Il a été tiré de cet ouvrage 1 exemplaire sur papier des Manufactures impériales du Japon, réservé à l'auteur ; 3 6 exemplaires sur papier pur fil des papeteries Lafuma, à Voir on , dont 12 exemplaires réservés à l'auteur, 20 numérotés de 1 à 20, et 4 hors commerce, marqués H. C. PAUL BOURGET Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1937. ALBERT FEUILLERAT PAUL BOURGET Histoire d'un esprit sous la Troisième République

Avec 8 gravures hors texte

PARIS LIBRAIRIE PLON LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT IMPRIMEURS - ÉDITEURS 8, RUE GARANCIÈRE, 6 Tous droits réservés Copyright 1937 by Librairie Plon. Droits de reproduction et de traduction r éser - S pour tous pays, y compris l'U. R. S. S. A MA FEMME J'OFFRE CE LIVRE QUI LUI DOIT TANT A. F.

PRÉFACE

Les vies des écrivains écrites par un membre de leur famille sont sujettes à caution. Car il est à craindre que l'affection — ou la vanité — ne colore les faits, quand elle ne les supprime pas. J'ose espérer que cette biographie échappera à toute suspicion. J'ai trop pris l'habitude, dans ce que j'ai publié jusqu'ici, de dire uniquement ce que je croyais être la vérité, pour renoncer, en fin de carrière, à une méthode que je tiens pour excellente. Certes, j'ai parlé de mon sujet avec sympathie, — bien que je ne par- tage pas toutes les opinions que j'ai objectivement rapportées, — cette sympathie qui devrait être la première qualité d'une cri- tique vraiment féconde. Mais mon attachement à Bourget ne m'a jamais aveuglé. On trouvera dans ce portrait les ombres en bonne place. J'ai peut-être traité mon modèle en héros, au sens littéraire du mot; je n'ai pas cessé un instant de le considérer comme un être humain, c'est-à-dire comme un mélange com- pliqué de vertus et de faiblesses. Si j'ai risqué d'encourir le reproche de partialité que d'au- cuns ne manqueront pas de me décocher malgré tout, c'est qu'il m'a paru nécessaire de fixer, pour la postérité, une figure restée assez mystérieuse et, pour cette raison, fort mal comprise. Comme la plupart de ses personnages, Bourget avait une personnalité double, et il s'ingéniait à tenir séparées ces deux parties de lui- même. D'un côté se laissait voir l'écrivain, l'académicien célèbre, faisant figure dans le monde, à l'abord aimable et accueillant, brillant causeur, dispensant sa sagesse à tout venant, exemple d'harmonie entre les actes et la pensée. Mais sous cet homme représentatif, et à l'abri de celui-là, vivait intensément un autre homme replié sur lui-même, réservé, jaloux de son quant-à-soi — le mot a été lancé par lui, ce qui est significatif — ombra- geux même, ensevelissant ses émotions sous des apparences d'im- passibilité. C'est ce qu'il appelait se défendre contre les rudesses de l'existence, pour assurer l'indépendance de l'esprit. Cette pudeur des sentiments, qui lui était naturelle, n'avait pas cessé de se développer depuis le jour où il avait découvert la grande règle de l'éducation anglaise contenue dans cette maxime : Don't show your feelings, « Ne laissez jamais voir ce que vous ressentez. » Cet homme intérieur il l'a âprement défendu contre les contacts du dehors et seuls quelques intimes ont pu l'entre- voir. Cela est si vrai que, parmi les anecdotes qui circulent sur son compte, je n'en trouve pas une seule qui mette cette person- nalité cachée en lumière. Elles se fondent toutes sur des juge- ments, des traits d'esprit, des exemples de perspicacité, sur des idées enfin ou des convictions, jamais elles ne pénètrent dans les détours du cœur. Pourtant cette personnalité cachée est celle qui s'est exprimée dans l'œuvre ; l'ignorer c'est se condamner à ne pas comprendre cette œuvre dans sa signification profonde. La nouveauté de la présente biographie — si toutefois elle en a une — consiste précisément en ceci qu'au lieu d'imaginer l'homme à travers sa pensée, j'ai interprété la pensée en partant d'une connaissance préalable de l'homme. Il m'a semblé que j'avais le devoir de peindre ce Bourget inconnu, infiniment Plus intéressant, et plus humain, que celui que l'on est en train de stéréotyper. Il faut si peu de temps pour que la vérité devienne inaccessible! Vingt ans, dix ans, suffisent parfois pour supprimer les témoins d'une existence. Or le nombre de ceux qui ont vu Bourget dans son intimité dépouillée diminue rapidement. Je serai bientôt un des derniers qui, dans son cas, auront eu accès aux archives de la réalité. J'ai, en effet, bénéficié d'une documentation que je peux, sans exagé- ration, qualifier d'exceptionnelle, et qui serait irrémédiablement perdue si je ne l'avais pas recueillie. Par Mme Francis Laurent et par ma femme — sœurs de Bourget — j'ai puisé dans de riches souvenirs de famille qui m'ont permis de remonter jus- qu'aux premières années du romancier. J'y ai joint mes propres observations pendant près de trente-cinq ans. Enfin, et surtout, j'ai eu pour me guider les confidences que Bourget a bien voulu me faire lorsque nous avons discuté ensemble le plan de ce livre et le sens de l'œuvre que je me proposais d'étudier. Dans bien des cas, je dois l'avouer modestement, ma pensée est un simple reflet d'explications qui m'ont été ainsi fournies. Cette biographie est donc avant tout l'analyse d'une sensibilité qui — par un phénomène mis en évidence au cours de ce livre — s'est cristallisée en idées. On ne trouvera pas, dans les pages qui suivent, de ces révélations scandaleuses dont la critique abuse depuis quelque temps. Je n'ai pas donné de clefs pour les ro- mans. Je me suis même abstenu, bien que ceci m'ait fort gêné, de citer des passages empruntés aux nombreuses lettres que je possède. Évoquer la vie intérieure de mon auteur, la montrer dans ses vicissitudes, dans ses efforts pour se nourrir d'une pensée fluctuante, élucider le sens des différents romans par leur rapport avec les variations de cette pensée, tel a été mon unique but. L'intérêt du livre n'y a, je crois, rien perdu. Car la vie de Bourget fut surtout dans la création de l'œuvre. La recherche anxieuse d'une vérité difficile à étreindre, voilà ce qui constitua l'activité, le drame de toute une existence consacrée à écrire. Et l'on conviendra que rien n'est plus tragique que la lutte que nous avons à soutenir contre les idées. Aussi l'œuvre occupe-t-elle dans cette biographie une Place prépondérante. On trouvera peut-être que j'ai abusé des analyses. Si l'on m'adresse ce reproche on aura tort. La création des per- sonnages a formé la partie essentielle du roman de la vie de Bourget. On peut dire qu'il a vécu avec les créatures de son ima- gination bien plus qu'avec ses contemporains. Faire défiler leur foule fantomale devant les yeux du lecteur c'est assurément ouvrir la porte sur ce drame secret dont je parlais tout à l'heure. J'ai aussi accordé une attention considérable aux questions de technique. Celles-ci n'ont assurément pas troublé aussi forte- ment la conscience de Bourget que les problèmes religieux ou sociaux. Mais elles ont également fait partie des tourments de cette âme inquiète. Les jugements esthétiques m'ont beaucoup moins retenu. Sauf dans le cas où mon étude y menait pour ainsi dire inévitable- ment, je me suis abstenu de louer ou de condamner. J'ai pensé que c'était là qu'il fallait le plus se méfier des suggestions dé- formantes de l'affection. Mais même si je n'avais pas eu cette raison suffisante, j'aurais été détourné des appréciations par le seul fait que j'ai lu à peu près tout ce que l'on a écrit sur Bour- get. De cette lecture j'ai retiré la conviction qu'il est vain, pour le moment du moins, de porter un jugement sur une œuvre dont personne n'approche sans parti pris. Des travaux qui ont déjà paru sur le sujet je n'ai donné aucune liste à la fin de ce volume, comme l'usage le voudrait. Mais je prépare un second volume qui contiendra une biblio- graphie complète non seulement des œuvres de Bourget mais encore des ouvrages ou articles qui ont été publiés sur lui. Je sais que mon livre est incomplet. Préoccupé avant tout de suivre l'évolution de Bourget dans tous ses méandres, j'ai né- gligé bien des questions que les historiens de la littérature regret- teront sans doute de ne pas trouver résolues. J'ai, par exemple, laissé de côté l'étude des sources où mon auteur a puisé certaines de ses idées. J'ai dû me contenter d'indiquer, incidemment, quelques rapprochements avec des romanciers ou des penseurs plus anciens. De nombreux travaux restent encore possibles dans ce domaine, tels que l'influence de la littérature anglaise, celle de Gœthe, de Balzac, de Bonald, des Pères de l'Eglise, etc. Ce sera l'œuvre de travailleurs Plus jeunes. Si je pouvais me dire que j'ai contribué à débroussailler les abords de leur sujet, je serais satisfait, car j'aurais réalisé mon ambition : faciliter la tâche des futurs biographes de Paul Bourget. A. F.

Paris, 8 octobre 1936.

P.-S. — Je tiens à remercier tout particulièrement M. Charles Laurent, à la générosité de qui je dois d'avoir pu reproduire le char- mant portrait de Tanzi, que l'on trouvera face à la page 32. Cette Peinture a appartenu à M. Henri Laurent, qui, parmi les amis de jeunesse de Paul Bourget, fut certainement le plus sûr et le Plus dévoué.

