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Les Chroniques de Watermael- Chroniques de Boitsfort sont éditées par watermael-Boitsfort

Éditeur responsable Nouvelle série n° 22 - mars 2013 Jean-Jacques VAn moL avenue marie-Clotilde n°6

Sommaire Éditorial

Éditorial ...... p 1 nous poursuivons ici l’histoire de l’évolution des modalités Les élections communales dans l’Entre-Deux-Guerres p 2 électorales : la période interbellique. Cette évocation est sui- vie d’une note apportant des précisions complémentaires au à propos des élections communales ...... p 5 premier article relatif aux élections au XiXe siècle. à propos d’un pionnier oublié Jean, Philippe, L’État indépendant du Congo, propriété privée de LÉoPoLD ii, Alexis DEwoLfs ...... p 6 était soucieux de rentabilité pour amortir les frais considérables Un «Château de watermael» ? oui ! à Auderghem ! p10 de l’administration de cet immense territoire. Des «pionniers» étaient recrutés dans ce but. Un Boitsfortois fut un de ces Entretien avec Jean-Pierre BErLAimont ...... p15 agents. il ne survécut pas longtemps aux conditions difficiles Dénomination d’artères à watermael-Boitsfort hier du climat et des maladies contre lesquelles on était démuni. et aujourd’hui ...... p23 Un plaque commémorative à sa mémoire a été placée contre la façade de la maison communale. Une brève notice biogra- phique lui est consacrée dans ce numéro.

où donc se situait cette avenue de watermael ? La réponse dans ce numéro où vous trouverez la nomenclature ancienne des rues de notre commune. même les immeubles qui y figurent ont disparu. Boitsfort. – Avenue de Watermael. Carte postale ; D. V. D. 8997 Papeterie Dero, Boitsfort - Espace mémoire, fonds francis miChEL Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page2

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L’existence dans le passé d’un château aux confins de trepreneur. watermael et d’Auderghem a laissé son empreinte dans Les amateurs de cartes postales sont souvent confrontés la cartographie des rues du quartier où il se trouvait. Des à la difficulté de localiser les documents antérieurs à extraits de plans de diverses époques en fournissent la 1910 qui mentionnent des noms de rues qui n’existent preuve ! plus. Un bref lexique permettra de les resituer dans leurs Jean-Pierre BErLAimont, natif de watermael, nous livre nomenclature actuelle. ici ses souvenirs. son père et son grand-père ont été des Un rappel enfin pour susciter votre collaboration au pro- architectes auteurs des plans de nombreux immeubles de jet de commémoration de la guerre 1914-1918. notre commune. il a, lui même, exercé le métier d’en-

Les élections communales dans l’Entre-Deux-Guerres

918 ! La priorité était de panser les plaies de la C’est sous cette majorité, et les suivantes quasi-iden- guerre dès l’Armistice du 11 novembre. Aussi, tiques, que w-B va devenir une commune essentielle- 1une fois le suffrage universel accordé aux hommes ment résidentielle, les terres agricoles étant dès 21 ans pour les Législatives du 16 novembre 1919 progressivement loties. heureusement, dès 1925, les (avant même d’avoir modifié le texte de la Constitution 4.082ha restant de la forêt de soignes furent déclarés !), est-ce avec l’accord des partis que les élections com- intangibles ! munales furent reportées à 1921. Les problèmes écono- La population de la commune va donc croître : miques, de chômage et de logement prévalaient. Et, - par l’extension des villages d’origine grâce au tou- pour watermael-Boitsfort donc, le Collège poursuivit risme des « Années folles » (luxe et aristocratie à la ses tâches, formé de J-h DELLEUr comme bourgmestre, maison haute, détente populaire aux étangs de Boits- et comme échevins : Eugène KEym (jusqu’à son démé- fort ou aux pêcheries de watermael), et divers métiers nagement à Bruxelles en juin 1920 ?) et Georges BE- liés à l’hippodrome tout proche ; noiDt déjà à l’instruction publique. - par les résidences secondaires devenant résidences principales suite aux progrès des communications ; Dès le 31 octobre 1918 d’ailleurs, un hommage fut - et, évidemment, par la progressive construction des consacré à J-h DELLEUr, retour des prisons d’Alle- cités-jardins de Logis-floréal (1921-1929), réalisées en magne, et il fut proposé que « l’avenue de la Vènerie » dépit des réticences de la droite, il faut le dire. C’est que, de l’époque soit rebaptisée « avenue Delleur ». les premiers occupants du Logis étant des employés de Les premières Communales eurent donc lieu le 24 la Caisse d’épargne Cger, et ceux du floréal, des ou- avril 1921, les femmes dès 21 ans pouvant voter comme vriers-typographes du journal « Le peuple », cette arrivée les hommes, à l’exception toutefois des prostituées. Quatre listes se présentaient: libéraux, catholiques, socialistes et un « parti des combattants ». Et si la cam- pagne électorale fut calme et même peu suivie, le jour de l’élection fut plus animé car c’est « en famille » que l’on venait voter cette fois, avec les enfants courant un peu partout ! sur les plus de 11.000 habitants de w-B, il n’y eut que 4.698 votes, soit 43% des habitants, le nombre d’électrices dépassant le nombre d’électeurs. Et furent élus : 5 libéraux, 3 catholiques, 2 "combat- tants" et 1 socialiste. La majorité libérale, traditionnelle à Boitsfort, était à peine maintenue. Elle obtint un appui extra-Collégial des conseillers catholiques. Le nouveau bourgmestre fut Georges Benoidt, déjà échevin dans le Collège sortant, « grand libéral » et philanthrope, no- taire de formation habitant le plateau de Boitsfort, exé- cuteur testamentaire de son voisin Ernest soLVAy en 1922. Elu en avril comme ses échevins françois rUy- tinX et Charles toUrnAy, il n’entra cependant en fonc- tion que le 30 août suite à des polémiques. Georges BEnoiDt (1865 - 1950) Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page3

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importante de citoyens de la ville risque d’incliner vers la gauche le profil électoral traditionnel de nos deux vil- lages et « campagnes » attenantes.

Les Communales suivantes ont lieu le 10 octobre 1926, pour élire 13 conseillers cette fois, w-B ayant maintenant plus de 12.500 habitants. L’enthousiasme est nul malgré tracts, meetings et même harangues en auto ; mais, les amendes aux abstentionnistes étant dé- cuplées, ce seront 7.447 votes qui s’exprimeront (3.456 hommes et 3.991 femmes), soit 57% des habitants. Le vote attribuera : 6 sièges aux libéraux (G. BEnoiDt, le Dr Z. GoBErt, théophile LEUrQUin, fr. rUytinX, tous 4 réélus, et aussi Arthur rECht et E. roBErt), 5 sièges aux catholiques (J-B. CroLLEn et f. wynEn réélus, et G. CorDEmAns, G. D’UrsEL, et J. VAn Placard publicitaire paru dans la revue La Cité, EsPEn), 7-8/1930 et 2 sièges aux socialistes (L. rAnsChAErt réélu, et J. hUsDEns). 14-18, elle sera la première femme politique élue di- il n’y a pas d’élu sur la liste communiste, ni sur la rectement à w-B. Elle ne devra pas circuler beaucoup liste nationaliste flamande (170 voix). pour participer aux réunions à la maison communale ! Car elle habite au 2, drève du Duc , l’actuel commis- installé en ses fonctions le 15 janvier 1927, le sariat de police ! Conseil élit un Collège d’alliance libérale-catholique. G. Et le Collège reste identiquement libéral-catholique: BEnoiDt reste bourgmestre avec 2 échevins libéraux : bourgmestre G. BEnoiDt, avec 3 échevins: LEUrQUin, LEUrQUin et rUytinX, et un 1er échevin catholique : rUytinX, et D’UrsEL. fernand wynEn. Les deux élus socialistes constituent A son décès en octobre 1933, fr rUytinX sera rem- donc l’opposition, et ils l’exprimeront régulièrement. placé par J. VAn ELEwyCK. En mai 1929, f. wynEn est remplacé comme éche- vin par le comte Georges D'UrsE et, un peu plus tard, Détails de l’histoire locale : c’est le conseiller fernand wynEn qui est remplacé par - c’est le 28 juin 1932 que le Conseil communal melle Adrienne moUrLon (catholique), première adopte officiellement le français comme langue admi- femme à siéger au Conseil communal. nistrative usuelle ; - et, de 1932 à 1934, le 2ème agrandissement de la Aux élections suivantes du 9 octobre 1932 qui se maison communale (par l’arrière cette fois) traduisant passent paisiblement malgré une agitation certaine au aussi l’augmentation de la population. niveau national (revendications linguistiques et grève 1938 : w-B atteint maintenant les 18.225 habitants des charbonnages), w-B a droit à 15 conseillers, ayant (12.213 électeurs inscrits). Les élections communales atteint les 17.500 habitants, surtout par l’occupation prévues au 9 octobre sont déplacées au 16 octobre pour complète du Logis-floréal (5.000 habitants en plus en cause de tension internationale, l’armée étant sur "pied 6 ans !). En absence d’une liste communiste ou natio- de paix renforcé". Les différends communaux appa- naliste flamande ou autre, on assiste à une nette pous- raissent comme dérisoires, et ce n’est pas au niveau sée socialiste, un maintien libéral et un recul de w-B que les extrêmes (rexistes ou communistes) catholique. sont élus: trouvent matière à débat. 7 libéraux (avec 3.969 voix): réélus : G. BEnoiDt, Dans ce contexte, les élections locales sont vé- th. LEUrQUin, E. roBErt et fr. rUytinX, et 3 nou- cues comme d’un intérêt relativement secondaire. veaux élus : BroUyèrE, J. VAn ELEwyCK et Jacques mais elles traduisent néanmoins une évolution des wiEnEr, le plus jeune, à 25 ans; votes, un siège passant des libéraux aux socialistes. 5 catholiques (avec 3.038 voix) : réélus : G. Cor- sont élus : DEmAns et G. D’UrsEL, et 6 libéraux : G. BEnoiDt, Pierre CrAPs, th. LEUr- 3 nouveaux élus : hALLEt, melle Adrienne moUrLon QUin, E. roBErt, J. VAn ELEwyCK, et J. wiEnEr ; et A. Pirson; 5 catholiques: G. D'UrsEL, hALLEt, melle A. et 3 socialistes (avec 2.456 voix) : J. hUsDEns réélu, moUrLon, sChrEiBEr et VAnDEn rEyDt; et G. LECoUr et Jules mEssinnE. UsDEns ECoUr EssinnE Adrienne moUrLon (1880-1951) est donc cette fois et 4 socialistes : J. h , G. L , J. m pleinement élue. nièce de l’épouse de l’ancien 1er mi- et J. VErhULst. nistre catholique Auguste BEErnAErt (1829-1912), et- si la liste rexiste obtient quelques voix sur wa- pluri-médaillée pour son activité durant la guerre termael considérée comme « plus wallonne », il n’y Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page4

