Construire un système de formation professionnelle pour les ouvriers de l’industrie aéronautique : le cas de la SNCASE de (1944-1956) Clair Juilliet

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Clair Juilliet. Construire un système de formation professionnelle pour les ouvriers de l’industrie aéronautique : le cas de la SNCASE de Toulouse (1944-1956). Cahiers d’histoire du Cnam, Cnam, 2018, Former la main-d’oeuvre industrielle en France. Acteurs, contenus et territoires (fin xixe et xxe siècles) – II/II, 9-10 (9-10), pp73-96. ￿hal-03040035￿

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Clair Juilliet Docteur en histoire, FRAMESPA (UMR 5136) et LabEx SMS.

Durant la Seconde Guerre mondiale, à fournir une main-d’œuvre en quantité l’industrie aéronautique française connaît suffisante et disposant de qualifications en un affaiblissement industriel important, adéquation avec les besoins de l’industrie qui va jusqu’à compromettre son existence. aéronautique. Il s’agit dans cet article, en

Résumé Dans l’optique de rattraper le retard sur mobilisant des fonds d’archives divers (CE, ses concurrentes étrangères (États-Unis, syndicats, presse, etc.), de s’intéresser à la Grande-Bretagne, etc.), elle doit d’abord construction du système de formation pro- parvenir à constituer un vivier de main- fessionnelle ouvrière interne, entre la fin d’œuvre ouvrière qualifiée, susceptible de de la guerre et le milieu des années 1950. l’aider à absorber le mieux possible le De la capacité de l’entreprise à adapter sa renouvellement technique et l’éclosion de main-d’œuvre aux évolutions techniques nouveaux savoir-faire. L’exemple de l’éta- dépend en grande partie son aptitude à blissement toulousain de la Société natio- combler le retard technique, puis à se don- nale de constructions aéronautiques du ner les moyens industriels de réaliser le Sud-Est (SNCASE) montre que la défini- programme Caravelle. tion et les contenus de la formation profes- sionnelle initiale et continue sont l’objet de Mots-clés : aéronautique, formation profes- négociations entre les acteurs de sa sionnelle, ouvriers, SNCASE, négociation construction : direction, organisations syn- collective. dicales et pouvoirs publics. Dans un contexte où les formations dispensées par l’État affichent des carences, ils entre- prennent de bâtir un système interne visant Si la formation sur le tas domine le ries socio-professionnelles (Anquetil et développement de l’industrie aéronau- al., 2014). Au cours de cette période, tique dans les premières décennies du l’attention se porte majoritairement sur xxe siècle, les impératifs liés au renou- l’adaptation de la main-d’œuvre ouvrière vellement technique (Caron, 2010) ou à aux impératifs de la production en série la sécurité, amènent les acteurs (direc- dans un environnement de haute-techni- tions, syndicats, pouvoirs publics, etc.) cité. La relance s’appuie notamment sur à réfléchir à la mise en place de filières sa rééducation permanente, alors que les spécifiques de formation, afin de dispo- mutations s’accélèrent, que de nouveaux ser d’une main-d’œuvre ouvrière haute- métiers et de nouvelles qualifications ap- ment qualifié en quantité suffisante. La paraissent (et disparaissent), nécessitant Seconde Guerre mondiale entraîne ce- de (re)penser les moyens qui sont alloués pendant une dispersion des savoir-faire à cette rééducation dans les politiques in- ainsi qu’une désorganisation industrielle dustrielles (Charlot & Figeat, 1985). importante (Chadeau, 1987). À la Libé- ration, le secteur doit faire face à un af- Les acteurs se saisissent différem- faiblissement significatif de ses capacités ment de la formation professionnelle, ce industrielles et techniques (Abzac-Epezy, qui place cette dernière parmi les enjeux 1999), qui va jusqu’à en compromettre important de la « régulation sociale » l’existence, au moment même où l’in- dans l’entreprise (Reynaud, 1989), c’est- dustrie aéronautique s’internationalise à-dire de la co-construction de règles et de et s’affirme comme « l’apanage des normes, toujours provisoires et pouvant grandes nations » (Carlier, 1983, p. 17). être renégociées, venant encadrer les Dans un contexte socio-économique pratiques et les négociations sociales. Le somme toute difficile, la formation pro- salarié souhaite développer et faire re- fessionnelle constitue un enjeu central connaître des connaissances, des savoir- dans la capacité du secteur aéronautique faire ou des qualifications lui permettant à se redresser, à l’amorce de la deu- de « maintenir et développer son capital xième moitié du siècle. Elle représente humain, pour améliorer son salaire et une clé de la capacité de modernisation sa carrière » (Dayan, 2011, p. 321). La et de développement d’entreprises gour- direction, quant à elle, souhaite favoriser mandes en main-d’œuvre qualifiée, dont l’essor de l’entreprise, en formant son la santé économique reste dépendante de personnel au plus près des nécessités im- leur aptitude à maîtriser les grandes évo- posées par l’évolution des techniques et lutions techniques : moteur à réaction, en limitant au maximum l’accroissement augmentation des séries, technicisation des coûts de production engendré. Dans du travail, etc. Aussi, les années 1945 à cette configuration sociale, figure un État 1958 marquent-elles l’émergence d’un à la fois employeur, législateur et prin- dispositif de formation professionnelle cipal client, jouant un rôle décisif dans assez complet dans les grandes catégo- la détermination des conditions d’emploi

74 75 et dans la place laissée à la négociation forme (Bevort & Jobert, 2011, p. 5). sociale. Si son rôle est bien connu en tant Apporter un éclairage sur les relations qu’acteur juridique, il semble qu’il le et les rapports de forces se dévelop- soit moins en ce qui concerne son impli- pant autour des pratiques de formation cation dans la gestion des entreprises de professionnelle peut donc contribuer à l’aéronautique. éclairer certains aspects, d’autant plus quand c’est un État interventionniste Cette collaboration entre l’État et qui y joue également le rôle de dirigeant les grandes entreprises n’est pas exempte d’entreprises industrielles (Chapman, de difficultés et de tensions, ces der- 2011). Surtout, son rôle déterminant en nières souhaitant « disposer de travail- la matière masque quelque peu celui leurs mobiles dont les qualifications, joué par d’autres protagonistes à l’image facilement transférables, peuv[ent] être des salariés et de leurs organisations lisibles sur l’ensemble du marché natio- syndicales (Quenson, 2001), qui sont nal du travail » (Brucy, 2005, p. 20). Les pourtant les premiers concernés par les différents acteurs tentent de peser sur décisions de leurs directions ou des pou- la définition de ses orientations, de ses voirs publics. modalités ou encore des contenus dis- pensés. Pour pouvoir profiter à la fois à En fondant l’analyse sur l’explora- la société et au personnel, elle doit donc tion des procès-verbaux (PV) du Comité être définie en fonction de ses débouchés d’établissement (CE) de la société natio- et de contraintes propres à l’entreprise, nalisée, sur des archives syndicales, sur non à partir d’une conception intellec- les archives de la Chambre de commerce tuelle a priori. Cela implique, pour les et d’industrie de Toulouse (CCI-T) ou acteurs, de négocier sur la place à ac- encore sur des articles de presse de corder à la formation, ainsi que sur les l’époque, l’exemple de la Société natio- moyens utilisés, au quotidien, pour en nale de constructions aéronautique du définir les contours et pour en assurer Sud-Est (SNCASE) de Toulouse permet le fonctionnement. Le consensus n’est de reconstituer des traces du jeu d’ac- pas toujours possible, révélant la place teurs qui se noue dans la négociation des inégale qui est laissée aux différents parcours de la formation ouvrière, dans partenaires qui s’investissent dans la la décennie qui suit la Seconde Guerre formation professionnelle. S’intéresser mondiale. L’animation de la formation au champ des relations professionnelles, professionnelle, comme la définition c’est non seulement s’intéresser à des de son organisation ou de ses contenus, règles et des institutions qui les font tendent progressivement à échapper à vivre, mais c’est également « mettre en l’Éducation nationale et aux organisa- évidence les dimensions de coopération tions syndicales. On peut donc s’inter- et de conflictualité, de convergence et roger sur l’implication des acteurs, en d’antagonisme » qui peuvent y prendre particulier salariaux, dans la construction d’un système interne de formation pro- nécessaire de permettre son adaptation fessionnelle destiné aux ouvriers, tout à l’évolution rapide et permanente des autant que sur leur contribution à l’adap- savoir-faire, tout en permettant sa recon- tation de la main-d’œuvre aux spécifici- naissance dans la classification de son tés du travail aéronautique. Autrement bénéficiaire : c’est le rôle de la forma- dit, quelles sont les trajectoires suivies tion professionnelle continue (FPC). par la négociation en matière de forma- tion professionnelle initiale et continue ? Quelles sont les grandes étapes de la S’assurer du constitution d’un système d’enseigne- renouvellement qualitatif ment professionnel interne destiné aux et quantitatif de la main- salariés de l’établissement toulousain de d’œuvre en fonction des cette société nationalisée ? Et en défini- besoins internes tive, comment évolue la place laissée aux salariés dans la définition des métiers Le développement de l’industrie dans l’entreprise ? aéronautique dans la région toulousaine a eu pour corollaire un accroissement Cet exemple constitue un cas de des besoins en personnel qualifié, impo- nette reprise en main patronale des pré- sant la mise en place de structures de rogatives liées à la formation profession- formation professionnelle susceptibles nelle (formes, contenus, examens, etc.). de répondre aux exigences techniques, Au milieu des années 1940, après une comme aux besoins quantitatifs et quali- période de crise majeure durant laquelle tatifs. Si les pionniers industriels (Laté- la question de l’existence même d’une coère ou ) ont pu s’appuyer industrie aéronautique indépendante sur une main-d’œuvre disponible dans française est posée, la reprise en main du les secteurs traditionnels de l’écono- secteur s’appuie sur un rattrapage tech- mie locale (bois, textile, carrosserie, nique et sur une relance de la fabrica- métaux, etc.), dans les années 1930 la tion en série d’appareils militaires, pour dégradation sensible des relations inter- la plupart dans le cadre de coopérations nationales entraîne une hausse considé- (OTAN, Dassault, etc.). Face aux pesan- rable des besoins. La demande militaire teurs et aux enjeux de développement affluant, il devient urgent de développer du secteur dans le contexte de l’entrée des formations spécialisées à même en guerre froide, les efforts des acteurs d’assurer le renouvellement de la main- s’orientent dans deux directions prin- d’œuvre employée à la fabrication des cipales. Il s’agit, d’une part, de s’assu- appareils. Ce contexte géopolitique a rer d’un renouvellement suffisant de la ainsi été propice à la multiplication des main-d’œuvre en fonction des besoins : expériences de formation ponctuelles au c’est le rôle de la formation profession- sein de ce secteur, avant que les acteurs nelle initiale (FPI). D’autre part, il est locaux et nationaux (entreprises, pou-