PROLOGUE ASCENDANCES

1 Sur le rebord oriental du Plateau Central, entre la chaîne des Bouttières et le Rhône, est perché l'antique hameau de La Besse en Vivarais. Ce minuscule village, composé de cinq à six maisons, qu'entourent des vignes et des prairies grimpant à flanc de coteau et que domine un mamelon planté de pins et de châtaigniers, est le berceau de la famille Bourget. A une époque où se déplacer prenait les proportions d'une en- treprise — et dans le Vivarais les communications ont toujours été rendues particulièrement difficiles par la disposition parallèle des vallées étroites et abruptes, — ce pays vivait à peu près complè- tement séparé du reste du monde, et ses habitants — sauf de rares exceptions quand ils se rendaient à Annonay, la grande ville la plus proche, pour y faire des emplettes — s'enfermaient volontiers dans leur petit univers, menant une vie patiente, entièrement consacrée aux soins que réclamait la terre, une terre ingrate mais aimée. Parmi ces habitants les Bourget ont figuré de longue date. Le nom se rencontre dès le milieu du dix-septième siècle. Mention nous est parvenue, en effet, d'un certain Théophile Bourget qui vécut au hameau de La Besse et y mourut le 5 septembre 1678, à l'âge de quatre-vingts ans. Depuis ce temps déjà lointain, des Bour- get n'ont pas cessé d'habiter ce coin patriarcal, essaimant parfois à courte distance, à Peaugres, à Savas, localités dans les environs immédiats de La Besse. Le Vivarais a toujours été un pays de petites propriétés, pro- duisant tout ce qui est nécessaire à une vie familiale simple et rude, mais sûre. Il faut voir là, sans doute, la raison pourquoi les Bourget vécurent si longtemps dans l'endroit qui les avait vus naître, dé- nués d'ambition, indifférents aux séductions que pouvait offrir le monde au delà de leur horizon. Penchés sur leur terre qu'ils fouillaient avec amour, ils ne songeaient pas à s'élever au-dessus de leur condition en se mettant, comme cela s'est souvent pratiqué dans les régions de grands domaines, au service des familles nobles qui dominaient le pays. Il leur suffisait de naître et de vivre, de père en fils, dans l'immuable maison — elle existe toujours — d'as- pect triste et sévère comme le paysage environnant, avec ses murs de granit épais percés d'étroites fenêtres, se créant ainsi les plus beaux titres, ceux que confère la continuité persévérante dans l'effort joyeusement accepté. Grâce à leur probité, à leur intelligence et à leur attachement au pays, les Bourget avaient fini par se distinguer. Quand on les suit à travers le temps, on constate une montée, lente comme une marche en pays montagneux, mais régulière. M. Aurenche (1), qui a fouillé les archives du Vivarais, a noté cette ascension gra- duelle dans l'estime des gens du pays. Il a remarqué que le rédac- teur du registre de catholicité les traite d'abord de « laboureurs », ensuite de « mesnagers » et finalement fait précéder leur nom du qualificatif d' « honnêtes ». « Fréquemment, pour honorer ou éva- luer ses paroissiens, le scribe cite leur parenté avec un Bourget, bien moins à cause de l'importance des biens-fonds de ceux-ci — car ce ne sont point des riches et leur aisance repose presque toute sur leur travail — que de leur honorabilité... A peu près seuls à savoir lire et écrire, les deux syllabes de leur nom figurent au bas de la plupart des actes de l'état civil qu'ils authentifient de leur signature. » Aussi quand survint la Révolution, les Bourget prirent-ils tout naturellement la place de la noblesse évincée. En 1793, Jean Bour- get, fils de Claude et d'Anne Guigay, né en 1732, fut choisi par ses concitoyens comme maire de la commune de Peaugres. Il ne semble pas d'ailleurs qu'il ait partagé les opinions subversives de l'époque, et il fut enterré religieusement. Ce Jean Bourget, d'Isabeau Savoie, qu'il avait épousée le 24 fé- vrier 1756, eut deux enfants : Élisabeth, morte à seize ans, et Jean, né le 11 juin 1761, lequel, après avoir pris pour femme, à Peaugres, le 7 février 1786, Marie-Marguerite Escoffier, mourut prématurément le 20 septembre 1792. Il laissait quatre enfants : François, Jean, né le 19 janvier 1789, Claude, qui fut baptisé le 14 janvier 1791, et Antoine, né deux mois après la mort de son père. II De ces quatre fils seul Claude nous intéresse. Car c'est lui qui tira la famille de la modestie où elle s'était attardée et la mit sur le chemin de la célébrité. Par son mérite et aussi par sa volonté, il allait préparer les destinées glorieuses du nom. Dans cette fa- mille, jusque-là restée étrangère aux occupations intellectuelles, il apporta l'esprit scientifique et le génie inventif. Il fut le fruit inattendu — le sport, diraient les biologistes — qui viole les lois de l'hérédité et donne naissance à une plante nouvelle. Son éducation dut être assez rudimentaire, car, même sur le tard, son orthographe prenait des libertés avec la stricte correc- tion. Et il semble bien qu'en sa jeunesse, fidèle à la tradition an- cestrale, il ait commencé par aider son père à cultiver la terre. Il faut néanmoins que pendant son adolescence il se soit déjà dis- tingué des paysans au milieu desquels il vivait pour que Joseph Bouveron, ou de Bouveron comme il se faisait appeler, et sa femme Adelaïde, de la famille des Soubeyran de Monteizon, eussent con- senti à lui donner leur fille, Marie-Françoise, en mariage, le 10 mai 1817. Ce mariage constituait pour les Bourget une alliance qui, à leur ascension jusque-là lente, donnait un brusque élan. Les Bouveron, en effet, d'après Villain, étaient originaires du lieu de Bouveron, près de Lamastre, où un Jean Bouveron vivait en 1483, tenant son fief du seigneur de Salançon. La généalogie de cette famille demeure cependant assez vague jusque vers le milieu du dix-hui- tième siècle, où nous voyons émerger un Joseph Bouveron, né en 1720, à Annonay. Le 15 avril 1740, il s'était engagé comme soldat au régiment de Navarre-Infanterie ; il était passé sergent le 1 jan- vier 1751 et sergent de grenadiers le 1 mai 1761. Pendant plus de quinze ans il s'était battu sur le Rhin et dans le Hanovre et, le 1 février 1763, il avait reçu, en récompense de ses services, le brevet de porte-drapeau. Peu de temps après cette promotion, en avril 1766, il avait demandé la liquidation de sa pension de re- traite et il s'était retiré à Savas, où, quelques mois auparavant, il avait épousé Jeanne Couppier, veuve d'un cousin du même nom. De Jeanne Couppier, il avait eu quatre enfants, dont Joseph-Fran- çois, né le 26 février 1770, celui-là même qui en 1801 avait épousé Marie-Adelaïde Soubeyran et était devenu le beau-père de Claude Bourget. Les Soubeyran étaient de souche plus importante que les Bou- veron. Originaires de Saint-Barthélemy-le-Pin, en Haut-Vivarais, leur nom figure dans les annales nobiliaires depuis le milieu du quinzième siècle. Au début du dix-huitième siècle, le chef de la famille, messire François de Soubeyran, écuyer, conseiller du roi, docteur ès droits, maire perpétuel de Chalançon, bailli d'épée et juge général de cette baronnie et de la baronnie de La Tourrette, capitaine d'une compagnie de milice bourgeoise, seigneur du Roy, les Besses, l'Héritier, Deaux, Romanet et Banelieu, co-seigneur de la baronnie de Retourtour, pouvait passer pour un des person- nages les plus considérables de la contrée. Depuis, les Soubeyran n'avaient pas cessé de s'allier par mariage aux meilleures familles du pays : les d'Abrigeon, les Monteil de Plafay, et ils avaient encore consolidé leur situation lorsque Ange-François-Marie de Soubeyran de Monteizon, fils d'Antoine de Soubeyran, chevalier de la Thuil- lière (1711-1781), avait épousé Marie-Lucrèce de Figon, seconde fille de noble Jacques-Louis de Figon, seigneur de la Mure. Car les Figon pouvaient fournir des preuves de noblesse remontant jus- qu'à André de Baronnat, échevin de Lyon en 1435, un aïeul du côté des femmes, et s'enorgueillissaient de compter parmi leurs ancêtres Joffray de Baronnat, chevalier de Malte au seizième siècle. Seulement, la Révolution avait rabaissé cette famille par le mor- cellement forcé de la propriété, et c'est ce qui explique que les Soubeyran eussent consenti à une alliance avec des gens de moindre naissance, comme les Bouveron. Dans les veines de Marie-Françoise Bouveron, femme de Claude Bourget, descendante des Soubeyran et des Figon, coulait donc un sang d'authentique noblesse et par son mariage, le fils des cul- tivateurs de La Besse et de Peaugres se trouvait faire partie de la meilleure société du pays. Claude Bourget alla d'abord s'installer à Savas, chez ses beaux- parents, aidant sans doute à administrer les biens des Bouveron. Mais Marie-Françoise était de santé délicate : elle mourut en 1823, après six ans de mariage seulement. C'est probablement à cette époque que