LES HAUTS DE ET SAINT-MIHIEL DU MÊME AUTEUR, A LA MÊME LIBRAIRIE

La Guerre des Rouges et des Blancs. L'Aventure de l'amiral Koltchak, 1918-1919. In-8, avec 20 photographies hors texte 22 fr. — Le Drame de Douaumont. In-8, avec un croquis et 18 photogra- phies hors texte 20 fr. — Charleroi. Août 1914. In-8, avec 6 croquis et 8 photographies hors texte 22 fr. — La Main de Massiges, 1914-1918. In-8, avec 3 croquis .... 18 fr. — Le Chemin des Dames, 1917. In-8, avec 9 croquis et 18 photogra- phies hors texte 20 fr. — Les Crapouillots, 1914-1918. In-8, avec 3 croquis et 19 photogra- phies hors texte 18 fr. — La troisième bataille des Flandres. Le Kemmel. In-8, avec 5 cro- quis et 8 photographies hors texte 20 fr. — La Guerre en Argonne. La Harazée. Le Four de Paris. Varennes. La Chalade. Le Bois de la Gruerie. La Fille Morte. In-8, avec 4 cro- quis ...... 20 fr. COLLECTION DE MÉMOIRES, ÉTUDES ET DOCUMENTS POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA GUERRE MONDIALE

GÉNÉRAL J. ROUQUEROL du Cadre de Réserve

LES HAUTS DE MEUSE ET SAINT-MIHIEL 1914-1918

Avec sept croquis

�- PAYOT, PARIS 106, Boulevard St-Germain

1939 Tous droits réservés Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Copyrigh 1939, by Payot, Paris AVANT-PROPOS

Aux derniers jours du mois d'août 1914, « la direction suprême allemande voyait la situation sous un jour telle- ment favorable qu'il lui semblait suffisant de marteler tout le front pour achever la victime, plutôt que de préparer une attaque massive. » (La guerre mondiale, Reichs Archiv.) Dans ces conditions, la Ve armée allemande (prince impé- rial), qui rencontrait la forteresse de dans sa zone d'action, se bornait à l'investir et à poursuivre sa marche vers Paris.

L'arrêt et le recul de l'invasion après la bataille de la Marne créaient pour les armées allemandes une situation nouvelle.

Verdun était sur le front français un saillant qui pouvait devenir dangereux. Ce n'était plus une place isolée parais- sant facile à masquer. Elle était incorporée dans le front de la 3e armée française qui faisait assez exactement face à la Ve armée allemande.

Dès la mi-septembre 1914, le commandement allemand envisageait une opération de grande envergure consistant à pousser en avant les deux ailes de la Ve armée pour encer- cler à la fois la place de Verdun et la 3e armée française.

Cette manœuvre grandiose devait se développer en même temps en Argonne et sur les Hauts de Meuse. Les opérations entreprises sur ces deux théâtres devaient avoir un objectif commun : celui de se rejoindre au sud-ouest de Verdun, mais elles étaient indépendantes l'une de l'autre. Cette étude est spécialement consacrée aux événements des Hauts de

Meuse. Ils constituent un des grands drames de la guerre mondiale, mais ils sont peu connus. Les deux adversaires ont également éprouvé sur les Hauts de Meuse de graves déconvenues; des raisons d, convenance ont imposé aux récits contemporains une réserve discrète, en dehors des épisodes de détail. Il n'en est plus de même aujourd'hui. En raison de l'im- portance des moyens engagés et des buts poursuivis, la connaissance de la vérité sur ces événements s'impose à tous ceux qui s'intéressent à la conception des plans mili- taires et à l'exécution des opérations de guerre. Au point de vue de l'instruction, les fautes et les erreurs commises appellent la critique pour en rechercher les causes et la réflexion pour éviter de les renouveler. L'Histoire ne comporte d'enseignements que si elle fait abstraction de toute considération tendant à oblitérer le caractère ou l'importance des faits. La vérité n'est pas tou- jours flatteuse; elle contribue souvent plus que la légende à élever le moral du combattant. Plus d'un quart de siècle passé sur les événements rap- pelés dans cette étude, la disparition de leurs principaux dirigeants et l'apaisement des passions soulevées pendant la guerre permettent d'aborder à un point de vue strictement historique la perte des Hauts de Meuse. Ce sujet a cessé d'être brûlant. Le plan d'encerclement de Verdun a été une conception personnelle du général von Falkenhayn élevé au comman- dement suprême le 14 septembre 1914. Il ne doit pas être confondu avec les opérations allemandes antérieures sur les Hauts de Meuse. Celles-ci étaient le développement, inter- rompu par la bataille de la Marne, de l'écoulement de l'in- vasion à l'est et à l'ouest de la forteresse de Verdun, comme il a été dit plus haut. Quelques chapitres de ce travail sont consacrés à l'étude, dans la forêt d'Apremont, de questions d'un intérêt général. Les circonstances ont, en effet, donné aux troupes de ce sec- teur l'occasion de faire des observations particulières sus- ceptibles d'application à d'autres fronts. Il s'agit de l'organisation du service des écoutes télépho- niques sur le front français et de celui des renseignements sur le front allemand. Deux chapitres sont consacrés aux divers modes d'emploi de l'artillerie. Enfin, la question de Briey fait l'objet d'un chapitre. Elle a été le sujet de trop de polémiques autour des opérations des Hauts de Meuse et de la Woëvre pour qu'il ne soit pas utile d'en dégager une conclusion i.jpartiale. LES HAUTS DE MEUSE ET SAINT-MIHIEL

