Les Cahiers d’Outre-Mer Revue de géographie de Bordeaux

271 | Juillet-Septembre 2015 Ressources en milieu sec

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/com/7502 DOI : 10.4000/com.7502 ISSN : 1961-8603

Éditeur Presses universitaires de Bordeaux

Édition imprimée Date de publication : 1 juillet 2015 ISBN : 978-2-86781-978-0 ISSN : 0373-5834

Référence électronique Les Cahiers d’Outre-Mer, 271 | Juillet-Septembre 2015, « Ressources en milieu sec » [En ligne], mis en ligne le 01 juillet 2018, consulté le 28 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/com/ 7502 ; DOI : https://doi.org/10.4000/com.7502

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Malthus ou Boserup ? Éternel débat entre une lecture pessimiste et une lecture optimiste des relations hommes-nature qui alimente la tension des chercheurs quand ils observent les évolutions des sociétés du Sud confrontées aux changements climatiques et sociétaux. C’est à alimenter ce débat que s’attache ce 271e numéro des Cahiers d’Outre-Mer consacré aux relations des sociétés pastorales avec leur milieu support, au travers d’études localisées sur des espaces en Afrique du Nord et au Sahel sénégalais. Méthodologiquement, ce numéro présente l’apport d’approches à des échelles variées, de l’échelle régionale jusqu’à l’échelle macro, et l’apport du croisement des disciplines de la géographie à l’économie et l’ethnobotanique.

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SOMMAIRE

Introduction Bernard Calas

Évolution de la ruralité en Kabylie : dynamiques sociodémographiques et mutations spatio- économiques Akli Akerkar

Les incidences du changement climatique sur l’espace pastoral steppique de l’Algérie occidentale (cas de la commune de Ras El Ma) Zaza Bensmira, Benchaben Hellal, Sophie Bouju et Richard Maire

Le rôle clé du gardiennage des troupeaux dans la gestion durable des ressources pastorales du Nord-Est algérien Saïda Matallah, Khaled Abbas et Sophie Bouju

Le figuier de Barbarie (l’Opuntia ficus-indica) : un produit de terroir pour le développement local ? Aknari des Aït Baâmrane (Anti-Atlas occidental, Maroc) Hassan Faouzi

Espèces ligneuses du Ferlo-Nord, Sénégal : état actuel et usage Aissatou Thiam Ndong, Ousmane Ndiaye, Madiara Ngom Faye, Didier Galop et Aliou Guissé

Le végétal dans le système agraire de Barani (Burkina Faso) Jean Louis Yengué et Maude Cochonneau

L’ouest forestier ivoirien : enjeux et problèmes d’une zone grise Bertin G. Kadet

Cazenave-Piarrot A., Ndayirukiye S., Valton C. (coord.), 2015, Atlas des Pays du Nord- Tanganyika Marseille, IRD Éditions, 144 p. François Bart

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Introduction

Bernard Calas

1 Malthus ou Boserup ? Éternel débat entre une lecture pessimiste et une lecture optimiste des relations hommes-nature qui alimente la tension des chercheurs quand ils observent les évolutions des sociétés du Sud confrontées aux changements climatiques et sociétaux. C’est à alimenter ce débat que s’attache ce 271e numéro des Cahiers d’Outre-Mer consacré aux relations des sociétés pastorales avec leur milieu support, au travers d’études localisées sur des espaces en Afrique du Nord et au Sahel sénégalais. Méthodologiquement, ce numéro présente l’apport d’approches à des échelles variées, de l’échelle régionale jusqu’à l’échelle macro, et l’apport du croisement des disciplines de la géographie à l’économie et l’ethnobotanique.

2 Le numéro est introduit par une observation à moyenne échelle qui, au-delà des strictes évolutions de la ruralité en Kabylie autour et au-dessus de (densification démographique, augmentation de la pression foncière, urbanisation, exode rural), pose le cadre des recompositions socio-spatiales qui affectent les milieux secs de part et d’autre du Sahara. Les articles suivants procèdent à des échelles plus grandes mais distinctes, depuis des enquêtes et comptages comparés dans le Ferlo jusqu’à une analyse micro des pratiques de conduite de troupeau dans le Nord-Est algérien et une approche par la variété – en l’occurrence le figuier de Barbarie – au Maroc. Le varia de ce numéro se rattache à la thématique du végétal puisqu’il traite entre autres des évolutions des massifs forestiers et des aires protégées mais dans l’Ouest humide de la Côte d’Ivoire. En le séparant ainsi du reste du numéro, l’équipe de rédaction entend tout à la fois souligner l’importance des évolutions communes mais aussi celle des spécificités introduites par les différences physiques des milieux supports.

3 Les incidences croisées du changement climatique et de la pression anthropique sur le milieu sont surtout envisagées à travers le prisme des ligneux et des écosystèmes arborés ou forestiers, marqueurs des relations hommes-nature. Les modifications de l’occupation et la gestion de l’espace provoquent souvent une rupture de l’équilibre entre les systèmes de production pastoraux et les ressources disponibles. Néanmoins, au-delà des divergences scalaires et des nuances dans le diagnostic porté sur l’impact des changements climatiques et socio-économiques sur le milieu, la plupart des auteurs insistent sur l’adaptabilité des sociétés aux conditions bioclimatiques qui loin de subir

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l’évolution des milieux – souvent lue cependant sur le mode de la dégradation – la pallient par une diversification des activités – passage d’un système pastoral à un système agro-pastoral avec extension de la céréaliculture par exemple dans l’Ouest algérien – et des mises en valeur et un élargissement des horizons de mobilités. Ils soulignent souvent la diversité des pratiques et des savoir-faire des sociétés et des bergers expérimentés dont les pratiques valorisent le milieu et favorisent une gestion durable des ressources mais sont cependant menacées par une évolution des modes de conduite des troupeaux, qui touche particulièrement les jeunes générations, par manque de savoir-faire et par manque d’intérêt pour l’activité d’élevage et le rôle de berger.

4 Les auteurs divergent – et c’est là l’intérêt de cet assemblage qui relativise la simplicité des certitudes malthusienne ou bosrupienne – sur le diagnostic de ces changements ; certains insistent sur l’aggravation des dégradations induites par ces changements, d’autres au contraire montrant une certaine rémission dans la dégradation et une amélioration du sort des populations, essentiellement pastorales. Ainsi la culture du figuier de Barbarie se présente-t-elle comme une ressource économique importante pour les populations de l’Anti-Atlas marocains et permet-elle une lutte efficace contre la dégradation des sols.

5 Au total, ne prétendant pas résoudre la tension entre les deux lectures des évolutions homme-nature mais en l’assumant, les auteurs de ce numéro entendent informer le débat complexe et montrer l’intérêt d’enquêtes de terrain localisées.

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Évolution de la ruralité en Kabylie : dynamiques sociodémographiques et mutations spatio-économiques Evolution of rurality in Kabylie : dynamic socio-demographic and spatio- economic changes

Akli Akerkar

Introduction

1 Cette contribution a pour objectif de présenter les principales caractéristiques des espaces ruraux kabyles et de saisir les transformations majeures qu’ils ont traversées depuis l’indépendance. Celles-ci résultent essentiellement, d’une part, des différentes interventions volontaristes de l’État dont ces espaces ont fait l’objet depuis un peu plus d’un demi-siècle et du choix des industries industrialisantes1, durant les premières décennies après l’indépendance, comme stratégie de développement dont ils sont victimes2, et d’autre part, des politiques de libéralisation agricole et du plan d’ajustement structurel des années 1980-1990 ainsi que de la violence terroriste de la décennie 1991-2002.

2 Ainsi, après une période de tentatives de reconstruction ou de renaissance rurale des années 1960-1970, les tendances lourdes à l’œuvre depuis les années 1980 ont radicalement bouleversé les structures sociodémographiques et spatio-économiques des campagnes algériennes. Dans ce processus de grandes mutations du monde rural algérien, quelles sont les principales évolutions des zones rurales de Bejaïa depuis un peu plus d’un demi-siècle ? Et comment celles-ci se présentent-elles aujourd’hui si l’on sait que jusqu’à un passé récent leur taux de ruralité dépassait les 60 % (1998) et que le rôle socio-économique de l’agriculture était essentiel ?

3 Le processus de recomposition de l’espace rural kabyle, notamment, depuis la fin des années 1980 s’est traduit par : une baisse constante du poids de l’agriculture dans l’économie rurale, un renversement de tendance démographique qui fait de Bejaïa une

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région à dominante urbaine depuis l’an 2008, l’apparition de nouvelles activités mais dont l’impact demeure encore très faible, un exode rural massif qui s’est accompagné par l’émergence de nouvelles villes moyennes, etc. Ce sont les rapports ville-campagne qui se complexifient davantage et qui sont empreints de l’étalement urbain et de la prédation foncière de la ville, de la redistribution des flux démographiques et d’activités en sa faveur et de la polarisation économique.

4 Cet article montre que la ruralité3 en Kabylie perd de plus en plus de son sens classique ; elle est plus un mythe qu’une réalité. Si les représentations dominantes dans l’imaginaire collectif associent souvent la Kabylie à Thamurth (pays), à Adhrar (montagne), à Thadarth (village) dont les fonctions essentielles seraient l’agriculture, l’élevage et l’artisanat, et les habitants de la Kabylie à Imsdhurar (montagnards) qui conserveraient une culture rurale authentique, celles-ci n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité. En effet, la ruralité en Kabylie d’aujourd’hui se trouve contrariée par de nombreux faits : une économie rurale dont l’agriculture n’est qu’un secteur d’appoint, une population rurale inférieure à 50 %4 de la population totale et une fragile diversification des activités économiques qui fait de ces espaces ruraux des territoires dortoirs.

5 Notre étude relève d’une approche statistico-historique. Elle s’appuie d’une part, sur les rares études ayant été consacrées à ce sujet, et d’autre part, sur l’analyse des données issues des différents RGPH de 1966 à 2008. L’établissement des indicateurs (taux d’urbanisation, taux de ruralité, taux d’agglomération, mouvements migratoires) permet de saisir les grandes dynamiques sociodémographiques qu’a connues la région depuis l’indépendance. L’analyse des mutations spatio-économiques, quant à elle, en plus des sources déjà citées, repose essentiellement sur l’exploitation des données recueillies auprès des sources institutionnelles locales : Direction des services agricoles (DSA), Direction de la planification et de l’aménagement du territoire (DPAT), Caisse nationale des assurances sociales (CNAS).

6 L’article s’organise en trois parties. La première présente les principales politiques de développement rural en Algérie depuis un demi-siècle et leurs résultats. La seconde cherche à explorer les dynamiques sociodémographiques dans les zones rurales en tentant de montrer leurs implications sur la redistribution spatiale des flux de populations (agglomération, exode, migration et urbanisation). La troisième se livre à une analyse des faiblesses de l’économie rurale de la wilaya en mettant l’accent sur sa vocation agricole contrariée, les difficultés d’accès à l’emploi et la fragilité de la diversification non agricole.

Un demi-siècle de politiques de développement rural, quel bilan ?

7 Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la réalité rurale a connu des évolutions parallèles sinon convergentes5 entre les pays du Nord et les pays du Sud (Campagne et Pecqueur, 2014). Eu égard à ces évolutions, Berriet-Solliec et al. (2001, 2009) distinguent quatre acceptions du développement rural en Europe, qui ont connu chacune un âge d’or en fonction des représentations, des objectifs et des défis de chaque époque, mais qui aujourd’hui, cohabitent et coexistent (Torre et Vollet, 2016)6, s’entremêlent et s’imbriquent au gré des réformes et des réajustements (Berriet-Solliec et al., 2013).

8 En se référant à cette classification, on distingue pour l’Algérie : la logique de développement régional, la conception agrocentrée et la vision intégrée et territoriale

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du développement rural. À ces trois conceptions7 correspondent trois types d’interventions ou politiques de développement rural : la politique d’aménagement du territoire et de développement régional ainsi que la politique agricole, qui ont été mises en œuvre simultanément depuis les années 1960 jusqu’au début des années 1980, et enfin la politique territoriale depuis l’avènement du Plan national du développement agricole et rural (PNDAR)8 à partir de l’an 2002.

9 À l’indépendance, l’Algérie hérite d’un espace fortement désarticulé, marqué par de profondes disparités régionales et inégalement mis en valeur. Cet espace est le produit de deux sociétés préexistantes : la société précoloniale et la société coloniale (Côte, 1983). Le poids de cet héritage est tel que « des pans entiers de l’espace actuel en restent marqués » (op. cit. : 43).

10 Dès l’indépendance le pays cherche à réduire ces disparités spatiales et l’équilibre régional était l’une des principales priorités du pouvoir central. C’est ce qu’affirment et réaffirment les différents textes fondateurs et philosophiques de l’Algérie indépendante et les différents plans et programmes du développement. La charte d’Alger (1964) et la charte nationale (1976) rappellent la volonté des pouvoirs publics à sortir les régions rurales de leur sous-développement et de leur isolement par la multiplication des voies de pénétration de la modernité en direction de ces zones marginalisées.

11 Plus précisément, c’est en 1966 que la question de l’équilibre régional s’est véritablement posée avec le lancement des programmes spéciaux (PS). Il s’agit des programmes touchant prioritairement les zones les plus déshéritées et ayant le plus souffert durant la guerre de libération, particulièrement la Kabylie et les Aurès. C’est une étape que l’on qualifie de phase d’apprentissage de développement économique ou encore de « décollage économique des régions » (Dahmani, 1989).

12 Les PS sont complétés tout au long de la décennie 1970 par une série de programmes de lutte contre les disparités inter- et intra-régionales. Les plus importants sont : les Programmes d’équipement local des communes (PEL, 1970), le Programme des 1 000 villages socialistes (VS, 1971) et le Programme d’industrie locale (PIL, 1974).

13 Parallèlement à ces programmes planifiés d’aménagement et du développement régional, le secteur agricole a fait l’objet de nombreuses réformes. L’autogestion (1963) et la révolution agraire (1971) avaient pour objectifs l’émancipation du monde rural, l’épanouissement de la paysannerie et son affranchissement de toute forme d’exploitation, par la détermination de nouveaux modes de production et la redéfinition du mode d’appropriation des terres (Benamrane, 1980).

14 L’examen des résultats obtenus depuis la mise en œuvre de ces réformes dévoile l’incapacité du secteur agricole socialiste à accomplir les missions qui lui sont assignées. Les rendements stagnent, les exploitations coopératives sont surendettées et mal gérées (Mesly, 1996). Face à ce constat d’échec, l’introduction des mécanismes du marché dans l’agriculture est perçue par les pouvoirs publics comme un moyen de redresser ce secteur. En effet, de nombreuses orientations libérales (liberté des prix, accès à la propriété par la mise en valeur, etc.) ont été appliquées depuis le début de la décennie 1980.

15 Après ces fameux plans et programmes du développement de la période de l’économie administrée et à la veille du changement de la politique économique du pays, l’histoire

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du développement de l’Algérie indépendante est contrastée, avec ses zones d’ombre et ses zones de lumière (Ecrement, 1986).

16 La chute des prix des hydrocarbures en 1986 et son corollaire la crise financière, ont profondément affecté le mode d’organisation de l’économie nationale dans son ensemble. À un régime de planification centralisée se sont substitués les mécanismes du marché pour se lancer dans des réformes d’inspiration libérale, et après une politique interventionniste excessive, l’État commença à se désengager de la vie économique. Soudainement, l’Algérie s’est trouvée dès le début des années 1990 sous ajustement structurel. Et comme les crises frappent souvent plus fort dans les milieux les plus fragiles, ce sont les campagnes qui sont les plus impactées par le plan d’ajustement structurel (PAS) avec comme conséquence principale la privatisation de presque la totalité des activités agricoles (Djenane, 1998).

17 En plus de ces déséquilibres hérités de la colonisation et engendrés par les politiques de développement de l’après-indépendance, les zones rurales ont subi pendant la décennie 1990 la violence terroriste qui a provoqué des déplacements massifs des ruraux vers les agglomérations urbaines et l’abandon du milieu rural par une part importante de sa population. En une décennie, cette dernière est passée de 50,3 % en 1987 (RGPH, 1987) à 40 % en 1998 (RGPH, 1998). Et en 2015, la population rurale algérienne ne représente que 29,27 % de la population globale (FAOSTAT, 2016).

18 À la faveur d’une conjoncture pétrolière, très avantageuse à partir de 1999, une nouvelle approche de développement rural commence à émerger avec l’avènement du Plan national du développement agricole et rural (PNDAR) au début des années 2000. Ce programme qui se veut territorial et global a pour ambition la revitalisation des espaces ruraux et agricoles de sorte à les intégrer à l’effort du développement national.

Dynamiques sociodémographiques

Des espaces ruraux fortement peuplés et un habitat rural aggloméré

19 Pour de nombreux spécialistes de l’économie et/ou de la société kabyle et algérienne comme Dahmani (1987), Mahé (2000, 2001), Fontaine (1983), Côte (1996), une des caractéristiques majeures de l’occupation de l’espace kabyle réside dans le paradoxe entre la prédominance de l’espace rural et sa densité démographique très comparable à celle des villes.

20 En effet, l’occupation humaine des montagnes de la Kabylie, a été, tout au long de leur histoire, très importante et parmi les plus élevée au monde. Malgré ses faibles capacités productives, son relief très accidenté et son isolement géographique, « La Kabylie est plus peuplée que le département le plus peuplé de France », écrit Guy de Maupassant en 1881 lors de ses voyages en Algérie et de sa visite de Bejaïa.

21 Depuis l’indépendance jusqu’au début des années 2000, la wilaya de Bejaïa était à majorité rurale. Le taux moyen de ruralité entre les quatre premiers RGPH9 (1966, 1977, 1987 et 1998) avoisinait 69 %. Mais le RGPH 2008 sonne un renversement de tendance particulièrement brutal. En une décennie le taux de ruralité est passé de 60,68 % en 1998 à 49,29 % en 2008 (cf. graph. 1). Et c’est la première fois que la population rurale baisse en valeur absolue (-70 199 habitants) et que le taux d’accroissement annuel moyen de la population rurale est négatif, avec une valeur de -1,46 %.

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22 De 1966 à 1998, la part de la population rurale dans la population totale a connu des baisses constantes mais plus ou moins légères. Elle est passée de 74,77 % en 1966 à 72,09 % en 1977 pour atteindre 68,16 % en 1987, avant de chuter à 60,68 % en 1998. Toutefois, en valeur absolue, la population rurale est en permanente augmentation. Pour la même période elle a presque doublé en passant de 268 480 en 1966 à 520 009 habitants en 1998.

23 Avec une densité de 30010 habitants au km 2, Bejaïa est parmi les wilayas les plus densément peuplées d’Algérie après quelques capitales régionales : Alger (3 666,44), Blida (635,98), Annaba (423,56), Constantine (429,12), Oran (685,56) et quelques villes moyennes comme Tizi-Ouzou (316,03), Boumerdès (539,03) et Mostaganem (338,9).

Graphique 1 - Évolution des taux de ruralité et d’urbanisation dans la wilaya de Bejaïa

Source : Akerkar d’après RGPH 1966-2008.

24 Comme la densité de la population totale de la wilaya, la densité de la population rurale est également très élevée. La Stratégie de la wilaya de Bejaïa de développement rural durable (SWDRD) l’estimait en 2004 à 29511 hab./km 2. Mais cette dernière diffère sensiblement d’une commune à l’autre. Elle atteint des pics dans des communes telles que (953,7), El-Flaye (666,67), Souk-Oufella (657,02), Sidi-Ayad (625,83), Thaskeriout (525,11). Et elle descend jusqu’à 23,95 hab./km2 à Ath-K’sila, 48,88 à , 57,46 à Thamokra, 59,12 à , etc.

25 Une autre caractéristique de la population rurale de la wilaya est l’habitat groupé et la forte proportion de la population agglomérée. Celle-ci est répartie dans plus de 1 100 villages12 et hameaux dont certains ont une taille, parfois, supérieure à celle des communes des autres wilayas du pays. Le village de Mellala (7 229 habitants) dans la commune d’ illustre bien la taille considérable de certains villages kabyles13.

26 Les raisons qui poussent les populations montagnardes à se grouper sont à rechercher dans les conditions géoclimatiques extrêmement difficiles de leur milieu naturel. L’incapacité des individus à maîtriser leur environnement physique rend indispensable, voire vitale la conjugaison des efforts de tous les membres de la collectivité, comme le

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montre ce témoignage de M. à propos de son village natal, Thizi Hibel, en haute Kabylie. Nos ancêtres, paraît-il, se groupèrent par nécessité. Ils ont trop souffert de l’isolement pour apprécier comme il convient l’avantage de vivre unis. Le bonheur d’avoir des voisins qui rendent service, aident, prêtent, secourent, compatissent ou tout au moins partagent votre sort ! Nous craignons l’isolement comme la mort. (Feraoun, 1954 : 15).

27 La tendance à l’agglomération de la population de la wilaya connaît une hausse constante depuis l’indépendance à nos jours, comme l’attestent les différents RGPH. En parallèle à cette évolution, la population éparse n’a cessé de diminuer aussi bien en valeur relative qu’en valeur absolue. Elle est passée de 191 486 habitants en 1987 à 146 042 en 1998 avant de chuter jusqu’à 112 404 habitants en 2008, soit seulement 12,32 % de la population totale (cf. graph. 2).

Graphique 2 - Évolution du taux d’agglomération et de la part de la population éparse dans la wilaya

Source : Akerkar d’après RGPH (1977, 1987, 1989, 2008)

28 Le RGPH (2008) indique que sur les 449 810 ruraux de la wilaya, 337 407, soit un peu plus de 75 % vivent dans 30 agglomérations semi-rurales et 197 agglomérations rurales, définies comme telles par l’ONS (2008). Le reste, 112 404 habitants, soit 24,98 % sont éparpillés dans les zones éparses.

29 Les données statistiques de l’ONS (2011) montrent que la taille de certaines agglomérations semi-rurales est plus grande que celle de nombreuses agglomérations chef-lieu (ACL). Et la population de huit (8) d’entre elles dépasse même le seuil arrêté de 5 000 habitants pour définir l’agglomération urbaine : Thinbdar (5 656), Semaoun (7 686), Ighil-Ali (5 803), Henied (5 659), Souk-Akdim (5 314), Tibane (5 048), Thiniri- (6 361) et Mellala (7 229).

30 Comme l’indique la carte ci-après, le taux d’agglomération est supérieur à 50 % dans 37 communes rurales sur les 39 identifiées comme telles. Il dépasse 90 % dans 16 d’entre elles et atteint 100 % dans les communes de Tibane et Thamokra. Le taux

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d’agglomération le plus faible est enregistré dans la commune de Thamridjth, avec seulement 17,02 % de la population agglomérée.

31 Si le taux d’agglomération de la wilaya et de ses différentes communes a connu une forte hausse en passant de 65,5 % en 1977 à 87,7 % en 2008, la géographie de la répartition de la population par dispersion n’a presque pas évolué entre ces deux dates. En effet, à l’exception de Thaskeriout, les communes du Sahel (Souk El-Thnin, , Thamridjth, , Draa-El-Kaid) ont toujours été des zones faiblement agglomérées par rapport au reste de la wilaya. En revanche, les territoires historiques des Ath-Abbas (Ighil-Ali et Ath-R’Zine) et des Ath-M’likeche (Thazmalt et Ath-M’likeche), ainsi que certaines communes de la haute Soummam (, , , Ighrem, etc.) se caractérisaient depuis les temps anciens par un habitat en majorité groupé et fortement aggloméré (cf. fig. 1 et 2).

