M A R I E C O L O M B I E R
M É M O RES
F I N D ’ E M P I R E
PR É FA C E
PA R A R M A N D S I LVE S T R E
PA R I S
E RN E ST F L A M M A R I ON ED I T E UR
26 RUE RA C I N PR! S L ODÉON , E ,
To s d ro 1 ts u réservés .
P REF A C E
’ J e venai s d achever le premier volume de
ces mémo ires quand , trés affectueusement ,
’ et non , j en sui s convai ncu , pour éprouver la
’ de si ncérité mes co mpli ments , l auteur me J ’ propo sa de le présenter au public . acceptai
’ lu i t é vivement , car c était une occas io n de m oi n er a g , mon tour , ma longue et fidèle
’ s am itié , en prolongeant le plai si r que j avai pri s a cette lecture ; plai sir rétro spectif de
v i ob s er re ivre , avec un témoi n vérid que et
’ vat eu r , toutes les i mpres sion s d un certain
’ monde d art , de théâtre et de galanterie que
’ — x— I ceux ci n ont pas co nnu , que ceu Rfo nt VIII PRÉFACE profes sion d ’ oublier et qui fit une très cu rieuse époque des dernières a n nées du ré
‘ gime impéri al .
Celle qui en retrace le souvenir , en ces
’ a a p ges , d une plume tour tour iro ni que et
‘ ’
émue , sans traces de rancunes , d ailleurs , et avec un souci de j ustice qui surprend chez une femme qu ’ on j ugeait volont iers vindica ét é ê tive , y avait tout naturellement m lée
’ r d éclat ré pa de ses débuts , par s a b eauté
cherchée , par son esprit redouté , par la si t u at io n de ses premiers ami s , et , plus encore ,
’ par une c u r1 0 s it é n aturelle Où la fille d Ev e A a ne se dément pas . j outez cela une façon
’ d écrire trés primesautière , sans prétentions , comme on cause quand on cau se b ien , et vou s conviendrez que personne n ’ était fait dav a nt age pour intéres ser a t ontes les cho ses
m a qu i re plirent , de leur gr nd éclat m ondain , la pério de de tranquillité m enteu se d ’ o ù m ’ s ortit , co me d un to mbeau de fleurs , le
spectre sini stre et hurlant de la défaite .
’ C ét a it la mode des femmes de la fin du
’ siècle dernier d écrire leurs mémoires , et
— ceux ci sont captivants encore , surtout , pour PRÉFACE i x
’ ce qu ils y racontent des b eaux esprits
’ Où qu elles avaient fréquentés , a une épo que
’ l esprit tenait tant de plac e da n s une soci été
’ qu i a llait s écro u ler . Car i l semble que cela
’ u à soit une loi , q l a veille des grands b o ule
’ s é a n o u i s s e i n versements , p une florai so n
’ ’ t ellec t u elle d une acuité singulière o u d une A t r . i onique futilité insi cer aines fleurs , c h arm an t es et réc ieu s es des em m es p comme g ,
ab îm é s se retrouvent surtout au b ord des .
’ J e n a ffi rm era i pas que les contemporains illu stres dOn t M ari e Colomb ier retrace ici les ’ ê portraits , d après les souveni rs de so n extr me
’ j eunes se , eurent l importance hi sto ri q ue des
’ l mb ert M d A e et des D i derot . ai s plusi eurs s o n t c e en da n t p de silho uette très pitto resque , et j e lui sai s un gré infini de ces image s tra
’ c é es a au c price d un crayon rapide , to uj ours fidèle d ’ après ce que m ’ en redit au ssi ma
ro re n1 é n1 0 ire jp p . Q uelques souvenirs attendri s a l a terre natale , un coi n du pay sage co mme entrevu
’
à travers les premières larmes d enfant , et
n en lei n e ou s voici en pleine vi e pari si enne , p
m êlée déj à . Car le Conservatoi re est un mi X PREFACE c ro c o s m e Où t ou t es les j alou s i es et to utes les intrigues se donnent co mme un précoc e
— rendez vous . H eureusement , pour la nou
’ ’ s im o s a it ar velle venue , qu elle p p ses di spo s iti on s pro digi euses au théâtre et par une a aub e de b eauté défiant les mb itions rivales .
’ J en R eus un j o ur le témoignage de égnier , qui avait ét é s on maître et qui me di sait qu ’ i l
’ n avait j amai s connu une j eune tragédienn e
am é au s si admirablement douée , regrettant rement , et avec une véritab le mélancolie ’ F d arti ste , que les succès de la emme eus
’ sent nui à ceux de la Co médienne . C est
’ ’ le rôle d Eve d a n s le a ra d i s er d u d E n , P p de
’ ! — il nery , qui l a perdue me di sait , et détour n é e du sérieu x de notre métier . Curieus e f apparition , en e fet , que celle de cette
Ph r n é j eune y gagnant , par avance , tous les a procès venir , s ans en avo ir enco re perdu
! le aucun Pour mo i , qu i sui s fils i mpénitent
’ ï e de Toulouse l a pa enne , j avou que j e ne
’ ’ m a s s oci ai qu à demi a u x lamentati ons du R b on ég nier , estimant que ce tri omphe plas tique d ’ une beauté i mpeccable et complète vaut mieux que tous les lauriers cueilli s au PRÉFACE x r
I l feu menteur de la rampe . y a longtemps que
’ ’ j e m i n dign e que la p o s t érité n ait pa s con e serv les nom s des mo dèles de Phidias , au s si
— La b ien que le no m de Phi dias lui même .
’ L a1 s d H om è re glo i re de , comme celle , a tra
’ ’ versé , san s s éteindre , l i mmensité des temps .
M lê ai s j e reviens au l ivre de m a cliente ,
’ ’ e quel n a pas , d ailleurs , b eso i n davantag d ’ être défendu et qu ’ il me serait m alai sé de
le ê ï défendre par s m mes héro ques moyen s .
’ B d Eve eu ien que ce rôle ait , sur s a car riè re e , une influence b ien différente de cell de so n premier pri x et b eaucoup plu s bril
’ a s a lante , mo n avi , que l eng gement clas si
’ qu e a l Odéo n aprè s les succès de Conserva
’ l Odé on toire , notez cependant que de ce
’ — Où l o n ou ait Po n s a rd B o u ilhet temp s là , j et , avait un autre éclat que celui do nt il
Gi n i s t j ouit so us le co nsulat déplorab le de y ,
’ ’ — l hi st oi re de M arie Colo mb i er n en de
t rè s ê t eu meure pa s moins m lée , long emp s
a â Où core , celle du thé tre to us les auteurs A D de drames la réclament , lexandre umas comme tou s les autres et plu s encore qu e tou s les autres . X I I PRÉFACE
D eux courants se la di sp u tent alors vi siblement , celui qui descend comme un
Pactole , des sources de haute j o ie do nt
’ n l a plus large est aux Tuileries même , qu u ê e r veur taciturne , mai s non s ans capric ,
’ ’ h e d i n u éri s s ables i ab ite , et l autr fait g entra
’ n em en t s t o ùt vers le rêve d ab ord entrevu , le b eau rêve de l a co médienne accl amée . D e ce double tourb illon résulte un e é exi stence singuli èrement b rillante et agit e ,
' ’ les ch o s es d e o ù de l esprit , la vie co urante ,
’ l alcôve de l de et l a politique , des riva ités de la scène et des i ntrigues de cour s e croi sent , se heurtent , se contrarient et se fon
’ dent au seui l d un salon très m ondai n Où
’ toutes sortes d illustrations se donnent ren d ez — o ! v us sou s le sourire , non sou s le rire large et à pleines dent s blanches , de l a plus accu eillante et de l a plus pro digue des
1 ° é S ire ê hôtes ses . Tout y p , en m me te mps ,
’ le champagne , l humeur gaulo i se et les li b res amo urs . D e tout cet océan remué , un
’ d éc u m e peu blanche , une fleur i mpalpab le t de tendres se furtive et de longue g aî é .
A a rsène Hous saye, dont elle décrit , vec PR EF A C E X III
une verve charmante , une de s fanta stiques
’
redo utes , se tro uvait , à l o rdinaire , au mi
Où lieu de tels éléments , mieux que chez lui ses fantai si es de grand seigneur ne po u
va i en t avo i r le même caractère quotidien . C ’ était comme une monnai e courante de ce
’ qu il a im a it à exhib er à la fo u le en m o n st ru eu x
J e ré et magnifiques lingots . sai s un g infini à l ’ auteur de ces mémo ires d ’ avo ir oubli é le
nuage léger qui pa s sa , vers le tard , sur une
’ d A rs è n e amitié si ancienne , po ur parler
H ous saye comme il convi ent . Car o n est
a u l i nj u ste , m o n avi s , po r ce ettré pas
e en ê sionn qui fut , m me temp s , un des plus
b eaux philo sophes de ce siècle , épri s , co mme A e B ’ nacr o n , de la eauté j us qu à la dernière
heure , et confiant , comme Platon , dans
’ l i mmortalité . I l y a de fort j oli s vers dans les pre
m iers recueil s de H ou s saye , et , quant à
’
sa pro se , j i gno re comment on en peut faire le procè s san s admirer mo ins celle des Gon A . C a r u court Pa l rène qui , co mme moi , aimait mieux la clarté latine et l a clas si que
di s a it u n avec i n fin im en t syntaxe , me , j o ur , x 1 v PRÉFACE
’ d e I ls vérité auront beau faire , c est
’ A rsène H ou s saye qui demeure l H om ére de c ette l angue — l à ! F igure demeurée ch ar mante pour moi , que celle de ce b eau vieil lard a la b arb e fleuri e qui parlait encore des femmes avec tant de tendres se et co mme de
’ l uni que cho se de l a vie ! Phy si ono mie i n o u bli able dan s le grand effac ement des types
’ c J ontemporai ns . upiter aux foudres d or i m mob iles et aux tonnerres gaz ouillant dans les
’ b ranches , comme des chansons d o i seaux . Et le b rillant admini strateur de l a C o m é d i e— Françai se que fut ce fantai s i ste Où le pay s an norm and très avi sé se retrouvait
q uelquefoi s ! Celui — là j ou a éperdument les ’ Si poètes et ne s en trouva pas plus mal . les
s oci étaires ne connurent p as encore , sou s
son règne , les parts fab uleuses que leur fit
ro s ai u e de M . atteindre le génie p q Perrin ,
’ ’ et qu ils ignorent d ailleurs tout a fait a u
’ ou rd hu i — j , au moins servirent il s noble ment l a haute renommée littéraire de leur
m ai son .
Un ch apitre que j e vai s signaler aussi , c ’ est celui qui est co nsacré à Bade et à ses PRÉFACE xv
Où l plai sirs , au temp s les villégi atures al e a mandes étai ent s i fort la mo de , quand
’ ’ d Em s M B a t c est que . de i smarck dat i ses a faux , comme on o uvre l a b onde une mer
d e B s ang . Ce tab leau de a de , quand le Pari s é B ’ légant y émigrait , du ade o ù l on j o uait , du
’ B où l on B u ade causait , du ade o la diploma
ti e teutonne exploitait , avec un cyni sme
a x ï ffectueu , l a na veté et la vantardi se fran
ai s es a ç , est tout fait curieux et vrai ,il porte u n e (kd e et u n e s Rnuüu re c onnn e les t ofl es d e
’ m aitre . C e st un pay s age volontairement calme et rococo avec ses b ouquets d ’ arbres a convenus et ses m ai son s ridicules , et tra
u n a vers tout cel a , s ouffle de plai si rs la
foi s tumultueux et inquiets , une fièvre de lucre dont tout fri s sonne,un déc or t ran qu ille
Où les pa s s io ns viennent so urdement mugi r . C ’ est un co in oub lié de l a vi e impéri aleet
qui revit ici très i ntense , avec les couleurs î ’ t A fra ches d un so uvenir rè s vivant . rap
ro ch er e t p , comm contras e , des de scriptions du pay sage pari sien aux heures m auvai ses
n e de la Co mmune . U excellente page de ce livre fertile en documents . xv1 PRÉFACE
’ ’ M ai s j e m en voudrai s d att arder plus longtemp s le lecteur au x ab o rds du fronti s I l ’ r pice . est temps qu i l tourne les p emières pages pour j uger de la vérité de mon dire .
’ ’ J u à estime q la dernière , il restera , comme
’ al i n t érét moi , su spendu de ces récits ayant
e t un ton de réalité si net , o ù tant de co mmen
taires i ntéres s ants s ont tracés , au crayon ,
’ en marge de l hi stoire contemporai ne , l a
’ quelle s écrit tou s les j ours , en attendant que ceux qui vi endront après nou s aient l a
t âch — ét re au difficile e de nou s j uger . Peut
— e du rai s j parler , sur un ton plus léger , de
’ ’ ’ u e l œuvre d une femme . Q l auteur de ces
’ ’ mémoires me le pardonne et n y vo ie qu une preuve de m a séri euse amiti é .
D T R E A R M AN S I LVE S .
1 9 — 20 c t r e 1 89 o ob 8 . MÉ M O I R E S
CHA PITRE PREM I E R
L E CONSERVATOIRE
Brusquement , dans la petite salle du Con s ervat oire un silence se fit , arrêtant net les
’ c d a c t ric es aquetages des mères , les réflexions des ou rn a amateurs , les rires blagueurs des j
ot in eries . listes , les p des cabotins Une même attente avait fait taire tout c e monde con
' v oitis e s e S oirs , p , illusions , allaient subir le verdict redouté .
Dans la grande loge du fond , en face de la scéne , messieurs les j urés prennent place .
’ fi n C est M . Auber qui préside . S o n masque , aux tons j aunis , contraste avec le visage rose de M . Camille Doucet , amène , bienveillant , 2 MÉMOIRES
environné de cette considération qu I l in
u a voq dans un vers célébre . M . Camille
D oucet est intendant général des théâtres . M É Puis , le commissaire impérial , . douard
M on n ais É e douard Thierry, le feuilletonist disert qui dirige maintenan t le Théâtre
’ Français avec la même douceur qu il mon
s trait dans ses critiques . A côté de lui , Jule
’ d c d S an eau . Avec son physique d offi ier e
e cavaleri e en retraite , sa moustache martial
’ ’ et son teint brun , il n est pas du tout l homme de sa littérature aristocratique et virginale .
E nsuite , ce sont deux comédiens célèbres
’ Delaunay , l éternel amoureux qui garde ,
’ même à. la ville , l élégance sautillante des
C lit an dres , et Tisserand le financier , maj es
l i n tu eu x . C a s s o et ventripotent Enfin p , le musicien .
Le président , le maestro Auber , vint au rebord de la loge , et avançant sa face de vieil
’ a n om ivoire , d une voix bl nche il lança un vers la scène Mademoiselle M arie Colombi er A cet appel , répété dans la coulisse , lente
’ ment vers la rampe une j eune fille s av an ç a . ’ FIN D E M PI R E 3
Brune , sa lourde chevelure relevée en casque , e lle avait les grands yeux de velours et de
’ feu , les cils et les sourcils soyeux d une
E spagnole . Elle était tragiquement vêtue de noir le décolletage d ’ une robe de crêpe de
chine , très élégante , laissait voir le j eune
é c la marbre de sa gorge , dont la blancheur tait plus radieuse et plus chaude en cette
s ombre toilette . S es épaules harmonieuses ,
’ ses bras , sa nuque , son visage , étai ent d une
pâl eur superbe .
Le sourire étonné demeurait timide ,
n a1 m presque enfantin . Elle semblait ve en t
victorieuse .
Le silence se fit plus complet encore .
M . Auber prononça
Mademoiselle Marie Colombier , le j ury
vous a décerné le premier prix de tragédie .
D e tous côtés , bravos , applaudissements .
’ L e public ratifi ait d enthousiasme le j u ge
m du y ent j ur .
Alors , le maître appela Mademoiselle E st eb an et U ne grande blonde à l ’ aspect viril apparut
’ s u r l estrade . 4 ' MÉMOIRES
M ademoiselle , le j ury vous accorde le deuxième prix de tragédie .
Les traits de la lauréate se marq u èrent
’ d une violente déception ; l e long bras tra gique quitta lê corps maigre en un geste de s e colère , le poing osseux tendit vers le jury , et des lèvres du deuxième prix une apOst r0 phe ’ h E ! ’ sourde s é c app a . Pauvre st eb an et C était la première grande désillu sion que lui causait cet art dramatique , auquel on peut vraiment i ’ ’ d re qu elle immola sa vie , puisqu elle périt , quelques années plus tard , dans le naufrage
’ ’ l E ven i n S ta r u de g , alors qu elle vog ait vers
’ Où l attirait la République Argentine , le mi rage d ’ un engagement vainement attendu en
France . S on dépit rageur avait mis la salle en g aîté
C s des huchotements , des rires coururent . Mai
a u déj M . A ber appelait M ademoiselle Joséphine Petit ! le j ury vous accorde le premier accessit de tra gedie .
1 Blonde auss mademoiselle Petit , mais avec plus de grace . S es cheveux de lin sont
r l la t êt e nattés su e sommet de , mai s , dénoués ,
6 MÉMOIRES
r les i n s s u r les r n n s j ou s p o g og o , comme di t son professeur . Un second prix est accordé aussi à Marie
C olombier .
Cette fois , la salle tout entiere éclate des a acclamations saluent cette j eunesse r dieuse , cette promesse du do uble avenir de l ’ artiste
et de la femme en sa fleur . Voilà maintenant les premiers accessits B Valérie édard , un diminutif de Céline
M on t alan d c a , qui plus tard épousa son
- — marade Murray , de la Porte Saint Martin ;
’ M d A u u s in e ari e S amary , la nièce g t Brohan
É m ilien n e L e révo st p , charmante , aux grands
yeux de myope , noirs et doux , qui devint la
’
femme d un fonctionnaire , et se retira dans
’ l administration ; Bloch , une j uive rousse , ’ a fille d une revendeuse la toilette , et qui se permet avec cela d ’ avoir l ’ ovale céleste d ’ une
madone ; enfin , Blanche Marcilly .
Trois récompenses pour les hommes . Un
S ev est re — Désiré ui premier prix a (Jules ) , q tint les rôles accessoires au Théâtre — Français ; il
’ s en vengea en j ou ant un rôle héroïque et san
lan t ala D éfen s e Où fi t . g de Pari s , il se tuer Un FIN L ’ EMPIRE 7 s econd prix a Victor Verdelet , et un premier a a a ccessit Etienne Guill ume , déj à nommés . Aussitôt que le palmarès dramat ique ' est é puisé , les coulisses du Conservatoire sont L e . es nvahies professeurs , Augustine Brohan e n v tête , viennent féliciter les ictorieux et les victorieuses , mais surtout celle qui est la reine incontestée de cette fête théâtrale ,
M e . ari Colombier , la triomphatrice
Aug ustine , la muse de Molière , la fée de
’ l esprit , de la j oie et du rire , embrasse la a j eune fille , comme pour la vouer ces divi mités étincelantes dont elle est la prêtresse . Augustine Brohan est née dans le vieil
R Où hôtel de ambouillet , se tenaient les as N semblées des Précieuses , où vécut inon de
Lenclos . Elle a la beauté souveraine , le vi sage impérieux et charmant des Parabé re ;
’ ses lèvres sont d une coup e harmonieuse ; le d essin de ses bras et de ses épaules est d ’ une nymphe antique ; la taille idéalement souple
’ e t ronde paraît une tige de fleur qui s am in c it
’ j u squ au magnifi que épanouissement de s hanches maj estueuses . Grande , avec un bel a ir u de fi erté , A gustine Brohan rappelle ces 8 MÉMOIRES femmes du dix - hu it 1 em e s œ c le dont la s édu c tion semble dominatrice .
’ u bu reau Comme elles , d aille rs , elle tient
’ e d esprit en ce Paris moderne . Elle est la fill de cette exquise Suzanne Brohan qu i fonda
r e la dynastie des Brohan , dont le pouvoir C pose sur le harme , le talent et la grâce , et qui a sa devise comm e la famille princière de s Brohan
u dai n é Coq ette ne veux , soubrette ne g ,
Brohan suis .
’ e Elle marche entourée d un prestige , comm
’ en e une féerie . C est elle qui inspira a un rich
armateur de Bordeaux , surnommé le roi
’ ’ d A u it ain e q , cet acte de galanterie que l on
croirait imité de la chronique du dix — huitième
’
. à e siècle Invitée dîner chez lui , tandis qu ell suivait une allée sablée conduisant au c hâ
’ ’ s a erc u teau , elle p t tout a coup qu on la lais sait marcher seule elle se retourna et vit
du troi s valets qui , derrière elle , par ordre
n maître , enfermaient dans une grille chacu de ses pas .
’ ’ L e S rit Bien qu on dise p des Brohan , comme on disait autrefois l ’ esprit des Mor ’ FIN D E M PI R E 9 tem art la , et que ce soit , pour ainsi dire , un
’ a bien de famille , elle semble l avoi r accap ré tout entier , tant il est chez elle incomparable .
t ré s Un soir , la belle Madeleine sa sœur , entourée , trés fêtée , venait de briller dans
’ Où une de ces conversations d alo rs , les mots
abondaient et étincelaient ainsi que des étoiles .
’ A h C à - S — a , lui dit elle , ais tu que si tu n ét i s
’ l rit a u e e S . pas ma sœur , on dir it q tu as de p
Oui , répondit Madeleine , mais comme j e
o suis ta s eur , on dit que j e suis toute bonne .
Myope , elle faillit même devenir aveugle , ou du moins on le crai gnait . i ’ f Pourtant il ne falla t pas trop s y i er . Un j our qu ’ elle avait adressé quelques observa
i a - t ons une élève de sa classe , celle ci , croyant
’ l ir u i t a . n être pas vue , la langue Mai s le pro
’ fes s eu r u l avait parfaitement aperçue , et , po r l ’ eX u ls a . faire un exemple , p de la classe Au gustine Brohan fut chroniqu eus e et au il ’ teur dramatique y a , d elle , plusieurs
m t e r s a n s s o n proverbes , entre autres C o p
’ hôte u r , qui fit recette l on se rappelle les C o r i er s d e S u za n n e au F ig a r o . Elle y attaqua
u lu i- m ém D e . è s Victor H go cette époque , on 1 0 MÉMOIRES vit une comédienne exercer dans la littérature fro ndeuse e t satirique son malicieux esprit . Ce fut une imprudence et on l e lui fi t bien
’ sentir . L actrice fut rendue responsable des témérités du j ournaliste . Alexandre Dumas
- écrivit au secrétaire de la Co médie Française ,
’ pour l inviter a retirer du répertoire M a d e m o is e lle d e B e lle — I s le et les D em oi s e lles d e
S a i n t— C r u n e y , ou à distribuer à autre artiste les rôles tenus par Brohan .
Telle est , avec son charme et sa gloire ,
’ l in c omp arable Augustine qui est accourue
’ — p our féliciter l héroïne du j o u r . Elle même v ient de triompher dans cette ré union par
’ s a seule présence , car c est la première fois
’ qu elle reparaît en p u blic depuis la mala
’ ’ di e d yeux qui fi t croire aux Pari siens qu ils allaient perdre la reine de leur théâtre , et
’ l on fait fête a cette grâce retrouvée . Elle est suivi e par les autres professeurs d u : Conservatoire Régnier , S amson , Pro B ll e au v a et . vost ,
Régnier est petit , mince ; mais le buste
’ ’ c és a bien campé , l œil d acier , au clair regard
i ffi n c n su s a c e u . ett e . rien , corrigent physiq e ’ FIN D E M PI R E 1 1
Professeur admirable , il ensei gne à ses élève s
’ l art de transformer en qualités des imp erfe c tions natives ; tous les dessous , toutes les in
én ios it é s g , toutes les ficelles du métier
le s toutes les re ssources de la diction , il possède et les ensei gne avec une habileté r f co nsommée . Cet a tiste qui , a orce de con
a rodu ire s centration , arrive p les mêmes effet que d ’ autres tempéraments doivent à leur puissance irraisonné e , est un professeur
déve10 e s idéal , car il pp chez ses disciple
’ toutes les facultés qui ont besoin d applic a
’ ’
et . tion d étude Dans l ordre intellectuel ,
’ c est un érudit , un chercheur , un biblio phile et un lettré , que signale son heureuse
an d au collaboration avec Jules S e . Dans la vie privée , c’est le type de loyauté et de cor rection que ! l ’ on définit par le simple mot
’ ’ d h on n êt e d homme . a Samson posséde , un degré rare , les qua lités d ’ intelligence et de science qui font l ’ ex c ellen t comédien ; il y aj oute un certai n ton
’ pontifi ant qui gâte quelqu e peu l admiration
’ ’ qu il in Spire il a trop l air de la réclamer .
’ ’ D ailleurs , c est un esprit cultivé et affiné , un 1 2 MÉMOIRES
: grand liseur et même un écrivain Lui aussi ,
S an d au il a collaboré avec e .
B eau vallet , qui donna la réplique à Rachel i dans tous ses rôles de tragéd e , j oint une rare
a u puissance dramatique sa voix s perbe , mais
’ n en s ei n e ! u il g pas Q and il a déclamé , chanté ou rugi devant ses élèves u n e tirade de Racine avec cet organe merveilleux qui
u deme rera légendaire , il se borne a leur dire
Faites — e n autant !
Provost , que recommande sa science pro
’ du u n fonde théâtre , frappe tout d abord par
’ physiqu e bizarre et fantasque sa tête a l air
’ ’ d I n de d avoir été sculptée dans un marron , avec un nez en quart de cercle surplombant une bouche qui se retire vers les oreilles .
E n même temps que les professeurs , les anciens élèves du Cons ervatoire pénètrent dans les coulisses . Lauréats des années p ré c é dentes , dispersés dans les différents théâtres
’ de Paris , de la province et de l étranger , ils se trouvent réunis dans les loisirs que leur fo nt â t ou s les vacances et ils en profitent pour assister a ces épreuves dont ils se rap p ellen t encore les enivrements et les an
1 4 MÉMOI RES
m a nonchalant , les bras abandonnés , la choire lourde
Enfin Laroche , le futur sociétaire de la
’ - Il e Comédie Française . apporte dans l exercic de l ’ art dramatique la régularité et la cons
’ ’ n r c ien c e d un bon employé . Aussi avahc e a
’ ’ - t il que lentement , à l ancienneté , j usqu au moment Où sa création pittoresque du Gau
F i ll d e R la n d lois dans la e o mettra en relief,
’ d une facon bien inattendue , cet artiste hon
’
e . n te , vétéran des succè s d estime
’ u M arie Lloyd , qui se dit p pille d un ami
e e ral , est grand , éclatante , et serait très bell
’ ’ si elle n avait des cheveux rares et u n e de n f a tition âcheuse . Elle est destinée de prin
c iè res a amours , et un mariage retentissant avec un peintre qui fait des cardinaux comme
’ d autres font des nymphes ou des pêcheuses , par vocation spéciale . S on visage garde un
’ d in én u ité air g perpétuelle , et elle semble ne ri en comprendre aux gauloiseries de son en tourage . Et pourtant Athalie M an voy est aussi petite que Lloyd
est grande . Très j olie très élégante , elle
B e montra , dans le rôle d une des petites ’ FIN D E M PI R E 1 5 n oit on e , des toilettes signées Laferri re qui
r obtinrent un succés triomphal . On la dit t ès a vare . Elle alla en Russie , et j oua au retour
Re i n C ti ll n P r t la Dubarry dans la e o o , a la o e
i n - M a r i S a t t n . ’ e Puis , c est Nancy , une modeste , et Ros lia
R ou s s eil , appelée la fille du proscrit . Valentine Angelo débuta au Théâtre
Français ; charmante fille , qui dut sa fortune
à la banque E gyptienne . Elle fut au Gymnase d pen ant longtemps , et , comme Lloyd , elle fa v oris a la peinture . L eontine Massin possède le genre de beauté et de talent qui conviennent au théâtre elle
’ ’ est l empreinte , le reflet de la pensée de l au ’ fi teur . C est elle qui t une si émouvante c N a n a au x réation de , grâce conseils de Far g u eil elle eut un grand succès dans le
r c ès Vea u r a d i eu x P o , et fournit une longue carrière au Vaudeville et surtout au Gymnase .
Marie Magnier , longue , mince , deux grands yeux qui lui mangeaient tout le visage .
’ C étaien t v a les deux inséparables , se faisant ’ d loir par l opposition , toutes eux admirable ment j olies . MÉMOIRES
e e Un des prix de tragédie , des années pr c
’
. e st dentes , Poncin L histoire de ce prix
m or assez gai e . La candidate déclamait son
’ n cea de concours avec l émotion voulue , quand u n mouvement tragique fit s é chappe r du corsage un sein blanc et bi en nourri au
u quel le j ry , impressionné , ne put refuser un
’ prix d encouragement . Mademoiselle Poncin f se maria avec un ils de Provost qui était , lui ,
’ dans l administration .
’ Enfin , les deux Worms , dont l une épousa
’ u D eles s art Pa l Deshayes , et l autre , qui créa
’ l A s s om m o i r ô dans le r le de Lantier , la fl R ou aqu ett e . Pendant qu e les anciens élèves félicitaient leurs camarades avec la sincérité que leu r
de s donnait , en ce moment , le souvenir épreuves passées et aussi l ’ impression ner veu s e de cette fête dramatiq u e sur leur sen
’ s ibilit é du e d artistes , la cour Conservatoir et le vestibule formaient deux potinières , où
’ c rms aien t en se dans l air les racontars , les
th ou sias m e s u . , les critiq es et les médisances
’ Après ce long silence forcé d une j ourné e presque entière , les auditeurs échangeaient ’ FIN D E M PI RE 1 7
t ‘ t leurs observa ions , se grisan un peu de la
v parole enfin retrou ée , comme il arrive au
’ r so tir d une conférence .
u Le directeur des Fantaisies , le critiq e de
B od ar la mode , le prince j , le baron de Car rare , un auteur applaudi au théâtre et dans les
Valau . s cercles , et M de , un spirituel raté de la diplomatie , causaient avec animation au
’ Où milieu d un groupe il y avait de tout , des j ournalistes , des gens du monde et même un Turc , qui suivait les concours , étant chargé l N des engagements au Théâtre Khédivia . atu relle m en t , la causerie portait sur le Conser vat oire a dont chaque année , cette époque , les j ournaux ent reprenn ent la démolition . L e directeur assurait que c ’ était la mort du théâtre , mais les autres le défendaient Il n ’ y a que là qu ’ on trouve encore des
- femmes , di saient ils .
Le Turc avait fait signe à E stelle , la bou
’ u etié re q ; elle s était approchée , et il lui ache tait un bouquet destiné a la lauréate du
concours de tragédie . D epuis dix ans , il fai sait lê même présent a la j eune personne
m i rix . re er couronnée On avait le p p vlan , un
2 . 1 8 M EM OI R E s
! bouquet S i la lauréate était laide , il donnait ’ n in sist ai le bouquet tout de même et t pas . Un personnage qui tenai t sous le bras une ’ ff s v . er iette toute gonflée , entra d un air a airé
’ ’ C était maître Bancal , l huissier mondain , le plus aimable des officiers ministériels .
S in stru Homme de cercle , il avait ouvent a menter contre des camarades du club , mais il aurait été au désespoir de se montrer rigou
’ reux a leur endroit . J aime mieux leur
u e donner du temps pour payer , et q nous
u so pions tranquilles .
En ce moment même , il était en train d ’ i n st ru m en t er . Entre deux saisies dans le
avait fait fi ac re quartier , il arréter son au coin de la rue S es acolytes étaient Il dedans . était venu en courant pour savoir le résultat .
’ Il a r h s pp oc a de M . de Carrare
Cette petite fera tourner bien des tête s ,
— il lui dit . Vous , M . de Carrare , vous voudrez sans doute lui faire j ouer vos pièces au cercle .
Ne serait - ce que pour lui réclamer des
’ droits d auteur . ’ FIN D E M PI RE 1 9 Vous pouvez le lui proposer la voi ci Et le groupe se tourna d ’ un seul mouve
du . ment côté de la porte En ce moment ,
Mari e , toute radieuse , franchissait le seuil du vestibule . Elle passa vite entre la double
a h ie de curieux , sous le feu des regards , m à . uets hommages , et arriva la grille Tou
u r t ré s j o s vite , elle se dirigea vers une voi ture prés de laquelle un j eune homme blond
’ l att en dait ; il lui ouvrit la portière , elle
fi ac re monta , et le disparut au tournant de la rue . Mais la triomphatrice laissait derrière
’ elle une longu e traînée d admiration et de
m . b urmures Le pu lic , encore charmé , sem
’ ’ lait ne s en aller qu à. regret . Chacun com mentait cette apparition d ’ un astre nouveau
u s rgissant au ciel du Conservatoire , qui était a cette époque le sanctuaire des amours illustres , en même temps que de la tradition d ramatique . Le Conservatoire d ’ alors présentait une physionomie toute particulière que lui ont fait perdre depuis nos mœurs nouvelles , plus
’ ’ u l an t s L in év it able prati ques q é ég e . com merce de la galanterie s ’ y relevait par un 20 MÉMOIRES
e certain ton de convenance , et par le mystèr
’ ’ n i décent dont il s en v1 ron a t . Au lieu d avoir comme auj ourd ’ hui de simples commandi
à des taires , dont le rôle se borne verser
les mensualités plus ou moins Opulentes , j eunes personnes avai ent des protecteurs
âgés , sérieux , presque touj ours en possession de situations importantes et de charges à la
Cour ; elles passaient pour leurs pupilles , et les réalités de l ’ amour étaient déguisées pour
— le public sous cette demi paternité . Maré e chaux , amiraux , offici ers de la maison imp
les riale , ces protecteurs étai ent , pour
u futures actrices , beaucoup plus et beauco p mieux que les bailleurs de fonds qui les ont
a s remplacés . Ils facilitaient leurs aimable
filleu le s , par leurs hautes influences , les pro
rè s g de la carrière dramatique , et les suivaient de leur sollicitude depuis le Conservatoire
’ u — j squ à la Comédie Française . Ils se char
eaien t g de leur avenir artistiqu e , en même temps qu ’ ils subvenaient aux nécessités ma t é rielle s du présent .
Au reste , cette protection était fort peu coûteuse . Les élèves du Conservatoire
MÉMOIRES
baccalauréat , avec la perspective toute bour
’ g eois e d une carrière bureaucratique a la
- — Comédie Française , où ils espèrent devenir des capitalistes , grâce au sociétariat , qui leur
’ fera une retraite supérieure a celle d u n chef
. a c ett e é o u e de division Mais p q , le Conser
’ v at oire abritait une nichée d oiseaux inson
’ c ian t s et j as eu rs ; o n eût dit une v oliè re d où
’ s é c h a ait aît é pp , avec des chanso ns , toute la g d e la bohème .
u D e x dignitaires de la Cour impériale , S on Excellence le Maréc hal Comte Vaillant et e S on Excellence le Maréchal Magnan , prot i ’ g e a e n t l institution de toute leur sollicitude .
Ministre de la Guerre , sénateur , grand
- é maréchal du Palais , grand croix de la L gion
’ ’ d Hon n eu r du et de l ordre Bain , le comte Vaillant avait fourni une carrière magnifique ;
’ il avait été associ é l un des premiers à la for tune du Prince Président . Il occupa par
’ i ntérim le ministère de l I n st ru c t ion Pu bli u e q . Puis , il reçut le portefeuille de la
’ n l E m ereu r m aiso de p , auquel , trois ans plus
- 1 3 u . 86 tard , fut attaché cel i des B eaux Arts E n ,
’ il réorganisa l Ec ole des Beaux - Arts et fit ’ FIN D E M PI R E 23
’ décréter l anné e suivante la liberté d es .
’ 1 8 9 m odifi a . 6 théâtres Ce fut lui qui , en l or g an is ation du comité du Théâtre - Francais et
’ institua a l Odé o n un comité de lecture po ur la réception des pièces . Le maréchal Magnan était l ’ un des plus
’ beaux soldats de l armée de Pari s ; à soixante
’ arais s ait as u et lors dix ans , il n en p p cinq ante ,
’ u n qu il passait devant front de bataille , sa
a haute stature , sa large poitrine où brill ient
’ les grands - croix de la Légion d honneur et de
’ huit ordres étrangers fi xaien t l admiration de
’ tous . Il était commandant en chef de l armée
u de Paris , commandant s péri eur des divi
’ du l Em ereu r sions Nord , grand veneur de p ,
- grand maître de la franc maçonnerie , et il avait débuté dans la vi e c le r c d e n o ta i r e 1 809 ’ E n , il s était engagé. dans un régiment de ligne , et il fut un de ceux qui j ustifient le proverbe Chaque soldat de France a un bâton de maréchal dans sa gib erne . M algré les traitements énormes aff ectés
’ au x charges si importantes qu il remplissait , le maréchal , qui était très j oueur , faisait cons
’ tamment des dettes que l Emp e reu r payait 24 MÉMOIRES
1 1 non moins con stamment . Napoléon 1 ne pouvait oublier le concours qu ’ il avait recu d ’ E de ce serviteur dévoué , lors du coup t at
- du D eux D écembre , que le Maréchal prepara
’ P r i n - e s . avec Morny , g y et S aint Arnaud a Les quatre filles du m réchal Magnan , qui étai ent aux Tuileries parmi les plus admirées et les plus fêtées , avec les filles du baron
a . Haussmann , ten ient de leur père Elles avaient comme lui grande allure . A cette
’ u an é époq e , la mode n était point a la grâce
’ m iqu e et nerveuse qu i s emble l idéal de
’ ’ la Parisienne d auj ourd hui . La vigoureuse
’ beauté espagnole de l I mp érat ric e donnait
’ pour ainsi dire le ton ; à côté d elle , la prin c esse Anna Murat rappelait le souvenir de
du ces femmes premier Empire , qui , par leur
S plendeur héroïque , semblaient si bien nées
pour régner sur une époque conquérante . La galanterie du maréchal était l egen
lu i u n e m aît res daire . On connaissait s e favo
’
rite , la très j olie femme d un boursier , dont les Opérations étaient régulièrement heu
reuses , non seulement pour la raison que des
u i a s perstitieux magineraient , mais aussi FIN L ’ EMPIRE 25 cause de la très haute i n fluence qui au gm e n
’ m ai r s . t es e tait son crédit D ailleurs , cette
’ ’ trompait avec d autant plus d ac harn em en t
’ é n é son illustre protecteur , qu il était plus g reux envers elle .
al Au Co nservatoire , le maréch trouvait des distractions moins co ûteuses et plus idyl
I l i i u li u e s . av a t q y une a mable p pille , José
’
s a ela . phine Petit , qui pp plus tard Dica On prétendait que l ’ affection de mademoiselle Petit pour son tuteur était une tradition de ’ ’ m famille , et qu elle suivait l exemple aternel . Madame Petit ne ressemblait en rien a sa
fille , la mince et longue Ophélie elle était petite , rondelette , avec un teint de lait comme une femme de Terburg ou de Té l ’ l niers elle appartenait a éc o e hollandaise .
' Elle sympathisait avec la m è re de Rosine
’ Bernhardt (qui n était pas encore S arah) , et c ’ était une j oie de les entendre dialoguer dans la langue du Talmud .
au U ne autre puissance Conservatoire , au dessus des deux maréchaux , était Achille
’ Fou ld l I n é ri eu r , ministre de t aucun enga
’ gement â la Comédie - Francaise n était signé 3 26 MÉMOIRES
e sans son aveu . Mais c etait une puissanc l ointaine comme la Divinité il planait très haut dans le mystère . C ’ est dans la maison de la rue de Riche
’ lieu qu il avait ses intrigues On en parlait
’ beauco u p et l on allait jusqu a nommer u n e des pensionnaires . Pourtant , ce bruit trou
’ d in c rédu le s u i a vait beaucoup , q attribuaient la j eune personne une singularité physique a assez fâcheuse . Pareille légende circulait propos de quelques actri ces , et souvent
’ ’ ’ c était l in t éres s é e elle - même qui s in gén iait a
’ l ac c rédit er I . l semblait que la vertu fût une
’ des conditions indispensables d une grand e
’ fortune artistique . C est pourquoi plusieurs
’ prétendaient être dans l i m p o s s i bi li té ab s o
’ lu . e d y manquer .
’ Fou ld L amie de M . , en dépit de ces racon tars , inspira une vraie passion au fils du grand ministre , et en obtint une promesse
’ s in t er os a de mariage . Vainement le père p , essayant de désabuser le j eune h omme il pouvait le faire mi eux que L ’ amoureux refusa de le
Et les petites élèves du Conservatoire , qui ’ FIN D E M PI R E 27 avaient leurs entrées à la Comédie - Française
’ n i n oraie n t t et g rien des po ins de coulisses ,
’ ’ s e racontaient t ou t bas l histoire d une récente a fugue Londres où la comédienne , mise en disgrâce par le ministre , avait suivi son ami .