CHAPITRE PREMIER

DESCRIPTION DU TERRAIN

(Croquis N° 1)

De Dun-sur-Meuse à , la Meuse est bordée à l'est par une ligne de hauteurs connues sous les noms de Hauts de Meuse, côtes lorraines ou côtes du Nord. Une plaine s'étend au pied de ces hauteurs qui la dominent de 100 à 150 mètres. C'est la Woëvre dont les caractères très particuliers devaient exercer une influence parfois décisive sur les événements militaires qui s'y sont déve- loppés. Elle est limitée au nord par la dépression de l'Orne et au sud par le ruisseau tortueux et profond du Rupt de Mad, affluent de la Moselle, près de Metz. Les faibles dépressions de ce sol argileux et uniforme :sont facilement transformées en étangs qui, générale- ment, subsistent en toutes saisons. Le plus grand, celui de Lachaussée, est un obstacle de plusieurs kilomètres -d'étendue. La plaine est parsemée de bois de hêtres et de ,chênes souvent importants; le sol en est généralement bourbeux. Des pluies médiocres rendent la circulation dans les champs très difficile. En dehors de la saison sèche, les opérations en Woëvre ne peuvent réussir qu'à la faveur de circonstances exceptionnelles. Dans ces conditions, la possession des routes est de première importance. L'oc- cupation des carrefours en est la clé. Conflans-en-Jarnisy est le centre ferroviaire de la Woëvre. Il a fait l'objet de nombreuses études chez les Allemands après la guerre de 1870. Presque tous les ravins qui s'élèvent de la Woëvre vers les Hauts de Meuse sont suivis par des routes donnant accès sur un plateau boisé; elles sont prolongées plus ou moins directement jusqu'à la Meuse. La plus importante et la plus connue de ces voies de pénétration entre Ver- dun et Commercy est celle qui passe à la trouée de Spada pour aboutir à Lacroix-sur-Meuse. Les Hauts de Meuse sont constitués par un plateau entièrement boisé dont les pentes sont beaucoup plus raides sur la Woëvre que vers la Meuse. La largeur de ce plateau est variable : de 2 km. 500 à Commercy, elle atteint 15 km. à hauteur d'Hattonchâtel. Elle n'est que de 8 km. devant Saint-Mihiel et de 9 km. à l'est de Verdun. Les promontoires du plateau des Hauts de Meuse sur la Woëvre fournissent de nombreux observatoires vers la plaine. Le plus remarquable est le sommet d'Hatton- châtel sur lequel l'évêque de Verdun, Hatto, fit construire au xe siècle un château protégé de trois côtés par des pen- tes abruptes. Les Hauts de Meuse avaient conservé de l'époque où les voies de communication étaient médiocres et rares la réputation d'être peu pénétrables aux opérations militai- res. L'échec que le commandement français y a subi ne prouve pas que le développement de la viabilité et l'amé- nagement des bois leur aient fait perdre toute leur valeur défensive contre une attaque surgissant de la Woëvre. L'examen du terrain nous montre une série d'excellents observatoires et des positions d'une défense facile reliées par des communications ouvertes, en face d'une plaine sans vues lointaines, d'un parcours difficile en dehors des routes, et privée de communications défilées. Mais ces avantages n'ont pas une vertu passive et restent sans valeur s'ils ne sont pas utilisés par un défenseur pré- voyant. En tout cas, il est intéressant de remarquer que l'organisation de la frontière après la guerre de 1870 n'avait pas fait état de la défense des côtes de Meuse. Le plan du général Séré de Rivière comprenait une ligne de forts tenant l'intervalle entre les places fortes de Tour et de Verdun. Ces forts, à l'exception de celui de