Paul Bourget. Histoire D'un Esprit Sous La Troisième République
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Il a été tiré de cet ouvrage 1 exemplaire sur papier des Manufactures impériales du Japon, réservé à l'auteur ; 3 6 exemplaires sur papier pur fil des papeteries Lafuma, à Voir on , dont 12 exemplaires réservés à l'auteur, 20 numérotés de 1 à 20, et 4 hors commerce, marqués H. C. PAUL BOURGET Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1937. ALBERT FEUILLERAT PAUL BOURGET Histoire d'un esprit sous la Troisième République Avec 8 gravures hors texte PARIS LIBRAIRIE PLON LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT IMPRIMEURS - ÉDITEURS 8, RUE GARANCIÈRE, 6 Tous droits réservés Copyright 1937 by Librairie Plon. Droits de reproduction et de traduction r éser - S pour tous pays, y compris l'U. R. S. S. A MA FEMME J'OFFRE CE LIVRE QUI LUI DOIT TANT A. F. PRÉFACE Les vies des écrivains écrites par un membre de leur famille sont sujettes à caution. Car il est à craindre que l'affection — ou la vanité — ne colore les faits, quand elle ne les supprime pas. J'ose espérer que cette biographie échappera à toute suspicion. J'ai trop pris l'habitude, dans ce que j'ai publié jusqu'ici, de dire uniquement ce que je croyais être la vérité, pour renoncer, en fin de carrière, à une méthode que je tiens pour excellente. Certes, j'ai parlé de mon sujet avec sympathie, — bien que je ne par- tage pas toutes les opinions que j'ai objectivement rapportées, — cette sympathie qui devrait être la première qualité d'une cri- tique vraiment féconde. Mais mon attachement à Bourget ne m'a jamais aveuglé. On trouvera dans ce portrait les ombres en bonne place. J'ai peut-être traité mon modèle en héros, au sens littéraire du mot; je n'ai pas cessé un instant de le considérer comme un être humain, c'est-à-dire comme un mélange com- pliqué de vertus et de faiblesses. Si j'ai risqué d'encourir le reproche de partialité que d'au- cuns ne manqueront pas de me décocher malgré tout, c'est qu'il m'a paru nécessaire de fixer, pour la postérité, une figure restée assez mystérieuse et, pour cette raison, fort mal comprise. Comme la plupart de ses personnages, Bourget avait une personnalité double, et il s'ingéniait à tenir séparées ces deux parties de lui- même. D'un côté se laissait voir l'écrivain, l'académicien célèbre, faisant figure dans le monde, à l'abord aimable et accueillant, brillant causeur, dispensant sa sagesse à tout venant, exemple d'harmonie entre les actes et la pensée. Mais sous cet homme représentatif, et à l'abri de celui-là, vivait intensément un autre homme replié sur lui-même, réservé, jaloux de son quant-à-soi — le mot a été lancé par lui, ce qui est significatif — ombra- geux même, ensevelissant ses émotions sous des apparences d'im- passibilité. C'est ce qu'il appelait se défendre contre les rudesses de l'existence, pour assurer l'indépendance de l'esprit. Cette pudeur des sentiments, qui lui était naturelle, n'avait pas cessé de se développer depuis le jour où il avait découvert la grande règle de l'éducation anglaise contenue dans cette maxime : Don't show your feelings, « Ne laissez jamais voir ce que vous ressentez. » Cet homme intérieur il l'a âprement défendu contre les contacts du dehors et seuls quelques intimes ont pu l'entre- voir. Cela est si vrai que, parmi les anecdotes qui circulent sur son compte, je n'en trouve pas une seule qui mette cette person- nalité cachée en lumière. Elles se fondent toutes sur des juge- ments, des traits d'esprit, des exemples de perspicacité, sur des idées enfin ou des convictions, jamais elles ne pénètrent dans les détours du cœur. Pourtant cette personnalité cachée est celle qui s'est exprimée dans l'œuvre ; l'ignorer c'est se condamner à ne pas comprendre cette œuvre dans sa signification profonde. La nouveauté de la présente biographie — si toutefois elle en a une — consiste précisément en ceci qu'au lieu d'imaginer l'homme à travers sa pensée, j'ai interprété la pensée en partant d'une connaissance préalable de l'homme. Il m'a semblé que j'avais le devoir de peindre ce Bourget inconnu, infiniment Plus intéressant, et plus humain, que celui que l'on est en train de stéréotyper. Il faut si peu de temps pour que la vérité devienne inaccessible! Vingt ans, dix ans, suffisent parfois pour supprimer les témoins d'une existence. Or le nombre de ceux qui ont vu Bourget dans son intimité dépouillée diminue rapidement. Je serai bientôt un des derniers