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LA CAPTURE DU LOUP

KODIAK POINT 5 EVE LANGLAIS Copyright © 2015/2020 Eve Langlais Couverture réalisée par Amanda Kelsey © 2016/2020 Traduit par Emily B Produit au Canada Publié par Eve Langlais http://www.EveLanglais.com ISBN livre électronique: 978-1-77384-157-1 Tous Droits Réservés Ce roman est une œuvre de fiction et les personnages, les événements et les dialogues de ce récit sont le fruit de l’imagination de l’auteure et ne doivent pas être interprétés comme étant réels. Toute ressemblance avec des événements ou des personnes, vivantes ou décédées, est une pure coïncidence. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou partagée, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, électronique ou papier, y compris, sans toutefois s’y limiter, copie numérique, partage de fichiers, enregistrement audio, courrier électronique et impression papier, sans l’autorisation écrite de l’auteure. TABLE DES MATIÈRES

Introduction Prologue Chapitre Un Chapitre Deux Chapitre Trois Chapitre Quatre Chapitre Cinq Chapitre Six Chapitre Sept Chapitre Huit Chapitre Neuf Chapitre Dix Chapitre Onze Chapitre Douze Chapitre Treize Chapitre Quatorze Chapitre Quinze Chapitre Seize Chapitre Dix-Sept Chapitre Dix-Huit Épilogue Notes INTRODUCTION

Elle croit peut-être avoir capturé le loup, mais finalement, c’est lui qui prendra son cœur.

Le côté excitant de l’armée et ses missions manquent à Brody, cet ancien soldat. Il a arrêté d’exercer pour travailler en tant que bêta du clan, à Kodiak Point. Et il n’y a rien de plus ennuyeux, jusqu’à ce qu’il se fasse capturer par l’ennemi. Lui, prisonnier ? Pas pour longtemps. Son loup est prêt à tout pour s’échapper – même à séduire. Première étape pour mener à bien son plan d’évasion : faire semblant de s’intéresser à une femme. Mais Layla n’est pas une femme comme les autres. Elle est spéciale. Ni humaine. Ni métamorphe. Il ne sait rien sur elle, à part qu’elle lui appartient. Prisonnière depuis des années, Layla ne sait pas quoi penser de cet ennemi qui partage sa cellule. Il lui promet un peu d’espoir, mais pour cela, il faudrait déjà lui faire confiance. Malgré ses doutes, elle ne peut s’empêcher d’être attirée par lui. Et ça, c’est inacceptable. C’est pourquoi elle fait de son mieux pour le rendre fou. En travaillant main dans la main, parviendront-ils à échapper aux griffes de l’ennemi ? Et surtout, oseront-ils tomber amoureux ? AUTRES LIVRES: EVELANGLAIS.COM PROLOGUE

Tout le monde redoute ce moment, celui où le : « Je t’avais prévenue » prend tout son sens. Vous voyez très bien duquel elle parle. Le fameux événement – et, oui, elle mima des guillemets avec ses doigts lorsqu’elle prononça ces mots. À vrai dire, ce dernier n’était pas difficile à identifier, puisqu’il fut l’élément déclencheur qui changerait sa vie à jamais. Et c’était totalement de ma faute. Alors que Layla était traînée hors de chez elle, en hurlant et donnant des coups de pied, elle ne put s’empêcher de se remémorer le dernier sermon que lui avait tenu son père – pas plus tard que ce matin. Avant que vous ne portiez un jugement hâtif sur son père en pensant que ce dernier était quelqu’un de strict et d’autoritaire, elle devrait souligner qu’elle méritait pleinement ce discours ennuyeux puisqu’il l’avait, une fois de plus, surprise en train de désobéir. Provocation numéro cent-soixante-et-un. Il les avait comptées. — Tu dois cacher ce que tu es, Layla. Cache-le bien, car si quelqu’un le découvre, ils viendront te chercher. Bla. Bla. Bla. Rien de nouveau. Elle avait ignoré le reste de son discours qui avait encore duré pendant un moment sur le sujet. Ce qu’il fallait retenir de ce sermon c’était : — N’utilise pas ton pouvoir. En aucun cas. C’est à dire jamais. Jamais. Ce qui était naze. Car honnêtement, comment pouvait-elle le réprimer ? Son don, son talent super-spécial et top-secret faisait partie de son identité. Il vivait en elle. L’appelait. Parfois, elle avait l’impression de le sentir pulser sous sa peau. Comme une friandise, il la tentait et la cajolait pour qu’elle le goûte. Juste une bouchée. Ou dans son cas, une simple action. La moindre pensée et pouf ! Elle pouvait réaliser des choses incroyables. Des choses, spéciales. Plus elle grandissait, plus elle avait du mal à se restreindre. Et pourquoi devrait-elle ? Je ne peux pas lutter contre ce que je suis. Un oiseau vole. Un chien aboie. Mon père fait la morale. Pourquoi ne puis-je pas simplement être moi ? Lorsqu’elle atteignit ces années de préadolescence rebelles, elle cessa de lutter contre ce pouvoir inné. Elle le relâcha. Ce fut un réel soulagement et une fois enclenché, celui-ci fut impossible à arrêter. Elle flirtait avec l’interdit – et elle adorait ça. Ce qui la conduisit à expérimenter d’autres choses. Si je peux faire ça, je me demande si je peux également faire cela. Elle fit d’autres essais. Joua. Ravie de voir ses capacités se développer. Et c’est ce caractère effronté qui la mena à ce moment, le fameux : « Je t’avais prévenue. » Elle se croyait seule en haut des collines lorsqu’elle avait laissé ses sens s’envoler. Alors qu’elle taquinait l’esprit des créatures qui se trouvaient autour d’elle, elle n’avait pas senti une seule fois ces yeux qui l’observaient ou la jugeaient. Elle n’avait pas suspecté ce regard qui l’évaluait. Elle ne s’était jamais doutée que quelqu’un était là, mais ce n’était pas une excuse. Son ignorance ne la sauva pas non plus. Elle aurait seulement souhaité que sa folie n’ait pas coûté la vie de son père. Elle aurait donné n’importe quoi pour l’entendre dire : « Je t’avais prévenue » une dernière fois. Les kidnappeurs masqués vinrent la chercher durant les heures les plus sombres de la nuit, la tirant hors de son lit malgré ses cris stridents alors qu’elle hurlait à l’aide. — Papa ! Papa ! Au secours ! Mais son père ne pouvait pas la sauver. Il n’avait même pas pu se sauver lui-même. Layla fit de son mieux pour s’échapper, laissant exploser son pouvoir encore peu maîtrisé, cherchant de l’aide. Mais en fin de compte, une jeune fille sans entraînement, même aidée par une horde de chats feulant et crachant et des poules qui caquètent, ne faisait pas le poids face à ces hommes, adultes. Dans un revirement de situation cruel, les volatiles qui lui vinrent en aide furent abattus, déplumés et rôtis. Et pire encore, alors qu’ils dégageaient une odeur délicieuse en étant rôtis sur un feu ouvert, ils avaient également très bon goût, notamment lorsqu’ils étaient assaisonnés avec une pointe de sel et de poivre. Sans qu’on lui laisse le choix, elle fut retenue captive et sa nouvelle vie débuta. Une prisonnière, traitée comme une oie sacrée. Elle fut vendue au plus offrant. Plus qu’une esclave et pas vraiment une servante, elle était à la fois un trésor et un outil. Son premier propriétaire l’enchaîna, avec de vraies chaînes, faites d’or. Tel un oiseau chanteur, il la mit en cage et le regretta rapidement, tout comme ceux qui étaient à son service. Durant sa première incarcération, nombreux furent ceux qui apprirent grâce à elle que même le gazouillis d’un canari pouvait être à craindre. Ils avaient beau être petits et mignons, une nuée entière pouvait causer de sérieux dégâts. Effectivement, elle n’apprécia pas beaucoup que sa liberté soit restreinte, mais cela ne l’empêcha pas d’être à nouveau capturée et vendue au plus offrant. Il ne fallut pas longtemps pour que son nouveau gardien l’enferme, avant qu’elle ne se lance dans ce dont elle se souvenait affectueusement comme l’Évasion#2. Une évasion d’opportunité. Étant donné qu’elle n’avait pas vraiment de plan et qu’elle avait simplement suivi son instinct pour agir, il était surprenant de constater jusqu’où elle était parvenue à s’enfuir et pendant combien de temps. Alors que son premier combat pour la liberté n’avait duré que vingt-quatre heures, elle avait ensuite appris de ses erreurs. L’Évasion#2 lui valut six mois de liberté glorieuse. Jusqu’à ce qu’une fois de plus, son impudence lui cause des ennuis. Un article dans le journal mena le chasseur jusqu’à elle. Une bande de chats, oui, de chats, est impliquée dans des affaires de vols. Plusieurs caméras de surveillance ont montré des images de ces cambrioleurs félins, s’enfuyant avec des objets des plus étranges. Des vêtements, de la nourriture, et plus bizarre encore, plusieurs d’entre eux se sont enfuis avec une couette. Le chat évoluerait-il ? Les comportementalistes l’ignorent. Malheureusement, son armée de félins et leurs actions n’étaient pas passées inaperçues. Oups. Tant pis pour l’Évasion#2. Elle fut de nouveau emmenée chez son troisième propriétaire qui n’était pas fervent des cages en or, mais sa nouvelle chambre, avec ses barreaux aux fenêtres et aux portes, n’était pas bien mieux. C’est là qu’elle concocta l’Évasion#3, l’ascension des rats. CHAPITRE UN

Je ne comprends pas comment ces chats peuvent trouver cela confortable. Les branches d’arbres n’étaient pas les sièges les plus agréables, notamment si l’on restait assis dessus pendant plusieurs heures. En temps normal, on ne trouvait pas Brody perché sur un arbre tel un oiseau écervelé. Il préférait garder ses deux pieds – ou quatre pattes – sur terre. Mais il avait une bonne raison de se cacher en haut d’un arbre. Et ce qui l’avait amené jusqu’ici avait commencé quelques heures auparavant. Tout commença lorsqu’il se réveilla tôt. Brody ne se levait jamais tôt. Il était plutôt du genre à faire la grasse matinée et à éteindre plusieurs fois son réveil. Mais à neuf heures, horaire bien trop matinal, il sortit du lit. Il fut au bureau à dix heures, ce qui fit que son alpha, Reid, lui demanda s’il se sentait bien. Non. Non, je ne vais pas bien. Il était agité et tourmenté, mal à l’aise, il sentait que quelque chose n’allait pas. Au début, il mit ça sur le compte d’une trop grande quantité de café ingurgitée. Étrangement, les métamorphes n’éliminaient pas la caféine aussi rapidement que toutes les autres drogues. Une particularité étrange. Trois tasses de café plus tard, assez fortes pour lui faire dresser les cheveux sur la tête, Jan le vira du bureau en affirmant que s’il n’arrêtait pas de faire les cent pas, elle allait lui tirer dessus et utiliser sa fourrure pour en faire une veste. Connaissant Jan, elle pensait chacun de ses mots. Il s’en alla et partit rôder, reniflant chaque coin de Kodiak Point. Je fais simplement mon travail. En tant que Bêta du clan, c’était son devoir de s’assurer que tout se passait bien et de relever les éventuels problèmes qui pourraient affecter la sécurité ou le bien-être du clan. Si quelque chose se présentait, il pouvait, soit s’en occuper, soit signaler le problème à Reid. Mais pas tuer. Il vivait dans un monde civilisé désormais. Quel ennui. Tellement, tellement ennuyeux, mais sans danger. Personne ne lui tirait dessus. Il mangeait régulièrement, dormait plus que nécessaire. Il pouvait se doucher quand il voulait. Ce qui était totalement naze. Un homme avait besoin d’un peu d’exaltation dans sa vie. Quel que soit ce qu’il sentait au fond de ses tripes – et celles-ci l’orientaient toujours dans la bonne direction et savaient toujours quand quelqu’un organisait un barbecue – il ne sentit et ne renifla rien en ville. Alors Brody erra plus loin, quittant les zones civilisées – bien que le terme ne soit pas très approprié avec tous les métamorphes sauvages qui vivaient dans ces maisons – et se rendit dans les bois. À cette période de l’année, avec autant de lumière la journée, la vie abondait, du feuillage vert à la fourrure à quatre pattes. Les insectes aussi prospéraient, ce qui l’irritait beaucoup. Il écrasa encore un autre moustique déterminé à le sucer jusqu’à l’os. Bâtards de mini vampires. Parmi toutes ses aptitudes en tant que Lycan – un autre nom qui désignait les métamorphes loups – celle qu’il aurait vraiment appréciée aurait été de neutraliser les démangeaisons des piqûres d’insectes. Il allait probablement se gratter comme un fou un peu plus tard, ce qui voulait dire qu’il allait devoir supporter que Boris le harcèle pour qu’il s’achète un collier anti-puces. Cet idiot d’élan se croyait drôle. Ce qui avait été drôle, c’était lorsque Brody avait vaporisé une bombe à serpentins sur les bois de Boris et que ce dernier avait mugi. Un moment magique, capturé pour toujours en vidéo. Mis à part les démangeaisons, Brody ne pouvait pas vraiment se plaindre de tous les autres avantages dont il bénéficiait en étant un Lycan, tels qu’une guérison rapide, une bonne santé, une immunité contre la plupart des maladies et bien évidemment, un loup des bois très stylé en qui il pouvait se transformer. Hé, n’oublions pas mes superbes cheveux. Une crinière hirsute qu’il laissait pousser sur sa tête, sûrement une façon de dire : « va te faire foutre » à son ancien sergent qui pensait que la seule coupe de cheveux convenable était la boule à zéro. Bzzz. Une autre sangsue volante mourut. Puis dix autres la rejoignirent. Avec ce problème d’insectes, Brody aurait pu se transformer et laisser sa peau plus épaisse le protéger, mais il préféra se retenir. D’une part, parce que sous sa forme de loup il émettait une odeur bien plus forte et perceptible et d’autre part, parce que son instinct lui intimait de faire preuve de patience. Et son côté bestial n’était pas connu pour être patient. Attendre ? Pourquoi attendre ? Je déteste observer. Nous devons agir. Voilà, dites bonjour à son loup impulsif. Son côté Lycan haïssait l’inaction et pourtant, la majorité des missions de Brody impliquaient la patience, l’observation et la planification. Puis, quand c’était le bon moment, il fallait saisir l’opportunité – ce qui, dans la plupart des cas, signifiait botter des culs. C’était pour ces instants que son loup vivait. C’était ce qui lui permettait de s’épanouir. À l’époque, la plupart des missions de Brody impliquaient de la violence – et c’était dans ces moments-là que son loup avait le droit de venir jouer. Mais ce n’était pas l’heure du loup. Et ce n’était pas la guerre. Ici, ils étaient à Kodiak Point et pour l’instant, il était l’heure d’observer et d’attendre. Pas de morsures ? Pas de morsures. Un loup adulte et responsable n’était pas censé utiliser son regard de chien battu pour faire craquer son hôte humain. Heureusement que Brody était immunisé. Il garda sa forme humaine et ses deux jambes et décida de trouver une cachette dans les bois. Ses options ? Un arbre. Un autre arbre. Un buisson. Un plus petit buisson. Un grand arbre. Sans surprise, il choisit le grand arbre afin de bien masquer sa présence. Il avait besoin de quelque chose qui soit loin du sol, plus c’était haut, mieux c’était. Étant donné que la majorité des attaques impliquaient des métamorphes, et que la plupart avaient l’odorat développé, il valait mieux prendre toutes les précautions. Notamment une qui puait. Littéralement. Il était temps de s’asperger de sa merveilleuse eau de Cologne. Eau d’écureuil puant, oui. Beurk. C’était une chose de pourchasser une créature frétillante à la queue touffue et une autre que de sentir comme elle. Et pour aggraver l’humiliation, il devait grimper à un arbre, tout comme ces petits rongeurs bavards. Ce serait du gâteau – et il savait très bien de quel genre de gâteau il parlait. Un gâteau au chocolat imbibé de rhum avec de la crème fouettée entre chaque couche et des cerises écrasées. Miam. Tante Betty-Sue – qui n’était pas sa tante, mais qui insistait pour qu’il l’appelle ainsi, alors qu’elle agitait sa cuillère en bois – lui en faisait un chaque année pour son anniversaire. Il ne lui fallut que peu de temps pour grimper sur l’arbre qu’il avait choisi – tout en se demandant si en envoyant un texto à tante Betty-Sue, elle lui en préparerait un, juste pour le plaisir. Cette femme adorait cuisiner et lui, adorait manger. C’était une belle amitié – notamment parce que cela lui donnait l’occasion, derrière le dos de Betty-Sue, de se moquer, sans pitié, de son fils Travis. Et le grizzly avait ensuite des ennuis lorsqu’il ripostait. Hihihi. Pour sa cachette, Brody choisit un vieil Épicéa de Stika qui montait à plus de trente mètres de haut et offrait une bonne couverture. Les branches étaient épaisses et robustes. Brody fit de son mieux pour escalader sans rien déranger. Rien de tel qu’un tas de verdure au pied d’un arbre pour signaler la présence de quelque chose en hauteur. La branche qu’il choisit était assez large pour le cacher s’il restait assis et immobile. De son point d’observation, il pouvait apercevoir certains endroits de la ville qui se tenaient devant lui et peut-être percevrait-il rapidement ce qui mettait ses sens en alerte. Faites que ce soit quelque chose de positif. De comestible, ajouta son loup. Brody se contenterait de n’importe quoi tant que cela lui permettait d’agir. Des heures s’écoulèrent. Le soleil brillait et il ne se passa rien du tout. À part le couinement irrité d’un écureuil qui défendait son territoire. La stupide créature osa siffler dans sa direction alors Brody retroussa les lèvres et grogna. L’écureuil prit sagement la fuite. Jusqu’à présent, c’était la chose la plus excitante qui ait eu lieu. La faim fit gronder son ventre. Il l’ignora. Il était resté bien plus longtemps sans nourriture par le passé. De plus, Betty-Sue venait de lui envoyer un message pour lui dire que, non seulement elle lui avait fait un gâteau – poing en l’air triomphant – mais en plus elle lui avait laissé des lasagnes dans le frigo, car elle en avait accidentellement fait trop. En apprenant la nouvelle, il avait failli abandonner son poste d’observation. Comme c’était cruel de devoir attendre. Mais il lutta contre la tentation. Cependant, il prit une gorgée de sa flasque, d’eau, pas d’alcool. Un loup ne buvait jamais pendant le travail. Mais plus tard ? Il se projetait bien en train de se saouler et de chanter à tue- tête. Le temps s’écoula sans que rien ne se produise. La soirée restait éblouissante, le soleil refusant de disparaître. Bienvenue en Alaska durant l’été quand la lumière du jour régnait en maître. Au bout d’un moment, alors qu’il se faisait de plus en plus tard, le soleil majestueux daigna enfin plonger derrière l’horizon pour un peu de répit. Et c’est là que les heures d’attente et de surveillance silencieuses de Brody finirent par payer. À peine l’obscurité de la nuit eut-elle enveloppé la terre, que des silhouettes vinrent se faufiler, prouvant une fois de plus que son intuition était bonne. J’ai toujours le truc. Au début, ils s’infiltrèrent un à un ; un loup solitaire par-ci, un lièvre par- là, un homme, qui était plus qu’un homme et qui ne prit pas une seule fois la peine de lever les yeux. Imbécile. Quelqu’un d’aussi négligent ne représentait pas de vrai défi. Heureusement, quelques potes de l’intrus l’accompagnèrent alors qu’il se dirigeait furtivement vers la ville. Une chose était sûre, il se dégageait d’eux quelque chose de très malveillant. Ou, comme c’était bien connu dans le monde des Lycan, cela promettait de la violence et du bon temps. Quelle belle façon de célébrer le solstice. Une fois qu’il serait descendu de l’arbre. En vie, de préférence. Les chiffres étaient plutôt contre lui. Il ne valait mieux pas se faire remarquer alors qu’il était seul ici. De plus, ce serait encore plus fun, lorsqu’il se faufilerait derrière eux et hurlerait pour lancer l’attaque. Comme Brody n’osait pas inhaler trop profondément, ou faire quoi que ce soit qui puisse émettre le moindre bruit et trahir sa présence, il ne pouvait pas identifier la caste à laquelle appartenaient ces étrangers. Mais il aurait été prêt à parier son couteau préféré – celui dont la lame était assez tranchante pour se raser – qu’au moins un des hommes qui venaient de passer était une sorte de métamorphe originaire de l’océan. Peut-être un phoque. Beurk. Veux de la viande rouge. Son loup avait une préférence bien distincte. Brody garderait peut-être celui-là pour Gene dont l’ours polaire appréciait beaucoup ce genre de friandise grasse de temps à autre, avec une pointe de poivre. Quant à Brody ? Pour lui, les seuls bons produits de la mer étaient les coquillages, rôtis au feu de bois avec une sauce au beurre pour assaisonner. Mais ce type à l’odeur salée ne voyageait pas seul. Alors que ceux qui marchaient sur deux jambes étaient peu nombreux – d’après ce que Brody pouvait apercevoir du haut de son perchoir, pour autant qu’il sache, il semblait y en avoir une douzaine à quelques kilomètres approchant par le nord – les animaux sauvages qui accompagnaient les métamorphes ennemis étaient également une douzaine. Peut-être même plus étant donné que Brody ne pouvait discerner qu’une petite partie. Et toujours pas d’avertissement audible de la part des sentinelles. La ville était sur le point de se faire attaquer, et pourtant, pas une seule sentinelle ne cria. Pas un seul feu de détresse en guise d’avertissement n’éclaira le ciel. Bande de flemmards. Heureusement que Brody était resté planqué dans l’arbre assez longtemps pour les espionner, sinon la ville aurait été prise par surprise. Mais il allait faire mieux encore que de leur sauver la mise, il allait pouvoir se battre. Je vais pouvoir frapper quelque chose. Ahouu. Oui, il était excité. Brody avait soif d’adrénaline, celle que procurait une bataille, et pas seulement parce qu’il aimait frapper des choses. Pour que ses compétences restent affûtées, il fallait de l’entraînement, mais pour tester leur efficacité, il fallait un adversaire. Et il était chanceux, car il y en avait déjà plus qu’assez qui s’infiltraient, arrivant par le nord de la forêt, une zone où il n’était censé y avoir aucune circulation piétonne. Comment ont-ils réussi à passer les sentinelles ? Bon sang, Gene va être très énervé en apprenant ça. Le responsable du périmètre de défense, Gene, avait passé les dernières semaines à réorganiser leur présystème d’alerte. Car ils en avaient besoin. Un certain connard continuait d’essayer d’affaiblir le clan, de créer des problèmes. Des métamorphes sournois continuaient de venir voler des choses tandis qu’une faune sauvage bizarrement entraînée persistait à les attaquer par courtes vagues. Certes, un raton laveur, seul et hargneux n’était pas vraiment un problème, mais toute une meute ? Les habitantes de la ville allaient garder leurs mains au chaud cet hiver avec toutes les mitaines qu’elles allaient coudre. Jusqu’à présent, les habitants – il ricana. OK, peut-être valait-il mieux les appeler par leur vrai nom, les métamorphes – de Kodiak Point avaient repoussé les attaques des créatures sauvages étrangement entraînées, à chaque fois. Cependant, pour l’instant, la plupart de ces incursions étaient mineures et facilement repoussées. En cas d’attaques plus rares menées par de grands groupes, ils devaient être avertis en avance par les sentinelles qu’un danger approchait. Des sentinelles qui restaient actuellement silencieuses malgré les nombreux corps à deux – et quatre – pattes qu’il distinguait. Si les gars qui étaient en service n’étaient pas déjà morts, ils allaient vite souhaiter l’être une fois que Brody en aurait fini avec eux. Ceux qui surveillaient les frontières du territoire de leur clan étaient censés donner l’alerte à la moindre chose suspecte. D’après les ombres qui se glissaient dans l’obscurité, ils avaient échoué. Ou bien ils étaient morts. Et si c’est le cas, je vous vengerai. Vu le nombre d’ennemis qu’il avait vu passer, tout indiquait que cette bataille était celle qu’ils avaient attendue. À la veille du solstice d’été, les nuits ne duraient que quelques heures, un court laps de temps pour lancer une attaque furtive. Les assaillants connaissaient assez leurs défenses pour contourner ou neutraliser leur présystème d’alerte. Quelqu’un avait tout bien planifié. Mais pas assez bien. Le clan irait à la rencontre de ceux qui tenaient l’embuscade, car Brody s’en assurerait. Baissant la luminosité de son écran en le glissant dans sa veste, il envoya un rapide texto à Reid, Gene et Boris. ATQ – ce qui voulait dire : « On nous attaque, que tout le monde bouge son cul, se prépare et s’arme. » Ahouu. Ce serait la fête au village ce soir. Désolé, bande de petits cons sournois, mais vous allez avoir une vilaine surprise. Que du fun ! Mais seulement s’il arrivait à descendre de ce foutu arbre. Lorsque la dernière vermine fourbe passa sous son poste d’observation passé inaperçu, Brody se balança vers le bas et tomba aussi silencieusement que possible. La dernière chose dont il avait besoin était que ceux qui venaient juste de passer à côté de lui ne l’entendent et fassent demi-tour. Certains risquaient de mettre en doute son courage, car il n’avait pas affronté la horde, mais il leur dirait d’aller se faire voir. Seul un idiot attaquait quand il était en sous-effectif. À vrai dire, ce n’était pas tout à fait vrai. Gene n’en avait rien à faire des probabilités. Quand cet énorme ours entrait dans une colère noire, il n’évaluait jamais ses chances. Ce qui était probablement ce qu’il y avait de plus attachant chez lui. C’était le bon sens qui empêchait Brody d’attaquer, mais jamais la peur. Lorsque l’heure viendrait, il se joindrait à la bataille et afficherait un score élevé de tueries. Après tout, il avait une réputation de méchant loup à garder et un certain élan à remettre en place. Il mise tout sur ses bois, lui. Il était temps de remettre à leur place ceux qui étaient persuadés que leurs bois étaient puissants et majestueux. Il ne fallait jamais douter du pouvoir de la fourrure et des crocs. Une fois les pieds au sol et les assaillants hors de vue, Brody ne perdit pas de temps. Il se déshabilla et jeta ses vêtements au pied de l’arbre avant de laisser sa chair onduler et sa silhouette se transformer jusqu’à ce qu’il retrouve sa forme à quatre pattes. Il s’étira, un puissant loup des bois à la fourrure mouchetée, des crocs tranchants et un hurlement qui pouvait porter jusqu’à des kilomètres. Les bois, eux, ne peuvent pas faire tout ça. Mais ils pouvaient faire de très beaux chandeliers. Bizarre que Boris n’ait pas vraiment apprécié le lustre que lui avait envoyé Brody pour son anniversaire. Quel ingrat cet élan. Inspirant profondément, Brody hurla, un cri d’avertissement destiné à alerter les habitants encore endormis ou inconscients du danger. Quelqu’un entendit son avertissement et fit passer le message. Le silence et le calme de la nuit furent soudain remplacés par des grognements et des rugissements alors que les siens, qui n’avaient suivi aucun entraînement militaire et qui étaient moins discrets, se préparaient à affronter le danger qui les menaçait. Bienvenue à Kodiak Point. Nous avons peut-être l’air civilisés en apparence, mais si vous nous menacez, nous vous trancherons la gorge. Et ça, ce n’était que les hommes. Les femmes pouvaient se montrer encore plus féroces si l’on menaçait leurs enfants et leurs petits. Brody ne connaissait pas une seule femme en ville à qui l’on n’avait pas transmis une recette spéciale pour s’occuper des vilains. Le grand-père de Brody avait pour habitude de se remémorer le bon vieux temps lorsqu’un des mets les plus délicieux était la Tourtière du traître – une vieille recette de colons français qui nécessitait plusieurs viandes de différentes espèces. Mais ne croyez pas que son grand-père était cent pour cent carnivore, notez que cette tourte était également faite d’une croute épaisse et feuilletée avec des pommes de terre – marinée dans le jus de plusieurs viandes. De quoi se lécher les babines. Une fois s’être assuré que la ville était alerte et prête à affronter la charge de leurs assaillants, Brody se prépara à attaquer l’ennemi par-derrière, pour finalement s’arrêter lorsqu’une odeur inhabituelle attira son attention. Exotique. Douce. Et mystérieusement irrésistible. Quelle est cette odeur ? Elle lui vint du nord, sous l’effet d’une légère brise. Chatouillant ses narines, elle le taquina et se mit à le distraire. Il ne la reconnut pas, mais en savait assez pour parier qu’elle n’était pas celle d’un humain, du moins pas entièrement. Ni celle d’un animal. Alors, quelles autres options restait-il ? Était-ce important ? L’ennemi s’approchait actuellement de cette ville qui était sa maison. Avait-il vraiment le temps de traquer d’étranges odeurs ? Pouvait-il se permettre de l’ignorer ? Son sergent ne disait-il pas : « Il faut toujours inspecter ce qui est inexplicable » ? Notamment lorsqu’il était question de partir en reconnaissance ? Tant que le fait de s’éloigner de la piste principale pour renifler plus loin n’affectait pas une mission actuelle qui devait vite être traitée, alors traquer ce qui était inhabituel était plutôt encouragé. Après tout, il suffisait parfois d’un seul indice pour arrêter une guerre. Et le clan était au bord de la guerre. Au bord ? Tu parles, ils étaient sur le point de s’engager dans une guerre tout court vu le nombre d’ennemis en train d’approcher la périphérie de la ville. Mais qui était derrière tout ça ? Au cours de l’année, alors que le clan de Kodiak Point avait repoussé un bon nombre d’attaques et de problèmes, ils n’avaient pourtant toujours pas aperçu l’auteur de ces actes. Personne ne savait qui il était. Personne ne se souvenait de son visage. Et personne ne connaissait son nom. Et si cette odeur appartenait au cerveau qui avait organisé tous ces actes violents perpétrés contre eux ? Et si cette odeur, ce détail étrange dans la forêt, était un indice et l’opportunité qu’ils attendaient tous pour éliminer, une fois pour toutes, cette personne mystérieuse qui foutait la merde dans leurs vies ? Dure décision. Se battre ou explorer ? Il connaissait déjà la réponse de son loup. Et il n’était pas facile de garder ces quatre pattes plantées au sol pendant qu’il prenait un peu de temps supplémentaire pour analyser ses options. Argh. Les deux étaient si tentantes. Peut-être n’était-il pas obligé de choisir ? Première partie de la mission : capturer cette étrange odeur, puis, durant la deuxième phase, avec un peu de chance, il arriverait pour la fin de la bataille. J’aurai mes lasagnes, mon gâteau et connaissant tante Betty-Sue, une fois que la violence aura pris fin, les fourneaux seront remis en marche et nous aurons tous de la tarte. Comme Brody ne voulait pas laisser tout son matériel derrière lui, notamment s’il avait besoin de son téléphone ou des menottes, il reprit forme humaine. Il remit son pantalon, mais laissa son haut et ses chaussures. Il ferait moins de bruit en étant pieds nus. Il plaça son pistolet contre la ceinture de son jean et balança son sac à dos – qu’il avait rempli de menottes, eau, de son téléphone et qui contenait une corde pour attacher poings liés et pendre si besoin – sur son épaule. Il envoya un autre texto à Reid : Drl od. V Vr. Traduction : J’ai senti une drôle d’odeur et je vais voir ce qu’il en est. Voici la réponse superbe qu’il reçut de la part de Reid : K. T bat. OK. Mais tu sais ce que cela veut dire : je vais te défoncer au niveau des scores sur le champ de bataille. Argh. Effectivement, ce serait le cas, mais ce n’était pas grave. Brody pouvait encore être gagnant s’il capturait quelqu’un d’important aujourd’hui. Le grand manitou valait au moins cent serviteurs, si l’unité de mesure était ses sbires. L’odeur alléchante devint plus forte au fur et à mesure que Brody se faufilait entre les arbres, se déplaçant tel un fantôme, comme Gene, entre les feuillages. Ne laissant aucune trace sur son passage et suivant le sens du vent afin de ne pas annoncer sa présence, Brody traqua sa proie. L’arôme alléchant ne faisait que croître, pourtant, il était toujours incapable de l’identifier. Y avait-il un soupçon de cannelle ? Il inhala. Oui, mais aussi une pointe florale, du jasmin s’il se remémorait bien ses cours de botanique. Qui avaient été loin d’être des cours normaux pris dans une serre. Oh non. Brody avait tout appris sur les plantes en étant sur le terrain, parfois les yeux bandés par son sergent qui leur aboyait dessus en leur disant qu’ils avaient été empoisonnés et devaient trouver une plante particulière afin de l’utiliser comme antidote. Que de bons souvenirs, comme cette fois où Sergent avait sauvé la vie de Brody après avoir réalisé que ce dernier avait choisi la mauvaise plante et ingéré du vrai poison. Le rhinocéros n’avait pas hésité à agir. Il en avait même profité pour donner une leçon aux autres soldats. En se servant du corps de Brody comme d’un mannequin, il avait expliqué comment purger une victime. Ah, le bon vieux temps. L’odeur qui flottait dans la brise n’était pas une toxine. Il en aurait parié sa vie. De la cannelle et du jasmin. Mixés l’un avec l’autre, cela donnait un parfum exotique. Un parfum qui tentait le palais. Il sentait aussi que cela l’assujettissait. L’attirait. Que cela le droguait, presque. C’est. Quoi. Ce. Bordel. Il secoua la tête pour s’en débarrasser lorsqu’il réalisa qu’il trébuchait, sans faire attention, ouh là, là, avançant comme un élan maladroit vers la source. Cela ne lui ressemblait pas. Brody s’arrêta, même si ses pieds semblaient insister pour avancer. Son corps entier se pencha en direction de l’odeur. Comme c’était bizarre et flippant. Ce n’est pas du poison, mais l’odeur semble exercer une forme d’attraction. Ce qui n’était pas de très bon augure. Seule la plus mortelle des plantes ou des créatures pouvait émettre ce type de piège odorant. Quel que soit ce qui suintait et diffusait cette odeur, cela n’avait rien à faire dans ces bois. Ce qui voulait dire que Brody devait plus que jamais traquer la source tout en trouvant une solution pour que l’odeur ne l’affecte pas. Il avait besoin d’un antidote. Quand une douce odeur en rencontre une mauvaise… Brody sortit son eau de Cologne écureuil, un petit vaporisateur au-dessus d’un flacon en verre. Inoffensif en apparence, le liquide jaune et sombre contenu dedans était pourtant capable de transformer son odeur de loup viril – que les femmes adoraient – en quelque chose d’autre. L’odeur malodorante généreusement tamponnée sous son nez détruisit totalement sa capacité olfactive actuelle. Beurk. Répugnant. Pas vraiment agréable, mais cela permettait de dissiper cet effet qui persistait et qui l’attirait tel un bourdon vers cette odeur qui n’avait rien à faire dans ces bois. Qu’est-ce, ou qui est-ce ? Alors qu’il continuait son chemin, se faufilant désormais silencieusement et non pas inconsciemment, Brody remarqua plusieurs choses étranges autour de lui. Premièrement, il n’était pas le seul à être attiré dans cette direction. Des rôdeurs de toutes les espèces se précipitaient devant lui. Son loup les observa avidement à travers ses yeux. Il lui envoya également un message mental qui ressemblait à peu près à : Casse-croûtes. Casse-croûtes. Presque assez pour un déjeuner. Son loup bava pratiquement devant le buffet. Brody préférait la viande que l’on trouvait en magasin. Cela demandait moins de travail. Bien qu’il ne puisse pas les voir, Brody entendit leur battement d’ailes alors que des volatiles volaient dans le ciel. En espérant que ce n’était pas des chauves- souris. Il n’aimait pas les chauves-souris, notamment depuis qu’il était tombé nez à nez avec une nuée de ces suceuses de sang dans la forêt tropicale. Elles n’attaquent pas les humains, mon cul. En tout cas, cela ne leur posait pas de problème d’attaquer les métamorphes. Je les déteste. Et elles ont mauvais goût en plus. Mais le fait de savoir qu’elles n’étaient pas appétissantes, même rôties sur un feu de camp et marinées dans du jus de citron, ne répondait pas à la question qu’il se posait actuellement. Qu’est-ce qui se passe bon sang ? Reid voudrait le savoir. Et merde, Brody aussi voulait savoir. Les seules fois où les animaux couraient en horde avec un seul but en tête étaient quand le danger les menaçait par-derrière. En général un feu, ou bien, occasionnellement, un énorme Yeti qui s’aventurait hors des plaines glacées pour faire peur aux habitants. Cependant, pour Brody et les autres, c’était surtout de bons moments. Plus il s’éloignait, plus les arbres s’affinaient, et sa couverture se faisait de plus en plus rare. Mais cela ne l’empêcha pas de suivre les traces des petites créatures alors que celles-ci défilaient devant lui pour se rassembler vers une zone dégagée où se trouvait un rocher escarpé. Comparée à certaines clairières, celle-ci n’avait rien de spécial. Il n’y avait pas de monolithes comme ceux de Stonehenge ou d’ancien cimetière. Le mont rocheux était composé de différents blocs de taille variable et ne semblait avoir aucune signification culturelle. Du moins, jusqu’à présent. Désormais, c’était un trône, une île parmi une mer ondulante de corps tordus et poilus qui se bousculaient tous pour trouver une place devant le rocher. Mais pourquoi ? De peur d’écraser tous ces petits corps, Brody s’arrêta et fit le point. Le croissant de lune étant très mince ce soir-là, il n’y avait pas beaucoup de lumière, mais son côté loup compensa et lui permit de distinguer quelques détails, assez pour remarquer que parmi les souris et les écureuils, et autres petits habitants de la forêt, se trouvaient des animaux plus gros tels qu’un raton laveur et un renard – mais ce dernier ne semblait pas très intelligent ni similaire à Jan. Cependant, les animaux n’étaient pas ce qu’il y avait de plus intéressant. Elle, par contre… Au sommet des rochers se tenait une femme, une femme humaine apparemment. Une femme assise sur un trône de pierre et dont la présence l’attirait. Il fut parcouru d’un frisson comme il ne l’avait jamais été depuis des années, pas même à l’armée. Il y avait quelque chose dans sa façon de s’asseoir, la manière dont les animaux semblaient tous se rassembler pour la vénérer, qui le dérangeait beaucoup. Il commença à flipper. C’est. Quoi. Ce. Délire. Voilà quelque chose que son sergent aurait qualifié d’intéressant. Il s’approcha plus près, sans même chercher à se cacher, voulant la voir plus distinctement avant de passer à l’action. Elle ne semblait absolument pas avoir conscience de sa présence. Euh… salut. Il y a un grand méchant loup, là. Un grand méchant loup qui avait l’odeur d’un écureuil tout riquiqui. OK, il pouvait lui pardonner de ne pas sentir sa présence. Mais quand même. Qu’en était-il de ses autres sens ? Ne sentait-elle pas le danger, en train de l’observer ? Je suis là. Écoute mon hurlement. Ahouu ! Elle ne bougea pas d’un pouce. N’avait-elle pas remarqué son arrivée ou préférait-elle l’ignorer ? Il était prêt à parier que c’était un peu des deux. Bizarre, mais pas aussi bizarre que tous ces animaux de la forêt qui semblaient la regarder avec une totale admiration. Tu parles d’un putain de truc flippant. S’il avait été à la place de Boris ou Gene, il aurait probablement sorti son arme pour lui tirer dessus. Ses vieux potes de l’armée avaient des règles simples : si un truc ne te plaît pas, tue-le. Mais contrairement à Kyle et sa couronne de bois, Brody essayait de se servir de sa tête et de lui donner une autre utilité que celle d’un simple porte- manteau. Il vit la femme, assise, les jambes croisées au sommet du rocher, le visage penché en arrière, les cheveux ondulant sous une brise tourbillonnante, comme une sorte d’auréole couronnant sa tête et il pensa : Intéressant. Lorsqu’il avait été formé aux arts de l’espionnage, son sergent lui avait appris à ne pas tuer tout ce qui semblait intéressant à moins qu’il n’en ait vraiment pas le choix. Garde la personne qui représente un intérêt en vie, disait-il en les coachant. Il devait la ramener pour l’interroger. Lui demander si elle avait quelque chose à voir avec toutes ces créatures des bois qui depuis quelque temps se réunissaient pour attaquer les habitants de Kodiak Point. Objectif de la mission : capturer la femme pour l’interroger. Première phase : comment l’atteindre ? Et sans attirer l’attention. Pour l’instant, sa cible ne semblait pas avoir conscience de sa présence, mais cela pouvait rapidement changer. Brody regretta de ne pas avoir amené un pistolet tranquillisant avec lui. Malheureusement, il n’avait sur lui qu’un couteau et un pistolet ordinaire. Et des menottes. S’il parvenait à s’approcher suffisamment près, vu qu’il était avantagé par sa taille, il pourrait sûrement la neutraliser et lui glisser celles-ci au poignet. Mais cela voulait dire qu’il allait devoir s’avancer et trouver un moyen de contourner cette mer de fourrures sinon, il allait devoir tous les écraser. Pas vraiment connu comme étant un homme délicat, Brody rechignait tout de même à piétiner ces petites créatures. Mais avait-il vraiment le choix ? Il se déplaça vers la gauche et la garda en vue, il osait à peine cligner des yeux, de peur qu’elle ne disparaisse. Il chercha une voie dégagée ou du moins un endroit moins peuplé de tous ces corps. Il n’en vit aucun. Elle était comme une île au milieu des créatures, toutes venues grouiller pour lui rendre hommage. Alors qu’aucun accès ne se présentait, il réalisa qu’il ne pouvait rien faire. Fronçant le nez de dégoût, il fit un pas en avant. Pas de craquement. Il osa regarder en bas. Les corps qui se tortillaient dans tous les sens s’étaient écartés pour laisser passer son pied. Il continua d’observer alors qu’il levait le deuxième pour le pointer au-dessus de quelques têtes. Ils ne se mirent pas à courir. Ni à couiner. Comme c’était étrange… Pourtant, lorsqu’il baissa son pied, ils s’éparpillèrent, hors du chemin, lui laissant la voie libre pour poser ses orteils sur le sol. Je suis comme ce type barbu dans la Bible, sauf que j’écarte les eaux d’une mer de fourrures. Brody se fraya un chemin jusqu’aux rochers sans faire de dégâts. Dès qu’il fut assez près, il bondit sur une pierre, ses orteils nus agrippant la surface rugueuse. Il jeta un coup d’œil vers sa cible pour vérifier ce qu’elle faisait. Durant toute sa marche, elle n’avait pas bougé. Sa tête était toujours penchée en arrière et ses cheveux dansaient sauvagement, claquant comme s’ils étaient vivants et chargés d’électricité statique. Pour autant qu’il sache, elle était peut-être électrique. L’air qui semblait si proche d’elle bourdonnait, créant presque une musique. Une musique qui vibrait aux portes de la conscience de Brody. Il l’ignora alors qu’il se rapprochait. Cette situation déjà bien effrayante ne s’améliora pas lorsqu’il remarqua que ses yeux étaient grands ouverts, roulés dans ses orbites, et totalement blancs. Ce n’était vraiment pas cool. Même s’il n’était pas un grand amateur de films d’horreur, Brody savait quand même que la situation avait quelque chose de surnaturel. Il pouvait presque entendre Boris grogner : « Tue-la ». Mais il ne pouvait pas. Tuer une femme, apparemment désarmée, seule en haut d’un rocher ? C’était trop facile. Bien trop facile. Et pas correct. Qui et qu’est-elle ? Il avait à la fois envie de savoir et de désespérément s’enfuir. Avez-vous déjà eu le sentiment que votre vie allait radicalement changer ? Ouais, c’était exactement ce qu’il ressentait et il n’aimait pas ça du tout. Le problème, c’était que ce malaise ne ferait pas non plus de lui un lâche. Brody vivait pour le danger. Il s’en délectait. Et cette situation puait le danger, malgré son aspect inoffensif, jusqu’à présent. Bien que ce qui se dégageait de cette femme lui donnât la chair de poule, il s’avança aussi près que possible de sa silhouette vulnérable. Il prit une grande inspiration puis enroula ses bras autour d’elle. Il ressentit soudain un électrochoc, comme une prise de conscience qui lui coupa le souffle, ne lui laissant qu’assez de force pour murmurer : « Je t’ai eue ». Pourtant, il ne put s’empêcher de penser que c’était plutôt lui qui venait d’être capturé. CHAPITRE DEUX