Exode rural massif et migrations importantes

32 L’espace rural kabyle est traditionnellement une terre d’émigration. L’incapacité des campagnes à s’auto-suffire, le sous-équipement des villages, les conditions de vie difficiles, la disproportion entre une population surabondante et les ressources limitées, la dégradation de la situation sécuritaire depuis le début des années 1990, etc. sont autant de facteurs qui contraignent les ruraux à quitter leur village, temporairement ou définitivement, pour des villes de la wilaya, des bassins d’emplois à travers le pays ou pour l’étranger.

33 Avec autant d’obstacles on comprend bien avec J. Fontaine (1983), que l’émigration kabyle est une nécessité vitale. En effet, on part pour rester14, autrement dit pour permettre à ces territoires de continuer à exister. En effet, peu importe le pays ou la ville où il s’installe, le migrant demeure toujours et fortement lié à son village natal et ne rompt jamais les attaches avec ses origines. La plus grande part de ses économies il les envoie aux parents restés à la campagne. Le migrant kabyle « est géographiquement et économiquement à l’extérieur, mais socialement le village natal… reste le centre de gravité de son espace vécu… » (Fontaine, 1983 : 71).

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Figure 1 - Part de la population agglomérée par communes en 2008

Source : Akerkar d’après la DPAT de Bejaïa (2008)

Figure 2 - Part de la population agglomérée par commune en 1977

Source : J. Fontaine (1983 : 38)

34 Selon J. Fontaine (1983), en 1896, la population de Bejaïa représentait 6,6 % de la population algérienne et au début des années 1980 elle n’en représentait que 3,09 %, soit moitié moins15. Il est ainsi fort probable « qu’une population égale à celle de la wilaya l’ait quitté depuis 1896. Il y a là un phénomène d’une ampleur tout à fait

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exceptionnelle » (Fontaine, 1983 : 73). D’après le même auteur, de 1950 à 197316, plus de 10 000 Kabyles, en moyenne, quittaient chaque année leur village pour la France. Au début des années 1980 l’auteur estimait entre 400 000 à 450 000 le nombre de personnes originaires de Bejaïa qui vivaient à l’extérieur, dont 2/3 en Algérie et 1/3 à l’étranger.

35 Les données statistiques de l’ONS (2001) sur les migrations intercommunales et intercensitaires (1987/1998) au sein de la wilaya indiquent, que 28 communes dont 22 rurales, présentaient des soldes migratoires négatifs (cf. fig. 3). Au total, plus de 38 000 individus ont été touchés par l’exode rural entre 1987 et 1998. Ces derniers sont partis s’installer, soit dans des communes suburbaines qui entourent le chef-lieu de la wilaya comme Thala-Hamza et Oued-Ghir, qui ont gagné respectivement 1 033 et 1 535 habitants, soit à la périphérie des villes de la vallée de la Soummam ou de la plaine littorale : Ouzellaguen (+ 501), Seddouk (+ 725), El-Kseur (+ 544), Melbou (+ 630), etc.

36 Certaines communes répulsives sont plus durement touchées que d’autres : (- 1 034), (- 854), Darguina (- 786), etc.

37 Entre 2000 et 2008 ce processus de dépeuplement des campagnes s’accentue sensiblement en touchant davantage de communes et de populations. Trente-deux communes dont une urbaine ont perdu ensemble 60 647 habitants ruraux (DPAT, 2000, 2008). Cette hémorragie démographique atteint des proportions inquiétantes dans certaines communes comme : Kendira (-37,33 %), Thamokra (35,05 %), (-31,62 %), Ighil-Ali (-28,63 %), Ighrem (- 26,24 %), etc.

Figure 3 - Migrations intercommunales et intercensitaires (1987-1998) dans la wilaya de Bejaïa

Source : Akerkar, d’après les données de l’ONS (2001)

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Figure 4 - Mouvement de la population des communes de Bejaïa entre 2000 et 2008

Source : Akerkar d’après les annuaires statistiques de la DPAT de Bejaïa

38 L’accélération des mouvements migratoires depuis le début des années 1990 peut s’expliquer par l’insécurité et la violence terroriste qui ont poussé les populations des montagnes de l’ensemble Akfadou-Gouraya et celles des Bibans à quitter leurs lieux de résidence en direction de trois destinations (cf. fig. 4) : • Les agglomérations de la haute vallée de la Soummam (Thazmalt, Akbou, Ouzellaguen, Seddouk, Thimzrith) ; • Les villes et petites agglomérations situées aux portes du chef-lieu de la wilaya (El-Kseur, Oued-, Thala-Hamza et Oued-Ghir) ; • Les villes de la côte Est (, , Souk-El-Thnin et Melbou).

Émergence de villes moyennes et urbanisation des campagnes

39 Cet exode rural massif des populations qui sont à la recherche de la sécurité et de l’ascension sociale à travers l’accès à l’emploi et aux différents services et équipements publics (santé, éducation, communication, etc.), a eu pour premières conséquences l’expansion du phénomène de la périurbanisation autour des anciens noyaux urbains et la multiplication de petites et moyennes villes tout au long de la vallée de la Soummam.

40 En effet, pour ne citer que ces deux exemples significatifs, les villes de Bejaïa et d’El- Kseur ont consommé leurs dernières assiettes foncières urbanisables. La première, limitée au nord par la mer et le mont Gouraya, est contrainte à l’extension de ses périmètres d’urbanisation jusqu’aux terrains marécageux d’Iryahen et d’Aboudaou à l’est, et jusqu’au sommet de Thizi et de ses versants au sud-ouest, qui lient désormais la ville de Bejaïa et l’agglomération de Mellala. Quant à la seconde, la multiplication des lotissements depuis déjà une trentaine d’années, a fait d’elle un des pôles d’attraction

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démographique les plus importants de la wilaya. L’exemple de Berchiche est édifiant. Son étalement après la construction des trois cités universitaires est poussé jusqu’aux piémonts et coteaux de la commune, qui constituent la frontière naturelle entre la plaine et la zone de montagne.

41 Le phénomène d’urbanisation en Kabylie est très récent, mais il s’est opéré de manière très rapide et brutale. Son rythme au cours de ces 20 dernières années s’est nettement accéléré en passant de 2,97 % entre la période intercensitaire 1987/1998 à 4,73 % entre 1998/2008 (ONS, 2011). Cette dynamique est observable quotidiennement et se mesure par la forte consommation des meilleures terres agricoles, qui changent d’affectation au profit d’une urbanisation accélérée et anarchique tout au long du couloir de la plaine alluviale de la Soummam et de la plaine littorale, sur lesquelles est construite la quasi-totalité des 21 agglomérations dites urbaines de la wilaya.

42 La population urbaine croît beaucoup plus vite que la population rurale. Son taux d’accroissement annuel moyen pour la période intercensitaire 1987/1998 était de 3,8 % contre seulement 0,78 % pour la population rurale (ONS, 2011). Si la population urbaine maintient, avec une légère baisse, son taux d’accroissement annuel moyen à 3,3 % pour la période 1998/2008, la population rurale a diminué sensiblement et son taux d’accroissement annuel moyen devient négatif (-1,46 %) pour la première fois depuis l’indépendance.

43 Cela s’est traduit par l’augmentation du nombre d’agglomérations de plus de 5 000 habitants, qui passe de cinq en 1966 à 29 en 200817, et la multiplication par deux du taux d’urbanisation de la wilaya, qui passe quant à lui de 25,23 % à 50,71 % pour la même période (cf. tabl. 1). En effet, en 1966, seules les agglomérations de Bejaïa, Akbou, El- Kseur, et Ighzer-Amokrane étaient peuplées de plus de 5 000 habitants. En 1977, El-Had (Thimzrith), Thazmalt et Sidi-Aich s’ajoutèrent à ces dernières. Depuis la fin des années 1970, le nombre de ces agglomérations dont 21 ont acquis le statut d’agglomérations urbaines est multiplié par presque quatre.

Tableau 1 - Évolution du nombre d’agglomérations > à 5 000 habitants et du taux d’urbanisation (1966/2008)

1966 1977 1987 1998 2008

Agglomérations 05 08 12 28 29 > 5 000 hab.

Taux d’urbanisation 25,23 27,91 31,84 39,31 50,71

Source : RGPH (1966, 1977, 1987, 1998 et 2008)

44 Sur les 21 agglomérations urbaines en 2008 plus d’un tiers (soit huit) étaient rurales ou semi-rurales en 1987 et cinq d’entre elles (El-Had, Souk-El-Thnin, Ighrem, Aggueni- Gouroise et Oued-Ghir) l’étaient jusqu’à 1998. Comme suite logique à ce reclassement, 70 254 ruraux (soit 15,18 % de la population urbaine en 2008) deviennent des urbains entre 1987 et 2008.

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Un milieu rural aux bases économiques fragiles

45 L’indice de développement de l’économie rurale qui est de 0,310 (MADR, 2006) montre que les territoires ruraux de Bejaïa peinent à sortir de leur sous-développement. Bien qu’elle renferme de nombreuses ressources génériques (matières premières, énergie, épargne privée importante) et des ressources spécifiques (savoir-faire traditionnels et artisanaux, savoirs faire industriels, un fort sentiment d’appartenance), la région se caractérise par la fragilité de sa base économique : une vocation agricole contrariée, un tissu industriel dominé par les entreprises de petite taille, un chômage élevé, un exode rural massif et des migrations importantes.

46 La région semble ignorer les ressources que recèlent les zones rurales et qui pourraient être la base de leur décollage économique. En effet, les processus de développement qu’a connus la wilaya depuis l’indépendance ont tourné le dos à la mer et à la montagne pour se concentrer sur la vallée de la Soummam et, à un moindre degré sur la bande littorale Est où se développent des activités de transformation, commerciales, du bâtiment, etc. mais auxquelles les potentialités et les dynamiques rurales sont très faiblement intégrées.

Emploi rural, un taux d’activité faible et un taux de chômage très élevé

Il est particulièrement délicat pour un chercheur d’aborder la question du chômage en Algérie car les statistiques officielles ne se fondent sur aucune donnée exacte18. Les données dont nous disposons et que nous mobilisons ici sont donc à prendre avec précaution. Comme le montre le tableau ci-après, le taux d’activité s’est nettement amélioré aussi bien au niveau national qu’au niveau de la wilaya de Bejaïa entre les deux recensements (1977 et 2008). En effet, après avoir été la wilaya où le taux d’activité était le plus faible en Algérie et où l’on comptait le moins d’actifs par ménage (Fontaine, 1983), Bejaïa occupe aujourd’hui la 26e place parmi les 48 wilayas dans ce domaine. Cependant, les forces productives dans la région demeurent faibles en raison d’une sous-mobilisation de certaines catégories de population qui sont en âge de travailler, mais pour de nombreuses considérations, sont classées dans la catégorie des inactifs. Il s’agit surtout des 203 176 femmes au foyer qui représentent 28,78 % de la population de plus 15 ans et 40 % des actifs si elles étaient classées dans cette catégorie. À cela s’ajoute également le phénomène de migration qui touche en premier lieu la population active. En se basant sur les études consacrées à la région, on peut constater que le taux de chômage ne cesse d’augmenter depuis une trentaine d’années. Il était de 23,3 % en 1977 (Fontaine, 1983) et de 38 % en 1997 (Djenane, 2000). Actuellement19, si on ne dispose pas de chiffre officiel, la part des entités économiques pouvant employer plus de 50 personnes, qui est de 0,61 %, prouve que le taux de chômage demeure encore très élevé dans la région.

Tableau 2 – Évolution du nombre d'actifs et du taux d'activité au niveau national et régional

RGPH 1977 RGPH 2008

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Nb d’actifs Taux d’activité Nb d’actifs Taux d’activité

Algérie 3 050 000 19,5 10 759 319 43,9

Bejaïa 85 100 16,2 305 907 43,3

Source : RGPH 1977 et Statistiques de la DPAT de Bejaïa (2008)

47 La géographie du chômage n’a pas évolué entre les deux études déjà citées. Les zones de plaines (vallée de la Soummam et plaine littorale) ont toujours été les bassins d’emplois de la wilaya, et les montagnes leur pourvoyeur et réservoir de main-d’œuvre. Cette géographie offre une image contrastée et dessine un territoire fracturé avec des taux chômage qui varient du simple au double entre ces deux espaces.

48 En 1977, le taux du chômage dans la commune de Bejaïa était de 17,3 % au moment où il variait entre 25 à 45 % dans le massif montagneux des Babor et dans les régions d’Akfadou et Ouzellaguen (Fontaine, 1983). En 1997, ces taux étaient de 43,1 % en zone de montagne contre 32,3 % en zone de plaine (Djenane, 2000). Il faut souligner que même au sein de la zone de montagne, le chômage est différemment ressenti entre les localités. C’est dans les massifs des Babor et de l’Akfadou-Gouraya que l’on enregistre les taux les plus élevés, avec respectivement 46 et 45,5 %.

49 Comme suite logique à cette différence de taux de chômage entre la zone de plaine et la zone de montagne, les taux de charge sont également plus élevés dans cette dernière. La charge d’un actif occupé en zone de montagne est en moyenne de 7,40 personnes alors qu’elle n’est que de 5,95 en zone de plaine. Ce taux constitue un indice pertinent pour mesurer et expliquer les taux élevés de la pauvreté en milieu rural comparativement au milieu urbain.

50 Comme nous l’avons montré plus haut, jusqu’au début des années 2000, la wilaya de Bejaïa était à prédominance rurale. En effet, selon le RGPH de 1998, plus de 60 % de la population de la wilaya habitait encore à la campagne au moment du recensement. Cela pourrait donner l’impression que la région est également agricole. Cependant, cette apparence n’est qu’une illusion. Depuis le RGPH de 1977, et peut-être bien avant, l’agriculture a toujours été le dernier secteur pourvoyeur d’emplois dans la wilaya (cf. graph. 3). Sa part dans la contribution à l’emploi local a même régressé sensiblement entre 1977 et 2008, en passant de 28,7 % à 16,1 % (cf. tabl. 3). Comme corollaire à l’urbanisation croissante, c’est le secteur tertiaire suivi de celui du secondaire qui sont les principaux employeurs. Comme l’a fait remarquer M. Côte : « Le kabyle de 1995 est fonctionnaire, commerçant ou émigré, rarement agriculteur » (Côte, 1996 : 198).

51 Si l’on procède à la répartition des emplois selon les activités des trois grands secteurs économiques, le bâtiment est de loin l’activité la plus importante, avec 24,3 % des actifs occupés en 2008.

Tableau 3 - Répartition des actifs occupés par secteurs d’activité au niveau de la wilaya (1977 et 2008)

S. primaire S. Secondaire S. Tertiaire Autres

1977 28,7 % 33,4 % 34,4 % 3,6 %

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Bâtiment Services 24,3 % 22,4 % Agriculture Industrie Administration 2008 13,68 % 16,1 % 7,63 % 12,87 % Artisanat Tourisme 1,94 % 0,27 %

2008 16,1 % 33,87 % 35,54 % 13,68 %

Source : RGPH 1977 et Statistiques de la DPAT de Bejaïa (2008)

Graphique 3 - Répartition des actifs occupés selon les secteurs d’activité au niveau de la wilaya (1977 et 2008)

Source : Akerkar d’après les données du RGPH (1977) et les statistiques de la DPAT (2008)

52 Ce schéma de la répartition des actifs occupés au niveau de la wilaya est identique à celui que l’on retrouve en milieu rural. C’est le secteur tertiaire qui est le plus important et qui offre le plus d’emplois (35 %) et le primaire le plus faible (26 %) (cf. graph. 4).

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Graphique 4 - Répartition des actifs occupés selon les secteurs d’activité en milieu rural (2008)

Source : Akerkar d’après les données de la DPAT (2008)

Une vocation agricole contrariée

53 La wilaya de Bejaïa comme la grande partie de la Kabylie présente ce paradoxe d’un territoire au caractère rural mais dont l’économie repose essentiellement sur les activités hors agriculture. Quels sont donc les facteurs pouvant expliquer ce paradoxe d’une économie rurale dont l’économie agricole ne joue qu’un rôle d’appoint ?

54 Le relief montagneux et accidenté de la wilaya fait que l’espace viable est très réduit, et donc très convoité par toutes les activités. L’urbanisation accélérée a entraîné, en peu de temps, le reclassement de nombreux espaces ruraux en espaces urbains, tout au long de la vallée de la Soummam et de la plaine littorale. Le résultat en est que l’urbain et la plaine se confondent, dans la mesure où les communes urbaines au tissu économique relativement plus diversifié sont aussi celles où l’agriculture est la plus productive et génère par conséquent des activités en amont et aval des exploitations agricoles (bureaux d’études agricoles, commerces de produits phytosanitaires et de matériel agricole, vente et transformation d’aliment de bétail, vétérinaires, etc.)

55 Le tableau ci-après donne quelques indicateurs de comparaison permettant de mettre en exergue ce paradoxe d’un milieu rural aux potentialités agricoles moins importantes que celles du milieu urbain.

Tableau 4 - Comparaison des potentialités agricoles entre le milieu urbain et le milieu rural (2008)

Milieu urbain % Milieu rural % Total wilaya

Population occupée dans l’agriculture 26 446 55,2 21 471 44,8 47 917

SAU irriguée (ha) 3 281 50,5 3 219 49,5 6 500

Nombre d’EAC 111 50,7 108 49,3 219

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Nombre d’EAI 339 65,7 177 34,3 516

Nombre de vétérinaires 88 88 12 12 100

Nombre d’ingénieurs agronomes 74 82,22 16 17,77 90

Source : DPAT de la wilaya de Bejaïa (2008)

56 Avec 40 % (soit 130 348 ha) de la superficie totale de la wilaya, la superficie agricole utile (SAU) est relativement importante. Cependant de nombreux facteurs rendent ce potentiel difficilement exploitable. En effet, environ 80 % de la SAU se situe en zone de montagne. Cela revient à dire que la structure agraire est caractérisée par le morcellement excessif des exploitations agricoles. L’exiguïté des exploitations et le relief escarpé ne permettent pas la pleine utilisation des ressources de la main-d’œuvre familiale ni une mécanisation de ces lopins de terre minuscules.

57 Par ailleurs, la surface agricole est surchargée démographiquement. Rapportée au nombre d’habitants, la SAU par tête n’a cessé de diminuer depuis l’indépendance, suite à l’urbanisation non maîtrisée et à une croissance démographique rapide. Après avoir été de 0,36 ha en 1966, elle n’est que de 0,14 en 2008 (Fontaine, 1966 et DSA, 2008). La fragilité de la base foncière réside également dans la faiblesse des superficies irriguées. Ces dernières concernent uniquement 6 500 ha, soit 4,98 % de la SAU, tandis que dans la plus grande partie de la SAU, les cultures sont conduites en sec.

58 L’étude de développement intégré des bassins-versants de la Soummam du Bureau national d’études pour le développement rural (BNEDER, 1990), indique que 71 % de ces exploitations se localisent en moyenne et haute montagne et 72 % ont moins de 10 ha. Dans la haute montagne et la plaine, les exploitations se concentrent dans la première classe (0 à 0,5 ha), alors que dans la moyenne montagne, la concentration se trouve dans la deuxième classe (5 à 10 ha). De ce fait, l’étude confirme les caractéristiques d’une agriculture de subsistance au niveau des zones de montagne : fort degré de morcellement, prédominance des micro-parcelles, lopins de terre situés en zones de fortes pentes, difficultés de mécanisation, etc.

59 Ajoutés à ces handicaps naturels, les problèmes d’ordre socio-économiques et organisationnels ne favorisent pas l’intégration des exploitations au sein de leur environnement : réticences des agriculteurs à l’égard des assurances, difficultés d’accès aux crédits, mauvaise organisation des circuits de commercialisation, insuffisance des moyens de conditionnement, de conservation, de stockage et de transport, etc.

60 Ce tableau sombre de l’agriculture de montagne notamment sa faible productivité ne doit pas, toutefois, masquer les nombreuses potentialités dont disposent ces zones difficiles. En effet, ces dernières contribuent à plus de 60 % de la valeur de la production agricole de la wilaya. Pour l’année 2008, 75,55 % de la production d’olives et 83,43 % de la production de figues proviennent du milieu rural (DPAT, 2008). Les élevages apicole, avicole et caprin réussissent bien également et connaissent un développement remarquable depuis l’an 2000, après le déclin qui a touché toutes les catégories d’élevage une décennie auparavant.

61 L’avènement du PNDAR au début des années 2000 avait pour ambition de revitaliser les espaces agricoles et ruraux. Les investissements agricoles réalisés dans la wilaya de Bejaïa entre l’an 2000 et 2004 (973,68 millions de DA) sont de loin plus importants que le

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cumul des investissements réalisés de 1989 à 2003 (408,18 millions DA)20 (DSA, 2004). Si ces efforts ont contribué : au renforcement de l’environnement de l’agriculture par l’émergence de nouveaux acteurs notamment les entreprises de travaux et services agricoles, à l’amélioration des rendements de certaines cultures (maraîchages, agrumes) et à l’augmentation du potentiel arboricole, les impacts du PNDAR sur le secteur sont très mitigés.

62 L’explication se trouve dans le fait que les conditions de mise en œuvre de ce programme n’ont pas été suffisamment réunies. En effet, les fondements sur lesquels devait reposer cette stratégie de développement agricole (approche participative, réhabilitation de l’exploitant agricole, système de financement approprié, encadrement administratif et technique important, etc.) ne se sont pas traduits réellement sur le terrain.

63 Par ailleurs, la conception du PNDAR pour le développement de l’agriculture, reposant sur la modernisation et la mise à niveau des exploitations agricoles, s’oppose à celle de l’agriculteur, et se trouve confrontée aux conditions naturelles et socioculturelles dans lesquelles évolue celui-ci. Le relief montagneux de la wilaya contraint les exploitants à s’engager dans des petites actions caractérisant le système de production vivrier, dont la priorité est plus de subvenir aux besoins de consommation familiale que de transformer les exploitations en véritables entités économiques s’inscrivant dans un schéma global de développement agricole.

Une économie rurale de plus en plus diversifiée mais peu productive

64 La colonisation et les pouvoirs publics de l’Algérie indépendante n’ont pas favorisé l’industrialisation en milieu rural. Tous les investissements étaient réservés aux villes qui étaient, dans l’esprit des autorités, seules susceptibles de lutter contre le chômage et provoquer des effets de propagation nécessaires pour structurer l’espace régional.

65 En effet, en 1977, Bejaïa-ville à elle seule, concentrait plus de 44 % (4 900) d’emplois industriels de la wilaya (11 100) (Fontaine, 1983). Le poids industriel de cette ville chef- lieu est encore plus important aujourd’hui. Elle emploie en 2008, près de 62 % (4 634) de la main-d’œuvre du secteur industriel public (7 506) et abrite 50 % (13) des unités de ce secteur (26) (DPAT, 2008). Les unités de cette grande industrie de la wilaya, ne sont pas régulièrement réparties. Le couloir de la Soummam domine avec 73,07 % (19) des entreprises.

66 Le tissu industriel public de la wilaya repose essentiellement sur quelques unités d’envergure nationale : ALCOVEL, ALFADITEX, ICOTAL, ALCOST SPA, SOMACOB, Complexe COGB/LA Belle, etc.

67 Ce petit diagnostic du secteur public industriel local confirme davantage l’idée selon laquelle le développement industriel de l’Algérie a sacrifié les spécificités régionales pour répondre aux objectifs et exigences de la planification centralisée. Aucune des entreprises ci-dessus mentionnées n’est basée sur la valorisation des potentialités de la wilaya, encore moins sur celles des zones de montagne. Les sept branches d’activités du secteur public industriel au niveau de la wilaya de Bejaïa (textiles et cuirs, énergie, matériaux de construction, agroalimentaire, etc.), reposent sur la transformation des matières premières importées de l’étranger ou des autres régions du pays.