’ Lâ— a bas , ils s ét ient épousés , et le j eune homme , contraint au négoce pour vivre , avait , pour se venger de son père , fait placer a rr— dessus de sa porte une enseigne Où on lisait ce nom
GU STAVE F OU L D F i ls d u m i n i s tr e d e F r a n ce
Ma r c ha n d d e Vi n s
’ s Pois s o n n re re La mai on de la rue , d où à sortaient des actrices destinées être , pour les dignitaires de la Cour , des maîtresses intelligentes et décoratives , concourait aussi , u n e fois par semaine , aux manifestations d e la piété impériale et s an c tifi ait ainsi son caractère profane . Les chœurs du Conserva
u toire alternaient , dans la chapelle des T ile
’ l O éra rie s , avec les solistes de p , aux messes solennelles où assistaient les souverains . 28 MÉMOIRES a Rangée d ns le chœur , une théorie de j eunes filles , candidement vêtues de la sainte mousseline entonnaient les chants ’ h bd m sacrés . C était comme une dîme e o a daire que le S eigneur prélevait sur des talents
’ l am u s em en t j uvéniles voués à du siè cle . Et pour que ce tableau de sainteté moderne fût
m aitre complet , le de chapelle qui dirigeait
’ l ensemble de ces voix de théâtre , admises à concourir aux pompes du saint lieu , était un israélite , le compositeur Félix Cohen .
Sous cet aspect édifiant , le Conservatoire d ’ alors rappelle un peu l ’ école de d anse de
- Pet ersb ou r S aint g , sorte de couvent de Terp s ic hore où les j eunes filles reçoivent une edu
’ cation pareille a celle d É c ou e n ou de S aint
c om ren d la D enis , car elle p littérature , le des sin , la musique en mêm e temps que la cho h rég rap ie . Elles sont sous le haut patronage
’ de l I mp ératric e et sous la surveillance de ses
’ dames d honneur . Ce Conservatoire russe
- s œ c le est , au dix neuvième , comme le Saint
— a ff n rè s Cyr du dix septième , cette di ére ce p que madame de Maintenon écartait j alouse ment son augu ste époux du blanc troupeau
3 0 MÉMOIRES
le plus cher possible , des billets . Le reste
était pris par de petites horizontales , en chantées de tenir u n e panne dans u n pro verbe de Musset , ce qui les préparait a de venir plus tard autre chose que des cocottes
’ D es act ric es ! l car c était la leur ambition ne plus être seulement de simples mar chandes de sourires , relever de quelque gloire théâtrale leur métier de galanterie
’ L éot au d u à la u r — d A u ver n e j o ait , To g , les
’ p è re s nobles qu il aurait tant voulu j ouer a la
Comédie - Française ; il interprétait les clas
’ siques avec le plus pur acce nt d A u v erg n e
’ comme la rue ! Et cela était d un eff et irrés is
’ les E n a n ts d E d o u a r d tible lorsque , dans f
’ ’ T rrel l e n t en dait s é c rier où il faisait y , on
ré c om m e n c h e Ai nsi , j e ! ! S Ah ce malheureux accent ans lui , qui
’ sait où L éot au d serait parvenu ? Mais il n y
' ’ y avait pas mo en de s en débarrasser . Plus
- ç Lé ot au d tard , a la Comédie Fran aise , souf fl ait encore en auvergnat . Il se surveillait cela allait bien pendant quelque temps puis , t ’ out en envoyant les répliques , l émotion de
dé c u es lu i la scène le gagnait , ses ambitions ’ FIN D E M PI R E 3 1
’ u s em b alla it remontaient au cœ r , il , ne se
’ c . onnaissait plus , et l accent reparaissait
’ L acteur qui , au moment de lancer la tirade
’ d Ore s t e , se penchait vers son antre , enten d ait monter des profonde u rs le vers de Cor neille traduit dans la langue des porteurs
’ ’ d e n t rain é l exem le - eau et par p , prononçait
Grâc he au chiel , mon malheur pache m o n e sp éran c he !
’ S i bien qu il fallut prier Léot au d de souffler
’ ’ d u in flexmn s . ne voix blanche , sans Il s y h abitua comme il s ’ était fait a son ombre sou t e rrain e lu i u i , q avait ambitionné la gloire
a éblouissante de la r mpe , et trente années
’ d — urant , il fut l aide mémoire infati gable de d eux générations de comédi ens illustres ou i nconnus .
CHA PITRE I I
’ ’ L ENFANCE D U N PREMIER PRIX
La petite Marie avait cinq ans lorsque sa mère , qui habitait Paris , eut un j our fantaisie d ’ envoyer chercher la fillette qu ’ elle avait
’ abandonnée au village d A u z an c e .
1 840 a 1 845 1e D e , Limousin et la Creuse se trouvèrent envahis par les E spagnols , par tis an s de Don Carlos , expulsés de leur pa trie , et internés dans ces deux départements . Les principales familles du bourg offrirent
’
a a . l hospitalité ces vaincus , ces proscrits L e
’ dévouement et la bonté s exalt è re n t dans ces pays primitifs , encore inaccessibles a la civi
’ lisation , où les chemins de fer n avaient point importé les idées nouvelles . Par une sensibi
les s lité romanesque , femmes et les j eune 3 4 MÉMOIRES
filles eurent a cœu r de j ouer le rôle de conso latrices auprès de s pauvres bannis . Quelle auréole que celle de l ’ exil ! Tous se disaient
’ s a elaien t plus ou moins nobles , et pp de noms sonores aux mâles ré s o n n an c es . Ils avaient un air intrépide et mélancolique , comme il
’ sied aux défenseurs d une cause perdue , la voix de métal , le regard de feu comme le l soleil an da ou x . Ils étaient irrésistibles .
’ ’ s a er u t En peu de temps , on p ç de l ac croissement de la race . Les femmes avaient rempli si consciencieusement leur tâche , que
’ u n e a l on citait famille , entre utres , où la mère et les deux filles étaient devenues en cei ntes en même temps .
’ ’ Très fière j usqu alors d u ne vert u que les
u a nS ai Dons J de village avou ent imprenable , la b elle Annette , la mère de la petite Marie , ne sut pas résister à la contagion . Elle qui v avait refusé le mariage , ne trou ant aucun
’ ’ ’ s é rit d u n parti di gne d elle , p de ces pros crits dont la g en tilhom m erie tranchait - si fort auprès de la rusticité de ses anciens
u s ac rifi a a amo reux , et lui cette réput tion de dignité si soigneusement gardée . ’ FIN D E M PI R E 3 5 Quand elle ne put cacher sa maternité
u douloureuse , craignant les moq eries , prête à tout plutôt que d ’ affronter la colère de ses frères , elle décida Pablo Martinez , son
â A u z an c e complice , quitter ; il fut entendu
’ qu il rentrerait en E spagne , o ù sa famille , I IS riche et puissante , obtiendrait sa grâce .
’ ’ s e n fu iren t a , légers de bagage et d argent , g g n è ren t la frontière et parvinrent en Anda l i Lâ ou s e . , Martinez fut reconnu , et envoyé
- à Port Mahon .
La pauvre abandonnée , sachant a peine les quelques mots nécessaires pour se faire
’ comprendre , n ayant pas de quoi payer les
’ l e u s s e n t diligences qui ramenée en France , en fut réduite à demander son pain et son
’ chemin , à l aventure . Aprè s plusieurs j ours
e à de marche , ell tomba sur la route , demi morte de fati gue . Des paysans la recueillirent , a et la , des centaines de lieues de son pays , sur cette terre hostile qui lui avait repris l celui pour leque elle avait perdu sa vie , assistée par la compassion grossière des
a M arie rustres , elle donna le j our la petite .
’ D es e qu elle put marcher , elle recommenc 36 MÉMOIRES
’ a l E s a n e son lamentable voyage travers p g , e la rrant sur les grandes routes , spectre de détresse et de la faim . Elle revint la nuit a
’ Au z an c e , de même qu elle en était parti e , son en â t ravers fant dans ses bras , guettant les volets le moment où sa mère serait seule . Elle espérait dans sa tendresse , car de tout temps elle avait été sa préférée . Elle connaissait la mani ère d ’ ouvrir la porte on ne Craignait pas les malfaiteurs
’ dans ce pays d ho n n ét eté rude et primitive ;
nul ne songeait a se verro u iller . Quand elle
’ pensa qu elle pouvait entrer , connaissant les
’ ’ s av an a la êtres , elle ç j usqu au lit de mère ,
’ ’ ’ l fi r r l appelant tout bas pour ne pas e aye . Elle
’ l ac c ablem en t e dit son désespoir , où la j tait
’ son malheur , l excès de son dénuement ; la
’ ’ s att en drit vieille , et il fut décidé qu elle gar a derait la petite . Elle remit sa fille un peu
’ d argent et lui donna le conseil de partir .
Il ne restait plus que quelqu es réfugiés .
’ a : Pères , frères , maris , s ét ient ligués on avait
expulsé les E spagnols des maisons , en les
’ m en ac an t des plus terribles vengeances s ils
’ d A n ne quittai ent pas le pays . Les frères
38 MÉMOIRES
pouvait lui pardonner sa naissan c e . Au mi
’ ff n li eu des coups . et des rebu ades , l e fant avait grandi . Voyant les autres fillettes heu reuses et choyées , elle songeait , avec la raison précoc e qu e la tristesse de sa vie avait
: développée S i j e suis malheureuse , moi ,
’ ’ c est que j e n ai pas de mère . Ou plutôt elle se disait que sa mère s ’ en était allée bien
’ loin , mais qu elle reviendrait la chercher , ’ m a qu elle lui apporterait , co me la petite
’ a - d A n e Cendrillon et Peau , de b elles robes
wré es couleur de soleil et de lune , g de dia
flam b an mants et t es de pierreries . Car elle
’ ’ s a li u ait pp q , en imagination , tout ce qu elle
lu avait dans les livres de prix , et de toutes
’ les belles cho ses qui l éblou is s aien t dans les
contes , de fées elle arrivait à se forger un
- rêve de félicité , lointaine peut être , mais cer taine aussi . S a seule distraction était de j ouer avec les
’ a enf nts du bourg , sur la place qu on appelait l ’ e Terrier . Au milieu s élevait un grand cal
’ vaire , et en s appuyant sur la balustrade qui
’ l en t ou rait Au z an c e , on découvrait environ
’ n é e d u n c ôté p ar les bois et de l autre par ’ FIN D E M PI R E 39
’ — n em ê un demi cercle de montagnes , qui p chait pas le rega rd de les franchir en quête
’ u d horizons nouveaux . Une se le , très haute , pyramidait sous le ciel ; ses pentes de s c en l daien t j usqu e sur la ro u te qui borde e Cher .
fais aien t Au temps des nei ges , les enfants y des glissades du haut en bas . Le pays , en
u terrasse , montrait ses maisons trap es , a un seul étage , avec un grenier , et ses j ardins qui
’ r dévalaient sur la plaine . L ai était très pur
s ou ffl e s et un peu rude , frémissant de grands salubres . L e rêve de la petite Marie commençait à se f réaliser . S a mère la aisait chercher , et , crai g n an t sans doute la pauvreté de son accoutre
e ment , elle lui envoyait deux bell s robes et
’ ’ m r a . s e e s s du linge On p de l en revêtir , et
’ s adm irer s u r u n e elle put , en montant chaise pour se re garder dans la glace .
’ l en voy é Et , se tournant vers de sa mère , f celui qui avait apporté ces j olies a faires , ’ e ainsi que des cadeaux à la grand m re , elle lui demanda Alors , monsieur , vous allez
’ me mener auprès de ma N a n a ? C était le
’ diminutif d A n n ett e qui désignait sa mère . 40 MÉMOIRE S
La j oie ra yonnait dans ses yeux , sur son
’ ’ r n d m r e. a è e visag La g , en voyant qu on allait
‘ ’ lu i prendre cette enfant qu elle avait ré a cueillie , et laquelle elle se sentait attachée malgré tout , dit a la petite Alors , cela ne
’ te fait pas de peine de me quitter , de t en
toi n aller , aussi , loin , très loi J e suis bien vi eille , tu ne me verras plus La petite , confuse , se cachait la tête dans son
’ e tablier , ne sachant que répondre , n os n t plus laisser voir sa j oie . Curieusement , des gens du village assistaient a la Scène ; ils avaient appris qu ’ un monsieur de Paris étai t m a venu pour e mener la fille la Nanette , et
’ sous prétexte de lui dire adieu , ils n étaient pas fâchés de voir de près cette bête curieuse un Parisien . D eux places avaient été retenues dans le
’ d E au x coupé de la diligence v . Le monsieur
’ et la petite Marie s y installèrent , après force e r commandations de tous , même des oncles
u qui , oubliant leur rancune et la haine cr elle l ’ I s . qu avaient touj ours montrée à l enfant , lui souhaitèrent bon voyage .
La petite , dans son inconsci ente impa FIN L ’ EMPIRE 41
‘ tien c e t , aurai déj à voulu que les chevaux se
’ n o sai missent en marche . Elle t croire a cette j oie : aller voir sa mère ! Elle craignait que
- i re ro c han t la sa grand mère , qui pleurait , lu p sécheresse de son cœur , qui ne lui mettait
u n e u ne pas larme dans les yeux , pas parole re fit d de reg t sur les lèvres , ne la escendre de la patache et ne la ramenât chez elle , où bien sûr elle serait punie , battue .
Enfin , le dernier paquet hissé , l e dernier voyageur monté , la portière fermée , le pos tillon , avec un grand claquement de fouet ,
1 enleva ses chevaux , et au bru t des grelots , on se mit en marche .
’ S a n s u n regard en arrière , sans un mou
u e vement de regret , sans un adi e , la p tite colla sa figure au carreau et re garda en avant h ’ la route toute blanc e , les chevaux qui l em
portaient . Comme les autres fillettes , elle ! au ssi , elle allait enfin être aimée , choyée ! Elle aussi , elle allait avoir une mère
L e voyage de la petit e M ari e ave c l etranger
u fut n long étonnement . L es dili gences suc cédaient aux diligences j usqu ’ à Clermont
4 . 42 MÉ MOIRES
. C es Ferrand ; la , on prit le chemin de fer
r s longues boîtes , qui glissaient sur des t ingle t de métal avec un grand bruit , lui inspiraien
’ n u n e surprise qui était presque de l épou v a t e . Mais son compagnon lui dit qu ’ au bout de la route elle trouverait sa maman ; ce mot lui enlevait toute peur , toute fatigue .
A — prés un voyage de vingt quatre heures , tantôt serrée a étouffer dans l ’ étroit compar t im en t , tantôt étendue sur la banquette de
’ bois , elle avait fini par s endormir , abrutie de
’ fati gue . Elle fut tirée de sa léthargie par l ar rivée a Paris . Entraînée par son compagnon t sans se rendre compte de rien , continuan
s e s son cauchemar , elle réveilla dans les bra
’ d une femme aux cheveux grisonnants , qui
’ l en leva it de de terre , la couvrait de baisers ,
’ caresses c était s a mère ! Après avoir pris la petite malle aux b a
ou de gages , monta en voiture . La mère
Marie , après force questions sur les gens du
’ : t a elles pays , lui déclara Tu sais , tu pp Marie Vaillant ; oublie le nom de Colombier ’ ' â A u z an c tu l as laissé e . Voici ton papa . Et elle lui désigna l ’ homme qui était FIN L ’ EMPIRE 43
allé la chercher , son compagnon de route . S on papa !
lâ— on S on papa , que bas , au pays , disait
’ mort , dont on lui parlait comme d un prince ’ a de légende , qu elle se figurait pareil un des
’ héros de ses contes , cuirassé d argent sur une
’ ’ tunique de b ro c art l épée d un conquérant ou le sceptre d ’ un roi de J érusalem a la main
’ comme au temps des Croisés , c était ce petit
de s u homme au presq e voûté , que sa mère l ’ tutoyait , El e n en revenait pas .
’ L es caresses de cette mère qu elle atten dait depuis si longtemps la laissaient i n
rdit e t e . , ne sachant que répondre Elle qui
’ ’ l aï eu le avait quitté qui l avait élevée , le pays où elle avait vécu , les petites cama
’ a s an s u n rades avec lesquelles elle vait j oué , a regret ni une larme , se sentit envahie tout coup par u n désespoir profond] qu i secoua tout son corps de sanglots , tandis que les pleurs ruisselaient sur sa figure . a La mère étonnée chercha la calmer , ne
’ comprenant pas d uo pouvait provenir son chagrin . A la fin , ennuyée de ne pouvoir la
lu i consoler , elle dit avec reproche 44 MÉMOIRES
’ ’ ff Eh bien , si c est la l e et que j e te pro ’ là duis , j aurais aussi bi en fait de te laisser
' bas . Voyons , sèche tes yeux ; nous arrivons , j e ne veux pas qu ’ on me voi e ramenant une petite fille avec les yeux rouges .
’ rr i La voiture s a êt a t . Vaillant ouvrit la portière , descendit , aida la mère et la petite a en faire autant , prit la malle qui était sur le siège , et après avoir traversé une grande
’ cour , on monta au cinquième étage d une maison du boulevard du Temple . L e logement se composait d ’ une entrée qui a ’ servait de salle manger , d une cuisine ,
’ u d ne chambre pour le père et la mère , et
’ d un grand cabinet o u I l y avait u n petit lit ; ét tout était simple , mais propre bien tenu . La table éta it dressée ; il était huit heu res du matin et la mère avait mis le pot - au — feu la veille pour que les voyageurs e u ssent du bouillon chaud en arrivant . Elle débarbouilla la fillette , qui avait passé tout le temps où il
u a du v a on faisait j o r la portière g , et avait le
cle - u visage tout noir de suie et po ssière . Puis
fait bo ire d e après lui avoir une tasse bouillon , elle la coucha .
46 MÉMOIRES j ouait la pantomime avec des souliers a houf
’ fettes , où brillaient d énormes solitaires , en chassés dans les nœuds de ru bans noirs la Stoltz avait de ces façons a elle de mettre sa fortune aux pieds de son ami . L ’ actrice avait une fillette qui faisait sou ven t des p arties de volant avec Marie dans la
’ cour ; par elle l enfant obtenait parfois des billets de t héâtre Elle alla voir j ouer D e burau un soir avec sa petite amie , et la
’ ran d m é re - g de celle ci . Ce fut une impres
’ sion inoubliable , un long rêve d une soirée . Deb u rau avait ses fameux souliers à ho u f fettes , dont les diamants fascinaient la petite a comme des yeux de flamme . Cet homme la
’ ’ face lunaire , vêtu d une blouse blanche d où t sortaien de grands gestes mystérieux , sans
’ qu il parlât j amais , impressionna Marie ainsi
’ an s qu un être surnaturel . Elle avait six lorsque le théâtre lui fut ainsi révélé .
au Sur le devant de la maison , au premi er ,
’ l e n t res ol dessus de , habitait un Belge , de Bast , chez qui venait souvent le prince Pierre Bona
e parte . Un j our , il y eut chez lui une descent
’ m c de police . On visita la aison , on fouilla ave FIN L ’ EMPIRE 4 7 acharnement tous les appa rtements des loca
’ taires . Pierre Bonaparte était accusé d avoir
’ inspiré l attent at dirigé contre le Prince — Pré
’ s iden t a u , un soir qu il se rend it au Cirque po r
in y voir u n e pièce militaire . Une machine fern ale avait été disposée sur le grand balcon
’ d e l appartement de de Bast , qui faisait face
’ au x portes du Cirque ; d autre part , on savait les intelligences du prince Pierre avec les sociétés secrètes qui , prévoyant les proj ets
’ - de Louis Napoléon , voulai ent l empêcher ,
’ ’ u n a même par meurtre , d arriver l empire . Les re cherches pratiquées dans le logis suspect ne servirent a rien ; les personnes qu i se trouvaient d ans la maison se sauvèrent par les balcons et par les toits , dans la mai
le 3 5 son voisine , numéro , qui appartenait a u même propriétaire .
Mai s il me semble que vous pleurez bi en souvent , mademoiselle . Votre mère est donc bien méchante , ou vous êtes bien peu raison nable pour que vous soyez si souvent gron 48 MÉMOIRES
- - ? dé c . Voyons , contez moi cela , voulez vous ! Oh non , j e vous en pri e , monsieur S i
’ maman rentrait et qu elle me trouve bavar ! dant avec vous , ah bien ce ne serait pas fini des coups et des scènes !
Votre mère est — ell e dans la maison ?
e Non , lle est sortie pour promener ma
’ petite sœur ; elle m a dit de garder le bureau , a Eh bien , mettez un domestique votre
m e place , et montez chez mon ami Prosper , raconter vos chagrins . ’ là ! Mais il n est pas , monsieur Prosper
’ l att en dre Cela ne fait rien , j e vais dans
’ sa chambre , et vous m y retrouverez , voulez vo u s ?
d e La petite , après avoir fait un tampon son mouchoir qu ’ elle portait à sa bouche
’ l a li pour le chauffer de son haleine , pp qu ait ensuite sur ses yeux pour sécher ses
dis araitre larmes , et faire p les rougeurs des
’ paupi ères . Elle détacha une clef d un ta
u bleau , la tendit au j e ne homme avec un gentil sourire , et lui dit
z s Alors , monte vite mon ieur Charles ,
’ qu on ne vous voie pas . J irai vous retrouver . FIN L ’ EMPIRE 49
’ u Cel i qu elle avait appelé M . Charles en j amba vivement les marches de l ’ escali er et
disparut . Depuis près de six mois , il venait
’ presqu e to u s les j ours a l hôtel de la rue de
M alher Rivoli , au coin de la rue , tenu par
’ - a a a l ex m dame V ill nt , redevenue madame
u n à Colombier , pour voir de ses amis , élève
’ l Ec ole a d é Centr le , et que le hasar , avait amen
’ ’
dans l hôtel . Il avait en occasion d entendre
c les s ènes du ménage , les cris de la mère il
a savait sa violence , sa brut lité même , envers
f — r la pauvre so u f re douleu . Presque ch aque
r j ou , en venant chez ses amis , il tombait au
bat aille s u i milieu de s disputes et des , q ne pre
’ n aien t pas même fin a la vue d u n étranger Il était ém u de la tristesse et du désespoir
’ qu il voyait dans les yeux de cette enfant
’ m a rtv ris ée e c he r h , t des larmes qu elle c ait â
r . dissimule La trouvant seule , par exception ,
il lui avait exprimé son intérêt ; la petite ,
toute à la douceur de se sentir plaindre , avait
accepté de lui conter sa peine .
y e A ant appelé la femme de chambre , lle e a lui dit de r ster sa place au bureau , tandis ’ a qu elle irait la lingerie , et vite elle monta 5 50 MÉMOIRES
rej oindre M . Charles . Quand elle fut auprès
’ lu i elle de , _ se sentit tout intimidée , n ayant l p u s le courage de se plaindre .
Entrée vivemen t dans la chambre , elle lâ ’ restait , appuyée contre la porte , qu elle avait repoussée en entrant , ne sachant que dire , les yeux baissés , les mains dans les
! poches de son tablier .
Le j eune homme , voyant son embarras lui demanda avec intérêt
— m Dites moi , mademoiselle , com ent se fait — il qu e votre mère soit tout le temps a ca
re s s er au s votre sœur , et qu Î contraire on vou martyrise ainsi ?
Ma mère aime ma petite s œur , et moi
’ elle ne m aime pas . Cela se comprend . Ma
’ sœu r est bien plus a elle que moi elle ne l a j amais quittée . Tandis que moi … elle dit que
j e suis sa honte , son Comment cela Oh ! j e ne sais pas moi ! j ’ étais déj à
’ c e grande , j avais inq ans , lorsqu Vaillant est
venu me chercher chez nous . Tout cela était dit d ’ une façon presque
farouche , le regard assombri .
’ lâ- Quand j étais bas , j e me consolais ’ FIN L EMPIRE 5 1 d etre battue et touj ours grondée en me di la sant que si ma maman était , j e serais comme les autres petites , gâtée , embrassée .
’ a Mais qu nd j e suis venue ici , et quand j ai
’ été plus battue encore que lors que j étais p é
’ e tite , j n ai plus rien eu pour me consoler Maman me dit tout le temps qu ’ elle aurait bien mieux fait de me mettre aux enfants ! trouvés . Oh oui elle aurait bien mi eux fait
’ J e serais moins E st — c e qu o n
’ peut encore m y mettre , aux enfants trouvés , monsieur
’ ’ L autre j our , maman et Vaillant m ont tel
u u e lement batt e , que j e me suis sauvée , et q
’ j ai couru comme une folle . J e suis allée du
’ ’ côté de l eau j avais envie - de Et
’ ’ puis c était si noir que j ai eu peur et que j e suis j ’ ai attendu à la porte qu ’ un
ren t re e t s locataire , j e me suis glissée san qu ’ on me voie j usqu ’ à ma Mais un ’ û de ces soirs , j en suis bien s re , j e serai si
’ malheureuse que j e m y j etterai , dans la rivière . L e désespoir m o ru e de cette fillette avait
quelque chose de terrible et de poignant . On 52 M EMOIRES
’ ’ u sentait si bien qu elle disait vrai , qu n soir elle sortirait pour ne pas revenir et qu ’ elle se j etterai t dans cette affreuse rivière , seul refuge qui pù t la soustraire aux humiliations aux coups et aux scènes quelqu efois plus ter ribles que les coups
ét ait lm ain t en an t S a figure contractée , ses
’ yeux secs , avec l éclat du désespoir . Le
in s tin c tiVem en t j eune homme lui dit , pris de pitié soudaine
u Si j e vo s demandai s de venir avec moi ,
‘ viendriez - vous ?
Tout de suite .
E h bien , mon enfant , quand vous serez
u trop malhe reuse , quand vous ne pourrez plus supporter de rester chez votre mère , voici mon adresse , prenez une voiture et
— faites vous conduire chez moi .
Charles de B é riot avait presque oublié
’ ’ l incident lorsqu un soir , au moment où il allait tirer le bouton de sonnette de la maison
’ e s en t en dit a e où il habitait , rue Br da , il pp I l ’ ler . se retourna , il vit s ouvrir la portière d e la voiture qui stationnait a la porte . Une
54 MÉMOIRES a ne rien faire ; j e la flan qu e à la porte
’ ’ Qu elle aille où elle veut , j e m en lave les
’ mains ; mai s qu elle ne rentre plus dans la
: maison , ou j e la fais passer par la fenêtre
’ e Et après , il m a encore donné une poussé
’ en et il m a fait descendre le dernier étage , me criant
Surtout , ne reviens pas .
u a r Alors , j e me s i s mise marcher , marche , a et tout coup , sans savoir , j e me suis trouvée l . â au bord de la rivière J e suis restée , long
’ temps , bien longtemps , a regarder l eau couler sous le J e me disai s que j e n ’ a
’ ’ u a e vais q m y j eter , que ce serait fini , que j ne souffrirais plus J e me demandais le t emps que j e mettrai s
à On enj ambe le parapet , on saute , ça fait floc ! Irais - j e au fond tout de suite ? ’ ’ m e n t rerait r L eau par les oreilles , puis , pou
’ ’ ou vrirais respirer , j la bouche , et alors , j ava
’ lerai s s , j j usqu à ce que j e soi toute gonflée , tout e
Alors , en pensant que j e deviendrais si
’ ’ … laide , j ai eu peur de ce que j allais faire la l J e sui s restée penchée , réf échissant , atten FIN L ’ EMPIRE 55
’ ’ dant qu il n y ait plus personne s u r le pont pour pouvoir enj amber . L e parapet était très
j e serais peut - être retenue par un pas
’ et sant , alors j e serais forcée d expliquer pour quoi j e voulais me noyer .
’ J e suis descendue vers la berge , pour n a à ’ voir pas sauter . Plus loin , c était la cam m pagne , avec des arbres , des saules , com e
A u z an c e a , la où le Cher prend sa source j e
’ ’ e m en irais au fil de l eau , comm Ophélie ,
’ ’ d n ava is o t j lu l histoire . Ce serait bien plus
lu s j oli , p poétique .
Mais la nuit était presque venue , j e ne
’ voyais plus les pi erres du fond de l eau , il me s emb lait que tout était
’ e Alors , j ai pris j me suis rappelé
’ ’ m aviez ce que vous dit , l adresse que vous
’ ’ ’ m aviez donnée j e l avais cousue dans l ou rlet
’ de ma robe pour qu on ne la trouve pas . Puis , la j e suis remontée , j e sui s partie de en cou
rant .
’ J ai demandé mon chemin , j e suis enfin
’ arrivée , mais la concierge m a dit que vous
’ ’ n étiez pas Alors , j ai encore marché
a longtemps , j etais bien f ti 56 M EM OI R E s
les gens me dans la
a I ls rue , les hommes me p rlaient me di s a ien t des choses que j e ne comprenais pas , mais qui me rendaient toute honteuse . J e
’ n ét iez suis revenue , vous pas encore ren
’ tré . Le concierge m a demandé ce que j e
’ ’ J ai e voulais . dit que j avais une lettr , que
’ j attendai s la réponse et que j e reviendrais .
’ J e n os a is plus attend re dans la rue et j e ne
m a u e s . tenais pl s sur j mbes Alors , j e me sui s
’ souvenue qu e vo us m av iez dit de prendre
’ u ai une voit re , j en arrété une et j e vous ai a d tten u .
r u e à Elle avait débité tout cela dans la ,
u a u r . voix éto ffée , pp yée cont e la porte
a e r a rè s s o n n é Il p y le coche , et , p avoir , il prit la main de la petite pour la g u ider dans ll le couloir sombre . j eta son nom au con
’ c e c a l i n di u a i rge , cher h la rampe , q à Marie
r e n lu i dis a nt de le suivre . Ar ivé au second
a a ét ge , il mit la clef d ns la serrure , ouvrit la
’ l an t ic ham b re porte , et , dans , il alluma un bougeoir to u t prépa ré s u r une table . Puis il
’ fit entrer l enfa nt dans le salon en lu i disant
’ ’ ’ d t a — e e s s sit . s asseoir , lui même en face d elle FIN L ’ EMPIRE 5 I Quand il avait fait promettre à Mari e que si l ’ existence lui devinait intolérable chez sa
’ mère , elle vi endrait le trouver au lieu d at
’ tenter a sa vie , il avait subi l impression de
’ c au la minute présente , de l émotion que lui
’ sait le désespoir de l enfant , sans calculer les conséquences de cet engagement .
Maintenant que le fait était accompli , que l a là petite était , en face de lui , il se deman
’ dait ce qu il allait faire .
Abuser du malheur de cette fillette , en
’ m ait res s e faire sa , il n y pensa pas une seconde . Elle était trop j eune , a peine
’ formée ; il n avait aucun goût pour les fruits verts .
’ ? n o s ait Alors , quoi Il faire part à Marie de
’ s ses impressions , dan la crainte d augmenter son angoisse et de déterminer une crise dans
’ c ette nature qu il sentait nerveuse et impres
i n n bl s o a e . Comme ils restai ent assis l ’ un près de
’ hé s i l autre , a peine éclairés par la lueur
’ s a er u t tante de la bougie , il p ç que tout un
’ défi u r r l n fl r côté de son vi sage était g é p a e u e .
’ Il se dit qu elle devait bi en souffrir ; que , de 58 MÉ MOIRES
u e plus , elle était horriblement fatiguée et q
sans doute elle avait faim . ? I ’ Faim … l ne vivait pas chez lui ; il n y
’ avait rien de prêt dans l appartement de c e
garçon dont le concierge faisait le ménage . Pourtant il découvrit un reste debiscuit et
la de malaga . Après avoir servi la petite , il conduisit â la chambre réservée pour les
’ congés de son frère qui était a l E c ole mili I l ’ taire . tira des draps d une armoire et tous
à de deux se mirent faire le lit ; pui s , il lui dit se coucher le lendemain , on aviserait . Il
ar lui tendit la main , tâcha de la consoler p quelques douces paroles , et , lui ayant sou haité bonne nuit , ferma la porte .
Rentré dans sa chambre , il réfléchit à la
’ r situation . Il n avait pas de vocation pou
La j ouer les Wilheim M eist er . p etite était une vrai e Mi gnon il se la représentait , de puis les premiers j ours où il l ’ avait vue avec ses robes trop longues ou trop courtes , les yeux ardents , les cheveux en broussailles
’ N av ait - ii pas , lui aussi , une Philine qui se moquait de lui , qui le faisait souffrir alterna t ivem en t de sa j alousie et de son in diffé ’ FIN L EMPIRE 59
? rence Certes , il avait le cœur fermé a tout
’
i . autre sentiment que la pit é D ailleurs , la
’ ’ petite était si j eune ! N allait - il pas s attirer
’ d e s ennuis a ce propos S es parents l avaient
’ ’ renvoyée , mais s ils apprenaient qu elle était c lu i hez , ils seraient furieux . Il pensait a cela tout en se co uchant ; il se
’ dit avec un geste d in s ou c ia n c e ! ’ ’ Bah j ai sauve la vi e d un être humain .
’
J ai bien fait . Dormons en paix . A demain les a f a f aires embêt ntes .
62 MÉMOIRES
Le front haut , la bouche charnue , aux
n ar de ts blanches , le nez aquilin , celui qui p
’ lait ainsi avait un air souverai n d in t elli r gence et de distinction . P ès de lui , on avait
’ la sensation d un être Su périeur par la force
u e t la douce r qui rayonnaient de son visage .
En le regardant , on aurait pu se demander
’ quelle était l in fi rm ité â laqu elle il faisait al l i n u u s o . Q and on examinait cette physio nomie empreinte d ’ une tristesse profonde quand on écoutait cette voix harmonieuse , mais voilée de résignation , on cherchait le malheur qui avait bien pu frapper ce puissant .
l z i - l vou e . d t i Tenez , M arie , si vous , vous allez vous reposer , tandis que j e ferai un peu de musique . Il y a bi en une heure que vous lisez .
’
Tout en parlant , il s en fut prendre , dans une vitrine placée dans un an gle de la
’ ’ c d am aran t he piè e , une boîte en boi s , l ou
’ ’ v rit , et , d un capiton de satin bleu qui l en c hassait , il retira un violon , un Stradivarius .
’ I à l ac c o rde r l se mit , se laissant entrainer
’ p eu a peu par l inspiration . Il fit rés onner c ette voix presque humaine qui exprimait la FIN L ’ EMPIRE 63
e n erles e n douleur et la j oie , éclatait rires p
. r u e en sanglots de désespérance Alo s , la p pill r dilatée , le regard droit , fixe , évélaient
’ l énigme . Cet homme était aveugle , infirme
in fi rm it é comme il le disait , et cette avait
’ I affi n an t accru sa sensibilité en , idéalisé les puissances de son âme . d Mari e regar ait , subjuguée , ce grand ar
arc ou ru le tiste , ce génie , qui avait p monde , i applaud des souverains , des princes qui le t traitaient en égal . Il possédai toutes les sé
’ du c t ion s du talent et de l intelligence . Phy
i u m n t s e e . q , il était superbe On parlait de ses conquêtes ; grandes dames
ra et grandes arti stes en étaient folles . On
u e contait q pour lui , la S onntag avait voulu
’ ’ l an n u refuser d être ambassadrice . Mais lation du premier mariage de la Malibran avait réuni définitivement ces deux génies , e mis en fuite les _ coquetteries , les esp
’ Bé riot rances rivales . L union de et de la
“ Malibran fut comme u n harmonieux chef
’ u i d œuvre de la destinée , q donnait pour compagne au maître illu stre ce tte M aria
’ ’ Félic ia qu i fut l idole d une génération tou t 64 MÉMOIRES
’ t D e s dém on e entiere , l artiste qui sut ê re la de Shakespeare et la Rosine de B eau m ar
’ c hais et de Rossini . L âme de la musique sembl ait avoir pris la forme de cet ange aux c u i heveux noirs , q mourut un soir , la tète a s u r I a c ppuyée sa vre , près avoir en hanté le
’ ’ monde par des accents qu il n e n t en dra j am ais plus .
a n où D ns la uit le vieillard était plongé , il
a âm e c e nn r laiss it parler son , hanter et g la
’ pl ainte de son cœur dev ant M arie qui l é c o u tait avec ravissement .
’ Elle se disait que la ét ait le p aradis qu elle
’ a c l illu vait rêvé . L e décor ét ait omplice de
sion . La pièce immense communiq u ait avec u n e s u ite de salons du bo u t de la galeri e a rrivait un accompagnement en murmure ,
’ ’ qu i donnait l impression d un orchestre loin m tain co posé de voix humaines . Charles de B eri e t ét ait entré doucement ; il
’ était allé a l orgue pl a ce au fond du dernier
a a salon et accomp gn it le violon de son père ,
r d e e e t le Charles Wilf id B ri , grand violo
m aitre Vie u xt em s S ivo ri niste , le de p , de , de
Léonard , celui dont la méthode servait de ’ FIN L E M PIR E 65
’ d u base a l enseignement ; dont les os , les
a t qu tuors , étai ent interpré és par tous les ar tistes ; celui dont le charm e de s éd u c t io n
’ et d intelligen c e dominait tous ceux qui
’ l é c i n m ai r a u x ou t a e t . L e t e avait renoncé
r a i en triomphes b uy nts , aux ovat ons , aux t ho u s iasm es du public enivré de son chant si large et si magnifique , au délire bienheureux de la gloire il ne j ouait plus g uère qu e pour
’ u u lui , et po r celle q il appelait sa petite ami e ,
’ dont il voulait éveiller l esprit e t la sensibi
’ r lité d a t .
u B é riot Après la fug e de Marie , Charles de , d ésireux de savoir ce qui se passait à l ’ hôtel d e ru e la de Rivoli , ne pouvant croire que d e s parents étaient assez dénaturés pour ne
’ pas s inquiéter de leur enfant , laissa passer quelques j ours qui fu rent employés a faire a soigner la petite , lui acheter des vêtements
convenables . Mais il avait la crainte de voir
’ - il à S surgir la mère ; aussi vint l hôtel , ous
a prétexte de rendre visite a des c marades . Il
tomba en pleine catastrophe .
Un j our , Annette avait lu dans les j our
6 . 66 MÉMOIRES
’ ’ ’ naux que l ambassadeur d E sp ag n e s appelait Martinez ; elle se dit que Pablo pouvait bien
être de sa famille . Elle s informa et les ren
i n m n n fi rm r n Par s e g e e t s c o è e t son espérance .
’ a s o n l ambassade , elle fit parvenir une lettre
ancien séducteur .
s Elle reçut la réponse . Pablo avait autrefoi
’ écrit aux amis restés â A u z an c e ; il n avait obtenu aucun Le temps
’ avait Auj ourd hui , il était marié , père de famille ; il ne voulait pas cependant laisser son enfant dans la misère il envoyait vingt mille francs . Il pensait que cela serait
’ l l r suffisant pour é eve .
’ ’ ’ On s en servit pou r l installation de l hôtel
’ de la rue de Rivoli . L ambition du couple
’ s était développée . Vaillant avait voulu de venir patron . Profitant des ressources nou t t velles qui lui donnaien du crédi , il ouvrit
’ im r boutique et s p ovis a marchand de métaux .
Peu apte aux affaires , ayant le crédit facile , il employa toutes sortes de manœuvres pou r ’ m se procurer de l argent , vendit les archan dises a perte pour payer les billets et suffire
’ ’ à la dépense courante de l hôtel . Jusqu au FIN L ’ EMPIRE 67
j our où , ne pouvant plus faire face aux
fu t échéances , il poursuivi et mené en prison
’ t fu t l u n pour det es , à Clichy , où il des der niers internés .
’ ’
C était la débâcle . L hôtel avait été loué au nom de Colombier ; mais comme les loyers
’ restaient impayés , l argent des termes en
lou ti g dans les frais du magasin de métaux , le propriétaire fit vendre le mobilier , et la mère de M arie disparut , avec sa petite der n iè re , âgée de six ans .
B é riot Quand vint voir ses amis , la maison
’ l c ri au r était vide avec é t e A lo u e . d ’ Il rentra chez lui , se deman a s il allait inquiéter Marie en lui révélant ce désastre , et
’ ’ réfléchit qu elle n y pouvait rien , que ce E serait pour elle un surcroît de peine . t comme il avait besoin de se rendre en Bel
’ gique , son pays natal , il résolut , avec l inson
- de ciance de la j eunesse , le laisser aller
’ u — l arti ste , et pe t être le besoin de donner un a ’ t . in érêt sa vi e , d emmener M arie avec lui Il venait d ’ avoir une grande déception il avait
. u n e été abandonné , bafoué Marie serait
’ diversion intéressante a son état d esprit . 68 MÉMOIRES
’ Il arrêta sa décision d après ces motifs . S on père était un homme d ’ une haute intel li en c e g camarade de son fils , il recevait ses confidences et le guidait de ses conseils ; il
’ â - l avait fait émanciper dix huit ans , le mettant en possession de la fortune qui lui revenait de sa mère , la grande cantatrice
o a M alibran , et c mpt nt sur sa raison pour
’ ’ qu il n abu s ât pas de son i ndépendance . Peu
de temps après la mort de la Malibran , il
’ ’ s était remari é avec une j eun e fille de l aris
’ t o c rat ie u i viennoise , q s était éprise du
a brillant rtiste . S a seconde femme était morte
u u i à à son to r , lui laissant un fils , q était
’ ’ l Ec o le d Y re s militaire p .
’ Depuis quelques années , l artiste était
u a aveugle ; ce malhe r , en le fr ppant tout a
’ u d co p , l avait arrêté ans ses courses a travers
’ ’ l A m b as s ade é ait libre le monde . L hôtel de t il résolut de se fixer a B ru xelles et appela son
’ lu i s em res s a fils aîné près de . Charles p
’ d a c c ou ri r , espérant que sa présence adouci rait la tristesse de son père mais comme il
’ n ac c e t ait p pas de venir habiter dans cet hôtel ,
trop vaste pour un seul occupant , le père ,
70 MÉMOIRES
a i a deus , qui ét it venue se perfect onner
Paris , avait obtenu un premier prix , et était
- u élu entrée a la Comédie Francaise . M . Q s se donnait tout le mérite de ce succès .