Dès le moment où il avait pris la décision de s’approcher d’elle, elle avait remarqué sa présence. Tous les animaux dans la clairière aussi. Un prédateur. Il est parmi nous. Courez. Cachez-vous ! Hii ! Ces esprits simples tremblaient de peur et pourtant, elle les tenait fermement. Cela l’épuisait terriblement d’utiliser autant son pouvoir sur un si vaste territoire, mais en même temps, elle se sentait totalement libre. Elle était bombardée par une multitude de sensations, pas les siennes, mais celles des animaux. Avec une simple caresse de son esprit et un contrôle sur leur volonté, elle pouvait vivre à travers eux et leurs yeux. Sentir à travers leurs pattes. Mourir lors d’une attaque futile. Mais elle avait déjà retiré sa conscience de l’esprit des créatures qui attaquaient Kodiak Point. Elle les avait menées jusque là-bas, leur avait donné l’ordre d’attaquer, mais elle ne voulait pas voir à travers leurs yeux ou souffrir alors qu’ils étaient blessés ou mouraient. Elle avait déjà vu trop de morts. De plus, la véritable raison de sa présence ici était en train d’approcher. Il est derrière moi. Il… Bien que Layla s’attendait à ce qu’il la touche, elle ne put s’empêcher de tressaillir lorsqu’il l’attrapa. Elle ne s’était absolument pas attendue à ressentir cette vague de chaleur que lui procurait son contact – ni à trouver celui-ci si agréable. Elle eut alors une prise de conscience, pas comme une poussée d’adrénaline que procure généralement une menace ou un danger, mais plutôt de type érotique. Lorsqu’une femme a une prise de conscience par rapport à un homme. Ce n’était pas quelque chose qu’elle avait souvent expérimenté, mais étant donné qu’elle lisait beaucoup de romances, cette sensation était facilement reconnaissable. Son ravisseur dégageait une certaine aura – confiance, force, virilité – et elle fut choquée de constater qu’elle y était sensible, qu’elle réagissait à sa présence à lui, un inconnu. — Je t’ai eue ! Le souffle chaud de l’homme caressa le lobe de son oreille. Cela déclencha une réaction en chaîne et elle fut parcourue d’un frisson. Si seulement tu m’avais vraiment. Car il se trompait sur celui qui était vraiment captif. Même si le loup la tenait, il ne pourrait jamais la garder. Le maître avait déjà des plans pour le métamorphe et elle pouvait affirmer avec certitude que ceux-ci ne se termineraient pas bien pour ce type. Encore une vie sacrifiée pour satisfaire le sadisme du maître – cet intitulé était son idée. En voilà un qui était totalement mégalomane et qui n’avait pas peur de tuer pour nourrir ses illusions. — Tu devrais t’enfuir pendant qu’il est encore temps, essaya-t-elle de le prévenir. C’était sa façon à elle de se rebeller. Comme elle s’y attendait, il ne l’écouta pas. — Ça ne risque pas d’arriver, chérie. Il la serra encore plus fort et comme une idiote, cela lui plut. Je ne suis vraiment qu’une garce en manque d’attention. Suis-je désespérée au point d’être exaltée par un total inconnu ? Sois plus maligne. Elle n’était pas là pour s’amuser. Elle n’était qu’un outil pris dans les engrenages de la vengeance et si elle accomplissait sa mission, elle serait récompensée avec un assortiment de friandises. Et pour ceux qui prenaient la liberté pour acquise et qui la jugeaient pour se laisser acheter si peu cher, qu’ils essaient de faire les cent pas à l’intérieur de sa cage de dix mètres carrés durant un an avant de la juger. Elle était prête à tout pour quelques chocolats et une excursion dehors, là où elle pouvait respirer de l’air frais ou sentir le soleil sur sa peau. Et dans cette situation, pour recevoir sa récompense, tout ce qu’elle avait à faire, c’était d’envoyer des loups ordinaires et d’autres créatures – et il y en avait peu étant donné qu’ils avaient déjà nettoyé la majeure partie de la zone lors des attaques précédentes – pour tendre une embuscade contre la ville. Facile. Tout comme il fut facile de se positionner en appât sur le rocher. Assieds-toi et joue avec les animaux. Voilà les ordres qu’on lui avait donnés. Qu’elle laisse son pouvoir naturel les attirer à elle, notamment un loup curieux. Son maître avait un but précis en tête lorsqu’il avait exposé son plan, un scénario bien complexe, tout ça pour en arriver là. L’attaque contre la ville n’était qu’un simple stratagème pour détourner l’attention du véritable objectif du jour : capturer un loup. Le métamorphe visé s’était dirigé, sans rien se douter, vers le piège. Un piège qui allait bientôt se refermer. Elle avait presque de la peine pour lui, mais c’était sa vie contre la sienne plus une tonne de chocolats. Était-ce égoïste ? À voir. Était-ce égoïste de vouloir se protéger ? Mais quand même, cela n’atténua pas son sentiment de culpabilité. Elle tourna son regard vif et violet dans sa direction, la couleur étonnante de ses yeux contrastant avec son teint hâlé surprenait toujours les inconnus. — Je suis désolée, monsieur le loup, ce n’est pas moi qui suis captive, mais vous, dit-elle d’un ton qui n’avait rien de triomphant. Bien que son pouvoir magique sur les animaux ne fonctionne pas sur lui – son esprit était bien trop puissant pour cela – la fléchette qui surgit de la pénombre elle, était capable de neutraliser n’importe quel prédateur, même le plus coriace. La seconde, troisième et quatrième fléchette n’était que précaution. Ses yeux s’écarquillèrent et il marmonna : — Bon sang. Ce fut tout ce qu’il parvint à dire avant que le puissant tranquillisant ne lui fasse perdre connaissance. Les bras autour d’elle se relâchèrent, mais avant qu’il ne les fasse basculer de leur perchoir instable, des silhouettes apparurent. Avec leurs vêtements noirs, elles ressemblaient à des ombres prenant soudain vie. Les serviteurs du maître cueillirent le corps inerte du gars sur le rocher et claquèrent des menottes en argent autour de ses poignets, un métal douloureux au toucher et qui lui serait impossible de briser. Elle avait presque pitié pour cet homme. Il n’avait rien demandé. Il n’avait rien fait pour mériter cette capture. Pourtant, lorsqu’il se réveillerait, la liberté dont il avait joui lui serait refusée. Bienvenue dans mon monde. Un monde où soit ils obéissaient aux diktats du maître, soit ils en subissaient les conséquences. Mais au moins, il leur servait de la bonne nourriture. Un esclave bien nourri était un esclave fort, capable de faire des ravages au nom de son maître. Du moins, c’était ce qu’elle avait déjà entendu un milliard de fois. Elle avait remarqué que les vilains avaient tendance à constamment répéter les mêmes discours. Justement, en parlant du loup… — Bien joué, mon petit toutou. Sa voix presque robotique résonna dans ses oreilles. — Comme si j’avais le choix, murmura-t-elle à la silhouette en robe qui flotta plus qu’elle ne marcha dans la clairière. Les animaux dont elle s’était servie pour attirer le loup s’enfuirent dès qu’elle cessa de vibrer et de bourdonner. Le sort qui les avait tous réunis se dissipa rapidement et étant donné qu’ils avaient tous le statut de proie, leur instinct protecteur se manifesta très rapidement. Tout ce qui restait pour attester de leur présence était la verdure piétinée et un gars comateux qui se réveillerait, condamné. Comme c’était sinistre. Une bande-son dramatique résonna dans son esprit : tin-tin-tinnnn. — Tu risques la punition avec cette insolence, toutou. Bla. Bla. — Ah oui ? Y a-t-il vraiment une chose qui n’entraîne pas de punition ? répondit-elle, absolument pas intimidée. Le maître avait tout essayé pour qu’elle fasse preuve de respect. Encore et encore. Il s’était vite rendu compte que, même s’il pouvait punir son corps, son esprit lui, refusait d’être réprimé. Layla ne l’aurait pas permis. Elle gardait espoir qu’un jour elle parviendrait à s’échapper – Je suis sûre que l’Évasion#57 sera la bonne. Oui, elle avait tenu le compte ces dernières années. Elle avait appris de chacun de ses échecs. Ne fais pas de stop en portant une robe légère. N’oublie pas de récupérer les clés avant de tuer ton geôlier. Ne mange pas les jolies baies rouges sur les buissons dans la forêt à moins que tu n’aies besoin de perdre du poids. — Tu m’ignores ! s’énerva-t-il. Toujours en manque d’attention ce con. — J’ai fait ce que vous m’aviez demandé. Donnez-moi mon chocolat. — Et si je ne le fais pas ? — Alors vous feriez mieux de me tuer, car rappelez-vous ce qu’il s’est passé la dernière fois que vous avez rompu un accord. Elle avait fait la grève de la faim et avait refusé de faire quoi que ce soit. Il avait dû reporter tous ses plans, ce qui ne lui avait pas plu du tout. — Je devrais te frapper pour ton impertinence. Devrait, mais ne le ferait pas. Oh, certes, il lui ferait du mal, ne vous méprenez pas, mais il ne la tuerait pas et ne ferait rien qui puisse gravement la blesser de peur de perdre son pouvoir. Tant qu’elle se montrait utile, il se retenait. Mais elle en revanche, ne se retenait plus. Plus maintenant. Dernièrement, elle avait franchi la limite qui empêchait le maître de craquer. Elle l’avait repoussée, encore et encore, fatiguée d’attendre que l’on vienne à son secours. Fatiguée de passer sa vie enfermée dans une cage. Évasion#57. C’était un nombre porte-bonheur. Celui qui lui permettrait enfin de réussir. Elle le savait. Sinon, elle avait entendu dire que cinquante-huit était aussi une bonne combinaison. CHAPITRE TROIS

Se réveiller groggy et par terre ? Ce n’était pas arrivé depuis des années. Ça devait être de la bonne. Attendez une minute, il n’avait ni fumé ni bu. Il n’avait pas la gueule de bois. J’ai été drogué, putain. Comme c’était gênant. Telle une jeune recrue novice, Brody était tombé dans un piège. Cette histoire risquait de lui coller à la peau, Boris s’en assurerait. Bien évidemment, afin d’entendre ses moqueries, Brody devait d’abord s’échapper. Se mettant alors en position assise, il fit un point sur sa situation. Le premier mot qui lui vint à l’esprit alors qu’il regardait autour de lui fut : cliché. Il se trouvait dans un sous-sol en ciment assez basique avec un vieux four à charbon dans un coin, dont l’intérieur était actuellement vide à cette période de l’année. Des boîtes empilées étaient éparpillées un peu partout, le carton moisi était gondolé alors que l’humidité et la négligence avaient fait des ravages. Contre un mur en face de lui se tenait un lave-linge vintage couleur vert vomi, datant des années soixante-dix et dont il manquait un bouton sur le panneau d’affichage. Mais il était prêt à parier que la bête marchait encore. Ces vieilles machines avaient été construites pour durer. Un sèche-linge blanc un peu plus moderne se tenait à côté, partageant l’espace, son panneau d’affichage était taché de rouille. Et pour finir, dans cet espace peu accueillant, se trouvait une cage géante avec lui, en plein milieu. Parce qu’un sous-sol n’était pas un véritable sous-sol sans une cellule de prison. Pour l’instant, Brody semblait être seul et étonnamment en forme. Rien de cassé, pas de flaque de sang, aucune douleur affreuse nulle part. Il n’était pourtant pas totalement intact. C’est quoi ce truc autour de mon cou ? Froid et lourd, il semblait que quelqu’un lui avait offert un bijou. Ses doigts explorèrent la bande de métal qui enserrait son cou. Argh. Quelqu’un m’a mis un collier. Était-ce puéril de sa part de vouloir simuler des bruits d’étouffement ? Probablement et il se retint de le faire, mais son loup en mourrait d’envie et gémit pitoyablement dans son esprit. Un loup pouvait surmonter beaucoup de choses. Mais il n’abandonnerait jamais sa liberté. Se faire capturer était assez humiliant et Brody comprit qu’il allait devoir prévoir une évasion s’il souhaitait garder sa virilité. Il est temps de faire glisser ce truc. Il tâtonna l’anneau de métal, cherchant un fermoir. Mais il ne rencontra qu’un métal lisse. Sans soudure ni la moindre trace d’ouverture ou de gâchette. Ça se resserre, gémit son loup. Ce qui était faux, mais le fait d’avoir échoué à l’enlever rapidement ne présageait rien de bon. Il fallait que Brody tente quelque chose de différent. Étant donné qu’il était plus fort que la plupart des hommes, il allait casser ce putain de truc. Glissant ses doigts autour de l’anneau, il tira. Il chercha à tordre le métal. Il laissa échapper un flot de jurons – en plusieurs langues. Ce satané collier ne voulait pas s’enlever. Argh. Glups. Son loup, traumatisé, s’effondra mentalement. Brody faillit rigoler. Pff, quelle comédie ! Son loup lui jeta mentalement un regard noir. Ce qui fit pouffer de rire Brody. La majorité des métamorphes étaient proches de leur animal, mais ils ne le considéraient pas tous comme leur meilleur ami et ne parlaient pas toujours avec lui. Enfin, on parle surtout de visualisation mentale plus que de conversations étant donné que son loup ne pouvait pas prononcer de mots. Mais à l’aide de flash d’images et d’actions, sa bête parvenait à faire passer des messages. Mais cela n’avait pas toujours été facile de se comprendre mutuellement. Brody avait vraiment commencé à établir une connexion avec son loup durant sa plus longue incarcération. La solitude lui offrant des conditions de méditation idéales et une totale ouverture d’esprit. Assez ouvert pour rencontrer cette autre partie de lui et réussir à totalement la comprendre. Brody avait d’ailleurs souvent décrété que c’était grâce à ce lien unique qu’il était revenu moins abîmé que ses frères après son isolement entre les mains des rebelles. Ne vous méprenez pas, il s’en souvenait encore très bien, mais comme tout cela était arrivé il y a longtemps, Brody essayait de ne pas y penser. Il était allé de l’avant, même si certains de ses frères n’y étaient pas parvenus. Ressasser le passé n’améliorerait pas la situation actuelle et n’apaiserait pas son loup face à leur nouvel accessoire. — Désolé mon pote, dit Brody à voix haute, mais le bijou va rester là pour le moment. On a d’autres merdes à gérer. Il faudrait d’abord prendre soin de lui par exemple. Le collier était-il la seule chose qu’il portait actuellement ? Y avait-il d’autres surprises ? Il attrapa rapidement ses parties intimes et réalisa qu’elles étaient intactes. Il lâcha un grand soupir, soulagé. Concernant ses vêtements, Brody portait toujours son jean, mais ses poches étaient vides. Sans surprise, le pistolet qu’il gardait rangé contre son dos avait disparu, tout comme le couteau qu’il avait placé contre sa cheville. Il ne portait pas de tee-shirt et le haut de son corps était nu, exposé à l’air froid de ce lieu humide. Mais cela ne le dérangeait pas. Il vivait en Alaska bon sang. Il y faisait bien plus froid qu’ici en hiver, même avec des vêtements. Se retournant pour examiner ce qu’il pouvait de son dos et grimaçant en vérifiant son torse, il ne vit rien d’alarmant. À part quelques ecchymoses et contusions légères après avoir été malmené, il ne semblait pas mal en point. Indice : qui que soit celui qui l’avait capturé, il voulait apparemment le garder en vie. Ça lui convenait. Un loup intact et conscient était un loup capable d’élaborer un plan. Je n’ai encore jamais connu de prison qui puisse me retenir captif. Et il avait pour sa part passé pas mal de temps en prison durant ses différentes missions. Le crochetage de serrure faisait partie de ses nombreuses aptitudes. Donnez-lui quelque chose de pointu et il était capable de faire danser ces serrures en un rien de temps. Sauf que cette cage ne semblait pas avoir de serrure. S’approchant des barreaux, il put apercevoir le contour épais d’une porte et tenta de repérer le mécanisme de verrouillage. Mais lorsqu’il réalisa qu’il n’y en avait pas, il fut un peu inquiet. Cela risquait d’être un sacré défi, même avec ses talents. Mais il triompherait quand même. Toutes les prisons avaient au moins un défaut. Il devait simplement le trouver. Il l’avait déjà fait dans cette prison, à l’étranger, celle qu’il avait occupée le plus longtemps. Finalement, elle n’avait pas pu le garder prisonnier. Avant que Brody ne puisse passer ses bras à travers les barreaux afin de palper la zone où se trouvait habituellement une serrure, il entendit le grincement d’une porte que l’on ouvre. Un rayon de lumière illumina la partie supérieure d’un escalier en bois, situé dans le coin opposé. Comme il ne remarqua rien qui puisse lui servir d’arme, il s’accroupit, les mains sur le côté, son corps entier prêt à se jeter dans le feu de l’action – ou à se transformer en une menace poilue de près de quatre-vingt-dix kilos. Il remarqua d’abord des orteils, puis une cheville. Brody aperçut également un mollet avant que le bas d’une robe ne cache le reste. Quel dommage. Les cuisses nues étaient ce qu’il préférait. Certains gars aimaient les seins ou le cul, mais Brody lui, aimait les cuisses rondes, des cuisses qu’il pouvait attraper. Sauf que dans cette situation, la seule chose qu’il avait envie d’agripper avec sa main était son cou. Elle. En bas des escaliers, la tête baissée comme si elle faisait attention à là où elle posait ses pieds, descendait la femme du rocher. Tiens donc, mon amie Appât. Un appât qui l’avait piégé. Il grogna : — Toi. Il ne cacha pas son agacement. Elle n’avait qu’à réaliser qu’elle s’en était prise au mauvais gars. Il se releva, se mettant totalement debout et s’approcha des barreaux, les agrippant au moment où elle cria : — Ne fais pas ça ! Un grésillement. Une odeur de brûlé. Pourtant, il n’aperçut aucune poêle à frire ni bacon. Hum… Ce n’était pas bon signe. Il retira ses mains brûlantes des barreaux en argent. Trop tard. Elles étaient d’un rouge criard. Merde. Cela risquait d’être douloureux lorsque celles-ci cicatriseraient. Réalisant qu’il fallait désormais prendre en compte les barreaux en argent, l’évasion lui sembla soudain plus difficile. Mais il triompherait quand même. Notamment s’il parvenait à mettre la main sur cette femme qui s’était livrée comme un bon steak juteux. Il la regarda fixement. Mais elle ne sembla pas le moins du monde intimidée, probablement parce qu’elle était entourée de deux gardes costauds. L’un était maigre comme pas possible, mais grand avec de longs cheveux fins qui pendaient sur son visage. L’autre type était plus petit, mais large et, avec son grand front, il ressemblait à un homme de Neandertal. Baguette et Homme des Cavernes. On pourrait totalement les neutraliser et se régaler pour le déjeuner. Et garder la fille pour le dessert. Le problème c’était que, bien qu’il n’ait pas de mal à s’imaginer mettre K.O les gardes, lorsqu’il pensait au dessert il se focalisait moins sur la capture de l’ennemi et plus sur la séduction. Ne te laisse pas charmer par son air innocent, soldat. Des mots qu’il avait besoin de prendre en considération. Il faut que je reste concentré. — Tu es venue me narguer ? grogna-t-il. — À peine, murmura-t-elle en s’approchant toujours de lui, ses pieds nus ne faisant presque aucun bruit alors qu’ils claquaient sur le béton sale. Mais cette situation étrange l’empêcha de rétorquer. Qu’est-ce qu’il se passait ici ? Pourquoi avait-elle plus l’air d’une prisonnière que d’un ravisseur ? Une troisième paire de bottes claqua dans les escaliers. Oh regarde, un Jackass vient à la rescousse. Le nouvel arrivant ressemblait un peu à un âne avec ses deux énormes dents de devant et son grand corps maladroit. D’après l’odorat de Brody, ce type était un humain. Voilà qui était intéressant. Car Baguette et Homme des Cavernes ne l’étaient pas. Tout comme ce quatrième type qui descendit les escaliers. — Recule au fond de la cage, ordonna-t-il. Buffalo Jim, un grand type à la poitrine aussi large qu’un tonneau et à la barbe négligée, fronça son mono sourcil d’un air menaçant. Il grogna également pour la forme. Attends une seconde, je crois que c’est censé m’effrayer. Brody ricana. Un humain et un bovin idiot, plus les deux loups qui avaient amené la fille en bas. Quatre au total et ils avaient tous leurs armes dans leur étui. Encore mieux. Les chances étaient de son côté. Il pourrait facilement les neutraliser. Et ensuite on prendra la fille. Son loup approuva vivement – mais pas exactement comme Brody l’entendait. Tu es un sale chien. Brody réprimanda son ami intérieur. Je ne voulais absolument pas dire que nous allions prendre la fille avec sa jupe autour de la taille pendant qu’elle me griffe le dos, haletante. Même si ça avait l’air plutôt sympa. Elle est notre ennemie. Une fois qu’il se serait échappé, il n’y aurait qu’un seul endroit où se rendre : Kodiak Point avec la fille comme prisonnière. Parce que les bons soldats ne couchaient pas avec l’ennemi pour le plaisir. Mais si elle souhaitait perdre son temps à user de ses ruses féminines contre lui, que grand bien lui fasse. Qu’elle vende son âme au diable en lui promettant du sexe, des pipes ou même des cookies fraîchement sortis du four. Cela n’aurait aucune importance. Brody n’avait jamais transigé sur ses missions et il n’était pas près de le faire, pas même pour une femme attirante. Apparemment, en ignorant Buffalo Jim, il lui fit péter les plombs – une petite crise qui devait probablement être due à un problème d’impuissance. — On t’a dit de bouger, clébard ! Bouge ton cul de la porte avant que je ne te le fasse regretter, dit-il en faisant onduler son mono sourcil de manière impressionnante. Ce qui donna surtout envie à Brody de se procurer un rasoir. Il laissa de côté sa fascination pour cette chenille poilue sur le visage de Buffalo Jim. Cet imbécile belliqueux venait de lui poser un ultimatum. Brody savait très bien comment s’y prendre. Ses parents lui avaient toujours dit qu’il ne fallait pas écouter les inconnus et son sergent, ce connard à cornes, lui avait appris à leur répondre. — Va te faire foutre. Je ne bougerai pas. Bien sûr, un défi de cette taille était plus facile à relever lorsque l’on avait le dessus. Et il s’avéra que ce n’était pas le cas et qu’ils firent de lui un menteur. Brody recula, mais pas volontairement. Poum. Le tout nouveau collier qu’il portait ne servait pas seulement à lui donner l’air d’un maquereau. Celui-ci envoya une décharge. Et il ne parlait pas d’un petit électrochoc. Grâce à sa surface conductrice, il le fit frire avec un flux constant d’électricité, assez pour le faire tomber à genoux, assez pour le tenir en place pendant qu’on ouvrait la porte de la cage pour jeter la femme à l’intérieur. Cela ne dura que jusqu’à ce que la porte ne claque et soit à nouveau verrouillée. Cette expérience électrisante, similaire à celle de se faire tasériser était quelque chose qu’il n’avait expérimenté qu’une seule fois auparavant : durant un entraînement mené par son rhinocéros préféré. Merde. Il n’avait pas pu observer les détails de son fonctionnement, distrait par l’électrocution qui l’avait secoué telle une flaque d’eau ondulante sur une route brûlante. Avaient-ils utilisé une clé ? Un pavé tactile ? Il ne savait toujours pas, mais il avait entendu le bruit d’un verrou que l’on referme. Le courant cessa d’un coup, mais la douleur lui resta en mémoire et persista, le laissant à genoux, haletant. Indigne, et c’était inacceptable. Maintenant qu’il savait à quoi s’attendre, il réagirait mieux la prochaine fois. Oui, il pouvait presque garantir qu’il y aurait une prochaine fois. Avoir passé beaucoup de temps dans différentes prisons ne voulait pas dire qu’il avait appris à devenir un prisonnier modèle. Il s’était fait punir, un bon nombre de fois. Mais, pour une fois, il semblait qu’il allait être récompensé, car la situation était soudainement devenue très intéressante. Il était toujours en cage, portant un collier, mais il n’était plus seul. Il partageait désormais sa cellule avec une femme. Et pas n’importe quelle femme, celle qui l’avait attiré dans un piège. — Salut, Appât. Elle pinça les lèvres, mais ne répondit pas. Il l’examina à travers les cheveux qui lui tombaient devant les yeux. D’apparence exotique, avec la peau très mate et des cheveux noirs couleur corbeau, elle était légèrement ronde, de ses joues potelées à ses lèvres charnues jusqu’à sa poitrine bombée mise en avant sous sa robe de lin. Il ne pouvait pas vraiment distinguer sa silhouette, mais il était prêt à parier qu’elle avait une morphologie en sablier avec une taille échancrée et des hanches larges. Une carrure ravissante, parfaite pour tenir entre les mains d’un homme. Ou dans la gueule d’un loup, approuva sa part animale. Une femme ravissante. Séduisante. Une femme avec des yeux… qui n’avaient rien d’humain ? C’est quoi ce délire ? Il n’avait jamais vu d’humain avec un regard violet vif comme le sien. Et ces yeux étranges n’appartenaient pas aux castes de métamorphes que Brody connaissait. Et il en connaissait beaucoup. Les yeux des métamorphes avaient tendance à être de couleurs variées, allant du brun au bleu en passant par un vert vif et parfois même du doré. S’ils étaient assez stimulés, un soupçon d’altérité pouvait parfois s’immiscer et leurs yeux s’illuminaient au point de briller dans le noir. En général, l’ennemi était totalement effrayé quand cela se produisait. Plus d’un soldat s’était déjà pissé dessus quand un groupe d’yeux brillants avait surgi de la pénombre, grognant et promettant une mort certaine. Ah le bon vieux temps, comme ça lui manquait. Brody faisait partie de ces soldats fous qui étaient rentrés chez eux après la guerre et qui avaient envie d’y retourner. Ce n’était pas parce qu’il n’avait pas eu sa part de malheurs durant son service militaire, mais plutôt parce qu’il s’était épanoui à travers le danger. Il avait apprécié la complicité et la camaraderie qu’il avait partagées avec ses frères soldats. L’exaltation de la poursuite et de l’aventure avaient imprégné son sang. Il était un chasseur. Un pisteur. Un loup. Il était né pour traquer – et détruire. Ahouu ! Mais avant de vous faire une mauvaise impression et de le cataloguer de tueur, gardez à l’esprit que Brody ne tuait pas sans réfléchir. Il suivait certains codes. Assassiner l’ennemi pour le bien de tous : totalement acceptable. Tuer pour le plaisir ? Non, mais si vous l’attaquiez lui ou ceux qu’il avait toujours juré de protéger ? Son côté sauvage et féroce se délecterait du carnage. Oubliez cette envie clichée de le surnommer le grand méchant loup. Il était bien plus que ça. Brody se vantait d’être le parfait soldat. L’espion. L’assassin. Ou du moins, c’est ce que j’étais. Dites désormais bonjour au bêta de Kodiak Point. Quel ennui ! Parfait soldat ou non, Brody avait quitté l’armée pour rester avec ses amis qui avaient été bien plus traumatisés et brisés que lui. Ils avaient besoin de lui. Alors il avait démissionné de l’armée pour emménager à Kodiak Point, une petite ville ennuyeuse, jusqu’à récemment. Était-ce malvenu de sa part de trouver que les récentes feintes contre Reid et les coups montés contre les habitants étaient ce qu’il y avait de plus excitant ? Enfin quelque chose à faire. Plus intéressant que de devoir traîner un Eli totalement saoul – qui s’était transformé en aigle chauve et ivre – jusqu’à chez lui, pour que finalement ce dernier vomisse des insectes à moitié digérés et de la liqueur partout sur lui. Depuis les récentes attaques contre Kodiak Point, Brody se sentait plus vivant que jamais et pressé d’affronter la journée. Youhou ! Mais il était totalement en train de se laisser distraire. Il se focalisa à nouveau sur sa situation actuelle impliquant une cage et une femme au regard contre nature. Ces fichus yeux violets et brillants l’hypnotisaient totalement. Seul un imbécile pouvait confondre cette femme avec une humaine. Elle n’était également pas aussi innocente que ce qu’elle essayait de faire croire. N’oublie pas, elle s’est livrée comme un asticot au bout d’un hameçon pour me capturer. Il s’endurcit alors face à ses ruses féminines et décida d’attaquer – verbalement. — Putain, mais tu es quoi exactement ? Ce n’était pas la façon la plus élégante de se présenter, mais une fois de plus, qu’Appât soit belle ou non, il était assez énervé contre elle. Elle m’a berné. Bien que son propre manque d’attention l’ait conduit à cette capture ignoble – ce dont Boris se moquerait impitoyablement – elle l’avait drogué, comme un simple animal ! Je ne suis pas juste un chien que l’on peut endormir. Ni un novice dans le monde des soldats mercenaires et de la bataille. Alors pourquoi avait-il foncé aveuglément dans le piège ? Une seule raison lui vint à l’esprit. Il s’était ramolli durant son service en tant que bêta de Kodiak Point. J’ai perdu la main. Ce fut assez pour lui donner envie de hurler. Un ahouu peiné. Quelle triste révélation… Quand il se serait échappé – car avec sa vision optimiste, il n’était pas question de si, mais de quand – il allait devoir travailler sur cette attitude prétentieuse. Perfectionner ses compétences. Mais pour l’instant, il devait s’occuper de cette femme qui se trouvait devant lui, une femme qu’ils avaient stupidement mise à sa portée. Une femelle désirable, à l’odeur délicieuse, à la douceur moelleuse qui, lorsqu’il l’attraperait et la serrerait contre lui, ses fesses rondes pressées contre son entre-jambes, l’un de ses bras autour de son torse et l’autre autour de son cou, provoquerait chez lui une érection totale. C’est quoi ce bordel ! On ne se laisse pas être excité durant nos missions. En tout cas, il ne l’avait jamais été, jusqu’à présent. Brody avait déjà entendu parler de certains types qui avaient eu des érections durant de petits affrontements, mais pour lui c’était une première. Étant donné qu’il détestait cette femme, il était très perturbé de constater qu’elle était toujours aussi attirante à ses yeux. Même son loup était d’accord. Il pensait d’ailleurs que Brody devait lui arracher sa jupe, la pencher en avant et… Méchant loup. Était-il en train de réprimander le loup qui sommeillait en lui car ce dernier désirait l’appât ? Que se passait-il ? Il avait besoin de reprendre ses esprits et de réaliser certaines choses en commençant par comprendre ce que diable était cette femme ? Comment avait-elle réussi à le faire réagir de la sorte ? — J’ai dit, qu’est-ce que tu es bordel ? Il attendit qu’elle réponde à sa question. Mais elle resta silencieuse. Il approcha ses lèvres de son oreille et sentit le frisson qui la parcourut lorsqu’il murmura : — Le silence ne te sauvera pas. Je pourrais te tuer en un claquement de doigts. Briser ton cou comme un poulet. En réalité, il ne le ferait pas. Cependant, ça, elle ne pouvait pas le savoir. Tant qu’elle se montrait utile, elle aurait la vie sauve. Mais si elle faisait quoi que ce soit pour lui faire du mal… Elle rompit son silence. — Je ne peux pas vous répondre, monsieur le loup, car je ne sais pas ce que je suis. Personne ne le sait vraiment. — Es-tu humaine ? En tout cas, elle avait l’air humaine, avec son corps solide, bien que souple et sa silhouette ronde et peu musclée, contrairement aux femmes de son entourage. Elle avait une voix humaine, un ton sensuel et harmonieux avec un léger accent exotique. Était-elle issue d’une caste étrangère qui expliquerait peut-être cette touche de cannelle sur sa peau, cet arôme de jasmin qui l’entourait délicatement et qui rendait son odeur bien trop délicieuse ? On devrait clairement lui donner un petit coup de langue. Quel vilain loup ! Il n’y aurait aucun coup de langue. Ni du désir. Et, non, sûrement pas de petites culbutes. Même si elle se trouvait dans sa cage, elle était une ennemie. Et on ne forniquait pas avec l’ennemi. Enfin… à moins que ce ne soit vraiment nécessaire. Comme pour une question de vie ou de mort. Dans ce cas-là, coucher avec elle serait héroïque. Ah là, là, tout ce qu’il avait fait pour survivre durant la guerre. Il soupira. Comme sa vie d’avant lui manquait. — Mon père est humain. — Mais ta mère ? murmura-t-il, ses lèvres caressant presque le lobe de son oreille. Ç’aurait été tellement facile de la mordiller. Comme si elle lisait dans ses pensées, sa respiration fut saccadée et son rythme cardiaque s’accéléra, un battement rapide, presque comme celui d’un animal piégé. Ce qui excita sa bête. Elle se lécha les lèvres. — Je n’ai jamais connu ma mère. Elle est morte en me donnant la vie. Jusqu’à présent, son détecteur de connerie semblait penser qu’elle disait la vérité. Mais combien de temps cela durerait-il ? — Pratique. — Pas vraiment. J’aimerais bien vous y voir, vivre sans savoir qui vous êtes. — Quelqu’un dans ta famille doit bien savoir quelque chose. Elle secoua la tête. — Et ton père, qu’elle soit humaine ou pas, il devait bien avoir une idée, non ? Et sa famille ? Ses amis ? Quelqu’un a bien dû te dire quelque chose. Pendant qu’il posait toutes ces questions, elle secoua la tête. — Non. Rien. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mon père disait simplement que j’étais spéciale, comme ma mère. Elle haussa les épaules, un mouvement simple qui souleva momentanément sa poitrine, puis celle-ci se posa contre le bras qui la retenait, un geste simple qu’il ne put s’empêcher de remarquer. À vrai dire, il y en a plus que ce qu’il faut pour tenir dans la main d’un homme. Concentre-toi ! Il pouvait presque entendre son ancien sergent rhinocéros aboyer l’ordre. Bon sang, comme ce bâtard à corne lui manquait. Il fallait vraiment qu’il retourne lui rendre visite. — J’imagine donc que tu ne nies pas être différente ? — C’est quand même assez évident. Elle prononça ces mots d’un ton un peu trop sarcastique pour une femme qui aurait dû trembler de peur. Pourtant, elle tremblait un peu. Mais pas par crainte. Luttait-elle aussi contre cette même attirance physique qu’il ressentait ? Elle est notre ennemie. N’oublie pas ça. Qu’ils soient tous les deux attirés ne voulait pas dire qu’il devait perdre de vue sa véritable nature. — Que fais-tu exactement ? J’ai vu ces animaux dans la clairière. Quelque chose n’allait pas chez eux. Et toi…, il se rappela soudain ce bourdonnement et cette vibration étrange qui émanaient d’elle. Tu avais quelque chose à voir là-dedans. — C’est vrai. Hein ? Elle ne l’avait même pas fait galérer pour obtenir une réponse ? Il s’attendait pourtant à ce qu’elle nie. À quoi jouait-elle ? En tout cas, elle refuse de jouer avec mes règles. — Ça te dérangerait d’être un peu plus précise ? — Vous avez déjà entendu parler du Joueur de flûte de Hamelin ? — Ouais, c’est une comptine ou une histoire, un truc comme ça. — C’est une légende qui remonte à quelques siècles. — Mais je croyais que cela parlait d’un homme et tu…, il s’arrêta et la serra fort pendant un instant. Tu n’en es certainement pas un. Elle se tortilla. Ce qui lui plut. Mais il décida de l’ignorer. — Non. Et je n’ai jamais prétendu être lui. Je me sers juste de lui comme exemple. Bref, d’après l’histoire, il avait pour habitude de jouer d’un instrument, puis les animaux lui obéissaient. — Es-tu en train de me dire que tu contrôles les animaux ? Avec quoi, ce bourdonnement bizarre ? Il ne put cacher son incrédulité. Une fois dit à voix haute, cela semblait totalement tiré par les cheveux et pourtant, il ne put s’empêcher de se remémorer l’état d’hypnose des créatures qui s’étaient réunies dans la clairière. — Oui, on peut dire que c’est ce que je fais, dans un sens. C’est un peu plus compliqué que ça, mais tu as compris l’idée, le tutoya-t-elle finalement. Il fronça les sourcils alors qu’il réfléchissait. — Dans l’histoire, ce mec, le joueur de flûte, n’a-t-il pas fini par entraîner les enfants plus loin avec sa musique ? — Si c’est ta façon de demander si je peux également le faire avec les humains ou les métamorphes eh bien la réponse est non. Quasiment pas. — Comment ça, quasiment pas ? Une fois de plus, elle haussa les épaules et ses seins se frottèrent contre lui. Il fut tenté de lâcher prise pour pouvoir les prendre dans sa main. Quel loup coquin. Tiens-toi bien ! — Les animaux obéissent sans trop de problèmes, mais ceux qui ont un esprit plus développé peuvent résister. Ils ont une véritable notion du libre arbitre. Je ne peux pas les contraindre. Mais si je suis extrêmement en danger et qu’ils ne sont pas assez forts mentalement… Il comprit où elle voulait en venir et termina sa phrase. — Alors dans ce cas-là ton truc de manipulation mentale fonctionne. Elle hocha la tête. Il siffla. — Eh ben, t’es une nana dangereuse, toi. — J’imagine. — Tu es aussi de mèche avec l’ennemi, affirma-t-il avec assurance. Ce qui semblait assez évident d’après les faits. Leur ville avait été en proie à de nombreuses attaques par des créatures sauvages. Des loups, même des lièvres et d’autres créatures s’étaient joints aux métamorphes pour sortir les crocs à Kodiak Point. À l’époque, ils avaient été intrigués par le comportement étrange de la faune sauvage. Mais désormais, il avait la réponse, et une coupable. Attends que Reid et les autres l’apprennent. Ça va chier des bulles. Mais pour leur dire, il faudrait déjà attendre qu’il s’évade. — Je n’exécute pas ses ordres volontairement, dit-elle avec beaucoup de véhémence. — Je ne t’ai pas vu faire beaucoup d’efforts pour t’échapper la première fois que je suis tombé sur toi. Ou plutôt, quand il avait bêtement foncé dans ce piège si évident. — J’ai passé des années à essayer de m’échapper. Regarde autour de toi et vois comme ça a bien marché. Son sarcasme l’amusait. Non, il ne pouvait pas se le permettre. Elle n’était clairement pas consciente de la situation. Prisonnier ou non, c’était lui qui commandait et il devait rester ferme. Je suis le patron. Je suis celui qui a sa vie entre mes mains. Il resserra son étreinte. — Comment puis-je savoir que tu dis la vérité ? Si ça se trouve, c’est encore un autre piège. — Un piège ? Comment ça ? — Oh pitié. C’est tellement évident. Tu fais semblant d’être toute douce et innocente, pauvre petite victime coincée dans une cage avec le loup que l’on a capturé, alors qu’en vérité, tu essaies de m’amadouer pour me soutirer des informations. Je vais être très clair, chérie, tu peux essayer de me tenter avec tes ruses féminines, tu peux essayer de me séduire avec ton corps, mais je ne craquerai jamais. Mais il espérait vraiment qu’elle fasse de son mieux. Elle frémit, le haut de son corps fut secoué d’un tremblement qui se répercuta en lui. Il recula. Une fois de plus, elle trembla et émit un petit bruit, un son étouffé qui ressemblait à… un rire ? Elle fut prise d’hilarité. Elle lâcha plusieurs gloussements qui résonnèrent comme une onde musicale. — Va falloir m’éclairer, chérie, parce que je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. Entre deux rires, elle parvint à haleter : — Je me moque de ton hypothèse. Ou plutôt du fait que tu espères qu’ils m’aient mise dans cette cage pour jouer le rôle de la sirène sexy. C’est plutôt l’inverse, monsieur le loup, je suis assez surprise qu’ils t’aient laissé me toucher. Je suis le précieux toutou du maître, ainsi que sa prisonnière. Cette cage que tu vois avec ces palettes et ces livres est ma maison. C’est toi qui as été placé ici avec moi. Je ne sais simplement pas pourquoi. À cette heure-ci, j’aurais imaginé entendre tes cris. Ceux qu’il capture ne durent jamais très longtemps. Il mit un peu de temps à digérer ce flot d’informations. Mais quelque chose sortit du lot. Ici, c’était sa maison. Il relâcha son étreinte et la laissa s’écarter. Bien qu’il faillît l’attraper à nouveau. Car son corps semblait s’imbriquer parfaitement contre le sien. Il laissa son regard vagabonder, observant l’espace. Dix mètres carrés, ce n’était pas très grand, à peine la taille d’une petite chambre, mais une chambre encadrée par des barreaux sur les côtés et par un mur de parpaings derrière. Bien qu’il ait déjà senti et expérimenté les barreaux en argent qui se trouvaient face aux escaliers, il caressa son doigt le long de chaque. La brûlure qu’il ressentit à chaque fois, accompagnée d’un grésillement, lui confirma qu’ils étaient tous imprégnés de cette souillure brûlante. Il déplaça ensuite son regard pour observer ce que contenait la cage. Une pile de couvertures était posée sur un matelas gonflable qui occupait une partie de l’espace sur le sol. Il s’accroupit près du lit. Une simple inhalation lui permit de sentir son parfum riche. C’était ses draps. Mais quelqu’un aurait pu les placer là pour que tout ait l’air plus authentique. Contre le mur de pierre se trouvaient des toilettes et, à côté, un évier en porcelaine blanche écaillée, le robinet bon marché était rouillé par le temps et les dépôts de calcaire. Il ne restait plus qu’une seule chose dans la cage – si l’on ignorait cette femme qui observait son inspection d’un air amusé. Des livres étaient empilés en désordre, des livres de pacotille. Des livres avec des hommes torse-nu qui attrapaient des femmes aux visages peu expressifs, les seins tombants et les cheveux au vent. — Tu lis ça ? Il avait dû employer un ton dédaigneux, car elle prit un air défensif et pourtant têtu lorsqu’elle lui répondit. Le menton relevé, elle lui dit : — Oui, je lis ça. Ça s’appelle de la romance. — De la romance ? ricana-t-il. Appelons ça par son vrai nom. Tu lis des livres cochons. Le regard qu’elle lui jeta était sûrement censé l’intimider, mais bon sang, elle n’avait jamais paru aussi sexy. — C’est quoi votre problème à vous les hommes, toujours en train de juger. Ce sont des livres de romance, une histoire entre un homme et une femme qui vivent une sorte d’aventure, tombent amoureux et vivent heureux pour toujours. — Et couchent ensemble. Ses joues rosirent malgré sa peau bronzée. — Oui, ils ont des relations intimes. Mais ce n’est pas le seul sujet du livre. Et puis, pourquoi est-ce que je défends mes choix de lecture devant toi ? Ce que j’aime lire ne te regarde pas. — T’as raison, ça ne me regarde pas. Je pensais simplement que c’était intéressant. Enfin, pas aussi intéressant que lorsqu’elle posa ses mains sur ses hanches, dessinant ainsi sa silhouette, en forme de sablier. Je le savais. Malheureusement, le fait de le savoir n’atténua pas son charme pour autant, ce fut même pire. — Si tu as fini de me juger, c’est peut-être à mon tour de te demander ce que tu fais dans ma chambre ? Il haussa les épaules. — J’en sais rien. Je me suis réveillé avec ce putain de collier électrique quelques minutes avant que tu n’arrives. Je n’ai encore parlé à personne pour le moment. Ni tué personne. Il était vraiment en train de se ramollir. Il était en train de discuter avec une femme au lieu de chercher une issue. Mais la raison de sa présence ici lui fut communiquée via un haut-parleur accroché à un câble au-dessus de leur cage. Et regardez-moi ça. Il y avait une caméra juste à côté ! Quelqu’un jouait au voyeur. Il leva son majeur et sourit à l’objectif. — Très mature, murmura-t-elle. T’as encore rien vu. Une voix de synthèse sortit du haut-parleur en plastique. — Je vois que tu viens de rencontrer ton nouveau colocataire, mon petit toutou. Il n’y avait pas plus dégradant comme surnom pour un Lycan. — Ne m’appelez pas toutou, grogna Brody, les poings serrés le long de son corps. La femme se mit à ricaner. — Euh… désolé de te le dire monsieur Le Monde Tourne autour de Lui, mais c’est à moi qu’il parle. C’est moi – elle grimaça – son toutou. — Premièrement, bien que tu aies raison de dire que le monde tourne autour de ma magnificence – un monde qui ne tournait clairement pas autour de sa modestie – mon vrai nom est… — Brody Johnson, rétorqua la voix robotique sortant du haut-parleur. Un soldat qui n’exerce plus et qui est actuellement le second de Reid, l’alpha de Kodiak Point. Durant ton service militaire, tu as servi sous les ordres du sergent Carson. Lors de ta dernière mission, il y a plusieurs années maintenant, tu as été capturé par des rebelles lors d’un contrôle de routine. Tu as ensuite passé les huit mois qui suivirent en captivité jusqu’à ton évasion, où tu as tué leur leader et mis le feu au trois quarts du camp. Au même moment, tu as réussi à en sauver trois autres : Reid, Boris et Kyle. Gene, le pauvre a dû rester un an de plus dans cet endroit. Pas étonnant qu’il se soit senti abandonné. Alors que cette voix sans visage récitait des moments cruciaux de sa vie, Brody fut parcouru d’un frisson. — Qui êtes-vous ? Et comment savez-vous autant de choses sur moi ? Brody luttait pour maîtriser ses émotions, mais plus il écoutait, plus il réalisait à quel point cette embuscade l’avait ciblé lui. Certaines informations étaient confidentielles. Comment se faisait-il que son interlocuteur en sache autant ? — Je sais tout. En voilà un qui n’avait pas de problème d’estime de soi. — Est-ce que vous savez que je vais vous tuer ? Le bluff, l’un des outils les plus puissants qu’un homme puisse parfois brandir. À moins que quelqu’un ne vous perce à jour. Le rire mécanique qui suivit ne le rassura pas. — Essaie, je t’en prie. Ce ne sera pas la première tentative. Mais je préfère te prévenir, la mort ne veut pas de moi. — La mort veut de tout le monde. Notamment lorsque l’on est livré à la faucheuse par un loup déterminé. — Bref, mais qui es-tu ? enchaîna Brody. C’était en rassemblant les indices que l’on neutralisait l’ennemi. — Tu peux m’appeler maître. Brody ne retint pas son ricanement. — Tu peux toujours courir mon pote, je ne suis l’esclave de personne. — C’est ce que tu dis maintenant, mais… La voix s’estompa soudain. Mais de toute façon, Brody n’aurait pas pu entendre grand-chose, car ses dents se mirent à vibrer. Poum. Le choc provenant de son collier le traversa de toute part et il se recroquevilla comme un ver de terre sur un trottoir brûlant. Lui qui s’était promis de mieux garder le contrôle pour la prochaine fois, tu parles. Lorsque le courant fut coupé, il lui fallut un instant pour reprendre ses esprits. Appât fit un bruit désapprobateur. — Tss, tu devrais vraiment éviter de le contrarier. — Sans blague. Il doit vraiment avoir une petite bite pour avoir besoin de… Aïe ! Brody sentit presque ses cheveux se hérisser avec cette nouvelle décharge et… sentait-il une odeur de brûlé ? Au moins, cette fois-ci, il parvint, bien qu’à peine, à garder les yeux ouverts et vit Appât repousser ses cheveux en arrière et regarder la caméra d’un air provocateur. Oh, mon Dieu, elle n’allait pas lui demander pitié quand même ? Sinon, il allait perdre sa virilité pour de bon. Non, apparemment elle avait d’autres préoccupations que sa mise à mort par électrocution. — Si vous comptez le tuer, pouvez-vous le faire ailleurs s’il vous plaît ? Et où est mon chocolat ? Sa requête ne lui provoqua pas vraiment des papillons dans le ventre, mais elle lui donna l’énergie nécessaire pour dire : — Merci pour ta compassion. Tu n’imagines pas comme c’est douloureux. — Ah bon ? Elle leva ses cheveux d’une main et de l’autre tira le col de sa robe pour lui montrer un collier autour de son cou, similaire à celui de Brody. Pas étonnant qu’elle obéisse. Si lui pouvait à peine se retenir de hurler à cause de la douleur, qu’est-ce que cela devait être pour elle ? Il secoua la tête, stupéfait. — Ce gars n’a pas simplement une petite bite. Il est tellement faible qu’il torture aussi les femmes. Mauvaise nouvelle. La petite bite envoya à nouveau le jus. Bonne nouvelle, Brody commençait à s’habituer à l’électrochoc. Plus ou moins. En tout cas, sa langue ne pendait plus. Lorsqu’il arrêta enfin de se tortiller dans tous les sens, il ouvrit les yeux et vit un regard mauve et soucieux qui l’observait. — Ça pique, hein ? — Juste un peu, dit-il en grimaçant et en se relevant, quittant cette horrible position agenouillée. La voix de robot les interrompit. — Quel plaisir de vous voir vous rapprocher tous les deux. Cela facilitera le projet que j’ai pour vous et pour lequel je vous ai réunis. Toutou, voici l’homme qui te donnera un enfant. Brody venait à peine de digérer ces paroles qu’elle hurlait déjà : — Oh sûrement pas ! Vous ne ferez pas de moi une putain ! Rappelez- vous ce qui est arrivé aux hommes que vous aviez envoyés. J’ai entendu dire qu’ils n’ont jamais trouvé le reste des corps. Pardon ? Brody tenta de remettre en place les pièces du puzzle, mais au fil de la conversation, le résultat ne donna rien de très plaisant. — Ces précédents essais étaient des erreurs. J’ai envoyé des sbires faire le travail d’un guerrier. Cet homme ne sera pas aussi facile à briser. — N’y comptez pas, murmura-t-elle. Si ça n’a pas marché avec eux, n’imaginez pas une seule seconde que cela marchera avec lui. Je ne coucherai pas avec lui. Ce fut drôle de constater qu’elle s’opposait à la demande du sans visage, alors que pourtant, Brody pouvait entendre son cœur s’emballer et sentir que sa peau rougissait. À croire que l’idée de baiser avec lui n’était pas totalement repoussante, bien qu’elle affirme le contraire. En parlant de ça, avait-elle vraiment besoin d’être si véhémente ? Je suis un beau mec. La plupart des femmes rêveraient de saisir l’occasion pour me sauter dessus. — Tu dis ça, mais au fond, tu sais qu’au final, tu feras ce qu’on te demande. Tu devrais me remercier, toutou, pour mon choix. Tu vois, Brody n’est pas comme les autres que je t’ai envoyés. Je l’ai choisi pour sa force. — Je ne le laisserai pas me violer. Euh, pardon ? Brody leva la main en l’air pour couper court à la conversation. — Calme-toi, chérie. Qui a parlé de te forcer ? Je ne ferais jamais ça. — C’est ce que tu dis pour le moment. Elle regarda fixement le collier. Il fronça les sourcils. Cette fille pensait-elle vraiment qu’un peu de douleur le pousserait à faire quelque chose d’aussi ignoble ? Elle allait bientôt comprendre que Brody n’était pas du genre à céder à la torture. Elle par contre… Brody vit qu’elle reçut une décharge sur son collier. Ses yeux s’écarquillèrent et il sentit presque le grésillement de l’électricité. Pourtant, elle n’émit pas un bruit. Ni ne tomba à genoux. Ou ne montra rien qui prouve qu’elle était en train de se faire électrocuter. Il doit avoir réglé son collier avec une puissance plus faible. Mais quand même, ça devait brûler. Lorsque ce fut terminé, ses yeux s’assombrirent, une tempête bouillonnait dans chacun des muscles tendus de son corps. Totalement sexy. M. Robot n’avait pas tout à fait fini de jacasser. — Penses-y, toutou. Puis agis. Tu sais bien que tu finiras par faire ce que je veux. Quel autre choix as-tu ? — Vous pensez peut-être pouvoir contrôler mes choix, mais je trouverais un moyen de contrecarrer vos plans. — Tu peux toujours essayer. Mais comme toutes les autres fois, tu échoueras. Puis, sur ces derniers mots, leur interlocuteur se tut, même le son parasite du micro cessa. Mais Brody restait bien trop conscient de cette caméra qui les observait. Quelle conversation intéressante qui, s’il la prenait au pied de la lettre, signifiait qu’elle était prisonnière de ce type mégalomane. Il savait aussi désormais pourquoi ils l’avaient choisi. Pour qu’il puisse jouer les étalons. Sérieusement ? De nos jours, avec les banques de sperme, pourquoi se donner la peine de kidnapper quelqu’un pour du sexe ? Pas n’importe qui cependant, un loup. Ce qui n’était finalement peut-être pas si farfelu. Et puis, pouvait-on vraiment remettre en question ce choix ? Après tout, Brody était un beau spécimen. Un qui aimait vivre dangereusement. — Alors, toutou, c’est à ce moment-là que tu éclates en sanglots et que tu me supplies de te prendre pour que nous ne nous fassions pas punir ? — Espèce de porc. — De loup, toutou. L’air quitta ses poumons dans un : « Ouf ! » lorsqu’elle le frappa à l’estomac. Appât avait beau être peu musclée, elle savait exactement où frapper un homme. — Pourquoi as-tu fait ça ?! s’exclama-t-il. — Ne m’appelle pas comme ça. Ne m’appelle jamais comme ça, hurla-t- elle presque en pinçant ses lèvres. C’est comme ça qu’il me surnomme. Mais j’ai un prénom. Je m’appelle Layla. L-a-y-la. Elle énonça lentement chacune des lettres. Je crois que je viens de me faire gronder. Il ne s’excusa pas, mais leva le drapeau blanc. — Je m’appelle Brody. Elle leva les yeux au ciel. — Je le sais déjà. — Oui, mais c’est ce connard qui nous a présentés, désormais c’est à mon tour. On fait la paix ? Il tendit la main, sincère dans sa proposition. Jusqu’à ce qu’il comprenne vraiment ce qu’il se passait, elle restait sa meilleure chance d’obtenir des réponses et peut-être même de découvrir comment il allait pouvoir s’échapper. Et Sergent nous a toujours appris qu’il fallait garder nos ennemis près de nous. Sans prévenir, les lumières s’éteignirent. — C’est quoi ça encore ? demanda-t-il. — Notre signal pour aller dormir. — Mais on vient juste de se réveiller. — Toi, peut-être, mais moi, non. J’ai eu le plaisir de rester trois heures sur une motoneige, puis huit heures au fond d’un camion, pendant que tu ronflais. — Je ne ronfle pas. — Alors dans ce cas-là tu dois avoir un sérieux problème. — Tu sais, Appât, pour une femme qui est censée coucher avec moi, tu n’es pas très gentille. — Et toi tu es censé être fort. Je crois que nous sommes tous les deux déçus. Elle ne le vit peut-être pas dans le noir, mais il resta bouche bée. Quelle femme insolente. — Es-tu toujours aussi désagréable ? — Seulement quand je suis inspirée. Écoute. Je suis sûr qu’au fond tu es un type très sympa. Mais ici, avec moi, tu n’es qu’un autre problème dont je dois m’inquiéter. — Je ne suis pas sûr d’apprécier cette insinuation. — Pardon ? Une insinuation. Laisse-moi être claire. Je. Ne. Te. Fais. Pas. Confiance. Et cela n’a rien à voir avec ce que tu as fait ou non, mais l’évasion trente-six m’a appris à ne jamais faire confiance à quelqu’un d’autre. Enfin, l’évasion vingt-et-un aussi, mais la trente-six est celle qui m’a vraiment fait du mal. Un détail intéressant retint son attention. — L’évasion trente-six ? — Oui. Tu as dû remarquer un peu plus tôt que je n’avais pas vraiment l’air de me battre contre mon destin. Pourtant je l’ai fait, dans le passé. Mais au bout d’un moment, notamment quand tu ne fais qu’échouer, tu commences à comprendre quelles batailles tu dois mener et celles que tu dois ignorer. Et toi, quoi que tu fasses, je n’y crois pas une seconde. Ce n’est pas la première fois qu’il essaie de me piéger. Ou alors elle était en train de se jouer de Brody. Était-ce une façon de doublement le manipuler ? En lui faisant croire qu’elle ne lui faisait pas confiance, croyait-elle qu’il allait penser pouvoir lui faire confiance ? Doux Jésus, essayez de prononcer cette phrase à voix haute, cinq fois d’affilée. — Crois ce que tu veux, mais je ne travaille pas pour ce type. Et je ne fais pas non plus de mal aux femmes. — Très bien alors. Bonne nuit. — Bonne nuit ? Tu vas dormir ? — Oui, et tu devrais faire de même. Qui sait ce que nous allons devoir affronter demain. — Je ne dormirai pas. Et puis quoi encore ? Non merci, il resterait accroupi là où il était. Un soldat ne laissait jamais l’ennemi le prendre par surprise. — Comme tu veux. Tu le regretteras demain matin. Il entendit le bruissement des couvertures lorsqu’elle se coucha. Le silence s’installa, à l’exception d’un bruit occasionnel provenant des tuyaux lorsque l’on tirait la chasse ou ouvrait l’eau à l’étage. Il y avait des bruits de grincement et de craquement, comme une maison qui s’affaisse. Des bruits de petits pieds qui se faufilaient… L’idée qu’il y ait des rats rampant partout, ces choses répugnantes, lui fit scruter l’obscurité avec suspicion. C’est aussi pourquoi il ne put s’empêcher de dire : — Je sais pourquoi tu veux absolument que je dorme. — Oui, j’ai de terribles intentions, notamment que tu te reposes. — Ha. Tu veux que je dorme pour que tu puisses utiliser ton pouvoir et appeler tous tes serviteurs à fourrure. — Mes serviteurs ? Tiens, c’est pas mal comme intitulé. Ça me plaît. — Donc tu ne le nies pas ? — Nier quoi ? — Que tu comptes utiliser tes serviteurs. — OK, imaginons que ce soit le cas, qu’est-ce que je leur ferais faire à ces serviteurs à fourrure exactement ? Étant donné que Brody avait passé pas mal de temps dans des prisons, et que celles-ci n’étaient pas toujours conformes aux normes de sécurité, il avait vu les terribles dégâts que pouvaient infliger les rongeurs, de ses propres yeux. — Ce que tu leur ferais faire ? Je ne sais pas. Qu’ils mâchouillent mon visage. Me sectionnent une artère. — Ouuh, qu’ils t’arrachent les yeux, rigola-t-elle. Ou, ou… je sais, et s’ils grimpaient jusqu’à ta bouche pour se frayer un chemin à travers ton estomac ? Elle ne pouvait pas faire ça, n’est-ce pas ? Il pinça les lèvres et grimaça. — Là tu es répugnante. — Non, je me moque de toi, car tu es un idiot. Cette conversation ne se déroulait pas du tout comme prévu. Elle était censée répondre à ses questions et non pas le ridiculiser. Il tenta d’orienter à nouveau la conversation. — Est-ce que tu nies pouvoir les obliger à le faire ? — Non, mais je ne gâcherais pas des rats ou tout autre animal que je pourrais appeler, pour toi. — Pourquoi ? Je ne suis pas assez bien ? Après avoir prononcé ces mots, il réalisa ce qu’il venait de dire. — Tu ne vaux pas la peine que je gaspille mes ressources. Je veux dire, tu es coincé ici avec moi. Pourquoi te tuer alors que je pourrais utiliser ces serviteurs pour tuer les gardes ? — Tu peux faire ça avec des rats ? — Il y a une seconde à peine tu étais convaincu que je pouvais le faire. Oui enfin, à moitié. Après tout, il était un loup quand même, comme s’il allait laisser des rongeurs le tuer. — Si tu peux le faire, alors prouve-le. — Faire quoi ? Tuer les gardes ? Non, je ne peux pas. — Pourquoi ? Je croyais que tu venais de dire que tu pouvais. — Bien sûr, s’il y avait des rongeurs à proximité. Mais il n’y a plus rien que je puisse utiliser dans un rayon large à part quelques insectes et araignées. — Pourquoi devrais-je te croire ? — Tu as raison, tu ne devrais pas. Bonne nuit. Fais de beaux rêves. Ne te laisse pas mordre par les punaises de lit. Son rire n’avait rien de rassurant. Bonne nuit ? Comme s’il allait dormir. S’il y avait bien une chose qu’il avait apprise dans cette prison tropicale où il avait passé deux semaines, c’était que les rats n’étaient pas difficiles pour la nourriture. Et ils aimaient les orteils nus. Il avait d’ailleurs toujours du mal à dormir sans ses bottes. Spontanément, il rapprocha ses pieds nus et il s’accroupit, attentif au moindre chatouillement pouvant l’alerter sur une invasion de rongeurs. Lorsque plusieurs minutes se furent écoulées sans qu’un seul mot ne soit prononcé, il pensa démarrer une nouvelle conversation, mais à en juger par la régularité de son souffle, elle dormait. Tant pis si elle ne me fait pas confiance. Ou bien était-ce simplement qu’elle n’avait pas peur de lui ? Peut-être que je devrais rejoindre Kyle dans sa quête et regagner également ma réputation de dur à cuire. CHAPITRE QUATRE