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68 Concernant le tissu économique dans les zones rurales, la comparaison des données statistiques au lendemain de l’indépendance et celles d’aujourd’hui, montre que des évolutions considérables ont été enregistrées en matière de diversification des activités et de densification des entités économiques et des zones d’activités.

69 Ainsi, à l’indépendance, le milieu rural béjaoui ne disposait que de quatre usines industrielles employant plus de dix salariés et qui totalisaient 180 emplois. Il s’agit de la Semoulerie de (80 salariés), de la Papeterie d’Oued-Ghir (40 salariés), de la Tuilerie-briqueterie d’Oued-Ghir (30 salariés) et de la Tuilerie-briqueterie d’Amizour (30 salariés) (Fontaine, 1983). En 1977, à la faveur de la promulgation du code des investissements, le nombre d’entreprises est passé à 600 et celui des emplois à 2 500. Aujourd’hui, l’économie rurale de la wilaya est exclusivement dominée par les PME privées21. Leur nombre est de 3 862 (30 % du total) (cf. tabl. 5) contre 34 (soit seulement 5,66 % du total) en 1977.

Tableau 5 - Répartition des PME par strate et leur contribution à l’emploi (2011)

Nombre de PME % Emplois %

Urbain 8 965 69,90 30 260 70,74 Rural 3 862 30,10 12 515 29,25

Total 12 827 100 42 775 100

Source : CNAS de Bejaïa

70 Toutefois, si le nombre de PME a connu une augmentation significative, notamment depuis la mise en place de nombreux dispositifs d’aide à l’emploi des jeunes et la promotion des investissements (ANSEJ22, CNAC23, ANGEM24), leur contribution à la résorption du chômage est très faible. En effet, 93,96 % d’entre elles sont de très petites entreprises (TPE) dont les capacités maximales d’emploi ne dépassent pas neuf salariés (cf. tabl. 6), alors que la masse des demandeurs d’emploi qui arrive chaque année sur le marché du travail croît de plus en plus. La contribution de ces PME à redynamiser l’économie locale par la création de la valeur ajoutée est également faible, étant donné que leur chiffre d’affaires annuel n’excède pas 20 millions de DA.

Tableau 6 - Répartition des PME privées par tranche d’effectif (2011)

Tranche d’effectif Nombre de PME %

De 1 à 9 salariés 12 052 93,96 De 10 à 49 salariés 644 5,02 De 50 à 250 salariés 131 1,02

Total 12 827 100

Source : CNAS de Bejaïa

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71 L’impact dérisoire des PME sur l’économie locale ne s’explique pas seulement par leur petite dimension, mais aussi par la nature peu productive de leurs investissements. Le secteur industriel proprement dit, c’est-à-dire celui qui permet d’impulser une dynamique entrepreneuriale locale, par la transformation et la valorisation des potentialités et ressources de la wilaya, demeure encore balbutiant. La répartition des PME par secteurs d’activité regroupés indique, que seulement 15,19 % de celles-ci exercent dans l’industrie du bois, liège, papier et dans l’industrie agroalimentaire. En revanche, ce sont les services qui constituent le secteur dominant avec 57,46 % du nombre de PME et 34 % du nombre d’emplois (cf. graph. 5).

Graphique 5 - Répartition des PME privées par secteurs d’activité regroupés (2011)

Source : CNAS Bejaïa

72 Si nous procédons à une répartition des PME par secteurs d’activités dominants, on constate que le secteur secondaire est constitué essentiellement par le bâtiment et les travaux publics. Ce dernier représente plus d’un quart (25,11 %) des PME de la wilaya et emploie plus de 35,08 % de la main-d’œuvre du secteur privé (cf. tabl. 7). Ce poids très important du bâtiment s’explique par le boom de la construction et de l’immobilier qu’a connu l’Algérie à la faveur des deux programmes quinquennaux (2005/2009 et 2010/2014), d’un million de logements chacun. Quant au secteur tertiaire, le commerce et le transport/communication totalisent à eux seuls 37,63 % de PME mais seulement 22,89 % d’emplois.

73 Au-delà de leur nombre impressionnant, 72,4 % des PME n’offrent qu’un seul poste d’emploi, celui de l’exploitant. La répartition de ces entités par forme juridique indique que 69,6 % d’entre elles sont des entreprises individuelles, c’est-à-dire qu’elles ne possèdent pas une personnalité juridique distincte de celle de leurs propriétaires. Il s’agit des entreprises de type cybercafés, taxiphones, fourgons de transport de voyageurs, commerce de détail, artisans, etc. le second type de PME est celui des entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL). Leur nombre est de 358 et elle représente 2,79 % du total (cf. graph. 6).

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Tableau 7 - Répartition des PME privées et leurs emplois par secteurs d’activités dominants (2011)

Secteurs d’activité Nombre de PME % Emplois %

Bâtiments et travaux publics 3 221 25,11 15 005 35,08

Commerces 2 430 18,94 6 500 15,20

Transport et communication 2 398 18,69 3 289 7,69

Services fournis aux ménages 908 7,07 1 606 3,75

Services fournis aux entreprises 786 6,13 1 724 4,03

Hôtellerie et restauration 662 5,16 2 264 5,29

Industrie du bois, liège, papier, imprimerie 637 4,97 1 384 3,24

Industries agroalimentaires 532 4,15 3 929 9,19

Agriculture et pêche 288 2,25 1 600 3,74

ISMME 288 2,25 1 512 3,53

Autres secteurs 677 5,28 3 962 9,26

Total 12 827 100 42 775 100

Source : CNAS de Bejaïa

Graphique 6 - Répartition des PME par forme juridique (2011) en %

Source : CNAS Bejaïa

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Conclusion

74 Dans cet article nous avons procédé à une analyse rétrospective des mutations des territoires ruraux de la wilaya de Bejaïa. Le constat le plus marquant de ces évolutions est celui qui a trait aux dynamiques démographiques. Après avoir été, depuis l’indépendance, une région à dominante rurale, la wilaya perd progressivement les attributs de la ruralité. Ce renversement de tendance qui s’est traduit par la baisse de la population rurale en valeur absolue et en valeur relative, doit être appréhendé comme un bouleversement profond des substrats du monde rural. La nouvelle configuration de la répartition de la population totale et le dépeuplement des zones rurales doivent être pris au sérieux par les pouvoirs publics. Seule une politique globale plus adaptée aux spécificités géographiques et économiques de la région peut rétablir les fragiles équilibres de la wilaya.

75 En effet, la stratégie des pouvoirs publics pour le maintien des populations rurales par l’amélioration des conditions de vie s’est avérée peu opérante. Le déséquilibre entre la dimension sociale et la dimension économique (longtemps marginalisée et ignorée) s’est traduit par un exode rural massif et par conséquent une urbanisation croissante et rapide des plaines allongeant la vallée de la Soummam et le littoral-Est.

76 Ces transformations des rapports de la société rurale à son espace se sont exprimées par la fragmentation sociale, spatiale et économique des espaces ruraux de la wilaya. Globalement et sans rentrer dans les détails, on peut distinguer selon la typologie de l’ONS (2011) deux types de territoires ruraux. D’une part, les espaces ruraux agglomérés (dont les zones éparses) qui concentrent plus de 72 % de la population répartie sur 197 agglomérations, d’autre part, les espaces semi-ruraux qui abritent le reste de la population dans 30 agglomérations. Les premiers correspondent aux zones de montagne marquées par un enclavement numérique et physique, une déprise agricole, une dévitalisation socio-économique et un déclin démographique. Les seconds, s’ils peuvent être qualifiés de territoires intermédiaires du fait qu’ils présentent des caractéristiques proches de l’urbanisation, notamment en termes de peuplement et d’accès à certains services, sont très différents en termes de potentialités économiques et de localisation. La grande majorité de ces agglomérations dont la moitié constitue des chefs-lieux de communes, se localise dans la moyenne et haute montagne. Le reste forme de gros villages implantés dans la vallée de la Soummam à proximité des petites et moyennes villes et des voies de communication. L’agriculture et les autres activités économiques y sont relativement développées et la dynamique économique se nourrit de la relative intégration de ces territoires aux espaces urbains.

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NOTES

1. Ce modèle de développement défini et conçu par G. Destanne de Bernis (1971) puise ses fondements théoriques et conceptuels dans la théorie des pôles de croissance de F. Perroux (1955). Selon cet auteur, par les effets d’entraînement qu’elles génèrent en amont et en aval, ces industries ont pour fonction principale de structurer leur environnement localisé. 2. Les effets de concentration des pôles de croissance sont plus importants que leurs effets de propagation, et de ce fait, les disparités régionales héritées et qu’ils devaient combattre se sont même aggravées. Pour M. Dahmani : « Les pôles de développement ont créé des zones de sous- développement local et aggravé leur dépendance vis-à-vis des centres métropolitains » (1989 : 123). En effet, les complexes industriels crées ont drainé une part importante de la population rurale attirée par les salaires et les emplois plus valorisants et rémunérateurs que ceux du secteur agricole. Par ailleurs, implantés au niveau des plaines près des zones urbaines, ces gigantesques unités industrielles ont englouti des quantités importantes des meilleures terres du pays. Déjà mal en point, l’agriculture et l’espace rural se sont fait ainsi amputer des plus essentiels de leurs forces et capital productifs.

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3. Nous n’abordons pas ici la dimension culturelle et identitaire de la ruralité qui, sous l’influence de nombreux facteurs socio-institutionnels, économiques, techniques, politiques, etc. a connu, elle aussi, des transformations considérables depuis 1962. 4. Même avec une population rurale minoritaire, Bejaïa est parmi les wilayas ayant le taux de ruralité le plus élevé derrière Adrar (63,51 %), Mostaganem (61,89 %), Bouira (58,96 %), Tizi- Ouzou (54,85 %), Ain Defla (51,3 %) et Chlef (50,25 %). 5. Avec un décalage chronologique bien entendu. 6. Même si pour ces auteurs, cette coexistence est chahutée face aux nouveaux questionnements liés aux conditions du maintien de la dimension productive de ces espaces et à la force structurante des relations à la ville. 7. Si la conception environnementale est présente dans les documents et le discours des responsables en charge des espaces ruraux, elle s’est rarement traduite sur le terrain en actes concrets. 8. Le PNDAR a évolué en Stratégie nationale de développement rural durable (SNDRD) en 2004 et en Politique de renouveau rural (PRR) en 2006. 9. Recensement général de la population et de l’habitat. 10. Ce chiffre est celui donné par la SWDRD de 2004. Le RGPH (2008) indique quant à lui une densité de 279,25 habitants/km2. 11. Avec la baisse très sensible de la population rurale entre le RGPH (1998) et le RGPH (2008), ce seuil doit connaître logiquement la même tendance. Mais faute de données sur la superficie exacte de l’espace rural on se contente des données de la SWDRD (2004). En effet, les densités de populations par communes sont données d’une manière globale sans faire la distinction entre la densité de population de l’espace rural et celle de l’espace urbain de la commune. 12. Ce chiffre est donné par le document de la SWDRD (2004). Selon A. M. Djenane, le nombre de villages que compte la wilaya en 1997 est de 895. 13. Ces villages très fortement peuplés se trouvent partout en Kabylie. On peut citer Avizar, Raffour et Aomar dans la Kabylie centrale et dont les populations respectives sont de 8 525, de 7 242 et de 7 160 habitants. On peut citer également Oudjana (8 547 habitants) dans la Kabylie orientale. 14. On emprunte cette expression à G. Cortes (2000) : « Partir pour rester : survie et mutations de sociétés paysannes andines (Bolivie) », Paris, Éditions de l’IRD, 413 p. 15. Cette baisse de la part de la population de la wilaya dans la population totale du pays résulte bel et bien du déficit migratoire. En effet, l’auteur précise que la natalité n’a pas été beaucoup inférieure à Bejaïa que dans le reste de l’Algérie. 16. Date de l’arrêt de l’émigration algérienne en France. 17. Sur les 29 agglomérations de plus de 5 000 habitants en 2008, seules 21 sont considérées comme urbaines par l’ONS. 18. Le ministre de la Prospective et des Statistiques H. Temmar conteste lui-même les chiffres de l’ONS sur l’emploi pour l’année 2011. La presse nationale, dont le quotidien La tribune, rapporte la déclaration du ministre lors d’un point de presse qu’il a animé, en avril 2012, à l’Institut national de gestion et de planification (ISGP) : « J’ai demandé à l’ONS une deuxième enquête sur l’emploi pour pouvoir donner ensuite le taux de chômage. Le résultat donné à l’issue du premier sondage ne traduit pas la situation de l’emploi en Algérie ». 19. Selon le quotidien La dépêche de Kabylie du 23 avril 2013, le wali de Bejaïa, lors de sa rencontre avec les élus de l’APW, le 8 avril 2013, a indiqué que le taux de chômage dans la wilaya ne dépassait pas les 10 %. 20. Ces investissements sont constitués essentiellement des Plans communaux de développement (59,94 millions DA), des Plans sectoriels de développement (214,1 millions DA) et du Fonds national du développement agricole (134 millions DA). 21. Le nombre de PME publiques n’est que de 31, soit 0,24 % du total.

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22. Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes. 23. Caisse nationale d’assurance chômage. 24. Agence nationale de gestion du microcrédit.

RÉSUMÉS

Cet article a pour objectif de présenter les principales caractéristiques des espaces ruraux kabyles et de saisir les transformations majeures dont ils ont fait l’objet depuis l’indépendance. Après une période de reconstruction rurale qui a suivi l’indépendance, les tendances lourdes à l’œuvre depuis les années quatre-vingt ont radicalement bouleversé les structures sociodémographiques et spatio-économiques des campagnes. Le processus de recomposition qui touche les différentes composantes de l’espace rural, s’est traduit par : une baisse constante du poids de l’agriculture dans l’économie rurale, un renversement de tendance démographique, l’apparition de nouvelles activités économiques, un exode rural massif et l’urbanisation des campagnes.

This paper aims to show the main features of the Kabylian rural environment and to take hold of the major transformations since the independence. Indeed, after a period of rural rebirth which followed sovereignty, the heavy tendencies during the last twenty years have radically upset the socio-demographic and spatio-economic structure of the countryside. The recombining process which affects the various components of the rural areas, resulted in : a constant fall of the weight of agriculture in the rural economy, a demographic trend reversal, the appearance of new economic activities, a massive rural depopulation and urbanization of rural areas.

INDEX

Mots-clés : Algérie, Kabylie, Bejaïa, ruralité, exode rural, agglomération, urbanisation, diversification économique Keywords : , Kabylie, Bejaia, rurality, rural depopulation, urbanization, economic diversification

AUTEUR

AKLI AKERKAR Akli Akerkar, ATER, Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, [email protected]

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Les incidences du changement climatique sur l’espace pastoral steppique de l’Algérie occidentale (cas de la commune de Ras El Ma) The impacts of climate change on the pastoral areas of the steppes of Western Algeria (example of municipality of Ras El Ma)

Zaza Bensmira, Benchaben Hellal, Sophie Bouju et Richard Maire

Introduction

1 La région de Ras El Ma est caractérisée par une rupture d’équilibre dans les interactions entre les milieux et les sociétés pastorales, marquée par une dégradation des parcours qui constituent la base de toute activité dans les zones steppiques. Cette dégradation actuelle de la végétation est la résultante des interactions entre plusieurs facteurs, parmi lesquels le climat joue un rôle essentiel. En effet, dans un contexte où de nombreux systèmes climatiques sont en pleine phase de changements, voire de dérèglements (GIEC, 2007), les zones steppiques d’Algérie, qui couvrent 20 millions d’hectares (Nedjimi et Guit, 2012), sont caractérisées par une aridification du climat. Les travaux de Benslimane et al. (2014) confirment cette constatation pour la steppe de l’Algérie occidentale, en évaluant l’évapotranspiration à 68 mm/an pour une pluviométrie moyenne annuelle de l’ordre de 134,8 mm.

2 Cette situation n’est pas restée sans effets sur les pratiques des populations pastorales, dont la dépendance est forte vis-à-vis du climat local et de ses aléas et qui ont dû adapter leurs pratiques à cette évolution. On assiste en effet à la disparition progressive des anciens modes de gestion des espaces pastoraux, entraînant une surexploitation de ce qui reste des parcours steppiques déjà fragilisés par les irrégularités climatiques très souvent caractérisées par de longues périodes de sécheresse Hellal (et al., 2014).

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Figure 1 - Situation géographique de la zone d’étude au sud de l’Oranie

Ras El Ma est localisée presque à l’extrémité sud-ouest de la wilaya de Sidi Bel Abbès, à 34° 29’51˝ de latitude Nord et 0° 49’ 10˝ de longitude Ouest et couvrant une superficie de 12626 ha, la commune de Ras El Ma occupe une position stratégique dans le périmètre des hauts-plateaux en marquant la transition avec le Tell au sud.

3 Située dans la zone steppique de l’Ouest algérien dans la wilaya de Sidi Bel Abbès (fig. 1), la commune de Ras El Ma a été particulièrement touchée par ces évolutions du fait de l’importance de l’activité d’élevage. Cette région a subi une fragilisation de ses parcours et donc de son économie agricole, sous l’effet conjugué de la forte pression anthropique et des conséquences du changement climatique. Face à l’augmentation sensible des aléas, la population de Ras El Ma, majoritairement paysanne et dépendante de l’économie de l’élevage, tente de s’adapter, ce qui se traduit par des mutations dans les modes de gestion des parcours. Mais ces formes d’adaptation peuvent contribuer à aggraver le déséquilibre entre systèmes de production pastoraux et ressources disponibles. Cette contribution s’inscrit dans la continuité de celles de Bourahla et Guittonneau (1978), Aidoud et al., (1983) et Bourbouze et Donadieu (1987) sur des thématiques similaires, en s’appuyant sur les données les plus récentes1.

4 Nous montrerons à partir de cet exemple l’importance de la prise en compte des interactions sociétés-milieux2 qui interviennent dans l’analyse des enjeux du changement climatique et l’imbrication entre facteurs du milieu et facteurs anthropiques qui interviennent dans les évolutions de l’écosystème steppique sous l’effet de ce changement. Nous verrons ainsi que les adaptations des sociétés au changement climatique peuvent avoir pour effet d’aggraver les effets du changement climatique sur la végétation et les sols.

5 Dans une première partie, nous mettrons en évidence les transformations de l’écosystème marquées par une aridification et une diminution des ressources pastorales.

6 Dans une deuxième partie, nous analyserons les facteurs liés à l’évolution du climat (précipitations, températures).

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7 Enfin, dans une troisième partie, nous mettrons en évidence les facteurs liés aux mutations des sociétés, qui résultent elles-mêmes en partie de l’évolution du milieu, et qui ont en retour des impacts sur cette évolution du milieu, en contribuant à la diminution des ressources naturelles et à la rupture des équilibres écologiques et socioéconomiques.

L’évolution de la végétation de Ras El Ma

Une domination des parcours et une progression importante des terres cultivées

8 L’occupation du sol de Ras El Ma (DSA, 2011) est dominée par les parcours et steppes à alfa (59 %), suivis des terres agricoles (35 %) et des forêts (6 %), mais on assiste actuellement à des modifications importantes liées, d’une part, à l’évolution climatique et d’autre part, aux besoins vitaux des utilisateurs. Daoudi, Benterki et Terranti (2010) montrent qu’on est passé d’un écosystème steppique à un écosystème « semi- désertique » avec une désertification affectant 80 % du territoire agricole du pays.

L’espace forestier

9 Actuellement, les forêts de Ras El Ma sont essentiellement constituées de vieilles futaies de pin d’Alep et de formations dégradées (matorral et garrigue de chêne vert).

10 Ce massif forestier a subi une forte diminution, évaluée à 50 % depuis 1990 d’après le service de direction des forêts de la wilaya de Sidi Bel Abbès. Cette réduction considérable est due non seulement aux fortes canicules qu’a subies la région, mais également aux usages des populations locales (prélèvement de bois à des fins domestiques et parcours en forêt, qui est une activité quasiment permanente) et à des feux de forêts criminels que l’Algérie a connus en lien avec le terrorisme dans les années de 1990 à 2000.

L’espace agricole

11 Au sein de l’espace agricole (fig. 2), la jachère, qui offre des terrains de parcours très recherchés dans la région, occupe des surfaces importantes (42 %), de même que les surfaces non utilisables (34 %).

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Figure 2 - Les surfaces agricoles de Ras El Ma (DSA, 2011)

12 Les fourrages, produits en secs, représentent 11 % des surfaces. Il s’agit essentiellement d’avoine et d’orge en vert, en association avec la vesce ou le pois.

13 Enfin, les céréales telles que l’orge et le blé ont connu une progression importante et représentent 13,5 % des surfaces. En effet, malgré la faiblesse des rendements, elles ont l’avantage de concilier apports pour l’alimentation humaine (grains) et pour le cheptel : les pailles fournissent environ 200 UF3/ha, tandis que les chaumes, avec 50 UF/ha, arrivent à retenir les troupeaux pendant la saison estivale d’un à trois mois (Benabdeli, 2000).

14 C’est pourquoi, face aux conséquences durables de la sécheresse de ces dernières décennies sur la production agricole, les éleveurs de Ras El Ma ont été poussés à chercher d’autres terrains de labour pour satisfaire les besoins de leur bétail en défrichant des terres steppiques. Les surfaces agricoles ont ainsi augmenté de 50 % entre 2000 et 2010 (DSA, 2011).

15 Nous verrons dans la suite de l’analyse les problèmes posés vis-à-vis des formations forestières et de la steppe à alfa par ce défrichement pour la céréaliculture, qui traduit l’évolution de la région d’un système pastoral vers un système agropastoral (photo 1).

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Photo 1 - L’extension de la céréaliculture dans la steppe de Ras El Ma

Cliché : Bensmira, Hellal, 2010

L’espace pastoral

16 Au début du XXe siècle, le botaniste et phytogéographe René Maire (1916) avait distingué trois formations steppiques dans l’Afrique du Nord, en particulier dans le Sud Oranais, à savoir la steppe à alfa, à chih et à sparte. Il notait aussi que lorsque les précipitations augmentaient, la steppe était parsemée de buissons, puis d’arbres et passait insensiblement à la forêt (Augustin, 1926).

17 La situation actuelle est très différente, marquée par une réduction du couvert végétal steppique (photo 2), qui place la commune de Ras El Ma dans la catégorie de la classe « très dégradée » (Hellal et al., 2004), avec un taux de recouvrement de la végétation totale pérenne de l’ordre de 33 %. La sécheresse, le défrichement et la surexploitation sont à l’origine de la disparition de grandes parties des faciès steppiques tels que les steppes à sparte, atriplex et armoise.

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Photo 2 - La réduction du couvert végétal steppique de la région de Ras El Ma

Cliché : Bensmira, Hellal, 2010

18 Dans leurs travaux sur les Hautes Plaines steppiques, Nadjraoui (1981) et Le Houérou (1995) considèrent que les perturbations climatiques et plus particulièrement la baisse de la pluviosité, dont nous approfondirons l’analyse dans la deuxième partie, provoquent des crises écologiques se répercutant sur la production primaire des écosystèmes et sur le changement de la composition floristique. Les disponibilités fourragères naturelles deviennent aléatoires et une perte de la production pastorale équivalente à 236 UF/ha a été décelée durant la fin du siècle dernier au niveau des parcours steppiques algériens.

19 En définitive, l’espace pastoral du sud de Sidi Bel Abbès a diminué ces dernières décennies, tant dans sa qualité que dans sa superficie, puisqu’il représentait 74,8 % de la superficie totale de la région dans les années 1980, contre seulement 59,9 % en 1999 (ANAT, 1999).

