir petit à petit tout ce que je sais des machiyas de Kyôto, les plus simples, et non celles que l’on trouve en photo dans les livres. - 54 - - 55 -

- Le grand cimetière derrière Yoshida (kurodani), où je suis allé plusieurs fois me balader et faire des photos, avant et après O-bon, avec ces énormes corbeaux qui surgissaient des grands camphriers en faisant un cri terrible et effrayant. - le Ôtoyo-jinja, celui qui a des rats en guise de Koma-inu, à cause de ce côté insolite, et unique, un peu étonnant même dans ce pays de greniers à riz, et puis de son côté presque secret, introuvable (ce n’est qu’hier que j’ai enfin connu son vrai nom) - de même les 3 jinja qui ont des sangliers, le Go-jinja dédié à Marishiten, celui du nanzenji, et le jinja du kennin-ji. (cf. MATSUMOTO Nobuhiro, 1928, Essai sur la mythologie Japonaise (P 49) : “ Le sanglier, croyons-nous, s’apparente au dieu du tonnerre. En effet, au temple du dieu Kamo, dieu du tonnerre, on célébrait une grande fête en avril pour faire descendre ce dieu : à cette occasion, des cavaliers portant un masque en forme de sanglier, faisaient courir les chevaux. Dans la légende du prince Yamato-take, le dieu de la montagne Ibuki qui fit tomber la pluie prit aussi la forme d’un sanglier blanc ” cf. également L. Caillet “ Fêtes et rites des 4 saisons au japon ”. Pp 125-172 :Les rites du nouvel An : (162) : “ Nous chassons les sangliers (…) est prononcée sur le seuil de la maison, en frappant le sol avec un gros gourdin. ” Il y a aussi les Koma-inu panthères du Kurama-jinja - le quartier en revenant à pied du Entsu-ji, où j’avais aperçu une maison abandonnée, avec sa cour aux herbes sèches et folles, et m’étais dit que je l’aurais volontiers habitée. - Shake, entre le Kamigamo et Ota-jinja, avec son petit bout de canal encore vibrant d’eau claire, et serpentant d’un carrefour à l’autre le long d’une rue passante où les voitures ne laissent guère le loisir de s’arrêter pour admirer ; et ces passerelles monolithes, en légère courbe, par lesquelles les maisons entrent chez elles, détentrices de pont-levis. Deux sont envahis d’herbes, sans doute exprès. - Le cerisier de Fujio, sur le bord de la kamogawa, là où kuramaguchidori la traverse, parce que j’aime cette idée de s’être attaché à un arbre, et devenir le saluer respectueusement chaque année, comme un amour secret et purement gratuit, qui n’attend rien en retour. Et puis tous ces cerisiers sur la berge d’en face, qu’il m’a fait découvrir au printemps il y a deux ans, lorsqu’ils formaient un tunnel d’une blancheur inouïe, les pétales s’envolant en tourbillons comme une neige tardive au moindre coup de vent. - Les jardins en général (encore que leur trop grande notoriété m’agace maintenant : je n’aime pas partager mes secrets, et je déteste ces foules qui arrivent bruyamment pendant que j’y suis, m’obligeant à venir très tôt le matin, le premier visiteur), particulièrement celui du Ryoanji, pour son abstraction, son jeu intellectuel de la pierre cachée, pour sa composition plastique. Celui du Tôfukuji, du moins celui de l’arrière, au damier évanescent dans une mer de mousse. La cascade de pierre du saiho-ji (Kokedera), pour son intelligence et son vacarme silencieux. Celui du “ KOHO AN, totalement fermé au public, autour duquel tournent les jardins dessinés par le même Kobori Enshû, l’auteur de Katsura rikyû et du jardin de cerisiers de Heian-jingu, à l’Est de Kyôto, près de Okazaki.. Le premier est très sobre : une mer de terre balayée en vagues, même pas du sable blanc, à peine visible, vaste espace vide entre deux extrémités de légère végétation (cependant, à gauche, c’est une “ forêt ” de dix ou douze bonsaï de hinokis, vieux de 200 ans). Le summum de l’abstraction. Avec le coin du bâtiment, le motif de la mer tourne, et apparaît une bordure de galets gris, qui s’étend progressivement : c’est le lac Biwa. La bordure sous l’auvent - 55 - - 56 - comporte un chemin de pas japonais, ce qu’il n’y a jamais, pour longer le lac. ” cf. notes 1999. Et puis le Entsu-ji, également, avec cette composition extraordinaire du mont Hiei au milieu des troncs de pins, cette vue qui ne survivra sans doute pas longtemps à l’appétit de profit des promoteurs, puisqu’on est incapable au Japon de protéger cette vue, ce concept du Shakkei. Mais là, est-ce qu’on est pas plus dans la production artistique que dans des lieux ordinaires, même s’ils étaient quotidiens pour les moines pendant des siècles, avant qu’on ne les découvre et les ouvre à la visite ? - La porte du nanzen-ji, la nuit de pleine lune d’été, dans la moiteur et le brouillard, gigantesque et effrayante - les rues du quartier Higashitami, où j’ai trouvé, à force de marcher, des maisons étonnantes, l’une avec une fente de boîte à lettres en forme d’œil, ourlé d’une fine paupière de cuivre, l’autre accumulant les protections symboliques (onigawara, shôkisama, flèche, sumi, chimaki, chinowa, grelots, feuilles de houx de setsubun, etc) - le petit bout de canal après “ le chemin des philosophes ”, quand les badauds le quittent, qu’il devient moins arrangé et touristique, et qu’il rejoint l’arrivée des eaux du lac Biwako par te tunnel sous la Kujoyama, avec le réservoir où quelques pêcheurs traînent leurs lignes. Comme un chemin imprévu, non fréquenté parce que ne menant nulle part, un raccourci, chemin buissonnier dérobé à l’urbanisme planificateur. - Quand les eaux qui en descendent sont récupérées par le gros canal et le jet d’eau devant le parc zoologique puis le Heian Jingu, tout devient d’une laideur abjecte, dans des bassins rectilignes, trop larges, hors d’atteinte, où l’eau est comme une étrangère. Mais, chose étonnante, un petit bras s’en échappe vers le sud, et redevient vivant et fréquentable. Il louvoie entre quelques maisons juste avant de traverser sanjo, entre keage et Higashiyama, puis continue, un peu trop cérémonieux mais gentil encore, avec une jolie passerelle de pierre qui se tient sur deux frêles béquilles pour le traverser, juste avant la porte basse du Chion-in. Mais il devient alors sans surprise, trop sollicité quand il traverse shinmonzen dori et shinbashi, ravalé au rang d’argument touristique, alors qu’on imagine bien le plaisir que ce devait être, autrefois, de se reposer auprès de cette fraîcheur, avec un doux bruit de cascatelle. - et encore le canal Takase qui descend longtemps en suivant parallèlement la kamogawa, à une épaisseur de maison d’intervalle. Dès qu’on a quitté shijo en allant vers le sud, et plus encore après gojo, il devient sympathique, presque rural, pas apprêté. - la porte ancienne au milieu de Shimabara, même si je ne connais pas bien ce quartier, parce qu’elle est inattendue, vestige de ce quartier réservé si je comprends bien, trace de ce système de clôtures des chô qui était généralisé autrefois. - les rizières que j’avais vues récoltées, le long de kitayama dori, il y a une dizaine d’années à l’automne, alors que je marchais tout autour de la ville pour visiter les dernières productions de l’architecture contemporaine. On passait des bâtiments les plus urbains aux champs, où une famille travaillait à sa récolte. - le petit train à voiture unique qui monte à Kurama en serpentant dans les quartiers du nord-est de la ville, créant des petits passages à niveau qui donnent une animation, un rythme inattendu à la ville trop fonctionnelle. Il a une poésie que n’atteint pas le métro (trop technique), ni les bus. Il a bien sûr quelque chose de désuet, quoiqu’il fonctionne parfaitement, tous les jours, à la satisfaction de tous. Peut- être aussi parce qu’il emmène dans la montagne, à Kurama au - 56 - - 57 - matsuri si éblouissant, à Kibune aux restaurants “ flottants ” sur le torrent (même s’ils sont trop touristiques, trop chers, et que je n’y mangerai jamais). Mais je pourrais ainsi décrire quantité d’autres lieux qui me plaisent, qui ont attiré mon regard. Parfois de simples détails sur une maison (j’en ai des collections dans mes observations, dans mes photos), dont j’aurais du mal à préciser la localisation. Une chose est vraie : la présence de l’eau, la liberté de petits canaux serpentant dans la ville, comme à Yanagawa ou comme il devait en être autrefois dans toutes ces villes de rizières, de plaines, de deltas du japon, y ajoutent une dimension irremplaçable, d’autant qu’ils engendrent la verdure, font croître et embellir les arbres, attirent les canards, etc. Le génie des japonais est d’arriver à maintenir un fort beau canal avec quelques centimètres d’eau seulement qui ruissellent sur un lit de cailloux, et rafraîchissent le voisinage. La discipline collective aidant, ils peuvent rester propre très longtemps. Par exemple, j’aime les rôji, ces venelles qui s’enfoncent dans les îlots, qui révèlent l’envers de la société japonaise, la misère bien souvent, la pauvreté en tous cas, digne et bonhomme, mais en tous cas des conditions de vie et de promiscuité plus difficiles qu’il n’y paraît au long des rues. Mais j’aime aussi ces rues à jolies maisons de bois typiques, pas si anciennes que ce qu’on croit, à condition qu’elles ne soient pas trop refaites “ pour faire ancien ”. J’aime toute la symbolique d’animaux et de portes bonheur, de protections contre les mauvais esprits, dont elles se couvrent, et dont j’ai fait mes délices pour mes observations. J’aime les Jizô, ces pierres à peine ébauchées en forme de bouddha, et dont on dit des choses contradictoires (qu’ils représenteraient les “ enfants perdus ”, que jizô serait un bouddha de compassion et de bonté, comme Kannon…) : enfin, c’est un culte populaire sans dogme, imprécis, seulement témoin d’une bonté de sentiment qu’ont les gens puisqu’ils la prêtent à une entité abstraite. J’aime le en ruine au carrefour de ômiya dori et d’ichijôdori : on ne l’a pas refait de neuf, mais on ne l’a pas démoli non plus, il témoigne de la complexité des sentiments vis à vis de la ville. J’aime les maisons de béton dans le style de Ando tadao, même si ce sont souvent d’assez pâles copies du maître, parce qu’au moins elles ne mentent pas sur leur époque, sur les matériaux, qu’elles recherchent une certaine pureté du dessin et des matériaux, enfin parce qu’elles me paraissent plus proche de l’héritage esthétique et éthique du japon qu’une mauvaise imitation ou copie d’ancien.

Il y a par contre quelques lieux que je déteste et que je fuis : - Kawaramachi et Shijo, avec leur foule oppressante, leur vacarme, la chaleur que dégagent les climatisations des véhicules et des autobus, l’impossibilité de marcher devant soi sans se cogner à quelqu’un d’autre. - Pontocho de même, avec ce côté factice des rues de réjouissances trop célèbres, où plus rien n’est vrai, simple, où l’on se sent tellement attendu, chaque geste calculé pour vous appâter. - Heian jingu et sa grandiloquence prétentieuse, cet air d’architecture nationaliste et fasciste, comme les monuments mussoliniens ou Hitlériens. L’architecture japonaise est une architecture d’échelle modeste, celle des maisons rurales, c’est là qu’elle se complaît. L’échelle des palais l’enlaidit, la boursoufle. Katsura Rykyu échappe justement à cette emphase. - Shin monzen dori, comme j’ai dit : surfait. - la gare Kyôto eki, pour ses matériaux froids, sa prétention, parce qu’elle détruit l’ouverture vers le sud qui est la raison d’exister de cette ville depuis sa fondation, parce qu’on s’y est débrouillé pour conduire presque à coup sûr le voyageur vers les magasins en sous - 57 - - 58 - sol plutôt que vers les sorties en plein air, parce qu’on l’y empêche aussi de traverser cet obstacle énorme dans la ville, autrement que par des boyaux étroits en sous-sol, dangereux quand on est à vélo à l’ouest, épuisant autant que dangereux sur la passerelle de l’est. je déteste Porta et tout l’urbanisme de commerces en sous-sol du japon, parce qu’on fait tout pour nous y dérouter, nous couper de la nature, de la lumière du soleil, des repères de la ville, afin de nous soumettre à une seule relation commerciale, réduire nos êtres à la part congrue. - le quartier de Gion aussi, où je ne me suis rendu que très tardivement, même si les maisons y sont effectivement jolies, en grand nombre. Je déteste qu’on réserve ainsi un quartier à une beauté que l’on monnaye, pour mieux détruire tout ce qu’il y avait de beauté simple et moins remarquable dans tout le reste de la ville, ou bien à ne plus prêter aucune attention aux constructions qu’il faut nécessairement édifier aujourd’hui, se contentant de matériaux factices, de formes lourdes, d’imitations, sans souci du voisinage, des autres, de la participation de chaque maison au spectacle et au paysage de la ville. - Higashi et Nishi Hongangi, pareillement, pour leurs disproportions : les lanternes torôs que l’on aperçoit à travers les portes monumentales, démesurées, ne sauraient plus éclairer quiconque tellement elles sont hautes. Comment y voir la trace d’un être humain, d’une vie passée, d’une âme dont la flamme vacille encore parmi nous au moment d’O-bon, quand elles ont la taille de colosses effrayants, dominateurs. Comment peut-on seulement prier et se recueillir dans de pareils temples ? ils sont à l’image d’une religion dominatrice, d’un pouvoir et d’une richesse plus temporels que spirituels, en totale contradiction avec leur vocation. Quand je pense que le pays entier s’est saigné aux quatre veines, que des paysannes par villages et hameaux entiers se sont tondues afin qu’on fasse de leurs cheveux des cordes pour reconstruire celui de ces deux temples qui avait brûlé au début du siècle, je trouve qu’ils ne méritent pas la piété profonde et respectable de ces gens simples.

-Mes 12 Lieux Tôkyô A Tôkyô, j’aime cependant : - le quartier de populaire de Nezu, avec les nagaya en bois qui y restent, et celui de hongo - j’aimais bien ce grand escalier de pierre pour remonter de jimbocho à ochanomizu. - Kagurazaka - Tsukishima - Le cœur du quartier, juste à côté de la maison franco-japonaise, ce qu’il reste de la ville vivante derrière les immeubles froids - j’avais aimé aussi les dôjunkai, pas tant celui d’omotesando que celui derrière (Meguro ?) mais en général je déteste Tôkyô, ville laide, avec cette absence de retenue, ses constructions prométhéennes pour enjamber les canaux, les autoroutes. Mais à force d’y vivre, d’observer, de regarder, il y a des lieux fous que j’ai pris en affection, parce que je peux maintenant les lire, les comprendre, les décoder. C’est le cas du paysage que l’on a depuis le pont d’ochanomizu, que j’ai décrit dans l’article, et que j’ai photographié, avec le pigeon qui venait se percher en premier plan, ajoutant une note de vie semi-sauvage dans cet univers minéralisé, artificiel, saturé. N’était la tranquillité impassible, bonhomme, presque rieuse parfois, des japonais, la vie serait totalement impossible dans cet univers effrayant. Mais encore une fois, est-il effrayant parce qu’inconnu, et parce que je le regarde alors à une autre échelle, plus vaste, celle - 58 - - 59 - d’un paysage, d’un tableau ou d’un spectacle, échelle sur laquelle je n’ai pas de prise, et que je ne peux même réellement comprendre qu’au prix d’une longue pratique (habitudes, familiarité), ou d’un effort important de connaissance (lecture d’Ochanomizu). ”

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Observateur japonais / Lieux japonais

Visite de Yokohama en compagnie de Y., c’est à dire les quelques lieux qu’elle appréciait avant son départ. (Elle a quitté le Japon il y a 15 ou 16 ans pour Paris.(…) Sa mère, veuve, est professeur de Koto et de shamisen. C’est d’abord une très longue allée, plutôt un très long mur, le long de la gare de Sakuragicho, en remontant vers celle de Yokohama : les quais sont construits en encorbellement à l’étage, et surplombent durant un kilomètre un trottoir en arcade, rectiligne et sinistre n’étaient ces peintures. Elle empruntait autrefois ce chemin pour se rendre au bunka center (maison de la culture), en haut de momijizaka. A l’époque, un seul artiste utilisait cet immense mur, et y racontait son histoire personnelle, qu’il renouvelait tous les trois mois. Actuellement, ce sont de vastes tags très semblables à ceux que l’on trouve en Europe. Plusieurs couches y sont superposées, montrant d’une part un épisode d’effacement généralisé par une couche uniforme de peinture noire sur 2m de haut, et un probable renouvellement. Mais certains panneaux sont déjà assez anciens et écaillés. Diverses phrases accompagnent ces peintures : “ Nihon- rakugagki-club (Japon Graffiti Club) ” ; “ Are you ready? Yes, we’re. ” ; “ Shizuoka, Yokohama, Graff 2000!!! ” ; “ Je reviendrai avant que ça ne disparaisse! ”, Mais on ne sait pas s’il parle du mur ou de ses tags ” ; “ Pour que je puisse continuer à décrire librement Sakuragi-chô, quartier de ma jeunesse, je jure que je ne ferai pas de graffiti (bombages) ailleurs qu’ici! ”. Il est certainement très original et personnel de la part de Yoriko d’avoir apprécié cet endroit il y a 15 ans. De l’autre côté de la ligne de chemin de fer, nous allons voir la façade du musée d’art de la ville, construit pourtant par l’agence de Tange Kenzo, et que trois de ses amies, interviewées quelques jours avant (anciennes camarades de lycée, qui sont actuellement devenues infirmière, ingénieur informatique et professeur d’université en psycho-sociologie), lui ont désigné comme lieu esthétique. Quant à sa mère, elle a lui désigné le “ Bay bridge ” comme lieu d’admiration, et sa sœur le Sankeien (jardin japonais qui est à Honmoku). C’est une longue façade très laide et très quelconque, dans le style de la mairie de Shinjuku : même dessin insignifiant, mêmes matériaux grisâtres, même bêtise pour être acceptable, consensuel, propre, international. Par contre, une large esplanade s’étend au-devant, un peu en terrasse sur la ville. Deux longs bassins y montrent des plantes aquatiques, des jets d’eau et de brume. Mais surtout, l’esplanade est plantée sur son bord opposé au musée de quatre rangées d’arbres, sur toute sa longueur, avec des bancs disposés régulièrement. Ce genre de mail trop régulier n’est pas dans le genre japonais, mais donne une touche d’ombre et de verdure dans cet univers minéral. En s’en approchant, on voit d’une part que le sol est jonché des déjections d’oiseaux venus se percher dans les branches, ce qui n’est pas très favorable à un séjour prolongé, et quelque peu sale dans ce pays si propre ; d’autre part que, parmi les personnes assez nombreuses qui sont assises là calmement, il n’y a pas que des jeunes femmes regardant l’écran de leur téléphone portable, ou y parlant, mais des hommes allongés de tout leur long sur les bancs, non sans avoir ôté leurs chaussures sagement rangées au sol, ni sans avoir couvert le banc d’un journal ou d’un carton. Ce sont en fait des SDF locaux. N’était le caddie et le balluchon que deux d’entre eux ont conservé auprès d’eux, leur mise ne les aurait pas obligatoirement fait repérer à un œil non averti. Les SDF japonais sont souvent très - 60 - - 61 - propres et très organisés. Quelques heures après, nous en verrons un utilisant les toilettes d’un parc public pour laver et étendre son linge sur les buissons, et faire sa propre toilette. Nous repartons ensuite vers l’Est, et parvenons à une rue marchande : Bashamichi, construite en 1867 après que fut attribué ce lieu aux occidentaux pour y bâtir leur port, bordée de haies entre le trottoir et la voie, d’arbres jeunes, avec de petits bancs à la Alphand intercalés, équipée de lampadaires vieillots du style de l’architecture européenne de fonte de la fin du XIXe siècle, lorsque la ville fut ici développée par les occidentaux (lampadaires peints en façon de vert de gris imitant les sorties de métro de Guimard), et comme beaucoup de rues commerçantes, de pavés incrustés dans le sol et d’arcs au- dessus de la chaussée à l’effigie de cette rue (une carriole attelée). En effet, son nom signifie voiture à chevaux, un mot équivalent plutôt à calèche tant il soulève une image prégnante, d’atmosphère poétique et nostalgique dès qu’on le prononce en japonais. L’avenue n’est pas strictement rectiligne, a conservé le passage central des voitures, mais à mes yeux les bâtiments qui la bordent sont d’une laideur tout à fait commune, variant de 3 à 6 ou 7 étages, guère anciens. Par contre l’ambiance n’est pas trop désagréable : de l’animation sans trop de monde, pas de musique ni de hauts parleurs trop tapageurs. Yoriko n’y retrouve plus la librairie où elle allait, ses deux étages dans l’immeuble étant remplacés par un marchand de disques. Passant ensuite devant les bâtiments de la préfecture, dont le plus ancien n’est pas si vilain, nous nous dirigeons vers un parc établi tout en longueur en front de mer, ce qui est plutôt rare au Japon, puisqu’en général les installations industrielles et portuaires s’intercalent entre la ville et l’océan, empêchant de voir celui-ci, ou bien protégeant cette dernière des tsunami et autres maléfices d’une mer qui n’est pas perçue comme chez nous depuis le XVIII e du moins, comme un espace bénéfique. N’était cette particularité, il n’a rien d’extraordinaire : vaste pelouse plantée de quelques arbres. Un grand paquebot qui faisait la traversée du pacifique autrefois est à quai, et se visite. Ni de charme particulier, ni rien de nippon, d’historique, d’original, rien qui exprime l’esprit spécifique du lieu. Un pont, dit “ furansu Bashi ” ou pont des Français, traverse en surplomb une grosse avenue autoroutière, puis un canal malheureusement couvert d’une highway donnant un ton sinistre à ce lieu qui devait être autrefois charmant (photos) et mène au pied de la colline qu’occupèrent autrefois les occidentaux, où subsiste un cimetière : 3000 d’entre eux y sont enterrés. Mais ce grand parc n’est pas au menu des lieux désignés par Yoriko. Nous revenons en traversant le Quartier chinois, explicitement désigné ainsi (quartier d’assignation à résidence) depuis longtemps par le gouvernement de la ville (China town indiqué sur le plan destiné aux étrangers). On y entre sous un portique très décoré, semblable à ceux qui servent de porte aux villages en chine20. L’ambiance des rues est très colorée, beaucoup plus riante et vivante. Un temple à la décoration très chargée en plein centre y reçoit nombre de visiteurs. Les ruelles rôji sont peuplées de plantes, et même d’arbustes. Une grand-mère y arrose à la main à partir d’une bassine autour de sa maison, geste dérisoire pour rafraîchir de la canicule. Ce quartier n’était pas au menu, mais je sens que Yoriko a eu plaisir à me le montrer, et moi à le traverser. On en ressort devant le nouveau grand construit à côté de la gare de Kannai, le “ Yokohama stadium ”. Non loin de là, sur un

20 Pailou : Arc de triomphe, portique d’honneur ou décoratif à l’entrée des villes et villages, des temples, des palais, des riches demeures ; on en édifiait aussi pour honorer certains personnages. - 61 - - 62 - trottoir, une énorme télévision diffuse les images du championnat lycéen de base-ball, qui se déroule actuellement à Osaka dans le Kôshien-kyûjô, et qui a un immense succès au Japon, ce que ne comprennent pas les américains. Yoriko semble le suivre assidûment. Et nous rejoignons Isezaki dori, autre rue commerçante (qui prolonge d’ailleurs la précédente de l’autre côté de la gare de kannai (s’écrit avec les kanjis de kan, seki=barrière sur la route du Tokkaidô, et nai, uchi=maison : ce devait être un péage, un octroi sur la route du Tokkaidô)). Mais cette rue commerçante est piétonne à la différence de la précédente. Un peu sale par endroits, autour des bancs métalliques circulaires qui me permettent de me reposer. Les commerces débordent largement sur le trottoir. L’ambiance est similaire, moins verdoyante, bon enfant tout de même : guère de salarymen pressés en chemise blanche et cravate, mais des gens de toutes sortes ; à leur mise, à leur nonchalance, aux vélos et poussettes, on peut penser que les personnes ne viennent pas de très loin, habitent dans les environs sinon dans le quartier, contrairement à ceux qui viennent de loin pour faire leurs achats aux grands department stores proches de la gare de Yokohama. L’ambiance est évidemment moins sinistre que dans le quartier de banques que nous avons traversé auparavant. Je ne sais pourquoi, cette rue me fait penser à la rue Sainte-Catherine de Bordeaux, qu’on a de la même manière transformée en rue piétonne et vouée au seul commerce. Nous nous arrêtons dans un salon de thé “ la vie à la française ”, dans lequel un mur est couvert d’une grande photographie des champs Elysées, avec la terrasse du café Georges V et l’arc de triomphe au fond, afin qu’on reconnaisse bien. C’est tout dire de l’ambiance que l’on souhaite créer en ce lieu. Une fois de plus il faut remarquer la hiérarchie des voies, et leur niveau inverse en matière d’esthétique ou d’ambiance : les grandes avenues sont sinistres et invivables, les rues larges et commerçantes deviennent passables, si les bâtiments ne sont pas trop haut, mais il faut entrer dans les petites rues et surtout les toutes petites ruelles pour sentir la vie grouiller, pour retrouver les plantes et les gens tranquilles. Peut-être est-ce précisément cela qu’il faut comprendre : il n’y a pas d’esthétique ici, du moins pas d’esthétique architecturale de la ville (on se fiche de l’architecture, puisque les bâtiments ne sont pas fait pour durer), ni d’esthétique purement visuelle. Ce n’est que l’ambiance (fun’) qui compte, un composé d’une alchimie complexe, très complexe, et qu’il faudrait pouvoir définir d’un point de vue japonais, de manière détaillée. Dans un dernier et suprême effort, dans la chaleur lourde assez terrible qu’il fait, nous poussons jusqu’à nogezaka (la côte de noge) qu’elle m’avait aussi désignée. Ce nom de saka (côte, qui s’assouplit en composition et donne “ zaka ”) est fréquemment donné à une rue qui monte une petite colline, une butte, dans la ville, et ce nom seul suffit à faire entrevoir quelque lieu sympathique : momijizaka, sannenzaka, kagurazaka, etc. Celle-ci, en rassemblant la plupart des magasins de statues et d’objets du rituel bouddhiste (et shinto) de la ville (ce qui pourrait être triste puisqu’il s’agit de la mort), monte à un parc où se trouve un zoo. Noge yama doobutsugu-ten (magasins d’objets bouddhiques) est un lieu important dans la mémoire de Yorikosan “ Je pense que si, à l’époque, j’aimais bien passer cette rue, un de ses attraits était la présence de ces plusieurs butsugu-ten. D’abord, parce que c’est unique. Je n’ai jamais vu ailleurs une rue pareille. L’unicité d’un paysage est appréciable. Puis, parce qu’il s’agit d’objets bouddhiques. Ces butsugu-ten vendent principalement des butsudan (autel bouddhique pour la maison) et de petites choses pour le butsudan. A mon avis, le butsudan n’est pas un objet qui incite les Japonais à un sentiment de tristesse ou de chagrin, mais c’est - 62 - - 63 - plutôt quelque chose de familier comme le laraire chez les Romains. Dans la maison, en général, le butsudan est installé dans le zashiki ou le chano-ma. Je me souviens que chez ma grand-mère, le butsudan se trouvait dans son chano-ma, tout près de la table du repas. Nous prenions donc le repas juste à côté de la photo et de l’ihai de mon grand-père défunt, placés dans l’autel. On lui servait tous les jours du thé, du riz, de la soupe de miso et parfois du dessert, comme s’il mangeait avec nous. C’est donc plutôt quelque sentiment affectif que nous avons pour le butsudan. C’est une petite maison noire à deux portes dans laquelle l’esprit du défunt continue, croit-on, de vivre à côté de sa famille. Je n’ai pas du tout le même sentiment en passant devant des butsugu-ten qu’en voyant les magasins de marbriers des pompes funèbres avec des pierres tombales. Celles-ci me font immédiatement penser à la tristesse de la mort. ” “ En fait, les butsugu-ten sont nombreux dans la ville et il ne sont pas tous groupés ici. Par exemple, quand mon père est décédé l’an dernier, plusieurs butsugu-ten (une vingtaine peut-être) nous ont envoyé des catalogues de butsudan. D’autres nous ont appelés par téléphone. Il y avait même des vendeurs qui venaient directement chez nous apporter leur catalogue. L’un d’entre eux nous a dit : “ Je viens de Nogezaka ”. Cela m’a tout de suite rappelé l’image des butsugu- ten de cette côte et m’a donné envie de choisir sa boutique, si nous achetons un butsudan. Mais nous n’avons pas en fait l’intention d’en acheter. ” Auprès se trouve la bibliothèque préfectorale, dont les bâtiments ont été refait de neuf, qu’elle fréquentait autrefois. Je note que les trottoirs sont bordés de barrière faites de ciment armé en manière de troncs d’arbre, peint de marron chocolat très laid. Comme lieu négatif, elle ne m’avait signalé que la gare de Yokohama elle-même, et les quartiers tout autour, “ pas très intéressants ”. Je peux imaginer qu’il s’agit d’avenues tirées au cordeau, et bordées de hauts immeubles de bureaux rutilants. Il est vrai que ce n’est guère passionnant, et que les quelques lieux qu’elle m’a montré éclatent de charme à côté, même si pour moi (pour un œil occidental du moins) il sont plutôt d’une banalité déconcertante. Pas un bâtiment vraiment ancien (sauf le bâtiment central de la préfecture, et un bâtiment de banque, probablement, sur lequel nous n’avons pu obtenir aucun renseignement). Pas une maison de bois : ça ferait vieux et sale. Pas un gramme de pittoresque : il faut être moderne et efficace. Le pittoresque est recomposé, plutôt que conservé. Pas même un bout de bicoque dégradée, de tôle rouillée, comme nous en apercevrons plus loin dans un autre quartier (un peu coréen ?), aux maisons plus basses et plus pauvres. Sur le côté de l’une d’elles, qui borde un terrain à usage momentané de parking, le propriétaire qui aime les plantes et les bonsaÏ comme beaucoup de Japonais, cultive les siens sur une longue étagère qui est suspendue par des ficelles à hauteur du milieu des fenêtres de l’étage. Or ces fenêtres sont équipées de verre mat, pâteux, dépoli, de telle manière qu’il ne peut les voir lui-même. Un autre paradoxe saute aux yeux : le soin nécessaire à la culture d’un bonsaï laisse penser que c’est un objet beau et précieux, au fur et à mesure des années qu’il acquiert, mais dès le départ dans l’intention aussi. Or ceux-ci sont plantés dans des pots disparates, disgracieux, des cuvettes en plastique ou des boîtes de nourriture récupérées, en métal, en plastique, en polystyrène. Bêtement, j’ai oublié de prendre cette photo, à cause de la fatigue, et c’est bien dommage. Plus loin, une nomiya (petit cabaret du soir où les habitués ont leur bouteille à leur nom), a disposé sur son “ jardin ” de 20 cm de large, en façade, des coquilles de bulot et de patelles devant les plantes. J’entre et demande, avant que Yoriko ne fasse préciser. Il n’y aurait pas de - 63 - - 64 - raison ni de signification particulière à cet étalage des coquilles (bien e e que ce soit au moins le 20 ou 50 exemple que j’en vois…), sinon que les coquilles sont jolies, et que c’est dommage de les jeter (précisons qu’il n’est pas restaurateur et ne propose pas aux gens de manger des coquillages). Encore un exemple de pratique répandue, partagée (je peux le démontrer par de nombreuses photos, à dimension esthétique essentiellement, et que personne ne peut “ justifier ”, peut-être à cause de sa trop grande évidence : on ne s’est jamais posé la question, pas plus que sur celle d’avoir des plantes devant sa maison (“ ça fait plus joli ”), ou d’offrir des fleurs en France. Pourtant, l’association du coquillage et du jardin ne va pas de soi : ces objets ne participent pas des mêmes catégories en principe (minéral/végétal, mort/vivant). Quand les Français trouvent également les coquillages jolis et difficilement jetables, ils les conservent plutôt sur leurs étagères, à l’intérieur, dans leurs vitrines, ou bien les utilisent en guise de cendriers (ormeaux) ou de presse- papier. Je ne sais pas si je comprendrai un jour ce comportement des japonais vis-à-vis des coquillages (cf. mes notes sur les coquilles d’ormeaux awabi sur les toits de chaume, l’usage de la chair de ce même coquillage dans la fin des rituels de deuil à l’époque Heian, etc), mais je pense qu’il s’agit là d’un marqueur esthétique à la fois très banal et très intéressant, précisément à cause de cette simplicité. Interrogée par Yoriko, sa mère imagine le même genre d’explications plus ou moins techniques que me donnent les gens lorsque je leur demande : produire du calcaire (on met aussi des coquilles d’œuf inesthétiques), empêcher les petites herbes de pousser, concentrer l’eau au milieu du pot (mais les racines n’y sont pas concentrées, elles), éloigner les corbeaux lorsqu’elles sont fixées sur les toits de chaume (ceci est plus plausible), etc. Il est de fait que les coquilles d’ormeaux et de bulot sont des objets complexes, magnifiques, envoûtants, et parlent sans doute plus encore à une âme japonaise plus en relation avec la mer que beaucoup d’autres.

J’ai pris quelques photos durant cette journée, mais très peu. Bien trop peu pour mon travail, sans doute parce que tous ces lieux étaient laids ou quelconques pour moi, ne me motivaient pas, que je n’en voyais pas l’intérêt ni la signification. Et pour cause de fatigue et de chaleur sans doute aussi. Dans tout cela je ne vois rien, mais absolument rien de ce que la littérature nous donne comme “ l’esthétique japonaise ”, et que j’ai effectivement pu voir parfois, dans les temples zen certes, mais surtout dans les campagnes, les villages, les lieux simples et reculés, les arrière-cours (sauf les petites plantes sur l’étagère de la maison et les coquillages, et les rôji ?). Tout est plutôt exactement à l’inverse. Par ailleurs, je comprends bien que Y. n’avait pas tellement le choix pour désigner des endroits particulièrement jolis : il n’y en a pas. Ou bien il faudrait s’éloigner du centre de la ville, aller à ces marges de la ville, là où le mélange avec la campagne, avec ce qu’il reste de nature (un rocher, un bout de canal, une colline boisée, un vieil arbre, un chemin tortueux, des herbes qui poussent comme des folles en désordre…) donnerait à voir un spectacle plus riche, plus vivant. Encore que, en nous rendant à Nogezaka, avant de traverser le quartier coréen (nodecho), nous avons franchi un petit bout de canal ou de rivière canalisée (ooka gawa) faisant une légère ondulation, bordé de quelques arbres devant les façade d’immeubles et de maisons, et que je ne trouvais pas si vilain : Yoriko en paraissait toute étonnée. (…)

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Après ces visites, et en corrigeant quelques inexactitudes du récit précédent, Y. a tenu à réagir, et à apporter des précisions intéressantes : “ Enfin, je vois que vous n’avez pas beaucoup apprécié les paysages de Yokohama que je vous ai montrés. Vous dites que je n’avais pas tellement le choix pour désigner des endroits particulièrement jolis, puisqu’il n’y en avait pas. Mais si. J’avais le choix. J’ai choisi exprès ces quartiers comme lieux de visite, tout en sachant que leurs paysages vous déplairaient. Sinon j’aurais pu, par exemple, vous présenter Sankeien, lieu préféré de ma sœur, que vous trouverez très certainement beau. Je n’ai pourtant pas fait cela car, si je vous montre l’endroit sur lequel vous avez le même jugement esthétique que les Japonais, ce n’est pas très intéressant pour nos études, tandis que si vous trouvez laid ce que les Japonais trouvent beau, cela devient intéressant. Parmi les quartiers que nous avons visité ce jour, quelques-uns étaient des lieux que j’aimaies très personnellement, tels que Nogezaka, le mur de Sakuragi-chô avec les graffiti, etc. Mais, j’ai essayé également de vous montrer des endroits qui sont désignés par l’opinion publique comme lieux esthétiques, tels que les quartiers avoisinant le port, la China Town, et quelques bâtiments (le musée d’histoire, la préfecture, etc.). Pendant notre excursion, nous avons croisé plusieurs fois dans les rues des Japonais qui faisaient la visite de Yokohama avec un guide dans la main ? En revanche, nous n’y avons pas vu de touriste étranger, sauf une seule fois, une femme occidentale avec un plan dans la main, à côté de la préfecture. En effet, Yokohama est une des villes les plus aimées par les Japonais. Beaucoup de gens rêvent d’y vivre. Habiter à Yokohama fait plus chic qu’habiter à Tokyo. Pendant plusieurs années, Yokohama était le premier comme le nom de la ville que l’on désirait porter sur la plaque d’immatriculation de sa voiture, selon un sondage annuel.21 Les chansons d’amour écrites sur le thème de Yokohama sont nombreuses : “ Blue light Yokohama ”, “ Yokohama tasogare ” , “ Isezaki-chô blues ”, etc. Ces chansons parlent des quartiers que nous avons visités, et qui concentrent les attraits de cette ville. Il est donc intéressant de savoir pourquoi ces lieux attirent si fort les Japonais, également pourquoi rêvent-ils de porter le nom de Yokohama sur leur voiture plutôt que celui de Kyôto, par exemple. Pourquoi les gens aiment aussi entendre le mot “ Yokohama ” dans une chanson d’amour. Toutes ces questions tiennent très certainement à l’histoire du Japon. Au XIXe siècle, les Japonais découvrent la civilisation occidentale, après 300 ans de fermeture du pays. Ils ont été non seulement frappés par sa technique avancée, mais l’ont trouvé aussi très élégante et surtout “ exotique ”. Aujourd’hui, 150 ans après, les Japonais sont accoutumés au mode américain ou européen. Ils n’y sentent donc plus d’exotisme. En revanche, l’exotisme demeure toujours attaché aux lieux à travers lesquels cette civilisation est entrée à l’époque, de même sur le nom de la ville. Le mot “ Yokohama ” évoque dans l’esprit des Japonais l’image de la “ rencontre ” de la nouvelle civilisation et de l’ancienne. L’exotisme est un des éléments du fondement du jugement esthétique. A Paris, j’ai rencontré beaucoup de Français qui m’expliquaient leur admiration pour le jardin japonais du parc de Bagatelle, ou pour la

21 Il y a quelques années, on a créé une nouvelle plaque avec le nom Shônan, zone dont Kamakura fait partie. Depuis, il semble que Shônan a pris la première position, et Yokohama occupe la deuxième, mais il faudrait le vérifier. - 65 - - 66 -

Pagode du VIIe arrondissement. Ces paysages paraissent pourtant tout à fait quelconques aux Japonais qui n’y trouvent aucun intérêt. Il me semble que partout, les hommes sont attirés à la fois par ce qui vient de la tradition et par ce qui vient de loin. ”

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Autres filières

Il y aurait eu par ailleurs d’autres manières possibles de choisir les lieux à observer. Cependant, elles présentent des inconvénients : - les cartes postales éditées et vendues attestent plus ou moins du marché des “ images de lieux ” proposés et choisis. Cependant, on y trouvera de préférence les monuments et lieux célèbres ou aménagés. Nous en effectuerons cependant une analyse en parallèle. On trouvera une description des cartes récoltées ci-après. - les guides touristiques et les dépliants touristiques : même critique. Nous avons cependant collecté ces guides, afin de comparaison avec les désignations recueillies. - les textes d’écrivains, qui sont susceptibles de choix plus personnels. Encore, si l’on se réfère précisément à des textes de Français ayant visité le Japon, on risque fort de se retrouver devant la retranscription d’une découverte purement touristique, à peine déguisée sous une plume plus alerte, et cautionnée d’une signature célèbre. C’est le cas de Barthes (encore qu’il ne s’attache pas spécifiquement aux lieiux) comme celui d’A-M. Christin, dans ses “ Vues de Kyôto ”(op. cit.), où elle voulait, à l’imitation des 36 vues du mont Fuji, donner 36 petits chapitres, qui sont comme autant de notes d’un premier voyage au Japon. On y trouve donc à peu près l’ensemble de ce qui frappe le visiteur à son arrivée, instillé évidemment de ce qu’il en connaît auparavant, de ce que lui conseillent les guides et de ce qu’il a retenu de ses lectures, de ce que ses amis japonais l’emmènent visiter et de ce qu’ils lui expliquent aussi. Autrement dit l’ensemble des topoi de la culture japonaise de base, de manière déjà un peu plus vaste que ne l’avait fait Barthes, mais plus convenues que les Bouvier, Guillain, et autres explorateurs et aventuriers qui s’étaient risqués hors des sentiers battus. L’intérêt de la chose est aussi, et justement, d’y trouver sous forme ramassée l’indication d’une visite à une série de lieux, et d’une impression retenue en ces lieux, impression que l’écrivain cherche à communiquer, comme il aurait rédigé autant de cartes postales pour ses amis, précisément des “ vues ” du pays visité. On trouve successivement, au cours des 36 chapitres de l’ouvrage d’ A-M. Christin, mêlés aux circonstances :

1.- Le pavillon d’or Kinkaku-ji ; le sanctuaire Meiji à Tôkyô ; Kamakura ; la neige, les cerisiers en fleurs, les érables rouges momiji ; le parc d’Ueno à Tôkyô ; [p10 : apprécier les choses en silence] 2.- Le Byôdô-in et le récit du Genji ; [p12 : les lieux appréciés à travers les poèmes gravés sur les rochers] 3.- La montagne et ses forêts ; les morts ; le Daimon-ji enflammé pour - 67 - - 68 -

O-bon ; 4.- Son quartier ; l’habitat ; la maison ; 5.- La rivière, les cascades, les hérons blancs ; 6.-L’écriture, la langue ; 7.- Le Shimogamo jinja ; 8.- Le pavillon d’or Kinkaku-ji et ses jardins ; 9.- La nuit ; [ p32 : le jardin du Luxembourg à Paris, au petit matin : un eden] 10.- Les bus 11.- Les parapluies, l’ombrelle, le vélo, le taxi, les petits trains ; [p37 : une fleur par mois] 12.- Gion : l’autel qui guérit les yeux grâce à un jeu de mots (meyami Jizô) ; 13.- L’écriture-image ; 14.- Diverses choses : les bentos, le moine mendiant ; Katsura Rykyû, le jardin de Hibiya à Tôkyô ; 15.- Diverses choses : dont les devantures des restaurants, qu’elle voit en céramique ; 16.- le Ryoanji (p54, les 4 dernières lignes) ; 17.- O-bon ; les climatiseurs ; les restaurants, les tanukis ; 18.- 19.- La visite populaire des jardins du palais impérial, fin octobre ; 20.- Noël ; Ise ; er 21.- Le 1 janvier ; décalage des saisons et du calendrier ; er 22.- Le 1 janvier à Yasaka Jinja ; e 23.- La 9 symphonie de Beethoven à la télévision ; les 108 coups de cloche ; 24.- Souvenirs ; les Ginkos ; la protection contre l’incendie en hiver ; la silhouette de la montagne ; 25.- le miroir ; 26.- La calligraphie ; le Bugaku ; 27.- Le Bunraku ; 28.- Les commerces en sous-sol de la gare ; 29.- Le métro de Tôkyô ; le train Kyôto-Osaka ; la disparition de la verdure, de la nature ; 30.- Shugakuin Rykyû ; 31.- Une exposition : signature du livre d’or ; 32.- Heian jingu ; les jeunes filles ; les kimonos ; 33.- La télévision ; le base-ball ; les enfants ; 34.- Le temple du mont Hiei ; Nijo et le plancher qui couine ; Le Shimogamo jinja ; Le pavillon d’argent Ginkaku-ji [p. 110 : voir pour la première fois / retrouver] ; les images [111] ; le temple des mousses ; 35.- Le Byôdô-in, les paravents, les peints [p 114] 36.- Les armures ; Tôkyô et Kyôto ; Fushimi ; Shinjuku et Hibiya à Tôkyô.

Rien ne nous est donc épargné, comme pour attester que l’auteur a bien été initiée à chaque passage obligé, et n’a rien omis du programme, sauf précisément ce dont elle s’excuse en préambule. On assiste à la projection des diapositives chez les amis grands explorateurs du japon en voyage organisé.

Du point de vue des lieux objectivement cités, elle cite donc, - 68 - - 69 -

A Tôkyô : le sanctuaire Meiji Kamakura le parc d’Ueno le jardin de Hibiya (bis) Le métro de Tôkyô Shinjuku

A Kyôto (et environs) : Le pavillon d’or Kinkaku-ji et ses jardins (bis) Le Byôdô-in (bis) Son quartier, au Nord-Est le Daimon-ji Le Shimogamo jinja (bis) Gion (meyami Jizô) Katsura Rykyû le Ryoanji jardins du palais impérial Ise Yasaka Jinja Les commerces en sous-sol de la gare le train Kyôto-Osaka Shugakuin Rykyû Heian jingu Le temple du mont Hiei Nijo et le plancher qui couine Le pavillon d’argent Ginkaku-ji “ le temple des mousses ” (non identifié comme le kokedera) Fushimi Inari jinja

Soit largement la douzaine de lieux que nous aurions demandé. Mais aucun de ces lieux n’est jugé négativement, à proprement parler.

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IV. Observations : lieux décrits

Nous donnerons ci-dessous quelques-unes des descriptions de lieux que nous avons constitué comme matériau de base de notre enquête.

Japon

Sagano nembutsuji

(On aura trouvé la description de ce lieu au chapitre précédent, dans le cadre et au début de l’observation réflexive)

Takase — Canal Takase, qui borde la Kamogawa côté intérieur de la ville. Il débute un peu au nord de l’avenue Oike, entre deux petits étangs que doit alimenter la Kamo, et suit celle-ci vers le sud, sans doute très loin, mais ma carte ne m’en montre que 4 kilomètres. En remontant à partir de shichijo, la portion jusqu’à Gojo est très populaire, simple, presque rurale, sans aménagement récent. Les arbres poussent à profusion sur les rives empierrées (pierres disposées sur la diagonale en un muret vertical), et leurs longues branches descendent sur l’eau en l’ombrageant. Dans cette portion, le canal n’est guère nettoyé, et des sachets de plastique blanc, pleins ou vides, y restent accrochés : sur deux mètres de large, l’eau s’écoule en une mince couche de 5 ou dix centimètres d’épaisseur à peine, sur un fond de gravier et de sable. Cerisiers, kakis, roseaux, pruniers, pin, pêcher, et toute cette variété d’espèces que nous ne pourrions reconnaître, composent un double paravent entre les rives, à peine troué par endroits. Les habitants y sont comme dans leur quartier, plantent leurs fleurs dans des pots et des bacs hétéroclites, souvent des cagettes de polystyrène blanc. Entre quelques cailloux, on a disposé un brûloir à ordures. Quelques frêles passerelles métalliques on été installées depuis bien longtemps entre les deux rives afin que les piétons n’aient pas à se détourner jusqu’au prochain pont pour traverser. Là deux petits sanctuaires, l’un shinto l’autre bouddhiste, voisinent sur la rive. Plus loin, un édicule (vespasienne plutôt rares dans cette ville), à un carrefour, voisine avec le tas de sacs d’ordures du quartier pas encore ramassé à presque six heures, face à une grande et belle maison de bois, qui a bien pu être une maison de thé. Au franchissement de Gojo, large avenue très passante, il faut se détourner d’une centaine de mètres pour traverser à un carrefour muni de feux tricolores : la continuité de cette petite voie canalisée n’est pas prioritaire, et même susceptible d’être rompue. Vers le nord, le tronçon est déjà plus aménagé, la voie unique (en rive gauche) goudronnée de frais, les maisons déjà plus cossues, plus apprêtées, le trottoir refait de granit lisse aux angles carrés. Il en sera de plus en plus ainsi en remontant, en franchissant shijo puis sanjo, où, gagnant en aménagement, le canal perd en poésie, en diversité (une seule espèce d’arbres, plantés avec régularité métronomique par la municipalité), en chaleur, en ombres douces, en calme, et n’est plus bordé que de commerces tonitruants et tapageurs.

Jizô

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— je trouve un autel de Jizô le long d’Horikawa, côté canal à sec, avec deux petits édicules en fait. Le plus gros empli de 5 ou 6 pierres, avec à droite une sorte de cygne composé de tsurus en origamis blancs. Le plus petit est occupé par une seule pierre difforme, mais peinte de manière naïve au portrait de la divinité, un peu enfantine. J’y finis les deux rouleaux (dias et NB).