Claude émigra à Annonay. Car le jeune homme se sentait porté vers les sciences mécaniques et mûrissait déjà en son esprit des projets qu'il brûlait de réaliser. Or, Annonay offrait un milieu où de pareilles ambitions trouvaient encouragement. Le hasard avait voulu qu'à un moment de découvertes sensationnelles cette petite ville eût servi de berceau à d'audacieux inventeurs. C'est à Annonay que les frères Montgolfier avaient conçu l'idée des ballons sphériques et c'est là également qu'un neveu de ces mêmes Montgolfier (1), Marc Seguin, commençait sa brillante car- rière. Vers 1822, il avait réussi des expériences sur la résistance des câbles en métal tréfilé, qui allaient révolutionner la méthode de construction des ponts suspendus. Il s'occupait aussi de che- mins de fer et, en 1824, il avait obtenu la concession de la voie ferrée de Saint-Étienne à Lyon. Dans ce milieu où les inventions étaient une merveilleuse réalité, le jeune Claude sentit sa vocation se préciser : lui aussi, il avait des plans qui pouvaient aider au déve- loppement de la technique nouvelle des chemins de fer et des ponts suspendus. Il avait même un système de locomotive qui devait améliorer le rendement en vapeur de ces monstres nouveaux. Les hasards de son commerce l'ayant mis en rapport avec Marc Sguien, celui-ci fut frappé par l'intelligence de ce jeune montagnard qui montrait d'étonnantes connaissances en mécanique. Il s'in- téressa à cet entreprenant génie, lui fit donner des leçons de ma- thématiques et, en homme pratique, se l'attacha comme conduc- teur de travaux. En cette qualité Claude prit part à la cons- truction du pont de Tournon et, plus tard, de celui de Vienne. Mais cette situation subalterne ne pouvait pas contenter l'in- venteur. Quand il eut suffisamment d'expérience, il voulut de- venir son propre maître. Il s'improvisa ingénieur civil. En 1835, nous le trouvons directeur de la Compagnie des bateaux à vapeur Les A beilles, qui faisait le service sur la Saône. Puis, il se lança et exploita ses idées. En 1863, il avait inventé un système de sécurité pouvant être appliqué sur les voies ferrées à forte pente et dé- nommé « auto-gravité ». En 1866, il céda ses brevets à une société qui prit le nom de « Société du rail et du frein Bourget », créée en vue d'appliquer ce procédé à la construction du chemin de fer de Lyon à la Croix-Rousse, plus connu sous le nom de la « ficelle ». Claude Bourget devait toute sa vie continuer à enrichir la science appliquée de son temps. Il imagina une disposition particulière de blocs de ciment dans le port de la Joliette qui, en brisant les lames, a doublé la sécurité des vaisseaux entrant dans la rade. D'après des papiers qu'il a laissés, il semble avoir prévu l'automo- bile. Son souvenir est resté particulièrement vif dans la mémoire de ses petits-enfants. Dans les dernières années de sa vie, il leur apparaissait comme un homme à la fois séduisant et formidable. Grand et fort, monté haut sur jambes, marchant pesamment, le front carré, couronné de cheveux épais et à peine grisonnants, la mâchoire opiniâtre, les yeux froids et scrutateurs, d'une acuité presque insupportable, tout en lui donnait l'impression du lut- teur obstiné. Il savait d'ailleurs se détendre et, alors, au volontaire succédait un bon géant facile, presque enfant. Gai, aimant les fêtes, d'ailleurs très sobre, généreux et imprévoyant, il s'aban- donnait à une inébranlable confiance, imaginant la fortune dans un avenir immédiat et, en attendant, se ruinant en procès inu- tiles. Balzac, s'il l'avait connu, s'en fût inspiré pour son Balthazar Claës. Perdu dans ses projets, le cerveau toujours en travail, il allait par la vie, insouciant des réalités, laissant souvent à son fils le soin de le tirer des embarras où le jetait son caractère processif, mais toujours au labeur et c'est à sa table de travail, dressant les plans d'un tramway à vapeur destiné à la ville de Lyon, qu'il céda à la Mort, à l'âge de quatre-vingt-six ans, le 1 mars 1877. III De son mariage avec Françoise Bouveron, Claude Bourget avait eu quatre enfants : trois filles, Julie, Lucie, Delphine et un fils Justin. Les filles, de santé délicate, moururent jeunes. Seul le garçon demeura pour perpétuer la famille. Ce devait être le père de Paul Bourget. Pendant que Claude allait tenter fortune à Annonay, le jeune Justin demeura à Savas chez ses grands-parents. Il y mena une vie sans agrément. Joseph-François Bouveron, entiché de no- blesse, affectait les manières d'un vieux muscadin et affirmait sa haute naissance en menant son monde à la cravache. Sur son petit- fils il satisfit souvent son besoin d'autorité. Justin ne trouvait de réconfort qu'auprès de sa grand'mère, femme douce et distin- guée, héritière de l'affinement des Figon. Malheureusement, Marie- Adelaïde mourut le 20 septembre 1830. L'arrière-grand'mère, Lucrèce de Figon, mourut elle aussi quelques semaines après, en novembre. Justin fut confié à sa grand'mère du côté paternel, Marie-Marguerite Bourget qui vivait à La Besse avec son fils Antoine. Alors commencèrent pour l'enfant quelques années de bonheur. Jusqu'à l'âge de huit ans il mena la vie saine d'un petit pâtre, passant ses journées au plein air, apprenant à communier avec la nature, à observer aussi, développant des dispositions scientifiques qui s'éveillaient. Car de son père, l'inventeur, il tenait le goût des mathématiques. Ce que voyant (1), Claude Bourget envoya son fils d'abord chez les Sœurs, puis en pension chez un certain Ruffin, à Lyon. Pension est peut-être un mot bien ambitieux pour ce qui n'était qu'un de ces internats sans joie, comme il en existait beaucoup à cette époque où les établis- sements d'instruction n'étaient guère surveillés. Justin mit une telle ardeur au travail qu'il eut vite rattrapé le temps perdu et qu'en un an il put faire deux classes au Collège de Lyon où les élèves de la pension suivaient les cours (2). En 1835, à la suite de démêlés avec le sieur Ruffin, Claude mit son fils chez un M. De- lorme qui traita l'enfant avec une paternelle douceur. Et Justin aurait pu continuer sans encombre son ascension vers le savoir si son père n'avait traversé l'un de ses périodiques moments de dépression pécuniaire et n'était venu lui annoncer, un jour, qu'il se voyait obligé de le retirer du collège. En cette circonstance, Justin prouva qu'il était, par l'énergie, le digne descendant de ses ancêtres cévenols. Bien qu'il n'eût que quinze ans, il se jura de subvenir à ses besoins. Il alla trouver son directeur et lui proposa de gagner le gîte et le couvert en faisant la classe aux plus jeunes élèves de l'institution. M. Delorme con- naissait son jeune homme : il accepta et Justin Bourget, en pre- nant sur son sommeil pour compenser le temps perdu à enseigner pendant le jour, put continuer ses études. Ayant obtenu son bac- calauréat ès lettres en 1840, il se mit sans désemparer à préparer le concours de l'École Normale Supérieure. Il s'était donné comme but de devenir professeur de faculté, et il le devint, comme on va le voir. En 1842, l'année même où fut admissible Pasteur, de qui il fut l'ami, il entrait dans les premiers, à la rue d'Ulm. Deux ans après, il était reçu à la licence ès sciences mathématiques et, après une autre année, en 1845, il passait brillamment son agrégation. Le voilà professeur au Collège royal de Besançon ; sa carrière était désormais assurée et elle allait se dérouler rapi- dement. De Besançon (1845-7) il va à Lyon (1847-50), de Lyon à Rennes (1850-1), de Rennes à (1851-2), d'Amiens à Stras- bourg (1852-4) et enfin à Clermont-Ferrand où il occupe la chaire de mathématiques pures et appliquées à la Faculté des sciences récemment fondée. Entre temps, des publications lui avaient valu une flatteuse réputation comme mathématicien. Il a, en effet, laissé des travaux importants de mécanique céleste et fait des recherches originales sur l'acoustique et sur la théorie mécanique de la cha- leur, transportant ainsi sur le terrain de la science pure les ques- tions dont la solution pratique avait empli la vie de son père. Justin Bourget avait achevé l'ascension longuement préparée par les ancêtres cultivateurs et commencée par Claude. Désormais la famille Bourget était entrée et allait se trouver fixée dans la bour- geoisie intellectuelle, offrant un bel exemple de cette lente évo- lution que l'auteur de l'Etape a préconisée comme nécessaire à la santé de l'organisme social. IV Justin débutait comme professeur lorsqu'il épousa Anne-Adèle Valentin. La jeune mariée appartenait à une famille, originaire d'Allemagne et qui avait passé par Strasbourg avant de s'établir en Lorraine. Intelligente, un peu bas-bleu, belle causeuse, elle était fort séduisante et aimait à tenir salon. Mais elle avait un caractère tourmenté ; sa vie fut bouleversée par des