Une évolution du couvert végétal marquée par une aridification

20 Selon Hellal B. et al. (2014), la composition et la diversité du couvert végétal de Ras El Ma varient selon un gradient nord-sud. Les formations végétales se répartissent de la manière suivante : • Au nord, se développent les formations graminéennes : elles occupent une surface importante et sont dominées par les poacées pérennes : l’alfa (Stipa tenacissima L.), qui se présente sur moins de 10 % des surfaces de la région de Ras El Ma, et le sparte (Lygeum spartum), qui occupe près de 5 % des surfaces de la commune. • -Au sud, les steppes chaméphytiques à base d’armoise blanche (Artemisia herba alba) couvrent l’essentiel des surfaces (55 % au sud de la commune).

21 D’après Hellal B. et al. (2014), la réduction du couvert végétal s’accompagne d’une diminution de la biodiversité et d’une modification des espèces présentes. La

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cartographie des formations végétales en 2010 dans la zone d’étude a permis de distinguer des steppes à base de groupements floristiques associant des espèces psammophiles, Stipa parviflora, Noaea mucronata, Peganum harmala (ces deux dernières étant indicatrices de dégradation de la steppe et d’ensablement), et des espèces halophiles, Atriplex halimus et Salsola verniculata, qui sont des espèces de mauvaise qualité pastorale.

22 Nos relevés floristiques effectués en 2011 (tabl. 1) au niveau de la station de Noualla, située dans la commune de Ras El Ma, montrent que les espèces pérennes de bonne qualité pastorale sont en diminution par rapport aux travaux déjà réalisés en 2007 (Ayad et al., 2007), tandis qu’on constate une progression des espèces indicatrices de sécheresse et d’un milieu désertique.

23 La systématique et la composition floristique de nos relevés ont permis de dresser une liste floristique comportant 78 espèces végétales appartenant à 28 familles.

24 D’après notre analyse des « types biologiques » existants, selon la classification de Raunkiaer (1905), la répartition des espèces floristiques dans la région d’étude suit le modèle suivant : Thérophytes > Chaméphytes > Hémicryptophytes.

25 Les thérophytes constituent 60 % de la flore recensée, et sont composés principalement de Compositae, tandis que les chaméphytes représentent 24 % et les hémicryptophytes 16 % des espèces (fig. 3).

Tableau 1 - Les relevés floristiques de la station de Noualla Ras El Ma

Taxa T.B T.M E.P Ap Taxa T.B T.M E.P Ap

1. 12.

APIACEAE FAGACEAE

Brachiapium Th H.A Méd + Quercus ilex Ph L.V Méd + dichotomum

13. Bupleurum oligactis H L.V End.N.A + GERANIACEAE

Bupleurum semi- Th H.A Méd + Erodium cicutarium Th H.A Méd + compositum

14. Eryngium campestre H L.V Eur.Méd GLOBULARIACEAE

Thapsia Ch L.V Méd Globularia alypum Ch L.V Méd garganica

2. 15.

BORRAGINACEAE IRIDACEAE

Echium H H.A Méd.Sah + Iris planifolia Th H.V Méd pycnanthum

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Nonnea 16. Th H.A Méd vesicaria LABIATAE

3. Rosmarinus H L.V Méd + CARYOPHYLLACEAE tournefortü

Gypsophylla sp H.A Teucrium polium Ch L.V Eur.Méd +

Teucrium Herniaria hursita Th H.V Paléo.temp + Th H.A Méd chamaepitus

Paronychia argentea Th H.A Méd + Thymus ciliatus Ch L.V End +

4. Zizyphora hispanica Th H.A Ibéro.Maur + CHENOPODIACEAE

Noaea 17. Ch L.V Méd.Iran.Tour mucronata LEGUMINOSEAE

5. Astragalus baeticus Th H.A Méd + CISTACEAE

Fumana Euras.A Ch L.V + Medicago minima Th H.A Eur.Méd + thymifolia Sept

Helianthemum Euras Ch L.V + Onobrychis argentea Th H.V Ibéro.Maur + cinereum N.A

Helianthemum Ch L.V N.A Ononis natrix Ch L.V Méd + hirtum

Helianthemum 18. Ch L.V Méd + pilosum LILIACEAE

6. Asphodelus Th H.V Méd + COMPOSITAE microcarpus

Achillea Th H.A Méd Colchicum cupini Th H.V Méd leptophylla

Anacyclis clavatus Th H.A Euras.Méd Gagea sp H.V

Artemisia Tulipa Ch L.V Méd + Th H.V Eur.Méd herba-alba sylvestris

Atractylis 19. Th H.A Circum.Méd + cancellata LINACEAE

Atractylis humilis Ch L.V Ibéro.Maur + Linaria simplex Th H.A Méd

Bellis annua Th H.A Circum.Méd. Linum strictum Th H.A Méd

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Calendula 20. Th H.A Méd aegypitiaca MALVACEAE

Malva Carthamus pectinatus H H.V Th H.A Sah.Sind.Méd + aegypitiaca

21. Centaurea sp H.A PLANTAGINACEAE

Centaurea Th H.V Ibéro.Maur Plantago albicans Th H.A Méd + tenuifolia

22. Evax pygmaea Th H.A Méd + PLUMBAGINACEAE

Hippocrepis scabra Ch L.V Ibéro-Maur Limonium echioïdes Th H.A Méd

23. Leuzea conifera Th H.V Méd + POACEAE

Pallenis spinosa Th H.V Eur.méd Bromus rubens Th H.A Paléosubtrop +

Rhaponticum acaule Th H.V N.A + Bromus secalinus H H.A Circum.boréal +

Sonchus H H.A Cosmop + Dactylis glomerata H H.V Paléotemp + oleraceus

Trapogon porrifollus Th H.A Méd Echinaria capitata Th H.A Atl.Méd +

Xeranthemum Th H.A Euras.N.A + Koeleria valeziana Th H.V Eur + inapertum

7. Lygeum spartum H L.V Méd + CRASSULACEAE

Stipa Sedum sediforme H H.V Méd + H L.V Méd + lagascae

8. Stipa H L.V Ibéro.maur + CRUCIFERAE tenacissimia

Alyssum 24. Th H.A Méd.Iran.Tour + linifolium RENONCULACEAE

Alyssum Ceratocephalus Th H.A End.N.A + Th H.A Méd.Iran.Tour + scutegerum falcatus

Delphinium Malcomia aegypitiaca Th H.A Sah.Sind.Subtrop Th H.A Méd peregrinum

25. Sinapus alba Th H.A Paléotemp + RESEDACEAE

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9. Reseda alba Th H.A Euras CUPRESSACEAE

26. Juniperus oxycedrus Ph L.V Circum.Méd RUBIACEAE

10. End. Galium tunetanum Th H.A DIPSACEAE N.A

27. Scabiosa stellata Th H.A Méd + SCROFULARIACEAE

11. Anarhinum Ch L.V N.A EUPHORBIACEAE fruticosum

28. Euphorbia falcata Th H.A Méd.Asia + THYMELAEACEAE

Thymelaea nitida H L.V Ibéro.Maur

Thymelaea hirsita Ch L.V Méd

La légende utilisée dans le tableau floristique est la suivante : Types biologiques (T.B) : Ch : Chaméphyte H : Hémicryptophyte Ph : Phanérophyte Th : Thérophyte Types morphologiques (T.M) : H.A : Herbacée annuelle H.V : Herbacée vivace L.V : Ligneux vivace Eléments phytogéographiques (E.P) : Méd : Méditerranéen Ibéro.maur : Ibéro-mauritanéen End : Endémique Paléotemp : Paléotempéré Cosmop : Cosmopolite Euras : Eurasiatique Eur : Européen Asia : Asiatique N.A : Nord Atlantique Sah : Saharien Sind : Sindien Paléo.subtrop : Paléosubtropical Iran.Tour : Irantouranéen Atl : Atlantique Sept : Septentrional Appétibilité (Ap) : +

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Figure 3 - Spectre biologique de la zone de Ras El MA

26 Au total, les types biologiques typiques de la végétation désertique, à savoir les thérophytes et les chaméphytes (Salama et al., 2005) représentent 84 % des espèces recensées.

27 El Zerey et al. (2009) précisent que les rigueurs climatiques et l’instabilité structurale du sol favorisent le développement des espèces à cycle de vie court, surtout les thérophytes.

28 En définitive, l’analyse de l’évolution du tapis végétal a permis de mettre en évidence deux tendances majeures : une aridification liée à l’évolution climatique et un grignotage par le défrichement.

29 Par conséquent, nous allons analyser plus en détail les deux facteurs principaux qui interviennent dans la dynamique de la végétation, à savoir le climat et l’action anthropique.

Le rôle de l’évolution du climat

30 Pour étudier le climat de la région d’étude et son évolution, nous avons utilisé les données de Seltzer (1946) pour la période 1913-1938 et les données récentes de la station météorologique de Ras El Ma pour la période 1985-2012.

Des précipitations plus faibles et réparties de façon plus irrégulière

Le régime pluviométrique mensuel et l’évolution des précipitations

31 Le régime mensuel de précipitations de Ras El Ma est caractérisé par deux maxima, en mars et en novembre, tandis que les précipitations estivales sont très faibles en juillet et août.

32 L’analyse comparée des données climatiques des deux périodes 1913-1938 et 1985-2012 révèle une diminution significative des précipitations, qui sont passées de 301 mm à seulement 159 mm, soit une diminution de 53 % (fig. 4).

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Figure 4 - Les précipitations mensuelles à Ras El Ma

33 Nos résultats s’accordent avec ceux de Hirche et al. (2007), qui soulignent une aridité croissante en steppe occidentale. La comparaison du régime mensuel de précipitations entre les deux périodes montre bien cette diminution très nette. Les travaux de Benlabiod et Medjerab (2014) confirment cette situation : les sécheresses intenses et de courte durée (3 mois) sont en augmentation alors que les sécheresses de moyenne durée (6-12 mois), bien que moins nombreuses, sont plus sévères.

Le régime saisonnier

34 La station de Ras El Ma se caractérise par une abondance pluviale au printemps et en automne et une sécheresse estivale (fig. 5). D’après l’indicatif de Musset (Musset, 1935), le régime saisonnier est du type PAHE (printemps, automne, hiver, été).

Figure 5 - Régime saisonnier de Ras El Ma

35 La comparaison entre les deux périodes permet de mettre en évidence une réduction des précipitations de 46 % pour l’automne, 55 % pour l’hiver, 39 % pour le printemps, et 54 % pour l’été, d’où une accentuation des déséquilibres saisonniers, puisque les saisons les moins arrosées (été, hiver) sont celles qui ont connu la plus forte diminution des précipitations, alors que c’est le printemps, la saison la plus arrosée, qui a connu la plus faible diminution.

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36 C’est ce que confirme le calcul du coefficient relatif saisonnier de Musset : Crs = Ps× 4/Pa où Ps = précipitations saisonnières et Pa = précipitations annuelles Plus le Crs est bas, plus la saison est marquée par un déficit de précipitations.

Saison Hiver H Printemps P Été E Automne A / Pa Ps Ps Ps Ps (mm) Séries Crs Crs Crs Crs (mm) (mm) (mm) (mm) climatiques

1913-1938 78 1,03 93 1,18 43 0,58 87,2 1,15 301

1985-2012 34,9 0,88 57,2 1,44 19,6 0,48 47,2 1,19 158

37 Le tableau 2 met en évidence une distribution irrégulière des précipitations dans la région de Ras El Ma constatée pour la période 1985-2012 avec un Crs de l’ordre de 0,88 en hiver et 0,48 en été. Cette mauvaise distribution saisonnière des pluies rend difficile l’adaptation des espèces steppiques (Bouazza, 1990).

38 Cette répartition saisonnière est particulièrement importante pour la régénération et le développement des espèces végétales annuelles, dont le rôle est souvent prédominant dans la physionomie de la végétation (Hellal et al., 2004).

Une augmentation des températures

Températures moyennes

39 La température est un facteur climatique écologique fondamental pour la vie du végétal. Or, on constate (fig. 6) une augmentation de 1,6 °C des moyennes annuelles des températures, qui sont passées de 15 °C pour la période 1913-1938 à 16,6 °C pour la période 1985-2012.

40 Cette augmentation est particulièrement marquée pour la période estivale : +4,3 °C pour le mois d’août, où les températures sont passées de 22,8 °C pour la période 1913-2012 à 27,1 °C pour la période 1985-2012. Cela ne fait qu’accentuer les problèmes de sécheresse, comme le montrent les diagrammes ombrothermiques (fig. 7) et favoriser l’augmentation des phénomènes de steppe s’expliquant par les évolutions du couvert végétal en faveur des espèces xérophiles.

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Figure 6 - Températures moyennes mensuelles de Ras El Ma

Figure 7 - Diagrammes ombrothermiques de Ras El Ma

Diagrammes ombrothermiques

41 D’après les diagrammes ombrothermiques de Bagnouls et Gaussen (1953) établis pour la station de Ras El Ma (fig. 7) afin de déterminer la durée de la période sèche4, on constate une accentuation de la sécheresse, puisqu’actuellement, la région accuse une sécheresse de plus de sept mois, d’avril à novembre, contre seulement cinq mois pour la période 1913-1938.

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Le quotient pluviothermique d’Emberger

42 Louis Emberger (1955) a mis au point un zonage du bioclimat méditerranéen, permettant de définir les étages et sous-étages bioclimatiques du plus sec vers le plus humide en combinant les données climatologiques et celles de la végétation, à partir du

calcul du quotient pluviothermique Q2, formulé de la façon suivante : 2 2 Q2 = 2000P/ M -m 43 Avec : M = moyenne des températures maximales du mois le plus chaud ; m = moyenne des températures minimales du mois le plus froid ; P = moyenne des précipitations.

44 C’est ainsi que sur le climagramme du quotient pluviothermique, les étages

bioclimatiques sont repérés sur des axes orthogonaux où le Q2 est porté en ordonnée et le m en abscisse. Chaque station se positionne alors, d’une part, en fonction de la

sécheresse globale du climat (Q2) et, d’autre part, en fonction de la rigueur du froid (m).

45 En positionnant la station de Ras El Ma sur le climagramme pluviothermique d’Emberger pour les deux périodes, on observe un glissement significatif de la station de l’étage semi-aride à hiver frais vers l’étage aride à hiver tempéré, en relation avec une sécheresse plus importante et une élévation des températures moyennes minimales m (fig. 8).

Figure 8 - Climagramme pluviothermique d’Emberger pour la station Ras El Ma

46 Cette sécheresse accrue et l’augmentation des températures, associées à une augmentation de l’évapotranspiration de la végétation, peuvent être à l’origine d’un changement dans les communautés végétales par la prolifération active des espèces xérophiles, comme nous avons pu le constater dans nos relevés de végétation. Par

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ailleurs, ces changements dans le paysage steppique rendent le sol désertique davantage exposé à l’érosion éolienne, provoquant sa dénudation et détruisant ainsi les couches supérieures vivantes du sol.

47 La région de Ras El Ma se caractérise donc par des évolutions climatiques significatives, marquées par des précipitations plus faibles et réparties de façon plus irrégulières, tandis que les températures ont augmenté, renforçant les contraintes pour la végétation liées à la sécheresse estivale. Ces évolutions expliquent en partie les évolutions du couvert végétal que nous avons mises en évidence, marquées notamment par une aridification. Cependant, à ces facteurs climatiques s’ajoutent des facteurs liés aux mutations des sociétés pastorales, dont les modes de production ont évolué en relation avec différents facteurs, parmi lesquels le changement climatique a joué également un rôle important.

Le rôle des sociétés pastorales et de l’évolution des systèmes de productions

48 L’équilibre des écosystèmes naturels a été fortement perturbé au cours des dernières décennies dans la plupart des régions arides et semi-arides d’Algérie sous l’effet de la modification des systèmes d’exploitation du milieu liée à la transformation des conditions socio-économiques et à l’évolution des techniques de production engendrée par l’évolution climatique (Le Houérou, 2002). Suite à l’accroissement démographique et à la sédentarisation d’une partie croissante de la population, on assiste à une extension rapide de l’agriculture dans la steppe au détriment des meilleures zones pastorales dont la végétation naturelle est détruite par des moyens mécaniques de plus en plus puissants. Cette destruction est également aggravée par l’accroissement de la pression animale sur des surfaces pastorales de plus en plus réduites et par le prélèvement des produits ligneux destinés à la satisfaction des besoins en combustibles (Floret et al., 1992). Ces différents facteurs contribuent à accroître la fragilité des écosystèmes, à réduire leur capacité de régénération et à diminuer leur potentiel de production.

La croissance démographique et la concentration des populations pastorales

49 La forte pression démographique associée à une exploitation excessive du milieu participe à la fragilisation de l’écosystème steppique. Les zones où la pression démographique est la plus intense sont aussi les zones où le risque de la désertification est le plus aigu (El Zerey et al., 2009). L’étude de la structure démographique et de son évolution est essentielle pour comprendre la dynamique de l’utilisation des espaces.

50 La population de Ras El Ma a connu une forte augmentation sous l’effet conjugué de l’accroissement naturel et de la sédentarisation, puisqu’elle est passée de 2302 habitants en 1954 à 16 847 en 2008 (Tab. 3). Sa densité a atteint 10 hab/km2 (APC, 2011).

Tableau 3 - Évolution de la population de Ras El Ma de 1954 à 2008

Effectifs de population Taux de croissance annuel moyen (en %)

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1954 1971 1991 1998 2008 1954-1971 1971-1991 1991-1998 1998-2008 1954-2008

2 302 5 747 13 200 14 791 16 847 5.52 4,24 1,63 1,31 3,75

Source : APC, 2011

51 Le taux de croissance moyen est de 3,8 % par an à Ras El Ma pour l’ensemble de la période 1954-2008, et il atteint 4,9 % pour la période 1966-1998 (APC, 2011), ce qui représente un taux plus élevé que pour l’ensemble des hautes plaines de Sidi Bel Abbès, qui n’est que de 2,5 % pour la même période (tabl. 4).

52 La sédentarisation importante que les steppes ont connue ces dernières années, face à l’augmentation des contraintes du climat et à la raréfaction des ressources pastorales, s’est traduite par un fort recul des populations éparses. Comme le montre le tableau 4, ce recul est particulièrement net dans la région des hautes plaines de Sidi Bel Abbès5, dont fait partie Ras El Ma (-9,4 %/an entre 1987 et 1998), en relation avec une dégradation des parcours des zones orientales, particulièrement marquée au sud (Benabdeli, 2000). Cette évolution s’est traduite par une forte concentration de la population dans les agglomérations6, associée à une baisse de la population nomade, une sédentarisation accrue et un abandon de la transhumance -Azaba7 ou Achaba8-, qui permettait dans le passé une utilisation rationnelle des ressources naturelles et qui ne concerne plus que 5 % de la population steppique algérienne (Nedjimi et Guit, 2012).

Tableau 4 - Évolution des populations agglomérées et éparses dans les hautes plaines de Sidi Bel Abbès de 1966 à 1998

Effectifs de population Taux de croissance annuel moyen (en %)

1966 1977 1987 1998 1966-1977 1977-1987 1987-1998 1966-1998

Agglomérée 6 371 10 493 19 777 35 608 +4,6 +6,5 +5,5 +5,5

Éparse 10 625 8 032 6 221 2 091 -2,5 -2,5 -9,4 -5,0

Totale 16 996 18 525 25 998 37 699 +0,8 +3,4 +3,4 +2,5

Source : DPAT, 1998

La sédentarisation par bétonisation dans la steppe

53 La sédentarisation se traduit par la construction de maisons en béton, alors que la tente était jusque-là la seule forme d’habitat dans la steppe, associée à un système pastoral de type transhumant et nomade9. Cette nouvelle forme d’habitat, qui remplace les tentes, envahit et menace l’écosystème fragile de la steppe (photos 3 et 4). Elle témoigne d’un nouveau type de rapport des sociétés avec leur milieu, en lien avec la sédentarisation qui a été encouragée notamment par la politique de scolarisation et les subventions accordées aux éleveurs.

54 Ces dernières décennies, plusieurs espaces steppiques de la région de Ras El Ma ont été grignotés par l’installation de maisons en béton par les éleveurs pour y habiter et

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profiter des parcours limitrophes. Ce type d’habitat ne cesse de progresser et tend même à se généraliser, dans l’optique d’avoir toute la famille sous le même toit. Cette bétonisation, qui était jusque-là totalement étrangère à la région, a un effet incontestable sur le milieu steppique et notamment sur le sol, entraînant une altération de la texture et de la structure des terres qui menace le potentiel agronomique.

Photos 3 et 4 - Le béton à la conquête de la steppe en remplacement de la tente traditionnelle dans la région de Ras El Ma

Cliché : Bensmira et Hellal, 2010

L’importance de l’activité pastorale

55 La région est connue depuis longtemps pour sa vocation agro-sylvo-pastorale. Selon les enquêtes sur le nomadisme de 1968 (Regazzola, 1969 ; DEP, 1974), l’élevage était la principale activité dans la commune de Ras El Ma. On y dénombrait alors 765 exploitants terriens (agro-éleveurs) et 120 propriétaires de troupeau, essentiellement nomades, possédant un cheptel ovin de plus de 10 unités. Les activités dans le domaine agricole ont connu une ascension régulière durant les décennies suivantes. Le nombre de personnes impliquées dans l’agriculture a atteint 2066 en 1987 (ANAT, 1990), puis il a encore plus que triplé, passant à 6467 en 2009 (DSA, 2011).

56 D’après nos entretiens10 réalisés sur le terrain en 2012 auprès des éleveurs et des autorités locales, les activités agricoles, appuyées essentiellement sur l’élevage, associent des structures familiales traditionnelles, où l’élevage et l’agriculture constituent des moyens de subsistance, et des structures à caractère spéculatif représentées par un nombre important de maquignons et de chevillards qui spéculent dans le circuit de commercialisation de la viande rouge ovine et de l’aliment pour bétail dans le marché algérien.

57 Concernant plus spécifiquement l’élevage, la région compte actuellement plus de 300 grands troupeaux, dont les effectifs peuvent atteindre plusieurs centaines de têtes, placées sous la surveillance de trois à cinq personnes (propriétaire et bergers).

58 L’effectif du cheptel pâturant à Ras El Ma est en constante augmentation. Le troupeau ovin a été multiplié par plus de six en 30 ans, passant de 9 105 têtes en 1980 à 58 961 têtes en 2010 (tabl. 5).

Tableau 5 : Évolution du cheptel ovin et du nombre d’éleveurs de Ras El Ma

Années Nombre d’éleveurs Nombre de têtes ovines

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1995 - 4 150

2001 200 9 505

2010 300 58 961

Source : DSA, 2011

59 Cette forte pression pastorale contribue en partie à l’état de dégradation de la végétation naturelle.

Le surpâturage

60 Le souci majeur de tout pasteur en milieu steppique est le désir permanent d’accroître les effectifs et de diversifier les espèces animales de son cheptel, ce qui se traduit par une pression importante sur la végétation steppique du milieu aride, élargissant de fait le spectre d’acceptabilité et d’appétibilité11 des espèces pastorales.

61 L’exploitation permanente des pâturages naturels, avec une charge animale nettement supérieure au potentiel de production des parcours, a pour effet de réduire leur capacité de régénération naturelle (Nedjimi et Guit, 2012). Le cheptel en surnombre détruit le couvert végétal protecteur par le piétinement de la surface du sol pulvérulente, provoquant un tassement qui réduit la perméabilité et, par conséquent, les réserves en eau, tout en favorisant le ruissellement.