Arbres indisciplinés — au parc du Palais impérial : photo du grand arbre à béquille. Je ne trouve pas les autres arbres entourés de cercles de cailloux que j’avais vu il y a quelques années. (cf. notes du Samedi 27 mars 99 : “ Retour à pied, puisque j’ai le temps et qu’il ne pleut pas, malgré le vent et le froid. Je rentre dans le jardin du palais impérial, et remarque que, malgré les parterres de pelouse dûment marqués de bordures en arceaux entrecroisés et surtout de larges et profonds caniveaux, trois arbres poussent au-dehors, sur les grandes allées de gravier, contrairement à tous les autres. Ce sont d’abord deux vieux pins, aux branches soutenues par des béquilles, poussant à même l’allée. Dans ce pays si rigide, au respect des règles si intransigeant (?), on n’hésiterait donc pas à en sortir, ou à jouer de la sortie pour exprimer quelque sentiment. Pour le troisième, la figure est plus amusante encore : on lui a recomposé un îlot de pelouse pour lui seul, rond, bordé de grosses pierres, comme un bout d’archipel détaché du continent. Pour le coup, on n’aura pas supporté que la figure habituelle ne s’applique pas, même hors limites. Il se peut qu’à l’origine tout simplement les allées aient été moins larges, car je n’imagine guère qu’on ait sciemment planté ces arbres au sein des allées. On ne les a pourtant ni abattus ni déplacés, et les deux figures adoptées ont été jugées admissibles, quoiqu’il faille clairement délimiter des parterres plantés et des allées gravillonnées. Photos des précédents, ainsi que des remparts et de leurs caniveaux. ”)

Toriimoto — Toriimoto : en bas du torii. Sur la carte est marqué : sagano Toriimoto dento teki kenzo butsu gun (groupe des bâtiments traditionnels) hozon chiku (sauvegarde). Fujio me précise qu’il est allé une seule fois au Adashinonenbutsuji, un peu par hasard. Mais il se promène tous les dimanches. Pour Toriimoto : “ C’est au mois d’avril, vers 7h du soir, je suis allé ici. Je me suis promené sans aucun but. Je crois que c’était un jour férié : il y avait eu beaucoup de monde durant la journée, mais vers 6-7h, il n’y avait presque plus personne. J’ai marché ainsi jusque vers 8h, de nuit. Auparavant, je m’étais promené près de Osawa no ike, près de Daikakuji. C’était en mars, vers 4-5h après midi, par un temps un peu froid, avant la floraison des cerisiers. C’est la mémoire qui me fait apprécier ces lieux : non pas des poèmes anciens, mais plutôt le récit des Heike et du Genji. (…) C’est en fait exactement la rue au pied du Adashinonenbutsuji, mais qui se prolonge. Toriimoto, comme son nom l’indique, n’est finalement qu’un village devant le temple, plus exactement une rue d’accès bordée de commerces pour les pèlerins. Les boutiques ont profité, et se sont établies en maisons, qui ont conservé leur aspect traditionnel et leur façade de bois, quitte à le rénover de manière outrancière pour les plus basses. Parmi les dernières, tout au bout avant d’atteindre le torii rouge au pied de la montagne, cinq d’entre

- 71 - - 72 - elles ont conservé leur toit de chaume. La toute dernière, implantée après même le torii, a disposé quatre coquilles d’awabi (ormeaux) sous le faîte, la nacre intérieure tournée vers le ciel. Interrogée, la patronne me dit que c’est pour protéger le chaume des corbeaux. Au milieu de ces chaumières, un kura blanc. Tout est là pour reconstituer une ambiance ancienne et un peu précieuse, y compris les matériaux employés : palissades en ramilles de bambou, pavage de granit en une ligne centrale de la rue, entre les bandes de roulage de gravillon lavé, bordées de profonds caniveaux où l’eau claire de la montagne ruissellerait à la moindre averse. Parfois, l’intimité du lieu s’accentue encore lorsque la resserrement est plus grand, que la rue borde le rocher auquel s’accrochent les arbres aux racines tordues. Un petit autel de Jizô y est ménagé, plus haut un autre est construit de caillebotis rouge. Les maisons ne sont pas vraiment alignées en un front continu, comme celui des façades de bois du village de Kurama qui serpentent en montant la vallée, dessinant par elles-mêmes le corps sinueux de la rue. Mais comme pour contredire la solitude du lieu, le tablier métallique de la parkway traverse le vallon juste au- dessus des toitures. Vers 9 heures, les marchands commencent à recomposer leur étal, et comme je redescend vers la ville et me rapproche de la gare, je croise les plus matinaux. Tandis que je prends des notes, un cycliste qui monte la côte en poussant son vélo (pourtant muni d’un double dérailleur) m’interroge, me demandant si j’écris un haïku. C’est donc que la chose lui semble suffisamment plausible, sinon évidente : que ferait un solitaire la plume à la main en ce lieu célèbre, à cette heure matinale, si ce n’est de composer un haïku, fut-il étranger. La pratique en est en effet courante, et j’avais ainsi observé une jeune femme écrivant sur un petit carnet, au sein de la foule quittant les cérémonies de l’Aoi matsuri du Shimogamo jinja il y a quelques années. Elle m’avait confirmé qu’elle composait effectivement. Cette pratique est d’ailleurs très ancienne, autant que le Japon historique, et sans doute héritée de Chine comme l’écriture elle-même. C’est dès 905 (puis en 1012 et 1205), sur l’ordre de l’empereur Daigo, que l’on commence à compiler par milliers ces courts poèmes. La récente traduction du “ Voyage dans les provinces de l’Est ”, par J. Pigeot, nous montre comment en 1242, un auteur voyageur ponctue chacune de ses haltes en des lieux remarquables et célèbres, de réminiscences du panthéon poétique, et de ses propres compositions. Dans la conversation, ce cycliste m’apprend qu’il se rend en réalité au sanctuaire Kyotaki (la cascade pure) lui-même, situé sur le sommet de la montagne, à deux heures de route. C’est probablement l’existence de ce lieu sacré et visité, d’où l’on doit jouir d’une vue splendide sur la ville de Kyôto à ce que j’ai lu, qui a fait la célébrité de cette côte marchande, et de la route à péage (parkway) qui monte au sommet. Tandis que je prends mes notes, je compte une demie douzaine de taxis qui, successivement, y montent ou prennent place au début du péage, là où les pèlerins renonceront à continuer à pied.

Rue du marché voisin — Petite observation rapide de la rue perpendiculaire, côté sud, la rue commerçante qui mène au supermarché que j’ai fréquenté depuis un mois. Elles est équipée de chaque côté d’une arcade métallique couvrant exactement les trottoirs, en continu, devant les magasins, sauf aux deux passages de rues. Tous les rez de chaussée y sont occupés par des commerces, qui ouvrent en grand sur le trottoir et y disposent des étals supplémentaires occupant jusqu’à la moitié du

- 72 - - 73 - passage, et parfois sur l’autre côté du passage, contre les bornes de granit supportant des chaînes d’inox (sans doute pour empêcher les voitures de se garer à cheval sur le trottoir), de fait qu’on passe dans un tunnel appartenant à ce magasin. Le sol a été couverts de pavés de ciment rose. Le plafond est éclairé de demies sphères de néon. En fait, mon sentiment est ambigu. Je me suis précipité dès les premiers jours pour découvrir cette rue, et les magasins très divers qui s’y trouvent : spécialiste d’algues, de thés, quincaillerie aux vanneries toutes simples et magnifiques, magasins de chaussures, de vêtements, de légumes, “ pas-cher ” ou “ tout à 100¥ ” avec son message tonitruant et obsessionnel que débite à toute vitesse une bande magnétique, boulangerie (toujours fermée trop tôt), fabriquant de plateaux de suchis tout prêts, supérette, supermarché (pas Hyper). J’en apprécie l’animation, la diversité, la simplicité des marchandises communes (mais parfois exotiques pour moi) ? mais pas les matériaux, laids, rouillés. Quelle piètre figure par rapport aux rues à arcades de Turin, de Berne, et de bien d’autres villes. On ne me fait la grâce de cette couverture au japon que parce que je suis un acheteur potentiel, dans ce lieu : toutes les galeries et rues couvertes sont des galeries commerçantes. D’autre part, la règle est ici de rouler sur le trottoir pour les vélos, lorsqu’il est suffisamment large, et d’autant que la circulation est assez dangereuse, les voitures stationnées illégalement (mais temporairement) gênant celles qui circulent, et obligeant le vélo à emprunter jusqu’au milieu de la chaussée. Le peu de place laissée au passage sur le trottoir, les vélos qui y sont (mal) garés, sans souci des autres, les passants piétons, les petites vieilles poussant leur chariot à bagages, à s’asseoir et à se maintenir, tout cela bouche perpétuellement le passage. On est pris dans une contradiction, on pourrait dire un mensonge du lieu, une double exigence impossible, une entrave à la libre circulation. J’y suis pris et enfermé dans une relation purement commerciale, ralenti exprès pour être attiré par les étals, et je déteste être réduit à ce statut. Le supermarché, à l’inverse, a disposé sa façade en recul de 2 ou 3 mètres afin que les vélos puise se garer au-devant, ce qui est fait en bel ordre. A droite d’une des portes vitrées automatiques, se trouvent trois poubelles, débordantes de petits plateaux de polystyrène blanc usagés pour les 2 premières (tous les poissons et les viandes sont vendus ainsi : le supermarché prend la responsabilité d’éliminer convenablement ces déchets polluants), le dernier de cartons de boîtes de lait d’un litre, convenablement pliés par les ménagères pour prendre moins de place. Mais ce débordement est un peu sale et râgoutant, lorsqu’on vient faire ses courses. Peu avant, un renfoncement montre les stocks de cartons, de cageots, de poubelles du supermarché, qu’une benne vient justement collecter. Il y a nécessairement moins de monde aujourd’hui dimanche midi, mais pourtant une bonne moitié des commerces sont ouverts. Une dizaine de photos, jusqu’à 13 sur l’appareil.

Ebisu Yon chome —relevé photo complet de la rue, d’abord le côté gauche (une vue de l’entrée d’abord), puis le droit. Comme je l’ai fait bien en continu, je ne fais pas de relevé sur papier comme à Kyôto. Je commence au n°23 d’un rouleau, puis 2 autres rouleaux.(ou 3 ?). Comme il est tôt, les amoncellements de sacs poubelles blancs ne sont pas encore enlevé (ils le seront vers 9h), ce qui déforme un peu. De plus, les magasins sont fermés, les publicités sont rentrées, et il y a peu d’animation.

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En négatif : sacs poubelles, machines à boisson éclairées au néon, les pylônes de béton, le téléphone cabine vert, les couleurs criardes (encore que je les préfère aux tons passés des faux matériaux des immeubles neufs), les bornes cônes en plastique rouge et surtout vert rayé de blanc, les poubelles spéciales pour les cannettes métalliques que vendent les machines. En positif : l’absence de trottoir, finalement, les pots de fleurs et de plantes nombreux, le cerisier devant la seule maison de bois encore visible, mais abandonnée. En fait, elle appartient à un petit quartier (une rue seulement) en contrebas, prise entre deux terrains vagues (démolis) convertis en parkings momentanément, et qui a été complètement vidée de ses habitants. Les plantes y ont poussé depuis un an. Impression de ruine, d’abandon, de maison abandonnée, de demi mort : la vie était ici il y a peu, autrement plus présente que dans les immeubles qui prendront place bientôt. Il y en a toutes les traces, ces vélos d’enfants, ces machines à laver, à climatiser, ces radiocassettes abandonnés sur le trottoir. Les hyosatsu ont été ôtés, les portes clouées. Impression puissante. Sur le cerisier qui pousse au coin d’un petit jardin particulier, qui domine un escalier descendant à cette rue, un petit panneau (dernière photo de l’ensemble) semble en raconter l’histoire, et le répertorier sous le n°616 goo, et le dater du 4 juillet de l’an 7 de l’ère Heisei ?(il y a les kanjis Hei-byoo et dai). Est-ce Heisei, qui commence en 1989. Alors il ne s’agirait que du recensement de l’arbre, car il est déjà assez vieux. Tout en bas, du côté droit, il y a un petit garage en tôle rouillée, avec un étage, qui abrite dessous une camionnette. Pour moi, il est simple et beau, vrai. Une des rares manifestations simples de la pauvreté réelle de certains, et puis enfin quelqu’un qui ne cherche pas à paraître à tout prix (peut-être suis-je bien naïf, ne sachant pas le pourquoi). Alors que sur l’avenue que croise alors cette rue, un peu plus loin, se trouve un grand bar du soir, ZEST, qui se veut de style californien, et dont la façade est recouverte de plaques de tôle ondulées un peu rouillées. Mais c’est de la décoration. Elles n’on pas rouillées ici, sur place. C’est trop artificiel (même si c’est moins laid que les immeubles passe-partout). Au n°20 de ce rouleau je change de côté, non sans avoir pris avec du recul l’entrée de la rue, rayée de tous les fils aériens de l’avenue. Intéressants : les interstices entre les maisons, sorte de délaissés où l’on ne peut faire grand chose, où l’on ne peut même pas passer parfois. Y dépassent des tuyaux d’aération, d’évacuation, des machines à air conditionné, des protections de fenêtres ouvrant sur un horizon à 20 centimètres. Mais surtout les plantes qui y poussent, qui y reprennent leurs droits dans ce climat tropical, qui grimpent sur ces murs si laids et les cachent, les gagnent, regagnent leur place. Une lutte. L’image d’une lutte. Ridicule : le nom de cet immeuble beigeasse “ Maison de Royale ”, inscrit en anglaises de cuivre prétentieuses, déconnectées, fausses, mensongères (mes jugements sont très moraux, comme le sont les notions esthétiques japonaises). Et j’en arrive au petit immeuble du restaurant de râmen que j’ai fréquenté, juste avant le bâtiment de l’école élémentaire construite il y a un an, laide autant qu’il est possible. Cet immeuble, maintenant que je le regarde autrement, est bigrement intéressant. Il est fait d’une grosse structure de béton brut, lisse, beau comme seuls savent le faire les japonais à la suite de Tadao Ando. Structure qui prend sa place, qui marque et occupe le volume qui lui est octroyé dans la cité, qui dessine ainsi son espace, son urbanité, et la rue comme continuum de maisons (machinami). Il ne marque guère plus que les arêtes du cube, plus les étages, avec des retombées cependant, quelque chose - 74 - - 75 - comme un exosquelette, une carapace trouée. En fait, il hésite un peu entre de simples arêtes et un voile cubique, percé. Car justement, derrière ces percements, apparaît un grand volume rouge vif qui monte sur les trois niveaux et ressort sur la terrasse supérieure, avec une forme presque libre (qui veut l’affirmer en partie supérieure, au moins), et qui d’ailleurs en émerge sur le côté au premier étage, en un grand balcon qui dépasse comme un tiroir. N’était le manque d’intelligence des détails pour l’exprimer, c’est exactement cette question du rapport entre structure, peau et décor de studio : au rez de chaussée, la façade sur rue du restaurant de râmen est décorée (construite ?) en bois (planches larges disposées à clins entre des tasseaux verticaux), exactement avec l’apparence de la vieille maison près du cerisier, qui va être bientôt démolie. La couleur rouge vif est bien choisie : celle des chairs sous la peau, celle des kimonos de dessous (je crois), image de vie et de jeunesse. Je finis par un zoom de la rue en descendant, avec une photo tous les 20 pas (15m). Toutes sont prises à l’angle maximum, 28mm. Je finis par quelques détails : le coin d’un magasin fermé, avec un robinet, des bacs de lavage en plastique bleu, le pylône de béton qui supporte de multiples indications, un pot avec une plante au-devant, tandis qu’on aperçoit au fond une machine à canettes : tant de choses et de télescopages en si peu de place… Puis les plantes qui poussent sur le parking, vide aujourd’hui, comme sur un terrain vague parisien. Et enfin la petite rue derrière, dont je viens de parler. Tentatives d’embellissement : le gros rocher de granit gravé au nom de l’entreprise, devant un immeuble hideux : YuuESUII.

Hongo — Comme mon plan n’indique pas les toutes petites rues, j’en prends une par mégarde, et par bonheur. A quelques cents mètres du carrefour de 2 grosses avenues, je me retrouve en pays de connaissance, avec des sentiers presque plus que des ruelles, qui zigzaguent, prennent des escaliers, ne laissent passer que les piétons, font des culs de sac, etc. Tout de suite une ambiance plus sympathique. Sur la rue carrossable, une maison de bois (elles deviennent très rares), dont le devant est tellement encombré de pots de fleurs qu’il ne reste à l’habitant qu’un petit sentier devant sa porte pour entrer. Mon attention attirée, je vois que la parcelle vide adjacente laisse apercevoir au loin un building à la silhouette futuriste, derrière l’éternel pylône électrique bardé de ses câbles et transformateurs. L’ensemble du tableau est un beau résumé de la situation de ces quartiers (plusieurs photos, presque en début de rouleau). Hongo semble construit sur une butte, et toutes les ruelles qui s’échappent de la rue carrossable montent à droite, ajoutant une dimension géographique, presque terrienne et rurale au lieu : le carroyage des parcelles a dû se plier à la difficulté naturelle, la contourner. Je retrouve plus loin, après avoir rencontré une petite poignée de maisons ayant encore un peu de bois, ou de jolies barrières, et un petit immeuble qui a été construit sans abattre le Ginkgo qui poussait là (on l’a quand même sérieusement rabattu), à un carrefour où les rues sont marquées au sol d’indications envahissantes (la seconde ayant des zones de piétonnage peintes en vert derrière les lignes blanches), je retrouve la grande nagaya pour étudiants à trois étages, en bois. Elle est effectivement belle, sous ce soleil matinal mais déjà brûlant. Qu’a-t-elle objectivement de si charmant ? Elle tranche sur les autres bâtiments par sa couleur sombre, celle du bois vieux. Elle est pourtant quelque peu rapiécée, avec des boutes de tôles ondulée

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(ou plastique ?) à certains balcons, du contreplaqué pour remplacer certains volets. Son existence comme témoignage, comme persistance, y est sans doute pour beaucoup.

Nezu — Je retrouve les petites rues de Nezu, qui sont éblouissantes de plaisir simple aujourd’hui, dans ce soleil revenu après trois jours de typhon. Juste après la nagaya de bois, je vois une femme d’âge mûr, qui arrose ses nombreuses plantes disposées au-devant de chez elle (photos) : c’est l’embellissement en pleine action. Tout le tronçon de rue, et bien plus encore celle de derrière, parallèle, est envahi de plantes et de fleurs, en fait comme un jardin tranquille, comme ces havres de verdure fraîche et humide des jardins du sud de l’Espagne. cette dame y passe pas mal de temps, de plus, tandis que je prends des photos et des notes. C’est dire que, si elle se donne quelque chose à elle-même, elle donne aussi au voisinage, elle montre : son jardin est une relation sociale qui passe par l’esthétique. elle a de plus des plantes au balcon de sa petite maison. Le ventilateur de sa machine à air conditionné, que je n’avais pas aperçue au premier coup d’œil, est un peu masqué par une grille de bois. La maison suivante est pleine de fleurs aussi, mais le balcon de l’étage est aujourd’hui rempli de linge à sécher. Familiarité. Non contrôle de ce que l’on montre, ou bien valeur différentielle du rez de chaussée et de l’étage ? En face, il y a un chantier, avec une pelleteuse en action, et une dizaine d’ouvriers en bleu horizon de travail. Du coup, on aperçoit la face latérale d’une maison, protégée par des tôles ondulées rouillées. C’est beau. Une maison voisine montre son bocal à poisson rouges à l’extérieur, et les poissons ouvrent leur gueule affamée à mon approche. Le petit teinturier travaille derrière sa fenêtre ouverte, repasse et plie des chemises blanches. Si je m’adonnais à une “ tentative d’épuisement ”, tandis que je prends mes notes, j’énumérerais un vélo, un homme d’une quarantaine d’années qui marche lentement avec une canne, comme après une opération, une femme poussant devant elle une poussette de bébé, une voisine qui sort et regarde ses nombreuses plantes, le tintement de la clochette furin au balcon au-dessus de moi, deux femmes âgées qui se croisent en se saluant, l’une marchant avec une canne, un homme en blouse blanche qui sort du restaurant du coin de la rue, une pelle à poussières et un e balayette à la main, pour ramasser deux bouts de papier au sol de la rue, tout en discutant avec la droguiste qui sort ses étals sur la chaussée, une micro-camionnette qui passe en ralentissant (il y en a très peu) : quand il n’y a plus de marques au sol dans la rue, alors l’ambiance devient agréable. De la largeur vicinale comme variable déterminante du sentiment esthétique dans l’urbanité ordinaire. En quelques notation, on a déjà toute l’ambiance familière et tranquille du lieu, toutes choses qui “ n’auraient pas lieu ” sur une grosse avenue bruyante et agitée du centre ville. Il n’y a pas de crottes de chien, alors que les japonais en élèvent de plus en plus, et les promènent dans ces lieux plus calmes. Il y a des nagaya pauvres, mais aussi des maisons à l’architecture et aux jardins soignés. On a l’impression que la vie reprend, comme après la guerre, après ce typhon, avec ce soleil joyeux. On fait tout sécher : les parapluies aux fenêtres et aux balcons (photo). Ruelle débordante de fleurs et de verdure. Magasin de riz brut prêt à décortiquer et à

- 76 - - 77 - emballer à la demande, artisans, chantiers, squares avec jeux d’enfants, micro-temples, fétiches de setsubun. Ce serait encore une autre manière de savoir qui apprécie tel lieu (à tel moment), si l’on considère que le fait de le fréquenter a une relation probabiliste (même complexe) avec l’appréciation : décrire les personnes qui sont là, qui stationnent ou qui passent, à quelle vitesse, de quel âge, accoutrés comment, seul ou à deux, voire en famille ou en bande.

Hibiya — L’après-midi, mais malheureusement sous un début d’orage et de gros ciel gris, très lourd, je vais voir ce par d’Hibiya que je n’avais jamais traversé, et qui n’est guère beau. Hybride de parc à l’occidentale et de motifs japonais (glycine, pièces d’eau), il est mal entretenu, les allées goudronnées le font plus ressembler à une avenue qu’à un jardin. Je préfère presque ces avenues, pas trop larges, plantées de ginkgos entre lesquels on entretient des haies d’azalées, ou bien comme j’ai vu ce matin à Hongo, et qui font comme un mur ou un écran entre la chaussée et le trottoir, face au magasin qui en profite pour annexer cet espace et déborder largement, nous faisant généreusement bénéficier de ses stocks de cageots de plastique entreposés. Il est certain que ce parc d’Hibiya a une histoire, importante pour l’urbanisme Japonais (cf. les articles lus d’Iyori et bien d’autres), qu’il leur fait peut-être penser à Central Park ou aux Tuileries. Mais si c’est tout ce que l’on propose à la population comme embellissement de la ville, c’est une tromperie totale. Effectivement, lorsque les gens on la possibilité d’aménager leur voisinage, d’embellir leur entour, les ingrédients font appel à la verdure, à l’eau, aux poissons (comme j’ai vu ce matin à Nezu), aux bonsaï, aux coquillages (et quels autres ingrédients ?), aux petits jardins pour enfants (pas très fréquentés en fait) à la nonchalance. Mais d’une part ce sont eux-mêmes qui le produisent et l’entretiennent, d’autre part c’est à la porte de leur maison, si ce n’est en façade, comme une seconde peau (un halo). Alors que ces parcs sont à distance, et n’ont plus rien de la bonhomie avec laquelle on agence ces matériaux. Le contraste est frappant entre le quartier proche, Marunouchi, avec ses buildings bancaires [est-ce vrai que la totalité du quartier appartient à la même compagnie ? comme me l’a affirmé Watanabe], ses rues sinistres coupées à la serpe, au trièdre trirectangle, et cette tentative pitoyable d’embellissement, de rattrapage. On a là, derrière le leurre de l’équivalence des matériaux, et l’élaboration plus savante des formes, une image de la différence de position des concepteurs. Un embellissement à vivre, généré dans le même mouvement qu’il est vécu (je ne dis pas qu’il n’a pas une dimension démonstrative et publique, je l’ai noté plus haut), mais au quotidien, et un espace conçu par d’autres que ceux qui en jouiront éventuellement, un espace ostentatoire, plus destiné aux magasines internationaux ou destinés à montrer au public Japonais son accès à la dimension et au concert international. L’ironie est que les bancs sont occupés soit par un salaryman du quartier voisin, exténué, allongé, la tête sur son attaché-case, soit par des clochards qui n’ont d’autre refuge. Pour eux ce parc acquiert un sens, par détournement. (pas de photo)

Nihonbashi — Nihonbashi. Impressionnant de voir ce lieu symbolique (on a construit une stèle pour rappeler la valeur historique de ce

- 77 - - 78 - monument), comme je l’ai vu sur les photos d’archives, et d’une part ce pont de style victorien ou Napoléon III, recouvert d’une énorme autoroute, le tout sur fond d’immeubles-crayons et de circulation tonitruante. Un bateau bleu passe sous le pont. Il paraît qu’on peut faire un circuit touristique en bateau à partir d’Asakusa, qui remonterait kandagawa et redescendrait par ce canal, sous l’autoroute. berque qui parle d’écosymbolicité : lorsque l’on traite ses propres symboles de cette manière, que reste-t-il de la culture ?

Kagurazaka — Vendredi 24 août 2001 Matin : je vais à pied à Kagurazaka, en passant devant le building futuriste aperçu la veille, et qui n’est autre que la mairie de Bunkyo- ku. Il est vrai à la fois que Kagurazaka a dû beaucoup changer, comme dit Watanabe, car il n’y a pas un bâtiment ancien, et que la côte aligne des immeubles neufs. Il y a pourtant une ambiance, une agitation spécifique, de ces lieux de badauds en goguette comme les rues à gogos et touristes du quartier latin. A la fois un rythme agité, de petites boutiques et restaurants, qui se multiplient dans les ruelles adjacentes, quelque chose de congruent avec le rythme ralenti d’une côte. Mais rien de bien ancien, et on ne peut même plus marcher sur le trottoir tellement il est encombré. Quelques photos, par acquis de conscience. En traversant le pont, et sur le pont même, on aperçoit le plan d’eau de la Kandagawa qui s’étale jusqu’à Ichigaya, avec ses rangées de barques qui attendent les canoteurs du dimanche. Cela m’a toujours surpris, presque au pied des buildings. A peine si la rangée de cerisiers de la rive les séparent, et donnent comme un écran de verdure, un décor de fiction pour se croire dans la nature, comme les lacs du . Sur l’autre rive, après l’imposante pile de pierre, qui devait être l’ancienne tête de pont et sans doute la porte de la ville dont parlait Hovelaque, on a aménagé un sentier en crête de la butte qui surplombe la Kandagawa, au milieu des tronc d’arbres puissants et tordus, pins et autres essences. Entre les feuillages, on aperçoit aussi l’embarcadère, en contrebas, derrières les lignes de train Tsuo-chobu qui passent dans leur vacarme habituel. Retour. Visite de Jennifer Hasae, qui a fini par trouver le chemin et le temps. Je l’emmène visiter Hongo, une nouvelle fois pour moi. Du coup je ne prend pas les notes que je voulais.

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Deux ou trois rues

“ Kita Onmaedori ” — Jeudi 2 août 2001 Observation de ma rue : croquis des façades, et photographies : un rouleau à partir de 17, puis 2 rouleaux complets, et un troisième entamé jusqu’à 21, consacré à un travelling dans l’axe de la rue, depuis le carrefour du nord sur l’avenue imadegawa, jusqu’au carrefour du sud. A 7h 45 les poubelles ponctuent de petits tas bleus vif les deux côtés de la rue, comme en quinconce. Elles ne seront retirées qu’à 10h30 aujourd’hui, après avoir bien chauffé sous le soleil caniculaire, avoir gonflé et fermenté à souhait. Au débouché de la rue sur Imadegawa, le petit jardin qui semble dépendre de l’école de police voisine (sur la rue adjacente), est peuplé d’une multitude de cigales (deux fois plus grandes qu’en France) qui font un vacarme assourdissant, après avoir commencé timidement vers 5h30. (il doit être assez humide pourtant, car je m’y fais piquer 10 fois en quelques minutes de notes) Au matin, il n’y a encore que quelques personnes à pied ou à vélo, mais déjà quelques voitures qui passent (c’est une rue plutôt tranquille), tandis que sur l’avenue le traffic est déjà en place. L’antiquaire, accroupi, nettoie ses nouvelles acquisitions sur le devant de sa boutique et dispose son étal, qu’il protège de linges contre le soleil déjà violent. A 8h, la journée paraît bien commencée, même si le premier magasin, de vêtements bon marchés, tient encore ses rideaux fermés : hommes en chemise blanche, femmes en ombrelles, devants de magasins et plantes arrosés. A 8h50, ouverture du café CLAIR. La patronne regarde de droite et de gauche en posant sa pancarte pour les prix, façon de prendre possession de la rue, de reconstruire l’espace autour de son magasin. Le fleuriste, encore fermé à 9h, montre finalement la façade la moins fleurie de la rue, et a laissé une grosse caisse de plastique bleue fort laide devant chez lui. A 9h15, on entend les cris d’exercices de l’école de police voisine. A 15h 30, pas grand chose de changé. Le fleuriste n’a pas sorti beaucoup de plantes, et aucune fleur. Bien sûr la magasin de céramiques et de raku est ouvert. La rue est vraiment quelconque : elle n’a pas le charme d’Ichijôdori, mais elle n’est pas non plus d’une laideur repoussante. Un peu trop large sans doute pour être intime. Tout un côté ou presque occupé par des murs fermés, ou par le grand immeuble, à part les trois maisons qui finissent la rue : cela la prive de bien des chances d’animations, de quelques maisons de bois qui auraient pu subsister, de voisins animés et soignant quelques pots de fleurs devant leur barrière. Mes croquis ne sont guère détaillés, juste faits pour pouvoir réassembler les diapositives. Je compte 26 parcelles de mon côté de rue, et 7 en face seulement, soit 31 au total. Sans épuiser la question, les choses particulièrement laides ici : - les jantes de roues de voiture peintes en argenté servant de base à des piquets soutenant une chaîne interdisant l’entrée à ce vaste terrain, au sol bétonné autour de trois vieux arbres qui on dû être magnifiques. - les tas de poubelles bleues, encore que je le dise plus par convention, et par crainte de la pourriture sous ce soleil brûlent, et par critique de l’incompétence des services de nettoiement à faire leur ronde à une heure précise, comme les métros ou les bus, ce qui permettrait d’exposer ses ordures le moins longtemps possible.

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Encore ici, les corbeaux ne viennent-ils pas les éventrer comme à Tôkyô. Ces taches de bleu dans la rue ne seraient sinon pas plus laides que les couleurs données aux façades et aux enseignes. - les machines à ventilation pour l’air conditionné, rajoutées aux toits de tuile, ou disposées devant la façade. Ce n’est pas tant l’usage et la nécessité de cette machine durant l’été, que je comprend fort bien, qui me choque, mais d’une part l’incohérence des deux univers de référence (tuiles traditionnelles/ machine moderne), univers esthétiques et formels ; d’autre part l’insouciance et l’égoïsme qui préside à leur installation, parfois même de manière incohérente et contradictoire : un magasin se doit de rafraîchir ses clients, et fait tout pour les inciter à entrer (façade avenante, embellie, rappelant l’accueil ancien avec des bancs extérieurs recouverts de feutrine rouge), mais dispose juste à côté ces machines qui lui soufflent un air brûlant à son passage. Chacun expose ainsi ces machines et ventilateurs qui n’on guère été dessinés esthétiquement (purs produits de l’industrie, de couleur sable systématique, sans aucune variation pour se marier au contexte, sans efforts d’encastrement dans le bâtiment alors qu’ils sont devenus systématiques et indispensables). Nus souci du passant (alors que ces machines pourraient ventiler vers l’arrière des parcelles, au-dessus des jardins intérieurs, ce qui arrive parfois), nul souci du spectateur (ou bien au contraire on serait encore fier de montrer qu’on dispose de cette machine, qui ne coûte pas grand chose aujourd’hui). L’incapacité de prévoir l’emplacement de ces machines dans les bâtiments construits depuis 10 ans est inconcevable. - les façades refaites “ modernes ” devant des maisons plus anciennes et plus traditionnelles, qui seraient en réalité autrement plus belles. D’autant que ces façades sont d’une esthétique pitoyable, même pas capables d’affirmer une modernité triomphante, insouciante et joyeuse comme dans les années 60. Non, elles sont propres, clean, aluminisées, modernisées dans leurs matériaux mais sans bénéficier d’aucune pensée, d’aucun dessin, comme il s’en était accumulé en définitive dans la typologie traditionnelle. Non pas qu’il faudrait recopier cette dernière indéfiniment, mais qu’il faudrait au moins atteindre son niveau de qualité (ce qui existe bel et bien dans les bâtiments de béton brut, plus ou moins réussis ou inventifs, mais qu’on devine dessinés par un homme de l’art). - Les nouveaux immeubles aussi, au dessin pitoyable, pauvre ; aux matériaux factices (fausses briques collées en façade) ; au gabarit sans aucun respect ni attention à leurs voisins, à la rue. Seul moteur : la rentabilité de l’opération. - les poteaux électriques. Non pas pour leur matière elle même, de béton gris clair et lisse, ni tant pour les toiles d’araignées qu’ils suspendent au-dessus de nos têtes, et dont on aurait décrété qu’ils seraient laids (pourquoi ? parce que nous n’y sommes pas habitués à paris ? est-ce qu’ils n’apportent pas un élément graphique inédit dans un ciel d’un bleu lassant ? est-ce qu’ils ne dévoilent pas l’accommodation d’un tissu urbain et architectural ancien à un mode de vie contemporain, que nous préférons cacher ?). Mais plutôt pour une raison presque secondaire, mais peut-être révélatrice : dans ces rues étroites, sans trottoirs (si ce n’est parfois une bande marquée par un trait de peinture blanche), où les voitures ne pourraient pas se croiser et où elles doivent ralentir pour dépasser un piéton ou un vélo, dans ces rues intimes et tranquilles plus faites pour la bicyclette et le piéton, mais qui tolèrent le taxi ou le livreur… non, je m’emporte, ce n’est pas tant dans ces rues-ci que précisément sur les trottoirs des avenues larges où le vélo est censé rouler, trottoir qui est encombré des devantures, des enseignes, des vélos de clients négligents, on se retrouve en plus à croiser un piéton juste à l’endroit - 80 - - 81 - où l’un de ces poteaux occupe la moitié du trottoir, et coupe la route. Leur implantation, si elle ne se préoccupe guère d’une beauté du paysage aérien urbain, ne se préoccupe pas plus de la commodité de promenade du passant. - les sols composé de fausses briques de béton coloré. - les pots de fleurs sales, en polystyrène, qu’on a accepté pour élever une fleur délicate - les débordements de certaines maisons qui étalent au grand jour et à l’admiration du passant tout ce qui les encombre chez elles : caisses de plastique, vielles bouteilles, vieux vélos, déchets de toute sorte, plus ou moins bâchés, devant leur entrée, voire même sur le trottoir d’en face. Là encore, la connotation morale prime : l’insouciance de l’autre, contradictoire avec les valeurs affichées en général. - les “ faux ”, la tromperie sur l’apparence, soit par copie d’ancien mal imité, soit par camouflage pour “ faire neuf ” : les palissades de bambou moulé dans du plastique jaune. ( je préfère, comme les japonais eux-mêmes autrefois, un matériau déradé par le temps, un bois mangé, un mur délabré, une tuile couverte de mousse ou de lichen, témoins de l’œuvre du temps et de l’emprise des éléments naturels). Au total, il y aurait 6 ou 7 façades de type traditionnel pas trop vilaines (certaines auraient bien besoin d’être nettoyées de leurs ajouts), 1 ou 2 façades modernes convenables (idem), le reste sombrant dans la médiocrité et la laideur. 3 photos de la rue, pour la partie qui était occupée par des camions d’intervention de l’électricité quand j’ai fait mon relevé. Vers 10h, le magasin de raku arrose devant chez lui.

“ Ebisuzaka ” le quartier à Ebisu : — dans le petit quartier voisin que j’aime bien, où j’avais fait des photos l’an dernier à Setsubun. Ne serait-ce que pour m’en faire un petit plan approximatif. Enfermé entre 4 avenues rectilignes, à immeubles hauts puisque leur largeur permet de les construire, et une rue plus sympathique, celle que je veux relever et où se trouve un épicier, le restaurant populaire de râmen et pas mal d’autres commerces. il présente surtout un dénivelé de 4 ou 5 niveaux entre le haut et le bas : un classique de ce qui rend sympathique un quartier comme Montmartre, la croix-rousse de Lyon, les pousseterles d’Auch, le quartier Gitan de Lisbonne, etc. Encore aurait-on pu l’avoir déjà détruit. Et sans doute s’en faut-il de peu de temps, car je note déjà pas mal de changements depuis l’an dernier, et pas mal de maisons neuves ou de chantiers en cours. Le renouvellement est très rapide. Il y avait surtout un petit entrelacs de ruelles et d’escaliers quelque peu labyrinthique, de quoi donner un peu de surprise ? Mais déjà un des chemins par l’escalier a été coupé, en deux endroits. Je ne peux tout noter de ce qui peut faire ou non la sympathie du lieu, bien que les maisons soient individuellement fort laides, il faut le reconnaître. Il doit en rester une à façade de bois, peint de rouge (et une autre de l’autre côté de la rue au râmen). Et sauf une maison d’architecte ou de Designer, toute couverte de zinc. Au début de ma visite, près du carrefour où débouche le couloir à trottoirs roulants qui mène à la gare d’Ebisu, derrière de hauts immeubles quelconques d’habitation, en haut d’une petite côte en “ S ”, je trouve deux immeubles que j’appelle HLM, car ce serait l’équivalent. Pourtant, entre eux, et surtout derrière le second, se trouve une vaste surface de jardin, une richesse à peine croyable dans ce quartier, encore plus pour des habitations très populaires. Ce qui

- 81 - - 82 - me plaît ? C’est la topographie, évidemment, c’est la complexité, la surprise, la découverte (comment cette voiture jaune peut-elle parvenir et se garer en plein milieu du quartier, après des baïonnettes infranchissables ? C’est la présence d’une verdure à la fois cultivée un peu partout, et aujourd’hui dimanche les gens grattent devant chez eux, jardinent, etc, ou bien “ sauvage ”, au sens où les mauvaises herbes sont laissées entre les interstices, car elles poussent sans doute trop vite dans ce climat pour qu’on puisse les éliminer, quand bien même on le voudrait. Ou bien encore cet arbre penché en travers d’une ruelle, qui m’avait tant plu et intrigué, et que je reprends en photo, celle du bas donnant à voir en “ horizon ” l’immense tour de la compagnie Sapporo beer qui se profile dans le ciel : image de l’urbanisme d’ici, du contraste des ambiances. Précisément, qu’est-ce qui fait l’ambiance de ces ruelles ? tout ce que je viens de dire. Leur étroitesse aussi. Le peu de monde que j’y rencontre. La télévision que j’entends à travers une fenêtre ouverte, en ce dimanche après-midi après la pluie, où il fait plus frais dehors que dedans, tout à coup. Cette humidité un peu moite que donne la présence des plantes et des jardins, par opposition à la chaleur sèche des avenues goudronnées, minérales, pavées, soufflant leurs centaines de ventilateurs des machines à air conditionné. Le silence, doublement : je n’entends même plus le vacarme des cigales (les mimi semi, les abura semi, les tsuku-tsuku-booshi) qui crissaient dans les grands arbres du jardin HLM. Je note justement les arbres un peu conséquents dans le quartier (il y en a quelques uns, qui se glissent en bout d’un petit jardin, en bordure d’un terrain). Silence des voitures surtout. Alors qu’on est si près des avenues. Sans doute aussi tous ces menus détails que je ne peux noter maintenant autour des entrées et des façades, quelque chose qui s’attache à des familles, à des gens, à des personnes et non pas à des sociétés, des entreprises, des commerces et fabriques. Un vélo, un scooter, une figurine de petit chien sur les marches, comme pour saluer le visiteur à la manière des grenouilles Kaeru (jeu de mot : kaeru veut aussi dire revenir, vous êtes le bienvenu) que l’on disposait d’habitude. Non pas qu’il n’y ait que des habitations : une “ église ” (Konkô Church azabu), deux bars du soir, un coiffeur pour femmes, un institut de design, et une sorte d’hôtel de passe intitulé “ Business hotel : stay 4500, rest (1h) 2800, Meeting(1h) 3800 ”. dans les plus grands dénivelés, le talus est retenu par ces murailles de pierres disposées à l’oblique, comme les remparts des châteaux, qui donnent une impression de force, de drame. Je note aussi qu’on protège pas mal et parfois de drôles de façon, la petite place de stationnement qu’on doit obligatoirement réserver sur son terrain pour avoir le droit de posséder un véhicule : ici c’est une barrières métallique en accordéon, sur roulettes ; là ce sont des cônes de plastique rouge vif, comme sur les autoroutes ; et devant cette bicoque, outre la corde de chanvre tendue, ce sont des paquets de jantes et de roues automobiles, des paquets de tuiles attachées de ficelle. C’est humain, c’est vivant. Et puis je me dis que c’est là un plaisir de piéton, de promeneur, ou d’habitant au repos. Mais quand je me préoccupe de travailler, ou de faire quelque course, est-ce au village que je vais ?

Ichijôdori Samedi 1 septembre 2001 Je veux finir mon rouleau NB, mais me laisse entraîner dans ma ballade des rôji au Sud-Ouest de leur maison, où il y a un entrelacs de ruelles qui me plaît toujours autant, avec quatre marches au beau milieu. A certains endroits la ruine est déjà là, mais par cette journée lumineuse rien n’apparaît misérable.

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Plutôt cette ambiance de calme profond. Parfois j’entends le feuilleton de la télévision, parfois le bruit d’un petit chantier, parfois celui des métiers à tisser la soie, parfois les psalmodies et formules magiques répétées d’un rituel qui s’opère. De temps à autre je croise une rare personne, une vieille dame qui pousse son chariot de soutien, une jeune femme qui fait sécher les , un enfant qui sort en lançant son “ itte kimasu ! ” puis s’enfuit en chantonnant, un vélo qui sifflote le dom juan. Je m’attarde sur les petits autels de puits, au fond des impasses, sur l’ambiance resserrée, avec tout ce qui dépasse et déborde des maisons, qui témoigne de l’aise qu’elles peuvent prendre avec confiance ici, qu’elles ne pourraient guère se permettre sur une avenue, et moins encore dans une manshion. L’intérieur de ce chô est magnifique, émouvant, d’une grande beauté vivante, pleine de peine, d’efforts, de drames, de sensibilité et de délicatesses. (fait 2 rouleaux NB de 24).

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Divers autres lieux

A titre d’illustration, nous donnerons ici quelques plus courts exemples de notations extraites du journal de terrain, et qui intéressent notre analyse.

égratignures 82— Vendredi 17 août 2001 ; Dans la rue, les voitures : pas une tache de rouille, pas une égratignure, pas une bosse. Elles ne sont vraiment pas Sabi ! homeless 55— En arrivant par train à Ebisu depuis Shinjuku, on longe un jardin public qui semble colonisé par les clochards : boîtes de carton, bâches bleues, tente igloo, etc. comme à Ueno quand j’y étais allé, on semble les tolérer dans les lieux publics de manière plus visible et établie que chez nous. Peut-être est-ce dire aussi le peu de considération qu’on a pour les espaces verts.

Un immeuble naturel (p 96)— Plus loin, en allant vers Nezu, j’aperçois un immeuble récent, e, béton probablement, de 4 ou 5 niveaux, tout recouvert de végétation, du haut en bas : vigne vierge évidemment, mais aussi glycine, et d’autres plantes entremêlées, avec encore pas mal de pots de fleurs et de plantes au sol de la rue. Photo, à la fois de l’immeuble seul, découpé dans la réalité, et avec un cadrage plus large, qui l’y replace au moins un peu, puisqu’il est entouré d’immeubles clairs et nus, secs, et de pylônes, ce qui donne une part d’explication. Mais il me pose la question de la “ quantité de nature ” que l’on attend d’une architecture et d’un habitant. Il y a là quelque chose de “ trop ”, même si c’est sympathique, en tous cas quelque chose d’exceptionnel et qu’on rencontre peu. Comme si l’on voulait masquer et nier la réalité de cet immeuble. Comme si l’on voulait se tapir au fond du bois : deux yeux, entre les feuilles, épieraient l’agitation de la ville et des passants, deux yeux d’une bête qui se serait mise à l’écart.

Ginza yonchome / Tsukishima 101— Nous nous retrouvons avec K. au carrefour de ginza yonchome, devant Mitsukoshi. Il y a un monde fou. Surtout des femmes qui entrent par vagues entières dans le magasin. Mais aussi l’avenue elle-même qui est coupée à la circulation (tous les week- ends, paraît-il). C’est un peu la même chose à Paris. Cette concentration autour des grands magasins, un jour par semaine. A la fois une dimension ludique, récréative certainement, une mise à jour des connaissances du consommateur, une impression de posséder par procuration. Sans doute pas trop de gêne d’être ainsi entouré de tant de monde, et sans doute plutôt un plaisir, un sentiment d’approbation, d’être dans le droit fil et la normalité, d’en être rassuré. Pour moi c’est tout le contraire : le summum de l’invivable est évidemment d’être empêché de respirer, mais le seul fait d’être perpétuellement entravé dans ma course, dans ma marche, est je pense à la base de mes sentiments agréables ou désagréables des lieux. K. m’emmène d’abord à Atagoyama, une colline qui fut un meisho de l’ancien Edo, et sur laquelle étaient implantés non seulement un Jinja qui existe toujours, avec son petit lac et une barque, mais un temple bouddhiste avec cimetière (cf. photo publiée dans son article). Le temple possédait quelques terrains, sur lesquels ont pu persister quelques maisons à l’ancienne, au pied de la butte, entourées - 84 - - 85 - d’immeubles de plus en plus nombreux et hauts. Dans ce qu’il reste des ruelles, plein de plantes, d’arbres odoriférants, de cigales. Pour sa thèse, il a interviewé une femme de 90 ans qui habitait l’une d’elles depuis 60 ans, et qui avant connu Edo avant le tremblement de terre, évidemment. Elle a dû quitter sa maison cette année, car elle sera démolie avec ses voisines l’an prochain. Le temple a vendu à la compagnie Mori Biru, laquelle a déjà construit deux immenses tours de l’autre côté de la colline, et possède la plupart des terrains du quartier. Qu’elle produise un univers invivable sur le modèle de Singapour ou de Hongkong ne semble pas la soucier. Il m’emmène ensuite promener sur les bords de la Sumida, dont on a ôté les murs de béton : c’est effectivement bien plus agréable ainsi. Il aime cet endroit, à cause de l’ouverture large du ciel. Nous allons jusqu’à St Luke Tower (tour de l’hôpital St luc voisin, 58 étages) du sommet de laquelle on a, à cette fin de journée, une vue assez explicite sur les tours de Tôkyô d’un côté, sur Tsukishima de l’autre. Nous descendons justement à Tsukuda, qui a été rénové récemment : l’association des habitants est parvenue à se défendre, à empêcher la démolition du quartier (4 ou 5 immenses tours à 100 mètres de là, à la pointe de l’île). N’étaient les pavés de ciment multicolores fort laids, on a presque l’impression d’un tranquille village italien. Il y a une atmosphère de farniente. Les gens sortes du sento et rentrent chez eux : “ la vie traditionnelle ” me dit K. En deux visites, voilà résumée la problématique de l’urbanisme. Mitsui qui possède tout Marunouchi, Mori tout Atagoyama, et qui y fera ce qui lui rapporte le plus tant que rien ne l’empêchera (passons sur les moyens de persuasion employés, qui ont été plusieurs fois dénoncés). La réussite des habitants de Tsukishima démontre bien la sorte de complicité collective dans cet urbanisme qui consiste à hyperconcentrer certaines fonctions dans certaines zones, où le prix du terrain monte en flèche, et à répandre l’habitat de petites maisons individuelles sur des dizaines et des centaines de kilomètres autour, avec des centres commerciaux au-dessus des principales gares, même si les employés doivent donc effectuer des trajets où ils épuisent une partie notable de leur vie et de leurs ressources. Le facteur humain n’entre pas en ligne de compte dans ce non-urbanisme, pas plus qu’il ne compte dans l’essentiel de la philosophie asiatique quotidienne. La vie d’ici-bas est méprisable, méprisons-la.

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V. Observations II : lieux désignés

On ne peut pas expliquer la pauvreté de cartes postales comme représentation de la ville de Kyôto (et c’est encore bien pire dans d’autres villes qui possèdent moins de monuments et de temples célèbres et visités) par ce fait que les temples, et particulièrement ceux qui disposent de jardins remarquables, Zen ou non, sont des propriétés privées, faisant payer un droit d’entrée qui leur permet de se financer grassement, et réservent à leur seul profit le droit de représenter photographiquement et de vendre l’image de leurs possessions (cas du Entsu-ji, tout particulièrement). Car il en est de même des multitudes de jardins intérieurs (nakaniwa) des machiyas de Kyôto, lesquelles ne sont représentées que dans des ouvrages, et jamais en cartes postales. Car de multiples lieux publics présentent un charme, une poétique, un pittoresque que les visiteurs occidentaux ne démentent pas, et qu’ils mitraillent copieusement, pour peu qu’ils aient la curiosité de s’éloigner des sentiers battus et des monuments recommandés par leur guide favori pour une visite rapide et point trop fatigante. D’abord, il faut sans doute penser que ces cartes ne sont pas destinées tant au marché constitué par un regard occidental sur la ville, et que les visiteurs autochtones ou asiatiques dominent largement, comme il est aisé de le constater en tout lieu de pèlerinage et de visite touristique.

Les images proposées les cartes postales de Kyôto 13— Les cartes postales sur Kyôto achetées à la coop. Il y avait en fait 3 pochettes, mais l’une n’était faite que de dessins, assez vilains, recopiant le contenu des cartes photographiques. Pochette 1 (360¥, quoique le prix de 400¥ y soit imprimé): elle porte sur la couverture, devant, à côté d’une image du pavillon vermillon du palais impérial aperçu à travers une porte entrebaîllée, l’inscription : “ 12 special selected photographs enclosed, KYÔTO (les 2 kanjis), By Norio ueda ; The beautiful scene brings to mind the sparkling glitter of diamonds ”, et au dos, au-dessus de qui semblerait la reproduction (détail) de l’une des cartes (branche de momiji vert tendre), ou plutôt à sa vue jumelle : “ beautiful and attractive spots in Kyôto ; Photographed By Norio ueda ; 12 excellent photographs of Kyôto ”. Les cartes sont du type récent, sur papier couché mat et non brillant, avec une très large marge blanche, dans un style un peu hamiltonien, vaporeux. Elles comportent toutes, au verso, autour de l’image, la mention : en bas à droite “ Wonderful Kyôto, international cultural tourist city ”, et en en haut à gauche de

- 86 - - 87 - l’image, en toutes petites italiques : “ Photographed By Norio ueda ”. Au verso, de nouveau, mais à l’encre gris pâle : “ Wonderful Kyôto, international cultural tourist city ”, et sous une ligne : “ A collection of excellent photographs of Kyôto ”. Au centre, la mention “ POST CARD ”. Et, juste en bas à gauche, à l’encre gris pâle à peine lisible, de tous petits kanjis qui identifient l’objet de la photographie. C’est dire que cette légende n’est pas lisible par la plupart des occidentaux, lesquels seront pourtant les seuls à acheter des cartes postales et à les envoyer (ce n’est pas une pratiques courante au Japon). Et si elles étaient en fait destinées au moins pour partie aux autochtones, il faudrait alors souligner l’abondance et la prééminence des textes anglais, lesquels insistent lourdement sur la notoriété touristique, et l’excellence du travail photographique, sans autre justification que l’affirmation péremptoire, voulant rassurer l’acheteur sur un choix craintif, la langue de l’occupant américain venant sceller la valeur incontestable du jugement esthétique. Elles représentent respectivement : - L’étage supérieur du pavillon d’or - La terrasse du Kiyomizudera, vue de loin - Les pentes boisées, où les momiji rougeoient à l’automne, au- dessus de la chute avant le pont d’Arashiyama. Une barque s’y distingue dans une légère brume flottant à la surface des eaux. - Les lanternes pendues en enfilade sous l’auvent du Heian jingu, aux charpentes peintes du vermillon éclatant, que la photographie réchauffe en un orangé rosé - Une grande branche de momiji aux feuilles rougies par l’automne, prise de dessous, sur fond du rempart de terre qui enclôt le Palais impérial, à gauche de la porte sud, semble-t-il - Un contre-jour des étages de la grande pagode du Tôji, se découpant sur un ciel rose du soir couchant. - Une branche de momiji vert tendre, tellement déformée par diffusion que les feuilles paraissent diffuser un halo phosphorescent, devant le banc couvert de feutre rouge pour accueillir les invités d’un magasin ou d’un temple, que l’on devine dans le flou de l’arrière plan. - Une grande ombrelle de papier rouge déployée devant des ramures de momiji en début d’automne, sans qu’on puisse aucunement localiser la scène - derrière un nuage vert produit par le flou d’un premier plan de feuillages, on distingue de gros Hortensias roses, devant une grille de bois qui précède un sudare (natte de joncs lâche) pendu à l’auvent d’une maison. - Deux des “ îlots ” de pierres du jardin Karesansui du Ryoanji, au milieu de leur mer de sable ratissée - un bois de bambous au dessin caractéristique de ces tiges droites et légèrement obliques, scandées de leurs nœuds réguliers, l’une d’elles se détachant en premier plan - Le cône tronqué de sable blanc du Ginkakuji (pavillon d’argent ”, sous une branche de pin, et sur fond du pavillon proprement dit. Au total, on est frappé par l’abus du filtre diffusant, voulant imprimer une atmosphère poétique, une évanescence du souvenir, une sublimation des objets photographiés, afin de les faire entrer dans la catégorie de l’esthétique, de les désigner comme objet de beauté. Le piqué et la netteté de l’image, par leur réalisme, empêcheraient l’image de décoller du trivial. On remarque aussi que le cadre est toujours serré, au téléobjectif, découpant la scène du contexte. Aucun être humain n’y apparaît. Aucun élément du Japon contemporain : seuls des éléments symboliques du patrimoine.