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a ni élu rexiste ni élu communiste. "Ami des fleurs et des arbres" reconnu, G. BEnoiDt verra son nom rebaptiser la rue des oiseaux en avenue Et le Collège de G. BEnoiDt, th. LEUrQUin, Georges Benoidt, axe central dans Le Logis dont il J. VAn ELEwyCK et G. D'UrsEL est reconduit. avait sans enthousiasme suivi la réalisation, et dans sa Commune qu’il aura gérée ou co-gérée pendant mais la guerre et l’occupation changent tout. En 38 ans. mai 1941, les Conseils communaux sont supprimés, Henri Ceuppens et est instauré le « Collège des secrétaires commu- Sources documentaires: naux du gross Brüssel » sous l’autorité directe des - Jean-Pierre CArPEntiEr, « Elections communales à watermael- Boitsfort », document non-publié Allemands . Quelques élus seront résistants, d’autres - Jean-Pierre hUts, dans « Chroniques de Watermael-Boitsfort » n°24- assureront des tâches de nécessité locale et de soli- janvier 2002 darité, certains seront … plus discrets ! - travail d’étudiant ULB, myriam rEiChErt, 1991-92

L’avenue des oiseaux rebaptisée avenue Georges Benoidt en hommage à son bourgmestre. Photographie, Archives Caisse d’épargne - collection ArPiGny à propos des élections communales pour la période du XIXe siècle, note rectificative *

i la Constitution de 1831 définit le cens électoral (ar- En 1842, la loi nothomB (révision de la loi commu- sticle 42) pour les élections législatives. Celui des élec- nale de 1836), permet la nomination du bourgmestre par tions communales est différent selon la taille de la arrêté royal en dehors du conseil communal. C’est contre commune, et inférieur au cens législatif. Le cens, à savoir cette mesure, défendue par les catholiques, que proteste le montant d’impôts à atteindre pour être électeur, est VErhAEGEn en démissionnant. Le roi qui « règne mais moins élevé dans une commune rurale (w-B) que dans ne gouverne pas » n’y est pour rien. C’est le ministre de une commune urbaine (Bruxelles). il n’existe donc au- l’intérieur qui exerce cette prérogative et donc le gou- cune condition de capacité (avant 1883) pour être élec- vernement. teur. Les électeurs analphabètes ne sont pas rares (gros Le scrutin (l’organisation des élections), progressive- fermiers par exemple). ment de liste, est majoritaire à deux tours. La liste qui obtient la moitié des voix plus une gagne la totalité des sièges à Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page5

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pourvoir. seul le renouvellement par moitié du conseil élections législatives. Ce qui aurait entraîné la domination communal, permet à d’éventuels adversaires de s’affronter définitive du catholicisme flamand sur le pays. Ce n’est au conseil. La nouvelle loi, d'avril 1895, introduit la repré- donc pas la loi de 1899, mais celle de 1894 qui permet sentation proportionnelle si aucune liste n’a obtenu la ma- l’élection de conseillers communaux présents sur diverses jorité absolue. Chaque liste obtient alors des sièges au listes. prorata des suffrages obtenus selon une clé de répartition Pour plus d’information : dite de la plus forte moyenne(système D'honDt, puis im- Pierre-théodore VErhAEGEn. L’homme, sa vie, sa légende, ULB, PEriALi après la première guerre). il n’y a donc plus de Bruxelles, 1996(varii auctores, introduction de Jean stEnGErs) deuxième tour. Cette législation favorisait le parti catho- E. witte tUssEn experiment en correctief. de Belgische gemeente- lique dans les zones rurales, flamandes surtout, qui renfor- lijke kieswetgeving in relatie tot het nationale kiesstelsel. Les élec- tions communales et leur impact sur la politique belge (1890-1970). çait sa main mise (l’État CVP comme on l’a appelé après Actes du 16e colloque international du Crédit Communal. Bruxelles la seconde guerre), tout en lui garantissant une représenta- 1994. spa 2-4 septembre 1992, pp. 13-72 tion dans les grandes villes dont il était exclu étant donné Élections communales 1890-1970, banque de données par C. KEs- la prééminence libérale (mons, Bruxelles ...watermael- tELoot, A. mArEs, C. mArissAL, Crédit Communal, Bruxelles 1996 Boitsfort!…). C’est contre ce type de mesure que l’oppo- * Voir Chroniques de Watermael-Boitsfort n°21 sition libérale et socialiste s’est violemment opposée en Jean puissant 1899 pour empêcher que ce système ne soit appliqué aux à propos d’un pionner oublié : Jean, Philippe, Alexis DEwoLfs

a commune de watermael-Boitsfort a perdu après 1890 et mort après 1900) ; la lecture acciden- dans l’œuvre africaine de LÉoPoLD ii deux de telle d’une plaque apposée sur la façade de la maison Lses enfants. Leur nom n’a cependant pas, communale de watermael-Boitsfort, plaque qui réu- comme celui de nombreux autres artisans obscurs au nit pour toujours le poseur de voie et l’ingénieur service de l’Etat indépendant, atteint la renommée de agricole, m’a cependant conduit à essayer de retracer tant de nos compatriotes qui ont désormais pris rang la brève aventure africaine de ce fils d’une famille au sein des « Pionniers ». En effet, martin AssELBErGh dont les traces de son existence dans notre commune (1869-1896), poseur de voies dans la geste que remontent aux premières décennies du XViie siècle. constitua la « Bataille du rail » ne survécut pas deux Jean Philippe, Alexis DEwoLfs est né à watermael- ans à son arrivée à Boma. Quant à Jean, Philippe, Boitsfort le 5 décembre 1879. il était le premier en- Alexis DEwoLfs (1879-1903), il ne figure pas fant de Jean-Philippe (plus souvent connu sous le jusqu’à présent dans la Biographie Belge d’Outre- seul prénom de Philippe) DEwoLfs (1850-1913) et Mer (et pour cause puisqu’il est arrivé en Afrique marie malvina hUyGh (1853-1917) ; il eut deux

Plaque commémorative sur la façade de la maison communale. Photographie février 2013, Jean-Jacques VAn moL Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page6

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frères, Alex, henri, Égide (1880-1957) et Edouard s’équiper pour sa brève aventure outre-mer. Photo- Léon (1833-1917). Le premier des deux eut une fille, graphié dans son nouvel équipement, le jeune di- encore en vie à l’heure actuelle et le second, demeuré plômé de Gembloux en col raide, veston boutonné célibataire, mourut à Dixmude sur le front de l’yser haut et cravate à large nœud a fait place à l’ « explo- en 1917. Cette branche de la famille peut donc être rateur » à la chemise souple que ferme un cordonnet, considérée comme éteinte aujourd’hui. Par contre, le à la large ceinture de flanelle nouée autour de la taille père de Jean DEwoLfs avait deux frères, dont il est et au casque colonial, sans oublier le coutelas, le re- question dans la correspondance de ce dernier, volver et la carabine de chasse. Ainsi équipé, il arrive Édouard (décédé sans enfants) et henri, lequel eut à Boma trois semaines plus tard, soit le 25 mars notamment deux fils, dont l’un hippolyte est encore 1902. il y passe un peu plus d’une semaine avant de en vie et a lui-même un fils, Jean. Philippe DEwoLfs, se mettre en route le 3 avril vers son poste d’affecta- père de notre pionnier, a joué, tout au long de sa vie, tion, Coquilhatville, où il arrive le 16 avril 1902, un rôle actif dans la politique locale sous la bannière vraisemblablement par chemin de fer avant d’em- libérale. Entré au conseil communal à l’âge de trente- prunter le bateau de Léopoldville à son point de des- trois ans, il devait être réélu régulièrement jusqu’à sa tination. A Léopoldville, DEwoLfs a retrouvé un mort, assumer de manière quasi ininterrompue des cousin Joseph, Adolphe, nestor rowiEs (1874- fonctions échevinales diverses depuis 1888 et repré- 1903), directeur de la Brasserie du stanLey-pOOL, senter le canton d’ au Conseil provincial du avec lequel il échangea de la correspondance. Brabant pendant près de vingt ans. Personnalité po- à l’époque Coquilhatville jouissait d’une presse litique et philanthropique de sa commune, Philippe favorable et les quelques descriptions que nous en DEwoLfs était aussi connu (notamment de LÉoPoLD avons conservées la décrivent comme : ii) pour ses talents d’horticulteur, et plus particuliè- - un centre de commerce considérable où l’indus- rement, comme un spécialiste averti du chrysan- trie du caoutchouc se pratique sur une grande échelle thème. sans doute pourrait-on voir dans cet intérêt et où les plantations de toutes espèces ont acquis un de son père pour l’horticulture et, peut-être aussi dans très grand développement ; le fait que celui-ci était connu du roi-souverain (et - une localité dont toutes les maisons sont en partageait avec lui son intérêt pour les fleurs) , des brique, qui est le centre d’un district prospère et qui sources possibles de la vocation professionnelle et possède une fanfare autochtone saluant les visiteurs africaine de Jean. au son de « Où peut-on être mieux qu’au sein de sa Diplômé ingénieur agricole de l’institut agricole famille » ; de Gembloux le 18 août 1901, Jean DEwoLfs est en- - le centre d’une région à la fertilité merveilleuse gagé par l’État indépendant du Congo moins de huit où abondent copal et caoutchouc ; mois plus tard alors qu’il, comme il l’écrira lui-même, - le type de la station tracée avec gout et méthode « vient de terminer ses études » et décide de se lancer dans la plus belle des situations et appelée au plus dans l’entreprise coloniale. à ce moment les réalisa- brillant avenir ; tions de l’État indépendant sont bien connues en Bel- - une grande escale sise au sein de vastes cultures gique que ce soit par les nombreux récits de et possédant un des climats les plus sains du Congo ; voyageurs, par les articles des journaux publiés à l’oc- - « eine der casion de l’inauguration du chemin de fer matadi- grossten und Léopoldville ou par les expositions coloniales comme schonsten statio- celle d’Anvers. Comme il était de tradition, l’enga- nen. » gement de DEwoLfs prend cours à la date de son em- Comme on le barquement à Anvers sur le stanleyville, le 6 mars voit le caractère 1902 ; il relève du Département de l’intérieur en qua- durable des lité de chef de cultures de 3ème classe et son salaire constructions et la annuel est fixé à 3 500 francs (soit environ 210 000 vocation agricole de nos francs). Jean DEwoLfs commence donc sa car- de la région sont rière à un niveau intermédiaire mais déjà élevé de la au centre de ces hiérarchie. Ceci est vraisemblablement dû à son titre descriptions. on universitaire, celui-ci le plaçant d’emblée au-dessus peut y ajouter des surveillants et sous-chef de culture dans la hié- que, lorsque Jean rarchie de l’époque. Avant son départ il a eu l’occa- DEwoLfs y arrive sion de suivre les conseils que prodiguaient à en 1902, Coquil- l’époque des ouvrages comme celui de A. ChAPAUX hatville a tout J. Dewolfs Photographie collection ou le Manuel du voyageur résidant au Congo et de juste dix ans Philippe DEwoLfs Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page7