62 Alors que l’effectif du cheptel pâturant dans l’espace pastoral de Ras El Ma a subi une croissance vertigineuse depuis 2001 surtout, la superficie des parcours a en revanche subi une régression considérable, en particulier en raison du défrichement pour la céréaliculture que nous avons mis en évidence dans la première partie, ce qui ne fait que renforcer l’augmentation de la charge pastorale sur les parcours. Les espèces les plus favorables au pâturage prennent un aspect chétif et rabougri avant de disparaître et sont remplacées par des espèces moins appréciées par le bétail. Ensuite, ces dernières disparaissent à leur tour sous l’effet du surpâturage, jusqu’à l’obtention d’un sol quasi nu, très vulnérable à l’érosion.

Le défrichement des parcours et l’extension des cultures

63 Dans le souci de combler le déficit alimentaire du cheptel, les éleveurs de Ras El Ma ont opté pour les céréales par le défrichement des parcours. Pour les campagnes de 1999 à 2010, la culture de l’orge couvre presque 48,5 % des superficies céréalières de la wilaya, avec un rendement moyen de 6,4 q/ha, et le blé tendre 35,5 %, avec un rendement de 5,7 q/ha (DSA, 2011). Cette culture de l’orge a été choisie à la fois pour son potentiel fourrager et pour la fourniture de grains qu’elle permet, aussi faible soit-elle.

64 Cette extension des superficies cultivées apparaît comme une forme d’adaptation aux contraintes climatiques accrues et à la diminution des ressources pastorales qui en résulte, mais elle a pour effet d’aggraver la situation, d’une part, en augmentant la pression sur des parcours dont la superficie est en diminution et, d’autre part, en se traduisant par des pratiques qui fragilisent encore davantage la végétation steppique.

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65 En effet, la céréaliculture se traduit par l’utilisation de tracteurs à disque pour le labour des sols à texture grossière fragile. Ce simple grattage de la couche superficielle s’accompagne de la destruction quasi totale des espèces pérennes. Ces techniques de labour ont une action particulièrement érosive, détruisant l’horizon superficiel et stérilisant le sol (photo 5). Cette culture épisodique, qui était autrefois étrangère au milieu steppique, a pour effet de détruire les plantes vivaces, qui sont remplacées par des espèces annuelles incapables de retenir le sol. Les faibles rendements obtenus sont loin de compenser la perte du sol, mais les pailles et les chaumes fournis par la céréaliculture, en plus des grains pour l’alimentation humaine, apportent un plus, aussi faible soit-il, qui contribue à entretenir le cheptel dans les années de disette. Certaines expérimentations récentes de « semis directs » en zone steppique sont considérées comme positives. Elles sont effectuées par un semoir tracté réalisant des trous des quelques centimètres pour l’introduction des semences ou alors sur couverture végétale, mais en éliminant les mauvaises herbes avec des pesticides (Kheyar et al., 2010 ; Belaid, 2016). On est donc encore assez loin, semble-t-il, d’une gestion durable des steppes algériennes et du Maghreb (Khaldi, 2014).

Photo 5 : les techniques de labour par tracteur à cover-crop sur les sols steppiques

Cliché : Bensmira, Hellal, 2010

Conclusion

66 Jusqu’aux années 1960, un certain équilibre s’était maintenu dans les steppes algériennes entre les ressources pastorales disponibles et les pratiques des éleveurs. Cette harmonie devait son existence, d’une part, à un climat plus favorable à cette époque et, d’autre part, à des modes de productions qui étaient adaptés aux contraintes du milieu. Actuellement, on assiste à un bouleversement de cet écosystème, dû principalement à une aggravation des contraintes climatiques marquées par une augmentation des températures et une diminution des précipitations, ainsi qu’une

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répartition saisonnière plus irrégulière. Cette péjoration climatique a en partie contribué à des mutations dans les systèmes de production, qui n’ont fait qu’accentuer la perturbation du milieu biophysique dans son ensemble.

67 Deux séries de facteurs sont donc déterminantes dans le déséquilibre constaté aujourd’hui : tout d’abord, les caractéristiques bioclimatiques actuelles qui sont responsables en grande partie de l’évolution du couvert végétal et ensuite l’impact des activités humaines sur l’écosystème, elles-mêmes influencées par les évolutions du climat qui ont entraîné des formes d’adaptation qui n’ont fait qu’amplifier les impacts sur le milieu.

68 En effet, ce changement climatique a eu des effets directs sur les pratiques pastorales des éleveurs steppiques. Dans la région de Ras El Ma, trois mutations principales ont été observées pour répondre au besoin de combler le déficit alimentaire du cheptel : • L’accroissement de la population est à l’origine d’une augmentation remarquable du cheptel élevé sur parcours. Cet élevage, essentiellement extensif, exerce une pression permanente sur des ressources naturelles déjà fortement fragilisées par les insuffisances pluviométriques. • La désorganisation de la transhumance, associée à une sédentarisation importante de la population, avec la construction de maisons en béton, aggrave la surexploitation des parcours. • Le passage d’un système pastoral à un système agropastoral, imposé par les conditions climatiques, est une alternative pour pallier le déficit alimentaire du cheptel ovin. Mais la pratique de la céréaliculture se traduit par des techniques de labour mécanisé inadapté à ce milieu dont les terres sont réputées pour être squelettiques, pour des rendements souvent faibles. La conséquence est l’augmentation du risque de dégradation des terres par érosion hydrique ou éolienne.

69 Sous l’effet de l’ensemble de ces facteurs conjugués (Dalila et Slimane, 2008), on assiste actuellement sur le plan écologique à une dégradation visible des pâturages et à l’extension des paysages désertiques. Seul un aménagement tenant compte à la fois des paramètres physiques du milieu et des conditions socio-économiques pourrait freiner ce processus de dégradation déjà entamé. Il est à signaler que les projets de développement que la région a connus jusqu’à présent ont été voués à l’échec, s’agissant de projets exclusivement techniques, faisant abstraction des préoccupations des sociétés pastorales (Baroudi et al., 2011).

70 La région de Ras El Ma a toujours été un terrain privilégié pour la pratique de l’élevage ovin extensif et reste un maillon fort dans l’économie agropastorale de l’Algérie, même si son écosystème est soumis à des sécheresses récurrentes. Pour qu’elle puisse conserver cette place, il est nécessaire d’envisager une politique rationnelle, appuyée sur la participation active des acteurs autochtones dans l’élaboration et la conception de tout projet visant à conserver et à améliorer ces ressources steppiques.

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NOTES

1. Ces recherches sont menées dans le cadre de la thèse de Zaza Bensmira en écologie appliquée, portant sur les écosystèmes steppiques et le pastoralisme. Réalisée en cotutelle sous la direction de Sophie Bouju, maître de conférences à l’Université Bordeaux Montaigne, et Benchaben Hellal, professeur à l’Université Djillali Liabes de Sidi Bel Abbès, cette thèse s’inscrit dans les Projets de recherche universitaire (PRU) ayant comme objectif l’étude de la steppe au sud de Sidi Bel Abbès.

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2. Dans la lignée des travaux interdisciplinaires abordant la complexité de ces interactions, parmi lesquels on peut citer notamment Lévêque et Van der Leeuw, 2003 ;Muxart et al., 2003 ; Chenorkian et Robert, 2014 ;Bouju, 2016. 3. UF = Unité fourragère. 4. Un mois est considéré sec lorsque P < 2T, où P = Précipitations moyennes mensuelles et T = Températures moyennes mensuelles. 5. Correspondant au sud de la wilaya. 6. La part de la population urbaine est passée de 37,5 % en 1966 à 56,5 % en 1977, 76 % en 1987 et 94 % en 1998 (DPAT, 1998). 7. Transhumance d’été vers les chaumes des zones telliennes. 8. Transhumance d’hiver vers les piémonts Nord de l’Atlas saharien. 9. La population nomade parcourait autrefois toute la steppe algérienne d’une superficie de 20 millions d’hectares, sur une longueur de 1 000 km et une largeur de 150 à 300 km. 10. Une enquête détaillée sur les modes d’élevage ovin a été conduite dans la zone d’étude au cours de l’année de l’année 2012-2013 sur un échantillon de 30 unités d’élevage choisies parmi un total de 300 éleveurs environ (échantillon dont la représentativité a été basée sur la taille du troupeau, qui a permis de distinguer cinq classes d’éleveurs). L’enquête a duré en moyenne plus de troisheures pour chaque exploitation. Les informations recueillies lors de cette enquête constituent la base de notre analyse, complétées par nos observations de terrain, nos rencontres et discussions avec les responsables locaux compétents vis-à-vis de l’élevage ovin, ainsi que l’exploitation de divers documents. 11. Espèces végétales broutées par le cheptel.

RÉSUMÉS

Depuis une vingtaine d’années, les steppes algériennes connaissent des modifications profondes dans l’occupation et la gestion de l’espace, associées à une rupture de l’équilibre entre les systèmes de production pastoraux et les ressources disponibles. Nous montrons, à partir de l’exemple de la commune de Ras El Ma, que cette rupture d’équilibre s’explique en grande partie par une aggravation des contraintes liée aux évolutions du climat, mais qu’elle est renforcée également par des mutations liées à l’évolution des sociétés, qui s’expliquent elles-mêmes en partie par les évolutions du climat. En effet, les contraintes liées au nouveau contexte bioclimatique ont entraîné certaines formes d’adaptation comme le passage d’un système pastoral à un système agro-pastoral avec extension de la céréaliculture. Celles-ci n’ont fait qu’amplifier les impacts sur le milieu et l’ampleur de la crise pastorale, avec l’introduction de techniques inadaptées à la fragilité du milieu steppique. Cet exemple souligne l’importance d’une prise en compte des interactions sociétés-milieux dans l’analyse des enjeux du changement climatique.

For twenty years, the Algerian steppes, which play a fundamental role in the agricultural economy of the country, have experienced deep changes in the spatial occupation and management, associated with the loss of the balance between pastoral production systems and available resources. The example of the municipality of Ras El Ma, located in the Western steppes, shows that this loss of balance is explained in large part by increasing constraints due to climate change (rising temperatures, reduced rainfall and accentuation of the irregularity of the

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seasonal distribution), but also by mutations linked to the evolution of society (population growth associated with a sedentary lifestyle and a concentration of population, evolution in production systems and rangeland use patterns), which are also connected with climate change. Indeed, the constraints of the new bioclimatic context led to certain forms of adaptation, including the passage from a pastoral system to an agro-pastoral system, a strong increase in livestock and an extension of episodic cultivation of cereals at the expense of steppe rangelands. These adaptations have amplified the impact on the environment and the pastoral crisis, with the introduction of development techniques unsuited to the fragile environment of the steppes. This example illustrates the importance of taking into account the interactions between societies and the environment in the analysis of the issues of climate change.

INDEX

Keywords : climate change, soils, vegetation, agriculture, society-environment interactions, steppe, pastoralism, space occupation, space management, agropastoral system, Algeria, North Africa Mots-clés : changement climatique, sol, végétation, agriculture, système agro-pastoral, interactions sociétés-milieux, steppe, pastoralisme, occupation de l’espace, gestion de l’espace, Algérie, Afrique du Nord

AUTEURS

ZAZA BENSMIRA Zaza Bensmira, Université Djillali Liabes (UDL), Sidi Bel Abbès, Laboratoire de biodiversité végétale : conservation et valorisation ; Université de Mascara, [email protected]

BENCHABEN HELLAL Benchaben Hellal, Université Djillali Liabes (UDL), Sidi Bel Abbès, Laboratoire de biodiversité végétale : conservation et valorisation

SOPHIE BOUJU Sophie Bouju, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5319 Passages, sophie.bouju@u-bordeaux- montaigne.fr

RICHARD MAIRE

Richard Maire, CNRS, UMR 5319 Passages ; Honorary Research Fellow, University of the Witwatersrand, Johannesburg (South Africa), [email protected]

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Le rôle clé du gardiennage des troupeaux dans la gestion durable des ressources pastorales du Nord- Est algérien

Saïda Matallah, Khaled Abbas et Sophie Bouju

1 Les systèmes d’élevage qui sont pratiqués à l’extrême Nord-Est algérien ont une importance considérable pour l’économie rurale. D’après Oulmouhoub (2005), 35 % de la population totale de la région trouvent leurs sources de revenus dans l’élevage. Il s’agit de systèmes d’élevage extensifs, combinant l’élevage de bovins, d’ovins et de caprins, comme l’ont montré Madani et al. (2001).

2 La typologie des exploitations agricoles de la région que nous avons réalisée a confirmé la grande importance accordée au système sylvo-pastoral reposant sur l’utilisation des parcours naturels, puisque 61 % des éleveurs1 pratiquent un élevage de type très extensif en s’appuyant sur la diversité de la végétation naturelle disponible à différentes périodes de l’année pour alimenter leurs troupeaux (Matallah et al., 2015).

3 Compte tenu des effectifs de cheptel en nombre important2 et croissant (voir fig. 2) et de la charge animale importante qui en résulte sur les parcours, la question de la durabilité de la gestion des ressources pastorales se pose, avec à la fois des enjeux économiques pour l’activité d’élevage, dont l’importance dépasse le cadre régional, et des enjeux écologiques, dans le contexte d’une région abritant des écosystèmes d’une grande richesse, qui ont fait l’objet de la création d’un Parc national et d’une reconnaissance internationale3.

4 Ces enjeux nous ont amenés à nous intéresser aux pratiques4 des éleveurs, et plus particulièrement aux modes de gardiennage des troupeaux par les bergers, dont plusieurs auteurs ont souligné le rôle essentiel dans différents contextes géographiques.

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5 Ainsi, Landais et Balent (1993) ont montré qu’en tant que gestionnaires des interactions entre herbivore et végétation, ils assurent une fonction d’entretien du territoire pastoral.

6 Selon Landais et Deffontaines (1988), les bergers prévoient des circuits, observent, analysent les situations et adaptent leurs déroulements de façon à satisfaire au mieux le troupeau en exploitant au mieux, de leur point de vue, les ressources pastorales.

7 Selon Lécrivain (2007), quelle que soit la manière de conduire un troupeau, la garde est un moyen d’entretenir des espaces pastoraux et de sauvegarder une diversité floristique et faunistique.

8 Les bergers jouent donc un rôle fondamental pour gérer les pâturages, mener les troupeaux vers les meilleures zones de parcours, éviter les zones inondées, protéger les animaux, adapter les itinéraires en fonction de multiples critères, etc. Le gardiennage est essentiel dans la stratégie des éleveurs pour une bonne gestion pastorale, afin de permettre une production de qualité, tout en conservant les ressources naturelles.

9 Dans ce contexte, le gardiennage et les savoir-faire qui lui sont associés peuvent être l’une des conditions de la durabilité5 des systèmes d’élevage pastoraux et agropastoraux et des ressources fourragères naturelles dont ils dépendent. Michel Meuret (2010) montre, dans le contexte français, que par une conception ajustée des circuits de garde, un berger peut optimiser la valeur alimentaire des pâturages en faisant consommer le double de ce qui est prévu scientifiquement à partir des qualités nutritives des plantes.

10 Or, dans cette région, il s’avère que le rôle des bergers est très mal connu, à tel point que lorsque nous avons interrogé les responsables de la filière agricole de la région d’étude, ils nous ont assuré que le gardiennage des troupeaux n’était que rarement pratiqué dans la région et que les troupeaux étaient généralement livrés à eux-mêmes sur les parcours. Nous avons pu rapidement invalider cette hypothèse par nos premières investigations sur le terrain et nos enquêtes ont montré que sur les 67 exploitations de notre échantillon, 57 (soit 85 %) pratiquent le gardiennage pour au moins un ruminant. Ce décalage entre le discours et la réalité montre le peu de valeur accordé de la part des services agricoles aux systèmes d’élevage sur parcours, qui sont considérés comme marginaux.

11 Par conséquent, il nous a paru important d’approfondir l’analyse en nous intéressant aux pratiques et aux savoir-faire des gardiens en matière de conduite des troupeaux au pâturage.

12 Après une présentation de la zone d’étude et de la méthodologie suivie, nous proposerons une typologie des gardiens, puis nous montrerons le rôle important du gardiennage, avant de mettre en évidence les différences entre gardiens du point de vue de l’attachement au gardiennage du cheptel et des pratiques adoptées dans la conduite des troupeaux. Enfin, nous nous intéresserons à la taille et à la composition des troupeaux, avant de mettre en évidence la combinaison de critères multiples qui interviennent dans le choix des itinéraires de parcours, témoignant des savoir-faire des bergers.

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Présentation de la zone d’étude : une région montagneuse et forestière

13 La région d’étude est située à l’extrême nord-est algérien, au sein du Parc national d’El- Kala (fig. 1). Elle est limitée à l’est par la frontière algéro-tunisienne, au nord par la mer Méditerranée.

14 Il s’agit d’une région montagneuse, parcourue par un réseau hydrographique important, acheminant les eaux dans le domaine des plaines. La région renferme le lac Tonga qui s’étend sur 7,5 km de long et 4 km de large. Il est limité sur toute sa partie ouest, sud et est par les derniers contreforts des montagnes de la Khroumirie, s’élevant jusqu’à 1000 à 1 200 m d’altitude, au nord-ouest par les collines gréseuses qui le séparent du lac Oubeira et au nord par le cordon dunaire littoral qui le sépare de la mer Méditerranée.

Figure 1 -Localisation de la zone d’étude au sein du Parc National d’El-Kala

Raachi, 2007

15 La zone d’étude est sous l’influence d’un climat subhumide, variante à hiver tempéré à chaud (Emberger, 1955). Elle compte parmi les plus abondamment arrosées du pays, avec des précipitations s’élevant à 1 300 mm/an (BNEF, 1985) et une concentration de la totalité des précipitations sur quelques mois de l’année, de novembre à avril (De Belair, 1990). Ce climat permet à la fois l’entretien d’un couvert forestier très étendu dominé par les chênes-lièges (Quercus suber L.) (Abdiouene, 1988) et le maintien d’un réseau hydrographique important, avec le lac Tonga et plusieurs rivières et oueds (Bouazouni, 2004). La couverture végétale comprend notamment des forêts de chêne zeen (Quercus faginea Lam.), ainsi que des peuplements de pin maritime (Pinus pinaster Aiton) et des

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reboisements d’Eucalyptus. On note également des maquis denses à chêne kermès (Quercus coccifera L.) sur les dunes littorales et des maquis méditerranéens à bruyères (Erica arborea L.), myrte (Myrtus communis L.), arbousier (Arbutus unedo L.), filaires (Phyllirea angustifolia L.) et diverses autres espèces. La température moyenne annuelle est de l’ordre de 18 °C (BNEF, 1979).

16 Administrativement, la zone est composée de trois communes : Souarekh, El-Aioun et R’mel-Souk, avec une superficie de 183,2 km2. La population de la zone d’étude a connu une croissance importante, avec, d’après les données des recensements de l’ONS, une population de 17 876 personnes en 2008, contre 6 597 en 1966, soit un taux d’accroissement moyen de 2,4 % par an. La population rurale représente 63 % de la population totale.

17 L’agriculture occupe une place importante dans la région ; c’est le secteur qui est le plus gros pourvoyeur d’emplois permanents et saisonniers, avec 31 % en 2013 (ANDI, 2013).

18 Dans cette région majoritairement forestière, l’élevage est l’activité dominante au sein des exploitations, reposant en grande partie sur l’utilisation des parcours naturels. Compte tenu des surfaces agricoles limitées6 et d’un environnement caractérisé par des ressources naturelles fourragères abondantes, l’élevage est avant tout une stratégie qui permet de se parer contre les risques et de compenser la faible production agricole. Parmi les exploitations enquêtées, 78 %7 pratiquent l’élevage, qui est leur source principale de revenu. Cependant, parmi eux, 25 éleveurs, soit plus d’un tiers, disposent en même temps d’autres sources de revenus (anciens combattants, commerçants, etc.) (Matallah et al., 2015).

19 On peut constater une croissance importante des effectifs de cheptel entre 1977 et 2010 (fig. 2), avec un taux d’accroissement annuel moyen de 4,5 % pour les bovins, 3,6 % pour les ovins et 8,3 % pour les caprins.

Figure 2 - Évolution du cheptel bovin, ovin et caprin de 1997 à 2010 dans les trois communes de la zone d’étude

Source : Statistiques agricoles de la wilaya d’El-Tarf, de 1997 à 2010

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Méthodologie

20 Face à l’imprécision des statistiques disponibles auprès des services agricoles concernant le nombre exact de bergers et par manque de références bibliographiques portant sur le gardiennage, la première partie du travail a consisté à élaborer une typologie des personnes qui gardent les troupeaux. L’enquête par questionnaire a porté sur un échantillon de 57 bergers, issu d’une enquête menée en 2013 sur les systèmes d’élevage dans l’extrême Nord algérien8. Les bergers enquêtés se répartissent dans les trois communes de la zone d’étude (Souarekh, El-Aioun et R’mel-Souk), entre la zone de plaine (32 bergers, soit 56 % de l’échantillon) et la zone de montagne (25 bergers). Nous avons accompagné chaque gardien avec son troupeau et son chien (Berger de l’Atlas) sur les parcours ainsi que dans sa maison avec sa famille. Les discours, les observations réalisées sur le terrain et les pratiques du berger ont été notés.

21 Une typologie de ces bergers a été réalisée à partir d’une analyse factorielle des correspondances multiples (AFCM), suivie d’une classification ascendante hiérarchique (CAH) portant sur plusieurs variables à l’aide du logiciel Modalisa 6 : l’âge du berger, le sexe, la situation familiale, l’activité principale, la propriété ou non du troupeau, le niveau d’instruction, le type de gardiennage en fonction des espèces, la distance de déplacement du gardien, l’effectif du troupeau gardé, le temps consacré au gardiennage, le risque d’abandon et l’ancienneté de l’expérience.

22 La deuxième partie du travail s’est appuyée sur des entretiens avec les bergers pour comprendre leurs pratiques. Il s’agissait de donner la parole aux bergers, en leur demandant ce que veut dire pour eux un bon gardien. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits par la suite.

23 Enfin, la troisième partie du travail a consisté à schématiser les circuits de pâturage observés, selon le type de relief et les saisons. Nous avons accompagné quatre bergers (deux bergers de la plaine et deux de la montagne), choisis parmi les éleveurs qui cherchent à utiliser le maximum de ressources et qui ont accepté d’être accompagnés durant toute une journée pour chacune des saisons durant une année.

Figure 3 - Représentation graphique du plan 1-2 de l’AFCM de la typologie des gardiens enquêtés

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La typologie des gardiens

24 Afin de définir plus précisément les types de gardiens à partir de l’examen de l’AFCM, une CAH a été réalisée avec l’ensemble des données. Elle a permis de différencier trois types de gardiens. La meilleure représentation graphique est fournie par une projection dans un plan défini par les axes factoriels 1 et 2 (fig. 3). Les deux premiers axes expliquent ensemble 60,23 % de l’inertie totale. Les fréquences des différentes modalités des variables relatives aux 3 types identifiés sont données dans les tableaux 1 et 2.

Tableau 1 - Âge des gardiens et caractéristiques des troupeaux gardés dans l’échantillon enquêté

Effectifs moyens des espèces de ruminants Types de bergers Âge moyen Bovins Ovins Caprins

Type 1 62 ans ±8,49 23,14 ±16,16 27,14±15,28 11,50±2,64

Type 2 36 ans ±4,43 16,28 ±07,29 25,75 ±17,73 10 ±2,83

Type 3 32 ans ±4,45 7,17 ±3,55 08,17 ±8,95 0,83 ±2,04

NB : ±8,49 : veut dire écart type

Type 1 : les gardiens âgés propriétaires de leur troupeau

25 Ce type représente 37 gardiens, soit 65 % des gardiens enquêtés, avec un âge moyen de 62 ans, associé à un fort taux d’analphabétisme (80 %). Leur situation familiale est dominée par des personnes mariées (78 %) ou veuves (19 %), les célibataires ne représentant que 3 % du total.