76 77 voirs publics, CCI, etc.) ne poursuivent Cette politique traduit une implication la dynamique de façon systématique grandissante de l’État : « Non seule- après la Libération, en vue de poser les ment l’éducation professionnelle est […] bases d’un véritable système de FPI à la strictement réglementée, mais, de plus, SNCASE. elle est sévèrement contrôlée » (Charlot & Figeat, 1985, pp. 289-290). Depuis la mise en place des premières conven- La multiplication tions collectives dans la métallurgie en des expériences ponctuelles juin 19362, l’ouvrier qualifié est celui qui de formation avant-guerre possède un métier dont l’apprentissage est sanctionné par un diplôme, le Certi- Henry crée dans les années ficat d’aptitude professionnelle (CAP), 1920 une école pour former ses ouvriers forme de reconnaissance de sa quali- et ses contremaîtres, tandis que Renault fication acquise (Brucy, 2000). Selon fonde un centre en 1926, destiné à l’ins- Michèle Tallard, ce diplôme constitue truction de spécialistes capables de fabri- « la référence en tant que corps consti- quer ses moteurs d’aviation (Chadeau, tutif de savoir-faire correspondant au 2004). Dès 1935, l’État impulse l’ouver- métier et […] [un] clivage entre ouvriers ture de centres de formation profession- spécialisés [OS] et ouvriers profession- nelle en Province, qui doivent apporter nels [OP] » (Tallard, 2011, p. 603). Le leur contribution au développement local. métier apparaît comme un savoir-faire, Dans le Midi toulousain, la première mais il constitue également la reconnais- école est organisée par Air France en sance de l’« appartenance à une commu- 19361 ; l’entreprise crée deux autres nauté exigeante qui définit et contrôle le centres dans les années suivantes, à Mari- niveau de compétence ou la qualité de la gnane et au Bourget (Berlan, 2007). La prestation. Un poste qualifié, c’est aussi durée de la scolarité y est de trois ans, une place dans un réseau d’exigences et les élèves-mécaniciens reçoivent des de contrôles mutuels » (Reynaud, 1988, cours pratiques dans les ateliers qu’ils p. 84). La définition du métier est au rejoignent au terme de leur apprentis- cœur d’enjeux entre les acteurs, elle est sage. Après la loi de 1928, qui rend obli- donc une donnée importante à prendre gatoire l’éducation professionnelle des en compte dans les négociations qui se apprentis, le décret-loi du 24 mai 1938 tiennent en la matière. impose aux industriels de former la main- d’œuvre qualifiée dont ils manquent. 2 L’industrie aéronautique est une composante de la branche métallurgique bien qu’elle l’ait brièvement 1 Après le bombardement du site de Montaudran, le 6 quittée dans la deuxième moitié des années 1930, ses avril 1944, l’école rejoint les bâtiments de l’Arsenal travailleurs bénéficiant d’un statut spécifique. avant d’être déplacée au domaine de Vilgénis, près de [Fédération des Métaux, Contrat collectif national Massy-Palaiseau, et fusionnée avec les autres écoles des ouvriers et collaborateurs de l’aéronautique, 1938, de l’entreprise. Paris, 110 p.] Dès 1937, un premier centre de […] des techniciens habiles […], elle a formation professionnelle, l’école jugé profitable […] de développer pa- Dewoitine3, est organisé à la SNCA afin rallèlement à l’enseignement technique de faire face à la hausse des besoins un programme général »6 ainsi qu’un en main-d’œuvre. Peu de temps après enseignement agricole et d’artisanat le déclenchement du second conflit rural (culture maraîchère, élevage, etc.). mondial, le décret du 21 septembre Preuve du marasme qui frappe la région, 1939 organise la formation profession- il s’agit d’aider au maintien d’une éco- nelle en temps de guerre. Il tente de nomie locale confrontée à une situa- l’adapter à une hausse importante de tion très difficile, alors même que la la fabrication. L’effort est particulière- France n’a plus le droit de fabriquer des ment sensible dans les industries d’ar- avions, qu’ils soient civils ou militaires. mement liées à la Défense nationale, Malgré tout, l’activité perdure puisque dont dépendent les Sociétés nationales les usines Breguet, par exemple, font de constructions aéronautiques. Selon paraître des annonces dans la presse Gustave Blandinières, au mois de juin locale, affirmant rechercher des travail- 1940, l’année scolaire s’achève « sur leurs qualifiés : ajusteurs-outilleurs, le plus brillant des résultats […] et chaudronniers, formeurs, fraiseurs ou sur le plus brillant des succès »4, les encore tourneurs7. élèves de l’école Dewoitine s’adju- geant les premières places au CAP. Le En avril 1941, alors que la journaliste, qui précise que cette école SNCAM, dans une situation finan- a pour « dessein de forger des spécia- cière très difficile, est absorbée par la listes et des maîtres d’œuvre pour ses SNCASE, l’école est cédée à l’État, ateliers »5, souligne l’excellence des placée sous la gestion de la CCI et re- enseignements théoriques et pratiques baptisée « centre Guynemer » (Alvarez, qui y sont dispensés. La forte réduction 1986). En échange d’une aide accordée des activités aéronautiques consécutive par l’entreprise (locaux, machines, etc.), à l’Armistice entraîne, cependant, une elle s’engage à accorder la priorité aux évolution des formations dispensées enfants de salariés dans son recrute- dans un contexte de chômage accru : ment et à faciliter le renouvellement « Si la SNCAM ne désespère pas de sa technique de son personnel (Llopart, destinée et ne renonce pas à instruire 2016). À partir de 1942, les centres se professionnalisent et dispensent une 3 Du nom de l’ancien propriétaire de l’entreprise et formation plus complète : après un pré- administrateur à l’époque, de la SNCAM. 4 [BLANDINIÈRES Gustave, « L’école d’apprentissage Dewoitine rouvrira ses portes le 15 octobre », La 6 [Ibid.] Dépêche du Midi, Édition Haute-Garonne, 6 octobre 7 [Archives Yvon Cazes, Chronologie de la Deuxième 1940, p. 3.] Guerre mondiale, document manuscrit, IDHS CGT 31, 5 [Ibid.] Toulouse, p. 50.]