B ériot A la recommandation de , il se char
a gea de Marie , mbitionnant pour elle les triomphes de sa premi ere élève , et il ne mé
’ s nagea pas ses conseils , trouvant d ailleur u n B ériot terrain propice . formait le goût
le s littéraire de la j eune fille , lui indiquait
a bons uteurs , se les fai sant lire par elle à
’ l aidan t haute voix , a en pénétrer le s beautés ,
’ l in itia n t à leur génie . La nature enthousiaste
e de Marie se passionna . Le désir de fair
’ e des progrès , de montrer qu elle était dign ’ ’ a de l intérêt qu on prenait elle , lui faisait mâchonner perpétuellement se s rôles ; ou
à le s bien , elle prenait les gens partie pour
’ u s e m en dre le r répéter , et compte de l effet produit .
1 n c rédu le n e Charles , lui , se montrait ; il
’ as pressentait p la fleur , il ne voyait pas l éelo
n e u e . sion , j ugeant q sur des souvenirs Une t bonne petite fille , cette Marie , in éressante
’ ’ l en v er par son malheur , mai s n ayant pas FIN L ’ EMPIRE 71
’ gure d une futu re grande act rice ! Cette pe
ra c c om m od ait les tite , qui chaussettes , tenait n le mé age en ordre , et établissait si bien
’ ’ a l économie de la maison , qu il dépens it
’ u moins que lorsqu il était se l , cette gentille C ! ! endrillon , enfin , une artiste Allons donc a Une excellente petite bourgeoise , la bonne
’ ’ heure ! Voilà l impression qu elle lui don nait . Il lui venait même un peu de mépri s de
— au — la sentir si pot feu .
’ é Il l avait surnomm e S implette , et cet
’ a ppellatif résumait bien le sentiment qu elle lui inspirait . Une année se passa â Bruxelles dans cette n ’ vi e double . Le j eune mé age s était installé
’ — près de l église S ainte Gudule , mais passait
’ la plus grande partie de son temp s a l hôtel
’ l A mb as s ade de , où Marie perfectionnait son
’ instruction , sauf l orthographe a laquelle elle a demeurait tout fait rebelle . Elle qui avait tant de mémoire pour tout
’ a le reste , elle n av it pas même , en cela , la mémoire des yeux . Elle écrivait une page e ntière trés correctement , puis , dans dix
f r — m ém e lignes , faisait vingt autes , iant elle 72 MÉMOIRES
’ de ce qu elle appelait son écriture in dép en dante .
‘ a u a u On se l sse de to t ; on se lass de Br xelles , ’ u et il fut décidé que , l hôtel lo é a nouveau à
’ l Am b as s adeu r e . de Franc , on partirait Un beau j our , on se trouva à. Paris ; le père et l . e le fils , chacun dans son appartement Mai s lo gemen t de la ru e Breda était trop petit pour
’ u — un ménage ; puis , sans pe t être s en rendre
compte , Charles ne voulait sans doute pas
s a u lier vi e indissolublemen t . Il lo a pour
’ Marie , rue de Navarin , un appartement , l y installa et y vécut à peu près avec elle L e démon du théâtre avait trop bien séduit
’ ’ laj eu n e fille po u r qu elle ab an don n âf l e spoir
’ n qu on avait fait germer dans s 0 esprit . Il fut décidé que Charles de B eri e t irait trouver Au
' ’ gustine Brohan qu il connaissait , et prierait la grande artiste de donner des leçons à
’
Marie . Il s y prêta par condescendance plutôt
que par conviction .
u A gustine , malgré son esprit , avait de la
’
l in téres s ait . bonté . La j eunesse Après avoir
u de entend Marie , elle lui donna le conseil
e se présenter aux examens du Conservatoir , FIN L ’ EMPIRE 73
’ ’ e lu i acceptant de l y préparer . Ell dit d ap
’ prendre l É c o le d es Vi ei lla r d s et A n d r o m a q u e .
l â i1 n c Un j our , al ant lecon chez Augustine qui demeurait en face des Tuileries , au coin de la rue de Mondovi , elle suivait les arcades de la rue de Rivoli ; la foule devint com
’
e t e . pacte , elle s y frayait difficilement passag
elle Comme elle était en retard , quitta le trottoir pour aller plus vite , curieuse de con 1 n ait re â c au s e . de ce rassemblement Elle vit , a marchant quelques pas en avant de la foule ,
’ u n e femme vêtue d une robe de velours
’ d herm in e rouge , garnie , que , nonchalante , e r l lle laissait t ain e r roya em e rit . La j eune fille marcha un instant sur la même ligne que
’ l in c on n u e adm iran t la , beauté de cette femme qui causait , presque a haute voix , avec un
la compagnon , insoucieux comme elle de foule qui leur faisait cortège . Avec un lorgnon
’ c hain e attaché par une d or et de pierreries , e lle re gardait les gens et les étalages des b on èt tiques , Marie se demandait quelle était c a ette gr nde dame , car bien sûr ce devait
t rain e r être une grande dame , pour laisser 74 M ÉMOIRES
r sans plus d egards une robe si belle , et pou dévisager les pass ants sans être autrement
’ gênée d une telle escorte .
’ n Pressée par l heure , Ma e hâtait le pas . Elle avait gardé l ’ impression de cette beauté
’ radieuse lorsqu elle pénétra chez Augustin e
Brohan .
Introduite dans le salon , elle attendait .
’ a o s ou vrit e Tout c up , la porte , et la dam qu ’ elle venait d ’ admirer sous les galeries fit S son entrée . L e domestique lui dit i ma
e dame la princesse veut bien attendre , j vais
’ rin c es s e f c ét ait prévenir madame . Une p une princesse , cette belle dame
B réda u n Ma Rue , il y avait portrait de la libran par Horace Vernet , où elle était repré s en t ée ave c une rob e de velours rouge qui faisait ressortir le noir brillant de la cheve
’ s h n otis ait lure , le teint mat . La j eune fille yp
de devant ce portrait , dans une admiration
a e la grande rtiste , morte si j eune , en plein
e gloire , laissant de si unanimes r g rets ,
’ ’ qu après vingt - cinq ans ceux qui l avaient
’ connue ne se la rappelaient qu avec des larmes Cette robe de velours rouge rendait ’ FIN L EMPIRE 75 Marie toute rêveuse elle se disait qu ’ elle en
aurait une pareille si elle devenait , elle aussi ,
une grande artiste .
’ e Et voici qu ell la voyait sur une autre ,
c ette belle robe , avec le manteau semblable ,
’ g arni d herm in e Ell e s e faisait toute petite dans l e grand
’ s s effa n t u n e alon , ça de plus en plus dans
e . ncoi gnure Tout a coup , la princesse marcha
vers elle , et , avec son lorgnon , elle la fixa ,
’ c m m a e o e elle avait fixé la foule tout l heur .
’ n Os ait s Marie plus bouger , les yeux baissé , d toute roite .
Augustine , entrant vivement , fit retourner la princesse Après force compliments sur leurs bonnes
é o a mines et le plaisir d se v ir , l princesse dé roula un manuscrit elle venait demander
d e â e . s conseils - la grand artiste Elle voulait j ouer pour les pauvres u ne pièce inédite que
’ . son ami Pon s ard venait d écrire exprès pour M e i . lle , et dans laquelle il j ouerait auss ais ,
’ a fi n d être plus sûre de son su ccès , elle tenait ’ fi à ce qu Au g u stin e la t répéter . a l i M i s avec grand plaisir , u répondit 76 MÉMOIRES
e - - c lle ci . Laissez moi le manuscrit , j e le lirai , n et nous prendro s j our pour répéter . Combien y a - t - il de personnages ?
’ Prendre j ou r pour répéter Mais c est ! tout de suite , j e j oue dans huit j ours Du reste , j e sais mon rôle Vous allez voir . Oh ! elle ne doutait de rien ! Elle était venue répéter , et il fallait que son désir fût aussitôt satisfait . Après avoir regardé le manuscrit
A u M ais il y a de la mise en scène , dit
u g stine Brohan . Voyons , comment allons nous faire
’ ! u n Oh c est bien simple canapé , une
u n e lac e a chaise , table , une toilette , une g
’ u main . No s avons tout ce qu il faut dans le
u salon , sauf la toilette . Eh bien , ce fa teuil la remplacera .
Mais elle s etait vantée , la princesse elle
u ne savait g ère son rôle . Alors , Augustine avisant Marie dans son coin Oh ! petite ! venez donc la ; vous allez
ffl r servi r de s ou eu . Et elle mit le manuscrit dans les mains de la j eune fille .
78 MÉMOIRES s e retiraient , elle se pr_écipita a la rencontre
’ d A u gu stin e Bro h an
Eh bien , vous êtes reçue , mais pas dans
ma classe . Régnier a i n sisté pour vou s avoir d l ans a sienne . Ce premier succès était marqué d ’ une dé i ’ ’ c ept on . Elle s était prise d une si grande
’ admiration , d une si profon de reconnaissance pour la grande artiste qui daignait la rece
’ l adm ett re ! voir , dans son intimité Voyant c s la ette ombre sur sa j oie , Augu tine consola
’ ’ e n l ou blierait promettant qu elle ne pas ,
’ qu elle suivrait ses progrès .
Elle travaillait avec ardeur , ne se bornant
’ u pas à l ét de de ses rôles . Elle sui vait les c onseils de celui qui avait pris int érêt à sa
’ vie , et lui répétait qu une femme devait se
c . réer une indépendance , une personnalité
A Pari s comme à Bruxelles , il la dirigeait . Il
lui avait donné un professeur de littérature ,
de - e de e Bertrand Saint R my , le père Mari
u La re , qui était , a cette époque , une enfant . i S es progrès furent rap des . Les concours
’ approchaient ; c omme il n y avait pas six mois
’ révolu s qu elle était admise au Conserva FIN L ’ EMPIRE 79
’ ’ toire , elle n aurait pas le droit d y prendre
’ s in téres s ait part . Régnier , qui a ses efforts , d ésireux de la faire entendre au j ury , lui
’ d onna la réplique d A n d r om a qu e mais Ro s élia Rou s s eil réclama , se plai gnant partout
’ d u favoriti sme dont sa camarade était l obj et .
e e Régni r , dev ant cette violence d récrimina t fa ions , demanda à M ari e de renoncer à la
’ veur qu il avait voulu lui faire .
Bériot l m t en t ion Charles de , qui avait de s e à fixer Paris définitivement , résolut de
la e n q uitter rue Br da , et chercha u logement
u pl s conforme à s es b esoins . Il recevait
e q uelqu s amis , grands musiciens comme lui ; o n u de exéc tait la musique de chambre , du
M o e ozart , du Haydn u du Gluck . Georg s
de Bizet était un des familiers la maison , a insi que son maître Goun od . On y voyait a ussi le poète M éry . Ces réunions se composaient exclusive
’ ment d hommes ; Mari e restait enfermée dans sa chambre , écoutant la musique qui lui arri vait par le couloir . Parfois , quelqu es intimes
’
à. v enaient bavarder et l aider passer le temps .
’ N e pouv ant su ffire aux demandes d in vit a 80 M EM OI RES
T ru dain e .. tions , Charles vint habiter avenue ,
au coin de la rue Beauregard , dans une mai
c om m u son neuve . D eux grands salons qui niquaient permirent d ’ élargir le cercle des
’ u n e privilégiés . Car c était bonne fortune
’ sans pareille qu e d assister à. ces réunions où il était donné d ’ entendre quelquefois le violon du père , accompagné par le piano dont Charles j ouait avec une virtuosité et un sentiment qui le rendai ent comparable à Liszt et a Chopin .
’ Sur les conseils d un ami , Charles se dé a cida j ouer a la Bourse . Il commença la pru
in s i dence , puis des gains successifs lui p e r rent de la hardiesse . Il se dit que tout
’ était une question d attente ; que s I l pouvait
' s itu ation et soutenir la se faire reporter , il retrouverait touj ours ses cours . Il jouait donc sur ce beau raisonnement .
’ ! o d u Dans la maison n uvelle , l appartement
fu t second étage était vide . Il déci dé que
’ u rue N e Marie q itterait la de avarin , et qu ell
a viendr it habiter avec Charles , ce qui simpli
fi rai e t la vie . Son goût pour le théâtre se dé
’ velopp ait encore avec l étude ; son professeur FIN L ’ EMPIRE 81
Régnier était enchanté de s es progrès et le
n lui témoignait en lui prodigu a t ses conseils .
’ L approche des concours mettait toutes
u les classes en fièvre les élèves , s rexcitées , tâchaient de rattraper le temps perdu . Augus tine Brohan montrai t touj ours le même intérêt
à sa petite amie celle - ci suivait sa classe en a uditrice , ne pouvant être admise comme
du élève . Mais j our où elle était entrée dans celle de Régnier , la grande artiste se refusa
â lu i donner des conseils particuliers , ne vou lant p as se mettre en opposition avec son pro f r m a r e s s eu . Les deux it es cherchaient le na
la turel et vérité , mais ils y atteignaient par d es moyens différents . Désireuse de témoigner à Marie qu ’ elle ne
’ u se désintéressait pas d elle , A gustine Brohan l i m v t a a ses réceptions . Elle était même la
’ seule admise à ces soirées d hommes qu i exc i
’ n t aie t tant d envie et de curiosité . Alphonse
D audet , qui étrenna chez Augustine le pre mier habit de son existence , a parlé , trente
’ ‘ a ans après , avec l enthousi sme du lende
n . main , de ces réceptions i oubliables
’ A u gu stine ne se contentait pas d être elle 82 MÉ MOIRES même la plus spirituelle des Parisiennes et
— d e s comédiennes … le rire de Molière et le
’ sourire de M usset ; elle ét ait au ssi l inspira
’ des tri ce gens d esprit , le foyer où s allumait
’ l A s asi leur verve , quelque chose comme p e
’ d e cette époqu e impéri ale où l élégance des
’ m œurs et la j oie de la vi e s ép an ou is s aien t
' e n u n e fan taisie étincelante et charmante
’ ’ e a d ellè l at Ell cré it , pour ainsi dire , autour m o sphè re de caprice et de lumière où les mots d ’ esprit , imprégnés de sa grâce subtile , pre
’ n aien t naturellement l essor Il faut a tout es les époqu es une femme qui semble en quelque sorte le symbol e du charme qui leur est propre . Augusti n e Brohan é tait al ors cette femme , et tout ce qui était
’ e esprit , poésie , en chantement d l imagination
’ ’ et de l i ntelligence sembl ait émane r d elle et reflu er o la vers elle . Qu and n voyait dans son
’ salon , entourée d une pléiade de poètes ,
’ ’ d a écriv ins et d hommes politiques , elle appa rais s ait comme u ne re ine qu i ten ait à la foi s
’ ’ c our d amour et bure au d esprit .
s La premi ère foi s que Marie y fut admi e , e ll e était fort i ntimidée de se trouve r dans FIN L ’ EMPIRE 83 une réunion où le plus humble donnait pro
’ ’ a messe d avenir . Elle était ssise , n osant presque pas répondre aux questions bien v eil lautes qui lui étaient adressées . L es hommes t se tenaien debout , formant des groupes , dis c u t an t sur les événements du j our . La grande artiste était le centre des conversations ; on cherchait à recueillir un mot , un sourire .
’ Elle discutait sur la Ga eta n a d E dm on d A ’ t bout , complimentait l auteur , déplorai la cabale qui avait fait abandonner les rep ré s en
i n t at o s de cet ouvrage .
u t E dmond Abo vint vers Marie , et lui fit
l es lui une dissertation sur atomes crochus ,
n u n tres s ail disant que , qua d la peau avait
’ lement au contact d une pression de main , que le sang circulait plus vivement et vous causait ce petit frisson appelé chair de poule ,
’ c étaient les atomes crochus qui se ren c on ’ a traient l amour ne tardait pas suivre .
Avez — vous ressenti ce petit frisson ? N on
Eh bien , quand vous le ressentirez , faites m ’ en part c ’ est que vous serez tout a fait femme .
’
Marie écoutait tous ces gens d esprit , et , 84 MÉMOIRES
u n e pour se donner contenance , ayant avisé une grande corbeille où se trouvaient une tapisserie commencée et une quantité d ’ eche
de veaux laine de toutes couleurs , elle se mit
a . les pelotonner Des j eunes gens , pleins de
’ aîté s offriren t g et de verve , en riant a lui servir de dévidoir . Elle j eta un écheveau en l ’ air il fut rattrapé au vol par E dmond de
’ L r — D u m i r ag en ée et par Lefèvre e e . L ayant saisi ensemble , ils avaient les mêmes droits ;
’ il fut convenu qu ils se relaieraient . E dmond de L ag re n é e se mit donc a deux genoux devant Mari e et lu i tendit ses mains
’ ç l h elle y pla a é c eveau .
’ ! u Non ce q il débita de folie s , de para
’ ’ do xe s ; ce qu il inventa d histoires de bri
’ g an ds ! Il s am u s ait des naïvetés de la j eune
’ l in t im ider fille , trouvant drôle de , mais la
o n faisait rire malgré tout . S esprit alerte cari c at u rait to u s et toutes il imitait avec un rare
e t bonheur , donnait a Mari e une représenta
u tion ino bliable .
u Il passait en rev e les personnalités .
’ - là c ôt elett e s l air Celui , ce grand avec des ,
’ ’ a d un maître d hôtel de grande maison , nom
86 MÉMOIRES
’ On prétend que c est lui qu i a posé pour
’ l m i es m s I héri A d F e m e . l a croqué trois tages avec les belles madames ou dem oi
’ ce selles . Il attend encore lui de sa grand
’
mère , mais on assure qu il mourra de vieil
u lesse avant elle . Aussi les us riers les plus
audacieux ont - ils renoncé à lui prêter fin
’ imm or grand mere . On dit la bonne dame II t O O.
’ ’ Et il riait , s amusant autant qu elle , la fai
sait rire par la drôleri e de ses mines . Tout a
’ coup , Augustine , qui prêtait l oreille a tout ,
’ ai s occupant de tous , vint de notre côté , et g
’ ’ mè n t ! « , s adressant a Mari e Vous savez , n en croyez ri en ! C ’ est le plus grand scélérat du
u a monde il mettrait le bon Die mal . E h
bien , vous vous trompez , chère madame j e faisais un cours de morale et de photo
graphie .
Faisant diversion , un j eune garçon de huit ans a peu prés s ’ élance vers la grande artiste
é ee Regarde , maman , mon p ne ti ent pas au fourreau elle glisse tout le temps
’ ’ C était le fils d A u gu s tin e ; costumé en m i
ou r l b l de gnon H enri I II p , e a de la princesse FIN L ’ EMPIRE 87
B eauvau il ven ait se faire voir a sa mère a vant de partir son père le conduisait a ce
’ ’ s x a ia bal d enfants . On e t s sur son costume .
Il semblait tout heureux , le j eune M aurice .
Avec une crâneri e charmante , il appuyait sa
r r main su le pommeau de son épée , red essant a sa petite taille . Il embrassa sa mère , salua
lan t en t la ronde et , p sa toque sur sa tête ,
’ s es u iva vivement il q .
9 0 MÉMOIRES
t . presby ère Un mur élevé , en façade , la pro t é eait au g ; milieu , un vaste portail donnait
u ne accès dans cour , au centre de laquelle un grand mûrier se dressait , chargé de fruits savoureux . Un perron aux marches grise s
’ s éta e ait g devant la porte , et tout cela avait
air m . un de comfort , de bonho ie patriarcale On eût dit la retraite philosophique d ’ un de
— ces chanoines du dix huitième siècle , mo itié
galants , moiti é dévots , qui se reposaient d ’ une j eunesse agitée par les passions du
c u ltiv en t siècle en lisant H orace , et en sur espali er de belles poires fondantes . D e l ’ autre côté de la maison s ’ étendait un
v u e n rai j ardin de c ré , tout n lo gueur , ave c des allées droites ,des bordures de buis et de
’ — d alou ett e a pieds , un pot g er égayé de fleurs
’ ombragé par des tilleuls en quinconces , d où n tombait une ui t discrète et parfumée . Au bout , une sorte de bosquet comme il y en a dans les peinture s de Lancret et de Bou h cher , avec des amacs suspendus aux
’ ’ branches : il n y manquait qu e l e s c arp olette
’ ’ l Am u r o . et le t emple de Cette partie , d une
’ fraic h eu r l a rè s adorable , servait de refuge p ’ FIN L E MPIRE 9 1
’ s ou ra it midi une porte v tout au fond , et brusquement on se trouvait en pleine ln
a l . mière , domin nt la val ée de Chevreuse
’ r L ai arrivait vif , les horizons se déchiraient e n c s é lairci es bleuâtre , les collines et les bois moutonnaient indéfiniment sous le ciel .
’ a Après dîner , on venait s sseoir sur la pierre qui servait de marche a une grande
’ c h roix , et l on regardait se couc er le soleil , q u i inc e ndiait les profon deurs de ce vast e paysage .
a Madame Brohan montr it le j ardin , la mai
son , dan s le plus grand détail , à M arie , lui e xpliquant le côté pratique de chaque chose . Elle était accompagnée d ’ une enfant de cinq a ’ six ans , sa filleule , qu elle appelait Suzette .
Q uan d on eut tout visité , vérifié , et terminé l ’ inventaire , elle dit a la petite
- Eh bien , Suzette , veux tu dire une fable â mademoiselle ?
Oui , marraine .
’ s exéc u t a Et , de bonne grâce , la fillette , et
récita l es D eu x Pig eo n s . Cette petite fille devait être plus tard ma
’ d Reic hemb er l in én e emoiselle Suzanne g , g u 9 2 MÉ M OIRES
’ M oh ere l O hélie de , p de Shakespeare , la
S üz el et olie a V frêle j , la oix de cristal , la j eune fille moderne de S ardou et de Paille
’ ron . Il n y a pas longtemps , elle et Marie se rencontraient chez la modiste Virot ; tandis
’ qu elles se chapeautaient , Suzanne rappelait à
’ ’ Marie l impression flatteu s e qu elle avait pro
’ duite sur son imagination d enfant , et Marie
’ n oubliera j amais son émotion à la représ en tation de retraite de la p etite doyenne , où elle avait eu le regret de se dire que pour la der
’ ’ e d a lau dir l hé ni re fois ,. il lui était donné pp ritiè re des grandes traditions , et cette per
’ fe c tion de talent où l art était devenu la na ture elle — même
Mari e habitait donc la maison des Brohan . d Tous les eux j ours , elle venait a Paris pour suivre les classes et se préparer au grand concours , car , cette fois , elle allait concourir
A n d r m a u e dans la comédi e et la tragédie . o q
’ l É c o le d es Vi e i lla r d s lu i et , qui avaient porté bonheur en la fai sant admettre , de
i n v a e t . continuer A ce premier essai , elle récolta un deuxième prix de tragédie en par
e t tage avec Rosine Bernhardt , un premier
9 4 MÉMOIRES faisant de la confection pou r le magasin
Em d e . u e e Pygmalion cette détress , Marie d i ’ éc da Charl e s a. donner une s omme d argent
’ r— pour tirer le couple d embar as . Ell e demanda a sa mère de la laisser em â mener la campagne sa petite sœur , qui était d li ec evenue une j e e fillette . D ans saj oi e de r e
S m e e voir la forte o m , la mère , heureus , du
v é su c reste , de la re oir , tout étonn e de ses
’ c è s et de la transformation qu i s était opérée e n e sa personne , lui acc orda ass z facilement
’ d emm en er s a sa chérie , consolation , comme elle di sait .
don c t n Marie prit la peti e avec elle . Da s le d é s œu vre«m en t la c Bériot de ampagne , de
’ s em lo a o p y à. lui donner des leç ns de piano et
’ ’ ’ o ne s en n u ât d écriture , et,p ur qu elle y pas
e r - e trop , Mari pria Bert and de Saint R my
’ d e L u n e amener sa petit aure , compag ne de son âge . Ce serait , pour les enfants , une dis
’ e eu traction réciproqu , même temps qu une
’ r u émulation pou le j o et l étude .
’ s e a L été passa paisiblement . L tendresse de Marie pou r sa sœur se développait ; elle
m am a E j ouait à la n . lle avait neuf ans de ’ p FIN L EMPIRE 9 5
’ renn ere plus qu elle , et dans cette j eunesse p , la ff di érence semblait plus grande , mettant entre
n u t elles deux con e une sorte de materni é . L a rentrée des classes et l ’ automne rame
’ n é ren t tout le monde a Paris . L état du frère de Charles devenait plus inquiétant a cause
rs des premie froids , et le médecin lui ordon
u ! nait le midi . Pa vre garçon il avait le charme des êtres condamnés , fait de douceur et de
é a u n mélancolie . Il t moignait Marie e grande
’ tendresse ; elle était sa petite sœur d adop
et a c o n fid en t e tion , il en fais it la de ses dé s es pé ran c e s . Il se refusait a aller attendre la mort au loin , dans la solitude . Trois cama
’ rades d études , trois amis , venaient le voir
’ pour le consoler et le distraire . C ét aien t
G C atu lle H ector de allias , Mendès et Villiers
’ l I sle — u de Adam , alors a leur déb t ; M endès
d a r n a s s e était en train e fonder le P .
e bé n é Charles , encouragé par les pr miers
fi c es qui lui avaient permis la vie plus large , facilité son installation et celle de Marie , avait a ’ continué j ouer . Mais n ayant pas les con
’ a t seils d mis prudents e éclairés , il se laissa 9 6 MÉMOIRES
u n entraîner par un de ses camarades , Belge ,
’ nommé S t aple au x ; celui - ci lui persuad a qu il avait “ des renseignements de source certaine
sur cette assurance , il j oua , perdit , et vou
lant se rattraper , j oua encore , non seulement
’ lu i a pour , m is pour l ami qui le renseignait
et dont il répondit chez son agent de change ,
- M .L epel Cointet . e r i l N e pouvant plus se fair eporter , dut
’ u pour liq ider la situation , s adresser à son
père , qui , après force remontrances , paya .
’ B ri u d u M ais M . de é ot e t l i ée q e son fils avait bien pu être en t rain é a ce j eu dangereux par le désir de faire a Marie une existence de
’ luxe . Alors , il se désintéressa d elle , disant
’ ’ q u elle avait pri s son essor et n avait plus be
soin de conseils . Ce fut pour elle un véritable chagrin qu e
’ ‘ ’ d au t an t u elle cette froideur subite , q ne dé
’ i l in irai mêlait pas alors le sent ment qui sp t .
L e hasard avait groupé autour d ’ elle des
personnages influents , appartenant au monde
’ ’ l Em r u r de la Cour et a l entourage de p e e .
’ M oc u ard q , son secrétaire , que l on disait
9 8 MÉMOIRES
’ concessio n d e s travaux du Palais de l I n du s
’ t le u ri e sous co vert du marquis . Il n était
besogne dont de Rouville ne se mêlât , et
a — il a a aussi parl it de tout , tort et travers mais cette apparence de légèreté cachait la i ’ diplomat e d un esprit subtil .
’ d E s c ou rt d Laurent , syndic des agents e change de Lyon . Greninger , du Crédit mobi
’ lier ; ce dernier disputait les faveurs d E u g é
Fi r an nie oc e a S oubeyran . D es p s étaient ou
Fio c re fais s ait verts ; Eugénie les attendre , s e M i m i con eillée par le docteur V ron , ,
’ ’ comme on l appelait , qui , en sa qualité d an
’ l O éra de cien directeur de p , avait vu bien s
s a choses et connaissait bien les hommes . Il
’ vait j u squ à quel degré de résistance on pou C . e vait aller , et laisser monter les enchères
’ qui les fit s élever encore davantage , ce furent
’ d E u é n ie N em ea où e a les débuts g dans , lle p rut en statue , si impeccablement belle , si mer
’ ’ eilleu s em en t l A v désirable , que l on eût dit
mour même dont elle faisait le personnage . Darblay j eune ainsi appelé probable
’ à s - ment parce qu il avait , oixante quinze ans ,
’ le teint fleuri et l esprit alerte , était un mi FIN L ’ EMPIRE 9 9
â e n . e racle de co servation . A son g , il prot
eait n c g e ore les arts .
li n n Les frères G a g a i . On parlait déj à de N ’ leur fameuse maison de retraite . ayant pas de parents proches à. qui laisser leur grande
’ r ils e la fo tune , rêvaient d en fair bénéfici er grande famille des littérateurs .
’ l A in Enfin M . Baudin , député de ; M . L e
’ h d Abran tè s Rey , agent de c ange , père du duc L e d e . eroux , de la B anqu France Tout ce monde ray onnait autour de Moc
’ u ard l on r q , de qui espé ait des faveurs de
e si toutes sortes conc s ons financières , hon Voyant l ’ intérêt qu ’ il témoignait à
lu i Mari e , on pensait être agréable en choi
’ s is s an t l e son salon pour s y réunir . E le t n ait
’ de donc bureau d esprit , et on parlait même t son influence on lui apportait des péti ions , o n réclamait sa protection pour un bureau de
a u tabac , un roman faire passer dans n j ournal .
C o n s ti tu ti n n e l Paulin Limayrac , du o , lui
- e avait amené S ainte Beuv . On riait beaucoup de la générosité que celui — ci avait fait pa raître lorsqu ’ il avait voulu fêter sa réception 1 00 M EM OIRES
’ â l A c adém ie a , en associant tout le monde sa
’ j oie . Protecteur d une petite c ou s ett e qui
par accident était devenue manchote , il lui i avait fait faire un bras mécan que , comme celui dont s e servait le ténor Roger depuis
’ ’ qu un accident de chasse l avait mutilé il ra contait la manière dont on faisait marcher le
ressort .
’ A l étage au - dessous habitait Mathilde D e d breuil , qui devait devenir plus tar madame
’ s in t res s ai Berton . On é t au j eune premier du
Gymnase , que le hasard des bonnes fortunes avait amené dans ce nid capitonné aux frais l ’ E de gypt e . Pierre Berton y était tombé ma lade , Mathilde le soigna avec dévouement ; elle devint enceinte . Et voilà comment se
’ fondent les ménages d artistes . Le marquis de Rouville avait présenté a Mari e une charmante femme , E dile Ric
u ier . q , qui recevait un j our par semaine On se réunissait dans une intimité relative , et la j eune fille retrouvait la quelques — unes des per sonnes qu ’ elle avait vues aux mercredis
’ d A u u st in e g Brohan , entre autres , E dmond
u D esv alliè re s L e ou vé Abo t ; , le gendre de g ;
1 02 MÉ M OIR E S la blond e ingénue de la Comédie - Français e ;
a u es n au x M arie Royer sa cam rade , Q g , du corps de ballet ; on voyait quelquefoi s ma
’ ’ a am i d A ub e r et m adem oi d me Dameron , l e ,
J ou as s ain selle qui , bien que j eune encore ,
’ a n tenait la comédie l emploi des duèg es , cir constan ce qui lui permettait toutes les au
’ ’ — daces d un esprit a l em p o rt e pi èce .
On parlait de D elphine Marquet , la sœur
’ Jou a s s ain s é c rier de Louise , et de Vous
Li n n s o et . savez , elle est enceinte des frère
’ ff u E n e et , ils se ressemblent tant q il est dif fi ’ c ile rec on n ait re n H am akers . de s y , répo d On j ouait aux petits papiers et a‘ toutes
’ sortes de j eux où , l on donne des gages
’ ’ c étaient alors des pénitences d u ne fantaisie
’ s l e n t rain r san pareille ; tout cela avec , la ve ve et le bon goût dont la m aitres s e de mai so n
’ donnait l exemple .
’ ’ u s a u erri r Po r s exercer , g aux planches ,
’ - d A u ver n e Mari e j ouait à la Tour g , aux repré
’ s en t ation s u or an is ait Lé ot au d u q g , dont to tes
’ les espérances devaient s en glou tir dans le
s u ffl r — trou du o eù de la Comédie Francaise .
’ Elle faisait la reine dans les E n fa n ts d É ’ M FIN. L E PIRE 1 03
d u a r d o , avec Joséphine Petit , et Rosine
x . B ernhardt , les deu travestis
u u i i — Coq elin , q éta t le seul en ce temps là ,
e t - qui , a ses débuts au Théâtre Français , don nait des promesses que depuis il a dépassées c ontinuait à suivre les classes en au diteur il lui fit répéter son rôle , et mit la pièce en
h u n scène . On se cac ait peu des professeurs ,
’ u i naim ai en t as c es q p beaucoup exhibitions ,
’ peut - être à cause de l exploitation qu i en était
c ar la conséquence , il y avait un véritable commerce de fau teuils et de lo ges placés chez l es amis et connaissances des él èves . L e grand succè s obtenu avait mis la j eune
’ fi 1 lle en goût , ma s elle n avait pas , comme ses
’ c amarades ,la ressource d aller en excursi on
- a s a à S aint Germain , Versaille et Chartres . A Chartres surtout on vivait le roman co
B ériot à mique , et de se serait opposé ces
fu gues .
’ J ouer comme ala To u r — d A u ver g n e ne suf
’ fi s ait pas à Marie ; l unique représentation
’ ’ lu i donnait j uste l émotion paralysante qu on
éprouve en affrontant la salle ; elle voulait
’ s exercer à loisir devant un vrai public . 1 04 MÉ MOIRES
alla trou ver Elle madame Chotel , qui avait la direction d ’ une partie des théâtres de la ban lieue , et il fut convenu que sous un nom
’ F a u s s e A d u ltè r e d emprunt , elle j ouerait la
’ d E n n erv a M o c u ard de , pièce laquelle q avait coll aboré . Le j our de la premiere fut pour elle un
événement . Elle avait cette fièvre qui laisse
’ la lucidité , et qui donne l excitation voulue po u r franchir toutes les difficultés . S a j eu nesse , sa beauté , plaidai ent pour elle ; a son l ’ en c ou ra é ren t . entrée , les applaudissements g
a arr— L e succès lla delà de ses espérances .
’ - Les deux avant scènes , qui n en faisaient
’ qu une , étaient occupées par ses amis , ses
u M o c u ard protecte rs , q en tête , avec le mar qu is de Rouville et M . Baudin . Ils vinrent a la féliciter dans sa loge , la fin du spectacle ,
’ ’ l a r n s s u a t d un brillant avenir . Elle rayonnait de bonheur et de fierté ; cette butte M ont
bi n m artre lui paraissait e près du ciel . M o c qu ard avait vo u l u la conduire au fi ac re
’ l att en dait a qui ; mais le public , la sortie de la salle , au lieu de se disperser , entoura cu
’ ‘ rieu s em en t l araig n é e a deux chevaux
1 06 MÉ MOIRE S so n r M oc u ard e e dési , q , prest m nt , enj amba le
- ed s u e marche pi et ras emblant les g id s , salua
M arié o e du f uet , et enlevant ses ch vaux à
“ l la hut t e grande al ure , descendit aux acclama l tions de la fou e .
’ Après tant d émotions , Marie avait besoin
d B ériot de respirer . Elle deman a à de rentrer
’ T ru dain e t à pi ed , l avenue étant tou près de
Montmartre .
B ériot Ils étaient attendus . D e , prévoyant
ai a son succès , av t invité quelques mis ; un peu de champagne arrosa la gloire naissante
’ ’ ’ ' l h r ïn l on s attarda à féliciter é o e .
u u e u Q and to t le mond fut parti , q and les
n ama ts se trouvèrent en tête à tête , Mari e de
’ ’ ’ m an da â h i C arles s il éta t content d elle , s il
’ croyait enfi n qu elle deviendrait une gran de artiste .
is il Pour la premiere fo , se répandit en éloges enthousiastes ; le succès de sa m a it re s s e
’ l. i r i en v a t . Il l i e . lui rendait p ein justice M ême , oubl ant s e s t doutes , son opposition , il se vantai de
’ ul l avoir découvert e . Marie vo ut expérimenter son pouvoir . FIN L ’ EMPIRE 1 07
m’ a Alors , tu aimes , tu e s moi tout a moi
-e Et comm il lui disait oui , sincèrement , elle chercha quelle preuve elle pourrait bien lui
’ i u u demander . Elle se souv nt d ne miniat re
’ ’ ’ l aim ée u de c de d a trefois , elle dont l abandon avait laissé au c oeu r de Charles une b lessure
’ si profonde , qu elle désespérait de la guérir .
’ Jamais il n en avait voulu faire le sacrifice .
e Malgré les réclamations de Marie , bl ssée par cette longue fidélité du souveni r pour quel
’ é eu qu un qui en tait si p digne , il la portait constamment dans u n médaillon attaché a la chaîne de sa montre .
Sur ce médaillon , Marie app uya un doigt .
s ac rifi e Eh bien , ce portrait , me le rais - t u ?
r u la S ans un mot , Cha les o vrit boîte , en tira
’ ’ l image , et après l avoir brisée , en j eta les
n e t n débris da s le fo yer qui , l n eme t , les con suma . Mari e se dit que j amais elle ne donnerait
r son port ait .
u L S t a leau x v Un j o r , éopold p , celui qui a ait 1 08 MÉMOIRES entraîné de Bériot dans la voie si désastreuse de la spéculation , vint trouver Marie et lui dit
’ Charles a payé mes diff érences ; il est très gêné . Voici une façon de le faire rentrer
’ dans une partie de ses avances . J ai trois ro mans tout prêts faites - les recevoir à la
F r a n ce n s ti tu ti n n e l a Li ber é C . , au o o , la t
’ Ce sera pour moi une forte réclame , et m ou v rira les portes des autres j ournaux ; ce qu e cela rapportera sera en déduction de ce que j e dois à Charles .
L e marqui s de Rouville , a qui elle se confia , fit recevoir les trois romans comme le desi
a l au x rait S t p e .
Celui - ci fit des billets à de B eri e t pour les sommes a toucher . Grâce a la signature de
Charles , ils furent facilement escomptables .
’ St a leau x A l échéance , comme p ne pouvait
B ériot payer , de , ne voulant pas laisser protes a ’ ter sa signature , donna son ami l argent né c es s aire au remboursement ; mais S t apleau x
t . le dépensa , et ne paya poin Charles apprit
’ qu il avait emp runté à la S ociété des Gens de
n . lettres , escomptant le produit des roma s Il était donc forcé de remb ourser encore u n e
1 1 0 MÉMOIRES
sur le tard la célébrité , sinon la fortune . f Comme une femme , comme une en ant , elle
’ s ét on n ait de ce contraste entre cette œuvre de grâce fluide et légère , la poési e infinie de ces toiles qui semblaient peintes avec des
’ touches empruntées au crépu scule et a l au m rore , imprégnées de la aj esté paisible des
’ ’ églogues w rgilien n es et de l am b rois i e d un
’ Lamartine et l auteur , un vi eil homme rustique , en blouse bleue , avec un bonnet de
la t êt e coton planté de travers sur , et le brûle gueule légendaire , qui , même éteint , ne quit tait j amais ses lèvres . D epuis , combien de rapins ont voulu ressembler à Corot ! du
ar la . moins p pipe , cette pipe courte de gabier
A défaut du génie , le culot noirci établit entre l ’ ’ eux et u i l illusion d u ne fraternité . Marie ne pouvait comprendre comment cet homme au visage recuit de paysan ou de lo u p
u de mer , avait conc ces paysages , traversé s de brises dont on croyait sentir en les re gar
’ ' l aé ri n n e dant e limpidité , diamantés de rosée et baignés de brumes claires qui traînai ent , comme des voiles célestes , sur les arbres et
’ ’ N s ét on n a les prairies . aïvement , elle d un FIN L ’ EMPIRE 1 1 1 matin de printemps Où les p rem w re s flèche s
’ du soleil criblaient le brouillard qu i s e s s ora it
’ flo c o n n ait d une rivière , en blancheurs , j us
’ ’ et filait qu au pont , dans le lointain où s en lé fuyaient les verdures tendres des saules , si
’ gères , qu elles semblai ent un autre brouillard .
Et suivant sa pensée , elle demanda au maître
Comment faites — vous pour peindre de telles choses ?
Il la regarda , et souriant finement
Mon Dieu , mademoiselle , vous êtes
au Conservatoire , vous étudiez les grands
maîtres de la littérature .
Eh bien , moi , au lieu de prendre plume ,
encre et papi er , j e prends ma palette et mes
pinceaux , et j e mets sur la toile la poésie que
’ ’ j ai dans le cœur et dans l esprit ; j e tâche de
’ reproduire ce qui m a charmé dans la nature , comme le poète traduit sa pensée en vers
plus ou moins harmonieux et brillants .
’ y o e s re ! M es pa sages , c est ma p a moi Il était charmant le bonhomme en disant
’ l é c o u t an t t cela , et en , on comprenai mieux
encore sa peinture . 1 1 2 MÉMOIRES
’ Bériot D après les conseils de Lintelo , de
’ s était composé une petite galeri e . Avec des r tableaux anciens achetés bon ma ché , il fai n ’ sait des échanges ava tageux . M arie n avait pas été oubliée ; elle avait , entre autres toiles
u n Lé ic ié exquises , p , une adorable tête de j eune fille . M . Baudin , un j our où ses amis
étaient réunis chez elle , imagina de mettre le tableau en loterie a mille francs le billet ;
chacun en prit un , ce qui faisait dix mille
G ali n an i francs pour Mari e . Antoine g fut le
gagnant . La j eune fille avait donc une année
’ d in s ou c ian c e devant elle .