26 Ce type est représenté par des éleveurs propriétaires de leur troupeau (100 %) et qui pratiquent eux-mêmes le gardiennage (86 %). Concernant la composition des troupeaux, on retrouve pour ce type cinq combinaisons d’espèces possibles, mais le cas le plus fréquent (32 % des gardiens) correspond à des troupeaux associant les trois espèces (tabl. 2). L’effectif des troupeaux est en moyenne de 23,14 têtes pour les bovins, 27,14 têtes pour les ovins et 11,50 têtes pour les caprins (tabl. 1). La majorité de ces gardiens (72 %) se déplace loin avec le cheptel en consacrant toute la journée pour le gardiennage (70 %). L’expérience de berger a été acquise durant une très longue période de conduite : 65 % des enquêtés ont pratiqué l’élevage durant toute leur vie, et les 35 % restant possèdent une expérience dépassant 10 ans (tabl. 2). Le risque d’abandon de l’activité de gardiennage est très faible (5 %).

27 Ces gardiens sont majoritairement des hommes (76 %), mais on dénombre tout de même neuf femmes gardiennes au sein du type 1, qui présentent certaines spécificités : elles sont en majorité veuves, elles ne s’occupent pas des activités domestiques, mais elles travaillent également la terre, tandis que le temps des hommes est entièrement consacré au gardiennage. Par prudence, le déplacement des femmes est limité par

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rapport aux hommes, c’est pourquoi elles préfèrent garder des troupeaux dominés par les ovins (en moyenne 14 têtes), avec un très faible effectif de bovins (en moyenne deux têtes) pour les garder à la proximité de l’exploitation. En effet, selon les coutumes de la région, les femmes ne s’éloignent pas trop de leurs exploitations agricoles9. Cette tendance a été renforcée par les problèmes de sécurité qui se sont posés suite à la décennie du terrorisme en Algérie.

Type 2 : les jeunes bergers propriétaires de leur troupeau

28 Ce type représente 14 gardiens, soit 25 % des gardiens enquêtés, avec un âge moyen de 36 ans, et un niveau d’étude primaire (72 %).

29 79 % de ces gardiens sont des hommes, et du point de vue de la situation familiale, 79 % sont mariés, 14 % sont célibataires, et 7 % sont veufs.

30 Ce type est représenté par des gardiens qui possèdent majoritairement leur propre troupeau (86 %), mais qui gardent parfois également les troupeaux de leurs parents. La moitié d’entre eux gardent ainsi des troupeaux associant leur troupeau personnel à celui de leurs parents.

31 Le gardiennage de bovins seuls est dominant (72 %). On trouve ensuite des troupeaux bovins et ovins (14 %), ou bovins, ovins et caprins (14 %) (tabl. 2). L’effectif moyen est de 16,28 têtes pour les bovins, 25,75 têtes pour les ovins et 10 têtes pour les caprins (tabl. 1), avec, comme pour le type 1, une préférence des femmes pour des troupeaux dominés par les ovins.

32 La majorité des gardiens de ce type (57 %) font un déplacement long avec le cheptel en consacrant la journée entière pour le gardiennage (86 %), sauf pour les femmes, qui gardent le troupeau à proximité de l’exploitation. La majorité de ce type de bergers possède une expérience dépassant 10 ans (tabl. 2).

33 L’expérience de berger a été acquise durant une assez longue période de conduite : 29 % des enquêtés ont pratiqué l’élevage durant toute leur vie, et 57 % possèdent une expérience dépassant 10 ans, tandis que 14 % ont une expérience inférieure à cinq ans (tabl. 2). Le risque d’abandon de l’activité de gardiennage est faible pour ces gardiens (14 %).

Type 3 : les jeunes gardiens non-propriétaires de leur troupeau

34 Ce type représente six gardiens, soit 10 % des gardiens enquêtés, avec un âge moyen de 32 ans, et un niveau d’étude qui, pour la plupart (67 %), dépasse légèrement la 6e année primaire.

35 Ce type est représenté par des gardiens majoritairement non-propriétaires (67 %) qui gardent les troupeaux de leurs pères. Ce sont tous des hommes et la majorité sont célibataires (67 %). Le gardiennage de bovins seuls est dominant (50 %), suivi des troupeaux bovins et ovins (33 %) et ovins et caprins (17 %). Les effectifs de cheptel sont faibles : 7,17 têtes en moyenne pour les bovins, et 8,17 têtes pour les ovins, tandis que les caprins sont quasiment absents, avec 0,83 tête seulement (tabl. 1). Ces gardiens consacrent une demi-journée au maximum pour le gardiennage et la majorité (67 %) fait un déplacement court avec le cheptel.

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36 L’expérience de berger a été acquise durant une période de conduite assez courte : moins de cinq ans pour 83 % d’entre eux, tandis que 17 % seulement possèdent une expérience dépassant 10 ans (tabl. 2). Le risque d’abandon de l’activité de gardiennage est élevé, concernant les deux tiers de ces gardiens.

Tableau 2 - Modalités des variables par types de gardiens

Variables Modalités (en %) Type 1 Type 2 Type 3

Masculin 76 79 100 Sexe Féminin 24 21 0

< 30 ans 0 14 33 Âge 30-50 ans 5 86 67 > 50 ans 95 0 0

Éleveur gardien 100 86 33 Activité principale Gardien 0 14 67

Analphabète 80 14 0 Niveau d’instruction Primaire 16 72 33 Plus 4 14 67

Long 72 57 33 Déplacement avec le troupeau Court 28 43 67

Bovin seulement 14 72 50 Bovin, ovin et caprin 32 14 0 Composition du troupeau Bovin et ovin 22 14 33 Ovin et caprin 5 0 17 Ovin 27 0 0

Oui 5 14 67 Risque d’abandon du gardiennage Non 95 86 33

Marié 78 79 33 Situation familiale Veuf 19 7 0 Célibataire 3 14 67

Toute la journée 70 86 0 Temps consacré au gardiennage Autres 30 14 100

[0- 10] 38 29 100 [11-25] 43 57 0 Effectif bovin gardé [26-50] 8 14 0 + de 50 têtes 11 0 0

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Toute la vie 65 29 0 Expérience de gardiennage > 10 ans 30 57 17 < 5 ans 5 14 83

Le rôle essentiel du gardiennage pour une bonne gestion des troupeaux et des pâturages

37 Le berger joue un rôle déterminant aussi bien pour le choix des parcours que pour la planification des déplacements des troupeaux.

38 Bien que l’animal connaisse son territoire, il a besoin d’être guidé à la sortie des étables pour prendre le chemin vers le pâturage et pour trouver les sources d’eau. Le troupeau est mené au pâturage de bon matin après la traite des vaches et la tétée des petits animaux. Ces derniers, ainsi que les animaux fragiles ou malades, ne quittent à aucun moment l’exploitation.

39 Le gardiennage est indispensable pour plusieurs raisons, notamment pour éviter les conflits avec les autres éleveurs du fait de l’absence de clôtures pour les jachères, les prairies et les champs cultivés, ainsi que pour protéger les animaux des prédateurs (sanglier, renard) et du vol (commerce illégal à la frontière algéro-tunisienne).

40 Une bonne conduite du troupeau est nécessaire pour fournir aux animaux du fourrage de bonne qualité, tout en maintenant la qualité de l’herbage.

41 Cependant, nous allons voir que l’attachement au gardiennage des troupeaux n’est pas partagé de la même façon par tous les bergers, avec un désintérêt de plus en plus grand de la part des plus jeunes et des plus instruits, ce qui se traduit par des pratiques beaucoup moins soucieuses d’une bonne gestion de l’élevage et des ressources.

Un attachement au gardiennage des troupeaux très variable selon les types de bergers

42 Le gardiennage est, pour l’essentiel, entre les mains des bergers les plus expérimentés, étant assuré en majorité par des éleveurs âgés, disposant d’une expérience importante et de savoir-faire bien maîtrisés. Ces gardiens, qui appartiennent principalement au type 1, pratiquent cette activité depuis leur enfance et sont très attachés à leur troupeau, comme le montrent les propos d’un berger de type 1, âgé de 67 ans, qui garde huit bovins et 18 ovins : « Lorsqu’on m’a confié la tâche d’être berger et que la vache et moi on s’est aimés, il est rare que je la laisse seule. Seule la vache surveillée est bonne ; maintenant, mes fils ne connaissent rien au cheptel ». En effet, ses enfants ont choisi une activité non agricole, même ceux qui n’ont pas réussi à l’école : « s’il y a une autre activité, pourquoi pratiqueraient-ils l’élevage et le gardiennage qui sont des métiers pénibles ? ». Cette tendance des jeunes générations à se détourner de l’élevage se traduit par un vieillissement progressif de la génération actuelle des bergers, qui tend à fragiliser et risque de faire disparaître à terme la profession et les savoir-faire qui lui sont associés10.

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43 Actuellement, les bergers âgés, notamment ceux du type 1, sont encore très attachés au gardiennage, l’abandon de cette activité étant considéré comme honteux pour eux. Ils cherchent le meilleur pour leurs animaux et perpétuent ainsi le mode d’élevage extensif en se déplaçant loin avec leurs troupeaux.

44 Les gardiens du type 2 présentent également un attachement au gardiennage, l’abandon du gardiennage étant une idée inacceptable également pour la majorité de ces gardiens. Pour eux, le gardiennage permet la production de bêtes de bonne qualité dont ils peuvent tirer un bon prix. Pour cette raison, ils consacrent leur temps pour garder et bien nourrir leurs troupeaux. Ces gardiens étant mariés pour une large majorité d’entre eux, l’élevage demeure la principale source de revenus pour leur famille, comme le déclare un berger âgé de 38 ans : « Je dois bien nourrir mon cheptel, pour bien nourrir mes enfants ».

45 L’expérience non négligeable de ces bergers les rend capable de bien choisir la destination et d’orienter les déplacements des animaux. Cependant, ils désireraient vivement apprendre des plus âgés, comme en témoignent les propos d’un berger âgé de 37 ans : « Moi, je suis fils d’un éleveur, ça fait longtemps que je suis berger, mais j’ai encore de trucs à apprendre ; mon métier paraît facile et pourtant, il ne s’apprend pas en quelques jours ».

46 En revanche, les jeunes gardiens du type 3 envisagent pour la plupart un abandon du gardiennage, qu’ils considèrent comme une activité provisoire pour eux. Cette catégorie comprend, comme nous l’avons vu, majoritairement des gardiens non- propriétaires de leurs troupeaux, dont la majorité s’adonne occasionnellement à cette activité lorsque leur situation familiale et matérielle les y oblige, compte tenu des faibles possibilités d’emploi dans cette région où l’industrie est inexistante et où le taux de chômage est élevé et ne cesse d’augmenter11.

47 Les jeunes célibataires, qui représentent les deux tiers de ces jeunes et qui sont très pressés de se marier, trouvent même que c’est honteux de travailler comme berger, comme l’avoue un jeune berger âgé de 26 ans : « C’est impossible de trouver une belle femme qui accepte de se marier avec un berger qui n’a même pas son propre troupeau ». Pour lui, l’image qu’il se fait du berger est celle d’une personne qui ne sait ni lire, ni écrire.

48 Les jeunes du type 3 aspirent à une vie plus moderne et à exercer une autre activité. Comme le reconnaît un jeune berger âgé de 16 ans : « C’est lourd de rester tout le temps au pâturage ; il n’y a rien de facile dans ce métier ». Pour ces jeunes, le gardiennage est une étape transitoire dans leur vie. Ils prévoient de l’abandonner dès qu’ils auront une autre source de revenus. Certains d’entre eux espèrent bénéficier d’une aide de l’État, comme par exemple un jeune de 22 ans qui confie : « J’ai déposé une demande auprès de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej) depuis des années pour avoir un véhicule de transport public ». Les autres n’hésitent pas à avouer qu’ils voudraient être des « pilleurs de corail12 ». Un groupe de jeunes bergers rencontrés sur le même pâturage évoque avec envie plusieurs jeunes de la région qui ont fait fortune avec le trafic du corail.

49 Le fait d’être propriétaire ou non d’un troupeau apparaît ainsi comme un facteur essentiel, qui exerce une influence importante sur le comportement du gardien, comme le montrent les propos d’un jeune du type 3, âgé de 21 ans, qui disait en riant : « J’ai décidé de quitter cette place de berger que j’ai depuis trois ans. Qu’est-ce que je vais

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faire avec ces ovins qui ne sont même pas les miens ? Je ne supporte pas la chaleur, je suis encore jeune. Je vais faire comme les autres jeunes qui récoltent le corail, ce qui va me ramasser une fortune ».

50 En définitive, l’intime familiarité entre les bergers et leur troupeau, observée chez les bergers de type 1 et certains bergers de type 2 est donc inexistante chez les bergers du type 3. Le manque d’expérience et de motivation influence leur comportement vis-à-vis du troupeau. Ils ne se déplacent pratiquement pas à la recherche de pâturages ni à la recherche de points d’eau et ils n’hésitent pas à rester avec leur troupeau à proximité de l’exploitation.

51 À partir de ces premiers constats, nous allons mettre en évidence de façon plus détaillée les différences de pratiques entre bergers, qui sont liées en grande partie à cet attachement plus ou moins important au gardiennage des troupeaux.

Des pratiques de gardiennage variables selon les bergers

52 Les bergers enquêtés peuvent définir avec précision ce qu’ils considèrent comme un bon gardien. Pour eux, c’est celui qui assure toutes les tâches de gardiennage : il surveille, contrôle et oriente le troupeau vers les bons lieux de pâturage, tout en appréciant le potentiel fourrager des parcours. Il évite ainsi le pâturage sur les parcours dégradés, et évitant de même les épines et les chardons qui peuvent gratter la laine de leurs animaux.

53 Pour réaliser un circuit, les bergers expérimentés, notamment ceux du type 1, prennent en compte de nombreux éléments indispensables au bon déroulement d’un circuit, tels que les facilités d’accès, la disponibilité en eau d’abreuvement, le comportement des animaux et surtout des ovins qui sont attirés par les parcelles cultivées qui leur sont défendues, leur vitesse de déplacement et enfin, leurs habitudes alimentaires. Dans le cas des caprins par exemple, qui sont agiles et très attirés par la flore arbustive, le travail du berger consiste à ralentir leurs déplacements en se plaçant devant ou sur le côté et en canalisant le troupeau dans une seule direction, tout en laissant une certaine liberté pour les animaux afin de satisfaire leurs choix. Les bergers utilisent également leurs chiens pour faire ramener les bêtes qui s’éloignent.

54 Quelques signaux et ordres13 du berger suffisent pour mettre le cheptel en mouvement ou pour l’orienter vers les bons pâturages ou vers les points d’eau. Il se sert d’un bâton et de son chien en essayant de maintenir ses animaux regroupés. Le chien joue un rôle important dans la discipline dont fait preuve le troupeau.

55 Comme nous l’avons vu, les bergers expérimentés, notamment de type 1, éprouvent un intérêt particulier pour le cheptel qu’ils gardent depuis l’enfance. Ils sont très attachés aux différents animaux de leur troupeau qu’ils connaissent individuellement. Seules la mort ou la vente peuvent les séparer d’eux. En raison des habitudes des animaux et de la dépendance alimentaire du cheptel vis-à-vis des ressources naturelles, le pâturage des troupeaux sur parcours est quotidien, même en cas de pluie ou de brouillard, qui sont fréquents dans la région. Le berger expérimenté ne sera satisfait que lorsqu’il ramène son troupeau le soir à la bergerie.

56 L’expérience du berger lui permet de mieux connaître son troupeau et d’interpréter son comportement et donc de s’adapter à des situations différentes, comme l’affirme

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un berger âgé de 67 ans : « On apprend avec le temps. Je comprends mes vaches et mes brebis et elles aussi me comprennent. Des fois, je les laisse s’éloigner sans aucune intervention de ma part ! Mais je reste toujours le patron ». Cet ajustement, résultant de l’interconnaissance entre le berger et son troupeau, que l’on retrouve dans d’autres contextes géographiques, passe par un long apprentissage réciproque14, comme le montre par exemple Meuret pour le Sud de la France (2010).

57 L’expérience du berger lui permet de créer un accord entre son comportement et celui de son troupeau afin de bien organiser le temps de pâturage pour que ses animaux profitent au maximum des ressources naturelles. Cet accord résulte de l’observation du berger et de sa patience : « Il faut de longues années pour que le jeune berger ayant acquis toutes les connaissances devienne un bon berger », comme l’affirme un berger de type 2 âgé de 28 ans. La majorité des bergers du type 2 qui sont considérés comme des petits bergers se contentent de suivre les bergers les plus expérimentés du type 1. On peut citer en ce sens les propos d’un berger de type 2 âgé de 38 ans au sujet d’un autre berger de type 1 : « Il connaît le caractère et devine la réaction de ses bêtes. Il me dit toujours qu’au berger importent le bien-être et la sécurité de ses bêtes ».

58 Les bergers expérimentés qui connaissent bien la région amènent leurs troupeaux pâturer dans des zones variées (au bord du lac, dans les forêts ou dans les prairies collectives), qui sont complémentaires par les ressources végétales qu’elles fournissent aux animaux, tout en tenant compte des spécificités topographiques de chaque zone (plaine ou montagne) et des saisons, comme nous le détaillerons par la suite avec les différents schémas de parcours (fig. 4 et 5). Par exemple, en hiver, les bergers de la plaine se dirigent vers la forêt en s’éloignant des zones inondées, alors qu’en été, ils se contentent des prairies humides et collectives. Presque tous les bergers du type 1 pratiquent cette conduite, c’est-à-dire qu’ils passent d’un pâturage donné à un autre de manière saisonnière. La majorité des bergers de type 2 – mais pas tous – ont également la même stratégie.

59 Les bergers expérimentés sont également soucieux de la bonne santé de leurs animaux. Ils accordent une attention particulière aux bêtes les plus faibles et ils soignent celles qui sont malades. Ils savent à quelle heure il convient de faire sortir et rentrer le troupeau, selon les saisons et le temps ; ils évitent de faire courir les brebis et les vaches pleines, ou de leur faire fauter des fossés afin qu’elles n’avortent pas.

60 Pour les bergers de type 2, nous avons vu qu’ils cherchent, pour certains d’entre eux, à suivre le modèle des bergers expérimentés de type 1. Mais nous avons pu observer de façon générale des pratiques moins attentives par rapport au premier type, avec des savoir-faire plus limités. La majorité d’entre eux passe plus de temps dans les zones de parcours faciles à surveiller, comme les clairières, ce qui est lié également à la composition des troupeaux (tabl. 2), car un troupeau bovin nécessite moins d’effort qu’un troupeau mixte. Les bergers d’un même quartier laissent les animaux pâturer librement, tout en surveillant les animaux du coin de l’œil, ne craignant pas trop les risques de dégâts aux champs. On constate pour la plupart de ces bergers une irrégularité des horaires de sortie au pâturage, contrairement au type 1.

61 Enfin, le gardiennage est devenu plus lâche encore pour les jeunes bergers du type 3. Par manque d’expérience et surtout par négligence, ils se limitent à tenir les troupeaux à l’écart de surfaces cultivées des exploitations du voisinage. Ils se contentent seulement de conduire les troupeaux bovins – dont l’effectif est faible – vers les zones de pâturage les plus proches de leurs exploitations, qui sont utilisées toute l’année. Ils

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utilisent des cris intenses en frappant les bêtes d’un coup de bâton ; parfois, ils enroulent leurs queues pour les tirer. Ces jeunes bergers restent la plupart du temps assis pour téléphoner, ou écouter de la musique en laissant les animaux pâturer sur des parcours dégradés, voire même sur des jeunes reboisements.

62 Après avoir montré que l’attachement au troupeau et les pratiques de gardiennage étaient très variables selon les types de gardiens, nous allons voir que la taille et la composition des troupeaux, qui jouent également un rôle important dans les modes de conduite, sont liées à de nombreux facteurs qui sont corrélés, eux aussi en grande partie, avec notre typologie.

Des troupeaux de tailles et de compositions variables

La composition des troupeaux

63 Les troupeaux mixtes (bovins, ovins et caprins) appartiennent surtout à des bergers de type 1 (tabl. 2), ainsi qu’à deux bergers de type 2. Ce mélange d’espèces, que l’on retrouve essentiellement chez les bergers âgés, correspond à un choix stratégique qui s’explique pour plusieurs raisons : • Au niveau économique, la pâture mixte est un mode de conduite qui consiste à faire pâturer ensemble des animaux d’espèces différentes. Ce système de pâture est connu pour favoriser l’état de santé et les performances des animaux. Par ailleurs, cela permet des rentrées d’argent mieux réparties dans l’année (abattage décalé dans le temps entre les différentes espèces). • Au niveau du pâturage, les trois différents comportements alimentaires offrent des avantages pour l’utilisation des ressources pastorales et pour la gestion de l’écosystème. En effet, en l’absence d’intervention culturale (mécanique ou autre), la végétation est essentiellement soumise à des pratiques de pâturage, ce qui fait que la dent du bétail est l’outil de base de gestion et de maîtrise de la végétation en vue de permettre le renouvellement des ressources au pâturage, qui est la préoccupation essentielle de l’éleveur (Guérin et Agreilc, 2007). • Au niveau de la conduite alimentaire, les caprins, qui sont des animaux entraîneurs, offrent davantage de possibilités dans le choix des parcours. En revanche, c’est plus fatigant pour le berger, car la curiosité des chèvres les pousse souvent à l’exploration au-delà des limites fixées et leur comportement peut avoir des effets négatifs sur le reste de troupeau par effet de mimétisme (Legarto et Leclerc, 2007). Il semble que c’est une des raisons qui poussent la majorité des jeunes à ne pas garder de caprins, comme le souligne un berger âgé de 66 ans : « Quand on a des chèvres, ça prend du temps ; elles peuvent très facilement s’échapper pour aller manger ». • Enfin, au niveau social, les coutumes locales poussent les plus âgés à garder les trois espèces de ruminants, et notamment les caprins.

64 En revanche, les bergers plus jeunes des types 2 et 3 préfèrent en majorité garder des troupeaux de bovins seuls (tabl. 2), ce type de gardiennage permettant à la fois un pâturage rapide et moins pénible. Par ailleurs, nous avons vu que les femmes préfèrent garder des troupeaux ovins permettant des déplacements plus limités.

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La taille des troupeaux

65 Quand un éleveur de type 1 possède un troupeau relativement important, une trentaine de têtes en moyenne et plus, il a besoin d’aide mais en aucun cas, il n’engage de gardien salarié. Par conséquent, la taille du troupeau dépend souvent du nombre de femmes en âge de s’occuper des animaux (tabl. 3). Selon nos enquêtes, nous pouvons constater que plus la main-d’œuvre familiale féminine disponible est importante, plus la taille du troupeau gardé augmente. En effet, les différentes femmes du ménage (épouse du chef d’exploitation, jeunes filles célibataires qui ne travaillent pas, belles-filles) se partagent les travaux ménagers en plus des activités agricoles (traite, nettoyage des bâtiments, distribution des aliments aux animaux, entretien des petits animaux malades, etc.).