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En rapport En pleine terre En pépinière Café Cacao Café Cacao Café Cacao ha 22,000 3,000 338,300 7,880 285,316 - Pourcentage approximatif par rapport à l’ensemble du pays 35% 40% 25´% 7% 11% - d’âge, l’établissement de la station au départ d’Équa- pillée à Bumba le 16 et à Léopoldville le 1er mai ; elle teurville ayant été décidé, semble-t-il, dans les pre- arrive à Boitsfort le 3 juin. à ce moment, Jean DE- miers mois de l’année 1892. Quant au tracé de la woLfs est mort depuis 10 jours à Coquilhatville « ino- future capitale provinciale, les descriptions ne nous di- pinément » selon sa pierre tombale, « des suites de sent pas si le « goût » et la « méthode » qui y ont pré- fièvre » selon son dosser matricule, l’un n’étant pas sidé étaient ceux du lieutenant LEmAirE qui nous a nécessairement exclusif de l’autre. sur sa tombe, ses laissé des traces de ses conceptions urbanistiques en parents (auxquels il écrivait à la veille de partir pour matière coloniale et au sujet de Coq en particulier. ses tournées d’inspection en leur demandant un ther- La population européenne de son coté, ne devait pas momètre « pour prendre les températures du corps » dépasser la dizaine d’unités puisque la station comp- ou « pour fièvres ») firent ériger sur sa tombe une co- tait en 1900 « 8 blancs », parmi lesquels 5 allaient lonne tronquée portant, indépendamment des inscrip- mourir en 1901 ; en 1902 et 1903, le district comp- tions d’usage, la citation « loyauté, courage, tait au total 205 et 207 « Blancs ». il s’agissait pour dévouement et abnégation furent les vertus de ce l’essentiel de personnel administratif et agricole noble et généreux cœur ». taillé et gravé à Boitsfort, parmi lequel on relève les noms du commandant r. le monument dominera sans doute longtemps le petit DUBrEUCQ (qui quitte Coquilhatville un an avant cimetière de Coquilhatville où 18 Européens avaient l’arrivée de Jean DEwoLfs et des chefs de culture L. précédé Jean DEwoLfs entre 1894 et 1902. Quelques GEntiL et VAnDEnhEUVEL. Ceci nous amène à l’ac- années plus tard lorsqu’un oncle de Jean visite le ci- tivité principale du district de l’Équateur, l’agricul- metière et s’y fait photographier, on peut se rendre ture. En 1898, le district comptait les plantations compte que le nombre des tombes à virtuellement mentionnées sur le tableau ci-dessus. doublé remplissant le petit enclos où reposent les Celles-ci avaient été commencées en 1893, c’est- pionniers de la future capitale provinciale. men- à-dire dès la fondation de la station et consacrées tionné en 1931 dans à nos héros coloniaux, Jean d’emblée au cacao, au café et au caoutchouc. En Philippe Alexis DEwoLfs verra également son nom outre, le 3 février 1900, la création de la station expé- gravé au tableau d’honneur du musée de rimentale d’Eala avait été décidée. Point de départ et être associé à celui de martin AssELBErGh sur la d’un remarquable jardin botanique, la station se trou- façade de la maison communale de son lieu de nais- vait à quelques kilomètres de Coquilhatville et attirait sance en 1930. déjà l’attention des voyageurs du Mouvement géogra- De la correspondance de (ou au sujet de) Jean phique et de L’expansion Belge ; Jean DEwoLfs es- DEwoLfs avec sa famille ou des amis, il nous reste pérait d’ailleurs y être rattaché. sa mort prématurée une lettre et deux cartes postales adressées à ses semble avoir empêché la réalisation de ce projet proches parents (les deux cartes ne présentent guère (comme d’ailleurs d’autres hypothèses qu’il envisa- d’intérêt, l’une se bornant à souhaiter une bonne fête geait et notamment celle de devenir chef des cultures à son père et l’autre dont il a déjà été question de- du district). En fait nous savons peu de choses de ses mandant le thermomètre), deux cartes d’ami (dont activités à Coquilhatville. il semble y être resté jusque la signature de l’une ne peut être identifiée), et enfin dans les derniers jours d’octobre 1902 comme en té- la carte d’Albert roosEnBoom, déjà citée et adressée moigne sa correspondance. à ce moment, il en serait à Philippe DEwoLfs . Les seules indications intéres- parti pour inspecter pendant trois mois les plantations santes que comportent ces cartes postales sont rela- de Bikoro situées à trois jours de bateau de Coquil- tives au fait que : hatville et cette première tournée devait être suivie - Jean DEwoLfs aurait déjà été souffrant avant le mois d’une deuxième aussi longue, mais l’emmenant à une de juillet 1902 ; ceci contredit sa lettre où il est question moins grande distance, soit à ikenge. De ces deux de huit mois ininterrompus d’excellente santé ; tournées, il devait être revenu au début avril 1903, - diverses personnes étaient en poste dans l’Équa- lorsqu’A . roosEnBoom passe par Coquilhatville en teur et notamment le capitaine DUViViEr et le doc- route pour Bumba et l’y retrouve « en très bonne santé teur AnGELA. ». La carte de roosEnBoom adressée à l’échevin Phi- Quant à la lettre adressée le 19 octobre 1902 à ses lippe DEwoLfs est datée du 13 avril 1902, est estam- oncles et tantes (à la Brasserie DEwoLfs à Boitsfort), Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page8

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elle nous apprend en huit pages bien des choses sur leurs dont il a la responsabilité. son auteur et l’image qu’il se faisait du Congo et des Le dernier point qu’il faille soulever avant de Congolais de l’époque. conclure cette brève présentation d’un « pionner ou- L’homme d’abord. il semble n’avoir aucun pro- blié », est celui des traditions familiales relatives à la blème sur le plan physique et être en bonne santé (bien mort de Jean DEwoLfs. Pour ses parents encore en vie qu’il estime son cas relativement exceptionnel et ne aujourd’hui, sa mort ne fut pas inopinée, ni causée par conseillerait à personne de le rejoindre, ce qui semble la malaria. selon les uns, Jean serait mort de faim et témoigner d’un certain sens critique et contredire cer- de maladie au cours d’une mission d’inspection, taines allégations relatives au climat local). morale- abandonné de tous (les papiers de famille auraient au- ment aussi il tranche selon lui sur ses compagnons, trefois compris un carnet de notes tenues par lui et où lesquels « souffrent de la nostalgie du pays, découra- la longue agonie est décrite au jour le jour) ; selon les gement, etc. » et sont « malheureux » en Afrique. Cela autres, il aurait été tué à coups de flèches par des est sans doute dû au fait qu’ils ne savent pas « se priver Africains après avoir été attaché à un arbre. Dans les de quantité de choses ». Jean DEwoLfs, quant à lui, re- deux hypothèses, le crime aurait été inspiré par des grette surtout la bière de la brasserie familiale dont il Européens du secteur privé (ou public) que DEwoLfs arrive qu’on la paye 6 francs (soit 360 de nos francs gênait dans l’exercice de pratiques illicites. Aucun environ) la bouteille à Éala et que la fabrication locale document ne permet malheureusement de faire la lu- (c’est-à-dire celle de la brasserie de Léopoldville) ne mière sur ces traditions familiales dont le parallé- saurait en aucun cas remplacer, puisqu’il la compare lisme est éloquent. Quoi qu’il en soit, la carrière à du purin. Enfin ses perspectives d’avenir lui pares- africaine de Jean Philippe Alexis DEwoLfs avait duré sent prometteuses (j’en ai dit un mot) et il y voit un exactement un an, deux mois et dix-neuf jours, tandis avantage tout autre : « gagner beaucoup de sous (c’est que seule la colonne tronquée attirait encore l’atten- le principal) ». mais il ne refuse pas le surcroît de tion sur celui qu’elle abritait dans le premier cime- travail (et notamment les déplacements à pied à tra- tière de Coquilhatville. vers les forêts équatoriales) que d’éventuelles pro- Jacques VanderLinden motions lui vaudraient. sa confiance dans les Annexe habitants du pays est immense ; il circule, même la nuit, sans armes et n’a pas jugé bon de mettre une Lettre expédiée le 19 octobre 1902 par J. Ph. serrure sur la porte de sa maison. Dans l’ensemble DEwoLfs à monsieur J. Ph. DEwoLfs, Échevin, donc une vie qui paraît heureuse et satisfait pleine- Conseiller provincial, Boitsfort les Bruxelles. ment celui qui la vit. La photo où Jean DEwoLfs, déjà moins strictement vêtu que sur celle prise en tenue Coquilhatville 18 octobre 02 africaine avant son départ, pose aux cotés de deux jeunes Africains, me parait assez bien refléter cette Chers oncles et Chères tantes, aisance dans le milieu tropical que reflète sa corres- pondance. J’ai pensé très souvent à vous écrire et si je suis Quant aux Africains, DEwoLfs les enferme en deux resté si longtemps muet, il ne faudra pas trop m’en adjectifs dont l’un était fréquemment appliqué aux ha- vouloir. La cause en (ce mot est biffé) est due à ce bitants de l’Equateur à l’époque, et dont l’autre devait, que j’ai beaucoup de travail et que les courriers que pour de nombreuses années, rester associé à l’Africain reçois sont nombreux et me demandent beaucoup de dans la bouche de ceux que n’atteignaient guére les temps pour satisfaire un peu tous les amis et valeurs propres aux civilisations de l’Afrique. Dans le connaissances. Ensuite je suis certain que régulière- contexte de l’époque, les mots « cannibale » et « fai- ment vous avez dû recevoir des nouvelles de mes néant » sont presque naturels. Du cannibalisme dans Parents. Je suis toujours en très bonne santé et voilà l’Équateur, nombre d’auteurs ont parlé. DEwoLfs bientôt 8 mois que cela dure, aussi j’espère bien que précise dans sa lettre que l’État indépendant du cela continuera jusqu’à la fin de mon terme. Cela ne Congo réprime cette pratique par des condamnations veut pas dire qu’ici on se porte aussi bien qu’en Eu- pénales tandis que lui-même la rattache au besoin de rope. C’est le cas pour moi, mais pas pour beau- viande des Africains de la région en donnant l’exem- coup, voilà pourquoi je ne conseillerai jamais à ple de la bataille autour du cadavre de son chien ; on personne de venir ici. De même beaucoup souffrent peut cependant s’étonner que la viande soit à ce de la nostalgie du pays, découragement etc..., enfin point rare à ce moment et à cet endroit. Quant à la il faut voir ce qui les a poussés à venir au Congo ; ce fainéantise, il se contente de la mettre en rapport avec n’est pas comme moi qui vient de terminer mes l’obligation qu’il a d’être « extrêmement sévère » études et me suis lancé directement dans les colonies. (bien qu’il ne « crie jamais ») avec les 800 travail- Vous n’avez pas d’idée comme il y a des malheu- Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page9

