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MOD,GARAGELAND , R&B et POP 1964-1968 : LA NAISSANCE DU COOL Garageland 1-176 COR:Mise en page 1 12/03/09 17:44 Page 2

DU MÊME AUTEUR THE , Albin Michel, 1996 OASIS, Venice, 1998 DAVID BOWIE, Librio, 1999 IGGY POP, Librio, 2002

A NikolaAcin, always on my mind

Un livre édité par Hervé Desinge Coordination : Annie Pastor

© 2009, Éditions Hoëbeke, Paris www.hoebeke.fr Dépôt légal : mai 2009 ISBN : 9782-84230-351-8 Imprimé en Italie Garageland 1-176 COR:Mise en page 1 11/03/09 18:32 Page 3

MOD,GARAGELAND FREAKBEAT, R&B et POP 1964-1968 : LA NAISSANCE DU COOL NICOLAS UNGEMUTH # Garageland 1-176 COR:Mise en page 1 11/03/09 18:32 Page 4 Garageland 1-176 COR:Mise en page 1 11/03/09 18:32 Page 5

Préface parAndrew LoogOldham

LES SIXTIES,ou d’ailleurs la fin des années 1940 et les années 1950 apparence profonde et préoccupée par son temps,il n’en était rien : qui les ont inspirées,sont loin d’être achevées.Elles continuent de elle était plus préoccupée par l’argent.L’histoire et en particulier ces miner,déterminer et servir de modèle visuel et sonore à presque tout périodes dominées par le multimédia tout-puissant nous montrent ce qui vaut la peine d’être salué par nos yeux,oreilles,cœur, que (désolé John etYoko) la guerre est loin d’être finie et que troisième œil et cerveau aujourd’hui.Et tout est dans la musique. nous étions des ahuris enfumés pour croire que nos égarements lysergiques pourraient donner une chance à la paix.Dylan est Le cinéma,au fond,est mort pour diverses raisons. demeuré au-dessus de la mêlée ;les Stones ont tenté quelques Premièrement,nous sommes tous des stars.Deuxièmement, coups décents comme“Street Fighting Man”;les Beatles ont vécu la musique,lorsqu’elle nous parle,s’exprime plus fort et plus et sont morts en studio ;lesWho ont signé“Tommy”et sont allés à sincèrement que ce cinéma contrôlé par des comités de direction Broadway et les autres...Ah,les autres...La brigade des branleurs et la technologie.Et troisièmement,ces règles ont précipité américains débauchés qui s’étaient défoncés au point de ne pas Hollywood,Bollywood et même notre charmant et vivifiant pouvoir assurer ce deuxième round primordial et toute cette Froggywood vers la technopoubelle et l’emprise de studios merde en jeans et dollars...Crosby,Stills,Nash et le reste,ce produisant des noms de marques plus adaptés à du parfum,des pseudo-vertige tumultueux de l’ordinaire pour foules embrumées lunettes noires ou des publicités pour bagages de luxe qu’à une dans les stades.Leurs chansons...Merci pour les souvenirs... manne à fantasmes.La musique n’a pas succombé à la mainmise sournoise du monde de l’entreprise,ni au malaise du cybershop, C’est la deuxième partie des sixties,la période 1963-1967 qui reste car on peut jouer autant de solos de guitare imaginaires qu’on le vrai joyau de la couronne.On n’a rien fait de meilleur,elle demeure veut dans la salle de réunion des grands chefs,mais on ne le cœur charpenté de la bête d’aujourd’hui et de demain.Sa structure pourra jamais rivaliser,ni tuer le live. et son éthique survivent.Ces sixties deuxième période ont été un jeu de hasard.Nous avons pris des drogues au lieu de les laisser nous La division des années 1960 suscite un peu plus la confusion. prendre.Nous ne nous sommes pas fait étrangler par le room service, Il y a au moins trois phases.La première commence au milieu des les pontes de l’industrie et les notes de frais et le plus beau dans années 1950 et dure jusqu’en 1963.Quoique fondamentalement l’affaire,c’est que tout cela pouvait disparaître en un instant. super ringarde à bien des égards,elle ratisse large.Elle englobe Les écrits étaient d’une frivolité optimiste,mais inspirés par le savoir- tout le monde d’Elvis à Brel,de Little Richard à Chet Baker, faire de nos idoles.Sans aucun doute,la plupart des séances d’écriture de Peter Sellers à Fats Domino,de Dylan à Françoise Hardy, de John et Paul et de Mick et Keith ont commencé sur un clin d’œil de Lenny Bruce à Leonard Cohen et d’Eddie Cochran à Chabrol. aux Everly Brothers,à Chuck Berry ou Buddy Holly.Nous avons Et le tout,en prime,a eu le bonheur d’être en noir et blanc. réussi dans un monde où le public nous avait choisis,où l’industrie souhaitait qu’on disparaisse afin de retourner àYves Montand et La deuxième phase,qui a existé de 1963 à 1967,parlait plus fort et Matt Munro.Après le règne du en jeans de la troisième faisait la fête au lieu de se plaindre.Les Beatles,Stones,Kinks,Who période,les Sex Pistols n’ont pas attaqué le monde mais l’industrie et Dylan,encore lui (il reste le seul artiste à succès dont l’œuvre et musicale et ont oublié de charger leurs flingues avec des chansons. l’opinion sont pertinentes à chaque décennie,en grande partie grâce à la façon dont il vit avec et sur la route).La troisième période,de 1967 Cet ouvrage est un éloge de la pop immortelle, celle qu’on a faite à 1972,gueulait encore plus fort mais,bien que fondamentale et en lorsqu’on s’en sentait capable. Je suis fier de vous le présenter...