scrupules de conscience et des accès de mélancolie qui finirent par avoir raison d'une santé fragile. Son fils, dans un poème écrit vers 1872, a noté cette inquiétude morale, cette sensibilité maladive qui brisèrent une âme trop délicate : Je n'ai gardé de toi, ma Mère, douce morte — Oh! si douce! — qu'un vieux portrait où l'on te voit Accoudée, appuyant ta tempe sur ton doigt, Comme pour comprimer une peine trop forte. Quand tu songeais ainsi, Mère, je n'étais pas. Tu n'avais pas tiré mon être de ton être... Réponds! devinais-tu qu'un fils devait te naître Que tu devais laisser orphelin ici-bas? Voyais-tu mon destin d'avance, et mon angoisse, Et ce cœur, né du tien, que tout maltraite et froisse, Et cette hérédité de tes plus noirs ennuis? Réponds! figure aimée et si vite ravie, Qui, de tes sombres yeux, pareils aux miens, me suis : Avais-tu déjà peur de me donner la vie? Adèle Bourget mourut en 1857 ; elle n'avait que trente-cinq ans. De ce mariage naquirent cinq enfants. Trois d'entre eux, Fanny, Blanche et Charles moururent en bas âge. Félix, conçu à un mo- ment où la santé de sa mère donnait des inquiétudes, souffrit toute sa vie des suites d'une naissance inopportune. Quoique extrê- mement bien doué, une timidité morbide l'empêcha de réussir comme il le méritait. Après avoir été quelque temps professeur au collège d'Ajaccio (lui aussi il avait d'exceptionnelles dispositions pour les mathématiques), il voulut faire sa carrière dans l'armée et fut une des victimes de la campagne de Madagascar. Seul Charles- Joseph-Paul, le futur romancier, né à Amiens le 2 septembre 1852, hérita la vigueur des ancêtres cévenols. Nous pouvons mainte- nant tourner vers lui notre attention. PAUL BOU RGET

PREMIÈRE PARTIE A TRAVERS LES LIVRES

I Dans une lettre autobiographique, publiée en tête d'Extraits choisis de ses œuvres (Boston, 1894), Paul Bourget a signalé ce qu'avaient d'hétérogène les éléments de son hérédité, en laquelle étaient venues se fondre deux races très différentes, la cévenole et la lorraine. Et il a attribué à ce croisement disparate quelques- uns des troubles de sa vie intellectuelle. « Cette hérédité com- plexe », a-t-il dit, « a quelquefois ses avantages. J'en ai surtout senti les défauts, je veux dire l'extrême difficulté à mettre d'ac- cord des tendances trop contrastées. Il y a toujours eu en moi un philosophe et un poète teinté de germanisme en train de se dé- battre contre un analyste de la pure et lucide tradition latine. » Il est vrai que Bourget a été toute sa vie tiraillé par des impulsions contraires, qui luttaient au plus profond de sa nature et souvent le paralysaient. Au début de sa carrière, ces conflits intérieurs ont même provoqué un désarroi pouvant aller jusqu'au désespoir. Mais il n'en est pas moins vrai qu'à cette complexité de ses ori- gines Bourget doit aussi le trait le plus essentiel de son tempéra- ment littéraire : l'aptitude à la méditation patiente. Car il y a un point où son hérédité cévenole a rejoint cette tendance germanique à la philosophie et à la poésie dont il a parlé, et l'a renforcée. L'Ardèche est un pays à part. Par sa position géographique, sur le bord de la Provence, c'est déjà le Midi et l'on trouve chez ses habitants quelque chose de l'ardeur et de la fougue méridionales. Mais, d'un autre côté, on pourrait prendre ces habitants pour des gens du Nord. « Il n'est peut-être pas en France de région, » a dit Gabriel Faure (1), « où les populations vivent autant repliées sur elles-mêmes que dans les villages et les fermes de ces hauts pla- teaux recouverts de neige pendant plusieurs mois. Pays triste où règne forcément la méditation... L'âme de l'Ardèche... cela correspond à quelque chose de réel ; ces mots traduisent ce besoin de sérieux, de réflexion, de pénétration au cœur des choses, qui s'oppose si complètement à la frivolité parisienne et à la légèreté méridionale ». Gabriel Faure aurait pu ajouter que dans l'Ardèche, pays de foi vivace et de tradition, on a conservé le sens du mys- tère et la croyance aux fées et aux lutins, tout comme en Bretagne. Sa tendance à la réflexion approfondie et à la poésie, Bourget la devait donc tout autant à une longue accumulation du sérieux cévenol chez ses ancêtres de La Besse qu'aux traces de sang ger- manique qu'il avait reçues de sa mère. Et si cette qualité a pris chez lui un développement exceptionnel c'est à n'en pas douter à cause du doublement de ses deux hérédités l'une par l'autre. Quoi qu'il en soit, Paul Bourget fut un enfant précocement ré- fléchi. A l'âge de trois ans il savait déjà lire et il avait appris en quelques semaines. A cinq ans il avait commencé à dévorer les livres qui lui tombaient sous la main. Justin Bourget, ainsi que cela arrive assez souvent chez les mathématiciens, à son amour de la science joignait des goûts littéraires prononcés. Sa bibliothèque, outre les grands classiques français — Rabelais, Molière, Racine, La Fontaine, Pascal, Fénelon — toujours à portée de la main, contenait un bon nombre d'oeuvres d'imagination étrangères, parmi lesquelles ses préférées étaient les romans de Dickens et de Walter Scott, les nouvelles de Topffer, les œuvres de Gœthe et surtout le théâtre complet de Shakespeare dans la traduction en deux volumes de Benjamin Laroche. Pour Dickens et Walter Scott Bourget a manifesté une persistante admiration et il ne serait pas difficile de trouver des traces de l'influence de ces écrivains sur ses conceptions littéraires. Quant à Shakespeare, je ne crois pas exa- gérer en affirmant qu'il a été un modèle toujours présent. Paul Bourget aimait à raconter avec quelle passion il avait tourné les feuillets des deux volumes reliés en noir et sur lesquels on l'as- seyait prosaïquement pour le hausser jusqu'à la table du dîner. Entre cinq et sept ans, il avait lu toutes les pièces du grand dra- maturge anglais. Macbeth, Jules César, Hamlet, Roméo, Cléopâtre lui étaient devenus des êtres familiers, emplissant sa petite vie et que, dans sa naïveté enfantine soutenue par une imagination déjà déchaînée, il s'ingéniait à faire revivre en les représentant par des chaises ou des plumes sur le tapis. Plus tard il mettra Shakespeare à part, avec Balzac, comme l'écrivain qu'il préférait par-dessus tous à cause de son extraordinaire mélange de psycho- logie et de vie dramatique, de naturel et de poésie. Et il était déjà tourmenté par la démangeaison d'écrire. Entre six et dix ans il composa un nombre incalculable de poèmes, de nouvelles, de contes, d'études critiques, de mémoires, de souve- nirs ! A neuf ans, il avait terminé sa première œuvre importante : Le roman d'une fourmi, où il reconstituait par le détail la vie d'une de ces laborieuses ouvrières et il avait ambitieusement conçu le plan d'un « grand ouvrage qui devait renfermer un ta- bleau complet des bêtes d'Auvergne et l'histoire de ses promenades à leur recherche. » II Le milieu où vivait le jeune Paul, en ces années de formation, était bien fait pour activer ce précoce développement. Justin Bourget était très fier de ce fils prodige et il le gardait volontiers auprès de lui pendant que, debout devant un tableau noir ou penché sur le tréteau d'architecte qui lui servait de bureau, d'une main soigneuse il alignait des chiffres ou dessinait des figures géométriques. Comme son père Claude, le mathématicien était un gros travailleur, pour qui la continuité de l'effort s'imposait comme une règle à observer strictement. Dans la pièce où il pour- suivait ses recherches tout disait cette prééminence de la pensée et l'amour de la science. Dans la bibliothèque, les grandes collec- tions mathématiques, sobrement reliées, s'allongeaient en rangées sévères. Aux murs les portraits gravés des grands savants, La- grange, Fresnel, Cauchy, Laplace rappelaient l'exemple de célé- brités bien gagnées. Entre les deux fenêtres, à une place d'honneur, pendait une gravure représentant les deux frères Montgolfier de profil et autographiée par eux. Deux cartes astronomiques do- minaient le bureau. Cette atmosphère semblait créée exprès pour inspirer à l'enfant la noblesse d'une vie contemplative tout adonnée à la recherche désintéressée et aux travaux de l'esprit. Les voix du dehors pénétraient cependant dans cet intérieur savant. Justin Bourget était très sociable et par sa situation de professeur à la faculté des sciences de Clermont-Ferrand, il se trouva faire partie d'un petit cercle composé surtout d'universi- taires, d'avocats et de médecins, dont la figure centrale était Blatin-Mazelhier, personnage influent de la société clermontoise. On voyait dans ce groupe un certain nombre d'hommes éminents. Quelques-uns ont joué un rôle dans la vie du pays : Alexandre Olleris, ancien précepteur des enfants de Louis-Philippe, Merca- dier qui mourut sous-directeur de l'École