Quarante Contre Un
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
QUARANTE CONTRE UN Paul Guth QUARANTE CONTRE UN filipacchi © 1991 — ÉDITIONS FILIPACCHI — Société SONODIP 63, avenue des Champs-Élysées - 75008 Paris Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite sans l'autorisation préalable et écrite de l'éditeur. Avant-propos C'est dans une discrète rue parisienne, où le silence ouate et atténue les bruits et les fureurs stressantes de la capitale, que nous avons rencontré Paul Guth. Dans un appartement qui fleure bon les souvenirs, on n'entend que le délicat frémissement des feuilles des arbres échappés, comme par miracle, de la féroce hécatombe citadine. Quelques oiseaux semblent chuchoter leur émerveille- ment. Rien ne saurait troubler cette retraite paisible. Tandis que « Yéyette », la femme de Paul Guth, frôle de ses gestes menus meubles cirés et piles de livres vivants d'avoir été lus et relus avec amour et respect, cet agrégé des lettres, latiniste et helléniste, revient pour nous avec pudeur et sérénité sur son passé. De temps à autre une senteur ensoleillée émane de la cuisine et flatte l'odorat. Cet Ossunois de pure souche, s'il ne roule pas les « r » à la manière trapue de son Sud-Ouest natal, n'a point pour autant oublié ses racines... Et sa célébrité — qui ne connaît pas Paul Guth ? — ne l'a jamais ébloui. Au contraire même, après ce long parcours de professeur, de journaliste, d'écrivain, on dirait encore qu'elle l'étonne. Ce havre pour le cœur, le corps et l'esprit, qu'il protège prudemment avec son épouse aimée, se situe comme par non-hasard, dans une rue ombragée, qui porte le nom d'une poétesse que loua Charles Baudelaire et qu'imita même Paul Verlaine. Décidément, ici tout n'est que littérature car Paul Guth est avant tout écrivain. Du modeste au naïf — « Modeste, je le suis certes, ne serait-ce que par mes origines, mon milieu. Nichée en plein cœur des Hautes-Pyré- nées, Ossun appelle davantage les vocations pastorales que littéraires. Et les richesses des êtres sont faites de candeur, voire même d'ingénuité, avec ce bon sens paysan qui sourit devant les prétentions souvent déplacées de l'esprit. Mon grand-père maternel avait pour tout bien deux vaches et un chien. Qu'im- porte, puisque son âme était généreuse et remplie d'amour. Les paysages de montagne appellent au mysticisme, et sa cousine n'était autre que Bernadette Soubirous, bergère de Lourdes... « Quant à ma grand-mère, j'avoue qu'elle ne savait même pas lire. Elle dut travailler dès l'âge de huit ans, comme il était coutumier à cette époque chez les gens du terroir de peu de fortune. Mon père eut, lui, la chance d'apprendre un vrai métier, celui de mécano, comme l'on disait alors familièrement. » « Je suis né puis j'ai grandi dans une famille simple et chaleureuse, mais où les livres brillaient par leur absence. Les deux seuls ouvrages que possédaient mes parents dans mon enfance et que j'ai feuilletés puis lus fébrilement : un Larousse dépenaillé, aux pages en lambeaux, et les Fables de La Fontaine en aussi piteux état. Cela ne m'a pas empêché d'obtenir l'agrégation des lettres en 1933, puis d'enseigner, dont sept années, à Janson de Sailly. J'ai dû travailler comme un forçat, mais revigoré par la magie de la langue française, qui n'avait cessé de m'attirer, jusqu'à ce que je plonge, ébloui en son sein. J'ai préparé le bac à Villeneuve-sur-Lot. Certes, j'étais toujours premier en français, mais il n'était pas rare que je potasse dès trois heures du matin, que je m'écroule, épuisé mais ravi sur mes livres et mes cahiers et que je me réveille à six heures pour une barbare contingence matérielle : j'avais le nez tout noir; ma lampe à pétrole avait filé. Je me souviens aujourd'hui, avec humour, de mes camarades de Khâgne au lycée Louis-le-Grand qui, à leur manière, sont devenus des célébrités : un certain Georges Pompidou ou encore un Léopold Sédar Shengor, amoureux fous, tout comme moi, de cette subtile et souvent déroutante langue française et grands admirateurs des auteurs de tout temps. Curieusement, c'est un écrivain et philosophe, Diderot, qui m'a poussé à entrer dans l'enseignement. C'est aussi lui qui m'en a fait sortir. Il m'y a fait entrer : à l'écrit de l'agrégation le sujet de français était : Diderot d'après « Le Paradoxe sur le Comédien ». Il m'a fait sortir de l'enseigne- ment : mon premier livre fut « Autour des Dames du Bois de Boulogne », le journal de tournage du film de Bresson, d'après une nouvelle de Diderot. « En 1945 je fis mes premiers pas dans le journalisme. Cette forme d'écriture m'a conduit alors tout naturellement vers la littérature, avec la publication chez Julliard du