BOGOTA, COLOMBIE, juillet 2008 (ces mots sont dédiés à notre ami Nikola Acin) Garageland 1-176 COR:Mise en page 1 11/03/09 18:32 Page 6

Introduction par Nicolas Ungemuth C’est toujours une histoire de passeur...Quelqu’un donne les clés qui ouvrent la porte.Il suffit d’avoir la chance de le trouver. On découvreTamla ,Stax,lesAction,les Creation,la scène Mod ou avec PaulWeller. Les Flamin’ Groovies,les Standells et le ChocolateWatchband avec Dominique Laboubée... Tommy Johnson,Willie Brown,Barbecue Bob et le Delta blues avec Jeffrey Lee Pierce. John Coltrane,Herbie Nichols,Thelonious Monk et le modal avecTomVerlaine et encore Jeffrey Lee Pierce. HankWilliams,Waylon Jennings et Bob Dylan avec Chuck Prophet et Dan Stuart. Les anthologies Harry Smith avec Bob Dylan. Bascom Lunsford,celui de“IWish IWasA Mole InThe Ground”,avec Harry Smith. Garageland 1-176 COR:Mise en page 1 11/03/09 18:32 Page 7 Garageland 1-176 COR:Mise en page 1 11/03/09 18:32 Page 8

Si on est curieux,ce Et puis,finalement, avec les Jam, tellement qui est plus amusant, référencés,aussitôt après j’ai découvert on remonte le fleuve, l’Histoire. Et la vie a changé. Elle est devenue plus grande puisqu’il y avait plus de choix. jusqu’à sa source,en Soudain une compilation des Kinks avait prenant son temps. autant d’importance que le nouvel album Et puis un jour, sans même s’en rendre des Specials.Il ne devait plus jamais y avoir, compte, on se retrouve, ému, devant les dans ma tête,de distinction entre la nouveauté, tombeaux de Schütz, Buxtehude, Bach, voire ce concept destiné à alimenter une industrie Pérotin et Hildegard Von Bingen, là où le en carburant et lui fournir son nécessaire chemin s’arrête. Et on se dit que le voyage a été chiffre d’affaires annuel,et l’ancien,sachant que sublime. Que nous avons eu, nous aussi, nos toute véritable œuvre d’, contrairement propres années de pèlerinage, pour citer Liszt... à l’électroménager, est faite pour durer : Tout cela, c’est la même chose. Bonne musique, un disque n’est pas un aspirateur. mauvaise musique. Musique viscérale, musique insignifiante. Musique sacrée, musique profane. En fin de compte,écouté un Musique pure, musique diluée. matin de 2008,“MysteryTrain”, Musique jetable, musique éternelle. capté en 1954 dans le minuscule — je le En scrutant la pochette de “Time Is On My Side” sais, j’y suis allé — studio Sun de Memphis, — les Stones sur les Champs-Elysées presque est plus définitivement moderne que le vides de voitures,l’air défiant et quasi obscènes — single de Madonna enregistré il y a un an. lorsque j’avais huit ans,j’y voyais déjà quelque C’est le secret : quand c’est bon, ça dure. chose d’éternel, quand ce disque avait en réalité Il n’y a plus de datation sensée, plus de été enregistré avant ma naissance. En écoutant les carbone 14. Il n’y a plus de nostalgie. Pistols vingt-quatre mois plus tard, j’entendais Il n’y a plus de temps qui passe. Il n’y sans le savoir, plus les Who, les et les a plus de réaction ou de progressisme. Creation que le Velvet Underground ou les Stooges. Il y a le disque, et plus précisément la En aucun cas,malgré toutes leurs fracassantes chanson. Ce qui nous intéresse... déclarations,les Sex Pistols n’étaient issus d’une On trouvera ici, dans ce livre, quelques génération spontanée sans racines et faisant table rase gagnants et beaucoup de perdants. du passé (“No Elvis,Beatles or Une somme de ratés ! Ce sont, à in 1977”, chantaient les Clash. Cette bonne blague. quelques rares exceptions près,les Un an plus tard, ils tournaient avec ...). oubliés de l’histoire : responsables d’une, deux, trois grandes chansons.