polytechnique, Sandras, l'auteur de Chaucer, Rondelet, professeur de philosophie à la fa- culté, Charpentier, professeur de philosophie au lycée, Salneuve, avocat et sénateur, Tournaire, ingénieur des ponts et chaussées, Henri Lecoq, donateur du jardin public de Clermont-Ferrand, Agénor Bardoux, qui devait par la suite avoir une brillante car- rière politique et littéraire, le docteur Nivet, prototype du docteur Pacotte, et bien d'autres. Cela formait un milieu cultivé, très divers et où l'on respectait l'indépendance de l'esprit. Quand ces amis se réunissaient chez Justin Bourget, tout en jouant sur le tapis, ou sagement assis sur une chaise, le petit Paul pouvait en- tendre discuter les problèmes politiques du moment. L'Auvergne, qui s'était, en 1848, signalée par son zèle républicain, s'était tournée maintenant vers le bonapartisme. Un hasard — le fait que le duc de Morny, frère naturel de l'empereur, et Eugène Rouher, con- seiller tout-puissant du régime, représentaient à la Chambre le Puy-de-Dôme, — avait suffi pour opérer cette surprenante con- version d'une province entière. Mais si la population se laissait prendre aux promesses de ses élus, une bonne partie de la bour- geoisie intellectuelle, celle-là même à laquelle appartenaient les amis de Justin Bourget, faisait une sourde opposition à la dicta- ture impériale. Leur révolte, il est vrai, se manifestait beaucoup plus en paroles qu'en actes. Dans leurs réunions amicales la con- versation revenait surtout sur leurs espoirs déçus quand avait échoué le mouvement démocratique de 1848, et ils se consolaient en évoquant les utopiques réformes promises par les Fourier, les Saint-Simon, les Proudhon, les Louis Blanc. Justin Bourget était en entière sympathie avec ce groupe d'opposants. Les no- tions de liberté et de justice avaient toujours été pour lui une vé- ritable religion. Il professait jusqu'à l'idolâtrie le culte de l'idée. Un gouvernement qui dictait à chacun ce qu'on devait croire ne pouvait avoir l'approbation de cet homme qui apportait au respect de la pensée une sorte de rigidité stoïcienne, encore aug- mentée par la logique propre au mathématicien. Il eût couru au martyre pour défendre une cause qu'il croyait juste. N'avait-il pas été envoyé en disgrâce de Lyon à Rennes pour avoir coura- geusement exprimé devant ses élèves des opinions jugées sub- versives par le gouvernement impérial ? Et ses enfants se rappellent avec quelle fermeté, étant recteur de l'Académie d'Aix, lors de la promulgation des décrets sur les congrégations enseignantes, il refusa d'exécuter les ordres donnés par Paul Bert, en une occasion où il trouvait injuste l'application de la loi. Les archives du mi- nistère de l'Instruction publique doivent conserver la dépêche chiffrée qu'il envoya au risque de briser sa carrière. Mais c'était un républicain — ou comme l'on disait alors, un libéral — sans emphase. Il avait trop l'horreur de l'intransigeance en manière d'opinion pour tomber dans le jacobinisme. Ses idées politiques ne sortirent jamais du domaine des impulsions géné- reuses. Mais précisément parce qu'elles étaient pures et désinté- ressées, ces idées émerveillaient alors le jeune Paul quand il les entendait exprimer en des conversations animées : il y retrouvait comme une image de la vertu romaine entrevue au travers des- écrivains latins qu'il commençait à traduire. Justin Bourget emmenait son fils comme compagnon de ses promenades. L'enfant vivait alors les heures les plus instructives de son existence déjà si studieuse. Clermont était à ce moment-là un milieu rural. Et le mathématicien avait gardé de ses années passées à la campagne un amour profond de la nature qu'il com- binait avec le désir de faire contribuer le monde naturel à l'en- richissement de ses connaissances. Il ne pouvait pas trouver une pierre sans en déterminer la provenance, sans la soulever pour voir quel insecte elle abritait, cueillir une fleur sans en rappeler l'es- pèce et la famille. Quand le père et le fils entreprenaient ces ran- données les découvertes faites en cours de route formaient l'unique sujet de leur conversation. Et ainsi l'enfant, tout en meublant sa mémoire, acquérait, sans même s'en apercevoir, l'habitude d'observer minutieusement les phénomènes et de rechercher les lois qui régissent le monde des faits. Il apprenait aussi à réfléchir sur le mystère qui entoure la nais- sance du monde. La campagne autour de Clermont se prêtait particulièrement à ces méditations. Le reboisement n'avait pas encore transformé la chaîne des dômes en collines ondoyantes de verdure et le pays offrait un aspect de monde primitif. La silhouette écroulée des volcans éteints, les boursouflures des coulées de lave affleurant à même le sol donnaient à cette campagne une apparence de paysage lunaire. C'était alors une occasion pour Justin Bourget, qui en ces moments libérait un réel instinct poétique, d'expliquer à son fils les transformations de l'univers à travers les âges et de rendre presque tangibles, par la lucidité de sa parole, les convulsions cosmiques d'autrefois. Et l'enfant, comme Pascal, son illustre prédécesseur qui avait, deux siècles auparavant, rêvé devant le même paysage, sentait son imagination s'exalter en faisant effort pour pénétrer le secret des espaces infinis. On ne saurait trop insister sur l'importance de cette éducation paternelle pour la formation intellectuelle de Paul Bourget. Celui-ci a souvent reconnu avoir reçu de son père la première révélation de la conception scientifique du monde. Mais Justin Bourget n'était pas seulement un professeur génial, c'était aussi un exemple de droiture et d'intégrité. Toute sa vie il fut dominé par le désir de discipliner son esprit afin de le rendre plus apte à la recherche du vrai. D'une conscience scrupuleuse, il n'admettait pas que l'on fût indulgent pour soi-même. Bien examiner ses moindres actes pour se mieux connaître et se perfectionner était le conseil qu'il ne cessait de prêcher à ses enfants. Une de ses citations fa- vorites était empruntée à Pascal dont il admirait le sombre génie : « La dignité de l'homme réside dans la pensée : apprenons donc à bien penser. » Ayant à prononcer le discours d'usage à la dis- tribution des prix au lycée d'Amiens, en 1852, le jeune professeur choisit comme sujet : « L'utilité de l'étude des sciences tant au point de vue de la richesse des connaissances qu'à celui de la rec- titude des idées et de la justesse de l'esprit. » Amour de la science, penser juste, telles auront été les deux grandes passions de Paul Bourget. III Une autre influence, moins austère et d'autant plus prenante, s'exerça aussi sur le jeune Paul. Justin Bourget laissé seul avec deux enfants dont l'aîné avait à peine cinq ans, avait dû se re- marier. Il avait épousé, en 1858, Marie Nicard. Cette seconde femme appartenait par sa mère à une famille de vieille bourgeoisie clermontoise restée attachée à la royauté, les Germeix. Elle était fille de Joseph-Alexandre Nicard, ancien universitaire qui après avoir enseigné à Langres, à Saint-Étienne, à Lyon et à Dijon, avait dû prendre une retraite anticipée pour faiblesse de la vue. Né en 1797 à Cohons, Haute-Marne, d'une famille apparentée à celle de Diderot, il était entré à l'École Normale en 1817, et avait fait partie de la fameuse promotion licenciée en 1822. Il avait pour amis Farcy, Littré et Hachette. Petit, sec comme un sarment de vigne, vif d'esprit, toujours prêt à prendre feu pour une idée, c'était un digne fils du dix-huitième siècle dont il professait les idées frondeuses, légèrement teintées de jacobinisme. Il avait fait partie des carbonari, par goût de la protestation et aussi par certaine tournure d'esprit romanesque. Il admirait grandement La Fayette, tout en gardant, dans un coin secret de son cœur, de la tendresse pour Napoléon, — ce qui ne l'empêchait pas d'être contre l'Em- pire, par habitude d'opposition. Au demeurant l'homme le plus doux. Helléniste et latiniste accompli, il employait les otia mollia que lui valait sa retraite à relire incessamment Eschyle, Sophocle et Virgile, ses auteurs favoris. Quand sa fille eut épousé Justin Bourget, il s'intéressa tout de suite à ce jeune garçon qui donnait tant de promesses. Il s'insti- tua son précepteur et lui apprit d'abord le latin. Il l'emmenait aussi dans ses promenades que, marcheur infatigable, il faisait dans les montagnes environnantes et chacune de ces promenades était une autre leçon. Son disciple, ici comme en toutes choses, fit de rapides progrès et si Paul Bourget fut un des rares écrivains modernes qui ait réellement su le latin, c'est au bon grand-père Nicard qu'il dut cet avantage. Il s'en rendait d'ailleurs compte, et c'est toujours avec un sourire attendri qu'il rappelait le souve- nir de ce maître indulgent qui lui avait révélé le monde des anciens.