78 79 apprentissage d’un an, les élèves suivent en plus gérée en interne par les entre- une spécialisation de deux ans dans un prises afin de correspondre davantage métier, avant d’être admis à passer un à leurs nécessités quantitatives et qua- CAP dont l’État est garant de la valeur litatives. Dans ce but, les initiatives et du contenu (Brucy, 2000). L’année incluant une spécialisation aéronautique suivante, l’école forme 130 jeunes dans essaiment dans les années 1940. Hormis quatre sections : ajustage, chaudronne- le centre Guynemer, sont à citer ceux de rie, tournage et fraisage ; tandis qu’ils l’AIA (Blagnac), de Breguet (Toulouse)9 sont 168 à suivre les cours en 1944 (138 ou encore les écoles d’apprentissage de ajusteurs, 17 chaudronniers, 12 tour- la SGE (Villemur-sur-Tarn), de Ratier neurs et un fraiseur) (Llopart, 2016, (Figeac)10, de Turbomeca ou de Breguet pp. 86-87). Le 18 septembre 1944, les (Biarritz) (Baccrabère, 1993). Ailleurs centres de formation professionnelle en France, sont par exemple à men- sont rebaptisés centres d’apprentissage tionner le centre de Joncourt (Nantes), et placés sous la direction de l’Ensei- les écoles d’apprentissages d’aviation gnement technique (Lembré, 2016). de Saint-Nazaire ou de Méaulte (Des- Guynemer poursuit son activité après seigne, 1965, p. 304). Tous ont pour la Libération, réservant par exemple, caractéristiques communes : « Une en 1945, « la totalité de ses appren- administration, une animation, une tis aux établissements toulousains de conception des programmes et un ensei- l’aéronautique »8. Le patronat se révèle gnement assurés par des membres déta- toujours opposé à la reconnaissance chés de l’entreprise ; un recrutement d’un statut spécifique pour les salariés par un concours très sélectif pouvant de l’industrie aéronautique (incluant aller jusqu’à plusieurs centaines de notamment des diplômes ouvriers par- candidats et moins de 10 % d’admis ticuliers), car une telle mesure entraîne- […]. [Ils] constituent de 1945 à 1958 la rait une hausse des coûts en personnel. voie prioritaire de recrutement de per- L’objectif est de conserver une main- sonnel ouvrier » (Anquetil et al., 2014, d’œuvre assez polyvalente pour être p. 18). Dans ce large éventail d’initia- employée dans tous les secteurs de la tives visant à renforcer la technicité de métallurgie. Ce n’est que dans un deu- la main-d’œuvre ouvrière, la SNCASE xième temps que peut être opérée une n’est pas en reste… spécialisation vers l’aéronautique.

Nombreux sont les exemples qui montrent que la FPI ouvrière est de plus 9 [« Offre d’emploi et apprentissage », Le Patriote du Sud-Ouest, Édition Toulouse, 27 mai 1948, p. 3.] 10 En 1943, Pierre Ratier crée une école professionnelle 8 [CCI-T, « Séance du 21 novembre 1945 », Procès- à Figeac pour former les ouvriers (tourneurs, verbaux des séances pour 1945, Cahier 1F34, Éditions ajusteurs, etc.) destinés à rejoindre son entreprise (Claret, Privat, Toulouse, p. 250.] 2000, p. 75). Le centre d’apprentissage qu’elle va faire une sélection afin de « Saint-Exupéry » de remplacer les jeunes « n’ayant aucune Saint-Martin-du-Touch : assiduité »13. Au terme du processus, une première expérience menée une trentaine d’inscrits sont écartés pour en lien avec l’Enseignement des absences injustifiées et remplacés technique par 19 jeunes jugés plus « méritants »14. En mars 1945, seulement 31 des 80 Dans les mois qui suivent la Li- inscrits suivent les cours de manière bération, un projet prend corps à la régulière, répartis dans quatre sections : SNCASE de Toulouse. Le succès de ajustage, chaudronnerie, électricité, me- cette expérience reste toutefois compro- nuiserie15. Pour tenter de renforcer leur mis en raison de finances exsangues et implication, un pointage est instauré et des moyens matériels insuffisants dont des sanctions prévues en cas d’absences dispose l’établissement au lendemain répétées16. Afin d’inciter les jeunes à de la guerre (machines, locaux, etc.). s’impliquer davantage dans leur forma- En dépit de ces écueils, le directeur de tion et de leur apporter une aide complé- l’école pense que la création d’un centre mentaire, le CE octroie des bourses et d’apprentissage serait intéressante et des récompenses aux élèves, en fonction « les sacrifices consentis ne seraient pas de critères sociaux et/ou de mérite. inutiles, puisqu’au bout de trois années, la Maison aurait des ouvriers quali- Les acteurs de l’entreprise se posent fiés »11. Le 13 novembre 1944, une com- également la question d’une profession- mission d’apprentissage est créée au sein nalisation des parcours de formation. du CE, chargée d’étudier, en lien avec la Pour la CGT, il faut réitérer l’expérience direction, la constitution d’un centre de du centre Dewoitine car, implanté di- formation professionnelle12. Les cours rectement dans l’usine, celui-ci vivait qui se déroulent dans les usines dans en osmose avec l’entreprise et formait les mois suivants sont loin d’offrir les « des jeunes qui étaient d’excellents conditions d’enseignement d’une école ouvriers »17. Selon M. Sauvageot, créa- d’apprentissage. Par ailleurs, ils ont à teur d’une école de ce type à l’usine souffrir d’un absentéisme important, dû aux difficultés sociales des années de pénuries qui suivent la Libération. En 13 [C’E, CR de la réunion mensuelle du 8 décembre 1944, 15 décembre 1944, SNCASE, Toulouse, p. 9.] décembre 1944, la direction annonce 14 [C’E, CR de la réunion mensuelle du 10 janvier 1945, 12 janvier 1945, SNCASE, Toulouse, p. 8.] 11 [Comité Social (CS), Compte rendu (CR) de la 15 [C’E, CR de la réunion mensuelle pour le mois de réunion mensuelle du 13 octobre 1944, SNCASE, mars 1945, 8 mars 1945, SNCASE, Toulouse, p. 8.] Toulouse, p. 10.] 16 [C’E, CR de la réunion mensuelle du 18 mai 1945, 12 [Comité d’Entr’aide (C’E), CR de la réunion JL/AC, 25 mai 1945, SNCASE, Toulouse, p. 9.] mensuelle du 13 novembre 1944, CE/DB, SNCASE, Toulouse, p. 13.] 17 [Ibid.]