Liouville, n'avaient reçu depuis leur construction, en 1880, aucun des renforcements de protection nécessités par l'emploi des gros obus explosifs. En outre, leurs emplacements avaient été fixés en prévision d'une situa- tion différente de celle qui devait se présenter en 1914. Les auteurs du plan de défense du territoire après les désastres de 1870 avaient voulu créer au moyen de tra- vaux permanents une couverture de la mobilisation. Considérant que les effectifs utilisables en couverture étaient insuffisants pour permettre la défense active des Hauts de Meuse, ils y renonçaient et choisissaient la Meuse même comme ligne de défense passive flanquée par les forts. Cette conception entraînait la fixation des emplacements des forts de Génicourt, Troyon et du Camp des Romains sur le versant occidental des Hauts de Meuse. Les forts de Liouville et de Gironville, situés sur le bord oriental du plateau, font face à la Meuse et pré- sentent leur gorge à la Woëvre, disposition paradoxale pour qui n'en connaît pas l'explication. En 1914, la conception de la Meuse comme ligne de couverture avait été abandonnée depuis longtemps, mais la question de la défense des Hauts de Meuse n'avait pas été prise en sérieuse considération. Le général Maîtrot, très averti de cette question, écrivait en 1913 dans une étude très remarquée : « La conclusion de ces faits, c'est que la Woëvre n'est pas défendue et qu'elle devrait l'être. » Peu importe aujourd'hui de savoir dans quelle mesure la question budgétaire et les idées de l'autorité supérieure ont empêché une mise au point de la défense de la Woë- vre. Nous ne pouvons que constater les conséquences de cette situation sur les événements de 1914. Pour l'intelligence de la convergence des attaques alle- mandes au nord-ouest et au sud-est de Verdun, nous rappellerons les caractères principaux de la région située entre la Meuse et l'Aire. Les deux rivières coulent sensiblement dans la même direction générale vers le nord-ouest. Elles sont séparées par une zone de vingt à trente kilomètres de largeur d'un terrain accidenté, passablement découvert dans la partie nord et très boisé dans la partie méridionale, limitée par le chemin de fer de Verdun. Le sommet de Montfaucon en est le point dominant dans la partie nord. Plus au sud, le nom de évoque le souvenir de très violents combats. A l'ouest de l'Aire s'étend la forêt de l'Argonne. En raison des dangers qu'aurait présenté une progression offrant son flanc gauche à la forteresse de Verdun, le commandement allemand a été amené à pousser les opé- rations dans cette forêt pour concourir à l'encerclement de la région de Verdun. Entre le front d'attaque du sud-est de Verdun et celui du nord-ouest s'étendait un secteur demeuré relativement tranquille pendant que de très durs combats étaient livrés sur ses deux ailes. Ce terrain intermédiaire était le prolongement des Hauts de Meuse vers le nord carac- térisé par le large plateau des côtes lorraines, allongé suivant la direction de la vallée de la Meuse et qui sur- plombe à l'est la plaine de la Woëvre. Cette dernière région, toutefois, est un peu plus accidentée dans cette partie et moins humide que la Woëvre méridionale. Elle n'en était pas moins considérée par l'état-major alle- mand comme peu favorable à des opérations de longue haleine; car les études du projet de siège de Verdun fai- tes avant 1914 concluaient à l'attaque par le nord, de pré- férence à une offensive par la Woëvre. CHAPITRE II

LA GENESE DE L'ATTAQUE DES HAUTS DE MEUSE

(Croquis N 1 et 2)