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reux ici. inutile de vous en dire plus à ce sujet. mangé. Je vous assure qu’on en mange beaucoup nestor m’écrit très souvent, il est toujours à Léo- sans que nous l’apprenions, car le noir est fou poldville c.à.d. à 10 jours d’ici lorsqu’on s’avance lorsqu’il a de la viande ils se sont battus la semaine vers Boma. il est en très bonne santé et continue à dernière pour manger mon chien que j’avais tué d’un se plaire. Depuis que l’ingénieur de Louvain, est coup de fusil, parce qu’il n’obéissait pas. il aurait venu prendre sa place, la bière ne vaut plus rien, il fallu voir comme il a été vite préparé et mangé. me dit que c’est du véritable purin, aussi me suis-je simplement mis au-dessus d’un feu (le x est biffé) recommandé pour en avoir quelques tonneaux pour de bois et c’était fini. engraisser mes plantations. tout cela est regrettable Je n’oublierai pas les perroquets de tante thé- car on donnerait beaucoup pour avoir un petit verre rèse, j’espère bien en avoir au moins deux pour elle. de bière Un de mes amis qui est à Eala c.à.d. à 2 Aussi alors il faudra faire disparaître ce fainéant vert heures d’ici, m’a dit qu’un jour il a payé le lambic qu’elle a en cage depuis une éternité. ici il n’y a que 6 frs la bouteille. si votre brasserie se trouvait ici il des perroquets gris à queue rouge ; il y en a par ne faudrait pas longtemps pour faire fortune je bande de 100, on n’entend que leurs cris. ils vont dor- pense. Quand j’ai soif je me dis bien souvent : « si mir sur les hauts arbres des marais et sont difficiles j’avais seulement un verre de la bière que l’on à dénicher. Pendant le jour ils viennent dans les donne aux ouvriers de la brasserie » Je donnerais plantations pour manger les fruits des palmiers. En bien 2 frs pour en avoir une bouteille ». Enfin celui voilà assez sur mon compte je suppose. Je m’aper- qui ne sait pas se priver d’une quantité de choses ne çois que j’ai été impoli et que j’aurais dû demander doit pas venir ici, car nourriture, boisson, plaisir tout plus tôt de vos chères nouvelles. réparons vite cette cela est très minime. Aussi vais-je me rattraper en faute. Comment cela va-t-il dans la famille ? tout rentrant. Je vous assure qu’en grand amateur de le monde continue à se porter bien je suppose ? Et gueuze je vais m’en donner. la brasserie ? fait-on de bonnes affaires ? Cessons un peu de blaguer et causons de choses il m’est impossible pour le moment d’envoyer plus sérieuses. Pour le moment je suis toujours chef des cartes-vues à tante Eveline je n’en ai plus. Je re- de culture dans les immenses plantations (400 hec- mercie beaucoup tante thérèse et tante marie pour tares) de Coquilhatville on m’a promis plusieurs les graines de légumes qu’elles ont bien voulu m’en- places : 1°) celle de chef des cultures du district, 2°) voyer, cela me fait grand plaisir. oncle Edouard et d’ingénieur agricole attaché au jardin botanique oncle henri s’occupent-ils toujours tant de chevaux d’Éala et dernièrement c.à.d. avant-hier j’ai été dé- ? ici il n’y en a qu’un et c’est celui du Commissaire signé pour aller inspecter des plantations : pendant de District. moi je suis forcé d’aller à âne, c’est un 3 mois à Bikoro à 3 jours de steamer d’ici et après peu plus dur. Je termine car le temps me manque et pendant 3 mois à ikenge à 1 jour d’ici. Dans en attendant de vos bonnes nouvelles je vous em- quelques jours tout va être décidé et je vais avoir brasse ainsi que toute la famille et au revoir. une brillante place et gagner beaucoup de sous J. (c’est le principal). Je devrai voyager partout, en steamer, en pirogue, à pieds ( le s est biffé). Voilà ce Je dois dire toute ma gratitude à l’égard de Ma- qui m’ira. Beaucoup ont peur de traverser et parcou- dame L. LerOux et Messieurs H. et J. deWOLfs , res- rir continuellement les immenses forêts mais à moi pectivement nièce, cousin et fils de cousin de Jean cela ne fait rien du tout. Je n’ai pas peur du tout ici deWOLfs pour l’amabilité avec laquelle ils ont bien et si on voulait me tuer, on l’aurait déjà fait depuis voulu m’entretenir de celui-ci et m’autoriser à uti- longtemps, je ne prends jamais d’armes le soir et sur liser les documents et photographies en leur posses- la porte de ma maison il n’y a pas de serrure. il est sion. Ceux-ci ont été déposés, avec leur accord, au vrai que les nègres ont très peur de moi parce que Musée royal de l’afrique centrale à tervuren. je suis grand et que je suis extrêmement sévère avec eux. notez-bien que je ne crie jamais et qu’ils mar- Ce texte constitue une version allégée d'un texte chent à la baguette ; cela est nécessaire quand on a intitulé " a propos d'un pionnier oublié : Jean-phi- 800 de ces fainéants sous ses ordres. si on n’agissait lippe-alexis dewolfs", publié au Bulletin des séances pas de la sorte on serait vite rôti. de l'académie royale des sciences d'Outre-Mer, à propos d’anthropophages c.à.d. de mangeurs Bruxelles 1973, pp. 430-442. L'auteur remercie l'aca- d’hommes, on en a condamné 2 il y a 15 jours. Et démie d'avoir bien voulu en autoriser l'utilisation. hier 5 indigènes nous ont apporté une main d’homme, toute rôtie et prête à être mangée ils ve- Jacques VanderLinden naient dénoncer ceux qui avaient commis ce crime et disaient que c’était le 7ième homme qui était Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page10

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Un « Château de watermael » ? oui ! à Auderghem !

es cheminements de l’histoire ont fait que l’an- pittoresque et un peu mélancolique du site où elle est cienne paroisse de watermael qui, pendant des édifiée. Lsiècles, comprenait les hameaux de Boitsfort et Les environs du castel sont ravissants. du chemin Auderghem, fut scindée en deux entités communales courant entre une sextuple rangée d’arbres, on arrive distinctes, Auderghem devenant autonome au 1er jan- dans un parc étendu qui comprend quatre parties vier 1863. égales limitées par des haies vives. L’une est plantée Et le site du « château de watermael », proche du d’arbres fruitiers, l’autre montre les volutes méticuleu- centre de watermael pourtant, se retrouva du côté au- sement tracées d’un parterre floral ; les deux dernières derghemois de la rue des Pêcheries qui forme la limite se subdivisent en parcelles géométriques diversement actuelle entre les 2 communes. Cela n’empêche pas que plantées. On va de l’un à l’autre de ces petits jardins l’on puisse en parler à hisciwab ! en suivant des chemins courant entre les haies et en passant sous des triomphaux arcs de verdure savam- sander PiErron, en 1905, dans son « Histoire de la ment émondés. forêt de soignes » décrit la gravure de hArrEwyn : derrière la gentilhommière, quatre parterres carrés « Le château se dresse au bord d’un étang carré qui sont dessinés avec une véritable recherche décorative. se prolonge le long de sa façade principale, en un canal Le chemin central conduit, au-dessus d’un pont, dans étroit sur lequel est jeté un pont à deux arches. Ce pont un grand labyrinthe touchant au lac et coupé, longitu- s’arrête devant une porte percée au milieu du bâtiment dinalement, par deux bras de l’étang. autour de ce parc qui compte un étage éclairé par sept fenêtres. deux la forêt s’arrête : ses premiers massifs prolongent ma- rangées de trois fenêtres se voient sur la façade laté- gistralement le domaine du chevalier dont il est l’en- rale, dont les assises plongent dans le lac. Les croisées viable apanage. » centrales reposent sur des balustres. C’est d’ailleurs, avec les deux petits campaniles couronnant les angles mais où se trouvait ce « château » aujourd’hui dis- du toit oblique, le seul ornement de cette charmante paru, en un temps où les bois proches, du solbosch et villa, sobrement conçue, et qui participe au caractère du mesdaelbosch (« Chant d’oiseau ») séparaient en-

Villa de Watermael, par hArrEwyn, gravure éditée en 1694 Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page11

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core watermael d’ixelles et de la ville de Bruxelles ? En 1825, le « château » et ses dépendances est encore figuré sur la carte de wiLLiAUmE, ainsi que la ferme le long La carte de ferraris (1777) nous l’indique : on y dis- du chemin. Le chemin des meuniers de l’époque qui me- tingue clairement, entre ter Coigne à l’ouest et le « nait de Auderghem à ixelles par ter Coigne, sera englouti chau de ter Linden » plus à l’Est, l’étang et les jardins, dans l’A411 actuelle. le bâtiment principal perpendiculaire au chemin, et la ferme du château le long du chemin. En 1836, la carte VAnDErmAELEn ne figure plus le « Comme sur la gravure, l’étang sépare le bâtiment château », mais prend erronément sa ferme pour « l’ancien du chemin par la gauche de celui-ci (en allant vers Au- château du baron Kessel ». derghem), « chemin » qui est en fait la chaussée de watermael, actuelle rue des Pêcheries. L’ensemble du domaine occupait l’angle des rues néfliers/Pê- cheries actuelles.

Ce château fut construit en 1674 pour Corneille DE mAn, chevalier de watermael et Auderghem, et conseiller des finances du duché de Brabant. il était l’équivalent d’un actuel haut fonctionnaire des finances, pour le comte DE montErEy, gouverneur géné- ral des Pays-Bas sous Charles ii d’Es- pagne. Carte de fErrAris 1777 Les terres avoisinantes seront dé- nommées « Kasteelveld » dorénavant. C. DE mAn y aurait vécu jusqu’à son décès en 1700, année où sa fille marie- thérèse-Agnès, épouse d’un certain DE KEssEL, en hérite. Le château resta dans la famille DE KEssEL puisque, en novembre 1788, on décrit Joseph Casimir hyacinthe, baron DE KEssEL, comme seigneur de water- mael, Auderghem et schonenberg. (schonenberg était une ferme-manoir si- tuée à l’angle actuel des rues tritomas et houlette).

Carte de wiLLinAUtE 1825

Carte de VAnDErmAELEn 1836 Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page12

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trouva dans la part d’héritage de sa fille marie- Anne, épouse de LE hArDy DE BEAULiEU, car ces terres, bordées plus tard par le chemin de fer de ter- vueren (devenu promenade pédestre), appartinrent aux DE BEAULiEU par la suite. Le Veeweidebeek noté sur ce dernier plan, est le ruisseau qui, venant de la forêt de soignes en amont de Boondael, recevait le watermaelbeek au niveau de terCoigne pour aller se jeter dans la près de l’actuel supermarché « Carrefour » d’Auderghem. il irriguait ces prés à bétail (« veeweide ») dans une succession d’étangs et de prairies inondables difficile- Cadastre 1847 ment franchissables entre Boitsfort et Auderghem (parc de la héronnière actuel). Et le Kasteelveld resta longtemps une terre agricole cultivée par les fermiers du hof ter Linden (qui existait encore en 1972).

Plan fALK 1907 (En orangé foncé, le territoire d’Auderghem)

ruines du hof ter Linden v1972 devant les premiers immeubles des Pêcheries (vue d’ouest en Est). Photo h. soUmiLLon

Quant à la ferme du « château de watermael », elle subsista, elle, le long de la chaussée de water- mael jusque 1910 environ, les derniers vestiges étant démolis en 1936.