80 81 de Marignane, l’État conditionne son et l’entreprise, qui se charge de l’apport accord à un nombre d’élèves minimum technique et industriel (installations, oscillant entre 200 et 300. Le directeur matériel, machines, etc.). Il est implanté a mené des études préliminaires pour à Saint-Martin-du-Touch, en banlieue l’ouverture éventuelle d’un tel centre, toulousaine, à côté de l’aéroport, dans mais le Conseil d’administration (CA) les locaux d’un ancien camp de rétention, s’est révélé peu enthousiaste en raison du choisis pour leur proximité avec l’usine coût financier d’un tel investissement18. (Alvarez, 1986). À l’image de l’école d’apprentissage de Renault, considérée comme l’« anti- Inaugurée le 6 juillet 1946, en pré- chambre de l’usine » (Quenson, 2001, sence de représentants de la direction, du p. 21), il s’agit de disposer d'un centre de CE et du syndicat des Métaux, l’école formation dispensant un apprentissage au prend officiellement le nom de centre plus près des activités de l’établissement. « Saint-Exupéry »21 dans le courant du Malgré le peu d’entrain initial des admi- premier semestre de l’année. La durée nistrateurs, le projet paraît lancé en juillet d’apprentissage y est de trois ans et com- 1945, puisque Louis Casado, responsable prend une spécialisation de six mois des questions de formation à Toulouse, sur les métaux légers22, importants dans précise que s’il faut encore obtenir l’aval l’industrie aéronautique pour améliorer de l’Inspection de l’enseignement tech- les capacités des appareils fabriqués. Ses nique, « celle-ci n’est pas a priori hostile sections regroupent près de 180 jeunes, […], à condition [que l’école] fournisse qui apprennent la chaudronnerie, la me- des ouvriers aux diverses usines d’avia- nuiserie ou encore l’ajustage23 et touchent tion de la région »19, sous-entendu qu’elle une gratification mensuelle accordée par ne les réserve pas à la seule SNCASE. En la direction24. Le centre passe de 58 in- octobre 1945, le centre de Toulouse ouvre ternes durant l’année 1947/48, à 108 en ses portes après ceux créés à Marignane 1948-194925. Le CE semble contribuer à et à la Courneuve. Il est organisé sous le contrôle du ministère. Une répartition des frais liés à son installation et à son 21 [Comité d’entreprise (CE), CR de l’Assemblée fonctionnement est prévue entre l’État, générale (AG) du 30 mai 1946, n° 5, SNCASE, Toulouse, p. 5.] qui « fourni[t] les moyens financiers 22 [CE, CR de la réunion mensuelle du 16 novembre pour rémunérer les moniteurs et assurer 1945, p. 7.] 20 la nourriture quotidienne des élèves » , 23 [CE, Rapport annuel 1947 présenté à M. l’Inspecteur du travail, 30 janvier 1947, Toulouse, p. 4.] 24 Arrieu Madeleine, « Jeunesse, espoir de demain. 18 [C’E, CR de la réunion mensuelle du 15 juin 1945, Les apprentis du Centre St-Exupéry sont à l’honneur », JL/AC, 25 juin 1945, SNCASE, Toulouse, p. 7.] Le Patriote du Sud-Ouest, Édition Toulouse, 8 juillet 19 [C’E, CR de la réunion mensuelle du 31 juillet 1945, 1946, p. 2. JL/AC, 20 juillet 1945, SNCASE, Toulouse, p. 6.] 25 [CE, Rapport d’activité 1948 présenté à M. 20 [Ibid.] l’Inspecteur du Travail, non daté [1949], p. 7.] son financement, puisqu’il lui alloue une techniques spécifiques nécessitant un subvention de 10 000 F par mois dans les haut-degré de qualification. Il s’agit pour premiers mois de 194626, puis de 15 000 à les sociétés de répondre à leurs besoins 25 000 F par mois en 194827. Des désac- réels, tandis que les pouvoirs publics sou- cords croissants entre le département de haitent qu’une attention soit portée aux l’Enseignement technique et la direction personnes formées : « Si les représen- viennent affecter la gestion du centre tants de l’État privilégient constamment dans le courant de la même année. Un la finalité éducative de la formation pro- « incident »28, dont la teneur n’est pas fessionnelle, les employeurs ont plutôt révélée, se produit au début de l’année et tendance à dénier à l’école la capacité provoque une première rupture de l’en- à produire les qualifications dont ils ont treprise avec l’administration publique besoin » (Brucy, 2000, p. 52). C’est peut- en charge de l’enseignement technique. être l’une des raisons qui motive le retrait En avril, un nouvel événement conduit de la SNCASE d’un projet laissant trop l’entreprise à remettre en cause sa par- de place à l’Éducation nationale dans la ticipation à la gestion de Saint-Exupéry définition des contenus de formation, qui (comme des deux autres centres), dès ne lui permet pas, de son point de vue, la fin de l’année scolaire en cours29. La de disposer d’une main-d’œuvre directe- direction affirme que le ministère refuse ment adaptable. Pour Guy Brucy, « l’école de lui accorder des crédits supplémen- parce qu’elle méconnaît les réalités du taires pour l’aider à agrandir ses capacités monde de la production, ne saurait pro- d’accueil. Mais, à cette époque, la société duire les compétences professionnelles traverse des difficultés importantes à la qu’ils sont en droit d’attendre de leurs suite d’une mauvaise gestion financière30. futurs salariés » (Ibid.). Au-delà des raisons qui peuvent expli- quer la rupture, les conceptions divergent Mais il lui faut toutefois se désenga- entre les entreprises et l’État sur les fina- ger de la gestion du centre sans se couper lités à donner à la formation profession- d’un vivier de main-d’œuvre qualifiée nelle, l’industrie aéronautique en est un utile à son développement. Aussi, la di- cas concret, tant elle met en œuvre des rection fait part de sa volonté de prendre en charge la scolarité d’un certain nombre d’élèves, « sous réserve d’un pourcentage 26 [CE, CR de l’AG du 22 février 1946, Service social, de 9 % de l’effectif professionnel »31, qui 25 février 1946, p. 12.] pourront rejoindre ses ateliers. En 1948, 27 [CE, Rapport d’activité 1948 présenté à M. afin d’aider à leur spécialisation dans le l’Inspecteur du Travail, non daté [1949], p. 7.] domaine aéronautique, les apprentis sont 28 [CE, CR de l’AG du 30 janvier 1947, n° 13, GM, SNCASE, Toulouse, p. 14.] autorisés à suivre les cours de « techno- 29 [CE, CR de l’AG du 25 avril 1947, n° 16, SNCASE, Toulouse, p. 13.] 31 [CE, CR de l’AG du 2 juin 1947, n° 17, SNCASE, 30 [Ibid.] Toulouse, p. 12.]

82 83 logie-avion » dispensés dans les usines32. sur les chaînes de production35. L’École Un accord est également conclu entre la professionnelle de l’industrie aéronau- direction et le CE pour une embauche tique (EPIA), considérée comme un éta- prioritaire des diplômés du centre Saint- blissement privé, fait sa première rentrée Exupéry et des autres écoles d’appren- avec une trentaine d’élèves en septembre tissage relevant de la métallurgie33. Si 194936. Ouverte sur concours, elle s’im- seulement deux élèves obtiennent leur pose rapidement comme une pièce maî- CAP en 1947-1948 à Saint-Exupéry, ils tresse dans le dispositif de formation sont 27 apprentis à être embauchés en ouvrière de l’entreprise. Les enseigne- 194834. C’est nettement insuffisant pour ments, d’une durée hebdomadaire de 44 permettre le renouvellement de la main- heures, sont dispensés dans les locaux de d’œuvre employée, qui plus est au sein la promotion ouvrière. Jusqu’en 1951, ils d’un établissement qui compte à l’époque portent principalement sur deux métiers près de 3 800 salariés. Afin de garder la jugés prioritaires dans la fabrication en main sur les contenus dispensés, et de série d’appareils : l’ajustage et la chau- poursuivre l’élargissement de son vivier dronnerie sur métaux légers. À sa créa- de main-d’œuvre, l’entreprise va égale- tion, l’école compte un professeur de ment se doter d’un centre privé de forma- lettres, un professeur de mathématiques, tion professionnelle. un PTA ajustage, un PTA chaudronne- rie et un chef des travaux, placés sous la responsabilité d’un directeur (Alvarez, L’École professionnelle de 1986). Deux autres sections sont créées l’industrie aéronautique (EPIA) : en 1951, le tournage et le fraisage37. Signe une volonté de l’entreprise d’une sélection importante à l’entrée de de garder le contrôle sur la FPI l’EPIA, alors que le nombre moyen de candidatures est de 500 par an, ils sont Au premier trimestre de 1949, une seulement 595 apprentis à suivre les cours nouvelle initiative traduit les efforts re- entre 1952 et 1963, dont 424 achèvent nouvelés de la direction pour disposer leur formation et 400 obtiennent le CAP d’une structure susceptible de former un (Klein, 1989). Si la plupart rejoignent di- personnel ouvrier suffisamment qualifié rectement les usines et poursuivent la for- pour être immédiatement employable mation par le biais de la FPC, certains des meilleurs, douze seulement entre 1952 et 1960, rejoignent l’École technique de

32 [CE, CR de l’AG du 29 avril 1948, n° 30, GM, SNCASE, Toulouse, p. 4.] 35 [CE, CR de l’AG du 1er mars 1949, n° 42, GM, SNCASE, Toulouse, p. 10.] 33 [CE, CR de l’AG du 25 juin 1948, n° 32, GM, SNCASE, Toulouse, p. 4.] 36 [CE, Réunion du 3 septembre 1949, n° 48, MA, SNCASE, Toulouse, p. 2.] 34 [CE, Rapport d’activité 1948 présenté à M. l’Inspecteur du Travail, non daté [1949], p. 7.] 37 [Ibid.] Examen Nombre de reçus Pourcentage de reçus

CAP Manuels 319 76,1 CAP supplémentaires 13 3,1 BEI 72 17,2 BP Dessin 2 0,5 Brevet programmeur 1 0,2 ETA 12 2,9

Total 41938 100

Tableau 1 - Devenir des 328 élèves ayant fréquenté l’EPIA entre 1952 et 1960 Source : Desseigne, 1965, p. 305.