Layla ne put s’empêcher de rire après avoir plaisanté sur les punaises de lit. Mais elle ne plaisantait qu’à moitié. Elle pouvait leur commander de mordre, seulement ce n’était pas facile. Ces petites choses étaient difficiles à tenir et à contrôler. Mais même si elle n’utilisait qu’une punaise de lit à la fois, elle pouvait quand même causer des dégâts. Il y avait juste un problème. Il n’en restait plus une seule. À part quelques petites araignées, la seule créature vivante à proximité était un homme. Un loup. Qui représentait une menace pour son corps si le maître était sérieux lorsqu’il disait qu’il voulait qu’il s’accouple avec elle. Quel dangereux compagnon de cellule, d’autant plus que s’il essayait de la séduire, elle n’était pas sûre de pouvoir résister. La cage lui paraissait déjà petite quand elle ne contenait qu’elle. Et avec un homme de plus d’un mètre quatre-vingt qui ne portait qu’un jean, au torse musclé et aux cheveux hirsutes striés de mèches blondes et brunes ? La cage devenait étouffante et il y faisait chaud. Oh, si chaud. Cette vague de chaleur venait picoter ses terminaisons nerveuses. Totalement consciente de sa présence, chaque détail se rapportant à lui ne faisait qu’accroître la sensation. Malgré son manque d’expérience, elle savait ce que cela signifiait. Le désir pulsait entre ses jambes, accentué par l’envie et ses pensées coquines pour cet homme qui partageait son espace. Cette attirance inattendue aurait pu être plus facile à gérer s’il n’y avait pas eu cette demande tordue de la part du maître. Il veut que j’autorise cet inconnu à coucher avec moi. Ce bel homme viril qui rôdait dans leur espace confiné, et sa façon discrète et gracieuse d’examiner ce qui se trouvait autour de lui étaient fascinants à regarder. Et cela n’aidait pas à atténuer cette chaleur en elle. Comme c’était facile de céder à cette curiosité qu’éprouvait son corps. Mais en faisant cela, elle ferait volontairement ce que le maître désirait. L’aider ? Pff. Jamais. Elle allait donc devoir faire tout son possible pour rester chaste. Elle se battrait, comme elle l’avait toujours fait. Elle perdrait peut- être, mais elle n’abandonnerait jamais facilement. Du moins, en supposant qu’elle devrait repousser ce loup. L’ordre du maître ne semblait avoir aucune importance pour Brody. Il n’avait pas montré le moindre intérêt pour elle. Ce qui, bizarrement, la vexait. Il pourrait au moins faire semblant d’être un peu intéressé. C’est sur cette pensée qu’elle envoya son petit serviteur à huit pattes l’espionner là où il était accroupi. Puis, elle s’endormit. Elle ne comptait pas s’en priver. Lorsqu’elle se réveilla le lendemain, avec l’éclat des lumières en guise de réveil choc, elle remarqua qu’il avait effectivement passé la nuit, accroupi, observant et attendant. — Bonjour, dit-elle en s’étirant. Il l’observa à travers la masse de cheveux qui tombait sur son front. Il lui répondit en grognant. — Wahou, un vrai rayon de soleil, dit-elle en soulevant sa couverture pour se lever. — Voilà ce qui arrive à un homme lorsqu’il est prisonnier. — Super. Non seulement je suis coincée ici avec toi, mais en plus tu es un vieux grincheux. — Un loup, grincheux. — Peu importe. Ça te dérange de te boucher les oreilles pendant que je fais ce que j’ai à faire, s’il te plaît ? — Tu vas faire pipi ? dit-il d’un air choqué. — Oui. Et me brosser les dents. Ça te pose un problème ? — Mais je suis là. — Oui, j’ai remarqué. D’où ma demande. — Les femmes ne font pas pipi devant les hommes. Si seulement c’était vrai. — J’ai besoin d’aller aux toilettes et je ne vois pas pourquoi je me retiendrais, tout ça pour protéger ta sensibilité délicate. — Délicate ? — Oui, délicate. Ce n’est pas un hôtel cinq étoiles ici. Merde, sur l’échelle des prisons, je ne sais même pas si celle-ci est classée : « un ». Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de murs et que tu vas tout voir et tout entendre. Alors tu ferais mieux de t’y habituer. Si ça peut te consoler, j’imagine que toi aussi tu devras sûrement faire pipi à un moment donné. Je promets de ne pas regarder quand ce sera le cas. — Je m’évaderai avant, alors. Alors que Layla s’asseyait sur le trône, les joues brûlantes malgré son discours courageux, elle murmura : — Eh bien, bon courage. Heureusement, il avait déjà détourné le regard et tapait désormais des mains près de ses oreilles alors qu’elle soulageait sa vessie pressante. Il se mit même à fredonner. Elle se demanda ce qu’il ferait lorsqu’un autre genre de besoin se manifesterait. Elle s’était habituée ces dernières années au manque d’intimité, mais il y avait une différence entre les gardes laids qui la lorgnaient ainsi que les caméras et ce beau gosse, coincé dans la cage avec elle. Il n’y avait rien de plus romantique que de voir et d’entendre une femme faire pipi. Heureusement que je ne compte pas le séduire, alors. Une fois qu’elle eut brossé ses dents, elle retourna s’asseoir en tailleur sur son lit. Comme si c’était un signal, il se mit finalement debout et donna sa propre version d’un étirement matinal. Elle aurait dû détourner le regard. Prétendre s’intéresser au mur. Pourtant, ce ne fut pas le cas. Il ne lui fallut qu’un rapide coup d’œil vers cette chair frémissante alors qu’il levait les bras au-dessus de la tête, d’avant en arrière, pour être hypnotisée. — Heureusement qu’il n’y a plus aucune mouche, sinon tu en aurais gobé quelques-unes, remarqua-t-il lorsqu’il la vit en train de le fixer. Elle ferma immédiatement la bouche. — Pardon. Comme tu as dû le remarquer, le niveau de divertissement est plutôt bas, donc tout ce qui est nouveau peut vite devenir fascinant. Même toi. Elle essaya d’employer un ton désobligeant, mais il sourit, percevant trop facilement le mensonge. — Alors que fais-tu de tes journées généralement ? demanda-t-il tout en continuant d’étirer ses membres. — Tout dépend du maître et de s’il veut passer une journée machiavélique. — Une journée comment ? — Certains jours, le maître aime me faire sortir de la cage et m’oblige à missionner tout un groupe d’animaux. Souvent pour faire quelque chose d’infâme. J’appelle ça une journée machiavélique. — Et quand tu ne réalises pas de missions pour lui ? Elle haussa les épaules. — Je ne fais pas grand-chose. Je lis. J’insulte les gardes. Je planifie mon évasion. Son regard rencontra le sien. — Tu planifies ? Pourquoi ne pas la mettre à exécution cette évasion ? — Comme je l’ai déjà dit, j’ai essayé. Jusqu’à présent, ça n’a pas très bien marché pour moi. Sinon, elle n’en serait pas au nombre cinquante-sept. — Alors c’est peut-être une bonne chose que nous ayons été mis ensemble. Avant qu’elle n’ait le temps de répondre, le bruit de pas dans les escaliers retint leur attention. C’était l’heure du petit déjeuner. Familière avec la procédure, Layla ne prit pas la peine de bouger de son lit, mais Brody, lui, s’avança. Il se tint à quelques centimètres des barreaux. — Recule, clébard, dit celui qui était grand et mince, alors que son ricanement habituel étirait ses lèvres fines. — Et si je ne le fais pas ? Toujours aussi rebelle. Layla retint un soupir lorsque Brody tomba à genoux, son collier activé, assez longtemps pour que le garde pousse les rations lyophilisées à travers les barreaux. Le paquet argenté en aluminium ne l’excitait pas plus que ça. Elle savait désormais pourquoi les astronautes étaient si maigres. Leur nourriture était naze. Alors qu’elle mangeait cette purée d’œufs synthétiques sans intérêt, des morceaux de faux bacon et autres ingrédients industriels mixés les uns avec les autres pour former cette bouillie peu appétissante, elle remarqua que Brody ne prit pas la peine de manger la sienne. Il semblait focalisé sur autre chose ce matin. Son dos large tourné – mettant encore plus en avant la partie supérieure de son corps musclé – il marcha en traçant le contour de la cage l’examinant du sol, là où les barreaux s’enfonçaient dans le ciment, jusqu’au plafond où ces mêmes barreaux y étaient soudés. Une prison anti évasion. Ah, qu’on est bien chez soi. — Tu ne peux pas sortir, déclara-t-elle. Il ne prit pas la peine de se tourner vers elle lorsqu’il lui répondit. — Peut-être. Mais chaque prison a toujours un défaut. Il suffit de le trouver. — Tu parles par expérience ? — Oui, en effet. Il l’observa par-dessus son épaule depuis sa position accroupie près du lavabo. Une partie de ses cheveux lui tombaient sur le front tandis que le reste était négligemment hérissé, en bataille, ce qui donnait envie de passer ses doigts à travers. Tellement sexy. Elle tenta de penser à autre chose avec une autre bouchée de cette bouillie répugnante. Comme il ne s’épancha pas plus sur son expérience, elle lui demanda : — Pourquoi étais-tu en prison ? — Mauvais endroit au mauvais moment. Ça m’arrive souvent avec mon travail. — T’es-tu échappé ou as-tu été sauvé ? — La plupart du temps, je m’évadais. Souvent au bout de quelques jours ou quelques semaines. Il n’y a qu’une seule prison pour laquelle j’ai mis du temps. Mon ravisseur était très doué pour garder mon espèce enchaînée. Mais au final, il n’a pas pu nous retenir, moi et mes frères. — Toute ta famille était là-bas ? — J’aurais dû dire mes frères d’armes. Je les considère comme ma famille. Quand tu as regardé la mort dans les yeux avec un gars, puis qu’avec lui tu te jettes dessus en grognant, on peut dire qu’un lien se crée. Ce genre de chose te colle à la peau. Ça va au-delà de l’amitié. — Je ne connais rien de tout ça. Je suis toujours seule. — Toujours ? La conversation vira inconfortablement vers un sujet qu’elle ne préférait pas aborder. Afin de rester positive et forte, il y avait certaines émotions qu’elle ne préférait pas examiner de trop près. La solitude en faisait partie. Elle ramena le sujet de leur discussion vers ce qu’il était actuellement en train de faire. Alors qu’elle se lavait les mains au lavabo, il leva son matelas et sa literie. Il vérifia le sol en dessous. — C’est tout en béton, il n’y a pas de trappe cachée. Je te l’ai dit, j’ai regardé partout et n’ai rien trouvé. Mais si tu as envie de perdre ton temps, fais-toi plaisir, dit-elle en essuyant ses mains sur sa robe. Alors qu’il terminait son inspection de la cellule, il ne lui répondit pas. Il l’ignora également et ne lui jeta pas une seule fois un regard, ce qui, étrangement, l’agaça. Je devrais être contente qu’il m’ignore. Après tout, elle n’avait pas envie de devoir repousser ses avances, ou qu’il l’accuse de volontairement travailler pour le maître. Alors l’ignorance était une bonne chose. Non, c’est faux. Cela faisait des lustres qu’elle n’avait pas autant interagi avec quelqu’un. Il pivota soudain, les sourcils froncés et lui demanda : — Comment se fait-il que tu n’arrives pas à ordonner aux gardes de te laisser sortir ? Car, soyons honnêtes, Joe le Phoque et Tom le Morse ne sont pas très fute-futes. Tu as dit que dans certaines situations extrêmes, ton pouvoir pouvait fonctionner sur les faibles d’esprit. N’est-ce pas le cas ? Si la situation avait été moins grave, elle aurait pu rire de ces surnoms qu’il venait de donner aux gardes qui étaient de service le matin. — Ce n’est pas une question de vie ou de mort. Donc non. Ce n’est pas le cas. Et quand j’arrive à en convaincre un de m’aider par pure bonté, ils finissent par mourir. — Comment meurent-ils ? Elle fronça le nez. — D’une façon assez horrible. Ils ont tous une sorte de poison caché entre leurs dents. Je ne sais pas comment, mais, à peine pensent-ils à me délivrer, qu’ils croquent et avalent une pilule, puis quelques secondes plus tard, ils ont de la mousse autour de la bouche et tombent par terre. — C’est assez inhabituel. Et tu n’es pas celle qui les force à le faire ? Elle secoua la tête. — OK, j’ai une autre question. Si tu les amènes à s’autodétruire en les suppliant de te relâcher, pourquoi ne pas décimer son armée toute entière et prendre la fuite ? Il ne plaisantait pas, il était sérieux. Il n’y avait pas de mal à lui répondre. Il apprendrait bien vite que le maître avait absolument tout prévu, ce qui expliquait pourquoi elle travaillait sur l’évasion cinquante-sept depuis si longtemps. — Il n’en envoie jamais plus que quelques-uns à la fois, et à chaque fois que je cause accidentellement leur mort, je suis privée d’eau et de nourriture pendant des jours. Et comme cela ne me sert à rien de mourir de faim, j’ai arrêté. Elle n’avait essayé que quelquefois, car même s’ils étaient complices de sa détention, ce n’était pas de la faute de ces laquais s’ils ne pouvaient pas échapper aux griffes du maître psychopathe. — La privation. L’outil d’un vrai sadique, murmura Brody. Intéressant. Étrangement, son analyse calme et détendue la mit en colère. — Comment ça intéressant ?! s’énerva-t-elle. Plutôt atroce oui ! Le maître est un malade complètement tordu qui m’a kidnappée il y a quelques années, qui a tué mon père et qui me retient prisonnière. Oh, et désormais, il veut qu’un inconnu me mette enceinte, pour faire je ne sais quoi à mon bébé. Mon histoire peut être qualifiée de beaucoup de choses, mais d’intéressante, ça je ne crois pas. Elle hurla presque ces derniers mots, énervée par son altitude désinvolte face à la situation – face à ma vie. — Calme-toi, chérie. Je ne cherchais pas à remettre en question le traitement que tu as subi. Je pars juste en reconnaissance. Plus j’en apprends et plus cela me permet de tirer le portrait de ce fameux maître. Connais ton ennemi. C’est le meilleur conseil qui soit. Layla connaissait bien l’ennemi, mais pour l’instant, cela ne l’avait pas vraiment aidée. — Tout ce que je sais, c’est qu’il doit mourir. Elle alla droit au but. Pourquoi le cacher ? Le maître avait beau écouter et regarder – quand elle ne foutait pas en l’air son petit équipement d’espionnage – il savait déjà qu’elle le haïssait. — Crois-moi que je compte bien l’éliminer. À quoi ressemble-t-il au fait ? Aucune des personnes à qui nous avons parlé ne semble avoir de souvenir précis. La question mystère. — Personne ne s’en souvient parce qu’il ne l’autorise pas. La plupart du temps, il porte une capuche sur la tête. Personne ne voit jamais son visage. Et pour ceux qui l’ont vu, ils n’en parlent pas. Je ne sais pas quel genre de magie il utilise, mais, quelle qu’elle soit, grâce à elle les gens sont incapables de le décrire. — Même toi ? — Même moi. Elle ne pouvait pas non plus contrôler le maître, même lorsqu’il parvenait à la terrifier. S’attaquer à l’esprit du maître était comme se heurter à un mur d’acier. Impénétrable. Mais elle aimait quand même s’y cogner un peu juste pour l’agacer. — Depuis combien de temps es-tu sa prisonnière ? — Depuis longtemps. Et avant lui, il y en a eu d’autres. — D’autres ? demanda-t-il avec une pointe de curiosité. — Oh, oui. J’ai passé de nombreuses années de ma vie à appartenir aux autres. C’est le maître le plus récent et durable que j’ai jamais eu. Ceux à qui j’ai appartenu et qui ont survécu ont fini par me vendre, car j’étais trop difficile à gérer. — Tu ne pouvais pas t’échapper ? Elle leva les yeux au ciel. — Je l’ai fait. De nombreuses fois. Mais la liberté est courte quand tu portes un mouchard. — On t’a mis une puce ? Elle acquiesça. — Merde. Elle lut de la pitié dans ses yeux et détourna le regard. Garde ta pitié pour quelqu’un d’autre. Certes, sa vie, ou plutôt sa non-vie, était naze, mais abandonner n’arrangerait jamais les choses. Ce n’était qu’en essayant encore et encore qu’elle pourrait garder espoir. — Ça a rendu les évasions bien plus difficiles. — Où se trouve-t-il ? — Quelque part dans mon dos, j’imagine. J’ai vérifié chaque coin de ma peau devant et sur les côtés. Je n’ai rien trouvé. Elle avait fait une sacrée scène aux gardes lorsqu’elle avait examiné et déshabillé une partie de son corps à la fois, observant sa peau sous la lumière crue des néons fixés au plafond. Elle avait examiné chaque centimètre de sa peau, plus d’une fois, mais n’avait jamais vu la moindre tache suspecte. Ni trouvé de trace de cicatrice. — Quelle est la distance la plus étendue que tu aies parcourue après lui avoir filé entre les doigts ? — La période la plus longue, plutôt. Mon record, ces trois dernières années, est de trois jours et onze heures. Quatre-vingt-trois heures d’adrénaline durant lesquelles elle avait couru et échappé aux chasseurs de primes qui étaient après elle. Depuis ce maître qui voulait qu’elle fasse faire des tours de cirque stupides aux animaux domestiques de son zoo, elle était constamment surveillée. Toujours suivie. Et elle ne s’échappait jamais longtemps. Dès qu’elle fuyait, quelqu’un était toujours sur sa trace et ils s’assuraient qu’elle ne puisse jamais aller bien loin. Et désormais, elle ne pouvait plus du tout s’enfuir, bien qu’elle ait fait de son mieux cette année, depuis qu’elle était devenue le toutou du maître. Une année bien remplie. Pourtant, peu importe sa lutte, le nombre de gens qu’elle tuait, ou ses stratégies d’évasion, elle restait coincée dans cette cage. Mais le pire dans tout ça ? Le maître se moquait de ses tentatives d’évasion puis la punissait ensuite. Mais elle ne raconta pas tout cela à Brody. Divulguer ses secrets ne lui apportait jamais rien de bon. — Il faut retirer cette puce, dit-il. — Sans blague, dit-elle en levant les yeux au ciel. Tu as un couteau, des bandages et un moyen de ne pas nous faire griller comme des insectes par les gardes dès que tu essaieras ? — Tu as raison. Il va falloir qu’on attende jusqu’à ce que mon plan soit élaboré. Il était toujours plein d’espoir. Elle pouvait presque être admirative. — Tu penses vraiment pouvoir t’échapper ? — Ce n’est pas que je pense pouvoir, c’est que je le ferai. Et quand ce sera le cas…, dit-il en souriant. Sois prête. Le sourire qu’il arborait flamboyait et lui coupa totalement le souffle. Si beau et à la fois si fou. Quel dommage. Elle savait que Brody devait forcément avoir un défaut. Sûrement celui de rester optimiste face à de terribles situations. — Pourquoi ne sembles-tu pas plus énervé que ça d’avoir été jeté ici ? À vrai dire, pour être honnête, plus Brody prenait conscience de leur situation tordue, plus il avait de l’énergie. — Pourquoi devrais-je être contrarié ? Du danger, de l’aventure. Un puzzle à résoudre. Et puis, ça m’a permis de te rencontrer. Il lui fit un clin d’œil et lui sourit de manière sensuelle. Elle cligna des yeux. Je rêve ou il est en train de flirter avec moi ? Même pas en rêve ! — C’est le truc le plus ringard que j’ai jamais entendu. — Mais c’est vrai. Si je me fais capturer et que je passe un peu de temps dans une cellule, autant que ce soit avec une belle femme, non ? Malgré son étonnement, elle ne put s’empêcher d’éprouver une pointe de plaisir face à son compliment. Jusqu’à ce qu’elle voie clair dans son jeu et lui jette un regard noir. — D’accord, j’ai compris. Tu n’es pas vraiment un prisonnier. Tout ça fait en réalité partie d’un stratagème, de ton arrivée dans la clairière à ta soi- disant capture. Tout ça n’était qu’un complot pour me faire croire que tu étais un prisonnier pour que nous nous rapprochions. Et puis ensuite, après avoir usé de ton charme sur cette pauvre fille solitaire, je suis censée fondre et avoir des papillons dans le ventre pour que tu puisses faire ce que tu veux de moi. — C’est bon, t’as fini ? Parce que, waouh, c’est la chose la plus tordue et fausse que j’ai jamais entendue. Je ne travaille pas pour ce connard. Et quand je dis à une femme qu’elle est jolie, c’est parce qu’elle l’est, tout simplement. Elle fronça les sourcils. — Tu veux dire que tu flirtais vraiment avec moi ? — Bon sang, bien sûr que oui. On est dans une putain de cage. Nous devons vivre ensemble jusqu’à ce que je trouve une échappatoire. Ça peut faciliter les choses si nous devenons amis. Amis ? Quel drôle de concept. Un concept qu’elle désirait soudain plus que tout. CHAPITRE CINQ

Apparemment, Brody avait un peu trop usé de ses charmes et la fille l’avait percé à jour. Mais ça valait la peine d’essayer, surtout lorsqu’il réalisa qu’en amadouant Layla elle lui révélerait peut-être quelques secrets, sans même le vouloir. Tout qui puisse indiquer si elle se moquait de lui, car vraiment, plus elle racontait son histoire, plus il se demandait si elle ne lui disait pas n’importe quoi. Prisonnière pendant des années ? Pff, sûrement pas. Cette femme magnifique au regard captivant et aux courbes délicieuses semblait être tout sauf une victime effarouchée. Elle était fière, déterminée. Elle n’avait pas l’air de quelqu’un qui avait passé des années en prison. Mais qu’en est-il de cette cage et du collier ? Servaient-ils d’accessoires pour crédibiliser son histoire ? Tout ça était-il un complot pour lui tirer les vers du nez ou pour s’attirer sa sympathie afin qu’il soit finalement attiré par elle ? Comme si j’avais besoin d’aide pour ça. Cet espace étroit ne permettait pas d’ignorer sa présence. Et encore moins son odeur. Celle-ci l’enveloppait, comme de la soie parfumée et délicate. Ce qui excitait son côté sauvage. Lui faisait faire les cent pas. Lui donne faim. Mais pas de nourriture. Il en voulait plus. Je veux la sentir encore. Je veux me frotter contre elle. M’accoupler. La mordre… Paf ! Une gifle. Pas physique, mais mentale. Brody ramena son loup irrationnel dans les rangs. Mec, on ne fera rien de tout ça. Pour l’instant, c’est une civile et une ennemie potentielle. On connaît les règles. Observer. Chercher. Et si besoin, détruire. Pour le moment, Layla faisait partie de la phase : observer. Il observerait, prendrait des notes et en même temps, sympathiserait. Pour l’instant, elle semblait le soupçonner autant qu’il la soupçonnait. Si elle disait la vérité sur sa situation, alors elle pourrait peut-être devenir une alliée précieuse. Elle dit la vérité. Sa bête semblait en être certaine, mais pour Brody, cela ne pouvait pas faire de mal d’obtenir plus d’informations. Et pour ce faire, il avait besoin de se rapprocher d’elle afin qu’elle soit plus détendue autour de lui et qu’elle lui divulgue d’autres secrets – comme ce qui se cachait sous sa robe, par exemple. Non. Il ne flirtait pas avec elle pour qu’elle enlève ses vêtements. Mais il ne l’en empêcherait probablement pas si elle le faisait. Il ne pourrait d’ailleurs peut-être pas se contrôler. Hélas, elle ne se déshabilla pas. Elle plongea sous ses draps et encore plus de tissu les sépara. Dommage. Elle semblait aussi vouloir l’ignorer, et plongea la tête la première dans l’un de ses romans d’amour de pacotille. Pff. Elle perdait son temps avec un héros en carton alors qu’elle avait la version originale à portée de main. Peu importe. Il avait des choses plus importantes à faire, comme élaborer un plan d’action par exemple. Malgré sa première inspection, Brody continua d’examiner leur prison. Comment les barreaux s’enfonçaient dans le sol. L’épaisseur des soudures en haut. Il essaya de passer une main entre les barreaux étroits afin de palper la serrure, mais siffla lorsque l’argent lui brûla la peau et, finalement, il n’apprit rien, à part que les poils brûlés sentaient mauvais. Au moins, les poils brûlés étaient moins douloureux qu’une bande de cire sur son torse, quelque peu poilu, arrachée par un ours polaire sadique. Putain de Gene. En pensant à Gene, il se demanda comment s’était terminée l’attaque contre Kodiak Point. Ont-ils remporté la bataille ? Y a-t-il eu des victimes ? Et avait-on remarqué sa disparition ? Avec le chaos qu’avait dû provoquer l’attaque, il allait leur falloir du temps pour analyser les récents événements et réaliser qu’il n’était jamais revenu en ville. Et si trop de temps s’écoulait, arriveraient-ils à retrouver sa trace et découvrir ce qui lui était arrivé ? Probablement pas, ce qui voulait dire qu’il était seul. Une mission solo. Ce qui, bizarrement, lui fit penser à Kyle qui, à cause de ses tocs – son psy insistait pour nommer cela un trouble de la personnalité – voyait la vie sous forme de missions. Ma mission ? Sortir de là, putain. Et peut-être amener la fille avec moi. Comment ça peut-être ? Évidemment que Layla venait avec lui. Au premier abord, il l’étiquetait comme une personne pouvant représenter un intérêt, quelqu’un que Reid aimerait rencontrer. Mais, si Brody creusait un peu plus pour connaître ses réelles intentions, l’homme – et oui, son loup très agaçant aussi – voulait aussi la sauver de ce triste sort. Il voulait voir ses yeux briller de gratitude et se délecter de ses remerciements chaleureux – en étant nu. Non. Pas nu. Il fallait vraiment qu’il se ressaisisse et qu’il arrête de la considérer comme une femme attirante. Il essaya. Il l’ignora du mieux qu’il put, pour finalement être vexé lorsqu’elle ne lui accorda pas la moindre attention. Il ne la vit pas l’observer une seule fois. Ça doit être un bon livre. Comme si des mots sur du papier pouvaient être comparés à la réalité. Et si elle n’avait jamais rien expérimenté d’autre que des mots ? En tant que captive, la socialisation et les relations sentimentales devaient être assez limitées. Il était tout à fait possible qu’elle soit chaste. Cette idée le fit presque tomber des nues. On pourrait lui apprendre. Oh, désormais, tout un tas d’idées et de possibilités lui venait à l’esprit. Des fantasmes qu’il balaya rapidement. Pour l’instant, il devait rester concentré et trouver une faille. Aucune n’apparut, mais il ne perdit pas espoir. Il continuerait d’observer. Les gardes réapparurent à un moment de la journée – à quelle heure, ça… – sans fenêtre ni lumière du jour, il était incapable de savoir combien de temps s’était écoulé. Mais ce qu’il savait, c’était que les gardes prenaient un plaisir sadique à l’électrocuter pour qu’il se retrouve soumis et qu’ils puissent jeter d’autres saloperies indigestes dans leur cage. Beurk. Les rations lyophilisées. Il aurait préféré une boîte de pâté pour chien. Certaines au moins avaient une sauce appétissante. Mais bon, la nourriture, c’était la nourriture. Au bout d’un moment, il finit par céder et mangea un peu de cette bouillie, car il avait besoin de garder la forme. Qui savait combien de temps il allait passer dans cette cage avant de trouver une faille dans le système ? Une fois la cage examinée de fond en comble, il fut temps d’interroger Layla sur ce qu’il y avait au-delà des barreaux. À quoi pouvait-il s’attendre une fois en haut des escaliers ? Combien y avait-il d’hommes en général ? Jusqu’à présent il avait compté six individus. Quel genre d’armes portaient- ils ? Et où étaient-ils retenus exactement, bordel ? S’il avait pu mettre la patte sur un téléphone, il aurait appelé Reid, ou Boris, quelqu’un à qui il aurait pu expliquer sa situation. Cela l’aurait amplement aidé d’avoir une idée du lieu où il se trouvait. Mais tant pis pour les questions, car Layla, sans même lui adresser un mot, s’était endormie dans ses couvertures. Comme elle paraissait angélique au repos. Ses longs cils bruns caressaient le haut de ses joues. Ses lèvres douces semblaient l’inviter. Et ses cheveux étaient éparpillés autour de sa tête. Il n’arrêtait pas de la regarder. Cela l’effrayait, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Elle attirait ses pensées et son regard. Je suis obsédé par elle. Ou possédé. Utilisait-elle une forme de magie méconnue pour le mettre dans cet état ? Les lumières s’éteignirent si brutalement qu’il vit des petits points blancs dans le noir. Il cligna des yeux dans l’obscurité afin de les faire disparaître. Tant pis, pas de bonne nuit. Plus d’investigation – ou d’yeux rivés sur Layla – pour le moment. Dans le noir total, il n’avait pas intérêt à être maladroit s’il ne voulait pas se brûler contre les barreaux en argent. Il s’affaissa sur le sol, cette fois-ci en position du lotus. Il ressentit immédiatement le froid à travers le tissu de son jean lorsqu’il s’assit sur le béton glacé. Brrr. Ça n’allait pas le faire. Pas deux nuits à la suite. J’ai besoin d’une couverture. Il tourna la tête dans l’obscurité, vers Appât. Il y avait des couvertures, promettant une chaleur assurée, à seulement quelques mètres, plus qu’assez pour deux, surtout s’ils partageaient. L’idée s’installa petit à petit, puis, sans y réfléchir à deux fois, il se mit en mouvement. Prudemment, il se faufila à quatre pattes dans l’obscurité jusqu’à ce qu’il heurte le tas de couvertures. En tâtonnant, il repéra qu’une forme avec des courbes se tenait en dessous. Layla ne bougea pas. Il tira les couvertures jusqu’à ce qu’il puisse les tenir par le bord et se glisser sous leur chaude étreinte. Le matelas pneumatique dégonflé lui servait de petit coussin, mais surtout, il le protégeait du sol glacé. Mais ce qui le réchauffait vraiment, c’était elle. Le fait d’entrer dans cet espace intime où elle dormait voulait dire qu’à chaque inspiration il sentait son odeur. La sentait, elle. La désirait. Il se blottit contre elle et rejeta la faute sur ces couvertures fines, son corps se pressa contre les courbes de ses fesses, celles-ci s’imbriquèrent contre lui avec une perfection ahurissante. Sa bite aussi le remarqua. Tout comme son corps entier. Son jean irritait son érection qu’il n’arrivait pas à calmer, frottant contre le tissu rugueux. Il ne portait pas de sous-vêtement, car il avait préféré partir en mode commando, en sachant très bien à quel point un métamorphe pouvait avoir l’air ridicule s’il se transformait soudainement alors qu’il avait encore son caleçon sur lui. Pauvre Munroe, personne n’oublierait jamais cette fois où il avait chargé quelques soldats ennemis en slip blanc. Désormais, il serait surnommé String pour toujours. Si Brody avait été seul, il aurait enlevé son jean. Pourtant, il préférait garder cette unique couche de vêtement, malgré l’inconfort, par pudeur. Hiii. Il appuya sur le frein et revint en arrière. Attendez une minute. La nudité ne le dérangeait pas. Il aimait laisser sa peau respirer et c’était bien plus confortable de se transformer quand on était nu. Nom de Dieu, ne me dis pas que j’ai gardé mon jean par pudeur pour elle ? Hors de question. Ça n’allait pas le faire du tout. Il ferait mieux de l’enlever. Et lui donner envie de te séduire. Non. Il ne voulait pas de séduction. Juste donner une chance à Johnson de respirer un peu. Le pauvre gars étouffait. Et avec le manque d’oxygène ce dernier avait de mauvaises idées. Coucher avec Appât permettrait de gagner du temps et d’obtenir quelques réponses sur ce fameux maître qui la retient prisonnière. Obtenir des informations était une excuse valable pour la séduction, mais ce ne fut pas pour ça qu’il déboutonna son jean. Il avait déjà une très bonne raison de se débarrasser de son pantalon, parce que sinon, à force de frotter, celui-ci allait laisser la peau de sa bite à vif. Alors qu’il gesticulait doucement pour se dénuder, ses mouvements, bien que rapides, ne passèrent pas inaperçus. — Qu’est-ce que tu fais ? dit-elle doucement avec un ton interrogatif à la fin. — Je me déshabille. Et oui, pour ceux qui se le demanderaient, il prononça ces mots avec un vilain sourire de loup. Cependant, ça, elle ne pouvait pas le voir et ne réagit pas très bien face à ces paroles. — Pour quelle raison ? Il aurait pu se foutre d’elle en lui disant qu’ils perdraient ainsi moins de temps à se déshabiller avant de faire l’amour passionnément. Cependant, étant donné qu’elle avait paru très tendue en posant la question, il trouva plus judicieux de ne pas la contrarier davantage. — Je me déshabille pour dormir. — Avec moi ? — Je ne vois pas d’autre lit, donc j’imagine que nous allons devoir partager. Et oui, il insinua qu’il sous-entendait quelque chose d’autre. Un homme devait bien s’amuser un peu. Elle, en revanche, ne trouva pas cela très drôle ni attirant. — Oh non, sûrement pas, murmura-t-elle. Elle se mit en mouvement, rejetant les couvertures, mais avant qu’elle n’ait le temps de se lever, il passa son bras autour de sa taille et l’attira contre lui. — Tu n’iras nulle part, chérie. Pas seulement parce qu’il était vexé d’être rejeté avec tant de véhémence, mais parce que c’était le moment idéal pour essayer d’instaurer une certaine confiance. Pour lui montrer qu’il ne lui voulait aucun mal. — Laisse-moi partir. Il eut cette réflexion pendant qu’elle luttait et se débattait. Elle l’insulta, parfois dans une langue qu’il ne pouvait pas comprendre, mais qu’il parvenait à déchiffrer vu son ton agressif. Lorsqu’elle se calma et cessa ses tentatives de fuites ratées, il lui demanda : — C’est bon, t’as fini ? Il espérait que non, car il aimait plutôt bien la sentir dans ses bras et contre lui. — Tu es un connard. — Pourquoi ? Parce que je ne veux pas te laisser trébucher dans le noir ? — Je connais cette cage mieux que je ne te connais toi. Je n’aurais aucun problème. — Il fait froid et il n’y a qu’un seul lit. — Oui, j’en suis bien consciente, et aussi consciente que tu penses pouvoir te servir de cet argument. Et te servir de moi. Je ne le permettrai pas. — J’ai l’impression que tu as mal interprété les choses, chérie. Je ne me suis pas déshabillé pour toi. Je l’ai fait parce que c’est fichtrement plus confortable. Tu as déjà dormi avec un jean ? Le tissu m’irrite, surtout les parties intimes. Johnson a besoin d’air frais. — Johnson ? — Ouais, Johnson. C’est comme ça que je l’appelle. — Tu as donné un nom à ton pénis ? Il grimaça. — Argh, femme. N’emploie pas ce mot. — Quel mot ? Pénis ? Il grogna. — Pénis. Pénis. Pénis. Il grogna plus fort. Elle se mit à rigoler. — Je n’arrive pas à croire que tu sois offusqué par ce mot. Je t’ai pourtant bien entendu utiliser le mot « putain ». — Un mot et adjectif parfaitement acceptable. — Et pénis est un nom tout à fait convenable pour tes parties intimes. Il faillit sursauter. Il n’y avait qu’un seul autre mot, pire que celui commençant par P. — Est-ce que ça veut dire que tu détestes aussi le mot « vagin » ? — Appât, je te jure que si tu ne t’arrêtes pas, je laisserai Johnson t’étouffer. — Tu n’oserais pas. — Continue de me chercher et tu verras. Elle devint silencieuse et se raidit. Il pouvait presque sentir l’odeur de sa peur. Merde. Tant pis pour son plan de mise en confiance. Il tenta de la rassurer. — Relax, je ne le ferais pas vraiment. — Comment puis-je être sûre que tu ne mens pas ? Il soupira. — Tu ne peux pas en être sûre. Mais je peux te dire que si je voulais vraiment te faire du mal ou te séduire, tu n’aurais pas été assez forte pour m’arrêter. Une fois de plus, elle resta totalement immobile. — C’est pas la chose la plus rassurante à dire, tu sais. — Non. C’est vrai. Et pourtant… Il enfouit son nez contre son cou, écartant ses cheveux jusqu’à ce qu’il touche la peau de sa nuque. Elle fut parcourue d’un frisson. — Bizarrement, même si nous ne faisons que nous disputer, tu me désires. — Pas du tout. — N’oublie pas, je suis un loup, je peux le sentir. — C’est perturbant. Il ne put s’empêcher de rire face à la façon dont elle prononça ces mots. — Seulement pour ceux qui ont l’odorat moins développé. Pour ceux d’entre nous qui vivent chaque instant avec, cela fait partie intégrante de notre vision du monde et cela influence nos actions. Et on ne pouvait nier que les odeurs, notamment la sienne, faisaient parfois beaucoup d’effet. Même s’il ne savait toujours pas quoi penser de Layla, il ne pouvait canaliser son attirance pour elle. Absolument pas. Et le fait d’enfouir son nez contre elle n’aidait pas. Et serrer son corps contre lui en position cuillère pour sentir les contours de sa silhouette ne faisait qu’empirer les choses. Elle l’avait ensorcelé sans rien faire de particulier, bon sang. Mais il n’était pas le seul à souffrir de cette attirance. — Comment je fais pour que ça s’arrête ? demanda-t-elle. L’idée qu’elle ne puisse pas s’empêcher d’avoir envie de lui accentua encore plus son désir. Il rit. — Facile. Ne me désire pas. — Mais je n’en ai pas envie. On dirait que je n’arrive pas à le contrôler. Elle l’admit à contrecœur. Son loup se pavana et remua la queue, mais Brody voulut la remercier de façon plus sensuelle. Il promena ses lèvres contre la peau de son cou. — Et si je t’aidais à résoudre ce problème ? Tu n’as pas à me séduire, de toute façon je ne couche pas avec l’ennemi. Pas tout à fait vrai. Si la mission l’exigeait, il était prêt à avoir une relation sexuelle. Pour obtenir des informations, bien sûr. Il pouvait presque entendre son ancien sergent aboyer : Mon garçon, parfois il faut faire le sale boulot. Et parfois, tu dois baiser de jolies filles. Mais souviens-toi toujours que c’est pour le bien de la mission. Elle lâcha un profond soupir. — Je ne suis pas l’ennemi. Pour toi en tout cas. Toi, en revanche, tu es un problème. S’ils n’étaient pas ennemis, alors les possibilités étaient plus nombreuses. Ou pas. Brody devait se rappeler que, prisonnière ou non, elle avait été complice de certains crimes contre le clan. — Même si nous sommes tous les deux prisonniers, ce n’est pas pour autant que nous sommes du même côté. Tu as participé aux attaques contre ma ville et les personnes dont je suis responsable. En réalité, elle n’avait pas fait pire que Gene. Et nous avons quand même réussi à lui pardonner. Après l’avoir frappé à plusieurs reprises pour se défouler. Ou, comme disait Sergent, c’était pour son bien. — J’étais obligée. Il lâcha un rire incrédule. — En quoi étais-tu obligée de larguer des loups sauvages sur les gens ? — Et des lapins. N’oublie pas les lapins vicieux. Ses lèvres tressautèrent. Il ne préférait pas penser à ces menaces aux grandes oreilles qui avaient envahi la ville. Heureusement qu’il aimait le ragoût de lapin. — Ce n’est pas drôle. — C’est vrai, tu as raison. Je suis désolée si j’ai attaqué des gens que tu connaissais, mais j’ai fait ce que j’avais à faire. Je n’ai pas beaucoup de choix. Et tu remarqueras que, alors que ma supposée armée a souffert de nombreux décès, la tienne non, pour autant que je sache. Brody resta soudain bouche bée en faisant le lien. — Tu veux dire que tu t’es volontairement retenue ? — Je ne sous-entends rien du tout, simplement qu’apparemment, les animaux sauvages ne font pas le poids face aux métamorphes. Brody pinça les lèvres lorsqu’il comprit tout à coup qu’elle essayait de ne pas révéler de secrets avec cette caméra et ce micro qui observaient et écouter leurs moindres faits et gestes. Mais elle se trompait sur un point. — À vrai dire, il y a eu un mort. Le premier conducteur dont le camion a été attaqué quand tout a commencé. — Oh, ce n’est pas nous qui l’avons tué. Ce pauvre type a dérapé tout seul. Il était cardiaque. C’est assez rare pour votre espèce. Rare, mais pas impossible. Bien qu’ils guérissent plus rapidement que les humains, ils étaient tout de même sujets à quelques imperfections et aux signes de vieillesse. Comme elle semblait d’humeur bavarde, il tenta de glaner d’autres informations. En commençant par ses pouvoirs. — Donc, tu contrôles les animaux. — Et quelques insectes, aussi. — C’est vraiment bizarre. — Plus bizarre que de hurler à la lune et de devoir prendre un bain pour se débarrasser des puces ? — Je te ferais remarquer que je me fais traiter contre les puces et les tiques chaque printemps avant le début de la saison. Elle ne put vraiment cacher son amusement. — C’est bon à savoir. Comme ça je ne perdrai pas mon temps à ordonner à mes insectes de te mordre. — Donc tu peux contrôler les petites créatures, qu’en est-il des grosses ? Quelle est la taille maximale d’une bête que tu puisses contrôler ? — Ce n’est pas la taille qui compte. C’est le fait de pouvoir accéder à leur esprit et leur force de volonté qui importent. — Tu es capable de lire leurs pensées ? Pouvait-elle lire ses pensées à lui, là, tout de suite ? Elles, qui disaient d’ailleurs qu’ils feraient mieux d’utiliser leurs bouches pour faire autre chose que parler ? — Non, je n’en suis pas capable. Et je n’ai vraiment pas envie d’en parler. Si ça ne te dérange pas, je vais dormir pour pouvoir profiter de cette merveilleuse journée demain, à fixer le mur et apprécier cette thérapie à base d’électrochocs. Elle plaça sa main sous sa tête, comme un oreiller, mais n’essaya pas d’échapper à son étreinte. Se reposer était une bonne idée. Il avait besoin d’avoir les idées claires. Qui pouvait savoir de quoi demain serait fait ? Mais il n’était pas encore prêt. Il lui fit un petit signe de tête pour voir s’il pouvait la faire parler à nouveau. — J’ai remarqué que tu n’avais pas peur de dire la vérité. Je suis surpris. Tous ces trucs que tu viens de me dire ne sont-ils pas censés être secrets ? — Si. Mais ne t’inquiète pas. Le maître ne sait absolument pas de quoi nous parlons. — Euh, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, il y a une caméra qui nous observe ainsi qu’un micro, j’imagine. Elle rigola. — Non, plus de micro. Je m’en suis occupée pendant que je lisais cette après-midi. C’est trop drôle. Ici, les araignées n’arrêtent pas de coller leur toile sur le récepteur. Cool ou flippant ? Il n’était pas sûr. — Tu arrives à les faire tisser leur toile autour ? Pourquoi ne pas faire la même chose sur la caméra alors ? — Parce que l’objectif se nettoie trop facilement, contrairement au trou du micro. De plus, je me suis rendu compte que, tant qu’il peut voir, il se fiche d’entendre. Et comme ça, je n’ai pas besoin de passer la journée assise ici à renifler les émanations des insecticides. Plus elle lui révélait des choses sur ses pouvoirs étranges, moins il était intimidé, ce qu’il ne comprenait pas. De toute évidence, elle était une arme dangereuse. Si elle était remise entre de mauvaises mains, comme c’était le cas aujourd’hui, elle pouvait vraiment faire des ravages. Mais dire à une fille qu’il valait mieux qu’elle meure avant d’être forcée à provoquer une sorte de rébellion style La Planète des Singes avec toutes les putains de créatures et insectes de la planète ne risquait pas de bien se terminer. Alors il décida de poser la question la moins blessante possible à Layla. — Quel âge as-tu ? — Qu’est-ce que ça peut te faire ? — J’essaie simplement de discuter. — Je parie surtout que tu dresses mon profil psychologique. Elle le connaissait déjà si bien. — J’ai vingt-trois ans. Et toi ? enchaîna-t-elle. — Plus. — Je vois que cette conversation va être à sens unique. Ses sarcasmes l’amusaient. Alors il rétorqua sur le même ton. — Je suis assez âgé pour savoir que me blottir contre toi sous cette couverture n’est probablement pas une bonne idée. — Pourquoi ? — Parce que maintenant je suis obligé de t’embrasser. Et il le fit. Immédiatement. Avant même qu’elle n’ait le temps de protester, il inclina la tête pour que ses lèvres puissent trouver les siennes. L’obscurité ne l’arrêta pas pour autant. Ni le sens commun. Il aurait pu mentir en disant que son geste faisait partie d’un plan afin d’en savoir plus, mais en vérité, il l’embrassa, car il ne supportait pas d’être si près d’elle et de ne pas pouvoir la toucher. Ses lèvres s’écartèrent avec surprise, laissant échapper une douce expiration. Il la saisit et se délecta de ce souffle chaud, son essence se mélangeant à la sienne. Elle sentait le dentifrice qu’elle avait utilisé pour se brosser les dents, encore frais et mentholé, et pourtant, l’arôme épicé qui se trouvait en elle parvint à s’infiltrer. Ce qui lui donna faim. Il la fit rouler sur le dos et la couvrit partiellement de son corps, lui permettant d’accéder plus facilement à ses lèvres. Il s’empara de cette douce cavité, sa langue s’enfonçant et glissant contre la sienne pendant que ses mains effleuraient les courbes de sa silhouette. Pour son plus grand plaisir, elle semblait être aussi féroce et passionnée que lui. Alors qu’elle tâtonnait maladroitement, tout en apprenant vite, leurs dents s’entrechoquaient et leurs souffles courts se mélangeaient. Aucune tempête n’avait fait rage de manière aussi tumultueuse. Étant donné qu’elle avait réagi à son étreinte avec désir, il céda à une autre tentation. Il se permit de prendre dans ses mains cette forte poitrine dont il avait déjà eu une petite aperçue. Le sein emplit sa main et déborda. Une taille parfaite. Merde, avait-il envie d’enserrer ses lèvres autour de ce gros téton qui devait probablement se trouver au centre ? Oui, c’était une merveilleuse idée. Il quitta la douceur de ses lèvres et se fraya un chemin le long de son cou lisse, remarquant le battement rapide de son pouls. Tombant nez à nez avec son collier, il se rappela brutalement leur situation. Mais cela ne l’arrêta pas pour autant. À ce stade, plus rien ne pouvait l’arrêter, pas avec ce désir qui pulsait dans chaque partie de son corps. Toujours en tâtant sa lourde poitrine, il effleura le tissu qui cachait son sein avec sa bouche jusqu’à ce qu’il sente la protubérance de son téton. Puis, il s’y accrocha. Elle gémit, ses mains agrippant soudain ses cheveux, les tirant, l’encourageant à le sucer un peu plus. Ce qu’il fit, tordant le bout avec ses dents et prenant ce bourgeon couvert de tissu dans sa bouche. Il se mit soudain à détester cette robe qui cachait ses délicieux atouts. Sa bite palpita contre le bas-ventre de Layla, mais pas contre sa peau. Besoin de toucher. Il glissa sa main contre elle, effleurant ses courbes qu’il aurait aimé voir, mais qu’il pouvait au moins sentir. Atteignant le bord de sa robe, qui était remontée jusqu’à la moitié de ses cuisses, il tira dessus, voulant la soulever plus haut pour se débarrasser de cette barrière. Il grogna d’agacement et regretta immédiatement. Il eut soudain envie de se gifler. Le corps entier de Layla se raidit. Elle cessa de respirer. De se tortiller. Et même dans l’obscurité, il ne put ignorer son murmure horrifié : — Mais qu’est-ce que je fais ? Nous devons arrêter. Un vrai connard aurait ignoré cette faible tentative alors qu’elle essayait de stopper les choses. Il pouvait sentir son désir, il le sentait à travers cette chaleur qui émanait de sa peau et son cœur qui battait la chamade. Mais il n’était pas un animal – du moins pas tout le temps. Et surtout pas quand il s’agissait de sexe. Cependant, avec Layla, s’abstenir face à ce besoin qu’ils ressentaient tous les deux – oh, comme il en avait envie – faisait presque mal. Les dents serrées, il s’écarta d’elle, mais ne quitta pas le lit. Il lui fallait quand même un endroit pour se reposer et rester au chaud. Et il fallait qu’elle s’habitue à sa présence. Car ce n’était pas le manque de désir qui l’avait fait se détourner de lui, mais plutôt ce besoin incontrôlable, cette perte de contrôle. Et il pouvait la comprendre, car cela l’effrayait aussi. Depuis quand laissait-il les émotions prendre le dessus sur la raison ? Depuis quand ses désirs égoïstes passaient-ils avant sa sécurité ? Depuis que j’ai rencontré ma sirène. Un surnom qui lui allait très bien. Comme les créatures des légendes, Appât l’attirait, mais pas seulement qu’avec sa voix. Elle le séduisait de tout son être. Argh. Il n’était pas du tout prêt. L’engagement était pour les autres hommes. Les hommes qui aimaient rester à la maison et travailler de neuf heures à dix-sept heures. Dans la vie, Brody voulait plus qu’une existence banale. Et d’ailleurs, pourquoi pensait-il à la domestication ? Ce vilain, vilain mot. Je n’ai qu’une seule mission. M’échapper. Tout le reste n’est que distraction. Il roula sur le dos, à côté d’elle, écoutant sa respiration, comptant les battements de son cœur alors que celui-ci mettait du temps à ralentir. Il aurait pu dire avec certitude quand le sommeil se mit à l’emporter. Comme le danger était faible, car il était impossible qu’il ne remarque rien si quelqu’un s’approchait de la cage, il s’autorisa à fermer les yeux. Il se mit en mode veille, ce qui lui permit de se reposer tout en restant à moitié conscient. Observer. Garder. Son loup les protégerait. Mais même en sachant que son ami à fourrure ne le laisserait pas tomber, il ne parvint pas à s’endormir. Il était tout à fait conscient lorsque Layla se tourna et roula contre lui dans son sommeil. Elle enroula son bras et sa jambe autour de lui et il se permit de la prendre dans ses bras. Il se détendit, glissant un peu plus vers cet état presque hypnotique. Et puis… il s’endormit. CHAPITRE SIX