L’étang du château existait encore en 1935 et sera comblé lorsque, à partir de 1937 seulement, ces « terres de Beaulieu » furent loties, donnant leur r. stEVEns V 1911 nom à une avenue et une station de métro actuelles. (En pointillé, la limite des deux communes)

Et sur le relevé cadastral de 1847, si le « château » n’est plus figuré, ni ultérieurement, la « ferme du château », elle, borde toujours la chaussée de watermael.

il aura donc été détruit entre 1825 et 1836, sans doute pour vétusté. Vers 1836, ces terres du Kasteelveld avec le site du châ- teau et le hof ter Linden voisin, ont été achetés par Pierre- théodore VErhAEGEn, à l’époque bourgmestre de institut cartographique militaire, watermael-Boitsfort-Auderghem. échelle 1/10.000, 1935 Après son décès, en décembre 1862, le Kasteelveld se Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page13

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institut cartographique militaire, échelle 1/10.000, 1935 Étonnament, le dessin du domaine rectangulaire du ferme du château de watermael. château et de ses anciennes allées se retrouve entre la Carte postale 1906 ; L. Lagaert, B. n. 17Collection - r. GArtEnBErG rue des Pêcheries, la rue du Barbeau et la rue des Ablettes dans l’axe Est-ouest, la rue des néfliers, rue des tanches et rue du Gardon dans l’axe nord-sud.

si les noms des poissons pris aux pêcheries de wa- termael inspirèrent la commune d’Auderghem, le sou- venir du château et de son jardin, inspira-t-il le promoteur-urbaniste du quartier ?

ferme du château de watermael. Carte postale 1906 ; L. Lagaert, B. n. 17Collection - r. GArtEnBErG

De tout cela, il reste… une mare au bas de l’avenue de Beaulieu, au pied des immeubles des institutions européennes…, qui fut l’étang du hof ter Linden, le nom du beau-fils de P.-th. VErhAEGEn sur une station Carte 1/10.000 iGn 1981 de métro… et le quadrillage des rues actuelles occu- pant maintenant le site du « château de watermael » dans l’angle que forme la commune d’Auderghem vers sans doute ce quartier fiat-il partie d’Auderghem ac- la place Keym. tuel, mais son histoire le relie à watermael-Boitsfort. Henri Ceuppens

La ferme du château, la chaussée de watermael des(rue Pêcheries) et, au fond, le restaurant-laiteriede la Pêcherie royale. Carte postale 1910 ; flion - Collection Chenri EUPPEns Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page14

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ferme du château et son ancien étang. Watermael. - Étang et Chausée de Watermael Carte postale 1909 ; L. Lagaert - Collection Jean-marie VErCAUtErEn

La ferme du château, la chaussée de watermael (rue des Pêcheries) et, au fond, le restaurant-laiterie de la Pêcherie royale. Les environs de Bruxelles. - L’étang de Pêche royale à Watermael Carte postale nels Bruxelles série 11 n°. 97 - Collection henri CEUPPEns Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page15

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Entretien avec Jean-Pierre BErLAImont

e m'appelle Jean-Pierre BErLAimont. Je suis né nait de la région de Charleroi et s'était installé à Au- à watermael le 11 avril 1938. Je suis né rue Van- derghem. il était géomètre et il dessinait des plans. Jder Elst au n°7. A l'époque, les mamans n'al- il est devenu architecte. il a aussi fait de la politique laient pas à la clinique, mais accouchaient à la dans sa commune; il est devenu échevin des travaux maison avec des sages-femmes. Je pense que c'était publics. il y a une rue Louis Berlaimont à Auder- un bon système. rue Vander Elst, au n°7, nous ghem. il a bâti le long de la rue des Pêcheries près avions une petite maison dont le jardin communi- de la pêche royale. A l'époque, c'était une sorte de quait avec la Boucherie Van HaeLen, place Keym, chemin creux mais une fois que l'échevin eut tenue par mes grand-parents maternels. ma tante ha- construit, on a pavé la rue jusque chez lui. Ensuite, bitait au 47, rue Vander Elst. Elle était l'épouse du avec le développement des constructions, on a pavé marchand de charbon firmin soEUr. toute la rue. C'était une très ancienne voirie reliant watermael à Auderghem, mais ce n'était qu'un che- Mes grand-parents maternels min rural longeant un chapelet d'étangs. Quand j'étais gamin, il n'y avait pas beaucoup de construc- mon grand-père était boucher. A l'époque, il allait à tions. Les étangs étaient alimentés par des sources l'abattoir à choisir les bêtes. il achetait comme celles qu'on voyait dans le fond du jardin du avec le boucher Baets de la rue du Bien-faire (l’ac- curé de saint Clément. il y avait des pêcheries tuelle Boucherie andré). Les moyens de locomotion comme la pêcherie KOBe là où se trouve actuelle- étaient très réduits. Je vois encore mon grand-père ment le restaurant the Lodge. A l'époque, c'était un qui revenait avec une demi-bête sur son dos. La bête tout petit bâtiment. mon grand-père y allait de temps qu'il avait achetée avait été livrée chez BAEts et il la en temps boire un verre et je l'accompagnais. il y ramenait. Ce n'était ni une époque ni une vie facile avait aussi la pêcherie ter Linden (VAn LEUVEn), dans l'après-guerre. il n'y avait pas de frigos. il n'y 100 à 150 mètres plus loin et puis la pêche royale, avait que des glacières. Comment faisait-on ? on télé- le grand étang. on y dressait aussi les chiens, ce qui phonait à strombeek-Bever et les livreurs, avec leurs sacs m'intéressait évidemment. Dans toute cette zone de jute et leurs capuchons, apportaient les blocs de glace jusqu'au boulevard du souverain, il y avait de l'eau qu'on mettait dans la chambre froide et ça tenait au frais . partout. Je me souviens que sur l’actuel emplace- Les gens avaient l'obligation d'aller souvent chez le boucher. ment du « Carrefour » d'Auderghem, j'allais galoper maintenant, on achète la viande, on la met dans le freezer dans une sorte de tourbière. ou dans le frigo. A l'époque, il fallait faire ses courses presque tous les jours. on dit que les grandes surfaces ont tué les pe- Ma petite enfance pendant la guerre tits commerces. il y a deux causes à la disparition des petits commerçants, c'est les frigos et la voiture. supprimez les fri- Dans la maison de la rue Vander Elst, nous avions gos et les gens doivent aller tous les jours chercher les pro- le confort minimum. il n'y avait pas de salle de bains duits frais. Et avec la voiture, ils peuvent faire leurs courses mais un seul lavabo dans la chambre des parents. il quelques kilomètres plus loin. Cette époque-là était diffé- n'y avait pas de chauffage, nous avions un poêle à rente de l'actuelle. Les commerces étaient ouverts sept jours charbon au sous-sol où les murs étaient recouverts sur sept. il y avait encore des gens qui venaient chercher un uniformément de carreaux blancs pour lutter contre morceau de viande, le dimanche à sept heure du soir ! Et l'humidité. on y a vécu comme beaucoup de gens à c'était ouvert très tôt le matin. mon grand-père ado- Bruxelles, c'est-à-dire de façon irrationnelle. on a rait faire de la moto. il allait rouler dans les Ardennes construit des maisons avec des sous-sols et les gens le dimanche et ma grand-mère allait en ville le lundi. habitaient dans les sous-sols. Quelques dizaines d'an- Chacun son tour. Je la vois encore le lundi matin, en- nées plus tôt, les gens fortunés qui se faisaient trer dans la boucherie, ouvrir le tiroir-caisse et ça fai- construire de belles maisons habitaient le bel-étage sait « scratch-scratch-scratch » quand elle prenait et le personnel travaillait en bas dans les communs. l'argent qu'elle mettait dans son sac. Elle ne comptait Avec l'évolution des choses, les gens se sont mis à pas ce qu'elle retirait. mes grand-parents gagnaient habiter en bas. bien leur vie mais ils vivaient sans ostentation. J'ai donc été élevé dans les sous-sols de cette mai- son. Chez mes grand-parents, on vivait aussi dans Mon grand-père paternel les sous-sols. Cela paraissait tout-à-fait normal. maintenant, cela paraît illogique. Aucun confort ! mon grand-père s'appelait Louis BErLAimont, il ha- Une hantise de ma mère était le tram qui passait bitait au 116 rue des Pêcheries à Auderghem. il ve- rue Vander Elst devant chez nous. Elle craignait que Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page16

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je monte les escaliers et que j'ouvre la porte de rue. le canal Albert en barque et sur lesquels ils ont tiré ! mon père fut fait prisonnier et envoyé en Alle- J'ai peu de souvenirs de ma prime enfance. Je suis magne. il est revenu en 1945. né en 1938. Je ne me rappelle évidemment pas les événements de 1939, la Drôle de guerre pendant six Des années de guerre, je garde le souvenir qu'on mois, puis en mai 1940, la déclaration de guerre. Ces craignait les occupants. on disait aux gosses de se événements me concernent car mon père était lieu- méfier des Allemands. Je retiens aussi les privations tenant des Grenadiers. En 1939 déjà, il a été mobilisé de liberté. on m'interdisait de prononcer certains et envoyé sur le canal Albert. très mauvais empla- mots. Je me souviens de la crainte de maman parce cement puisque c'était très proche de l'Allemagne. qu'à la maison, on ne parlait pas des Allemands mais De sorte que le 10 mai 1940, dès l'attaque des Alle- bien des Boches. maman me disait toujours que dans mands, son unité a été directement au contact de l'en- le tram, je ne pouvais pas dire ce mot-là. Je me sou- nemi. mon père avait pensé trouver une excellente viens encore aujourd'hui de sa terrible crainte. position en se plaçant avec ses hommes et sa mitrail- Je me souviens aussi que mon grand-père écoutait leuse dans une ancienne champignonnière. il s'était clandestinement «ici Londres» que les Allemands dit que là, son groupe serait protégé. En fait, le 10 s'efforçaient de brouiller. mai 1940, ils ont entendu du bruit derrière eux. Les il y avait des restrictions alimentaires mais j'étais Allemands étaient dans la champignonnière. ils fai- privilégié car j'ai eu la chance de naître petit-fils de saient du parachutisme, ce qui était un sport à boucher. mon grand-père tenait la Boucherie Van l'époque, et ils avaient entraîné des troupes au para- HaeLen, place Keym. VAn hAELEn étant le beau-père chutisme. ils connaissaient le terrain ; ils savaient que de mon grand-père. Pendant la guerre, on vivait avec dans le fond de la champignonnière, à trois kilomè- des timbres de rationnement. Pour acheter du pain, tres de l'entrée, il y avait une porte qui y donnait pour la viande, etc, il fallait des timbres. on connais- accès. tout cela avait été bien préparé. Le combat a sait aussi les ersatz, en allemand les produits de rem- tourné court. heureusement, il n'y a pas eu beaucoup placement. Le terme était passé dans le langage des de blessés parmi les hommes de mon père. Les seuls Belges. il y avait les timbres, bien entendu, mais il tués ont été des Allemands qui tentaient de traverser existait un certain nombre d'accords entre les com-

La Boucherie Van HaeLen qui appartenait à mon grand-père au coin de la rue du Bien-faire. Watermael-Boitsfort. - Rue du Bien-Faire. Carte postale ; Édit. m. Van Kerckhoven, 4, rue du roitelet, watermael-Boitsfort. - Collection robert GArtEnBErG Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page17

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merçants. mon grand-père s'arrangeait avec le bou- que si jamais une bombe tombait et qu'elle doive langer installé rue du Bien-faire, au coin de la rue faire un choix, un de ses enfants, proche d'elle, se- de la malle-Poste. La première chose que mon rait plus sûrement sauvé. Voilà l'ambiance dans la- grand-père lui ait dite, c'est qu'il ne manquerait ja- quelle on baignait à ce moment-là. mais de viande si en contrepartie, il se débrouillait pour lui fournir du pain. C'est pourquoi on n'a ja- J'ai d'abord fréquenté la petite école de l'avenue mais vraiment manqué de rien. Bien sûr, ce n'était wiener, l'école des soeurs. Quand je suis devenu pas Byzance ; on ne connaissait pas les oranges et plus âgé, je suis allé au saint Enfant Jésus chaussée les bananes, par exemple. on a découvert ces fruits- de Boitsfort à ixelles. La crainte de ma mère, c'était là après la guerre.