Catégories professionnelles Nombre %

Ouvrier P1 80 26,8 Ouvrier P2 55 18,4 Ouvrier P3 22 7,4 Dessinateurs BE 18 6 Agents techniques 39 13 Contrôleurs 10 3,3 Service militaire 75 25,1 Total 299 100

Tableau 2 - Devenir à huit ans des 299 encore dans les usines en juillet 1960 Source : Desseigne, 1965, p. 305.

l’aviation38 (ETA)39, pour y parfaire leur À la différence des expériences pré- formation et devenir techniciens (Lucas, cédentes, le CE est beaucoup moins associé Beslay & Dihouantessa, 1989). à la gestion de l’école comme l’indique le rapport d’activité pour 1949 : « Devant le refus formel de la direction d’intéres-

38 Note de Desseigne : « Le total 419 correspond au ser la commission à toutes les questions nombre de réussites aux examens, étant entendu que concernant l’école, l’activité de cette der- certains élèves ont préparés plusieurs examens ». nière à ce sujet n’a été que très faible »40. 39 Fondée en 1946, l’école forme les techniciens et l’encadrement intermédiaire nécessaires au développement de l’entreprise. Voir par exemple 40 [CE, Rapport d’activité 1949 présenté à M. (Baccrabère, 1993), p. 500. l’Inspecteur du Travail, non daté [1 950], p. 8.]

84 85

L’Institution représentative du personnel soit donné au CE la capacité d’en suivre (IRP) se révèle incapable de peser dans l’évolution43. Mais le directeur du per- la gestion et d’intervenir sur les condi- sonnel confirme que celle-ci « n’a rien tions de formation ou les contenus dis- de commun avec l’usine »44. Le CE est pensés. Le CE ne peut intervenir que si toutefois informé des résultats des élèves l’EPIA est considérée comme une école dans les années 1950, car il leur apporte interne à l’image de l’ETA sur laquelle un soutien financier et des récompenses. la commission exerce un contrôle. Or, En septembre 1953, la direction affirme la direction souhaite en faire un centre que « tous les élèves ont été reçus avec privé et indépendant des usines. Sa ca- de très bonnes moyennes »45 au CAP. pacité d’intervention se cantonne donc Pour l’année scolaire 1955-1956, ce sont à un rôle social (bourses, aides, récom- également 100 % des élèves présentés, penses, etc.). Le 23 mai 1950, la CGT qui sont admis à l’examen. s’étonne que « l’on refuse de considérer cette école comme faisant partie de la En collaboration avec la promotion société. Une fois de plus, il est prouvé sociale du travail, les élèves réalisent un que les moniteurs sont [de la] SNCASE travail technique de fin d’année, qui est puisqu’ils ont voté pour les élections des considéré comme l’aboutissement de leur délégués du personnel »41 et sont salariés formation même s’il n’en constitue pas de l’entreprise. L’IRP demande à bénéfi- pour autant un chef-d’œuvre au sens com- cier d’un droit de regard sur les activités pagnonnique du terme. En mars 1954, ils de l’école, non seulement car c’est la loi fabriquent une machine à imprimer les qui l’impose, mais aussi car en retour, livres en braille. Selon le directeur, qui les élèves pourraient bénéficier de ses indique qu’elle a reçu un prix, « c’est prestations au même titre que le reste du un très bon résultat pour la société »46. personnel. À de nombreuses reprises de L’école d’apprentissage est désormais 1951 à 1953 au moins42, la commission chargée, dans le cadre des examens de fin demande de pouvoir consulter les statuts d’année, d’en réaliser des exemplaires de l’école pour en comprendre le fonc- pour en « doter les écoles d’aveugles »47. tionnement. Mais la réponse est toujours Quelques mois plus tard, la commission négative. En 1956, la CGT souhaite qu’il

41 [CE, AP du 2 juin 1950, n° 61, GM, SNCASE, 43 [CE, AP du 31 juillet 1956, n° 119, GM, SNCASE, Toulouse, pp. 4-5.] Toulouse, p. 10.] 42 [CE, AP du 17 avril 1951, n° 72, GM, SNCASE, 44 [Ibid., p. 11.] Toulouse, p. 9 ; CE, CE du 27 septembre 1951, SNCASE, 45 [CE, AP du 11 septembre 1953, n° 97, GM, SNCASE, Toulouse, p. 7 ; CE, AP du 11 janvier 1952, n° 78, GM, Toulouse, p. 12.] SNCASE, Toulouse, p. 8 ; CE, AP du 26 février 1952, 46 [CE, AP du 15 mars 1954, n° 100, MF, SNCASE, n° 82, GM, SNCASE, Toulouse, 14 p. ; CE, AP du 9 Toulouse, p. 12.] avril 1952, n° 83, GM, SNCASE, Toulouse, p. 14 ; CE, AP du 28 mai 1953, n° 95, GM, SNCASE, Toulouse, 47 [CE, AP du 15 mars 1954, n° 100, MF, SNCASE, p. 11.] Toulouse, p. 12.] d’éducation professionnelle visite l’« ex- les acteurs de la SNCASE sont également position de la rénovation des métiers » préoccupés par le renouvellement des sa- de la Foire internationale de Toulouse, à voir-faire, au moyen de la FPC. En effet, l’occasion de laquelle l’EPIA remporte le développement de l’entreprise dépend le prix d’honneur48. L’année suivante, un en grande partie de sa capacité à adapter stand de la SNCASE est installé dans un son personnel, tout au long de sa vie pro- hall indépendant et « fait une très bonne fessionnelle, aux évolutions techniques impression »49 aux visiteurs. Plusieurs qui surviennent. fabrications des salariés de la promotion ouvrière et des élèves de l’EPIA sont ex- posées, par exemple une partie du fuse- Répondre aux exigences lage de Caravelle (réalisée à l’échelle un de la main-d’œuvre quart), des pièces détachées, des dessins et de la technique techniques ou encore des maquettes. Admise à visiter le centre en octobre Les contraintes liées au dévelop- 1956, la commission du CE constate pement technique entraînent des trans- « que certains travaux [pratiques] […] formations dans les métiers mobilisés dénotent une bonne méthode de travail au fil des décennies par les industriels qui permet d’éveiller la connaissance des de l’aéronautique. Elles nécessitent de apprentis en la matière [et] considère faire évoluer la qualification du salarié, que de telles méthodes sur les études c’est-à-dire les qualités qui lui sont né- aéronautiques méritent d’être poussées cessaires pour prendre sa place au sein par les professeurs et d’être prises en du système productif, « qu’il s’agisse considération par les élèves »50, dans le du zèle avec lequel il l’accomplit (son but d’élever le niveau technique général. effort, son attention, l’absence d’erreurs Les membres de la commission portent ou de fautes), de la compétence et de donc un regard plutôt positif sur la nature l’expérience qu’il mobilise et même du et le contenu de la formation dispensée potentiel qu’il pourra montrer (sa capa- au sein de ce centre. cité d’initiative et d’apprentissage) » (Reynaud, 1988, p. 78). Par exemple, la En parallèle à ces tentatives de disparition progressive du bois ou de la doter les usines de Toulouse d’une école toile au profit de l’utilisation des métaux interne pour former les ouvriers qualifiés, impose aux entreprises d’employer de manière croissante un personnel venant des métiers de la métallurgie, mais aussi 48 [CE, AP du 6 juillet 1954, n° 102, GM, SNCASE, de permettre aux menuisiers ou aux Toulouse, p. 13.] entoileuses de se reconvertir. La FPC 49 [CE, AP du 9 juin 1955, n° 108, GM, SNCASE, Toulouse, p. 21.] représente ainsi le deuxième versant 50 [CE, AP du 2 novembre 1956, n° 120, GM, SNCASE, des efforts menés par les acteurs pour Toulouse, p. 15.] répondre aux enjeux posés par les chan-