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Quelques 45 tours, un bref tango En quelques clics,certains,affamés, avec la gloire et puis hop ! se sont tout pris d’un coup. Ce festin c’était déjà fini pour eux. pour les goinfres ! Quelques centaines de On les pensait oubliés,jusqu’au jour où, atteignant giga-octets dans l’iPod. Des milliers de son âge d’or, paradoxalement juste avant de morceaux. Des raretés en veux-tu en disparaître, l’industrie de la réédition en CD a voilà... Deux ou trois nuits pour s’enfiler ressorti ses vieilles malles pleines de métaux ce que nous avions mis une vie à traquer. précieux d’une manière dont on n’aurait même Et c’est heureux : aux quatre coins de la pas rêvé à l’époque du sacro-saint vinyle.WeThe France, des jeunes de quinze ans qui People. Birds.Artwoods,Eyes.Tout est ressorti. montaient des groupes de , qui Même ce qui n’était pas sorti à l’époque ! lisaient Rock&Folk et qui s’apprêtaient Tout, d’un coup, est devenu disponible... à jouer au Gibus,ont découvert tout ça, En 1980, quand on était jeune Mod, il fallait ces machins vieux de quarante ans,et ils se contenter de quelques compilations des Who, se sont dit qu’en fin de compte, ça leur des Small Faces et de deux ou trois anthologies parlait nettement plus que Radiohead... Motown. Si quelques faces jouaient les ténors en citant, par exemple, les Birds,personne n’en avait jamais vu le moindre disque, introuvable Dans les salles pleines de sueur de toute manière. Personne n’avait non plus et de bière tiède résonnaient jamais entendu ne serait-ce qu’une seule fois soudain les accords déflagrateurs le “Bert’s Apple Crumble” de The Quick, de “Gimme Some Lovin’ ”. désormais classique archi usé des soirées mod. Partout on se faisait les dents sur “Strychnine”, Mais là, à partir de la fin des années 1990, “Making Time” et “You Burn Me Up And ça a été le grand déballage. Et en version Down”. Un soir, Manœuvre m’envoie un SMS : deluxe s’il vous plaît. Des intégrales,des “Minuit, Gibus,48°C à l’ombre. Les XXX (dont bonus,des remasterisations,des pochettes j’ai oublié le nom) te dédient ‘Don’t Look Back’ somptueuses,des labels spécialisés des Remains.” Quelques semaines plus tard, dans l’exhumation trente-six carats. j’allais moi-même ambiancer le Gibus à grandes De nouveaux coffrets Nuggets, encore giclées d’Artwoods,Sorrows,Creation et mieux que l’album fondateur du même northern soul. J’observais,derrière la vitre, nom, sont tombés dans les bacs... une foule adolescente dont la beauté,l’élégance, Le message, rapidement, est passé, le narcissisme et l’énergie semblaient sortir et souvent sur Internet. directement des trottoirs de il y a quarante ans.