Je me souviens également des camions de char- bon. on se chauffait au charbon à l'époque. Les trains de charbon arrivaient à la gare de watermael. on ouvrait les portes des wagons et on le déversait par terre. Les marchands de charbon, parmi les- quels mon oncle firmin soeur, allaient chercher le charbon, le ramassaient à la pelle et en remplis- saient leurs camions. mon oncle le ramenait ensuite rue Vander Elst, où il avait une machine-bascule pour la mise en sacs. Les gens commandaient leur charbon et on leur portait les sacs voulus. Je me souviens que les camions descendaient de la gare, passaient sous le pont et perdaient quelques morceaux de charbon dans le virage. Des dames at- tendaient leur passage et ramassaient ce qui était tombé. Quand on dit cela aux enfants maintenant, ils demandent si c'est possible.

il y avait aussi les alertes. Quand les sirènes re- tentissaient, il fallait prendre des précautions. il y à l’école du st Enfant Jésus à ixelles. avait un abri en béton rue du roitelet, mais on n'y Photographie, collection Jean-Pierre BErLAimont a pas été souvent parce que mon grand-père préfé- rait qu'on vienne chez lui place Keym. il avait une le passage à niveau. il n'y avait pas de contrôle. on cave assez profonde et on s'y tenait jusqu'à la fin disait aux gosses qu'ils ne pouvaient pas traverser de l'alerte. on a parfois entendu des bombarde- quand la barrière était abaissée. Je n'ai jamais en- ments. tendu parler d'un quelconque accident ; les gosses Quand on était dans la cave, on portait un cordon étaient suffisamment responsables. avec un sifflet. si le bâtiment s'écroulait suite au J'étais dans cette école quand le V1 est tombé à bombardement, il aurait fallu chercher pour nous re- proximité. nous étions en classe. il n'y a pas eu trouver sous les décombres. Le sifflet, c'était ce d'alerte. Ces bombes volantes, on les entendait ar- qu'on avait trouvé de plus pratique pour se faire re- river, on guettait l'arrêt du moteur. si le bruit conti- pérer. on m'avait dit que si, un jour, j'étais coincé nuait, ce n'était pas pour nous. si le moteur quelque part, je ne pourras pas crier longtemps. s'arrêtait, on craignait que ce soit pour nous. Le V1 Alors, je devais siffler. est tombé près de l'école. Déflagration terrible ! Les Bien souvent aussi, rue Vander Elst, ma mère, gens de watermael se sont dit qu'il n'avait pas dû par précaution, me faisait m'abriter sous la table de tomber très loin. mais de là à penser que c'était près cuisine quand il y avait un danger. Ce n'était pas un de l' école, ils n'en savaient rien. Une maman un fameux abri évidemment. peu plus rapide que les autres est allée voir et est nous dormions au sous-sol. il y avait une petite revenue au village prévenir que l'engin était tombé fenêtre haute. mon grand-père l'avait barricadée et près de l'école. toutes les mamans se sont précipi- y avait empilé des sacs de sable. Ainsi, si une tées. ma maman est arrivée en tablier, elle n'avait bombe tombait à l'extérieur, on ne serait pas bles- pas pris le temps de se changer. sés. il y avait des blessés légers suite au bris des vi- on ne dormait pas à l'étage. J'étais né en 38 et tres. heureusement, il n'y a eu ni morts ni blessés ma soeur, en 36. maman venait dormir avec moi graves. une nuit, une autre nuit avec ma soeur. Elle disait Un autre souvenir. mes grand-parents paternels Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page18

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habitaient rue des Pêcheries. maman nous y envoie est passé et nous a photographiés. La photo a été pu- chercher des oeufs, du miel ou je ne sais quoi. Elle bliée dans le journal. nous en étions très fiers. nous disait qu'on devait prendre la rue des Bégonias et puis tourner dans la rue des Pêcheries. Ainsi, s'il se passait quelque chose, elle pourrait courir pour Après la guerre aller nous rechercher. moi, j'aimais le changement. on est revenus par un petit chemin, près de la maison mon père est revenu au printemps 1945. Je ne le du Docteur moUthUy, rue du Loutrier. A l'époque, connaissais pas. J'avais deux ans à son départ. ma le ruisseau était apparent. Au moment où on y passe, sœur ne le connaissait pas très fort non plus. mon un chasseur arrive et commence à mitrailler le châ- père est arrivé de nuit, après le couvre-feu. il revenait teau d'eau d'ixelles, je crois. Je trouvais cela merveil- après cinq ans de captivité. il voulait rentrer le plus leux et je suis resté debout pour regarder passer vite possible. Donc il se fichait du couvre-feu. sor- l'avion. ma soeur s'était calée au fond du ruisseau tant d'un camp de prisonniers, il n'avait ni uniforme pour se protéger, ce qui était une attitude logique. on ni d'autres vêtements. il avait rencontré au cours de a vu arriver maman en tablier et j'ai reçu la fessée de ses pérégrinations, un lieutenant anglais qui lui avait ma vie. Parce que je n'avais pas fait ce qu'il fallait, donné un de ses deux uniformes. il est apparu dans parce que je n'avais pas pris le bon chemin et que je un uniforme anglais. ma soeur a demandé à maman n'avais pas écouté ma grande soeur. si elle était sûre que ce militaire anglais était bien son J'ai encore le souvenir des avions qui passaient ré- mari et notre père. gulièrement pour bombarder l'Allemagne et des 100 à 150 bombardiers qui revenaient de mission en vol De mon enfance d'après la guerre, je garde le sou- groupé. venir qu'à la place Keym, il n'y avait qu'un restaurant, le roi Albert. Je me demandais pourquoi les gens al- En 1944, ce fut d'abord l'arrivée des Anglais, des laient au restaurant alors qu'ils pouvaient manger Canadiens et des Américains. on connaissait bien chez eux. leurs uniformes et on pouvait dire quelle était leur A l'époque, les mamans préparaient les tartines nationalité. Les Américains étaient logés place Keym pour le papa qui allait travailler et pour les enfants dans ce qui est actuellement le Delhaize. il y avait là qui allaient à l'école. maintenant, les enfants ne veu- une salle des fêtes, la salle du Bien-faire. on aimait lent plus de tartines. ils demandent des sous pour bien aller leur dire bonjour parce qu'on recevait du aller acheter leur sandwich. chocolat. C'était l'abondance! Je pense à la tournure d'esprit qui a dû changer avec leur arrivée. Quand ma A l'époque, un peu de liberté, c'était le scoutisme grand-mère voyait un militaire avec un petit trou avec raoul wiArD, freddy fErrAro, Pierre DU- dans son pull, elle lui proposait de le ravauder. il lui ChEsnE etc… au cercle saint Clément. on faisait des expliquait que ce n'était pas comme ça qu'ils fai- camps chaque année. C'était une façon de sortir un saient. Quand il y avait un trou, ils échangeaient le peu de watermael-Boitsfort. vêtement abîmé contre un autre en bon état. Un tel J'ai encore le souvenir des processions qu'on fai- comportement était impensable pour nous, vu les res- sait à l'époque, avec des cierges et des saints qu'on trictions qu'on avait connues. baladait. maintenant, c'est impensable. Comme tous les gosses, je faisais la collection de schrapnels et d'obus que je ramenais à la maison. Ce La place Keym n'était pas comme elle est main- jeu-là était excessivement dangereux et était devenu tenant. il n'y avait pratiquement pas de constructions. la crainte de tous les parents . Au-delà, il y avait une sablière, un versage, des ter- rains vagues. Dès qu'on allait là-dedans, c'était la Un autre souvenir. mon grand-père m'a emmené pampa. mon grand-père me surveillait depuis la en promenade rue middelbourg. C'était après la Li- boucherie. interdiction d'aller jouer là où il ne pou- bération. Je devais avoir sept ans. Comme dans vait pas me voir. si je dépassais la limite, il me me- chaque commune, on pourchassait les dames qui naçait de venir me tirer les oreilles. avaient «fricoté» avec l'ennemi. J'ai vu tondre une de Le pharmacien Van Espen avait construit une ces malheureuses en pleine rue. Ce n'était pas un maison de l'autre côté de la place, à l'angle de la rue spectacle pour un enfant de mon âge. Cela m'a mar- des Bégonias. Une maison mitoyenne avait été qué et je me demande encore pourquoi mon grand- construite au même moment. Et puis est arrivé un père m'y a amené. Volontairement ou par hasard ? projet d'aménagement de la place. Un an après, on a démoli ces maisons. mon père en avait dressé les Un souvenir plus agréable. nous étions allés nous plans. Le pharmacien s'est installé de l'autre côté de promener, ma soeur, ma cousine Clairette et moi. la place. La deuxième maison a été reconstruite rue nous étions dans les pâquerettes quand un journaliste du roitelet, approximativement là où se trouvait Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page19