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Une seconde pochette, imprimée sur fond noir mat (360¥ également, pour les 400 imprimés), joue la carte du retour au Noir et Blanc artistique. Elle comporte les mentions : “ International Cultural Tourist City, Kyôto ; Attractive & Sentimental scenic Spots in Kyôto ”, respectivement au-dessus et au-dessous d’un cartouche imprimé en kanjis dorés, le tout disposé à droite d’une première photographie, carrée, encadrée d’un épais filet blanc, donnant un détail de façade de machiya (inu-yarai, kôshi, issashi, demado), composés comme un dessin géométrique de stries et d’ombres, à la limite de l’abstraction. Le ton est donné : c’est à l’œil de sélectionner la pure et simple beauté dans le spectacle de la rue. Au dos, de nouveau la phrase “ International Cultural Tourist City, Kyôto ”, bordant le dessus d’une petite photo, centrée, montrant une lampe de métal suspendue sous un auvent, laissant apercevoir une bande de volet en caillebotis. Les cartes elles-mêmes comportent les mentions “ Photographed By Norio ueda ” en petites italiques au coin à gauche, et “ Historical city with beautiful & romantic scenic spots, Kyôto ” au-dessous. Au dos, de la même manière que pour la pochette précédente, on trouve “ Wonderful Kyôto, etc. “ Elles représentent : [j’ajoute entre crochets la traduction de la légende imprimée en Kanjis au dos, toutes suivies de “ Kyôto ”] - l’entrée d’une boutique traditionnelle, sous l’issashi de laquelle pendent deux norens, l’un court et long, composé de multiples lais de lin blanc rustique (on en voit 12), l’autre devant la porte, derrière, long, de 5 lais inscrits du nom du de la maison : “ tsutaya ”. Au centre de l’image apparaît un fragment de shôji blanc, au découpage de petits bois géométriques, et à droite le banc d’accueil sur lequel repose une tasse cylindrique. [Sagano ayujaya —dans Toriimoto, c’est à dire ayu poisson/cha thé maison] - la même vue du tronc de cône, symbolisant le Fuji-San, du ginkakuji, mais avec un cadrage un tout petit peu plus large, laissant apercevoir la corne du toit et le retour de la paroi.[ Jishô-ji Ginkaku Kôgetsudai : en face de la lune —le cône—] - Le mur latéral d’un grand Kura couvert de plâtre blanc au toit de tuiles, doublé en grande partie d’un lattis de pin bruni, et percée de six fenêtres encadrée d’un bandeau blanc et disposant chacune d’un petit auvent de tuiles. La géométrie des blanc et noirs, les lignes hortogonales, la régularité sont mis en valeur par la frontalité de l’image, sans perspective (si ce n’est celle des rangs de tuiles) [Fushimi no sakagura, c’est à dire sake kura, grenier de fabriquant de sake] - une image très semblable à celle de la pochette précédente (décidément, le photographe a peu d’inspiration), représentant une ombrelle sous une ramure de momiji, que paraît transpercer un cercle de pleine lune( ?). Plus que la qualité graphique, c’est ici au objets- signes qu’il est fait appel, emblèmes d’une héraldique japonaise à la Loti. [Ô hara sanzen-in monzen no fûkei, c’est à dire paysage en face du sanzen] - un groupe de deux pierres aux mousses couvertes de neige, dans le sable savamment ratissé d’un jardin zen karesansui, très probablement au Ryoanji. [Fuyu no Ryoanji sekitei, c’est à dire jardin de pierre du R. en hiver] - un détail de façade d’une machiya de deux étages : au bas les éléments d’une longue barrière qui précède le barreaudage serré de la façade, sous un auvent hissashi de tuiles que surplombent cinq stores sudare de jonc léger, donnant leur ombre profuse. Là encore, la géométrie des stries noires et blanches composent un dessin très géométrique, à peine perturbé dans son abstraction par la légère perspective donnée à la vue, vers la droite. [Kamishichiken no - 88 - - 89 - ochaya, c’est à dire maison de thé de K.] - en perspective, la façade quasi-complète, dans une vue plus “ réaliste ” ou “ représentative ”, d’une vieille machiya commerçante, à l’issashi portant un long noren suspendu de 18 éléments, et supportant une lanterne enseigne marquée de deux Kanjis en écriture sigillaire. [Nishijin no machiya] - dans un format carré, la photo plus complète de la petite image figurant au dos de la pochette (montrant une lampe de métal suspendue sous un auvent, laissant apercevoir une bande de volet en caillebotis) [Heian jingu tsuri dôro, c’est à dire lanterne tôro suspendue au H.] - un détail de jardin, avec une pierre au sol, au milieu des mousses parsemées de quelques feuilles d’érable dont les ramures cachent en partie une barrière en quadrillage oblique de bambou, qui compose un large mouvement circulaire tout en s’abaissant progressivement. Très probablement s’agit-il de la barrière fameuse du Koetsu-ji, tout au N_E de Kyôto, que j’ai visite le 5 avril 1999. (le photographe n’est plus Norio Ueda, mais Yoshinori Kamikawa, pour cette seule photographie) [Koetsu-ji teien : jardin du K] - dans une rue en escalier (peut-être Kiyomizuzaka), sur son côté, les dispositifs d’entrée à un bâtiment, avec une lanterne formée d’un rocher de granite sans forme percé d’un trou parfaitement et précisément circulaire. [Kiyomizu, sanneizaka, qui est le nom d’origine, avant la déformation en sannenzaka ; san= naissance, nei=facile, saka=côte, parce que monter cette côte assurait un accouchement facile] -Une vue prise assez bas sur le sol d’une rue à l’ambiance traditionnelle : larges dalles de granit, maisons de bois à issashi et sudare, inuyarai au premier plan à gauche. [Gion shinbashi fukin, c’est à dire aux environs de] - le détail d’une façade de machiya trop rénovée pour être bien ancienne, avec inuyarai, issashi que surmonte une fenêtre d’étage en saillie (demado), au-dessus de sa jumelle, plus large, du rez de chaussée [Gion no ochaya] La thématique est donc ici plus fine que pour les cartes postales traditionnelles (et la pochette en couleurs), moins liée aux monuments connus et célébrés, mais tend a puiser néanmoins son support d’une part aux symboles de la japonitude, d’autre part aux éléments de l’architecture traditionnelle. Il y a cependant un travail spécifique, une écriture photographique très cohérente avec le choix du noir et blanc, consistant à géométriser et “ graphiser ” l’image résultante. [il faut corriger en partie ce premier jugement puisque, précisément, les images ne représentant pas directement des monuments reconnaissables sont cependant référées par leur légendes à des lieux célèbres et renommés, alors qu’une vue identique eût pu être trouvée dans une rue plus quelconque].

En attendant de compléter la collection de cartes postales trouvées chez Maruzen, en voici trois achetées à la gare quelques jours après, en revenant de Tottori, : - une vue du Kiyomizudera et de sa terrasse à la tombée du jour, après le coucher du soleil, sur fond de ville et entourés de momijis rougeoyants éclairés de projecteurs par en dessous. “ Romantic Kyôto, a collection of excellent… ” (et les kanjis yuugure no Kiyomizudera, signifiant coucher de soleil du Kiyomizudera) - avec pour seule indication (sur la face) les kanjis de Kyôto calligraphiés et l’habituel, avec “ Romantic Kyôto ” qu’on retrouve au dos suivi de “ a collection of excellent… ”, on reconnaît pourtant un détail d’un des jardins du Tôfukuji, autour du Hôjô, celui aux dalles carrées disposées en damier qui s’évapore dans la mousse. - 89 - - 90 -

(mais la légende en petits kanjis le spécifie en bas) - une vue du “ Ho-o-do, Byodo-in temple ” à travers la glycine fleurie, derrière des massifs d’azalée et de camélias blancs, rose et rouges. “ a world heritage site by UNESCO ” (ASAHI card printed in japan) 20— A la sortie, passage chez Maruzen (ouvert à 8 heures du soir un dimanche), où je fais une razzia de presque toutes les cartes postales disponibles (23 cartes, 2000¥ environ) : les thèmes sont récurrents ; - le mont Fuji (3 cartes) avec un shinkansen en premier plan (aller et retour), ou en contre-jour d’un soleil couchant au-dessus des nuages ; - La pagode à 5 étages du Tôji (la plus élevée du Japon), déclinée de jour ou de nuit, au printemps à travers les branches de cerisiers fleuries, ou bien la nuit de o-bon matsuri, lorsque le Daimon-ji s’embrase, en plein soleil sur fond des bâtiments de l’énorme nouvelle gare de la ville, d’où dépasse la silhouette de la Kyôto Tower, et l’horizon bleuté des collines lointaines (une inscription en capitales romaines nous assure qu’il s’agit bien de Kyôto). - la Kyôto Tower, déclinée sur fond de lumière nocturnes de la ville sur un horizon de ciel embrasé, toute blanche illuminée, (et donc parfois mariée avec la pagode précédente, de jour ou de nuit, “ pour faire passer la pilule ” - le pavillon d’argent et son jardin Karesansui au cône de sable tronqué, sous une nappe de neige qui dessine les vagues fictives de la mer zen, blancheur immaculée qui rend au pavillon l’éclat de l’argent qu’il n’a jamais connu. - le pavillon d’or, depuis qu’il a été rénové, clinquant comme un sou neuf, sans plus de ces subtilités que les ors passés donnaient aux ombres rougies, chatoyées des reflets de l’eau du lac. (on a de plus un métissage thématique avec une vue du pont couvert de ce lac derrière les branches d’un momiji rouge vif à souhait) - 7 des 15 pierres du Riyoanji - coucher de soleil sur le pont d’arashiyama, derrière une branche de pin - les toitures de tuile vert cru sur les piliers vermillonnés du Heian jingu - le Kiyomizudera (pas pris) - les frondaisons de momijis rougis par l’automne (pas pris) - deux maikos (“ geishas ”) déclinées sous toutes les formes : sur les bords du canal de shinbashi-dôri et traversant ce pont avec leurs ombrelles colorées, officiant à la cérémonie du thé en extérieur comme en intérieur (trois femmes en kimono : le thé était une discipline bouddhique, monastique, puis guerrière, donc très masculine), ou sur le pont du Daigo-ji à l’automne avec les nécessaires feuilles d’érable jaunies. - les hoko de Gion-matsuri, 3 en enfilade sur Oike dôri - une vue aérienne du Nijo - une vue non localisée d’un intérieur de style -zukuri - une vue d’un jardin japonais de facture moderne - une composition avec un masque, un éventail et un costume de brocart pour le noh

22— 12 cartes postales du Ryoanji. Elles sont de facture très classiques, aux couleurs “ Kodachrome ” outrancières, verts crus et rouges copieux, sans grandes nuances. Mais elles sont toutes identifiées au dos, en Anglais. Pour les ranger avec un peu de logique, celle du parcours : - une vue depuis le bas de l’escalier qui mène au bâtiment principal, en arrière plan, tandis que de momijis écarlates emplissent - 90 - - 91 - l’image. - contrechamp : du haut de l’escalier, mais au printemps cette fois-ci, les allées empierrées qui mènent, par deux niveaux désaxés selon le goût japonais de la rupture de symétrie, au point où se situe le spectateur. “ approach to temple in the season of fresh green, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - une vue rapprochée du premier groupe de 15 pierres sur son îlot de mousse, d’un point de vue auquel le visiteur n’a pas accès : le chemin d’arrivée d’honneur, avec son abri muni d’un banc et d’une fenêtre de contemplation découpée en forme de lotus dans un mur blanc. C’est cette même vue qui est reproduite en grand sur la pochette. “ Rock garden, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - une vue centrale de 2 des groupes de pierres, frontalement face au mur du fond. “ Rock garden, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - une vue d’ensemble du jardin, depuis le coin par lequel on arrive. “ Rock garden, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - une vue d’ensemble depuis l’angle par lequel on quitte cette visite. “ The view of rock garden, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - une vue des 3 derniers groupes, en hiver, sous une mince couche de neige. “ The snowy view of rock garden, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - une vue depuis l’angle du mur qui ceinture le jardin, montrant le bâtiment (hondo) dont les visiteurs empruntent l’ pour l’admirer (point de vue auquel le visiteur n’a pas accès). “ Abbot’s hall, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - le détail d’une fontaine de pierre circulaire creusée d’un trou carré. Deux morceaux de bambou attachés à leurs extrémités par des cordelettes de crin noir reposent en travers de l’auge, et supportent une louche de bambou à manche fin destinée au puisage et aux ablutions. “ Tsukubai, basin, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - le détail d’un entrelacs de racines se frayant un chemin tortueux, et presque au mouvement animal, serpentin, dans le lit de mousse vert acide qui tapisse le sol entre les tronc du jardin latéral, sur le petit côté du hondo. Les racines ont soulevé la pierre de bordure. L’image n’est pas savamment composée, mais elle dénote une sensibilité rarement manifestée dans ces cartes postales. “ Moss garden of unryu-no-niwa, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - une vue d’un bâtiment annexe, sur son piédestal, refait de neuf. “ Buddhist sanctum, Ryoan-ji temple, Kyôto ” - une vue de l’étang du jardin du temple. Au premier plan, quelques azalées rouges , un peu floues, se détachent à gauche. Au premier plan, deux rochers sortent de l’eau, portant de petites tortues (de bronze). Plus loin, trois grandes nappes de nénuphars roses et blancs précèdent la grande île centrale, dont un vieux pin décati et oblique est soutenu d’un fort étai. D’autres massifs d’azalées blancs et fuschia égaient le rivage de l’île. Trois canards blancs s’aperçoivent au fond, devant un bout de bâtiment qui transparaît entre les masses d’arbres. “ Oshidori-ike pond, Ryoan-ji temple, Kyôto ”. les CP de Yokohama (pp64-65)— Nous sommes passés dans une grande librairie pour y voir les cartes postales disponibles. Elles sont rares. Les thèmes de la ville de Yokohama : avant tout le “ bay bridge ”, grand pont suspendu qui traverse la baie de Tôkyô, le grand quatre-mâts que l’on visite, les grands immeubles de bureaux du port du futur au milieu desquels on aperçoit une grande roue, le Fujisan au loin, le cimetière des étrangers, le portique d’entrée du quartier chinois, et le nouveau stadium pour finir. Evidemment, certains des thèmes sont déclinés en version jour et version nuit, et peuvent être conjugués (associés dans

- 91 - - 92 - une même image).

Le regard des photographes et des cinéastes

Nous avons étendu notre observation à la recherche des images photographiques les plus anciennes qui ont été produites du Japon par les opérateurs occidentaux d’abord : Felice Beato, les opérateurs d’A. Khan et Demangeon selon le procédé Lumière, ainsi que des clichés plus anciens encore, colorisés ou non, tels qu’on peut les trouver des une revue “ illustrée ” (les tirages originaux sont collés sur le papier imprimé) d’une société de géographie anglosaxonne. De la même manière, nous avons recherché les fonds photographiques anciens sur la ville de Kyôto, qui témoignent tout à la fois des transformations de la ville (de ce qu’on a jugé indispensable de conserver et de ce qui pouvait souffrir un remplacement par des constructions et dispositifs modernes), ainsi que des regards que l’on portait à leur endroit. p70— Archives Photo Yokohama. D’une part ils ont acheté à Londres il y a 20 ans, un gros album de Felice Beato, magnifique, que la conservatrice nous montrera dans les réserves climatisées. Par ailleurs, ils ont une collection de “ the far east ”, une revue en souscription (600 ex.) de langue anglaise, illustrée (des tirages originaux sont collés dans des cadres !) par des photographies de 1872 à 1874. Le nom du photographe occidental se trouve dans l’article de K. Je comprends que Yokohama s’est trouvée à une place privilégiée à ce moment là, accueillant les premiers européens et leurs progrès techniques, dont la photographie naissante faisait partie.

Vol II, Juin 1871 à mai 1872, cote ZY/F1/1 : - p257, avril 1872. View of T5sukiji / Yedo - p262 Nihon bashi - p280 mai 1872, Yedo Bashi Vol III, Juin 1872 à mai 1873, cote ZY/F1/2 : - p13, juin 1872, The Gion machi - p90 The owari Yashiki : Yedo - p104 View of the Kandagawa (près d’Ochanomizu) - p193 One of the city gates, Yedo - p199 Oobashi, Tokio / Sumida Vol V, january to june 1874, cote ZY/F1/4 : - p279 the new boulevard, Tokei (Ginza)

- 92 - - 93 -

VI. Les categories de pensée du beau

Nonobstant les critiques ou la retenue qu’il nous semble indispensable d’avoir à l’endroit des théories esthétiques, comme nous avons commencé de l’indiquer plus haut, il est cependant incontournable de s’interroger sur le vocabulaire, et surtout sur l’ensemble des concepts qui servent à chacun à qualifier l’objet sur lequel va porter une expérience esthétique, positive ou négative. Cette opération n’est pas aisée, d’une part parce que cette approche ne se manifeste que dans des ouvrages savants et raffinés, laissant de côté les désignations plus courantes et populaires ; d’autre part parce que ce genre de travaux ne s’attache qu’au jugement positif, et néglige totalement les jugements négatifs, se privant ainsi d’en comprendre la structuration profonde. Notre approche est certes tâtonnante, mais nous pouvons la considérer comme assez complète et fouillée pour ce qui est des concepts et du vocabulaire de l’esthétique japonaise raffinée, aux dires de nos collègues nippons. Nous en donnerons le contenu ci-après, appuyé sur les sources suivantes :

- LE JAPON, dictionnaire te civilisation, de L. Frédéric : (dic. LF) - L’art du Japon, de Miyeko Murase (pochothèque) (MM) - L’art Japonais, de Stanley-Baker - La civilisation japonaise, d’Eliseeff : (CJ. Eliseeff) - L’encyclopédie la culture japonaise (Takashina Shûji, Dir. Berque) (ECJ) - La structure de l’Iki, de KUKI Shûdô (KS), et son commentaire par Jacqueline Pigeot (JP) - Le grand dictionnaire Japonais-Français Cesselin - Petit dictionnaire du guide bleu (dic.GB) - Remarques de M. Yabuuchi (Yabu)

Un lexique Japonais ?

ANSHIN : (Cesselin) Paix, sécurité, tranquillité d’esprit, absence d’ennuis ASHIDE Stanley-Baker parle rapidement de ashide (écriture cachée), p 105 AWARE : (Cesselin) Pitié, compassion, commisération. mono no aware wa aki koso masare (c’est surtout en automne que se fait sentir la pitié des choses) ; mono no aware wo shiru (saisir la mélancolie des choses, sentir la pitié qu’inspirent les êtres, avoir une âme sensible) AWARE (Mono no aware). (dic.GB) Ce principe d'esthétique a eu une influence prépondérante sur la littérature japonaise - en particulier à l'époque de Heian - et sur la poésie (waka, haiku). Il évoque ce “ sentiment des choses ” empreint de nostalgie douce ou de tristesse

- 93 - - 94 - profonde que l'on retrouve dans notre lacrimae rerum, (ce qui pleure dans les choses). Imprégné de notions bouddhiques telles que l'impermanence (mujô), le rejet du moi (mushi), la fragilité de l'existence et la vacuité de l'univers (mu), il présuppose une âme capable d'abolir la relation sujet/objet et de ressentir, en totale empathie avec la nature et l'univers, l'incroyable vérité de ce qui nous entoure et de notre propre existence. Claudel tenta d'exprimer l'état d'âme propre au mono no aware en rappelant l'origine exclamative de l'expression : “ Connaître la Ahité des choses, cela dans les choses qui fait Ah! ” Le mono no aware, selon Claudel, devient un acte de connaissance, alors qu'il n'est que la fugacité même de l'impression; s'il devait y avoir exclamation pathétique, elle jaillirait plutôt des lèvres d'un poète au moment même où, le moi disparaissant, il se confond totalement avec l'univers. Le mono no aware, malgré sa nature purement esthétique, rappelle les expériences mystiques des moines zen et la notion de satori (l'éveil). AWARE (Mono no aware). (dic. LF) “ Choses propres à émouvoir ”, expression utilisée pour décrire un sentiment donnant lieu à une impulsion émotionnelle, et fréquemment utilisée dans les arts et la littérature depuis la période de Heian. Ce sentiment fugitif et diffus, qui peut être partagé par plusieurs personnes à la fois, comprend une certaine part de mélancolie, de regret non exprimé, en partie dû au sentiment bouddhique de l'impermanence de toutes choses (mujô). L’admiration des cerisiers en fleurs (hanami)22 peut compter parmi les mono no aware. De même la contemplation des feuilles rougies des érables (momijigari), la vue de la neige ou des feuilles qui tombent, une journée brumeuse, une fine pluie, la vue d'un navire en partance, d'une personne chère qui disparaît au détour d'un chemin, etc. Ce sentiment fut exploité avec talent dans le Genji Monogatari de Murasaki Shikibu et plusieurs fois imité par la suite, alors qu'auparavant les poètes n'y faisaient qu'assez rarement allusion. BONSAI : (Cesselin) Arbustes nains en pot. CHADÔ OU SADÔ : (Cesselin) Art du thé, et règles de cet art. CHANOYU : (Cesselin) Cérémonie du thé Cérémonie du thé (dic.GB) (en japonais, cha no yû). L'expression cha no yu signifie littéralement l'eau chaude (yu) servant à préparer l'émulsion de poudre de thé vert (macha, cha), et désigne, par extension, une réunion d'amis ou d'esthètes se retrouvant autour d'un bol de thé dans un pavillon à l'élégance sobre ()23 pour goûter aux joies esthétiques d'une discussion raffinée portant sur les choses de l'art. Strictement codifiée à partir du XVI e siècle. en une véritable “ voie du thé ” (chadô) par des maîtres du thé, ou théistes, comme Sen no Rikyu, la cérémonie du thé aura une influence très importante sur l'esthétique et l'ensemble des arts japonais. CHA-NO-YU (CJ. Eliseeff) Littéralement, “ l'eau chaude du thé ”, désignant la préparation du thé vert en poudre, terme traduit couramment par “ cérémonie du thé ”, encore que le mot cérémonie ajoute une nuance cultuelle souvent inappropriée aujourd'hui. Il serait 22 l'admiration des sakura - qui ne sont pas exactement des cerisiers - en fleurs soulève surtout ce sentiment non seulement par leur douce beauté, mais aussi par la multitude de pétales détachées qui voltigent légèrement alors qu'ils sont en pleine floraison. L'impermanence est un facteur important. Aussi, des mimosas en pleine floraison n'éveillent pas ce sentiment de mono no aware. 23 on n'utilisait qu’ un seul bol pour le "koi cha" (cha épais ) que les convives - 5 personnes au maximum pour un bol - boivent un peu tour à tour, le dernier vidant finalement le bol. Le cha no yu mousseux "ousu" ou "usucha" est plus courant et est servi avec un bol pour chacun. - 94 - - 95 - plus juste de dire le thé pris, en faisant des cérémonies [ ? ? Y], si l'on en exclut toutefois l'idée d'apparat. Le cha-no-yu consiste à réunir quelques amis, trois ou quatre en général, afin de goûter ensemble les joies d'une calme contemplation et de l'appréciation des produits d'un art raffiné. Le cadre, les objets usuels, les gestes de celui qui prépare le thé doivent concourir à transporter les participants loin des difficultés de ce monde et à les élever aux pures joies de la contemplation esthétique, celle-ci pouvant être un chemin vers la méditation morale puisque art et morale ont en commun un idéal de perfection et de pureté. Connue au japon dès le début du IX e siècle, la culture du thé ne se développa véritablement qu'au XIII e siècle, lorsque les guerriers de l'époque de Kamakura firent leur la boisson des religieux. C'est l'introduction du ZEN par EISAI (1142-1215) qui entraîna le succès du thé. Les moines zen en effet appréciaient particulièrement les vertus excitantes du thé qui les aidaient à poursuivre leurs longues méditations. On raconte qu'un jour Eisai réussit à convaincre Minamoto no Sanetomo (shôgun de 1203 à 1208) d'user du thé à la place de l'alcool dont il abusait et parvint même à le guérir d'une sérieuse indisposition. Le thé fut dès lors adopté par les guerriers mais, passée dans les mœurs du siècle, la consommation du thé servit bientôt de prétexte aux réjouissances les plus folles. Aussi les shôgun ASHIKAGA chargèrent-ils Sôami (mort en 1523), lui-même fils et petit-fils d'artistes24 et maîtres du thé ( ?)—Geami (1431-1485) et Nôami (1397-1471)—, de souligner les règles à respecter. La cérémonie du thé n’en conserva pas moins l'aspect d'une fête, symbolisée par celle, mémorable, que donna TOYOTOMI HIDEYOSHI (1536-1598) en 1587 et qui dura dix jours25. Les dictateurs en effet se passionnèrent pont le cérémonial du thé. Hideyoshi réunit en son palais de Fushimi les plus grands connaisseurs du thé parmi lesquels se trouvait le célèbre SEN NO RIKYÛ (1521-1591) qu'il chargea de la codification des règles du cha-no-yu. Toute l'esthétique du thé en découla : elle allait influencer à tout jamais l'architecture, l'art des jardins, celui des bouquets (ikebana), l'artisanat enfin des Potiers, des fondeurs et des laqueurs. A travers la cérémonie du thé, les principes philosophiques et esthétiques du zen pénétrèrent ainsi la vie quotidienne. CHASHITSU : (Cesselin) Pièce de la cérémonie du thé. 26 CHATEI voir CHARYO : (Cesselin) Petit pavillon pour le thé CHAKAI : ? CHASEN : ?

24 Les dôbôshûs étaient des artistes au service des shôgun ASHIKAGA, mais ni Sôami (peinture, ikebana), ni Zeami (Nô), ni Nôami (peinture) ne furent vraiment maîtres du thé. 25 TOYOTOMI HIDEYOSHI organisa au temple Daigoji en effet une grande fête de cha no yu "chakai" ou de nombreux "chaseki" furent préparés et n'importe qui put y participer, sans distinction de rang social. C'était donc un chakai grandiose tout à fait contraire au "wabicha" de SEN NO RIKYÛ. 26 Cependant un "chasitsu" n'est pas indispensable et peut se faire même en plein air ("nodate"), dans un site bien choisi, car l'atmosphère de l'environnement importe et c'est pour cela qu'un chasitsu est apprécié. Les gestes, stylisé, doivent être calmes et pondérés. Aussi, les objets lourds sont portés comme s'ils étaient légers, tandis que les objets très légers sont manipulés comme s'ils n'étaient pas légers. La modération des gestes est nécessaire. L'invité - ou les invités - doivent savoir apprécier l'accueil et admirer les objets utilisés, car leur choix est fait avec attention comme si c'était l'unique occasion de rencontre de l'hôte et de l'invité (Ichigo ichie). - 95 - - 96 -

CHABANA : ? CHI : (Cesselin) terre, sol, terrain CHITEI : (Cesselin) Tréfonds, eaux souterraines DÔBÔSHÛ :? FUNAASOBI : (Cesselin) Promenade en bateau HARE : (Cesselin) apparât, pompe ? HARE / KE. (dic.GB) Les Japonais ont forgé un concept formé du couple antinomique hare (extraordinaire) et ke (ordinaire), caractérisant une vision bidimensionnelle de l'existence et du monde. La notion de hare évoque un espace-temps situé hors de l'ordinaire, comme celui symbolisé par la fête (matsuri). [Les matsuri étaient traditionnellement célébrées durant des jours fastes (hare no hi), selon l'ancien calendrier lunaire et qui correspondaient à la nouvelle lune, à la pleine lune et à la demie lune, tombant respectivement le premier jour, le septième ou le huitième jour, le quinzième jour et le vingt deux ou vingt-troisième jour de chaque mois, les autres jours étant considérés comme (ke no hi) ou peu propices aux célébrations religieuses. Le concept de ke désignait les activités quotidiennes, le monde du labeur, tout ce qui est à la fois ordinaire et profane et s'oppose au caractère sacré, ludique, festif, rituel et extraordinaire de hare.] HADE : (Cesselin) Elegance, finesse, beauté. Faste, étalage, parade. (SK) : tape-à-l’œil. HANAMI : fête et réunion pour l’admiration des fleurs de sakura. HAITAMMI : HONNE / TATEMAE : (Cesselin) Vrai ton. Parole sincère et sans fard. Vrai désir. Envie réelle. HONNE / TATEMAE (dic.GB) : Litteralement, “ la vraie voix ”. Les Japonais expriment leur honne quand ils laissent parler la voix du cœur, ou qu'ils agissent sous l'impulsion d'un désir profond. A la sincérité de honne s'oppose le tatemae, principe selon lequel il convient de régler son comportement extérieur. Dans l'exercice d'une profession ou d'une fonction, quelconque, les Japonais abandonnent leur honne pour adopter invariablement la position officielle du groupe auquel ils appartiennent. L'harmonie du groupe présuppose que chaque membre accepte d'abandonner une position individuelle qui risquerait de remettre en cause les intérêts supérieurs du groupe ou, pire, le consensus sur lequel celui-ci repose. HÔRAI : (Cesselin) 1- Une des trois îles paradisiaques de la légende chinoise où demeuraient les génies. De ses flancs escarpés tombait le torrent de vie qui leur versait l’immortalité, tandis qu’autour de ses rivages nageaient les tortues millénaires et que sur ses pins toujours verts les grues faisaient leurs nids. 2- Miniature de Hôrai exposée dans la salle d’un repas de noces pour symboliser le bonheur et la longévité que l’on souhaite aux nouveaux époux. 3- HÔRAI ZAKARI : Plateau chargé des emblèmes du bonheur et de la longévité et que l’on dispose dans le d’une maison pour le nouvel an. ICHOGO ICHIE : IKEBANA ou KADÔ (dic.GB) : L’ikebana, ou arrangement floral, est un art d'origine chinoise qui se développa très rapidement au Japon sous l'influence du bouddhisme, les bouquets de fleurs servant primitivement à orner l'autel 27. L'ikebana joue un rôle essentiel dans

27 L'ikebana primitif ou plutôt la composition des fleurs dressées en offrande était constituée de 3 branches, la plus grande étant au centre et les 2 autres, à sa droite et à sa gauche, symétriquement comme la trinité de Bouddha et 2 de ses disciples importants, par exemple, et le vase était placé avec un brûle-encens et un porte- bougie devant une peinture bouddhique suspendue au mur dans les palais des nobles./ Mais c'est aussi les petits arrangements de fleurs - 96 - - 97 - la cérémonie du thé [donc plutôt chabana] : on ne concevrait pas que l'alcôve (tokonoma) du pavillon de thé ne présente pas un élément floral - savante composition ou simple fleur coupée posée à la surface d'une coupe - s'harmonisant avec la peinture (ou la calligraphie) suspendue au fond du tokonoma. Là encore, les thèmes saisonniers (Shiki) jouent un rôle essentiel puisqu'ils permettent de créer une indicible harmonie dont bénéficient les différents éléments esthétiques de la cérémonie du thé. Selon les mois de l'année, le tokonoma sera décoré d'une branche aux fleurs de prunier à demie closes annonçant la fin de l'hiver (février-mars), d'un rameau de cerisier en fleurs (mars-avril) ou d'une composition de chrysanthèmes accueillant l'arrivée de l'automne. Depuis que les théistes de l'époque Muromachi codifièrent les règles présidant aux arrangements floraux, la popularité de cet art d'agrément n'a cessé de croître. De nos jours, des millions d'amateurs s'y adonnent au Japon comme à l'étranger. IKEBANA (CJ. Eliseeff) L'ikebana (arrangement de fleurs), d'origine chinoise, naquit au Japon sous l'influence du bouddhisme, les fleurs entrant dans la décoration habituelle de l'autel. On raconte que le prince SHÔTOKU (574-622) inaugura la pratique des arrangements de fleurs qu'il enseigna à ONO NO IMOKO, considéré comme le fondateur de l'école d'ikebana Ikenobô 28. Lorsque la cérémonie du thé (cha-no-yu) se développa, l'arrangement de fleurs, partie importante de la décoration du pavillon de thé (chashitsu), fut élevé au rang d'un art dont on codifia les règles afin d'en affirmer la portée symbolique. On considère ainsi que l'art des fleurs prit véritablement son essor à l'époque et sous la protection du shôgun ASHIKAGA YOSHIMASA (1435-1490) qui bâtit à Kyôto le Pavillon d'argent (Ginkaku). L'élément central du bouquet sert toujours de lien entre une branche haute et une branche basse 29, de même que

placés sur une étagère ("tana ue no hana") ou au-dessous ("tana sita no hana") des "shoin zukuri" exprimant des plantes courbées sous l'effet d'un vent violent, par exemple, qui sont de même à l'origine de l'ikebana. 28 A l'époque Heian, un vase dans lequel était arrangé très simplement une gerbe de fleurs ou de feuillage était placé ou bord du couloir extérieur des demeures des nobles, mais il est difficile d'appeler ikebana cet arrangement végétal. Le "nageire" (fleurs placées comme lancées) était composé bien plus librement avec 3 branches de longueur différentes et c'est du nageire que le chabana tire son origine./ Le "seika" composé de 3 branches principales "ten" (ciel), "chi" (terre), "jin" (homme), courbées gracieusement, reflète très bien la société réglée strictement de l'époque Edo. On peut en dire de même du rikka grandiose de l'époque Azuchi-Momoyama et du "moribana" (fleurs amoncelées) assez libres mais ayant 3 branches principales dont l'appellation diffère suivant les écoles d'ikebana. 29 le "rikka" ou "tatebana" signifiant "fleurs dressées tout droit" parce que le bas des tiges était planté dans une botte de foin remplissant le vase semble oublié. Le tatebana ancien "ko rikka" était formé principalement d'une branche haute et d'une autre basse. Le ko rikka était de petite taille. Le rikka s'était développé pour orner le tokonoma des grandes demeures depuis l'époque Muromachi, surtout sous la protection du shôgun ASHIKAGA YOSHIMASA. Mais il ne faut pas oublier la première exposition organisée dans la villa impériale Sentô gosho en 1415 qui peut être considéré comme le début de l'ikebana, c'est-à-dire de l'ikebana stylisé. Le rikka développé dont la taille était grande était composé d'une branche principale "shin" (authenticité) qui était dressée tout droit, d'une branche adjointe "soe" (accompagnement) qui était - 97 - - 98 - l'homme se trouve placé entre ciel et terre. Le choix des fleurs se fait traditionnellement en fonction des mois de l'année : la fleur de prunier évoque le mois de février, la glycine le mois de mai, le chrysanthème le mois d'octobre par exemple. Variant ainsi en fonction des saisons et aussi selon les circonstances —mariage, réunion d'amis—, le bouquet ne doit jamais cacher le rouleau peint qui compose avec lui la décoration du tokonoma; il doit de plus être composé en harmonie avec ce dernier, des fleurs champêtres accompagnant tel un écho un paysage agreste. Il existe actuellement plus de trois cents écoles d'art floral couvrant toutes les nuances de la sensibilité visuelle, depuis la stricte obédience aux règles classiques 30 et à une certaine austérité de ton, jusqu'aux plus modernes et audacieuses variations sur le thème du bouquet, fût-il composé de fleurs synthétiques. 31 IKI Le concept d’Iki a été explicité dans “ La structure de l’Iki ” de KUKI Shûdô (KS), et son commentaire par Jacqueline Pigeot (JP). Un terme correspondant à iki en Français serait “ chic, élégant, coquet et raffiné ”, sans qu’aucun de ces termes en épuise tout le sens, puisqu’il s’agit au départ de qualifier le rapport entre les sexes, fait de coquetterie et de retenue, et même de renoncement (akirame) puisque la séduction accomplie, il n’y a plus de conquête ni de hardiesse. L’Iki engendrerait systématiquement la dualité, du fait qu’il concerne le rapport entre les sexes. Ainsi, “ quant à l’architecture (…) la dualité s’y manifesterait dans le contraste des matériaux (écorce et bois, bambou et bois, plancher et tatami), le caractère “ spirituel ” dans les éclairages filtrés. ” Dans les tissus, “ le motif Iki est par excellence le rayé. (…) Trois couleurs sont privilégiées : le gris (cendré), le marron et le bleu. (…) En général sont Iki les couleurs froides et les teintes sombres. ” A certains égards, le Dandy est proche de l’Iki. Mais, comme il se doit, toute tentative de comparaison ne peut aboutir qu’à l’affirmation de l’irréductible spécificité de la culture japonaise (mais peut-être aussi de toute autre). placée à gauche, par exemple du shin, une autre branche moins longue "uke" (soutient), à droite, pour contrebalancer, une branche horizontale "nagashi" (branche flottante) placée à peu près au dessous de uke pour donner de l'ampleur, un élément "shôshin" (shin authentique) formant le centre de gravité placé en bas du shin, une branche qui donnait de la profondeur "mikoshi" (vu par dessus), disposée en arrière du shin et un élément touffu "maeoki" (placé au devant) pour cacher le pied du shôshin. / Il y avait aussi le "suna no mono" appelé ainsi parce qu'un récipient peu profond et large était rempli de petits cailloux ou de sable pour caler et cacher la planche de bois utilisée pour fixer le bas des branches. C'était une sorte de rikka de hauteur plutôt petite. 30 En ce qui concerne le "chabana" qui orne le tokonoma des chasitsu avec un "kakejiku" de calligraphie ou de peinture, beaucoup de maîtres d'ikebana n'admettent pas de considérer ikebana le chabana, car le chabana s'applique surtout à symboliser la nature de l'élément, tandis que l'ikebana est plutôt une composition artistique s'appliquant à valoriser les caractéristiques des éléments végétaux pour former un cosmos particulier. 31 Aujourd'hui, c'est le "jiyûka" (fleurs libres) qui domine à la suite du mouvement d'après-guerre visant à faire de l'ikebana un art moderne "zen'eika" (fleurs avant-garde) qui commença d'abord à former des masses végétales pour façonner plus aisément des formes suivant des thèmes et finit par adopter des éléments non végétaux plus façonnables et plus forts pour en faire des compositions appelées "objet". Ce mouvement a été utile pour la renaissance de l'ikebana qui n'était plus adapté à la conscience contemporaine ni à l'environnement sans tokonoma - 98 - - 99 -

JARDINS japonais (dic.GB) : (en japonais, niwa ou teien). Les origines du jardin japonais remontent à la sacralisation de sites naturels, considérés comme “ extraordinaires ” par les hommes de Wa. Selon les croyances primitives, les divinités auraient élu pour résidence les îlots enserrés par des cours d'eau (mizugaki ou barrière liquide) ainsi que les espaces entourés d'amas de rochers aux formes étranges (amatsu iwasaka ou barrière céleste) ou de bois touffus (himorogi ou haie divine). Malgré l'empreinte marquée des modèles chinois, les jardins japonais se donneront pour modèles ces espaces sacrés ou sièges des dieux et demeureront fidèles aux trois éléments fondamentaux qui les constituent : l'élément liquide, représenté par un rivage marin, un étang ou une cascade ; l'élément minéral, figuré par quelques rochers, une plage de galets ou une lanterne de pierre ; l'élément végétal, symbolisé par un parterre de mousse, quelques fleurs sauvages, un bosquet de bambous ou un bouquet d'arbres 32. Le jardin japonais n'est pas tant une reproduction de la nature que sa recréation, une métaphore, plus ou moins abstraite, parlante au cœur et à l'esprit lorsqu'elle parvient à suggérer l'essence même de la nature, comme dans les admirables compositions de pierres et de sable que sont les jardins secs (-> Kare-sansui). / Bien que l'esprit japonais, beaucoup moins enclin aux classifications que le nôtre, n'en ait jamais ressenti la nécessité, il est possible de dresser une typologie sommaire des différents styles de jardins japonais. Ainsi peut-on distinguer, en tenant compte de critères fonctionnels et chronologiques, cinq grands types de jardins et quelques variantes : 1. Le jardin de plaisance funa asobi. Centré sur un étang de forme ovale (chitei), il caractérise les résidences aristocratiques de style shinden zukuri de l'époque Heian. Profondément influencé par les jardins chinois de la période des Six Dynasties et les jardins de type paradisiaque (Jôdo teien) auxquels il emprunte de nombreux motifs d'origine bouddhique, tels que l'île des Immortels [Hôrai-san ?], le Paradis amidiste de la Terre pure ou le mythe de la montagne sacrée centre-du-monde (Shumisen ou Sumeru, en sanscrit); ce style de jardin, malgré les thèmes religieux et contemplatifs qu'il reproduit, demeure le prototype de tous les jardins de divertissement ou d'agrément. 2. Le jardin de promenade shûyû. Bien qu'il reprenne de nombreux motifs paysagers propres au jardin “ funa asobi ” de l'époque Heian, l'aménagement d'un sentier, à partir duquel les promeneurs peuvent admirer des points de vue variés, en fait une création originale (époques Heian, Kamakura et Muromachi). 3. Le jardin de méditation ou de contemplation kanshô. De dimensions plus modestes que les grands jardins aristocratiques qui le précèdent, ce type de jardin se distingue par sa sobriété et le fait qu'on ne peut circuler à l'intérieur du paysage. Le jardin devient une image admirée à partir de la structure centrale shoin ou de la véranda entourant les appartements du supérieur d'un monastère bouddhique. Le jardin paysage sec kare sansui - le jardin zen par excellence - appartient à ce style contemplatif (périodes Muromachi et Azuchi-Momoyama).

32 Les premiers jardins étaient plutôt constitués d'un courant d'eau sinueux et de grosses pierres avec une pierre taillée symbolisant le "shumisen" et les nobles placés un à chaque tournant du courant vidaient la coupe qui arrivait devant lui, composait un poème, la coupe était de nouveau remplie et posée sur l'eau, et chacun faisait de même à son tour. Ce divertissement s'appelait "kyokusui no en". Un fragment de ce genre de jardin est le "shinsen-en" de Kyoto. Les jardins du type "jôdo" (paradis) sont à noter. Celui du Byôdôin, au sud de Kyoto à Uji en est un exemple. - 99 - - 100 -

4. Le jardin d'approche d'un pavillon de thé ou attenant à celui-ci (chatei ou roji). Il rappelle par sa rusticité l'esprit présidant à l'agencement des jardins de contemplation et kare sansui en particulier. La présence d'un étang ou d'un ruisseau suggère également sa fonction d'agrément et de divertissement. 5. Le jardin de prestige kaiyùshiki teien, dit à transformation. Avec ces vastes jardins paysagers où l'on peut se promener et se divertir, les daimio renouent avec la tradition des jardins aristocratiques de l'époque de Heian. Durant l'époque d'Edo, ce nouveau style de jardin-promenade “ aux plaisirs variés ” (kaiyû) agrémentera les capitales provinciales des daimio. Construit autour d'un étang (chatei), à proximité duquel s'ordonnent pavillons de thé et répliques (mitate) de “ sites célèbres ” (meisho), il est sillonné de sentiers formant un véritable circuit de visite, et permettant aux promeneurs de découvrir et d'admirer les paysages miniatures offerts par un jardin en perpétuelle transformation. (dic.GB) JIMI : (Cesselin) simplicité, modestie, franchise, sobriété. (S’écrit en hiragana uniquement) JIMI : Sobre, non tapageur, souvent associé à Iki (J.P.) JISHIN : (Cesselin) confiance en soi-même. Ou bien avec un autre kanji : cœur bon et miséricordieux, disposition bienveillante. JIYÛKA : (Cesselin) style des fleurs libres JIYÛ : (Cesselin) liberté, indépendance JÔCHO (Shitamachi Jôcho) : (Cesselin) Impressions, émotions, sentiment, esprit, cœur JÔHIN : raffiné, élégant, distingué, souvent associé à Iki. (JP) KAIYÛ : (Cesselin) plaisirs variés KAKEJIKU cf KAKEMONO : (Cesselin) “ Rouleau de peinture ou sentence chinoise sur soie ou sur papier, élégamment encadrée de bandes d’étoffe unies ou brodées, montées sur une bande de papier épais et enroulée, quand elle n’est pas suspendue au mur par son extrémité, sur un léger cylindre de bois garni à ses extrémités de bouts en ivoire, en corne ou en bois laqué ”. KANSHÔ : (Cesselin) Admiration (jardin de méditation ? KE : (Cesselin) Etrangeté, singularité, monstruosité. KIGÔ : (Cesselin) symbole KIYOSHI ou KIYORA : (Cesselin) pureté, limpidité, clarté KIYOSHI (projet) Kiyoshi signifie “ pur, sans taches ”, ce qui le rattache à la tradition shintô : les Japonais associent le beau à la pureté et à l’absence de souillure. C’est moins la présence du désirable, comme dans la pensée grecque, que l’absence du nuisible ou de la souillure qui génère alors le jugement du beau. KOICHA : (Cesselin) infusion de thé fort (épais ?) KUWASHII : (Cesselin) Détaillé, minutieux, subtil, exact, circonstancié. KUWASHII (projet) Kuwashi a le sens originel de ce qui est fin, raffiné, détaillé : les Japonais trouvent un plaisir esthétique de ce qui est minutieux et riche de détails. KYOKUSUI [no EN] : (Cesselin) “ 1- Courant d’eau sinueux e serpentant dans un jardin. 2- fête que l’empereur donnait le 3 du 3 mois lunaire, dans le jardin du palais impérial et pendant laquelle les invités, assis sur les bords d’un petit courant sinueux, composaient des poésies tout en buvant du sake dans des coupes apportées par le courant ”. MAEOKI : (Cesselin) Préambule, exorde, introduction, préface, prémisses. MEI : (Cesselin) Clarté, lumière, brillant, éclat ; renom, célébrité, réputation MEIBI : (Cesselin) pittoresque - 100 - - 101 -

MEISHO : (Cesselin) Lieu célèbre, site renommé, endroit fameux MEISHÔ : (Cesselin) vues célèbres, paysages remarquables MITATE : (Cesselin) choix, sélection, option ( ?) MITATERU : (Cesselin) comparer, assimiler, représenter comme ressemblant MOMIJIGARI : (Cesselin) fête et réunion pour contempler les momiji MORIBANA : (Cesselin) fleurs arrangées dans un vase MUJÔ : (Cesselin) Impermanence, fragilité, inconstance, instabilité universelle, précarité de toutes choses MUSHI : rejet du moi ( ?) NAGASHI : (Cesselin) Etablissement d’un écoulement (“ branche flottante ”) NAGEIREBANA : (Cesselin) Arrangement de fleurs qui n’a rien de maniéré NASAKE: (Cesselin) 1- Amour, bonté, bienveillance, pitié, compassion, sympathie, amitié, tendresse. 2- Esprit de distinction, sentiment d’élégance (…) NODATE : (Cesselin) Pause en chemin, arrêt au cours d’un voyage (pour prendre le thé en plein air) NOKISHITA : (Cesselin) Le dessous d’un avant-toit OUSU : (thé moussu ?) RIKKA : (Cesselin) Commencement de l’été ; une des 24 divisions de l’année (du 6 au 21 mai) [fleurs dressées tout droit ?] SADÔ cf CHADÔ : SABI : (Cesselin) Etat de rouille, patine, maturité SABI : (Cesselin) Chose insignifiante SABI. (dic.GB) Littéralement “rouille” ou “vert-de-gris ”. Cette notion esthétique, plus élégante que wabi dont elle ne peut être dissociée, évoque la patine des âges, cet air de vécu et d'expérimenté que possèdent parfois des objets sans prétention et qui leur confère une beauté raffinée mais discrète, une qualité esthétique particulière qui est l'essence même de sabi. Elle peut également suggérer l'ambiance du moment, lorsqu'elle est empreinte de quiétude et de solitude, ou l'état d'esprit de l'artiste qui perçoit la beauté profonde d'un objet, d'un jardin ou d'un pavillon de thé dans son incomplétude. Ce dernier sens est très proche de wabi qui associe, avec peut-être moins de sobriété et davantage de nostalgie, une esthétique de l'inachevé, du fugitif et de l'informulé et un état d'âme zen caractérisé par le détachement, et “ cette résignation calme que peut éprouver un homme bien élevé confronté avec la beauté du monde et le destin de toute créature vivante. ” (I. Morris). Si l'esthétique wabi/sabi, empreinte d'élégance romantique et de sensibilité contenue, fut à l'origine le privilège de l'aristocratie de l'époque Heian (comme en témoigne le Gengi monogatari), le bouddhisme zen, sensible à l'impermanence de toute chose, devait reprendre à son compte cette vision du monde, l'approfondir et la populariser —grâce en particulier à la cérémonie du thé—, auprès de la classe militaire, puis l'étendre à l'ensemble de la population. De nos jours, il n'existe pas un art plastique, décoratif ou d'agrément qui n'ait été influencé, peu ou prou, par ces thèmes esthétiques. Qu'il s'agisse de la cérémonie du thé, de l'architecture, de l'art des jardins ou de la céramique, de l'arrangement floral ikebana ou de la calligraphie, du lavis ou de la statuaire, les quatre états fondamentaux (wabi, aware, yugen, sabi) du Fûryûbutsu ou Bouddha élégant, sont partout présents. SABI. (dic. LF) Concept esthétique qui se développa pendant la période de Muromachi, consistant à donner plus d'importance à la sobriété et à la simplicité qu'à une apparence brillante. Seule la nature intérieure des choses est alors considérée, et moins d'attention est consacrée à leur extérieur. En art, ce concept fut surtout utilisé dans la - 101 - - 102 - cérémonie du thé (chanoyu) et est à l'origine de la “ rusticité ” apparente des cabanes de thé (chashitsu) et des poteries (chasen) et instruments utilisés. En littérature et en poésie, ce concept apparaît dès le XII e siècle, demandant que les choses soient décrites d'une manière plus allusive et suggestive que réelle. L'un des premiers poètes à utiliser le sabi fut Fujiwara no Toshinari (1114-1204), mais ce fut surtout Matsuo Bashô qui l'exprima le mieux dans ses haiku, tout en mettant l'accent sur la beauté des choses naturelles. Le sabi comporte également un sentiment de solitude (sabishi), de désolation (susabi) et de sereine résignation. SABI “Rouille”, patine, valeur acquise par l’ancienneté. (CJ. Eliseeff) Sabi (projet) sabi (marques du temps, déclin, dépérissement, renoncement), notions à la fois esthétiques et morales SABISHII : (Cesselin) Isolé, solitaire, esseulé ; abandonné, délaissé, désolé, désert ; triste, morne, terne SAKURA : cerisiers japonais, qui ne sont pas exactement des cerisiers (chercher dans le répertoire de botanique) SANKEI : (Cesselin) “ les trois plus beaux paysages du Japon : Matsushima en Rikuzen, Itsukushima en Aki, et Ama no Hashidate en Tango ” [KEI : “ perspective, scène, vue, coup d’œil, paysage, panorama, aspect ”] SANKEI (nihon sankei). (dic. LF) Traditionnellement, les trois paysages ou sites les plus fameux du Japon : Itsukushima, Ama no Hashidate et Matsushima. (nihon jûni kei : “ Les douze plus beaux paysages du Japon ” : Tago no Ura, Matsushima, Hakosaki, Ama no Hashidate, Waka no Ura, Biwako, Itsukushima, Kisakata, Asama-yama, Matsue, Akashi et Kanazawa) SAKUI Stanley-Baker parle d’ingéniosité créatrice (sakui), p 118. SEIKA : SHAKKEI : (Cesselin) emprunt de paysage SHIBUI / HADE : (Cesselin) Acre, âpre au goût, astringent, rêche ; rude, rugueux ; sans recherche, mais simple et de bon goût. 33 SHIBUI. “ Goût rude ou astringent ”, mot exprimant la nature inhérente et subtile d'une beauté émouvante, pouvant s'appliquer aux choses ainsi qu'aux êtres humains, et surtout utilisé par les artistes. C'est l'idée (exprimée par le mot shibumi) d'un raffinement se cachant sous des apparences banales. C'est un silence éloquent, la modestie sans pruderie. En art, c'est une forme du sabi, dénotant une harmonieuse simplicité. En littérature, c'est le wabi, la plénitude de l'esprit agissant. Ces concepts constituèrent l'idéal de nombreux artistes et écrivains depuis la période de Muromachi jusqu'à nos jours. Le shibui (shibumi, sabi et wabi) est, en littérature surtout, appelé heitammi lorsque toute affectation ou maniérisme est transcendée, et que la véritable nature des choses n'est que suggérée. SHIBUMI : (Cesselin) Astringence, âcreté, verdeur ; simplicité de goût, élégance sobre SHIBUMI : (JP : 46) “ dont le premier sens est “ âpre, âcre, amer ” (ce mot s’emploie à propos de l ‘écorce des châtaignes, de certains thés verts) désigne au sens figuré des couleurs sombres et éteintes, puis, dans le domaine moral, la froideur, la sévérité, le caractère revêche ; anami, au contraire, signifie “ sucré, doux ”, puis “ aimable, mielleux ” Kuki situe Iki à mi-chemin. ” SHIKI : (Cesselin) les 4 saisons SHIN : (Cesselin) vérité, sincérité, droiture, bonne foi, fidélité, confiance [authenticité] SHINKIN : (Cesselin) relations amicales, intimité [familiarité ?]