IV Paul atteignit ainsi l'âge de dix ans. C'était déjà un garçon dé- terminé et conscient de sa supériorité. Ses joues pleines, ses che- veux drus, sa carrure, ses mouvements brusques et fougueux, son goût pour les gamineries — car rien ne serait plus faux que de l'imaginer enfant pensif et mélancolique — disaient la vigueur de la souche montagnarde d'où il sortait. Mais sous cette exubérance vitale frémissait une excitabilité excessive, presque morbide, qu'il tenait évidemment de sa mère. Son émotivité toujours tendue lui faisait exagérer les moindres faits, voir la vie ou trop sombre ou trop brillante, concevoir avec frénésie des désirs de choses impos- sibles, désirs naturellement suivis de désappointements doulou- reux. Le jeune Paul possédait, en outre, et déjà, ce don redoutable qui s'appelle l'esprit d'analyse. Cette faculté sera plus tard la pièce maîtresse de son génie de romancier ; pour l'instant elle ne faisait que développer chez lui une méfiance naturelle. Peut-être est-ce la rançon qu'ont à payer ceux qui se destinent à peindre les passions : ils ont une intuition prématurée des souffrances humaines, une sorte d'instinct de la douleur qui leur fait décou- vrir partout le pire et s'y complaire. Paul prit de bonne heure l'habitude d'imaginer les sentiments de ceux qui l'entouraient, de se demander en toute occasion le pourquoi de leurs paroles ou de leurs actes, et ces paroles ou ces actes mal interprétés le préci- pitaient dans des accès de susceptibilité blessée qui se traduisaient quelquefois par des explosions de colère, le plus souvent par un reploiement sur soi-même, des bouderies, une répugnance à laisser paraître son émotion même devant les êtres les plus chers, cette pudeur des sentiments qui prend si facilement l'apparence de la froideur ou de l'égoïsme et qui, dans le cœur de celui qui en est affligé, répand une désespérante sensation de solitude. Justin Bourget, qui tout d'abord avait admiré la précocité de son fils, commença à s'inquiéter de ces sautes d'humeur où il croyait discerner le signe d'une naissante instabilité de caractère. Il se demanda si l'éducation à la maison qu'il avait favorisée n'avait pas contribué à développer cette précocité jusqu'à un point où elle devenait dangereuse et s'il n'était pas temps d'arra- cher l'enfant à une atmosphère trop raréfiée pour le plonger dans la réalité au contact d'autres enfants. Il se disait, comme tant de pères au moment où ils se décident à mettre leur fils au col- . lège : « Ça lui apprendra la vie ! » Il y a des êtres qui s'accommodent facilement de cette vie hors de la famille. Mais ceux qui sont destinés à se distinguer au-des- sus des autres hommes s'adaptent difficilement aux façons de la moyenne condition humaine. Surtout si leur vie intérieure a été particulièrement active. Leur existence, dans ce cas, a été trop personnelle. Ils ont créé avec le milieu familial mille liens ténus mais résistants que la volonté paternelle rompt brusque- ment. Paul souffrit atrocement de cet arrachement au foyer. Il a souvent fait allusion à la vie déprimante des lycées, « ces bagnes sans eau » (1), et il l'a fait chaque fois avec un haut-le- cœur de dégoût. « J'y ai pour ma part », a-t-il dit, « traîné dans l'ennui dix pleines années de mon enfance et de mon adolescence, — des années dont je ne voudrais pas revivre une minute, pas une seule (2). » Tout semble l'avoir froissé. Et d'abord l'insuffi- sance des conditions hygiéniques. Le lycée de Clermont était logé dans un vieux bâtiment construit en 1675 par les Jésuites qui étaient venus lutter contre le jansénisme encore vivace dans la patrie de Pascal. La distribution des locaux n'avait pas changé depuis le dix-septième siècle. C'était toujours la même cour exiguë, précédée d'une terrasse, et sur laquelle donnaient les salles de classe, sortes de caves voûtées, sombres et glaciales. Comme la bâtisse en pierres noires, les études, éclairées par une lampe fumeuse, parurent sinistres au petit Paul qui n'avait connu que la tiédeur de la maison, grave sans doute, mais toute capitonnée de tendresse. Et combien plus rude encore pour une âme délicate la promiscuité avec d'autres enfants, venus de tous les coins du département, issus de familles d'extraction et d'éducation si différentes, les uns grossiers, les autres pervertis ! Paul Bourget, plus qu'un autre, ressentit les meurtrissures de l'existence en commun. Sa sensibilité déjà si vive, mais qui dans le milieu familial avait pu déborder librement, se trouva concentrée du moment qu'elle perdit le contact avec le monde extérieur, et s'exaspéra au moindre événement. Les faits les plus minimes de- venaient l'occasion d'angoisses déprimantes. L'appréhension d'une réprimande, une place atteinte ou manquée, la peur des railleries, l'horreur du jeu brutal, la trahison supposée d'un ami éveillant des accès de jalousie, tout fournissait l'occasion de drames qui bouleversaient son monde intérieur. Son imagination enve- nimait les plaies en devançant les coups. Et cette exaltation devint si habituelle qu'il perdit le sens de la sécurité. Le lycée représenta pour lui une sorte de monde isolé de l'autre et où la joie apparaissait comme un rêve désormais inacces- sible. L'esprit ne se faisait pas mieux à un régime intellectuel qui n'a pas prévu le cas d'êtres exceptionnels. Il connut les impatiences de celui qui entrevoit de larges horizons d'idées et se heurte à des conceptions rétrécies, étrangères, hostiles même, à l'originalité, et qui n'ont d'autre but, semble-t-il, que de ramener les cerveaux indépendants à la normale médiocrité. Bourget était conscient de sa supériorité sur ses camarades et même sur quelques-uns de ses maîtres. Il perçait à jour la faiblesse de ceux qui le jugeaient. D'autant que son excessive émotivité se retrouvait ici pour le paralyser toutes les fois qu'il s'agissait d'un examen ou d'une com- position importante. Cet élève qui, par la suite, devait laisser bien loin derrière lui ses condisciples, était inégal, sujet aux défaillances, quelquefois dépassé par des camarades qui ne le valaient pas (3). Ce qui à ses souffrances imaginaires ajoutait encore la révolte contre des injustices supposées. V Ces tortures morales, si elles atteignaient les fibres profondes de la sensibilité, n'affaiblissaient en rien chez Bourget le désir d'apprendre. Au lycée, comme chez lui, ce fut un insatiable dévo- reur de livres. Il découvrit ainsi la littérature moderne. Cet évé- nement qui allait avoir des conséquences si profondes se produisit en troisième (1866). Bourget avait comme professeur Georges Morel, homme distingué, et qui jouissait auprès de ses élèves d'un prestige particulier : il avait fait partie de la bohème littéraire et avait connu Murger et Musset ! Naturellement, dans son ensei- gnement, il donnait une place privilégiée aux auteurs associés à sa jeunesse et c'est ainsi que, dans un livre de morceaux choisis dont on se servait pour les récitations, Bourget fit connaissance avec les poètes les plus récents : Lamartine, Hugo, Sainte-Beuve, . L'élève fut ébranlé dans tout son être. Jusque- là, sous la direction prudente du grand-père Nicard, il avait lu presque exclusivement les anciens ; et les œuvres qu'il avait trouvées dans la bibliothèque de son père appartenaient à une époque où les écrivains ne sacrifiaient pas aux troubles de la sen- sibilité. Ils pouvaient étudier l'homme dans ses faiblesses, mais ils étudiaient l'homme normal. Ils ignoraient les êtres exceptionnels et tourmentés. C'est avec le romantisme qu'apparut la peinture des sentiments morbides, l'analyse des perversités morales et physiques. Un monde nouveau, troublant et délicieux, s'ouvrait pour cet enfant qui atteignait l'âge dangereux de quatorze ans. Il fut séduit du coup. A peine eut-il lu quelques vers des poètes romantiques qu'il reconnut en eux son âme et ses langueurs. La sensualité mystique de certains poèmes de Lamartine (le Lac et le Crucifix entre autres) l'enivrèrent ; des extraits des Consola- tions de Sainte-Beuve l'attirèrent par ce qu'il y sentait de passion coupable. Victor Hugo, trop fort, trop sain, le touchait moins ; la somptuosité des Orientales, cependant, le fascinait. Mais Musset le prit tout entier. L'Espoir en Dieu commença le sortilège. Et quand Bourget se fut procuré un Musset complet, alors le charme capiteux de l'auteur de Rolla pénétra subtilement en lui. Inca- pable de discerner ce qu'il y avait de faux et de littéraire sous cette grâce douloureuse et passionnée, ce qui se cachait de dan- gereux sous ce libertinage idéalisé, il se créait une image du monde d'après les visions chimériques des Contes d'Espagne et d'Italie. Il voyait en Musset un frère, un frère seulement plus savant dans la science de la vie, avec lequel il se sentait des affinités profondes, car n'avaient-ils pas tous deux, pour faculté maîtresse, l'imagina- tion des sentiments? Ces lectures de la quatorzième année eurent sur la carrière lit- téraire de Bourget une influence décisive. Elles donnèrent au fu- tur romancier une prédilection singulière pour les mystères de l'expérience sentimentale et la curiosité des choses de l'amour, surtout de l'amour coupable (1). Il n'était que déjà trop porté vers ce goût-là, car il appartenait à cette « race des amoureux de l'amour » qu'il a définis dans l'Ecran, « pour qui l'univers féminin est de bonne heure l'attrait suprême, et bientôt, si aucune action ne corrige ce premier penchant, l'attrait unique ». Ces lectures aidèrent encore au développement d'une imagination déjà exces- sive, en lui fournissant de nouveaux aliments puisés