La Ve armée allemande venant de la direction du nord- est franchissait la Meuse bien au nord de Verdun le 30 août 1914, sa zone de marche étant à l'ouest de Verdun. A ce moment, la direction suprême craignant une offen- sive partant de Verdun vers Metz prescrivait à la Va armée de laisser sur la rive droite de la Meuse le Va corps d'armée prussien pour parer à toute éventualité. Ce corps d'armée était commandé par le général von Strantz dont le nom doit revenir fréquemment dans cette étude. Le 2 septembre, la Ve armée était engagée vers Mont- faucon. Les mesures étaient prises pour assurer l'inves- tissement de la place forte par des formations de réserve progressivement au nord, à l'est et enfin à l'ouest. Le commandement allemand estimait alors que pour assu- rer la sécurité de la marche de la Va armée et couper les relations de la place forte avec la vallée de la Meuse, il était nécessaire de s'emparer immédiatement des forts de Troyon, des Paroches et du Camp des Romains. Le Ve corps d'armée était chargé de cette mission. A cet effet, il recevait de la place de Metz un important déta- chement d'artillerie à pied avec matériel lourd de 21 cm. Ces mortiers semblaient suffire pour crever les casema- tes des forts de Troyon, des Paroches et du Camp des Romains. Les forts de Liouville et de Génicourt devaient être ruinés ultérieurement avec des mortiers de 305 lors- que ce matériel pourrait être mis à la disposition de la Ve armée. Le général von Strantz faisait immédiatement recon- naître la Woëvre et la Meuse au sud de Verdun. Il pous- sait ensuite une division vers les Hauts de Meuse. Le 8 septembre, à 17 heures 15 (heure allemande), le feu était ouvert contre le fort de Troyon par deux batte- ries d'obusiers lourds (21 cm.) auxquelles deux mortiers autrichiens de 305 mm. se joignaient un peu plus tard. Le bombardement continuait toute la nuit et, le 9 au matin, le général von Strantz faisait sommer le comman- dant du fort de se rendre. Cette tentative d'intimidation ayant échoué, le tir des batteries lourdes reprenait et l'ennemi donnait l'assaut le 10 de grand matin. Un bombardement de 36 heures avec des obus de très gros calibre avait causé de graves destructions dans un fort de construction ancienne et non amélioré. Son artil- lerie en état de tirer était réduite à 6 canons de petit calibre. Mais la garnison était vigilante et brave; son chef avait une haute conscience de sa mission. L'assaut était victorieusement repoussé. Cet échec produisit une mauvaise impression dans les états-majors allemands. La Ve armée comptait sur l'opé- ration du Ve corps d'armée pour assurer la sécurité de son flanc gauche. Il fallait attendre qu'elle ait réussi pour continuer sa progression. Nous ferons remarquer que jusque-là un seul des trois ouvrages donnés comme objectifs au général von Strantz, le fort de Troyon, avait été attaqué. Dans ces conditions, le commandement suprême, dési- rant en finir avec les Hauts de Meuse, constituait, sous les ordres du général von Strantz, un détachement d'ar- mée dont la mission était ainsi définie : « Bloquer la for- teresse de Verdun pour en empêcher les sorties; tenir le reste des forces prêtes pour rendre impossible toute ten- tative de percée française entre Metz et Verdun. » Ce détachement d'armée, subordonné à la Ve armée, avait la composition suivante : Le Ve corps d'armée prussien à la tête duquel le géné- ral von Strantz était provisoirement remplacé par le gou- verneur de Metz; il comprenait les 9e et 10e divisions, quatre brigades de landwehr, des compagnies supplé- mentaires de pionniers et d'artillerie à pied, des mortiers de 21 cm., etc., etc. Le IIIe corps d'armée bavarois, qui passait de la VIe à la Ve armée, composé des 5e et 6e divisions, une division d'ersatz -et d'éléments supplémentaires de pionniers et d'artillerie comme le Ve corps d'armée. Il disposait, en outre, de quatre mortiers de 305 mm. La division de cavalerie bavaroise; La 33e division de réserve de la garnison de Metz. Tous ces éléments n'étaient pas à pied-d'œuvre ; le IIIe corps d'armée bavarois était encore devant Nancy. Cependant le général von Moltke, généralissime alle- mand, était vivement impressionné par la bataille de la Marne. « Au retour d'un voyage sur le front, le 10 et le 11 sep- tembre, il décidait d'abandonner la percée projetée à travers le front des ouvrages fortifiés français et d'y sus- pendre l'offensive. » Cet ordre arrêtait l'exécution de la mission du détache- ment von Strantz qui n'avait d'ailleurs pas reçu de commencement d'exécution. La division engagée contre le fort de Troyon était ramenée en arrière. Le 12 septembre, un coup de théâtre modifiait la conduite de la guerre par les Allemands. Le général von Falkenhayn, ministre de la Guerre, était convoqué par l'empereur; le 14 au soir, il était chargé des fonctions de chef d'état-major général, rési- gnées par le colonel général von Moltke, pour raison de santé. Pendant quelques jours, le nouveau chef d'état-major général masqua la disgrâce de son prédécesseur en pre- nant simplement le titre de « chargé de l'expédition des affaires du chef d'état-major général ». D'après le por- trait donné dans Y Histoire mondiale, publiée par les Reichs Archiv, « le général von Falkenhayn, âgé en 1914 de 52 ans, n'appartenait pas au milieu des officiers d'état- major ayant approfondi les questions de stratégie avec le général von Schlieffen. De 1896 à 1906, il avait été employé en Chine. Sa formation stratégique était incom- plète; il montrait de l'habileté dans les affaires interna- tionales. Froid, d'un caractère fermé, travailleur acharné, il avait des nerfs d'acier et une tendance aux résultats minimes, mais sûrs. » Dans le début de ses fonctions de chef d'état-major général, il conservait la direction du ministère de la Guerre. Il estimait que ce cumul était avantageux pour éviter les froissements qui s'étaient produits en 1870 entre le ministre et le chef d'état-major général. Comme ministre, il connaissait les difficultés de la fabrication des munitions nécessaires au ravitaillement des armées. La défense des régions minières, alors entre les mains allemandes, lui paraissait indispensable pour assurer les moyens de continuer la guerre. Il considérait que la prise de Verdun serait une garantie de la posses- sion de l'important bassin métallurgique de Briey. Il esti- mait, en outre, que la perte de cette place par les Fran- çais aurait une influence morale dont il attendait des résultats, peut-être décisifs. Sans abandonner l'idée de l'offensive sur Calais, alors en cours, le général von Falkenhayn apportait à l'état- major général une conception personnelle sur la conduite de la guerre qu'il devait adapter aux exigences de la fabrication des munitions. Pressé de justifier le choix de l'empereur par des suc- cès, il rédigeait un plan d'opérations dans la nuit même du 14 au 15 septembre, c'est-à-dire quelques heures à peine après son accession au commandement suprême. Tout en maintenant les instructions antérieures pour une nouvelle offensive contre l'aile gauche française, à partir du 18 septembre, il fixait ainsi qu'il suit la mission de la Ve armée et, plus particulièrement, du détachement d'armée von Strantz dont la constitution avait été inter- rompue le 12 septembre. « ...A partir du 18 septembre, l'offensive devait se déclencher par échelons en commen- çant par la Ve armée. La Ve armée devait progresser de part et d'autre de Verdun, son aile gauche contre les forts de Troyon et du Camp des Romains... son aile droite par Sainte-Menehould... « Lors du développement ultérieur des opérations, Verdun devait être investi par le sud-ouest. « Les renseignements recueillis permettent de suppo- ser que l'adversaire a retiré la plus grande partie de ses forces du front fortifié de l'est. L'enlèvement des forts de première ligne, les forts de Troyon, des Paroches et du Camp des Romains a de nouveau des chances de succès... « Le général von Strantz disposant du Ve corps d'ar- mée, du IIIe corps d'armée bavarois, des ressources de la place de Metz et de ses forces mobiles, ainsi que de la 3e division de cavalerie bavaroise, a pour mission de mener cette attaque en se couvrant face à Verdun, Toul et Nancy. « Le XIVe corps d'armée est mis en marche vers le sud de Metz, il arrivera le 18 au matin. Il peut être utilisé pour parer à toute tentative ennemie. A cet effet, il sera également placé sous les ordres du général von Strantz. » Le général von Falkenhayn attendait de cette off en- sive des résultats très importants. D'après une conver- sation rapportée par le chef d'état-major du général von Strantz, l'attaque devait atteindre Bar-le-Duc. Verdun serait ainsi complètement isolé. Rappelons que dans le même temps la droite de la Ve armée avait ordre de gagner du terrain jusqu'à Sainte-Menehould. La réalisa- tion d'une conception aussi grandiose aurait, sans aucun doute, porté un coup funeste à la forteresse de Verdun et à la 3e armée française. L'interlocuteur du chef d'état-major général ayant observé que le détachement Strantz n'était pas assez fort pour atteindre un objectif aussi éloigné que Bar-le-Duc, s'attira la réponse suivante : « La mission du détache- ment d'armée justifie de grands sacrifices. » Dès le 16 septembre, le général von Strantz rendait compte de son plan d'attaque des Hauts de Meuse. Il se proposait de le faire exécuter dès le lendemain, 17 sep- tembre. La 33e division de réserve maintiendrait l'inves- tissement de Verdun à l'est; le Ve corps d'armée attaque- rait le fort de Troyon, le Ille corps d'armée bavarois s'emparerait de Saint-Mihiel et du fort du Camp des Romains. La 33e division de réserve et le Ve corps d'armée étaient déjà stationnés dans la région. Les seuls mouvements préparatoires se bornaient pour eux à faire relever par la 33e division des positions occupées à l'est de Verdun par le Ve corps d'armée ainsi rendu libre pour l'attaque. Le IIIe corps d'armée bavarois était encore engagé le 11 septembre devant Nancy. Il avait déjà reçu l'ordre de venir à Metz pour la première formation du détachement Strantz, prévue par le prédécesseur du général von Fal- kenhayn. Ces