86 87 gements techniques en matière de mobi- autour des problèmes concrets de l’usine, lisation de la main-d’œuvre. mais qui n’ont pas de modèle à suivre et sont à la recherche de méthodes » (Prost, Afin d’être stimulante et bien accep- 2006). Élément incontournable de la poli- tée des travailleurs, elle peut entraîner le tique de développement industriel, un passage d’un essai professionnel, venant service de promotion du travail est créé sanctionner l’acquisition de nouvelles au cours de l’année 1946 à la SNCASE qualifications et permettre une évolution de Toulouse52. Il s’agit de s’appuyer sur dans l’échelle hiérarchique et dans le des moyens internes pour dispenser une salaire versé. À l’image de Péchiney ou formation de qualité au moyen de cours d’autres, les politiques développées en couvrant « tous les domaines de compé- matière de formation professionnelle ne tences générales et professionnelles liés répondent pas seulement à des impératifs aux métiers de l’aéronautique » (Anquetil techniques, mais également à des objec- et al., 2014, p. 19), en se fondant notam- tifs sociaux, notamment de contribuer ment sur l’expérience des techniciens et à une stabilisation et à une fidélisation des cadres qui souhaitent y apporter leur d’une main-d’œuvre qualifiée (Vindt, contribution. Le 28 novembre 1946, le 2003). Ainsi, la formation concourt à terme de « promotion ouvrière » est men- la fois au perfectionnement du salarié tionné pour la première fois au CE : à partir dans son métier et au perfectionne- du 2 décembre 1946, des cours de perfec- ment de l’entreprise « dans le métier de tionnement, théoriques et/ou pratiques, constructeur d’avions »51, ce qui la rend sont assurés sur la base du volontariat et incontournable. en dehors des heures de travail53. Il existe également une formation à plein temps. D’une durée de deux à six mois, « elle Le rôle de la promotion ouvrière porte sur les métiers ou les techniques dans le perfectionnement correspondants aux besoins urgents, en technique du personnel main-d’œuvre ou en techniciens » (Bac- crabère, 1993, p. 501-502). La promotion Dans les grandes entreprises, la for- ouvrière contribue au perfectionnement mation professionnelle se structure « à du personnel, permettant une hausse de la l’initiative de directeurs du personnel technicité générale et une assimilation de soucieux d’améliorer les performances savoir-faire nouveaux, qui viennent enri- de la main-d’œuvre et de favoriser son chir le bénéficiaire comme l’entreprise. adaptation à de nouveaux dispositifs techniques. Ce sont des pragmatiques qui veulent une formation sur le terrain, 52 Deux autres sont installés à Nantes et à Saint-Nazaire à la même époque. Voir notamment Baccrabère, 1993, p. 501. 51 [CE, Rapport d’activité 1948 présenté à M. 53 [CE, CR de l’AG du 28 novembre 1946, n° 10, l’Inspecteur du travail, non daté [1949], Toulouse, p. 9.] SNCASE, Toulouse, p. 5.] Année 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952

Auditeurs 50 200 460 670 1 400 ? 1 640

Tableau 3 - Évolution du nombre d’auditeurs de la promotion du travail entre 1946 et 1952

En la suivant, l’ouvrier est en mesure de classer deuxième en France56 ; l’ensei- faire reconnaître de nouvelles qualifica- gnement technique envisagerait de la tions, d’obtenir un meilleur salaire et de subventionner, prouvant le sérieux de la grimper dans la hiérarchie salariale. Pour formule mise en place. En juillet 1948, M. Casado, l’un de ses principaux orga- elle permet à tout ouvrier de se perfec- nisateurs, « l’enseignement fourni […] tionner au moyen de cours pratiques apporte [aux] usines une main-d’œuvre (ajustage, chaudronnerie, machines-ou- chaque jour plus qualifiée, donc plus tils, etc.) ou de cours théoriques (mathé- productive, et aux auditeurs une amélio- matiques, aérodynamisme, etc.)57. En ration de leur situation matérielle [ainsi 1948-1949, elle rassemble près de 460 qu’un] un enrichissement professionnel personnes, dont 30 à 40 % seraient en et intellectuel permanent »54. mesure d’obtenir un niveau de qualifica- tion supérieur au moyen d’un essai selon L’audience augmente rapidement : la direction. ils sont 50 à suivre les cours en 1946, mais près de 460 en 1948 et 1 400 en Afin de contribuer à son développe- 1950, signe d’un développement impor- ment, le CE l’aide de plusieurs manières. tant. Dès 1947, le directeur Raymond En janvier 1948, la commission d’édu- Grimaud demande aux membres du CE cation professionnelle demande l’achat et aux délégués syndicaux d’accorder une de livres techniques pour le personnel grande publicité à la promotion ouvrière, en formation continue. Une subvention car l’établissement a besoin de personnel mensuelle permet d’organiser le concours spécialisé55. Faisant figure de bon élève, de fin d’année, et aide à l’achat d’équipe- l’établissement reçoit la visite du sous-se- ments divers58. En septembre 1948, elle crétaire d’État à l’Éducation profession- reçoit une somme de 20 000 AF men- nelle, André Morice, dans le courant du suelle et un prêt de 50 000 AF lui est mois d’avril 1948. La qualité de la pro- motion ouvrière permet à l’usine de se 56 [CE, CR de l’AG du 29 avril 1948, n° 30, GM, SNCASE, Toulouse, p. 4.] 54 [CE, Rapport d’activité 1948 présenté à M. 57 « Distribution de prix à la SNCASE », Le Patriote l’Inspecteur du travail, non daté [1949], Toulouse, p. 9.] du Sud-Ouest, Édition Toulouse, 19 juillet 1948, p. 1. 55 [CE, CR de l’AG du 28 février 1947, n° 14, GM, 58 [CE, CR de l’AG du 30 janvier 1948, n° 25, GM, SNCASE, Toulouse, p. 13.] SNCASE, Toulouse, p. 10.]

88 89 consenti pour acheter du matériel (étau- pour lui permettre de gagner en qualifi- limeur, brochures, boîtes à compas, pieds cation en suivant un programme adapté à coulisse, etc.)59. Si le nombre de ma- et touchant à toutes les dimensions du chines-outils disponibles augmente peu métier63. Pourtant, au début des années à peu, leur nombre reste tout de même 1950, la CGT déplore que la direction ne insuffisant pour permettre un fonction- valorise pas assez la formation, en ne la nement normal des cours pratiques à la dotant pas correctement aux plans maté- rentrée de septembre 195160. Les moyens riel et financier et en ne débloquant que financiers à disposition étant limités, la trop peu d’essais professionnels64. Afin direction les répartit comme elle l’estime de faire reconnaître sa nouvelle qualifi- nécessaire, afin de non seulement assurer cation, l’ouvrier qui en fait la demande, la continuité de la production et de la peut en effet faire reconnaître une qua- formation, mais aussi leur maintien à lification plus importante en passant un un haut degré d’exigence technique. En examen lui permettant d’évoluer dans la janvier 1952, la commission demande classification ouvrière. à la direction de faire son maximum « pour [un] agrandissement des locaux et un apport supplémentaire de maté- Une reconnaissance des efforts riel »61 devant contribuer à une amélio- du personnel en matière ration des conditions dans lesquelles sont de formation : éléments dispensées les formations. En dépit de sur l’essai professionnel moyens limités, force est de constater qu’elle obtient des résultats concluants. Le passage de l’essai profession- La progression enregistrée concernant la nel65 vient sanctionner la reconnais- promotion ouvrière est le symbole que sance d’une qualification supérieure, l’effort fourni en la matière « apporte des qui permet notamment un avancement fruits qui doivent aller en augmentant au dans la classification et donc, une meil- fil des mois »62. Loin d’être une simple leure rémunération. Les acteurs y at- formation accélérée, elle représente une tachent une grande importance, tant les formation complète qui tient compte enjeux de sa définition conditionnent la du niveau de départ de son bénéficiaire, reconnaissance de savoir-faire spéci-