Se réveiller avec le visage pressé contre une peau nue était nouveau. Mais pas désagréable non plus. Les poils sur ce torse contre lequel elle dormait étaient doux et souples, contrairement à l’homme qui était un coup séduisant, un coup intransigeant. Layla ne savait plus quoi penser de Brody, à part qu’il était dangereux. Très, très dangereux. La veille au soir par exemple. Elle l’avait laissé prendre quelques libertés avec elle. Elle n’avait pas lutté une seule fois lorsqu’il l’avait embrassée, ou pelotée, ou fait cette chose incroyable avec ses lèvres et ses dents sur son sein. Au contraire, pourquoi tout arrêter alors qu’elle en voulait plus ? Mais elle avait dû mettre un stop à ses avances. Elle devait se rappeler qu’il était un inconnu dont elle ne connaissait pas encore vraiment les intentions. Mais elle devait reconnaître que Brody avait immédiatement respecté son choix, arrêtant sa torture délicieuse et la laissant presque souffrante. Le désir était une torture bien pire encore. Cela lui avait semblé durer une éternité avant que son corps ne se calme et refroidisse suffisamment pour qu’elle puisse s’endormir. Mais apparemment, le sommeil avait fini par la rattraper, sinon comment expliquer qu’elle se retrouvait désormais collée contre lui, un bras et une jambe enroulés autour de lui de manière possessive, le visage plaqué contre un pectoral alors qu’une voix amusée disait : — Bonjour, Appât. — Bonjour ? Déjà ? Comment peux-tu être sûr que c’est déjà le matin avec cette maudite obscurité ? Possédait-il un sixième sens de loup qui lui permettait de savoir quand le soleil se levait ou se couchait ? Non, ça, c’était plutôt les vampires d’après les livres qu’elle lisait. — C’est assez facile à deviner. Nous sommes tous les deux réveillés, j’entends des pas à l’étage et la chasse d’eau des toilettes a été tirée. Effectivement, c’était de bons indices. Elle les percevrait d’ailleurs encore plus une fois qu’elle se serait éloignée de sa peau distrayante. Et ce n’était clairement pas normal de vouloir l’embrasser et la lécher. Alors qu’elle tentait de s’écarter, il raffermit la pression de ses bras autour d’elle. — Tu comptes aller où comme ça, Appât ? Loin de toi. Avant qu’elle ne fasse quelque chose de gênant, comme par exemple, lui demander de finir ce qu’ils avaient commencé la nuit précédente. Afin de dissimuler cette pensée, elle préféra la jouer offensive. — Pourquoi tu continues à m’appeler Appât ? — Parce que c’est ce que tu es. Un Appât qui pendouille pour piéger un loup. — Pas par choix. — C’est ce que tu dis. — Oui, c’est ce que je dis. Donc trouve un autre surnom. — OK, très bien, chérie. C’était drôle de constater qu’il arrivait à transformer cette marque d’affection en sarcasme. Avant qu’elle ne puisse faire de remarque sur son niveau de maturité, les lumières s’allumèrent, sans prévenir et le haut-parleur se mit à crépiter. — Comme c’est mignon. Mon petit toutou et son étalon, ensemble dans le même lit. J’imagine que l’acte était donc moins difficile que prévu. Layla fronça les sourcils vers la caméra et secoua la tête négativement, car elle savait que le micro ne capterait pas ses paroles étant donné que son amie l’araignée avait tissé sa toile autour la veille. — Nous n’avons rien fait. Bizarrement, cela lui parut important de clarifier cela à voix haute. Peut- être qu’ainsi elle paraîtrait plus résistante. Le maître sembla lire sur ses lèvres ou comprendre ce qu’elle avait voulu dire. — Vous n’avez rien fait, pour le moment, corrigea la voix robotique. Mais j’ai cependant le pressentiment que ce sera pour bientôt. — Il a peut-être raison, murmura Brody dans son oreille et un frisson délicieux la parcourut. — Non ! s’énerva-t-elle en espérant ne pas passer pour une menteuse, car, honnêtement, Brody bouleversait son équilibre à bien des égards. Se débarrassant des couvertures et parvenant à toucher Brody, bien plus que ce qu’elle aurait voulu, Layla se leva et se dirigea vers le lavabo pour laver son visage et effacer la fatigue. Et oui, aussi pour faire pipi, car il n’y avait rien de mieux pour baisser la libido que de savoir qu’un mec mignon pouvait l’entendre faire pipi. Elle entendit les couvertures du lit bruisser pendant qu’elle fixait ses orteils du regard alors qu’elle était assise sur le siège en plastique froid. Au moins, sa robe lui permettait d’avoir un peu d’intimité. Pas beaucoup. Mais c’était toujours ça. Une fois qu’elle eut terminé, elle tira la chasse et continua de détourner son regard, jusqu’à ce qu’elle réalise qu’il était sous les couvertures et, à en juger par son jean sur le sol, il était toujours nu. — Tu reviens te coucher ? demanda-t-il d’une voix traînante en tapotant le matelas à côté de lui. Ses yeux brillèrent aussi diaboliquement que le sourire qu’il lui adressa. — Non, merci. — Oh… pourquoi ? Amène un de ces bouquins romantiques et cochons avec toi. Peut-être que ça te donnera des idées, dit-il en remuant ses sourcils. — Si c’est ta vision de la séduction, alors laisse tomber. Ce n’est absolument pas attirant. À vrai dire si, ça l’était, mais avec son comportement espiègle et l’espace qui les séparait, il était facile de repousser ses avances. — J’essaie juste d’être sympa. — Garde ta sympathie pour toi. Je ne te fais pas confiance. — Sentiment partagé, chérie, mais nous sommes coincés ici ensemble, alors autant apprendre à en tirer le meilleur parti possible. Leur conversation fut interrompue lorsque la porte qui menait au sous-sol s’ouvrit. Ils entendirent des bruits de pas dans l’escalier, ceux d’une demi- douzaine d’hommes, ce qui ne présageait rien de bon. Sortie scolaire. Nu ou non, Brody bondit du lit et prit position devant elle. Pensait-il pouvoir la protéger ? Avec quoi ? Ses fesses superbement fermes ? Peut-être que Johnson se montrerait à la hauteur et frapperait les gardes. Elle se mordit la lèvre de peur de glousser et détourna le regard, mais celui-ci revenait toujours à son point de départ, fasciné, non pas seulement par la perfection de ce fessier musclé, mais aussi par ce tatouage sur l’une de ses fesses. Quel genre d’homme se fait tatouer un lapin rose sur le corps ? — À genoux, mains derrière le dos, aboya l’un d’entre eux. — Vas-y, oblige-moi, osa Brody. Elle soupira. C’est parti. L’électrochoc dans son collier la frappa dans un éclair de douleur, mais elle serra les dents et l’endura. Elle connaissait la procédure. Elle mit ses mains derrière le dos et s’agenouilla, se penchant en avant. Certaines choses ne valaient pas la peine de se battre. Pauvre Brody, ils ne lui laissèrent même pas le temps d’obtempérer. Ils firent vibrer son collier et il tomba au sol – poum ! – dans un bruit sourd. À croire que monsieur Le Gros Dur allait avoir besoin d’un peu plus d’entraînement avant de pouvoir supporter le choc. Seules des sessions répétées rendaient une personne plus résistante et dès que vous l’étiez, ils augmentaient la puissance. Une fois enchaînée, elle jeta un coup d’œil vers Brody et tressaillit. Les gardes ne lui avaient même pas laissé le temps de mettre un pantalon avant de le neutraliser. Et ce n’était plus ses fesses nues qu’elle avait désormais en face d’elle. Elle aperçut des cuisses musclées, des poils bruns et souples au niveau de son entre-jambes et… Oh, mon Dieu. Elle détourna les yeux, mais pas assez vite pour ne pas rougir. Les gardes ne semblaient pas se soucier de sa nudité. Ils se placèrent chacun sous un bras et tirèrent son corps inerte hors de la cellule. Layla marcha seule. Une fois de plus, elle connaissait la rengaine. Vu le nombre de gardes et de précautions prises, elle avait une idée de l’endroit où ils allaient. Le maître voulait les voir. Les gardes ne montrèrent aucune pitié en traînant son compagnon de cellule, le cognant contre chaque marche. Les pauvres tibias de Brody allaient être couverts de bleus le temps que ceux-ci guérissent. Elle n’osa rien dire. Si le maître pensait un seul instant que le loup comptait pour elle – non, c’est faux – il ferait probablement quelque chose d’ignoble. Le salon, où son ravisseur aimait être entouré de sa cour, n’avait pas beaucoup changé depuis leurs dernières rencontres. Celui-ci était décoré et meublé simplement, tout comme le reste de la maison. Les murs étaient en plâtre, mais un vieux plâtre, du genre un peu gluant et pas vraiment lisse, recouvert de papier peint écaillé, qui, à certains endroits, révélait une autre couche de papier peint en dessous, d’une couleur orange et brun délavé, tacheté de fleurs. Le plancher en pin craquait sous ses pas, le vernis sur la surface avait disparu depuis longtemps, mais la crasse apportée par les pieds recouvrait la surface, lui donnant une texture granuleuse. Les meubles, compte tenu de leur laideur, n’avaient probablement jamais connu de meilleurs jours. Des coussins orange, jaunes et verts ornés de fleurs étaient disposés sur un canapé, alors que du velours côtelé marron, parfois nu à certains endroits, recouvrait des fauteuils club. Ces chaises lui étaient familières. Elle s’était assise sur celle de gauche plusieurs fois, écoutant les menaces et vociférations du maître. Pour une fois, elle s’assit sur celle de droite, les mains toujours menottées derrière le dos. Les gardes jetèrent la carcasse inconsciente de Brody dans le siège habituel de Layla, mais il eut droit à un traitement spécial. Une chaîne fut amenée et claqua lorsqu’elle fut rattachée à ses menottes puis à un anneau au sol, afin de s’assurer que Brody ne pourrait pas aller bien loin s’il tentait quoi que ce soit. — Bienvenue, toutou. Tu as l’air en pleine forme ce matin. — Si vous voulez dire par là que je suis en train de comploter un plan pour vous éliminer, alors oui. Oui, je suis en pleine forme. Elle prononça ces mots avec le sourire, espérant l’exaspérer. Difficile à dire cependant, étant donné qu’elle ne pouvait pas voir l’expression faciale du maître. Perché en plein milieu du canapé, il portait sa capuche noire habituelle. La couleur de ses yeux n’était même pas visible derrière le tissu épais. Comment faisait-il pour respirer ? Pour manger ? Il devait bien enlever cette capuche de temps en temps, non ? Pourquoi se cache-t-il ? Une question qu’elle s’était souvent posée, mais à laquelle elle n’avait jamais pu répondre. — Complote autant que tu veux, toutou. Tu ne pourras jamais m’échapper. La voix robotique semblait sortir du cou du maître. Elle s’était souvent demandé la raison de cette voix artificielle. Souffrait-il d’une sorte de blessure qui l’empêchait de parler normalement ? — C’est ce qu’on verra, murmura-t-elle. — Ton optimisme après tant d’échecs est fascinant. Quand admettras-tu ta défaite ? Quand cesseras-tu enfin de te battre pour accepter ton sort, toutou ? — Le jour où j’arrêterai de me battre, c’est que je serai morte. — Morte ? Comme tu es dramatique, toutou. Surtout maintenant que je t’ai offert un compagnon de cellule. Un amant pour te garder compagnie. — Sûrement pas. — Pense ce que tu veux, toutou, bien que, ce serait plus facile s’il n’était pas aussi fragile. Je vois que notre nouvel invité ne se porte pas très bien. — C’est souvent ce qui arrive quand une personne reçoit une décharge de mille volts, répondit-elle sèchement. — Et il en recevra plus encore s’il ne fait pas ce qu’on lui dit et qu’il ne couche pas avec toi. Mais tout de même, je m’attendais à ce qu’il soit plus fort que ça. — Continuez de l’électrocuter. Je suis sûre qu’il finira par s’y habituer, comme moi. Mais il ne sera peut-être pas l’outil pratique que vous espériez. — Comment ça ? Elle leva les yeux au ciel. — Vous ne pensez pas sérieusement que l’électrocuter aidera à la réalisation de votre objectif, non ? — C’est un Lycan. Ils guérissent vite. — C’est vrai, mais… Layla manquait peut-être d’expérience à certains égards, mais il était incroyable de voir ce que l’on pouvait apprendre dans un livre, même dans des romans d’amour apparemment inoffensifs. — Même s’il guérit vite, continua-t-elle, que pensez-vous que toute cette électricité fasse à son… vous voyez, dit-elle en parlant moins fort, à son « truc ». Pas une ride ne déforma la surface lisse du tissu qui masquait le visage du maître, mais Layla l’imagina en train de froncer les sourcils. — Dois-je comprendre que ton inquiétude face à sa capacité et sa performance signifie que tu comptes obéir ? — Non. Je ne coucherai pas avec lui. Du moins, pendant au moins quelques heures, jusqu’à ce que les lumières s’éteignent et qu’il se mette au lit, avec elle. Ensuite… qui savait ce qu’il pouvait se passer ? Il fallait vraiment qu’elle mette en place un plan d’évasion avant de le découvrir. — La désobéissance ne t’apportera rien. — Mais ça vous agace. Donc, si vous voulez mon avis, je suis plutôt gagnante. — Espèce de créature insolente. — Insolente. Irrespectueuse. Peste. Appelez-moi comme vous voulez, mais ça ne veut pas dire que je jouerai la pute. Le maître agit rapidement. La gifle soudaine la secoua, mais ce fut le grognement : « Ne la touche pas » qui la surprit. Un certain loup venait de se réveiller et il n’avait pas l’air content du tout. — Tiens, il est réveillé. Même si l’on ne voyait pas l’expression de son visage, on pouvait entendre le ricanement dans la voix du maître. — Réveillé et irritable. Pas un super combo. Donc, si j’étais vous, je n’insisterais pas. — Des menaces ? Tu n’es pas vraiment en position de demander quoi que ce soit. — C’est ce que tu crois. Layla avait presque envie d’applaudir devant son attitude belliqueuse. Mais, bien qu’elle sache par expérience que le maître n’irait jamais jusqu’à la blesser de façon permanente, elle ne pouvait pas en dire autant de Brody. Pour autant qu’elle sache, pour ce qui était des projets du maître, il était tout à fait remplaçable. — Je vois que nous n’avons toujours pas réussi à briser ta détermination. Excellent. J’aurais été très déçu de ne pas avoir fait le bon choix en te choisissant pour faire des bébés à mon toutou. — Je ne le ferai pas. — Alors j’en trouverai un autre, dit le maître dont la voix robotique était inflexible, son ton monotone lui donnait l’air encore plus froid. — Il n’y en aura pas d’autres. Layla frissonna presque devant la voix ferme et pleine de certitude de Brody. Une fille plus rêveuse aurait romancé la situation et l’aurait décrété possessif. Mais Layla avait les pieds sur terre. Il était plus que probable que Brody tente de la tuer avant de laisser le maître créer une armée de sbires, tous dotés de son pouvoir spécial. — Encore des menaces, dit le maître en secouant sa tête encapuchonnée. Je ferai ce qu’il me plaît de mon toutou, et ça, tu ne peux rien y faire, le loup. — Pourquoi fais-tu ça ? Pourquoi la garder prisonnière ? Ce n’est qu’une jeune fille. Elle ne mérite pas ce genre de vie. — Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu te fais du souci pour la fille, cabot ? Dans ce cas-là, tu devrais peut-être la convaincre un peu plus d’écarter les jambes. Plus vite elle se reproduira, plus vite elle se protégera de la prochaine punition que j’ai prévue si elle refuse d’obéir. — Elle n’est pas la seule à ne pas vouloir. — C’est ce que j’ai cru comprendre, oui. La silhouette avec la cape se pencha en avant et s’approcha près de Brody, assez près pour que le loup ne puisse se retenir de gronder. Son corps tremblait, retenu par les chaînes qui le tenaient en place. — Tu feras ce qu’on te demande, le loup, sinon… Tu n’as qu’une seule utilité. Ou du moins, une partie de ton corps n’a qu’une seule utilité. Quelle fierté penses-tu garder si j’enlève cette partie cruciale de ton anatomie ? Même Layla grimaça. Pauvre Brody. La menace le figea. Seules ses narines bougeaient alors qu’il inspirait et expirait profondément, un homme luttant contre son loup et son besoin de se protéger d’une menace. — Tu ne rétorques pas, clébard ? Pas de menaces ? — Je réfléchis juste à la meilleure façon de te tuer, fanfaronna courageusement Brody. Le rire mécanique du maître la fit frissonner. — Réfléchissez-y, mais pas trop longtemps, mes toutous. Ma patience est déjà à bout et vous n’avez pas envie de voir ce qu’il se passera lorsque celle- ci aura atteint ses limites. L’entretien était terminé. Le maître se leva, sa robe noire cachant sa véritable silhouette et son identité. Avec cette horrible façon de planer, il glissa hors de la pièce et la laissa seule avec Brody pour le moment. — C’est un type agréable, remarqua Brody. — Un vrai rayon de soleil, murmura-t-elle. Et tu as fait de ton mieux pour l’emmerder. — Je ne supporte pas les culs pompeux. — Mince, je n’avais pas remarqué. — Roh, allez, Appât, admets-le, c’était plutôt marrant. — Ne m’appelle pas appât. Et non, ce n’était pas marrant. Tu es nouveau ici. Je ne crois pas que tu saisisses à quel point le maître peut être sadique. — Oh, si, j’imagine. J’ai déjà eu affaire à ce genre de type auparavant. — Donc, tu es juste un idiot qui souhaite mourir. — Non, juste un idiot avec une grosse paire, en acier. Tu veux voir ? — Non ! Il rigola. — Tiens-moi au courant si tu changes d’avis. Maintenant que nous avons discuté avec le connard en charge de cet établissement, quelle est la prochaine étape du programme ? — On attend que les gardes viennent nous chercher. — Il est plutôt confiant de nous laisser ici tous seuls. — Pas vraiment. Nous n’avons nulle part où aller de toute façon. — Quel pessimisme. — J’appelle ça du réalisme. Connu aussi sous le nom d’expérience. Elle avait déjà échoué de nombreuses évasions en partant de cette pièce pour confirmer que sa remarque était futile. Mais Brody était un homme. L’obstination faisait partie de ses gènes. — Ça te dérange de me dire où se trouve la porte d’entrée ? — Pourquoi as-tu besoin de savoir ça ? demanda-t-elle. — Tu verras. Elle jeta un coup d’œil dans sa direction et vit qu’il souriait. — Tu trouves notre situation amusante ? — Disons, intéressante. — Pourquoi ? — Tout d’abord parce que nous ne sommes plus dans la cage. — Mais nous sommes menottés et tu es enchaîné au sol. J’ai du mal à voir l’amélioration. — Et c’est reparti pour l’attitude de Calimero. Tu n’arriveras jamais à t’évader si tu n’essaies pas. Donc, je te le demande à nouveau, avant que Jackass et ses amis ne débarquent, où se trouve la porte d’entrée ? De toute façon, cela ne pouvait pas faire de mal si elle lui disait. — Dans le couloir, tourne à gauche, passe la porte sous le porche grillagé, puis tourne à nouveau à gauche. Mais je ne vois pas ce que tu penses pouvoir faire de cette information. — Observe le roi de l’évasion faire, chérie. Il lui fit un clin d’œil en bougeant ses épaules et leva ses jambes pour les serrer contre lui, ce qui lui permit de passer ses mains menottées vers l’avant. Brody enleva ensuite ses chaînes – une pour chaque poignet menotté – de l’anneau ancré dans le sol. Elle soupira. Il avait donc perçu la faille qui se trouvait dans les chaînes, chose qu’elle n’avait pas encore essayée, car elle ne voulait pas tenter l’évasion cinquante-sept avant d’avoir trouvé une solution pour éviter le dilemme auquel elle avait été confrontée durant l’évasion quarante-neuf. À savoir… Trop tard pour prévenir Brody, celui-ci se précipitait déjà à travers la porte. Elle resta assise là et se mit à compter. Un. Deux. Trois. Poum. Un instant plus tard, une paire de gardes passa sous le porche pour se rendre jusqu’au salon, là où elle se tenait, en traînant la carcasse inerte de Brody le long du couloir. Deux autres gardes arrivèrent peu de temps après pour la chercher. Mais apparemment, on ne les ramenait pas tout de suite à leur cellule. Ils furent tous les deux jetés dans la salle de bain avec la grande douche, tapissée de carreaux roses et noirs craquelés, et la baignoire sur pieds. Une fois de plus familière avec la procédure, elle présenta son dos aux gardes pour qu’ils puissent lui enlever les menottes qu’elle portait toujours. Le maître avait rapidement réalisé que prendre une douche sur un sol glissant sans pouvoir utiliser ses mains pour garder son équilibre n’était pas une bonne idée. Sa précédente commotion cérébrale et ses cicatrices lui avaient fait revoir le rituel du bain. C’était l’un des rares endroits où elle n’avait jamais tenté de s’échapper. Premièrement, la fenêtre était fermée à clé et était bien trop petite. Deuxièmement, les gardes se trouvaient juste derrière la porte, prêts à déclencher son collier. Comme elle appréciait avoir la possibilité d’être propre, et que cela arrivait très rarement, elle préférait bien se comporter. Et elle se lavait généralement seule. Elle jeta un coup d’œil vers le corps inerte de Brody sur le sol et se demanda si elle aurait le temps de se laver rapidement avant qu’il ne se réveille. Eh ben non. Il fut d’abord agité d’un grognement. Il secoua la tête et marmonna : — Qu’est-ce qui s’est passé, putain ? — Tu ne m’as pas écoutée. — Écouter quoi ? — Peu de temps après l’évasion quarante-huit, ils ont placé un mécanisme pour envoyer des décharges dans nos colliers sur toutes les portes qui permettent de sortir de la maison. — Et tu ne pouvais pas me le dire avant que je ne m’y précipite ? Elle haussa les épaules. — Je t’avais dit que c’était impossible et tu ne m’as jamais laissé l’occasion de t’expliquer pourquoi. Tu t’es simplement barré de là. Si tu veux mon avis, tu le mérites. — De me faire électrocuter comme un moustique ? — Oui, parce que tu m’as abandonnée. Tu ne m’as même pas emmenée avec toi en partant. Un peu vexée de l’avoir vu filer sans qu’il prenne la peine de se retourner ? Oh oui, clairement. — Je comptais revenir te chercher. — Bah oui, bien sûr. Elle ne chercha même pas à cacher son sarcasme. Elle tendit la main pour actionner le robinet de douche. Elle savait par expérience qu’elle n’aurait pas beaucoup de temps pour se laver. — N’essaie pas de me faire culpabiliser, chérie. Quelle autre mauvaise surprise as-tu oublié de me préciser ? — Je n’ai pas oublié, je n’ai juste pas pris la peine de te le dire. Je t’avais dit que les évasions étaient impossibles. Lui tournant le dos, elle fit comme s’il n’était pas là lorsqu’elle enleva sa robe et avança sous l’eau tiède de la douche qui jaillissait du pommeau. — Pour toi peut-être, mais pour moi…, sa voix se brisa lorsqu’il remarqua enfin ce qu’elle faisait. Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il. Lui tournant toujours le dos, elle se concentra sur le morceau de savon dans ses mains, le rinçant et le faisant mousser avant de le mettre sur sa peau. Qui savait si des mains sales ne l’avaient pas touché avant ? — Je me lave. — Maintenant ? — Ouaip. Je n’en ai pas toujours l’occasion, alors excuse-moi si j’en profite. — Tu n’as jamais regardé de film d’horreur ? — Quel rapport avec le fait que je me lave ? — Vu ta réponse, j’imagine que non. — Non, je n’en ai jamais regardé. Elle avait raté beaucoup de choses que d’autres gens prenaient pour acquises. Si ce n’était pas dans un livre, ou que cela ne faisait pas partie des plans du maître, il était fort probable qu’elle ne l’ait jamais expérimenté. — Eh bien, dans les films d’horreur, seule la fille débile prend une douche pendant qu’elle se trouve dans la maison du psychopathe. Généralement quelques minutes avant qu’elle ne meure. De façon ignoble. En hurlant. Layla mouilla ses cheveux avant de répondre. — Mais au moins, elle est propre. — Tu es complètement folle. — C’est l’une des conséquences de mon mode de vie. Si ça ne te plaît pas, va-t’en. Ah, mais attend. Tu ne peux pas. Elle affichait encore un rictus amusé lorsqu’il la fit pivoter et l’observa. — Ce n’est pas drôle. Ses lèvres s’étirèrent encore plus. — Ça dépend de ton point de vue. Du mien, en tout cas, c’est hilarant, Poum. — Poum ? dit-il en fronçant les sourcils. — Je crois que ça devrait être ton nouveau surnom parce que c’est le bruit que tu fais à chaque fois qu’ils envoient une décharge dans ton collier et que tu tombes par terre. — Non, c’est faux. — Bah bien sûr… Poum, ricana-t-elle. Elle ne pouvait pas s’en empêcher, surtout quand Brody essayait de maintenir son regard, ce qui n’était pas très efficace avec sa bouche grande ouverte, la mâchoire relâchée et cet air émerveillé. — Ça te dérange que je termine de me doucher ? Il reste probablement peu de temps. Elle lui tourna à nouveau le dos et recommença à se savonner, mais elle poussa un petit cri aigu lorsqu’un corps nu vint se presser contre le sien par- derrière. — Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle sans pouvoir se retourner alors qu’il serrait son bras autour de sa taille, la tenant fermement en place. — Comme tu ne cesses de le souligner, nous n’avons pas beaucoup de temps pour nous doucher. Je pense que c’est mieux si nous mettons à profit le temps qu’il nous reste en partageant. — Ce n’est pas du partage ça. Tu monopolises l’eau. Comment suis-je censée me laver ? — Laisse-moi faire. Des doigts masculins lui prirent le savon des mains et le firent mousser. D’une seule main, il caressa son bras avec la mousse. — Alors, dis-moi Layla, quelle autre surprise as-tu omis de mentionner ? Peut-être que si elle se focalisait sur les échecs du passé elle parviendrait à ignorer le présent, c’est-à-dire cette sensation érotique que provoquait sa main en frottant le savon contre sa peau. Sa peau nue contre la sienne. Son corps pressé contre… Elle déglutit difficilement. — Tu as déjà rencontré le mécanisme qui déclenche les électrochocs au niveau de la porte d’entrée. Il y en a un vers la sortie également. Mais cette porte est aussi verrouillée, avec une clé à l’intérieur, donc pas de sortie possible. — Et il a également cloué les fenêtres. — Elles sont clouées et parfois même recouvertes de contre-plaqué. — As-tu déjà réussi à aller dehors ? Elle acquiesça, sa respiration s’accélérait alors que sa main caressait son ventre avec le savon en faisant des cercles. Il n’était pas facile de réfléchir lorsqu’il la touchait de la sorte. — Oui, j’ai réussi à sortir dehors quelques fois avant qu’il ne place les mécanismes pour les colliers sur les portes. Si tu parviens à aller jusqu’à la véranda, il faut faire attention aux huskies qu’il garde, confessa-t-elle rapidement. Ses caresses langoureuses contre sa peau, même sur une surface aussi anodine que son ventre, lui faisaient de drôles d’effets. Elle tenta d’ignorer le liquide chaud qui s’accumulait entre ses cuisses, une chaleur presque brûlante, bien plus que la douche. — Des chiens, hein ? Je peux m’en charger. — Mais ils ne sont qu’une distraction, pour que l’on n’anticipe pas les hommes armés de pistolets tranquillisants qui surveillent le périmètre du jardin. Elle avait découvert leur existence durant l’évasion cinquante-trois. D’après le maître, ils avaient été placés là après son évasion ratée, la numéro quarante-cinq. À chaque fois qu’elle échouait, le maître se servait de la faille qu’elle avait exploitée. Brody caressa ses seins de sa main, taquinant ses tétons tendus, la faisant haleter. — Dis-moi en plus, ronronna-t-il presque dans ses oreilles. Son souffle et sa façon de murmurer affaiblirent ses genoux. — Nous sommes à environ vingt-quatre kilomètres du village le plus proche. — Seulement vingt-quatre ? — Oui, mais il n’y a pas grand-chose là-bas. Juste quelques maisons et un magasin d’alimentation générale. — N’y a-t-il rien de plus près ? — Il y a une cabane, à environ huit kilomètres à l’ouest. Ce qui veut dire qu’il faut dévier, et contourner le chemin en ligne droite qui mène à la ville, mais c’est pratique pour le ravitaillement. Évasion numéro trente-neuf. Elle n’y était jamais retournée. La nourriture et les vêtements ne lui avaient pas permis d’aller bien loin. — Plus. J’ai besoin – sa main glissa le long de son corps et il chatouilla le haut de ses poils pubiens – de plus. Qu’en est-il des téléphones ? Les gardes en ont-ils sur eux ? Elle déglutit et ferma les yeux. Elle n’avait pas envie de réagir à son contact. Elle ne voulait pas qu’il lui fasse ressentir quoi que ce soit. Elle ne voulait pas coucher avec lui. Maudit soit-il à lui compliquer la tâche ! — Les portables qu’ils ont sont programmés pour n’appeler qu’un seul numéro. Et ce n’est pas celui de la police. Rien de pire que de composer le 911 et d’entendre la voix robotique du maître la saluer avec un : « Méchant toutou » infantilisant. Quand Brody prit son sexe dans sa main, un frisson la parcourut. Ses lèvres caressèrent presque son lobe d’oreille lorsqu’il dit : — J’ai besoin de plus, chérie. Dis-moi. Dis-moi tout. Alors que son doigt caressait sa chair, d’avant en arrière, elle ne put s’empêcher de pencher sa tête en arrière. — Il y a un sniper sur le toit. C’est un bon tireur. — Encore. Oui, encore. — Il y a un ravin au nord-est. Il se jette vers une rivière profonde avec beaucoup de courant. Elle était tombée sur celle-ci par accident durant l’évasion numéro trente- huit. Le doigt qui la caressait se concentrait sur une zone érogène et elle ne put s’empêcher de gémir et d’onduler des hanches. — C’est ça, chérie. Encore un peu. — Il… il… Cette torture délicieuse ne faisait que lui enlever les mots de la bouche. Il cessa de la caresser. Elle aurait pu en pleurer. — Il, quoi, Layla ? — Il a quelques camions dans le garage et je crois que les gardes ont des motos tout terrain. Sauf qu’elle ne savait pas comment les conduire, ils étaient donc inutiles pour elle. Apparemment, cette information plut à Brody, car son doigt reprit son jeu de torture, se frottant contre sa zone de plaisir, alors que son membre pulsait et se pressait contre son dos. Ses lèvres tiraient et suçaient son lobe d’oreille. Mais quand sa deuxième main quitta sa taille et prit une nouvelle position, ses doigts glissant à l’intérieur de cette chaleur torride… Un orgasme la secoua. Cela devait être un orgasme en tout cas, car jamais un plaisir aussi absolu n’avait traversé son corps. Sa silhouette entière se raidit et se cambra, pulsant au rythme de ces vagues de plaisir, la laissant faible alors qu’elle gémissait. Mais pas seule, car Brody était là pour la tenir. Ses bras enroulés autour de son corps mouillé, ses lèvres effleurant sa tempe alors qu’il lui murmurait des mots doux. Elle se détendit contre lui, car, bizarrement, elle savait qu’il ne la laisserait pas tomber. Pendant un instant, elle osa imaginer qu’il ne l’abandonnerait jamais. Si seulement. CHAPITRE SEPT

Le problème, c’est qu’en jouant les vicieux pour obtenir des réponses, Brody se sentait encore pire qu’avant. Les couilles bleues peuvent-elles exploser ? Il allait vite s’en rendre compte s’il ne se soulageait pas vite. Et pourquoi ne s’occupait-il pas tout de suite de ce problème de rigidité ? Après tout, Brody était là, en train de tenir une Layla inerte qui venait de jouir grâce à ses mains, son sexe enserrant délicieusement ses doigts. Elle était mûre pour la baise. Consentante et si réceptive. Un homme avec moins de valeurs aurait pu profiter de l’instant présent pour lui offrir quelque chose de plus épais à saisir. Mais Brody avait déjà deux problèmes avec ça. Premièrement : lui procurer du plaisir afin d’obtenir des réponses était déjà un peu trop pour son radar à morale. Et la baiser pour se soulager dépassait les limites. Notamment depuis qu’il en était arrivé à la conclusion qu’elle était vraiment innocente dans cette histoire, ce qui voulait dire qu’il ne pouvait pas la traiter comme une ennemie. En d’autres mots, pas de séduction. Mais même si elle n’était pas une ennemie, cela ne voulait pas dire qu’elle lui faisait confiance, d’où ses méthodes peu honorables pour la faire parler – et jouir. Tenant encore son sexe palpitant dans sa main, Brody n’arrivait pas à s’écarter. Mais elle non plus ne semblait pas pressée. Elle gémit et bougea à nouveau ses hanches. Une invitation à continuer, ce qui aurait pu résoudre le problème numéro un, s’il n’y avait pas eu le problème numéro deux : une interruption inattendue. — C’est l’heure ! aboya Homme des Cavernes en ouvrant la porte de la salle de bains en grand. Un instinct protecteur – mélangé à une pointe de jalousie – poussa Brody à positionner Layla derrière lui, alors qu’il se tournait pour faire face au garde, qui se tenait de manière agressive dans l’encadrement de la porte. — Tu permets ? dit Brody. Madame et moi n’avons pas terminé. — Mais moi, je dis que si, dit l’homme au visage gras d’une voix traînante. — Pars tout de suite avant que tu ne me forces à te faire du mal. — Vas-y, montre-moi ce que t’as dans le ventre, petit cabot. Brody soupira. — Vous, les foutus métamorphes phoques et votre pois chiche à la place du cerveau. J’aurais dû me douter que tu n’écouterais pas. Il balança son poing et donna un grand coup contre la tempe de ce trou du cul. Voilà qui était satisfaisant, mais cela ne resta pas impuni. Il ressentit soudain un grésillement familier. Brody détendit ses muscles et laissa le courant prendre le contrôle. Cette fois-ci, il parviendrait à le maîtriser. Il… Poum. Il tomba au sol et se mit à tressauter, plus conscient que ce qu’il laissait paraître, observant la situation autour de lui à travers des yeux plissés, ce qui lui permit finalement d’observer les parties intimes de Layla d’un angle intéressant. Hum, miam. Pas maintenant, mais peut-être plus tard s’il en ressentait le besoin, il s’autoriserait un petit encas, pour la mission bien sûr. Layla ne faisait apparemment pas dans l’exhibitionnisme, car elle attrapa rapidement une serviette posée sur un étendoir et l’enroula autour de son corps. Puis, elle l’enjamba, les mains sur les hanches. — Arrêtez ça tout de suite ! — C’est pas toi qui donnes les ordres, répondit Jackass, son pouce appuyant sur le bouton de la télécommande. — Mais je suis celle qui est censée coucher avec lui et il ne me sera d’aucune utilité si vous faites de lui un légume. — Moi je coucherai avec toi si t’as désespérément besoin d’un homme. Homme des Cavernes s’était apparemment remis de son coup de poing, toujours aussi grossier que jamais. Il s’empara de son entre-jambes de façon obscène et Brody dut vraiment se retenir de plonger vers lui pour ne pas arracher la bite du gars de manière permanente. Alors comme ça il faisait des avances douteuses à sa femme ? Brody lui montrerait de quel bois il se chauffait. On va le tuer. Son loup était persuadé que c’était une bonne idée, mais la précipitation n’apportait jamais rien de bon. Brody retint sa première impulsion meurtrière. La situation n’était pas encore idéale pour une attaque ou une évasion. Il devait faire preuve de patience. Son loup fit la moue. Merde, même Brody fit la moue. Il avait vraiment envie de frapper à nouveau Homme des Cavernes. — Pourquoi les hommes pensent-ils toujours que c’est attirant ? Enfin, sérieusement, attraper votre entre-jambes ? En quoi est-ce sexy ? Que diriez- vous si je faisais la même chose ? dit Layla avec une moue de dégoût. Oh, s’il te plaît, fais-le. — Je peux faire la même chose sur toi, si tu veux, dit Homme des Cavernes avec un regard obscène. — Vous ne me toucherez pas. Jamais. Je vous méprise. Je vous hais tellement que je ne vous cracherais même pas dessus si vous étiez en feu et je ne coucherai certainement pas avec vous. — Je n’ai jamais dit que tu devais être consentante. Même si Brody faisait semblant d’être inconscient, il faillit ne pas laisser passer cette menace. Mais Layla était capable de se défendre toute seule. — Je vous mets au défi d’essayer. Allez. Voyons voir à quel point vous êtes courageux, car vous ne pouvez pas me faire croire que vous ne savez pas ce qui est arrivé au dernier type qui a cru pouvoir me forcer. Qui aurait cru que les testicules étaient de telles friandises pour les rats, hein ? Aïe. Homme des Cavernes ne fut pas le seul à grimacer. Brody se retint à peine de ne pas attraper sa propre paire exposée. Jackass tapa le Neandertal derrière la tête. — Laisse la fille tranquille. Ce n’est pas la seule qui coupera tes putains de couilles si tu touches à un seul cheveu de sa tête. — Dit le gars qui électrocute toujours cette tête de nœud. Le maître nous a demandé de garder le loup en vie. Et en bon état. Il ne sera pas très content s’il apprend que tu as foutu son plan en l’air. Le courant s’estompa, mais Brody fit toujours semblant d’être inconscient. Cela ne les empêcha pas de placer des menottes autour de ses poignets et de ceux de Layla, mais au moins, il parvint à entrevoir leur emplacement actuel. Il remarqua des portes et fit de son mieux pour filtrer les odeurs, triant celles qui étaient fraîches de celles plus anciennes pour essayer d’en estimer le nombre. Il retint quelques grimaces alors qu’ils le traînaient brutalement contre les marches en bois, tapant ses tibias. Ils paieraient pour ça quand il parviendrait à s’échapper. Et il s’échapperait. Un plan se formait dans sa tête. Un plan qu’il mettrait à exécution très bientôt. Une fois de retour dans leur cage – ah, que l’on est bien chez soi – les gardes leur envoyèrent une décharge pour qu’ils obtempèrent, les libérèrent de leurs menottes et s’en allèrent. Brody compta jusqu’à trois mille pour que personne ne devine que leur petit tour avec les électrochocs ne fonctionnait plus, avant de rouler sur le dos et de sourire à Layla. — Alors, quand est-ce que tu te jettes sur mes parties intimes ? CHAPITRE HUIT