’ D e Bé riot avait l horreur des gens sérieux ;
’ ’
en dehors de sa musique , il n aimait . qu a a fumer et boire de la bière , en j ouant au bil
r o la d , chez lui , avec ses amis pers nnels ; il
laissait Mari e inviter qui elle voulait , pourvu
’ ’ qu il restât dans la coulisse , et qu on ne
gênât en rien ses habitudes . On ne se réunis
sait souvent que le soir .
’ Mari e adorait les fleurs , qu elle cultivait
sur son balcon , dans de grandes caisses , heu
’ d arros er ro reuse de planter , de soigner , les
siers et les plantes grimpantes . Dans la mai
1 1 4 MÉMOIRES
L e elletier Rue p , en arrivant dans les cou f loirs , Ida Wolf avait reconnu des amis elle
à in t ri se fit ouvrir leur loge , et se mit les i guer avec un espr t endiablé . Elle leur racon
’ tait sur leur vie intime les choses qu il s croyaient le plus ignorées , et ils se deman
’ ’ daien t s ils n avaient pas affaire a u n lutin
a A sm o dée les femelle , quelque entrant chez gens par les cheminées pour surprendre leu rs
u secrets . P i s elle se dérobait , revenait vers
a . Marie , lui indi quait des personnes intriguer
’ ’ n os ait - m ém e Ell e s y ri squer elle , leur étant
’ ar trop connue . S i bien qu elles avai ent fini p êtr e harcelées de gens qui voulai ent absolu m ent savoir qui elles étaient , quand ils pour raient les revoir , leur proposaient de les me n er so u per . f A la fin , elles partirent . Madame Wol f avait
à ar accepté souper au café Anglais , invitée p ’ m des amis de son mari , et du mari de l a ie
qu i était en troisième . a A six heures du matin , on mettait Marie
’ s sa porte , n en pouvant plus , les yeux brûlé
c on t en t e m al par les trous du masque , mais ,
’ gré tout , car elle s était follement amusée . FIN L ’ EMPIRE 1 1 5
’ Les bals de l Opé ra n etaien t point encore
" envahis par u n e cohu e de figurants et de bour i g e o s .
Comme au temps de madame de M an fri
’ n eu s e g , les duchesses en quête d aventures s ’ y rendaient pour y trouver quelque intrigue
’ ’ ’ d un soir , l occasion d un caprice de quelques ’ fi é heures , né dans l atmosphère brillante et
’ ’ vreu s e au x afi olé du bal , sons d un orchestre par la musique infernale dont il se grisait
- lui même , sous le s lustres papillotants , dans un chatoiement de costumes qu i semblait la kermesse universelle de tous les temps et de
’ ’ b al l O é ra toutes les époques . Un de p , c était
’ presque encore le songe d une nuit de Venise ,
au temps des Doges et des courtisanes . e Malgré ces plaisirs , la j eune fille ne n gli
e ait g pas ses études ; au contraire , elle ne
’ ’ d arde u r travaillait qu avec plus , comprenant
’ la n é c e s s s ité où elle s erait de gagner de l ar
g ent .
u En dehors des co rs de déclamation , elle
suivait la classe de maintien , diri gée par le
’ l a elaien t irres ec tu e u pére Ely , comme pp p
sement ses élèves . 1 1 6 MÉMOIRES
’ déc lam atiôn Après la classe de , on n avait pas le temps de revenir déj euner les gâ t e au x du pâtissier qui se trouve en face du Conservatoire faisaient les frais du
a rep s .
’ Fifi n e Puis , avec Petit qui ne s appelait
’ pas encore Dica , Marie montait chez sa cama rade S amary , dont les parents habitaient dans la maison du pâtissier , au cinquième .
’ C était la récréation . Les frères de Marie
S amary , sa toute petite sœur J eanne , et quelquefois leur père , se mettaient de la l ’ i u x . C t a n partie . On j ouait a tous e s j e é e t des
’ t e d é c oliè res ga t s au sortir de classe , un bruis
l h m n u n e t u rbu en c e c ar a t e . sement de rires , . Fifi n e Petit aimait les j eux garçonniers et violents souvent elle proposait à ses c ama
— rades une partie de saute mouton .
’ Comme l an tic ham bre était trop étroite
pour de tels ébats , on ouvrait la porte du
’ carré , et dans l escalier on prenait son
essor . Fifi n e Petit avait inventé de se laisser
glisser sur la rampe ; les autres suivaient , in
’ soucieux clu dan ger . Alors c étaient des éclats
C HA PITRE V
AMO U RS IMPERIAL ES
’ Dans la griserie du succès , Marie s imagi
’ nait que , de par son premier prix , l univers
elle était a , que sa gloire allait resplendir sur le monde parisien ; il lui semblait même
’ ’ qu elle devait rayonner autour d elle dans le salut plus respectueux de sa concierge , dans la politesse plus empressée de sa femme de c hambre . Pensez donc , servir un premier prix ! ! Hélas toutes les années , le Conservatoire décernait u n et mêm e d eu x premiers prix de déclamation , sans parler du chant , du piano e t du reste . Toutes les années , la maison du faubourg Poissonnière lâchait sur le pavé de
Paris les pauvres petites triomphatrices , avec 1 20 MÉMOIRES
et leurs diplômes leurs couronnes , fort em b arras s é es t rou v er â v iv re pour de leur gloire .
n Il fallait prendre u parti la était le difficile . Mari e ne pouvait guère compter sur l ’ aide pécuniaire de Charles sa fortune englouti e
à la à Bours e , il lui restait peine assez pour
- - il lui mêm e , et enco re devait donner des le eons de piano .
’ - l Odéon La Comédie Française , qui pou
’ v aien t réclamer la lauréate , en vertu de l en
’ g ag em en t qu ell e avait signé en entrant au
c om m en Conservatoire , ne lui offraient pour
’ cer que deux mille francs d app oin t em en t s et l ’ assurance d ’ une petite augmentation pro g res s iv e chaque année . Et il fallait avec cela faire face aux obliga tions du métier , fournir les accessoires obligés de la toilette , se payer chapeaux , souliers ,
’ gants , bas assortis aux costumes . Ce n était
’ pas alors comme a présent ; auj ourd hui , les m pensionnaires mê e , défrayées de tout par la à Comédie , peuvent se fournir , son compte , chez le s m eilleurs faiseurs .
’ A cet égard , l illustre théâtre était encore dans les traditions du siècle dernier .
1 22 MÉMOIRES pouvait songer davantage aux théâtres de
. o genre M ntigny , le directeur du Gymnase , offrait , par exemple , un engagement dont il s e réservait de fixer la limite , et qui , par tant de l ’ expiration de la première année pouvait durer quinz e ans : on était augmentée
an a de mille francs par , mais on débutait dix louis par mois . ! Très pratiques , les directeurs Ils ne ris
u aien t q rien , profitant du succes de leur pen
’ s ion n aire si elle en avait , s en débarrassant si
’ ell e ne ren da it p a s tout ce qu ils avai ent espéré .
rivilé ié es s i n a Et Marie était parmi les p g , g lé e par M eilhac , qui faisait autorité déj à , et
’ débu qui , l ayant remarquée , voulait la faire
’ C u r i e u s es — d œu v re ter dans les , ce chef en un acte ! Il fallait être riche pour faire de ’ d l art ramatique , à moins de devancer le con
u u seil de certain directe r , s ccesseur de Mon
’ c tigny , qui répondait aux doléan es d une
pensionnaire Mais , ma chère , de quo i vous plaignez — vous Il y a les avant — scènes
’ L e marquis de Rouville s appliqu ait a dé montrer a Marie les difficultés matérielles du
’ ’ â l in sti a ion e n présent , g t d un pensio naire de FIN L ’ EMPIRE 1 23
à ’ la Comédie , qui était intéressée ce qu une
’ protégée de M o c qu a rd n en t rât pas chez M o
bi n il liè re . 1 e v e Favorisée , elle auss , de sa
’ s am o in drir lance , elle craignait de voir , en
’ se divisant , l influence dont elle avait besoin afin que le rêve du sociétari at devi n t pou r
S o elle une réalité . On venait de fonder la
e e N an t a is e ci t , qui comprenait trois théâtres
G aît é le Châtelet , la , le Vaudeville , avec , en tête , un directeur général , Armand . ff ’ à. u On o rait M arie d abord h it mille , pui s douze mille et quinze mille francs pour la
’ u d a c c es période de trois ans , sans a cuns frais
e u a . s ires , to tes les pièces ét nt en costumes Elle employa les influ ences dont elle dispo sait pour se faciliter l ’ acceptation d ’ un enga gement qu ’ elle regardait comme le plus avan
’ x a rifi an t a eu . s c t g Et l avenir au présent , elle mit tous se s eff orts à éviter la Comédie
’ a Fr nçaise , comme d autres à la conquérir .
S ouvent , elle avait manifesté la curiosité
u de voir le Palais des T ileries . L e S ecrétaire
’ de l Emp ereu r lui avait promis ce plaisir au 1 24 MÉMOIRES
’ premier j our ; il avait été convenu qu elle ’i irait lui rendre visite , et qu l lui montrerait les salons officiels .
M oc ù ard q vint la voir , et lui donna rendez vous pour le lendemain a quatre heures ; il
’ l atten drait au Palais . Elle arriva comme il
’ était convenu , partagée entre l émotion et la n curi osité . O lui indiqua le cabinet de travail du secrétaire . Elle traversa un grand vesti
’ — d hu is siers bule , peuplé de cent gardes et de service , demanda à nouveau son chemin , gravit un escalier monumental elle était per due , intimidée sous les regards des gens qui attendaient , allaient et venaient . Arrivée au
fOn d premier , on lui montra une porte , et au
’ d un grand couloir , un huissier , prévenu
’ ’ s avan c a il l in t rodu isit sans doute , ; chez Mo c
u ard q . D ans une immense pièce , garnie de bibliothèques circulaires pleines de livres aux
a — superbes reliures , un grand bureau mi
’ n is tre était assis l aimable vieillard qui lu i témoignait un si affectu eux intérêt . Deux hautes fenêtres donnaient sur le j ardin des
’ Tuileri es et , par cette j ournée d octobre , le soleil éclairait gaîment l a vaste pièce .
1 26 MÉ MOIRES lu i faire ses compliments , lui demandant si elle allait bientôt A la Comédi e Française sans doute
’ Marie expliquait qu elle avait signé un en
’ g ag em en t a la C aite ; qu elle débuterait dans
’ u L Em r u r lu i une pièce de Maq et . pe e promi t
’ l en t en dre f M al re de venir g son amabilité , elle était tout éperdue de timidité de se trouver
lu i avec . Elle se sentait rougir , cherchant ses
M oc u ard mots , q faisait de vains efforts pour entretenir la conversation ; le
t . rouble de Marie la paralysait tellement ,
’ u q elle ne trouvait ri en a répondre . Vive
’ s ou vrit ment , la porte une seconde fois
’ l huissier qui avait introduit la j eune fill e
a M o c u ard lu i — vint q , parla bas ; celui ci , avec une promptitude é tonnante chez u n homme
’ de son âge , saisit la main de Marie et , l en
’ u n l traînant , la fit entrer dans cabinet , qu i referma sur elle .
’ s Cela s était accompli précipitamment , san t u n mot . Elle étai enfermée dans un réduit
’ d arm oire de tout no ir , qui devait servir et cabinet de toilette ; en étendant les bras , elle
e crut sentir un lavabo avec sa c uvette . Ell FIN L ’ EMPIRE 1 27 entendait des bruits de voix une femme
u parlait avec violence , sur un ton rauq e .
’ e L aventure était si extraordinaire , que Mari
’ fut prise d une peur irraisonnée .
Dans sa mémoire des légendes revenaient , sur les palais royaux et leurs C ’ était l ’ époque des romans bizarres a la Ponson du S i une trappe allait s ’ ou vrir e , comme en ces récits si ell allait être précipitée dans la nuit d ’ un gouffre
o vie hérissé de p intes de fer , qui déchirent la
’ ’ ’ time avant qu elle n ait roulé j usqu au fond ?
Enfin , après une attente interminable , tout
e bruit ayant cessé depuis longtemps , la port
’ s o u v rit M o c u ard de sa retraite , et la voix de q
’ ’ l in vit a u a sortir , ce q elle fit plus morte que vive .
’ Il lui raconta que l I m pé rat ric e était venue
’ l Em r r N e chez p e eu . le trouvant pas et s a
’ ’ ’
chant qu il n était pas sorti , elle l avait de L ’ h i . u is s er mandé était venu le prévenir , et comme il n ’ avait pas l ’ habitude de recevoir
’ n d aussi belles personnes , sans pre dre le
’ ’ à M a t temps d expliquer la cho se ari e , il l av i
fait disparaître . 1 28 MÉMOIRES
Il n etait que temps . La porte a peine
’ l I m é rat ric e refermée sur vous , p entrait ; et
la comme on sent poudre , on sent la femme ;
’ d in stin c t elle regardait , cherchait a percer les
murailles .
’ ’ Enfin l Em p ereu r l avait emmenée dans son cabinet il avait suivi et avait attendu le dé part de la terrible souveraine , pour venir délivrer Marie .
- t - il Vous pensez bien , aj outa , que votre visite aux salons de réception est faite pour
’ u a j ourd hui . V ous trouverez le chemin par où
’ vous êtes venue . D u reste , c est tout droit .
’ ’ m rai J irai vous voir et o c c u p e de vos débuts .
â . u u J e parlerai Auguste Maquet Adie , adie ,
‘ ma chère petite . Il l ’ avait mise dans le couloir conduisant au grand escali er . Avec plus de facilité que a ’ tout l heure , elle trouva sa route , et , sans
ri en demander cette fois , elle regagna le
’ ’ fi ac re l a t en dait qui l avait amenée et qui t .
’ réflé c his s ait à E n revenant , elle l aventure
‘ ‘ u 1 ino e qui lui était arrivée .
c h ez le s Ainsi , plus grands comme chez les
’ en ? plus petits , se querellait Car c étai t une
1 30 MÉMOIRE S
- il M arre On avait , parait , j eté les yeux sur
’ o p ur en tenir l e mploi . S a timidité devant
’ ’ ’ l Em p ereu r et l arrivée de l I mpérat ric e j eté b h rent un froid sur les proj ets é au c es . On chercha ailleurs .
’ Un écuyer de l Emp ereu r avait alors si
n alé g une femme , une sorte de Dubarry
. : moins la beauté , mais de force a dire La
France , ton le camp .
’
C était Margot B ellanger . Mince , assez grande , pas j olie mais drôle , blonde , les
“ cheveux ondés , les dents belles , la taille
u n e e agréable , grâce leste de gamin , ell
’ s am u s ait à se coucher par terre et a se ré
’ lever d un coup de reins , sans le secours des mains ni des coudes . S on corps souple et son esprit fantasque avaient une même allure
’ ses mots étai ent des cabrioles . C était ce charme peuple si provocant , qui ravit les
’ ll r s de s en c an ai e . grands , heureux Pui elle avait un autre avantage elle montait admi
’ rabl m n a e e t cheval . Il n en fallait pas plus
’ l E m r u r u n e e . e pour séduire p Invitée a chasse , M argot émerveilla le souverain par sa har
’ diesse à mener sa bête sur l obstacle . Il FI N L ’ EMPIRE 1 3 1
’ ’ s in form a de l am az on e ; une rencontre fut a proposée et acc eptée . Elle eut lieu S aint
Clo u d . Un petit pavillon de chasse avait été
’ ’ d in t rodu c t eu r préparé ; il n était pas besoin .
m it r a e . Margot , arrivée la première , attendit le
’
Très rouée , à défaut d esprit , bien stylée ,
’ d ailleurs , elle commença par lui déclarer
’ — Vous savez , il n y a pas de Maj e sté ici ;
j e ne sais pas parler aux souverains , moi . J e vous trouve a mon goût ; il paraît que j e suis l ’ u a. au vôtre , puisque vo s ête s Vous n êtes p as venu pour enfiler des a moins
e - t - que j ne sois la perle , aj outa elle avec un
’ VOu s gros rire étes Louis , c est tout ce que d j e connais e vous . Elle était très drôle avec son air blagueur
e t ce rire grivois , toutes ses dents au vent ,
’ l Em r u r sans nulle gêne p e e était fort amusé .
On avait fermé la porte et les volets , de
I r . vo crainte de surprise ; du reste , y avait répondu que nul n‘ e viendrait troubler le tête a— i tête , et enfin Louis oubl a les ennui s du
’ pouvoir dans les bras d une fille adroite , qui lui déclarait en riant qu ’ il serait son amant de c œur . 1 3 2 M ÉMOIRES
r - Pendant p ès de deux ans , les rendez vou s
M oc u ard se succédèrent . q acheta pour Mar
’ u n l Em got petit hôtel , rue des Vignes p e
reu r. e y venait souv nt , accompagné de son
secrétaire . ’ e m i L cuyer a de la nouvelle favorite , celui
’ ’ qui l avait signalée à l attention du s ou ve
fr verain , y faisait aussi discrètement de é quentes visites qui suivaient ou précédaient celles de Louis , prélev ant sur les plaisirs impéri aux la part due a son dévouement et a
- u son savoir faire . Cela aurait pu d rer lon temps . M argot tenait son auguste amant de la
’ bonne facon , de la seule par laquelle on s as su ettit i les hommes . d ’ Le caprice était evenu habitude , et n en paraissait que plus savoureux ; il était devenu a L presque nécessaire la sensualité de ouis .
’ ’ C était si bon de trouver , au sortir d une conférence avec son conseil des ministres ou
’ ’ l I m ératric e d une scène de ménage avec p , h une maîtresse drôle , aguic ante , qui lui par lait sans respect , riait et blaguait touj ours ,
b n savait dire et faire toutes les folies . M al e reu s em en t , devant le succès et la continuité
1 3 4 MÉMO I RES
qui , ne pouvant se résigner à une disgrâce , écrivit des lettres de la plus humble soumis sion . Elle acceptait t oùt pour ne p as perdre
les bonnes grâces de - son souverain , pourvu
’ ’ qu il vin t la voir de temps en temp s et qu il l ’ bliât a n e ou pas tout fait .
’ Voyant qu elle ne réu ssissait pas a rame
’ n er a d l empereur , elle se décida j ouer e la
’ c orde qu elle savai t sensible elle se déclara enceinte .
’ l Em r r e eu . Cette fois , p fut touché Il lui
’ envoya M oc qu ard pour lui dire qu il ne pou
’ ’ vait la voir , qu il avait j uré , mais qu elle ne
’ ’ ’ d d im ru den œ evait pas faire p , qu il ne l ou
’ bli rait e pas et prendrait soin de l enfant . Alors c om m en c â une comédie du dernier bouffon . Il lui fallait soutenir ses prétentions
’ elle fit l impossible pour engraisser , mais elle était réfractaire . Elle porta une ceinture rempli e de ouate , qui lui enserrait la taille et a ’ le ventre , de façon lui donner l ampleur
’ ’ ’ a rib i voulue pour l état qu elle s tt u a t . Quand le quart d ’ heure physiologique fut
- venu , une sage femme apporta un enfant , un
flattât garçon , pour que la p aternité davan ’ FIN L EMPIRE 1 35
tage , et le tour fut j oué , très habilement .
— L e tout Paris , qui avait eu connaissance de la chose et en avait pu suivre la progres sion , par les promenades que Margot faisait
’ ‘ d abord â pied dans les allées du Bois , pui s e n m n u n c e tt landau , se de a dait a q oi te dait comédie
’ On prétendait que l Emp ereu r avait séduit l une j eune fille de la cour , admirab ement b elle comme elle ne pouvait avouer sa maternité , Margot avait été priée de se
à u prêter une substit tion qui lui assurerait , pour touj ours , la reconnaissante protection du souverain . Malheureusement pour la
’ légende , le j our même où l événement avait lieu , au moment précis où il se serait aecom o e pli , la j eune fille en questi n dansait per du m n a e t un bal de la Cour . S e trouvant avec Margot et comme on était sur le chapitre des racontars , Marie apprit
’ que si elle n avait pas été godiche , la
’ — Bellanger n aurait peut être j amai s existé . Elle demanda alors a Margot ce qu ’ il y avait de vrai dans les bruits qui avaient couru , ’ X et si l enfant était de mademoiselle . 1 36 MÉMOIRES
’ L ex — favorite lui c ertifi a q u e c etait son
’ l Em ereu r fils , et celui de p , naturelle ment . Mai s plus tard le hasard renseigna Marie a
’ fond sur cette c om édie Î L Em p ereu r aussi
’ a fut renseigné j amais il ne s oc c u p de la .
’ mère et de l enfant . l u a . La guerre vint , p is Commune Au mi lieu de la réprobation qui attei gnait , après a l ’ Em nos dés stres , tout ce qui avait touché à
’ eréu r l I m érat ric e p et a p , Margot craignit le sort de la Dubarry en pleine Révolution .
a S ent nt le terrain mouvant , elle vendit l ’ hôtel qu ’ elle avait fait construire avenue
fu t u Friedland . Il acheté par la touj o rs belle
Len in er Antoinette g , camarade de Marie au
Conservatoire , qui le revendit avec cent mille
a B al n z i e . francs de bénéfice , le père L ’ ancienne favorite est devenue châtelaine
u A u n q elque part en Touraine . moment , des partisans qu and même essayèrent un mou vement en faveur du rej eton problématique
’ d e l Em r r p e eu .
Mais ils ne convainquirent personne , et
’ ri en ne subsiste auj ourd hui de la légende .
C HA PITRE VI
L E MOIS D E S FO L IES A BA D E
La M ai s o n d u B a i g n eu r devait servir de dé but à Marie ; elle devait t en ir le personnag e
’ d A u t ric he de la j eune reine Anne , mais son ambition fu t déçue a la lecture de c e rôle épi sodique après avoir répété une quinzaine , elle obtint la faveur de ne pas j ouer . On la remplaça par u n e belle personne nommée Jane
S elliè re è re de André , la protégée du baron , p î la princesse de S agan .
n Il fallait chercher une autre pi è ce . Ponso du T errail venai t de termin er la J eu n es s e d u r o i H e n r i pour le Châtelet ; Man e fu t co n vo
u é e q a la lecture . On lui distribua un rôle ’ ’ e superbe , qu elle accepta d enthousi asm , et 1 40 MÉMOIRES
le lendemain , les répétitions commencèrent . Mais tous les j ours elles apportaient des changements ; une chasse fut introduite avec
’ l hallali e toute une meute , final , le cerf ven t ré flam b e au x , la curée aux , pour remplacer la scène d ’ amour avec le roi H enri la scène entre le pére et la fille fut enlevée également :
’ on lui substituait un baptême , suivi d une
’ ’ ’ b allet ! ronde , d une pavane et d un C était
désespérant . Ce rôle , le principal , devenait
’ épisodique lui aussi , tout comme l autre . Na
t u rellem en t , les répétitions de cette pièce
’ qui s éc rou lait et se transformait sans cesse
u n s able t comme château de , é aient fort acci
dentées , elles devenaient énervantes pour " tout le monde . La pauvre Marie s e trouvait toute nouvelle dans un milieu presque hostile .
‘ u La lect re de la pièce , sous sa forme pre
s mière , avait fait des j alou es on lui en avait v oulu de débuter par un rôle qui aurait a convenu une ancienne du métier . Tous
’ ’ s a li u ai n t a l in im id r a e t e . pp q , la gêner En voyant les transformations et les rédu ctions
m an que subissait son rôle , la tristesse et la
1 42 MÉMOIRES
de la nouvelle mais il déclarait , comm e tous les auteurs en pareil cas, qu ’ il tenait à
u n faire une pièce et non rôle . Le travail des premières répétitions lui avait montré les dé fauts de son œuvre aidé par le s c on s eils y
’ ’ d Hos t ein é , le directeur , il s tait attaché à
’ » chercher le clou indispensable . D ailleurs , il profitait de toutes les occasions d ’ être desa bl â ’ r éa e . e n g Marie Un j our qu elle arrivait , v elo é e pp dans un cachemire des Indes , Pon
’ ’ s a ro c ha l ét offe son pp , examina , tâta , et dit a la j eune femme : Il vaut au moins six mille ? francs . Vous en vendez donc répliqua
- . t elle en le regardant Très vexé , Ponson lui
’ : répondit J en donne quelquefois , made
i lle . m o s e . Elle venait de se faire un ennemi
u n e Ponso n était très susceptible , possédant
’ bonne dose d org u eil : il avait de lui - même
’ une opinion très haute , et c est lui qui , grisé
’ par le sucés populaire de ses feuilletons , s ou
’ bliait A n j usqu à dire , en déj eunant au Café
’ ’ glais Qu est — c e que c est donc que c e monsieur Flaubert dont on me rabat le s
oreilles ? E st - ce que c ela e xist e ?
’ Ces escarmouches n étaient pas faites pour FIN L ’ EMPIRE 1 43 rendre les relations cordiales entre l ’ auteur
’ e t l interprète la nervosité causée par
’ les répétitions s en trouvait exaspérée ,
’ a insi qu e l a g ac em en t produit par un travail
u i o q , chaque j ur , apportait des changements s bé u et s ous forme de q . On avait fini par ne
’ re c on n ait r r en plus s y e . Suzanne Lagie pro
’ fi tait pour se tailler un rôle a sa façon , qu elle
é u laborait sur des doc ments historiques , transformant et surtout am plifi an t le texte primitif . Elle sut se faire un succès dans le
’ personnage sympathique de Jeanne d Alhret b ien placé au cœur même de la pièce .
’ Marie avait fini par s ac c lim at e r au laisser a u ller des co lisses , gagnée par la grâce tout
D esc lau za s aimable de qui , après avoir j oué quelques années en province , avait trouvé
’ ’ l occasion d affirmer son talent dans la Re i n e
M a r r g o t . La loge de Suzanne Lagie servait
’ d e potinière on s y réunissait généralement
’ pendant le s entr actes . S ary , le futur direc
— teur des Folies Bergère , y répandait sa verve e t ses paradoxes . Il y avait entre autres , fai
’ s ant bon public soulignant ses traits d es
’ prit , D aniel Wilson , destiné à l honneur de 1 44 MÉMOIRES
. e devenir le gendre de M Gr vy . S a sœur
’ ’ Pelou z e efi ra é e madame , y des folies où l en
’ traînaient Caroline Hasse et d autres dem oi c selles de moindre importan e , lui avait fait
donner un conseil j udiciaire ; après avoir lié
’ les mains au prodigue , elle s appliqu ait â lu i
re c on Stit u er sa fortune , et elle y parvint , plus heureuse et plus sage p ou r S au veg arder la situation de son frère qu ’ elle ne devait l ’ être
— plus tard pour elle même . Wilson faisait la
fle m e fête avec g et morosité , a la mode bri i . u i c ou tannique Dans ce viveur tac turne , q _
: i rait les restaurants de nuit , ri en ne laissa t
pressentir le futur Machiavel sous - pres i
dent ) »
Parmi les habitués de la loge , se trouvait
aussi Henry Leroy , ami de Fervacques , qui
’ ne s appelait encore que Léon Duchemin : on racontait ses liai sons anciennes ave c L eonid e
res s em Leblanc , Antonia Sary . Marie leur blait et lui , poursuivant son type , il faisait à
’ l artiste une cour assidue , favorisée par Su
u -r zanne Lagier , qui faisait to t pou attirer la
’ j eun e femme dans sa loge . Profitant d un
Bériot voyage de Charles de en Belgique ,
1 46 MÉMOIRES et des menaces à la femme qui rompait le
’ ’ pacte d intimité i ndifférente qu elle avait ao c epté pendant les premi ères années de sa j eunesse ce furent des s cènes de rupture , suivi es de réconciliatio ns les j ournaux s ’ en emparèrent , commentèrent les faits , créèrent la lé gende d ’ une femme sans cœur et depen
’ s iè re u qui , après avoir r iné son amant , l aban donnait les pertes que Charles avait faites à la B ourse ne comptaient plus on oubliait la
’ vie large et facile qu il avait menée , mangeant a même un patrimoine très modeste . On fit
’ ’ des articles inspirés de l épisode d amour célèbre entre Musset et George S and et inti t u lé E ll e l i e t u . On y racontait que le père était venu incliner ses cheveux blancs devant
’ u la comédienne , la supplier d épo ser son fils ,
’ mais qu après avoir dévoré s a fortune , elle
’ aurait refusé de partager sa gêne . C est ai n si que s ’ écrit l ’ histoire
’ D ailleurs , cette légende de fille de marbre fit plus pour la réputation de Marie que si on l ’ avait connue comme ce qu ’ elle
était en réalité , une brave créature . A partir
’ I m os m om en t elle . de ce , fut sur la sellette p FIN L ’ EMPIRE 1 47 s ible de rien faire , de rien dire qui ne fût com m enté publiquement . Après avoir j oué toute une saison la J eu n es s e d u r o i en r i Gaîté H , elle revint à la ,
’ d emandée par d E n n ery pour tenir dans le
’ Pa r a d i s er d u d Eve p , imité de Milton , le rôle Là c . ré é quinz e ans auparavant par Peri ga , il ’ n y avait pas de surprise à redouter . M ari e a llait donc avoir enfin un vrai rôle , sans chan gement possible , et le succès antéri eur moti v ait assez la reprise de la pièce .
’ L e rôle d Ev e ré u nissait tous le s attributs
’ d e l in én u e d e la g , de la j eune première et coquette . Il devenait presque tragique au mo ment où les m alheureux époux sont chassés du Paradis . Marie se mit a travailler ave c
’ a rdeur , portée par l espérance de la réussite , guidée par ce merveilleux metteur en scèn e
’ ’ d E n n ry qu est Adolphe e . L e triomphe de la
u femme , en un féeriq e costume , fit oublier
’ l artiste . On discuta sur la question de savoi r
’ s i la perruqu e blonde n allait pas mieux à M ari e que ses cheveux noirs . S a personne
fut détaillée , admirée , commentée . Le soir d e la premiére , Marie , dans la griseri e du 1 48 MÉMOIRES
- succès , alla souper avec son ex camarade du
’ e Conservatoire , qu elle appelait sa meilleur
am ie . Tous fêtaient la triomphatrice du j our , mais surtout cette amie qui se proclamait heu reus e de cette g loire nai ssant e . Qui se fût
’ douté alors qu elles deviendrai ent irré c on c i liahles
’ L Em pereu r lui - m èm e tint â c om plim en t er
’ l héroïne de ce grand succès . Le public de la C i e a t , peu habitué a de semblables appari d lé M o c u ar . tions , vit arriver , suivi du fidèle q à Il déclara Marie que sous sa toison blonde , ’ a ’ t il l avait peine reconnue , mais qu elle étai
’ touj ours exquise , et lui fit don d une parure
’ d ém erau des et de diamants , en souvenir de la peur qu ’ elle avait eue aux Tuileri es a cause
de lui .
’ L artiste n e se rendit pas bien compte tout
’ ’ d abord de l influ ence qu e ce rôle devait avoir sur sa carrière elle était toute au succè s pré sent ; d e tous côtés elle recevait des déc la
rations et des fleurs encombraient sa loge . Ceux qui ne pouvaient se faire présenter lui
’ adressaient des ambassadrices qu elle ré
’ fusait d ailleurs absolument de recevoir . Les
1 50 MÉMOIRES
’ ’ l h rribl s c réées par o e question d ar gent . E n e
B é riot réconciliant avec de , elle avait dû rompre avec celui qui avait été le motif de sa brouille . Elle avait conclu des arrangements a vec L évy et Worms , les tapissiers , prenant a s on compte les fournitures commandée s par
’ H . Leroy , car , puisqu elle rompait , elle ne c royait pas pouvoir lui en laisser la charge .
’ s éle Elle créait ainsi sa première dette , qui
’ â u vait q arante mille francs . S entant qu elle l ne pouvait régler désormai s sa vie , e le se
’ s en dettan t laissait emporter par le courant , a a a nouveau , ach etant qui offrait crédit ses vingt ans .
- Une après mi di , entra dans son boudoir
G u im on t Esther .
— - Ma chère amie , lui dit elle , voulez vous me permettre de vous présenter un ami , le
- ! prince Khalil Bey Oui j e sais , vous avez refusé de le J e viens de le ren c on ! ’ trer dans votre escalier … il s en allait tout
’ dé c on fi t de votre cruaut é Mais lui ce n est pas comme les le prince est un Pari
’ sien , il a habité longtemps Paris , avant d être
’ nommé am bassadeur à Petersb ourg c est FIN L ’ EMPIRE 1 51
’ Ro u e lan l ami de Girardin , de q p et de moi
’ il aurait dû s en souvenir plus tôt , il se serait épargné ce S i j e ne l ’ avais rencontré dans votre escalier , Dieu sait a quel ' désespoir il se serait livré Il est la , dans
’ votre salon j e l ai fait entrer .
En disant cela , elle poussa la porte
z Vene , mon prince , mon amie est très e nchantée de vous recevoir .
- Khalil Bey était de taille moyenne , assez g ros , le vrai type turc , avec des yeux myopes e t rouges , et des lèvres épaisses du reste ,
’ ’ ’ d m li s xcu beaucoup a ahi té et d esprit . Il e s a de s on in sist an c e dans des termes absolument
’ flatt eu rs , malgré l envoi de la messagère .
Que voulez - vous ? Voilà cinq ans que j e a e n e suis venu Paris j croyais être oublié .
’ J a r d is : étais allé au théâtre , voir le P a votre ’ m a . C o beauté m a tout fait séduit , enchanté
’ ’ ment arriver j u s qu â vous Mon Dieu ! j ai
’ ’ pris ce moyen , n en ayant pas d autres . Sur
’ - votre refus , j e suis venu moi même . J avais
’ l o rgu eil de croire que vous ne me fermeriez t pas vo re porte . Voilà , et sans mon amie
’ E sther Gu im on t s in forma de leurs amis 1 52 MÉMOIRES . communs de Saint - Pet ersb ou rg on parl a
’ aussi de s amis de Paris , de la j oie qu ils au a a raient l e savoir revenu . Une invitation dîner du prince fut acceptée séance tenante
’ ‘ Gu im on t d am en er Gi par la , qui se chargea rardin et R oqu eplan aux F r è r es Pr o ven
a u x a . ç , le restaurant la mode
u e Gu im on t a Physionomie curieuse q la , qui les sobri quets ne manquaient pas les uns
’ ’ l l i n a e a e t L . pp le ion , d autres la Paysanne C ’ était une grande collectionneuse de cèle i e br t s Guizot , le prince Napoléon , Lord By ’ dé ron , s étaient succé dans ses relations . e e S on cynisme était applaudi , ses mots r p l . A a b a te au â N a les tés descente du p , comme on examinait son passeport , on lui demanda
: sa profession Rentière . Les douaniers ,
lu i ne comprenant pas , firent répéter . Alors ,
’ s exc lam a - t - impatiente Courtisane , elle ,
’ — le a l A n lais et retenez bi en , pour le dire g qui
— ha s est là. . Cette même E sther Gu im on t assistait au di ner donné par Gi rardin pour fêt e r le succès de
’ ’ l L am hit ry on l av ait re a pre s s e t ran s form ée . p
su r s a conduite chez elle et avait laissé , chemi
1 54 MÉMOIRES guider et c ’ est chez lui qu ’ elle rencontra la
G u im n o t . , et se lia avec elle Très gourmet , il réunissait souvent ses amis à déj euner i b d ans son entresol de la rue T a t ou t .
L e lendemain du j our où Khalil - B ey était M ‘ venu chez elle , ari e alla donc prendre la G u im on t dans le petit hôtel que Girardin lui
a vait fait construire rue de Chateaubri and . Elles se rendirent aux Frères — Provencaux ; le
dîner fut charmant , animé par la verve de ces
R o u e lan d trois hommes , et surtout de q p ont l ’ esprit était une monnaie brillante et son
nante . Au dessert , le prince , trempant ses
b a u e doigts dans un bol , laissa tomber une g
’ ’ o rnée d u n superbe diamant rose qu il portait
a u ô petit doi gt . Marie , placée a c té de lui ,
ramassa la bague et la lui tendit . Mais il lui d it le mot de Charles — Quint a l a duchess e
’ d Et am p es Elle est entre trop b elle s main s a pour la reprendre . Et il fit glisser so n
d fu oigt le superbe diamant . Le mot t répété
d le s ou rn au x Veu illot Od e u r s an s j , dans ses d e Pa r i s : , écrivait L es pri nces s èment les pi erres préci euses dans l e bou doir de l a
’ - p etite Pi geonni er ; c est peut être , comm e le FIN L ’ EMPIRE 1 55
— Petit Poucet , pour retrouver leur chemin .
’ Profitant du cong é qu elle s etait réservé ,
a G aîté Marie était remplacée la , et elle allait j ouer a Bade avec les artistes de la Comédie
’ ç — s offri Fran aise . Khalil Bey t a payer son
’ a fu t a dédit , elle refus . Il entendu qu près sa
’ l a d d A ix irait a aB e . cure , le prince retrouver fi ill La b a gue devenait un anneau de an c a e s .
’ ’ en t rain er Mari e s était laissé , elle s était
G im n e lu i . u o t promise L a , qui la cons illait ,
’ avait tant répété que ce n était pas une exis tence que la sienne . Elle avait été obligée de
u i vendre tous ses bij oux , même la parure q
’ l Em r r — lui venait de p e eu . Où voulait elle
’ aller dans ce chemin - là ? De B eri e t n avait pas même assez pour lui , et ses appointements a
elle étaient dérisoires , comparés a ses dé penses . Elle serait bien forcée enfin de faire un choix ; le prince ava it toutes les qualités voulues pour être agréé c ’ était de plus un ami . 1 56 MÉMOIRES
Cet argument semblait sans réplique à la
Gu im n o t .
t- in f On pourrait , disai elle , se réunir di f r m m é e en t chez elle ou chez lui . Elle aj outait tous les raisonnements que lui
’ suggérait l expérience . Ils décidèrent Marie . L e voyage qu ’ elle était obligée de faire allait rompre forcément son intimité avec de Ré
ac c e riot , et , au retour , la séparation serait p
e . c rr n te Elle partit pour Bade . Une o esp o
’ dance s engagea avec le prince , qui se dou
â — — chait Aix la Chapelle , tandis que Mari e don nait la réplique à Worms , qui , après la sai
- son , devait quitter le Théâtre Français pour la Russie . Le prince avait fait retenir ses
’ a S té han ien - appartements l hôtel de p Bade ,
’ dans Lichtenthal : il s était renseigné sur les
r gens qui étaient à Bade , il les invita à dîne
r . par lettre , pou le j our de son arrivée
Parmi les convives , figurait Bismarck qui
’ n était pas encore le chancelier de fer . Khalil pri a Mari e de l ’ aider a faire les honneurs
de la table ; au dessert , les conversations
’ la s étaient animées . On parlait de beauté
u e des femmes r sses , des caucasienn s sur
1 58 MÉMOIRE S
m Ma e écoutait ce récit avec dégoût . Com
’ ment u n homme et un homme d esprit pouvait - il raconter publiquement des hor reu rs pareilles Elle se rappela la façon dont le frère de Charles de B ériot était mort le malheureux n ’ avait pu supporter la médica
’ tion ordonnée c o n t re le terrible mal : l uniqu e
’ femme qu il avait connue lors de son s éj ou r
’ ’ a l E c ole Militaire l avait empoisonné . M arie avait appris ainsi les détails de cette maladie fatale a Francoi s et qu ’ a chantée le poète
Barthélemy .
— Tout le monde parti , Khalil Bey demanda à
M ari e la permission de la reconduire chez elle .
ar Oh non , p exemple , mon cher prince ,
é li u a - t - u r p q elle , j e crains le s reto rs du passé
rév é ren èe « » e Et , sur une très Comédi e , ell
’ rd s enfuit , laissant le prince abasou i
s Le lendemain , il prenait le train pour Pari
a E Gu im o n t et tout étonné , il racontait sther
’ comment son amie Mari e C olombier l avait s emé .