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l'abri pendant la guerre. Le même plan a donc servi mens. C'est ce que mon père m'a raconté. mon père deux fois. a été à deux doigts de d'abandonner ses études mais Au moment de la construction du stade du ra- il est revenu sur cette intention et il a été diplômé en cing, je me souviens des prisonniers allemands qui 1935. y ont travaillé. on les amenait en camions. on les on ne construisait pas énormément avant la voyait passer. Je ne sais plus combien de temps cela guerre. La première maison qu'il a bâtie, c'était le a duré. n°9 de la rue Vander Elst. mon grand-père avait un à cette époque, vu la faible circulation automo- peu de sous et il lui a demandé de construire un im- bile, les enfants étaient plus libres dans leurs dépla- meuble avec quatre appartements, mais sans grand cements. on pouvait rouler à vélo, on pouvait courir confort, tout comme dans la maison voisine où nous à gauche ou à droite. il n'y avait rien de construit habitions, un immeuble sans salle de bains et sans entre la place et les arcades. Le tram venant de la chauffage. Une salle de bains était encore un luxe. ville passait sous les deux arcades puis tournait à nous allions prendre notre bain chez mon grand- droite et remontait directement vers la rue du roite- père. Et dire qu'avec le confort actuel, les gens ne let. il y avait moins de danger et on était relativement sont pas encore contents ! libres. Un jour, mes copains me disent qu'ils ont été à vélo à tervueren et me demandent si je les accom- mon père a commencé par faire un certain nom- pagne dans une nouvelle expédition cycliste à ter- bre de travaux. il faut dire que juste avant la guerre, vueren. J'étais beaucoup plus petit qu'eux et j'avais une maison, ça se construisait : maçonnerie, gitage, un tout petit vélo. nous voilà partis à tervueren. Je plancher, une lampe électrique parce qu'avant c'était devais avoir sept ou huit ans. on est allés jusqu'au l'éclairage au gaz. C'était très simplifié. château de tervueren puis on est rentrés. mais il Après la guerre, bien qu'il y ait beaucoup de dé- n'était pas très tôt. J'ai de nouveau eu la fessée de ma molitions, les affaires n'ont pas démarré de suite car vie et mon vélo a été confisqué pendant un mois. Ce les gens n'avaient pas d'argent. qui était logique vu la crainte des parents de ne pas mon père a donc débuté lentement sa carrière. Le voir revenir leur fils. boulot est venu progressivement. Je me souviens de à partir de 1947, on est allés quelques jours à la sa première voiture, achetée en 1947, la première mer. Avant la guerre, mon grand-père avait une mai- voiture de la rue Vander Elst, on en était tout fiers ; son à la côte. il l'avait vendue quand il avait senti c’était une Juva - Quatre renauLt, avec trois vi- que ça allait mal tourner. ils allaient à la mer chaque tesses. Elle faisait du 60-70 à l'heure. Elle était toute année avant la guerre et à partir de 1947, on a recom- petite avec un coffre minuscule. mencé. on allait en train bien sûr. La première fois qu'on y est retournés, on est allés loger avenue Lip- mon père a dressé les plans de 630 maisons à pens dans un petit appartement. on m'avait abon- watermael, Boitsfort, Auderghem etc…. damment parlé de la mer et de ce que je découvrirais. Après le démarrage, il y a eu les lotissements on arrive le soir. La première chose que maman veut comme celui de l'avenue des noisetiers, en deux faire en arrivant, c'est d'ouvrir sa valise pour que les phases, avant la guerre pour le bas de la rue et fin vêtements ne soient pas chiffonnés. Vous connaissez des années cinquante pour le haut. Je me souviens les femmes ! Ce jour-là, je n'ai pas vu la mer qui était du cul-de-sac dans l'avenue. mon père a commencé là tout près. Quelle frustration. Je ne pouvais pas voir par construire une grande maison jaune. Je crois que la mer. C'est peut-être un détail, mais ça m'a vrai- c'est la première qu'il a réalisée dans le coin et il a ment choqué. achevé ses constructions, je crois, par le n°42. on reconnaît les maisons de mon père par un appareil- Mon père, architecte à Watermael lage des briques de parement très particulier.

mon père était né le 13 juin 1910. il avait fait des Mes études études d'architecture tout comme son frère Émile. Leur père était déjà architecte. Après le saint Enfant Jésus, j'ai dû changer d'école mon père a démarré sa carrière en 1935. il avait parce qu'elle n'offrait plus qu'une section pour jeunes étudié l'architecture à l'Académie et avait été di- filles. mes parents m'ont inscrit à Charles Janssens, plômé en 1935 à une époque où il fallait faire des place de Londres. il fallait y aller en tram. Le pre- études et avoir un diplôme pour faire des plans et mier jour, maman m'a accompagné. on a pris le bâtir. il y a eu une sorte de révolte des architectes tram 96 qui passait devant l'école. L'arrêt était place parce qu'on imposait trop de règles et trop de de Londres. Pour rentrer, c'était le trajet inverse. Elle contraintes. Les étudiants avaient la possibilité de m'avait dit que le soir, je devrais me débrouiller seul, déclarer à la commune qu'ils étaient architectes et m'avait expliqué où embarquer quand le tram arri- alors, ils ne devaient pas passer les derniers exa- verait, avait vérifié que j'avais bien ma carte de tram. Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page20

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Je pense à mes petits-enfants qui ont 12, 13 et 14 ans d'apprentissage de quatre mois à Paris parce que et que leurs parents conduisent encore à l'école, sur- c'était tout autre chose que le béton armé. tout les filles. Quand je leur dis que les enfants doi- vent pouvoir se débrouiller seuls, ils me répondent : J'y ai travaillé quatre ans. J'étais le seul ingénieur. l'insécurité. Quel changement. il est vrai que pour on utilisait le béton précontraint dans les grandes nous, le danger, c'était de se faire écraser par le tram structures, les centrales nucléaires et d'autres. Entre ou par une voiture alors que maintenant, on craint les 1964 et 1968, la Belgique a construit des centaines rencontres que les jeunes peuvent faire. d'ouvrages comme les ponts d'autoroutes. C'est pour A l'époque, les trams n'avaient pas de portes ex- cela que la firme a pris une grande extension. on térieures; il y avait des courants d'air terribles. Le construisait énormément. on a construit en béton receveur était exposé au froid malgré les portes à précontraint le tunnel sous l'Escaut à Anvers. on réa- glissières intérieures. sur chaque tram, il y avait un lisait des ouvrages énormes avec des capitaux très conducteur, un receveur et un autre receveur dans la importants. remorque. Ces gens portaient des mitaines. Leurs conditions de travail étaient pénibles mais cela pa- Après cette période, j'avais espéré reprendre la raissait normal. firme mais le représentant de frEyssinEt n'avait pas Je me souviens qu'un jour, la remorque du tram envie de cesser ses activités et sa firme avait pris une qui montait de la place wiener vers les trois tilleuls, extension terrible parce que le béton précontraint qui était mal fixée a lâché et est redescendue. il n'y marchait bien grâce aux travaux autoroutiers. il avait pas de maison dans le tournant et elle a continué m'était impossible de reprendre car il fallait des ca- tout droit. heureusement, il n'y avait personne de- pitaux importants dont je ne disposais pas. dans. Je me rappelle aussi que parfois lorsqu'on était fâ- Je me suis mis à mon compte le 1er juin 1968. En chés sur un conducteur de tram, on allait à l'arrière 1968, j'ai repris les entreprises Jules DEmAnEt rue tirer la flèche . « Jef de flèche is af ! » des Archives à Boitsfort. J'avais trente ans. monsieur DEmAnEt en avait 60. on a travaillé ensemble pen- En 1949, les affaires allaient bien. mon père a dant deux ans et puis lentement, il a cessé ses activi- construit une maison dans le haut de l'avenue de Visé tés. C'est ce qui avait été convenu entre nous. avec une salle de bains et tout le confort. moi, à ce àl'époque, il y avait du boulot, Demanet avait une moment-là, j'étais élève à l'école de la place de Lon- clientèle, il n'y avait pas 36 entrepreneurs à water- dres. Je ne travaillais pas et j'avais de mauvais résul- mael. il y a eu une bonne période en 1971,1972 et tats. Les réprimandes se succédaient. mes parents 1973 ; je faisais de la promotion de villas à overyse, m'ont annoncé qu'ils allaient me mettre au pensionnat waterloo et ailleurs. J'avais des plans-types, j'utili- pendant un an pour me donner le goût des études. sais la publicité, je connaissais des terrains et les gens L'idée d'aller dans un pensionnat n'était pas tellement me disaient qu'ils avaient vu qu'une de leurs connais- rigolote. ils ont été me présenter à malonne. Par sance avait fait construire et était satisfaite. ils se ren- chance, il y avait une piscine de 50 mètres. J'ai ac- seignaient et ils achetaient. Cela a bien marché. En cepté. Cette année-là, j'ai eu de bons résultats et je 1974, l'inflation est montée en flèche. Comme heu- me suis dit que j'allais encore rester un an. Comme reusement, mes contrats étaient indexés, les gens cela marchait bien, que je ne me faisais pas engueu- commençaient par payer 1000 et à la fin du chantier, ler, j'y suis resté sept ans. Je suis sorti à 18 ans de ils payaient 1140. J'ai fait des factures où on ajoutait malonne puis j'ai été à l'université de Louvain. A 10 à 14% d’indexation et cela a tué la construction. l'époque, je « kotais » à Louvain. Pas mal d'étudiants Après cela, il y a eu des hauts et des bas. on s'est tou- faisaient la navette parce que ce n'était pas tellement jours débrouillés en allant plus loin, en ratissant plus loin, mais moi, je voulais participer à la vie estudian- large. maintenant, le problème à Bruxelles, c'est qu'il tine. ne faut plus beaucoup d'entrepreneurs parce qu'il n'y J''ai terminé mes études d'ingénieur civil des a plus beaucoup de terrains disponibles. si on veut constructions en 1961. construire, il faut démolir quelque chose. il faut même démolir de belles maisons. Ma vie professionnelle Dans mon entreprise, j'étais le seul ingénieur. J'ai d'abord travaillé chez traCtiOn et eLeCtriCité J'employais des ouvriers compétents et des chefs qui est devenu traCteBeL. Ensuite, j'ai changé d'em- d'équipe. il ne fallait pas nécessairement avoir un di- ployeur et j'ai travaillé pour une firme qui lançait les plôme pour travailler chez moi. Je visais la compé- techniques de béton précontraint frEyssinEt. mon tence, la connaissance du métier. il ne faut pas patron était le représentant du procédé frEyssinEt oublier que les jeunes à l'époque, commençaient à en Belgique. J'ai dû commencer par faire un stage travailler à 14 ans quand ils ne voulaient plus aller à Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page21