— Han ! Tu faisais semblant ! Étrangement, Layla fut choquée qu’il ait fait le mort. Elle avait auparavant trouvé cela étrange qu’un homme grand et fort comme lui succombe si facilement aux décharges des colliers électriques. Mais elle avait supposé que cela affectait différemment les métamorphes ou qu’ils avaient paramétré un voltage plus élevé sur son collier. — Semblant ? Qui, moi ? Brody tenta de prendre un air innocent. Pff, comme si ça allait marcher. Elle doutait qu’il ait eu l’occasion d’user de ses grands yeux pleins d’innocence depuis des années, voire des décennies. — Tu peux arrêter le regard de chien battu. Ça ne marchera pas. — Et si je fais dépasser ma lèvre inférieure en battant des cils ? Elle ricana. — Ce n’est pas bien. Il sourit. — OK, très bien. Oui, j’ai fait le mort. Layla secoua la tête, balançant ses mèches de cheveux mouillés. — Ils vont finir par s’en rendre compte. As-tu oublié la caméra qui se trouvait juste là ? — Non, je n’ai pas oublié, mais j’ai remarqué en venant ici que l’objectif avait été recouvert de toile d’araignée pendant que nous prenions notre douche. Il avait remarqué ? Elle en avait effectivement donné mentalement l’ordre aux petits serviteurs à huit pattes avant qu’ils ne quittent la cellule. Étant donné l’intérêt que leur portait le maître, elle avait pensé qu’il valait mieux qu’il ne puisse pas les espionner du tout, car malgré elle, le loup l’intéressait et elle savait que leurs conversations, bien que conflictuelles en apparence, étaient stimulantes. Trop stimulantes. — Ils peuvent toujours voir un peu. — C’est pourquoi j’ai fait semblant d’être inconscient, même après qu’ils m’aient jeté ici. — Tu joues un jeu dangereux. — Le meilleur, chérie. Mais ne t’inquiète pas, on sera partis depuis bien longtemps avant que ces idiots ne s’en rendent compte. — Ah oui ? Et comment comptes-tu t’y prendre exactement ? — Es-tu prête à être impressionnée par mon excellente stratégie ? — Non, j’ai surtout hâte de pointer du doigt ce qui ne va pas. Il posa une main sur sa poitrine. — Tu me blesses. Mais ce n’est pas grave. Je survivrai. Voici le plan. Nous partirons demain matin quand ils apporteront le petit déjeuner. J’allais te dire de recouvrir la caméra de toile grâce à ta petite pote l’araignée durant la nuit, mais tu t’en es déjà chargée. Même si ça ne peut pas faire de mal d’y rajouter encore une couche. Quand les gardes viendront le matin et me donneront mon petit électrochoc matinal, je ferai semblant de gigoter dans tous les sens. Puis, quand ils ouvriront la cage, je me précipiterai sur eux et les assommerai. — Ne serait-il pas plus prudent de les tuer pour qu’ils ne nous pourchassent pas ensuite ? Un sourire étira ses lèvres. — Ah, une demoiselle qui pense comme moi. Si, ce serait plus prudent, mais je pensais que si je te révélais cette phase du plan tu allais réagir comme une fillette choquée. J’essayais de préserver ta sensibilité délicate. Oh, comme c’était touchant. Il avait utilisé le terme : « délicate » pour la décrire. Les mots qu’elle employa ensuite parurent alors d’autant plus ironiques. — Ils pourraient me blesser ou me tuer instantanément si on leur en donnait l’ordre. Alors, je dirais plutôt que tu devrais leur tordre le cou ou arracher leur cœur, enfin, que tu fasses ce que font les Lycans d’habitude. — Merci, enfin, je crois. — Ne me remercie pas encore parce que, même si tu les tues, je ne vois pas comment tu comptes t’échapper. Elle jouait l’avocat du diable. — Imaginons que tu arrives à sortir de cette cage et que tu ailles en haut, ce n’est pas pour autant que tu pourras sortir. Les portes déclencheront quand même les mécanismes qui activeront ton collier. Et même si ce n’était pas le cas, as-tu oublié le sniper sur le toit et les chiens ? Elle détailla chacun des obstacles et pourtant, le sourire de Brody ne bougea pas d’un iota. — Ne t’inquiète pas, chérie. J’ai un plan. Une certaine confiance, presque insolente, émanait de lui. — Ah oui ? Pourquoi ne suis-je pas rassurée alors ? murmura-t-elle. — Fais-moi confiance. — Pardon, mais je ne fais confiance à personne d’autre que moi-même. — Très bien. Mais je te garantis que ce plan fonctionnera. Certes, ce n’est pas idéal. J’aurais préféré que nous partions durant la nuit, cachés par l’obscurité, mais comme je ne peux pas crocheter la serrure… — Tu veux sortir de la cage la nuit ? Pour ça, je peux t’aider. Interrompu, il la regarda pendant un instant. — Comment ça, tu peux m’aider ? — Je peux m’occuper du verrou sur la porte de la cage. Il la fixa longuement avant de répondre : — Tu veux dire que depuis le début tu sais comment sortir d’ici et tu n’as jamais rien dit ? Elle haussa les épaules. — Je le gardais pour moi parce que, comme je te l’ai expliqué, une fois que j’aurais utilisé cette carte, des mesures seront prises pour que je ne puisse plus m’en servir lors de ma prochaine évasion. Et pourtant, voilà qu’elle en parlait à Brody. Était-elle stupide ? Ou simplement curieuse de voir si le fait d’avoir quelqu’un d’autre en charge de l’évasion pouvait faire la différence, pour une fois ? — Bon, tu as une clé cachée dans le coin, ou quelque chose comme ça ? — Disons qu’il n’existe pas de verrou que mes petits insectes ne puissent pas infiltrer et désamorcer. — C’est brillant ! L’émerveillement dans sa voix lui fit plus plaisir que cela n’aurait dû. — Ouais, c’est aussi quelque chose que je n’aime pas mettre en avant. Comme je l’ai dit, je préférais le garder secret jusqu’à ce que j’ai un vrai plan d’évasion. — Ce qui est désormais notre cas. — C’est ce que tu dis. — Et que je sais. Fais-moi confiance. Confiance ? Sa demande était simple et pourtant, Layla ne pouvait pas s’empêcher de douter. Aucune personne qu’elle avait connue dans le passé ne l’avait jamais vraiment aidée. Mais oh, comme elle avait envie d’y croire. Ce n’était pas en lui posant d’autres questions qu’il allait lui révéler la suite de son plan. Il n’arrêtait pas de lui répondre par : — Ne t’inquiète pas. Je m’en occupe. N’ayant jamais eu de partenaire avec qui s’échapper auparavant, elle préféra lui accorder le bénéfice du doute. Sauf pour une chose. — Tu ne cesses de dire que tu vas m’emmener avec toi, mais on dirait que tu as oublié quelque chose. Le fameux mouchard caché dans mon corps. — Je n’ai pas oublié. Je n’ai juste pas encore exposé cette partie de mon plan. Dès que les lumières s’éteindront, je l’enlèverai. — Pardon ? Premièrement, où se trouve-t-il, et deuxièmement, comment diable comptes-tu t’y prendre ? Avec tes dents ? L’imaginer mordre sa chair n’aurait pas dû la faire frissonner de plaisir comme ça. — Je l’ai repéré dans la douche et je l’ai senti quand nous nous sommes rapprochés. Rapprochés. Une description bien banale pour décrire le brasier qu’il avait provoqué en elle. — Donc tu l’as trouvé. Ça ne me dit toujours pas comment tu comptes l’enlever. — Ouais, ça tu risques de ne pas aimer. Elle plissa les yeux. — Dis-moi. — Je suis obligé ? Il tenta à nouveau de lui faire son regard de chien battu. Elle l’observa fixement. Il leva la main en signe de capitulation. — Pas la peine de me jeter ce regard noir. Pour l’extraire, je vais devoir transformer mes mains – sache que ce n’est pas facile. Seuls des métamorphes puissants et en parfait accord avec leur autre moitié peuvent le faire. — Oh, le loup mérite un bon nonosse. Tu veux que j’applaudisse tes prouesses ? — Aucun respect, marmonna-t-il. Elle tourna la tête et plaça une main près de son oreille. — T’entends ça ? — Quoi ? — On entend au loin un pipeau pour accompagner ton discours. Arrête de crâner. Une fois que tu auras transformé tes mains, que se passera-t-il ? Bien qu’elle craignait déjà connaître la réponse. — Mes griffes sont assez aiguisées pour trancher ta peau. Une petite entaille et hop, je ferai sortir le mouchard. Elle tordit ses lèvres en une grimace. — Ça a l’air douloureux. — Ouais. Ça le sera sûrement. Il ne chercha pas à arrondir les angles. — Ça risque de me faire saigner, non ? — Encore une fois, oui, c’est justement pour cela que nous devons attendre d’être dans le noir. Comme ça, personne ne me verra faire et nous pourrons laver la plaie et faire un bandage avec les draps. Elle n’aimait pas cette partie du plan, mais elle savait que Brody devait le faire pour que l’évasion cinquante-sept représente au moins une lueur d’espoir. — Ce plan a intérêt à marcher, maugréa-t-elle. — Il marchera. Et sinon, il y avait toujours la tentative cinquante-huit. Le reste de la journée se déroula de manière horriblement lente. Elle essaya de lire pendant qu’il faisait la sieste, mais ses yeux revenaient toujours vers lui. Au moins, il avait mis un pantalon. Mais cela n’effaçait pas le souvenir de ce qu’elle avait vu et ressenti. Elle avait envie de prétendre qu’il ne l’attirait pas du tout. Qu’il ne l’excitait pas. Mais tout chez lui la fascinait. Même quand il se disputait avec elle. L’heure du dîner arriva et fut suivie de son électrochoc habituel, ce qui la rendait obéissante – elle n’était pas capable de contrôler qui que ce soit, pas même une petite mouche quand le courant la traversait de toute part. Brody tomba au sol avec le même : « Poum » que d’habitude. Elle eut du mal à manger car, l’excitation, mélangée à la crainte, lui donnait la boule au ventre. Alors que son horloge interne insistait pour que les lumières soient bientôt éteintes, elle se prépara à aller dormir, réussissant tout juste à se faufiler sous les draps avant que l’obscurité ne tombe, aussi soudainement que d’habitude. Pendant un instant, le silence régna, et elle retint presque son souffle, ce qui était idiot. Personne ne pouvait l’entendre pour le moment, mis à part Brody. Brody, qui se trouvait quelque part dans le noir, et qui était probablement déjà en train de transformer ses mains en instruments chirurgicaux primitifs. Et s’il se rate et que je me vide de mon sang ? Et si le mouchard est trop profond ? Ça va faire mal. — Tu es prête, chérie ? Pas vraiment, mais elle essaierait. Cela ne servait à rien de s’évader tant que cette chose était en elle. Elle se coucha sur le ventre et sentit Brody s’agenouiller à ses côtés. Sa main se posa sur son dos, au milieu. Même avec sa robe qui faisait barrière entre eux, elle pouvait sentir la différence au niveau de la forme et de la texture. — Il va falloir que tu relèves ta robe. Alors qu’elle tirait sa robe jusqu’à ses épaules, rougissant légèrement dans l’obscurité alors qu’elle mettait son corps à nu, elle entendit le tissu se déchirer. — Tu es à nouveau allongée ? demanda-t-il. — Oui. — Je fais ça au toucher, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux, mais bon. — Tu sais ce que tu fais, hein ? Elle cherchait à être rassurée. — Je crois. Elle se raidit. Il rigola. — Relax. Ça va marcher. Tant que tu ne bronches pas. — Vas-y, fais-le, murmura-t-elle à travers ses dents serrées. La pointe d’une griffe glissa sur la partie supérieure de son omoplate gauche. Elle retint son souffle face à la pression de l’incision et de la douleur vive alors qu’il perforait sa peau. Un liquide chaud coula contre elle, sur le côté. Elle poussa un petit cri aigu avant d’enfoncer son visage dans l’oreiller, mordant la matière spongieuse. Sa griffe s’enfonça à l’intérieur, une sensation très désagréable. Alors qu’elle allait crier : « Stop ! », il arrêta. — Je l’ai. Haletant à cause de la douleur, il lui fallut un moment pour répondre : — C’est vrai ? Ouais, elle avait l’air surprise. Elle ne s’attendait pas vraiment à ce que cela fonctionne. — Bien sûr. Je vais le laisser dans ton lit au lieu de l’écraser. Ça nous permettra de gagner du temps. Une fois qu’il eut fini de jouer au docteur canin sur son dos, Brody utilisa des morceaux de tissus qu’il avait déchirés afin de panser la plaie, qui pulsait désormais calmement. Alors qu’il se mettait à l’œuvre, Layla garda son esprit occupé et envoya ses serviteurs aux multiples petites jambes au travail, couvrant un peu plus l’objectif de la caméra avec de la toile afin de leur faire gagner du temps demain matin au cas où personne ne remarque leur évasion nocturne. Elle ordonna également à son araignée d’actionner les mécanismes de verrouillage de la cage. Une fois ces choses accomplies, ils s’assirent et attendirent. Bien que les lumières soient éteintes pour eux, cela ne voulait pas dire que les habitants de la maison au-dessus d’eux étaient allés se coucher. Ils entendirent des bruits de pas. L’eau qui faisait vibrer les tuyaux. Ce ne fut que lorsque tous les signes d’activité cessèrent que Brody jugea que l’environnement était assez sécurisé – quel terme inapproprié – pour qu’ils s’aventurent hors de cette prison d’argent. Malgré ses doutes, Layla ne put ignorer cette petite lueur d’espoir qui lui intimait que cette évasion serait un succès. Imagine ce que ça serait d’être enfin libre. Elle n’y parvenait pas. Mais elle avait très envie de savoir ce que ça faisait. Brody n’avait pas besoin de poser un doigt sur ses lèvres pour indiquer à Layla qu’il fallait rester discret, elle le savait déjà. Alors qu’il la guidait à travers ce sous-sol totalement obscur, ses doigts puissants s’enroulèrent autour des siens, elle espérait qu’il ne la mène pas tout droit vers un mur et dut lui faire confiance. Elle parvint à monter les escaliers sans se casser la figure. Avec une main posée contre les blocs de pierre pour la guider, elle laissa ses pieds nus faire le reste, enjambant lentement chaque marche alors qu’ils arrivaient en haut où un rayon de lumière délimitait la porte. — Reste ici, murmura-t-il et elle s’arrêta, quelques marches en dessous de lui. Elle savait ce qui se trouvait derrière cette porte. Une cuisine. Pas très jolie, avec des armoires blanches et crasseuses, la plupart sans portes, un comptoir en bois abîmé et une table ronde et branlante avec quelques chaises, généralement occupées par deux gars qui jouaient aux cartes ou mangeaient. S’appuyant contre le mur de pierre, elle s’efforça d’écouter si quelqu’un les attendait de l’autre côté de la porte. Pas un bruit. Pas même le ronflement d’un garde endormi. C’est pourquoi, lorsque Brody ouvrit la porte, le grincement de la charnière parut très bruyant. Mais pas aussi bruyant que : — C’est quoi ce bor… Crack ! Coup de poing. Alors que Brody lui faisait signe, Layla grimpa le reste des escaliers et entra dans la pièce. Un corps gisait au sol, celui de Baguette qui regardait dans le vide. Un en moins. Vu le silence continu qui suivit, personne ne soupçonnait qu’il y avait un problème. Brody lui fit un clin d’œil en plaçant à nouveau son doigt sur ses lèvres pour lui intimer de ne pas faire de bruit. Pieds nus, il se dirigea vers la porte qui menait vers le reste de la maison. Il observa et renifla, tel un chien. Mais au moins, il n’urina pas sur le mur afin de prouver qu’il était passé par là. Elle mit son poing dans sa bouche de peur de laisser échapper un rire. Pendant qu’il vérifiait le couloir, elle observa la porte de la cuisine qui menait vers l’extérieur. Le nouveau verrou brillant était fermé et il fallait une clé pour le déverrouiller. Une précaution qui avait été prise depuis l’une de ses évasions. Elle appela sa petite araignée servante pour s’en charger, mais perdit le fil de ses pensées lorsque Brody l’agrippa par le bras et la tira dans la direction opposée. Que faisait-il ? Où allait-il ? La porte qui leur permettait de s’échapper se trouvait derrière eux. Il dut percevoir sa confusion, car il prit le temps de faire une pause et murmura, à un cheveu de son oreille : — Pas de portes à cause des colliers électriques. C’était une raison valable, mais quand même, pas de portes ? Il ne restait que les fenêtres, mais celles-ci étaient soit peintes ou clouées. Il lui serait impossible de s’échapper sans faire de vacarme. À croire qu’il valait mieux qu’elle commence à planifier l’évasion cinquante-huit. Bien qu’elle fût convaincue qu’ils échoueraient, elle le laissa la guider le long du couloir, marchant sur la pointe des pieds. Il ignora la porte qui menait à la salle de bain, la fenêtre qui s’y trouvait était bien trop petite pour l’un et l’autre. Mais où s’était-il arrêté ? Devant la seule porte fermée de la maison. Celle où se trouvait une paire de lits superposés pour que les gardes y dorment. Elle avait déjà vu cet endroit durant ses nombreux défilés lorsqu’elle allait rendre visite au maître. Vu l’heure qu’il était, il était impossible que la chambre ne soit pas occupée. Mais cela n’arrêta pas ce loup cinglé. Il ouvrit la porte en grand, laissant s’échapper le bruit de plusieurs hommes en train de dormir, leurs ronflements et respirations sifflantes révélant leur présence. Elle n’entra pas avec Brody, surtout après avoir vu le reflet du couteau qu’il tenait à la main, un couteau qu’il avait soit volé dans la cuisine, soit sur le corps qu’il avait laissé derrière lui. Il ne lui fallut que quelques instants pour faire sa petite affaire. Il lui fit ensuite signe de le rejoindre. Même son odorat peu développé reconnut la puanteur cuivrée du sang. Elle pinça les lèvres et ne laissa ni l’horreur de ses actes ni la pitié l’affecter. Ces hommes étaient abominables. Des criminels et des voyous. Ils avaient seulement eu ce qu’ils méritaient. Brody ferma la porte derrière elle et s’approcha de la fenêtre qui s’ouvrit de quelques centimètres, l’air frais de la nuit s’engouffra dans la pièce. Il avait apparemment trouvé la seule fenêtre de la maison qui fonctionnait encore. Un peu d’air frais, comme elle aimait ça. C’est ce qui faisait partie des bons moments quand le maître l’emmenait dehors pour qu’elle exécute ses ordres diaboliques. Brody se pencha près d’elle pour lui donner quelques instructions. — Quand nous serons dehors – il n’employa pas de si – tu t’occuperas des chiens qu’il garde dans les parages pendant que je m’occuperai des sentinelles. Elle acquiesça. Saisissant le châssis en bois, Brody le souleva. Le bois, déformé par le temps et la météo, ne bougea pas. Il poussa à nouveau, et cette fois-ci, la fenêtre s’ouvrit, le bruit retentit dans le silence de la nuit. Une voix provenant de l’extérieur s’exclama : — Bordel, c’était quoi ce bruit ? À sa grande surprise, Brody répondit, mais avec un accent qu’elle n’avait entendu que chez ses ravisseurs. — Cette putain de tête de gland a encore pété à l’intérieur. Je jure que je vais finir par le tuer, bordel. Apparemment, sa réponse fut satisfaisante, car un rire masculin éclata dehors. — C’est ce qui arrive quand tu manges des flageolets midi et soir. Brody s’accroupit au niveau de la fenêtre, observant l’obscurité dehors. Pendant ce temps, Layla ne pouvait pas s’empêcher d’être horrifiée par tous ces corps autour d’elle dans la pièce. Des cadavres. Des cadavres qu’elle pouvait toucher si elle tendait la main. Et si c’était eux qui tendaient la main ? Sa respiration s’accéléra et Brody le remarqua. — Calme-toi, chérie. Nous serons dehors d’ici une minute. Tu es prête à t’occuper de ces petits chiots et à les faire rouler sur le dos pour leur caresser le ventre ? Il avait raison. Elle avait une mission. S’occuper des chiens du maître. Elle hocha la tête, malgré l’obscurité, elle savait, de par son expérience avec les loups, qu’il la verrait dans le noir. Ils pouvaient voir bien mieux qu’elle en l’absence de lumière. — Allons-y alors. Brody passa en premier à travers l’espace rectangulaire et tomba au sol. En se penchant par-dessus la fenêtre, elle jeta un coup d’œil et aperçut brièvement ses mains qui étaient tendues pour l’attraper. Comme si elle avait besoin d’aide pour grimper. Elle avait escaladé des endroits bien plus étroits et élevés. Mais elle ne repoussa pas les mains masculines qui agrippèrent sa taille et l’amenèrent au sol. Il ne s’attarda pas. Il partit s’occuper de la suite de son plan, dont elle n’avait aucune idée, mais elle devait admettre que jusqu’à présent, il se débrouillait plutôt bien. Mais je suis déjà allée plus loin que ça avant et pourtant j’ai quand même échoué. Mais cette fois-ci, elle n’était pas seule. Peut-être que cette fois ce serait différent. Une fois dehors, elle n’eut aucun mal à développer ses sens et repérer l’esprit des chiens qui dormaient, entassés sous le porche. Ils connaissaient déjà son emprise mentale sur eux, c’est pourquoi ils ne luttèrent pas lorsqu’elle apaisa leur envie d’aboyer contre ce loup qu’ils sentaient empiéter sur leur territoire. Elle calma également leur faim et cette sensation d’eau à la bouche que leur procurait l’odeur du sang. Dormez. Ce n’est qu’un rêve. Il n’y a rien à voir. Aucune raison d’aboyer. Dommage qu’elle ne puisse pas s’hypnotiser elle-même. Elle poussa un petit cri aigu lorsqu’un museau poilu donna un coup contre sa main. Brody venait de se transformer en loup. Le tas poilu de chiens entassés poussa un grognement sourd, l’instinct primaire qui les poussait à se protéger d’un animal placé plus haut qu’eux dans la chaîne alimentaire lui fit presque perdre son emprise sur eux. Elle apaisa ce sentiment de peur que ressentaient les huskies. Le loup s’éloigna, disparaissant dans l’obscurité profonde. Elle se demanda où était allé Brody et ce qu’il comptait faire. C’était en effet un aspect étrange de son pouvoir, alors qu’elle pouvait virtuellement voir les animaux et quelques insectes, les humains et les métamorphes lui étaient presque invisibles, à moins qu’elle ne les observe à travers les yeux des animaux qu’elle contrôlait ou les siens, cette pauvre vision humaine basique. Elle se retint de crier lorsque Brody lui donna à nouveau un petit coup de museau, lui intimant cette fois-ci de s’éloigner rapidement de la maison, où il ne semblait pour l’instant qu’aucune alerte n’ait été donnée. Cela semblait presque trop facile. Mais étant donné que Brody avait tendance à ne laisser personne en vie derrière lui, il ne restait plus grand monde pour signaler leur évasion, ce qui n’était donc pas si surprenant. Mais quand même, elle était mal à l’aise, même lorsqu’elle enroula ses doigts dans la fourrure épaisse qui recouvrait son cou et agrippa le collier qu’il portait toujours. Il lui fit contourner la maison jusqu’au garage. Il ne pensait tout de même pas à voler un camion, si ? Rien que le bruit signalerait leur fuite à des kilomètres. Elle trébucha lorsqu’il s’arrêta. La fourrure sur son dos se hérissa et effleura sa main. Qu’avait-il entendu ? S’efforçant d’écouter, elle s’avoua vite vaincue, car pas un bruit ne vint troubler le silence. Il s’écarta d’elle et s’en alla dans l’obscurité, la laissant seule, frissonnante et s’étreignant à cause du froid. Qu’est-ce que je fais ? Je devrais déjà être en train de courir. Sans Brody ? Pourquoi pas ? Certes, il était parvenu à les amener jusqu’ici – avec mon aide – mais en fin de compte, peut-être avait-il un objectif différent du sien. Pour autant qu’elle sache, il prévoyait de la ramener à Kodiak Point, où elle finirait peut-être à nouveau prisonnière. Jamais. J’ai une meilleure idée. Pendant qu’il est occupé, je ferais mieux de m’enfuir de mon côté. Perdrait-il du temps à la traquer ? Ou bien essaierait-il de mettre autant de distance que possible entre lui et le maître ? Brody m’a demandé de lui faire confiance. Et si elle décidait de lui faire confiance alors qu’il mentait ? Avant même qu’elle n’essaie de s’auto convaincre, ses pieds se mirent en mouvement. Elle fit appel à ses sens et se focalisa sur quelques créatures nocturnes, volant au-dessus de sa tête, pour que celles-ci l’avertissent avec leurs yeux. Les chauves-souris, bien qu’aveugles, possédaient d’incroyables radars lorsqu’il s’agissait de repérer d’autres créatures au sang chaud. Alors que celles-ci volaient devant elle, elle leur demanda de repérer d’éventuels pièges, c’est-à-dire des personnes armées de pistolets. Mais Brody semblait plutôt minutieux. Elle faillit trébucher sur un cadavre durant son vol, puis, plus rien. Rien que des branches, l’obscurité et un cœur qui martelait la poitrine. Elle n’entendit aucun cri d’avertissement derrière elle. Rien d’anormal ne sembla perturber les sens des chauves-souris qu’elle contrôlait. Il n’y avait qu’elle, seule dans la forêt, fuyant. Sans mouchard ! Oh, mon Dieu. Je m’évade. Ça y est. C’est… Un bruit aigu rompit le silence. Un coup de feu. Puis deux. Puis des cris. Apparemment, Brody s’était fait remarquer. Merde. Elle accéléra la cadence, ignorant le poing de côté qu’elle ressentait alors qu’elle courait, ses pieds nus protestant contre les cailloux et les brindilles qui entaillaient ses talons. Les bleus et les égratignures cicatriseraient. Il fallait qu’elle continue d’avancer. Qu’elle aille aussi loin que possible. Il faut aussi que j’efface mes traces. Et pour ça, elle avait besoin d’eau. Même un ruisseau suffirait à masquer son odeur. Et vite, car elle entendait déjà le bruit d’une moto. Enfin, de plusieurs motos, et celles-ci étaient après elle. Je ne peux pas les laisser m’attraper. Elle formula mentalement une mission. Il n’y avait pas grand-chose dans les parages, le maître avait épuisé toute la faune de la zone. Mais ces serviteurs ailés décollèrent, avec ironie, comme les chauves-souris de l’enfer. CHAPITRE NEUF

Lorsque Brody entra dans le garage, qui était d’ailleurs mieux entretenu que la maison, il y trouva plus d’hommes que prévu. Ces derniers étaient également plus vigilants. Le grincement de la porte lorsque Brody l’ouvra ne passa pas inaperçu, mais heureusement, le gars qui tira un coup de feu ne savait pas viser. La balle siffla près de son oreille au lieu de lui causer des problèmes en touchant un organe vital. Une balle manquée. Mais il n’était pas encore tiré d’affaire. Il suffisait d’un coup de chance pour abattre un loup. Il chargea, montrant les crocs, le poil hérissé et prêt à faire des dégâts. Il se précipita sur le tireur qui avait surgi hors du lit de sa camionnette avec un fusil chargé. Boum ! Quelques morceaux de plomb l’entaillèrent sur le côté – et abimèrent ma splendide fourrure ! – mais la plupart le manquèrent et il sauta sur le lit qui se trouvait dans le camion. Il ne lui fallut qu’une bouchée pour neutraliser un type qu’il n’avait encore jamais vu et pour l’empêcher de tirer à nouveau. Le second type s’avéra plus difficile à gérer étant donné qu’il dormait dans les combles, au-dessus. Les loups et les échelles ne faisaient pas bon ménage. Il allait devoir escalader, car ce petit con ne comptait pas descendre. N’ayant pas le choix, Brody plongea derrière un passage de roue et reprit forme humaine. Ce qui faillit lui coûter cher, car une balle effleura le haut de son épaule. Ça cicatriserait. Par contre, pour ce qui était du trou qu’il creusa sur le front du tireur lorsqu’il récupéra le pistolet de son pote mort, celui-ci ne cicatriserait pas. Deux de moins, pas mal, sauf que le troisième, un phoque, un gros dégonflé, s’enfuit en appelant à l’aide. Pff, quel lâche. Il était temps de bouger son cul avant que Brody ne découvre le nombre exact d’hommes errant dans le secteur. Il en avait déjà neutralisé quelques- uns, mais d’après son odorat, il y en avait encore bien plus qui entraient et sortaient de la zone. Des fauteurs de troubles et des parias de clans qui se regroupaient sous les ordres du leader à capuche, déterminés à semer le chaos. Il faut que je dise à Reid ce que je sais. Et qu’il emmène Layla loin d’ici avant qu’elle ne soit forcée de causer encore plus de dégâts à Kodiak Point. Ils n’arriveraient pas à aller assez loin en étant à pied. La vitesse était essentielle. Il analysa rapidement ses options, conscient des cris lointains et des portes qui claquaient. Il n’avait que quelques minutes devant lui avant d’avoir à nouveau de la compagnie. La camionnette était hors service à cause de l’imbécile des combles qui avait crevé le pneu. Il ne restait donc qu’un 4x4, une berline cabossée à quatre portes ainsi qu’une paire de motos tout terrain. Étant donné qu’il préférait rester en dehors des routes principales, il tira sur les pneus des véhicules à quatre roues, les rendant inutilisables pour le moment. Ils auraient pu nous permettre de voyager confortablement, le réprimanda son loup. Au diable le confort. Brody avait besoin de flexibilité pour faire du hors- piste, ce qu’il ne pouvait obtenir qu’avec un deux roues. Son loup ricana en l’entendant se justifier. OK, tu m’as eu, dit-il à son ami à fourrure. Ce n’était pas seulement une question de flexibilité. Brody adorait faire de la moto tout terrain. S’élancer d’une colline, cogner le sol d’un coup sec, l’excitation que lui procurait le fait de zigzaguer et de plonger ? Ce n’était que des bons moments. Des moments qui lui provoquaient plus que quelques égratignures, des bleus et des os brisés. Lorsqu’il rentrait chez lui après ces incidents, sa mère secouait la tête d’un air réprobateur et disait : « Tss. Les garçons et leurs jouets. » Enfin, dans cette situation on ne parlait pas vraiment de jouet, mais plutôt d’outil – un outil amusant qui avait besoin d’essence et qui faisait : « Vrooum. » Il gonfla de fierté devant tant de virilité. Comme il ne connaissait pas le terrain, deux roues robustes avec une bonne suspension feraient totalement l’affaire. Ce qui voulait aussi dire que Layla allait devoir s’accrocher fermement. Alors qu’il avançait à grands pas, nu comme au jour de sa naissance, il regretta de ne pas avoir pris quelques vêtements. Rouler cul nu sur une moto ne risquait pas d’être très confortable. Les sièges en vinyle irritaient facilement. Ah. Et il ne préférait pas se rappeler pourquoi il savait cela, bien que cela lui avait servi de leçon. Il ne toucherait plus jamais à la liqueur d’oncle Jay. Grand Dieu non, pas quand son cul lui faisait mal à chaque fois qu’il y pensait. Brody s’empara de la première moto et pria pour qu’elle ait de l’essence. Elle semblait assez légère, mais celle derrière elle émit un bruit de liquide satisfaisant. Cela ferait l’affaire, car il n’avait plus beaucoup de temps. Il devait emmener Layla loin d’ici car le seul ennemi restant dans la maison venait de sortir. En parlant de sa demoiselle qui avait servi d’appât, quelle était la probabilité que Layla l’attende encore ? Il savait qu’il avait pris le risque qu’elle s’échappe pendant qu’il s’occupait de leur mode de transport, mais au fond de lui, il espérait qu’elle ne le ferait pas. Qu’elle lui ferait confiance. Il n’aurait pas pu dire pourquoi cela lui semblait si important. Et si elle s’est enfuie ? Son loup dansa presque d’excitation. Traque-la. Fuis si tu en as envie, Appât. Cache-toi. Nous adorons chercher. Ahouu. Bien sûr, la chasse n’était amusante que lorsqu’il était seul à chasser. C’est pourquoi il allait devoir s’occuper de quelques mécréants, pour que ceux-ci lui lâchent la queue. À peine Brody eut-il sorti la moto du garage que la première balle toucha le sol à sa gauche. — Raté, cria-t-il, souriant à sa provocation. Il n’y avait rien de mieux que d’agacer l’ennemi pour le pousser à tirer sauvagement. Il aimait aussi jouer avec le destin – et danser avec la mort. L’adrénaline coulait dans ses veines et lui donnait l’impression d’être invincible. Mais le fait de savoir que cette euphorie était factice ne l’empêcha pas de rajouter de l’huile sur le feu pour autant et il hurla : — Venez me chercher bande de lâches ! Une autre balle toucha le sol près de son pied et une autre siffla au-dessus de sa tête. Il était temps de partir. Brody hurla comme un loup lorsqu’il alluma le moteur de la moto. Laissant derrière lui une traînée de poussière, il s’en alla, essayant de repérer la robe blanche de Layla dans cette obscurité qui enveloppait la zone autour de la maison délabrée et du garage. Rien. Les aboiements des chiens, alors que ceux-ci se réveillaient en plein chaos, l’amenèrent à penser deux choses. La première : soit, Layla était déjà de retour en prison et ne pouvait pas les contrôler, ou la deuxième : elle s’était barrée. Il était prêt à parier sur la deuxième. Comme il entendait des moteurs tourner à plein régime – d’autres motos planquées quelque part sur la propriété prêtes à partir à la chasse – il fallait qu’il choisisse une direction à prendre. Il renifla autour de lui pour voir quelles étaient ses options et établit deux plans possibles. A : il pouvait partir sur la trace de cette faible odeur de cannelle et de cette femme dont il ne savait pas quoi penser, ou, B : il pouvait aller dans la direction opposée et espérer qu’en divisant l’ennemi il améliorerait ses chances de trouver un téléphone ou de l’aide. Reid avait vraiment besoin d’en savoir plus sur la situation. La fille ne ferait que le ralentir. Il pouvait toujours revenir plus tard pour la sauver. Et la ramener avec nous à la maison. Pour contenir son pouvoir. Pour la garder. Pour qu’elle ne puisse pas être utilisée contre eux. Mais elle peut totalement se servir de moi. Nue. En imaginant Layla nue, il repensa au plan tordu du type à la cagoule. Il voulait qu’elle tombe enceinte. Par tous les moyens. Brody ne pouvait que supposer qu’il espérait reproduire son pouvoir, pour créer un outil plus facile à manier. Répugnant. Inacceptable. Et s’il n’arrivait pas à temps pour l’en empêcher ? Il décida de suivre l’odeur de cannelle. Seul, nu et sans même un fichu pistolet ou un pantalon, Brody partit à la recherche de la femme à l’odeur exotique. Je viens te sauver, chérie. Mais lorsqu’il la trouva, elle ne sembla pas très contente. CHAPITRE DIX

Foutu loup métamorphe et son fichu odorat développé. Layla aurait dû se douter qu’il la traquerait, même s’il conduisait une moto bruyante qui crachait de la fumée. Elle avait choisi de ne pas laisser ses serviteurs volants l’attaquer, bien qu’ils ne fassent pas grand-chose contre ceux qui les suivaient. Avec leurs petits corps contre de grandes mains qui les balayaient d’un revers et ceux qui étaient à pied et qui n’avaient pas peur de tirer de la chevrotine, sa mini armée ne fit pas long feu. Les ordres mentaux ne pouvaient rien contre l’instinct de survie. Les dernières chauves-souris survivantes partirent chercher un abri et des proies plus faciles. Mince. Une fois celles-ci parties, elle n’eut plus grand-chose à portée de main pour attaquer Brody lorsque celui-ci s’arrêta en dérapant à côté d’elle. Nu. Sur une moto. Avait-elle précisé qu’il était magnifiquement nu ? La chaleur qui se diffusa dans son corps repoussa le froid et l’humidité rampante des bois. — Monte. On va faire un tour. Hum. Monter. Brody. Nu. Vu le langage cru auquel elle avait été exposée ces dernières années, était-ce surprenant de constater que sa première pensée n’impliquait pas la moto ? Il répéta à nouveau. — Je ne sais pas pourquoi tu es dans la lune comme ça, mais réveille-toi chérie. Il faut qu’on y aille, alors pose tes jolies fesses sur le siège arrière de la moto. L’ennemi n’est pas loin derrière moi. Il faut qu’on se bouge. Il veut que je m’assoie où ? Elle observa le tout petit espace sur le siège qui se trouvait derrière lui. Elle allait devoir enrouler ses membres autour de son torse nu et presser son entre-jambes contre ses fesses fermes. Ses bras serrés contre sa poitrine musclée. Tellement proche. Ce n’était pas une bonne idée. — Non. — C’est pas le moment de discuter. Monte. — Et si, à la place, tu les attirais par là-bas pendant que je vais par là ? dit-elle en pointant du doigt des directions opposées. — Ils sont à nos trousses Appât. Ou est-ce un plan pour te faire capturer à nouveau parce que tu ne veux pas revenir avec moi à Kodiak Point ? — Et devoir faire face à ton alpha. — Probablement. — Et peut-être même être emprisonnée ou pire. Il ne mentit pas, ce qui était tout à son honneur. — Je doute qu’on en arrive jusque-là une fois qu’il aura entendu ton histoire. — Ça ne suffit pas à me convaincre. — Pourquoi est-ce que tu ne me facilites jamais la tâche ? grogna-t-il. Effectivement, pourquoi ? Layla n’aurait pas pu l’expliquer, mais elle savait aussi que le plan de Brody n’était pas vraiment dans son intérêt. Échanger une prison contre une autre ? Non merci. — Fais avec. Et une fois ces paroles prononcées, elle s’enfuit en courant, choisissant le terrain le plus difficile pour qu’il ait du mal à la suivre, se frayant un chemin à travers les sous-bois les plus denses. Le problème, c’est que son sprint laissa un chemin dégagé. Brody la suivit, criant de temps en temps. — Tu te fatigues pour rien. Non, pas pour rien. Pour sa liberté. — Ils vont finir par t’attraper. Pas sans une bataille épique. Elle commençait à ressentir les petites étincelles qui lui indiquaient une conscience animale dans les alentours. Peut- être y en avait-il assez pour empêcher ses assaillants de la choper. Et en parlant d’assaillants, incluait-elle Brody dans cette catégorie ? Il semblait déterminé à rester avec elle. Il fit une embardée, se rapprochant d’elle. — Monte. — Non. — Je te donnerai la fessée plus tard à cause de ton attitude. — Je ferai ramper des araignées dans ton nez. Elle pouvait faire bien pire, mais bizarrement, elle ne pouvait pas se résoudre à le menacer avec ça. — C’est pas rassurant de savoir ça, c’est même putain de dérangeant. — Alors, laisse-moi tranquille. — Bon sang, chérie. J’essaie de te sauver, là. Pourquoi… La fin de sa phrase fut inaudible lorsque les premiers assaillants les rattrapèrent finalement, le grondement de leurs moteurs noyant le bruit. Toujours en train de courir, Layla ignora Brody et se focalisa sur sa propre survie, utilisant ses sens pour que la faune sauvage qu’elle pouvait mentalement atteindre lui fasse un compte rendu de la situation autour d’elle. Elle aurait dû plus se concentrer sur le sol. Son pied heurta une racine en relief et vlan, elle rencontra la surface terreuse, et très peu indulgente, de la forêt. Ce n’était pas vraiment un bonjour chaleureux. Avant même qu’elle n’ait le temps de se relever, une moto la dépassa, mais elle n’alla pas bien loin avant de faire demi-tour. Malgré la pénombre, elle put affirmer en voyant le regard sournois du conducteur et le fait qu’il portait des vêtements, qu’elle n’était pas face à Brody. Ça ne sentait pas bon ! Elle se releva immédiatement et lança mentalement un appel à l’aide, mais en vain. Ici, la faune sauvage était bien trop restreinte et timide, même face à un ordre aussi effréné. Ils couinèrent dans leurs tanières, frissonnèrent de peur et elle recula face à ce type au regard mauvais, qui venait de jeter sa moto tout terrain pour venir la chercher à pied. Mais il ne leva jamais la main sur elle. Concentrée sur ce qui se passait devant elle, elle ne remarqua pas qu’une autre moto s’était approchée. Un coup partit sur le côté et elle tressaillit alors que le conducteur – nu et fascinant sous la faible lueur des étoiles – plaqua son agresseur en chantonnant : — Ya putain de houuu ! Le cowboy nu sur son cheval de métal atterrit sur le sol, toujours miraculeusement assis sur sa moto et pivota. Cette fois-ci, lorsque Brody hurla : — Monte, putain ! Elle obéit. Il y avait la fierté et la détermination, puis il y avait la stupidité. Je ne veux pas être cette fille dans les livres qui ne sait pas faire preuve de bon sens. La survie était plus importante. Chevaucher cette moto était aussi gênant et inconfortable que prévu. Ses fesses tenaient à peine sur le siège, ce qui l’obligea à serrer ses cuisses autour de Brody, enrouler ses bras autour de sa poitrine et poser sa joue contre la peau nue de son épaule. — Accroche-toi bien, chérie. C’est le cas, et j’aime un peu trop ça. Ou du moins, ce fut le cas quelques secondes, puis un frisson plein de terreur la parcourut lorsque Brody s’élança dans l’obscurité, la moto forçant à cause du poids de son corps qui venait d’être rajouté, mais les emmenant toujours plus vite et plus loin qu’elle n’aurait pu le faire à pied. Peut-être qu’ils pouvaient s’échapper. Il y avait juste un problème, à savoir que Brody s’éloignait de la ville la plus proche, au lieu d’aller dans sa direction. — Tu vas dans la mauvaise direction, cria-t-elle, son affirmation à peine audible par-dessus le bruit du moteur et le vent qui fouettait ses paroles dès qu’elle parlait. — Non. Ma maison est vers l’ouest. — Mais les ravitaillements sont au sud-est. — Nous rentrons à la maison. Elle préféra mordre sa langue pour le moment. Se disputer sur une moto n’était pas très malin, d’autant plus que leurs poursuivants étaient toujours déterminés. Un quad débarqua en dérapant, sortant des buissons, avec un conducteur qui se la jouait Daredevil et un passager qui portait un fusil de chasse. — Merde ! jura Brody en les faisant pencher sur le côté, se servant de son pied pour garder l’équilibre alors qu’ils pivotaient, loin de l’arme. Boum. Un coup de feu partit et elle ferma les yeux, attendant la douleur aiguë. Raté. Mais leurs assaillants semblaient déterminés à réessayer. Brody zigzagua pendant qu’elle tenait bon, s’accrochant à la vie, avec sa vitesse folle et ses cabrioles elle n’avait vraiment pas envie de tomber, surtout sur un terrain aussi rocailleux. Un terrain qui était contre eux. Soudain, le sol s’inclina fortement, trop fortement pour la moto. Brody s’arrêta et pivota, la faisant presque tomber. Il démarra à nouveau la moto en scrutant la forêt sombre derrière eux, le bourdonnement des autres moteurs grondait, ce qui voulait dire qu’ils n’étaient pas loin. — Qu’est-ce que tu attends ? — Mon ouverture. Trois véhicules émergèrent de derrière les arbres, les yeux menaçants des conducteurs brillaient, tachetés et colorés. Du moins, c’est ce qu’elle voyait. En temps normal, elle n’avait pas peur des animaux sauvages. Mais ces métamorphes féroces, régis par aucune loi, n’obéissaient pas à ses ordres et le maître n’était pas là pour tempérer leur nature violente. Feraient-ils attention à elle lorsqu’ils la traîneraient pour la ramener jusqu’à son châtiment ? Si on y retourne. Jusqu’à présent, Brody s’était montré plein de ressources. Peut-être qu’il parviendrait à nouveau à s’échapper. Une fois de plus, il démarra la moto. — Accroche-toi bien, il va falloir être rapide. Puis, la chance leur fit à nouveau défaut, montrant son côté connasse. Le moteur crachota. S’étouffa. Puis, mourut. Même elle grimaça lorsque l’un de leurs assaillants se mit à rire et dit : — Pour une fois, je suis content que Tommy soit une grosse feignasse qui ne pense jamais à faire le plein. Tommy était désormais sur sa liste noire. Car à cause de lui, ils n’avaient plus de véhicule. — Descendez lentement de la moto et levez les mains en l’air, leur ordonna le gars sur le quad. Son pote à l’arrière visa son fusil de chasse dans leur direction. Inutile de lutter contre l’inévitable. Layla glissa de la moto et eut immédiatement un pincement au cœur lorsqu’elle ne sentit plus la chaleur corporelle de Brody contre elle. Elle se tint à côté de lui, les mains levées en signe de capitulation. Brody, par contre, ne bougea pas. — J’ai dit, descends de la moto. Le gars brandit une télécommande qui leur était familière et appuya sur le bouton. Rien ne se produisit. Le type frappa la télécommande. Il la cogna contre son volant, jura plusieurs fois, mais la petite boîte ne voulait pas fonctionner. — Ce con de Tommy n’a pas changé la batterie, murmura-t-il, dégoûté. Tommy fut enlevé de sa liste noire. — Ah, ton petit jouet ne marche plus ? se moqua Brody, ne faisant preuve d’aucune prudence. Ce qui l’impressionna un peu, surtout vu la situation. Elle se posa également des questions sur son état mental, car qui jouait à ça face à une situation si risquée ? — Ne me fais pas chier, petit loup. Descends de la moto et mets tes mains en l’air. — Vas-y, force-moi, dit-il, d’un air plein de défi. Elle regarda le ciel tout en tapotant du pied, attendant que ce combat de coqs chargés de testostérones prenne fin. — Le maître a demandé qu’on te ramène. Il n’a jamais dit qu’on ne pouvait pas te faire de mal, clébard. — Une fois de plus, j’aimerais bien te voir essayer. Mais comme tu sembles plutôt vouloir discuter, j’ai quelque chose à dire. Cinq. — Hein ? Qu’est-ce que ça veut dire, bordel ? — Quatre. — Arrête de faire le malin. — Trois. — Tirez-lui dessus. Le gars avec le fusil de chasse visa puis jura en réalisant qu’il n’avait pas amorcé son arme. Les autres types sur les motos laissèrent tomber leurs véhicules et tâtonnèrent pour trouver leurs armes. Brody sourit. — Deux. — Qu’est-ce que vous attendez ? Tirez… Elle n’entendit jamais le : « Un ». À la place, la moto tout terrain que chevauchait Brody fut renversée à côté d’elle alors que Brody en bondissait, se transformant en loup puissant, un loup des bois à la fourrure striée de noir, blanc et argenté. Une grâce sauvage en mouvement qui élimina le type qui hurlait avant même que le gars au fusil de chasse ne parvienne à recharger son arme. Les autres types n’étaient pas aussi mal préparés. Ils parvinrent à sortir leurs armes et elle aperçut des éclairs de lumière alors que ses oreilles sifflaient à cause des bruits d’explosion pendant qu’ils tiraient sur ce loup déterminé à les neutraliser. Pourtant, ils ne faisaient que rater Brody alors que celui-ci bougeait de façon irrégulière, ce qui lui permettait d’éviter les balles à chaque fois. Malheureusement, ils étaient plus nombreux et d’après les cris qui se rapprochaient, ils seraient bientôt beaucoup. Brody ne semblait pas apprécier la tournure que prenaient les choses. Il recula vers elle puis monta sur le talus juste derrière. Elle tourna la tête pour le regarder et le vit pencher sa tête poilue vers elle, comme pour dire : « Tu viens ? ». Oh et puis merde. Pourquoi pas ? Autant faire en sorte que l’évasion cinquante-sept soit mémorable. Ils étaient arrivés jusqu’ici, pourquoi ne pas faire quelques mètres de plus ? La surface dure des pierres érafla ses pieds, mais comme d’habitude elle n’avait le droit de porter des chaussures que lorsque le temps était mauvais, elle le remarqua à peine. Cependant, elle envia les coussinets sous les pattes de Brody qui lui permettaient de bondir et d’escalader sans effort cette pente plus raide que prévu. Ce n’était pas vraiment l’évasion la plus confortable. Et cela n’aidait pas que quelques balles perdues heurtent parfois les surfaces rocheuses, faisant voler des éclats de pierre. Aïe. Les tirs occasionnels ne durèrent pas longtemps lorsque quelqu’un cria : — Espèce d’idiot, putain ! Arrête de tirer. Si on tue la fille par accident le maître va nous arracher les intestins et nous les fera manger, comme il l’a fait avec ce pauvre Jory. Pauvre Jory, en effet. Il avait blessé Layla avec une balle durant l’évasion cinquante-trois. Et celle-ci était aussi passée près d’une artère. Ses cris avaient résonné à des kilomètres quand le maître s’était servi de lui comme exemple, pour le punir de son inaptitude. La fusillade s’arrêta, bien qu’inquiète et distraite par ceux qui escaladaient en dessous d’eux, Layla fut rapide, même si elle était désormais penchée en avant et qu’elle devait se servir de ses doigts pour s’agripper et se relever. Jusqu’à ce que deux mains fortes lui attrapent les poignets et la hissent d’un coup sec. — Hiii ! Elle ne put retenir un cri effrayé lorsque soudain, un Brody, humain à nouveau, la tira en haut de la montagne rocheuse. OK, c’était plutôt une colline, mais vu ses halètements et ses muscles douloureux, cela lui paraissait bien plus élevé. Il ne perdit pas de temps à lui demander comment elle allait – tu parles d’un sauveteur. Il ne dit rien alors qu’il la tirait loin du bord, mais pas aussi loin que ce qu’elle aurait souhaité, probablement à cause de la falaise qui se trouvait de l’autre côté. Coincés entre une chute suicidaire ou les sbires d’un maître enragé. L’évasion cinquante-sept avait vraiment tout pour être mémorable. — Tu sais nager ? demanda-t-il alors qu’elle tentait de s’éloigner du talus escarpé. — Non. Et je ne crois pas que ce soit le moment d’apprendre. — Nous n’avons pas vraiment le choix. Soit tu sautes, soit tu retournes en prison. — Au moins en prison je ne peux pas me noyer. — Je ne te laisserai pas couler. — La réponse est toujours non, répondit-elle, sans même chercher à stopper ce frisson qui la parcourut lorsqu’elle se remémora ce qui s’était passé la dernière fois qu’elle avait fini dans l’eau. Elle se souvenait parfaitement de la panique et de la peur qu’elle avait ressenties alors que ses poumons brûlaient à cause du manque d’oxygène juste avant que sa tête ne remonte à la surface. Elle avait eu de la chance cette fois-là. À en juger par cette eau fluide et menaçante qui coulait en dessous, elle doutait que ce cours d’eau fût aussi accueillant que ce lac peu profond dans lequel elle était tombée durant l’évasion vingt et un. — Je vais les retarder pendant que tu t’échappes, proposa-t-elle, se retournant et levant les mains en l’air en signe de capitulation. — Même pas en rêve, putain. Ce fut le seul avertissement qu’il lui donna en grognant avant d’enrouler un bras autour de sa taille et de plonger vers le précipice. Le vent siffla lorsqu’ils tombèrent. Splash ! Ils sombrèrent dans la rivière froide et elle ne put s’empêcher de crier. Mauvaise idée. J’ai de l’eau dans les yeux. Dans ma bouche. Au secours ! Elle ne put s’empêcher de paniquer alors qu’elle coulait. Elle ne coula pas profondément. Des doigts agrippèrent ses cheveux et tirèrent douloureusement sa tête à l’air libre, où elle toussa et hoqueta. Et se débattit. — Calme-toi, chérie, je te tiens. Je ne te laisserai pas te noyer. Brody tenta de la calmer. Et il tint également parole. Elle ne coula pas et ne se noya pas, mais cela ne voulait pas dire qu’elle lui pardonnait lorsqu’il ramena son corps trempé, épuisé – et couleur prune – jusqu’au rivage. CHAPITRE ONZE