’ Ri en ne peut donner l i dée de ce qu etait FIN L ’ EMPIRE 1 59 alors la première quinzaine de septembre a
’ - Baden Bade . On ne saurait la comparer qu à la semaine carnavalesque de Naples . C ’ était la fantaisi e et la foli e insouciante
a des kermesses de j adis , reviv nt pour quel q u es j ours dans la libre existence de ces eaux L b i ’ . e s a n s célèbres de Bade , qu on citait déj à
’ au temps de Luther comme un lieu d o rgi e les où se pressaient les cardinaux , banqui ers
’ et les courtisanes , n avaient point démérité d e a leur réputation et continuaient être , dans
’ l E u ro e p moderne , un endroit privilégié de ’ e luxe et de licence , où la j oie de vivre s pa n i i ou s s a t dans une atmosphère heureuse . Les splendeurs de to u s les mondes y ven a ient
’ a s y f boutir , et trouvaient con ondues comme
’ il n e p ouv ait s y rencontrer que des éléments
’ d a ri s t oc ratie suprêmes , de richesse et de
’ beauté , tous y fusionnai ent sans souci d une é tiquette inutile les distractions d ’ origine et d e caste étaient abolies , les nuance s sociales les plus caractérisées s e fondaient dans cette égalité qui se forme partout où les élites di verse s se trouvent rassemblée s . L es grande s d ames étaient si élégantes , et les prêtresses 1 60 MÉMOIRES
’ ’ de l amour avaient si haute allure , qu elles en arrivaient à se re ssembler presque , et on fra t ern i s ait volontiers , grâce aux promiscuité s
n de la salle d e j e . Une sorte de mystère en viron n ait alors les illustres amoureuses la galanteri e n e s ’ était point encore rabai ssé e ni
’ vulgarisée en s affi c h an t u n prestige fasci n at eu r entourait ces gloires voluptueuses dont les femmes du monde pouvaient être a la fois
’ inquiètes et curieuses . C est pourquoi elles p rofi taien t de toutes les occasions de les ap h ro c e r . p Artistes , patrici ennes , courti sanes frayaient fraternellement et se demandaient
’ des conseils p ou r les rob es nouvelles qu elles
’ L in du l en c voulaient lancer . g e des souverains encourageait et j ustifiait le laisser - aller d e cette existence . E n tête du mouvement et condui sant le branle , étaient les deux fils de
- e d e la grande duchesse de Bade , fill du roi
Prusse , le duc de Hamilton , et Carlo , mar quis de D ouglas . Tout conspirait ainsi a faire de B ade un lieu merveilleux où les princes menai ent ,
’ u n avec les bacchantes , carnaval inouï d ex t rav ag an c e et de somptuosité . Le j eu lui
1 62 MÉMOIRES
H arit offe M esdames et Garfunkel , deux j oueuses , cousines germaines , passaient la
" a elle s av aien t vie se quereller , et cep endant
’ ’ la rage de se mettre en face l une de l autre .
’ ’ Un soir , les paroles n ayant plus assez d élo
’ u en c e s a rm è ren t q , elles du râteau qui
’ l eur servait a pou sser leur tas d or pour s ’ en administrer une correction sur les d n oigts , sur les mains , sur le s bras , fai sa t voltiger leurs pi èces et celles des autres
e n t e s i p fur eux , qui réclamaient le commis
saire . L e centre des élégances était a l et ablis sement de Lou rs e où se donnaient les bals
’ privés ou par souscription . Pour s y rendre ,
e n u s ivait une allée bordée de hauts platanes ,
’ ’ u formant dôme , et q on appelait l avenue de Lichtenthal il y régnait en tout temps une
ombre exquise . Elle était sillonnée sans cesse
par les é quipages ; u n e contre - allée était
réservée aux cavaliers , une autre aux piétons .
’ Cette avenue a vu défiler toute l Eu rop e ele
gante .
’ ’ - — à Ce qu on appelle le tout Paris , c est
’ l A n leterre dire la fleur de la Russie , de g , de FIN L ’ EMPIRE 1 63
’ ’ ’ l Allem a n e l A u t ric h e l A m é ri u e g , de ( q n e nous avait pas encore envahis) s ’ y trouvait représenté les princes de la Maison de
’ France étaient venu s la oublier l enn u i de
’ : u n e l exil pour quinzaine , ils retrouvai ent a - Bade le tout Paris des élégances . Il y avait le prince de Joinville , et son fils le duc de
’ e d A u m ale Penthi vre , le duc et le duc de
’ du d A l Chartres . On racontait que le c u m a e ff a avait o ert une b elle petite , encore peu c — hevronnée , vingt cinq louis en souvenir de sa bonne grâce . La petite , qui croyait en la à forte somme , contait sa déception Caroline
L et es s ier - Que tu es bête répondit celle ci .
Tu aurais dû lui dire Monseigneur , vous
’ n avez pas idée comme ça a augmenté depuis quarante — huit !
fi u L e prince de Galles , naturellement , g rait parmi les astres royaux de Bade ; a côté d e u s lui , Aug , duc de Hamilton , Carlo , mar
n quis de Douglas , déj à nommés ; le pri ce
G alit z in Alexis , surnommé le prince Char
’ mant (ne pas confondre avec le Galitz in qu on a flu xion ppelle la ) ; E sterhazy , des princes
’ de Hongri e (rien de l affaire Mathi eu Dre y 1 64 MÉMOIRES
C arin t o n fus) lord g , Hepburn ; Blandford ,
’ u duc de Marlboro gh , qui n avait pas de plus grand plaisir que de se mettre tout nu à s a fenêtre et de j ouer de la flûte sous le rayon
de la lune depuis il se suicida . On citait
e encore le prince de Hohenlohe , le princ
H arit off - M an oac h de Tour et Taxis , , Hillel ;
G a a rin e — le prince g , le beau frère du prince
M en t c hikoff Masséna , duc de Rivoli ; comt e
Re dort e D elam arre de la , comte , Paul Daru ,
—Péri ord du c le duc de Richelieu , Talleyrand g ,
C la arè de de Montmorency ; H alles p , sur nommé le Charognard les troi s ! frères Abeille , dont deux , hélas devaient mourir si misérablement ; les trois Turenne ,
Gu y , Louis et le cousin Léo ; le petit Roy , qui d evait devenir l ’ amant de la gente ma dame Poulet ; le baron Finot , qui devait
épouser la sœur de son ami ; de S aint — Ger m mam , lequel ourut après avoir quitté Bade ,
’ Ke r é u r en sautant l obstacle à Spa ; j g , le futu député des Côtes — du - Nord ; le marquis d e
L a ren ée - Modène , de g , Talon , Clermont Ton n e rre u , le prince Murat ; le to j ours j eune ff Laffitte , père de madame de Gali et ; le
1 66 MÉMOIRES
voyait la , en premiere ligne , la comtesse de
B éha u e é n u flexion s g , dont les g au roi de Prusse duraient au moins cinq minutes ; la princesse de S agan ; la comtess e de Pour t alè s la marquis e de Galliffet madame r Abeille , avec sa cha mante fille , future
’ comtesse de Gouy , auj ourd hui baronne Louis de la R edo rt e ; la très b elle et très graci euse princesse Ob olin ska madame H arit off et sa
fille la belle madame Magnan , comtesse de
: Mercy - Argentan madame Errazu et sa fille la superbe princesse K arolat e la baronne de
C olobria Poilly et sa sœur la baronn e de . Parmi les hommes le duc de Castries ; Ar nold de Moltke , ambassadeur de Danemark ;
Ramon et Louis Errazu ; le duc de Beau fort ; Rothschild ; de la Villet reu x ; Gaetan et
Ro ger de Monclin ; Alquier , directeur des chemins de fer ru sses ; le baron de B u ssière
’ l archiduc Victor , qui , avec ses deux dents
’ ’ d e lapin qu on apercevait dès qu il ouvrait la
’ b ou c h e était le d l in fortu n é , portrait en laid e ff M aximilien Paul D emido de Vau vin eu x .
- a erc e Dans le clan des demi mondaines , on p
’ t B arru c c i va t Cora Pearl ; la , la Gioia qu on FIN L ’ EMPIRE 1 6" disait avoir été envoyée en France pour em
’ i n n r l E m r r po s o e p e e u . La Gioia était une de ces beautés lombardes , faites d e grâce blonde et de maj esté nonchalante elle avait grand air . On prétendait que Komar y a vait passé , le baron de Komar , dont le nom
’ a servi depui s d e u p hé m is m e honnête pour
— o n désigner le mal funeste . Un soir , di sait ,
’ ’ l r a u fond d une loge a u bal de Opé a . mais
’ tout ca c est des histoires de femmes . Elle
du fut la maîtresse prince Humbert , et resta
’ d I ali la meilleure amie du roi t e . Mari e Verne ;
’ M arc o n n et a u , uj o rd hui Altesse Royale sous le nom de comtesse de Bari ; Eline Volter ,
u u une des trois danse ses ; Do glas , une B elge ,
’ qui s e st fait épo u ser par un lord Milb an c k ;
C ren is s e - , du Palais Royal ; S oubise ; Blanche
’ d A n ti n Z Lé on id e g y , la Nana de ola ; L e
e u blanc , surnommé mademoiselle Maxim m
e forc ait lady Muss , une hystériqu qui la bonne volonté de tous les hommes ; S chneider ;
Massin , adorable de j oliesse et de grâce , amen ée par Bazile N arishkin e ; enfin les de u x Caro (on nommait ainsi Caroline Hasse et
L i r Caroline e tes s e ) . 1 68 MÉMOIRES L ’ une avait été mise a la mo de par le con seil j udiciaire dont elle avait fait gratifi er Daniel Wilson ; la seconde revenait de P é t ers bou rg où elle avait j oué les princesse s a au théâtre Michel et la ville . Ressemblant physiquement à la Metternich , elle en avait
’ ’ l ri e Sp t de race et l élégance audacieuse . Très instruite , parlant de tout sans pédanteri e et
“ b on n e avec humeur , elle était redoutée des femmes et recherchée des hommes . Pas j olie , mais pire , la taille ronde , les épaules tom b an t e s , le cou dégagé , quand elle entrait dans les salons de j eu de la Conversation , très
’ bi o u té e j , on faisait cercle autour d elle .
fa Hortense S chneider , qui était touj ours g oté e a la ville comme une bourgeoise du
’ ’ s exc lam ait bœu fs Marais , J avais vu des
’
a . gras dans ma vie , mai s j amais d ussi j olis
Sur quoi Caroline de répondre Et moi , j amais de vache aussi laide . S candale , crêpage , plainte , arrivée du commissaire du j eu mais lord H amilton , fils de la grande duchesse de Bade , intervenait en faveur de
’ Caro , et il n était plus question de ri en .
C arin t on S chneider , qui était avec lord g , y
1 70 M EM OI R E S
’ ’ tuer les menaces . C est alors qu elle prit
’ ff - l a c c om a la fuite , e rayée . L e grand duc p
n ai g t . L e couple voyageait sous le nom de
L et e s s ier f M . et madame A Berlin , le chef de la police vint réclamer les passeports . Caro
’ line lui fit observer qu e c ette formalité n était
l e - pas exigible e n Allemagne , et grand duc
’ ’ s a an a m oi v C e st . ç , en demandant que
' vous cherchez Oui , monsei gneur . Eh bien ! que me voulez — vous ? Q u e Votre
u n e Altesse retourne a P etersbo rg . Mais il me plait pas de rentrer en Russie madame
’ ’ va en France , et j e l accompagne . J en
’ de l Em e suis fâché , monseigneur . Ordre p
’ ’ re u r n os erez , votre oncle . Vous pas m ar rêt e r ? N o n , j e suppose , monseigneur , mais nous détacherons le compartiment du t train , et vous ne partirez pas . Quan a ma
’ ’ dame , elle peut s en aller s il lui plaît .
’ L heureux du j our était le j eune Carl o
Hamilton , neveu de la reine Augusta de l ’ ê Prusse , qui habitait la maison voisine de
- t ablis s em en t d e j eu au dessus du restaurant .
a - t - ! N on Mon Di eu , elle dû en entendre seu
on lement dînait , mais on soupait FIN L ’ EMPIRE 1 71
a di n er fi t Un soir , près , une bande j oyeuse
de irruption dans les salons de j eu , semant s pétards sur le parquet . Chaque pas les faisait
éclater , et les j oueurs surpris ne savaient où
à u se ré fugier pour échapper la f sillade . Les
’ chevaliers du râteau croyaient qu on allait
’ ra faire sauter l établissement . Ne pouvant
r d e masser les enj eux , ils ne t ouvèrent ri en
’ mieux qu e de se coucher sur l or et s u r les
a fu t billets , qui couvr ient les tables , et ce pendant quelque s minutes u n tableau indes c riptible des hommes aux fa ces contractées
u par la pe r , vautrés sur les tapis , crispant leurs mains sur les tas de pièces j aunes , tandis que crépitait sans arrêt une étrange canonnade .
L e calme rétabli , Carlo Hamilton s e mit a a j ouer la roulette . Son ivresse lui donnait probablement la divinat ion des numéro s sor
’ : il — c e tants gagna qu il voulut , les pleins , les quarts , les douzaines , les transversales , la
u ro ge , la noire . Enfin , après avoir rempli ses poches , il remplit aussi son chapeau ; et , pour
v c a fêter une si grande eine , il retourna au baret où le vin de Champagne sema la foli e 1 72 MÉMOIRES
’ Les l dans toutes les têtes . éclats de orgie
’ étaient si bruyants , qu on vint déclarer à
’ trois heures du matin qu on allait fermer ; le ! tapage incommodait la reine . Ah elle est ? b ! couchée , ma bonne tante E h ien j e vais y
E t ren an aller . p t son chapeau encore rempli ’ M de son gain , il fit sonner l or . ontant les
marches du perron , il se mit à frapper à coups ! de poing a la porte ; il criait Ouvrez — moi
’ ’ J ai de l or , des billets j e veux coucher avec
- la reine de Prusse . Ouvrez moi ! j e veux cou cher avec Augusta
n U soir , la fête battait son plein au bal de
L r ou s e . Tout le monde était en foli e on avait commencé par se j eter à la tête les
r fruits , les fleurs , les assiettes , pou finir par
L e les bouteilles de champagne . Caroline tessier avait pris un siphon et , dirigeant le
G alitz in j et sur , surnommé la Fluxion , lui
a la arrosait son plastron du . haut en bas
— grande fureur de celui ci , qui se répandit en invectives malsonnantes . Carlo Hamilton se
1 74 MÉMOIRES
’ e l or ie nluminée par g , qui exécutait un chahut échevelé en face de Caroline Hasse .
N e exc en tmc ité sachant plus quelle inventer , d ans sa cervelle surchauffée , il avait tiré sa
u chemise de sa c lotte , et , la laissant flotter , il en tenait les deux coins de devant , les bras a t rrondis , tandis que sa haute silhouet e se d éhanchait en un prodigieux cavalier seul . ’ u C était le comte de Bismarck, le f tur fonda
’ t l Em ire aît é eur de p germanique , mis en g par les bons vins de France , qui . dansait
a . éperdument , moiti é gris o ’ P ur clore la soirée , on s en vint a la Con versation . On passa une corde autour des
’ d ora n ers caisses g , alignées sur la terrasse ,
u et t o t le monde tirant dessus à la fois , les
trac hommes en , les femmes décolletées et
e n couvertes de bij oux , les renversa par terre . Le lendemain , on se montrait le dégât
’ en déclarant qu u n orage avait d u passer la par .
’ L es dames s in dign aien t très haut de sem blables s u folies , non san q elque j alousie
’ m u s aie n t pour ceux qui s a tant .
’ Au fond de l allée de Lichtenthal , dans les ’ FIN L E MPIRE 1 75
u n champs , e petite maison , presque une chaumière , discrètement voilée par les lierres
’ ’ e t les plantes grimpantes c est la qu A im é e D esclée cachait sous le feuillage son amou
’ reu se idylle . Dans u n déj euner qu elle don
a L et e s s ier nait ses amies , Caroline et M ari e
’ a C olombier , elle leur racont it l aventure de
a la nuit , la scène du fl grant délit , touj ours
' ’ c omique quand elle n est pas tragique . L e hasard avait ramené sur son chemin un
in ancien flirt . Elle renouait une fantaisie t errom pu e par son départ pour la Russie ; croyant a un bon mois de liberte elle se li v rait au charme du renouveau amour qui
’ s en était suivi . Elle était donc venue abriter sa passionnette dans cette chaumière dign e d e c an - J ac u e s a J q , quand tout coup le prince
’ G a arin e g , qu elle croyait bi en tranquille a
’ s am è n e Moscou , , croyant lui faire un e b on n s u r ris e e p . Et cette imbécile de femme
’ ’ de chambre qu i s était avi sée d ouvrir ! I m po s sible de dissimuler la porte de la chambre
’ n était pas même fermée à clef . Vous voyez la scène . J e me précipite , en chemise
u le prince était sur le se il , tenant le bouton 1 76 MÉMOIRES
t de la por e . J e lui prends la main , j e cherche
’ a l en train er « V enez , venez , il faut que j e ! ’ vous explique . Oh il n y a pas besoin
’ - il d explication , répond ; ce que j e viens de ! voir me suffit . Adieu madame Et j e restai s la a n toute bête , quand , tout coup , me voya t dans le vestibule , en chemise , les pieds nus ,
’ é clat ai â la t j de rire , pensant tê e que j e de vais faire ; et j e grimpai vite me glisser dans
m t rr m . e o u . le lit , prête à reprendre le duo p
1 78 MÉMOIRES
Ré c on c ih e rendu coupable naguère . avec
Mari e , il était devenu son meilleur ami ; il l ’ avait priée de présider les dîners qu ’ il don nait dans le petit hôtel que Lesseps lui avait
’ loué , tout meublé , dans l avenue M ontaigne ,
’ u n e construction mauresque , d un style tout a ’ fait original . Elle s était réservé les invita tions de femmes , et , naturellement , celle
’ qu elle appelait alors sa meilleure amie fi gu
en rait tête de la liste . a e Khalil , cité P tersbourg parmi les grands m j oueurs , était guetté par les embre s des
cercles aristocratiques . Paul Daru , le prince
A G alitz in lexis , amis de Marie , demandèrent
- à celle ci de les faire rencontrer avec le prince , f ’ pour lui of rir d entrer au Jo ckey . Khalil avait
' été mis en garde par des racontars ; il savait le Jockey divisé en deux camps . Celui des j eunes lui était défavorable il se trouvait en ri v alité de conquêtes féminines avec eux , et ils ne lui p ardon n aien t p ar les avantages que
fortûn e sa grande , généreusement dépensée , a assurait ce fervent admirateur du sexe , qui
u ne trouvait guère de cr elles . S es succès constants lui avai ent valu bon nombre de j a FIN L ’ EMPIRE 1 79
‘ ’ louses inimitiés on allait j usqu a I ac c u s er
’ ’ l A n let erre d espionnage au profit de g . Ces propos le mettaient en j oie Comme j e n ’ ai
’ a j mais dépensé moins d un million par an ,
’ a - il l A n lete rre dis it , si g pouvait payer ses
x— le v agents ce pri là , métier de iendrait très honorable . Paul Daru et le prince Alexi s G alit z in lui
’ ’ affi rm è ren t qu il n avait p as â se préoccuper
’ C étai n t de ces médisances . e de pures niai series . ff Il accepta leur o re , pour le J ockey , a la condition qu ’ il n ’ aurait aucune demande à adresser On s ’ en gagea a le faire admettre de
droit , comme anci en ambassadeur . C e qui fu t fait . C ’ est alors que le Jockey vit ces parties lé g en d aires où on j ouait le b ezig u e a un louis
’
. a le point Vaincus , les j eunes s ét ient réfugiés au petit cercle , dit le cercle des Moutards .
' On avait fini par désarmer devant le prestige‘
’
d un si grand j oueur . Attirés par le j eu fan t a sti u e u e q q menait le prince , Paul D emi doff
‘ et Basile N ariskin e rivalisèrent avec lui une 1 80 MÉMOIRES
n — ou u n e d ffé r uit , le B ey avait fait , dit , i ence
’ d un million . On s e demandait lequel des
trois princes sauterait .
’ e d En n er C pendant , la pièce de y avait a i achevé sa carri ère la C a te. Pour lui su c c é
’ der , on avait fait choix d une pièce de Dumas père Les M o hi c an s d e Pa r is . Un rôle avait
La Gu im on t ff été promis à Marie . lui o rit de
’ la présenter avant la lec ture à l auteur des
r is M u s u e ta i r es T o o q , qui habitait une villa a — a ré s - Saint Gratien . Par une belle p midi
’ d octobre , les deux amies arrivèrent chez lui . Dumas vint à leur rencontre du fond du
’ j ardin . Marie le vit déboucher d une allé e habillé d ’ un veston de laine blanche et d ’ un pantalon semblable , il avançait puissamment , et , entre ses j ambes écartées , une fillette , v r êtue de laine rouge , che chait à faire de
’ ’ grandes enj ambées . C était l enfant de la
’ u n e Cordoza , chanteuse italienne , l amie du
ext raor moment . Une impression de force din aire venait de ce géant au costume de
t ac he éc arlate it neige , avec la que faisa la _ t e n peti e fille , marchant dans ses j ambes
n songeait au colosse de Rhodes , et aux avi res
1 82 MÉMOIRES
sait gouailleuse au besoin . Il j ouait tous les rôles . Rangés autour de lui , le s artistes
’ ‘ l é c ou t aien t u , subj gués , riant , pleurant , sui vant l e progrès des situations . Pour la plu t par , Dumas était presque inconnu ; depuis
‘ ’ ’ a l E s a n e l I t alie longtemps , il p rcourait p g , ; ’ a ’ il s était arrété longuement Marseille . C était une célébrité sur laquelle les Parisiens
’ n avaient pas eu le loisir de se blaser . Il lisait l ’ admirati on dans tous les yeux fixés sur lui il en j ouissait . S a verve habituelle en devenait
u pl s étincelante . La collation des rôles suivit la lecture ce
’ I au r travail préparatoire se fit sans t eU . A la
’ âl avan t première répétition , Dumas prit place
s ou ffleu r scène , devant le trou du , dans un
’ ’ » u i l ab ri ai guignol q t t de s courants d air . On se mit à la besogne très consciencieusement ; m ai s le hasard d ’ un mot entraînait Dumas aux souvenirs , et alors il contait les aven tures de ses voyages , merveilleux roman
- parlé , plus passionnant peut être que tous les romans écrits . Les artistes oubliaient la pièce
é c ou et le théâtre ; groupés a ses côtés , ils
’ taien t l r bl in c om a a e r u . , debout , p nar ate r FIN L ’ EMPIRE 1 83
La p rem i è re représentation fu t un succès d ’ estime pour un auteur qui comptait tant de ’ e succès d admiration . Dumas adressa la d di
’ cace de sa pièce a Marie . Un soir , l artiste
’
- - — aperçut , dans l avant scène du rez de chaus
du c sée , la duchesse de Morny , avec le ,
D elaha n t e Gustave , Achille Boucher , Roque c ê lu i i — plan dernier vint porter les compl ç ments de toute la loge , ceux de la duchesse m en tête . En ême temps , il lui si gnala une
— ceinture en cuir russe que portait celle ci , et qui se fût délicieusement harmonisée avec
’ s in for sa robe , de même ton . Elle le pria de
’ ’ mer auprès de la duchesse de l e n d roit où elle
’ l avait achetée . A cette question , la grande dame répondit C ’ est pour mademoiselle Colombier que
’ ? efi et vous me demandez cela En , ma ceinture est tout a fait dans le ton de sa robe . Eh bien ,
- — portez la lui . De votre part ? interrogea en riant le
’ spirituel c hon iqu eu r .
De ma part , répliqua la duchesse . Les représenta tions venaient a peine de finir que quelques amies de Marie la t ou rm en 1 84 MÉMOIRES
’ tè ren o u thé t p ur qu elle le r donnât un , suivi
’ e d une sauteri e . Ce qui devait être une parti t presque intime fini par devenir un vrai bal .
La j eune femme , accablée de demandes de
a r toutes parts , se l i ssa déborde . Suzanne Lagier vint un j our la supplier de la laisser
’ gagner mille fran cs . C était la somme pro
Gail mise par les fils du grand industriel , si elle leur obtenait une invitation . Victor
Koning , secrétaire du Châtelet , lors des dé
e t F i a r — Pr o buts de Marie , rédacteur au g o
r a m m e g , trouva drôle de faire un compte rendu fantaisiste de ce bal , citant les noms de
’ ’ quantité d artistes qui n y étaient pas venus , ’ ’ â et qu elle n avait même pas son gé inviter , entre autres Hortense S chneider . Quelques
’ j ours avant , Marie s était trouvée avec celle ci au é a souper Café Anglais , amenée par le g n r l lliff — é a de G a et . S chneider avait elle con cu
’ ’ quelque j alousie de l am abilit é que l officier ’ ? galant avait témoignée a l artiste Ou bien ,
’ ayant reçu la promesse d une i nvitation
’ ’ s était - elle formalisée de l in advertan c e de ? Marie , qui avait omis de la lui adresser En
’ tout cas , lorsqu elle vit son nom parmi ceux
1 86 MÉMOIRES
e C e tte d m oi s e lle était dur . Marie répliqua
’ dans l É e én em en t que mademoiselle S c hn ei
’ der avait répondu avec l aig reu r qui la carac t é ris ait r et dont chacun se ressentait , autou
’ ’ u d elle . (On racontait q elle sentait le petit ’ M . t lait ) D autres ar istes , adeleine Brohan ,
’ l O é ra - u mademoiselle Cico , de p Comiq e , citées également par le fantaisiste c hron i
u e u r . u n q , protestèrent aussi Cela devenait
’ ’ petit j eu . La chroni que s empara de l inci
ui l hOll a . S c dent , q fut la note gai e de saison ff et Albert Wol brodèrent sur ce theme .
Rochefort , dans une pièce du Palais
la F i r a u x Gr tes u es Royal , o e o q , intercala une scène qu i se passait chez la petite Pi ’ ll e on n ier Veu i ot . g , comme l appelait
t ar En raînée p le tourbillon , Marie avait un p eu négligé ses anciens amis . Elle fixa
e un j our pour les réunir à dîner . A cett
a époque , on parlait be ucoup du ménage
D es ba rolles ; elle se promit de faire venir chez elle ces deux gloire s de la chiromancie .
Un soir , comme on était réunis , après dîner ,
b roll s r Ma D e s a e . au salon , les arrivè ent dame D e sb arolles commença par le vicomte FIN L ’ EMPIRE 1 87
G u é ron n 1 e re r u A m de la , sénateu et f tur
’ ba ss a deu r ses révélations n avaient , sans i b e n . doute , rien de saisissant L e mari dans le boudoir , la femme dans la chambre dévoilaient séparément le Passé , le Présent ,
’ l A n ir v e .
a u c ham b re Tout co p , la porte de la
’ e s ouvre tout pâle , tout ému , un homm f ’ assez gros , a fi gure rasée , coif é d une petite calotte noire en sort précipitamment c ’ est
’ u S ainte Beuve . L air de q i étude épieu rienne et de malice sacerdotale qui lui est habituel fait place a une étrange expression
’ ’ in d fi n i bl — c e d angoisse é s sa e . Qu est qui a pu bouleverser ainsi le voluptueux critique ?
’ On l entoure , on le questionne ; il refuse de répondre . Ce que lui a dit madame Des b arolle s est donc si terrible ?
— r Deux mois après , il mourait . Peut êt e la chiromancienne lu i avait - elle fait entrevoir ’ le mystère que dérobent les ténèbres de
’ l an — delà ? Marie avait pri s l ’ habitude d ’ aller souvent
a Ro u e lan le matin rendre visite q p , qui habi
’ t T aitb ou t tai rue , dans une maison d un seul 1 88 MÉMOIRES
’ étage avec des combles , au fond d une à grande cour . Elle se plaisait voi r défiler chez lui les artistes de Pari s , et surtout le
’ corps de b allet de l Op éra Roqu eplan en été avait le directeur , et il était demeuré un critique influent . Toutes venaient solliciter
n sa protection , et parfoi s le superflu , si éces
’
u t . saire , d ne oilette Un matin , Marie trouva la maison tout en j oie les éclats de cette
’ g a îté . s en ten daien t dès les premières marches
’ elle de l escalier se hâta de monter , comp tant faire sa partie dans ce co n cert de rires .
A son coup de sonnette , Hélène , la servante de Nestor , vint ouvrir . Un vrai type que cette soubrette ! On l ’ appelait la servante de Mo
’ liè re ; était — c e parce qu elle avait son franc parler , comme Laforêt , ou parce qu e son mait re m , observateur co me le grand Poque ? lin , mettait à profit ses réparties gauloises
et olie . Elle était forte en gueule , j avec cela
R o u e lan ne Telle Dorine . q p voulait près de lui que des visages agréables .
’ s ex li u a - En arrivant , M arie ne p q pas tout de suite les rires fous qui remplissaient la mai son . Une dizaine de j eunes filles se trou
1 9 0 MÉMOIRES
queue de la poêle , elle , les lançait par la
. lif u r . c a o fenêtre , à toute volée Assises a c h on s u r le large mur qui séparait les deux maisons , à la hauteur du premier étage , des
’ femmes les attrapaient au vol c étaient le s pensionnaires de l’ établissement d ’ à côté Pauvres créatures ! la faillite les avait sur prises sans asile ne sachant où aller , elles
’ ’ étaient restées dans l hôtellerie d amour .
Elles avaient couché par terre , sur des ma h . C t è re telas Mais , dans ce couvent de y , il ’ l n y avait personne pour faire a cuisine .
a s H élène , en parlant avec elles , vait appri
’ leur détre sse et s étai t amusée a j eter de la fenêtre cette manne inattendue aux pauvre s pécheresses affamées En redescendant à l ’ appartement du cri tique , on se rencontra , a la porte , avec une personne adorablement j olie , brune , les cheveux lisses , en ailes de corbeau , le s traits réguliers et purs . N estor la fit entrer distr ibua quelques pièces blanches aux p é
’ s e n fu iren t m tites , qui co me une nichée de pierrots , et entraîna Marie et la visiteuse
’ dans sa bibliothèqu e . Il les présenta l une a FIN L ’ EMPIRE 1 9 1
’ e l autre . La j une femme était une chan tense italienne , Marietta Guerra . S ans faire a t à. a tention Marie , toute la pensée qui
’ l oc c u ait p , elle se répandit en confidences e t e n plaintes . Elle était venue raconter à
N S alam an u a estor sa mésaventure avec q , le grand financier e spagnol . Il ne voulait pas a dmettre que le fils de la chanteuse fût de
’ lui , parce que le petit n avait pas un doigt
’ d e t pied palmé , co mme tous les enfan s qu il avait eus auparavant cette p articularité empruntée aux canards et aux oies était ,
- il R l n . o u e a parait , sa marque de fabrique q p
’ e t Marie ne pouvaient s empêcher de rire en
’ e ntendant le récit d un comique si j oyeux qui , raconté par la Guerra , devenait presque une tragédie .
aît é La chanteuse ne comprenait pas leur g ,
’ e t s in dig n ait de voir Roqu eplan si peu sen sible a ses malheurs le marquis de S ala
’ manqua s était buté , et , malgré sa grande for
il u tune , ne ferait rien po r le petit . Con
’ - N e arran e rai solez vous , lui dit stor ; j g la
’ S al m a an u a . chose avec q J irai le voir , et après , j e passerai chez Elle partit 1 9 2 MÉMOIRES
apaisée , sinon consolée . Plus tard , elle de
M o s elm an n vait devenir madame , ayant trouvé un père pour son fils non palmé .
G aît é Marie recut , de la , un bulletin de lec
E n a n ts d e la L u ve ture pour les f o , drame de Théo dore Barrière et Victor S éj our .
a Jan e S hore lui fut distribuée . Elle avait p pris a ne plus mépriser les rôles épisodiques
’ - celui ci ne tenait qu un acte , mais il y était en bonne place . Barrière avait fait une ado rable scène entre la favorite et son royal amant . Henri VIII , comme cet empereur romain qui disait , en caressant la blonde che
m i r s e velure de sa a t es . Charmante tête que j e ferai tomber qu an d il me plaira ! mêlait de
’ s e s r0 o s s anglantes menaces à p p d amour , et J ane Shore avait , pour lui répondre ,
’ un geste d in s ou c ian c e coquette admirable ment trouvé elle lui lançait au visage la
’ ’ d é re n r grappe de raisin qu elle venait g e . Symbole charmant de la divine frivolité de la femme , qui j ouait entre les griffes du monstre . Cette scène se détachait en clarté sur le
’ e fond sombre du drame . Ce fut pour l artist
1 9 4 MÉMOIRES d raient tous le c o c u fi er la fortune de Mari e serait faite .
’ ’ L a j eune femme passait souvent l en tr ac t e
’ o a m au f yer . N ayant pas changer de costu e ,
’ ’ s é it ait : elle v l ennui de monter Un soir , elle
’ ’ se plaignait d u n vol dont elle venait d être
e d u victime de s dentelles , des fourrur s , di L a linge avai ent s paru . a femme de chambre son service avait l ’ air d ’ une brave fille elle
’ se défendait , d ailleurs , comme un diable .
’ Mari e était très perplexe ; elle l avait cepen dant renvoyé e mais comment retrouver son voleur ?
Tout a coup , un petit homme qui s e tenait
u n i dans coin , causant avec Ho stein , le d rec teur,dit a l ’ artiste
Voulez - vous que j e vous fasse rendre vos aff aires ?
’ J e c rois bien que j e le veux !
’ - Donnez moi le nom , l adresse de votre
’ do mestique , puisqu elle a une chambre en ville .
et Troi s j ours après , on rapportait Mari e
é té de s tout ce qui lui avait pri s , et même ’ ’ a choses qu elle ne s attendait pas retrouver , FIN L ’ EMPIRE 1 9 5
les ayant oubliées depuis longtemps . Le soir au foyer des artistes , elle apercevait le per s on n ag e mystérieux qui avait opéré cette res titu tio n in e s péré e ; H ostein le lui présenta
’
u . c était Claude , le fame x chef de la Sûreté
rac on t a â Il Marie que la perquisition , faite chez son ancienne domestiqu e , avait amen é
’ la découverte d une bande de malfaiteurs . S a chambre était rempli e d ’ obj ets volés on
’ f a r l u s avait eu af aire une ec é e e . Vous l avez
- il échappé belle , conclut .
’ Le père Claude , comme on l appelait , revint au foyer les au tres soirs il contait a la j eune femme l ’ histoire des criminels fameux qu ’ on avait découverts et de ceux qui étaient restés à impunis . Elle en arrivait être si effrayée
’ ’ qu elle n o s ait pl u s re ster seule rentrée chez elle , elle se verrouillait , regardait sous le lit , sous les meubles .
T r i s m m es r ts Les o Ho fo . eurent encore moins de succès que les E n fa n ts d e la Lo u ve . Elle revint a la G aît é pour j ouer J ea n la
’ P t a a D u s a . o e , une pièce d ptée de l nglais maine y fut superbe , et Antonine , qui faisait sa rentrée à Paris qu ’ elle avait quitté pour 1 9 6 MÉMOIRES
a Bruxelles plusieurs années aupar vant , s e
’ d in én u ité montra charmante g , de grâce , de j eunesse . Ce fut un grand succès pour la
pièce , les artistes et les décors . Dumaine a avait un effet de scène tout fait saisi ssant ,
le s lorsque , sous traits de J ean la Poste , il escaladait u n e tour qui descendait dans le
’ s a l illu troisième des ous , de façon prêter a i sion . Ce truc ava t été trè s apprécié du public
’ l ac rob atie anglais , qui ne dédai gne point au
’ ’ m a n d u n eu n t hé âtre . Lorsqu on j oue le Ro j e
m m a u vr M am m a Ho e p e en Angleterre , de
’ ’ Champcey d H au t erive saute d une véritable
tour sur un matelas di sposé dans la coulisse .
’ ’ Très malade d u n refroidissement qu elle i ’ avait pris aux répétitions , Mari e suppl a qu on
fit u ne la pas j ouer . L a direction et les aute rs
’ ’ lui demandèrent d aller j u s qu ap rè s la pre
’ u e mière , estimant q son nom sur l affiche
pouvait être un atout dans leurj eu elle céda , a ’ mais la quinzaine , n en pouvant plus , elle
demanda un congé . Elle suivit les conseils des médecins qui ordonnaient le changement
’ d air : elle avait les bronches très prise s et crachait l e sang ; elle partit pour la Suisse où
1 9 8 MÉMOIRES
de rem i è re la clef la p au comte Fernandina ,
’ a t rè s olie m ri d une j femme , supérieurement à élégante , qui menait la vie grandes guides et a dépensait roy lement la fortune conjugale .
' L e com te venait tout a fait incognito chez
Marie il entrait directement , sonnait ; la femme de chambre annonçait sa visite par un
'
. Un ou r si gne convenu j , la j eune femme se trouvait avec la sœur de celle qu ’ elle appelait sa meille u re amie on vint la prévenir que le
’ là l in di r i comte étai t . Ne craignant pas s c ét on de celle qu ’ elle regardait comme une enfant à elle la présenta . Tous trois étaient causer , lorsque la femme de chambre revint pour an
’ n on c e r u n e visite cet a m i avait assez d im
’ portance po u r que M ari e allât elle - même l ê
’ i r ét an v n c e . S t donc excusée près de lui , elle reparut au b ou t de cinq minutes ; la s œu r de sa
r ira A meilleure amie se et . la suite de cette visite , Marie ne revit plus le comte Fer nandina . ’ l i Elle ne s exp iqu a t pas son absence . Un
s es n soir , un Havanais de amis, ommé Mi
’ ’ a a guel , l ayant priée un souper qu il donn it
’ le au café Anglais , elle s y rendit après FIN L ’ EMPIRE 1 9 9 théâtre ; elle y rencontra deux sœurs de la
’ ’ u m u comtesse de Fernandina , l ne ariée , l a tre cherchant un mari . Elles connaissaient les
’ visites de leur beau - frère a l artiste ; elles étaient venues la voir j ouer et avaient vou lu soupe r avec elle . L e comte refusant de les accompagner , elles avaient prié Miguel de â leur faire ce plaisir . Elles racontèrent Marie que depuis quelque temps leur beau - frère
ie allait chez la sœur de sa m ei lleu r e a m . l Vo i à donc pourquoi elle ne le voyait pl u s .
’ Ainsi , celle qu elle traitait en enfant , une
u s fillette de q inze ans a peine , avait pri ren
- dOn n é dez vous en cinq minutes , son adresse Même pour quelqu ’ un qui n ’ eut pas été familiarisé comme Mari e avec le ré
’ ert oire d A rn ol he p , la réflexion p venait aux
’ ’ lèvres : Il n y a plus d enfants ! Parmi les deux dames qui avai ent renseigné
Gibac o y a Marie , une au moins , la comtesse ,
d e mérite un peu biographie . Fantaisiste jus
’ ’ u à l e xtrava an c e d q g , elle épensait sans comp
u n a ter une immense fortune , léguée par m ri
’ mort depuis quelq u es ann ées . C était une ado
’ ra tric e de C apo u l : to u tes les fois qu il chan 200 MÉMOIRE S
’ tait , elle allait l entendre dans une avant
’ l - scène a Opé ra Comique . Elle lui avait pro
— posé plusieurs rendez vous a la fin , le chan teur accepta de se rencontrer avec elle . Ren contre toute platoni que , hélas au grand
u désespoir de la dame , qui fut tro vée laide ;
u n e a elle avait dentition tout fait fâcheuse . C ap ou l n e vo u lant plus se déranger pour u n e personne si médiocrement suggestive , elle
u e tro va moy n de pénétrer dans sa loge , et lui offrit en souvenir une bague ornée d ’ un diamant qui valait bien cinquante mille
fu t u francs . Elle très surprise du ref s de
’ : e l artiste il commença par rir , et finit par
c ort si n é e se fâcher . La dame fut dès lors g chez le concierge du théâtre .
u n e Un matin , M ari e recut missive qui la
’ convoqu ait chez le j uge d instru ction . Très
’ intriguée , elle s y rendit . On lui communiqua une let tre qui lui était adressée de S aint Lazare par u n e femme du nom de Marie
’ R u l o e an . Gautier , qu elle avait vue chez q p
’ ’ C était u n e ancienne danseuse de l Opé ra encore agréable elle se repo s ait de ses ser vices actifs en s occupant du recrutement de
202 MÉMOIRES
d f u s tiroirs du é u t . Dan un de ces tiroirs plus secret que les autres , elle découvrit des
’ lettres qui l édifi è ren t sur la fidéli té du duc
’ ses plus intimes , ses plus chères amies , l a v aien t é trahie toutes de plus , ne se cont n
’ tant pas de ses relations ordinaires , il s était
en t rem ett eu Se adressé aux pour telle actrice ,
’ telle marchande de sourires qui l avait séduit .
’ s ac c ru t Le désespoir de la duchesse , en voyant combien sa confiance avait été ridi
’ cule ; elle fut se plaindre a l impératrice
’ Alors , sous le prétexte qu elles détournaient des mineurs , on fit une rafle générale de toutes les proxénètes ; on instru isit leur pro
’ c è s , qui est demeuré j usqu à présent dans la mémoire des gens de la basoche . Les témoins cités en audience pu bliqù e furent pris parmi
c ou rti les plus belles artistes de Paris , les
u sanes les pl s haut cotées . La Gautier avait été incarcérée l ’ une de s
’ premières . S e souvenant d avoir rencontré
Ro u e lan Marie chez q p , elle lui avait écrit
’ s adre s pour réclamer sa protection . Elle ne sait point a ses amis elle connaissait trop
’ l in g ratitu de des hommes pour le genre de FIN L ’ EMPIRE 203
’ services qu elle faisait profession de leu r rendre . ’ ’ ff Marie raconta ce qu elle savait , et l a aire
e n . r resta la Peu de temps après , la Gautie , délivrée allait exercer ses talents en Angle terre . L ’ existence devenait de plus en plus diffi c f ile pour la j eune emme . Les visites discrète s d u comte lui permettaient de régler les dé penses de sa maison ; m ais elle avait fait
dés e s beaucoup de dettes , et la crainte de
’ ’ p érer Charles l em pê c hait d accepter les
’ d a dm ira eu rs n s offres t trop e vahi sants .