dans les œuvres de maîtres qui paraissaient avoir sondé le fond même de l'existence. Elles contribuèrent à aviver ce besoin de se sentir sentir que Bourget gardera toute sa vie. Enfin, en dévoilant à un âge trop tendre « les dessous cruels et violents du monde », elles créèrent chez ce garçon un désarroi qui allait, pour des années, installer l'inquiétude à demeure dans son âme. VI Ce malaise intellectuel se doubla d'une crise morale. Bourget jusque-là avait été très pieux, d'une piété que sa sensibilité exal- tait. Lorsqu'il accompagnait sa belle-mère ou la grand'mère Ni- card — toutes deux catholiques pratiquantes — à l'église des Capucins ou à l'église des Minimes, l'enfant éprouvait à remplir ses devoirs religieux une satisfaction intense. Son esprit ima- ginatif trouvait dans le silence parfumé d'encens de l'église une jouissance délicieuse qui touchait son besoin inné de poésie. Cette religiosité il la tenait sans doute de ses ancêtres cévenols, tous gens de piété ardente, et elle avait été entretenue, d'une façon assez inattendue, par son père. Justin Bourget possédait cette tendance au mysticisme dont s'accompagne souvent le génie ma- thématique. Dans son enfance il avait même traversé une crise de scrupules religieux et avait songé un moment à se faire prêtre. Sous l'influence de ses idées républicaines, il s'était détourné d'une religion qu'il associait à la tyrannie de l'Empire, mais il s'était réfugié dans une sorte de déisme qui conciliait ses préférences politiques et son besoin de croire. L'étude de l'astronomie, qu'il aimait avec passion, en lui dévoilant la beauté des espaces infinis et leur ordre harmonieux, l'avait confirmé dans sa foi en un régu- lateur suprême dont il lui suffisait de savoir qu'il existait. Ses con- ceptions il les avait communiquées à son fils au cours des conver- sations où il lui expliquait l'histoire merveilleuse de l'univers, préparant le terrain que les deux femmes de la maison avaient ensuite ensemencé de leur foi plus orthodoxe. Aussi à son arrivée au lycée, Paul Bourget s'était-il, tout de suite, distingué parmi les élèves les plus zélés que l'aumônier du lycée, l'abbé Habert, grou- pait sous sa pastorale surveillance. Mais sous l'influence de ces capiteuses lectures où le péché pre- nait de si séduisantes splendeurs, l'enfant commença bientôt à s'éloigner de ce confessionnal duquel il approchait autrefois avec exaltation. Dans l'Essai sur Renan, Bourget a expliqué la part qui revient à l'éveil des sens dans ces refroidissements de la croyance chez les jeunes gens : « Quelquefois, la rupture se fait sous l'in- fluence des passions de la virilité commençante et l'homme, en se détachant de la foi, se détache surtout d'une chaîne insuppor- table à ses plaisirs. L'incrédulité revêt alors une sorte de carac- tère trouble, et pour tout dire en un mot, sensuel... la honte des désordres de ses sens le précipite à des haines furieuses contre cette religion qu'il a trahie pour les motifs les plus mesquins. Je n'éton- nerai aucunement ceux qui ont traversé les études de nos lycées en affirmant que la précoce impiété des libres penseurs en tunique a toujours pour point de départ quelque faiblesse de la chair ac- compagnée d'une horreur de l'aveu au confessionnal (1). » A vrai dire, chez le jeune Paul, ce n'était point tant la poussée des sens que l'imagination de ce qu'il a appelé plus tard « les fuyantes com- plications du péché ». Et ici encore Musset était le tentateur qui lui soufflait les mots de révolte impie dans ces vers que Bourget se répétait avec admiration : O Christ ! je ne suis pas de ceux que la prière Dans tes temples muets amène à pas tremblants ; Je ne suis pas de ceux qui vont à ton calvaire En se frappant le cœur baiser tes pieds sanglants... Bientôt ce terrible esprit critique qui lui avait dévoilé les fai- blesses de ses maîtres, il ne put s'empêcher de l'appliquer à son aumônier et aux gens pieux qu'il rencontrait dans l'entourage de la famille. Il se dit qu'il ne suffisait pas de pratiquer pour être intelligent. Il découvrit que les dévotes qu'il entendait marmonner leurs prières étaient des âmes simples, souvent incultes. Il leur comparait ces professeurs, frais émoulus de l'École normale, éloquemment sceptiques — ceux dont c'était le devoir de former les jeunes esprits, à cette époque, se déclaraient presque tous athées — et dont les discours répandaient un tel parfum de sa- voir ! De là à mettre en doute la valeur intellectuelle du catholi- cisme il n'y avait qu'un pas, vite franchi par un garçon qui avait, ancrée en lui, l'idolâtrie de l'intelligence. A quinze ans, Paul Bourget perdit la foi. Entendez qu'il renonça aux pratiques reli- gieuses, sans se déprendre toutefois des principes métaphysiques qui sont le fondement de tout dogme — la supériorité de l'esprit sur la chair, l'idée de vie éternelle et d'un Dieu créateur—réserves qui seront, plus tard, le point d'appui d'où s'élancera à nouveau la croyance. VII Paul Bourget en était à ce point de son développement intel- lectuel et moral, quand son père reçut de Louis Dubief, qui venait d'être nommé directeur du Collège Sainte-Barbe, après la mort du célèbre Labrouste, en 1866, une invitation à prendre la direction des études à l'École préparatoire de cette institution parisienne. Ce poste était assez bien rétribué. Justin Bourget, dont la famille avait augmenté depuis son remariage — deux filles et deux fils lui étaient nés, Claire en 1859, Louise en 1860, Henry en 1864, Camille en 1866 — ne pouvait pas rester indifférent à une amélioration pécuniaire qui allait surtout lui permettre de mieux élever ses enfants. Paris était alors le seul endroit où l'on pût préparer l'admission aux grandes Écoles avec quelques chances de succès. La possibilité de donner cet avantage à ses deux aînés, qui approchaient du moment où il faudrait choisir une carrière, le décida. Bien qu'il sût qu'il allait être obligé de renoncer à ses chers travaux de mathématiques, il accepta l'offre. Et la famille partit de Clermont pendant l'été de 1867. Paul Bourget venait d'achever sa seconde. Il quitta sa geôle sans regret. Et pourtant, il y laissait de tendres souvenirs qui, dans l'éloignement, s'adouciront sous la mélancolique lumière des choses qui ont été. Dans ce milieu où sa sensibilité avait reçu tant de blessures, il avait connu par contre le charme des bonnes camara- deries. Il y avait noué de solides amitiés et Paul Bourget a toujours été particulièrement accessible aux joies de l'amitié. De cette ville de Clermont, pourtant si sévère et presque renfrognée, avec ses rues étroites et tortueuses, ses maisons en pierre noire de Volvic, ses horizons si tragiquement bouleversés, il fit sa petite patrie bien-aimée, le refuge spirituel vers lequel il aimait à retourner, l'endroit qu'il a choisi comme lieu de l'action de ses œuvres les plus pieusement pensées. « C'est ma ville, » a-t-il écrit, « la seule où je ne sois pas un étranger, un passant qui pourrait ne pas re- venir. Ma ville, elle fait partie de moi, comme je fais partie d'elle. Il n'est pas un tournant d'une de ses sombres ruelles, où je n'aie un fantôme à évoquer, d'un homme ou d'une femme, plus ou moins mêlé à l'histoire de mon âme et qui, le plus souvent, ne s'en est jamais douté (1). » VIII Le contrat avec Sainte-Barbe stipulait que deux bourses d'in- ternat reviendraient aux deux aînés du nouveau directeur de l'École préparatoire. Paul Bourget se trouva donc faire partie des internes de cette institution. Sainte-Barbe, vieux collège fondé en 1460 par Geoffroy Lenor- mant, était devenu depuis sa reconstitution une des pensions les plus élégantes de Paris. Organisée sur le modèle d'Eton, elle recru- tait ses élèves dans la société la plus huppée de Paris et de l'étran- ger : des fils de financiers comme Ferrari ou de personnages en vue comme les Pourtalès, les Cavaignac et les Galliffet y coudoyaient des princes des Balkans ou « Valaques ». Le futur roi Milan fut un des plus considérables parmi ces jeunes gens qui se distinguaient par leur luxe sinon toujours par leur amour du travail. Sous pré- texte de développer le caractère, on laissait aux plus fortunés une certaine liberté de mouvements. Quelques-uns d'entre eux avaient des chambres particulières dans un vieux bâtiment branlant, situé à l'angle de la rue des Sept Voies et de la rue de Reims, connu sous le nom de Baldé, ancien hôtel meublé approprié tant bien que mal aux nécessités de la vie scolaire. Paul Bourget était parmi les privilégiés : il occupait une chambre, petite, il est vrai, mais qui lui assurait une réelle indépendance. Ses parents logeaient tout à côté et un couloir seulement le séparait de leur appar- tement. Les élèves les plus avancés suivaient les cours du lycée Louis-le- Grand, dont les constructions enserraient Sainte-Barbe et Paul se trouva bénéficier d'un enseignement de choix. On sait quelles serres chaudes intellectuelles ont toujours été les lycées de Paris et Louis-le-Grand passait, parmi ceux-ci, pour un des meilleurs. Les classes y étaient faites par des hommes distingués, tels que Pierron, Marcou et Delacroix en seconde, où Paul entra à son arri- vée, Aubert-Hix et Merlet en rhétorique. Paul, comme à Clermont, fut un bon élève, mais, ici aussi, sa timidité, en lui enlevant une partie de ses moyens, l'empêcha parfois de réussir comme il le méritait. Il avait pour condisciples des élèves de qualité supérieure — Burdeau, Cavaignac, fils du général, Henry Bauër, Brunetière, Saint-René Taillandier qui se sont illustrés dans l'enseignement, les lettres ou la diplomatie. La compétition était dure. Ses camarades, en tout cas, comme l'a rapporté l'un d'eux, n'avaient pas deviné qu'il dût « s'élever si haut » (1). Ses véritables succès consistaient dans l'enrichissement de son esprit et cet enrichissement il le poursuivait avec passion. Il montrait pour l'étude une ardeur peu commune. Quelques-uns de ses maîtres l'enthousiasmaient,