Tableau 3 - La taille du troupeau cheptel en fonction de l’importance de la main-d’œuvre familiale féminine

Nombre de têtes du cheptel gardé Nombre de femmes actives dans le ménage

< 25 2,5

25-50 4

>50 4,5

Des itinéraires de parcours choisis en fonction de la composition des troupeaux, des saisons et du type de relief

66 La composition des troupeaux est le premier critère qui intervient dans le choix des parcours. Comme nous l’avons vu, si le gardiennage des bovins (photo 1) est le plus répandu, les troupeaux gardés peuvent être composés de trois espèces d’animaux, correspondant à cinq combinaisons possibles, donnant lieu à différents modèles de gardiennage.

Tableau 4 - les modèles de gardiennage dans la zone d’étude

Composition du cheptel gardé (en %)

Bovin seulement 33

Bovin, ovin et caprin 25

Bovin et ovin 21

Ovin et caprin 3

Ovin seulement 18

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Photo 1 - l’élevage bovin dans une zone de pâturage à proximité du lac Tonga au printemps

Photo S. Matallah

67 Pour chaque type de troupeau, le choix des parcours est avant tout conditionné par la saison, en fonction de la longueur du jour, des conditions climatiques15 et de la période végétative qui détermine l’abondance et la nature des ressources fourragères, ainsi que par les particularités du relief de la zone (plaine ou montagne). Nous allons décrire des modèles-types d’itinéraires de parcours correspondant à une conduite optimale, de la part de gardiens âgés et expérimentés du type 1 : deux bergers de troupeaux bovins + ovins en zone de plaine et deux bergers de troupeaux bovins + ovins + caprins en zone de montagne. Mais dans la réalité, il faut préciser que les bergers peuvent faire des itinéraires différents du modèle présenté, qui est de moins en moins la règle générale, puisque comme nous l’avons vu, les gardiens du type 3 notamment se contentent de parcours à proximité de l’exploitation.

68 La grande majorité des animaux sont abreuvés deux fois par jour, le matin avant de partir avec le berger ou d’aller divaguer dans les champs et le soir à leur retour. Pendant la saison des pluies (de décembre à mars), les éleveurs les abreuvent également aux mares temporaires.

69 1- À la fin de l’automne et durant la période hivernale (fig. 4-1 et 5-1), le troupeau pâture en forêt toute la journée, par exemple de 7h -8h à 16h30, ce qui lui permet de ne pas partir trop tôt (en cas de froid et surtout d’humidité). Le départ peut être retardé en cas de froid intense qui peut être néfaste pour les bêtes. En zone de plaine, le berger évite les prairies humides inondées qui entourent le lac Tonga.

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70 2- Au printemps, l’allongement de la durée du jour, la modification des conditions climatiques et la présence de ressources végétales abondantes permettent l’utilisation de différentes zones de pâturage complémentaires.

Figure 4 et 5 - Journée de pâturage de troupeaux bovins + ovins en zone de plaine : fin automne- hiver (1), printemps (2), été-début automne (3). Journée de pâturage de troupeaux bovins + ovins + caprins en zone de montagne fin automne-hiver (1), printemps (2), été-fin automne (3)

71 En zone montagneuse, la journée de pâturage est subdivisée en trois phases différentes (fig. 5-2), avec deux phases de pâturage en forêt de 5h15 à 10h puis de 14h à 16h après une longue pause le midi. Puis avant de rentrer, les troupeaux bénéficient encore de parcours sur jachères et/ou prairies naturelles de 16h30 à 18h.

72 En zone de plaine, la journée de pâturage est subdivisée en quatre phases différentes (fig. 4-2). Les troupeaux de chaque douar pâturent en forêt de 6h10 à 10h puis de 13h à 15h 30 après la pause du midi. Ils sont ensuite amenés sur le pourtour du lac où ils pâturent de 15h à 17h, les troupeaux étant regroupés dans les parcelles afin de simplifier la conduite pastorale et le gardiennage. Enfin, comme en zone montagneuse, la journée se termine par un pâturage sur jachères et/ou prairies naturelles de 18h à 19h.

73 3- L’été et au début de l’automne, quand les températures sont élevées, le berger avance les horaires de sortie du troupeau au pâturage en partant très tôt le matin.

74 En zone montagneuse, le pâturage est marqué par deux phases qui tendent à s’espacer dans la journée pour éviter les fortes chaleurs avec une première période de pâturage en forêt dès 5h ou 6h le matin jusqu’à 10h, suivie d’un repos de 10 h30 à 14h en bergerie, puis une 2e phase de pâturage dans l’après-midi de 14h à 19h sur prairies, jachères et chaumes (fig. 5-3).

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75 En zone de plaine, le pâturage est marqué par trois phases, avec tout d’abord deux périodes de pâturage sur le pourtour du lac dès 5h ou 6h le matin jusqu’à 10h, puis dans l’après-midi de 14h 30 à 16h après une pause, et enfin, une dernière phase de pâturage de 16h 30 à 19h sur jachères et prairies (fig. 4-3).

Conclusion

76 Nous avons vu que les bergers âgés et expérimentés sont attachés à l’activité de gardiennage, ainsi qu’à leur troupeau et qu’ils sont soucieux d’exploiter au mieux les parcours naturels disponibles. Ceux-ci font l’objet d’une gestion minutieuse, permettant à la fois d’optimiser la production pastorale et d’assurer le renouvellement des ressources. Cela se traduit par des déplacements importants avec les troupeaux, afin d’exploiter des zones de parcours variées en prenant en compte des facteurs multiples pour le choix des itinéraires, en fonction de la saison et des conditions climatiques, des spécificités géographiques de chaque zone (plaine ou montagne), ainsi que de la taille et de la composition du troupeau. Les pratiques adoptées dans la conduite du troupeau sont associées à des savoir-faire acquis grâce à une longue expérience et à une transmission entre bergers. Mais la génération actuelle des bergers connaît un vieillissement progressif dû à une faible orientation des jeunes vers ce métier. Il semble que la transformation des familles et les changements des attentes des jeunes ont mis en péril la transmission des savoir-faire entre les générations. Compte tenu de la disparition rapide des bergers expérimentés et du manque d’intérêt des jeunes pour le gardiennage, on peut s’interroger sur la pérennité de ces pratiques pastorales propices à une gestion durable des ressources, et de façon plus générale sur l’avenir de l’élevage extensif dans l’extrême Nord-Est algérien.

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NOTES

1. Sur un total de 67 éleveurs. 2. 9 470 bovins, 9 200 ovins et 6 380 caprins (DSA 2011). 3. Le Parc national d’El-Kala a été créé en 1983 puis érigé réserve de la biosphère par l’UNESCO en 1990. Par ailleurs, à l’intérieur de ce parc, les deux lacs Oubeïra et Tonga sont classés comme des zones d’importance internationale par la convention RAMSAR. 4. Jean-Pierre Deffontaines (1973) a montré l’importance de l’analyse des pratiques comme étant révélatrices des stratégies des agriculteurs, en partant du principe que les éleveurs ont des raisons de faire ce qu’ils font. Il faut toutefois préciser que leurs choix sont guidés par des formes de rationalités qui ne sont pas nécessairement les mêmes que celles des techniciens, l’élevage ayant d’autres fonctions que des fonctions purement productives comme nous avons pu le montrer en Tunisie dans une région voisine, la Khroumirie (Bouju, 1997) : traction animale, épargne, rôle social (prestige, sacrifices rituels, attachement affectif), volonté de valoriser des ressources naturelles gratuites, etc. Par conséquent, là où le technicien conçoit une gestion de la commercialisation dictée par des objectifs de rentabilité (en fonction de l’âge optimal de vente des animaux et de la période la plus favorable vis-à-vis du marché), pour les paysans, c’est le besoin de liquidités ou le calendrier des fêtes religieuses et familiales qui va déterminer la vente. En ce sens, on ne peut pas assimiler le paysan à un gestionnaire qui distinguerait entre la gestion de sa consommation familiale et la gestion de son exploitation ou de ses différentes activités (Bouju et Saïdi, 1996). 5. La durabilité des systèmes pastoraux passe par une recherche de gestion optimale de l’herbe et des autres ressources des parcours afin d’assurer un état satisfaisant à la fois des animaux et du territoire pâturé. 6. La SAU représente moins de 10 % du territoire (Matallah et al., 2014) et 60 % des exploitants ont une superficie moyenne de 2,5 hectares (Bouazouni, 2004 et plan d’aménagement de la wilaya d’El-Tarf, 2002). 7. Soit 67 sur un total de 85. 8. L’enquête portait sur 85 exploitations, parmi lesquelles 57 éleveurs pratiquaient le gardiennage. 9. Les pratiques de gardiennage des troupeaux pourraient faire l’objet d’une analyse sociologique très riche en tenant compte des multiples contingences liées notamment à la division du travail. Ce serait un sujet complexe et passionnant qu’il n’est pas possible de détailler ici. 10. Des observations similaires peuvent être faites de l’autre côté de la frontière en Tunisie (Bouju et Lioret, 2016), ainsi que dans d’autres contextes. Meuret (2010) montre également les enjeux importants liés à la transmission des savoirs et savoir-faire de bergers en France, même s’ils se posent dans des termes totalement différents. 11. D’après Bouazouni (2004), le chômage touchait 39 % de la population totale active en 2003, les jeunes étant les plus touchés.

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12. Le littoral de la région d’étude est très riche en corail rouge (Corallium rubrum) (Cacaud P., 2002), le plus convoité dans le monde et qui coûte actuellement près de 800 Euros le kilo. Selon nos entretiens, les gains sont si élevés que de nombreux jeunes chômeurs de la région sont attirés par cette activité illégale. 13. Il suffit par exemple que le berger appelle « Igfi safra », pour que la vache répondant au nom de safra s’avance. Tandis que le son « Kchik » s’adresse aux ovins et aux caprins. La voix du berger est suffisamment familière et rassurante pour permettre le regroupement du troupeau. 14. Cette analyse des liens étroits entre l’homme et l’animal qu’on peut observer à travers les pratiques de gardiennage s’avère particulièrement riche. Elle nous rapproche des travaux qui ont pu être menés en lien avec une géographie « humanimale » (Estebanez et al., 2013). 15. La région étant caractérisée par une grande variabilité de la pluviométrie annuelle, saisonnière et mensuelle, à laquelle les bergers doivent s’adapter.

RÉSUMÉS

Alors que les systèmes d’élevage extensifs sont dévalorisés et que le rôle du gardiennage est minimisé par les services agricoles locaux, les entretiens menés auprès des bergers permettent de montrer au contraire son importance dans la région du Nord-Est algérien et la diversité des pratiques et des savoir-faire des bergers expérimentés, qui s’adaptent au mieux aux conditions du milieu par leur mode de conduite des troupeaux et par le choix des itinéraires de parcours en fonction de critères multiples, notamment la taille et la composition des troupeaux, les saisons et les spécificités du relief de chaque zone (plaine ou montagne). Ces pratiques, qui permettent de valoriser au mieux le milieu et qui sont favorables à une gestion durable des ressources, sont cependant menacées par une évolution des modes de conduite des troupeaux, qui touche particulièrement les jeunes générations, par manque de savoir-faire et par manque d’intérêt pour l’activité et le rôle de berger.

Although the extensive systems of breeding are depreciated and the importance of herding is minimized by the local agricultural services, interviews with shepherds have shown the importance of this type of farming in the North-East of Algeria. Also, we noted a diversity of practices and know-how of shepherds, who adapt at best to their environment by herding patterns and choices based on multiple criteria trail routes, including size and composition of herds, seasons and the specific landform of each zone (plain or mountain). These practices allow to value at best the environment and support a sustainable resource management. However, they are threatened by changing patterns of herding cattle, which particularly affect young generations by lack of know-how and interest for livestock farming and shepherd’s abilities.

INDEX

Keywords : North-East Algeria, extensive breeding systems, cattle herding practices, pastoral resource management, North Africa Mots-clés : Nord-Est algérien, systèmes d’élevage extensifs, pratiques de gardiennage, gestion des ressources pastorales, Algérie, Afrique du Nord

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AUTEURS

SAÏDA MATALLAH Saïda Matallah, Université Chadli Bendjedid - El Tarf (Algérie), Laboratoire d’épidémie- surveillance, santé, productions et reproduction, expérimentation et thérapie cellulaire des animaux domestiques et sauvages, [email protected]

KHALED ABBAS Khaled Abbas, Institut national de la recherche agronomique de , Algérie, [email protected]

SOPHIE BOUJU Sophie Bouju, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5319 PASSAGES, sophie.bouju@u-bordeaux- montaigne.fr

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Le figuier de Barbarie (l’Opuntia ficus-indica) : un produit de terroir pour le développement local ? Aknari des Aït Baâmrane (Anti-Atlas occidental, Maroc) The prickly pear (the Opuntia ficus-indica) : a local product for the local development ? Aknari of Aït Baâmrane (Western Anti-Atlas, Morocco)

Hassan Faouzi

Introduction

1 Les marques d’intérêt pour les « terroirs », l’« origine », les « produits de terroir » et les « approches terroir » comme nouveaux moteurs possibles d’un développement durable sont croissantes. Le Maroc est un pays qui dispose d’un grand potentiel en de matière de « terroirs » grâce à son exceptionnelle diversité et au maintien de fortes traditions. Si une agriculture irriguée « moderne » a pu être utilement développée, les ressources des arrière‐pays n’ont guère été valorisées et la dualité avec l’agriculture traditionnelle s’est accentuée. De nombreux jeunes ruraux ne regardent plus que vers la ville ou vers l’étranger. Le retard de développement d’une grande partie du territoire entrave sérieusement tout progrès économique et social. Ces évolutions sont problématiques alors que le Maroc est confronté à la fois à une forte croissance démographique et à de multiples fragilités qui contribuent aussi à expliquer les vulnérabilités rurales, socio‐ économiques et écologiques, surtout dans les régions où le système agro-pastoral traditionnel repose sur l’association élevage extensif/agriculture pluviale traditionnelle (CGAAER et CGDA1, 2010).

2 C’est dans ce contexte que le Maroc s’est donné comme priorité des projets de valorisation des produits issus de ses terroirs. L’engagement sur les « produits »

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permettrait d’améliorer l’accès au marché de la petite agriculture et de créer de la valeur ajoutée captable localement. L’expérience récente de l’Europe méditerranéenne en confirme l’importance. Le Maroc en a fait aussi une priorité nationale dans le cadre du Pilier 2 du nouveau Plan Maroc Vert et l’engagement, qui n’est pas que national mais aussi régional et local, est déjà riche de premiers enseignements. Les terroirs, par leurs produits et services, pourraient donc constituer une porte d’entrée pour un développement territorial durable de systèmes agro‐écologiques. En effet les consommateurs expriment de l’engouement pour les produits de terroir et sont de plus en plus en quête de produits naturels et authentiques. Ils manifestent un regain d’intérêt pour ces produits qui reviennent en force pour concurrencer les autres produits alimentaires offerts sur le marché.

3 Notre étude s’intéresse à la revalorisation de l’un de ces produits de terroir, en l’occurrence le cactus qui est un élément du patrimoine du sud-ouest marocain. La valorisation du cactus et les conséquences des évolutions de la filière seront évoquées, en soulignant à la fois le processus d’industrialisation des méthodes de production. Puis, les problèmes actuels de sa revalorisation et de sa commercialisation seront posés et ceci à travers l’exemple du cactus des Aït Baâmrane.

4 Cette étude s’appuie sur l’abondante littérature scientifique abordant le terroir comme projet de développement local durable, qui a rendu possible l’identification de plusieurs phénomènes qui nous ont servis de base de connaissances et à définir nos objectifs. Notre recherche s’appuie également sur un important travail de terrain qui nous a permis d’approfondir nos observations et a donné lieu à de nombreux entretiens avec les paysans et les acteurs locaux. Des enquêtes individuelles ont été menées auprès d’un échantillon représentatif de la population locale. Les questions portaient sur l’impact socio-économique de la filière cactus. Les photos satellites et les photographies aériennes nous ont été aussi un outil précieux dans la perception de l’espace et dans l’orientation de nos enquêtes et interviews vers les points essentiels de la problématique adoptée.

« Produit de terroir » : un concept qui prête à confusion

5 Le concept « produit du terroir » fait appel, d’une part, au milieu naturel du produit en question, et d’autre part, à un savoir-faire partagé sur la fabrication de ce produit. Les produits de terroir sont qualifiés « d’authentiques » car ils mobilisent des ressources naturelles et agroclimatiques et leur fabrication nécessite du savoir-faire ancestral et des compétences régionales (tour de main, recettes, etc.) qui se transmettent de génération en génération. Ils sont donc liés à un territoire, à un patrimoine naturel et humain, à des traditions particulières, et donc à la culture et l’histoire d’une région donnée ou d’une communauté locale (Brodhag, 2000). Avec la globalisation des échanges et l’intensification de la concurrence, les stratégies de différenciation des marchés ont été renforcées et ont débouché sur la multiplication des démarches de territorialisation des productions (Consales et Moustier, 2014). C’est ainsi que la notion de terroir a évolué, passant d’une conception naturaliste (géologie, sol, climat…), de type vidalien (ibid.) à une conception qui fait du terroir une construction sociale (Hinnewinkel, 2007).

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6 Un tour d’horizon de la littérature sur la notion de produits de terroir permet de faire ressortir deux dimensions fortes et omniprésentes dans leurs caractéristiques : une dimension territoriale liée à une origine géographique, d’une part, et une dimension culturelle et historique, d’autre part. Plus précisément, le paramètre qui est invoqué régulièrement dans les écrits concernant les produits de terroir est l’origine régionale ou locale de la recette, du savoir-faire ou de la matière première. Elle est exigée dans l’AOC et l’AOP2 (Fort et Fort, 2006). Cette charge culturelle lui confère de nombreux potentiels de marketing. L’essence même des produits de terroir est d’exister comme constructions sociales locales. Le consommateur sensible au produit de terroir souhaitera trouver l’authentique tel que produit par le système local (Fort et Fort, 2006). Cet engouement a poussé plusieurs pays, dont le Maroc, à mettre en place une politique de valorisation de leurs ressources locales.

7 La demande croissante des consommateurs et des marchés, le caractère non délocalisable des produits de terroir et les valeurs ajoutées générées se conjuguent pour permettre à certaines régions rurales en difficulté et à leur petite agriculture de retrouver une dynamique, un projet, une prospérité, une fierté.

Les enjeux d’une politique de terroir au Maroc

8 Afin de trouver de nouveaux horizons économiques, sociaux et culturels et de faire face à l’échec des politiques technicistes de lutte contre la désertification, les « approches terroir » adoptées par le Maroc, tendent à s’imposer comme des alternatives nécessaires pour les régions rurales marginalisées. Le premier objectif de l’engagement du Maroc sur les terroirs est de contribuer à améliorer les revenus des communautés et la durabilité des agro‐écosystèmes. Les enjeux sont importants : réduction de la pauvreté, réussite de la professionnalisation de la petite agriculture, création de valeur ajoutée, gestion durable des ressources naturelles, maintien des cohésions sociales et de la stabilité collective (CGAAER et CGDA, 2010).

9 C’est dans ce cadre que le « Plan Maroc Vert » a été adopté en avril 2008, enclenchant ainsi une nouvelle dynamique de développement agricole du pays, en initiant des actions visant à conforter une agriculture diversifiée, durable et ouverte sur les marchés extérieurs. Il incite notamment à la mise à niveau solidaire de la petite agriculture, en particulier dans les zones de montagne, arides et oasiennes, espaces dans lesquels l’agriculture présente des spécificités remarquables et des produits présentant des qualités uniques associés à des traditions et savoir‐faire séculaires des populations locales mais qui souffrent d’un important retard de développement. La mise en œuvre du Plan Maroc Vert s’est accompagnée en 2009 d’une importante réforme du département de l’agriculture, qui s’est concrétisée par la création de deux nouvelles divisions (les divisions « Labellisation » et « Produits de terroir ») au sein de la nouvelle Direction du développement des filières de production, et la création de nouvelles directions régionales comprenant chacune un service dédié aux produits de terroirs dont l’objectif est d’aider à l’organisation des acteurs pour offrir des gammes de produits de qualité, à forte valeur ajoutée destinées aussi bien au marché national qu’au marché international (CGAAER et CGDA, 2010).

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Les produits de terroir marocains, un potentiel à valoriser

10 Le Maroc dispose d’un patrimoine très riche en produits de terroir parmi lesquels : l’arganier (qu’on ne trouve qu’au Maroc), l’huile d’olive, le cactus, le miel, l’amandier, les dattes, le pommier, le safran, etc. Sur le plan économique, les produits de terroir contribuent à hauteur de 92 % à la valeur ajoutée du secteur agricole extensif.

Tableau 1 - Importance économique des produits de terroirs dans le RSMD3

Productions Valeur production (million dh) %

Figuier de Barbarie 1 808 57,98

Arganier 347 11,13

Olivier 68,6 2,20

Palmier dattier 620 19,88

Rose à parfum 32 1,03

Safran 38 1,22

11 Chacune des régions du Maroc regorge d’une diversité de produits qui pourraient générer des opportunités économiques et sociales pour le pays. Plusieurs actions ont été lancées et différentes manifestations ont été organisées afin de débattre de ce sujet et d’établir des plans d’actions pour la promotion de ce secteur. Plusieurs productions de niche à forte identité patrimoniale sont mises en exergue et présentées comme un vecteur de développement local. C’est ainsi qu’ont émergé des actions de valorisation des ressources locales ou de création-développement d’activités économiques locales.

12 Les réglementations et les institutions se mettent peu à peu en place et une dynamique nouvelle est en train de s’opérer en faveur de la promotion des produits de qualité spécifique. Les conditions économiques (réformes structurelles, plans de développement de l’agriculture et du monde rural…) et les nouvelles perspectives d’ouverture des marchés ont amené les pouvoirs publics à reconsidérer les notions de développement rural et de développement local. Ce qui a pour effet de reconsidérer la place des ressources agricoles locales parmi lesquels les produits agricoles de terroir (Sahli, 2009).

13 Parmi ces produits, le cactus ou figuier de Barbarie, est largement représenté dans le paysage rural marocain particulièrement dans les régions arides et semi-arides où il constitue l’une des meilleures cultures de lutte contre la désertification en substitution à l’agriculture aléatoire en bour et aux cultures intensives consommatrices d’eau. Ce produit à haute valeur ajoutée joue, à côté de l’arganier, un rôle prépondérant dans la lutte contre l’avancée du désert et constitue l’ossature des écosystèmes arides dans plusieurs régions du Maroc, notamment dans les provinces de Tiznit et Guelmim.

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14 Depuis la promulgation du dahir de 1951 qui vise à conserver les sols du royaume, le Maroc a encouragé l’extension de la culture du cactus. C’est dans ce cadre que les responsables ont créé le Service de la défense et de la restauration des sols (DRS). Par la suite, des hectares sont plantés de nouvelles boutures de cactus pour fournir le fourrage au bétail, de nouvelles ressources pour les familles et surtout pour freiner l’érosion des sols. Depuis plusieurs décennies, et particulièrement depuis la création du DRS, de nombreux périmètres d’amélioration pastorale ont été plantés de cactus.

Aknari (Opuntia ficus-indica) : caractéristiques générales

15 Le cactus ou aknari (figuier de Barbarie, photo 1) est une plante succulente, xérophyte qui résiste à la sécheresse grâce à ses caractéristiques morphologiques lui permettant d’emmagasiner une grande quantité d’eau. Le nom aknari est l’une des appellations données à cette espèce. Dans la littérature agraire méditerranéenne, on note plusieurs noms communs : opuntia, figuier de Barbarie, figuier d’Inde, raquettes et cactus. Dans la culture berbère marocaine, on l’appelle aussi taknarit ou akouri. Dans les régions arabophones marocaines, on dit el handia, el kermouss, derg, zaâboul, etc.