troupes étaient au repos aux environs de Metz le 14 septembre. Ce n'est que le 16 septembre qu'elles furent mises au courant de la formation et de la mission du détachement d'armée von Strantz. Des retards dans la mise en route de l'artillerie lourde et dans l'arrivée du XIVe corps d'armée en Woëvre méri- dionale firent reporter au 18 l'opération primitivement fixée au 17 septembre. Le 18 septembre, les troupes exécutaient seulement de petits déplacements. Le ciel était couvert, le temps plu- vieux, l'aviation était gênée; d'après les compte-rendus de la cavalerie, les côtes de Meuse étaient bien organisées et garnies d'artillerie lourde venue de Toul. Le comman- dant du IIIe corps bavarois devait attribuer plus tard l'inexactitude de ces renseignements à un manque d'acti- vité de la cavalerie bavaroise. L'ordre d'opérations du détachement d'armée pour le 19 septembre fixait la ligne à atteindre par les têtes d'avant-garde à la route de Fres- nes-en-Woëvre à Thiaucourt. Des reconnaissances de cavalerie profondes devaient sonder les côtes de Meuse. Les directions générales de marche étaient : le fort de Troyon pour le Ve corps prussien, Saint-Mihiel et le fort du Camp des Romains pour le IIIe corps d'armée bava- rois. La marche du 19 septembre était exécutée conformé- ment aux ordres donnés. Les colonnes avançaient sous une pluie torrentielle; elles ne rencontraient aucune résistance. Les Allemands ont attribué au mauvais temps le peu d'activité de la cavalerie française pour contrarier leur marche. Nous donnerons quelques détails sur les mouvements du IIIe corps d'armée, qui devait assurer la tâche la plus lourde de l'opération. Les deux divisions étaient accolées : la 6e, à droite, avait pour objectif Saint-Mihiel, la 5e se dirigeait sur Apremont. Le flanc gauche du IIIe corps d'armée était couvert par le XIVe corps d'armée dont l'axe de marche passait par Flirey, entre Apremont et Pont-à-Mousson. Toute l'artillerie supplémentaire du corps d'armée avait été attribuée à la 6e division, spécialement désignée pour l'attaque du fort du Camp des Romains. Le 19 sep- tembre au soir la ligne des avant-postes de la 6e division était à 800 mètres à l'ouest de la route Woël-Saint-Benoît. Les Allemands trouvaient autour du parc du château de Saint-Benoît de nombreuses tranchées creusées en juillet 1914 par les Français, d'après les dires des habi- tants. Une brigade de la 5e division occupait la ferme de Sébastopol, l'autre brigade de la division restait en réserve de corps d'armée près de Chamblay. L'occupation de la ligne de couverture de l'artillerie et la mise en place de l'artillerie devaient avoir lieu pen- dant la nuit du 19 au 20 septembre. L'obscurité, le silence rigoureusement prescrit, l'interdiction de montrer des lumières devaient dérober ces mouvements à la vigilance des Français. En réalité, ces mesures n'étaient pas néces- saires; la zone de marche suivie par les troupes était libre de tout ennemi. La nuit, les chemins défoncés, la pluie, rendaient les mouvements des voitures d'artillerie laborieux. A chaque instant les fantassins devaient venir au secours des artilleurs pour sortir une voiture de quel- que bourbier. Malgré toutes les recommandations, ces manœuvres de force constamment répétées étaient exé- cutées par des commandements élevés accompagnés de jurons et à l'aide de lampes électriques. Toutes ces difficultés étaient finalement surmontées et l'artillerie de bombardement du IIIe corps d'armée bavarois, sauf deux mortiers lourds restés embourbés, était en place le 20 septembre au matin. Il en était de même au Va corps d'armée prussien, toutefois avec quel- que retard, semble-t-il. L'artillerie allemande était exercée depuis plus de vingt ans à l'emploi de pièces lourdes (15 et 21 cm.) pour l'attaque des forts isolés par des troupes de campagne. L'opération des IIIe corps d'armée bavarois et Ve corps prussien les 18, 19 et 20 septembre 1914 a été l'exacte reproduction des exercices du temps de paix « de l'ar- tillerie à pied avec attelages ». Ce vocable désignait alors l'artillerie lourde attachée aux armées de campagne. La sécurité dans laquelle les Allemands ont exécuté leur marche d'approche des Hauts de Meuse leur a fait croire que leurs mouvements dans la Woëvre avaient entièrement échappé aux Français. Nous verrons dans un chapitre suivant que nos enne- mis se trompaient. Les circonstances qui leur ont pro- curé cette sécurité résultaient uniquement du manque d'utilisation par leurs adversaires des renseignements qu'ils possédaient. Quoi qu'il en soit, le 20 septembre 1914, les troupes chargées de l'attaque des Hauts de Meuse avaient atteint leurs emplacements d'assaut. Jusque-là elles n'avaient exécuté dans l'ensemble qu'un exercice du temps de paix. Avant d'aborder le récit de la bataille qui commençait le même jour, nous ferons un retour sur les événements survenus dans l'ar- mée française depuis les premières menaces allemandes contre les Hauts de Meuse. CROQUIS N° 2 montrant la progression de PAYOT, 106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