Ne sachant que faire , après une scène vio lente où son ami l ’ avait menacée de se tuer e t r é s o de la tuer , elle partit en voyage . Elle
’ lut d aller à Bade . L e souvenir du mois
’ qu elle y avait passé lui en donnait le très
a g r nd désir .
a S t e han ien - Elle descendit p Bade , où lo
e aien t B arru c c i L et e s s ier g et Caroline , avec
u i l q e le était liée de sympathie . Le vent de
’ folie s était apaisé ; on sentait même une e s
è c e p de gêne , qui empêchait de se livrer aux
’
. w fantaisies d antan La Prusse , après Sado a , 204 MÉMOIRE S
’ de s inaugurait l ère de la pruderie , et , signe
A u temps nouveaux , la fenêtre de la reine gusta , par où naguère toutes les j acasserie s d ’ un monde bruyant et frivole arrivaient jus
’ u à q la souveraine , restait maussadement fer ’ d m e . e e A la Conversation , dans l avenue
Lichtenthal , Mari e rencontrait constamment u n monsieur qui la regardait avec obstina tion il avait grande allure et tranchait sur le public bourgeois ou rasta qui était en ce mo ment et Bade . Il profitait de toutes les occa
’ sions pour se rapprocher d elle : un instinct avertissait la j eune femme qu ’ elle ne lui dé
plai sait pas .
’ B arru c c i Un j our qu elle était au j eu avec , il vint parler a cette dernière et lui demanda de le présenter c ’ était le duc de Fernan N ’ unez , grand seigneur italien qui s était riche
’ ment mari é en E spagne avec l héritière de c e
grand nom . Il avait renoncé à sa nationalité
Pie e et a son titre de prince de , pour prendr
' m t au n om celui de Duc , attaché par un aj ora
’ de celle qu il avait épousée .
En E spagne , le ventre anoblit .
a Plus tard , le duc devait devenir Ambass
206 MÉMOIRES
n is on la de Bade , prolongeait son sej our , a â grande j oie de Marie . Tout coup , un billet annonça a la belle Giulia que les salons de la
Conversation lui étaient interdits . L a famille puritaine du j eune homme avait porté plainte d rr c i e . B a u c là , cette sévère mesure se résolut a n a et e e a . partir , g g Marie a partir avec elle
Le duc , forcé de rester encore quelques j ours a Bade , viendrait à Pari s dans une quin zaine sur cette assurance , elles prirent le train . A ’ l arrivée , les femmes de chambre se chargèrent des b agages Marie et la B arru c c i allaient en avant avec leurs petits sacs . Bar rucci mit la j eune femme chez elle , rue
Lafayette . La concierge , qui était sur sa
’ l ac cu eillit porte , avec de grands gestes elle se précipita vers elle Pendant l ’ absence
u de madame , il est venu bea coup de papi er
’ ’ timbré . Madame n avait pas donné d adress e
’ ’ ’ elle n avait pas laissé d ordres , j e n ai pas pu la prévenir l ’ huissier est venu avec un com m is s aire pour faire la saisie , et depuis huit
’ j ours tout est vendu . J ai pu seulement sau ver quelques obj ets qui avaient été oubliés FIN L ’ EMPIRE 207 dans le procès - verbal j e les ais mis de côté lors du r é colement . Marie était atterrée ! Que faire ? Aller à l ’ hôtel
’ B arru c c i Viens chez moi , lui dit j ai
’ in dé en une chambre d amis , tout a fait p dante , tu y resteras j usqu a ce que tu aies pris un parti .
f s e Elle accepta cette o fre , et toutes deux
— É dirigèrent vers les Champs lysées , où Bar rucci habitait .
e r A caus e de la saison d et , le mobilie avait été très mal vendu . L e propriétaire avait prélevé d ’ abord les loyers échus et les années du bail à é c hmr ; le restant fut m is
I ls a la caisse des dépôts et consignations .
n l t ava c é s e s . étaient bien , créanciers Ils avaien fait vendre un mobilier d ’ un grand prix sans profit pour eux .
B arru c c i — ex é , qui en parlait peut être par p rien c e , disait a Marie que , bien sûr , elle ne
é o n devait pas compter sur le duc . Il serait t
’ ’ nant qu il s attardât pour la première foi s dans
’ m s une aventure d a our . Malgré ces affirmation la eu n e j femme avait confiance , et attendait . 208 MÉMOIRES
Au bout de quelques semaines , elle apprit le retour du duc elle lui écrivit de venir la
. ra retrouver chez Giulia Il vint , et elle lui conta la désagréable surprise du retour .
On indiqua à. Marie un tapissier boulevard
H en r u i Beaumarchais , nommé y , q consentirait a louer en son nom un appartement rue
— Auber ; il le lui sous louerait en meublé .
’
Elle donnait dix mille francs d avance , le
’ reste payable par mois . L appartement arrété ,
’ meublé , elle s y installa . Elle venait de payer ,
a a par nticipation , toutes les mensu lités de sa
t - il dette au apissier qui , très gêné , di sait , ’ a i s était engagé un créd t trop lourd . A cause
’ de la situation spéciale , il n avait pu lui don
a ner de reçu , mais il lui avait décl ré de vive
’ ’ voix qu il n avait plus r ien a prétendre et
’ qu il était tout a fait payé . Un ami influent d se trouvait alors dans le salon , ont la porte
était ouverte il entendit leur conversation .
L e lendemain , le tapissier envoyait à Marie ,
’ a r à p huissier , la sommation d avoir vider les lieux dans les quarante - huit heures elle porta plainte .
’ ’ L ami alla trouver le j uge d instruction , et
2 1 0 MÉMOIRES
’ d amis espagnol s qui lui faisaient cortège. fi Les absences réitérées , la débâcle nale , le séj our de la j eu ne femme chez la B arru c c i
à la avaient mis un terme liaison avec Charles .
’ Il avait écrit à Marie pour lui offrir de l ép ou
’ ser , a condition qu elle quittât le théâtre , et se contentât de la pension qu e lu i faisait son
’ père , et de ce qu il gagnait . S i une proposi tion semblable lui avait été adressée au
’ l eût e début de leur intimité , elle accueilli
e comme une bénédiction du ciel . Mais ell n ’ avait aucune indulgence pour le tard if amour de Charles elle ne pouvait oublier la
’ pitié dédaigneuse qui l avait attaché a elle ,
’ alors qu il refusait a la m aitres s e sage et fidèle la passion qui lui venait mainten an t m pour la femme ad irée et courtisée .
de Elle refusa donc , en son insouciance la vie .
M an vo Athalie y , retour de Russie , j ouait
Laferriè re la Dubarry , et , touj ours j eune à
’ soixante ans passés , faisait l amoureux de
Marie . Il y avait encore un personnage qui
’ mérite une mention spéciale c est le n ég ril Z lon qui représentait amore . FIN L ’ EMPIRE 2 1 1
Un ami de N unez s e tait avisé de faire cadeau à Marie d ’ un petit nègre c etait bien
’ l être le plus paresseux , le plus gourmand de
’ la terre . On n en pouvait rien tirer si on
’ ’ l en vo ait l ou bliait y faire une commission , il
’ s att ardait a régulièrement , j ouer aux bille s avec les petits polissons de la rue , perdait
’ les lettres qu on lui donnait à. porter . Il semblait impossible d ’ utiliser ce servi
’ teur d ébè n e ; mais il arriva que Marc Fou r
le direc teu r - - nier , de la Porte S aint Martin , eut besoin d ’ un j eune noir pour le rôle de Z ’ amore il ne s en trouvait pas .
’ Mari e eut l idée de lui proposer son nègre ;
u n ce fut trait de lumière , il semblait que le gaillard eût enfin trouvé sa vocation . On le
n a fit répéter . Adroit comme un si ge , il fais it
’ lu i tout ce qu on indiquait , il parlait nègre au naturel et il était heure u x comme tout à de son nouvel emploi . Il disait Marie très
m aitres s e drôlement Toi plus , toi cama
a lu i rade moi . Et les artistes de rire , de donner des sous pour s ’ acheter des bonbons ’ l ou u m en t . et des gâteaux , qu il dévorait g
a Le j our de la répétition générale , qu nd 2 1 2 MÉMOIRES il se vit habiller de soie et de velou rs aux
’ couleurs éclatantes avec des galons d or , aussi somptueux que les négrillons qui por tent la traîne des princesses dans les tableaux
é n . de V ro èse , il ne se possédait plus On eut toutes les peines du monde a lu i faire com
’ prendre que ces habits - là n étaient que pour
’
v t . le théâtre , et qu il ne pou ai sortir avec Mon sieur Zamore (le nom lui était resté) était un heureux drôle . Il avait cinq francs de cachet , ce qui lui faisait cent cinquante francs
de par mois , et tous côtés , il recevait des
sous , des pièces blanches . Il employait tout son gain a faire la fête
’ les figurants l en t rain aien t chez le marchand
fi u ran t es de vin , et le grisaient ; les g lui pre e naient son argent . Bi n que sa taille fût peu
développée pour ses quatorz e ans , il était
‘ ré u très p coce comme to s ceux de sa race , et il faisait déj à un joli débau ché .
on P endant les j ours qui suivaient la paie , ne le voyait plus monsieur découchait
’ n Qua d il n avait plus le sou , il revenait au
’ la logis , se coucher sur banquette de l anti
chambre . L e domestique ne voulait pas le
2 1 4 MÉMOIRES
’ lasorti e de la Maison - d o r par un froid piqu an t
’ et sec , qui semblait d autant plus agréable au
’ sortir d une atmosphère surchauffée . On des
’ c en dit les boulevards . C étai t un samedi ; il
’ l ra s y avait bal à Op é . D es masques attardés e silhouettaient bizarrement dans la nuit claire , I l frissonnant sous leur défroque de bal . s accueillaient la bande avec des lazzis on leur répondait en riant et en s e tenant par la
’ s am u s ait main pour se soutenir . On aux glis
e sades sur le bitume . Rue Royale , la band conservait encore a peu près son équilibre , m ais le a s froid augmentait , le vent donnait s n m obstacle dans cette percée im ense , les vo i tures ne circulaient plus . On entra chez
I m oda o u n Ser , le glacier ; n prit paquet de viett e s , et on se les mit autour des chaus sures . Pui s les soupeurs se remirent en
s e marche . Mais on ne pouvait presque plus
Al h n s m ar tenir debout . p o e de Aldam a et le
’ d A hu m a da — îles quis , le futur vice roi des
’ s en v elo è ren t Canari es , pp les mains de mou choirs et se mirent à quatre pattes tous l es
suivirent . On eût dit une bande d ours . Il s
remontèrent les Ch amps - Elysées en poussant FIN L ’ EMPIRE 2 1 5 d e s grognements qu I IS tâchaient de rendre féroces . Une lune éclatante prolongeait sur le sol les ombres de ces formes étranges ; le ciel , radieux dans sa pureté froide , scintillait au
’ d essus de l immense avenue ; le givre endia
’ m an t ait les arbres cuirassés d argent , et les flammes des réverbères mettaient dans ce décor de pâleurs et de blancheurs l eur trem
! elle blement rouge . Quelle nuit fut terrible
c lodoc h es p our les et les pi errettes plusieurs , descendus de la Butte , ne purent y remonter ,
’ e t furent trouvés morts de froid , sous l abri d es portes , dans leur toilette de carnaval .
Un soir que le duc avait reconduit Mari e
- J e suis un peu souffrant , lui dit il ; demain soir , j e ne sortirai pas , si vous le permettez .
’ ‘ Elle s in u iét ait la ra s su ra q , il Il ne faut
’ qu un peu de repos . J e me suis surmené de L . e puis quelque temps Ils se quitt èrent .
a lendemain , après le spectacle , M rie rentra c hez elle , espérant un mot qui lui donnerait
’ - N a an t ri rendez vous pour le j our suivant . y en 2 1 6 MÉMOIRES
’ â la reç u , elle alla comme d habitude Maison
’ r L s d O . e amis du duc étaient la ; personn e
’ Vu ne l avait de la j ournée ni de la soirée .
Distraitement , elle souleva le ri deau de la fenêtre et regarda en face , au Café Anglais , un cabinet était tout illuminé . Elle sonna e t
’ demanda une lorgnette il lu i semblait qu une Ell des silhouettes lui était connue . e fit part
’ d A hu m ada de ses soupçons au marquis , qui , a sans même avoir regardé , répondit la hâte
’ ! d u Oh ce n est pas monsieur le c .
’ e C st lui , mais j e le saurai e ncore mieux .
e Elle descendit vivement , prit une voitur qu ’ elle fit stationner à l ’ ancien Opéra
Comique , face au Café Anglais . Au bout
’ d une heure , le duc sortit , fit monter une
’ ’ A n femme , qu elle reconnut c était une I l glaise , la Windham . monta en voiture après
- n elle ; Marie les suivit . Rue S aint Florenti ,
Le du elle les vit descendre . lendemain , le c ll ’ vint chez e e a l heure ordinaire . S a colère et
’ sa j alousie s étaient apaisée s , mais son amour propre était au vif . L es amis du duc con
’ naissai ent le rendez - vous ; ils s étaient payé sa tête (comme on ne disait pas encore) .
2 1 8 MÉMOIRES ri en donné prenez ceci et ré concilions — nous tout de suite . Le to u t d e s u i te souligné inconsciemment froissa terriblement Mari e . Le duc était telle
’ ’ ment sûr que l argent arrangeait tout , qu il prit en toute confiance le chemin de sa
o s d chambre , en lui tendant touj urs la lias e e billets ; elle les saisit pour les lui j ete r au visage .
’ r - e C est fini , bien fini , c ia t lle , et ce n ’ est pas votre argent qui me ramènera a vous . Il s ’ en alla en déclarant qu ’ elle était tout a fait folle . ’ é Quelques j ours après , elle sut qu il tait
’ p arti pour Madri d et qu elle avait refusé cent mille francs . C H APITRE VI I I
’ D ÉCEPTION D A R T I ST E
’ ’ r s in s d Ai tr L ett e édite m ée Des c lée . L et es d u n e tra di n n n i n K gé e e au e c om éd e n e . erm es se c hez Ars è n e H u s e a u t a P ri is s a c â e u de a s . o y , h
Après le dé part du duc et la rupture irré m édiable â , un regret vint Marie en se voyant aux prises avec les difficultés de la vie . Elle s e repentit de son orgueil il lui avait fait refuser une somme qui n etait ri en pour le du c s on , étant donnée immense fortune , mai s a ’ ff qui aurait liqui dé son passé elle , en l a ran c his s an t a du papier timbré , qui se mettait d lu s . e pleuvoir de p belle Lasse , elle accepta d evancer son engagement de Bruxelles elle partirait en représentations avec Favart et
D elaunay puis , pour la sai son qui suivrait , 220 MÉMOIRES
t t elle remplacerai Desclée , qui re ournait en
’ Italie , refusant absolument l engagement offe rt a P a ri s par Alexandre Dumas ,au nom
d y de Monti gny , irecteur du G mnase . Elle gardait encore la ran c œu r des insue c è s qui avaient s ign alé son passage au v nase , où , doublant et imitant Rose Chéri , elle ’ i n en avait m s en relief que les défauts . (Alors
’ elle e t cherchait sa voie , n avait pas encore dé gagé son originalité arti stique des incerti
u n . tudes du début . ) Elle signa engagement à
Là fu t Marseille . elle victime de la plus o dieuse des cabales . S ans avoir été entendue l’ elle fut hu ée , sifflée . Elle tenait emploi d ’ une com édienne qui n ’ avait pas été reen
c o u rc hi c gagée , et qui avait pour amant un p
’ de l endroit ; il ameuta contre la débutante ,
m aitre s s e qui prenait la place de sa , toute s les loges des cercles ami s . L e bon public ,
u sans savoir , uniquement po r rire un brin , L . a au vré suivit le mouvement p D esclée ,
ff à . a olée , dut céder la tempête Ce fut pour
’ u n elle soir d angoisse inexprimable . Ainsi ff donc , malgré tous ses e orts et la sincérité de
’ a lu i ses aspir tions vers l art , on ne permettait
2 22 MÉMOIRES
’
é . petite , j e suis un peu décourag e N oubliez pas la pauvre exilée qui vous envoi e toutes
s es tendresses . A E IM E .
M a d a m e la r in es s D o l o r o u s hi a p c e g ,
— - L i e r è l i C u r s s u r r s B s . o o , p o
A la suite de cette catastrophe , D esclée
a é . vait résili Elle quitta la France , et partit
’ l I t ali e M e n adier pour ave c la troupe de y ,
- - b eau frère de Régnier du Théâtre Français .
La commencèrent ses triomphes . La troupe
parcourut la Péninsule , j ouant deux moi s
’ en thou dan s les principales villes . On s
’ s iasm a pour l artiste ; elle faisait recette ,
’ ’ c était elle qu on venait ent endre . L e succès
lui donna la confiance . Elle osa j ouer comme
elle sentait , vivre ses personnages , abdiquer
la convention , et chercher le réalisme de la
’
vie . Pendant plusieurs années elle fut l idole l ’ I li de t a e .
Dans une nouvelle lettre , elle raconte
à Let es s ier ses succès Carolin e , qui avait été la c on fi den t e de sa cruelle décepti on a
Marseille . ’ FIN L EMPIR E 223
Na ple s .
A C a r li n Le tes s i e r o e .
- Ma gentille amie , pardonnez moi ; en e ffet , j e vous ai négligée de fait ; mais ma pensée et mon cœur étaient pleins de vous ,
— l - ra c royez e bien . Permettez moi de vous conter mes succè s ; ils m e rendent véritable ment fort j oyeuse .
’ ’ J ai débuté dans le D em i — M o n d e ; j e l ai
’ j oué cinq fois , et chaque fois , j ai été rap pelée presque a chaque acte et fort applaudie
J ad e sui s tout a fait ept é e . J e continue par
’ i an d e L s D e y , qui , j e l espère , sera égale ment bien acceptée . Nous avons ici comme e u u France un froid de lo p , et , en plus , au c u n moyen de chauffage ; e t malgré tout le bonheur que j ’ aurais a vous avoir près de
as moi , ne voulant p vous faire faire une à chose contraire votre santé , j e vous engage
à attendre quelque temps .
Les chambres sont mal fermées , le vent
’ ’ e éc ri entre partout , et j ai l ongl e en vous vant . Les N apolitains disent qu ’ ils n ’ ont pas 224 MÉMOIRES
u vu chose pareille , depuis q inz e ans . Madame
n Juliette Beau est i ci ; si vous la con aissez , cela vous ferait une société car pour moi j e
’ ! d in st afit s ne pourrai s , hélas rester que peu près de vous ; j e passe ma vie au théâtre . Vous connaissez cela depuis dix heures du
’ matin jusqu à minuit , tous les j ours . J e prends mes repas chez madame M eyna dier , avec son mari et Fournier du Conser v at oire , qui se trouve j ouer ici les amoureux .
N u r ous parlons très souvent de vo s . J e leu ai dit que vous avi ez des diamants a remu er a la pelle , des propriétés en Touraine , de s chevaux de fr . au moins , douze ser vit eu rs ; en fi n j e les laisse la bouche béante
Ma chère Caro , j e vous recommande bien la pauvre Dado ; elle a â p eu p rè s la mêm e
' u l nature que moi . No s p er1 Tn ic ho n s facile
u ment , no s avons besoin de beaucoup de v distraction s quand ous avez occasion ,
’ emmenez - la pour qu elle profite de vos plai
’ u n e s sirs . C est excellente femme qui ne vou fera j amais au cun mal . Elle m ’ a écrit que vous aviez été très
’ charmante pour elle c est pourquoi j e vou s
226 MÉMOIR E S p ar le public habituel des galeries S aint
’ Hubert , mais on vint de Paris po ur l ap plau dir on ne pouvait croire a une s emblable transformation .
’ l hér m e Alexandre Dumas , voyant en elle o ff a rêvée , lui o rit de la faire j ouer Paris .
’ L e souvenir du passé , la crainte d avoi r à l a lutter encore contre des partis pri s , enfin
’ ’ nostalgie du soleil l em pê c hè ren t d accept er
’ ff l I t ali e c ette o re elle se remit en route pour . L ’ absence avait eu raison du malente ndu elle accepta la main que lui tendait son vieux camarade , et reprit sa place dans la troupe
di r M eyn a e . M arie arriva donc a Bruxelles au moment Où les deux grands artistes de la Comédie Française avaient commencé la série de leurs représentations . Elle allait le s entendre , les
’ le S u li d u n e F em m les admirer dans p p ce e ,
F a u x M én a ges . Ils étaient superbes dans
r A d r i en n e Lec o u vr eu . Elle eut la grande fortune de leur donner la répliqu e dans la
’ r i n s s d e B u i ll n u P ce e o o , qu elle devait j o er â ’ plus tard en Amérique , côté de celle qu elle c M a d em o i royait sa meilleure amie , et dans FIN L ’ EMPIRE 227 s e lle d e B lle — I s l e e , où elle remplissait le rôle
’ de la marquise de Prie . Puis ce fut l ado rable comédi e de Musset On n e ba d i n e p a s
’ a l A r u vec m o u . Quel exquis duo que cel i de
Favart D elaunay et de , merveilleusement
’ costumée , délici euse d élégance et de grâce pudique e t ingénue ' e t quelle oppo sition
’ à la scène tragique d A d r i en n e Lec o u vr eu r !
Patronnée en qu elqu e _ s ort e par ces deux grands artistes , Marie débuta heureusement , et le p u blic lui fut favorable ! Pour attendre n la saiso hivernale , elle résolut de retourner à Bade , qui était décidément sa prédilection Elle devait y retro u ver sa m ei lleu r e a m i e engagée pour j ouer le Pa s s a n t avec Made d leine Brohan , ans le rôle crée par Agar D u p res s oir avait succédé dans la direction a
B n z é a et . , qui venait de mourir
’ u u C était touj o rs le même p bli c , mai s de plus en plus assagi il régnait un air de puritanisme a peine atté nué par la g aîté
française .
Il y avait entre autres assidus du théâtre ,
’ les princes français de la maison d Orléan s 228 M ÉMOIRES
’ d A u m ale t le duc , le duc de Char res , le prince de J oinville .
u La touj ours s perbe Madeleine Brohan , qui j ouait surtout pour un spectateur dissi m u lé dans une avant — scène du rez - de
a chaussée , élev it la voix , sans souci des
’ e rdit nuances , pour qu il ne p rien des vers de C eppé e .
La meilleure amie de Marie , pressée de
a u rentrer Pari s , lui laissait , pour le directe r , ce mot dont elle devait lui envoyer la ré p on s e
- Ba en Ba en c e 24 a û 1 869 . d d , o t
D u re s s o ir Mon cher petit p , Vous seriez mille foi s aimable de remettre
M a in à. ari e Colombi er le montant de mes pp o
’ t em en t s u , afin qu elle p isse me les envoyer a de suite Paris . J e vous serre bien affectueusement la
- main , et regrette de ne pouvoir vous dire
a bonj our av nt mon départ . Votre vieille jeune amie
23 0 MÉMOIRES Mon fils est revenu hier matin de voyage
’ il est magnifiquement beau ; tu verras ! J ai reçu une let tre de lettre charmante
’ mais pas chargé e . Il n y a pas un chat ici ; rien que des monstres , et encore des monstre s i ’ pas dorés . Tu vo s d ici voltiger autour de la frêle demoiselle S arah ces gros papillons de plomb .
’ C e m e st vraiment pas la peine ; au moins
’ qu en attrapant des papillons il . nous reste u n
’ peu d or aux doigts .
Suis — j e assez
’ Mille baisers de ton amie qui t aime et
’ t embrasse bien .
E ntre la lettre de la tragédienne et celle de la comédienne D esclée , le contraste est frappant . Le s deux grande s artistes écrivent
a a également a deux femmes , deux mi es , avec
’ — tout le laisser aller de l intimité . Mais , autant
' ’ le s tyle de D eSc lé e est d une b analité dé s es
é ran t e p , autant c elui de la tragédienne montre de verve primesautière , de pittoresque natu
’ rel . C est que , chez cette dernière , la fan ’ F I N L EMPIRE 23 1
’ ai i f t s e abondait sans e fort , tandis qu il fallait
’ u n é c ertain e excitation cérébrale pour qu elle se manifestât chez D esclée avec le charme
e r e n n incomparable des L tt s à F a fa . Les j ours passaient presque monotones lorsque Mari e reçut une dépêche de sa meil leure ami e un i ncendie avait tout détruit
’ chez elle , et pour comble de malchance , l as ’ té é . surance n avait pas renouvelée Aussitôt ,
’ la j eune femme prit le train . Elle n était pas
’ v riche , mais le peu de bij oux qu elle a ait était
â la - disposition de son amie , comme celle ci eût
D u été a la sienne . moins elle le pensait .
’ D u u e s n el l Odé on q , directeur de , a qui cette
’ ’ amie devait sa situation d artiste , et qui l avait touj ours conseillée et guidée , organisa a son bénéfice une splendide représentation a l ’ O d eon ce fut un premier dédommageme n t de
t u . la per e s bie Mari e , pour sa part , plaça , e ntre autres , trois lo ges a un Péruvien que
’ l on disait insolemment riche , et qui était venu se fixer a Paris avec sa famille . C e s
f f r lo ges de a c e u re n t payée s troi s mille f ancs .
A la représentation , la curi osité se portait surtou t vers ce s trois loges occupées par un e 232 MÉMOIRES nichée de huit j eunes filles de dix à dix - huit ans , aux grands yeux de gazelle , au teint mat , légèrement doré , aux cheveux aile de. cor
’ beau . On se montrait , dans le fond d une des
’ u loges , l heure x père , le Péruvien au teint de
’
t . cuivre , le fron traversé d une balafre Il ado rait sa nichée , et la curiosité admirative
’ qu elle inspirait lui était une grande j oie . S ommée par son directeur de tenir son engagement , Mari e partit pour Bruxelles .
’ ’ L hôtel Mengel , rue Royale , qu elle avait habité lors de ses précédents voyages , était trop loin du théâtre . Elle loua le premier étage d ’ une mai son en face de s Galeries
— Saint Hubert . La troupe eût été trouvée excellente a ll Paris ; e e était supérieure pou r Bruxelles .
y B ois s elot Il avait , qui depuis triompha au C Gymnase et au Vaudeville ; alvin , qui a fait les beaux soirs du Palai s - Royal ; Emili e
B roiz at — A n élin a , de la Comédie Française ; g
Th eis e a G aîté , qui avait doublé Mari e la
m L am ale ra . ademoiselle y , madame Borelli Cette dernière fut victime d ’ une ficelle
’ qu emplo ien t les directeurs de province et de
23 4 MÉMOIRES
’ aux frais d un nouveau déplacement . Tous les engagements sont conclus , et il ne reste que les théâtres de villes ou le s emplois secon
’ daires . Vous cédez et le tour est j oué . C est une exploitation abominable , ayant pour
’ complice l agent théâtral .
’ C elui - ci s est payé de ses honoraires sur le
’ moi s d avance que vous avez reçu . Si , pour d e s raisons inconnues , vous échouez , votre
’ saison e st p erdu e,ou bien l agent vous envoie d en c or e il ans une autre localité , et cette fois prélève le montant i n tég r a l de ses honoraires s u r ce qui vous est versé , pour un engage ment dont la du rée est tout aussi incertaine ll que c e e du précédent . Voilà pourquoi toutes les agences gagnent
’ a de l rgent , tandis que la plupart des artistes sont dans la misère ; et il en sera ainsi j us
’ qu au j our où ceux - ci se syndiqueront pour t enir tête aux agents et aux directeurs . La société des arti stes devrait bien prendre
’ l initiative de cette revendication . Amen d Madame Borelli refusa toute iminution , t rompit son engagement , et par it pour la t Russie , où on lui offrai un emploi meilleur FIN L ’ EMPIRE 235
. a dire c t eu r es s a a d e ses talents Avec M ri e , le y
fi n e s s e s les mêmes , mais sans succès . Juste
C hâtelet ment , Koning , qui de secrétaire du
t G aîté était devenu direc eur de la , la deman
Ma d n e d e d ait a son théâtre , pour créer la o s
’ D elv il n in s is ta t s . R o s e pas , mai s se ra trapa , h élas ! sur les petits emplois .
’ N ayant j amai s fait la province , Mari e
’ n avait pas de répertoire . L e travail fut rude pour commencer . Toutes les semaines , il
u n fallait j ouer e pièce nouvelle , quelquefois d eux . H eureusement elle aimait son art , elle avait grande mémoire et le travail facile ;
’ puis l opérett e vint alterner avec la comédie .
’ ’ Marie eut le loi sir d é tu d i e r au lieu d ap prendre ; elle prit du métier S es amis cherchaient la raison qui lui avait fait quitter
Paris et s e creusaient en vain la cervelle . L es indiscrets faisaient des h y pothèses mali
ieu s es a c un j ourn l , annonçant son engage m ment , si gnalait en mê e temps la nomina
’ t ion du vicomte de La G u eron n iè re a l am
’ b as s a de a de Bruxelles , avant l ir de lier l es deux nouvelles . On attribuait ainsi tous a les motifs son exil volontaire , sauf le 236 MÉMOIRES
S I I du imbr véritable O horreur papier t e.
u B roiz at Marie avait po r camarade Emilie , qu ’ elle recevait dans son intimité elle s j ouaient et répétaient constamment ensemble .
Broiz at vivait presque chez elle , ne la quit
’ a oin tant qu après le spectacle . Comme ses pp t em en t s de Bruxelles étaient minces , D el vil profitait de la situation . Mari e lui rendait
’ service en bonne camarade , pour qui l argent
’ n avait pas de prix . i B roiz at . e Un j our , lui arriva en r ant Ell
le logeait chez un boucher et , pour rentrer a soir , elle traversait la boutique . En pass nt , elle p ren ait s ou v en t u n c ou teau et s e t aillait u n e
’ a s tr nche de viande , qu elle dévorait a belle
n de ts la viande cru e lui était ordonnée . L e
’ boucher s ap e rc u t du larcin ; il se demandait
eu qui pouvait bien être son voleur . Après
’ l en t aille quête , on finit par découvrir que
' était touj ours faite d une certaine facon ; le boucher se souvint que sa locataire était gau
B roiz at r : fut . chère tout expliqué promit , pou réparer le dommage , des billets de théâtre , et , quand elle aurait fantaisie de biftecks , de les demander . Elle racontait la chose en riant .
23 8 MÉ MOIRES
â On offrit Mari e d etre du voyage . Hélas elle
était attachée , répétant ou j ouant tous les j ours . Le dernier mois , elle eut quelques loi sirs ; elle en profita pour dîner avec des amis
’ : de l ambassade de France Emile Abeille , qu i devait se faire tuer si misérablement a
’ d Orm es s on Nice Olivier , chez qui ri en ne faisait prévoir le grave représentant du protocole Rampon , un de leurs amis , Fer
‘ in i h fl h im d an d B s c o s e . Dans le monde du
bi n b n n e théâtre , on en racontait une e o ,
- r arrivée à son beau f ère , le baron de Hirsch .
’ C e dernier s était li é avec u n e j eune c om é
’ d . ienne , transfuge de Paris S ous l empire
’ d une grande déception amoureuse , elle avait
’ n l i n fi dè le résilié son e gagement pour fuir . Elle se consolait alternativement avec le ban quier et avec le j eune premi er de la troupe ’ ’ ! l habitude des duos d amour Prévenu , le
’ a n adm ettait a s a t b nquier , qui p le part ge , vin
’ à l im rovist e p , surprit l e couple en flagrant délit .
’
Il u blia . pardonna mais n o pas Un j our , sous prétexte de j e ne sais quelle formalité ,
’ il réclama â son — amie un certain nombre d ac FIN L ’ EMPIRE 239
tions qu I l lui avait données . Il tenait la une
n c n t i n u a n t m i ll r a n c s ve geance de e c q e e f .
La j eune première ne voyait plus rien venir , comme sœur Anne : le banquier faisait la sourde oreille a to n tes les réclamations . M a is
’ a le u e d in s tru c point sotte , elle lla trouver j g tion ; elle réclama t ro i s cen t m i lle fr a n cs
’ d actions , confiées par elle au banquier .
’ a D evant le scand le d un procès , le dona
’ teur m algré lui s ex é c u t a de t ro is ce n t m i lle
ra n s u t f c , et , même a ce prix , ne p avoi r les rieurs pour lui .
S on engagement fini , Mari e rentra en
France , non sans plaisir . On a beau dire qu e Bruxelles est u n petit Paris : il y a tout de même une p e ti te différence . r A son déba qué de Bruxelles , Marie ren
n u am i y contra , Arsène H oussa e il lui tendit les mains Vous êtes donc ici ?
’
Revenue d hier . Ah quelle veine J e vous invite a venir
a a chez moi la camp gne . J e donne une fête a
’ â m e s mes ami s et même ennemis , si j en
’ Oui , j e dois en avoir ; j e l espère du moins . 240 MÉMOIRE S
’ Et o ù m in vit ez - vous ?
Paris is rè s . Au château de , p de Soissons
u d e a Vo s verrez , il y aura tout des gr nds
’ seigneurs du nom , de la plume et de l épée s de grandes dames , de petite artistes ; des
s i vou s dai n eza c c e te r grandes aussi , surtout g p mon invitation . ? Une invitation de vous , chez vous J e
’ crois bien qu e j a c c ept e Quand ?
- — u Après demam . Rendez vo s à la gare .
Ah ! u c h o s e u n vous no s direz quelque , mono ? logue , ce que vous voudrez
’ Mais j e n ai rien . ! Une pièc e en un acte , alors Oh voyons , vo u s avez bien u n e petite pièce a deux per s n n o ag e s .
le P u r e t le C e n tr e J e viens de j ouer o ,
’ ’ d Oc t av e Feuillet . C est tout ce que j e pui s vous off rir . ’ ’ f Alors , j e m en contente ; c est par ait . Vous avez un partenai re ? ? Mai s non . Comment faire
’ y Vo ez un camarade , cherchez , j e m en
- â v ou s è a . rapporte ; et apr s demain , la gare
’ L heu reu s e étoile de Marie lui fit rencontrer
242 MÉMOIRES
haies pour les re garder , souriant de les en tendre rire . On sentait que , toutes préoccupa tions aj ournées au lendemain , tout souci banni volontai rement de sa p ens ée plus légère ,
’ chacun expressément était venu pour s a
’ s am u s ait flan muser et . L e château apparut ,
u é o q de deux hautes tourelles au faîte p intu ,
’ qui faisai ent dire a Arsèn e H oussaye « C est
i eon n ie r il un p g , devait abriter une colombe .
Les arbres du grand parc , nouvellement
’ a â ein e t d A rs è n e pl ntés , ombrageaient p la ête
’ ’ u Ho ssaye qui avait l air d un Gulliver , trè s ' beau et très blond , se promenant dans une
u a forêt de Lillip t , et cette frêle pl ntation avait la grâce anguleus e et menue des forêts mi
’ ’ n u s c u le s sortie s d une boîte de j ouj oux d Alle magn e .
’ m ait re s avan an t L e , ç vers ses hôtes , le s
accueillit avec un sourire de bienvenue , dans sa longue barbe doré e l Il installa Mari e dans une des tourelles en lu i dis an t « Vous êt es ic i
chez vous .
’ : En face d elle , logeait un coupl e le mari
’ L é ou x et la femme , bizarrement assortis . p
’ était vieux ; l épouse , j eune et charmante , ’ FIN L EMPIRE 2 43
’ brune avec de g rands yeux d ombre et de mélancolie , un teint ambré comme le teint
’ ’ u des Andalo ses . C était l oncle et la ni èc e ,
a . M . et m dame Lapie Pour en faire son hé rit 1 e re sans conteste le vieillard avait épousé la j eune femme , et
’ G ob s ek u i ce , q avait sans doute lu l histoire
la S u n am it e a ff de David et de , réch u a sa vieil l esse de ce sourire en fleur . On aurait dit que sa compagne portait le poi ds des millions
’ l aff ais s em en t mal acquis , si triste était de son col penché comme une tige délicate sous
d e âle le fardeau sa tête ardente et p , aux lourds cheveux .
a au Tout le monde trouva se caser , soit
dédou bla les lit s s oit château où on , a la ville , où le châtelain avait retenu toutes le s cham i bres des hôtels . La grande fête éta t pour le lendemain .
’ L im p ré vu dépassa les promesse s du pro
’ gramme . Houssaye n avait pas seulement convié les ami s de la ville ; il avai t invité l toute la contrée , voulant que la sp endeur de c e j ou r rayon n àt sur les plus hu mbles et les plu s p au vre s la fê te ari stocratique se dou 244 MÉMOIRES
’ I l blait d une kermesse populaire . vint des
a la ron d e paysans de plusieurs lieues . Les _ convives élégants , le s hôtes du château avaient pri s place sous une tente , à une immense table dressée dans le parterre en un décor de fl eurs . Tels les convives de Walhalla , dans les légendes scandi naves .
Pour la foule , on avait réservé le parc , où d ’ énormes rôtisseries en plein vent avaient
’ L im a in ti n . a o été improvisées g de Cervantes , n G ’ quand il rêva les oces de amache , n a rien
' trouvé de plus prodigieux . Des quartiers de bœuf , des cochons , des dindes , des canards ,
’ des poulardes , des oies , des chapelets d or tolans , des moitiés de veaux , des moutons entiers , tournaient aux broches colossales , et , ’ la s ils eussent passé par , les peintres espa
n e ls g qui ont rendu , avec des touches si sensuelles et si grasses , les merveilles pitto res u es q de la cuisine , auraient admiré et
’ copié avidement cette variét é in fi n ie de t ou s que présentaient des montagnes de chair , ici la a rouge écarlate , se brunissant par degrés
’ e la flamme , ou se recouvrant d une légèr
246 MÉMOIRES avaient préféré prendre place autour des planches qu ’ on avait posées sur des troncs
’ ar dé vo d arbres , et , a genoux p terre , elles
en lou tis s aien t rai ent , g ces chairs succulentes . Le Spectacle de cette foule éta it ext raor i i ’ d n a re . Jamais , sans doute , lorsqu il était
- directeur de la Comédie Française , Arsène Houssaye n ’ avait présenté au public pareille mise en scène . On se serait cru au pays de
Cocagne , où toutes les convoitises de la gourmandise la plus effrénée seraient exau
e am e s c es par la faveur des g , indulgents aux plus monstrueux appétits des hommes on revivait cette scène grandiose et répu
n an t e g des mercenaires , engloutissant dans
’ les j ardins d A m ilc a r les nourritures fabu
a rêté es ar lenses pp p les esclaves , au début de
a m m a r S a l bô . Tous les convives avaient fini p O déserter la table fficielle , pour veni r j ouir de ce spectacle sur lequel le m aitre du lieu promenait son regard olympien et son s o u rire bienveillant , j ouissant de cette féerie
’ dont il avait été l ordo n n at eu r
t en vi Le matin , en dévalisant les fu aies ron n an t e s u n , on était parvenu a organiser FIN L ’ EMPIRE 247
’ théâtre de feuillages a l aide d e carpettes
a j etées sur les planches , de f uteuils em
’ pru n té s aux salons du château . C était tout a
Fè t e c hez fait le décor exquis de la Thérèse , de Victor Hugo .
\Vat te au le P u r e t le Sur cette scène de , o C o n tr e f u t j oué devant un public repu de
a blasés et de paysans , et j mais la prose si
’ j oliment pailletée d Oc t ave Feuillet ne fut
écoutée par un auditoire plus attentif , souli
n an t a g les effets , fai s nt un sort a tous les
- sous entendus . Ce fut un triomphe pour les
y u i nterprètes . J enn Sabatier , la m se blonde
’ T ire c u ir (de son vrai nom , elle s appelait , hélas avait donné la réplique de Louison , et la baronne de Spare avait demandé a servir d ffl r e s ou eu .
’ flon flon s Après la comédie , les de l or
. c he stre donnèrent des fourmillements aux i d d e s e u . p to t le monde Aussitôt , toutes les
- classes fusionnant , dans un méli mélo extra
c m m n c a C idali l o e . s e v a vagant , la sauterie
M at hu rin e sait avec Mathurin , et avec Cli t an dre s ; les figure des quadrilles se mêlaient , se croisai ent en toute liberté sur le gazon ; la 248 MÉMOIRES chaîne des danseurs s e nouait et se dénouai t ’ la au hasard du caprice , j usqu à ce que fatigue
’ u n les semât sur l herbe . A la danse succéda
’ assaut d armes . Henry Houssaye et son ami le marquis de F alt an c e prirent chacun u n
y fleuret ; deux autres les imitèrent . Henr
e Houssay , long , mince et souple , avait le
’ poignet et le j arret d acier ; sa barbe blonde ,
’ qui s e dorait légèrement , lui donnait l aspect
’ u ll n i de Luci s Verus . Il s a o g e a t avec des n sinuosités félines et de brusques déte tes , se
couchait presque .
a u e Ce doux geste calme , au regard presqu
’ t ran s fi u i ait tern e d habitude , se g ; il avait ’ b i ’ l œil r llant , la narine dilatée , et l on sen ’ il tait que , l épée démouchetée , devait être
’ un dangereux adversaire . L autre , grand
’ brun , d allure élégante , offrait un typ e opposé à celui de son adversaire , et , par sa
s silhouette hautaine , il rappelait ces mignon de H enri I I I qui portaient si fièrement la
u don fraise godronnée , et dans les assa ts i n a en t de si redoutables estocades . Une course en sac eut lieu après la séanc e
de fleuret .