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Un futur jeune écrivain et un chanteur chic Fleshtones,Fuzztones,Chesterfield Kings, bientôt très médiatisé passaient en cabine : Prisoners,Milkshakes,Godfathers “Merci pour tout, c’est grâce à vous qu’on a et soirées Acid Rendez-Vous à Paris. découvert Chris Clark et les Remains...” Puis les Jesus & Mary Chain. Puis Jon Spencer. J’avais été, un court instant, passeur moi aussi. Puis les White Stripes et enfin, Shades,Naast, Et c’était la plus grande satisfaction de etc., qui, sans tomber dans le revivalisme, ma vie de très modeste journaliste, ont su capter l’essence de leur noblesse plus critique que journaliste, d’ailleurs... dans cette forme de musique tellement pure. En 1999, pour Rock&Folk, j’avais proposé à Manœuvre une rubrique garage Garage, mod, freakbeat, (Garageland) puis une autre consacrée british beat, popsyke... aux groupes anglais et intitulée Swinging Peu importe le label, le barbarisme , suite à l’apparition des Strokes et invariablement renouvelé, c’est la même chose. des White Stripes.Jusque-là, j’avais toujours Une esthétique. Une élégance. Une fulgurance. considéré que tout le monde connaissait Un éclair zébrant les enceintes,un orage forcément ces groupes.C’était impensable magnétique à domicile. Mince, il faut l’entendre qu’il en soit autrement. Et puis je voyais, pour le croire : pousser “Psycho” des Sonics dans les pages du journal, des histoires de dans la platine, par exemple.Tout tremble, tout concerts improvisés dans des bars à Paris. s’effondre. Soudain, c’est la vie ! Et lorsque Les jeunes avaient la classe et semblaient arrive “How Does It Feel To Feel” des Creation, être avides de découvertes soniques. c’est l’épiphanie, la génuflexion et bonsoir. Je me suis dit : C’est l’heure. Feu !...

Le truc n’en finit plus de séduire. Et puis un jour, à l’occasion C’est bien la preuve qu’on tient là quelque chose de la sortie française de sa de très spécial. Déjà, même pas dix ans après merveilleuse autobiographie, le big bang fondateur, ça avait germé à nouveau. j’ai interviewé longuement Andrew. Dès 1973.Yves Adrien se mettait à chanter le rock . L’homme électrique et citait les Shadows Of Knight. Bowie qui incarne le Swinging London et les reprenait les Pretty Things et les Sorrows sur ses “Pin sixties à lui tout seul. Celui que Malcolm Ups”. Lenny Kaye, futur Patti Smith Band, sortait McLaren a tenté, en vain, d’égaler, son Nuggets fondateur sans lequel les Clash et les quand il arrivait à peine à l’imiter. Buzzcocks n’auraient probablement pas existé. Celui qui conseillait aux jeunes de Puis encore plus tard, Purple Hearts,TV Personalities, détrousser les aveugles et de leur

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taper sur la tête pour se payer “December’s avions low cost...Ils ont même,ces Children” des Stones,qu’il, comment dire, gérait. vaillants soldats,des causes à défendre : Embellissait. Il était encore plus magnifique réchauffement de la planète,plein emploi, face à moi que je ne l’avais imaginé. sacs en papier maïs,fruits de saison... Vif argent. Lumineux. Hilarant. Retraite à quatre-vingt-dix ans ! Ils se Ce soir-là, j’ai passé des disques à la soirée privée frottent les mains,ils vivent intensément ! en son honneur dans un club en bas de l’avenue Marceau. Cet honneur ! Il paraît que Polanski a dansé.Andrew lui-même aurait esquissé Les époques défilent mais quelques pas entre deux Perrier. ne se valent pas. C’est terrible de Je n’ai rien vu, trop occupé à choisir l’admettre, et c’est sans doute la raison les pépites piochées dans la manne Immediate, pour laquelle peu de gens,en fin de son label mythique. Le plus beau label compte, acceptent de s’y résigner. indépendant de l’histoire du rock. Pourtant, n’importe quel historien, C’est ma fierté personnelle. En vingt ans même en herbe, le sait parfaitement. de journalisme... Interviewer Iggy, On s’éclatait un peu plus durant l’antiquité Kurt Cobain, Lou Reed, John Cale, qu’au bas Moyen Age. On faisait plus de Gainsbourg, Keith Richards ? Rien à foutre ! musique sous Louis XIV que chez Dagobert... L’ennui mortel... J’ai donné, avec tous ceux-là. On a fait plus de bons films dans les années 70 Donnez-moi un quart d’heure avec Andrew que dans les années 80. On a joué du meilleur et je suis un homme heureux. Lui passer jazz dans les années 50 que dans les années 90. des disques en public ? Encore mieux. C’est un fait. Ce n’est pas bien grave, d’ailleurs, il faut seulement le savoir, être prévenu : il y a des périodes d’avancées brutales,de Et ce n’est pas une obsession, grands coups de reins vigoureux, et d’autres toute cette histoire de rock où tout le monde ronfle pendant quelques soixante... Il y en a encore qui doutent, décennies,parfois même quelques siècles ! qui posent la question : c’est quoi ce truc Moi, je regarde une photo d’Andrew Oldham avec les sixties,cette fascination ? en 1966 et je comprends tout, subito. Ils pensent, les simples d’esprit, qu’ils vivent une époque formidable. Le Vélib pour tous,l’espérance de vie jusqu’à cent trente ans ! La pizza à la roquette ! Le commerce équitable (l’idée même est amusante). Le téléchargement et les