La mouche se posa à nouveau sur son nez, un véritable parasite. Brody la balaya d’un revers de la main et elle s’en alla en bourdonnant d’indignation, pour revenir à nouveau. Elle se posa pile sur le bout de son nez et il loucha presque en la regardant fixement. Maudit parasite ! Un son provint de sa gauche. Il jeta un coup œil vers Layla. En effet, elle était en train de ricaner. Non seulement il était nu, traversant les bois, les pieds endoloris par les mauvais traitements qu’ils avaient subis en chevauchant la moto, mais en plus de tout ça, il fallait qu’elle se moque de lui ? Il fronça les sourcils lorsque la mouche se posa à nouveau, avec une précision infaillible, sur son nez, le narguant. Ce n’était pas normal. — C’est toi qui fais ça ? demanda-t-il. Un sourire faussement effarouché étira ses lèvres. — Peut-être. Ce qui voulait dire oui. — Arrête. — Et si je n’en ai pas envie ? — Cesse ça immédiatement. Elle tapota son menton comme si elle réfléchissait. Ses boucles brunes tressautèrent alors qu’elle secouait la tête. — Non. — Comment ça, non ? On n’est pas en démocratie. Je suis responsable de cette évasion. Tu vas m’obéir. Ouais, bien dit. Le problème, c’était qu’elle ne semblait pas vouloir l’écouter. Aucun respect. — Premièrement, tu n’aurais jamais pu t’évader sans mon aide et deuxièmement… Une langue rose glissa entre ces lèvres qu’il avait embrassées et lâcha un souffle humide dans sa direction. Cette réponse puérile le laissa stupéfait pendant un instant. — Tu n’as pas fait ça… — Si. Et je fais ça, aussi. Elle brandit vers lui son majeur avec un sourire amusé. — J’ai eu le temps de réfléchir à notre situation, continua-t-elle, et j’ai décidé que tu étais un connard. — Moi je suis un connard ? Ce n’est pas moi qui t’envoie des mouches pleines de bactéries. — Tu le mérites. Tu m’as fait croire que je pouvais te faire confiance. — Qui dit que tu ne peux pas ? — Tu m’as jeté du haut d’une falaise, dans une rivière avec du courant tout en sachant que je ne savais pas nager. — C’était pour te sauver la vie. — Pff, ma vie n’était pas en danger. Ces idiots ne m’auraient jamais blessée. Ils n’auraient pas osé. — Donc tu préfères retourner en captivité plutôt que de t’enfuir ? — C’est marrant que tu dises ça. Je m’évadais très bien jusqu’à ce que tu arrives comme un fou enragé avec ta moto pour tout gâcher. Il la regarda de bas en haut. — Très bien ? Quand je suis arrivé, tu étais comme un cerf pris dans les phares face à un tueur à gages. Elle releva le menton avec un air de défi. — J’aurais pu m’en charger. — Avec quoi ? Une nuée de moustiques ? — À vrai dire, j’étais sur un coup avec un nid de guêpes lorsque tu m’as interrompu. — Des guêpes contre un tueur à gages ? dit-il en secouant la tête. C’est à cause de ce genre de connerie que je ne peux pas te laisser te balader seule. — Pourquoi ? Parce que je suis une fille et que je suis capable de me défendre toute seule ? — Non, parce que tu es une idiote qui croit justement qu’elle peut se défendre toute seule. Si tu veux mon avis, jusqu’à présent tu as eu de la chance. La valeur que tu représentes pour ce type à la capuche est la seule raison qui a poussé ces types à se retenir. Tu ne pourras pas toujours compter là-dessus. — En quoi es-tu mieux qu’eux ? Après tout, ne comptes-tu pas faire exactement la même chose en m’emmenant voir ce fameux Reid ? — Parce qu’il est l’alpha de Kodiak Point. — Et alors ? Que je sois prisonnière d’un alpha ou prisonnière d’un autre type, je ne vois pas la différence. — Tu n’es pas une prisonnière. Pas vraiment. — Dit le mec qui m’a kidnappée alors que j’essayais de m’évader. — C’est pour ton bien. Tu préfères éviter d’être capturée, non ? Elle leva les yeux au ciel. — Pff, à ton avis ? Mais je n’ai pas besoin de toi pour ça. Son irritation ne cessait de croître alors qu’elle continuait de nier avoir besoin de lui. Elle a besoin de moi, que ça lui plaise ou non. — Même avec tes compétences avec la faune sauvage, tu ne ferais pas long feu en étant seule ici, et tu le sais. Il n’eut pas besoin de voir le regard noir qu’elle lui jeta pour savoir qu’il avait dépassé les bornes et mis les pattes dans le plat. — Je te parie que si. Laisse-moi partir et je te le prouverai. — Non. — Pourquoi non ? — Parce que tu es trop dangereuse pour que je te laisse errer seule. Elle s’arrêta net et se mit à le fixer. — Attends. Il y a une minute à peine je n’étais pas capable de me défendre toute seule et maintenant je suis trop dangereuse ? Ça n’a aucun sens. Non, effectivement, tout comme son attirance pour elle d’ailleurs. Qu’elle l’agace ou non, il ne pouvait pas s’empêcher de la désirer. Et ça allait être de plus en plus difficile de le cacher. Il laissa tomber ses mains le long de son corps et se détourna pour reprendre sa marche. — Être dangereuse ne veut pas dire que tu survivrais. Il y a tout un tas de choses ici qui pourraient te tuer. Tu as besoin de moi. — T’es un con. — Si tu insinues par là que je suis têtu, alors oui, je le suis. Ce fut désormais à son tour de faire les gros yeux. — Tu sais qu’il y a assez d’animaux ici pour que je déclenche une mêlée et que j’écrase ta carcasse têtue jusqu’à ce que tu meures ? — Mais tu ne le feras pas. Elle prit un air renfrogné. — Mais je pourrais. — Mais tu ne le feras pas. — Qu’est-ce qui te fait croire ça ? Parce qu’il pouvait le sentir. Bien qu’agacée contre lui, elle le désirait et le parfum de son excitation le rendait fou, presque aussi fou que ses contestations verbales. Quand la discussion ne menait à rien, il était temps pour un homme de recourir à une approche plus pratique. Et cela faisait également bien trop longtemps qu’il ne l’avait pas touchée. Il ne pouvait plus attendre. Il l’attira dans ses bras et l’embrassa. Encore et encore. Lorsqu’il la laissa enfin respirer, son pouls s’accéléra, ses joues rosirent et ses yeux s’embrasèrent comme un feu violet. — Je te déteste. — Tu peux me détester autant que tu veux, mais tu dois reconnaître que j’embrasse très bien. — Je n’en sais rien. Je n’ai jamais embrassé aucun autre homme. Et elle ne le ferait jamais. Arf, le voilà reparti avec ses pensées possessives. — Tu seras cruellement déçue si tu le fais. Je suis le meilleur. La modestie n’avait pas lieu d’être quand un homme vantait ses prouesses. — Quelle affirmation prétentieuse. Je rêve ou tu me défies ? Tu sais quoi, après réflexion, nous devrions effectivement aller chez toi, dans ta ville natale. Il est temps pour moi de rencontrer de nouvelles personnes. D’autres hommes. Et peut-être avoir une base, afin de comparer les différentes façons d’embrasser. Combien d’hommes faudrait-il que je galoche pour me faire une idée d’après toi ? Trois, cinq, dix ? Elle lui sourit d’un air moqueur, son regard plein de défi. Il savait qu’elle faisait exprès pour le provoquer. Il le savait et pourtant… La jalousie brûlait en lui, vite et fort. — Tu n’embrasseras personne d’autre ! lui rugit-il presque dessus, assez fort pour qu’elle sursaute. Elle posa ses mains sur ses hanches et se pencha vers lui. — Tu ne peux pas m’en empêcher. J’embrasserai qui je voudrais bon sang. Et, dit-elle en souriant, je vais adorer ça. Non, certainement pas. Une fois de plus, il perdit le contrôle, enfin, il ne l’avait sûrement jamais eu après tout. Il la prit dans ses bras et pencha ses lèvres vers les siennes, prenant possession de sa bouche avec une passion féroce qu’il n’avait encore jamais ressentie pour aucune femme. Un goût bref et torride. Elle rompit leur étreinte et le regarda, haletant doucement. Ses lèvres se mirent à bouger, formant des mots qu’il mit un moment à identifier. — Arrête ça. Arrêter de l’embrasser ? Pourquoi ferait-il ça alors qu’il percevait l’intérêt ardent dans son regard ? Sentait son excitation. Je la veux. Tout de suite. Sans réfléchir, il posa ses grandes mains sur sa taille, sa taille évasée seulement couverte par cette stupide robe fragile, qui ressemblait désormais à un chiffon depuis leur plongeon dans la rivière. Il la hissa vers lui jusqu’à ce que ses lèvres ne soient qu’à un cheveu des siennes. Pour une fois, elle ne prononça pas un mot. Ne protesta pas. Elle l’observa, les yeux grands ouverts, les lèvres entrouvertes. Extrêmement tentant. Il l’embrassa à nouveau, prenant le temps d’explorer sa bouche. Il la goûta vraiment, sentit son hésitation, mélangée à de l’avidité. Le craquement d’une branche la fit soudain rompre leur étreinte. — On ne devrait pas faire ça. — Pourquoi ? — Nous sommes à découvert. Quelqu’un va nous voir. — Il n’y a personne à des kilomètres à la ronde, et tu le sais. Ils avaient parcouru des kilomètres dans la rivière, flottant comme des débris, assez loin pour qu’il soit difficile de les poursuivre. — On n’a pas le temps pour ça, dit-elle, sa voix basse et essoufflée. Il n’était pas d’accord. Cela ne serait pas long. Pas avec cette passion qui brûlait en eux. — Je prendrai le temps. Car sinon, il risquait d’exploser. Ce manque de contrôle le dérangeait à certains niveaux, mais le désir prenait le pas sur le bon sens. Le désir. Je veux. Un besoin primaire qui ne laisserait rien se mettre en travers de son chemin. Une fois de plus, il se pencha pour prendre ses lèvres, réclamant ce qui lui appartenait. La mienne. Elle est à moi. Tout à moi. L’admettre, même si ce n’était que par la pensée, changea sa façon de l’embrasser. Ce baiser, qui était d’abord doux, devint fougueux et possessif. Elle ne protestait plus, et il l’aurait embrassée jusqu’à lui couper le souffle si elle l’avait fait. Il n’y avait pas de retour en arrière. Il avait besoin de cette femme. Il avait besoin d’elle et il l’aurait. Pas seulement maintenant, mais pour toujours. À jamais. Oh merde. Je suis fichu. À ce moment-là, avec cette pensée dans son esprit, il sut qu’il venait de dire adieu à sa vie de célibataire. Peu importe ce qui se passait ensuite, cette femme serait impliquée. Son âme sœur. La mienne. Désormais, il ne lui restait plus qu’à la convaincre que c’était le cas. Au début, elle resta raide et crispée dans ses bras, mais alors que ses lèvres recouvraient les siennes, les mordillant et les taquinant, elle se détendit. Elle lui rendit son baiser, mordant ses lèvres avec hésitation, ce qui compliqua cette situation déjà tendue. Il sut qu’il était parvenu à la faire vraiment capituler lorsqu’elle enroula ses bras autour de son cou. Il la serra contre lui et elle hoqueta, un son qu’il avala alors qu’elle ouvrait la bouche. Il ne laissa pas passer sa chance et glissa sa langue dans le creux chaud de ses lèvres. Comment ce goût en elle, doux comme la cannelle, pouvait-il le rendre si fou de désir ? Un besoin primaire le guidait. L’instinct le dirigeait. Son loup, qui était d’habitude un passager silencieux, le suppliait de la marquer. De la déclarer comme sienne. Une folie pure. Ou bien cette fièvre de l’accouplement dont son père l’avait autrefois averti. Elle ne touchait pas tout le monde, seulement ceux qui étaient les plus têtus. Et lorsque celle-ci frappait… « Tu n’es plus qu’un bouchon au milieu d’une mer agitée, porté par sa présence, mais jeté à la dérive sans aucune stabilité. » Cela faisait partie des nombreuses explications excentriques de son père lorsque celui-ci lui évoquait les fondements basiques de la vie. Même si cela ne faisait pas longtemps qu’ils s’étaient rencontrés, il savait au fond de lui que c’était la bonne, et Brody n’était pas du genre à contester le destin, en tout cas pas quand celui-ci était agréable. Il la tenait toujours en l’air, ce qui voulait dire qu’il ne pouvait pas laisser ses mains parcourir son corps galbé et il mourrait d’envie de la toucher. Mais s’il la posait par terre, il allait devoir se pencher, car elle était bien plus petite que lui. Il avait une meilleure solution. — Mets tes jambes autour de ma taille, murmura-t-il contre ses lèvres. Pendant un instant, il craignit qu’elle ne proteste, mais il semblait que la fièvre qui l’habitait avait aussi infecté Layla. Elle enroula ses membres autour de sa silhouette et il se laissa doucement tomber sur le sol, la mousse de la forêt était spongieuse et fraîche contre sa peau brûlante. Mais cela ne refroidit pas son ardeur pour autant, probablement parce qu’avec cette nouvelle position elle était désormais en train de le chevaucher et de l’embrasser en promenant ses doigts à travers ses cheveux sur sa nuque, les tirant et les entrelaçant, alors que ses craintes se dissipaient et que le désir la dévorait. Oh, comme la passion enflammait Layla, lui donnant le courage de glisser sa langue dans sa bouche, de l’entremêler à la sienne. Brody était un homme expérimenté et il avait embrassé bon nombre de femmes, mais aucune n’avait provoqué ce feu en lui, comme le faisait Layla. Aucune ne lui avait donné envie d’oublier les préliminaires et de se glisser directement en elle, la martelant, jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux soulagés. Mais il resta sensé, gardant un minimum de contrôle. Avec son manque d’expérience, il devait faire attention, de peur de l’effrayer, ou de la blesser, deux choses qu’il ne pouvait pas tolérer. Cependant, il était difficile de se retenir, surtout avec son sexe qui, couvert du plus fin des cotons, se pressait contre son entre-jambes, le laissant mouillé alors que l’excitation de Layla trempait le tissu et que la chaleur entre eux s’intensifiait. Une fois assis, il n’eut plus besoin de la tenir, ce qui voulait dire que ses mains pouvaient désormais quitter sa taille échancrée et caresser son cul rond. Une fois de plus, sa maudite robe s’interposa entre lui et son objectif. Il ne put s’empêcher de grogner doucement lorsqu’il releva le tissu pour se frayer un chemin vers la ceinture élastique de sa culotte, où il glissa ses doigts. Une chaire souple. Des fesses bien rondes. La perfection. Il serra ses rondeurs parfaites et elle se tortilla au-dessus de lui, haletant contre ses lèvres. Ce petit bruit l’excita, mais pas autant que lorsqu’elle se colla un peu plus contre lui. Leurs dents s’entrechoquèrent alors qu’elle se serrait impatiemment contre son corps, sa forte poitrine se pressa contre son torse, ses tétons étaient comme des bouts durs qui bourgeonnaient. Ils veulent ma bouche. Effectivement. Il le sentait. Et il n’était pas le genre d’homme à refuser une telle supplication. Il ne lui fallut qu’un instant pour retirer la robe qu’elle portait et la passer par-dessus sa tête, l’envoyant valser plus loin et la laissant seulement vêtue d’une culotte. Il enlèverait celle-ci bientôt, mais pour le moment, il était absorbé par ses seins. Assez gros, ils pendaient lourdement, une courbe délicieuse et parfaite pour les tenir dans sa main, ce qu’il fit. Avec sa peau sombre, il fut surpris de constater à quel point ses mamelons étaient roses. Il s’attendait à une teinte plus foncée, mais ces boutons de rose étaient un délice et alors qu’il les observait – bavant presque la bouche ouverte – ils se durcirent telles des petites pointes. Il ne put résister à l’envie de les caresser du bout du pouce. Elle fut parcourue d’un frisson à son contact rugueux. Il la caressa à nouveau et fut récompensé par un frisson encore plus intense. Désireux d’en vouloir plus, il posa sa main libre au milieu de son dos, la faisant se cambrer loin de lui pour qu’il puisse mieux percevoir sa poitrine. Ce qui fit également saillir ses tétons, ces bourgeons à l’aspect savoureux. Il ne pouvait plus résister. Il en saisit un entre ses lèvres, se délectant de son doux gémissement. La chaleur de son sexe et son aspect humide s’intensifièrent, un signe visible de son plaisir, non pas qu’il ait besoin d’être rassuré sur ce point, pas avec cette façon qu’elle avait d’agripper ses cheveux et de gémir à chaque succion et coup de langue. Ne négligeant personne, il changea de sein, encouragé par ses gémissements de plaisir et son propre enchantement face à la perfection de sa poitrine galbée. Généreuse et douce. Contrairement aux autres femmes plus athlétiques qu’il avait fréquentées, les seins de Layla avaient un côté naturellement souple et doux. Assez confortables, comme des coussins, pour la tête d’un homme. Il enfonça son visage dans sa chair, se délectant de la douceur de sa peau. La vallée profonde qui séparait ses seins lui renvoya quelques images érotiques de lui en train de glisser sa bite entre eux, le bout de son érection pointant vers ses lèvres charnues. Ce fut à son tour de frissonner. — Brody. Elle prononça son prénom en soupirant. Son corps frissonnait lorsqu’il la touchait. Son doux sexe continuait de chauffer et de verser son miel contre lui. Il ne pouvait plus attendre. Il fallait qu’il la prenne. Il avait besoin de s’enfoncer dans cette chaleur moelleuse qui l’attendait. Il suffit d’un coup pour déchirer sa culotte et l’arracher de son corps. Puis, elle se pressa contre lui. Sa chair humide contre sa bite robuste. La moiteur de son excitation le recouvrit et il frissonna. — Lève-toi un peu, chérie, murmura-t-il. Elle lui obéit, hissant son corps en s’appuyant sur ses genoux pour que son sexe soit positionné au-dessus de sa bite, qui pointa vers l’avant, cherchant la source de chaleur. Il guida le bout de son membre vers son sexe, la scrutant et l’entendant gémir alors qu’il le promenait d’avant en arrière contre elle. Elle trembla. Et lui aussi. Il enroula un bras autour de sa taille pendant que l’autre main guidait son membre à l’intérieur de la chaleur de son corps. La barrière qu’il rencontra aussitôt le laissa perplexe. Il comprit finalement ce que cela signifiait. Il s’y attendait plus ou moins après qu’elle ait revendiqué n’avoir jamais embrassé personne d’autre, mais en avoir la preuve réelle, la sentir se dresser sur son chemin ? La mienne. Rien qu’à moi. Intacte. Jamais personne ne l’avait touchée. La sienne. Il n’aurait pas pu décrire toutes les émotions qu’il ressentait actuellement, mais la plus intense de toutes était la gratitude. Reconnaissant d’avoir trouvé cette femme. Reconnaissant qu’elle ait attendu ce moment pour lui offrir son plus précieux cadeau. Mais il avait aussi des regrets, car une chose aussi précieuse méritait mieux que le sol d’une forêt, en cavale et épuisée par leur évasion. Trop tard pour arrêter désormais. Il força en la poussant vers le bas, déchirant son innocence, sachant qu’il valait mieux agir rapidement plutôt que de prolonger. Elle gémit et recula, mais pas loin, car il la tenait fermement ancrée. Pendant un instant, il ne bougea pas. Il la laissa s’adapter à sa taille et se remettre du choc d’avoir perdu sa virginité. Il s’empara de ses lèvres en attendant, attisant les flammes de cette passion qui l’habitait, se détendant seulement lorsqu’elle fut à nouveau réceptive. Il attrapa sa poitrine dans sa main tout en l’embrassant, caressant son téton du bout de son pouce jusqu’à ce que son corps commence à onduler. Intentionnel ou non, ce mouvement lui permit de s’enfoncer plus profondément en elle. Si profond dans cette caverne étroite. Il faisait si chaud à l’intérieur de son sexe. Putain d’incroyable et il dut lutter pour se retenir. Ses ondulations prirent de la vitesse et s’intensifièrent alors qu’elle s’enfonçait contre lui, s’accrochait, serrait, prenait et… Jouit, Dieu merci ! Ses muscles se contractèrent autour de sa bite et il se relâcha avec un grondement sourd de satisfaction. Il laissa sa semence marquer son ventre, chose qu’il n’avait encore jamais faite à une femme. Il l’avait faite sienne. L’avait revendiquée. C’était un moment intense. Mais alors que l’odeur du sang mélangée à la passion vint chatouiller son nez et étant un homme, bien évidemment, il gâcha ce moment. CHAPITRE DOUZE

— Je n’arrive pas à croire que tu ne m’aies pas dit que tu étais vierge. — Et je n’arrive pas à croire que tu ne l’aies pas deviné, lui répondit-elle d’un ton acerbe. Acerbe, car elle savourait à peine ce moment qui était sa première fois et il avait fallu qu’il gâche tout. — J’imagine que je m’en doutais. C’est juste que je ne le savais pas vraiment jusqu’à ce que, tu sais, on… hum… — Couche ensemble ? Pour un mec intelligent, tu as l’air terriblement bête, rétorqua-t-elle en essayant de s’extirper, mais il ne la laissa pas partir. Il la maintint assise sur ses genoux, ses bras enroulés autour d’elle, la tenant fermement en place. Son membre, même s’il s’était ramolli depuis qu’il s’était soulagé, resta en elle, épais et lui rappelant ce qu’ils venaient juste de faire. Comme si elle pouvait oublier. Sa propre chair palpitait encore, la puissance de son orgasme n’étant pas totalement apaisée. — Quelles belles paroles, répondit-il d’un ton sec. — Dit le mec qui m’appelle encore Appât. Loin d’être décontenancé, il sourit. — Tu dois reconnaître que tu es un appât assez tentant pour un homme. Son compliment lui fit plaisir. — Je te déteste, dit-elle par réflexe, d’un ton froid. — Tu sais ce qu’on dit. Entre l’amour et la haine, il n’y a qu’un pas. — L’amour ? dit-elle en ricanant, surprise de l’entendre employer ce mot. L’amour c’est pour les contes de fées et la romance. — Tu n’y crois pas ? — J’aimerais, mais au final, je pense que l’amour-propre est l’émotion la plus forte. — Je ne suis pas d’accord. — Ne me dis pas que tu crois en l’amour éternel, aux âmes sœurs et tout ça ? — Bien sûr que si, j’y crois. — Alors tu es un idiot. Layla avait vu trop de choses au cours de sa vie pour croire que l’amour pur qu’elle lisait dans les livres pouvait réellement exister. En tout cas, elle ne l’avait jamais vu de ses propres yeux. Alors comment expliques-tu ces drôles de sentiments que tu éprouves pour le loup ? Il était intrigant. Différent. Il l’excitait. Mais cela ne voulait rien dire. S’il s’en allait maintenant, elle partirait de son côté sans regarder en arrière. Mais je me souviendrais. Et pourquoi l’imaginer partir lui faisait-il l’effet d’un pincement au cœur ? Il n’allait pas lui manquer quand même ? Il était agaçant et autoritaire et… toujours en train de parler. — Ce n’est pas parce que certaines personnes t’ont fait du mal, ou ont brisé ta confiance que tout le monde le fera. — C’est quoi ton problème à toujours vouloir que je te fasse confiance ? — Tu peux me faire confiance. Je ne te ferai jamais de mal. — Alors laisse-moi partir. — Je ne peux pas. Peut pas. Ne veut pas. Car comme tous les autres, il avait besoin d’elle pour ses plans. Et dans son cas, il s’agissait de la ramener à l’alpha de son clan. — Je sais ce que tu penses, tu crois que je fais ça pour contrecarrer les plans de ton ancien ravisseur. Mais tu te trompes. Je tiens à toi, Layla. — Bien sûr. Elle avait déjà entendu ce mensonge-là auparavant. Il n’y avait qu’une seule personne qui avait vraiment pris soin d’elle et cet homme, son père, était mort. — C’est vrai. Et je te le prouverai. — Avant ou après m’avoir livrée à ton alpha ? Tu sais quoi, je n’ai pas envie d’entendre ta réponse – ou son mensonge. Je suis fatiguée. Si nous comptons nous arrêter, autant que l’on dorme un peu. Cette fois-ci, lorsqu’elle s’écarta de lui, il ne la retint pas. Cependant, elle sentit ses yeux l’observer alors qu’elle se baissait pour remettre sa robe. Quant à sa culotte, elle doutait que les morceaux qu’elle avait repérés, accrochés à un buisson, soient encore récupérables. Trouver un endroit recouvert de mousse, un sur lequel ne se trouvait pas un homme nu et étendu, ne fut pas difficile, mais ce n’était certainement pas aussi confortable que sur les genoux de Brody. Elle s’allongea, lui tournant le dos, complètement perdue, même si elle venait d’affirmer l’inverse. Layla ne savait plus quoi penser. Brody agissait comme si elle n’était rien d’autre qu’une prisonnière, une personne d’intérêt qu’il ramenait à Kodiak Point pour l’interroger et la minute d’après il lui faisait l’amour comme si elle comptait pour lui. Comme s’il avait envie de la revendiquer comme sienne et la garder et… l’aimer ? Cela n’avait aucun sens. Layla avait beau avoir été vierge, elle n’était pas crédule pour autant. Tomber amoureuse de son nouveau ravisseur parce qu’il était attirant – et qu’il lui procurait beaucoup de plaisir – était stupide. Pire que stupide, car elle finirait par souffrir lorsqu’il la trahirait. Parce qu’en fin de compte, ne se faisait-elle pas toujours trahir ? Son pouvoir inné, que tout le monde souhaitait utiliser, la rendait précieuse, mais personne ne semblait réaliser que ce talent qu’elle possédait vivait principalement à travers un corps humain, chargé d’émotions humaines et plein de fragilité. Elle aussi pouvait avoir le cœur brisé. Brody ne comprenait-il pas qu’il jouait avec elle en lui envoyant des signaux contraires ? D’un côté, il lui demandait de lui faire confiance, il lui montrait qu’il tenait à elle. Il était tendre et lui disait de belles choses qui impliquaient un futur avec elle. Mais d’un autre côté, il lui disait qu’elle n’avait pas le choix, qu’elle représentait un danger. Comment concilier les deux ? Je devrais m’échapper. Même s’il avait affirmé qu’il la traquerait et la ramènerait, comme il l’avait déjà fait, elle n’était pas convaincue. Bien que les environs soient un peu particuliers, elle survivrait, car tant qu’il y avait de la vie, elle recevrait de l’aide. Mais le plus important, c’était surtout de savoir si elle en avait envie. Si Brody disait la vérité et que ce fameux Reid qui dirigeait le clan à Kodiak Point pouvait vraiment la garder loin des griffes du maître, ne devrait-elle pas saisir sa chance et essayer d’avoir une vie normale ? Trouver un semblant de bonheur dans cette petite ville ? Je pourrais essayer. Et si ça ne fonctionnait pas ? Et si ce n’était qu’un piège de plus vers lequel elle s’avançait aveuglément ? Il était difficile d’imaginer que l’homme qui venait tout juste de la caresser et de lui parler avec tant de sérieux et d’honnêteté allait la trahir. Pourtant, les mots doux cachaient facilement de faux discours. Est-ce que j’ai vraiment envie de passer ma vie à ne plus jamais faire confiance à personne ? À un moment donné, tout le monde n’était pas malveillant. Ou du moins, c’est ce qu’elle espérait. Mais il lui suffisait de se remémorer les paroles de son père pour douter à nouveau. « Ne révèle jamais qui tu es vraiment, car même tes amis seront tentés de t’utiliser dans leur propre intérêt. » Mais les jours suivants, elle remit ce précepte en question, car, même si Brody lui demandait beaucoup de choses – marche là où je marche, ne bouge plus, embrasse-moi, crie pour moi – il ne lui demanda pas une seule fois d’utiliser son pouvoir. Même pas pour repérer l’ennemi. Et ceux-ci n’étaient pas dans les parages – elle le savait parce qu’elle avait ordonné à plusieurs créatures ailées de lui servir d’espions dans le ciel – mais elle ne dit rien à Brody. Elle attendait qu’il lui demande. Elle attendait qu’il lui ordonne de ramener à manger ou de trouver un abri ou de prouver qu’elle pouvait utiliser son pouvoir sur le royaume animal et les insectes. Il ne le fit pas. Il n’y fit même aucune allusion, la laissant encore plus troublée qu’auparavant. Et plus déroutant encore, elle tombait amoureuse du loup. Malgré leur manque d’équipement, Brody ne semblait avoir aucun mal à les amener là où il voulait et à les approvisionner en chemin. Le type se fabriqua même une sorte de pagne avec la végétation, tissant et tressant des tiges. Il trouva des racines qu’ils pouvaient grignoter sans danger ainsi que des feuilles. Il chassa et alluma des feux couverts, cachant la lueur et la fumée, et les laissant brûler assez longtemps pour qu’ils puissent cuire la viande qu’il avait chassée. Ils ne manquaient jamais d’eau, car il avait le don de toujours repérer une source. Après la première nuit, il lui tint chaud, ainsi que toutes les autres nuits, car malgré sa détermination à résister, il parvenait à la séduire et la serrait dans ses bras jusqu’au matin. Et malgré ses scrupules, elle adorait ça. Même s’ils n’avaient pas un minimum de confort et que leur alimentation était loin d’être idéale, Layla ne pouvait s’empêcher de savourer sa liberté. C’était l’un des séjours les plus longs qu’elle ait connus depuis longtemps et lorsqu’ils aperçurent enfin les premiers signes de civilisation du haut d’une falaise, elle fut presque déçue que leur périple prenne fin. La petite commune qu’ils rencontrèrent ne payait pas de mine, il n’y avait qu’une douzaine de maisons et un petit magasin, sauf qu’ils n’avaient pas d’argent. Mais le magasin possédait un téléphone et le gars laissa Brody l’emprunter pour passer quelques coups de fil. Pas étonnant, vu la triste histoire que Brody inventa et raconta. « Mon épouse et moi célébrions notre lune de miel dans les bois, nous nous occupions de nos affaires et faisions notre petite affaire si vous voyez ce que je veux dire, confia Brody avec un clin d’œil en direction du vieillard qui tenait le magasin, quand un ours nous a attaqués. Nous avons réussi à nous enfuir, mais avons dû laisser tout notre matériel derrière nous. Nous avons attendu un moment dans les bois jusqu’à ce que nous soyons hors de danger, mais quand nous avons essayé de revenir sur nos pas, eh bien, nous nous sommes perdus. Alors nous avons commencé à marcher vers le sud jusqu’à ce qu’on tombe sur votre village. » Le vieux bonhomme qui était propriétaire du lieu ricana, mais y crut. Il leur donna quelques provisions et prêta son téléphone à Brody après lui avoir fait promettre de payer. Elle supposa qu’il appelait l’alpha de Kodiak Point et quelques amis, mais elle ne prit pas la peine d’écouter aux portes. Maintenant que leur excursion était terminée, il fallait revenir à la réalité. Qu’allait-il se passer maintenant ? Ce serait bientôt le moment de vérité. Elle allait vite réaliser si l’illusion que Brody avait construite aller se confirmer ou se briser. Suis-je vraiment libre ou vais-je à nouveau devenir prisonnière ? Le propriétaire du petit magasin leur laissa une chambre, pas très spacieuse, mais un lit à deux places s’y trouvait avec des couvertures chaudes et un oreiller qui, après des jours à dormir sur de la mousse et des feuilles, ressemblait au paradis. Leur hôte leur permit également d’utiliser sa salle de bains avec sa douche, dans laquelle elle se prélassa, l’eau chaude était un cadeau qu’elle accueillit avec plaisir. Elle revêtit quelques vêtements de rechange et sécha ses cheveux avec une serviette lorsque Brody la rejoignit, lui aussi sortant fraîchement de la douche et habillé de vêtements propres. Elle se demanda un instant si elle n’aurait pas dû profiter de son absence pour s’enfuir, puis effaça l’idée de son esprit. Quoi que l’avenir lui réserve, elle ne s’enfuirait pas. Pas encore. Voyons déjà ce qui se passe à Kodiak Point. Elle était prête à donner une chance à cette ville et à Brody. — Les membres de mon clan devraient venir nous chercher demain matin. Ils sont en train de partir. — Donc nous restons ici ? — Pour la nuit au moins, oui. Ensuite, on rentrera à la maison. À la maison. Comme elle aimerait pouvoir utiliser ce mot. — Et moi ? Sa question fut douce, interrogative. Vulnérable. — Comment ça et toi ? — Tu as parlé à ton alpha. Quels sont ses plans ? Elle étudia son visage de près lorsqu’il lui répondit, essayant de percevoir s’il mentait ou esquivait le sujet. Mais il n’exprima rien de fâcheux. — Je lui ai dit que je ramenais un nouvel habitant. — Tu ne lui as pas parlé de mes pouvoirs ? — Nous aurons le temps d’en parler plus tard. Je te l’ai déjà dit. Je ne te ramène pas en tant que prisonnière. Bien que…, dit-il en lui souriant d’un air espiègle, je ne serais pas contre le fait de t’emprisonner pour pouvoir faire ce que je veux de toi. Il se mit à rire avec un grondement rauque et un frisson lui parcourut l’échine. — Pourquoi m’emprisonner si je suis consentante ? Cela ne servait à rien de le nier. Il lui suffisait de lui sourire en lui promettant de lui procurer du plaisir pour que la culotte, qu’elle venait juste de revêtir, soit mouillée. — Je n’arrête pas d’oublier à quel point tu es innocente, murmura-t-il, avançant d’un pas dans cette petite pièce et s’approchant d’elle. Assise sur le bord du lit, elle fut obligée de lever la tête vers lui, sinon elle avait vu sur une partie de son anatomie qui se mit à enfler rapidement, et qui faisait gonfler son jean. — Je ne pense pas que l’on puisse me qualifier d’innocente. Elle en avait trop vu dans sa vie pour cela. — Si, d’une certaine manière, tu l’es. Notamment sur le fait de faire l’amour. Nous avons encore tellement de choses à explorer. À essayer. Apprécier… Vu sa position actuelle, elle avait déjà une petite idée de ce qu’elle aimerait essayer. Quelque chose dont elle avait entendu parler, mais qu’elle n’avait jamais tenté. Ses mains glissèrent vers le bouton et la fermeture éclair de son pantalon et les défirent. — Que fais-tu, chérie ? — J’élargis mon horizon. — Tu es sûre ? Sa bite jaillit de son pantalon, libérée, longue et dure. Bien qu’elle l’ait déjà vue auparavant, le fait de la voir de si près lui permit de vraiment l’examiner. Le bout de son membre formait une sorte de grosse ampoule, plus foncée que le reste de sa peau. Alors qu’elle l’observait, la fente à l’extrémité émit une perle liquide. Elle la toucha, frotta le bout et fut contente de l’entendre prendre une grande inspiration. — Ça te plaît ? Sa question était inutile, mais elle avait envie d’entendre sa réponse. — Qu’est-ce que tu crois ? lui répondit-il d’un air sarcastique. Elle sourit en promenant son doigt humide le long de sa queue, fascinée par sa veine large qui semblait palpiter tout le long. Elle l’agrippa, une main autour de son membre et il laissa un échapper un grondement sourd. Cela la fascinait de voir que quelque chose de si rigide et dur puisse être à la fois si doux, avec une peau soyeuse. Elle se pencha pour le lécher, frottant sa langue contre le bout, qui avait à nouveau laissé échapper une perle liquide. Salé mais pas désagréable. Elle enroula sa langue autour de la pointe, la léchant. Une fois de plus, il laissa échapper un son grave et il posa une main sur sa tête, caressant ses cheveux, l’encourageant. Enhardie, elle prit l’extrémité dans sa bouche et suça – ses gestes inspirés par les histoires qu’elle avait lues. Et dont elle pouvait maintenant faire l’expérience. Sa bite tressaillit sous son étreinte et semblait devenir de plus en plus épaisse. Elle suça encore, l’attirant plus profondément dans sa bouche, son épaisseur parvenait à frôler ses dents. Il siffla et lorsqu’elle leva les yeux vers lui, se demandant si elle l’avait blessé par inadvertance, elle le vit avec la tête penchée en arrière, les yeux fermés et les muscles de son cou tendus. Un homme en proie au plaisir et non pas à la douleur. Ce qui ne fit qu’accroître sa propre passion naissante et la fit agir avec encore plus de ferveur. Sa succion s’accéléra alors qu’elle allait d’avant en arrière, sa main l’agrippant toujours fermement, ancrée. Sa respiration s’accéléra et bien qu’elle ne puisse pas sentir son rythme cardiaque, elle pouvait le percevoir à travers cette veine qui pulsait sur son membre, de plus en plus vite. Il commença également à cambrer les hanches, synchronisant ses mouvements avec ceux de sa tête, s’enfonçant un peu plus, mais pas trop loin. Sa main sur sa bite s’en assurait. Elle se demanda si elle pouvait l’amener à se soulager comme il l’avait fait avec elle. Mais Brody avait d’autres plans en tête. Dans un grognement, il s’écarta d’elle, laissant sa bouche humide émettre un claquement audible et elle protesta. — Ramène-la, lui demanda-t-elle, je n’ai pas fini. — Oui, mais moi j’étais à deux doigts de finir, grogna-t-il, et ce serait trop tôt pour ce que j’ai prévu de faire. — Donne-la-moi. — Oh, mais j’ai bien l’intention de te la donner. Mais pas tout de suite. Il la releva, assez haut pour poser ses lèvres contre les siennes, son baiser plein de fougue lui fit oublier ses protestations. Mais il avait d’autres objectifs qu’un simple baiser. Il la déshabilla. Elle n’avait aucun problème avec ça, pas quand cela signifiait qu’elle pouvait presser sa peau nue contre la sienne, quelque chose dont elle ne semblait jamais se lasser. Elle adorait cette chaleur qui émanait de lui. Ce contact de chair contre chair. Elle adora lorsqu’il les fit tomber sur le matelas, les ressorts les firent rebondir en couinant, tel un avertissement. Elle ne put s’empêcher de rire. — Tu crois qu’il nous maintiendra ? — Probablement pas, mais c’est certainement mieux que d’avoir de foutues marques d’herbes sur les genoux et le cul, plaisanta-t-il. Elle rit à sa blague, un son de pure joie qui aurait pu sembler incongrue étant donné leur position sexuelle et leur intention et qui pourtant, semblait parfaitement adéquate. Il s’appuya sur ses avant-bras et elle put admirer la vue, une vue dont elle ne se lassait jamais avec son torse parfait, dessiné par des muscles qui lui donnaient l’eau à la bouche, des épaules larges et bien définies et des tétons plats. Elle tendit la main pour toucher sa peau douce et fit doucement glisser ses ongles de ses pectoraux jusqu’à l’échancrure de sa taille. Il prit une grande inspiration et ses yeux, brûlant d’un feu ardent, devinrent d’un doré éclatant. Elle connaissait ce regard. Il lui promettait de passer de bons moments. Alors qu’elle comptait glisser sa main plus bas, il coinça celle-ci entre leurs deux corps. — À mon tour de jouer, dit-il d’une voix rauque. Ses mots plein de promesses la firent frissonner. Mais il n’agit pas immédiatement. À la place, il se mit à l’observer, son regard attentif contemplant ce qu’il avait sous les yeux. Ses tétons se durcirent alors qu’il l’examinait, anticipant son regard. Doucement, trop doucement pour elle et son esprit impatient, il pencha son visage jusqu’à ce qu’il puisse effleurer ses mamelons durs de ses lèvres. Layla laissa échapper un soupir en se cambrant, désirant silencieusement qu’il les suce. Il ignora cette demande muette, mais fit d’autres choses. Des choses très agréables. Son coup de langue brûlant la fit gémir. Il le fit à nouveau avant d’enrouler sa langue autour de son téton. Elle gémit sous sa torture lente, mais cela ne l’empêcha pas de continuer à l’exciter doucement. Elle glissa ses doigts dans ses cheveux et l’attira vers elle, ou du moins essaya. Elle voulait qu’il prenne son mamelon engorgé dans sa bouche. Mais il ne le fit pas. Il rigola, son souffle chaud caressant le bout de ses seins, les faisant encore plus souffrir. — Tu me tues, grogna-t-elle, incapable de rester silencieuse. — Ce n’est pas pire que ce que tu viens de me faire, chérie. Il souffla sur son mamelon humide et elle se cambra, elle désirait plus. Sa prise sur ses cheveux se resserra, mais il ne comptait pas se laisser forcer. Et il était le plus fort des deux. Avec aisance, il démêla ses doigts de ses cheveux, pour les serrer dans une poigne de fer. Il poussa ses mains au-dessus de sa tête, et même si elle luttait ou s’efforçait de les retirer, rien ne pourrait les libérer. C’était effrayant, car cela prouvait à quel point elle était vulnérable face à lui, mais c’était également exaltant, car elle savait qu’il ne lui ferait pas de mal. Au contraire, comme elle ne se mettait pas en travers de son chemin, il continua de doucement explorer sa poitrine. Un sentiment d’anticipation résonna en elle et à travers son corps, et lorsqu’il prit enfin son téton plus que prêt dans sa bouche, elle ne put s’empêcher de crier légèrement. Elle aurait même pu avoir un mini orgasme. Son sexe, en tout cas, pulsait de plaisir. Prenant son temps, sa bouche suça et tira ses tétons en érection. Il apportait autant d’attention à l’un comme à l’autre, la rendant folle avec toutes ces sensations. Lorsqu’il cessa enfin cette terrible taquinerie, elle gémit à nouveau lorsque sa bouche descendit plus bas. Elle se promena le long de son ventre bombé. La chatouilla autour du nombril avant de glisser le long de sa cuisse gauche, la proximité de sa bouche avec son sexe la fit presque pleurer. Elle ne pouvait toujours pas le toucher, l’attraper ou faire quoi que ce soit, car il descendait ses mains, toujours enserrées, vers le bas alors qu’il se déplaçait, les positionnant sur son ventre. Il embrassa la peau intérieure de sa cuisse. Puis, changea de côté. Elle aurait pu crier. Il l’embrassa un peu partout, la mordillant doucement, de plus en plus près… Cette fois-ci, elle protesta. — Arrête de me taquiner ! — Mais je m’amuse. Et toi aussi, répondit-il d’un air diabolique en soufflant sur son sexe trempé. Oh, comme ça la fit frémir. Son sexe entier se crispa et elle eut envie de sangloter lorsqu’elle vit qu’il ne lui donnait toujours pas ce qu’elle désirait. — Mets les mains au-dessus de la tête, ordonna-t-il. Et si cela signifiait qu’elle allait enfin être soulagée, alors elle obéirait. Elle les leva au-dessus de la tête. — Tu ferais mieux d’agripper la tête de lit, la conseilla-t-il avec un sourire espiègle. Il se pencha en arrière et prit sa bite dans ses mains. Alors qu’elle le regardait, son pouce caressa le liquide clair qui perlait au bout de son gland gonflé. Elle déglutit difficilement, mais s’accrocha à la tête de lit. Sa main tenant toujours sa queue, il se servit de la deuxième pour glisser son doigt le long de sa fente humide. Elle frissonna et sa respiration devint haletante. Même si elle adorait son contact, elle se demanda si l’attente et l’anticipation n’étaient pas encore plus excitantes. — Tu es tellement belle, murmura-t-il en se penchant en avant. Puis il plongea sa tête entre ses jambes et souffla chaudement sur elle. L’attente fut enfin terminée. De grandes mains larges saisirent son cul et la hissèrent assez haut pour qu’il puisse se régaler de son sexe. Elle faillit jouir dès la première caresse de sa langue. En tout cas, elle gémit. Et grogna et émit tout un tas de bruits alors qu’il torturait sensuellement sa chatte. Ses coups de langue contre son clitoris la firent gémir de plaisir. Sa langue tournait en cercle autour de ses terminaisons nerveuses, la faisant haleter et pénétrait ses plis, la faisant soupirer. Toutes ces différentes sensations érotiques la menaient vers un point culminant. Mais même si tous ses gestes lui procuraient un plaisir immense, Brody ne la laissait jamais atteindre l’orgasme. Il tenait bon. La taquinait jusqu’à ce qu’elle se mette à hurler. Il l’obligea à le supplier. — S’il te plaît. Sa réponse ? — Pas encore. Elle aurait pu pleurer tellement elle avait envie. Mais il eut quand même pitié d’elle. Il lâcha ses fesses et la laissa retomber sur le matelas, mais seulement parce qu’il avait besoin d’utiliser sa main. Ses doigts glissèrent à travers sa fente humide, puis s’enfoncèrent. Oh, mon Dieu. Son doigt pénétra son sexe, d’avant en arrière, mais il n’était pas assez épais pour la satisfaire, pas quand elle savait ce qu’elle pouvait ressentir quand il était en elle. Elle ferma les yeux tout en ondulant des hanches pour que son doigt s’enfonce. C’est pourquoi elle ne remarqua pas sa façon de se positionner jusqu’à ce que son doigt se retire et que le gland gonflé de sa bite s’appuie contre elle. Il caressa le bout de son membre contre son sexe moite, la narguant avec sa taille et avec ce plaisir qu’elle savait tout près. Centimètre par centimètre, il s’inséra, doucement, oh, trop doucement, étirant son sexe, la pénétrant délicieusement. Son sexe se crispa autour de lui et il grogna. — Tiens bon encore un peu, lui demanda-t-il. Elle essaya, mais elle était au bord de l’extase. Il lui suffirait de peu pour y succomber. Notamment s’il comptait la torturer encore. Mais il semblait que ses taquineries avaient pris fin. Une fois bien assis, il se mit à la pénétrer. Pousser. Sa cadence fut d’abord lente, mais il fit rapidement la transition jusqu’à ce qu’il la martèle, chaque caresse profonde, accentuant son plaisir jusqu’à ce que ce soit presque douloureux. Elle se crispa et oublia presque de respirer. Juste là. Presque. Presque. Même si elle ne parlait pas, il comprit qu’elle était sur le point de jouir. Ses pénétrations furent plus intenses. Elle avait dépassé le stade des gémissements et lui ne lui donnait plus d’ordres, probablement parce qu’il haletait difficilement en la pénétrant. Même sans dire un mot, leur plaisir était tout sauf silencieux. La chair frappait la chair. Plus fort. Plus vite. Plus profondément. Son corps se cambra sur le matelas, s’inclinant lorsque l’orgasme finit par la frapper. Un frisson intense la parcourut, encore et encore alors que des vagues de plaisir la traversaient. Mais elle ne jouit pas seule. Brody rugit, prononçant un mot qui ressemblait drôlement à : « La mienne ! » avant de gicler chaudement en elle. Pour finalement s’effondrer. Mais pas d’épuisement. Apparemment, en étant aveuglés par leur désir l’un pour l’autre, ils avaient tous les deux négligé quelque chose d’important. Une erreur fatale. Ils s’étaient crus hors de danger. Mais ils s’étaient trompés. L’évasion cinquante-sept venait tout juste de prendre fin. CHAPITRE TREIZE