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l'école ou lorsque les parents leur disaient : « Men- Une anecdote neke, tu perds ton temps, va travailler ». Le papa me demandait si je voulais bien prendre son fils. Le fils Je travaillais à woluwe-saint-Pierre à la rénovation commençait comme manoeuvre pendant un an ou d'une église avenue Prékelinden. sur le chantier, deux deux. Quand on voyait qu'il en voulait, de temps en ouvriers se tenaient en haut et un manoeuvre en bas. temps, on lui disait que s'il travaillait bien, en fin de Leur travail consistait à retirer les vitraux, à descendre journée, il pourrait prendre la truelle et placer les pierres descellées avec une « gaderole », c'est-à- quelques blocs. Alors, il faisait des efforts et on dire une corde et une roue. on mettait une pierre voyait ceux qui sortaient du lot. J'ai eu des chefs qui dans un seau et on la descendait. Les deux ouvriers avaient commencé comme manoeuvres et qui ont en haut sans réfléchir mettent deux pierres qui te- fait de terribles ouvrages. ils étaient devenus ma- naient ensemble dans le seau. Chacune pèse trente, çons, puis chefs-maçons. Avec l'expérience acquise, quarante kilos. ils oublient que le gamin en bas ne ils arrivaient à lire les plans et à faire les tracés ! pèse que 45 kilos, moins que les pierres. Au moment où ils placent les deux pierres, le gamin ne sait pas mon entreprise travaillait surtout pour le privé ce qui se passe. Le seau descend et lui qui ne peut mais travaillait aussi pour des firmes comme pas lâcher la corde se met à monter. Jusqu’à 18 mè- deLHaize, gB, eLeCtraBeL pour les postes à haute tres de haut ! Les deux hommes du haut n'ont pas la tension. présence d'esprit de freiner la descente et le gamin continue à monter Au moment où il arrive à leur mon atelier de la rue des Archives est devenu hauteur, les maçons l'attendent et l'attrapent. Le beaucoup trop petit vu l'extension de la firme. En gamin était sonné. Les ouvriers m'ont dit qu'il était 1985, j'ai loué un grand atelier dans le zoning indus- resté une heure couché sur l'échafaudage ; il ne vou- triel de nivelles. Je n'ai pas bien négocié mon bail lait plus voir personne. on ne m'a pas raconté cela et en 1990, suite à de terribles augmentations de ce jour-là, mais c'est longtemps après que les autres loyer, je suis parti. Je suis allé à Deux-Acren près de ouvriers on bavardé. on aurait pu avoir un mort. Lessines. Je travaillais assez bien pour eLeCtraBeL. à Deux-Acren, à 100 mètres de mon atelier, il y avait un grand poste d'eLeCtraBeL. J'y travaillais souvent Réflexions en guise de conclusion mais aussi au-delà, par exemple pour des gB et des L'architecte deLHaize, à Liège et ailleurs. Je dirigeais plus ou Quand une personne veut construire, elle contacte moins 50 ouvriers et 6 ou 7 employés. on était de- un architecte qui conseille un, deux ou trois entre- venus plus mobiles. A un certain moment, c'est de- preneurs. Libre au client d'en prendre un quatrième. venu nettement plus difficile. nous avons été En Belgique, pour construire une maison, il faut un travailler jusqu'à Lens et à Boulogne-sur-mer. Ce architecte. En france, si vous avez un cousin qui n'était pas rentable de travailler aussi loin. mes dessine bien, il fait le plan, vous allez à la mairie et équipes travaillaient 4 jours par semaine, ce qui il ne faut pas d'architecte. Peut-être pas pour tout, n'était pas réglementaire, mais c'était indispensable. mais pour pas mal de constructions, il ne faut pas Elles travaillaient dix heures par jour. Les hommes d'architecte. partaient le lundi matin, travaillaient quatre jours En Belgique, on ne peut pas être à la fois entrepre- pleins et revenaient le jeudi soir. ils ne passaient que neur et architecte. La loi l'interdit. C'est l'un ou l'au- trois nuits à l'hôtel. Ce système marchait très bien. tre. moi, en sortant de l'université, j'avais demandé Les français voyaient une grande différence entre et obtenu mon agréation comme architecte Quand les ouvriers belges et les ouvriers français. A midi, je suis devenu entrepreneur, j'ai dû y renoncer. mes hommes prenaient leurs tartines et ils man- A ce moment-là, les architectes avaient un barème. geaient sur le chantier. A midi vingt, ils reprenaient on construisait une maison de tel type, l'architecte le boulot. Les français ne faisaient pas comme ça. demandait 7% du prix de la construction. tous les ils allaient manger au restaurant, buvaient du vin et architectes avaient à peu près le même barème, le l'après-midi, leur rendement baissait. prix à payer variant en fonction des exigences du client. si le client choisissait le luxe, il payait évi- J’avais mes bureaux et mon atelier au 144 rue des demment plus cher. L'architecte était le passage Archives. J'ai habité avenue des Coccinelles et puis obligé. il recommandait des entrepreneurs en qui il en 1992, j'ai construit un immeuble à appartements avait confiance. Les entrepreneurs, c'est comme pour à Auderghem, rue Leclercq. J'y ai gardé un apparte- les plombiers ou d'autres corps de métiers, il y en a ment pour moi. de bons et de moins bons. Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page22

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Conséquences d'un changement de politique grosses démolitions, on faisait appel à des spécia- Dans les travaux publics, la situation s'est dégradée listes qui vous démolissent et font partir les débris à la fin des golden sixties et cela a entraîné la faillite d'une grosse maison en une journée. de grosses entreprises comme sOgetra dont le siège moi, je n'avais pas les grosses machines nécessaires se trouvait sur la route d'overyse. ni le charroi. Le ministre DE sAEGhEr qui avait un pouvoir J'ai vu des démolitions de ponts en précontraint considérable, avait mené une politique de construc- impressionnantes. Le bac de la machine faisait clac tion des autoroutes en masse. La conjoncture était fa- et passait au travers du pont. Le reste était découpé vorable. En prévision de ces chantiers, les avec une énorme cisaille. J'ai vu démolir un pont par entrepreneurs ont investi en matériel coûteux. Et explosifs sur l'autoroute de Liège. A quatre heures du puis, le ministre a changé ses programmes. on a matin. on ne pouvait pas bloquer l'autoroute plus de cessé de construire des autoroutes au profit de la 24 heures. L'entrepreneur avait dit : pas de problème, construction d'hôpitaux. sOgetra et beaucoup d'au- je fais sauter le pont, il tombe par terre, je le ramasse tres se sont retrouvés avec un parc d'engins de chan- et c'est fini en 24 heures. Cela a été terminé dans le tier inutilisables, invendables et vandalisés. délai prévu mais avec d'énormes moyens techniques. Catastrophe ! Enregistré à watermael le 9 janvier 2013 : Les démolitions JJ VAn moL et JP CArPEntiEr J'ai dû démolir des maisons. Quand c'étaient de transcription : JP CArPEntiEr

inauguration du mémorial ALBErt 1er watermael 21 août 1938 ; le monument a été dessiné par mon père robert BErLAimAont Photographie, collection Jean-Pierre BErLAimont Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page23

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Dénomination d’artères de wattermael-Boitsfort, hier et aujourd’hui Jean-Pierre hUts

en 1959 Précédemment Avenue des taillis rue du Pont et ultérieurement rue théophile Vander Elst rue de l’Avenir rue de l’Abreuvoir rue d’or ou Guldenstraat rue des touristes rue de la montagne Place des Arcades rue d’ixelles (partiellement) Avenue de Visé rue d’ixelles rue des Archives Avenue du Chemin de fer rue du tram rue des Bégonias Chaussée de watermael Drève des Volubilis Avenue des Chênes (partiellement) Drève des weigélias rue struelens rue des Béguinettes rue du four rue du Bien-faire Chaussée de watermael et encore (partiellement) Avenue des Bouleaux rue Creuse Avenue Georges rue des Brebis rue des meuniers Benoidt Avenue des oiseaux rue du Buis rue des sables rue des Angéliques rue des romarins Avenue des Campanules Avenue du Beau-site Place Andrée Payfa- Drève du Caporal Drève de la forêt fosséprez Place Bischoffsheim rue des Cèdres rue du Presbytère rue du Cerf-Volant rue de l’Aurore Avenue du Cor de Chasse Avenue marie-Louise Avenue Charle-Albert Chaussée d’Auderghem Dries Chaussée de watermael rue de la Citadelle rue des ifs (partiellement) rue du Concours Petite rue de la Vénerie Avenue Émile Avenue Delleur Avenue de la Vénerie Van Becelaere Avenue de watermael Place Joseph wauters Place de l’Edelweiss Place Eugène Keym Place de watermael heiligenborre rue de la fontaine rue des Garennes rue des Champs rue de la herse Lindestraat rue du Grand-Veneur rue de la woluwe Krekelenberg montagne de la Cigale rue des fougères rue de la Cigale Koestraat rue Philippe Dewolfs rue des Polonais rue du Gruyer rue des Écoles (partiellement) Place Léopold wienerPlace du marché rue des tritomas rue des hobereaux Drève des Libellules Avenue des Villas Karrenberg rue Verte rue Louis Ernotte rue de la Charrette Lammerendries rue des moutons (partiellement) rue Pré des Agneaux rue du Loutrier rue de l’Eglise rue nisard rue Coppens rue major Brück rue de la Villa rue des thuyas Avenue des Bouleaux (partiellement) rue du sacrifice Patriotique rue de la malle-Poste rue de la Poste Drève des tumuli Drève du Caporal rue des merisiers rue du Viaduc rue de la Vénerie rue woluwé rue du ministre rue de la Villa (en partie) Avenue Léopold wiener Avenue des ormes. rue des néfliers rue des Pierres Avenue des ortolans Lindenstraat Sources : folklore Brabançon (1959). rue des Pêcheries Chaussée de watermael Archives de l’Administration communale de (partiellement) watermael-Boitsfort. rue du relais rue de la Charrette Archives Philippe smEULDErs et (partiellement) Jean-Pierre hUts. rue du roitelet rue de la station remarque : l’attribution du nom de rue ou d’avenue ne rue du rouge-Gorge rue de la Pompe repose sur aucun critère rationnel ! Drève des silex rue de l’Étang Chronique N°22_Mise en page 1 21/02/13 09:40 Page24

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Quelques cartes postales éditées au début du siècle dernier sont peu explicites sur la localisation du lieu représenté. où pouvait bien se trouver ces serres ? L’imposante villa semble ne plus exister. Qui pourrait fournir des précisons sur ce document ? 186 Watermael . Les Serres d’orchidées Carte postale - Collection robert GArtEnBErG 1914-1918. nous commémorons La région de Bruxelles-Capitale commémorera le centième anniversaire de la guerre 1914-1918, celle qu'on appelle com- munément « la grande guerre ». Le projet est piloté par le Ca- binet du ministre-Président Charles PiCQUÉ. La région Une publication de HISCIWAB souhaite associer étroitement les Communes et les cercles Président : Jean-Jacques VAN Mol d'histoire locale et leur demande de travailler en étroite col- 6 avenue Marie Clotilde - 1170 Bruxelles laboration. C'est pourquoi nous avons déjà tenu une première [email protected] réunion d'évaluation avec le service communal de la Culture Secrétaire : Jean-Pierre CArPeNtIer - et l'Espace mémoire. 42 avenue des Noisetiers - 1170 Bruxelles Le projet couvre une période allant du début de l'année 1914 [email protected] au début de l'année 1919. Les thèmes retenus sont non seule- Trésorier : Jules Knaepen ment les aspects militaires du conflit, mais aussi les aspects 10 rue de la Malle Poste - 1170 Bruxelles de la vie quotidienne durant cette période : alimentation, soins [email protected] de santé, habillement, logement, transports, sports et loisirs,... Cotisation annuelle : 10 Euros à verser au Un volet sera consacré aux évènements familiaux : nais- compte n°Be47 6528 2172 5680 sances, mariages, décès, scolarité des enfans, leurs jeux,... nous avons besoin de votre aide. Dépôt légal : BD 48699 Un siècle après, quels souvenirs reste-t-il alors que la mémoire orale a cessé d'être la source principale, sinon des documents, let- Publié avec le soutien tres, photos et objets qu'on se transmet avec émotion de généra- de la Commission communautaire française tion en génération ? du Ministère de la Fédération Wallonie- si vous possédez de tels souvenirs, signalez-le nous. Effectuer le Bruxelles relevé de ce qui existe encore est en soi fort intéressant. Et si vous et de la Commune de Watermael-Boitsfort acceptez de nous les prêter en vue d'une exposition ou d'une pu- En collaboration avec l’espace Mémoire blication, nous les scannerons ou nous les photographierons. Contact faites nous signe si vous acceptez de participer à cette initia- tive citoyenne mobilisatrice via le site web www.hisciwab.be Prix de vente à l’exemplaire le téléphone au 02/6736906 (JP Carpentier) le courrier postal au siège : 6, avenue Marie-Clotilde – 3,5 euros 1170 Bruxelles.