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Je comprends l’adéquation Les Anglais ont débuté les hostilités. parfaite entre un lieu, un Brutaux à l’origine, obsédés par l’Amérique homme et une époque (pour noire, puis sophistiqués,dandys,vaudevillesques, le destin, c’est encore autre chose)... incroyablement blancs et britanniques, J’y vois de la fantaisie et de la légèreté. pour ne pas dire élisabéthains. J’y vois la beauté d’une épopée naissante Les Américains,en retard, ont repris en main à qui tout semble promis.J’y vois l’émergence vers 1966 ce que faisaient les Anglais en 1963 du principe de jeunesse, avant que le principe et l’ont poussé à son paroxysme. C’est le ne se transforme en dictature. J’y vois,allez, le rock garage : une déformation des Who, vrai début du vingtième siècle.Avant, ce n’était des Yardbirds,des Pretty Things,des Stones que guerres et après-guerres,avec quelques et des Them vus par les ploucs d’une bals costumés entre les deux. Même les Amérique encore incroyablement arriérée. avant-gardes des années vingt étaient, dans le Au même moment, alors qu’en Floride, fond, les conséquences ultimes des grands au Texas ou en Californie, c’est un déluge de mouvements tectoniques artistiques de fuzz et de Farfisa, les Brits étaient passés au la fin du dix-neuvième. Breton brandissant clavecin et au violoncelle, et délaissaient le Lautréamont et Aloysius Bertrand, Picasso blues et le rock and roll des pionniers,après et Klee citant Odilon Redon, Cocteau s’être entichés de la soul... En attendant vénérant Félicien Rops,Le Corbusier que le psychédélisme n’arrive, que la tétant Marx du soir au matin, etc. technique et les drogues contemplatives prennent le pas et que le sérieux s’installe pour longtemps.C’est alors,sans doute, Dès 1963, avec les Beatles, qu’on a rangé la pop, frivole, honteuse c’est un monde nouveau. Neuf. puisque légère, d’un côté, et le rock avec Notre Renaissance à nous : soudain, la lumière un grand R, fréquentable, quasi Mao, entre dans le tableau. Une fête perpétuellement limite universitaire, d’un autre. recommencée, un cache-cache effectué à pas de Une nouvelle ère allait s’installer géant et en motifs pop art : que s’est-il passé, au durablement jusqu’à ce que le glam juste, entre “Love Me Do” et “ADay In The Life”, puis les punks,en un sens les vrais entre “Surfin’ USA”et “God Only Knows”, descendants et héritiers des Mods de entre “Come On” et “Ruby Tuesday”, durant ces 1964, ne décident de tout bousculer. six petites années,1962-1968, où tout a changé ? L’espace de quelques mois,seulement. Personne ne le sait, personne ne se l’explique. C’est la beauté du truc : on n’y comprend rien.