Merlet, par exemple, dont il ne pouvait prononcer le nom sans émotion. Plus encore qu'à Merlet son admiration allait à Eugène Des- pois, simple répétiteur, ou, pour employer l'argot de l'école, « col- leur ». Comme toutes les institutions de ce genre Sainte-Barbe se faisait une gloire de ses succès au concours général, et entretenait des maîtres chargés de « chauffer » les élèves qui avaient des chances de décrocher quelque prix, excellente réclame pour la maison. A Eugène Despois on avait confié les répétitions de latin. Ce n'était pas un homme ordinaire et Bourget s'en est inspiré pour tracer le caractère de Jules Marnat, dans le Justicier. Excellent élève de l'École normale, chargé d'un cours de rhétorique à Louis-le- Grand à vingt-cinq ans, il avait devant lui un brillant avenir. Pour- tant il n'hésita pas à démissionner, lors du coup d'État, plutôt que de prêter serment à l'Empire. Depuis, il vivait difficilement de leçons particulières. Cette preuve de courage civique lui valait aux yeux des rhéto- riciens de Sainte-Barbe, tous plus ou moins révolutionnaires, une autorité et un respect absolus. Discuter un jugement de Despois eût semblé à ces enthousiastes une sorte de blasphème. Et Paul Bourget, tout le premier, n'osa pas, pendant longtemps, goûter Mérimée et Sainte-Beuve, vers qui il se sentait pourtant attiré d'instinct, simplement parce, que cet ennemi de l'Empire témoi- gnait pour ces deux écrivains un inexprimable mépris, qu'il tra- duisait par l'intonation qu'il donnait aux mots : « Monsieur le Sénateur » Sainte-Beuve, ou « Monsieur le Sénateur » Mérimée, quand il les mentionnait. L'affection que lui vouait sa classe il la devait surtout à son culte ardent pour les écrivains antiques. Quand il était devant un texte latin, demandant à un de ses élèves de traduire un passage à livre ouvert, il se transfigurait. « Indifférent d'abord jusqu'à la froideur, le latiniste en lui s'échauffait. A la traduction ânonnante la sienne soudain se substituait. Il parlait et le mâle langage de Tite-Live et de Tacite se transcrivait en prose française égale au modèle par le raccourci et le serré... Ces textes sublimes des Anciens, passant par cette bouche éloquente, perdaient tout air de citations. Ils ne faisaient qu'un avec ce magnifique lettré qui invitait à communier, non plus à travers les livres, mais à travers son âme, dans ces beaux génies, sa religion (2). » On devine l'application que le disciple de Joseph Nicard appor- tait à ces exaltantes leçons. Il était de ceux que le destin marquait pour enlever un prix au Concours général, et il se préparait à la rude lutte avec le sérieux qu'il apportait à tout effort intellectuel. Avec quel respect il tournait les pages d'un livre — qu'il a conservé jusqu'à son dernier jour comme une relique — où étaient repro- duites les compositions couronnées d'un Michelet, d'un Sainte- Beuve, d'un Musset ! Le souvenir de ces triomphateurs le soutenait dans ses études. Et il se promettait de marcher sur leurs traces et de figurer à son tour dans la glorieuse phalange. Il est peu de choses, parmi celles que Paul Bourget s'est données comme but, qu'il n'ait pas réalisées. Au Concours général de 1870, il obtint le second prix d'honneur en discours latin — le même prix — coïn- cidence enivrante ! — qui était échu à Musset longtemps aupara- vant (3). Pendant ces deux années de rhétorique, Paul Bourget élargit aussi sa connaissance de la littérature moderne. Aubert-Hix, l'un de ses professeurs, avait été le condisciple de Baudelaire et de Feuil- let ; il ne se lassait pas de raconter des anecdotes sur la jeunesse de ces deux écrivains, et son élève fut ainsi amené à lire les Fleurs du mal et les romans de celui que l'on pourrait appeler un pré- Bourget. Paul Bourget eut bientôt dévoré les romans de , Madame Bovary, Adolphe, Choderlos de Laclos, Henri Heine, dont il savourait la sensibilité maladive, Leconte de Lisle, Michelet, Byron, jusqu'aux petits romantiques, parmi lesquels il aimait tout particulièrement Antony Deschamps. Enfin et surtout, il décou- vrit Balzac. Il a raconté qu'à peine arrivé à Paris, un dimanche de congé, il avait passé l'après-midi dans un cabinet de lecture établi rue Soufflot, à lire le Père Goriot et qu'en rentrant chez lui il était tellement grisé de rêverie qu'il titubait sur le trottoir. « Aucun livre », a-t-il ajouté, « ne m'avait procuré les ravissements d'une pareille exaltation. Aucun ne me les a procurés depuis (4). » Après cette expérience, son premier soin fut de se familiariser avec les autres œuvres de cet écrivain. Et il lut ainsi tous les vo- lumes de la Comédie humaine. A partir de ce jour sa vocation était décidée : il serait homme de lettres. Ses premiers essais (si l'on omet les pages naïves écrites dans son enfance) datent de là. Il les com- muniquait à Albert Cahen, son aîné, avec qui il avait commencé à se lier d'amitié, et à Richepin, dont il avait aussi fait la connais- sance vers cette époque. Le futur auteur de la Chanson des Gueux était alors à l'École normale, attendant une occasion d'en sortir. De la rue d'Ulm à Sainte-Barbe et de Sainte-Barbe à la rue d'Ulm on voisinait facilement. Richepin vantait au rhétoricien, qui ne faisait guère la sourde oreille, les beautés de la vie littéraire, et l'autre initiait le turbulent et quelque peu sauvage normalien aux profondeurs de la philosophie spinoziste. Ces deux esprits, si différents l'un de l'autre, s'affrontaient et s'aiguisaient dans des causeries interminables. Et ainsi se formait le noyau du premier affilié.cercle littéraire auquel Paul Bourget allait se trouver peu à peu IX Bourget venait d'achever sa rhétorique en juillet 1870, quand Paul Seguin — les Seguin étaient restés en relations d'amitié avec les Bourget, même lorsque Claude Bourget les eut quittés — cherchant un jeune homme instruit pour éveiller chez son fils un goût de l'étude quelque peu somnolent, vint demander à Justin Bourget si Paul consentirait à être ce compagnon de confiance. Paul accepta et suivit les Seguin à Annonay. Une vie nouvelle — et combien différente de celle qu'il avait menée jusqu'alors ! — commença pour lui. Installé à l'hôtel, il passait la plus grande partie de la journée avec son élève, essayant de l'intéresser au travail, se morfondant le reste du temps dans cette petite sous-préfecture. La société mesquine dans laquelle il lui fallait vivre l'écœurait. Il avait le choix entre une table d'hôte vulgaire et un cercle où se réunissaient des industriels enrichis, se faisant gloire d'aventures malpropres, et lavant leurs souillures dans des pratiques religieuses sans conviction. Cette débauche et cette hypocrisie indignaient le jeune homme dont le sens moral, forgé à l'école de son père, était resté pur, même après la perte de la foi. A cette révélation de turpitudes humaines réellement vécues, devant pareille corrup- tion, il se demandait avec épouvante si le dévouement, la vertu, la lutte calme avec la vie n'étaient pas de simples chimères. Il se sentait affreusement seul. Et ce qui contribuait à augmenter sa solitude d'âme c'était la pensée que la ligne infranchissable des armées allemandes le séparait de sa famille. Car la guerre avait éclaté dans l'entre-temps et il n'avait d'autres nouvelles de Paris que le récit des défaites qui accablaient notre malheureux pays. Pour s'étourdir, Paul Bourget travaillait avec rage. Il relisait Victor Hugo, Musset, Lamartine, George Sand. Ou encore il lui arrivait de se plonger dans un poète grec et de traduire fiévreu- sement jusqu'à mille vers d'une traite. Il écrivait aussi des poésies, et composait un roman dont l'action se passait aux Epagnes, près d'Annonay. Une occasion s'offrit enfin de quitter un milieu qu'il détestait. Un de ses amis, Prot, ayant été nommé professeur à Chambéry, lui rendit visite, et le voyant déprimé l'invita à venir avec lui : il pourrait continuer à étudier en attendant le débloquement de Paris. Bourget accepta (en septembre) et retrouva quelque con- tentement, la paix de l'esprit du moins, car son désir de rentrer à Paris restait violent. Il lui prenait par moments une envie fu- rieuse de partir à pied, de franchir coûte que coûte les lignes prus- siennes et de rejoindre les siens pour partager leurs angoisses. Enfin l'armistice étant signé, Bourget put regagner la capitale.

X Il reprit sa place sur les bancs du lycée Louis-le-Grand, dans la classe de philosophie d'Émile Charles. Mais déjà Paris était en effervescence : aux misères de l'invasion étrangère allaient suc- céder les déchirements de la guerre civile. Bourget vécut alors quelques-unes des journées les plus tragiques de sa vie. Sainte- Barbe se trouvait en plein centre de l'agitation révolutionnaire. Le café où se réunissaient les grands chefs chamarrés de l'insur- rection était situé sur la place Saint-Michel. Plusieurs barbistes figuraient parmi ces chefs, entre autres Maroteau, l'auteur des Flocons. Chaque journée apportait non seulement des sujets de s'attrister — Justin Bourget désapprouvait violemment la poli- tique destructrice des communards — mais aussi mainte occasion Cet ouvrage a été achevé d'imprimer sur les presses de la LIBRAIRIE PLON le 16 avril 1937.

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