33 diffère quelque peu de "jimi" qui exprime "sobre, modeste, discret" (le contraire de "hade", soit de "voyant, éclatant ou criard"), car elle doit être "raffinée". - 102 - - 103 -

SHINSEN-EN : SHUMISEN : SHÛYÔ : (Cesselin) Partie de plaisir en canot SOE : (Cesselin) appoint, addition, augmentation, additionnel, subsidiaire SUI : (Cesselin) Pureté, absence de mélange, état complet, perfection SUSABI cf SUSABU : (Cesselin) [désolation ?] s’affaiblir, décliner, se détériorer TATEMAE : (Cesselin) festin à l’occasion du montage de la charpente d’une construction ? ? ? TATEBANA : (Cesselin) Fleurs dressés devant une idole bouddhique ; arrangements de fleurs et de plantes dans un vase de façon à figurer un paysage UKE : (Cesselin) (…) étai, support, soutien USUCHA : (Cesselin) thé léger UTSUKUSHII : (Cesselin) Beau, joli, agréable, élégant, splendide, magnifique ; aimable, noble de cœur (ECJ) Utsukushi est souvent présenté dans les dictionnaires comme l’équivalent du mot français “ beau ”, et il est effectivement employé couramment de nos jours dans ce sens……… (projet) Utsukushi exprime en fait plus l’affection qu’une pure admiration esthétique. Il traduit le sentiment d’attachement éprouvé par le sujet envers des êtres chers, faibles et petits, plutôt que leurs qualités intrinsèques : “ Tout ce qui est petit provoque une affection mêlée d’un sentiment protecteur (nanimo nanimo chiisaki mono wa mina utsukushi) ”[Sei shônagon, Makura no sôshi). WABI : (Cesselin) inquiétude, tristesse, souci WABI. (dic. LF) “ Langueur ”, concept esthétique et moral désignant une vie de loisirs, sans souci de la vie mondaine, libérée des émotions. Il devint, à l'époque de Kamakura, synonyme de solitude et de tranquillité dans la simplicité. Il fut largement appliqué par les poètes de waka et, plus tard, par les esthètes de la cérémonie du thé, qui prônaient l'isolement du monde et l'usage de choses simples, rustiques, comme représentant la pure beauté. Ce concept devint alors typique des philosophies bouddhiques du Zen, proches de la nature, comme de celles du Shintô. WABI / SABI, (MM) P 181 : …l’esthétique du wabi et du sabi, (…) qu’on pourrait rendre par “ beauté rustique ” et “ patine ”. Cette conception préside au culte du thé… WABI (CJ. Eliseeff) Terme désignant un état d'âme où se mêlent des sentiments de solitude, de calme, de pureté et de détachement, empreints d'une certaine élégance romantique. Il est associé à celui, très proche, de sui, plus littéraire et qui suppose une nuance de plus grande sobriété où se fait jour surtout le fait d'assumer la solitude au milieu de la splendeur ou de la grandeur. Ces deux termes sont souvent employés pour la cérémonie du thé; ils se rattachent au sentiment de profondeur (yûgen), concept esthétique élaboré par Fujiwara no Shunsei au XIIe siècle. Cet esprit de réserve et d'aisance se retrouve dans le qualificatif de shibui, au sens propre “astringent ”, et qui désigne les qualités que prennent certaines couleurs telles les grisâtres, brunâtres, olivâtres souvent employées dans les céramiques de la cérémonie du thé. (projet) wabi (simplicité, dépouillement, austérité des formes) WABISHII : (Cesselin) du goût pour la solitude ; maison solitaire WABICHA : WATARI-RÔKA : YOJÔ. (dic. LF) Concept esthétique qui se développa dans la poésie de waka à partir des écrits de Ki no Tsurayuki, et qui voulait que les sentiments ne fussent pas exprimés ouvertement, mais seulement suggérés par une allusion, un objet, un paysage, etc. Ce concept - 103 - - 104 - influença également la littérature et l'art (un paysage est mieux suggéré dans la brume qu'en plein soleil, par exemple) et se conjugua souvent au concept de yûgen. YÛGEN : (Cesselin) Mystère, secret, profondeur, subtil YÛGEN. (dic. LF) Concept esthétique visant à donner aux choses une apparence de mystère, d'élégance, de charme et de tristesse contenue. Créé par Fujiwara no Shunzei (1114-1204), il fut cultivé par les poètes et écrivains jusqu'au XVII e siècle. C'est dans le bouddhisme la Vérité ultime que l'intellect ne peut appréhender. Dans la poésie de waka, le yûgen voulait que les sentiments les plus profonds ne fussent pas exprimés, mais seulement suggérés par des allusions, comme des harmonies (yojô) dans une mélodie. Ce concept évolua au XIV e siècle pour évoquer, en plus de l'harmonie des choses, leur élégance innée. C'est “ une condition quelque peu mystique qui ne peut être exprimée par des formes ”, une “ beauté élégante et pleine de noblesse, pleine de pensées, mais non limitative ”. Il fut pleinement exprimé au XV e siècle dans les spectacles de Nô. En poésie, le yûgemmi qui en dérive est l'art de suggérer des sentiments sans les décrire. C'est, dans le sens japonais, l'essence même de la poésie. Le sabi, qui est lui aussi dérivé du yûgen, est symbolisé par “ un point brillant dans un espace coloré ”. YUGEN (CJ. Eliseeff) La réalité “profonde et mystérieuse”, principe qui inspire les arts et les lettres de l’époque de Kamakura.

Deux remarques

J. Pigeot a bien résumé l’étude de KUKI Shûdô sur l’Iki, qui laisse quelques doutes. Au passage, Kuki évoque quelques autres notions de l’esthétique, puisqu’il aboutit à les ranger aux sommets d’un parallélépipède. Mais il aurait mieux valu parler de trois oppositions indépendantes, découpant l’espace du jugement esthétique en huit pôles. A noter : P13 “ la caractéristique le plus immédiate de l’iki est le bitai, attitude consistant à faire du charme à l’autre sexe ” (la séduction) P14 L’ikiji : la fierté, la bravoure P 18. “ En résumé, l’iki comporte trois aspects : le bitai (la séduction), l’ikiji (le panache, la fierté, la résolution, la fougue), et l’akirame (le renoncement). ” : le contraire de iki. P25 : “ Johin est antinomique de gehin (vulgaire), hade est antinomique de jimi (discret) et enfin iki l’est de yabo (rustre). (…) éventuellement on oppose shibumi à hade. ” P27 “ Hade signifie que les feuilles des arbres sortent (ha : feuille, de : sortir) et jimi veut dire que la racine apprécie le goût de la terre. Le premier terme rend compte d’un mode d’existence consistant à sortir de soi-même pour aller vers l’autre ; le second d’un mode d’existence qui consiste à s’enfermer dans sa propre nature. Celui qui va vers autrui aime le faste, aime se parer gaiement. Celui qui se replie sur lui- même, n’ayant personne pour qui se parer, n’en éprouve pas le besoin. ” P 29 “ Hade (…) cette notion contient celle de mauvais goût. (…) jimi (…) un rapport passif à autrui ” P31 opposition entre shibumi (astringent) et amai (doux, mais actif) P35, il donne son schéma des rapports d’oppositions entre les “ 8

- 104 - - 105 - sortes de goût ” : En haut : Iki / Yabo (rustre) qui croise en diagonale Shibumi (astringent) / Amami (doux) En bas : Johin (distingué) / Gehin (vulgaire) qui croise en diagonale Jimi (sobre) / hade (voyant) (Ceux du bas se superposant exactement à ces places à ceux du haut) les rapports d’opposition étant : pour soi/pour-autrui, valorisant / dévalorisant, et actif/passif. P37 suivent quelques autres définitions : Sabi (le goût de ce qui est patiné, distingué, sobre, discrètement élégant) Miyabi (la grâce, l’élégance) L’Otsu (ce qui est subtil, chic) Le Kiza (ce qui est affecté, maniéré) L’irroposa (coquet) Dans les pages suivantes, il recherche les réalisations de l’iki dans les dessins et peintures des personnages, dans les tissus, les couleurs, l’architecture (p 66), la musique (p71) P75 “ hade (tape à l’œil) ”

Ensuite, on peut se demander s’il est possible et pertinent de vouloir réduire la pensée esthétique d’une culture à un ou quelques termes seulement, comme le font la plupart des auteurs cités ci-dessus, et qui se contredisent parfois, quand ils ne s’ignorent pas. La quantité importante de termes que nous avons récoltés n’est due qu’à la diversité des sources. Aucune de celles-ci ne reprend par exemple les termes contenus dans la remarque de Claudel (Mémoires) : “ M. Okada nous dit qu’au Japon tout se divise en trois styles, shin ou officiel et solennel, yo ou dignifié dans le profane et l’usager (l’architecture civile), tso l’humble et rustique. ”

Enfin, on pourrait se poser la question, en symétrique des notions du beau ainsi trouvées, s’il y a des termes équivalents et tout aussi centraux pour le laid. Chose déjà étonnante, on n’en parle pas, ou moins, et les mêmes dictionnaires ne les développent pas autant, si même ils les mentionnent seulement. Qu’est-ce qui est laid pour un Japonais : le sale, l’impur ? Les Burakumin et les HLM dans lesquels ils habitent ? Les pauvres ? Ce qui touche à la mort ? Ce dont on essaye de se protéger ? Ce que l’on cache ? Ce qu’ils rejettent : poubelles ? Ce qu’ils détruisent : les maisons anciennes, dégradées, qui ne rapportent pas assez ? Quels en sont les mots ? On peut noter par exemple qu’il y a très peu de poubelles publiques dans la ville.

Un lexique Français ?

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On pourrait, de la même manière, adopter un chemin plus ou moins détourné pour cerner les termes de la langue française qui servent à qualifier le beau et le laid34, et partant disposer d’un autre regard sur les concepts sous- jacents. L’idéal serait évidemment de l’étendre à une observation du langage courant, populaire, en situation. Nous avons opéré déjà une tentative à partir du texte de J.Pezeu sur la beauté dans les arts Japonais, au début du guide bleu sur le Japon, et avons relevé les termes qui lui servent à exprimer les valeurs positives ou négatives. On y note ainsi : Visible/ dissimulé Vue / cheminement : découverte Tracé / Symétrie / perspective / dédale, labyrinthe Lisibilité (structure, trame) / se devine seulement axes illimités places monumentalité répétition structuration, ordre diversité / monotonie La “ grandeur ” La condensation de pensée, la densité La matière : grain, beauté propre et non transformée, naturelle Intact (authentique) / dégradé, / surfait, trop rénové Perpétuation, préservation, tradition, ancienneté / nouveauté Net / imprécis Force / nuance Espaces ouverts / fermés Nature / artifice (végétation sculptée) Symbole / présence réelle Présence d’eau / figuration de l’eau Présence réelle/ valoir pour, mitate Poli/ brut Miniature / grandeur réelle Démarche, épreuve, ascèse, effort Eclat, virtuosité/ simplicité, discrétion Savant / simple, sobriété Légèreté/ profondeur

Critique

Le rédacteur japonais de la rubrique “ esthétique ” de l’encyclopédie de la culture japonaise, insiste sur le contraste des axiologies occidentales d’une part, qu’il dit héritées de la Grèce antique, et japonaise de l’autre (mais il n’est pas précisé qu’elle serait héritée de la Chine antique). La première aurait développé le luxe et la puissance, le culte de la force et de la grandeur, la seconde le mono no aware et le wabi/sabi. Cela est fort joli, mais cela rend-il bien compte de la

34 Cf. ”Le vocabulaire de l’esthétique ”, E. Souriau, PUF. op. cit. - 106 - - 107 - réalité ? Certes, il ne suffit pas de trouver un contre- exemple isolé pour abolir une loi générale, tendancielle. Mais comment rend-il compte des monuments japonais : - d’une part les nombreux châteaux-forts dont il reste quelques-uns35, tel que celui d’Himeji, restauré dans les années 60, le plus visité. - d’autre part les anciens lieux du pouvoir politique (nijo- jô, palais impérial de Kyôto, et les actuelles tours jumelles de Shinjuku) et religieux (Todaiji, higashi et nishi- honganji, Meiji-jingu, et bien d’autres) : toutes ces hypertrophies de l’architecture vernaculaire, hors d’échelle, volontairement impressionnantes, et oppressantes parfois. - de même que de la statuaire colossale, de bois ou de bronze autrefois (Daibutsu de Nara, de Kamakura), ou de béton aujourd’hui. Enfin, il faudrait passer sous silence certains aspects de l’éthique comme de l’esthétique occidentale qui semblent échapper à cet auteur : - le monachisme en général, et l’art Cistercien en particulier, dont l’épurement n’a rien à envier à l’architecture zenshu. - la mignardise, et d’une manière plus générale la miniature - le mouvement romantique, dont les dimensions nostalgiques et compassionnelles, chez un Lamartine par exemple, ne peuvent être oubliées. C’est de ce mouvement que naît le goût de l’histoire, celui des ruines (Hubert Robert par exemple), la redécouverte et la réhabilitation du gothique. - le goût de la patine et de l’usure du temps, qu’il se révèle dans la protection patrimoniale des monuments historiques (que le japon ne connaît pas au même degré), ou bien dans le développement des “ marchés aux puces ”, brocanteurs et antiquaires (qui ne sont pas absents du Japon, mais avec un développement moindre).

Non que l’on puisse nier le principe de différences axiologiques entre ces univers culturels si distants. Mais il faudrait en asseoir la démonstration de manière plus probante.

Il n’est certes pas question de revenir ici sur les nombreux travaux philosophiques qui ont construit et éclairé (ou obscurci, diront certains) la question de

35 cf. Guillain, Florent, 1942, Châteaux-forts Japonais, Bulletin de la MFJ XIII-1 ; et Kessler Christian, 1995, Le château et sa ville au Japon. Pouvoir et économie du XVIè au XVIIIè siècle. Paris : Sudestasie et Fondation Franco-Japonaise sasakawa. 394 p. - 107 - - 108 - l’esthétique. Il est à noter cependant deux apories qui semblent en avoir limité la portée pour ce qui est de notre propos, à savoir une anthropologie de l’esthétique des objets ordinaires complexes. - d’une part l’incapacité ou le refus à déconnecter cette réflexion de celle sur l’art, comme si le beau était son domaine réservé. C’est le cas de Hegel, la référence obligée et permanente, qui le déclare préliminairement à ses travaux. - la difficulté à dissocier le beau du sacré, et donc de ses propriétés terrifiantes d’intangibilité : tant que cette valeur suprême ne pouvait être liée qu’à la création divine, donnée et définitive, extérieure à l’homme et aux sociétés, quitte à ce que l’artiste atteigne ainsi au règne du divin, comme concurrent de Dieu dans la production de la perfection. Et peut-être aussi la difficulté à penser (même chez Caillois), cette évidence contemporaine que tout est potentiellement beau, à la condition non d’en décider arbitrairement, mais qu’un état de coïncidence soit produit par un acteur, et partagé, qu’il fasse sens. Fonder une philosophie de l’esthétique sur la seule analyse des beaux-arts, de leur production et de leur réception, c’est restreindre notre pensée au domaine de la représentation, de la figuration par l’image (à 2 ou 3 dimensions). C’est oublier de penser l’attitude esthétisante en elle-même, face au monde qui nous est donné, hors action de production/réception d’un message spécifiquement artistique et professionnalisé.

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L’émotion esthétique : une intuition de coïncidence

Nous pouvons en fait aujourd’hui analyser la dimension esthétique des cultures en considérant que le sentiment du beau, (comme celui du vrai, et du bon ?) répond à l’intuition de la coïncidence (plus ou moins exacte ou absolue) ressentie entre deux figures, l’une interne au sujet et l’autre externe, constituant l’objet, simple ou complexe, un peu comme nous sommes convaincus de l’égalité de deux figures géométriques lorsqu’elles sont superposables. C’est une mise en coïncidence, à partir d’un état de tension interne, d’un manque (toujours renouvelé et insatiable), entre une exigence, et une forme qui semble l’exprime, donc dans un registre différent de la réalité (forme / sens), irréductibles l’un à l’autre. Le sentiment du beau relève alors de la jouissance de la réunification, de l’apaisement de l’unité retrouvée entre monde externe et monde interne, entre le monde et sa représentation.36 Il n’est pas fortuit que cet exemple, apparemment aussi simple, que l’on nous apprend au tout début de nos études de géométrie, nous mette sur la voie pour comprendre le sentiment esthétique (sentiment du beau, comme celui du vrai en l’espèce, et celui du bon, sans doute, dans leurs champs respectifs) : c’est la superposition possible de deux figures qui en démontre l’égalité, qui démontre la coïncidence de leur forme dans l’étendue, de leur structure spatiale, des rapports de leurs parties entre elles. C’est cette superposition, expérimentée ou possible, et elle seule qui démontre, qui emporte notre conviction, c’est-à-dire qui provoque le sentiment du vrai. On sait que cette égalité parfaite permet ensuite d’imaginer ce qu’on pourrait appeler des “ égalités imparfaites ” ou similarités, des égalités “ analogiques ” qui seraient obtenues moyennant une opération de transformation non structurelle (qui n’affecte pas la composition ni les rapports des parties entre elles) : déplacement, rotation, symétrie, homothétie, ou bien qui ne s’intéressent précisément qu’aux seules propriétés structurelles (équivalence topologique).

Considérons donc l’esthétique comme un système complexe de correspondances établi entre les différents champs de l’expérience sensorielle et même de chaque type de pratique. Un peu comme le système chinois des correspondances, (plutôt que comme le “ langage des fleurs ”, qui existait de manière simple dans le milieu rural, mais dont la version urbaine n’est pas partagée —on n’offre cependant pas des œillets ou des chrysanthèmes à

36 est-il utile de préciser que cette proposition repose aussi sur l’étude des travaux récents d’éthologie humaine, sur la naissance de la représentation et de la relation sociale. - 109 - - 110 - n’importe qui, ni des fleurs blanches ou des roses rouges n’importe quand—). - ce système n’est en principe jamais explicité (même à l’école des Beaux-Arts) ; il est essentiellement préverbal (comme le rituel), et en tire une grande partie de son efficace ; - il est appris très tôt et tout au cours de l’expérience relationnelle et sociale, ce pourquoi il est compris pour l’essentiel du message véhiculé par tout acteur, même non spécialisé. Il y a, là aussi, une compétence acquise, qui fait comprendre par exemple la signification du ton de la voix (susurrée, murmurée, cageolante et sucrée ou grondante et menaçante, voire impérative), qui permet d’en jouer et d’en abuser ; - il n’est pas de type logique, mais arbitraire, et ne peut donc se justifier dans un discours rationnel (ce qui permet parfois de le croire immanent) ; s’il apparaît fermé dans les cultures traditionnelles (ce dont on peut douter, car celles-ci évoluent même si l’on n’en garde pas toujours la trace), c’est un système de type ouvert dans notre culture au moins : toutes les tentatives de fermeture ou de systématisation (au sens étroit : tempérament musical, dodécaphonisme, par exemple) n’ont duré qu’un temps. - il a pour effet, sinon pour but, d’exprimer les valeurs du groupe social d’appartenance. De ce fait, il en est distinctif. Il varie selon les cultures et les époques. Un individu désirant se mettre en marge du groupe social (à l’adolescence par exemple), jouera effectivement de ces codes (soit en exprimant des valeurs autres, soit en contredisant le système de correspondances, mais jamais en s’attaquant fait même qu’il puisse y avoir système d’expression). - Mais un individu devenu capable de maîtriser son propre système de valeurs et l’expression de celui-ci peut se forger sa propre esthétique. Ce qui a pu faire croire à l’impossibilité de comprendre jamais ce système social, et donc conduit à en nier la réalité. C’est ce qui renverrait les choix esthétiques à un ordre individuel in-déterminé :“ les goûts et les couleurs ne se discutent pas ”. C’est la position du bourgeois par excellence, qui possédant un peu plus que les autres une connaissance approximative et légitimée de ce système, n’a pas intérêt à ce qu’il soit ni divulgué ni explicité. Elle renverrait également à l’ordre de l’exercice d’une liberté individuelle intangible, à laquelle la volonté de compréhension du sociologue porterait atteinte fantasmatiquement. C’est la position de l’artiste en particulier. - Généralement, les individus possèdent assez mal la connaissance de ce système d’équivalence. Certains appliquent des modèles plutôt rigides (de véritables - 110 - - 111 - patterns), lorsqu’ils se soucient du beau et du paraître au- delà de leurs capacités à l’exprimer. Mais la plupart du temps cette expression est assez débridée, inventive, chaotique, incohérente, mais fort expressive (cf. notre article sur les décors). Ils ont tendance à déléguer l’expression à des acteurs spécifiques (l’arrangement des bouquets aux femmes ou aux fleuristes, etc) ayant acquis une formation spécifique (musique, dessin, peinture, couture, architecture, etc.) - La lecture de l’esthétique d’un objet ou d’un ouvrage est d’autant moins aisée que l’objet doit donner à lire simultanément le (ou les) code(s) utilisés et le message. En musique classique occidentale, les premières mesures exposeront la tonalité de manière plus ou moins certaine et assurée selon le cas, le mode majeur ou mineur, la dominante et la tonique, avant de pouvoir faire ressentir les modulations et l’écart dans des tonalités relatives, perçues alors comme expressifs. - Si les systèmes de correspondance sont pour l’essentiel arbitraires (comme le fut celui des armoiries et blasons, (cf. Cuisenier in : La maison rustique), il apparaît des constantes universelles (qui restent toujours à vérifier), ne serait-ce qu’en raison de la présence universelle et indispensable de certains éléments naturels dans l’environnement des sociétés humaines : le ciel, l’eau seront associés le plus souvent au bleu ; le soleil au jaune, orange ou rouge ; le sang et le feu au rouge ; la nuit au noir. Mais il ne semble pas que les notes aiguës aient été partout associées à la hauteur, à l’élévation, et les notes graves à la profondeur. Cependant, les constantes ou les ressemblances sont suffisamment nombreuses pour que certains artistes optimistes aient pu croire à un système universel, ou bien à leur capacité de décodage, de compréhension (en apparence, superficielle, profonde ?) du système des autres cultures. Certaines dichotomies de valeurs exprimées se retrouvent également avec une grande fréquence à la racine des systèmes culturels (le pur et l’impur, le masculin et le féminin, le jeune et le vieux, etc.) - Par ailleurs, se posent des questions d’un second niveau, en particulier aux acteurs spécialisés, qui sont non plus celles de la connaissance (la capacité à les ressentir et à en jouer) des équivalences, mais des questions de jeu avec les marges, les incertitudes, l’ouverture du système ; d’autre part des questions de “ cohérence ”, de pureté, de mélange, ou de métissage stylistique ; de foisonnement, d’inventivité, ou au contraire de perfection et d’économie des moyens. - Le “ jugement ” esthétique peut alors se définir comme une lecture explicite, une herméneutique plus ou - 111 - - 112 - moins aboutie, soit durant la production d’un ouvrage (essai-erreurs, correction), soit dans une position de réception.

Sans doute certains éléments de cette proposition sont- il déjà présents dans quelques ouvrages contemporains (encore que la question du jugement esthétique proprement dit se différencie des rapports de pouvoir qui s’exercent quant à la légitimité à les prononcer, tels que les analyse “ La distinction ” de P. Bourdieu). Mais nos lectures nous laissent cependant sur un étonnement : cet angle de vue ne semble pas avoir été adopté si fréquemment, ou sinon par bribes, comme nous le montrerons ci-après. C’est à vérifier. Mais, sur cette base, la question d’une ethnologie de la relation esthétique peut s’éclairer. On peut chercher à connaître tel ou tel code, ou bien l’ensemble du système de correspondance, de telle ou telle ethnie, de tel ou tel segment social de notre culture. En particulier : cette “ théorie ” a-t-elle une portée universelle ? Existe-t-il partout de tels systèmes ? De quelle ampleur, de quelle complexité ? A caractère laïc ou religieux ? On peut se demander comment les sociétés s’organisent pour transmettre cette connaissance, comment elles délèguent ou non à des acteurs spécialisés, et auxquels : comment se transmet cette connaissance dans l’éducation de l’enfant, en particulier quand la relation n’est pas explicitement déclarée comme esthétique (achat d’un jouet, d’un vêtement…) ; On peut se demander également comment est défini le champ esthétique dans une culture. Est-il circonscrit à certaines situations seulement (table, vaisselle et repas “ de fête ”), au religieux, à la production des acteurs spécialisés (artistes, designers, créateurs divers chez nous), ou bien envahit-il la totalité du champ de la pratique quotidienne (ce qui semble avoir été le cas du Japon de l’époque Edo, 1601-1868). Coexiste-t-il, au sein d’une société, des champs spécifiquement esthétiques, et une dimension esthétique seconde, comme cachée ou en contrebande, dans des champs autres ? Les esthétiques se spécifient-elles finement en fonction des sexes, des classes d’âge, des catégories sociales, professionnelles, ou bien demeurent-elles pour l’essentiel affiliées à un tronc commun de codes et de valeurs ? Comment les sociétés désignent-elles le beau à l’admiration et à l’apprentissage des individus ? Comment les individus forment-ils un jugement esthétique personnel (et le font-ils ?), en fonction de valeurs qu’ils auront construites au cours de leur expérience biographique ? Ou en référence à des modèles non discutés ? Les individus - 112 - - 113 - poursuivent-ils un auto-apprentissage volontaire, ou une éducation volontariste (fréquentation des musées, galeries, expositions, concerts) selon une certaine norme (la culture légitimée, la production des acteurs spécialisés) ? Poursuivent-ils —seuls ou au sein d’organisations— une pratique personnelle d’un champ d’expression esthétique (culture des fleurs, tricot, cuisine, peinture, musique, chorale, écriture…) ? Comment, et avec quelles conséquences, se déroule un épisode de concordance ou de discordance esthétique ? Comment s’expriment-ils ? Comment se déroule un conflit social d’ordre esthétique (dans le registre de la défense de l’environnement, par exemple) L’accord esthétique est-il favorable et nécessaire à certaines relations sociales (amitié, mariage).

Ordinaire / populaire

S’il nous semble indispensable d’adopter ce modèle théorique pour penser ethnologiquement l’esthétique et donc l’esthétique ordinaire, nous ne la confondons en aucun cas avec l’esthétique “ populaire ”, telle que Bourdien en stigmatise l’approche dans nombre d’ouvrages. Dans la note 9, p235, de l’ouvrage qu’il cosignait avec Wacquant, ce dernier indique que “ dans une conférence sur “ les usages du peuple ”, Bourdieu montre que les discours sur la “ culture populaire ” ne peuvent se comprendre qu’à partir du moment où l’on reconnaît que cette notion est avant tout un enjeu de lutte dans le champ intellectuel. ” (Et il renvoie à “ Choses dites ”, p.180. où cette critique est développée). Quelques notes puisées dans cet ouvrage préciserons son point de vue ; (P64) à propos de “ l’amour de l’art ”, il dit : “ l’esthétique de Kant est vraie, mais uniquement comme phénoménologie de l’expérience esthétique de ceux qui sont le produit de la skolè, du loisir, de la distance à l’égard des nécessités économiques et des urgences pratiques ”. Plus loin, “ C’est notamment lorsqu’il s’agit de culture, d’art ou de science, (…) que la vigilance réflexive doit s’exercer avec une force spéciale contre les représentations spontanées qui ont cours dans le monde intellectuel. ” Il veut en particulier parler du relativisme généralisé qui génère les “ pastorales ” (p.59- 60) en canonisant la culture populaire à l’équivalent d’un accès à ce qu’il y a de plus universel dans la culture artistique.

Nous repensons à ce propos à la réaction immédiate d’un - 113 - - 114 - artiste occidental que nous avons interrogé à Kyôto, et à sa dénégation dans deux directions différentes, opposées et contradictoires, nous semble-t-il, renvoyant toutes deux à une “ magie ” de la beauté (une boîte noire, donc une magie noire). D’une part la beauté est indéfinissable, c’est un objet sacré, et il est tabou d’y toucher, donc illusoire de vouloir la réduire (au sens scientifique) ; l’artiste-créateur est un magicien (or un magicien ne dévoile pas son métier, sous peine de rompre le charme), tellement pris dans son jeu qu’il se met à y croire ; il y est invité et secondé par la critique d’art, qui ramasse les bénéfices secondaires de l’opération en produisant le discours nécessairement abscons qui convient aux formules magiques. Un dévoilement ne serait-ce que partiel n’est pas tolérable. De l’autre côté, le discours énonce qu’il y a des invariants du beau quelquesoit le lieu et le temps, et donc que sa production ne saurait être relative ni déterminée par aucune condition circonstancielle. Si tel était le cas, il serait difficile de comprendre les variations historiques, culturelles et géographiques du beau. On en reviendrait à sa conception hellenocentriste platonicienne d’un beau absolu, prédéfini, invariable et hors d’atteinte. Pourtant, le phantasme des artistes par rapport à une interrogation non sublimante des sciences sociales sur l’esthétique, n’est pas uniquement relatif à une crainte de se voir déchu d’un piédestal divin. La crainte fantasmée d’une réduction du beau (trascendant ?) à une théorie (“ mise en équation ”), a quelque chose d’inutile, d’infondé, et de déraisonnable. Car quand bien même système de valeurs et système de formes pourraient être laborieusement et longuement décodés, explicités, décrits, ce travail d’herméneutique (de critique) est aux antipodes (il la contredit, l’anéantit) de l’immédiateté “ évidentielle ” de la coïncidence, du sentiment, comme de l’immédiateté nécessaire de l’image poétique. Par contre, il est certain que ce travail y prépare, comme l’artiste s’est lui-même longuement préparé, formé, initié à cette maîtrise immédiate, instantanée, taisible.

L’esthétique n’est pas l’art

Un tel énoncé, qui peut paraître abrupt sans autres développements, se construit en fait sur la lecture de nombreux travaux récents en matière d’esthétique, soit pour en extraire des propositions exactes et fécondes, soit pour en réfuter d’erronées, mais bien souvent pour constater et déplorer que sous le titre d’ “ esthétique ”, ils - 114 - - 115 - n’abordent presque en rien cette matière et ne traitent que d’une théorie des beaux-arts. D’abord le chapitre sur le jeu et l’esthétique de Mauduit (dans son Manuel d'ethnographie de 1960), qui est assez inintéressant. Guère d’idées ni de réflexions, même si quelques remarques auraient pu le conduire sur une voie plus intéressante à notre sens. Je n’en retiendrai que ceci : P288 : “ (…) chaque production humaine porte en elle un élément esthétique. L’esthétique est également un langage qui, obéissant à des lois de symétrie, de rythme et d’harmonie, étend son domaine au-delà des limites du langage rationnel, prolongeant ainsi sa sensibilité dans des directions actuellement inaccessibles par d’autres moyens, lui permettant de participer à une connaissance autrement intraduisible. ” Mais malheureusement, quand il parle d’esthétique et quoique ethnologue, il ne peut s’empêcher de penser surtout art, et art occidental posé comme un aboutissement supérieur, s’empêchant ainsi de penser ce qu’est réellement le sentiment esthétique. Pourtant, parlant de Michel-Ange, il conçoit qu’il imprime dans le marbre “ des valeurs que chacun ressent encore profondément ” , et dit plus loin : “ l’art est donc un langage, exprimant les besoins humains, besoins s’intégrant dans cette notion d’harmonie. On peut encore le définir comme une structuration de l’univers. Qui dit art dit forme, celle-ci exprimant une structure (…) Toutes sortes de rapports existent (…) et ils apparaissent comme autant de jugements de valeur. ” Puis, comme d’autres, il insiste sur les règles formelles les plus simples : symétrie, rapports harmoniques tels que la croissance logarithmique des séries de Fibonacci (ou section d’or, Ø2=Ø+1, ou Ø=(1+√5)/2 ), etc.).

Impressions et sentiments

Son erreur la plus grossière est de considérer que le sentiment du beau n’émerge que tardivement dans l’évolution de l’humanité, et qu’il est l’apanage des sociétés évoluées ayant développé un champ artistique spécifique, autonomisé. Il est probable, tout au contraire, que le sentiment esthétique est premier, qu’il précède —et de beaucoup— l’approche conceptuelle de la réalité, et même son appréhension par le langage. Les ethologues nous font au contraire considérer que c’est la pensée conceptuelle et le raisonnement articulé, logique, puis scientifique, qui se sont lentement dégagés d’un état où les choses, le monde, s’impressionnent dans le cortex, sous la forme des “ impressions ”, par l’intermédiaire des sens, et y produisent donc des “ sentiments ” où demeurent - 115 - - 116 - attachés indissolublement l’image de la réalité extérieure et sa signification pour le sujet et la culture à laquelle il participe, tant qu’ils ne sont pas “ traduits ”, c’est à dire restructurés, par les termes du langage. C’est bien ce que nous ont enseigné la psychanalyse autant que l’ethologie contemporaines. Le sentiment de coïncidence entre un état des choses du monde extérieur et un état intérieur des désirs, des besoins, des contraintes et des aspirations, ne nécessite ni conceptualisation, ni même verbalisation. Beaucoup plus consistante est la tentative de Roger Caillois d’une “ Esthétique généralisée ”, en 1962. Elle se site plus dans la lignée de la critique d’art, ou de la réflexion philosophique libérée des écoles. Mais il se donne les moyens d’une réflexion plus juste du seul fait de se poser la question de l’esthétique dans un champ plus vaste que celui de l’art seul, même si c’est pour y revenir trop rapidement par la suite. Caillois approche du vrai nous semble-t-il quand il ne considère l’art que comme un cas particulier, et en quelque sorte second, du sentiment du beau (p.8) : “ les formes, la beauté, l’art se succèdent dans un ordre d’extension décroissant. (…) il ne suit pas que la nature soit le modèle de l’art, mais plutôt que l’art constitue un cas particulier de la nature ”. En renversant la démarche habituelle de l’analyse, la question de l’esthétique est alors non seulement celle du beau perçu, ou sélectionné, ou choisi, dans le monde extérieur —qu’il restreint à “ la nature ”, alors qu’il aurait dû l’étendre à toute occurrence extérieure, qu’elle soit ou non artefact expressément produit avec une dimension esthétique au-dehors du sujet ou de son groupe, et même par lui—, mais encore celle d’un faire, d’une volonté et d’une action maîtrisée, initiée, cultivée, qui devient de plus en plus savante. Ceci au moins en ce qui concerne les arts “ d’imitation ”, qui observent, et cherchent à connaître la nature dans ses moindres propriétés, jusqu’à en reproduire l’apparence “ à s’y méprendre ” : c’est ainsi se persuader d’une domination, d’une libération de son emprise. Représenter, pouvoir construire un analogon, une maquette, une image, un fétiche, c’est prendre pouvoir sur l’objet. Imitation, qui fut largement incomprise et décriée, méprisée, par les esthètes du XIXe siècle. Par contre, plus loin, Caillois retombe dans la confusion habituelle en voulant ramener toute son esthétique à celle de l’art, contradictoirement avec son premier propos. Il voudrait que l’objet choisi comme beau dans la nature le soit comme imitation de l’objet produit par l’art. Alors pourquoi les Magdaléniens auraient-ils représenté des animaux, qui ne sont pas des artefacts, non - 116 - - 117 - plus qu’ils n’auraient sculpté de Vénus. Que la redécouverte d’une esthétique de l’objet choisi se soit faite “ récemment ”, et croit-on parfois par dérision (ce qui n’était certes pas le cas de Dada, de Duchamp ni des surréalistes), ne retire rien à son antériorité anthropologique. Ce choix est désormais d’un autre ordre dans notre culture, affirmant précisément comme un retour à une esthétique du choix, du regard, et non du faire et du recevoir. Le beau est alors dans le regard du sujet sur le monde en général —anthropisé ou non— et particulièrement sur la nature —d’où la naissance du paysage comme topique esthétique—, autant que dans le savoir-faire ou savoir-dire du producteur spécifique, de l’artiste. Notons encore ceci. Parce que l’objet produit comme objet esthétique, c’est à dire comme œuvre, l’objet esthétique fabriqué dans une itération, un aller et retour laborieux où l’acteur artiste adopte successivement les positions du producteur exprimant son monde intérieur et celle du spectateur recevant ce spectacle comme extérieur à lui (gymnastique qui nécessite un long apprentissage) — et avant de devenir intériorisé par la représentation—, l’objet ainsi produit parle-t-il ainsi de son auteur, de ses choix, de ses valeurs, de ses désirs, autant que du groupe ou de la culture par rapport auxquels il se définit, auxquels il emprunte ses codes pour les développer ou les subvertir. Ainsi l’histoire de ses œuvres parle-t-elle de son histoire personnelle, de ses évolutions, de ses avancées ou bifurcations, etc.

Il semble que deux axes de transformations s’offrent à une esthétique à l’œuvre : - la recherche d’une perfection dans la coïncidence d’un système de valeurs avec un système de formes, peut- être le passage de “ coïncidences approximatives ou floues ” à des coïncidences exactes ; ou bien alors l’inverse, lorsqu’il suffit de reconnaître à sa première apparence une coïncidence connue, établie, pour obtenir la satisfaction du sentiment esthétique, et qu’alors la simple répétition de cette coïncidence n’apporterait que redondance. - la recherche d’un système de formes (nouveau) approprié, en coïncidence (plus ou moins parfaite ou approximative) avec un système de valeurs en évolution, en question, en formation au sein d’une société, voire seulement pressenti, attendu ou désiré. Ce qu’on nomme création artistique, mais qui peut adopter des formes totalement idiosyncrasiques et non légitimées dans le champ artistique. Tout ce qui peut varier de forme, de couleur, de - 117 - - 118 - tonalité, enfin d’une quelconque qualité sensible, est susceptible de sens (d’être ordonné sur un gradient, d’être mis en rapport d’opposition), et donc de sens (de mise en équivalence avec des valeurs).

Revenons ici sur la satisfaction qui caractérise le jugement esthétique : la coïncidence est un état de moindre énergie d’un système cognitif, un état de moindre tension, qui réalise l’économie des multiples opérations nécessaires soit à la transformation du monde en une structure connue, congruente au système interne, soit celle de la construction d’une nouvelle représentation interne ex-nihilo, un changement radical de paradigme, une révolution interne dont on connaît la difficulté, la souffrance, l’effort (la “ remise en cause ”, la “ remise en question ”). Savoir si ce jugement de coïncidence (de beauté) se déroule à l’insu du sujet intéressera plus le psychologue ou le philosophe que l’ethnologue ou le sociologue. Il paraît cependant trivial que, insu pour les raisons que nous avons dites (“ par nature ” de média préverbal), cette coïncidence est maîtrisée par les acteurs spécialisés, dûment entraînés et exercés (à maîtriser et à produire, mais pas nécessairement à dire).

Cependant Caillois, comme pour se rassurer et nous rassurer devant la complexité et la variabilité apparente du jugement et des objets esthétiques (seraient-ils insaisissables, impensables, irrémédiablement subjectifs ?), essaye de se raccrocher à un référant absolu, ineffable, intangible (et pour tout dire : où il voudrait retrouver une dimension sacrée, impressionnante et incontestable) du beau, qu’il croit trouver dans “ la nature ” (qu’il connaît manifestement assez mal, et décrit de façon souvent erronée et passablement idéologique), oubliant en particulier que le sentiment esthétique est un jugement porté par un acteur sur un objet, et par là un fait social. Il confond l’objet et la relation, parce qu’il a évacué l’acteur dans ses appartenances sociales, culturelles, historiques. Par ce choix, il exprime assez bien la question de son époque, et une esthétique très datée, historicisée, qui pourrait être celle générée par l’inquiétude éprouvée face aux profonds et rapides changements du monde quotidien, produit par le développement technique et industriel, artificiel, du XX e siècle en général et l’après seconde guerre mondiale en particulier. C’est malheureusement par rapport à cette nature en tant qu’elle même et non en tant que forme qu’il écrit cette proposition que nous aurions pu retenir : “ l’impression de - 118 - - 119 - beauté naît de cette corrélation, elle est le plaisir de ces retrouvailles constatées. ” (p.21)

Autre tentative de penser l’esthétique, celle d’Henri Lefevre. N’étaient ses références pieuses à Jdanov et à Staline, le discours critique d’H. Levebvre mériterait encore l’attention, ne serait-ce que parce qu’il réfute successivement toutes les approches antérieures de la philosophie au sujet de l’esthétique. Et tout d’abord l’approche platonicienne, qui a dominé deux millénaires d’histoire occidentale, à vouloir définir le beau absolu et définitif, qu’on ne pourrait qu’approcher, rechercher, entrevoir, reconnaître. Cette métaphysique a-historique a dominé sous divers avatars la pensée sur l’art occidental autant que la réflexion philosophique, et plus encore avec la référence aux canons de l’architecture antique à la suite de la Renaissance. Par voie de conséquence, toutes les approches ne se définissaient ensuite qu’à l’intérieur de ce paradigme, et ne visaient en définitive qu’à comprendre le comment (la symétrie, les proportions, le nombre d’or), et les multiples concrétisations de l’art de faire le beau, et de l’art uniquement. Dès lors, un tel paradigme souffrait de trois défauts rédhibitoires : - la référence à un beau métaphysique postulé mais indémontrable (confusion entre permanence d’une valeur idéale en tant qu’aspiration, et contenu de cette valeur, variable et labile) ; - une théorisation a-historique en même temps qu’ethnocentriste et élitiste ; - une théorisation de l’art (du faire), et non du jugement esthétique proprement dit, qui précède pourtant toute production autochtone, et par suite toute production spécialisée, labellisée “ œuvre d’art ”. Mais une fois de plus, sous ce titre alléchant de “ contribution à l’esthétique ”, on ne trouve malheureusement qu’une “ théorie de l’art ” (sic) et de l’artiste créateur, à quoi l’esthétique ne saurait se réduire. Ce manque de discernement, caractéristique de la tradition philosophique, de quelque école qu’elle se réclame, et que l’on retrouve toujours sous forme de glose marxiste et stalinienne, montre assez bien le profond fossé, le hiatus entre les philosophes et la pratique concrète, l’expérience du monde et sa diversité sociale, culturelle, ethnique. Marx et Engels, dûment convoqués, prônent évidemment le réalisme en matière d’art, réalisme a priori congruent avec le matérialisme requis par leurs prémices théoriques, par opposition à ce qu’ils nomment idéalisme et que Lefebvre et le stalinisme associent à peu près à tout ce qui a précédé. Le dogmatisme émerge alors, - 119 - - 120 - disqualifiant l’effort de construction théorique et les remarques ou propositions plus personnelles dont il est jalonné. L’on ne saurait trop recommander la lecture de ce petit essai aux disciples qui resteraient admiratifs du maître. “ L’œuvre d’art concentre et condense en un objet déterminé (exceptionnel, unique) l’immense labeur des hommes, des masses humaines. Elle est l’expression supérieure de cette forme donnée au monde et à l’homme lui-même par son travail : le moment privilégié, l’éclair qui à un moment donné illumine une parcelle du résultat atteint par le lent, obscur et profond labeur des masses. ” (page 41). Ainsi n’est retenue comme objet théorique que “ l’activité créatrice dans l’art ” (p.40), oubliant le mécanisme même des itérations qui interviennent dans la phase de la production-création proprement dite, et qui nécessitent une perception et un contrôle de ce qui est en train d’émerger (l’artiste est son premier spectateur), oubliant que l’œuvre est destinée à être “ reçue ”, exposée, interrogée, comprise, échangée même, qu’elle est message et langage, et donc relation sociale d’une certaine forme. Oubliant encore que le jugement esthétique de l’artiste (mais aussi de celui qui reçoit) s’est formé au cours d’un long apprentissage : quoique il s’appuie sur des “ qualités ” et des “ dons ” spécifiques, la qualité d’artiste n’est pas innée : l’artiste n’est pas né artiste, il l’est devenu. Il a appris cette forme de rapport au monde et au social comme il a appris les autres formes de langage et de relations sociales. Pourtant, comme toutes les théories esthétiques, celle-ci apporte quelques observations dignes d’intérêt, mais qui ne sont pas analysées ni prises en considérations à leur juste valeur. Lefebvre cite une intuition de Marx par exemple (p.47, qu’il semble donner pour un extrait du manuscrit de 1844), “ Le sens d’un objet ne se manifeste que pour un sens correspondant en moi ”, c’est-à-dire la “ disposition subjective ”, la subjectivité qui est à la base du jugement esthétique. Mais c’est aussitôt pour confondre le médium (les formes d’art) et le sens (le sentiment esthétique), dans un jeu de mots redoutable où le sens (trop idéel) est assimilé aux cinq sens (pour faire plus biologique et matérialiste), puisqu’un message s’appuie nécessairement sur ces canaux de communication avec le monde et avec les autres. Bien sûr, on ne saurait lui faire grief de ne pas intégrer tous les développements de la connaissance opérés depuis un demi-siècle, par la suite. Cependant, ceux de l’anthropologie autant que les propositions artistiques du XIX e et du premier XX e siècle eussent pu largement l’éclairer, s’ils n’étaient immédiatement disqualifiés et rejetés dans - 120 - - 121 - l’obscurantisme bourgeois, ce qui est certes plus aisé que la mise au jour des questions difficiles qu’ils ont posées sur notre rapport au monde.