MARÉCHAL PÉTAIN. La Bataille de Verdun In-8 avec 8 cartes, 18 gravures et une annexe 18 fr. MARÉCHAL GALLIENI. Mémoires du Maréchal Gallieni Défense de Paris (25 Août, 11 Septembre 1914) In-8 avec 8 hors texte et 7 cartes en déplié 30 fr. Les responsabilités de la Guerre Quatorze questions par RENÉ GERIN ancien élève de l'Ecole normale supérieure, agrégé des lettre-. Quatorze réponses par RAYMOND POINCARÉ, de l'Académie française 1n-8 ...... 16.50

J.-J. JUSSERAND, Ambassadeur de , membre de l'Institut. Le sentiment américain pendant la Guerre In-8 ...... 16.50 Les deux batailles de la Marne 6-11 Septembre 1914, 15-18 Juillet 19 18, par le MARÉCHAL JOFFRE l'EX-KRONPRINZ IMPÉRIAL, le MARÉCHAL FOCH le GÉNÉRAL LUDENDORFF In-8 avec 6 cartes 18 fr. A. MOUSSET. L'attentat de Sarajevo Un drame historique In-8 avec 8 planches hors texte et un plan 55 fr RÉGINALD KANN. Le plan de campagne allemand de 1914 et son exécution In-8 avec 16 cartes dans le texte et hors texte 15 fr GÉNÉRAL LANREZAC. Le plan de campagne français et le premier mois de la Guerre (2 Août, 3 Septembre 1914) ln-8 avec 8 cartes et i portrait 33 fr. GÉNÉRAL J. ROUQUEROL. Le drame de Douaumont In-8 avec i croquis et 18 photographies 20 fr. GÉNÉRAUX HIRSCHAUER ET KLEIN. Paris en état de défense (1914) PRÉFACE DU MARÉCHAL JOFFRE In-8 avec 13 gravures hors texte et 4 plans 27 ir. LUCIEN PETIT. Inspecteur général des Finances, sous-gouverneur du Crédit Foncier de France Histoire des finances extérieures de la France pendant la Guerre 1914-1919 Préface de M. GERMAIN MARTIN, membre de l'Institut, professeur à la Faculté 1 de droit de Paris, sous-secrétaire d'Etat. In-8 66 fr.

IMP. GROU-RADENEZ, Il, RUE DE &ÈVRES, PAPTIS. 59203 - 4-39

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.