La réalité, cette connasse au cœur de pierre qui n’avait aucune empathie pour les amoureux, s’était immiscée dans leur intimité, et pour ça, Brody aurait pu la tuer. Une fusion aussi glorieuse des corps – et des âmes – ne méritait pas une fin aussi ignoble, mais les fléchettes plantées dans son cul disaient tout l’inverse. C’était de sa faute. J’aurais dû me méfier. Il les pensait hors de danger au moins pour la nuit. Il aurait été prêt à jurer que personne ne les avait suivis et qu’en se dirigeant vers le sud ils tromperaient leurs poursuivants qui s’attendaient à ce qu’ils aillent vers l’est pour retrouver la sécurité de son clan. Ou au moins une ville où il aurait pu faire du stop. Bien qu’ils aient effectivement besoin d’un véhicule et plus particulièrement d’un téléphone pour qu’il puisse appeler, le plus important avait été de s’assurer qu’ils ne soient pas à nouveau capturés, d’où leur arrivée dans ce petit hameau. La chambre d’ami que leur avait prêtée le gérant du magasin avait été un bonus. Mais la négligence était son ennemi. Ce type qui se faisait appeler maître les avait retrouvés, ou du moins, ses sbires les avaient retrouvés, car Brody reconnut le gars qui se tenait dans l’encadrement de la porte avec un pistolet tranquillisant dans les mains. Même s’il avait d’abord écrasé Layla en lui tombant dessus à cause de l’impact des fléchettes, sa première intention avait été de protéger son corps, mais maintenant qu’il réalisait que ce n’était pas des balles, Brody roula sur le côté, prêt à tuer ce salaud. Du moins, cela aurait été son plan, s’il n’avait pas eu une demi-douzaine de fléchettes plantées dans son torse. Contrairement à celles qui étaient sur son cul, Brody les arracha et les jeta sur le côté en se mettant debout, se positionnant entre les assaillants et une Layla toute étourdie, qui avait été touchée par une paire de fléchettes. — Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle en balbutiant. — On a de la compagnie, grogna-t-il. Il secoua la tête, mais cela n’atténua pas les effets des tranquillisants qui ralentissaient déjà ses mouvements et sa parole. — Non, murmura-t-elle, faisant écho à ses propres pensées. Mais comment est-ce possible ? Comment nous ont-ils retrouvés ? Il ne s’agissait pas de savoir comment. Mais plutôt de savoir comment ils allaient s’échapper. Titubant déjà sur ses pieds, Brody n’avait que quelques secondes avant de succomber aux drogues qui agissaient sur son système. Il ne pouvait pas s’évanouir, sinon, il allait laisser Layla sans défense. Je ne la laisserai pas retourner auprès de ce connard. Sûrement pas. Il appela sa bête intérieure, mais son loup était trop engourdi, les sédatifs faisant déjà effet. En entendant le bruit sourd de nouveaux tirs de fléchettes, il se prépara à l’impact, mais la cible n’était pas Brody, mais sa femme, dont les cheveux avaient déjà commencé à se dresser dans un halo statique, un signe qui indiquait qu’elle faisait appel à ses pouvoirs. Ouais, chérie, appelle tes serviteurs à fourrure à la rescousse. Trop tard. Ses paupières se mirent à battre. Puis se fermèrent. Brody laissa échapper un beuglement plein de rage et d’angoisse. Cela ne pouvait pas avoir lieu. Pas en étant à deux doigts d’être libres et secourus. Pas après que je lui ai promis qu’elle ne retournerait jamais plus là-bas. Pas après avoir réalisé à quel point elle compte pour moi. Il s’élança vers l’avant, tendant les bras pour attraper ce salaud au pistolet tranquillisant, mais ses membres refusèrent de coopérer et ses muscles se relâchèrent. Pendant un instant, il comprit pourquoi les hommes prenaient parfois du viagra. Il n’y avait rien de pire que le corps qui ne réagit pas quand on lui en donne l’ordre. Allez, marche, imbécile. Obéis-moi, corps. Non. Il se mit à genoux puis tomba vers l’avant. L’obscurité l’envahit, même s’il grogna pour la faire partir. Cela ne servit à rien. Ses sens s’affaiblirent. À travers ce coton invisible qui semblait lui boucher les oreilles, il crut entendre des cris. Le grondement d’un ours. Puis il cligna des yeux, le clignement le plus long du monde, et lorsqu’il les rouvrit à nouveau, il laissa échapper un glapissement peu viril. Non. Pas ça. Tout sauf ça. Il était passé d’une situation horrible à une autre, plus atroce encore. Des yeux bruns regardaient dans sa direction. Des yeux familiers, tout comme cette voix qui lui dit : — Hé, Brody, j’aime bien l’œuvre d’art que t’as sur le cul. J’espère que ça ne te dérange pas, mais j’ai pris une photo et l’ai envoyée à mon tatoueur. Un lapin rose avec un décolleté de pin-up et un petit clin d’œil espiègle, un petit souvenir de son service militaire où il avait appris qu’il ne fallait jamais perdre connaissance dans un bar du centre-ville avec ses potes. — Ne m’oblige pas à te tuer, Travis, marmonna Brody en se mettant en position assise, toujours nu, mais plus dans cette chambre qu’il avait partagée avec Layla. D’après les éraflures sur ses jambes, on l’avait traîné, mais pas bien loin, car il reconnut l’intérieur du magasin général. — Que s’est-il passé ? demanda-t-il. — On t’a attaqué, mon vieux. Sans blague. Comptez sur le jeune grizzly pour souligner ce qui était évident. Alors que les effets de la drogue se dissipaient, Brody jeta un coup d’œil autour de lui, remarquant les dommages qu’ils avaient causés. Mais surtout, où était sa femme ? — Où est Layla ? — Qui ? — La fille avec qui j’étais. Les cheveux longs. La peau bronzée. Un corps des plus sexy et qui était surtout actuellement la chose la plus importante à ses yeux. — Où est-elle ? demanda-t-il à nouveau. Pourquoi ne pouvait-il pas la sentir ? — Désolé mec, il n’y avait aucune nana quand on est arrivés. Seulement quelques types maigrichons qui essayaient de traîner ta carcasse le long du sol. Ces mauviettes n’arrivaient même pas à te porter. Je me suis dit que tu n’avais pas vraiment envie de partir avec eux, alors je leur ai botté le cul, façon grizzly. Travis rayonnait, et pour ceux qui ne le connaissent pas, cela signifiait qu’il souriait comme un petit con, ses lèvres s’étirant d’une oreille à l’autre ce qui donnait envie de balayait son sourire d’un revers de la main. — J’ai peur de demander ce que cela signifie exactement. — Je les ai neutralisés, évidemment. — Tu as plutôt écrasé leurs crânes l’un contre l’autre, grogna une autre voix familière. Boris apparut, toujours aussi bourru, mais totalement le bienvenu. Si l’élan était dans les parages, Brody était hors de danger, mais pas à l’abri des imbéciles. — Hé, tout le monde ne trouve pas cela approprié d’arracher les membres de ses adversaires pour en faire des matraques. — Alors tu passes à côté du fun, répondit Boris avec un sourire diabolique. — Jan n’en a pas marre de devoir faire des lessives pour laver le sang ? — Mon âme sœur a plutôt l’habitude de me féliciter quand je joue les durs. Et quand je sors mes bois… Le sourire satisfait sur le visage de Boris voulait tout dire. — Mais qu’est-ce que les filles trouvent à ces cornes ? Je ne comprends pas, se plaignit Travis. — Ça s’appelle des bois. Et les femmes les admirent parce qu’ils sont majestueux. — Et font de superbes porte-manteaux. Travis esquiva le coup juste à temps. Le poing dirigé dans sa direction effleura à peine ses cheveux. Mais il ne lui coupa pas la langue pour autant. — Tu deviens lent, mon vieux. Paf ! Boris donna un nouveau coup de poing qui cette fois-ci atteignit sa cible, faisant tituber Travis. Boris ricana. — Vieux ? Ha. C’est ce qu’on appelle un crochet du gauche, l’une des plus vieilles supercheries au monde. Hourra pour Brody, la cavalerie – et sa rivalité incessante – était arrivée. Boris, l’élan le plus mortel sur lequel il ne valait mieux pas tomber, était là avec le plus agaçant des acolytes, Travis. Pauvre gamin. Malgré sa vingtaine d’années, il essayait de faire partie du groupe, mais il n’avait pas eu l’occasion de se rapprocher avec les autres comme eux avaient pu le faire durant leur séjour à l’armée. Cependant, son manque d’expérience ne l’empêchait pas de vouloir être l’un des leurs – et pour la plupart, ils le laissaient faire. Comme un petit frère, Travis en prenait pour son grade avec les moqueries et les coups. L’amour pur et dur. Mais Travis ne semblait pas en être affecté, car le petit revenait toujours avec le sourire. Mais son sens de l’humour pouvait parfois devenir agaçant. Comme là par exemple, alors que Brody était angoissé par la disparition de Layla. Alors que d’habitude Brody aurait aimé humilier un peu Travis – en prétextant le former – il avait des choses, disons plus urgentes à traiter à l’heure actuelle, telles que : — Est-ce qu’on peut reprendre notre discussion initiale au sujet des gars que vous avez assommés ? Qu’est-ce que vous avez fait d’eux après leur avoir botté le cul ? — On les a faits prisonniers évidemment. Des prisonniers qui aimaient se suicider. — Assurez-vous de garder leurs bouches ouvertes sinon… — Je sais, l’interrompit Boris. N’oublie pas que j’étais là quand les premiers que nous avions attrapés ont avalé leur pilule. J’ai bâillonné nos petits amis avec un bâton pour qu’il ne puisse pas avaler avant que le médecin n’arrive. Une fois qu’elle aura enlevé les dents qui posent problème, on les interrogera. — Comment ça, avant qu’elle n’arrive ? Elle n’était pas avec vous ? Travis secoua la tête. — Non. Reid et les autres sont toujours en chemin. T’as eu de la chance que Boris et moi soyons dans les parages. — On était à la recherche de ton cul poilu, ajouta Boris. — Mais bon, maintenant que je l’ai vu, je dois admettre qu’il n’y a pas autant de fourrure que ce à quoi je m’attendais, remarqua Travis. Tu te rases ? Non, mais par contre, Brody pouvait jeter des regards noirs. — Tu as la peau naturellement douce ? dit Travis en sifflant. Espèce de veinard. Enfin bref, nous sommes arrivés pile à temps apparemment. Que s’est-il passé ? Parmi tous les gars, tu es le dernier que j’aurais imaginé être surpris par une embuscade. Est-ce qu’ils t’ont distrait avec une petite chatte du coin pour pouvoir te tomber dessus ? — En quelque sorte. Sauf que Layla n’est pas une fille du coin. Elle était prisonnière de ce connard qui attaquait notre ville. — Ne me dis pas que tu as cru à son histoire de prisonnière ? grogna Boris en se moquant. C’est surtout un appât qui t’a presque conduit à être capturé à nouveau jusqu’à ce qu’on arrive. — Ouais, bon, elle a d’abord été un appât, mais en réalité elle n’avait pas le choix et… la voix de Brody s’estompa. Vous savez quoi, c’est putain de compliqué et je n’ai pas le temps de vous l’expliquer. Pas quand ils sont en train de s’enfuir avec Layla. Ont-ils de l’avance ? Travis et Boris échangèrent un regard qui ne plut pas à Brody. Étant donné le nombre de fléchettes qui avaient touché Brody, combien de temps avait-il dormi ? — Quelle heure est-il ? — L’aube vient juste de se lever. Lorsqu’il réalisa qu’il avait été inconscient durant plusieurs heures, il eut l’impression de recevoir un coup dans l’estomac. — Oh merde ! Il faut qu’on y aille. Ils ont beaucoup d’avance sur nous. — Nous n’irons nulle part tant que Reid et les autres ne seront pas arrivés. — Je ne peux pas attendre aussi longtemps. Une fois qu’il aura posé la main sur elle, qui sait ce qu’il lui fera. Ou là où il l’emmènera. — Pourquoi est-ce si important ? Pourquoi ? Pourquoi ?! Boris lui posait-il sérieusement la question ? N’était-ce pas évident ? — Parce que je l’aime putain, voilà pourquoi. Eh bien, voilà qui fit taire la cavalerie. Boris le regarda bouche bée. Travis l’observa de bas en haut. Et Brody… ouais, Brody aurait aimé porter un pantalon à ce moment-là, parce que mentionner ce prénom qui commençait par un L en étant nu devant un groupe de mecs n’était pas très cool. — Mais comment c’est possible, bordel ? demanda Boris. — J’en sais rien, bon sang. Je l’ai rencontrée. On a eu une connexion. C’est ma femme. Est-ce que c’est vraiment important, putain ? Donnez-moi un pantalon. Il faut que j’aille la récupérer. En se levant, Brody remarqua qu’au moins, quelqu’un lui avait enlevé les fléchettes de son cul. Travis fouilla dans les rayons du magasin et lui jeta un pantalon de jogging avec un sweat-shirt rose sur lequel était écrit : Je soutiens les seins. Les mains qui tenaient des cœurs sur chaque pectoral étaient un petit clin d’œil qui valut à Travis un regard noir. — C’est pour la bonne cause, répondit l’ours – qui ferait d’ailleurs un très beau tapis – en jetant quelques billets sur le comptoir, pour le gérant du magasin. Le sweat-shirt lui allait, et Brody ne laisserait personne dire qu’il était trop poule mouillée pour le porter. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne grogna pas une promesse à Travis : — Je vais t’écorcher. Vif. À ce moment-là, Boris grogna : — Fais la queue. Jan a déjà mis le grappin sur sa fourrure galeuse. Et sa mère affirme qu’elle connaît une très bonne recette de rôti d’ours. Travis se mit à bafouiller. — Hé, c’est juste un sweat-shirt. Pas besoin de vous la jouer cannibale. — Dit le gamin qui n’a aucun respect. Brody se fit le plus grand possible, jetant un regard qu’il voulait menaçant tout en portant ce vêtement de couleur rose sur le haut du corps. Mais cela n’eut pas l’effet escompté. Qu’est-ce qu’il n’aurait pas donné pour une tenue de camouflage, de super bottes de combat et un putain de gros couteau. Rien de mieux qu’une tenue adéquate pour se faire respecter. — Tue-moi et tu auras affaire à ma mère, menaça le gamin. Frissonnant – car seuls les plus gros imbéciles osaient provoquer Betty- Sue et sa fameuse cuillère en bois – Brody s’écarta. Le petit grizzly aurait la vie sauve aujourd’hui. Ou pas. Brody réalisa que Travis pouvait servir de chair à canon s’il parvenait à attraper les mécréants qui avaient capturé Layla. — J’ai besoin de retrouver la trace de ceux qui se sont échappés. Boris, avec ses cheveux parfaitement coupés en brosse, secoua la tête. — Il n’y a pas de trace. Pendant que tu dormais comme la belle au bois dormant, nous avons exploré la zone et tenté de reconstituer ce qui s’était passé. Qui que soient ces connards, ils sont venus avec un camion, un Suburdan pour être exact, et ils sont partis de la même façon. Pas d’odeur à suivre. Mince. — Quelle route ont-ils prise ? — Celle qui se dirige vers le nord-est, vers les frontières extérieures. De retour à leur prison ? Même si Brody ne connaissait pas l’emplacement exact, il avait déjà une idée. Si on lui donnait une carte, il serait probablement capable de la localiser à quelques kilomètres près. — Ton camion a de l’essence ? demanda Brody. — Oui, avec des réservoirs en plus à l’arrière. — Qu’en est-il des munitions et des armes ? Face au regard incrédule que lui jeta Boris, Brody se mit à rigoler. — OK, c’était une question idiote. Donc nous sommes totalement équipés pour partir ? — Ouaip. — J’imagine que ça veut dire que nous n’attendons pas les autres ? demanda Travis en gardant ses distances par sécurité. Pour laisser Layla entre les griffes de ce monstre une minute de plus ? Il laissa échapper un grognement. Boris sourit en faisant craquer ses phalanges. — Si on les attrape en premier, ça veut surtout dire que nous nous amuserons encore plus. — Mais d’abord, nous devons enlever ce putain de truc. Vous avez des cisailles ? dit Brody en tirant sur son collier. — Sympa ton collier. — C’est un collier électrique. — Encore plus sympa. Travis se mit à sourire, mais repéra vite un objet pour arracher le machin. Une fois le poids désagréable sur son cou enlevé, Brody se sentit bien mieux et eut hâte de partir. — Allez, gamin. Bouge ton cul. — Je vais devant ! cria Travis. Brody ricana. Hors de question qu’il s’asseye à l’arrière. Il fit trébucher le jeune homme en sortant et pris sa place à l’avant du camion. Boris se glissa derrière le volant. Un Travis plein de poussière et mécontent grimpa à l’arrière. — C’est pas cool, murmura-t-il. Heureusement que ma mère m’a appris à respecter mes aînés. — Sinon quoi ? — Je t’aurais botté le cul, façon grizzly. Boris et Brody rigolèrent à cette évocation. Travis avait beau penser qu’il était un dur, il n’avait pas bénéficié des années d’entraînement militaire qu’ils avaient eues. Il n’était pas non plus capable de porter un coup fatal. Et d’une certaine manière, vu le regard positif qu’avait Travis sur le monde, Brody espérait qu’il n’aurait jamais à l’apprendre. Certaines expériences ne pouvaient pas être oubliées et pouvaient changer un homme. Pas toujours pour le mieux. Alors que Boris conduisait, un élan en mission, ce qui impliquait de la vitesse, des embardées et des grognements, Brody réquisitionna un smartphone et sortit une carte de la région. Cela lui prit du temps, mais se fiant aux souvenirs qu’il avait de la zone qu’ils avaient traversée et de la distance qu’ils avaient parcourue, il pensa trouver le lieu de leur incarcération avec Layla et le pointa du doigt. Le problème, c’était que les routes de cette région n’étaient pas toutes marquées, il était donc presque impossible de localiser la maison. À moins que quelqu’un ait accès à une certaine base de données grâce à un certain technicien geek de Kodiak Point. Brody appela Kyle, mais ce fut une voix de fillette qui lui répondit : — Salut. — Salut. Hum, est-ce que Kyle est là ? — Oui. Il attendit. La petite fille aussi, son souffle dans le combiné lui indiqua qu’elle écoutait toujours. — Hum, est-ce que je peux lui parler ? — Ouais. — Maintenant ? — OK. Kyle ! La voix qui était auparavant basse et timide fut soudain forte. Brody faillit bondir sur son siège face à ce changement brusque. Un gars dit : — C’est qui ma puce ? — Un homme. Alors que le téléphone changeait de mains, Brody entendit Kyle rire, et il se souvint que ce dernier vivait avec une gonzesse et son enfant. — Yo, mec. C’est qui ? Quoi de neuf ? — J’adore ta secrétaire. — Et moi donc, et sa mère n’est pas mal non plus, ajouta Kyle. — J’ai entendu ! cria une voix féminine. Mais à en juger par son rire, Kyle ne semblait pas inquiet. — Brody, mon pote. Ça fait plaisir d’avoir de tes nouvelles. Tu avais disparu, certains gars étaient vraiment inquiets. Quand aucun de nous n’a reçu d’appel pour payer ta caution, on s’est demandé si tu ne t’étais pas mis dans le pétrin. J’étais justement en train de regarder les news sur Internet et les fréquences radio de la police pour voir s’ils ne mentionnaient pas un loup qui causait des ennuis. — À vrai dire, j’étais bien retenu dans une cellule, mais pas une cellule appartenant aux autorités. Le connard qui nous emmerde depuis quelque temps s’est dit que je ferais un super donneur de sperme. Il entendit un rire inattendu à l’arrière. — Et ils t’ont choisi toi ? Même Boris ricana. — Apparemment, ils n’ont jamais vu tes résultats de test de QI. Brody pointa un certain doigt vers son pote. — Ces trucs débiles ne prennent pas en compte la débrouillardise et la ruse. Mets-moi avec l’un des inventeurs de ce test au beau milieu de la jungle et on verra qui s’en sort vivant. — Touché, mon pote. Alors pourquoi voulaient-ils de ta marchandise ? Pour créer une super armée de loups-garous ? — Pas sûr. Mais c’était à moitié un mensonge. Brody n’avait jamais réellement compris ce que ce type attendait réellement de lui à part engrosser Layla. Qu’il souhaitait tester s’il pouvait reproduire son pouvoir était évident, mais dans quel but ? Un enfant ne serait pas utile avant de nombreuses, nombreuses années. — J’imagine que tu ne m’appelles pas pour me demander des infos sur les lois relatives à la pension alimentaire pour les enfants de donneurs de sperme non consentants. Alors, de quoi t’as besoin ? — J’ai besoin que tu me trouves une adresse. Car maintenant que Brody avait une idée générale de la zone et étant donné les conditions dans lesquelles était la maison, il y avait de fortes chances pour que l’endroit où il avait été retenu prisonnier soit abandonné depuis des années. Une maison abandonnée voulait dire que quelqu’un ne payait pas ses impôts à la municipalité. Ce qui voulait dire que l’endroit avait pu être saisi et que son emplacement était désormais public. Il aurait bien aimé voir cette putain logique sur un test de QI ! À peine plus intelligent qu’un singe, tu parles. Alors que Brody expliquait sa théorie, il obtint enfin le respect qu’il méritait. — J’adore ta façon de réfléchir, dit Travis avec admiration à l’arrière. On dirait un truc d’enquêteur sur une scène de crime, génial, une putain de déduction mec ! Génial, seulement si sa théorie se confirmait. Cela pouvait être problématique si ses critères de recherche impliquaient plusieurs adresses. Finalement, il y en eut trois. Trois possibilités. Trois chances de tout foirer. Brody ne devait en choisir qu’une seule. Fermant les yeux, il laissa ses tripes, son instinct qui ne l’induisait jamais en erreur, choisir pour lui. Mais avant qu’ils ne s’y rendent, Kyle les rappela. Brody répondit. — Qu’est-ce qui se passe ? Tu as trouvé une autre adresse ? — Je traçais les signaux de ton téléphone portable pour connaître votre géolocalisation et j’ai remarqué un signal en plus. — Un signal en plus ? — Je crois qu’on t’a mis un mouchard mec. Un mouchard ? Putain de merde. Voilà qui expliquait comme les sbires de ce psychopathe les avaient retrouvés lui et Layla. — Où est-il ? grogna-t-il. J’arracherai ce truc moi-même ! — Bonne chance avec ça, répondit Travis. — Pourquoi tu dis ça ? — Je dis ça, commença Travis en montrant son téléphone à Brody, sur lequel on apercevait une photo agrandie du cul de Brody et son tatouage, parce qu’on dirait que quelqu’un va devoir opérer ton postérieur, car je suis assez certain que ton lapin n’est censé avoir que deux tétons rouges, pas trois. Le cul nu, à l’air pendant que quelqu’un du même sexe que lui maniait un couteau sur sa peau ? Juste pour ce moment d’humiliation, Brody tuerait ce type qui se faisait appeler maître. Doucement. Douloureusement. Et si Travis n’arrêtait pas de rire rapidement, il mourrait aussi. CHAPITRE QUATORZE

D’une extase incroyable à l’horreur. Quelques instants plus tôt, Layla se délectait d’un orgasme intense, face à face avec Brody, qui affichait une expression si tendre qu’elle aurait pu jurer qu’il était sur le point de dire quelque chose. Quelque chose de mémorable. Qui aurait pu changer leur vie. Mais ces mots ne franchirent jamais ses lèvres. En l’espace de quelques secondes, on ouvrit violemment leur porte, grande ouverte, et ses yeux s’écarquillèrent alors que son corps s’aplatissait contre le sien, mais seulement pour un instant avant qu’il ne roule sur le côté et se tourne pour affronter les intrus. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre ce qui était en train de se passer, notamment lorsqu’elle sentit la piqûre familière des fléchettes tranquillisantes. Le maître les avait retrouvés. Non. Pas après ce bref instant de bonheur. Layla ne voulait pas y retourner. Elle voulait garder sa liberté. Garder ce plaisir qu’elle avait trouvé dans les bras de Brody et par sa présence. Elle lutta contre les effets de la drogue et puisa dans son pouvoir. Elle fut inondée de sensations, le murmure des esprits, certains minuscules, d’autres plus distincts et alertes, lui indiquant la présence d’un animal de taille moyenne. Si elle parvenait à les amener jusqu’à elle, peut-être que la distraction serait suffisante pour… D’autres fléchettes la frappèrent, les drogues qu’elles contenaient firent effet si rapidement que ses yeux ne purent s’empêcher de se fermer. Elle était encore à peine consciente lorsqu’elle tomba en avant, le visage dans l’oreiller. À travers cette léthargie qui lui volait son libre arbitre, elle crut entendre un hurlement de rage, puis, plus rien. Quand elle cligna ensuite des yeux pour se réveiller, elle se demanda si l’évasion cinquante-sept n’était pas un rêve, car là, au-dessus d’elle, se trouvaient des barreaux familiers avec une cellule qu’elle ne connaissait que trop bien. N’était-ce qu’un rêve ? Mais même elle ne pouvait pas l’imaginer de façon si réaliste et vivante. Le temps passé avec Brody n’était pas une hallucination. Et il y avait d’autres indices, comme ces sensations qui persistaient dans son corps après qu’il lui ait fait l’amour, une douleur entre ses cuisses et ses lèvres qui lui semblaient pleines après avoir été embrassées. Son odeur s’accrochait encore à la chemise qu’ils lui avaient mise avant de la ramener en prison. Une prison qui ne le retenait pas, lui. Alors qu’elle se relevait, Layla tourna en rond, le cherchant du regard, cherchant un signe qui puisse lui prouver qu’il était revenu avec elle. Seule. Elle était seule. Qu’est-ce que cela signifiait ? Oh, mon Dieu, est-il mort durant l’embuscade ? Le maître avait-il tué le loup ? Les larmes qui coulèrent de ses yeux la surprirent. Elle pensait ne plus être capable de pleurer, mais apparemment, malgré sa détermination à rester détachée, Brody avait franchi les murs qui protégeaient ses sentiments. Il avait trouvé sa place dans ce cœur qu’elle pensait trop désabusé pour aimer. Aimer ? Était-ce possible ? Elle pensait que l’amour était parti pour de bon. Ou bien celui-ci était-il simplement resté endormi, attendant la bonne personne ? Pas n’importe qui. Brody. Le haut-parleur émit un craquement, revenant à la vie, il avait bien évidemment été réparé durant sa fuite vers la liberté. La voix robotique du maître gronda soudain. — Bon retour parmi nous, toutou. J’imagine que ton petit rendez-vous galant s’est bien passé. Elle ne répondit pas et se recroquevilla sur son lit. — Quoi, tu n’as rien à dire ? Ça ne te ressemble pas. Heureusement que je sais déjà ce qui s’est passé. Je savais que tu ne pourrais pas résister à ce type si on t’en donnait l’occasion. — Il ne s’est rien passé. — Menteuse. As-tu oublié comment t’ont trouvée mes hommes ? Comment pouvait-elle oublier ? — Je ne l’ai pas fait pour vous. Elle n’aurait pas pu dire pourquoi elle ressentait le besoin de justifier ses actes, mais cela lui semblait important d’affirmer à voix haute qu’elle n’avait pas couché avec Brody pour faire plaisir au maître, mais parce qu’elle le désirait. — Peu importe comment c’est arrivé. La chose est faite et dans quelques jours, nous saurons si celle-ci a porté ses fruits. Pff, le maître et son foutu plan pour la faire se reproduire. — Et si cela n’a pas fonctionné ? — Est-ce ta façon subtile de demander s’il est toujours dans les parages pour remettre le couvert ? — Non. Mais cela ne la dérangerait pas de savoir s’il avait au moins survécu. Pitié, dites-moi qu’il s’est enfui ou qu’il est détenu quelque part. — N’aie crainte. Ton amant est en vie. Pourquoi ne le serait-il pas ? Le loup a survécu pour moi. Même s’il n’était pas obligé d’être aussi convaincant avec son soi-disant sauvetage. Les hommes qu’il a tués ne seront pas faciles à remplacer. Une sensation de froid lui serra l’estomac. — De quoi parlez-vous ? — N’as-tu pas trouvé votre évasion trop facile ? Le maître considérait que l’enfer qu’ils avaient traversé pour s’échapper avait été facile ? — Nous nous sommes battus jusqu’au bout. — Pour que cela ait l’air réel, mais depuis le début, le loup ne faisait que suivre les ordres. — Vous mentez. — Si ça te rassure de penser ça. — Je le sais. — Ah oui ? Que sais-tu vraiment de Brody ? Ne t’es-tu pas demandé pourquoi je vous ai retrouvés si facilement ? Elle avait supposé que le maître avait des hommes positionnés un peu partout près des villes, attendant qu’ils refassent surface. Cela ne voulait pas dire que Brody l’avait trahie. — Je sais tout sur votre réseau d’espionnage. — Mais dont je n’ai pas eu besoin cette fois-ci. Pas quand Brody t’a amenée à un endroit qui était prédéterminé. — Je ne vous crois pas. Ce périple n’était pas un mensonge. Brody avait été aussi perdu qu’elle dans ces bois. Elle l’avait vu garder un œil vers le soleil dans le ciel pendant qu’ils voyageaient, s’assurant qu’ils ne tournaient pas en rond. — N’as-tu pas trouvé cela suspect qu’aucun de mes hommes ne l’ait touché par balles ? Ce ne sont pas de si mauvais tireurs. Allez, Layla, tu es une fille intelligente. Arrête de le nier. Tout ça était un coup monté pour que tu lui fasses confiance et que tu le laisses venir entre tes cuisses. Et ça a marché. Voix robotique ou non, elle pouvait quand même entendre une forme de jubilation malsaine à travers la déclaration du maître. Elle ne voulait pas y croire. Refusait d’y croire. Non. Pas Brody. Pitié, ne me dites pas qu’il m’a trahie. Pas après que je me sois enfin autorisée à lui faire confiance. Et à l’aimer. Mais une fois de plus, était-elle vraiment surprise ? L’histoire avait tendance à se répéter. Non. Elle secoua la tête pour se débarrasser de ses mauvaises pensées. Brody était différent. S’il y avait bien quelqu’un qui mentait actuellement, c’était le maître. Dans quel but, ça, elle ne pouvait pas le savoir. Ou peut-être que si. Le maître adorait réduire le bonheur et l’espoir en miettes. Il ne pouvait pas imaginer meilleure torture pour elle que de lui faire croire que la seule chose bien qu’elle ait expérimentée dans sa vie soit un mensonge. Le maître mentait. Brody ne l’avait pas trahie. Et s’il ne l’avait pas fait, si elle comptait vraiment pour Brody comme il l’avait laissé entendre, alors il viendrait la chercher, mais seulement s’il savait où la trouver. Il faut que je trouve un moyen de le contacter. En faisant appel à ses sens, elle n’alla pas bien loin. La pierre épaisse du sous-sol était quand même une barrière importante entre ici et l’extérieur. Seuls les plus petits insectes osaient survivre entre ces murs. Il n’y avait rien qu’elle puisse utiliser. Cependant, cette constatation ne l’effraya pas autant que la décision du maître, qui ne comptait pas rester. Deux gardes arrivèrent, l’un tenait un pistolet tranquillisant. — Coopère sinon on te tire dessus. Un garde qui ne lui était pas familier lécha ses lèvres charnues. — Je vote pour qu’on lui tire dessus dans tous les cas. Comme ça, elle ne pourra rien faire contre nous quand on regardera ce qu’elle cache sous cette robe. — Vous n’oseriez pas. Elle s’éloigna d’eux. Le second garde s’avança, lui montrant les menottes qu’il tenait dans la main. — Il ne te touchera pas, mais seulement si tu te comportes bien. Mets-toi à genoux, les mains derrière le dos. Layla ne gagnerait pas si elle devait utiliser la force. Et elle ne pourrait rien faire non plus s’ils lui faisaient perdre conscience. Elle s’agenouilla et mit ses mains derrière elle. Les menottes froides et métalliques qui lui étaient familières anéantirent presque le peu d’espoir qui lui restait. Mais alors qu’ils lui faisaient monter les escaliers, elle fit en sorte de ne pas laisser s’éteindre cette petite flamme d’optimisme qui brûlait en elle. Le maître, vêtu d’une toge et de son masque habituel, les attendait. — Bonjour, toutou. Tu es d’humeur à partir en excursion ? Une boule se forma dans le creux de son ventre. — De quoi parlez-vous ? Une excursion où ? Et pourquoi ? Après avoir rencontré Brody et en avoir appris plus sur Kodiak Point et ses habitants, elle doutait pouvoir volontairement leur faire du mal. Le maître pourrait la menacer autant qu’il voudrait. Elle en avait assez de blesser des gens dont le seul crime était d’agacer ce psychopathe qui la retenait prisonnière. — J’ai fait ce que j’avais à faire ici. Dis au revoir à ce maudit pays. Nous rentrons à la maison. À la maison, c’est-à-dire à l’étranger, vers ces contrées arides avec du sable et des montagnes, d’où elle venait auparavant ? Comment Brody allait-il la retrouver ? Paniquée, elle déploya ses sens. Elle avait besoin de quelque chose qui puisse trouver Brody. Quelque chose qu’elle puisse contrôler. Là, haut dans les airs, un oiseau. Une oie solitaire avec un petit cerveau, mais elle n’avait pas besoin de plus. Elle lui donna des instructions, mais ne sut pas si elles furent respectées, car un coup sur sa tête la fit tomber au sol. — Vilain toutou. Ne comprends-tu donc pas ? T’échapper est inutile. Ne me force pas à te droguer. — Droguez-moi et vous pourriez éventuellement faire du mal à un bébé. — Bien vu. Mais je suis certain qu’Harry ici présent ne verrait pas d’inconvénient à t’assommer si je lui demandais. Bouillonnant de rage derrière les cheveux qui lui étaient tombés sur le visage, elle murmura : — Je saurai me tenir. Jusqu’à ce qu’une meilleure opportunité se présente. Il fallait qu’elle accomplisse la mission cinquante-huit avant de monter dans l’avion. Il y avait peu de chance que cela arrive, pas avec tous ces hommes qui l’encerclaient et son maître qui observait ses moindres faits et gestes, même s’il portait une cagoule. Ce dont j’ai vraiment besoin, c’est d’un miracle. CHAPITRE QUINZE

Je me suis trompé. La propriété qu’avait choisie Brody en écoutant ses tripes n’était pas la bonne. Il le sut dès que le long trajet se termina et que la maison apparut. Mauvais endroit. Mauvais emplacement. Pire encore, le temps pressait. Un sentiment d’urgence l’habitait. Dépêche-toi ! lui hurlait son sixième sens. Dépêche-toi, elle n’a pas beaucoup de temps. Brody sauta du camion lorsque Boris s’arrêta et renifla autour de lui, juste au cas où. Après tout, il s’était échappé durant la nuit et s’était battu pour se libérer. Un espoir inutile. Cet endroit appartenait à la faune sauvage qui s’était emparée de cette maison, pas à un psychopathe et ses sbires. Levant la tête vers le ciel, il ne put s’empêcher de laisser échapper un hurlement plein de frustration. Car la frustration l’habitait. Heureusement que Travis l’optimiste ne semblait pas être affecté. — Le GPS est en train de tracer la route la plus rapide jusqu’au prochain emplacement, annonça-t-il à l’arrière du camion. — Et si celui-ci aussi n’est pas le bon ? grogna Brody. Putain ! Pieds nus, il donna un coup sur le sol, l’accoutrement qu’ils lui avaient déniché n’impliquait pas de chaussures, pas pour ses pieds qui faisaient du 49. Et pour que cette putain de journée soit encore plus radieuse, une oie qui volait au-dessus de lui décida de lâcher une fiente chaude qui s’éclaboussa près de ses orteils. — T’as de la chance d’être là-haut ! hurla-t-il à l’oiseau qui s’élevait dans le ciel, sinon j’aurais rôti ton cul pour le dîner ! Comme pour répondre à sa menace, l’oie des neiges descendit en cercle et lui siffla dessus avant de s’éloigner à nouveau vers le nord-ouest. — Ouais, envole-toi avant que j’attrape un fusil et te tire dessus. Brody se retourna et se dirigea vers le camion, pour finalement s’arrêter lorsque l’oie siffla à nouveau dans sa direction. On aurait dit que l’oiseau avait à nouveau fait demi-tour, un comportement totalement atypique, même pour cette folle agressive. Une fois de plus, l’oie siffla lorsqu’elle vit qu’elle avait attiré l’attention de Brody avant de virevolter à nouveau et repartir exactement dans la même direction. Attends une minute… Serait-ce ? Une arme cliqueta alors qu’on enlevait le cran de sécurité et Brody n’eut que quelques secondes pour frapper sur le bras de Boris, lui faisant rater son tir. — Tu m’as fait rater ! dit Boris d’un air totalement incrédule, probablement parce que d’habitude il était un excellent tireur. — Ne tire pas sur cet oiseau. — Pourquoi pas, bordel ? Il ne demande qu’une seule chose, c’est d’être notre dîner. — Ou il essaie de nous envoyer un message. — T’es devenu complètement dingue ou quoi ? demanda Boris. — Je crois que cette oie est un message de la part de Layla. — Tu crois qu’un animal dont les oreillers en plumes et les repas du dimanche sont les seuls bénéfices pour la société… — Farcie aux petites herbes dont Maman a le secret, avec des croutons et du bacon, puis servie avec la plus moelleuse des purées de pommes de terre et des biscuits frais, interrompit Travis. — … peut vraiment être une sorte de, quoi, message secret ? termina Brody en ricanant. — Et dire que tout le monde affirme que je suis celui qui est sûrement tombé sur la tête un bon nombre de fois en étant petit, dit Travis en rigolant. — Je ne peux pas vous expliquer pour l’instant. Faites-moi juste confiance. Il faut que l’on suive cet oiseau. — Tu es sûr ? — Faites-moi confiance. Cela suffit à convaincre l’élan. Le problème, c’était que le camion ne pourrait pas circuler dans les bois. Brody dut prendre une décision en une fraction de seconde. La propriété la plus éloignée qu’ils devaient atteindre se trouvait au nord-est – s’ils y allaient par la route. Cependant, qu’en était-il si un certain loup agile y allait à pied ? Se débarrassant de ses vêtements, Brody leur donna rapidement des instructions. — J’irai à quatre pattes. Prenez la route et appelez-moi si vous avez besoin d’aide. Je prendrai le portable avec moi. Il faudra l’accrocher sur un harnais pour que je puisse le transporter sous ma forme de loup. — Pas de problème. J’ai quelque chose qui devrait le faire à l’arrière de mon camion. Travis, appelle Kyle et demande-lui de traquer le mouchard de Brody, juste au cas où, ajouta Boris. Je ne voudrais pas qu’on perde à nouveau monsieur le loup. — Très drôle. Regardez qui se prend pour un humoriste maintenant, grogna Brody. Au lieu de faire des blagues, pourquoi n’appelles-tu pas Reid et les autres ? Ils ne devaient pas être bien loin à présent, après avoir traversé l’État pour les rejoindre. — Bla-bla-bla, je sais ce que je dois faire, grommela Boris. Vas-y. — Et garde-nous quelques méchants, ajouta Travis en se penchant par la fenêtre, il faut que je m’entraîne et peaufine mes techniques de grizzly. Mais Brody ne pouvait rien promettre, et pas seulement parce qu’il s’était transformé en loup. Si quelqu’un osait toucher à un seul cheveu de Layla, leur vie ne vaudrait plus rien. Si tu fais du mal à ma femme, tu meurs. Reid, Gene et Boris n’étaient pas les seuls à ne montrer aucune pitié quand ceux qu’ils aimaient étaient en danger. Quatre pattes pouvaient être très rapides, notamment pour la mission la plus importante de sa vie. La théorie de Brody sur l’oie semblait se confirmer, car son guide ailé ne le laissait jamais trop loin derrière et volait en ligne droite vers un paysage qui commençait à lui être familier. Était-ce le ravin du haut duquel il avait sauté avec Layla ? Avec un peu de chance, il était du bon côté. Plus il courait, plus il était persuadé qu’elle n’était pas loin. Il accéléra sur ses jambes, la brise provoquée par son propre passage effleurant sa fourrure. Il jaillit des bois sans s’arrêter, comptant sur l’effet de surprise. Sauf qu’il n’y avait personne pour l’accueillir. C’était le bon endroit. Son nez en était certain. Pourtant… Le sniper sur le haut du toit ne tira pas, car il n’était pas là. Les gardes qui patrouillaient sur le côté avaient laissé des signes de leur présence avec leurs odeurs et des mégots de cigarette jetés par terre, mais aucun ne donna l’alerte. Même les chiens n’étaient plus sous le porche. Malgré la boule de terreur qui s’était formée dans son estomac, Brody se transforma à nouveau pour pouvoir manipuler la porte d’entrée. Du papier peint racorni. Des murs tachés. Le salon très laid. La cuisine sale. Tout était comme ils l’avaient laissé en partant. Y compris la cage au sous-sol, celle dont la porte était grande ouverte. Il ralentit le pas en la voyant. Layla n’était pas là. Plus là. Il pouvait sentir sa présence, encore fraîche, comme si elle venait juste de partir, mais pour aller où ? Où étaient-ils tous partis ? Peut-être qu’un détail lui avait échappé. Brody retourna au rez-de-chaussée pour l’examiner, mais cela ne servit à rien. L’étage supérieur était aussi vide que le placard de la Mère Hubbard1. Layla était partie. Où ce bâtard l’a-t-il emmenée ? Dehors, il se rendit au garage pour se heurter à nouveau à un mur de véhicules garés, assez déroutant. S’ils n’étaient pas partis d’ici en voiture, alors où étaient-ils ? Que restait-il comme option ? Il fallait qu’il ralentisse et revienne sur les pas de Layla jusqu’à la maison. Sauf qu’il n’eut pas besoin d’aller bien loin. Là-bas, dehors, mélangées à une douzaine d’autres odeurs, il sentit celles de Layla et du psychopathe. Ils semblaient tous se diriger à pied dans une seule direction. Avant de les poursuivre, il tira le téléphone de son harnais qu’il portait encore autour de son cou. Il tapa un message rapide, car appeler et parler lui ferait perdre des secondes précieuses. P v C. Abréviation de : « Préparez-vous ça va chauffer ». En effet, la zone était à risque et allait être encore plus dangereuse, car il entendit soudain Layla crier. Ne t’inquiète pas, chérie. Le grand méchant loup arrive et il est sur le point de botter des culs et de leur foutre une raclée. Ahouu ! CHAPITRE SEIZE