journal du tournage du film de Bresson dont je viens de parler. Tandis que « La Gazette des Lettres » publiait mon interview régulièrement en première page, à partir des années cinquante « La Revue de Paris » puis « Le Figaro Littéraire » me firent le privilège d'éditer ma prose. « Même après le large succès populaire de la série du « Naïf » puis de « Jeanne la Mince », où les lecteurs avaient pris un immense plaisir — et n'est-ce pas l'un des buts les plus francs de la littérature que de donner du bonheur aux autres par l'intermédiaire des mots — l'intelligent- sia me boudait. Exemple, ce jugement paru dans « Paris France » : « Il n'a pour lui que le public et les P et T. C'est Monsieur Paul Guth, écrivain célèbre... » Pourquoi nier que je suis effectivement un écrivain, célèbre, et que, de sucroît, je n'ai cessé de recevoir un abondant courrier de lecteurs friands de ma littérature?... » Des portraits aux « Quarante contre un » Lorsque Paul Guth commença la publication régulière de ses portraits, ce fut une révélation. Paul Guth marqua son « entrée » dans la littérature grâce à un style limpide mais décapant qui intrigua, dérouta, froissa, amusa. Mais le public, lui, ne s'y trompa point et se mit à découvrir avec délectation, les faces cachées des géants de l'écriture. Le soi-disant « gentil Paul Guth », jouait à merveille un rôle de révélateur, sans jamais agresser, mais en narrant avec un humour rafraîchissant de simplicité, les vérités des hommes et des femmes qui avaient accepté de le rencontrer. Des silences bornés de Julien Green à la hargne de Léon-Paul Fargue, Paul Guth ingéra tout, mais au lieu de le recracher avec acidité, comme le font certains auteurs en mal de férocité, il distilla avec grâce et cette humeur souriante qui le caractérise, la quintessence de ses entretiens. Son portrait de Paul Léautaud fut certes celui qui le propulsa réellement dans le monde littéraire. Le public applaudit, ravi d'un tel bijou d'écriture allié à une analyse piquante sans être jamais cruelle... Quant à Paul Léautaud lui-même, il le prit fort mal. Personnage irascible et farouche, dont le cynisme et la causticité n'étaient plus à prouver, Léautaud qui savait se montrer cocasse dans ses écrits, qui parvenait après moult efforts à faire poindre un rien d'humour et de tendresse, déchaîna sa rage contre Paul Guth. — « Je me souviens, raconte ce dernier, des fameux déjeu- ners littéraires qu'organisait alors Florence Gould à l'Hôtel Meurice. Un jour que j'y étais convié, je rencontrai Paul Léautaud. Il portait ce que l'on peut poliment nommer des « hardes crasseuses ». Il était affalé dans un fauteuil profond et lorsqu'il m'aperçut se mit à hurler ! « Qui va là ! Monsieur Paul Guth, passez votre chemin!... » Léon-Paul Fargue se montra encore plus corrosif à mon égard. Je lui avais rendu visite alors qu'il était alité. Une infirmière le changea en ma présence. J'aperçus son nombril. J'eus la sensation qu'il était « couleur abricot ». Cette terminologie n'eut point l'heur de lui plaire. Ce poète, qui pourtant recélait une fantastique sensibilité, dont j'aurais pu parfois envier la richesse des images insolites, qui revendiquait avec ferveur le droit à la solitude de l'artiste, se comporta alors à mon égard comme le pire des malfrats. Il écrivit à « La Gazette des Lettres » (Julliard en était alors le directeur), me traita de voyou et jura que, si je revenais, il me ferait mettre à la porte à grands coups de pieds dans le derrière, par sa concierge. J'ignorais alors que l'écriture pouvait déclencher chez autrui autant de violence ! Il est vrai que Pierre Descaves, directeur de l'ORTF lorsque je faisais mes débuts littéraires et qui devint ensuite administrateur de la Comédie Française, m'avait mis en garde. Avec une franche bonhomie, il m'avait interrogé sur mes intentions, mes projets. A l'époque, je n'étais nullement fixé et je lui confiai que je ne savais trop. Je ne possédais pas encore « des raisons d'écrire » pas plus qu' « une raison d'écrire ». Mon souffle, ma respiration avaient encore d'autres sources. Confusément, je pressentais que l'oxygénation vitale viendrait peu à peu de l'écriture et d'elle seule, mais consciemment je l'ignorais encore. Pierre Descaves, avec cette spontanéité qui le caractérisait, me déclara : « Il est heureux que vous ne soyez pas décidé à faire une carrière littéraire, car vous êtes bel et bien en train de vous faucher l'herbe sous le pied. Imitez donc les autres si vous voulez vraiment vous en sortir : plutôt que de taper sur les plus forts, tapez sur les plus faibles ! » C'est ce que jamais ne fit Paul Guth, et pourtant, sa carrière littéraire est aujourd'hui incontestable.