qui, dans son cas, auront eu accès aux archives de la réalité. J'ai, en effet, bénéficié d'une documentation que je peux, sans exagé- ration, qualifier d'exceptionnelle, et qui serait irrémédiablement perdue si je ne l'avais pas recueillie. Par Mme Francis Laurent et par ma femme — sœurs de Bourget — j'ai puisé dans de riches souvenirs de famille qui m'ont permis de remonter jus- qu'aux premières années du romancier. J'y ai joint mes propres observations pendant près de trente-cinq ans. Enfin, et surtout, j'ai eu pour me guider les confidences que Bourget a bien voulu me faire lorsque nous avons discuté ensemble le plan de ce livre et le sens de l'œuvre que je me proposais d'étudier. Dans bien des cas, je dois l'avouer modestement, ma pensée est un simple reflet d'explications qui m'ont été ainsi fournies. Cette biographie est donc avant tout l'analyse d'une sensibilité qui — par un phénomène mis en évidence au cours de ce livre — s'est cristallisée en idées. On ne trouvera pas, dans les pages qui suivent, de ces révélations scandaleuses dont la critique abuse depuis quelque temps. Je n'ai pas donné de clefs pour les ro- mans. Je me suis même abstenu, bien que ceci m'ait fort gêné, de citer des passages empruntés aux nombreuses lettres que je possède. Évoquer la vie intérieure de mon auteur, la montrer dans ses vicissitudes, dans ses efforts pour se nourrir d'une pensée fluctuante, élucider le sens des différents romans par leur rapport avec les variations de cette pensée, tel a été mon unique but. L'intérêt du livre n'y a, je crois, rien perdu. Car la vie de Bourget fut surtout dans la création de l'œuvre. La recherche anxieuse d'une vérité difficile à étreindre, voilà ce qui constitua l'activité, le drame de toute une existence consacrée à écrire. Et l'on conviendra que rien n'est plus tragique que la lutte que nous avons à soutenir contre les idées. Aussi l'œuvre occupe-t-elle dans cette biographie une Place prépondérante. On trouvera peut-être que j'ai abusé des analyses. Si l'on m'adresse ce reproche on aura tort. La création des per- sonnages a formé la partie essentielle du roman de la vie de Bourget. On peut dire qu'il a vécu avec les créatures de son ima- gination bien plus qu'avec ses contemporains. Faire défiler leur foule fantomale devant les yeux du lecteur c'est assurément ouvrir la porte sur ce drame secret dont je parlais tout à l'heure. J'ai aussi accordé une attention considérable aux questions de technique. Celles-ci n'ont assurément pas troublé aussi forte- ment la conscience de Bourget que les problèmes religieux ou sociaux. Mais elles ont également fait partie des tourments de cette âme inquiète. Les jugements esthétiques m'ont beaucoup moins retenu. Sauf dans le cas où mon étude y menait pour ainsi dire inévitable- ment, je me suis abstenu de louer ou de condamner. J'ai pensé que c'était là qu'il fallait le plus se méfier des suggestions dé- formantes de l'affection. Mais même si je n'avais pas eu cette raison suffisante, j'aurais été détourné des appréciations par le seul fait que j'ai lu à peu près tout ce que l'on a écrit sur Bour- get. De cette lecture j'ai retiré la conviction qu'il est vain, pour le moment du moins, de porter un jugement sur une œuvre dont personne n'approche sans parti pris. Des travaux qui ont déjà paru sur le sujet je n'ai donné aucune liste à la fin de ce volume, comme l'usage le voudrait. Mais je prépare un second volume qui contiendra une biblio- graphie complète non seulement des œuvres de Bourget mais encore des ouvrages ou articles qui ont été publiés sur lui. Je sais que mon livre est incomplet. Préoccupé avant tout de suivre l'évolution de Bourget dans tous ses méandres, j'ai né- gligé bien des questions que les historiens de la littérature regret- teront sans doute de ne pas trouver résolues. J'ai, par exemple, laissé de côté l'étude des sources où mon auteur a puisé certaines de ses idées. J'ai dû me contenter d'indiquer, incidemment, quelques rapprochements avec des romanciers ou des penseurs plus anciens. De nombreux travaux restent encore possibles dans ce domaine, tels que l'influence de la littérature anglaise, celle de Gœthe, de Balzac, de Bonald, des Pères de l'Eglise, etc. Ce sera l'œuvre de travailleurs Plus jeunes. Si je pouvais me dire que j'ai contribué à débroussailler les abords de leur sujet, je serais satisfait, car j'aurais réalisé mon ambition : faciliter la tâche des futurs biographes de Paul Bourget. A. F. Paris, 8 octobre 1936. P.-S.