Le conformisme : Meishos et poèmes de voyage (Bashô)

Nous avons dit plus avant ce mécanisme qui semble régir une grande part du jugement esthétique au Japon (nous révélant peut-être un mécanisme identique chez nous), lequel ne permet à ce jugement de s’exercer que lorsque la chose jugée a déjà été célébrée, particulièrement par un poème, dûment répertorié et cité. Quelques auteurs nous permettent de mieux comprendre ce mécanisme. Par exemple certaines lignes de N. Fiévé, dans “ Le récit sur les hauts lieux Meisho… ” (1995), quoiqu’un peu court dans ses analyses (on pense au travail de Micoud par exemple, et à ceux de Mazas, de Luginbuhl et de Perrot dans “ paysages au pluriel ”, op.cit). Se référant à Halbwachs, il rappelle comment “ le lieu reçoit l’empreinte du groupe, et réciproquement ”. La première carte de Kyôto, on le sait, date de 1637. Mais avant, les rakuchû-rakugai-zu byôbu, dès la première moitié du XVI e et très en vogue au siècle suivant, remplissent une fonction équivalente. Ainsi que les meisho-ki, recueils qui énumèrent les rubriques : “ I : la capitale, sanctuaires shintô, montagnes et collines, plaines et landes, forêts et bois, voies et carrefours, rivières et marécages, barrières et ponts. II : résidences impériales, villages et hameaux, monastères bouddhiques, mausolées et tombes impériales, tombes. III : monuments anciens, végétation, essentiellement pins et cerisiers. ” Les hauts lieux se rangent selon Nicolas Fiévé en quelques catégories : ceux à valeur historique (mémoire d’un illustre édifice de l’ancienne aristocratie évincée du pouvoir —mais jamais une ruine—), ou mémoire d’une croyance ancienne (lieux maléfiques) ; lieux contemporains tels que les quartiers des fleurs réputés ou les centres de commerce animés. Puis on voit apparaître les lieux liés à des personnages de l’imagerie populaire, des sanctuaires shintô et bouddhiques (Kiyomizu, Kitano, Yasaka), et des sites monumentalisés (statue, stèle, tombes et tumulus) ; enfin des quartiers populaires réputés. Au total, “ les édifices en tant que tels n’ont pas de valeur pour la monumentalité du lieu. ” peu de traces laissées par la classe des guerriers, et prépondérance à l’inverse de la famille impériale. “ l’authenticité, si ce n’est l’existence, d’un édifice ancien importait peu. Le monument matériel (…) n’a guère de succès dans ces guides de lieux

- 121 - - 122 - célèbres. ” D’abord, il faudrait aller plus loin. La désignation d’un lieu par les premiers guides l’a-t-elle consacré pour les suivants ? En trouve-t-on d’autres témoignages, et trace dans la littérature ? En reste-t-il une trace importante dans la toponymie actuelle ? Il faudrait enfin préciser l’influence du modèle chinois. Ensuite : la liste des rubriques données dans la note 1 de la page 307 semble bien plus large que les seuls Meisho. Que sont ces objets ou lieux qui sont retenus et offerts à l’attention (sinon à l’admiration) du visiteur ou du pèlerin ? Enfin, on ne retrouve pas trace ici du travail qu’il avait fait, nous semble-t-il sur l’iconographie de ces livres, et qui montrait l’association de chaque lieu avec un temple lointain, dans la montagne, comme un double sacré. Au total, ce matériau accrédite-t-il ou non la nécessité d’une désignation à la célébrité (par voie des meisho-ki, des paravents, ou des recueils de haiku, voire autrement) pour qu’un lieu soit l’objet d’une admiration ? Le goût du lieu est-il libre et hasardeux ou socialement induit ?

La lecture de Jacqueline PIGEOT (trad.) (1999) Voyage dans les provinces de l'Est , permet d’avancer un peu plus loin. C’est un bon exemple de la lecture des lieux (ici des paysages et sites traversés durant un voyage de Kyôto à Kamakura en 1242), à travers les poèmes et anecdotes historiques célèbres, auxquels l’auteur anonyme vient rajouter les siens, de piètre qualité. On peut noter en particulier : (P38) “ A force de marcher, j’aperçois les abords de Yatsuhashi [les huit ponts] en Mikawa. Il me revient à l’esprit que c’est en cet endroit qu’Ariwara no Narihira composa son poème sur les iris et qu’alors ses compagnons arrosèrent de larmes leurs boules de riz séché. ” Et p44 : tout ce qu’il dit à propos d’un autre pont : “ c’est un site célèbre depuis les temps anciens ”. Les stèles sur lesquelles sont gravés (ou peints ?) ces poèmes rédigés en des sites célèbres, et que l’on rencontre fréquemment aujourd’hui, sont déjà nombreuses. C’est dire que ce rapport aux lieux est constitué depuis longtemps, et qu’il perdure.

Il faut poursuivre cette lecture par celle des journaux de voyage de bashô (trad. R. Sieffert). Dans l’introduction, R. Sieffert énonce, (p15) : “ nombreux sont les pèlerins qui l’été partent à la recherche des derniers vestiges de ce qu’avait vu Bashô, et dont seule parfois une stèle portant un vers du poète conserve encore le souvenir, dans un paysage définitivement défiguré par la laideur industrielle. ” Plus loin “ l’on peut certes le [le journal de - 122 - - 123 - voyage] tenir pour un guide poétique que l’on pourrait suivre pas à pas, livre en main, mais il est peut-être plus conforme à l’intention du poète de considérer que les lieux importent peu (…) ” Il poursuit par un décodage du système poétique de Bashô : (P18) “ Le principe fondamental de la poétique de bashô, principe qui se résume dans l’opposition fu.eki/ryûkô. Fu.eki est “ l’invariant ”, ce qui dans la nature aussi bien que dans l’homme est stable, indifférent aux modes, insensible aux variations ; ryûkô est le “ fluant ”, ce qui change avec l’âge, avec le siècle, avec l’individu aussi. ” C’est donc une analyse et une définition du regard esthétisant qu’il porte sur le monde, de la clef de lecture et d’intelligibilité qu’il se donne, autant qu’une règle poétique. Plus loin, dans un des journaux, il donne un haiku sur le coup de l’émotion qui lui fait oublier l’allusion à la saison, dit-il. C’est donc là une autre règle qu’il se donne, de percevoir toujours cette fugacité comme inscrite à la fois dans un temps qui passe, un temps structuré par les saisons (et les mots pour les dire), c’est-à- dire les phénomènes naturels qui se succèdent à un rythme rapide (cf. les 24 souffles), en même temps qu’à la nature naturante, dans ses œuvres florales, climatiques, animales. D’ailleurs, un peu plus loin (p45), Bashô le dit dans le “ Carnet de la hotte ” : “ Il convient de suivre la nature créatrice et de faire des quatre saisons ses compagnes ”). “ L’interaction du fluant et de l’invariant se traduit par le sabi. Ce terme, par lequel on caractérise la poésie de Bashô, ce n’est certes pas lui qui l’a inventé. Sabi est étymologiquement la “ patine ” du bronze, la “ rouille ” du fer. Par extension, on l’applique à toute altération due au temps : la mousse sur l’écorce d’un arbre, les lichens sur un rocher, les cheveux blanchis par l’âge sur la tête d’un homme. Bref, c’est l’usure que les ans infligent même à ce qui, à l’échelle humaine, semble presque éternel. Interrogé sur la définition du sabi, bashô se contentera de citer un hokku de Kyoraï :

Les gardiens des fleurs Pour deviser rapprochent Leurs têtes chenues

Protéger les fleurs de cerisiers contre les promeneurs indiscrets est une tâche que l’on confie à des vieillards. L’opposition entre leurs cheveux blancs et la fleur, symbole de printemps et de jeunesse, est rehaussée par un second contraste, entre l’arbre et la fleur, l’arbre survivant à la fleur et survivant à l’homme, mais condamné lui aussi à périr tôt ou tard. Tout cela déterminera chez le spectateur une émotion intense que traduit l’adjectif sabishi, et qui - 123 - - 124 - n’est autre que la conscience de l’impermanence de toute chose, de tout être vivant, et de lui-même. ”

Sieffert atteste ensuite (p.19) des “ allusions littéraires ou historiques relativement nombreuses (…), événements relatés dans les grandes épopées, toujours très populaires à l’époque (…) parfois il suffit d’un nom de lieu pour évoquer un drame ”. C’est vrai, mais il faut avouer qu’à la lecture, si ses pas paraissent dirigés par la volonté de visiter des lieux dont il connaît l’existence par la littérature, par l’histoire des deux poètes qu’il révère, par celle des moines qu’il admire, sa sensibilité aux lieux et aux instants déborde largement cette détermination. Cependant, nous avons relevé quelques indices de cette lecture du monde à travers le filtre des œuvres anciennes : (P28) “ je laisse de côté des lieux illustres pour aller tout droit m’incliner devant le mausolée de l’empereur Go-Daïgo. ”, et juste après : “ voici l’antique tombe de Tokiwa. Ce que dit dans ses vers Moritake d’Ise (qu’il cite ensuite) ”. (P38), parlant du mont Tsukuba : “ cette montagne pour tout dire, des paroles de Yamato-take-no-mikoto conserve la mémoire (…) l’on ne peut s’y dispenser d’un poème, et sans un vers l’on n’y saurait passer. ” (P 48) “ …à la pointe d’Irago (…) Je me souviens que des poètes ont chanté les “ faucons d’Irago ”, et à l’instant même où je les évoque avec émotion :

Un faucon là-bas J’aperçois ah quelle joie A la pointe d’Irago. ”

(P 49) : “ Au village de Hinaga dont il est dit : De Kuwana sans manger y suis venu ”. (P 60), sur “ … la route de Tanba. Hachibusé-nozoki, Saka-otoshi, autant de noms qui évoquent de terribles souvenirs ; ” (P 78) “ l’esprit d’ailleurs emporté par la beauté du paysage, ému jusqu’aux entrailles par les souvenirs qui affluaient du passé. ” (P 79) “ …au lieu dit Maruyama. C’est là le site de l’ancien château du bailli. Au pied de la montagne, on me désigna l’emplacement de la poterne et de confiance je versai des larmes ; ” (P 80) : “ depuis les temps anciens, nombreux sont les lieux illustres qui ont inspiré les poètes, et dont nous parle la tradition ; cependant des montagnes se sont écroulées, des rivières se sont formées, des routes ont changé de tracé, des pierres ont été enterrées et sont cachées dans la terre, des arbres ont vieilli et fait place à des arbres jeunes, - 124 - - 125 - de sorte que, les temps étant changés et les âges révolus, les vestiges en sont toujours incertains, tandis qu’ici, un monument indiscutable de mille ans en cet instant dévoile à mes yeux l’esprit des anciens. Vertu des pérégrinations, joie d’avoir vécu jusqu’à ce jour : oubliant les fatigues du voyage, j’en verse des larmes. ” Suit une belle description (assez anthropomorphique) de matsushima. (P 88) “ Assis sur un rocher je me reposais un instant quand j’aperçus un cerisier de trois pieds à peine dont les boutons de fleurs étaient à moitié ouverts. Quelle admirable leçon donne la fleur du cerisier tardif qui, enseveli sous les neiges, n’oublie pas le printemps. ” (P116) encore… “ le village de Kurotsu (…) ainsi que le décrit le poème ” certes, pourrait-on rétorquer, il s’agit là non pas d’un individu ordinaire, mais bien du plus grand poète japonais, d’un individu qui fait profession de poésie et vit entièrement en ce monde. Ce serait ignorer qu’il est lui- même le fruit d’une longue histoire poétique, et que s’il a été porté aux nues en son pays, c’est qu’il y réalisait un idéal partagé, et qu’il y a servi de modèle. Rappelons aussi que les compilations de poèmes, sur ordre impérial, sont un fait extrêmement ancien, presque autant que l’adoption de l’écriture au Japon. De plus, il nous permet de comprendre certaines assertions quant au jugement esthétique de nos informateurs contemporains, qui semblent fonctionner de manière identique.

Des échelles de l’esthétique / des rythmes

En définitive, si l’on repart de cette idée du jugement esthétique comme d’un état de coïncidence entre monde intérieur et monde extérieur, et donc d’un jugement sur l’objet relatif à l’état du sujet, il nous faut commencer à admettre et à comprendre qu’en menant notre observation comme un piéton, dans un état proche du résidant, nous tendons à apprécier ou du moins à comprendre l’appréciation que l’on fait dans cet état, mais qui est fort différente de celle qu’on émettra dans un autre. Lorsque nous sommes en voiture, ou bien lorsque nous sommes en pleine activité professionnelle, nos attentes, notre univers intérieur seront tout autres. Si nous cherchons à tout prix et rapidement tel ouvrage pour notre travail en cours, et urgent bien entendu, nous acceptons d’aller au forum des halles en RER, trop content d’y trouver notre livre et d’être revenu en moins d’une heure. Oublié le petit bouquiniste et ses amas de trouvailles potentielles. - 125 - - 126 -

La convenance que nous attendons, sa commodité, pèseront sans doute pour beaucoup. Lorsque nous glissons sur l’autoroute, sa manière de traverser en fraude les paysages, d’y trancher dans le plus vif, et même le paysage propre qu’elle fabrique sur ses talus, ses ponts, ses plantations, son ruban d’enrobé drainant et ses glissières galvanisées nous sont un plaisir renouvelé (cf. la description du paysage du TGV in : paysages au pliriel, op.cit.). Lorsque nous sommes promeneur et que nous parcourons cette campagne, l’intrusion de l’autoroute nous est odieuse. Mais il ne s’agit pas ici d’un relativisme généralisé. On aurait plutôt l’impression d’une dualité, d’une duplicité même du jugement et de l’usage des Japonais sur leur ville (et nous pourrions raffiner en 4 niveaux, si nécessaire) : il faut comprendre que nous ne sommes pas à tout moment jouant le même rôle, qu’il y a une scène économique et ses coulisses, une résidence principale du labeur et une résidence secondaire du plaisir, du repos, de la tranquillité, mais aussi une autre pour les achats.

(90)— Petite discussion avec Haruo Hayashi, à propos de l’esthétique de Tôkyô. Il traverse la ville tous les jours, et trouve que le paysage est devenu “ vertical ”, alors qu’il était horizontal autrefois. Pense que si on demande au gens, la plupart ne sont pas d’accord avec cette dégradation du paysage urbain, et la condamnent, mais qu’ils “ n’ont pas le choix ”. est-ce vrai, qu’ils n’ont pas le choix ?

Reprenons cette idée de 4 niveaux. Si la question de l’esthétique au Japon doit se soumettre à l’idée d’ambiance, d’atmosphère (ce qui semble beaucoup leur plaire quand on leur en parle), selon le type d’espace, alors il faudrait surtout comparer 4 ou 5 types de lieux : - des lieux terribles : garden palace, Shibuya, une grosse avenue de jour et de nuit, un commerce souterrain ou un depâto (department store) - une avenue moyenne, plus ou moins passante, avec ses commerces et ses fils électriques qui rayent le ciel comme une toile d’araignée - une rue commune, lambda, comme celle du quartier d’Ebisu yon chome - une “ jolie ” petite rue, comme ichijôdori à Kyôto, avec ses maisons de bois pas toutes disparues - de petites ruelles ou venelles au sein d’un quartier, des rôji grouillantes de vie, de promiscuité, de familiarité Mais alors l’esthétique étant affaire de sentiment personnel de familiarité, comment pourrait-on y avoir accès, si ce n’est par la littérature ? La ville japonaise est laide aux yeux d’un occidental, parce qu’elle cherche à lui plaire, du moins à plaire à ce que les japonais croient être - 126 - - 127 - des yeux occidentaux modernes, c’est à dire les leurs en fait. Elle cherche à avoir l’apparence de la modernité américaine, selon l’idée que s’en font les japonais, tout en fonctionnant pour l’essentiel comme une ville japonaise, c’est-à-dire en logeant une société et une culture japonaises qui ne sont pas immuables, mais qui restent évidemment très spécifiques, et inassimilables. Que les japonais aient besoin de se rassurer à longueur d’études sur la japonitude sur leur spécificité (quand ce n’est pas sur l’unicité, sur l’exception, et pour tout dire sur la supériorité japonaise) pourrait relever de cette tension entre l’aspiration à une modernité d’apparence et de revendication, et une japonitude de fait, mais inavouée et revendiquée tout autant. Le double jeu n’est pourtant pas une nouveauté au Japon : dominées par la dictature militaire et aristocratique pendant des siècles, la bourgeoisie commerçante et la population urbaine ont appris à ne pas faire étalage : puisque la maison ne pouvait montrer d’étage sur rue, d’où l’on aurait pu avoir une vue “ élevée ” sur un personnage plus haut placé, elle ne montrait que les barreaudages d’un grenier, lequel s’ouvrait largement comme un véritable étage vers le jardin intérieur.

Ambiance

Dès lors, il faut peut-être comprendre ces différentes échelles et rythmes spatiaux comme autant d’ “ ambiances ”, terme qui permettrait de globaliser la situation dans laquelle sont pris et interagissent l’ensemble des sens, situation que nous contribuons à produire, comme un individu de plus contribue à former une foule, à inciter à l’ouverture des magasins, comme une automobile contribue à produire le brouhaha et le mouvement d’une avenue. La plus intime des ces échelles produit chez les Japonais que nous avons interrogés un sentiment de confiance, de sécurité, qu’ils rassemblent sous le terme Anshin : (composé du kanji de la paix et de celui du cœur) : paix, sécurité, tranquillité d’esprit, absence d’ennuis (Dic. Cesselin).

On peut à ce propos relire l’article de P.Sansot et A. Honnorat : “ Qu’est-ce qu’une rue gaie ; petite leçon de phénoménologie ”, dans Les annales de la recherche urbaine, qui s’attaque à une notion d’ambiance en quelque sorte : “ Il faut que, dans le monde, certains lieux me remplissent d’effroi ou de bonheur (…) Mais est-il légitime de faire droit à l’affection, à l’affectivité ? Sans - 127 - - 128 - aucun doute puisque, sans cette vulnérabilité, cette sensibilité, nous vivrions au milieu des choses, indifférents, enfermés en nous mêmes (…) ”, en un mot, il n’y aurait pas de question de l’esthétique. “ Si la gaieté consiste, en dernière instance, en une nuance atmosphérique (…) ” “ A ce compte les rues climatisées, protégées, d’une humeur égale (servile ?) —comme s’il fallait à tout prix sauvegarder la paix et surveiller les élans de la vie— ne sont pas des rues gaies. ” . Il y faut de l’abondance, de la variété, un début d’ironie : “ son anarchie nous met les sens en éveil et nous assure qu’une société, quel que soit son appareil de normalisation, ne sera jamais tout à fait figée. ” “ La gaieté ne saurait, en temps normal, affecter un boulevard. Nous risquons d’y perdre notre pouvoir de frémir aux moindres accidents. Nous nous laissons porter (engloutir) par le remuement des foules, par ses crues impressionnantes. Dans une rue gaie —même quand elle est fréquentée— nous gardons notre quant à soi (…) ”. Nous entendons des rires, de la vivacité. “ Elle ne doit pas enfermer les passants dans une vision frontale. De là l’importance de tout ce qui lui confère une dimension latérale. Les porches, l’enfilade des couloirs, l’existence des rues latérales et dans une rue marchande, les étals impulsent un pareil décrochement. Ainsi nous côtoyons une somme de possibles. ” “ elle doit demeurer un dehors. Nous y accueillerons le froid, la neige, le soleil, la douceur printanière, en quoi elle s’oppose à nos domiciles si protégés. Elle constituera ainsi un événement puisqu’elle se modifiera chaque jour, en fonction des humeurs du temps. ” Mais nous aurons certainement à préciser et affiner cette notion d’ambiance dans la suite de la recherche.

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L’horreur : une beauté cachée ?

Lecture complète de “ L’ordre caché ” Une fois de plus, comme Tanizaki mais avec moins de talent, l’auteur nous assène des contre vérités autant sur l’architecture Européenne que Japonaise, dans l’espoir d’étayer une thèse qui n’est guère crédible, en tout cas mal démontrée. Non seulement il établit des comparaisons entre l’architecture aristocratique en Europe (son ornement, sa composition symétrique et de façade) et populaire au Japon (d’échelle intime et modeste, sans ornementation…), en ignorant assez fabuleusement et l’histoire réelle de l’architecture occidentale, et une belle partie de l’architecture Japonaise (la surcharge ornementale de Nikko et de la sculpture bouddhiste en général, l’outrance d’échelle des sanctuaires Meiji et Heian jingu, du Higashi-honganji et de bien d’autres). Mais sa lecture nous apporte néanmoins quelques notations comparatives sur les villes de Paris et de Tôkyo, qu’on peut plus facilement accréditer quand elles sont descriptives que lorsqu’il passe à l’interprétation. Il veut que Paris soit Yang et masculin, Tôkyô Yin et féminin. “ Paris est une ville splendide, mais qui aura certainement des difficultés à s’adapter au XXIe siècle. Son architecture de pierre en fait un monument statique et inorganique appartenant au passé [dernière assertion erronée, et très fonctionnaliste au demeurant]. Au contraire, Tôkyô possède des facultés d’adaptation et de survie proche des amibes. C’est une métropole laide et chaotique, mais elle est organique, en constant changement. Il m’arrive de souhaiter que l’amibe prolifère avec plus de soin, mais sa vigueur reste indéniable. ” (p.31) et plus loin (p43) “ C’est un espace incohérent qui se répand sans ordre et sans borne, avec des frontières mal définies. Si un quartier brûle, il est immédiatement reconstruit. Si cet endroit dépérit, on construit ailleurs. ” Voilà le fond de sa thèse, qu’il tente maladroitement de soutenir. Sa métaphore amibienne est d’ailleurs malheureuse, et à contre-propos, puisque ledit animal se reproduit toujours identique à lui-même, sans aucune évolution. Par ailleurs, si chaque parcelle de la ville japonaise se comporte un peu comme une amibe, animal unicellulaire, la ville n’y ressemble guère, car elle est un objet complexe, et ordonné effectivement, dans un ordre même pas caché, mais qui ne se situe ni là où l’attendent les occidentaux, ni là où lui voudrait le situer, d’une manière inutilement mystérieuse. Que cet ordre lui échappe, rien d’étonnant puisqu’il n’est plus dans la forme, dans l’alignement des maisons (machinami, qui a bel et bien existé pendant des siècles au Japon : le - 129 - - 130 - désordre n’est aucunement une caractéristique profondément ni anciennement japonaise), d’autant plus oublié depuis la révolution de Meiji (transition démocratique faudrait-il dire ?) que le pays avait eu a supporter une loi plus dure, un régime de caste et de réglementation somptuaire qui ne laissait guère de marge de liberté. L’évolution de la ville japonaise actuelle est surtout une réaction à cet incroyable niveau de contrainte auquel la société a été soumise durant des siècles. Pour autant, la cœrtition sociale sur l’individu n’en a pas moins largement perduré, et la norme est si tôt intégrée par chaque individu qu’elle lui est effectivement cachée ensuite, inaccessible à sa conscience, sinon par le fait qu’on ne peut faire confiance à un individu qui n’a pas reçu cette éducation japonaise. Dès lors règne un ordre social qui n’a plus besoin de se démontrer par des configurations spatiales (places, statues) destinées à symboliser le corps social, à le faire exister temporellement, le rendre sensible à lui-même (encore que les matsuri n’ont rien à envier aux stades de démonstrations sportives). Ce qu’il voudrait l’élément décisif de sa thèse, sans qu’il n’apporte aucune démonstration, c’est le fait que Mandelbrot ait aussi parlé d’ordre caché dans les phénomènes naturels, et construit le modèle des fractales. Bien que cela ne différencie en rien villes japonaises et occidentales, il est de fait que l’on peut d’autant plus réfléchir à une organisation fractale de l’espace habité, que la théorie de l’architecture a depuis longtemps organisé sa réflexion autour du concept d’échelle. (encore faudrait-il préciser lequel). On pourrait ainsi décrire une succession d’échelles : lit>appartement>immeuble>îlot>quartier>territoire, (le lit étant considéré comme l’entité spatiale extra-corporelle la plus privée, où chacun n’accède plus que dépourvu de tout service, de toute protection, et quitte certainement ses chaussures s’il ne l’a fait plus tôt) de chaque échelle comprenant des espaces de parcours ou d’accès (“ ruelle ” du lit, couloir de l’appartement, couloirs paliers et halls de l’immeuble, impasses, ruelles et rues, boulevards et avenues), des espaces ou dispositifs de service ou d’équipement (cabinet de toilette, prises électriques et tout ce qui est branché dessus, meubles de rangement et de travail), et probablement un seuil avec dispositifs et rituels appropriés (passeport à la frontière, péages, portes de la ville, portes de chô, porte d’immeuble ou de maison, porte de l’appartement, porte de la chambre) . A de notables différences, il en est un peu comme de la forêt, de l’arbre et de ses branches, qui génèrent annuellement une autre structure fractale mais plus labile, la feuille, tout cet - 130 - - 131 - ensemble étant orienté vers la desserte des cellules les plus éloignées de la feuille, par une arborescence de vaisseaux entrant et sortant, comme chaque échelle d’espace est pourvue d’air, d’eau et d’électricité, le but étant d’occuper au maximum l’espace, avec un coefficient de rentabilité élevé. Autant il nous est possible d’accepter cette image lorsque nous parlons des réseaux techniques de la ville, autant nous la refusons lorsque nous parlons d’organisation de l’espace, car alors la dimension culturelle nous paraît trop proche pour pouvoir être décrite par un ordre apparemment aussi simple. Evidemment, la métaphore naturaliste n’est que métaphore, et ne saurait servir de modèle point par point. Ce qui nous est insupportable, c’est d’entendre que la société et sa culture seraient soumises et réductibles à des lois naturelles. C’est là une double erreur, car rien de tel n’est dit. Ce n’est pas parce que la société adopte des formes similaires à d’autres formes de vie qu’elle relève du même programme. Mais elle est par contre confrontée à des contraintes similaires, en particulier d’ordre topologique et énergétique. Mais rien ne dit qu’elle ne puisse s’en libérer (l’apparition du téléphone portable peut rendre obsolète les réseaux matériels de télécommunication). Il note ainsi, (p32) ce qui fait une différence sensible entre la maison japonaise traditionnelle à sol de tatami et la maison occidentale : “ Ainsi, l’ensemble de la maison, où chacun marche pieds nus ou en chaussons, est comme une chambre à coucher. L’historien Kimura Shôsaburo [Kazoku no jidai : Yoroppa to Nihon, Tôkyô : Shinchôsha, 1985, p.46] écrit que “la vie des Japonais qui entrent dans la maison déchaussés, s’y déshabillent et tout de suite sont baignés dans une atmosphère détendue, est comparable à une vie passée au lit pour les Occidentaux. Ceux-ci, en entrant dans la maison chaussés, mettent au même niveau l’extérieur et l’intérieur de la maison. La maison japonaise, surélevée sur ses pilotis et recouverte à l’intérieur par les tatami, ressemble exactement à un grand lit” ”. Puis il continue par une extrapolation qui mériterait au moins d’être évaluée (en effet, seule la pièce de réception et de sommeil ou les quelques pièces de la maison sont couverts de tatami, et la maison comporte par ailleurs d’autres espaces, dont des espaces de circulation, de services, et des espaces extérieurs) : “ Si l’on imagine que chaque maison japonaise est une chambre à coucher, alors la ville devient un amas gigantesque où les parcs seraient des salons, les bureaux des parloirs et les aéroports des halls d’entrée. ” Ce qui n’est probablement pas vrai, mais présente le mérite de nous poser la question des niveaux de groupements (de “ nous ” ou uchi) qui prévalent et - 131 - - 132 - auxquels sont attribués des espaces significatifs. En effet, le japon ne construisait pas de chambre personnelles il a encore peu de temps ; il s’appuyait essentiellement sur la famille-lignage, sur le groupe de voisinage, sur le groupe de production (héritier du Uji et du village), et sur le sentiment de formet une seule et même nation issue de la divinité impériale. Les gouvernements politiques municipaux ou nationaux sont, on le sait, d’une grande impuissance.

De ce fait, le désordre apparent et bouillonnant qui fait pour nous (et semble-t-il pour lui également) la hideur des villes japonaises actuelles résulte bien du déplacement des échelles ou niveaux où s’investit l’ordre, et qui s’est absenté de celui-ci par réaction. (p41) “ La politique japonaise concernant l’architecture et l’urbanisme est beaucoup plus libérale et plus ambiguë que celle des pays européens. ” C’est, pour le moins, une litote. Et les justifications alambiquées qu’il en cherche (attachement des occidentaux à l’apparence, à la forme, au contour, plutôt qu’au contenu), ne résistent pas devant l’étude et l’observation approfondie que l’on peut en faire (cf. notre article dans la revue Espaces et Sociétés à ce propos, et les différentes références auxquelles il renvoie). De même, au niveau du détail, des “ enlaidissements ” (du moins de ce qui est perçu comme tel) et “ embellissements ” (idem), c’est à dire de l’obéissance à une norme externe (i ;e. qui n’a pas été incorporée dans l’habitus), les comportement vont diverger : (p41-42) à Paris, “ On élimine le plus possible les poteaux et lignes électriques, publicités et pancartes suspendues. (…) Au Japon, on ne cherche pas à égaliser les hauteurs des auvents, ni à aligner les bâtiments [il devrait plutôt dire : on ne cherche plus, car on l’a fait durant des siècles ; ce désordre est très récent, postérieur à la IIWW]. On laisse toute liberté pour décider des formes et des hauteurs des fenêtres, des couleurs et des matériaux des murs, qui sont pourtant des éléments de la ligne du contour. Celle-ci est rendue plus complexe encore par les objets qui en dépassent, enseignes, néons sur les toits, poteaux, lignes électriques, etc. Les habitants pendent aux fenêtres des rideaux bigarrés et font sécher du linge et des matelas aux balcons. ”.

Autre paramètre qui conditionne la production du paysage urbain japonais, c’est l’attitude par rapport au patrimoine. Non pas sur la question de l’authenticité, qui est autre. Non pas sur le rapport au patrimoine religieux, que la dimension sacrée a protégé bien plus sûrement qu’aucun règlement jamais respecté n’aurait pu le faire. - 132 - - 133 -

Mais plutôt le rapport au patrimoine en train de se produire, précisément par le changement rapide des époques, c’est à dire des modes de vie, des styles de construction, des matériaux et de l’esthétique. Il ne restera bientôt au Japon, si ce n’est déjà fait, pas plus de bâtiments d’un siècle au moins qu’il n’en existe en France de cinq. L’argument majeur opposé à ce constat, est celui du climat d’impermanence que l’accumulation de cataclysmes naturels et d’incendies (qui n’ont rien de naturel, eux) a fait peser sur les fondements culturels japonais. Ainsi une maison devrait-elle y être construite pour une vie humaine, et pas plus. Si c’est effectivement cet imaginaire qui a longtemps régné, il est probablement abusif de lui faire justifier les comportements actuels. Le Japon ne construit plus guère en matériaux périssables d’une part, et les autres civilisations qui se sont développées sur des territoires tout autant soumis aux contraintes naturelles n’ont pas généralement développé la même idéologie. Enfin, on a parfaitement su préserver des bâtiments de bois depuis le sixième siècle, et les artisans compétents ne manquent pas encore. Enfin, l’Hôtel construit en béton par Frank Llyod Wright à Tôkyô n’avait souffert d’aucun tremblement de terre, pas même du grand séisme de 1923. (p44) “ Même les bâtiments en béton armé, construits pour durer toujours, à cause des pluies acides se révèlent fragiles. La plupart des bâtiments que l’on détruit actuellement à Tôkyô datent de la fin de l’ère Taishô et du début de l’ère Shôwa, c’est à dire des années vingt. Ils n’ont donc duré que cinquante à soixante ans. Ainsi, l’infrastructure urbaine elle-même, structuralement et fonctionnellement, n’est pas d’une grande longévité. En dehors de ce problème de résistance, la mutation rapide de l’environnement socia nécessite un changement de nature de l’architecture en même temps que du fonctionnement urbain. Lorsque le revêtement du bâtiment commence à se détacher, que les murs et les rideaux métalliques se corrodent, que les ascenseurs et les climatiseurs fonctionnent moins bien, que les planchers ne sont plus assez résistants et enfin que la hauteur des édifices et la capacité électrique ne suffisent plus pour les équipements informatiques, les japonais préfèrent alors construire un nouveau bâtiment plus performant. Traditionnellement, les Japonais considèrent l’architecture comme temporaire, ce qui n’est sans doute pas sans relation avec la notion d’impermanence, la vie terrestre ne représentant qu’un passage. ”.

Réciproquement, il fait de nouveau l’expérience de Paris “ dans une chambre d’hôtel mansardée à Saint-Germain- - 133 - - 134 - des-Prés ” (p.63) qu’il a l’air de bien savoir savourer pour son “ atmosphère particulière ”, malgré sa disqualification définitive. “ Quand on se promène dans les rues de ce quartier, on voit s’aligner de chaque côté, bien rangées, de majestueuses architectures de pierre. Les arbres des avenues sont taillés à la même hauteur et se dressent l’un derrière l’autre, en ligne droite. A chacune de mes visites, Paris reste le mê^me : les murs en pierre, calmes, solides, de couleurs douces ; les pavés sur lesquels les passants, habillés de couleurs vives, vont et viennent. Cette cité est belle à chaque fois que je la retrouve et je me demande quel est le secret de cette beauté. ” Car pour lui, et l’on pourrait excuser cette caricature outrancière d’un simple touriste, mais pas d’un critique architectural “ Paris est le résultat de la grande rénovation exécutée par Haussmann sur l’ordre de Napoléon III ”, ce qui est assez singulier à entendre rue de Buci, mais qui lui permet de continuer son propos et ses notations intéressantes : “ Cette rénovation a créé un système de voirie rectiligne, qui a renforcé la spendeur de la perspective. (…) Ce qui est plus amusant, c’est qu’on trouve même à Paris des fenêtres peintes sur les murs pour reconstituer une symétrie. Pour les Français, la forme et le contenu ne concordent pas nécessairement, et la beauté de la ville repose en grande partie sur la forme. D’ailleurs, et peut-être par un désir instinctif de préserver la qualité du paysage urbain, les Parisiens n’étendent pas leur linge aux fenêtres ou aux balcons. ” Il note enfin qu’en Allemagne du sud les fenêtres sont toutes fleuries. “ Au Japon, au contraire, on ne trouve guère d’effort pour embellir l’aspect de la ville [ce qui est parfaitement faux : cf. Berque] : on voit plutôt aux façades de la literie et du linge qui sèche (même s’il y a pour cela de bonnes raisons climatiques). ” On le voit, l’idée d’un ordre caché n’a rien pour surprendre le chercheur, dont le rôle est précisément de mettre à jour les lois et règles sous-jacentes, qui gouvernent les apparences et demeurent cachées au sens commun. Mais cet ordre n’est pas tant dans une fractalité de la ville, qui ne spécifie pas la ville japonaise, mais dans les valeurs qui prévalent lorsque sont mis en œuvre concrètement les rapports entre échelles de l’espace.

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VII. IROIRONA TOKORO

Le projet initial de cette opération était de demander à 12 personnes de me désigner 12 lieux qu’ils aiment et 12 lieux qu’ils n’aiment pas, dans la ville de Paris et/ou celle de Tôkyô, voire Kypto, avec une indication du pourquoi de ce choix. La raison en était essentiellement de permettre aux observateurs de ne pas être soumis à leur subjectivité dans le choix des lieux à observer, ce qui a été opéré. La question s’est avérée en fait plus complexe par la suite, et le matériau plus riche que prévu, mais dans une direction qui nous éloignerait de notre propos initial. Il va de soi que chaque enquêteur s’est soumis lui-même à la question avant de la proposer à ses informateurs, afin de clarifier ses propres projections. La consigne était ainsi explicitée : “ Je dis exprès “ aimer ” ou pas (ou éviter, ou détester), pour laisser toute liberté. Et je dis “ lieu ” de manière vague aussi pour que ça puisse être très petit ou plus grand ; seulement, ce serait bien que je puisse localiser. Ce serait bien aussi de m’indiquer votre lieu de domicile et votre lieu principal de travail. Si ce n’est pas possible dans la ville de Paris que je connais mieux, ou dans celle de Tôkyô, c’est aussi intéressant de parler d’une autre ville, même si je ne la connais pas, mais ce sera plus difficile pour moi. ”

Sachant que le produit d’une demande de réponse à un questionnaire est généralement inférieur à 10% et avoisine plutôt les 5%, j’ai dès la première vague élargi le panel. Il se trouve que la réponse a largement dépassé les quotas habituels. Je les reproduit ici pour mémoire, et pour le plaisir du lecteur. (évidemment, nous ne reproduisons pas ici ceux dont les descriptions plus précises ont été utilisés dans les pages précédentes). On voit aisément les types de lectures possibles, selon qu’on privilégie l’unité du locuteur (sa culture, son genre, son âge etc.), celle des lieux de la ville (monuments / lieux célèbres / lieux ordinaires / lieux du quotidien / lieux biographiques), celle des composantes- arguments (ancien / moderne, typique / original, historique / moderne, sécurisant / inquiétant, etc.), ou celle des termes de l’expression, leur recours à un vocabulaire de spécialiste ou leur pré-construction par les récits, guides, images partagés et véhiculés socialement. Dès lors, la “ réassurance ” du conformisme, la reconnaissance des labels et des “ biens culturels de l’humanité ” ont plus pour fonction de réintégrer l’ordre du collectif, l’ordre de l’émotion pas encore partagée ne paraissant pas supportable. Il est clair qu’il ne faut pas confondre l’émotion esthétique qui a préexisté et à laquelle il est fait référence, et l’expression qui en est produite ici, parfois accompagnée d’un jugement, mais qui nécessite en tout état de cause une distanciation par rapport à l’état émotionnel primitif. Comme dans toute réponse à une question, on récolte également des discours bien rôdés, à l’efficacité assurée, et qui véhiculent des connotations idéologiques diverses : elles ont néanmoins l’intérêt de nous montrer une part des dimensions qui peuvent être mises en jeu. Dans le cas des descriptions ou des jugements opérés sur des lieux hors de la culture d’origine, on voit également se mettre en œuvre aussi bien les quiproquo que les difficultés de lecture de l’esthétique - 135 - - 136 - de l’autre. On pourrait certes s’obséder sur la recherche des caractéristiques morphologiques des lieux appréciés (lieux ouverts/fermés, protégés, intimes, lieux animés / calmes, lieux montrant des valeurs d’ordre/ de variété ou de désordre… etc. De même, la répétition aisément repérable de certains lieux, qui pourtant ne font pas forcément partie de la vulgate touristique ou de la désignation à l’admiration populaire forcée, pourrait inciter à valider cette répétition comme significative, avec un grand risque d’erreur sur l’attribution du sens de cette validation, eu égard aux incertitudes sur le mécanisme de cette désignation. Le recouvrement des souhaits de “ dépaysement ” extra- urbain, de reproduction des images connues et célébrées, des images du passé, des images idéologisantes du quartier vu ou vécu comme un village, etc. sont trop grands pour permettre la certitude. On sait par exemple qu’un lieu comme la butte Montmartre, déjà largement visité tant par les étrangers que par les français, a connu un récent regain de fréquentation (effet “ Amélie Poulain ”) par un phénomène de sur-désignation.

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YI/YI Japonaise, 37 ans, habite paris depuis 15 ans

Les 12 lieux que j’aime ou que je trouve esthétiques à Paris :

1. La bibliothèque jeunesse de Courcelles (avenue Beaucourt 75008) Le charme de cette bibliothèque tient à sa localisation. Contrairement à son nom, l’avenue Beaucourt est une petite impasse pavée et riche de verdure. La bibliothèque se trouve tout au fond de cette avenue. Je ne trouve ni beau ni laid son bâtiment en béton avec des baies vitrées, mais ce qui est attrayant est ce chemin qui nous conduit au bâtiment et le décor à l’intérieur de la salle pour les petits enfants : l’exposition faite sur un thème et renouvelée tous les deux mois, les posters, les livres exposés sur des pupitres, les guirlandes, les petites chaises et tables, etc.

2. Le Bon Marché (rue de Sèvres 75007) Je trouve que ce magasin maintient bien le style et l’atmosphère très parisiens, contrairement aux autres grands magasins tels que la Galeries Lafayette, le Printemps, qui sont, à mon avis, trop stéréotypés.

3. La pâtisserie viennoise de la rue de l’école de Médecine (75006) Prendre un café viennois dans cette pâtisserie est un petit luxe pour moi. C’est un salon de thé de 30m2 à peine, qui n’est pas spécialement décoré, ni à son intérieur, ni à son extérieur. Leurs gâteaux faits à la maison sont excellents, mais ce sont surtout les clients qui embellissent la salle. Cet endroit est fréquenté par des étudiants et des professeurs du quartier latin. J’aime regarder de jeunes étudiants aux joues roses et pleins de fraîcheur discuter sur leurs cours, et des chercheurs ou des professeurs échanger leurs idées en buvant de temps en temps leur café couvert de la crème blanche. Les serveuses qui portent une chemise blanche à rayures roses avec un petit tablier sont très ouvertes et surtout cool.

4. Place de la Mairie du XIV (place Ferdinand Brunot, 75014) Parmi toutes les Mairies de Paris, j’aime le plus celle-ci. Le grand bâtiment en pierre très pesant se trouve devant la place et le square Ferdinand Brunot, ce qui me donne l’impression qu’il les protège. Les jeunes ados font du roller et du foot dans la place et les enfants en bas âge jouent dans des bacs à sable du square. Les personnes âgées et les SDF s’y promènent aussi. La partie droite du bâtiment de la Mairie est occupée par une bibliothèque jeunesse. Contrairement à la bibliothèque de Courcelles qui est chic et tranquille, celle-ci est très animée et dégage une ambiance familière. Monsieur Bernard, bibliothécaire, chauve et moustachu, est très gentil et bouge sans arrêt pour aider des enfants et des parents. J’aime cette bibliothèque aussi bien que l’autre.

5. Cinéma Saint André des Arts (rue St André des Arts, 75006) Cette salle de cinéma qui est assez laide a, pourtant, une grande valeur esthétique pour moi. C’est à ce lieu que j’ai découvert de nombreux films d’une beauté extrême : Bergman, Ozu, Mizoguchi, etc. Mais le film le plus inoubliable était „Andrei Roublev‰ de Tarkovski.

6. Un petit passage qui est à la rue Oudinot. (75007) Si vous ouvrez son portail qui donne sur la rue Oudinot, vous trouverez ce petit passage dont les deux côtés sont occupés par des maisons mitoyennes très jolies et couvertes de verdure. Au fond du - 137 - - 138 - passage, il y a un bâtiment dont le rez-de-chaussée est occupé par une crèche catholique. Au sous-sol, on fait des cours de musique. C’est l’école Suzuki. Ici, c’est un petit monde fermé où l’on peut entendre à la fois la voix de bébé, le son de violons et le chant d’oiseaux.

7. L’église Saint Julien le Pauvre (rue St Julien le Pauvre, 75005) J’apprécie cette église pour son esthétique auditive. Sa petite dimension convient parfaitement au concert de musique de chambre. Quelle résonance, quand on y joue des pièces de musique baroque! C’est un vrai bonheur d’y écouter Bach, Vivaldi et Pachelbel.

8. Les vignes de Montmartre (rue Saint Vincent, 75018) C’est un peu banal, mais on ne peut pas nier le plaisir de pouvoir contempler des vignes au coeur de Paris. C’est un lieu de rafraîchissement pour les Parisiens qui vivent dans des immeubles.

9. La rue du Cherche Midi (75006) J’aime marcher cette rue du sud vers le nord, c’est-à-dire, en commençant par le boulevard du Montparnasse et en terminant par le carrefour de la Croix Rouge. Les magasins qui s’alignent sur les deux côtés sont charmants : des librairies, des salon de thé, des chocolatiers, l’office de tourisme de Poitou-Charente, une boutique pour les futures mamans, etc. Malheureusement, un bâtiment laid gâche l’élégance de la rue : celui de l’EHESS. Mais ce n’est pas grave. Si on passe vite à côté de ce bâtiment, un bonheur nous attend. On arrive à la boulangerie de pain de Poilâne. Il s’agit ici d’une vraie esthétique gustative de Paris.

10 : Le pont des arts Quand j’envoie une carte postale à quelqu’un qui habite au Japon, j’ai tendance de choisir celle qui présente le pont des arts. Je trouve que l’image de ce pont, tout en étant très parisienne, ne fait pas „touristique‰, contrairement à la photo de la tour Eiffel, de Notre Dame ou du Louvre. Ce pont est parfait par sa forme, sa matière et le paysage qui l’entoure.

11 : Les impasses situées à l’ouest du Parc Montsouris (75014) Cela fait longtemps que je ne suis pas allée à ce lieu, mais je me souviens bien de l’agréable surprise que j’ai eu en me promenant un jour autour du parc. Les petites rues partant de la rue Emile Deutsch de la Meurthe telles que l’impasse Nansouty, la rue du Parc de Montsouris, la villa du Parc de Montsouris, conservent des maisons et des ateliers construits au début du XXe siècle et couverts de lièges et d’autres plantes. Je trouve que les vielles maisons parisiennes ornées de verdure comme celles-ci ou celles de la rue Oudinot (cf.n°6) sont beaucoup plus esthétiques que les monuments historiques célèbres tels que l’arc de triomphe et Notre Dame.

12 : Le manège du Jardin de Luxembourg (75006) Je ne dis pas que j’aime le Jardin de Luxembourg car, dans son enceinte, il y a des endroits que je déteste. Je ne désire pas aller, par exemple, au guignol et aux balançoires à cause du personnel qui est désagréable et surtout mercenaire. D’ailleurs, le guignol est peu intéressant, les marionnettes ne faisant que de se taper dessus! Par contre, j’aime ce manège parce que je trouve beaux ses vieux chevaux en bois, puis j’apprécie beaucoup l’idée de faire attraper les anneaux aux enfants. Une petite idée comme celle-ci rend le jeu plus amusant et le lieu plus valorisant. J’ai vu le même jeu d’anneaux au manège du Champs de Mars, mais je suppose que ce sont eux qui ont imité Luxembourg. - 138 - - 139 -

Les 12 lieux que je n’aime pas ou que je trouve inesthétique :

1 : La préfecture (le commissariat) de Police du XVIIIe (Porte de Clignancourt, 75018) C’est un bâtiment en béton construit tout près du boulevard périphérique. Son apparence est évidemment laide, mais c’est surtout à cause de mes mauvais souvenirs que je le déteste. En 1987 et 88, Charles Pasqua, le Ministre de l’Intérieur de l’époque, a fait toutes sortes de harcèlement aux résidents étrangers, notamment à l’occasion du renouvellement de permis de séjour. Contrairement aux autres années, ce bâtiment a été à ce moment le seul centre ouvert aux étudiants étrangers résidant à Paris, par conséquent ces derniers ont du y faire la queue à partir de 6 ou 7 heures du matin pour renouveler leur carte. Se présentant enfin au guichet après avoir fait la queue pendant 5 ou 6 heures, ils ont été interrogés par des personnes hargneuses qui, parfois, refusaient la demande en leur exigeant encore d’autres papiers qui ne figuraient même pas sur la liste des pièces à fournir. Dans ce lieu, se passaient des actes immoraux au nom du gouvernement, ce qui rendait hideux cet endroit qui était déjà laid.

2 : La CAF (Caisse d’Allocation Familiale) de la rue Viala (75015) Ce centre se trouve près du métro Dupleix, dans un quartier qui n’a aucun charme, selon moi, faute de traits caractéristiques. Son bâtiment (en béton) est quelconque. Je déteste ce lieu, une fois de plus, à cause de mes expériences personnelles. Je suppose que les employés de la CAF sont peu aimables avec tous les allocataires venant aux guichets. Cela se comprend, leur travail étant très ennuyeux et répétitifs. Mais, le comportement de certains employés devient vraiment épouvantable, quand ils sont face à un allocataire étranger. Ils n’hésitent pas à lui montrer leur mépris. Moi-même, j’ai été insultée plusieurs fois. Ces personnes pensent que les étrangers sont là pour profiter de la protection sociale française et elles ne parviennent pas à songer au fait qu’ils paient les impôts et la cotisation sociale exactement comme les Français.

Il est évident qu’un voyageur qui visite Paris regarde notamment des choses visibles, tandis que moi, une étrangère qui y vit, vois plutôt des choses cachées et surtout le côté négatif de la société. Je suis certaine que ceci est de même pour les étrangers qui vivent au Japon. Il s’agit ici de l’esthétique du rapport personnel, à laquelle tient beaucoup mon jugement de valeur esthétique de l’objet ou de l’espace.

3 : Le boulevard périphérique Il est vraiment maussade avec ses plusieurs voies parallèles et ses murs gris. Quand on roule sur la partie souterraine, on a l’impression d’être enfermé dans un espace immonde et l’air toxique. Si l’on est sur la partie surélevée, on ne voit que des buildings avec des publicités de voitures ou d’électroménagers. Bien sûr, ce qui est important pour la construction des routes, est d’abord la question de sécurité, puis celle de fonctionnement, et l’aspect esthétique est secondaire. Néanmoins, si ce boulevard avait une apparence plus gaie, les conducteurs seraient moins nerveux et il y aurait peut-être moins d’accidents.

4 : La Tour Montparnasse (rue du Départ et rue de l’Arrivée, 75015) Son allure est peu élégante. Elle est simplement haute et droite. Sa forme ne semble pas du tout réfléchie. On n’y trouve aucune harmonie avec le paysage d’autour. Cette Tour cause, de plus, un courant d’air - 139 - - 140 - insupportable dans les quartiers d’alentour. Je me souviens bien que mes enfants étaient tout le temps enrhumés quand nous avons habité dans le coin.

5 : L’université de Paris - Jussieu (rue Jussieu, 75005) Contrairement à la Tour Montparnasse, je trouve que la structure de cette faculté est „trop‰ réfléchie et inutilement compliquée. Les bâtiments ne dégagent aucune atmosphère académique.

6 : Les agences de la BNP (partout dans Paris) Ce que je n’aime pas des agences de la BNP est leur froideur. Leur décor de l’intérieur est très triste, et les banquiers y travaillent sans enthousiasme. J’ai l’impression que tout y est mort et seul l’argent y circule. Je trouve que par rapport à la BNP, les bureaux de Poste sont beaucoup plus animés et ont une ambiance plus chaleureuse.

7 : Le Jardins des Tuileries (75001) De nombreuses personnes apprécient ce jardin, mais je ne suis pas de leur avis. Il y a trop de lignes droites et d’angles droits. La forme est trop symétrique. Les espaces sont vides et creux. En un mot, c’est un jardin qui n’a pas de goût.

8 : La place de la République (75003, 75010, 75011) Avec les voitures qui y circulent et les gens qui la traversent, ce lieu me paraît un chaos. La statue située au milieu n’est contemplée par personne.