Le maître était devenu totalement fou – bien qu’il n’ait jamais vraiment été très sain d’esprit. Le retard sur la piste dû à un incident électrique – merci les écureuils du coin pour votre aide précieuse et vos dents tranchantes – permit à Layla de gagner du temps. Mais lorsque le maître réalisa que c’était à cause de son intervention qu’ils se retrouvaient assis à attendre sur la piste d’atterrissage, il la drogua, assez pour engourdir ses sens. Étourdie et ligotée, elle s’assit sur le sol alors que le maître faisait les cent pas devant elle, une forme inquiétante avec une robe noire qui ondulait. Et pour empirer les choses, il ne put s’empêcher de la provoquer en confirmant ses soupçons. — Attends que le loup réalise que tu es partie et que nous avons son enfant. En entendant son rire robotique, un frisson lui parcourut l’échine. — Je croyais qu’il m’avait trahie. — Pas volontairement. C’est moi qui ai dit à mes hommes de vous laisser vous enfuir. Pour te donner un faux sentiment de liberté et pour que tu sois assez à l’aise pour le remercier de t’avoir sauvée. — C’est tordu. — Je préfère le terme « génial ». C’est également grâce à mon génie que j’ai pensé à implanter un mouchard sur ton loup, ce qui nous a menés jusqu’à toi. Bon sang. Voilà qui expliquait beaucoup de choses. Mais Layla avait quand même quelques questions. — Je suis surprise que l’on parte si rapidement. Je veux dire, ce plan pour que je me reproduise, et s’il échouait ? Je pourrais ne pas être enceinte et dans ce cas-là, tout ça ne serait que du gâchis. — Les métamorphes sont très viriles. — Et si je ne suis pas enceinte ? — Eh bien nous réessaierons. Sauf que la prochaine fois, nous nous en remettrons peut-être à la science pour accomplir cette tâche. Elle ne put s’empêcher de frissonner devant son ton menaçant. — Pourquoi êtes-vous si déterminé à ce que je tombe enceinte ? — Pas seulement enceinte. Enceinte de lui. De tous, le loup est celui qui devrait souffrir le plus pour ce qu’il a fait. — Vous le connaissez ? — On peut dire ça. Mais assez de questions. Tu nous retardes. Pourquoi ? Même si un masque couvrait les traits du maître, elle pouvait facilement imaginer une paire d’yeux – probablement rouges et diaboliques, comme ceux des méchants dans les histoires paranormales – braqués sur elle. — Je n’ai peut-être simplement pas envie de voler et de prendre l’avion. — Ou bien tu attends quelque chose ? Ne me dis pas que tu crois que quelqu’un va venir te sauver ? Le loup ne viendra pas pour toi. — Comment puis-je être sûre que vous ne mentez pas à nouveau ? — Tu ne peux pas. Mais cela me fait énormément plaisir de te dire que je sais pertinemment que ton amant n’est absolument pas dans les parages. Son mouchard n’a pas bougé et est toujours dans cette ville où nous l’avons laissé. — Laissé ? ricana Layla. Soyez honnête. Vos hommes ont rencontré plus fort qu’eux et sont partis comme des lâches. — Pas plus lâche que ton loup qui n’a même pas pris la peine de venir te chercher. — Ça, c’est que tu crois. La voix de Brody résonna et elle fut soudain euphorique. Il est venu. — Tu ne devrais pas être là, ce n’est pas possible ! Mon mouchard indique que tu es à des kilomètres de nous, au sud. — J’ai donné ce petit mouchard à un rongeur du coin. — Tu aurais dû garder tes distances, le loup. Debout – et nu – Brody était beau à voir. — Et m’en aller ? rigola Brody, un son grave et glacial qui était plus moqueur que joyeux. Jamais. Tu as quelque chose que je veux. — Tu ne me captureras jamais ! — Ouh là, quelqu’un a un égo surdimensionné ici. Qui a dit que j’étais là pour toi ? Je suis là pour ma femme. Layla n’avait jamais rien entendu d’aussi adorable dans sa vie. — Tu peux toujours rêver. Le maître pivota et aboya quelques ordres. — Tuez-le ! Les métamorphes qui étaient sous les ordres du maître et qui s’étaient déjà rapprochés dès l’apparition de Brody levèrent soudain leurs armes. Pas de chance. Mais heureusement pour Brody, ils n’agirent pas très vite. En un clin d’œil, Brody se glissa juste à temps derrière une caisse de transport abandonnée sur le bord de la piste d’atterrissage, alors que les balles plongeaient vers la terre, là où il se tenait quelques secondes auparavant, pendant que d’autres sifflèrent vers les bois derrière lui. Les voyous continuèrent de tirer, leurs projectiles touchant la caisse en bois, envoyant des éclats dans tous les sens. Layla ne pouvait qu’espérer que la caisse soit un bouclier assez épais pour protéger Brody. Une évasion étant désormais envisageable – j’arrive, numéro cinquante- huit ! – Layla tira sur la corde qui lui liait les mains. Les drogues dans son système ne s’étaient pas encore assez dissipées pour qu’elle puisse utiliser ses pouvoirs. Ce qui était dommage, car s’il y avait bien un moment pour provoquer une ruée de fourrures, c’était maintenant. Mais apparemment, elle n’avait pas le droit à une seconde chance pour s’échapper ni de regarder le drame se dérouler sous ses yeux. Le maître lui- même l’attrapa par le bras, ses doigts fins et gantés lui firent mal alors qu’il l’agrippait violemment. Il la releva d’un coup sec. — Avance. Avancer vers l’avion ? Pour s’éloigner de Brody ? Même pas en rêve. Layla laissa son corps devenir tout mou et s’affaissa. Ce poids soudain brisa l’emprise du maître et elle tomba au sol en faisant « Pouf ! ». — Lève-toi et bouge, j’ai dit ! aboya le maître, de sa voix robotique et uniforme, mais qui exprimait une certaine irritation. — Il va falloir me traîner, car je n’irai nulle part avec vous. Donner à quelqu’un des conseils pour kidnapper une personne n’était pas la chose la plus intelligente qu’ait faite Layla, car le maître prit ses instructions au pied de la lettre. L’attrapant à nouveau par le bras, il commença à la tirer en direction de l’avion, dont les moteurs grondaient à plein régime. Incapable de se battre ou de lutter avec ses membres liés, Layla ne put qu’observer et le maudire en voyant ses chances de s’enfuir s’éloigner. Le pauvre Brody était retenu par les tirs puissants des sbires du maître. Tout semblait désespéré. Jusqu’à ce que le premier malfrat tombe avec un cri étouffé. Puis un autre hurla alors qu’une tache rouge se propageait sur sa poitrine. Des renforts ? Était-elle si chanceuse ? Alors que les coups de feu diminuaient pour à nouveau reprendre, mais de manière chaotique et dans tous les sens, Layla réalisa que Brody n’était pas venu seul. La balle était dans l’autre camp. Avec un grognement, Brody sauta de derrière la caisse qui le protégeait. Mais les sbires du maître ne comptaient pas encore déclarer forfait. Avec l’arrivée des renforts, ils se mirent à l’abri et continuèrent de tirer sur Brody et vers les bois, là où quelqu’un qui savait bien tirer continuait de causer des dégâts. Le maître redoubla d’efforts pour déplacer Layla et l’amener jusqu’aux escaliers qui montaient vers l’avion. Elle fit de son mieux pour se débattre et gigoter. Le maître parvint quand même à la tirer sur l’escalier raide, puis elle fut hissée lorsque d’autres mains à l’intérieur de l’avion la saisirent. Le pilote et son second l’amenèrent à l’intérieur de l’avion-cargo. — Allez-y ! hurla le maître. Sortez-nous de là ! — Et les autres ? demanda le pilote. — Laissez-les. Ils ne sont pas importants. Le maître n’accordait jamais beaucoup d’importance à ses subordonnés. — Nous devons fermer la porte, soutint le pilote. — Je m’occupe de cette foutue porte. Ramenez votre cul jusqu’au cockpit et bougez ce putain d’avion ! L’équipe fit ce qui lui était demandé et le bruit des moteurs s’intensifia. La situation semblait sans espoir, mais tant qu’ils ne quitteraient pas le sol, Layla ne baisserait pas les bras. Lorsque le maître se dirigea vers la porte pour la fermer, bien qu’elle eût les chevilles liées par du ruban adhésif, Layla balança ses jambes et le fit trébucher. Il tomba violemment sur le sol. — Oh, espèce de salope, murmura-t-il en se remettant debout. Tu vas payer pour ça. — Alors autant que je fasse ça, rétorqua-t-elle alors qu’il se tenait au- dessus d’elle. Elle donna à nouveau un coup avec ses jambes, cette fois-ci dans son genou, ce qui, non seulement fit reculer le maître, mais le fit également hurler de douleur. Détournant son attention pendant une seconde, Layla fit de son mieux pour se tortiller tel un ver de terre vers la porte toujours ouverte, pour finalement être tirée immédiatement par les cheveux. La douleur lui fit monter les larmes aux yeux et la fit hoqueter. — Pas si vite, toutou. Elle gémit à nouveau lorsque l’avion se mit soudain en mouvement, envoyant rouler le maître sur le côté, avec elle, ses cheveux toujours agrippés par son poing et d’après les pointes de douleur qu’elle ressentait, il les arrachait à la racine. Un hurlement réussit à se faire entendre par-dessus le grondement des moteurs. Brody avait remarqué leur départ imminent. En rappant son menton contre le sol, le maître la relâcha et se dirigea à nouveau vers la porte grande ouverte qui laissait entrer de l’air. Alors qu’il tirait sur l’ouverture pour la faire glisser et fermer l’avion, pour la première fois depuis des années, elle ne put s’empêcher de prier, un murmure, un seul mot, une seule supplication : — Brody. Contrairement à ceux qui l’avaient laissée tomber par le passé, il l’avait entendue et était venu pour elle. CHAPITRE DIX-SEPT

Lorsque Brody atteignit l’aérodrome, même lui dut reconnaître que ses chances de succès étaient minces. Mais il ne comptait pas s’arrêter pour autant. Layla était là-bas. Ligotée, effrayée et pourtant, il vit les étincelles dans ses yeux lorsqu’elle l’aperçut. Et il ne comptait pas laisser ces étincelles disparaître. Évidemment, ce connard cagoulé et son armée ne pouvaient pas agir intelligemment et simplement lui rendre Layla. Non. Ils voulaient se battre. Ce qu’il était capable de gérer. Le problème, c’est qu’ils étaient armés. Ce n’est vraiment pas fairplay d’apporter des armes à un combat de métamorphes. Si ceux qui les affrontaient avaient pris leur forme animale, il les aurait clairement chargés. Ces phoques qui aboient et même le morse aux grandes dents et le bison très laid ne faisaient pas le poids face à un puissant loup des bois. Mais non. Ces types trichaient et avaient apporté des pistolets, ce qui voulait dire que Brody pouvait soit, mourir inutilement, comme une pelote à épingles, trouée de balles, ou soit, se mettre à l’abri et espérer que : A : ils soient à court de munitions ou : B : un putain de miracle se produise, comme par exemple qu’il devienne soudain pare-balles ou que le maître change d’avis et monte à bord de son avion sans Layla. Ou alors, il y avait l’option C : les renforts arrivaient en un rien de temps avec leurs propres armes. Et pas juste des armes : Boris avec un fusil. Mieux encore, Boris était avec l’imbécile. Travis n’était pas un très bon tireur, mais comme il tira de l’autre côté de l’aérodrome, ceux qui faisaient face à Brody devaient désormais reporter leur attention ailleurs. Il était temps de sortir sa fourrure et de réduire ces trous du cul en miettes. Changer de forme ne prenait que quelques secondes ; le faire en bondissant avec un grognement puissant, un instant de plus. Mais pendant ce temps, le gars encapuchonné avait réussi à traîner Layla jusque dans l’avion. Non. Non. Non. Brody ne pouvait pas laisser cet avion décoller. Sinon, il ne retrouverait peut-être jamais Layla. Il râla intérieurement pendant trop longtemps et une balle siffla près de son flanc, creusant un sillon ce qui ne le fit pas glapir, mais l’énerva énormément. Attention à cette putain de fourrure ! Avec un rugissement destiné à effrayer les ennemis au point de les faire se pisser dessus, Brody chargea. Heureusement pour lui, l’arme du voyou qui le fixait droit dans les yeux était coincée. Ah, cette douce odeur de panique et de peur, qui allait très bien avec celle du sang lorsqu’il déchiqueta le connard qui avait osé se tenir en travers de son chemin. Ce fut purement par chance qu’il évita une autre balle de justesse, probablement parce que Travis avait rejoint la mêlée, son énorme silhouette de grizzly rugit en balançant ses pattes, munies de griffes mortelles, vers tout ce qui bougeait. Ces gestes étaient loin d’être gracieux, mais les coups de patte enthousiastes de Travis firent des dégâts. Sur le côté, tirant très calmement, Boris criait des directives au petit jeune. — Ne perds pas ton temps à jouer avec eux. Tue ce con et passe au suivant ! Le gros ours hocha la tête et, d’une façon beaucoup trop humaine, donna un coup de poing au gars devant lui, même si cela ne figurait pas dans le manuel technique du grizzly, cela fit l’affaire. Mais il avait plus important à faire que d’analyser les techniques de Travis. Brody devait prendre un avion, un avion qui s’éloignait de lui. Oh, non, sûrement pas. Il s’élança après l’avion, un cri de douleur de Layla le poussa à accélérer pour égaler la vitesse de l’avion qui rebondissait sur la piste. Alors qu’il était parallèle à l’appareil, il sauta vers la porte ouverte et ses doigts s’accrochèrent au bord. Ce n’était pas une position très stable, mais il s’en fichait, car son ennemi se trouvait juste là. Ce connard à capuche qui avait voulu le faire prisonnier. Ce trou du cul qui avait torturé Layla pendant si longtemps. Toi et moi avons des comptes à régler, gros con. Sans réfléchir, mais avec beaucoup de colère refoulée, Brody s’élança et heurta la silhouette en robe, le faisant tomber sur le sol de l’avion. Sa silhouette était plus légère que prévu, mais cela ne freina pas la rage que Brody ressentait. Il grogna et chercha à frapper le visage couvert, mais son attaque mortelle fut retenue par des mains gantées. Cependant, il était plus fort et ses dents s’approchaient de plus en plus… L’avion heurta une bosse et il fut projeté sur le côté. Le type à la capuche profita de cette ouverture pour glisser dans la direction opposée. — Tu aurais dû garder tes distances ! cracha le cagoulé d’une petite voix crépitante, le haut-parleur qu’il utilisait ayant été abîmé durant leur bagarre. Brody se transforma pour pouvoir lui répondre. — Et rater le spectacle ? Il n’avait pas le temps de jouer. Il avait besoin de mettre fin à tout ça avant que l’avion ne quitte le sol et rende la situation plus imprévisible. Il plongea vers le pistolet au sol, mais une queue écaillée l’envoya plus loin. C’est. Quoi. Ce. Bordel. Brody avait déjà vu des putains de trucs bizarres dans sa vie, notamment quand il avait servi à l’étranger et passé plusieurs mois dans ce camp de prisonniers. Mais cet homme, ou cette créature, ou cet objet, quoi que ce soit, portant toujours sa robe et agitant les bras tout en étant assis sur ce qui semblait être un corps semblable à celui d’un reptile avec une sonnette au bout de la queue telle un serpent, ne présageait rien de bon. Il murmura un mot. Un mot qui évoquait la peur – et réveillait en lui de vieilles craintes. — Naga. L’un des métamorphes les plus rares. Jamais aperçu ou du moins répertorié sur le continent nord-américain. Tellement rare qu’à vrai dire, Brody n’en avait connu qu’un seul durant son existence, et il l’avait tué des années plus tôt durant son évasion de la prison. Il lui avait coupé la tête lui-même avant de mettre le feu à la tente de cet enfoiré. Je t’ai tué. Il l’avait tué, mais entendait encore les sifflements de son ravisseur désormais mort, dans ses rêves. Le simple fait de savoir qu’il était face à un deuxième le fit frissonner. De tous les métamorphes, le naga était le plus mortel. Il valait mieux oublier de l’affronter avec un simple pistolet. Il avait besoin d’une épée, une armée, mieux encore, une grenade ou une bombe nucléaire. Ces bâtards étaient difficiles à tuer et putain de dangereux, notamment si celui-ci enlevait sa cagoule et son modulateur de voix. Les nagas ne possédaient pas seulement des écailles pare-balles et une morsure venimeuse. Lorsqu’ils parlaient, ils avaient le pouvoir d’hypnotiser et de contraindre. Ça ne sentait pas bon. Il était temps de partir. Il ne lui fallut que quelques pas pour atteindre Layla et la prendre dans ses bras. Quelques pas de plus pour arriver à la porte. Et seulement une seconde pour réaliser que le sol était à plus de trois mètres de lui et que ce dernier ne faisait que s’éloigner. Il serra Layla dans ses bras et hésita. Il ne pouvait pas la jeter. L’impact la briserait. S’il sautait avec elle, parviendrait-il à la protéger de sa chute ? — Lâche la fille. Il siffla l’ordre d’une voix cassée et rouillée, et non douce et souple comme le naga qu’il avait auparavant rencontré, mais il parvint quand même à faire trembler les bras de Brody alors que celui-ci luttait pour ne pas obéir. — J’ai dit, lâche la fille. Bien que très tenace, Brody ne put lutter contre l’ordre. Même sans regarder le naga, ce dernier vibrait en lui, lui demandait d’obéir. Alors il le fit. Il lâcha prise, l’incrédulité dans les yeux de Layla alors qu’elle chutait le transperça. Fais-moi confiance. Bien qu’il n’ait pas prononcé ces mots à voix haute, il espérait qu’elle le connaisse assez pour pouvoir lire dans ses yeux. Il pourrait mieux se battre s’il ne se faisait plus de soucis pour elle. Il pivota avant de la voir atterrir et fit face au monstre. Ce dernier portait encore sa capuche et une partie de sa cape, mais le modulateur de voix pendait au bout de câbles déchirés autour de son cou. Oh, et même s’il n’était pas aussi gros que le dernier métamorphe serpent qu’il avait rencontré, ce psychopathe possédait une queue assez grande pour l’enrouler sous son corps. Une sonnette déformée ornait le bout de sa queue et celle-ci trembla, émettant un son qu’il avait espéré ne jamais entendre à nouveau. — Espèce de stupide métamorphe ! siffla-t-il. Je voulais la fille. — Et je te l’ai déjà dit, elle est à moi. Tu ne la récupèreras pas. — Oh, si et je te garderai aussi. Une paire d’animaux domestiques pour ma nouvelle ménagerie. — Tu peux toujours crever. Brûle en enfer, connard. Avant que son cerveau n’ait le temps de le dissuader de mettre à exécution son plan totalement fou, Brody se laissa tomber par la porte ouverte. Tout en chutant, il prit le pistolet qu’il avait attrapé pour viser devant lui. Il tira en direction d’un des réacteurs. Et rata son coup. — Non ! hurla-t-il. Heureusement, Boris, avec ses deux pieds plantés fermement dans le sol, ne rata pas sa cible. Boum ! Des flammes se mirent à lécher le réacteur et celui-ci cracha. Toussa. Pleurnicha. Mais l’avion ne tourna pas sur lui-même en tombant au sol, même s’il n’avait pas l’air très content. En parlant de joie, Brody ferma les yeux alors qu’il se préparait à rencontrer le sol. Mais au lieu de ça, quelque chose de doux et de mou amortit sa chute. CHAPITRE DIX-HUIT

En voyant Brody s’effondrer vers le sol, son cœur s’arrêta presque de battre. Dès qu’il tomba, miraculeusement, sans briser tous les os de son corps grâce à son atterrissage en douceur, Layla se précipita vers lui. — Est-ce que ça va ? demanda-t-elle en se penchant. Regardant dans sa direction à travers un seul œil, Brody grogna en lui répondant. — Je ne sais pas. À toi de me dire. — Je ne te parlais pas à toi, répondit-elle. Je parlais du pauvre ours en dessous de toi qui a amorti ta chute. Lorsqu’elle avait plongé vers le sol, trop choquée pour crier quand Brody l’avait lâchée, elle avait été persuadée que sa tête se briserait comme un œuf. Mais au lieu de ça, un énorme nounours l’avait rattrapée. Le même ours qui avait également amorti la chute de Brody. En roulant sur le côté, s’éloignant du pauvre ours, Brody grimaça. — Merci pour ta compassion. Le tas de fourrure en dessous de lui remua et se remit à quatre pattes. Soulagée de voir que son sauveur poilu semblait intact, elle parvint à plaisanter face au sarcasme de Brody. — Tous ceux qui sautent d’un avion ne cherchent pas la compassion. — Et un merci ? — Pour quoi ? M’avoir jetée d’un avion ? — Mais je t’ai sauvée. — Oui, tout comme ce pauvre gars que tu as écrasé. Brody ricana. — Ce pauvre gars ? Pff. C’est juste Travis. Juste Travis grogna en se transformant, passant de grizzly faisant office de coussin à homme. — Merci, mec. La prochaine fois, je n’amortirai pas ta chute. Tu pèses une tonne. — C’est faux. Mais Boris, oui. — Boris quoi ? demanda le seul homme habillé et vivant sur la piste. Portant un fusil, il les rejoignit et fronça les sourcils vers Travis. — Qu’est-ce que tu fais par terre ? — Brody a essayé de m’écraser comme un insecte. — C’est pas de sa faute si tu n’as pas réussi à le rattraper comme tu l’as fait avec la fille. — Ouais, approuva Brody. Le jeune homme leur jeta à tous les deux un regard noir. — Peut-être que la prochaine fois je laisserai Boris t’attraper avec ses bois. — Effectivement, peut-être que tu devrais, approuva à nouveau Brody. — Je peux vous garantir que je ne m’en plaindrai pas, ajouta Boris. Mes bois sont tout à fait capables de rattraper un loup chétif. — Hé ! Avant que Brody ne puisse protester davantage, Travis l’interrompit. — Je ne me plaignais pas. Je râlais. Il y a une grande différence. — Ouais, dans tous les cas ce n’est pas très viril. Comment suis-je censé t’endurcir gamin si tu n’écoutes pas ? — Si, j’écoutais. Tu ne m’as pas vu arracher le bras de ce type pour ensuite taper son pote avec ? — OK, ça, c’était pas trop mal. Mais qu’en est-il de celui qui est parti en rampant ? Leurs voix s’atténuèrent alors qu’ils s’éloignaient d’eux, celui qui était habillé poussait les cadavres du bout de ses bottes pendant que le plus jeune qui était nu boitait à côté en gesticulant. — Ce sont des amis à toi ? demanda Layla. — Malheureusement, répondit Brody en soupirant. Il faudra que tu t’habitues à leur présence. Peu importe où je vais, ils semblent me suivre. — Et pourquoi devrais-je m’habituer à leur présence ? — Eh bien, premièrement, tu es libre. — Pourquoi en es-tu si sûr ? Le maître a… Un grondement fit trembler le sol alors qu’un grand : « Boum ! » faisait écho. Au loin, une fumée noire s’éleva. Brody sourit. — Prends ça, serpent de merde. Comme je disais, tu es libre de ce bâtard, ce qui veut dire que nous pouvons rentrer à la maison, à Kodiak Point. — Qui a dit que j’allais là-bas ? Si je suis libre, ne puis-je pas aller là où je veux ? Il fronça les sourcils. — Non. — Comment ça non ? Tu ne me fais toujours pas confiance ? — Oh, si, je te fais confiance. Mais je dis non, car tu n’iras nulle part sans moi. — Et pourquoi ça ? Je suis ta prisonnière ? Elle voulait l’entendre le dire. Qu’il voulait qu’elle soit auprès de lui. Et il ne la déçut pas. — C’est plutôt moi qui suis ton prisonnier. Tu as fait bien plus que me capturer cette nuit, sur ce rocher. Tu as volé mon cœur, Appât. — Tu sais que je déteste ce surnom. Elle essayait de ne pas laisser l’excitation qu’avaient provoquée ses mots lui faire faire quelque chose de stupide, comme lui déclarer un amour éternel, ce sentiment d’amour qu’elle éprouvait pour lui était encore trop nouveau et effrayant. — Je sais que tu le détestes, Appât, mais si tu comptes me le faire payer, j’imagine que tu vas devoir rester dans les parages. — Pour te punir évidemment. — Évidemment. Mais nu aussi, tu sais, pour ne pas abîmer des habits en très bon état. Peut-être même avec des menottes pour la forme. Un sourire étira ses lèvres. — On dirait de la torture. — Complètement. Mais la plus décadente qui soit. Et agréable, aussi. Ils se rapprochèrent jusqu’à ce qu’ils ne soient plus qu’à un cheveu l’un de l’autre. Assez près pour qu’elle soit obligée de pencher la tête en arrière pour observer son visage. — Je suppose que, puisque tu as tant besoin d’une correction, je pourrais visiter ta ville pour quelque temps. — Pour un moment. J’ai le sentiment que je vais avoir besoin de beaucoup de punition. Appât. Ses yeux brillèrent de malice et elle ne put s’empêcher de lui sourire encore plus. Et tout à coup, ils furent dans les bras l’un de l’autre, s’embrassant et s’étreignant, attisant les flammes qui ne semblaient jamais s’éteindre quand ils étaient ensemble. À travers quelques baisers, elle murmura : — Je n’arrive pas à croire que tu sois venu me chercher. — Je n’arrive pas à croire que tu aies cru que je ne viendrai pas. — Et je n’arrive pas à croire que vous soyez en train de vous peloter au grand jour comme ça. Allez à l’hôtel ! cria Boris. Ce qui malheureusement prit plus de temps que prévu, car le reste de la cavalerie arriva juste à temps pour admirer leur travail. Serrée contre Brody, Layla rencontra tout un tas de nouveaux visages, la plupart la regardaient avec curiosité, mais jamais avec hostilité. Ils semblaient plus amusés de voir que Brody était réticent à s’éloigner d’elle et qu’il rugissait pour lâcher un avertissement si quelqu’un s’approchait trop près ou la regardait trop longtemps. Une fois qu’il fut confirmé qu’il n’y avait plus d’ennemi dans les parages, Layla fut convenablement présentée à Reid, l’alpha de Kodiak Point. Des yeux sombres et un visage imperturbable l’observèrent. — Alors comme ça tu es la fille qui peut parler aux animaux ? — Comme le docteur Dolittle ? s’exclama Travis. — Qui ? demanda Layla. — Ignore mon imbécile de cousin, répondit Reid. Je n’ai plus de ruban adhésif, mais s’il continue à me rendre fou, je suis sûr qu’on pourra trouver de la super glue quelque part. Travis pinça les lèvres et parvint à afficher un air vexé. — Brody dit que tu étais prisonnière du type qui nous a fait chier. Elle acquiesça. — J’ai été retenue captive, de toutes les façons possibles, depuis que j’ai quatorze ans. Il fut difficile d’ignorer toutes les grimaces autour d’elle, ainsi qu’un cri : — Hé, Gene, tu ne détiens plus le record du plus long emprisonnement par un sadique ! — Je n’avais pas compris que c’était une compétition, répondit un gars aux cheveux totalement blancs, des yeux bleus, brillants et une cicatrice qui divisait son visage en deux. — Je te cèderais volontiers le titre, répondit-elle en grimaçant. — Et si à la place on te débarrassait du souvenir de ton incarcération ? proposa Reid. Que quelqu’un attrape des cisailles et lui enlève ce collier. Le claquement du collier qui se brise fut le bienvenu, mais pas autant que ce sentiment de légèreté qu’elle éprouva une fois que ce symbole de sa vie en tant que prisonnière fut enlevé. Elle toucha son cou du bout des doigts. — Est-ce vraiment terminé ? — Tu es libre maintenant, chérie, murmura Brody d’une voix suave, ce qui s’accordait très bien avec son bras autour d’elle. Libre ? Comme elle aimait ce mot. — Oui, tu es libre, confirma Reid. Mais j’espère que tu comptes rester avec nous pour un moment. Même si le type qui était derrière toutes ces attaques contre notre clan est parti, nous avons quelques questions. Et nous avons plus qu’assez de place pour toi dans notre ville, et une cellule de soutien pour t’aider à te remettre sur pied. Effectivement, c’était pleinement mérité, mais elle ne put s’empêcher de culpabiliser. — C’est très gentil de votre part, mais votre ville m’acceptera-t-elle après tout ce que j’ai fait ? — Ils m’ont pardonné, même si j’étais un vrai connard, dit celui qui s’appelait Gene. — C’est toujours un gros con, confia Brody en murmurant. — Je t’ai entendu le loup. — Content de voir que l’accouplement ne t’a pas totalement changé, ricana Travis. Puis ce dernier esquiva Gene qui lui donna un coup de poing, ratant de peu le jeune homme. — Ignore-les, dit Reid avec indulgence. Notre proposition est sincère. Viens à Kodiak Point. Vois si ça te plaît. On pourra toujours avoir besoin de quelqu’un comme toi et de ton talent de notre côté. Mis à part les bouffonneries des autres, cette tolérance la bluffa. Ils lui offraient une chance d’expier ses erreurs, d’appartenir à un groupe. D’avoir une véritable maison et peut-être plus encore. Si je ne rêve pas, je crois que Brody sous-entend qu’il veut quelque chose sur le long terme. Elle regarda Brody et rencontra son regard chaleureux, et rassurant. — Je crois bien que ça me plairait, oui. — Alors c’est réglé. Travis, ramène-les à Kodiak Point. Je crois qu’ils ont eu assez d’émotions fortes pour aujourd’hui. On pourra toujours discuter à mon retour. Pour les autres, nous allons examiner la maison et la zone. J’espère que nous trouverons des indices sur ce connard qui était aux commandes. — Tu es sûr ? demanda Brody. — Ouais, mais si tu as envie d’en débattre je pourrais trouver des raisons de garder mon bêta ici. — Je ne te demandais pas si tu étais sûr de vouloir me laisser partir, mais plutôt de me mettre dans un véhicule avec ton imbécile de cousin pendant plusieurs heures. Et si je suis tenté de le tuer ? Reid ricana. — Comme si tu allais oser contrarier sa mère. Elle ne te fera plus ces sandwichs ridiculement grands comme ceux de Sammy et Scooby-Do. — Et de la tarte. Je ne dois surtout pas gâcher mes chances avec la tarte, ajouta Brody. Allez, viens, Appât. Partons d’ici avant qu’ils ne nous trouvent des choses à faire. Le trajet jusqu’à Kodiak Point dura bien plus que quelques heures, mais heureusement, après trois heures de route, ils s’arrêtèrent dans un petit hameau qui se trouvait au bord d’un lac magnifique. Il y avait un gite pour les chasseurs sur le côté avec des chambres libres qu’ils louèrent pour la nuit. Brody s’assura qu’ils puissent loger à l’extrémité du bâtiment, loin des autres, et notamment de Travis, qui ne la fermait jamais. Mais Layla appréciait son bavardage de filou, car non seulement ce flux interrompu de parole dressait un portrait détaillé de Brody, mais également de la ville où ce dernier l’emmenait. Alors que Brody la conduisait à leur chambre, elle ne put s’empêcher de demander : — Est-ce que c’est vrai que tu as sauvé à toi seul la plupart des hommes que je viens de rencontrer ? — Ils auraient fait pareil pour moi. Tu n’es pas la seule à avoir passé du temps derrière les barreaux, prisonnière d’un sadique. Encore une chose qu’elle semblait avoir en commun avec lui et ceux qui semblaient prêts à l’accepter au bercail. — Je n’arrive toujours pas à croire que je suis libre. — Crois-le. Et savoure-le. Nous devrions fêter ça. — Vraiment ? Comment ? Il fit onduler ses sourcils, l’air espiègle. Elle rigola. — C’est pas très sexy, tu sais. — Oh si, ça l’est. — D’après qui ? — Moi. Car malgré ce que tu dis, tu vas bientôt te déshabiller pour moi et nous allons faire l’amour avec passion et sauvagement. — Est-ce un ordre ? — Non, c’est une promesse. Ce ne fut pas la seule promesse qu’ils échangèrent cette nuit-là. Après une douche torride, et pas seulement à cause de l’eau chaude, ils se jetèrent sur le lit, un très grand lit avec des draps propres et une couette moelleuse. Mais sans pyjama. Elle frissonna de plaisir et non de froid, le corps de Brody la recouvrait, le contact de sa peau contre la sienne était brûlant. — Alors, quand vas-tu l’admettre ? demanda-t-il entre deux baisers. — Admettre quoi ? — Que tu m’aimes. — C’est faux. — Menteuse. — Pourquoi tu ne le dis pas en premier ? rétorqua-t-elle. — Ah ha ! Tu me défies ? Très bien. Je ne suis pas un lâche. Je t’aime, Appât. Je crois que je t’aime depuis cette fois étrange où je t’ai vue assise sur ce rocher comme une sorte de déesse murmurant à l’oreille des animaux. — Et je crois que je suis tombée amoureuse de toi quand j’ai vu ton petit lapin rose tout doux et mou. — Hum, je ne suis pas sûre que Johnson soit très content que tu le qualifies de mou et doux. — Je ne parlais pas de cette partie de ton corps. Je suis tombée amoureuse de ton cul. — Ah bon ? dit Brody en l’observant par-dessus son épaule. Pas de mon charme ? — Tu n’étais pas très charmant au début. — Et mes cheveux ? — Ils ont sacrément besoin d’une coupe. Il grogna. — Femme, mes cheveux sont parfaits et tu le sais. Layla se mit à rire. — OK, j’avoue que je les aime bien, surtout parce qu’ils sont assez longs pour que je puisse faire ça. Elle attrapa ses mèches rebelles et l’attira vers elle pour l’embrasser. Encore et encore. En un rien de temps, leurs respirations devinrent haletantes, leurs langues s’entremêlèrent désespérément et il se frotta contre elle. Lorsqu’il lui dit : « Tourne-toi » il lui fallut un moment pour comprendre ce qu’il lui ordonnait. — Pourquoi ? — Parce qu’on va essayer quelque chose de nouveau, à moins que tu ne sois une poule mouillée… ronronna-t-il contre son lobe d’oreille avant de le mordiller avec ses dents. Une nouvelle expérience ? Layla n’eut pas besoin qu’on lui dise deux fois. Elle avait soif de nouveauté. Elle avait besoin d’expérimenter et d’essayer tout ce qu’on lui avait refusé depuis si longtemps. Elle se mit sur le ventre. Elle tressaillit lorsqu’il tira ses hanches vers le haut, la positionnant de sorte que ses fesses soient levées en l’air, l’exposant ainsi à son regard. Cela aurait dû la gêner, mais c’était Brody, Brody qui murmurait, presque avec respect : — Tu es tellement parfaite, chérie. Et à moi. Ses mots possessifs crispèrent son sexe et l’humidifièrent. Comme elle le désirait, le voulait, et pourtant, il semblait se contenter de jouer avec elle, frottant le bout de son membre contre son entre-jambes humide. Elle l’observa par-dessus son épaule, un regard qui, elle l’espérait, trahissait son désir ardent. Ce fut l’invitation dont il avait besoin. Enroulant un bras autour de sa taille, il s’ancra en elle avant de s’enfoncer plus profondément dans le creux de ses plis humides avec le bout de son sexe. Un frisson la parcourut alors que le sentiment d’anticipation était à son comble. Elle aurait pu apprécier son envie de ralentir la cadence, mais Layla était trop excitée pour un rythme aussi modéré. Elle se balança contre lui, et le fit s’enfoncer profondément. Son loup pencha sa tête en arrière et émit un court hurlement. — La mienne, grogna-t-il. Ma femme. Mon âme sœur. — Oui, la tienne, murmura-t-elle. Mais elle était sienne, car elle voulait lui appartenir. Car elle l’avait choisi. Il sembla apprécier sa réponse, car il s’enfonça dans sa chair accueillante, vite et fermement. Layla s’agrippa aux draps et gémit en s’abandonnant totalement. Chaque pénétration la faisait crier. Chaque poussée touchait un point sensible en elle. À chaque fois qu’il s’enfonçait en elle, elle se rapprochait, encore et encore, de l’extase. Le corps de Brody se courba sur le sien, la serrant contre lui et la réchauffant. Ses lèvres caressèrent le haut de son épaule alors qu’il continuait de la pénétrer et lorsqu’elle jouit enfin, son sexe convulsant autour de son membre palpitant, il la mordit. Ce ne fut pas une morsure douce, mais un coup ferme qui lui entama la peau. Elle aurait pu protester, sauf que cela provoqua en elle un second orgasme, encore plus puissant que le premier et pendant un instant, leurs esprits se rencontrèrent et elle perçut l’amour qu’il lui portait. Elle le voyait. Le sentait. Le savait. Ce fut l’un des moments les plus intenses de sa vie. Le début d’une nouvelle vie, libre. Une vie sans torture, sans peur ni cage. Seulement de l’amour. Et de la crème glacée, qu’il préparait pour elle, avec de la sauce au chocolat. Bon sang que ce truc était bon. Elle pouvait être assaisonnée avec tout. Et elle voulait dire tout. ÉPILOGUE

— Nous n’avons trouvé que deux corps dans l’épave de l’avion. Reid annonça la nouvelle d’un air grave et le silence s’installa dans la salle de réunion – également connue comme étant le garage de Reid, où Brody, les autres gars et le docteur du clan – également perçue comme la voix de la raison – s’étaient réunis pour discuter des récents événements. — Deux ? Et pas trois ? demanda Brody en fronçant les sourcils. — Aucune idée de qui ils étaient ? s’enquit Boris. — L’un était humain, c’est certain, l’autre était une sorte de métamorphe aviaire. Mais pas de serpent. Ni dans l’épave ni dans les environs. Celui qui se faisait appeler maître vivait encore. Et tant qu’il vivrait, ils ne seraient pas en sécurité. Layla est en danger. Merde. C’était inacceptable. Brody ne fut pas le seul à parvenir à cette conclusion. Gene tapota ses doigts contre l’accoudoir de son siège. — Nous devrions mettre en place une expédition de chasse. Maintenant que nous savons que nous cherchons un métamorphe reptile, peut-être que nous parviendrons à trouver une piste. — Nous l’avons déjà fait. On dirait que notre cher ami a réussi à sortir indemne du crash. — Et comment sais-tu ça ? demanda Brody. Kyle prit la parole. — Mes contacts en ville m’ont rapporté qu’un avion a été détourné en plein vol et redirigé. — Qu’est-ce qui te fait croire que c’est notre type ? — Personne ne se rappelle à quoi il ressemblait. Et devinez où l’avion a atterri ? À l’étranger. De retour sur ce territoire où le désert avait englouti la terre, là où le sable se logeait dans des coins fragiles et où la guerre faisait toujours rage. Une guerre qu’ils pensaient avoir laissée derrière eux. — Que fait-on ? En d’autres mots, devaient-ils rester repliés dans leur havre de paix de l’autre côté de l’océan ou… Reid se leva et ses yeux étincelèrent. — Bordel, on ne va pas attendre de voir si ce salaud revient. Moi je dis, on ramène nos culs là-bas et on lui montre pourquoi il ne faut pas emmerder notre putain de clan. Qui était d’accord ? La réponse fut unanime. D’autres détails furent abordés, mais ils ne perdirent pas beaucoup de temps. Le vol allait être long, ce qui voulait dire qu’ils auraient pleinement le temps d’élaborer un plan. De plus, le naga avait déjà une longueur d’avance. Avant qu’il ne trouve des renforts, ils devraient le rattraper et mettre fin à sa vie une bonne fois pour toutes. Le tuer avant qu’il n’essaie de capturer à nouveau Layla. La réunion prit fin et les gars et la doctoresse partirent faire leur valise. Brody appréhendait d’annoncer la nouvelle à Layla. Comment vais-je lui dire que ce psychopathe est toujours en liberté ? En se garant dans l’allée de sa maison, il remarqua les oies perchées sur le toit, qui faisaient le guet – et chiaient sur les tuiles. Foutus oiseaux. Cela rendait fous ses voisins de ne pas pouvoir les manger. Y avait-il d’autres choses qui indiquaient que sa vie avait changé ? La pelouse n’avait pas besoin d’être tondue. Notamment depuis qu’il avait ramené Layla à la maison, les chèvres sauvages qu’elle avait adoptées faisaient le travail à sa place. Brody sourcilla à peine en entrant dans la maison lorsqu’il trouva un hérisson qui se roulait sur la moquette dans le salon, jouant avec les peluches du tissu. Il ne sursauta pas lorsqu’il entendit le vrombissement des abeilles dans le garde-manger, en train de faire du miel. Un miel sur lequel Reid n’osait plus poser la patte depuis que Layla l’avait réprimandé, et ça piquait – réprimande administrée par lesdites abeilles. Cependant, Brody avait posé une limite : il n’autorisait aucun animal dans la chambre – il avait suffi d’une fois, avec un chat aux grands yeux écarquillés, jugeant sa technique, pour qu’il décide de bannir à tous jamais ceux qui venaient réchauffer les pieds de Layla avant d’aller au lit. En parcourant la maison, il remarqua tous les endroits où elle ne se trouvait pas. Son âme sœur n’était pas dans la chambre ni dans la cuisine vide. Non. Sa chérie spéciale n’était pas dans les parages. Tant pis pour la cuisine et le ménage. Sa chérie n’avait ni le don ni la patience pour ça. À la place, il trouva Layla dehors dans le jardin, en train de s’entraîner au lancer de couteau. Comme elle était belle avec ses longs cheveux et son expression intense. Ses doigts fins, enroulés autour du manche de la dague tranchante qu’il lui avait donnée – et il connaissait bien cette emprise. Du moins, sa queue la connaissait et durcit à son souvenir. Elle lança la lame, comme il lui avait appris et entailla le bord de la cible. Pas mal. Mais il ne le dit pas à voix haute, car il était d’humeur taquine. — Tiens donc, ne serait-ce pas ma déesse qui travaille dur pour garder la maison en ordre et faire plaisir à son homme ? Il esquiva le projectile juste à temps et ne perdit que quelques mèches de cheveux. Non, pas les cheveux ! Elle savait à quel point il adorait ses cheveux. Mais elle ne s’excusa pas pour autant. — Qu’est-ce que je t’ai dit sur le fait de me prendre par surprise ? s’exclama-t-elle, les mains sur les hanches. — Qu’est-ce que je t’ai dit sur le fait de forcer la faune sauvage à faire les corvées ? Elle fronça le nez. — Je sais. C’est immoral. En plus, ça fait peur aux gens. Mais Brody, je n’ai pas le choix. Je suis super nulle pour le ménage et la cuisine et toutes ces choses que savent faire les femmes. — Non, tu n’es pas super nulle. À vrai dire, si, elle l’était. Layla n’était pas June Cleaver1 lorsqu’il s’agissait de faire le ménage. — Tu détestes les corvées, c’est différent, continua-t-il. Elle fit la moue avec ses lèvres, ce qui était totalement adorable. — Pourquoi ne puis-je pas avoir un travail plus passionnant ? Et je t’interdis de me suggérer à nouveau d’aller travailler au restaurant ou au magasin. Tu sais que je déteste être enfermée à l’intérieur et servir les gens. Une rafale de couteaux siffla alors qu’elle visait et les lançait rapidement vers la cible. Elle avait beaucoup appris ces dernières semaines. Assez pour mériter une pause avec l’enfer des tâches domestiques. — Je sais que tu détestes l’idée d’un travail régulier presque autant que les tâches ménagères, c’est pourquoi toi et moi partons en voyage. Cette fois-ci, il évita le projectile, qui manqua son oreille de peu. — Oups, pardon. Tu m’as prise par surprise, car j’ai cru t’entendre mentionner un voyage. — C’est le cas. — Pour aller où ? Pas au Walmart de la ville la plus proche ? Je croyais qu’on avait été bannis de cet endroit. Il sourit en se remémorant cette excursion. Lorsque Layla s’était plaint en disant que ce n’était pas juste que seuls les enfants puissent monter sur les chariots, il l’avait emmenée pour une petite course à travers les rayons alors qu’elle riait comme une folle – jusqu’à ce que la direction les vire du magasin. Il secoua la tête. — Non. Nous allons plus loin que ça. Du style, plus loin que l’océan que nous allons traverser. Elle plissa les yeux. — Et qu’est-il advenu du fait de rester à Kodiak Point où nous sommes en sécurité ? Ne pas me soumettre à la tentation bla-bla-bla. — La partie sur le bla-bla-bla est justement la raison pour laquelle nous partons. Je pense qu’il est temps que nous l’admettions tous les deux. Nous ne sommes pas faits pour la vie domestique. Tu as besoin d’aventure. J’ai besoin d’aventure. Il y a encore un méchant diabolique en liberté que nous devons capturer. — Pardon ? Rembobine là. Quel méchant diabolique ? — Eh bien, il s’avère que notre ami le serpent n’est pas tout à fait mort. Mais ne panique pas. Il n’est également plus sur ce continent. — Où est-il alors ? — À l’étranger, quelque part. C’est justement là qu’intervient la partie voyage. Reid est en train de construire une armée pour le pourchasser. Qu’en dis-tu si nous partons avec les autres pour le trouver ? — Tu veux que je vienne avec vous ? — Ben oui, pourquoi ne le voudrais-je pas ? Tu as prouvé que tu pouvais te défendre toute seule. Et il serait à ses côtés si elle faiblissait. — Tu connais le pays, renchérit-il. Tu sais à quoi t’attendre. Je ne peux pas imaginer meilleure partenaire que toi. Enfin, si tu acceptes de venir. Si elle avait été dotée de la force d’une métamorphe, elle l’aurait sûrement écrasé avec son oui enthousiaste. Entre deux côtes compressées, elle lui demanda : — On va dans mon pays ? — Oui. Toi, moi, Boris, Travis, si sa mère le laisse partir, et d’autres. — Tu n’as pas peur que le maître me capture à nouveau ? — Qu’il essaie. Nous sommes ensemble maintenant, ce qui veut dire que s’il s’en prend à toi, il s’en prend aussi à moi. — Ça me plaît. Même si je préfèrerais encore l’entendre crier pendant que nous nous occupons de lui une bonne fois pour toutes. Son sourire diabolique révélait une soif de sang qui lui plut beaucoup. — Tu dis toujours les choses les plus sexy qui soient, grogna Brody. Je t’aime, Appât. — Et je t’aime aussi, Poum. Même s’il aurait pu se passer de ce surnom, il ne se lassait jamais de l’entendre lui dire qu’elle l’aimait et, mieux encore, qu’elle lui faisait confiance. Même s’ils avaient tous les deux commencé leur relation en s’attendant au pire, en vérité, la capture de Brody était la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée. Qui aurait cru que la capture d’un loup puisse mener au bonheur pur ?

— J’Y VAIS M’MAN, point final. Travis terminait de plier des vêtements dans son sac de sport, ignorant sa mère et sa cuillère en bois, ce qui n’était pas évident. Son instinct lui criait de ne pas tourner le dos, de peur qu’elle ne lui tanne la peau. Mais il était un homme désormais, plus un gamin. Et, en tant qu’homme, il était temps qu’il coupe le cordon qu’elle insistait pour garder, en commençant par ce voyage. Ou plutôt cette mission. Une véritable mission. À l’étranger et tout ! — Mais qui te protégera ? — Je peux me protéger moi-même. Sachant que les gars viennent avec moi. Brody sera là, avec Boris et Gene. Ce pauvre Reid ne pouvait pas venir, pas avec tous ces membres du clan qui s’étaient portés volontaires pour partir. Il fallait que quelqu’un s’occupe de Kodiak Point. Les joies des dirigeants, chose que Travis n’enviait certainement pas. Il avait déjà assez de boulot avec sa mère qui essayait de contrôler sa vie. — Mais tu vas me manquer. Il se détendit un peu et étreignit la femme qui l’avait élevé. Il adorait sa maman, même si elle le surprotégeait violemment et effrayait tous ses amis – à vrai dire, elle effrayait tous ceux qui la connaissaient. — Tu vas me manquer aussi, mais il est temps que tu me laisses partir. — Ne te laisse pas séduire par les filles du coin. Sûrement pas. Travis avait déjà l’œil sur une femme, le problème, c’était qu’elle semblait à peine remarquer son existence. Mais il comptait bien changer cela durant son voyage. Accrochez-vous, parce que j’ai l’intention de vous montrer ce que c’est que d’aimer façon grizzly. Rrrr. DÉCOUVREZ LA PROCHAINE HISTOIRE UN AMOUR DE GRIZZLY. AUTRES LIVRES: EVELANGLAIS.COM NOTES Chapitre Quinze

1 Référence à la comptine « Old Mother Hubbard » de langue anglaise Épilogue

1 June Cleaver est un des personnages principaux de la série télévisée