63 [Ibid.] 59 [CE, Rapport d’activité 1949 présenté à M. l’Inspecteur du Travail, non daté [1950], p. 8.] 64 [Renseignements généraux de la Haute-Garonne, « Renseignements. Objet : A/S de l’activité de la section 60 [CE, AP du 27 septembre 1951, SNCASE, Toulouse, syndicale CGT de la SNCASE », n° 326, 19 février p. 7.] 1952, p. 4.] 61 [CE, AP du 11 janvier 1952, n° 78, GM, SNCASE, 65 Il existe également un essai à l’embauche qui permet Toulouse, p. 8.] de définir le positionnement initial du travailleur dans 62 [CE, Rapport d’activité 1948 présenté à M. la grille des salaires, ce qui n’est pas abordé dans cette l’Inspecteur du travail, non daté [1949], p. 9.] sous-partie. fiques par la pratique et l’expérience. dats ne sont pas en mesure de passer les Fin décembre 1948, le responsable de la épreuves dans de bonnes conditions, formation professionnelle constate que car souvent, ils ne connaissent pas le nombre de travailleurs passant un avec précision l’essai qui correspond essai de reclassement augmente chaque à leur métier ou à leur niveau de com- année en raison de l’arrivée de « pro- pétence69. Il demande que le person- fessions jusqu’alors inexistantes »66, nel soit mieux informé à propos des qui nécessitent des connaissances spé- contenus, mais également que ceux-ci cifiques à l’image des soudeurs à l’arc soient plus adaptés aux travaux effec- brevetés métaux spéciaux (Rotelli & tués dans les usines et aux savoir-faire Rousseau, 2017). Au mois de mars qui y sont nécessaires, afin de ne pas 1948, la redéfinition de l’essai d’élec- trop avantager les jeunes sortant des tricien, permet de mieux en comprendre écoles70. Ces derniers disposent en le fonctionnement dans l’entreprise, général de connaissances théoriques alors qu’une réforme importante est en plus poussées qui leur permettent de cours pour les adapter à l’émergence de mieux réussir l’examen, grâce à la part nouvelles qualifications et/ou métiers67. accordée au théorique. Certains candi- Trois membres de la hiérarchie (un dats, formés sur le tas dans les années ingénieur au BE, un chef de service et précédentes, éprouvent des difficultés un chef d’atelier) établissent les bases à les réussir. Le Chef du personnel, de l’examen pour chacune des caté- s’il reconnaît que cela peut handicaper gories ouvrières (OS1, OS2, P1, P2 et certains travailleurs, affirme qu’il faut P3)68. Une réunion est ensuite organi- tout de même qu’ils connaissent « un sée dans le bureau du Chef du person- minimum de théorie »71 pour pouvoir nel en vue de définir une nomenclature, valider l’examen. Entre théorie et pra- c’est-à-dire les modalités de passage de tique, le dosage reste délicat. l’essai, le travail à réaliser, les normes de l’évaluation, etc. Central dans les Quelques mois plus tard, le débat négociations, le rapport entre théorique se porte sur l’évaluation de l’essai pro- et pratique est bien l’un des enjeux fessionnel. La CGT demande que les au cœur du passage de l’essai profes- meilleurs ouvriers de chaque catégorie sionnel et de la reconnaissance qui en professionnelle d’une part et le repré- découle. Selon le directeur, les candi- sentant de la direction d’autre part, soient les seuls habilités à se prononcer

66 [CE, CR de la réunion du 31 décembre 1948, n° 40, JF, SNCASE, Toulouse, 8 p.] 69 [CE, CR de l’AG du 8 février 1950, n° 56, GM, SNCASE, Toulouse, p. 8.] 67 [CE, Rapport d’activité 1949 présenté à M. l’Inspecteur du Travail, non daté [1950], p. 7.] 70 [Ibid.] 68 [CE, PV de la réunion des délégués du personnel 71 [CE, CR de l’AG du 21 juillet 1950, n° 62, MA, du 28 mai 1948, SNCASE, Toulouse, p. 2.] SNCASE, Toulouse, p. 6.]

90 91 sur leur réussite ou non72. Les premiers paraissent trop courts pour permettre doivent s’assurer du bon déroule- une réalisation conforme75. ment de l’essai, car ils sont les seuls à connaître le métier en profondeur. Le passage dans la catégorie de Il s’agit bien ici pour eux de garder le P3, celle des ouvriers les plus qualifiés, contrôle sur la définition ainsi que la constitue un enjeu encore plus impor- reconnaissance de ce qui marque un tant, car il sanctionne la reconnaissance (haut-)degré de maîtrise des métiers. d’un savoir-faire très poussé. Son passage La réussite à l’examen doit faire l’objet n’inclut pas seulement des critères pro- d’un consensus entre les travailleurs fessionnels, il est également fonction possédant le savoir-faire à la perfection du métier ou de l’âge du candidat. On et des membres de la hiérarchie chargés constate alors qu’il est plus rare que la de donner une reconnaissance officielle promotion dans les autres catégories, dans l’entreprise à cette forme de vali- puisque seulement 552 P2 sont promus dation par l’expérience. Le Chef du P3 entre 1949 et 1964 (tableau 4). C’est personnel indique en novembre 1950 quantitativement près de deux fois moins que de nouveaux essais ont été « mis que le nombre de promotions ayant eu sur pied et lancés à titre de sondage »73 lieu à l’échelon inférieur. Cette statistique par les responsables de la formation ; montre donc que rejoindre cette classifi- ils doivent ensuite être soumis à une cation n’est pas chose aisée, et que cela commission chargée d’en contrôler la implique une formation par l’expérience validité avant d’être mis en pratique. assez longue, qui n’est pas forcément à la Parmi les enjeux importants dans les portée de tous. De plus, l’équilibre entre négociations, l’étalonnage de l’essai les jeunes et les ouvriers plus âgés impose professionnel, c’est-à-dire le temps que les premiers ne s’élèvent pas trop laissé au candidat pour réaliser le travail rapidement dans la hiérarchie, non seule- demandé, est d’une grande impor- ment pour des questions de masse sala- tance. En février 1951, la commission riale, mais aussi afin de ne pas dévaloriser demande par exemple que le canevas l’expérience et le tour de main acquis par de réalisation d’une pièce soit défini leurs aînés au cours de longues années par des ouvriers à l’habileté moyenne74, de travail76. L’ascension professionnelle tandis qu’elle s’interroge, près d’un an dans l’entreprise n’est pas seulement plus tard, sur les temps accordés, qui lui liée aux connaissances, elle l’est égale- ment au mérite et à l’expérience dans le métier, au savoir-faire du candidat. C’est 72 [CE, AP du 20 octobre 1950, n° 64, GM, SNCASE, Toulouse, p. 7.] 73 [CE, AP du 10 novembre 1950, n° 66, GM, SNCASE, 75 [CE, AP du 11 janvier 1952, n° 78, GM, SNCASE, Toulouse, 9 p.] Toulouse, p. 9.] 74 [CE, AP du 27 février 1951, n° 70, GM, SNCASE, 76 [CE, CR de l’AG du 2 juin 1950, n° 61, GM, SNCASE, Toulouse, p. 11.] Toulouse, p. 5.] ce que confirme le Chef du personnel à la dans les usines, en raison de l’accrois- commission, en avril 195177, qui l’inter- sement du nombre de candidats comme pelle sur les raisons du refus de la direc- du nombre d’essais différents. Néan- tion de laisser les jeunes passer l’essai de moins, ils continuent de garder un droit P3, ceux-ci n’ayant pas, selon lui, une de regard sur la définition du contenu connaissance assez fine du travail d’ate- et du déroulement de l’examen, par le lier, sauf cas exceptionnels. Un tel reclas- biais de la commission du CE. Celle-ci sement ne peut pas seulement dépendre choisit des délégués parmi le personnel, de l’obtention d’un diplôme, il doit aussi chargés de procéder, en commun avec un être fonction de l’acquisition d’un savoir- représentant de la direction, au contrôle faire, précis et technique, grâce à une des nomenclatures et des examens dans pratique quotidienne du métier pendant un métier précis : rectifieur, chaudron- plusieurs années et à une connaissance nier, ajusteur d’étude, formeur, fraiseur des usines.78 ou encore tourneur80. Mais, dans les der- niers mois de l’année, la place laissée aux représentants des travailleurs dans Changement de Nombre classification l’évaluation de l’essai professionnel est encore réduite, puisqu’à l’occasion d’un Manœuvres devenus P1 802 bilan d’activité, le directeur annonce qu’ils n’exerceront plus, à l’avenir, de Ouvriers P1 devenus P2 996 contrôle sur le passage de l’essai, le directeur estimant que les « gens les Ouvriers P2 devenus P3 552 plus qualifiés en cette matière [sont] les 81 Tableau 4 professeurs de l’[EPIA] » . La commis- Promotions internes (1949-1964) sion s’insurge contre une décision jugée injuste et s’oppose à ce qu’un essai soit évalué par une seule personne, désignée En avril 1951, la participation des par une direction qui souhaite ainsi se délégués ouvriers au contrôle de l’essai réserver le contrôle de l’essai et donc, professionnel est remise en cause79. indirectement, la reconnaissance de Selon le Chef du personnel, il n’est plus ce qui fait ou non le métier. Mais cette possible de les réunir à chaque examen, décision traduit également la volonté de car cela désorganise l’activité productive la direction limiter de trop nombreux changements de catégories et de réduire les dérives qu’ils peuvent entraîner sur la 77 [CE, AP du 17 avril 1951, n° 72, GM, SNCASE, Toulouse, p. 7.] 78 [« Documentation Sud-Aviation 1964, p. 11 », cité 80 [CE, AP du 20 juin 1951, n° 73, JL, SNCASE, dans Klein, 1989, p. 88.] Toulouse, p. 11.] 79 [CE, AP du 17 avril 1951, n° 72, GM, SNCASE, 81 [CE, AP du 27 septembre 1951, n° 75, GM, SNCASE, Toulouse, p. 9.] Toulouse, p. 7.]