9 : La mercerie du marché de Lévis (rue de Lévis, 75017) De façon générale, j’ai horreur d’entrer dans un espace à 100% féminin. J’y sens une tension insupportable. Pour cette raison, je ne vais jamais au salon de coiffure pour dames, mais toujours chez le coiffeur mixte. La présence d’un ou d’homme(s) neutralise l’espace et adoucie l’ambiance. La mercerie de la rue de Lévis est un cas extrême de mauvaise ambiance féminine. La patronne, dame âgée, maigrichonne et mégère, se comporte comme la reine dans une fourmilière. Je n’ai pourtant jamais eu un tel sentiment repoussant en entrant dans un espace féminin au Japon. Evidemment, les Japonaises n’ont pas le même tempérament que les Françaises.

10 : Le quartier Strasbourg - St Denis (75010) Du côté de la rue de St Denis. C’est un quartier où vivent de nombreux étrangers de différentes ethnies. Je trouve inesthétique ce coin surtout par manque d’ordre. Comparons par exemple avec la rue Oberkampf où habitent également beaucoup d’étrangers de différentes origines. A mon avis, cette rue a bien réussi à créer leur propre style très harmonieux composé de diverses cultures. Quand on y passe, on y aperçoit le „mode Oberkampf‰. Je ne trouve pas cela en marchant à Strasbourg - St Denis. Là, j’ai l’impression de me trouver dans des entassements désordonnés des éléments venus de tous les coins du monde.

11 : Les compartiments du RER Je trouve laids les wagons du RER, notamment leur intérieur. Ils sont non seulement moches, mais aussi très sales. Dès qu’on y entre, on sent une odeur écœurante. Je m’y sens insécurisée.

12 : Le Forum des Halles (75001) Pour moi, le Forum des Halles est une continuité du RER. Rien n’est beau, ni élégant. On a l’impression d’être dans un centre commercial d’une banlieue, bien qu’on soit au plein centre de la - 140 - - 141 - capitale.

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YI1/MS Japonaise, 66 ans, retraitée, réside en France depuis 35 ans. Elle a habité dans les XVIIe et XXe arrondissements, et demeure actuellement rue A. Bertillon dans le XVe.

Les lieux que j’aime : 1. Le Quartier Ternes (75008,75017) J’aime bien regarder les beaux immeubles datant de vers 1900, situés dans le quartier Ternes et du côté du Parc Monceau. C’est probablement parce que j’y ai habité il y a environs une trentaine d’années. Cela vient de la nostalgie.

2. Les petites rues de Porte de Bagnolet (75020) Près du métro Porte de Bagnolet et derrière l’hôpital Tenon, on peut contempler des ruelles avec de jolies maisons. J’aime bien ce coin.

3. Le Parc des Buttes Chaumont (75019) J’apprécie ce parc d’abord pour sa tranquillité. Souvent, il y a trop de monde dans d’autres parcs, tels que le jardin des Tuileries, le Champs de Mars. Aux Buttes Chaumont, on peut se promener sans être dérangé par les autres. Et j’aime également les chemins de promenade qui montent et descendent. C’est amusant.

4. Montmartre, derrière la basilique Sacré Coeur (75018) J’aime bien les pentes de la colline et surtout les escaliers.

5. Les ruelles du quartier latin, depuis le Panthéon jusqu’à la Seine (75005) Elles sont charmantes avec leurs petits magasins. La présence des étudiants fait partie du charme du quartier.

6. Le Jardin de Luxembourg (75006) J’aime surtout le côté de la Fontaine de Médicis. Je trouve très beaux la fontaine, les statues et les arbres.

7. Les rues du côté du théâtre de l’Odéon (Théâtre de l’Europe, 75006) Ces rues sont attrayantes avec leurs librairies et leurs restaurants chics.

8. La place des Vosges J’apprécie l’architecture des bâtiments. J’aime aussi les arcades. J’y sens le poids de l’histoire de la France.

Les lieux que je n’aime pas :

1. La Porte de Clignancourt (75018) Je n’aime pas le marché aux puces de la Porte de Clignancourt (- les puces de St Ouen). Je ne m’y sens pas sécurisée. Je préfère les puces de Montreuil à ceux-ci.

2. En bas de Montmartre, du côté du marché Saint Pierre (75018) C’est toujours pareil, j’ai un sentiment d’insécurité en marchant dans ce coin.

3. Barbès - Quartier africain (75018) Attention! Je ne dis pas que ce quartier est inesthétique. Je ne dis surtout pas que je n’aime pas l’ethnie africaine. Simplement, je ne connais pas bien ce peuple, ni sa culture. Probablement c’est pour - 142 - - 143 - cette raison que j’ai peur d’y aller toute seule. Je suis gênée aussi par l’odeur d’épice qui m’est inhabituelle. Je pense que je pourrais bien aimer ce coin, si je commençais à le fréquenter et à m’y accoutumer.

4. La Chapelle - Quartier indien (Bd de la Chapelle, rue du Fg St Denis 75010) C’est exactement la même chose que Barbès. J’ignore la culture indienne et cela me provoque un sentiment de peur.

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YI3/Ta

Japonaise, Mademoiselle Ta, 27 ans, vit en France depuis 4 ans. Elle a été étudiante au début de son séjour, et travaille maintenant comme vendeuse. Elle réside dans le XVIème arrondissement au Trocadéro.

Les lieux que j‚aime :

1. La Seine + L‚allée des Cygnes J‚aime bien me promener dans l‚allée des Cygnes, parce qu‚elle est calme, simple, et entourée d‚eau. Ce que j‚aime aussi, c‚est que cette île est distancée de la ville, mais pas de très loin. J‚y marche toujours en regardant les bâtiments (- surtout les toits) des quartiers du XVIème tels que Passy. Je refuse de regarder du côté de Grenelle.

2. La tour de Notre Dame J‚adore monter en haut de cette tour et regarder le panorama de Paris, les vieux monuments, les toits d‚immeubles, etc. Mes amies qui sont au Japon me posent souvent la question : „Paris est une ville comment? Est-elle comme Tokyo?‰ Je leur réponds alors : „Paris est une ville qui fait <>‰. Mes amies ne me comprennent évidemment pas, mais si elles viennent un jour à Paris et que je leur montre le paysage depuis la tour de Notre Dame, elles me disent : „Ah oui, c‚est vrai. J‚ai compris ce que tu voulais dire.‰ De cette tour, on peut voir l‚ensemble de la ville, du vieux Paris ainsi que du nouveau.

3. Le paysage avec la tour Eiffel vu par le métro - ligne 6 Je n‚aime pas spécialement la tour Eiffel, mais j‚aime beaucoup regarder cette tour depuis le métro - ligne 6, quand celui-ci traverse la Seine, après avoir quitté Passy et avant d‚arriver à Bir-Hakeim. Cela fait un paysage fantastique.

4. Opéra Garnier J‚aime surtout son intérieur où sont remarquablement conservés les objets de l‚époque. Je trouve qu‚ils sont mieux conservés que ceux du château de Versailles. Quand on s‚assoit dans la salle de cette opéra, on sent que sa dimension est tout juste convenable, c‚est-à-dire, ni trop large, ni trop haute. Par rapport à elle, la salle de la Bastille est trop grande. De façon générale, j‚aime beaucoup regarder des choses anciennes dans Paris, mais si j‚en vois trop, cela me fatigue aussi. Dans ce cas, je vais à la Défense pour voir un autre type de paysage depuis la place de la Grande Arche. Cela me fait du bien.

5. Le bois de Boulogne Comme j‚y vais toute seule dans la plupart des cas, je ne pénètre pratiquement jamais au fond du bois. Je me promène en général sur les chemins près du Jardin d‚Acclimatation, du côté du Bd Maurice Barrès, par exemple. Ce qui m‚attire, c‚est son ambiance tranquille et ordonnée. (Mlle Takahashi a utilisé le mot „seizen‰ qui signifie „état bien rangé et ordonné‰.) J‚aime les chemins arborés. J‚aime aussi voir les gens y faire du jogging, ce qui me donne une sensation de fraîcheur.

6. Le quartier du Marais Je trouve très charmantes les petites boutiques de vêtements,

- 144 - - 145 - d‚accessoires ou d‚antiquités du quartier. J‚aime bien y flâner en regardant les vitrines de ces magasins. L‚hôtel Carnavalet est un de mes musées préférés. Son vieux bâtiment et son jardin avec un passage au milieu sont beaux et luxueux. L‚expo du musée sur l‚histoire de la France est aussi intéressante.

7. Le Louvre - la place où est exposée La Victoire de Samothrace J‚admire celui ou ceux qui ont pensé à disposer cette statue de cette manière. Ils ont réalisé la présentation la plus efficace pour que les gens puissent vraiment apprécier cette oeuvre. Le meilleur est de contempler cette sculpture en montant lentement les escaliers d‚à côté. On la voit comme si la Déesse est réellement en train de voler. Si cette statue était exposée simplement à la hauteur de nos yeux, on ne pourrait pas avoir cette agréable sensation. Si c‚était la Vénus de Milo qui occupait cette place, cela ne serait pas intéressant non plus. Ici, l‚espace a été créé par rapport à la valeur de cette oeuvre.

8. L‚hypermarché Carrefour de St Denis J‚aime bien Paris, mais parfois je trouve frustrant d‚y faire les courses, parce que les magasins sont peu spacieux et qu‚il n‚y a pas beaucoup de choix pour les articles. C‚est pourquoi j‚aime aller de temps en temps faire les courses au Carrefour de St Denis. Il est grand, pratique, pas cher et je peux trouver facilement ce que je cherche. J‚aime faire un tour dans ce grand espace. Je suis un peu excitée quand j‚y vais. Quant à la ville de St Denis, au début j‚ai un peu hésité d‚y aller, parce que j‚ai entendu dire qu‚elle n‚était pas très sécurisante. Finalement j‚aime bien cette ville, parce qu‚on voit des enfants partout. Ce sont des enfants qui rient. Certains s‚occupent de leur petit frère ou de leur petite soeur. Pour moi, la ville habitée par beaucoup d‚enfants est toujours saine. (Mlle Takahashi a utilisé le mot „kenzen‰ qui signifie à la fois „bonne santé, stable, sécurisant, sûr‰.)

9. La bibliothèque Sainte Geneviève (75005) Je n‚y vais plus maintenant, mais je la fréquentais quand j‚étais étudiante. Ce que j‚apprécie de cette bibliothèque, c‚est son atmosphère basée sur son architecture très ancienne. J‚aime aussi son éclairage qui est assez faible. En m‚installant dans la salle, je me sens très calme et stable, ce qui me donne envie de travailler.

10. La rue de Rome (75008) Ce que j‚aime des boutiques de cette rue, c‚est d‚abord la présentation des instruments dans les vitrines. On y trouve souvent des instruments vieux, drôles et curieux. Ils ne sont pas là pour être vendus mais pour décorer la vitrine. Je n‚ai jamais vu cette sorte de présentation dans les magasins de Tokyo, où ne sont présentés que des instruments à vendre. J‚aime aussi chercher des partitions dans cette rue. (L‚informatrice joue du violon.) Dans les boutiques de Tokyo, les partitions du même éditeur sont souvent regroupées au même endroit. Les livres de Yamaha se trouvent entre les Yamaha. En contraste, dans les boutiques de la rue de Rome, les partitions sont assez mélangées, ce qui me donne l‚impression d‚être dans une librairie d‚occasion. Pourtant il ne s‚agit pas de désordre. Bien que les vieilles et les neuves soient mélangées, elles sont bien classés dans un ordre bien établie. (Mlle Takahashi a utilisé une fois de plus le mot „seizen‰. cf. 5 : le bois de Boulogne)

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11. L‚itinéraire du bus n°72 C‚est un bus qui part de l‚Hôtel de Ville, en passant par la place de Concorde, et arrive à St Cloud. J‚aime prendre ce bus surtout en hiver, quand il fait déjà sombre, et regarder le paysage. Dans une obscurité hivernale, les illuminations de Paris deviennent toutes jaunes. C‚est la couleur que j‚adore.

12. L‚itinéraire du bus n°73, nommé Balabus C‚est une ligne qui lie le Musée d‚Orsay et la Défense, en passant par l‚Etoile. J‚aime monter l‚avenue des Champs Elysées en bus. Si je ne me trempe pas, les autocars de tourisme sont interdits de rouler sur les Champs Elysées le soir, donc prendre le Balabus est le seul moyen de pouvoir contempler cette avenue le soir sans se donner la peine de marcher, ni de conduire soi-même. J‚aime également passer en bus la Place de l‚Etoile et regarder les milliers de voitures tourner autour de l‚Arc de Triomphe. Je trouve cela très marrant. Je trouve cela encore plus amusant quand il y a des embouteillages. J‚observe par la fenêtre les autres voitures bouger de droite à gauche. Comme je suis dans le bus, je me sens bien sécurisée et protégée. Assise tranquille, je m‚amuse à regarder les véhicules qui avancent avec beaucoup de peine. La hauteur de mon siège me donne une impression de domination sur les autres, ce qui me fait du bien. Cela me fait ricaner. J‚ai sans doute un mauvais caractère.

13. La Place des Vosges Ce que j‚aime ici, c‚est la combinaison de briques rouges et de verdure. Les briques rouges de l‚architecture ancienne s‚harmonisent parfaitement avec la verdure des arbres. C‚est un lieu agréable pour prendre du thé.

14. Le panorama depuis le Palais de Chaillot Quand je suis fatiguée, j‚aime regarder ce panorama très vaste, notamment la Seine. Cela me soulage beaucoup.

Les lieux que je n’aime pas :

1. Les passages de correspondance du métro J‚ai horreur de changer de métro à cause de ces passages. Je n‚aime pas cet espace trop fermé. Il y a une atmosphère triste, louche, sinistre ... Le passage que je déteste le plus est celui qui lie le RER-C et la ligne 6 (Champs de Mars - Bir Hakeim). Il me paraît être une ruine.

2. L‚Opéra Bastille Je ne l‚aime pas dans son ensemble. Je ne suis pas du tout contre l‚architecture moderne, mais je trouve ce bâtiment trop vaste. Quand on est dans la salle, on se sent trop éloigné de la scène. De plus, j‚ai entendu qu‚il y avait eu un accident. Il me semble qu‚une partie du mur extérieur était détachée et tombée. Cela montre qu‚il y a des problèmes dans sa structure. Je ne trouve aucun goût à cet édifice.

3. Le quartier Grenelle C‚est surtout à cause de la question de sécurité. Ces derniers jours, j‚ai entendu beaucoup d‚histoires de vol commis dans ce coin, plus particulièrement autour de l‚hôtel Nikko. Il me semble qu‚il y a eu même un braquage dans cet hôtel. Depuis, je ne m‚en approche plus.

4. L‚avenue de l‚Opéra C‚est encore pour la même raison. Un jour, j‚ai vu juste devant - 146 - - 147 - moi un Monsieur âgé (Français) se faire frapper et voler son sac par un jeune garçon. Il n‚y avait pas beaucoup de monde sur l‚avenue et il faisait déjà sombre. Cela m‚a fait très peur. Depuis, j‚évite de passer par là.

5. Les tours du XIIIème arrondissement (Italie) Ces tours ont une allure qui ressemble à des buildings de Hong- Kong. Si j‚étais à Hong-Kong, les gratte-ciel ne me gêneraient pas, parce que c‚est le style que cette ville a adopté. Par contre, les tours du XIIIème m‚embarrassent énormément puisque nous sommes à Paris. Je trouve ces tours maussades et sinistres. Je me souviens que j‚ai eu le même type de sentiment, quand j‚ai visité l‚Allemagne il y a quelques années, après la chute du mur de Berlin. Lorsque le bus est entré dans l‚ancien territoire Est, j‚ai vu plusieurs immeubles en béton, pauvre et triste. Il n‚y avait aucune chaleur de la vie humaine. Cette image m‚a immédiatement évoqué des événements tragiques dans le passé, notamment des personnes qui avaient été tuées en essayant de traverser la frontière. Les tours du XIIIème sont, selon moi, un peu du même genre.

6. Le quartier Clichy-Brochant (75017) J‚ai passé une fois ce coin et je ne l‚ai pas aimé. Je le trouve désordonné et bruyant. L‚espace n‚est ni claire, ni net.

7. La Porte de Clignancourt Je n‚aime pas le chemin qui va de la sortie du métro jusqu‚à l‚entrée du marché aux puces. Ce passage est embarrassant, ce qui me donne un sentiment d‚insécurité. En fait, une fois entrée dans le marché, je n‚ai plus peur. Là, il me suffit de faire attention aux pickpocket et pour le reste, pas de problème. Par rapport à la Porte de Clignancourt, je ne trouve vraiment pas méchant le quartier de St Denis. Comme j‚ai déjà dit plus haut, St Denis est une ville où je vois beaucoup d‚enfants. Par contre, au passage de Clignancourt, je ne vois pratiquement jamais d‚enfant et il n‚y a que des jeunes hommes.

8. Le quartier des Halles C‚est l‚atmosphère du Forum et de ses environs que je n‚aime pas. J‚ai le sentiment d‚être dans un milieu qui n‚est pas sain. Je suis gênée par les gens qui y traînent en groupe. J‚y sens que ce n‚est pas un endroit où je dois être.

9. La Villette Je n‚apprécie pas la construction de cette cité, parce qu‚elle est simplement vaste et immense, mais peu intéressante. De plus, j‚ai entendu que quelqu‚un avait été blessé ou tué à côté du Conservatoire National, ce qui me fait peur. Tout ceci me donne l‚impression qu‚ici, il n‚y a pas de communication entre les gens. Cette cité me rappelle des nouveaux quartiers résidentiels de banlieues de Tokyo, où les habitants ne se connaissent pas les uns les autres, bien qu‚ils vivent dans la même communauté.

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YI4/ EP Française, Mme EP, Agée de 25 ans, elle est infirmière et mère d’une fille de 3 mois. Originaire de la Marne, elle réside à Montrouge.

Les lieux que j’aime :

1) Montmartre J’aime la Basilique, la Place du Tertre, les petites rues piétonnes et les escaliers. Je trouve beaux les maisons particulières et les jardins. J’apprécie également la vue panoramique.

2) Le quartier de la Butte aux Cailles (75013) C’est une petite colline dans Paris avec des rues piétonnes. Il n’y a que de petits immeubles de 3 ou 4 étages au maximum, c’est bien aéré, ce qui donne l’impression d’un petit village à l’intérieur de la ville.

3) Le quartier Convention (75015) J’aime le coin à l’alentour de la station de métro Convention. C’est un quartier agréable avec des immeubles en pierre de taille et des arbres. Il y a tout à proximité : magasins, cinéma, etc. Quand j’y suis passée la dernière fois, il y avait un marché régional avec plein de stands différents. Comme la Butte aux Cailles, ça me donne l’impression d’un petit village.

4) La place du Louvre J’aime autant l’ancien (- bâtiment du musée) que le nouveau (- pyramide). La pyramide a été un peu choquante au premier abord, mais maintenant je trouve qu’elle fond bien dans le paysage. Ce que j’aime plus particulièrement est toute la continuité qu’on voit d’ici jusqu’à la place de la Concorde, et plus loin, l’Arc de Triomphe au bout. Je trouve que c’est une belle vision.

5) La place Jules Joffrin (75018) Il y a une petite église qui est mignonne. La Mairie qui est en face, est un ancien bâtiment du XVIIIe ou XIXe siècle. Il y a tous les commerces à proximité. Les immeubles sont de pierre de taille. Le petit square de Clignancourt avec un terrain de jeux et des bancs est fréquenté par les habitants du quartier. Il n’y a pas grand chose autour, mais cela donne, encore une fois, l’impression d’un petit village au milieu de la ville.

6) La Place des Vosges Je trouve très esthétique cette place. J’aime les couleurs des bâtiments, les arcades et le jardin. Elle est calme et très historique.

7) Le Canal St Martin C’est un coin aéré. On peut se balader autour du canal. J’aime bien cet espace dégagé.

8) La rue Mouffetard Il y a du monde, de petits magasins, des bars, des restaurants, etc. Je trouve cette rue conviviale.

9) Le Cimetière du Père Lachaise (75020) J’aime bien y faire un tour de temps en temps, en regardant les tombes des gens connus. Il y a des tombes de différents styles : tombeau, caveau, diverses sortes de pierre tombale.

10) Le Parc de la Villette - 148 - - 149 -

J’aime cet endroit pour tout ce qu’on peut y faire : la cité des sciences où je peux amener mes neveux, le parc où on peut se balader, la cité de la musique pour écouter un concert, etc. Je trouve le lieu assez esthétique, sauf la galerie rouge en structure métallique qui traverse le milieu du parc que je ne trouve pas jolie.

11) La Cité Universitaire de Paris (75014) Il y a des bâtiments de différentes origines. C’est marrant à voir. Chaque pays a construit sa maison plus ou moins selon son style. Celle dans laquelle où je voudrais habiter, si j’étais étudiante, est la maison du Mexique. Je m’intéresse à la culture mexicaine.

12) Le Palais Royal J’apprécie le contraste entre l’ancien bâtiment et l’oeuvre d’art moderne. Les colonnes noires et blanches m’ont un peu choquée au début, mais finalement je les trouve jolies. Il fallait y passer pendant un moment pour m’y habituer. J’aime bien le jardin et les maisons qui donnent dessus avec un balcon sympa. C’est un lieu historique.

Les lieux que je n’aime pas :

1) Barbès Ce n’est pas l’architecture que je n’aime pas, mais plutôt le côté surpopulation. J’ai habité à côté de la gare du Nord. J’aime bien l’architecture de ce quartier avec le métro aérien, mais j’avoue que l’ambiance ne me plaît pas. Il y a trop de monde.

2) Le Centre G.Pompidou Je trouve ce bâtiment hideux. Il est vraiment moche. Il y a trop de couleurs. Il est trop imposant. Il n’encadre pas tout ce qui est autour.

3) Les Halles C’est vraiment un grand pôle de Paris. Tout y circule : le métro, le bus, les piétons, ce qui donne l’impression d’une grosse plaque tournante et qui brasse trop de population. C’est vrai qu’il y a aussi des lieux sympas comme le jardin au-dessus du Forum, l’église St Eustache. Mais je n’aime pas du tout le côté où il y a des magasins et plein de monde.

4) Le quartier de Grenelle Avec les grandes tours, cela fait moche. La Défense est du même style, mais comme elle est à l’extérieur de Paris, cela me gêne moins. Par contre, Grenelle est dans Paris et il y a la Seine au bord. Je trouve gênant d’avoir un coin comme celui-ci dans Paris. C’est inesthétique et un peu trop moderne.

5) L’Opéra Bastille Je ne suis jamais entrée dedans, mais je ne trouve pas joli son extérieur. Il aurait fallu avoir plus de respects pour tout ce qui est autour : les vieux bâtiments en pierre, le quartier, la place, la vielle gare restaurée (gare de Lyon), etc.

6) La Bibliothèque F. Mittérand Je trouve très bien son jardin qui est grand et spacieux. Mais le bâtiment est franchement moche. Pour moi, une bibliothèque est un lieu ancien avec des vieux manuscrits. Je n’y sens pas un côté bibliothèque. Elle ne me donne pas envie d’y aller chercher des bouquins, parce que je la trouve trop immense. - 149 - - 150 -

Une question a été posée à l’improviste à l’interviewée : Si vous étiez milliardaire, dans quel quartier voudriez-vous habiter? Mme E : Au sud de Paris. Je voudrais bien habiter à côté du Parc Montsouris, dans une maison avec un petit jardin. C’est calme et on est tout près du Parc.

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YI5/XP.

Français, Epoux de Mme E. Agé de 27 ans, il est actuellement chômeur. Il vit dans la région parisienne depuis son enfance.

Les lieux que j’aime :

1) Montmartre C’est un petit village à l’ancienne de point de vue esthétique. On est au plein coeur de la ville très moderne, mais on croirait revenir 100 ans en arrière. J’aime les petits bâtiments, les rues pavées, etc. Puis, on sait que des peintres célèbres comme Dali y ont vécu. J’aime aussi ce côté artistique. Quant à la Basilique, elle est trop touristique. Elle n’est pas extraordinaire comme église, et ils ne font rien pour nous donner envie d’y aller, contrairement, par exemple, à Notre Dame où on donne régulièrement des spectacles.

2) Le Musée d’Orsay (75007) Ce que j’apprécie de ce musée, c’est l’idée de la transformation du lieu. C’était d’abord pour l’Expo Universelle*, après on l’a transformé en musée. (*L’interlocuteur se trompe. C’était autrefois une gare construite à l’emplacement du palais d’Orsay détruit suite à un incendie.) L’intérieur est très claire, lumineux et bien aéré. Quand on est dedans, on ne se rend pas compte que c’est un petit musée.

3) Le Centre G.Pompidou (75004) Ce que j’aime de ce centre, c’est qu’on a laissé les architectes réaliser leur idée folle. J’applaudis celui qui a autorisé cette construction, que ce soit le Maire de Paris ou le Ministre de la Culture. Il fallait être aussi fou pour avoir admis une telle idée dans Paris. Je trouve toujours fantastiques les tuyaux qui sortent, les grandes vitres, pleines de couleurs, etc. Surtout, on est dans un vieux quartier de Paris, et tout d’un coup, on se trouve devant un tel édifice avec des musiciens et des cracheurs de feu sur la place, ce que je trouve superbe. Les expo sont toujours d’art contemporain, ce qui n’est pas mal. Pour moi, c’est l’endroit le plus beau de Paris.

4) Le Jardin de Luxembourg Quand on est à l’extérieur du jardin, il y a beaucoup de bruit, mais une fois entré dedans, on croit que c’est du silence, bien qu’en réalité il y ait du monde qui fasse du bruit. Dans ce jardin, tout est superbe. Il y a des bassins, des pelouses, des arbres, des terrains de jeux, le Sénat, etc. On peut donc y bouquiner, se promener, s’asseoir sur l’herbe, faire du sport, faire jouer les enfants, etc.

5) L’île Saint-Louis Je l’aime surtout pour le côté architecture du vieux Paris. Dans Paris, il y a partout du vieux, du nouveau et du moyen, mais à l’île St Louis, il n’y a vraiment que du vieux. J’apprécie les efforts des Maires de Paris qui ont conservé ces coins comme ils l’ont été à l’époque, en restaurant certains bâtiments sans les détruire. C’est l’ensemble de l’île qui est beau : les petites rues, les immeubles, les magasins, etc. Je trouve qu’il y a une odeur ancienne qui me rappelle l’histoire de Paris et des personnages célèbres comme Robespierre, Diderot.

6) Quartier de la Sorbonne - Panthéon Le Panthéon est très beau. Il a été remis en bon état après un nettoyage. J’aime tout ce qui est autour, tel que les petits restaurants, les petites places où on peut venir prendre un verre, et aussi les étudiants qui se baladent dans le coin, parce qu’il y a la Sorbonne à - 151 - - 152 - côté. Je trouve que ce sont des étudiants qui ont des idées et qui veulent parler. Ce quartier est pour moi un petit village sacré où se mêlent les histoires des vieux bâtiments et les gens qui amènent de nouvelles réflexions sur la vie. Je trouve que ce quartier est esthétiquement très joli et qu’on a bien gardé son air authentique en évidant d’y faire plein de magasins de souvenir, ce qui rendrait le lieu trop touristique. J’aime aussi le côté de la place Maubert où il y a beaucoup de petits restaurants de cuisine étrangère. Si on monte la rue Ste Geneviève, on trouve côte à côte un restaurant italien, un restaurant argentin, un restaurant tibétain, un restaurant français, etc. et il n’y a que des mélanges les uns derrière les autres jusqu’au Panthéon. Ça, c’est vraiment Paris. Cela représente Paris d’aujourd’hui. C’est comme dans votre immeuble : vous avez un voisin portugais à côté, un français en face, un maghrébin en haut et un indien en bas. Si vous prenez le métro, vous n’y trouvez pas de personnes qui se ressemblent. C’est ce qui est superbe de Paris. Si on discute un peu avec eux, on apprend plein de choses et on fait aussi apprendre plein de choses aux gens sans même le vouloir en disant simplement Bonjour. On peut ainsi s’enrichir mutuellement. Pourquoi pas en profiter!

7) Le Musée du Louvre Je fréquentais ce musée quand j’étais étudiant. Je devais y aller plusieurs fois voir des tableaux espagnols pour préparer un diplôme d’espagnol. Au début, je n’appréciais pas ce bâtiment parce qu’à l’époque, les façades n’étaient pas encore refaites et étaient très sales à cause de la pollution. Le lieu me paraissait une prison. Mais à force d’y aller, j’ai appris à voir le bâtiment par un angle différent en me baladant autour et je me suis rendu compte qu’on ne saurait pas faire aujourd’hui un tel édifice qui dure plusieurs siècles. C’est ainsi que j’ai commencé à aimer ce lieu. Surtout depuis qu’on a nettoyé les façades, on voit la couleur agréable des pierres, ce qui a donné une deuxième vie au Louvre. Quant à la Pyramide, lorsque je l’ai vue pour la première fois, j’ai senti qu’elle gâchait ce lieu qui était si historique. Mais après, en la regardant plus près, je me suis rendu compte qu’elle n’avait pas été mise par hasard, ni d’une manière vulgaire, mais était en fait très bien recherchée. Elle est vitrée, donc la lumière la traverse et lui reflète. C’est un art. J’aime bien maintenant cet édifice et si on l’enlève un jour, elle me manquerait. Comme j’ai appris à aimer le bâtiment du musée à force de le fréquenter, j’ai commencé à apprécier la Pyramide en revisitant. On évolue avec le temps!

8) Les Buttes Chaumont C’est agréable d’avoir une belle colline comme celle-ci avec plein d’herbe et d’arbres dans Paris. J’apprécie les efforts qu’on a fait pour garder ainsi cet endroit sans y construire de maison.

9) Le quartier du Marais Ce que j’aime bien, c’est que ce quartier reste toujours authentique avec ses petites rues, ses petits immeuble à l’ancienne... Il y a une odeur d’ancien et de vécu. Les gens sont souriants. On se dit bonjour très facilement dans les rues. C’est vrai qu’il y a une connotation homosexuelle dans le Marais. C’est un des quartiers de Paris où il y a des bars d’homosexuels. Je ne connais pas bien les boutiques et les magasins du coin, mais j’aime surtout traverser les rues, regarder les bâtiments, les façades, - 152 - - 153 - les lofts d’artistes, etc. Il y a une gaieté dans l’ambiance.

10) Le canal St Martin J’aime le côté tranquille et aéré. Il y a de l’eau. C’est agréable de s’y promener. Les immeubles sont jolis. En fait, il n’y a rien d’extraordinaire sur le canal lui-même, mais c’est le changement qu’il nous apporte qui est appréciable. Paris est une ville de grandes avenues, de gros bâtiments, d’embouteillages, etc, mais en arrivant à St Martin, du coup, on est ailleurs. On dirait qu’on n’est plus à Paris. Le petit canal fait un peu province. Sur ce point, cet endroit ressemble aux Buttes Chaumont.

11) Le Palais des Congrès (Porte Maillot 75017) On a refait ce palais il y a quelques années. J’aime bien le nouveau bâtiment avec des baies vitrées et son intérieur très spacieux. C’est moderne, tout en étant un endroit calme et classique.

12) Palais Omnisports de Paris-Bercy (75012) A l’intérieur du palais, il n’y a rien d’extraordinaire. Ce que je trouve superbe, c’est l’idée de faire l’extérieur en pente couverte d’herbe. C’est une idée très originale. Je trouve bonne idée d’avoir construit un tel édifice dans un lieu assombri par des bâtiments en béton.

Les lieux que je n’aime pas :

1) La Tour Montparnasse C’est le bâtiment que je veux détruire un jour. C’est un blockhaus. Il n’y a pas de couleur. Ça choque. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir mis un bâtiment moderne comme celui-ci dans un lieu classique. On aurait du le mettre à la Défense. La seule chose qu’on peut trouver jolie de cette tour est d’arriver tout en haut et de regarder Paris. Aussi, un autre avantage qu’elle a est de servir de repère quand on marche dans Paris. Elle nous permet de nous orienter. Mais à part cela, elle est vraiment moche. Je trouve que c’est un gaspillage.

2) L’Opéra Bastille Je ne suis jamais entré dedans. Son intérieur doit être bien au niveau acoustique, mais je trouve que son extérieur ne va pas du tout avec l’histoire de la place de la Bastille. Je pense qu’ils auraient pu très bien faire un opéra avec un esthétique ancien tout en alliant le côté moderne avec les baies vitrées, etc. Ce qui me gêne surtout, c’est que je regarde d’abord la place de la Bastille en songeant à son histoire, puis si je tourne la tête, j’y vois un gros morceau qui brille. Cela me choque et je crois que je ne suis pas le seul. En comparaison avec ce bâtiment, j’apprécie l’Opéra Garnier. Premièrement, cet édifice est beau et bien vieilli. Deuxièmement, il va bien avec les autres immeubles du quartier. A mon avis, même si on veut démocratiser l’opéra, son lieu doit rester toujours classique, surtout son aspect extérieur. On peut, par exemple, casser un jour l’intérieur de l’Opéra Garnier pour le moderniser, mais il faut absolument garder son extérieur. Cela a été bien réussi à l’Olympia. On a changé tout son intérieur, mais l’extérieur reste toujours classique. Je trouve cela très bien.

3) Les publicités de l’avenue des Champs Elysées L’avenue est superbe. Mais, ce que je n’aime pas est de voir toutes les publicités qui sont sur les murs, au-dessus des boutiques, des - 153 - - 154 - restaurants. Cela rend un peu américain et aussi japonais. Je comprends les idées. Cela fait gagner de l’argent. Mais c’est vraiment moche et je trouve dommage de mettre ainsi des choses lumineuses sur les murs d’une avenue si belle.

4) Le quartier des Halles Autant j’aime le Centre Pompidou, autant je n’aime pas les Halles. Je n’aime pas le Forum et tout ce qui est aux alentours. Je les trouve sales. C’est mal fait. Il y a des racailles et des gens qui y traînent... Tout ceci ne me donne pas envie d’y aller. Ce n’est pas non plus un endroit pour amener des touristes. Pourtant, c’est un vieux coin de Paris. Ils auraient pu faire mieux que cela. Je trouve que l’idée est ratée.

5) Bd de Sébastopol Ce boulevard est occupé par de vieux bâtiments qui auraient pu être très jolis avec un bon ravalement, mais je trouve qu’on les a laissé un peu pourrir, par conséquent, ils sont toujours noirs. A cause de la circulation des voitures qui est très dense, le quartier est sale et il y a des odeurs. C’est un quartier dont l’architecture de base est très belle, mais qui est très mal entretenu, ce qui ne rend pas le lieu salubre. Si on y fait un bon nettoyage et qu’on y plante des arbres, on pourra faire une très jolie avenue. Paris est une ville de tourisme. Il faut bien l’entretenir. Il faut travailler. De la même manière qu’on a nettoyé Notre Dame et Le Louvre, il faut continuer à nettoyer les bâtiments. Les autocars et les autobus passent par là (Bd de Sébastopol). On voit partout des bâtiments superbes, puis tout d’un coup on arrive à ce boulevard. Là, on croirait être dans une bidonville, ce qui n’est pas en fait vrai car c’est un coin qui coûte très cher.

6) Le quartier de Grenelle Ce que je n’aime pas de ce quartier, c’est que d’un côté, il est classique avec le métro aérien, mais d’un autre côté, on voit tout ce qui est sur le quai de Grenelle, les hôtels, le centre commercial, etc. Les idées du départ n’étaient peut-être pas mauvaises. On peut passer en-dessous en voiture, etc. Mais je ne trouve franchement pas esthétique ces bâtiments. Je ne sais pas si c’était des essais pour faire la Défense... Ils ont peut-être travaillé là-dessus en en faisant une petite Défense... En tout cas, je trouve que cela ne va pas avec le quartier et avec la Seine. En plus, en face il y a un bâtiment superbe : la Maison de Radio-France. Par rapport à cela, le quai de Grenelle est vraiment choquant!

7) L’Ambassade de Russie (Bd Lannes, 75016) C’est un blockhaus. Cela me rappelle l’époque des Communistes contre les Américains, soit des cow-boys contre les rois de la Sibérie. Comme l’Union Soviétique était très protégée à l’époque, ce bâtiment ressemblait à un cube. Un cube tout gris. Même aujourd’hui, on croirait vraiment à un blockhaus de guerre. C’est moche. Ça fait trop russe. Il n’a pas le côté russe moderne d’aujourd’hui. En plus, juste à côté, il y a l’Hippodrome d’Auteuil qui est superbe. C’est un coin où il y a beaucoup d’espaces verts. Ils auraient pu en faire un endroit plus joli.

8) Le Ministère de l’Economie et des Finances (Bercy, 75012) C’est un grand bloc de pierre. Il passe au-dessus de la Seine. Il ressemble à une grande grue qu’on utilise dans les chantiers navals pour remplir des bateaux. Si on le regarde de tout près en passant sur les quais de la Seine, c’est encore supportable, mais si on le voit de - 154 - - 155 - loin, il y a un gros bâtiment dont une partie dépasse la route et s’arrête au milieu de la Seine. C’est comme s’ils voulaient faire un pont et ils l’ont arrêté au milieu. Je le trouve raté.

9) La Bibliothèque F.Mittérand L’idée était toute belle. Quand j’ai vu la maquette à la TV, je l’ai trouvé superbe. Mais en vrai, elle est moche. Je l’appelle la table qui est mise à l’envers. Je ne suis jamais entré dedans, mais j’ai entendu qu’il y avait pas mal de problèmes : pas assez de places, quelqu’un est mort, etc. Si je pense que c’est entre autres mon argent qui a été servi à cela, c’est vraiment dommage.

La même question : Si vous étiez milliardaire, ...? M. Xavier : Ce que je voudrais bien, c’est habiter dans un lieu qui a une vue sur un parc ou dans un endroit très calme. Par exemple, à côté du Parc Montsouris, devant le Jardin des Tuileries, etc. Mais le quartier qui me plairait le plus, c’est Montmartre.

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YI6 / AJ Française, Madame AJ., 50 ans, cadre infirmier dans un hôpital. Originaire de Rennes, elle vit dans la région parisienne depuis une trentaine d’années.

Les lieux que j’aime : (L’interviewée a essayé de les hiérarchiser par ordre de préférence.)

1) Le Dôme des Invalides (75007) Le Dôme des Invalides est mon point de repère préféré dans Paris. J’ai d’abord commencé à apprécier ce bâtiment à l’occasion du bicentenaire de la révolution où il était en réflexion (restauration?). Il y a eu un refeuillage doré. Une fois que les travaux ont été finis, j’avais pile le Dôme dans mon champs de vision. Les horaires de mon travail m’ont permis de découvrir ce dôme à différents moments de la journée : le moment où le soleil l’éclaire au maximum et où la dorure permettait d’avoir un jet de lumière qui jaillissait, ou le matin de bonne heure avec le soleil qui se levait, ou le soir au coucher du soleil, etc. Il y a un éclairage particulier sur le Dôme suivant les moments. Ensuite, un jour, à l’occasion des journées du Patrimoine et d’ouverture de certains monuments, j’ai découvert l’intérieur du Dôme. A la crypte, le tombeau de Napoléon est placé au centre, entouré de sculptures qui représentent ses principales batailles. A son alentour se trouvent également les tombeaux de ses principaux maréchaux. En fait, quand j’étais à l’école je m’intéressais peu à l’histoire de Napoléon, mais à cette occasion, j’ai redécouvert son histoire. Je trouve importante toute cette valeur symbolique. Les Invalides constituent un grand espace libre où on peut se balader. Ceci pourrait apparaître une dichotomie entre la liberté et la rigidité de l’armée. Finalement l’ensemble se mêle assez bien. C’est peut-être cela qui me plaît bien dans ce lieu : attachement à l’histoire, attachement aux règles un peu militaires et attachement au grand espace libre dont on a besoin.

2) En haut de l’Arc de Triomphe La Place de l’Etoile est un lieu qui est difficile à passer pour les conducteurs avec toutes les rues qui s’imbriquent. J’aime bien monter en haut de l’Arc et regarder de là la Place de l’Etoile, les voitures qui passent ou s’arrêtent, leur branchement, etc. J’ai l’impression de devenir un enfant parce que j’imagine que je peux téléguider et commander les choses. C’est ce qui m’a séduite. Pour moi maintenant, c’est un jeu. Il m’arrive parfois d’être prise dans un embouteillage et être coincée. A ce moment, je m’échappe jusqu’en hauteur, en me disant : „Amusons-nous, un petit peu!‰ et j’imagine la situation du haut. C’est plus facile à supporter.

3) La Tour Montparnasse Quand on est sur l’esplanade de Montparnasse en sortant de la gare, il y a cette tour qui nous fait lever la tête. C’est intéressant. Quand on se balade le soir, elle est souvent illuminée. C’est un bon point de repère pour les gens dans Paris. Mais ce que apprécie plus particulièrement de cet édifice, c’est, encore une fois, la vue du haut, du 56ème étage de cette tour. Ce qui est surtout bien fait, c’est la façon dont les choses ont été organisées pour que les gens puissent bien voir de là ce que représente Paris dans son environnement, et la place des monuments les uns par rapport aux autres. C’est ce qui m’a séduite. Les choses y sont présentées de façon - 156 - - 157 - un peu pédagogique, ce qui j’ai trouvé nul part ailleurs. Quiconque qui y passe, est capable de repartir avec une vue assez globale de Paris. Je pense que ce qui est plus difficile quand on visite Paris est de savoir où est tel monument par rapport à tel autre. Il n’est pas toujours facile de repérer cela sur un plan. Dans mon cas, c’est en visitant les bâtiments comme celui-ci (la tour Montparnasse) qui me permettent d’avoir la vue un peu générale, que j’ai appris à repérer les positionnements de monuments. Quelques fois on est à deux rues d’écart entre deux monuments, mais on ne s’imagine pas cela quand on ne connaît pas bien Paris et on prend le métro pour rien. Alors, si on savait mieux où ils se situent l’un par rapport à l’autre, on pourrait très facilement faire à pied, ce qui serait une occasion de redécouvrir encore d’autres choses. Mais je pense que les gens le savent assez peu et on se prive ainsi d’une certaine richesse parisienne.

3) La Grande Arche de la Défense D’abord, j’apprécie l’implantation géographique de ce bâtiment. Il a été prévu dans l’axe de l’Arc de Triomphe et des Champs-Elysées, ce que je trouve très génial. Bien qu’il s’agisse d’une architecture complètement nouvelle, elle n’a pas été faite comme un champignon qui poussait de façon archaïque, mais il y a eu un souci de garder un certain sens à l’implantation de ce monument. Il maintient des liens avec les autres. Aussi, j’apprécie son architecture. Je trouve sa forme à la fois très simple et très recherchée. Elle représente trois lignes, ce qu’est capable de faire un enfant en bas âge, mais il y a également une certaine recherche pour que les gens puissent y faire de diverses choses (- travail, visite, balade, etc.) dedans, dessous, à côté, derrière, etc.

4) Les Jardins Parisiens (Luxembourg, Montsouris, Jardin d’Acclimatation, entre autres.) Il y a des jardins et des parcs dans différents endroits de Paris. J’apprécie qu’on a su préserver des espaces verts à l’intérieur de cette ville pleine d’immeubles. Ce sont des espaces qui sont agréables et bien aménagés et dans lesquels tout le monde peut y trouver ce dont il a besoin en fonction de son âge. Il y a des familles avec des enfants, des jeunes qui courent et s’amusent, des plus anciens qui font leur petite balade, des gens qui s’isolent un peu et qui lisent, etc. Ils arrivent ainsi à oublier l’urbanisme de tout autour. Pour certains, ce sont les seuls espaces verts auxquels ils ont accès, parce qu’ils n’ont pas la possibilité de partir facilement en province. Ils „se ressourcent*‰ de cette façon „en grande terre‰. Parmi tous les jardins parisiens, j’aime plus particulièrement celui du Luxembourg. Il se trouve dans un arrondissement très dynamique et jeune. Le samedi après-midi, Odéon, St Michel et St Germain forment une véritable fourmilière et à trois pas de là, il y a un havre de paix. Bien que ce jardin soit beaucoup fréquenté, on peut toujours s’isoler dans un coin avec un bouquin ou autres chose. Je pense que ce qui fait la richesse de Paris, c’est qu’on peut allier facilement les besoins de la vie citadine : faire les courses dans des magasins, aller au musée ou au spectacles, se balader dans un coin calme, etc. (*L’interviewée a utilisé à plusieurs reprises le mot „se ressourcer‰, bien que je ne trouve pas ce terme dans mon dictionnaire.)

5) Le Cimetière du Père la Chaise Bien que le cimetière ne soit pas, à priori, un lieu agréable pour une promenade, ce cimetière a beaucoup d’attraits qui font venir les - 157 - - 158 - gens. Il y a des tombes extrêmement anciennes qui remontent vers 1700. Certaines sont magnifiques avec des sculptures. En les contemplant, on découvre l’attachement des gens pour la tombe. Elle vénère le passage d’une personne sur terre. Sur certains tombeaux, il y a des inscriptions laissées en terme de message où nous pouvons lire la vie d’une personne. C’est en soi quelque chose de très beau. L’intérieur du cimetière est vraiment escarpé et certaines allées sont pavées. Il y a des arbres magnifiques. C’est un lieu où on peut se balader très agréablement.

6) La Concièregerie Elle était une ancienne prison pendant la révolution. J’ai découvert sa beauté plus particulièrement la nuit en passant sur la Seine en bateau mouche, parce que son illumination était attrayante. De plus, grâce au ravalement, la Conciergerie a repris toute sa présence. Avant, je ne m’intéressais pas beaucoup à certains monuments situés au bord de la Seine, ni à leur attachement historique, parce qu’ils étaient sales. Mais certains monuments de Paris ont été petit à petit rénovés et cela a permis à mes yeux d’avoir un autre impact. Prendre un bateau mouche est intéressant, parce qu’on peut apercevoir des choses qu’on ne voit pas quand il n’y a pas de recul suffisant. C’est ainsi que j’ai découvert la beauté des sculptures situées tout en haut de la Conciergerie. Cela m’a incité ensuite d’aller les voir plus près. Par ailleurs, le fait que ce monument est implanté au bord de la Seine me permet de me rappeler que Paris est séparé en deux par ce fleuve et qu’il y a un côté rive droite et un côté rive gauche. Il est intéressant de remarquer que les gens n’évoluent pas de la même façon sur la rive droite que sur la rive gauche.

7) Le Pont Alexandre III J’aime ce pont particulièrement pour son rapport avec d’autres monuments. (cf.2. La Tour Montparnasse) Il y a quelques années, j’ai découvert un jour la proximité et la relation entre les Invalides, le Pont Alexandre III et les Champs Elysées. C’est un itinéraire que j’aime bien prendre. J’aime surtout venir du côté des Invalides et partir vers les Champs Elysées, parce qu’au moment où on arrive au pont, on a l’impression que celui-ci nous accueille avec ses statues dorées magnifiques et nous incite à aller vers la grande avenue.

8) Le Musée d’Orsay C’est une ancienne gare. Ce que je trouve phénoménal, c’est d’avoir eu l’idée de reconvertir un tel ensemble et un tel espace en quelque choses d’aussi joli et d’aussi riche. Il aurait été possible de convertir ce bâtiment en quelque chose ayant un lien avec les transports. Mais, ils ont fait un virage complet. Ils ont su réhabiliter cet espace d’une façon totalement nouvelle. Je trouve ça génial.

9) Le Louvre Louvre est un lieu où j’aime bien me balader. Quand on est à l’intérieur du musée, on est très à l’aise pour découvrir des choses petit à petit au rythme de chacun. On n’est pas obligé de voir tout en un seul jour. On ne peut visiter qu’une partie et on peut revenir un autre jour. Au fil des saisons, au fil des occasions, on a le temps de le découvrir. Quant à la pyramide, c’est quelque chose de bien, parce qu’elle a aidé le Louvre à reprendre sa valeur. Mais ce que je trouve plus fort encore que la pyramide, c’est la pyramide inversée. Je trouve ça génial. On doit être suffisamment intelligent pour pouvoir à la fois en - 158 - - 159 - faire sortir une de terre et en mettre une autre à l’envers. Cela peut être un peu simpliste, mais il faut aller jusqu’au bout des choses. La pyramide toute seule n’était pas complète et il lui fallait son image en miroir. Je pense que l’une et l’autre sont complémentaires. C’est ce qui finit de rattacher cette pyramide au contexte même du Louvre.

10) Le Palais Omnisport de Bercy Je trouve qu’il a été bien conçu en ce sens que son extérieur est assez joli avec la verdure. En suivant l’actualité, on peut savoir qu’il y a des spectacles de différents niveaux dans ce palais. Ce que je trouve phénoménal, c’est qu’on a osé créer quelque chose d’aussi important à Paris. Je trouve qu’avant, Paris n’était pas gagné d’avance. Sur le plan d’environnement, il y a, à proximité, d’autres bâtiments importants tels que le Ministère des Finances, la bibliothèque F.Mittérand. Tous ces monuments s’enchaînent l’un l’autre. Je pense qu’il y a une suite logique dans leur ensemble et si on aime l’un, on peut accepter l’autre aussi.

Les lieux que je n’aime pas :

1) Le Forum des Halles Pour moi, c’est quelque chose de grandiose dans lequel je me sens dans l’insécurité totale. Je n’y vais pratiquement jamais. Il est mal entretenu et mal vieilli. Ça sent mauvais et il est sale.

2) La Tour Eiffel Je trouve géniale son architecture. Mais ce que je déprécie, c’est surtout ce qu’on fait de la Tour Eiffel. C’est un monument qui est beaucoup plébiscité. On la valorise trop au détriment d’autres monuments. Elle n’est pas si attractif que ça. Malgré l’argent qu’on lui met pour l’illumination, etc., il manque quelque chose. Si on n’y prend pas garde, au nom de la Tour Eiffel, on oublie beaucoup d’autres choses. Il y a plein d’autres choses à découvrir à Paris. Pour moi, la Tour Eiffel est un peu „l’arbre qui cache la forêt‰.

3) Le Théâtre du Chatelet Dans l’arrondissement dans lequel il est implanté, il est complètement étouffé. C’est un arrondissement dans lequel on respire difficilement. Il y a plein de choses qui s’enchaînent les unes après les autres et malheureusement, ce théâtre n’est pas mis en valeur.