250 MÉMOIRES hu mains horribles a entendre on‘ eût dit des
’ ’ ‘ cris d enfants qu on égorge . Le sang giclait ,
éclaboussait les pelouses , les robes et les n bonnets . La bête humai e était déchaînée dans ce massacre de bêtes .
a Pour faire cesser le c rnage , on annonça la tombola . Les lots principaux avaient été
c hain e exposés des montres avec , en or et
’ d éto ffe en argent , des coupes , soi e et coton
’ c nade , des bagues , des bou les d oreilles , des mouchoirs de poche , des broches , des
des épingles , bronzes , des dessins , des auto
u u graphes , des j o ets de toute sorte po pées ,
béc h es . charrettes , , râteaux , fusils , revolvers
Tout ce qui peut exciter la convoitise . Les gens se calmèrent en examinant toutes
’ ces m erveilles sorties du corn et d un magi
u i cien , de ce magicien q leur avait offert tout
’ a a l heure ces pantagruéliques gapes , et ces féeries du théâtre en plein air , ces violons qui les avaient fait danser s i j oyeu s e m en t sur
’ d m rau d les pelouses é e e .
’ Marie gagna des boucles d oreilles L ou is XV
— avec de petits brillants . Peut être Arsène
- Houssaye avait il aidé un peu sa chance . FIN L ’ EMPIRE 25 1
Po u r finir cette j ournée sur laquelle avait
fu lui un soleil radieux , on retourna aux
’ b u t tailles , et l on largement le coup de
’ l étrier . à Puis , travers les champs que remplissait
’ de sa splendeur l ap othéos e du couchant
féerie le s digne terminaison de cette , paysans reprirent le chemin de la ferme ou du mou lin , emportant leurs souvenirs extasiés . Le
au temps les exalterait encore , et plus tard ,
d u tour feu des veillées , le récit de ce s choses aurait pour leurs enfants des airs de légendes il semblerait un conte de ces ep o ques regrettées Où il y avait des génies pour exaucer l e rêve de bombance que font les
m ordan t ré s i n é s pauvres gens en , g , leur gui
gnon de mauvais pain .
L e dîner vint , ou plutôt le souper ; puis
’ o n on dansa , chanta , on j oua j e crois qu on
y se coucha . Arsène Houssa e avait donné sa chambre , et se promenait du haut en bas de n a . la maiso ; il veillait tout , a toutes surtout
’ ’ s a er u t L e matin , on p ç d un détail qui carac téris e bien la bohème dorée que dégu isaient tant de m agn ifi c en c es quand C II demanda 252 M EMOIRES
’ ’ o u de l eau pour la toilette , constata qu elle
manquait . Arsène Houssaye avait totalement négligé les travaux de canalisation en bâtissant son château de fées l ’ e au ne venait pas j usqu ’ à
la sa propriété . On allait chercher dans des tonneaux , qui avaient été tous mis a sec .
’ Que faire On ne s em b arras s a pas pou r si
’ ’ peu . Il n y avait pas d eau , eh bien , on se
laverait avec du champagne .
’ r m u Do ant l exemple , Houssaye débo cha
’ d A u n e Cu une bouteille y , la versa dans vette et y trempa sa longue barbe flaves c en t e
Grè c e . il comme les dieux et les poètes de la ,
’ l m br i i se débarbouillait avec de a o s e .
G u im on t u i Un soir , la , q ne pardonnait pas a Marie son insouciance et que toutes les pérégrinations de son amie avai ent écartée
’ u de son intimité , vint l inviter à so per avec Roqu eplan et Gustave D elahan te chez le ’ à prince Napoléon . Mari e s était déj à trouvée
dîner chez la Gu im on t avec celui - ci et Girar
254 MÉ MO I RES
’ ’ l artis t e ; les conditions qu elle formula fu rent acceptées . Elle comm ença tOu t de suite
n Ell les répétitio s . e avait fait des pro grès assez grands ; ell e espérait un succès . M ais la p remiére eu t h eu précisément le j our de la mort de Victor Noir on redoutait u n e ém eu t e ; la pièce se j oua devant les ban
m i le e i e u ett es . l u r a m q Cependant , la e de Marie ayant signalé à D u qu esn el ces repré s e n tat ion s , il vint la voir avec Alexandre D u mas fils u n engagement de trois ans a
’ l d n Off O éo lui fut ert ; elle accepta . E lle débuta dans le répertoire : Elmire de
T a r tu e a s s a n t f , S ilvi a du P cette dernière
’ piéce n avait pas encore franchi les ponts ,
’ ’ et . le départ d A g ar avait laissé l emploi libre . L e s u c c è s de Marie la mit en possession d u rôle . Elle continua ses débuts dan s
’ l A u tr e S , pièce de G eorge and , pour laquelle
r i elle avait été surtout engagée . Les épét tions étaient dirigées par Dumas . S on rôl e ne tenait qu ’ un acte et la laissait libre de bonne heure . Elle revenait avec
’ d A ril en a ée Suzanne v , g g en même temps FIN L ’ EMPIRE 255
’ le t qu elle , et qui j ouait dans même ac e un rôle épisodique .
l m tim e A cette époque , elle était amie de
’ Théodore Barrière , qu elle quitta depuis pour le fils de Richard Wallace qui s ’ appelait alors du nom de sa mère , Castelnau . Ce der
’ nier l ép ou s a pour légitimer les trois garcons
’ qu elle lui donna . Tous deux sont morts , et les enfants ont hérité par mademoiselle de
Castelnau , devenue madame Richard Wal
’ lace , du pâté de maisons qui fait l angle du
’ L e ell ti r — boulevard et de la rue p e e . L ex made m ois elle de C astelnau ne po u vait pardonne r
’ à son fils d avoir épo u sé sa maîtresse en
u régularisant la sit ation de ses enfants , elle a qui avait légitimé le sien , la mort de lord
Herfo rt , par son mariage avec Richard Wal lace Et plutôt que de transmettre aux enfants de son fils les trésors dont Wallace
e lle avait hérité , elle a préféré , , Francaise ’ à l ’ A l n et e rre . d origine , en faire do n g D u qu es n el fi t appeler Marie dans son cabi
et lu i : — net directorial demanda Pouvez vous ,
’ ou rs m a ren dre e n en quatre j , pp une tragédi e
? e a un acte Passé ce délai , j ser is forcé de 256 MÉMOIRES
- payer une prime . Entendez vous a vec Mounet
’ Sully qui j oue avec vous . C est un e tragédi e
’ r VOic i e — e c u e . a g q la pièce ; lis z la . Il n y a p s de temps a perdre .
u Elle lut le rôle était superbe . L es de x
a ré r l ét e et e . artistes se mirent p , le soir matin ’ a Après le métier qu elle avait fait Bruxelles , ’ a une pièce en un acte n était rien apprendre .
M on n et réglait la mise en scène , et le soir de la première de F le va ce fut un grand suc c è s M on n et . était superbe en esclave gaulois ,
u e et voilà ce q disait , de Mari e , Théodore de Banville dans son feuilleton
Mademoiselle Marie Colombi er , belle a miracle dans u n costume tissé de feuilles de
’ y e roses et de ra ons de soleil , s est révélé
grande tragédienne . a Tout coup , la troupe se dispersa , le
théâtre se ferma .
a La guerre était décl rée .
258 MÉMOIRES versé par les c om m é re s qu i encombraient les trottoirs , et auxquelles ils avaient promi s n un retour triomphal . La fièvre gag ait tout le monde on v o u lait p artimp er au grand événement ; chacun était solidaire des espe rances c on c u es ; les femmes même r éc la
’ m i n a e t leur part de l œuvre commune . Grandes et petites dames prétendaient se dé v ou e r â la patri e ; les artistes demandé rent â transformer en ambulances les foyers
u et les loges . L es théâtres s bventionnés ,
’ — l Odé on la Comédie Francaise , , donnèrent
’
. v l exemple Les autres sui irent , et les monu ments pu blics se convertirent également en
. a u refuges Les particuliers , le r tour , orga
n misère t chez eux des ambulances .
u Tout était prêt . Il ne manq ait plus que les blessés .
a u La déception fut grande . Il rriva bea
e coup de malades , mais pas la plus petit
’ r fl r . é ra u e . On murmura Ce n était pas pou faire concurrence aux hospices que l ’ on j ouait
u à la sœ r de charité . On avait des ambu
lances , on voulait des guerri ers aux plaies
t ! a r erribles Pourtant , il fallut bi en ccepte ’ “ FIN D E M PI R E 259
r ces malades les hôpitaux , qui rego geaient déj à , ne pouvaient plus guère en recevoir .
e et t hmde La petit vérole la fièvre yp , qui s évis sa ien t ét aien t , traitées exclusivement a
Bicêtre mais , par ce froid intense , la pneu monie et la pleurésie faisaient des ravages effrayants .
’ Il fall ait de l argent pour les frais de chaque j our . L e hasard avait voulu que la bourse de Marie fût assez bien garnie elle
’ m i lle u r a m i e fit ce qu elle put . S a e e écrivit au x personnes les plu s répu tées pour leur charité et leur fortune , en leur demandant
r t e r n leur concours . C es lettres es e t sans ré
o n s e . p Alors , conseillée par la baronne de
— Spare , Marie alla avec celle ci quêter à domi
’ i r . t è s cile , mun e d un carnet E n peu de
- a u temps , les quêteuses r pportèrent pl sieurs
m e i milliers de francs . La lleu r e am i e en ’ ! c o n c u t beaucoup d humeur . Comment il
’ n avait pas été répondu a ses lettres , et
' ' d autres avaient recueilli ce qu elle avait vai nement sollicité Son dépit s ’ étai t accru sous
’ ’ l influ ence d une personne ; une ex - sage
’ femme s étai t insinuée par la flatt erie dans 260 MÉMOIRES
’ sa confiance , et avait réussi à s i mposer . La présence de Marie la gênait e t aussi fai
’ sait — elle tout ce qu elle pouvait pour attiser
le feu de la discorde . Elle avait beau j eu , en
a e e m i exploitant la vanité de l m e i ll u r a e .
’ a l am bu lan c e Un j our , on amena de
’ ’ l Odéon un soldat dont le mal n était pas en core bien défini . Marie le fit placer dans une
’ loge d artiste quand sa m ei lleu r e a m i e ren
’ o n lu i m e tra , signala l arrivée du malade le
a rè s decin , p examen , craignait une fièvre
v h ïd t o e . p , ou la petite vérole Alors , voulant
’ faire acte d autorité , en contrecarrant Marie , elle donna ordre de transporter le malade a
’ Bicêtre . Mari e eut beau alléguer qu elle se
’ chargerait de le soigner , qu elle ne craignait
a t pas la cont gion , et que du reste , dans la peti e vérole , la maladi e la plus redoutable pour
’ une femme , le danger n existait que dans la
' période de convalescence , quand la pulpe desséchée se détache des boutons elle déclara
’ qu en transportant ce malheureux , par un r froid at oce , on mettait sa vie en danger on
’ s en t ét a fu t , et le malade enlevé pour être
’ a à . conduit l hôpital Le lendemain , Marie p
262 M ÉMOIRE S
la fèt e grand ami , surtout depuis des Bruyeres ,
’ reçut l aveu de sa déception Eh bien ,
- quoi , lui dit il , il vous manque une ambu ? ’ lance J en ai une , moi aussi venez la di riger .
En haut de son hôtel , il y avait une se conde galerie où u n e quinzaine de lit s
au x étaient dressés . S on fils était avant postes il donnait l ’ adresse de l ’ hôtel de son père on y envo y ait les malades et les bles Le sés qui , maintenant , ne manquaient pas . rôle de Mari e se bornait presque ê mom m an der les ambulancières , aussi nombreuses que le s
malades . D eux fois par semaine , on se réu
n is s ait a dîner chez Marie on parlait de tout ,
on espérait encore la victoire .
Fo u ld e n fi é Un soir , Gustave arriva tout
v ré Comprenez - vous cela ? v oilà cinq foi s que j e vais a la Place de Paris sans pouvoir
F ou ld ! être recu Moi , , fils de ministre J e
’ viens leur offrir d équ ipe r a mes frais un
’ u e l au t oris a corps franc , j e ne demande q
et ! tion , ils ne me reçoivent pas Alors
de ui Marie , avec une crânerie femme q ne
’ doute de rien C est une permission qu e ’ FIN D E M PI R E 9 63
’ vous voulez E h bien , j irai demain vous la chercher . Comment Vous connaissez le g é
‘ ? a neral Troch u Non . S on ide de camp ? Non plus . Qui , alors Personne .
’ Mais j e fais le pari d aller a la Place , de faire
’ passer ma carte , et d être recue tout de suite , e t de vous apporter ce que vous sollicitez . la à Charles Bocher , qui était , proposa
’ ’ Marie de l accompagn er , ce qu elle accepta avec j oi e : son frère le général était très lié
c . avec le général S hmidt L e lendemain , elle
— fut le prendre chez lui , rue S aint Florentin
Tous deu x s e rendirent a la place . L a fanfa
' ron n a d e de la j eune femme ét ait t om bé e
’ — e u é . lle s était pe t être un peu avanc e Aussi , qu and Charle s Bocher lui proposa de deman d e r en son nom un e entrevue au général , e lle ne refusa p as son offre . Mais on lui rap porta sa carte l e général était t rès occupé il ne pouvait recevoir . Mari e eut alors l ’ idée de donner la sienn e e t de solliciter a son tour une audience
’ ’ l huissi er revint en l in vit a n t à entrer chez
’ u l aide de camp du général Troch . Elle prit le bras de Bocher Vous vouliez me faire 264 MÉMOIRES
’ u i entrer ; c est moi q force la porte . Et ils
firent leur entrée ensemble , a la surpri se du
’
. s exc u s a a général Elle ,_ et remercia la g lan
’ t erie française qui n avait pas voulu faire attendre une femme dans un corps de garde ; v car , a ec tous ces militaires allant , venant ,
’ d e attendant , eux aussi , c était bien un corps garde . Elle expliqua le but de sa vi site , et emporta non seulement l ’ autorisation d ’ or
an is e r g un corps franc , mais les armes né
c es s aire s et les vivres . Elle avait gagné son
a en pari , et le lendemain , dîner , ses amis , buvant le champagne , déclarèrent
’ Les f m fem m es il n a u e a e m es , les , y q ç ,
T e la t erre u rn era an t qu to ,
Tan t que le m o n d e e xistera .
Cette comédienne fantaisiste et patriote pénétrant avec tant de crâneri e chez le gou vern eu r de la Place , et obtenant du général ahuri par cette j upe qui s e fourvoyait chez
’ au m lui , l autorisation refus ée fils du inistre ,
’ ne prouvait - elle pas que l Empire fut une opérette héroïque ? Offenbach s ’ en serait ins
’ e u n de pir , et l actrice qui donne bataillon
266 MÉ MOIRES
t ' en bas du alus , dans un champ de labour .
L eurs croix rouges frappaient la vue . Les brancards étaient repliés ; les porteurs se te n aien t a côté , les brassards aux bras , atten dant le signal pour aller ramasser le s blessés
u sur le tal s , dominant ces groupes immo ‘ l biles , haletant et râlant sans trêve comme e
’ poumon d un homme en agonie , une loco motive blindée envoyait vers le ciel bleu son m ’ panache de fu ée noire . L es soldats d in fanterie de mari n e étaient massés en lignes compacte s leurs uniformes sombres e n l d eu il aien t . v e ce paysage limpide Allant , d nant , portant de s or res , les spahis aux grands
u burno s blancs se hâtaient , montés sur de petits chevaux arabes aux j ambes fine s , a la longue crinière . Une immense attente pla
arr- nait sur cette scène , dessus de laquelle
’ était suspendue l ob s c u re menace de la guerre .
D e temps en temps , on entendait comme
’ ’ le vol d une compagnie de perdrix c était
’ un obus qui passait . L e proj ectile allait s en
u fouir dans le sol , où il cre sait un grand
la trou, éparpillant la neige et terre . ’ FIN D E M PI B E 267
’ Les u à l arri e re - a d amb lance s étaient g r e ,
’ ’ et il n y eut pas d engagement . Marie ne rapporta p as de son excursion le sentiment
’ u u ai de terreur auq el elle s était attend e , m s seulement la très vive impre ssion d ’ une chose plus curieuse que redoutable . Elle ne
’ vit , il est vrai , que les blessés qu on rame
’ — dé s . nait avant postes D ailleurs , bien de s
' ’ u erres n e n soldats , engagés dans les g , ont
’ pas gardé d autre s souvenirs . a S euls les chefs qui , la lorgnette la main ,
’ u du haut d ne colline , assistent aux déploie ments , aux conversions , aux progrès , aux
’ a retraites de s corps d rmée , voient se dé placer s ans cesse les innombrable s pièce s
’ u de l échiq ier militaire , les lignes sombre s
’ des trou pe s se fermer et s ouvrir comm e
’ d u n les deux branches mortel compas , et enfin toute la géométrie d e s bat a illes com
’ li u r p q e à l infini ses figures . S euls ces ordon n at eu rs d e s sanglante s mêlées peuvent s a voir les raisons qu i tantôt précipitent et
’ tantôt retiennent l élan des m asses guer e ri re s , dire le pourquoi de leurs évolution s
du et sentir le moment où la chance combat , 268 MÉMOIRES
longtemps oscillante , se fixe enfin , entrai
’ nant de son p oids l u n des plateaux d e la
’ l hu m ble balance . Mais figurant du dram e
’ ’ e a u à héroïqu n a , comme la scène , q marcher
a faire sans comprendre , et tous les gestes
’ ‘ c om ris c elu i de l emploi , y p de mourir . L e général Schmidt était très li é avec ’ e l ami e de Marie , la baronne de Spar , nièce l ’ S é e . in v it a du docteur La baronne , au
la e u n e à - nom de j femme , dîner chez celle ci .
’ Marie mit à contribution l infl u ence de s o n hôte elle fit obtenir du fourrage a un brave nourrisseur du nom de Damoiseau , qui de m u rai a u e t boulevard de Clichy . Le s vaches
’ n avaient plus ri en a manger ; il allait êt re
d e a au contraint les f ire tuer , et cela grand
u u a désespoir des pa vres mère s du q artier ,
’ qui il donnait du lait pour le u rs petits l in s u ffi s an c e de nourritu re avait tari les ma melles de ces malheureuses femmes . E n m reconnaissance du service rendu , Da oiseau envo y ait tous les j ours u n litre de lait à
’ l am bu lan c e y - à de Houssa e , un demi litre
B e au ran d mademoiselle g , la danseuse de
’ ‘ l O é ra p , amie de Marie .
270 MÉMOIRES
dîn er elle a ve c elle rentrait chez { des amis , ou bien elle allait dire des vers ou j ouer au
- profit des bl essés . Mounet Sully vint lui demander de j ouer avec lui F la v a au
’ Château - d E au cette représentation fut vraiment amusante . Comme le gaz man
’ u ait a q , il n y avait plus de ch rbon et le pé t role n etait pas encore entré dans nos habi a tudes , la salle , peine éclairée de maigre s ’ a quinquets à l huile , était pareille un trou noir . On se croyait reporté au temps des m ou c h eu rs de chandelles et du théâtre de Mo li è re . A un certain moment , Mounet devait remonter la scène , écarter un grand rideau , et montrer à Flav a la toile du fond qui fi g u
’ s é c rian t rait la mer , en , de sa belle voix emphatique Reg a r d ez c es va is s e a u x D ans le mouvement brusque qu ’ il fit pour les
s séparer , les deux rideaux , mal accroché
u sans do te , tombèrent sur lui il redescendit
la scène , la corde au cou , les ride aux for mant besace de chaque côté . Du gouffre noir de la salle montèrent d es t rires homériques heureusement , c etai presque la fin , et la toile se baissa au ’ FIN D E M PI R E 271
milieu de s bravos et de la gaieté générale .
u là A quelq es j ours de , Marie devait dire
’ P u la r i té a e la op de B rbier . Sarc y , qui n a vait pas encore été promu à la dignité
’ d ou c le d r , vint la voir , pour la prier a îne
u sur la B tte . Il y avait là un poste de gardes
a . nationaux , trè s littér irement composé La
s plupart de ces guerriers étaient de s écrivain ,
u des j o rnalistes S ardou figu rait parmi eux .
Pressentant sans doute les haute s desti »
’ née s intellectuelles de cette Butte qu i n était
a a cepend nt pas encore sacrée , on av it confié la garde de cette citadelle allégorique de
’ l esprit parisien a une cohorte intellectuelle .
Les Mu se s de Montmartre y étaient déj à représentée s par de charmantes cantinières comme Massin , Marie Magnier , adorable
c ra ment j olie et svelte , {portant , avec une n erie - exquise , le costume de sous lieutenant
’ et le bidon d ordonnance .
Ce j ou r — là éta it une fête de gu eu la rdis e il y aurait un gâteau de riz et une crème e
a a m a la v nille . S rcey co pt it bien exciter la gourm andise de Mari e en lui donnant ce dé m tail du enu . 272 MÉMOIR E S
‘ ét ait arrivé t t Quand il , elle é udiait cet e
’ ’ u la r i té f‘ Pop qu on croirait inspirée d hier , tant
’ les vers en sont d u ne actualité Saisissante . Il regarda le volume sa religion de bibliophile fut scandali sée pour aller plus vite , M arie ,
‘ — au lieu de prendre un coupe papier , avait passé son doigt entre les feuilles , ce qui les
' den t ele e s r fl r avait de grandes é a u es .
’ Il avait raison , l oncle futur elle tint compte d e la remontrance .
’ I l u a rrivait venait à peine de partir , q le
S o rin v it e r e général chmidt p u , lui aussi , M ari a d e s agapes , moins nombreuses , mai s non
’ s exc u s a moins alléchantes . Elle elle allait
' d r a u u n t îne Mo li de la Gale te , et il y aurait u n gâteau de riz . Vous refusez mon
âtea u ! dîner pour un g Fi , la gourmande E h
n a le m an bi en , vous en serez punie ; vous
’ em è g erez pas , le gâteau . Et qui m en p
‘ chera ? Vous verrez bien . Elle ne fit
’ qu en rire .
Courageusement , elle grimpa la pente si e scarpée de la ru e L epic . Près du Moulin de la Galette , vestige du douzième si ècle épar g n é par toutes les révolutions ; et qui profile
274 MÉ MOIRES
’ cela s en t en dait j oliment bien en haut de la
’
. . u n rue Lepic On fit silence , écoutant C était e estafette Ordre du Gouverneur de Paris il faut envoyer la proj ection de lumière s u r
' le p on t de Bezons . On va venir visiter le poste du Moulin de la Galette .
! r le Patatras il fallut plie bagage . Adieu
ât eau e g de riz , et le baccara qui allait suivr
f e l e dîner , et toute cette partie de plaisir o fert par les camarades et qui devait faire trêve a la commune inquiétude . Les hommes re prirent la faction le fusil au bras ; les visi
’ i r ! teuses durent s es qu ve . Pas de femmes
— ! on . pas de femmes chantait en chœur Et , le ventre vide , il fallut dégringoler la Butte , et revenir chez M arie où une omelette au lard et des boîtes de conserves firent oublier la mésaventure .
u Un ami de la baronne de Spare , M . B reau , un financier qui depuis a eu avec la j ustice ’ a ’ des démêlés qui l ont conduit Mazas , s était montré plus qu e généreux en donnant pour
’ ’ l am bu lan c e de l argent et toutes sortes de
c alec on s choses , des gilets de laine , des , des bonnets de coton ; ceux - ci surtout avaient été ’ FIN D E M PI B E 275
’ très app ré c ié s ;l e s malade s s ou fi raien t beau
du à coup froid la tête , par cette température
a horrible , dan s cette grande école tr nsformée ou tant bi en que mal en hospice , et le feu
m u manquait . Pour les oin s so ffrants , il avait donné des pipes et du tabac .
Un j our , il vint dire à Marie qu il allait partir en ballon , et lui demanda si elle avait a des commissions . Elle pensa sa mère et a
’ a sa sœur qu elle avait fait partir pour le p ys .
Etaient — elles arrivées a bon port ? Avaient ’ ? elle s encore de l argent Bien souvent , dans
’ sa pensée inquiète , elle s était demandé tout à cela . Elle remit troi s cents francs M . Bu reau , qui devait tâcher de lui donner des
’ “ nouvelles par pigeons , ce qu il fit . En sou
’ venir de la j oie apportée , elle n a j amais m voulu depui s anger de ces volatiles . Il était difficile de se réargenter On
’ n avait pas prévu le siège aussi long . Arsène
H oussaye , pour faire plaisir à Marie , avait installé u n e ambulance dans son hôtel elle
’ ’ lui su ggéra l idé e d organiser une représenta
au b tion bénéfice de cette am ulance , qui était u n e a lourde charge pour lui , et sa demande 276 MÉMOIRES
’ e e lle s en occupa . Tout ce qui r stait à Paris
t s e c t a v prit par , comme artistes ou comme p teurs , et , malgré la rigueur des temps , la
’ recette fut digne de l œuvre .
En rentrant de chez Houssaye , où elle
u avait eu très chaud , Marie se mit au lit po r
a six semaines . Elle av it été prise par la con e gestion pulmonaire . Elle était a pein hors
’ ’ de danger que l im pru d en c e d une femme de chambre faillit lui coûter la vi e . S e tre mpant
a a à de fl con , elle lui av it versé flot de la li
’ qu eu r de Fowler ! de l ars en ic ! La j eune
’ ’ femme s en tira avec un e maladie d estom a c qui dura six mois . Au nouvel an , se s amis ,
ré qui avaient cru la perdre , heureux de son
’ t abli s s em en t s in én iè ren t a , g lui envoyer de s
’ ff u souvenirs amusants . L un lui o rit une c o
' ’ v eu s e œ u n sur un tas d ufs ; l autre , quartie r
’ r r d agneau venant de chez M a gu e y . Comment avait - il pu se le procurer ? Arnold Mortier lui adressa deux colombes roucoulant dans une ravissante cage aux
e n barreaux dorés . L e général S chmidt lui voya une superbe corbeille de fleurs et de
’ d a a s a fruits . Elle avait le ésir d être gré ble à
CHAPITRE x
LA C OMM U NE
m n n Mo rt du c omte Grégoire P oto c ki . Com e t o sau ve ’ D La fi n u n e e . a n u n h érita ge . d idyll gereu x ’ n D voy a ge . Révél atio s Mo rt de l a bb é
Paris était au pouvoir des communards .
’ Ceux que le siège avait retenus s ét aien t en fu is devant la perspective d ’ être collés au mur ou n de faire le coup de fusil co tre les Versaillais .
Passant par S aint - D eni s où les Prussien s é étaient install s , et faisant un grand détour
— Laffit e par H erblay et Maisons , Marie gagna
- S aint Germain , où Barbotte , le propriétaire
a art e du pavillon H enri IV , lui loua un pp ment sur la terrasse .
y de c o n n ais s an c e On se retrouvait en pa s , 280 MÉMOIRES
’ d e s avec ami s qui avaient adopté , pour s y réfugier , un coin de la campagne parisienne . On croyait que la rébellion serait vite répri m é e 0 é ; on acceptait , sans tr p de difficult , cet exil forcé , après les inquiétudes du siège . On se rencontrait sur la route de Versailles où
’ ‘ l on allait aux nouvelles . Les j ours , les se
u maines se passaient , sans apporter auc n
à - changement . Ce fut S aint Germain que Marie apprit la mort du comte Grégoire
’ ’ o u n e Pot cki , brave garçon , qu un éclat d bus
’ avait frappé dans l avenue Friedland , près de
’ l É o ile la Barrière de t . Physionomie bien curieuse que celle de ce
’ — j eune homme de vingt six ans , grand , d allure ’ a ! souple et élégante , d spect viril , intelligent
k u Il était le fils naturel du comte Potoc i , cel i qui a fait construire le superbe hôtel de
’ l avenue Friedland , au com de la rue Balzac . La tendresse du comte était vive pour ce
’ ’ m ait re s s e fils , qu il avait eu d une avant son mariage il l ’ avait reconnu comme l ’ aîné et
le chef de la famille , lui donnant le pas sur t le fils légi ime , de quelques années plus j eune .
282 MÉMOIRES puis longtemps elle se plaisait a ce carac e t re droit , un peu sauvage , presque timide .
’ ’ Il cessait auprès d elle d être taciturne ; il
’ ’ savait conter : c est de lui qu elle apprit tous
’ les détails de l évasion .
Il se plaisait dans la solitude ; au ssi venait - il
’ de préférence quand il n y avait personne che z
Marie .
’ ‘ S il survenait quelque visite , il passait
' dans une ] pièce a côté pour donne r de s leçons d ’ escrime !a sa petite sœur il avait
‘ fleu ret s apporté masques , plastrons , , et il se ’ a plaisait à enseigner à l enfant se défendre .
La L am bert T hib ou st cordialité de H _ avait
d an t ri ev s au va e e . u trouvé grâce ä sa i g Un j o r ,
v an t ait chez la j eune femme , il l les délice s à de la cuisine polonaise , soupe la glace , à dit sauce la crème , etc . ; il lui Mais au
- fait , chez Ledoyen , aux Champs Elysées , on fait délicieusement cette cuisine ; beaucoup
’ - de mes compatriotes s y donnent rendez vous ,
’ Vous plaît - il d accepter mon invitation ?
’ Dans un cabinet attenant au j ardin d hiver , sur une table couverte de fleurs , on servit à Potocki et a ses invités les plus purs spé c i ’ FI N D E M PI R E 283
’ mens de l art culinaire russe et polonais .
du T hib ou s t de A la fin dîner , Lambert
’ s é c rier u s Eh bien , maintenant , si no mangions un bifteck
’ Le le é l hon n ête bon , d licat , Potocki de vait devenir la proie d ’ une chevalière d ’ in du strie . Une étrangère , espèce de tzigane
’ e blonde , attirée par l éclat de cette fortun
de Indépendante , avait voulu passer du rang
’ m ai r s s t e e a celui d ép e nse .
Pour y parvenir , elle simula une grossesse
’ et la touj ours nou velle histoire d un enfant
’ acheté a une sage - femme par l intermédiaire
’ d une c on fi de n t e qui finit par manger le morceau , en allant tout conter au père de
Grégoire , termina la comédi e . Le comte était tout heureux que son fil s
a c e . eût échappé péril L e siège étant arrivé , il savait que sa nationalité le mettait à l ’ abri de tou t danger ; il accepta de lui laisser la
’ ’ garde du palais de l avenue Friedland , d au
’ tant que , le voyant mal guéri , il n était pas
’ fâché que l inve stissement établit une bar
’ et c ett e ri ere entre son fils femme , qui s était installée à Fontainebleau pour j ouer plus à. 284 MÉMOIRES
’ ’ c l aise , sans contrôle , la comédie de l aec u
h m n c e e t .
t e Ainsi donc il était mor , ce pauvr Potocki la Commune avait eu raison de cette j eu i nesse , de cette v gueur , de cette bonté , de cette intelligence .
u c Après la guerre , la Comm ne dé larée , et
Ou r craignant le pillage , il était resté p faire respecter la neutralité du drapeau arboré au fait e du palais paternel .
’ ’ Un j our , tandis qu il allait j usqu à la Bar
’ m l É t oile du ere de , un obus venu Mont
’
Valérien , en éclatant , l avait atteint ; il était m d e . ort sa blessure La douleur de son père ,
’ ’ n l afi reu s e en apprena t nouvelle , avait été
’ l d u c it a o . atroce . L e temps S on second fils , héritier de son nom , chercha à conquérir sa tendresse , à combler le vide fait par la mort du préféré . Il fut interrompu dans cette e ntreprise par le violent amour que lu 1 1 ns
un e pira adorable j eune fille , la fille de la
’ p rincesse Pignatelli ; et , malgré l opposition
‘ de son père et sa menace de le déshériter , le
’ m a rh lit ariage s c c o p .
' L e j eu ne ménage vivait presque a part
286 MÉMOIRES
r les qualités requises pou la propagation ,
Diafoiru s comme dit M . . Les j eunes époux
! riai ent de ses boutades , et suivaient le sentier de leur bonheur . Un soir , après un
e dîner qui avait réuni quelques amis , entr autres ses voisins Arsène et Henry Houssaye ,
Le u n e . il eut attaque médecin , mandé en
’ hât e toute , laissa peu d espoir . Avisez à
’ ' - l avenir , dit il . Arsène Houssaye , qui avait
’ e beaucoup d influence sur le moribond , ntra
’ n i . s e u t dans sa chambre , le chapitra On q
' ’ ’
. u n e d un notaire Il n était pas facile , dimanch
a s soir , de trouver un médecin ; plu forte t a raison , un no aire celui de la famille était la campagne , et aussi celui de Houssaye . a Enfin on put en découvrir un qui , la hâte , avec Houssaye et les amis présen ts qui ser v aien t m t de té oins , rédigea le estament ,
’ lequel constituait l héritier du sang comme
- légataire universel . Que serait il advenu si
’ Houssaye n avait pas été la pour défendre les
’ m is intérêts du j eune ménage , ou s il y avait moins de zèle
Potocki menait grand train , recevant beau
coup . Parmi les invités de la maison était Guy ’ FIN D E M PI R E 287
u u d e Maupassant . Il faisait une co r assid e et sans résultat a la j eune comtesse ; le m âle é crivain dont le t alent affecte des allures vi
’ u reu s e s la g o parfois j usqu à brutalité , et qui professa si exclusivement , en théorie , le culte
’ d ràc e e l amour physi que , était épris de cette g mondaine , si élégante et si attachante a la a ’ fois . Un j our , la suite d un pari perdu , elle lui envoya douz e poupées , figurant douz e j olie s personnes . Maupassant leur fit ouvrir le ventre , les bourra de son , de manière à représenter des femmes en position interé s
et sante , les renvoya toutes à la comtesse , avec cette étiquette En une nuit !
- t il Que se passa , après la mort du père , dans ce ménage si bien uni ? Quelle bizarre antipathie surgit chez cette femme , épousée dans une fl ambée de passion par u n mari qui
‘ ’ lui don n ait laj ou is s an c e d une fortune presque ? royale Personne ne saurait le dire . Mais tout ce qui peut lasser la patience d ’ un mari épris comme un amant fut mis par elle en usage .
Ell e faisait , systématiquement , des notes
c om m an extravagantes chez les fournisseurs , dait a tort et a travers chez les couturières 288 MÉ MOIRES
des toilette s j amais portées , et vendues aus sitôt que livrées à des revendeuses ; elle exila le comte de son intimité , le laissant solitaire
n e dans sa chambre , se donnant même plus
’ la peine d inventer des prétextes . Enfin les tribunaux prononcèrent la séparati on , et plus tard le divorce ; la femme qui avait gâché de s centaines de mille francs se déclara satisfaite des vingt - cinq mille livres de rente que son
u mari lui reconnut génére sement en apport .
’ s olit ai Auj ourd hui , le comte Potocki habite rem en t son palais , et fait les honneurs de ses chasses - superbe s au Président de la Rép u
' bli i as er a u e . u s vec q Q dirait , en le voyant p
fle m e un g presque britannique , conduisant un phaeton attelé de deux superbes coureu rs
’ ’ a d ébè n e u le la robe , q il a été touché par délire de la passion méconnue ?
— A S aint Germain , M arie s etait rencontré e avec Gabrielle Gauthier , qui avait accepté
’ ’
a F élic ie . l hospitalité d une mie , D elorm e
Celle - ci avait une petite m ais on p rè s de Poi ss y elle venait dîner chez Marie , Marie allait dé
m an ife s j enner chez elle . La j eune femme
29 0 MÉ MOIRES
e si j vous prenais au mot , et si j e vous de mandai s une preuve , vous vous récuseriez .
’ ' - - - l t i . Faites en l essai , répliqua Quelle preuve
— de ? - u e exigez vous moi Tenez , voulez vous q j e vous accomp a gne à Paris ? Ne faites p as
’ cela , dirent les amis présents ; c est une folie .
’ a Vous entrerez dans P ris , mai s vous n en
— pourrez plus sor tir sans un sau f conduit .
’ ff à m adem o i Pardon , j e tiens le pari j o re m ’ a selle Colo bier de l accompagner, la condi
’ tion d une récompense . Honnête
’ ri l s é c è re n t es amis . Cela dépend de ce qu e
’ vous entendez par honnête . Il faut que l enj e u
’ soit l équivalent de ma vi e que j e risque .
Le pari fut tenu , et , le lendemain , Marie et
Félic ie s D elorme , accompagnées de George
a - Dubail , descend ient du train de S aint Denis
à la gare du Nord et entraient dans Paris .
— Mari e demeurait rue S aint Lazare , proche de la gare il fallut descendre à pied il n ’ y avait pas de voiture , naturellement . Vers le fau bourg Montmartre , rue Lafayette , une barri cade empêchait d ’ avancer il fallut faire un
— ru e détour rue S aint Lazare , près de la de la
’ - d A n tin n ou Chaussée , nouvelle barricade et ’ FIN D E M PI R E 29 1
veau détour . Enfin on arriva chez Marie , en passant par la ru e Caumartin à ci nquante
u n mètre s de sa maison , il y avait encore e barricade . Les concierges diren t a la j eune femme
’ ’ qu ils avaient bien peur ; qu on était venu
’ ’ u i perq isit onner , demander s il n y avait pas ’ ’ d hommes ni d armes dans la maison . Ils a vaient déclaré que tous les lo cataires étai ent t absents , et on les avai laissés tranquille s
’ a u u m is to te la nuit c étaient des patro illes , des gens qui circulaient .
’ - t Vrai , madame , concluaient ils , ce n e s
’ pas prudent a vous d être revenue .
— Aussi vais j e repartir au plus tôt . Elle monta chez elle pour faire un paque t à de lingerie , car il ne fallait pas songer em porter une malle . P u is on se rendit chez Félic ie D elorme q u i demeurait rue de Trévise ; elle avait natu r ell m e e n t des obj ets a prendre chez elle . On grimpa au cinquième étage . Sur le palier
’ s o u vrait une petite porte on m ontait un e s calier parti c ulier e t enfin on trouvait un
‘ a ppartement tout a fai t détaché du re ste de 29 2 MÉ MOIRES
’ l immeuble et auquel correspondait u n esca lier aboutissant a la maison contigue a la rue adj acente . On pouvait ainsi entre r par u n e
’ rue et sortir par l au tre . M arre ne connaissait Félic ie Delorme que de vue avant de l ’ avoir rencontrée a S aint Germain : elle se rappelait avec étonnement
s 1 n e e s le s brillantes toilettes , g de la bonne
Félic ie à D é az et faiseuse , que portait j et
’ dans d autres théâtres du même genre , où elle j ouait d e petits rôles . Elle était passa
e blement laide , les lèvres épaisses et ret m h a autes , la taille plate mais de gr nds yeux
a u F élic ie ardents éclairaient cette l ide r , et atteignait au véritable chi c par sa facon é lé
’ gante de s habiller . Au surplus , la disgrâce
‘ ’ phys iqu e de certaines marchande s d amou r leur nuit moins qu ’ on ne suppose les hom
’ ’ ’ mes s ét on n en t d abord du succès qu elle s l obtiennent , et se demandent ensuite par que charme secret elles ont provoqué e t retenu le caprice de leurs amants de la a vouloi r
’ ’ ’ l x érim en t e r - n e p par eux mêmes , il n y a qu u û pas , le premier , et le seul qui co te . Le luxe que Felicie déployait au theatre et
29 4 MÉMOIRES
‘ ’ d c i ar t s d rie n t tables gigo gnes avec e s g et e O . Les pé régrinations d e la j ournée avaient donné faim et soif a tout le monde . L e vin épanouit la g aîté de chacun tout en causant
’ ’ s a e rc u t et en fumant , on p que l heure du dé
’ part avait fui il fu t décidé qu on coucherait a ri e e Pa s . M arie accepta de rester chez F lici
’ D elorme parce que le s barricades l e ff rayaien t u n u peu et puis , po r trimballer les paquets , il y avait moins loin de la rue d e Trévise a la N gare du ord . Georges Dubail proposa aux
’ dîn e r M ar u er l o n deux femme s de chez g y , et
’ se dirigea gaiement et d un pied lég er v ers le
i n i r boulevard Po s s on é e . Le s rues et les bou lev a rds étaient presque déserts , et les rares
’ passants qu e l on rencontrait regardaient
’ d u n air étonné ce s gens qu i causaient et
M ar u e r i riaient . g y servit a ses cl ents un
’ dîner irréprochable , comme si l on ne venait
’ ’ de pas passer par le siège , et comme s il n y avait pas de Commune . Il leur recommanda
’ ’ un bourgo gne qui j u st ifi a l éloge qu il en faisait .