92 93 masse salariale. La promotion du travail avec succès l’essai professionnel87. In- est en effet bien plus suivie que ce qu’elle variablement, leurs interlocuteurs de n’entraîne de changements de catégories, la direction indiquent que la décision le nombre de possibilités étant souvent d’un reclassement dépend avant tout des limité par des contraintes budgétaires besoins des usines et des nécessités de (Desseigne, 1965, p. 307). Pour la CGT, la production88. En septembre et octobre s’il est normal que la direction s’adjuge 1952, deux réunions se tiennent entre une « voix déterminante »82 dans la la commission et le service de forma- définition et la validation de l’essai, les tion professionnelle pour travailler à une travailleurs doivent pouvoir juger du sa- amélioration du passage de l’essai pro- voir-faire nécessaire à la reconnaissance fessionnel et étudier les conditions géné- d’un plus haut-degré de qualification. Le rales des reclassements. Les discussions directeur réfute cette vision, indiquant permettent de redéfinir le principe de qu’un salarié n’est pas habilité à juger du l’étalonnage, en désignant « un ouvrier travail d’un autre83. moyen, choisi par tirage au sort parmi 10 ouvriers de chaque catégorie »89. Signe d’un durcissement des Deux nouvelles rencontres se tiennent en examens, en juillet 1952, un membre du janvier 1953, durant lesquelles les acteurs CE affirme que le niveau s’est nettement parviennent à un consensus sur un projet accru « à en juger par le nombre d’élé- de vulgarisation des méthodes de travail ments recalés »84. Le délégué pointe le en matière de métaux légers90, le contenu problème de ceux qui n’ont qu’un bagage des discussions postérieures n’étant théorique limité et souhaite que la note pas connu de l’auteur. En mai 1955, la pratique représente plus de 50 % de la refonte de certains essais, notamment note finale, pour permettre « à certains d’ajusteur-fabrication P1 et P2, est en éléments, donnant entière satisfaction cours, la direction souhaitant améliorer à leur chef d’atelier »85 de réussir l’exa- la qualité et l’adaptation des examens aux men ; cette proposition est refusée par le productions de l’époque. Le travail pra- Chef du personnel86. À plusieurs reprises, tique est en effet réalisé à partir de pièces le Bureau du CE demande l’accélération d’appareils qui ne sont plus produites (SE du reclassement des travailleurs passant 2000, SE 2100, SE 2300) et alors même

87 [CE, AP du 15 avril 1955, n° 107, GM, SNCASE, 82 [CE, AP du 9 avril 1952, n° 83, GM, SNCASE, Toulouse, p. 20.] Toulouse, p. 14.] 88 [CE, AP du 3 février 1956, n° 112, GM, SNCASE, 83 [Ibid.] Toulouse, p. 18.] 84 [CE, AP du 16 juillet 1952, n° 82, GM, SNCASE, 89 [CE, AP du 11 septembre 1952, n° 83, GM, SNCASE, Toulouse, p. 10.] Toulouse, p. 11.] 85 [Ibid.] 90 [CE, AP du 4 mars 1953, n° 93, JL, SNCASE, 86 [Ibid.] Toulouse, p. 11.] que le développement de l’entreprise, influence la position de son bénéficiaire avec la réalisation du programme Cara- dans la hiérarchie, au plan de sa qualifica- velle, impose l’adoption de nouvelles tion et de sa rémunération. techniques et de nouvelles normes d’exé- cution par la main-d’œuvre productive. Pour l’entreprise, elle constitue un Malgré tout, pour le Chef du personnel, gage de renforcement technique et une même en portant sur des fabrications an- condition du renouvellement des savoir- ciennes, les essais professionnels restent faire, nécessaires au redressement puis adaptés, car le passage de l’essai repose au développement de la société nationale plus sur la maîtrise de savoir-faire mou- de constructions aéronautiques. À mesure vants et adaptés que sur des définitions que la formation dispensée à l’extérieur rigides91. La définition de l’essai profes- de l’entreprise renforce sa polyvalence et sionnel et de son examen n’en reste pas monte en généralité, la société rationalise moins en perpétuelle renégociation… et diversifie ses actions de formation pro- fessionnelle, afin de spécialiser les conte- nus dispensés et les adapter à la conduite du travail dans ses usines. Preuve de la Au total, cet effort sensible de forma- réussite du système de formation interne tion de la main-d’œuvre professionnelle a mis en place dans les années d’après- notamment pour conséquence d’aboutir guerre en direction de toutes les catégo- à une élimination rapide et précoce des ries professionnelles, Le Monde indique manœuvres des effectifs des entreprises en janvier 1957 que celle-ci a développé de l’industrie aéronautique, dès le milieu « une véritable université du travail […] des années 1950 (Klein, 1989). À la fin ouverte à l’intention des adultes appar- de l’année 1956, les nécessités liées au tenant à tous les échelons professionnels développement du programme Cara- jusqu’à celui des cadres. En dix ans 8 051 velle amènent à une augmentation des auditeurs ont suivi les cours du soir […] surfaces allouées à la formation profes- 1 540 changements de catégorie ont eu sionnelle92. En interne, initiale ou conti- lieu […]. Un "vivier de qualification" est nue, elle permet à celui qui la reçoit, de ainsi constamment alimenté, où la direc- développer « des savoirs […] en vue de tion peut puiser quand le besoin s’en fait prendre ou tenir sa place dans la division sentir »93. du travail, avec pour reconnaissance des acquis l’embauche, le salaire, la position Mais les interactions entre les trois ou le titre » (Dayan, 2011, p. 321). Elle principaux acteurs (direction de l’entre- prise, pouvoirs publics et organisations

91 [CE, AP du 9 juin 1955, n° 108, GM, SNCASE, Toulouse, p. 21.] 93 « La promotion professionnelle permet à la 92 [CE, AP du 2 novembre 1956, n° 120, GM, SNCASE, construction aéronautique de se maintenir à l’avant- Toulouse, p. 16.] garde », Le Monde, 23 janvier 1957.

94 95 syndicales) sont complexes, évoluant en Brucy G. (2005). « L’enseignement tech- fonction des situations, des périodes ou nique et professionnel français ». Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 4, des points de vue qu’ils adoptent dans la pp. 13-34. co-construction du système dans les pre- mières années. Cependant, à mesure que Carlier C. (1983). L’aéronautique fran- s’éloigne le contexte de la Libération, il çaise (1945-1975). Panazol : Lavauzelle. est à constater que c’est la première qui Caron F. (1997). Les deux révolutions tend progressivement à imposer ses vues industrielles du xxe siècle. Paris : Albin Michel. sur la définition et les contenus de la for- mation professionnelle interne, dont elle Caron F. (2010). La dynamique de l’inno- entend se réserver désormais s’arroger vation. Changement technique et changement social (xvie-xxe). Bibliothèque des histoires. l’essentiel des prérogatives. Paris : Gallimard.

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