4) La Tour St Jacques Elle n’est pas très loin du Chatelet. C’est une tour qui devrait être plus mise en valeur. Mais dans la situation actuelle, elle n’est pas plébiscitaire et est mal entretenue. On passe à côté d’elle sans l’apercevoir. Je pense que peu de gens la connaissent.

5)Montmartre La Basilique est magnifique. Les coins à l’arrière de Montmartre sont agréables. Mais ce que je déprécie, c’est tout ce qui est en contre- bas, le côté de Barbès et de Rochechouart, c’est-à-dire, tout ce qu’il faut traverser pour arriver à Montmartre quand on y vient de l’autre côté de Paris. C’est un peu étouffant, un peu insécurisant. C’est un quartier dans lequel je me balade de moins en moins, même si je l’aimais bien au départ.

6) En bas de l’Arc de Triomphe J’ai expliqué tout à l’heure que j’aimais la haut de l’Arc. Je n’aime pas, par contre, les choses qui sont en bas de l’Arc : la sépulture du - 159 - - 160 - soldat inconnu et la flamme du souvenir ravivée. Je trouve que c’est froid et impersonnel. Quand on ravive la flamme à 18h, il ne faut pas franchir la ligne, il ne faut pas la dépasser 50cm, etc. et c’est très réglementé avec la rigueur militaire. Ceci ne convient pas au contexte où nous sommes aujourd’hui. Il faut bien sûr respecter la mémoire des gens qui ont combattu pour qu’on soit libre aujourd’hui, mais je trouve qu’on en est un peu détaché à cause de la froideur du lieu. Cette froideur a quelque part un danger en soi. Je pense qu’il faut y faire un peu de changement pour qu’on y attache plus d’importances, sinon on va oublier les gens qui ont mené les batailles pour nous.

7) La Place de la Bastille avec la statue d’un ange au milieu Je pense que symboliquement cette place a complètement perdu sa valeur historique. Il y a une espèce de grande colonne sans fin au bout de laquel on aperçoit quelque chose qui paraît complètement minuscule. Ce n’est pas représentatif du symbole même de ce qu’a pu être pour nous la révolution française. On devrait pouvoir imaginer sur cette place tout ce qu’elle représente historiquement, mais il n’y reste pas grande chose aujourd’hui.

8) La gare de Lyon et la gare du Nord Je n’apprécie pas ces deux gares pour leur manque d’accessibilité. Quand j’essaie de faire un bon accueil en allant chercher quelqu’un dans une de ces gares, je relève chaque fois un défi! Ce sont des gares qui ont, d’un côté, des ouvertures sur une partie de la France, régions sympathiques, et de l’autre côté, sur les pays étranger comme Belgique, Angleterre et les Pays-Bas. Cela pourrait être en soi un attrait. Mais tout cet attrait perd son charme. La gare du Nord est en travaux depuis longtemps. Je me demande quand ça va finir et quand on s’en sort. Jusqu’à quand est-on obligé de se prendre des poussières de ciment et de supporter du bruit de marteau-piqueur? Je n’en vois pas la fin.

9) La Cité des Sciences C’est une architecture nouvelle de Paris. Tout ce qui est de la Villette a un aspect qui pourrait être séduisant sur le plan intellectuel, mais il est minimisé, à mon avis, parce que ce lieu est un grand bazar qui est assez froid et inaccessible. Quand on est dedans, rien n’est facile pour se diriger, même s’il y a des gens pour nous aider à nous orienter. Quand j’ai quelque chose à aller voir à la Villette, un expo ou une séminaire, je demande d’abord à l’accueil où ça se passe, puis j’y vais et je ressors tout de suite sans regarder autres choses.

10) L’Institut du Monde Arabe Je ne désigne pas ce bâtiment comme un lieu inesthétique, mais il s’agit plutôt d’un monument qui n’évoque rien pour moi. C’est quelque chose pour lequel je n’ai pas d’avis en soi et avec lequel je garde une distance. Ce centre d’activité est lié avec une culture que je ne connais pas. Quand j’apprécie un tel ou tel monument, c’est souvent parce qu’il me ramène à l’histoire ou à ma culture personnel. Il faut que j’acquière plus de connaissances sur la culture arabe pour pouvoir apprécier ce bâtiment.

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YI6 / Y

<> Entretiens avec mes trois amies qui vivent au Japon. Elles sont venues visiter Paris ensemble en février ou mars 1986 pour une semaine de séjour.

Japonaise Madame Y, 40 ans, ingénieur informatique, habite actuellement à Chiba. Je précise qu’elle a fait des études d’art plastique il y a une vingtaine d’années.

1) Lieu positif - St Germain des Prés Ce dont je me souviens bien, c’est que nous nous sommes promenées ensemble dans le quartier de St Germain des Prés. Il faisait déjà noir. Dans une obscurité hivernale, l’église St Germain des Prés et les rues pavées d’autour m’ont paru très séduisantes. C’était pour moi une image très „française‰. Peut-être si je l’avais vue dans la journée, elle n’aurait pas été aussi attrayante. J’ai été impressionnée également par les gens qui marchaient dans ce coin. Ils étaient, selon moi, très „à la St Germain‰. J’ai trouvé élégants certains passants par leur allure. J’ai été attirée aussi par le choix des couleurs de leurs habits. Ils étaient habillés en couleur très claire et gaie. Par exemple, un grand-père portait un pull-over tout rouge, ce que j’ai trouvé très charmant. Le contraste entre la clarté de ces couleurs et l’obscurité de l’extérieur m’a paru très harmonieux et beau. Je n’ai pas vu cette sorte d’esthétique au Japon.

2) Négatif - magasins informatiques Je ne me souviens plus où c’était, mais j’ai vu quelquefois dans les rues les boutiques qui présentaient des ordinateurs dans leur vitrine. Certes, de nos jours, il est impossible de vivre sans ordinateur. Je comprends bien que les habitants de Paris ont besoin de ces boutiques. Pour eux, il doit être tout à fait normal d’avoir des outils informatiques ainsi présentés. Mais pour moi qui suis venue du Japon, il était très inattendu et décevant de voir ce type d’image dans les rues parisiennes. La présence de machines électroniques à la devanture des magasins ne s’accorde pas, à mon avis, avec la physionomie de cette ville dont le charme réside principalement dans son aspect classique.

3) Souvenir du Louvre C’était très regrettable de devoir le visiter en hâte. Le temps nous manquait. On n’a pas pu tout voir. Mais j’ai été quand même satisfaite d’avoir pu regarder le tableau que j’avais tant désiré voir : celui de Van Eyck qui représente la vierge Marie et l’enfant Jésus. Voir cette peinture était le but principal de mon voyage.

4) A part ça, je me souviens qu’on a visité la Place de la Bastille et qu’on a vu de loin la Basilique du Sacré Coeur. Pour ces lieux, je n’ai pas spécialement d’avis. Je me rappelle simplement que je les ai vus, c’est tout. Ils n’étaient ni beaux ni laids. Sinon, comme objet esthétique, je me souviens que les vitraux de Notre Dame étaient magnifiques.

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YI6 / S Japonaise, Madame S, 39 ans, infirmière, habite à Chigasaki. (Shônan, Kanagawa)

1) Positif - Les ponts sur la Seine J’ai été très impressionnée par les ponts ornés de sculptures. L’idée de décorer les parapets d’un pont avec de grandes statues m’a paru très française ou très européenne. Une telle idée n’existe pas, à ma connaissance, dans notre culture. Ça m’a beaucoup plu.

2) Positif - Une avenue arborée Je ne sais plus où c’était, mais nous avons marché ensemble sur une grande avenue longue dont le centre était une rue piétonne.* Sur les deux côtés de la rue, les grands arbres noueux étaient longuement alignés. Autant le boulevard continuait, autant les arbres le suivaient. J’ai trouvé très belles ces lignes vertes toutes droites qui se prolongeaient interminablement devant moi. (*Probablement, c’était Bd Richard Renoir.)

3) Positif - Les affiches et les panneaux J’ai été plus particulièrement impressionnée par les affichages dans les stations de métro, notamment par ceux qui étaient dans les passages de correspondances. Je me souviens que plusieurs posters d’une grande taille étaient affichés sur les murs larges. Très souvent, les mêmes posters étaient alignés les uns à côté des autres à une intervalle égale. En y marchant, on voyait se répéter la même image. J’ai trouvé harmonieux et efficace ce mode de présentation. Je n’ai jamais vu cela dans mon pays. Au Japon, on ne pense jamais à mettre les mêmes publicités côte à côte, mais toutes les affiches sont différentes, ce qui cause, à mon avis, la manque d’harmonie dans leur ensemble. Par ailleurs, j’ai trouvé assez jolis les panneaux dans les rues de Paris. Il n’y avait pas, par exemple, les panneaux qui brillaient comme on les voit fréquemment au Japon.* Chez nous, les publicités sont souvent faites de sorte qu’elles frappent aux yeux des passants et sont, dans beaucoup de cas, inesthétiques. A Paris, les panneaux étaient harmonieux avec le reste de la ville au niveau de leurs couleurs et de leur taille. Ils fondaient bien dans le paysage de la ville sans gâcher son élégance. (*Madame S a désigné comme exemple des panneaux repoussants ceux de Matsumoto Kiyoshi. Matsumoto Kiyoshi sont des para- pharmacies en série qui se trouvent un peu partout au Japon. On fait aussi la pub à la TV. Vous en avez vu une, en fait, dans Isézaki-chô dôri. Selon S, ils font souvent des panneaux avec des lettres noires sur fond jaune.)

4) Positif - La vitrine des boutiques de lingerie dans les rues J’ai trouvé attrayant le mode de présentation de lingerie dans la vitrine. Dans le cas des boutiques japonaises, ils cherchent à montrer trop de choses à la fois dans leur devanture, ce qui me donne l’impression de désordre. Tandis qu’à Paris, seulement quelques articles étaient joliment présentés à la façade de magasin, sans trop encombrer la vitrine, ce qui m’apparaissait très luxueux.

5) Négatif - l’odeur Comme souvenir négatif, je me rappelle qu’à Paris, il y avait des coins qui sentaient mauvais, notamment à l’entrée des stations de métro. Il y avait aussi des déchets par terre. Mais ce sont des souvenirs très vagues. - 162 - - 163 -

6) Négatif - l’étalage de la boucherie Je ne dis pas que c’était inesthétique, mais j’ai été choquée par le mode de présentation de volaille chez les bouchers. C’était peut-être des cailles ou des canards. Sans être plumés et gardant l’allure de leur vivant, ils étaient présentés nombreux à l’étalage de magasins. Puisqu’au Japon, la viande est déjà découpée en petits morceaux quand on vend, cette image de volaille m’a beaucoup étonnée et ça m’a fait peur aussi.

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YI6 /M

Japonaise, Madame M, 40 ans est professeur ou maître de conférence de psychosociologie d’une université. Elle habite à Yokohama.

1) Positif - les cafés avec leur terrasse J’ai trouvé intéressants les cafés avec leur terrasse qui s’étendait dehors, vers la place ou vers la rue, parce qu’il n’en existait pas à l’époque au Japon. Ça m’a paru très „français‰. Aujourd’hui on en trouve quelques uns au Japon, notamment à Harajuku (Tokyo). On l’appelle “ Open-café ”. Il ne s’agit pas de mettre des chaises et des tables devant le café, ce qui est interdit par la loi, mais c’est une partie du bâtiment qui est étendue vers l’extérieur et est couverte de vitres. On enlève des vitres quand il fait beau.

2) Positif - les panneaux J’ai apprécié le fait qu’il n’y avait pas beaucoup de panneaux dans les rues et surtout pas ceux de couleurs choquantes. Il n’y avait pas, non plus, de panneaux illuminés de néon comme on en voit beaucoup au Japon. Mais je ne les ai peut-être pas vus parce que nous ne sommes pas allées aux quartiers animés et populaires de Paris.

3) Positif - les musées (Le Louvre / Pompidou) Nous n’avions qu’une demie journée pour visiter le Louvre. C’était trop peu. Il fallait courir. J’avais vraiment envie d’y rester plus longtemps. Parmi les oeuvres, j’ai trouvé particulièrement intéressantes celles d’Egypte. Je ne savais pas qu’elles étaient si complètes. En revanche, en ce qui concerne les peintures célèbres, puisque le temps était si limité, j’ai l’impression de les avoir vues juste pour confirmer que les originaux étaient là. Il n’y avait aucune émotion. A mon avis, pour pouvoir apprécier ces tableaux, il faut qu’on soit plongé dans la contemplation en prenant son temps, ce qui m’était malheureusement impossible. Le Louvre est certes intéressant, mais il est trop grand pour ceux qui viennent à Paris juste pour quelques jours. En contraste, j’ai été assez satisfaite en visitant le Musée du Centre Georges Pompidou, malgré le temps limité. Je ne m’attendais pas de trouver à Paris ce genre d’oeuvres d’art moderne et c’était une bonne surprise. Ces oeuvres n’étaient pas, selon moi, très „françaises‰, mais très originales et sans précédent, ce que j’ai trouvé intéressant. Je pense que si les Français peuvent oser créer un tel musée, c’est parce qu’il existe dans ce pays un support culturel extrêmement solide basé sur leur tradition. Par ailleurs, j’aimais bien la sculpture en forme de grosse bouche sur la fontaine d’à côté. Elle était choquante au sens positif. Je n’ai pas imaginé voir ça en France.

4) Positif - Notre Dame Les vitraux de Notre Dame étaient sublimes. Leur splendeur tient, à mon avis, essentiellement à l’harmonie avec les autres parties de la cathédrale. Les vitraux seuls ne diraient rien, mais c’est puisqu’ils s’accordent parfaitement avec l’ensemble de ce bâtiment qu’ils sont beaux. J’ai eu, en fait, un peu de mauvaise conscience en entrant dans Notre Dame, parce que je ne suis pas chrétienne. De façon générale, j’hésite toujours à entrer dans un établissement religieux. Pour les croyants, c’est un endroit sacré. Je me demande si, en tant que touriste, je peux me permettre d’y pénétrer. Ne suis-je pas en train de profaner le lieu? - 164 - - 165 -

Mais finalement, c’est grâce à la conviction forte des croyants que les monuments religieux sont attrayants à tel point qu’ils incitent même les profanes à y venir.

5) Positif - l’Université de Paris (- C’était probablement la Sorbonne.) L’université n’était pas telle qu’elle est au Japon. D’abord, il n’y avait pas de délimitation nette entre les bâtiments de facultés et les immeubles d’alentour. C’était marrant. Puis, l’établissement était occupé par des gens d’âges variés. J’ai remarqué aussi que ces derniers ne bougeaient pas en même temps et ne se déplaçaient pas non plus dans la même direction. Chacun était indépendant. Ces phénomènes m’ont paru intéressants, parce que dans les universités japonaises, on ne voit que des jeunes étudiants aux alentours de 20 ans et ils sont souvent en train de se diriger en groupe et dans le même sens. L’université dans laquelle sont ainsi isolés seulement les jeunes est, selon moi, un lieu négatif. Enfin, j’ai trouvé que l’université de Paris avait une ambiance calme et stable, et dégageait une atmosphère académique qui rendait bien ce lieu esthétique.

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YI7/MP Française, 26 ans, est une infirmière. Ancien enfant du XVIe arrondissement, elle vit actuellement dans le XVe, rue de la Procession.

Les lieux que j’aime :

1) La Place du Trocadéro Je connais bien le lieu parce que nous (elle et sa famille) y sommes souvent allés nous promener. Quand j’étais au lycée, beaucoup d’amis y faisaient du roller. C’est donc pour moi un lieu de souvenir. Pour ce qui est de l’esthétique, j’aime la vue qui donne sur la Seine et la Tour Eiffel*. Le jardin de l’esplanade avec la fontaine est également beau. Quant à l’architecture du Palais, je l’apprécie par sa simplicité. Il est assez géométrique. Il n’est pas très décoré, mais assez lisse. (*Patricia compte cependant la Tour Eiffel parmi les monuments qu’elle n’aime pas. On verra son argument plus tard.)

2) L’Allée des Cygnes J’aime la statue de la liberté qui est tout au bout de l’île. Je l’aime parce que c’est surprenant d’y trouver la reproduction de celle qui est à New York. Beaucoup de gens ne le savent pas. La promenade sur cette île est très agréable. Pourquoi? D’abord par le fait qu’on a le fleuve à côté. Puis, parce qu’on peut trouver cette statue en fin de promenade.

3) Le Louvre (l’ancien bâtiment) J’aime ce musée, d’une part, pour l’architecture en elle-même, et d’autre part, pour les oeuvres exposés. J’aime particulièrement le côté égyptien. Par contre, j’ai mis la pyramide dans la liste des lieux négatifs. J’en parlerai tout à l’heure.

4) Les Halles et le Forum des Halles Ils me plaisent bien dans le sens où c’est un peu étonnant. Au niveau de l’esplanade, c’est un lieu assez ancien avec les espace verts, mais une fois arrivé en-dessous, on se trouve dans un centre commercial avec des magasins très modernes. Ça fait un contraste entre les deux.

5) La Fontaine St Michel C’est une grande fontaine qui donne sur la place St Michel. Je l’aime bien d’abord pour son architecture avec les statues* et le jet d’eau qui continue toute l’année et même la nuit. C’est aussi un lieu de rendez-vous pour nous. Il y a en général énormément de monde qui se donne R-V ici, y compris les touristes, parce qu’on ne peut pas la rater. J’apprécie donc ce lieu, d’une part, pour son architecture, et d’autre part, pour le côté amical. (*une petite remarque : Patricia ne savait pourtant pas me décrire ce que représentaient ces statues suite à ma question.)

6) Le Parc de Bagatelle Je n’y vais qu’au moment de l’exposition des roses. Ça fait une très belle promenade au milieu des roses. Toutes les nouvelles variétés et les nouvelles créations y sont présentées. Ils essaient de créer une espèce d’harmonie au niveau du jardin. J’aime aussi l’ensemble du bois de Boulogne. Nous nous y sommes très souvent allés nous promener et faire le tour du lac, parce que j’ai - 166 - - 167 - habité dans le XVIe et que ma mère y est toujours. Mais j’ai choisi plutôt Bagatelle pour un des lieux esthétiques, parce qu’on n’y va pas souvent.*

(*une petite remarque : c’est moi qui ai demandé à MP ce qu’elle pensait du bois de Boulogne, une fois qu’elle avait fini de parler de Bagatelle. Elle dit qu’elle aime le bois de Boulogne autant que le parc de Bagatelle. Cependant, en préparant la liste des 12 lieux positifs, c’était Bagatelle qui est venu à son esprit, puisqu’il s’agit d’un lieu où elle va rarement, contrairement au bois qui est pour elle un lieu habituel. Je constate que dans le cas présent, c’est la “ rareté ” qui est un des paramètres de jugement de valeur, tandis qu’il y a beaucoup d’autres cas où la “ familiarité ” joue comme un critère important.)

7) Le Théâtre des Champs-Elysées C’est un des premiers endroits où j’ai vu Francis Cabrel. Je ne me souviens pas du tout comment est son extérieur, mais c’est son intérieur qui reste dans mon esprit. Si je le compare avec le Palais de Bercy qui est immense, c’est une toute petite salle avec des fauteuils de théâtre en rouleaux rouges. Voir un artiste tout près de vous crée un rapport plus sympathique que dans une grande salle. J’aime également voir l’avenue des Champs-Elysées. Elle est belle avec toutes ses boutiques somptueuses et les touristes. Mais évidemment, c’est la nuit que les Champs apparaissent les plus magnifiques avec toutes les lumières. Par rapport à Paris, cette avenue est vraiment immense. J’ai l’impression qu’elle est la plus large et la plus longue des avenues. Elle me rappelle New York, à Manhattan.

8) 9) L’Arc de Triomphe et l’Arche de la Défense J’ai mis ensemble ces deux parce que pour moi, ça fait une association. On a associé l’ancien avec le moderne. Pour la construction de l’arche de la Défense, ils ont essayé de reproduire le modèle de l’Arc de Triomphe, mais en version moderne. Ils ont donc repris la même structure de base. Aussi, c’était une bonne idée de les construire dans le même alignement. En se mettant devant l’Arc, on voit bien leur suivi. En somme, c’est le lien des deux qui me plaît.

10) La Place Rodin (75016) Il n’y a rien de particulier, mais j’aime cette place parce qu’elle se trouve juste en face de chez ma mère. C’est une petite place et il y a au milieu une statue de Rodin entourée de fleures. Ce n’est pas une statue connue, elle représente simplement un homme. Les voitures passent autour. La place est entourée par quatre immeubles d’une construction ancienne. Ce que j’aime plus particulièrement, c’est la vue que j’ai depuis chez ma mère. Cela fait une ouverture ronde. Comme son appartement est au deuxième étage, je suppose qu’on a une meilleure vue que si on est plus haut. Je regardais souvent cette place quand j’étais petite et cette vue me rappelle un peu de mon enfance.

11) Virgin - Mégastore de l’avenue des Champs-Elysées Je l’ai fréquenté avec des amis quand j’étais au lycée pour chercher des disques. L’architecture extérieure est assez simple avec des baies vitrées, mais c’est surtout son intérieur que j’aime. J’ai des souvenirs de l’immensité du magasin. Avec énormément de couloirs, ça fait comme un labyrinthe. Quand on ne le connaît pas bien, on ne sait pas où aller et comment les choses sont rangées. Mais à force d’y aller, on finit par le connaître. Je trouve intéressants ces couloirs qui se retrouvent tous finalement. Par rapport à Mégastore, l’intérieur de la - 167 - - 168 -

Fnac est beaucoup plus structuré. Je lui préfère Mégastore, parce que j’aime bien m’y perdre.

12) La gare Montparnasse J’aime cette gare, d’une part, parce que j’y prends souvent le train pour aller au sud-ouest, et d’autre part, j’aime son architecture. D’abord, quand je la regarde de face, il y a au milieu une grosse pendule qui est faite avec de simples bâtons. J’aime cet horloge pour sa simplicité. Et puis, je ne sais pas si c’est parce que les trains qui partent de là vont vers la Bretagne, mais face à cette gare, j’ai toujours l’impression de me trouver devant un grand paquebot.

Les lieux négatifs : 1) Centre G. Pompidou Lorsque je l’ai vu pour la première fois, je me suis dis : quel horreur! Il y a trop de couleurs. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de structure. Mais après, j’y suis entrée et ai vu une exposition de sculptures qui était très bien faite. Il y avait de grands couloirs où on pouvait se promener. C’était agréable. Ce que je n’apprécie donc pas de ce lieu, c’est la différence entre les deux : l’extérieur et l’intérieur.

2)3) Les tours de la Défense et celles de Grenelle D’abord, je ne trouve pas belles les tours carrées qui s’y trouvent. Elles dénotent* aussi par rapport aux vieux immeubles d’à côté, peut- être pas à la Défense mais surtout à Grenelle. Ça fait vraiment bizarre de voir ces grandes tours au milieu. (*Je ne sais pas si l’usage du mot “ dénoter ” est correct dans cette phrase, mais j’ai gardé le terme de l’interviewée.)

4) La Maison de Radio-France Je n’apprécie pas, d’abord, sa forme toute lisse avec de petites fenêtres. Elle est trop „homogène‰ et on ne voit pas de quel côté il s’agit. Puis, encore une fois, il y a trop de différences avec les vieux immeubles d’autour. C’est un gros paquet qui est arrivé au milieu du vieux quartier du XVIe. Ça dépareille. Par contre, ma mère trouve très bien cette architecture, parce qu’il y a justement ce côté lisse. Selon elle, pour une construction moderne qui a été implantée au milieu de vieux immeubles, elle a été très bien faite et est très harmonieuse avec le reste.* (*Patricia a discuté avec sa mère au téléphone pour préparer sa liste de 12 lieux. Sa mère n’avait pas toujours le même avis qu’elle.)

5) La Place du Palais Royal et les colonnes de Buren L’ancienne cour est jolie, mais il est bizarre de voir ces colonnes implantées ainsi dans un espace ancien. J’ai l’impression que c’est quelque chose d’inachevé. D’ailleurs, je ne connais personne qui les aime.

6) La Tour Eiffel Je reconnais que c’est un monument national, mais son architecture en métal n’est pas jolie à regarder. Pour moi, ça fait un peu le jeu de Mécano pour enfants. Par contre, elle est belle quand on la regarde illuminée la nuit, et c’est encore mieux quand elle est faite avec les illuminations du nouvel an. Je trouve que ça lui donne un autre air. Mais c’est parce qu’on ne voit plus cette structure métallique à cause des lumières.

7) La Pyramide du Louvre - 168 - - 169 -

La Pyramide en soi est superbe. Ça fait un rappel à l’Egypte. La structure en verre est très belle. J’aurais pu même la compter parmi les lieux esthétiques. Mais, ça fait anachronique de la mettre au milieu de la cour du Louvre, le lieu qui est si ancien. Elle ne s’y accorde pas. Par contre, selon ma mère qui était passée par là une fois la nuit, la Pyramide faisait à ce moment quelque chose de complètement différent. On ne voyait plus sa vraie structure, mais seulement sa forme illuminée. Elle a beaucoup aimé cet effet avec les illuminations du soir. Mais moi, je ne l’ai jamais vue la nuit, donc je ne le sais pas.

8) La Bibliothèque F. Mitterand Je n’aime pas son architecture. Ce sont 4 grandes tours très simples qui se ressemblent les unes aux autres. L’idée en soi n’était pas mauvaise, mais ce qu’elle a donné n’est pas joli à voir. Les tours sont trop grandes et trop lisses. Peut-être, a-t-on trop voulu bien faire.

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YI8/ K Japonaise, Mme K, vendeuse, 62 ans, vit en France depuis 1980. Elle habite dans le IVème arrondissement, dans le quartier St Paul.

Les lieux que j’aime* : (*Madame K m’a précisé, avant de commencer, qu’elle aimait tout ce qui concernait l’histoire de la France, notamment celle de l’ancienne époque.)

1) En bordure de la Seine Marcher en bordure de la Seine est pour moi un grand plaisir. J’aime plus particulièrement le bord de l’île St Louis pour son ancienneté.

2) Les Thermes de Cluny C’est un lieu de mémoire. A ce titre, je l’aime bien.

3) L’île de la Cité J’aime les monuments construits sur cette île : Notre Dame, l’Hôtel Dieu et la Conciergerie. Ces édifices remémorent l’histoire de Paris.

4) Le Louvre En entrant au sous-sol, on peut voir la trace de l’ancien palais, notamment les tours. La valeur et la beauté du Louvre résident essentiellement dans son histoire. J’aime contempler ses traces historiques en imaginant ce qui s’était passé autrefois à ce lieu.

5) Le mur de l’enceinte de Philippe Auguste (75004) Tout près de chez moi, derrière l’église St Paul et à la rue des Jardins-St-Paul, il reste un fragment de l’enceinte de Philippe Auguste. Je passe souvent exprès ce chemin pour regarder ce mur. Ça me fait plaisir.

6) L’Opéra Garnier Son architecture est magnifique ; son extérieur ainsi que son intérieur. Elle est de Napoléon III. Les ornements sont complexes. Le sol qui est fait de marbre rend le lieu encore plus luxueux. En revanche, la salle de spectacle est une partie que j’apprécie moins sur le plan architectural.* (* Madame Keiko est une grande amatrice de l’opéra. Elle y va plusieurs fois par mois.)

7) Le Marais J’aime plus particulièrement les hôtels du quartier : l’hôtel de Sens et l’hôtel Sully. Je les apprécie, d’une part, pour leur jardin qui est très agréable, et d’autre part, pour leur architecture inspirée du style italien.

8) Une résidence de la rue Chardon Lagache (75016) Ça vient de mon souvenir personnel. Il y a plusieurs années, je suivais les cours de chant chez mon professeur, Madame Badart, qui y habitait. C’était une résidence formée de quelques immeubles luxueux dont le milieu était un jardin arboré. Elle n’était pas loin du bois de Boulogne et j’ai senti que l’air y était très bon. C’était un plaisir d’y aller.

9) Neuilly sur Seine (92) J’aime le côté où il y a l’Hôpital Américain. C’est un coin très résidentiel avec de beaux immeubles et beaucoup de verdure. Il dégage une ambiance tranquille, stable et riche. - 170 - - 171 -

10) La Grande Arche de la Défense Ce qui me plaît plus particulièrement, c’est son alignement avec l’Arc de Triomphe et la Place de la Concorde. Ils forment ensemble une unité. La vue est magnifique surtout le soir avec les illuminations.

11) Cité de la Musique à la Villette C’est une architecture moderne très bien réussite.

12) Restaurant Petit Riche (Bd des Italiens) Je trouve ce restaurant très classique pour son décor ainsi que pour sa cuisine. Ils font de la cuisine de la Loire qui est simple mais exquise.

Les lieux que je n’aime pas :

1) La bouche d’aération du métro qui est sur le trottoir de la rue de Rivoli Elle se trouve à la sortie de la station de métro St Paul, à la jointure de la rue de Rivoli et de la rue St Antoine. Elle laisse sortir de l’air chaud qui est désagréable. Je n’aime pas marcher dessus parce qu’elle n’a pas l’air stable. J’ai toujours peur de tomber dedans. Mais si je la contourne pour l’éviter, je risque de me faire renverser par une moto. C’est un lieu que je suis obligée de traverser pour prendre le métro, mais je ne sais toujours pas comment y passer.

2) Le métro Je n’aime pas le métro dans son ensemble. L’air est très mauvais. On se sens dans l’insécurité. Ça me fait encore plus peur quand je le prend le soir.

3) Les stations de RER Le réseau des stations de RER est si compliqué que je n’arrive jamais à le comprendre. De plus, elles sont très sales et il y a partout des déchets.

4) Les cafés qui empiètent sur le petit trottoir Dans mon quartier, à St Paul, les trottoirs sont en général très exigus. Or, il y a des cafés qui débordent sur le trottoir qui est déjà étroit. J’ai toujours du mal à y passer.

5) L’endroit où il y a des pigeons De façon générale, je n’aime pas les lieux où il y a des pigeons, qu’ils soient dans la rue, dans le square ou sur la place. Je trouve particulièrement désagréable quand ils s’envolent en masse en frôlant presque ma tête. Je n’aime pas leur roucoulement, non plus.

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AF Japonais, 69 ans, habite Kyôto.

“ Y a-t-il 12 lieux que j'aime ou que je n'aime pas dans la ville de Kyôto, où j’habite, c'est une question difficile. Même a Kyôto, réputée la plus belle ville du Japon, il n'y a pas beaucoup de quartiers intéressants dans le centre de la ville. Dans les quartiers plus urbains et plus centraux, les paysages sont déjà dévastés par la construction désordonnée de hauts immeubles et de bâtiments très laids. C'est la même chose a Tôkyô, en plus catastrophique. A Tôkyô, même la banlieue a déjà disparu.

Il y a plus de lieux attractifs dans la banlieue de Kyôto, car beaucoup témoignent de scènes historiques. Ce n'est pas toujours une évocation matérielle, mais plutôt émotionnelle, un souvenir, une réminiscence. Mais il y a cependant un rapport étroit entre le charme du paysage et l’évocation de la légende, qui le baigne de sa propre atmosphère. Ainsi j'aime beaucoup la banlieue ouest de la ville, le quartier de Sagano, près d’Arashiyama (qui est trop populaire et devenu banal aujourd'hui). Plusieurs endroits sont présents dans la littérature classique (les contes de Yukionna –la femme de neige-, ou de Miminashihôichi –Hôichi qui n’avait pas d’oreilles-), et l'ensemble du quartier nous produit des impressions agréables. C’est le cas du cimetière Adashinonenbutsuji, où étaient enterrés les multitudes d’enfants avortés. Chacun est représenté par une statue de Jizôsama. La partie ouest de la ville, comprises entre Arashiyama et le centre, a été longtemps humide et marécageuse (le quartier Uzumasa était habité par les seuls coréens autrefois), aussi les gens la fuyaient-elle et la ville s’est-elle déplacée vers l’Est. Peut-être Sagano est-il ainsi demeuré longtemps à l’écart de la ville, et plus longtemps préservé. Ce printemps, je suis allé à Okitayama, un village dans les collines au nord-est de la ville, autour desquelles on cultive les sugis très hauts et rectilignes avec lesquels on construit les tokobashiras. Je ne savais pas que s’y trouvait un jardin des cerisiers : il y avait beaucoup de monde, et le droit d’entrée était très cher (1500¥ par personne). Actuellement, je vais aussi souvent me promener le long de la rivière Kamogawa, presque quotidiennement (parce que c’est proche de chez moi), et j’en remonte la rive depuis Kuramaguchi jusqu’au second pont, celui de Kitayama. [C’est sur cette portion que la ville a fait planter des cerisiers, et ceux-ci composent un vrai tunnel de neige au moment de la floraison. C’est un spectacle d’une grande beauté, éphémère, et le vent qui emporte les pétales forme des tourbillons légers qui rappellent la neige heureusement passée] A la tête du pont de Kuramaguchi se trouve un cerisier plus ancien, et bien plus gros, que je m’étais attaché à visiter et à prendre en photo chaque année. Mais cette année, j’en ai perdu le goût.

On pourrait croire que j’aime ce chemin comme j’aimerais ma rue (Kuramaguchi dôri) et mon quartier. Mais c’est faux. Je ne les aime pas et ne les ai pas choisis. J’habitais Sapporo à l’époque, juste vant ma retraite, et ne pouvais le quitter tant il y avait d’occupation. Pourtant, il me fallait trouver un nouveau logement ici, à Kyôto. C’est la femme de mon professeur (décédé l’an dernier) qui, se promenant dans cette rue, a vu cet immeuble en construction. Questionnant le daiku (le maître charpentier), elle sut qu’il allait rapidement être mis en location, et m’en avertit. Mais je ne pouvais décider au loin, et c’était le 26 décembre 1994, le dernier jour ouvrable de l’année, dans une période très occupée. J’ai dû demander à mon fils aîné de faire le voyage pour aller voir. - 172 - - 173 -

J’habite donc cet immeuble depuis 5 ans, mais je n’apprécie pas le quartier, je ne connais pas les voisins de l’immeuble. Tout cela ne m’intéresse pas. Il y avait eu l’auteur d’un grand dictionnaire très célèbre au Japon qui habitait ce quartier, mais il est décédé, ainsi que son fils, récemment. J’aurais pu habiter dans le quartier où réside l’une de mes sœurs, mais je n’apprécie guère son mari. Le seul avantage : je suis près d’une station de métro, en ligne directe de la gare centrale, très commodément pour aller prendre mon train hebdomadaire. Ce n’est pas un quartier que je fréquentais quand j’étais étudiant, juste après la guerre. Originaire de la préfecture, mais côté mer du Japon (ura-nihon, le japon de l’arrière), j’ai passé 6 ans à l’université de Kyôto, de 51 à 57, et j’ai déménagé 4 fois, d’une chambre cehz l’habitant à l’autre. - La première, où je suis resté 2 ans, se trouvait un peu à l’ouest de de Higashioji, au-dessus du chion-ji, près de Hyakumanben. - La seconde était au bord du canal Sosui-bunryu, près de la préfecture de Kyoto. Je n’y suis resté que 6 mois. - La troisième, pour 4 ou 5 mois à peine, était près de la première, et du Chionji. - la quatrième, pour une durée équivalente, était près de l’hopital de Kyodai. - La cinquième enfin, où je suis demeuré 2 ans, était de nouveau plus au nord, mais un peu moins, au milieu du quartier Shimogamo, au N-O du sanctuaire. [il faut remarquer qu’elles se trouvent toutes dans un périmètre restreint, autour du confluent de la Kamogawa et de la Takano, près de l’université naturellement]. Revenant habiter Kyoto presque 40 ans après, j’ai voulu retrouver ère ces ùmaisons, comme un petit pèlerinage. La 1 avait disparu, la seconde était encore en place, avec un extérieur presque intact. J’ai demandé à la visiter, mais le maître de maison, âgé et malade, était au e lit. Je n’ai pas pu retrouver la 3 au sein des petites rues toutes si e semblables du quartier. La 4 existe encore, avec la même façade. Peut-être l’intérieur a-t-il été modernisé. La dernière semble pareille qu’à l’origine, mais je n’ai pas pu en visiter l’intérieur non plus : n’y habitait qu’une vieille femme seule, un peu apeurée. C’étaient toutes des maisons en bois, machiyas plus ou moins grandes, typiques de l’atmosphère urbaine de Kyôto. Trois d’entre elles au moins sont conservées dans leur apparence : je pense que c’est à peu près ce qu’il reste du tissu urbain ancien de la ville, du moins de plus de 40 ans, 60% en gros. [Y a-t-il des statistiques municipales sur l’âge des maisons de Kyôto ? Peut-être reconstruit-on plus souvent les petites maisons, de moins bonne qualité, que les grandes machiyas, de meilleure qualité, dont on ne rénove que l’intérieur ?]

Pourquoi aime-t-on son quartier. Pourquoi les japonais s’y sentent- ils bien, même s’ils n’oseraient pas le nommer parmi 12 lieux de beauté personnelle, par timidité ou parce qu’il n’est pas célèbre, qu’aucun consensus ne leur apporte d’approbation, qu’ils risqueraient d’être le clou dont la tête dépasse et sur lequel tombera le marteau, parce qu’on n’affirme pas de jugement personnel. Mais peut-être est- ce une notion de anjin (anjin suru : se rassurer, se tranquilliser), celle d’un lieu paisible, familier, sécure.

Il y avait un restaurant, dans le centre ville, près de Keian-sanjo, que - 173 - - 174 - je fréquentais. Mais ce n’étais pas que j’aime ce quartier. C’est seulement que ce restaurant était moins cher, pour une qualité convenable. Tout ce quartier des avenues commerçantes centrales, Kawaramachi dôri par exemple, objectivement : ce n’est pas beau. Et pourtant, les habitants de Kyôto en sont “ fiers ”. Les visiteurs et touristes des autres villes sont admiratifs, non pas de la ville elle- même, mais de l’atmosphère (funiki). [une atmosphère de kermesse, de joyeux commerce, de fête presque, de produits de qualité et de grande renommée, de distinction parce que les Kyôtoites se croient encore la capitale qu’ils ont été pendant 1000 ans, et se prennent pour des aristocrates]. Les habitants de Kyoto entretiennent un complexe de supériorité par rapport à ceux d’Osaka, par exemple, la ville marchande, côtière, celle des pêcheurs. Il y a aussi quelques lieu que j’aime, en-dehors de Kyôto. Par exemple Setonaikai, la mer intérieure du japon [pourquoi ?]. Ou bien Asuka, une très petite ville au sud de Nara, près d’Imai-cho. C’est aujourd’hui essentiellement un paysage de rizières. Il faut faire un effort d’imagination pour retrouver l’épopée de l’ancienne capitale, celle où s’est formé le Japon, en 645. On y fait des fouilles actuellement.

Maintenant, je ne peux pas énumérer 12 lieux. Je réfléchirai.

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AB Français, 25 ans, J'habite à : Belleville Je travaille à : Place de clichy

J'aime : -Belleville , pour son melting-pot réussi . -Le marais , pour sa densité historique et ses rue médiévales . -Le quartier latin , pour ses ruelles et l'eternelle legerete de ses promeneurs . -Le monument au génocide nazi à l'extermite de l'ile de la cite , parce qu'on peut y être seul , sur la proue du monde , au dos de 3 cars de japonais qui jamais ne franchiront les bien symboliques barrieres qui vous separent . -La petite ceinture , parce qu'on y rencontre un calme , une lumière et une vegetation , que je n'ai vus ailleurs que dans les canyons - en pleine ville. -Les catacombes , parce qu'on y sent physiquement battre le coeur de la ville , aux ondes de chocs dans les grandes orgues hydrauliques , au passage d'un metro , ou d'un ouf' qui court avec son poste sur le dos vers une destination enigmatique , entouré des échos de sa probable techno et de l'ombre des tunnels . -Les quais pietonniers , les canaux , ou la voie sur berge quand elle est restituee au pietons . Pour le bonheur tranquille des gens qui vont , au rythme de l'eau ou des ecluses , suivre le ballet automatique des pont-tournants. -les arenes , pour la discretion de l'acces sur la rue monge (?), leur hallucinante integration au milieu d'un paté d'immeubles , et au milieu de gens normaux , qui y jouent au foot , a chat , au boules , qui pissent , s'aiment , et gravent leurs noms dans sa pierre . -la tour montparnasse , vue de loin , pour son coté menhir urbain , borne carrefour à l'echelle des megalopoles , renforcée par l'analogie visuelle avec les monolithes de Clarke et/ou Kubrick . -le parc des buttes-chaumont pour le relief qui fait trop souvent defaut à Paris . -les rues de montmartre , a la fois tortueuses et escarpees , un labyrinthe aérien infini (?) dont le relief ouvre la vue sur Paris . -le parc de Belleville pour sa rehabilitation d'un site sinistré et les couleurs d'or dont il se peint le soir - si si , ca tient chaud .

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CBL Française, Habite Courbevoie

LIEUX QUE J'AIME

- Pointe de l’île en face de la Samaritaine - La Sorbonne, la cour d’honneur - la place près de la rue Mouffetard (Contrescarpe) - Quartier de Montmartre - Le champ de courses de Longchamp, la nuit - Place Vendôme - Quai entre la place St Michel et la Samaritaine - Musée de l’Orangerie et la Place de la Concorde - Passage entre place du Châtelet et place des Halles - Passage Verdeau - Place des Victoires - Place du Théâtre de l’Athénée, Square Louis Jouvet

LIEUX REPROUVES

- Galeries souterraines des Halles - Bd des Italiens, café “ Les Parasols ” - Préfecture de Nanterre - Tribunal de Police (quai) - Parc des expositions - Place de la Madeleine - Caserne des pompiers (actuel siège de Paribas) - Station de métro Châtelet - Rue descend aux Francs Bougeois - Sèvres Babylone - Sous la Tour Eiffel - Quai “ aux animaux ” Samaritaine ou Louvre

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CRC Français, la cinquantaine, ont habité longtemps Paris mais aussi la province

pourquoi les "endroits" que je préfère (où je préfère être, ou bien que j'aime contempler) sont rarement des lieux "citadins": mon lieu préféré, par exemple, c'est tout simplement le banc d'Arguin, un petit îlot de sable, au large du Bassin d'Arcachon). N'empêche que dans la première liste, ex abrupto, on trouve: - ce que R. n'aime pas: Les Halles, Le 16ème arrondissement dans son ensemble (sinistre), et l'impression d'un grand désarroi (regret que des lieux aussi prestigieux soient aussi ternes:): rue Cuvier ou rue Buffon qui ne vaut guère mieux. Dans ce qu'il aime: la terrasse de la Samaritaine! Moi aussi, mais plutôt l'ensemble de la Samaritaine, que je trouve un des plus beaux monuments de Paris (!!!), vu du quai en face! et surtout la nuit éclairée Mais aussi la Place des Vosges (pas pour des raisons ésthetiques, mais sentimentales), la place Furstenberg et le Carreau du Temple (même type de raisons); la Place du Parlement à Bordeaux vue du 4ème étage du seul immeuble laid, ce qui fait qu'on ne le voit pas (ça c'est pour des raisons esthétiques); mais aussi la rue des Batignolles à Paris: les dimensions idéales d'une ville comme je les aimerais toutes.

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CC Italienne, a Habité Paris plusieurs années

LIEUX QUE J'AIME

- Père-Lachaise J’aime l’archi funéraire en général. L’autre ville des plus (de ceux qui n’existent plus ?) et aussi les tombeaux des grands et aussi bien regarder les gens qui vont au cimetière pour renouer les liens avec les morts - Palais-Royal J’aime le jardin clos, architectural, et j’imagine ceux qui habitent les immeubles et regardent en bas. Je prenais toujours mon repas, un sandwich, dans ce jardin quand il faisait beau - Théâtre de la Bastille J’adore les théâtres et celui-là est une véritable machine à musique plus austère que les théâtres à l’italienne, mais pas aussi chargé que le palais Garnier - Place des Vosges cf 2 (Palais-Royal) La place est bien dessinée, avec le square arbré. J’allais manger de temps en temps à “ ma Bourgogne ”, sous les arches, c’était bien - Rue du Sacré Cœur J’aime bien la rue de Paris du Sacré-Cœur, j’aimais le voir dans la nuit de ma fenêtre, au 17e étage Bd Arago. C’était comme chez moi, avec la colline et l’église de Notre-Dame de Lourdes ( ?), vue de me fenêtre à Vérone. - Egout Barbès Je suis attirée par les villes souterraines, les catacombes, etc… Le ventre de la ville, c’est une question de tripes… - Sainte Chapelle C’est un bijoux petit et précieux avec les vitres colorées, avec la lumière de l’extérieur - Saint Eustache Une grande église où il y a tout dedans, très protectrice ; il y a toujours un coin pour soi-même. - Salle de la licorne au Musée de Cluny Ce sont les plus belles tapisseries que j’ai vues, très fines, avec le fond rouge… j’imagine un grand château avec l’énorme cheminée et des temps de vie très lents - Trocadéro : Musée de l’homme, les salles d’ethnologie Je suis intriguée par le vieux musée poussiéreux avec beaucoup de choses dedans, une sorte de “ WunderKammer ” - Musée des arts décoratifs Je ne considère pas les arts décoratifs comme des expressions artistiques mineures : un mobilier d’Emile Rhulman a la dignité d’un tableau de Braque - Bassin de la Villette Une ville sans eau, c’est un corps sans veines ; j’aime l’eau qu’on peut toucher, et même vivre sur une péniche

LIEUX que je n’aime pas

- L’Elysée Les Palais du pouvoir sont froids et sans charme - La tour Eiffel Un pauvre squelette sans chair (pierres), trop pointu et invivable

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- St Germain J’aime l’Eglise, mais le quartier est trop touristique : on va y chercher ce qui n’est plus là - Les Tuileries cf. le 1. Des Palais-prisons, mais la façade, vue de la rive opposée de la Seine, est belle - La Gare d’Orsay Bonne idée, mais la réalisation le fait ressembler à un mausolée, un scénario des arènes, (genre Aïda ou Nabucco), du papier mâché - L’arche de la Défense Belle forme, mais trop “ objet ”, trop imposante, trop “ signé ” et peu “ ville ” - L’Etoile cf 6 (ci-dessus). Une échelle géante ; beau sur un plan - Les Champs Elysées moins bien à parcourir en promenade - La rue de Rivoli anonyme et trop large (longue ?) - Les Halles De la ferraille, du moderne à tout prix, une occasion ratée - L’aéroport Charles de Gaulle l’étoile en forme d’aéroport, trop loin et dispersé - Les Bateaux Mouches les mauvais restes de la navigation fluviale, on est trop en bas sur la seine

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DP Français, la cinquantaine, habite et travaille à Paris

J’AIME

•Jardins du Trocadéro J’aime cet espace ouvert, herbu et pentu. Le bassin, au milieu, avec ses canons d’eau. La Seine qu’on aperçoit en contrebas. Les chats, sutout, qui peuplent l’ex-aquarium. Le dénommé hercule, en premier lieu, qui hante la cinémathèque de Chaillot.

• Parc Montsouris A du charme à revendre en toute saison. Le lac est gros de curieux palmipèdes. J’aime entrevoir le chemin de fer de ceinture, tout en bas, à travers les branchages.

• Cimetière Montparnasse J’y ai beaucoup de répères : les tombes de Jean Seberg, de Delphine Seyrig, de Samuel Beckett et de Jacques Becker. Suis attentif aux moindres signes : les fleurs toujours fraîches pour Delphine, les photos pour Jean Seberg, les petits cailloux disposé en forme de cœur.

• Jardin Tino Rossi C’est le bord de Seine, sur la rive gauche, qui va du pont d’Austerlitz au pont Sully. Me fascinent les gens de la brigade Fluviale. Mon Dieu que je les envie ! Une planque royale, à mon avis.

• Quai de Valmy C’est la Hollande à Paris. Le rythme désuet des écluses. L’eau du canal en sandwich entre les voitures. Les passerelles qui se font écho.

• Bassin de l’Arsenal Dernière portion du canal Saint-Martin avant la Seine. Le petit bonheur des bateaux de plaisance bien bichonnés. Juste un soupçon d’agitation, au ralenti. Byzance, non ?

• Allée des Cygnes On dit parfois l’île des cygnes. Mais je préfère allée, car ce n’est qu’une digue artificielle. J’aime cette promenade au milieu de la Seine, le ballet des mouettes et l’odeur des tilleuls au moment de Rolland-garros.

• Maison de Balzac Petite merveille avec verdure, calme et peu de visiteurs. On peut l’abîmer dans la cafetière d’Honoré, son encrier et ses corrections d’épreuves à faire s’évanouir n’importe quel imprimeur.

• Jardin du Ranelagh Aimable verdure avec guignol, petits ânes et le bronze de La Fontaine. Le charme des beaux quartiers y est comme une roue libre.

• Passage Jouffroy J’aime la lumière tamisée, le froufrou des passants près du musée Grévin. L’hôtel Chopin avec la pendule de la marque Wagner. La magnifique librairie de cinéma devant laquelle je m’attarde à loisir.

• La Salpêtrière Ce n’est pas un hôpital, mais une ville. Une ville d’allongés, certes, - 180 - - 181 - mais on n’y sent pas la maladie quand on longe la chapelle Saint- Louis ou qu’on baguenaude promenade de la hauteur, à côté de talentueux joueurs de boules.

• Arènes de Lutèce Là aussi, les joueurs de boule ont du savoir-faire. Me fascine le fait qu’ils côtoient bien souvent quelques jeunes excités du ballon rond. Les gradins en arc de cercle font résonner l’histoire lointaine.

JE N’AIME PAS

• Rue de la Chaussée d’Antin Les passants y sont toujours légion. Il faut sans cesse jouer des épaules et slalomer pour avancer sur le trottoir. Sentiment de fatigue, à l’œil et dans les jambes. Pas de plage nulle part.

• Métro Siant-Lazare Sentiment d’espace impossible à maîtriser. On ne peut que s’y perdre, que revenir sur ses pas, hésiter, pester et buter sur le autres.

• Rue Pouchet Impression de froidure et de désolation. Une rue droite qui, pour moi, ne mène nulle part.

• Maison de sciences de l’homme Je m’y sens mal dès que je franchis la porte. Je n’ai qu’une envie : en sortir au plus vite, d’autant que j’exècre l’air conditionné. Je laisse aux familiers des lieux les grisants papotages de palier.

• Avenue du Général Leclerc Elle n’a vraiment rien d’exaltant, et à mes yeux, et pour mes jambes. Je m’y ennuie très vite, cherche à prendre une rue perpendiculaire.