’ E Félic ie nfin , l on remonta chez , aussi
’ gaiement qu on en était parti . ’ FIN D E M PJII E 29 5
u Le lendemain matin , Georges D bail arrive
e s s o u fflé r e tout , une ge be de ros s dans les ’ h L fill l . u e e u bras Il raconte q il est passé c ez , son fleuriste du boulevard , où il a acheté ses
’ N é ron roses , de magnifique s Paul qu en cir
’ u c lant dans Paris , on l a remarqué , suivi ; il a reconnu l ’ homme un employé de la
’ u r u mairie q il a renvoyé aut efois . Po r le dé
r r pister , il a pri s a t avers le dédale des ues qui avoisinent le Conservatoire , il a couru , et
’ maintenant , il croit bien l avoir semé
Puis , il se met a raconter le s événements de
. t la soirée et de la nuit A Mon martre , on se
’ battait . L abbé D archiprêtre de la
Madeleine , a été assassiné . A ce nom , Fé licie se mit à pousser des cris . Vous
’ «d ? ? ites … L abbé D . a été assassiné
- ? Ou i . E st ce que vous le connaissiez D e ’ ! Mais c est horrible … E t vous êtes
’ ’ bien sûr d avoir dépisté l individ u qui vous
u i ? A s iva t ttendez , j e vais re garder dans la
’ ’ rue s il n y a personne . Elle regarda en se penchant , car le toit avançait et cachait la ru e fi t à ; puis elle signe Dubail de venir , et lui désigna un homme qui attendait de 29 6 MÉ MOIRES
’ ’ « l i . u l autre côté , au coin de la rue Mais c est ,
’ ’ ’ ’
- - eo t il . s ria , c est bien l homme qui m a suivi ’ m L individu était la , examinant les aisons ,
’ ’ r e les croisées , mais il n avait pas l idée de
u garder aussi ha t on était donc tranquille .
’ - v oilà Eh bien , dit elle , quelqu un qui
’ u n vous ferait passer mauvais quart d heure .
’
a . . Vous vez de la chance d être ici Mais , par exemple , vous ne sortirez pas de Paris aussi
u N facilement q e vous y êtes entré . ous y
u u avi serons pl s tard po r le moment , il faut
u u vo s en aller au pl s vite . M ais où allons n u - u ? o s nous donner rendez vo s Chez moi , dit Marie . Voici ma clef ; le concierge vous a
a vu avec nous hier llez n ous attendre . Fé licie D elorme ouvrit la porte et , prenant la
’ u ida u s u au r main de Dubail , elle le g j q palie
’ ’ ’ u u à d es de l a tre maison , ou il n eut plus q
’ ’ cendre l escalier . Et surtout n allez pas
d e a chercher une autre botte roses , moins que vo u s ne v eu illie z vous faire coller a u mur .
a e En rentr nt dans le petit salon , F licie se
a laissa tomber ccablée sur un siège , et les
r nerfs la dominant , ne pouvant plus conteni
2 9 8 MÉMOIRES
? é . vez pas son nom dit Marie intrigu e S i ,
u attendez . Un j o r , il y avait à la Madeleine
’ grand mariage j e m att arde a regarder e les dames , en superbes toilettes , descendr
’ ’ de voiture , puis l idée me vient d entrer dans
’ fau file l église ; j e me parmi la foule , et à
’ offi c ian t ? l autel , , j e qui Mon
u c . visite r assidu et in onnu J e demande , j e
’ ’ ’ m informe c était l abbé D dont D u
’ bail vient de nous raconter l assassinat .
' M arie c h r Et elle se remit a sangloter . e a a chait la consoler , mais elle ne trouv it pas les mots pour calmer son chagrin ; très inté re s s é e m ai , elle regardait cette femme , la
’ tresse d un prêtre . Elle avait gardé de son enfance catholique une crainte mystéri euse pour tout ce qui
l r touche a a religion et a ses minist es . L e prêtre qu e le surplis vêtait d e sa blancheur froide alors qu ’ il distribuait la manne eucha ris tiqu e aux fidèles tendant vers lu i leurs faces
’ ’ d e xt as e ; celui qui s a s s e yait au tribunal de la pénitence , j uge impassible des faiblesses mortelles qu ’ il semblait absoudre et guérir s ans les partager , image impersonnelle du ’ FIN D E M PI R E 29 9
Dieu très saint ; le pontife qui , dressé dans
’ l o rgu eil flamboyant des chasu bles magni
h au le fiques ; levait si t . soleil du tabernacle au - dessus des foules courbées sous le vent de
a a s n u la prière , ne dev it p être un homme con e
u . les a tres , une chair de désir et de plaisir Et celle qui avait eu le pouvoir de le ramener à t la condi ion mortelle , de le rendre justement
c pareil aux autres , en arra hant de ses épaules
a a sacerdotales le manteau de sainteté , p r is m sait a la j eune fem e presque sacrilège , mainten a nt surtou t que le prêtre et le pontife était devenu un marty r et que des rav o n s
’ ’ s angl a nts s aj o u ta ien t a l hié ratiqu e auré ole . Et cependant cette femme racontait son in trigue comme la chose la plus naturelle . (Elle
’ avait eu le temps de s y habituer , du reste . )
u — y J e me do tais bien , disait elle , au m stère
’ ’ t s e n v e1 0 ait u don il pp , qu il y avait q elque
’ chose . Et puis , c était sa tonsure , qui ne res
‘ u n u semblait pas a e calvitie nat relle . Quand
' ’ ’ a i j ai appris qui il était , j eu garde d en
arait re a u e rien lai sser p ; il a f llu , pour q j e
a p rle , cet horrible malheur que j e viens
’ ’ a d pprendre . ! a été plus fort que moi 3 00 MÉ MOIRES
avec mes larmes a j ailli mon secret .
’ r Elle mit de l eau f aîche dans la cuvette ,
’ n s é p o g ea les yeux . On regarda dans la rue
’ y si l homme était touj ours il avait disparu .
Comme les deux femmes descendaient , en
’ l en t re s ol arrivant à , elles entendirent la con
’ cierge parlant avec un homme qui l in t erro
e ait l g sur ses ocataires , et lui demandait si
’ elle n avait pas vu entrer dans la maison u n j eune homme portant des fleurs . Elles remon tè ren t a eu bien vite , et , sans chercher en
le t endre davantage , elles prirent couloir qui
’ a u u condui sait l a tre iss e .
En arrivant chez elle , Marie rencontra
- u madame Moreau , lingère co turière , qui
’ ru e - à habitait S aint Augustin , l emplacement
u — Blo s s ier occ pé depuis par Morin , le grand
u u lu t ôt la co t rier . Madame Moreau , ou p mere
’ u Morea , comme on l appelait , lui raconta
’ qu elle avait acheté toute la lingerie , les robes ,
n ma teaux , dentelles , fourrures , qui venaient i de la succession de B arru c c . S i elle voulait
? fi t a n n voir … Elle signe j eune homme qui portait des paquets ; elle suivit M ari e chez
elle , pour lui en montrer le contenu .
3 02 MÉMOIRES
Et a puis , dit la mère Moreau , vec moi , pas de danger j e suis connue !
’ Il n y avait pas de danger , en eff et ; Mari e apprit depuis que son mari , communard , hurlait avec les loups . CHAPITRE XI
REN T RÉE A SAIN T - GERMAIN
L s ra n es Commen t o n d evien t diplom ate . e g d ’
i a ris rû e . c o u rtisa n es de l Emp re . P b l
S i è e Au commencement du g , Marie avait
B arru c c 1 en une émotion pénible . Giulia son
a r mie , t ès malade , lui fit demander de l aller
voir . D epuis des semaines , elle ne quittait
’ pas son lit ; Marie accou rut à l hôtel de la
’ d e a rue la Baume , où Julia s ét it établie depuis
’ qu elle avait abandonné son appartement des
- Champs Elysées , qui fut occupé depuis par
’ - Gordon Bennett . D ès l entrée , elle sentit le im froid de la mort , et elle eut comme une
’ ‘ pression de sépulcre . C était un sépulcre , en
u effet , où agonisait une bea té condamnée . Le visage avait pris la lividité d es hosties trop
0 1 longtemps enfermées dans le cib re , et seule 3 04 MÉMOIRES la bouche éclatait ardemment dans cette pâleur
’ fi évreu s e , rouge blessure par où devait s en
’ u f ir la vie , l âme tendre et hautaine de la
d e courtisane si adorée . Et , comme un voile deuil j eté par avance sur tant de grâce mou dé rante , les cheveux sombres , en tresses
’ l r i n s é o a e t . noué es , p autour des j oues creuses
A ce spectacle de tristesse et de pitié , Marie
’ ’ u e évoqua l image d une autre Gi lia , heureus
é u i et triomphante , qui passait dans son q
’ u en page , le teint cha d , l œil brillant , le buste
parade , la taille libre dans un corset souple , avec des mouvements d 'une aisance patri
’ ’ d im r ri u é at c e . ci enne , et un air p Q elle était
’
belle ainsi , l orgueilleuse Romaine Et comme elle était digne de cette commu nauté de patrie avec I mp é ria ! Courtisane ou prin
e n t cesse , ne savait , mais sûremen désirable
e t et admirable , attirant toutes les convoitises
commandant tous les hommages . En la
' a n u r voy nt en tel état , Marie ne put cache tout a fait la surprise navrée qu ’ elle ressen tait Tu me tro u ves changée demanda
Giulia .
3 06 MÉMOIRES
t . Huit j ours après , elle étai morte Trois’ femmes ont résumé les Splendeurs
’ galantes de l époque impériale Cora Pearl ,
C L t i B arru c c i e e s s er . aro , Giuli a Cora Pearl
’ p ers o n n ifi a ce qu on peut appeler le st y le an
’ u glais de la co u rtisanerie . C était s rtout une femme de sport , montant a cheval comme un
c râ j ockey , faisant siffler sa cravache avec m a erie ; ses j mbes étaient arquées , ce qui lui
’ d clan din em en t onnait , en marchant , le d un
’ la d e re s s em d curie ; et , pour compléter la
s on blance , elle buvait sec et souvent ; mais
m e rve il buste était irréprochable , sa gorge leuse et di gne d ’ être moulée par quelque
’ illustre artiste de l antiquité . D ans un dîner
— de femmes , au Grand S eize du Café Anglais ,
’ o n ne trouva qu u ne se u le critique a formuler c ontre cette poitrine de déesse : on prétendit
’ âle qu elle avait dû la maquiller , car le rose p qui colorait la pointe des seins paraissait dérobé aux pétales des églantines . Elle garda ,
— on u e s o n e dit , cette perfection , après q visag ’ a eut subi la morsure du temps , et c est elle que Daudet fait dire , dans un mouvement de dépit contre ceux qui dédaignaient la cocotte ’ 307 FIN D E M F I R F.
’ c u a vieillie , par e q ils ne pouv ient voir la j eu nesse miraculeuse de cette chair de sorcière après trente ans de fournaise « J e ne peux pourtant pas alle r t ou t e n i ou e sur les places .
Or hé a u x E n er s Dans p e f , on lui avait
’ ’ c d e l Am o u r onfi é le rôle , pensant qu il lui
’ u à irait aussi bien au théâtre q la ville ; mais , chose singulière , le trave sti ne lui seyait pas la splendeur de la gorge ne compensait pas le s tares de sa plastique : des j ambes en
fu t - accent circonflexe . Aussi elle sifflée lors
’ ’ qu avec l accent angl a is dont elle se gardait
’ bien de se corri ger , parce qu il était la note ori ginale , le piment exotique de sa grâce ca
e K i ou i vali re , elle gazouilla J e souis p
’ d n e u o D ailleurs , a cette époq e on était s évère pour les t héât re u s e s ; selon le mot
’ ’ d une femme d esprit , les actrices faisaient
c quelquefois les atins , mais le s catins ne fai s ai n t e pas facilement les actrice s .
’ C L et e s 5 1 er à de l A n lais e aroline , côté g tur bu len t e et garçonnière , représentait dans
x u is ivité toute son e q la Parisienne . On disait
’ que c éta it elle qui avait posé pour C ei n tu r e
’ r é d E i a e n . Do , de p y 3 08 MÉ MOIRES
è Elle avait une grâce primesauti re , la
’ physionomie d une extrême vivacité , éclairée par un sourire d ’ un indicible charme l ’ attrait de ce visage irrégulier était le rayonnement
u visible de son intelligence . To j ours gaie ,
’ in t aris able elle de s d une verve , avait le don
’ m - - u à l e o rte . mots p pièce Par dessus to t , elle
’ ’
était d une élégance su prême . C est cette
’ élégance qu i idéalisait en elle j usqu à la ri
’ c h es s e elle recevait l argent et le dépensait
’ — sans compter . Celle qu un grand duc de Russie avait voulu ép ouser semblait destinée aux amours princières elle était comme
’ un bij ou aristocratique qu u n grand seigneu r il avait seul droit de posséder , car était fait
’ e pour resplendir sur u n e co u ronne . C e st ell qui fit à l ’ un de ses amants la royale géné ro s it é de lu i prêter les cinq cent mille francs dont il avait besoin comme caution chez son agent de change . Cet amant , le baron de
lu i oublia de les rendre , et elle a été forcée
’ de réclamer de la loi le paiement d u ne dette qu ’ on aurait dû regarder comme sacrée
u B arru c c i e a Gi lia , comme cette Imp ria qui
’ m c ou rti elle vi ent d être co parée , figurait la
3 1 0 MÉMOIRE S
é tait , avec ses gestes lents , ses nobles atti
’ l i r ll u n v e s é e . tudes , idole
' s t lé m erveilleu s e Tout , chez elle , était y ment . Elle avait une femme de chambre ,
au - S idonie , qui allait devant de tous ses dé sirs il n ’ était pas besoin de lui donner des
‘ ’ o rdres ; elle prévoyait tout . Il arrivait qu en
’ s l O é ra ortant de p ou de quelque première , elle invitait a u n souper impromptu les amis qu i avaient passé la soirée dans sa loge le
’ d Hé n in - prince , le duc de Fernan Nunez , le
’ m b r H ll z l ar d d u c d A re e a e C a è e . , , Blunt g p _ Ils suivai ent en voiture ; on arrivait chez ! e lle S idonie , huit , dix couverts Pen
’ dant qu on é c hangeait ses impressions sur le Spectacle et qu ’ on buvait un verre de ma dè re u n e à , Sidoni e prenait voiture , allait la
’ - d Or u n M aison , rap portait poisson froid , un
u a u n e filet de bœuf , des perdrea x la gelée ,
u corbeille de fr its , sans oubli er les fleurs
t u i ache ées à Isabelle , q alternait entre le Café
’ ’ - d Or Anglais et la Maison . En moins d une
u heure , le couvert était mis ; Sidonie o vrait
: « la porte Madame est servi e . On eût dit
’ ’ ’ qu elle n avait eu qu à prendre dans le garde ’ FIN D E M PI RE 3 1 1
manger . Cela étonnait même les gens habi
’ t u és aux maisons princières . Mais c est aff aire a vous ! Comment pouvez - vous obtenir un service aussi bien ordonné ? Si p ar hasard il me venait la fantaisi e d ’ une improvisation
u n de ce genre , j e s is bie sûr que ce serait impossible il faudrait réveiller le maître
’ d hôt el ff r qui a la clef des bu ets , le cuisini e
— qui a la clef du garde manger , et le valet de
’ chambre qui fait le service . L autre j our ,
’ e j avais pris froid ; en rentrant , j e demand ! ! t hé une tasse de thé ah bien , oui le avait été mis sous clef par le cuisini er et le sucre
’ ’ - d hô l par le maître t e . Avec le service d une femme de chambre , tout est organi sé comme si vous mettiez sur pied toute une valetaille .
Giulia souriait , gardant son secret . On la traitait de dépensière et de gaspilleuse Quelques petites camarades croyai ent con n aitre M les trucs , la bapti saient le angin de c la ourtisanerie , disant que chez elle tout
’ n était que mise en scène . Mise en scène , soit ! mais pas a la portée de to u tes ces dames .
A u — dessous de ces gloires amoureuses , 3 1 2 MÉ MOIRES
’ c l b ri brillaient encore quelques é e té s . C était
’ ’ du re s s em l amie d un prince sang , dont la blance avec le grand Napoléon est lég en
1 s c u l tu ralem en t l da re Anna D eslions , p bel e ,
et qui , avant de resplendir , à côté de la Gui ‘ m mont , a toutes les pre ières , dans la loge de
Ro u e lan q p , où elle attirait invinciblement
u é t é offi to s les regards , avait j adis humble
’ c ian t e dans un temple d amour ; Juliette
Beau , que firent connaître des débuts reten t is s an t s au Vaudeville de la place de la
’ Bourse ; to u t Paris y courut pour l entendre
A C hi u i ta u chanter y q , cet air avec leq el
plusi eurs générations se sont gargarisées . Adèle Courtois se signalait parmi ces cou r
tisanes éprises su rtout du panache par u n
e sprit pratique tout a fai t remarqu able . Elle
’ u u n avait auc ne vo cation po r la haute noce ,
d a u e - là éclar it q , dans ce métier , il lui fau
drait de u x estomacs et qu atre ouvrières . Elle était la maitresse honoraire d ’ un diplomate
- danois . On prêtait à celui ci des bi
z arre s u lu i , et son go vernement enj oignit de
’ se po urvoir d un alibi pour se réhabiliter .
’ L alibi ce fut Adèle . Malheureusement , il se
3 1 4 MÉMOIRES
l s o é e . i e Constance était grande , m nce , blond , véritablement belle et sincèrement b onne .
’ On l app ela longtemps Constance Galiffet
de le fringant officier , s on amant , lui permit
’ le suivre en Crimée , d où . il revint si glo ri eu m n r s e e t blessé . Il avait fait disposer pou
’ l arriè re - d e elle , a garde , une tente ornée
’ ’ l I n d cachemires de e . C était Clorinde auprè s de Tancrede . L e charme des femmes de cette époqu e était fort différent de celui que p ré s en t en t les
’ ’ s femmes d auj ourd hui . Elles étaient moin
’ instruites et ne mettaient pas mieux l ort ho
’ graphe que les marquises d autrefois ; mais , e sentant leur infériorité intellectuelle , ell s v regardaient les hommes du monde vi re , et se
’ ’ formai ent d après cet exemple . Auj ourd hui ,
’ râc e à la e g mutuelle , elles savent l orthograph
’ et n app ren n en t plu s a vivre aussi leur rôl e
- - a - — on i . t social a t il décl né Nos courtisanes , dit , ne sont plus des marchandes de sourires c e
sont des ouvrières de caresses , occupées uni quement a procu rer les tressaillements pou r lesquels on les recherche .
’ On aime encore , mais on ne s amuse plus . FIN D EMPIR E 3 1 5
’ ’ s en ivre L on touj ours , mai s le cocktail a re m
placé le champagne .
’ ’ La rentrée a S aint - Germain s efi ec t u a plus
’ ’ u râc e gaiement q on n aurait pu croire , g a la note fantaisiste que j etait le costume de Du
- . u bail A S aint D enis , on trouva des voit res .
’ e n u Dans l une , installa la Morea et ses paquets les deux j e u nes femmes montèrent d ’ ans l autr e avec leur compagnon . En arri
- la vant a S aint Germain , Moreau insista pour vendre à Mari e la couverture de zibeline qui la u u séd isait bea coup . Mais , malgré le prix
’ u mo deste q elle demandait , trois mille francs , pour une fourrure qu i en valait bi en trente
’ u mille , l artiste ne po vait se résoudre à cette d épense , car elle ne prévoyait pas ce que
’ d - i urerait l exil de S aint Germa n . Eh bien ,
’ u que monsieur vous l offre , dit la Morea j e
m e contenterai de sa signature . Alors , sin
e c e t g uli re contradiction , homme , qui venait d e risquer sa vie pour prouver son amour a 3 1 6 MÉ MOIRES
t la j eune femme , refusa absolument le crédi
’ presque illimité qu on lui offrait .
’ S ix d l Od n mois après , on onnait a éo la
B i s première du o , de Glatigny , que Marie créait avec Pierre Berton . A la fin du spec
on tacle , lui apporte la fameuse botte de
‘ N éron av e c la Paul carte de Georges Dubail , à qui demandait lui présenter ses hommages .
’ t u Oublian sa ranc ne , elle fit répondre qu il pouvait monter a sa loge . Il y avait la une
du femme nom de Toms , représentante de la
u célèbre maison de bij outerie Emman el , de E Londres . lle était en train de lui faire admirer sa j oaillerie lorsque Dubail entra . M arie lu i dit en plaisantant V o ilà de su perbes bij oux que vous êtes incapable d ’ offrir même a la femme que vous aimeriez .
’ - il Comme cette femme c est vous , répondit ,
a lais an faites votre choix . Croyant une p t eri e , elle choisit une broche , des boucles
’ u n e d oreilles , perle s et diamants , bague ; le
— Vo ilà tout valant quarante cinq mille francs .
- ce que j e prends , dit elle . Eh bi en , ma
’ dame , riposta Dubail en s adressant à la
c on s en t eæ Toms , vous savez qui j e suis
3 1 8 MÉMOIRES
’ s appelait aussi Martinez . C etait une série ,
A u comme on voit . bout de quelques année s , e D ubail divo rc a it . S a femm était une char
n e u e mante personne , qui possédait q ses
charmes ; elle avait du lu i coûter plus cher ! q u e la comédienne D evenue libre , elle
’ é pousa le marquis de Boissy - d A n glas ; elle
‘ est t rès assidu e aux c on féren c es de la Bodi
n iè re
A la tombée du j our , pendant les temps d ’ exil , on se réunissait sur la terrasse de
S — : aint Germain , qui dominait Paris il appa rais s a it d a ns le lointain com me la terre
in dr u . e e promise Un soir , on vit p une l eur
qui peu a peu grandit , se déploya en gerbes de
’ s étala feu , en nappes rougeoyantes , envahit
’ ’
l horizon tout entier , sinistre aurore d in
’ c . r ondie On se rega da , et l on comprit tout a c oup Mon Di eu ces forcenés vienn ent de mettre le feu a Paris ! C ’ était en effe t “la Commune qui arborait son panache rouge au d e ssus de la capitale . ’ FIN D E M F I RF 3 1 9
La flamme ron flait comme une b a sse con
’ t in u e u e n t re c ou aien t , q p de temp s a autre
cla rté des crépitements secs . La devint si
fu t m vive , que la terrasse en tout illu inée ;
’ ’ e fi ro able y apothéose . Cette scène d horreur baignait dans la splendeur s anglante des bûchers allumés par les N é ron s révolution n aires , comme dans la gloire des feux de
— u bengale . Après dix h it cents ans , un crime a a ra ussi terrible , aussi épouv ntablement d ’ ieux que l incendie de Rome , éclatait sous le calme étoilé du ciel P a ri s brûlait .
flam m è c h e s D es , apportées par le vent ,
’ tourbillonnaient arr- dessus des t è t es c étaient les parchemins de la Co u r des Comptes . Ou plutôt c ’ était l ’ histoire du second Empire
’ qui s en allait , page par page , dans la fumée t l e dans les flammes . Fini e cette époque é g en daire de folie et de grandeur ! Fini ce rêve d e Balzac réalisé dans la romanesque aven
s u r . le u el ture de ce temps , q avaient régné ,
’ c u re s c rit o ple impérial , l héritier p de la for
’ tune napoléonienne et l E sp ag n ole in s o u
’ c ieu s e d la u , ont basq ine de velours s était
’ métamorphosée en t rain e d im pératric e Les 3 20 MÉM OIRES grandes dames qui fu rent ré ellement les
’ d E sp ard et les M au frig n eu s e rêvées par le
C m éd i e h u m a i n e am bi créateur de la o ; le s î tieu x élégants qui in c arn è ren t B u b emp ré et
R as tign ac ; les créatures de lu xe et de j oie
’ ’ d E s th er l e qui eurent toute la beauté , tout s
’ ’ u à prit de J enny Cadine , n avaient plus q à vieillir et mourir . Leur règne était passé a tout j amai s ; la peau de chagrin était usée ,
’ l r i vidées toutes les coupes de o g e . L e qua
’ drille d Orp hée a u x E n fe rs ne faisait plus
’ ru gir ses cuivres sous les lustres de l Op é ra
’ il n y avait pl u s que la s arabande des p é tro leu s e s autour des décombres , piétinant les lambeaux splendides de cette gloire éclatante et galante
L e s e cond Empire .
’ FIN D E FI N D E M FI R E
3 22 T AB LE D E S MAT I! RES
Fla va ra é ie rec u e u ée ar u n e , t g d g q j o p Mo t ’ Su et arie m ier au ât au — d Eau lly M Colo b Ch e .
‘ La ommu n e rt C HA PITR E X . C Mo du c om te k m m n t n Gré goire Poto c i . Co e o s au ve u n ’ n i i . La fin u e e Da n e h ér ta ge d dyll . g
Ré é a i n s . rt de reu x voy a ge . v l t o Mo ’ l abb é D
A Ren t rée a a in t— Germa in C m C H PITRE X I . S o n e ie n i m a e Les ra n es m en t o d v t d plo t . g d ’ an s de l Em ire P ar s rû e c o u rtis e p . i b l IN DE X D E S N OMS C ITES
E 23 8 E a s t 4 6, Abeille ( mile) , . (de) ,
f rè r e s 1 73 . 2 71 . Abeille (les ) , Barbier
i 1 66 2 79 . Abe lle (Mme) , . Barbotte ,
A u 83 1 07 . bo t . Bari (comtesse) ,
duc 9 9 è 2 55 . Abrantes ( . Barri re 227 B a r r uc c i u 1 66 203 205 Agar , . (Gi lia) , , , , u u i 208 2 09 3 00 3 03 3o4 2 1 4 21 6 . Ah mada (marq s de) , , , , , , r A A 3 05 3 06 3 08 309 3 1 0 3 1 1 2 1 4 . ldama ( lfonso de) , . , , , , , é 1 56 u 1 66. B . Alq ier , arth lemy , 9 9 1 04 1 9 A é J 1 39 . u 1 . ndr ( eanne) , Ba din , , ,
u 1 3 B a zile wski 2 40 . Andrie x , . ,
A 1 5 u J u 2 23 . ngelo (Valentine) , . Bea ( liette) ,
1 67 B e a u r a n d M 268. Antigny (Blanche . g ( lle) ,
1 9 5 1 9 6 u du c 1 66 . Antonine , , . Bea fort ( de) ,
A 1 23 . v lle t 0 1 2 1 4 . B e a u a 1 . rmand , , ,
d u c 3 1 0 B e a u v a lle t fils 5 . Arenberg ( . ( ) ,
u 1 0 1 é é 6 . A ber, . B dard (Val rie) ,
A ub r e t 240 . e h u e de 1 4 5 . y B a g (comtesse ) , u E 85 u 1 3 0 1 3 1 A gier ( mile) , . Bellanger (Marg erite) , , , u u P u 1 65 3 2 3 1 3 4 1 3 5 1 36 1 3 7 1 1 3 . A g sta (reine de r sse) , , . , , ,
1 70 1 72 t 7 2 27. , . B é n a ze , 1 6 ,
u du c 1 67 228 . B é rio t . 48 49 50 52 A male ( , (Ch de) , , , ,
u 2 54 . 53 58 59 65 67 sa 7 9 Avril (S zanne , , , , , , 80 sa 9 0 9 3 9 4 9 5 1 03 1 06 , , , , , , ,
85 . 1 07 n o 1 20 Bacciochi , , , ,
- u 1 60 1 55 1 56 1 5 8. Bade (grande d chesse de) , , , — 1 68 . e r io t h Wi 61 62 B C . ( lfrid de) , , ,
e è e 1 36. 63 64 65 68 80 9 6. B lenzi (p r ) , , , , , ,
T 2 56. 1 . B 1 0 0 3 6 . Banville ( h de) , erton , , 3 24 INDE X D E S Nou s C I T ES
- S e 78 9 1 . P 1 66 1 72 1 73 3 06 Bertrand de aint R my , , Cora earl , , , ,
i k 3 07 . B smarc , ’ B i s c ho fls h e i m 238 1 80 . . Cordoza ,
79 C o s té 1 0 1 . Bizet (Georges) , . , A a 5 u dè le 3 1 2 3 1 3 . Bl nc (Berthe) , . Co rtois ( ) , , C r é n is e d 1 63 . s 1 67 . Blandfor , , 6 Bloch (Mlle) , .
u 3 1 0 . Blo nt , 1 0 1 . 263 264 . Bocher (Ch ) , . Dameron ( Mme) ,
6 u 2 68 . ( é é 2 3 . Damoisea , Bocher g n ral) , 9 9 9 B o i s s e lo t 23 2 , 8, . , . Darblay ’ - - u 3 1 u G . P u d A n la s 8 . ) , Boissy g (marq ise) , Dar ( a l
u 8 1 . Pi 4 6 4 7 . Bonaparte ( erre) , , Da det u i ) B o d 2 2 1 00 . n o i s P u 5 . ( , ( a l) , Debre il Math lde
M u u 4 5 4 6 . 23 2 . 23 1 . Borelli ( me) , Deb ra , , D e l h E 85 86 a a n t e , 2 52 . riges ( vicomte de) , , . D e la m a r r e 3 u u 7 8 9 1 0 1 7 . Brohan (A g stine) , , , , , (comte de) ,
u 2 2 1 9 2 2 7 . Dela nay , , , ) 289 2 9 0 29 1 Delorme (Felicie , . , , 2 9 2 29 3 29 4 29 2 ( 9 89 1 86 , , , 5 , 9 6, Brohan Madeleine) , , , , 2 27 2 2 , 8 . D e l v1 1 2 1 7 2 3 6 8 89 9 1 . , , Brohan , , ' B i D e m id o fi P 1 66 1 75 ro z a t E 23 7 . ( ) , , , ( milie) , rince
D 9 7 . u u 274 2 75 . y , B rea , , enner D e s b ro lle 6 B u s s ie r re 1 65 a s ) , 1 8 , . ( (baron de) , les D e s la u a s 1 c z 1 4 1 4 3 . 1 52 . , By ron ( Lord) , , é A é e 7 5 2 1 9 2 20 Descl e ( im ) , , , , 2 2 1 2 22 2 23 2 24 22 5 2 , , , , , 26, i l 1 Ga , 84 . D e s o u r t 9 c u 8 . h H . 9 5 . ( , Cal as ( de) , La rent)
C a lvm 23 2 D e s h o n s 3 1 2 . , . (Anna) ,
De s v a lli è re s , 1 0 1 .
C 1 D o l o ki i 8 1 63 68 1 7 2 o r u 1 6 . arrington , , , . g (pr nce) , 1 9 7 é u 1 0 1 Castellano , . Dor (G stave) , .
u M uc C 2 85 . 255 . Castelna ( lle de) , Do et ( amille) , , d D u u u i 1 2 1 uc 1 66 . , Castries ( de) , o cet (le co t r er) d uc 1 63 2 28 u u i 1 63 Chartres ( de) , , . Do glas (Carlo , marq s de) , ,
é r R OS c 220 1 70 1 71 . Ch i ( ) , . ,
C 80 . u 1 67 . hopin , Do glas (Mademoiselle) , I ) ub a i 289 29 0 2 9 4 2 9 5 29 6 M 1 0 1 . Chotel ( me) , L , , , , , C i e o M 1 7 1 86 3 . ( lle) , .
l i 1 0 1 1 0 2 . C a a m d e H a lle z 1 73 3 1 0 . u E p ( ) , , D bois ( mil e) , ,
C la is s o n 2 u e é 1 44 . p , . D ch min ( L on ) ,
1 9 3 . u i 1 53 1 56 Clarence , D ma ne , , ,
u 1 9 4 1 9 5 u 1 53 . Cla de , , . D mas (Alexandre) ,
u i 24 0 1 82 1 83 2 4 1 . Cla d n , . , ,
- T s 2 20 226 254 . 1 73 . u fi l Clermont onnerre (de) , D mas ( ) , , ,
C i 2 8 . D u re s s o i r 2 27 22 8 . ohen (Fel x) , p , , C o ue lm e 1 03 u u ] q ( ine) , . D q esne ,
3 26 INDE X D E S NOMS C I T ES
u i M n v o 1 4 1 5 2 1 e u 1 2 1 a 0 . Laferri re ( le co t r er) , . y (Athalie) , , , 2 1 fi 1 73 u 8 . Laf tte , . Maq et u M 6 a 1 4 1 1 43 1 4 4 B . L gier (S zanne) , , , arcilly ( lanche) , M rc o n t 7 1 4 5 . 1 84 . a n e , 1 6 .
La r e n é e tE dm . 84 1 73 . M a r ue r 274 276 . g de) , , g y , , ) M d 1 3 1 9 3 u u c 6 . La g range (comte de . arlboro gh ( de) ,
L a é r o n n i è r e M 1 2 . u 9 7 23 5 . u 0 g (de) , arq et (Delphine) ,
L a m a le r a 232 3 1 7 . y (Mlle) , . Martinez (Mlle) ,
n 1 1 . i P 3 5 . Lamarti e , Mart nez ( ablo) ,
. 2 4 3 . A 23 7 . Lapie (M et Mme) , Marx ( drien) ,
R e d o r t e 1 66 Lé o n t in e 1 5 272 . La (baronne L . de) , . Massin ( ) , ,
R e do rt e m 1 73 M u G u 287 . La ( co tesse de) , a passant ( y de) , M 1 66 1 4 u . Laroche , . aximilien (archid c) , u 1 9 7 1 2 2 La rent ( M arie) , . Meilhac .
L é o n id e 1 4 4 1 67 . M e lle r i o 1 65 . Leblanc ( ) , , , 282 è 9 5 271 Ledoy en , , Mend s , . ‘ è - e mie r . M D u 8 4 e n ts c hiko ñ 1 73 . Lef vre , (prince) , Le fi lle ul 285 - A u , . Mercy rgentea (comtesse de) , L e o u v é g , 1 0 1 . 1 66 . 9 M 79 Lehon (comtesse) , ery , .
7 M . 9 . 1 65 Lehon (L esmer , L e n i n e r 1 3 6. M i 3 5 . g (Mlle) , etternich (pr nce) , 6 M 5 1 8 1 68. Leonard , . etternich (princesse) , , L o d e t a u 2 9 30 3 1 0 M e n a die r 2 22 223 226 . 1 3 . , , , , y , , , — 9 6 M 1 9 u 1 9 8 9 . Lepel Cointet, ig el , , L e l e l e t ie r 5 . i 7 8 k 1 6 . p , M lban ,
L e r é vo s t 6 . M o c u a r t 9 6 9 7 1 04 1 05 1 06 p (Mile) , q , , , , , ,
R e 9 9 . Le y ,
u 9 9 . 1 3 4 Lero x , . 1 4 4 1 4 5 1 50 M è u 1 73 Leroy ( Henry) , , , . od ne (marq is de) , .
I .e s s e s F a r d 7 M k 1 66 . 1 8 . p ( de) , . olt e (de) ,
M me 3 1 7 . M . R . 1 66 . Lesseps ( de) , onclin (G et de) ,
L et e s s i e r . 1 63 1 67 1 68 M o n n a i s 2 . (Car ) , , , 1 7 2 75 2 M o n t a la n d i 6 1 203 0 5 . 2 2 1 . , , , (Cel ne) , 3 M 2 2 2 2 3 06 3 07 . 1 2 2 0 . , , ontign y , , M d u c 1 73 L e t o u r n e u r 1 4 1 . . (Mlle) , . ontmorency ( de)
é u 3 00 3 0 1 3 05 . L vy , Morea (Mme) , , , — S i n t i 2 53 . 1 O. u a Limay rac , Morea ,
- B lo s s i e r 3 00 . 1 09 1 1 2 . Lintelo , , Morin ,
Lio n n e t 1 62 M a m du c 200 2 01 . freres) , . y ( de) , ,
i 1 73 . 1 4 1 5 u . Lloy d (Marie) . , . M rat (pr nce)
u 1 6 1 u ) 24 . L cas . M rat (princesse Anna ,
u 6 . M rray ,
u 1 67 . é 2 2 23 2 4 . ( , Magnan (mar chal) , , , M se lady)
u A 1 46 2 27 . fi 2 5 . ) , Ses lles , M sset ( lfred de
- u P 1 73 . 1 66 , Magnan (Mme) , . M stapha acha i 1 5 271 2 72 Magnier (Mar e) , , , .
M m - Félic ie 63 1 5 . alibran (Ma a ) , Nancy (Mlle) , é 9 8 1 05 68 74 . , Napol on , , IN D E X D E S NOMS a r t s 3 27
u E 1 00 1 0 1 1 2 4 1 2 5 , , , Riq ier ( dile) , 1 3 1 1 3 2 1 3 3 1 3 4 1 3 5 1 3 6 1 3 7 R i d uc 1 73 , , , , , , , ivol ( de) , R H 1 4 8 ochefort ( enry ) ,
J e r ô me 1 52 1 00 . Napoleon ( ) , , Roger ,
in e i 1 68 1 79 u 1 0 1 . N a n s c hk . ( Baz le) , , Rome f,
! N 1 73 . R o u e la n 1 5 1 1 5 2 esselrode (comte de) , q p (Nestor) , , , 3 5 1 53 1 8 7 2 1 7 2 52 3 1 2 Nigra , . , , , , .
2 5 R i 1 66. 4 . Noir (Victor) , othsch ld , l R o ll S S e i 1 5 7 1 9 . , 9 . 3
Ob o li n s k a 1 66 . R u u i 9 7 9 8 (princesse) , o ville (marq s de ) , , ,
O O 23 8 . 1 04 1 08 1 22 . rmesson ( livier , , ‘ 1 6 o 1 73 O ur o u s s o fi 3 . R . (prince) , y , R 1 0 2 oy er (Marie) , .
- Pa uh n M é n i e r .
F u 1 4 4 . 24 7 . elo ze (Mme) , Sabatier
i e 1 63 1 6. P d u c . 6 enth vre ( de) , Sagan (prince de) ,
Pe r e i r e 7 i 1 9 . 9 . 3 , Sagan (pr ncesse de) ,
- 7 . A 2 5 P 1 4 u . eriga , Saint rna d , Pe r s i n d u c 24 i - i 1 73 g y ( de) , . Sa nt Germa n (de ) , , — P i 4 2 5 1 03 1 1 6 1 1 7 . i u 1 0 0 1 67 etit (D ca) , , , , , Sa nte Be ve , ,
P 2 5 . S a la m a n u a 1 9 1 etit (Mme) , q , .
i 2 84 . M i 6 P 6 1 1 . ignatelli (pr ncesse) , Samary ( ar e ) , ,
P J e 1 1 6 . oilly ( baronne de) . Samary ( anne) ,
P i n M 5 . 1 1 6 1 0 I l . onc ( lle) , , Samson , , O P d u T e r r a i l 1 3 9 27 1 2( 72 onson , , Sarcey
Pe r e ] 1 3 . u 1 3 9 2 , Sardo , .
P k è 280 1 4 3 . otoc i (comte) , le p re , Sary ,
283 284 1 4 4 1 4 5 . , . Sary (Antonia) , , o 1 r 2 7 i 2 76 2 77 Po t c k G é 8 . ( g Schm dt , P k i i 2 84 2 85 2 86 1 67 1 68 otoc (N colas) , . , , Schneider ( Hortense) , , , 2 87 2 , 88 . 1 84 , 1 86.
P u Mm e 1 7 3 . 1 86. o let ( ) , Scholl le r Po u r t a s C 1 66 S é e u 2 68 . ( omtesse de) , . (docte ) , P 1 0 1 2 . u 1 9 2 . rovost , , Sej o r
l J 6 . P s fi s 1 6 . S e ve s t r e u rovo t ( ) , ( les) , S v i i o r , 64 .
é 63 . u lu s 69 70 . Q , . Sonntag (la) ,
é n 1 u l M u 1 67 . u a t 1 0 1 . Q ( lle) , So bise , 24 7 259 268 Spare (baronne de) , , , ‘ w é 2 74 2 77 . . 1 6 3 Radzi ill ( Sig Ch L on) , , , S t a le a u x 9 6 23 8 . Rampon , p ,
u u 1 9 3 . M me 4 5 . Ra co rt , Stoltz ( ) , é i 1 0 1 1 78 7 9 8 1 R gn er , , , , , , (ac
- u 2 2 2 . T Pe 1 73 . te r) alley rand rigord ,
1 9 7 . T 7 1 1 . Regnier , alon , 1 0 S uz T wa A e i 7 1 7 23 2 . Re henberg ( he ( ng l na) , , h O 1 65 . T m e 1 4 1 Reinac ( scar de) , he e (Alic ) , . B u 3 1 3 . T 2 . es che (Armande) , hierry B u T 3 1 4 . i 2 . es che (Constance) , sserand , 3 28 IN D E X D E S NOM S C I T ES
T o r de u s J 69 . V ille t r e u x 1 66. ( eanne ) , (de la) , ’ - - i i I s le - T u e t T 1 64 l 9 5 . o r axis (prince de) . , V ll ers de Adam , Vi r o t 2 1 7 3 . 9 . (Mme) ,
T 73 E 1 67 . u k 1 . ro betz oy ( prince) , Volter ( line) _
T u é é 262 263 . roch (g n ral) , ,
T u è 1 73 . Z 2 1 0 2 1 1 2 1 2 2 1 3 . renne (les trois fr res de) , amore , , , ,
é 2 2 23 . W 255 Vaillant (mar chal) , , allace .
V a u vi n e u x 1 66 . Wi 1 4 3 1 4 4 1 68 . (de) , lson , ,
56. 1 1 3 1 86. Verdelet , M 1 67 Verne ( arie) , .
1 1 3 . Vernet 74 .
W 1 56. V e illo t 1 54 1 86 . u , orms , , e e s s r t 1 6 1 66 Wo r m s m a d a m e D l a ) . Victor . ( , W , 1 6. V ie uxt e m s 64 . o ( ada e D hay ) p , rms m m es es
W i 1 4 5 1 50 . Ville m es s an t 237 . r (tapi ) , , , o ms ss er
ÉM I LE C OLI N I MPRIMERI E DE LA GN Y