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C’est le printemps à Paris, Je ferme les yeux. Je vois comme dans la chanson. Andrew Oldham,Terence Entre les commémorations diverses et variées Stamp, Michael Caine, de Mai 68, j’écoute “Get Off My Cloud” au Terence Donovan et David casque, très fort, à la terrasse d’un café de Bailey. Et les dolly birds, Jean et Saint-Germain-des-Prés : “I live in an apartment Chrissie Shrimpton, Marianne Faithfull, on the ninety-ninth floor of my block...”, etc. Anita Pallenberg,,Sandie Shaw. Le “Hey !” introductif. La caisse claire en Toutes resplendissantes et tellement roulé-boulé incessant. Instantanément, la chair de modernes. ’s et His Clothes poule, les yeux humides.Pour la millième fois. à . Lorsque c’était En face de moi, l’antique drugstore est remplacé l’artère jugulaire du monde et pas par un magasin sans charme. Je me souviens de encore la vitrine vulgaire et décrépie l’ancien, dédale d’un autre temps.Tellement d’une navrante mondialisation imposant amusant dans sa fausse élégance moderne partout ses même enseignes uniformes. instantanément ringarde. J’imagine celui de Je vois The Scene, le Flamingo, le King’s Road. Je l’ai vu, celui cité dans “You Cromwellian, le Twisted Wheel à . Can’t Always Get What You Want” : c’est un Avoir vingt ans,non triste MacDonald’s maintenant... Quelques pas dans les Aurès mais à Chelsea, mois auparavant, à Londres toujours tellement en 1966.Voilà un programme. plus vive que Paris,je passais devant Cheyne Pour homme et pour femme. Walk et Edith Grove. Puis Sheperd’s Bush, Au lieu de quoi, on a les ex-territoire modernist par excellence, mais jeux Olympiques à Pékin, où était donc ce Goldhawk mythique où sont Paris-Plage et Danny Boon. nés les Who ? Que de fêtes ici, que de rêves... Certains s’en satisfont ; à vrai dire, Tiens,ici se tenait le Marquee originel. il n’y a pas vraiment le choix. Et là, sur Oxford Street, le vaillant 100 Club Cela n’empêche pas de rêver. est encore debout. Combien de générations C’est important d’avoir de quoi rêver. de Mods a-t-il vu passer puisqu’il y a peu En écoutant quelques disques,c’est encore s’y organisaient régulièrement encore le moyen le plus fort,le plus rapide des allnighters northern soul mémorables et le moins ... Ready, steady, go... ramenant beaucoup de beau monde, de Bobbie Gillespie à Noel Gallagher ? Le week-end Et même le festival punk en 1976... commence ici.

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THE ACTION Les plus délicats de la classe Mod Les mods,les premiers en tout cas,n’écoutaient pas De la pure blue eyed soul. En reprenant, et de quelle de Blancs,et encore moins des Anglais,à quelques belle manière, des perles comme “I’ll Keep On Holding On”, exceptions près... Georgie Fame, qui pastichait le jazz “Harlem Shuffle”,“Since I Lost My Baby”,“In My Lonely post-bop, était adulé, et Chris Farlowe, qui avait une Room”,“Just Once In My Life”,“I Love You (Yeah !)” voix démentielle, passait pour un authentique soul (des Impressions),“Land Of Thousand Dances” ou “Wasn’t It brother... Maintenant, pour les groupes... Les Who transformés en You”, les Action mettaient le pied dans le mille de la culture mods de toutes pièces par leurs managers,les Small Faces adulés moderniste, d’où ils venaient. Favoris du circuit mod, de par les jeunes filles de neuf ans,non, non, non. C’était impensable... à Manchester, ces hommes allaient même se faire Et même si, en 1966 ou 1967, le vrai mouvement mod était produire par, on se tient bien, George Martin en personne. totalement fini — l’âge d’or était en 1964 — les poches de Le saint homme a mis en boîte une petite vingtaine de titres résistance s’étaient trouvé le groupe parfait... Un vrai mod grandioses pour les Action, qui sont aujourd’hui considérés n’aurait jamais écouté de pop comme les Who la pratiquaient comme le Graal total du trip mod originel, et à juste titre. alors,encore moins avec toute cette vilaine distortion. Ces merveilles totales allient le son (Rickenbacker claire), Les Small Faces,qui avaient bien débuté, fichaient subitement le look (écharpes et hispsters parfaits) et l’attitude la honte en reprenant des titres de Mort Shuman. (refus total de la saturation). En 1968, malgré plusieurs singles Un seul groupe avait le mérite absolu :. grandioses produits par George Martin pour EMI, mais La classe totale.Weller, qui avait rédigé les notes de pochette sans aucun album, les Action faisaient leurs adieux pour de la première réédition vinyle du groupe, l’avait bien dit : accomplir différents projets plutôt marqués par le trip “Si est exceptionnel, selon moi Reggie King lui est West Coast américain... avant de se reformer à la fin des encore supérieur dans la mesure où son chant est toujours naturel. années 90 suite aux demandes à répétition de leur fan n° 1... C’est un vrai chanteur de soul.” Les Action, en effet, répugnaient Phil Collins.Oui, Phil Collins est un ancien mod, fanatique du à se lancer dans le genre d’expérimentations qu’allaient batteur des Action, Roger Powell. C’est même lui qui a financé populariser les Who, les Creation, puis les champions de ce un DVD montrant cette réunion un peu triste. Comme quoi, qu’on appelle aujourd’hui le freakbeat. Ces vrais mods même les anciens mods peuvent devenir de parfaits abrutis. voulaient faire du Motown ou Stax/Volt en Angleterre. Réédition CD : “Action Packed !”