• Bibliothèque Mitterand Symbolise pour moi ce que je n’ai vraiment pas envie d’approcher. J’aimais bien ce quartier naguère, la rue Watt et tout. Mais cette architecture, dans sa suffisance, me glace les neurones.

• Arche de la Défense C’est un peu la même chose que la bibliothèque Mitterand, mais à l’autre extrêmité de Paris. Ça ne m’attire pas du tout. Je la laisse volontiers aux touristes.

• Gare du Nord Voici un espace impersonnel, où je ne peux errer que comme une âme en peine. Oui, un espace que je n’arrive pas à habiter.

• Boulevard Raspail C’est un peu comme l’avenue du Général Leclerc. Que je le monte ou le descende, je ne songe qu’à prendre l’une des rues qui croisent.

• Rue d’Assas Je peine toujours dans cette rue. Je l’arpente sans conviction, impatient de me trouver ailleurs.

• Rue du Faubourg Saint-Jacques C’est une portion ingrate entre la rue Saint-Jacques et le métro du même nom. Je ne m’y attarde pas. Je l’emprunte toujours à regret.

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• Rue de Lyon J’aime bien la Bastille et ne déteste pas la gare de Lyon. Mais la rue de Lyon, entre les deux, non, vraiment, merci. Aucun charme.

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EC 25 ans, habite et travaille à Paris depuis 2 ans.

J’aime :

1- le périphérique intérieur entre porte de Bercy et porte d’Orléans (souvenir d’enfance de Paris, premier aperçu de la capitale) 2- Rue des Vignoles et rue des Haies : les impasses (pour le reste de l’authenticité d’une ville a deux étages + les impasses et les ateliers d’artisanats) 3- le parc de Bercy et le cours St Emillion (pour la vision d’une ville moderne que ce quartier nous donne) 4- Le bar La Flèche d’Or (un des seuls bars parisiens ou je retrouve l’ambiance des bars de ma ville ou j’ai fais mes études, c’est pas loin de chez moi et je peux rentrer chez moi à pied) 5- Les bords de seine sur l’île St louis. (pour la coupe : seine – rive – balustrade – voie plantée – bâtiments) 6- Le Monument aux déportés de la guerre sur l’Ile de la Cite, par H. Pinguson (pour l’architecture) 7- Le Métro ligne 14, station Pyramide ( la ville et les transports contemporains – le métro comme la ville on déjà une histoire, a la station pyramide, j’y trouve une continuité entre cette ville historique, ce transport urbain centenaire et la ville actuelle et même la ville d’un future proche) 8- La cite universitaire internationale de Paris (parce c’est pour moi un des lieux les plus cosmopolites de la capitale, les personnes comme l’architecture) 9- Le quartier quai Citroën (je ne sais pas pourquoi) 10- Le Carrousel du Louvre et les sculptures de Maillol (pour les sculptures de Maillol et leur situation a cet endroit) 11- Le 13eme arrondissement Avenue de Choisy en descendant de la dalle – le quartier chinois (parce que je trouve les même choses qu’au Vietnam) 12- Le Jardin du Luxembourg (pour le patrimoine culturel qu’il représente)

J’aime pas :

1- Le Métro, station Châtelet (son étroitesse)

2- L’escalier entre la gare de l’Est et la Gare du Nord (de très mauvais souvenirs personnels)

3- La Place Vendome (un luxe trop bourgeois pour moi)

4- La très grande Bibliothèque de France (pour son architecture, sa taille, sa non-urbanité…)

5- L’Ecole Militaire, le champ de Mars et derrière l’Ecole Militaire, entre l’avenue de Lowendal et le Bd des Invalides (les espaces qu’ils soient bâtis ou non sont trop grands, hors échelle par rapport à l’homme)

6- Les Halles (ça sent pas bon, il y a trop de monde) - 183 - - 184 -

7- L’intérieur de la Samaritaine (luxe chaotique – c’est un Bazard bourgeois)

8- Les quais de la Seine : quai d’Orsay et quai Branly (je suis piéton et c’est très dé-agréable de marcher le long de ces quais)

9- Les entrées de la Gare de Lyon et entre la Gare et le Ministère des finances (urbanisme sans urbanité)

10- Les banlieues (je connais pas la banlieue et à chaque fois je suis perdu… je suis un piéton et la banlieue à pied… c’est dur)

11- La place de l’Etoile (c’est un endroit trop ‘nationaliste’ – “ à la gloire des armées françaises ” c’est trop pour moi)

12- Les bars des rue de l’Happe et du Faubourg St Antoine près de Bastille (c’est pour un jeunesse qui n’est pas la mienne ni celle de mes amis – trop chic, faussement bourgeoise)

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FB Français, 35 ans, Habite à Courbevoie

LIEUX QUE J'AIME

- Café des 2 stades, près de la porte d’Auteuil - “ Paris-London ”, café disparu, Place de Clichy - le 2 rue Paul Féval à) Montmartre, où a habité mon frère - Notre-Dame, pour Quasimodo - le café Franc-Tireur, Place Tristan-Bernard, dans le XVIIe, + Statue : ce qui est écrit - Montparnasse : les petites rues, les cafés, les crêperies, mais pas le centre commercial - La rue St Martin : le CNAM (son musée) - Le quartier Montorgueil - le 163 rue St Denis - rue Lalo, dans le XVIe - Le Parc Montsouris - La cité universitaire - la fontaine St Michel - La place du Châtelet - le Parc Floral, porte de Vincennes - le cimetière du Père-Lachaise

LIEUX que je n’aime pas

- Commissariat du IX e, rue d’Amsterdam - Fourrières Balard - Tribunal de Police, sur les quais (Ier) - Portes de Vanves (les topurs près du périph. - Aquaboulevard - Porte Dauphine - Cantine sous la Madeleine - Darty Avenue des Ternes - Cercle de jeu avenue de Wagram (près de la place des Ternes) - Forum des Halles - Rue Vaugirard sud, entre la porte de Versailles et Convention - rue Olivier Lable, 15 e ( ? ? ? ? pas trouvée)

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HJ Français, 37 ans, habite et travaille à Paris

J’aime J’aime J’aime J’aime J’aime J’aime J’aime

Le bougainville, petit bistrot passage vivienne Bagatelle, bois de Boulogne, pour voir les éclipses Villa d’Alesia (14è) Place du marché sainte catherine, petit hotel (pratic) rue du marché popincourt rue lepic rue payenne jardin du palais royal Rue Manin 19è Rue Lepic Cité universitaire Village Saint Paul

J’aime pas J’aime pas J’aime pas J’aime pas J’aime

Bibliothèque Nationale de France Place de la Nation le sacré coeur les tours de la Zone Javel La defense ( centre commerciale les quatre temps) Le forum des halles esplanade du trocadero jardin des tuileries la BNF Les Halles Gare Saint Lazare Invalides

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JMG Français, habitent et travaillent à Paris

e J’aime “ Edré ”, marchand de tissus rue Ordener (18 ). Vend des tissus haute couture, rares et chers, très précieux. e J’aime le tabac de la piscine, Ave ledru-Rollin, 12 , où il y a un magnifique comptoir en mosaïque. Bon café. e J’aime la villa du bel-Air (12 ), avec ses jardinets fleuris. J’aime le jardin du musée Rodin, où l’on peut toucher. e J’adore la rue Lepic (18 ) qui regorge de victuailles, où je deviens une bête salivante. e J’aime la cité des Fleurs (17 ), avec ses sompteux pavillons. Un ilôt de rêve. J’aime la rue Tronchet, si chic, pour y dépenser toutes mes économies. J’adore la Maison du chocolat, Boulevard de la Madeleine. Le meilleur endroit du monde. J’aime la rue Tardieu, face au Sacré-Cœur. J’aime les halls de gare pleins de courants d’air, y acheter un journal et boire un mauvais café. e J’aime la cour de la rue Burq (18 ) où les chats sont rois. J’aime le parc Floral et ses plantations sagement organisées.

Je hais la cour de Rome et son interminable chantier Je hais le Boulevard St Denis, si mal fréquenté e Je hais le Parc de la Villette (19 ), trop grand, trop structuré e Je hais l’impasse Massonet (18 ) où se strouve l’école de ma fille. On y attend la sortie des classes, sous le soleil ou sous la pluie. Les élèves sortent toujours en retrad, et les parents qui se donnent la peine d’être à l’haure poireautent un bon quart d’heure. e Je hais le hall d’entrée du 12 rue Marcadet (18 ), entièrement tagué d’injures racistes, souillé de crachats et de mégots. e Je hais loa salle d’attente du cabinet médical, 7 rue St Luc, 18 , car je suis une patiente impatiente Je hais les couloirs de métro qui sont d’infâmes boyaux e Je déteste le Boulevard Ney (18 ) avec ses putes et ses camions e Je déteste le bureau de poste de la rue Ordener (18 ), où l’on prend un ticket annonçant une attente d’environ 1 heure. Je hais les chiottes des cafés, malodorantes, obscures et glauques. e Je déteste la rue de Flandres (19 ), avec ses tours vertigineuses. Je déteste le Boulevard Barbès, excessivement bruyant et surpeuplé, envahi de solderies, inondé de saloperies.

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JLPa

Français, 32 ans, Habite et travaille à Kyôto au moment du questionnaire

D’abord les “ lieux agréables ” - Les bords du petit canal (derrière le musé d’art moderne –nocturne, période lucioles- - Hobogirin (la nuit) - Grand cimetière (derrière Yoshida), jour et nuit – kurudani - Espace de tolérance de Kyôdai [c’est à dire le terrain qui jouxte l’institut Français et la coopérative] - Kyôto eki – lieu à la fois ouvert et fermé - deux grands immeubles près de Demachyanagi (burakumin) - Burakumin près de Kyôto eki (au sud) petites maisons de tôle - Omuro – ligne pour aller à Arashiyama - Ligne de train jusqu’à Shugakuin puis pour Kurama - Shugakuin (quartier de) - Bords de la kamogawa –takanogawa - Arrivée de l’acqueduc –fin du chemin de la philosophie - Au bas de kiyomizudera, jusqu’à Higashioji

et “ lieux “ hostiles ” :

- Kawaramachi dori - Quartier de l’université de Kyoto sangyo (extrême nord-est de Kyôto) - Autour de la gare de Kyôto eki - Kyôto eki – lieu à la fois ouvert et fermé - Espace de tolérance de Kyôdai

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JYPe Français, 60 ans, a habité longtemps Paris

12 lieux que j’apprécie dans la ville deParis

La petite île que traverse le pont des Arts

La terrasse au 7' de l'appartement de Renata C. 22-23 rue des filles du Calvaire

L'appartement avec jardin en rez de chaussée où j’habitais rue de la Brosse

la salle des squelettes animaux du jardin des plantes

Un restaurant Argentin de la rue Volta

La rue qui descend vers le nord est de la mosquée

L'immeuble entre deux guerres, côté hôtel du Nord, au coude du canal Saint-Marin

La voie sur berge quand on la prend de Boulogne Billancourt vers l'île Saint Louis

Le métro aérien, le soir, entre Bir Hakhem et Nation

Les petites rues et escaliers derrière le cimetière de Montmartre.

Une île de la Marne en hiver

La péniche d'une famille Russe (mari et amis de ma cousine où je dormais étant petit) près du pont de l'Alma.

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JPM Français, 70 ans, Habite et travaillait à Tôkyô

Douze endroits DE PARIS, aimés et non aimés; et non de Tokyo, que j'aime, certes, globalement, mais sans faire , ni pouvoir faire, le détail. Retournant à Paris depuis Tokyo (cela m'est arrivé une centaine de fois), le charme et la splendeur me subjuguent toujours. Retrouvant Tokyo après Paris (même nombre de fois), j'ai seulement l'impression de rentrer dans un vieux pantalon, agréable impression certes mais qui a tout de même ses limites...J'ose espérer que vous comprendrez que je ne puis, entre les deux, balancer un millième de seconde.

A- DOUZE LIEUX AIMES DANS PARIS

1 - LE MONUMENT AUX DÉPORTÉS - Cet espace d'enfermement, où on ne voit que le ciel et la Seine grise-, ces inscriptions -dont le sublime poème de Desnos "J'ai tellement…” — et cette lueur tout au fond. Rien ne m'émeut autant à Paris que ce chef d'œuvre de l'architecte Pingusson

2-PLACE DES VOSGES - Parce que c'est l'endroit que préfère l'ètre que je préfère et qu'il y a le Pavillon de la Reine, dans lequel une chambre où.

3- GARE DE LYON - Ce palais inhabitable qui se résout à l'arrière en une abstraite fuite de rails. On y va vers Lyon, l'autre Paris, et vers Milan, encore un autre Paris. Et puis le "Train bleu" est bien beau...

4- JARDIN DES PLANTES - Toutes mes flâneries matutinales - chaque fleur a son nom - mon marchand de statues et vases italiens y demeure - c'est immense et familier.

5- SAINT EUSTACHE - Non l'église mais l'orgue qui y tonne sous les doigts de mon génial ami J.G. Et aussi dans une chapelle à g. le haut relief de Mason, montrant le départ des maraîchers le dernier jour des anciennes halles.

6- RUE CASSETTE - parce que ma grand-mère y demeurait et j'allais y déjeuner sortant de la Sorbonne. Et la rue Madame, et la rue de Fleurus, et la rue de Vaugirard et les cloches de Saint Sulpice entendues constamment

7- RUE DE PARADIS - vrai paradis des amateurs de céramique et le merveilleux musée Bac(c)arat et cette galerie, dont le nom m'échappe, toute en carreaux vernissés, et...

8- VERSAILLES EN HIVER - j'y fuyais les cours d'histoire pour arpenter ses grands bois que l'hiver avait rendu si sonores. J'y étais seul le plus souvent, les statues étaient mes complices.

9- LES ANTIQUAIRES DE QUAI VOLTAIRE - surtout l'immense et fabuleuse galerie Camoin où j'ai erré des heures. Et, en face, la somptueuse façade du Louvre.

10- LE MONDE SAUVAGE - c'est un ensemble de 4 ou 5 magasins à l'entrée de la rue Saint Denis, dont je suis un habitué (pas de la rue!) : tables indiennes en argent, paravents indonésiens, brocarts d'Inde ou - 190 - - 191 - de Chine... Une énorme bouffée d'exotisme

11 - CHAMPS-SUR-MARNE - une autre de mes évasions : j'ai arpenté ce merveilleux jardin en toutes saisons. Aussi, avant d'y arriver depuis Vincennes, ce parc à la française, abandonné, où les statues et les fontaines meurent sous la végétation, et dont j'ai oublié le nom

12- LES PUCES DE CLIGNANCOURT, bien sûr, explorées mille fois, en hiver surtout chacun des 7 ou 8 marchés a sa couleur , ses objets et ses prix. Y flâner seulement, sans rien acquérir est une joie comparable à celle qu'il y a à explorer un grand magasin : les Galeries Lafayette par exemple.

DOUZE LIEUX MOINS AIMES DANS PARIS

1- GARE MONTPARNASSE - pourquoi ne l'aimé-je pas ? Elle manque d'âme; les trains qui en partent ne mènent nulle part, le quartier est un peu bête aussi (depuis que les peintres l'ont déserté); une des deux gares parisiennes que je ne hante jamais

2- PLACE DE LA REPUBLIQUE - grande et stupide à mon avis. Je l'ai traversée trois fois dans ma vie et cela est amplement suffisant

3- EGLISE D'AUTEUIL - c'est celle de toute ma jeunesse (nous habitions un vaste appartement av. Th. Gautier). Elle est laide, prétentieuse, très petit-bourgeois ... On y rencontrait Fr. Mauriac, qui se plaignait toujours de l"'extraordinaire densité des crottes de chien à Auteuil".

4- LE BON MARCHE - c'était pourtant le grand magasin de ma grand-mère mais il me paraissait "province"; les chefs de rayon avaient l'air constipés; les articles en vente d'une qualité très "bobonne"...

5- PARC DE SCEAUX - il est pourtant vaste et assez sublime mais je n'ai jamais pu m'empêcher d'y voir un médiocre Versailles, désert, trop spacieux et surtout sans un château véritable qui le justifie,

6- GARE SAINT LAZARE - belle architecture mais, elle aussi, ne mène absolument "nulle part', je veux dire ses trains ne vont vers aucun endroit sérieux. La rue de Rome, qui la flanque à gauche est plus sérieuse avec Mallarmé et l'ancien Conservatoire ... La "Nouvelle Athènes", toute voisine, m'en console chaque fois.

7- RUE DE PASSY - encore une rue de ma jeunesse, sotte et consciemment bourgeoise.

8- CITE UNIVERSITAIRE - ce faux cocktail de pavillons de tous styles, cette atmosphère de faux jardin, cette fausse harmonie, si artificielle, "entre les peuples”, tout y est vide, mort, faux, faux, faux

9- BOIS DE VINCENNES - ce n'est rien à côté de son grand frère de l'ouest, que je sillonnais à vélo durant mon jeune âge. Lui aussi, c'est un faux bois de Boulogne, avec un faux lac, des faux arbres- et Vincennes qui n'est pas loin d'être un faux château.

10- SAINT DENIS - froide banlieue nord; morne et glaciale basilique où les rois dorment dans la poussière; quartier sans intérêt - 191 - - 192 - sauf pour les soirs de Coupe du monde, bien sûr...

11- XIIIème ARRONDISSEMENT - Lui aussi, sans âme palpable (par moi au moins). La Place d'Italie est chiante, la Grande Bibliothèque aussi. Je n'y sauve que la merveilleuse chapelle de la Salpêtrière et, bien sûr, l'emporium des frères Tang à la Porte de Choisy...Que ferions-nous sans cette Asie installée ici ?!

12- MONTMARTRE - last but not least dans mon dédain ; je n'y vais jamais, je ne sais pourquoi. C'est comme les "Saisons" du sieur Vivaldi : on en parle trop. Je ne me risque jamais au-delà de la poétique rue de Douai (ah! le restaurant "La Poste"! Ah! l'hôtel Halevy où Bizet composa Carmen!).

Mais ces douze endroits, si je ne les recherche pas, je ne les déteste pas vraiment; je ne puis rien haïr de cette ville.

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JPM2

Quelques lieux de Tokyo, ou : Tokyo Nostalgie

CE QUI PARTIRA SUREMENT

Hélas les ultimes maisons de bois qui forment des rues entières de l'autre côté de la Sumida, et nombre de jardins touffus qui deviendront parkings, puis cubes de béton...

Heureusement les eaux polluées et les rives noires de cette même Sumida. D'ici cinquante ans, elle sera une coulée verdoyante d'eaux claires et d'accueillantes terrasses ... Les amoureux de Tokyo auront-ils enfin des "quais" où aller rêver ?

CE QUI S'ECLIPSERA SANS DOUTE Hélas les derniers restaurants à fausses geishas, avec leurs étangs, leurs ponts couverts et leurs jardins profonds, les sons du shamisen, leur poétique convivialité et leurs délices culinaires ...

Heureusement les nuisances sonores du métro - avertissements puérils et répétés, sonnettes stridentes et appels assourdissants : toute cette maternelle rumeur où s'ébat (et se débat) sa vie durant le "jardin d'enfants" que reste à tout jamais ce pays...

CE QUI SEN IRA PEUT-ETRE Hélas ma vieille marchande de balais, qui fabrique et vend elle-même de petits chefs d'oeuvre de vannerie, comme avant elle sa mère et sa grand-mère ... et peut-être aussi mon marchand de sucre roux...

Heureusement certaines demoiselles obstinées à s'habiller court, révélant des jambes plus brèves encore, ou à insérer de force des rondeurs luxuriantes (mais non luxurieuses, hélas) dans des réceptacles qui n'en peuvent mais ... afin sans doute de

CE QUI NE DISPARAITRA PEUT-ETRE PAS Hélas les poubelles amoncelées un matin sur deux jusque vers midi devant les maisons et entre lesquelles le promeneur soucieux de son pantalon doit ruser sans usure....

Heureusement les dernières flâneries boutiquières, tel ce long chemin coiffé de verre qui traverse sur un bon kilomètre le vieux quartier d'Asakusa, ni chauffé ni climatisé par bonheur...., ou les temples du dimanche avec leurs poétiques brocantes..

CE QUI NE SAURAIT S'ENFUIR Hélas les crieurs des carrefours, qui tympanisent le promeneur d'opinions politiques ou religieuses, au nom d'une "démocratie" dont la conception locale est que chacun peut crier où il veut les sottises qu'il veut, même là (au pied d'un hôpital par exemple) où le silence serait le bienvenu. Bouchons-nous les oreilles et hâtons le pas....

Heureusement au creux de ces rues grises, au plus profond de ces sillons de béton qu'on nous concocte en tous lieux, la grâce naturelle des filles, les hanches fines, la démarche souple et la chevelure au vent, les yeux si ingénument pervers, le genou candide sous la minijupe (celle-ci à bon escient cette fois) et le buste déjà impertinent..

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CE QUI SENVOLERA QUAND MEME Heureusement un (bientôt) vieil homme, cynique et curieux, qui a hanté cette ville tant d'années durant, afin de laisser la place à d'autres vieux hommes non moins curieux ou cyniques, mais aujourd'hui fringants et rêvant de ne jamais vieillir...

Hélas une image fuyante, mince et légère, qui côtoya peut-être la mienne au fil de ces ruelles et de ces canaux, faisant pour moi seul de ce paysage informe, monotone et gris, une carte uniquement du Tendre, tissue de magasins où l'on se ruine avec joie, de gares où l'on s'attend, d'escaliers accueillants aux escalades sentimentales, de jardins propices et de ruelles furtives, et de refuges plus secrets où.

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KS Japonais, 36 ans, Vit et travaille à Tôkyô

- Asakusa, aux environs du Sensô-ji. (mon plan n’est pas assez détaillé). NB : c’est à Asakusa qu’il m’a emmené dîner, et qu’il m’a dit qu’il me promènerait un peu plus si je reviens. - Yanaka : derrière Ueno, au Nord, le quartier des cimetières, où il reste beaucoup de temples. - Sumidagawa (Akashi-cho) : la partie de la ville basse face à Tsukuda shima. C’est là qu’il m’a emmené voir le marché au poisson, fermé puisque c’était le jour. Il aime le panorama du sommet de l’immeuble Seiroka garden. Est-ce le même que les tours de St Luc auxquelles nous nommes montés ? - Miyakezaka : au bord des douves du palais impérial, côté parlement, c’est un paysage très beau. Métro Sakuradamon / Kasumigaseki. - Chodorigafuchi : c’est un parc à l’angle creux du Palais Impérial, au Nord-ouest, célèbre pour ses cerisiers. - Omotesando - Kamiyacho, près de la tour de Tôkyô. - Tomoecho (Toranomon). A côté de Atago-Jinja, Atagoyama, se trouvent de vieilles maisons du début de Showa, mais qui sont en attente de démolition (c’est ce qu’il m’a fait visiter ensuite). - Azabu, le quartier au Sud de Roppongi, quartier des ambassades et de belles habitations, typique de la Yamanote. Beaucoup de côtes saka et de vallées Tani. - Tsukudajima - Fukagawa (métro Monzen-nakacho), qu’il me recommande chaudement de visiter, de l’autre côté de la Sumida. - Sudacho Près de Jimbocho et Ochanomizu, à côté du Musée des transports, près de Awajicho. Il y reste beaucoup de vieux bâtiments du début de l’époque Showa. Des restaurants de soba, de yakitori célèbres, anciens, traditionnels. - Jimbocho, le quartier des bouquinistes et des libraires. Au total, c’est ce qu’on appellerait un choix assez nostalgique et conservateur, forgé dans une famille probablement bourgeoise qui habite la Yamanote (Akasaka).

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LB Français, 28 ans, vit et travaille à Boulogne Billancourt

12 lieux appréciés

1 parc André Citroën (moderne, limpide, design, l'alliance du bois et du verre) 2 la place des Vosges (harmonie de la pierre et de la brique, renaissance d’une place) 3 l’esplanade sous le pont d ‘Iéna cote tour Eiffel, la beauté de la pierre, le bord de la seine, le bel alignement des piles du pont 4 Place du marché sainte Catherine : ravissante place avec des chouettes restos, en plein Marais 5 L’esplanade de la Défense : pas de bruit de voiture, on peut s’imaginer dans une station de ski en fermant les yeux 6 square du Vert galant et les deux maisons 18e qui le dominent 7 La nouvelle gare Montparnasse (un beau béton bien travaillé) 8 canal Saint Martin au nord de l’avenue de la République 9 le parc de la Villette, côté cité de la musique 10 la Cité des fleurs, XVIIe où habite une de mes vieilles tantes 11 le bassin des Tuileries (c’est toujours chouette de voir des enfants jouer) 12 rue d’Auteuil (côté petit village)

12 lieux détestés

1 Rue de Meudon (Boulogne Sud, contre le “ trapèze ” de Renault amoncellement d’épaves de voitures, avec de l’huile de vidange au sol, arbres mourants, façade industrielle en brique, pauvreté intense 2 Les tours du pont de Sèvres a Boulogne, symbole d’une construction récente qui a mal vieilli 3 La rue de la Huchette en période estivale : ça pue le touriste et la frite 4 Place Marcel Sembat (Boulogne), aucune harmonie, grands panneaux publicitaires 5 Quai de javel sous le pont du Périphérique (grand boulevard pavé, crade et inhumain) 6 L’église Sainte Jeanne de Chantal (Porte de st Cloud) espèce de grand blockhaus 7 Station de métro “ Bonne Nouvelle ”, très haute, sombre, sale populace 8 La place devant la gare du nord 9 l ,intérieur de la gare st Lazare 10 le périphérique au niveau de la porte de St Ouen (grands écrans publicitaires sur des tours immondes) 11 le front de seine (Beaugrenelle) mal vieilli, froid, obscur, venteux 12 et les champs Elysées qui grouillent d’une faune infecte

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LD Française, 50 ans, réside à Tôkyô au moment du questionnaire

choix tourné vers des carrefours à triple circonvolutions d’autoroutes, et lieux faramineux de la sorte, mais aussi :

- Les petites rues et impasses minuscules dans Ginza, qui joignent une avenue à l’autre, avec plein de bars et d’enseignes, on se croirait dans Ozu. - Gotonda (Siroganedai), tout au sud de la Yamanote. Quartier sur une colline avec plein de verdure, des maisons avec jardins privés. - Le carrefour de Roppongi / Kasumigaseki, un entremêlement de marquages, de shuto expressways, de mouvements incessants, jusqu’à la perfection graphique [le carrefour derrière shinjuku pour aller à Opera City n’était pas mal non plus] - Au sud de Shinbashi : Hamamatsuchô. La vue depuis le Wold Trade building center. Et le carrefour Daimon, avec quatre passerelles au carré. En même temps, entre les deux, un petit café de bord de trottoir où les gens consomment debout autour d’une table. - le quartier derrière Shibuya, à l’Ouest : très contrasté par rapport au quartier fou de Shibuya, très agité. Autour du Shoto museum. Des maisons avec balcons. On ne se croirait pas à Tokyo. - Le carrefour de Ginza-Mitsukishi. C’est le premier aperçu qu’elle a eu de Tôkyô, là où on l’a larguée la première fois, à son arrivée à l’hôtel, de nuit à çh du soir. - Meguro : un petit temple, presque plus un autel plein de lampions qui s’éclairent la nuit, sur Meguro-dori, vers l’Est. Et vers l’Ouest, sur la rivière, sur le pont en regardant vers le Sud, plein d’architectures dingues. - Le “ rainbow bridge ”, le nouveau pont avec monorail qu’on prend à shimbashi et qui monte en spirale et traverse une partie de la baie pour rejoindre les nouvelles îles, . Il est illuminé le soir, on voit des barques avec des lampions, comme dans les anciens Ukiyo-e ; - Et aussi, en voyant mon plan, les cimetières d’Aoyama, derrière Nezu. C’est donc un mélange de recherche de verdure et de l’aspect fou, délirant, Disneyland et Kitsch de Tôkyô, un peu de sensationnalisme journalistique aussi.

- 197 - - 198 -

MALT Française, 37 ans, habite et travaille à Paris

12 LIEUX QUE J’AIME

La tour de la Conciergerie : fascination absolument irraisonnée pour ce pan de mur

Les immeubles des quais de la seine : qualité architecturale et urbaine de l’ensemble

Le bois de Vincennes : grande étendue du bois

Le Louvre : Histoire, architecture et ville sensibles en même temps

La rue Castiglione : Démonstration physique de la naissance de l’immeuble haussmannien, donc du Paris d’aujourd’hui

Le Marais : Ensemble architectural

La place Daumesnil : Lieu familier et place de dimension assez modérée pour être utilisé et non contourné

La rue du Jour : traces du Moyen-Age populaire et église de Saint- Eustache dont la charpente (construite par les artisans maritimes de Colbert) est un lieu magique

Le quartier du Faubourg Saint-Antoine : quartier historique populaire et typologie urbaine liée à ce passé

La rue des Francs Bourgeois : rue historique très dense

La coulée verte (Bastille-Saint-Mandé) : Réalisation urbaine réussie (utilisation par les parisiens, aménagemens de qualité)

Les jardins de Bercy : Pertinence du projet urbain et aménagements de qualité

- 198 - - 199 -

12 LIEUX QUE JE N’AIME PAS

La TGB : insertion urbaine et ensemble architectural reste à faire

Le Forum des Halles : no-man’s land de la ville

Le parvis de la Défense : Orientation impossible

Les boulevards des Maréchaux : Bordure d’immeuble “ ingrate ”

Le Cours de Vincennes : Trop large donc ville séparée en deux

La rue Coriolis : Glauque (cf les quatriers de Paris de Léo mallet)

L’Opéra de la Bastille : Aberration urbaine (surtout à l’arrière), et résolution très pauvre par rapport au programme (remplacer l’épaisseur d’un cadre de scène par des micro ne fonctionne pas)

Le centre commercial de la place d’Italie (façade sur la place y comprise) : triste

L’hôpital Robert Debré : Mauvais souvenir

Les portes de Paris aux abords du boulevard périphérique : Pas définis, danguereux

La place de la République : Trop de circulation, donc impraticable autrement qu’en voitureLa portion de boulevard de

Rochechouard longée par le métro aérien et les magasins Tati : Eprouvant à pratiquer à pied

- 199 - - 200 -

MP Française, 55ans, Vit et travaille à Paris

les lieux que j'aime à Paris. Pour certains, leur découverte est récente

1) La rue des prêtres St Séverin, au petit matin au soleil, surtout sa rangée de gargouilles qui surveillent inquiétantes le petit square du cloître attenant. Sans doute pour l'imagerie médiévale et les évocations qu'elle suscite.

2) La mosquée de Paris, l'été à l'ombre de l'olivier de la première cour. La deuxième n'est pas mal non plus, c'est un patio qui s'ordonne autour d'une fontaine. Pour l'exotisme, et les faiences bleues.

3) La Pagode, sous la verrière en dégustant des thés précieux en attendant l'heure du film.

4) La rue de la clef là où il ya l'immeuble où J'ai habité avec sa petite cour et son figuier en face duquel tu habitas aussi, Ah souvenir! souvenir.

5) l'épicerie du bon marché, c'est le monde entier en saveurs qui s'offre à toi

6) la place St Médard surtout le dimanche quand des gens chantent sur le parvis.

7) La place du panthéon à la période Noël entourée de ses sapins enneigés uniquement à cette époque de l'année.

8) le jardin des plantes . Ses galeries anciennes et nouvelles et son zoo surtout, sous la volière géante que l'on peut traverser et le bassin de l'éléphant de mer quand l'éléphant y était, plus maintenant.

e 9) le cirque Alexandre Romanès, rue de chanzy depuis un mois. (11 arrt)

10)"Le totem" ce bar du musée de l'homme si fréquenté à une certaine époque.

11) la rue des cascades (20é) où naquit ma mère avec sa fontaine henri IV et non loin la maison de"casque d'or".

12) Le "grand Action" avec son écran panoramique rue des écoles. e (5 )

II-les lieux que je n'aime pas:

C'est plus difficile car on y va moins, sauf obligation.

la gare st lazare elle ne me donne pas envie de partir celle-Ià la rue taibout pleine de bureau de bureau de bureau, la rue st denis pleine de sex shop de sex shop de sex shop le mur de la prison de la santé.

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Le XVIe arrondissement, à part quelques exceptions le musée Grévin, il m'a toujours refroidi , je le trouve morbide, je déteste les métros stalingrad , gare de l'est, Chapelle pour la saleté de leur couloirs et l'ambiance générale. la rue de Rennes le samedi sutout son macdo, et ses magasin de fringues. les magasins trop chics de mon quartier, ceux de la rue des St Pères et de la rue de Grenelle et du cherche midi. Luxe luxe luxe comme" mise en demeure" ou "maison de famille" qui vendent les fantasmes des bonnes familles aux moins bonnes? A l'inverse les magasins trop cheap comme Tati OR CAR tout ce qui brille n'est pas oR Les Halles côté boutiques pour la spécialité consumérîste, le côté clan Montparnasse côté boutique,(Roussev , lacoste, idem. Il faut dire que Robin ne cesse de m'y emmener pour .... devines quoi: acheter. 3e n'aime pas les "galeries marchandes" voilà et encore moins les parking souterrain pour y accéder.

Evidemment il y en a encore beaucoup que j'aime, et je me suis un peu forcée pour ceux que je n'aime pas.

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MT Japonaise, 64 ans, vit à Kyôto

Lieux positifs (iitokoro) : - Une ballade partant de Heian Jingu, allant vers le sud par le canal de la shirakawa, au Chion-in (celui qui a une grosse cloche), puis prenant à l’ouest (sur Higashioji ?) pour aller jusqu’à la rue Shinmonzen dôri (celle des restaurants de Geishas). Quartier des antiquaires. Elle a sa nouvelle maison non loin, près de keage. - Elle dit d’abord Sagano, mais c’est en fait le “ Bamboo park ” qui est bien plus au sud, au S-O de Katsura Rykyu. Elle possède une autre maison dans les environs, encore un peu au Sud, au pied de la montagne. - Nishijin, en général. Mais elle m’avait recommandé avant la petite rue de Kamishichiken, pour aller au kitano, celle où Fujio a construit un immeuble. “ comme Gion ” me dit-elle. - Shaken le quartier au sud du Kamigamo - Manjuji (1ere rue parallèle et au sud de Matsubara dôri, 1ére au nord de Gojo, entre Horikawa et la Kamogawa - Sanjusangendo, et en particulier shishaku-in : Japanese painting, à côté de Sanjusangendo - Une ballade partant du Nanzenji jusqu’au Ginkakuji, par le chemin des philosophes ; - le Quartier de Uji : Inari jinja et le Byôdoin - Le coin des montagnes et forêts du nord, Kitayama : les temples Jingoji et kôzanji. Loin, quartier de Takao, au N-O, en bus. - une certaine Live House, où il y aurait des concertes

K me conseille des temples que je n’ai pas vu : - miidera, près de Otsu - Manshu-in, au N-E - Daigo-ji, à l’ouest de Daigo, le quartier derrière la colline de Kujoyama - Hyoshi-sakamoto, de l’autre côté du mont Hiei

Les lieux qu’elle n’aime pas (kiraibasho) : - Kawaramachi - ShinKyôgo street, qui lui est parallèle - Kyôto tower - Kyôto hôtel (grand hôtel en face de city hall) - Craft center

- 202 - - 203 -

OB Français, 52 ans, vit et travaille à Paris

J’aime

1) un lieu que j'aime: la rue saint Rustique, sur la butte Montmartre. C'est une des plus anciennes rues de paris, il y a des arbres qui bercent leur branches pardessus les murs, son tracé est un peu fantaisiste, il n'y a pas de voitures, et on se croirait à la campagne. Faut-il rappeler que saint Rustique et saint Eleuthère furent les compagnons de martyre de saint Denis? 2) un lieu que j'aime aussi: la pointe aval de l'île saint Louis, pour des raisons approchantes ( pas de voiture, les quais encore remplis du souvenir des cris des bateliers et mariniers, le silence relatif, la seine, les arbres. 3) ou encore, la pointe amont de l'île de la cité, ou plus précisément le mémorial de la déportation juive. La structure de l'espace (escalier étroit et presque oppressant, la courette libératrice et qui rappelle néanmoins une cour de prison, le soupirail avec échappée sur la Seine, les flots qui roulent et qui nous donnent, tant nous ne les voyons que partiellement, l'impression d'être en bateau.

J’aime pas

3) un lieu que je n'aime pas: le haut de la rue de Mesnil montant, triste, gris, droit, avec ce qu'il faut de construction bon marché délabrées sitôt construites, où traînent des bandes inquiétantes, qui ont d'ailleurs brisé la vitre de ma voiture et volé ce qu'elle contenait, inconscients instruments de l'agressivité latente qu'engendre immanquablement une telle pauvreté.

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RHG

Lieux que j’aime

Parc Citroën : un pur délice Eglise St Gervais : gothique flamboyant, je m’élève vers l’éternité Cour de Rohan : on la croirait fausse ! Père Lachaise : toute l’architecture est là, solennelle ! Square rue Piat : A nous deux Paris ! Square Croulebarbe : un creux dans la ville pour mes promenades sentimentales Rue de la Mouzaïa : Pavillon pour abriter mes amours avec une ouvrière Eglise de la Trinité : pour les rendez-vous avec quelques dévôtes de la bonne société Le cloître des billettes : mon Moyen-âge à moi ! Le Jardin des plantes : il y a de ces senteurs ! Le Parc de Bercy : on peut même y boire ! La promenade plantée (Bastille) : L’essence de Paris, une promenade sociale et métaphysique ; Le chemin de fer de ceinture : Ah, c’est là que je voudrais installer mon ermitage…

Lieux détestés :

Place de l’Opéra : défigurée par la bâtisse de garnier. A détruire… Gare st Lazare : d’une rare insignifiance Place de la Madeleine : vulgaire carrefour ; Place de la république : carrousel de voitures Carrefour d’Alésia : le pire de paris Gare d’Austerlitz : épouvantable mesquinerie Cercle militaire : Ignoble copie des Invalides St Augustins : le kitsch haussmannien L’arc de triomphe : un amas de pierres La bibliothèque de France : bâtiment stalinien La bourse : Mort aux grecs ! La place d’Italie : négation de l’urbanisme

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MDLS Français, 57 ans, vit et travaille à Paris

LIEUX QUE J'AIME

"Petites rues autour des Gobelins" (13e) : c'est le vieux Paris, mais pas estampillé "vieux Paris". Je sais que la Bièvre nous coule dessous ! Petites rues sinueuses, sans prétention, mais réservant des surprises (herbes le long des murs ; un palmier aperçu un jour dans une cour...) - "Les 'Passages" (tu sais, galeries marchandes en fer et en verre) : le fer, donc architecture fin XIXe, exotisme discret et un peu désuet, type villes industrielles, m'évoquent Vienne, des capitales de la vieille Europe. - "Parc Montsouris - et ses abords" : mon quartier - j'y vais assez régulièrement le dimanche. Parc à l'anglaise, lac, et autour, les réservoirs d'eau de Montsouris, surprenants, avec leur talus d'herbe et leurs murs crénelés en meulière. - "Place Dauphine" : j'aime, car toute petite place romantique (marronniers, vieilles entrées d'immeubles), à l'ombre du Palais de Justice, et donc peu visible, petit îlot de silence, un peu provincial. - "Buttes Chaumont" : on s'y perd, c'est un vrai territoire, un peu baroque et kitsch, voire japonais à certains endroits (ponts, passerelles, gloriettes...). - "Petites rues juste en bas de la Butte Montmartre" (rue des Martyrs, rue Yvonne Le Tac, place des Abbesses) : là encore, à l'ombre d'un haut -lieu (la Butte, donc il faut tomber dessus pour en sentir le charme), plein de bistrots, église kitsch en béton, vieux cinéma ; vie de quartier,pleine, mais pas bruyante. - "rue Tournefort (du Pot de fer", etc.,donnant sur la rue Mouffetard) : j'ai habité pas loin - rue Monge - ; ces rues : intello de gauche, bohême, vie étudiante (mais pas top connotées "étudiant" comme St Michel. - "Le café situé à l'angle Seine/place du Châtelet" (paradigme de tous les cafés situés de la sorte) : sa qualité : son emplacement, donnant à la fois sur une place et sur un fleuve, et donc vue dégagée sur deux côtés. On y a ses aises. - "Butte aux Cailles" (13e) : le ciel partout, les nuages, petites maisons basses, de la pente, presque un village, noms merveilleux : "rue des Cinq diamants", resto "Le temps des cerises", etc. -"Place des Vosges" : vaste place où on ne se voit pas d'un bord à l'autre, arbres, square pour enfants, remarquables murs Louis XIII briques et pierres. -"Toit de la Samaritaine" : vue superbe sur la Seine et sur Paris, et, en prime, décor du resto 193O, fauteuils clubs et style paquebot. - "Canal St Martin" : il porte mon prénom. Surtout, romantisme des canaux en plein Paris (romantisme et charme désuet de la France industrielle du début du siècle : canaux, péniches, écluses : images d'Epinal d'une vieille France). -"Fort d'Ivry" : j'y ai découvert une émotion il y a quelques années : intuition que tout pouvait "faire lieu", faire sens, et que cette petite banlieue pavillonnaire, banale, avait une vie propre (ce café au sommet d'une rue, ses habitués, petit rouge, blagues à la patronne, etc. ; plus : on domine Paris, on voit le ciel et les saisons.

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LIEUX REPROUVES

- "Champs-Elysées" : prétentieux, temple de la conso de luxe/pour touristes ; frime ; jet -set. -"Avenue Foch" : BCBG, froid, immense avenue sans l'ombre d'un café ni d'un commerce. -"Place de la Bourse" (j'aurais aussi pu bien dire : les sièges des grandes banques) : glaciale, fric, golden boys, jeunes gens en costume trois pièces, le cheveu court, jeunes loups... -"Place de la Nation" : ça m'a échappé, car pourtant, c'est une place révolutionnaire ! Mais, pas de repères, trop vaste, que des bagnoles, pas de cafés, place inutile, sans âme, fonctionnelle. -"Porte Pouchet" : démission de la ville, bistrots déglingués, mais même pas le charme des bistros déglingués de la réelle banlieue, aucun repère, une Porte pour rire, invisible. -"L'Elysée" (ou Matignon, ou sièges des ministères, dans le VII") : lieux de, du Pouvoir ; flics ; happy few ;l'autorité, lieux d'autorité. -"Hoptaux" (neufs ou vieux) : surtout vieux : on sent l'éther, on erre des plombes dans des couloirs à carreaux délavés entre des couloirs peints en vert école ; c'est toujours la nuit, quoiqu'on fasse ;on vous rembarre, il y a la souffrance. -"Galeries Lafayette" : la foule, la foule "dominée" comme on disait, aliénée par la conso, la pub, etc. ; la conso de masse obligatoire. -"Pigalle" : foule, frites et soutiens -gorges. -"Opéra Bastille" : froid, forme de modernisme que je déteste, ostentatoire, lisse, haut de gamme, inatteignable, qui complexe, verre, verre, formes sans style. -"Hôpital St Louis" (Xe) : bon, ça, c'est l'hôpital où une très proche amie est morte il y a quatre ans. -"L'Opéra" : c'est peut-être une erreur, mais tout de même, j'assume, donc l'Opéra : culture haut de gamme, Polytechniciens, gens du show biz ou branchés intello caviar. Deux mots enfin comme promis. 1. Avec le rural, j'aurais eu plus d'imagination, car le rural, la campagne, on peut s’y poser, s'y reposer, y faire pipi, y pique-niquer. 2 A contrario, donc, l'urbain (l'urbain, plus que la ville), est lisse, papier glacé, à consommer passivement, on ne peut rien y inscrire, rien y marquer de perso, de soi, on ne peut pas y laisser sa trace.

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VC Français, M. et Mme VJC, 75 ans, ont vécu et travaillé longtemps à Paris

LES DOUZE ENDROITS AIMES DANS PARIS (Monsieur)

1 - Le Sacré-Cœur de Montmartre (sanctuaire et pèlerinage). Son parvis - sa vue sur Paris 2 - La vigne de Nerval et le cabaret du lapin Agile (versant nord de la bute) - Poésie du XIXe siècle 3 Saint Nicolas du Chardonnet ( le latin d'église) 4 La basilique royale de Saint-Denis et les tombeaux des rois de France 5 - La partie basse du bd Saint Michel (vers la Seine) avec les ruines romaines et les marchands de livres d'occasion 6 Les Champs Elysées ( pour le bain de foule) 7 L'Arche de la Défense et les jardins qui descendent jusqu'à la Seine 8 L'ancien musée du Louvre crasseux 9 Les vestiges (en diminution constante) de l'enceinte de Philippe Auguste 10 - La colonnade de Perrault creusé sur l'ordre- de Malraux Il - La piscine Deligny (dans un bateau) aujourd'hui disparue 12 - Le 2ème étage arrière gauche (ou ouest) des Invalides (Direction du Service de Santé des Armées et bureau Aptitude et Sélection).

LES DOUZE ENDROITS QU'IL N'AIME PAS

1 - Le jardin du Luxembourg 2 - Le jardin des Tuileries 3 - Le bois de Boulogne 4 - Le bois de Vincennes 5 - Les grands boulevards " J'aime pas flâner sur les grands boulevards". 6 - Les musées nouveaux (Orsay et le néo-Louvre) 7 - L'usine à gaz de Beaubourg 8 - Les rues et avenues Napoléon III et 1900 défigurées par l'intrusion des façades modernes 10 - Belleville, Ménilmontant, XIIIe, etcetera, ravagées par l'architecture d'aujourd'hui. Il - Les bords de la Seine devenus inaccessibles à cause des voies express de Pompidou 12 - La chambre des députés, " la Porcherie Nationale ” selon le baron Reille (père).

LES DOUZE ENDROITS AIMES DANS PARIS (Madame)

1 - Tout Paris sans me lasser durant des heures à bord des bus

2 - la rue Daubenton

3 - La rue des Feuillantines en 1954

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4 - Les jardins de l'Ecole Militaire : promenades enfantines

5 - Le square Saint Séverin et l'Eglise

6 - Les jardins du Luxembourg : promenades enfantines

7 - Le jardin des Tuileries : promenades enfantines

8 - La place des Vosges : promenades enfantines

9 - Le cimetière du père Lachaise promenades enfantines

10 - Le métro Michel-Ange Molitor : Madeleine de Proust

11 - Le jardin des plantes : promenades avec CC.

12 - L'arc de triomphe du Carrousel : beauté pure.

LES DOUZE ENDROITS QU'ELLE N'AIME PAS

1 - La porte de la Chapelle

2 - Beaubourg : le gros intestin de Paris

3 - Les banlieues immédiates nord, est et sud

4 - Le catastrophique emplacement des colonnes de Buren que j'aimerais voir transportées à Ermenonville

5 - La rue de la Croix Nivert : Pouah

6 - Le bazar de l'hôtel de ville

7 - La façade Viollet-le-Duc de Notre Dame de Paris

8 - Bercy, le quartier.

9 - La station de métro Châtelet- monstrueuse pieuvre

10 - L'opéra Bastille

11 - La vilaine gare d'Austerlitz

12 - La place Pigalle et son quartier

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ZN Française, 58 ans, vit et travaille à Paris depuis 30 ans

liste de mes lieux de prédilection et de détestation. sans ordre de priorité (quoique ?) et difficiles à limiter à 12, surtout pour les premiers.

A PARIS J'AIME :

Les toits de la ville sous la lumière de l'avant soleil couchant depuis le dernier étage du musée d'art moderne que j'appelle toujours Beaubourg et jamais Pompidou (ou alors il faudrait dire -ou fredonner- “ pompompidou ”). C'est pour moi le plus parfait panoramique pour jouer à reconnaître monuments grands axes et édifices comme si on marchait sur un toit.

La passerelle des Arts le matin, à pied ou en vélo, pour regarder la Seine, les péniches, les autres ponts et bien sûr les façades de l'Académie et du Louvre. Je pourrais citer 2 ou 3 autres ponts mais celui-là porte le nom de ce que je préfère dans la vie et ... les voitures lui sont interdites.

Les jardins du Palais Royal, côté tilleuls pas côté rayures de Buren, où rode encore l'ombre de Colette et où ce qu'on voit en levant les yeux est très beau.

La place Dauphine, sur l'île de la cité, en raison de ses dimensions, de sa forme, du calme qui y règne (dommage qu'il n'y reste pas un petit salon de thé mais on y est bien assis au centre sur un banc). Et puis en repartant, côté Pont Neuf, on peut faire un petit salut au cavalier roi Henri.

Un des orangers en fleurs dans le jardin du Luxembourg (au mois de juin) côté Sénat, pour le parfum et les rires des enfants autour du bassin.

La façade de la gare du Nord dont les statues-villes (du Nord) inspirent mon imaginaire depuis plusieurs mois.

La place et l'église St Germain des Prés pour la nostalgie des années 50, les concerts dans l'église, la proximité de la rue Bonaparte et de ses voisines où j'aime toujours flâner en oubliant les touristes et le commerce du luxe qui remplace les librairies.

La façade de l'église St Sulpice, la place du même nom, la fontaine où je tournerai des plans si j'étais cinéaste (lieu hitchcockien selon moi).

La place de Fürstenberg pour l'ombre des grands polownias

La vole triomphale vue depuis l'arc de triomphe du Carrousel, même si j'aimais mieux que la grande roue reste à la fête foraine dans le jardin des Tuileries et bien que la Grande Arche ne soit pas tout à fait dans l'axe.

Les bords de Seine, en bas du quai Malaquais au couchant pour regarder le Louvre, marcher au fil de l'eau, voir les ponts du dessous.

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Le musée Rodin pour la paix du jardin , le penseur, les rosiers et le souvenir de Camille Claudel.

A PARIS J'AIME BEAUCOUP MOINS:

La bibliothèque nationale à la honte de François Mitterand (heureusement, la salle de lecture de l'ancienne est encore visible!)

Le boulevard périphérique qui enferme la ville. Le projet de couverture partielle améliorera sans conteste les choses.

La tour Montparnasse

Le forum des Halles dessus et dessous

L'opéra Bastille

L'hôpital G. Pompidou

Euro Disneyland

La statue du général libérateur devant le Grand Palais

Le nombre pléthorique de voitures

La nouvelle sculpture (pot de fleur doré) devant Beaubourg

La nouvelle sortie de métro Palais Royal

Et parce que je suis à cours d'idée et que la période s'y prête, Le cirque pour la course à l'hôtel de ville

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