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THE ALAN BOWN SET Splendeur moderniste On ne va pas y aller par quatre, trois,deux, ravageant les clubs londoniens durant ces années cruciales qu’ont un chemin : le plus grand groupe mod blanc été 1966 et 1967. Du coup, ces gars incroyablement chics ont commence ici en trois mots qui fouettent : pratiqué la blue-eyed soul — complète de ses chœurs fuselés, Alan Bown Set. Hein ? Certains gloussent ? saxophones,etc. — la plus parfaite qu’on ait jamais entendue, D’autres pouffent ? “Qui sont ces unter menschen ?” tous génies confondus.Et le répertoire, putain ! “I’m The One” doutent-ils aveuglés par les Small Faces.Rendez-vous dans de Curtis Mayfield, ou encore “Can’t Let Her Go”, ce truc cinq minutes,lorsqu’ils auront entendu “Emergency 999”, insurpassable des cultissimes Hipster Image ou encore le définitif “Can’t Let Her Go” et “I Really,Really Care”. “Emergency 999”, probablement jamais égalé en termes de Et c’est là, au milieu des séries B,C, D,E et F,parmi les ploucs pureté mod, tout cela range le Alan Bown Set au rang des icônes et les bras cassés,ceux qu’on nomme, par commodité, les absolues.Il est en fait, intouchable.Avec les saxophones (dont un hasardeux (ceux qui font un bon 45 tours par hasard), qu’on baryton façon Gerry Mulligan), la trompette, la voix hallucinante trouve, en fouillant bien les placards poussiéreux des sixties de Jess Roden, et puis le curriculum vitae idéal : ces hommes ont anglaises,quelque chose de phénoménal. Bien, le Set de joué sur une face entière de ce qui est sans aucun doute le vinyle Alan Bown ne joue pas dans la cour des nains.Il faut prévenir. le plus culte et le plus recherché de l’époque :“London Swings : Le choc est formidable et laisse des lésions.On peut parler ici ‘Live At The ’ ”, composé d’une face proposant le probablement sans aucune forfanterie, du groupe mod blanc Set immaculé, l’autre déchargeant les Vagabonds de Jimmy James ultime. Oui, c’est ce qu’on dit : meilleur encore que les Action. assemblés par un Pete Meaden détaché des Who qu’il avait Parce que plus pur encore.Alan Bown, trompettiste qui avait fait littéralement conçus dans toute leur splendeur moderniste. ses classes chez les John Barry Seven, du futur signataire Devait suivre un rare disque français (“Jeu De Massacre” de “This Way Mary”,“Midnight Cowboy” et autres,dégainait avec Jacques Loussier, monstruosité typique de l’époque) avant dès 1965 le groupe incarnant à merveille l’idéal modernist. l’inévitable transmutation psychédélique (Alan Bown tout court) Le vrai. Pas celui de la fuzz, du larsen et des déchirures et les errances progressives (Bown en trompettiste chez les obscurs soniques.Le Alan Bown Set avait décidé de pratiquer une Jonesy) et la disparition. D’accord, c’est moins glorieux que soul assez jazz. Le machin tout en retenue. Sans doute ces gens-là “I Can’t Explain”,“” (ou “My Degeneration” avaient-ils eu l’intelligence de comprendre qu’ils n’étaient pas des excellents Eyes). Mais il suffit d’écouter “I Really,Really question pour eux de rivaliser avec Geno Washington ou Jimmy Care” pour l’entendre immédiatement : l’idéal mod blanc est ici. James,les deux principaux héros de la bourgeonnante scène soul

RééditionCD:“Emergency999”(Castle)

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