Photo 1 - Aknari (Opuntia ficus-indica) (photo H. Faouzi, août 2016)

16 La croissance et la distribution du cactus sont principalement contrôlées par les facteurs climatiques, notamment les précipitations, l’humidité atmosphérique et la température. La nature des sols et leur niveau de drainage constituent également un facteur limitant le développement du cactus. Du point de vue pédologique, le cactus se développe sur des terrains non hydromorphes. Les sols préférés par cette culture sont des sols légers, sablo-limoneux mais l’espèce peut être aussi rencontrée sur des sols calcaires.

17 Concernant la température, le cactus est rencontré dans des régions où la moyenne est de 26 °C et les minima du mois le plus froid ne descendent jamais au-dessous de 9 °C. La température maximale est en moyenne de 40 °C et la pluviosité ne dépasse pas les

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200 mm. L’extension est limitée surtout par des basses températures hivernales et le seuil de tolérance est de -10 °C. Le cactus est généralement éliminé des régions où la moyenne de l’humidité relative de l’air est au-dessous de 40 %.

Le cactus : un produit multi-usage

18 Au Maroc, le cactus a depuis fort longtemps été utilisé pour la protection des parcelles agricoles et pour délimiter les biens familiaux. La production de fourrage était le deuxième grand usage du cactus. Il offre « une production en matière sèche qui varie entre 10 et 30 tonnes/ha » (Araba et al., 2000). Toutefois, le cactus joue d’autres rôles et son utilisation peut prendre plusieurs aspects. Les cactus de type Opuntia ficus-indica sont largement utilisés en industrie alimentaire, cosmétique et diététique. Leurs vertus hypoglycémiantes, lipophiles, antioxydantes et satiogènes sont principalement mises à profit dans le cadre de régimes amaigrissants et dans le cas d’obésité, de diabète et d’artériosclérose, traitement des troubles et des douleurs de l’estomac et des intestins, etc. Divers produits sont issus des raquettes, des fruits et des fleurs de cette plante tels que la confiture de fruit, les édulcorants, les fibres diététiques, les fruits frais, les fruits secs, le jus de raquettes, etc. Les fruits frais du cactus sont souvent consommés pour leur saveur et leur goût sucré. Leur valeur nutritive est très importante (richesse en vitamine C et en fibres). D’autre part, la principale valorisation des graines du fruit de cactus est l’extraction de l’huile qui possède des particularités cosmétiques remarquables.

19 Au Maroc, l’aire géographique d’extension de la culture du cactus est très importante, sa superficie totale est estimée entre 120 000 et 150 000 ha et on le retrouve un peu partout. Il existe dans des régions côtières depuis Sidi Ifni (province de Tiznit) jusqu’à Tanger mais aussi dans plusieurs zones continentales (DREF, 2007). La région de Sidi Ifni, qui correspond au territoire de la confédération des Aït Baâmrane, constitue l’un des importants foyers de la culture du cactus qui y occupe une superficie estimée à 50 000 ha. Trois cultivars y sont connus : aissa et moussa (inermes) et achefri (très épineux).

Les Aït Bâamrane : une région pauvre dotée d’énormes potentialités

20 Dans la région des Aït Bâamrane (fig. 1), la pauvreté4 matérielle est fortement présente, aggravée par des conditions naturelles très dures ainsi que par la sécheresse qui sévit depuis quelques années et qui affecte la qualité de vie des populations (dans la région de Mesti, 65 % de la population vit sous le seuil de pauvreté). Cette zone connaît un stade très avancé de dégradation des ressources naturelles. La désertification s’y manifeste avec des sols complètement nus et pauvres (photo 2) où l’agriculture en bour (culture pluviale) a été abandonnée suite à la succession des années de sécheresse.

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Photo 2 - Un sol caillouteux, pauvre et peu fertile, région de Mesti, Aït Baâmrane

Photo H. Faouzi, août 2016

21 Des conditions naturelles difficiles conjuguées à une démographie croissante, vont déclencher un flux d’exode rural massif, privant ainsi la région de la main-d’œuvre nécessaire pour effectuer les travaux des champs. Au-delà des conditions climatiques difficiles qui règnent dans la région, le faible niveau de vie qui caractérise encore aujourd’hui sa population rurale est intimement lié au système agro-pastoral traditionnel qui repose majoritairement sur la pratique d’un élevage extensif associé à une agriculture de subsistance non itinérante et, encore aujourd’hui, peu mécanisée. Ceci explique notamment la faiblesse des rendements agricoles et les difficultés d’intensifier les systèmes de production vivriers. Donc, face à l’accroissement démographique que connaît la région, les pratiques traditionnelles de gestion des terres ne sont plus en mesure d’assurer la sécurité alimentaire des populations de la région. Cette nouvelle situation a poussé les fellahs (paysan-agriculteur) à s’adonner à une culture spéculatrice d’aknari (photos 3 et 4). Nous assistons donc à un changement de comportement et de mentalité chez les fellahs. On ne pratique plus l’agriculture pour survivre mais pour avoir des revenus monétaires. Le cactus est devenu une culture à rendement plus sûr qui commence à bousculer la culture de l’orge mais aussi à prendre sa place traditionnelle de base de la vie de la population locale.

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Photo 3 - Extension de la culture spéculatrice d’aknari autour des douars

Dans les pays du Maghreb, le douar est un groupement d’habitations rassemblant des individus unis par des liens de parenté fondés sur une ascendance commune en ligne paternelle. Photo H. Faouzi, août 2016

22 Il faut préciser qu’au Maroc, la superficie totale du cactus est estimée entre 120 000 et 150 000 ha dont 50 % se situent dans la région des Aït Baâmrane. Selon la DPA5 de Tiznit, la superficie agricole utile dans la commune rurale de Sbouya s’élève à 4 500 ha contre 4 800 ha à Mesti, soit environ 9 300 ha. La superficie plantée en cactus dans la région s’élève à 50 000 ha, répartie sur les deux communes rurales de Sbouya et Mesti (fig. 1). Cette superficie augmente chaque année de plus de 4 %. La majorité des exploitations sont de régime privé, morcelées, de petite taille et dans l’indivision.

Photo 4 - Les terres domaniales qui étaient, quelques années auparavant, inoccupées, incultes et qui portaient quelques maigres pelouses servant au pâturage, connaissent aujourd’hui une extension rapide et importante de la culture du figuier de Barbarie.

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Photo H. Faouzi, août 2016

Des propriétés à dimensions variables

23 Dans la région des Aït Bâamrane, il est rare que les propriétés d’aknari dépassent quatre hectares ; en revanche, les propriétés qui ne dépassent pas un hectare constituent plus de 57 % du total des exploitations et seulement 17 % d’entre elles, atteignent quatre hectares. La grandeur et la forme de la parcelle sont strictement liées à un certain nombre de critères parmi lesquelles nous citons l’effet du partage répétitif des biens familiaux, la nature du terrain (plat, accidenté ou versant), la main-d’œuvre dont dispose le fellah, le degré d’enclavement ou de désenclavement du village, etc. En effet, les plus grands vergers se trouvent dans les villages qui sont situés à proximité des routes. Plus le village est loin des axes de communication, plus les parcelles plantées de cactus sont de dimensions modestes. La nature des sols aussi joue un rôle décisif dans l’importance des terres mises en cactus. Dans la région de Sbouya, les villages où dominent les sols hamri (riches en argile) comme Aoudint, Taharmouchte, Anamer, Amalou et Tahydart sont largement plantés de raquettes de cactus. Sur ces terroirs nous avons localisé des versants totalement occupés par l’Opuntia. En revanche, dans le cas du village d’Ennâala et d’autres de la région de Tellat Sbouya, où les terres caillouteuses l’emportent, les vergers d’aknari sont de dimensions réduites (Maghrani, 2003).

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Figure 1 - Localisation de la région des Aït Baâmrane

Cactus, le nouvel or vert des Aït Baâmrane

24 Le Sud marocain dispose d’une très grande variabilité d’écotypes de cactus. En effet, les prospections effectuées en 1999 et 2000, ont révélé l’existence d’une très grande variabilité génétique entre les 100 écotypes qui y sont établis, aussi bien au niveau de leurs fruits que de leurs raquettes. Dans la région des Aït Baâmrane nous distinguons trois cultivars qui sont achefri, moussa et aïssa. La variété dite achefri est très limitée chez les Aït-Baâmrane, sa floraison commence au mois de mai et la récolte peut déjà débuter dès le mois de juin. La présence de ces épines très solides donne à cette variété une allure défensive très importante, ce qui explique son utilisation pour clôturer les vergers, les azibs, les notfias ou encore les maisons. Pour ce qui est des deux autres cultivars, en l’occurrence aïssa et moussa, ils sont très répandus dans la région des Aït Baâmrane. Ils sont de la même variété, avec deux cycles de floraison et de maturation différents. Pour ce qui est de leur répartition géographique, la variété moussa est concentrée sur le territoire de la tribu Sbouya, alors que la variété aïssa pousse essentiellement sur le territoire de la tribu Mesti.

25 Cette répartition géographique s’explique par des éléments naturels : dans la région de Mesti, l’existence d’un microclimat chaud et sec en été et de sols très pauvres et caillouteux conduit à un stress des plants qui engendre la précocité de la floraison et de la maturation des fruits vers le mois de juin d’où la domination de la variété aïssa. Par contre le microclimat océanique de Sbouya, avec une humidité relativement élevée et une nébulosité plus importante, est particulièrement favorable au développement de la variété moussa. C’est cette fraîcheur des mois de mai et juin qui retarde la floraison et la maturation. On distingue la fleur de moussa par sa couleur jaune qui devient rouge et sa

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raquette plus épaisse et de couleur vert foncé. Si les conditions naturelles déterminent la répartition du cactus dans la région, sa culture est par contre liée à l’ingéniosité du fellah et se fait encore selon des procédés traditionnels.

Le cactus et les pratiques culturales

26 Dans toute la région des Aït Baâmrane, la pratique culturale dominante repose sur une préparation du verger qui doit passer par l’opération de dépierrage du terrain. Cette démarche est nécessaire pour éviter d’entraver l’enracinement. Dans le cas des vergers situés sur des terres de plaine et moins caillouteuses, le fellah procède à un simple labour de la parcelle ou creuse un simple fossé de quelques centimètres de largeur et d’une trentaine de centimètres de profondeur. Sur les terrains accidentés, sur les versants et sur les parcelles à charge caillouteuse très élevée, les paysans procèdent à l’aménagement d’une série de cuvettes tigudiytine de 20 à 30 cm de diamètre et environ de 30 cm de profondeur qui servent à y conduire l’eau.

27 Avant de se lancer dans la préparation de la parcelle, les villageois doivent disposer du matériel végétal nécessaire pour la plantation. Traditionnellement le figuier de Barbarie est multiplié végétativement par bouturage des raquettes. La période de la plantation est la même pour tous les cultivars rencontrés dans la région : les fellahs entament la saison de la plantation des jeunes arbres dès le printemps ; elle s’échelonne sur trois mois, à savoir les mois de février, de mars et d’avril mais on peut aussi planter de nouveaux pieds vers la fin du mois d’octobre et le début du mois de novembre. Sur la partie intérieure du plateau de Sbouya, où les terres de couleur rougeâtre dites hamri, riches en argiles, la préparation des vergers se fait par un simple labour. C’est le cas à Aoudint, Amalou, Anamer et Taharmouchte, etc. En revanche, dans les villages de la région de Tellat Sbouya depuis Ennâala jusqu’à l’oued Assaka au sud-ouest, les fellahs ont recours à l’aménagement des cuvettes pour y planter les jeunes plants. Cela est dû à la domination des terres blanchâtres à forte charge caillouteuse, dites harch. Lorsque le fellah achève la préparation du terrain de plantation et une fois qu’il réalise les labours ou aménage les cuvettes, il procède à l’opération de plantation des boutures. Les nouvelles plantations sont établies à partir de grandes boutures de tiges constituées de trois à cinq raquettes. La formation des racines a lieu après 15 jours. La densité de plantation varie de 500 à 1 500 plants/ha mais il est très fréquent dans la région de trouver des vergers dont la densité des plants par hectare dépasse 4 000 plants/ha.

28 Pour l’entretien, aucun soin particulier n’est apporté à la culture une fois que la plantation est réussie. Quant à la fertilisation, il n’y a pratiquement pas d’apport d’éléments fertilisants pour le figuier de Barbarie en culture traditionnelle. Cependant, avec le gain d’intérêt que cette culture a connu pendant ces dernières années et l’importance des prix offerts sur le marché, certains agriculteurs ont commencé à apporter du fumier à leurs plantations de cactus. Cela pourrait engendrer une augmentation de 20 à 30 % dans la productivité. Les recherches menées en Italie ont montré que l’application de l’azote à 120 kg/ha améliore la floraison et permet une production hors saison.

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La floraison

29 La floraison varie aussi d’un cultivar à l’autre ; la variété épineuse, dite achefri, connaît la floraison au cours du mois d’avril. Les fruits sont en pleine maturité dès le mois de juin et la récolte dure jusqu’au mois d’août. Pour les principaux cultivars trouvés dans la région, à savoir aïssa et moussa, nous distinguons deux comportements différents. Le comportement du cycle de moussa est tardif. En fait, l’existence d’un microclimat plus frais et plus humide et d’une nébulosité importante fait que le cycle commence au mois d’avril et de juin. Ce cycle tardif est plus ressenti dans le cas des vergers qui se trouvent à quelques mètres de l’océan sur lesquels la récolte peut s’échelonner jusqu’au mois de décembre. En effet, les fruits de ces vergers ont un petit calibre et une qualité gustative non acceptable sur les marchés. En revanche, pour le cultivar aïssa, le cycle commence au mois de mars, la pleine floraison a lieu en avril et la maturité en juin (Maghrani, 2003). La récolte peut s’échelonner sur le même pied plus de trois mois, à savoir les mois de juin, juillet et août.

La récolte des fruits

30 Cette opération reste encore fidèle à l’archaïque et se fait manuellement de la manière suivante : les jeunes enfants et les personnes âgées se servent des raquettes séchées pour récolter les figues de cactus (photo 5). Après la récolte des fruits, les enfants sont chargés d’enlever les épines très fines à l’aide d’un balai ou d’une plante épineuse. Une fois ce travail accompli, le produit est mis à la disposition des intermédiaires qui à leur tour le mettront sur le marché. L’importance des quantités récoltées est largement dépendante de la main-d’œuvre dont dispose l’exploitation.

Photo 5 - Récolte des figues de cactus par les femmes dans la région de Sbouya

Photo R. El Meknassi, 2016

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Photo 6 - Pied d’aknari

Photo H. Faouzi, 2014

31 Les familles dont les jeunes ont émigré et ne pouvant recourir au salariat ne récoltent que des quantités modestes par rapport à la production de leurs vergers, entraînant ainsi une importante perte de récoltes sur pied. On estime la récolte d’un verger d’aknari, d’une densité de 1 000 pieds par hectare à 10 ou 15 tonnes par hectare et par an, à raison de 100 kg par pieds (photo 6). La productivité peut atteindre quatre caisses par pied pour la variété moussa et seulement trois caisses pour la variété aïssa (soit respectivement 130 et 115 kg et à raison de 35 kg par caisse).

32 La DPA de Tiznit évalue les rendements de cette culture entre 8 et 25 tonnes de fruits par hectare et par an. On trouve même de grands producteurs qui peuvent récolter jusqu’à 1 500 caisses soit environ 50 tonnes de fruits. Les petits producteurs sont ceux dont la récolte ne dépasse pas 70 caisses soit moins de 2,5 tonnes/an. En effet, une parcelle entretenue, fertilisée et qui se situe sur des terrains plats avec des sols biens développés donne des récoltes plus abondantes que celles attendues d’un verger laissé à l’état « sauvage ». Un hectare rapporte à son exploitant jusqu’à 10 000 dh de bénéfice, contre 1 500 dh pour les céréales. Sur le plan économique, le cactus est devenu la principale ressource économique pour plusieurs ménages de la région. Il s’agit donc d’un changement énorme dans leur vie et sur lequel ils mettent beaucoup d’espoir. Grâce à l’ouverture de ces systèmes sur le monde extérieur et l’introduction de ce produit dans le système monétaire, nous assistons à de nouveaux circuits de commercialisation plus importants et plus complexes.

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Une commercialisation monopolisée par les intermédiaires

33 À partir de la troisième semaine de la récolte, la plupart des fruits sont déjà mûrs ; c’est ainsi que le marché se trouve saturé et les intermédiaires imposent des prix très bas aux fellahs. En général, le prix d’une caisse de 30 kg de fruit aïssa est évalué à environ 40 dirhams (4 €) durant les deux premières semaines de la récolte. Les dernières semaines de récolte de la variété aïssa sont marquées par la forte concurrence de la variété moussa plus sucrée et plus appréciée par les consommateurs, ce qui rend la liquidation de ces fruits plus difficile. C’est au cours de cette période que les prix de moussa atteignent les plus bas seuils (environ 20 dh la caisse de 30 kg). La commercialisation des produits de cactus reste aléatoire et ne répond pas aux intérêts des producteurs surtout à cause de la multiplicité des intermédiaires sur le marché et l’absence de centres de collecte de la production. En effet, plus de 48 % de la production est abandonnée sur « l’arbre ». Cela est dû à une insuffisante reconquête des marchés extérieurs qui résulte de plusieurs handicaps tels que l’enclavement des principaux douars producteurs, la rareté de la main-d’œuvre nécessaire pour accomplir les tâches de production et surtout la domination de la commercialisation de ce produit par des intermédiaires qui imposent des prix qui ne sont souvent pas encourageants pour investir dans une main-d’œuvre salariée (Maghrani, 2003).

34 Toutefois, le secteur de la commercialisation/distribution est en train de vivre une mutation complète avec la libéralisation des marchés et la stratification des couches sociales. Les domaines de la distribution, du transport et de la conservation (notamment sous froid) sont en train de prendre de l’avance avec l’apparition de nouveaux acteurs. L’attribution d’indications géographiques (IG) à ce produit permet sa meilleure identification ; elle peut être considérée comme un argument commercial fort.

35 Il existe des signes de qualité pour les produits de terroir qui donnent une certaine réputation et créent de la valeur ajoutée, tel l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) ou l’Indication géographique protégée (IGP). Ces signes, reconnus officiellement, garantissent un savoir-faire local et se veulent comme un certificat d’origine. Ils répondent à une double préoccupation. D’une part, ils donnent au consommateur le droit d’avoir un produit de qualité, typique à une région. D’une autre part, ils assurent aux producteurs une protection contre toute concurrence déloyale. Le cahier des charges d’une AOP ou d’une IGP doit comporter, outre la délimitation de l’aire géographique concernée, « des éléments prouvant que le produit agricole ou la denrée alimentaire sont originaires de l’aire géographique […] justifiant le lien avec le milieu géographique ou avec l’origine géographique »6. Une spécialité traditionnelle garantie doit comprendre des éléments permettant d’évaluer le caractère traditionnel du produit (Bérard et Marchenay, 2007).

Les terroirs et les identifications géographiques

36 En ce début de XXIe siècle, un nombre toujours croissant de territoires et d’acteurs considère les « terroirs » et les produits à « identifications géographiques » comme des questions d’importance stratégique. Des États en nombre croissant prennent des

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mesures pour promouvoir et protéger leurs produits de terroirs. Ainsi par exemple : le Costa Rica, la Colombie, l’Éthiopie l’Indonésie, la République dominicaine et certains États du Brésil ont été pionniers pour faire respecter l’origine de leurs cafés. L’Inde protège son riz basmati et le thé Darjeeling, la Jamaïque son café « Blue Mountain », le Sri Lanka son « thé de Ceylan », le Kenya son « café Gethumbwini » (CGAAER et CGDA, 2010). Le Maroc considère les produits et les dynamiques de terroirs comme d’importance majeure pour le Pilier II du Plan Maroc Vert dédié au développement solidaire de la petite agriculture. C’est ainsi que deux nouvelles divisions de son administration centrale ont été créées pour s’occuper respectivement de la labellisation et du développement des produits de terroir. La publication de la loi n° 25‐ 06, relative aux signes distinctifs d’origine et de qualité (SDOQ) des denrées alimentaires et des produits agricoles et halieutiques, promulguée par le dahir (décret) n° 1‐08‐56 du 23 mai 2008, a permis un grand pas en avant. La loi s’est ainsi donné pour objectif de promouvoir le développement agricole par une valorisation des caractéristiques liées au terroir ainsi que les modes de production et les savoir‐faire humains y afférents.

37 En 2009, le Maroc a fait de l’huile d’argan sa première IGP et de l’huile d’olive de Tyout Chiadma sa première AOP, et année après année, plusieurs produits sont venus les rejoindre tels que le figuier de Barbarie.

Le figuier de Barbarie : un produit d’Indication géographique protégée

38 Dans la zone des Aït Baâmrane, les fruits objet de l’IGP « Sobbar Aït Baâmrane » proviennent exclusivement de deux écotypes du figuier de Barbarie qui prédominent dans la région, à savoir : aïssa et moussa. L’aire géographique couverte par l’IGP s’étend sur les limites administratives de la province de Sidi Ifni et du cercle de L’ksabi de la province de Guelmim (fig. 1). En avril 2011, au Salon international de l’agriculture au Maroc (SIAM), le Groupement d’intérêt économique (GIE) « Sobbar Aït Baâmrane » décroche l’IGP « Sobbar Aït Baâmrane », qui vise à améliorer les conditions socio- économiques des populations vivant de l’exploitation de cactus en assurant une commercialisation équitable d’une part et à préserver les ressources naturelles d’autre part. La multiplication des coopératives aura un impact très positif sur l’environnement, elle permettra non seulement d’enrayer le processus de régression du cactus mais aussi de le replanter et donc de conserver ce rideau vert aux portes du Sahara. C’est dans le cadre du pilier II du plan Maroc Vert qu’un projet d’intensification et de valorisation du cactus des Aït Baâmrane a été lancé. Son objectif est de définir de nouvelles perspectives pour la distribution de ce produit. Il consiste aussi à désenclaver les champs de production en créant des routes et des infrastructures de base. Dans le même cadre, une unité de conditionnement et de valorisation des figues de Barbarie, d’une capacité de conditionnement de 10 000 tonnes de fruits, a été implantée dans la ville de Sidi Ifni. Malgré tout cela, et vu l’important capital de production au niveau de la région des Aït Baâmrane, le cactus reste très peu valorisé, avec une filière peu organisée, ce qui rend les agriculteurs dépendants des intermédiaires grossistes, d’autant plus que plusieurs particuliers ont commencé à développer des créneaux de valorisation des produits du cactus au niveau de la région.

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Une valorisation éphémère et localisée

39 L’absence d’une concentration d’acteurs partageant les mêmes pratiques, l’éloignement des pôles structurants et la très faible densité de réseaux relationnels expliquent, en partie, la sous-valorisation des produits du cactus. Bien souvent, le rayonnement ne dépasse pas l’échelle communale, voire la périphérie proche des exploitations. La vente sur place ou à des intermédiaires qui se chargent du transport et de la vente au niveau des différents centres urbains, reste le principal mode de vente connu dans la région. Sous l’impulsion d’acteurs locaux, le produit a fait l’objet de manifestations épisodiques (photos 7-8).

Photo 7 - Sous le signe de la valorisation du fruit du cactus, la province de Sidi Ifni a abrité en 2014, la première édition du « Moussem Aknari » d’Aït Baâmrane dont l’ambition est de mettre en valeur cette plante et ses dérivés et de favoriser les meilleures conditions de production et de commercialisation

Photo H. Faouzi, 2014

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Photo 8 - Stand d’exposant consacré à la vente des produits issus du cactus lors de la première édition du « Moussem Aknari » d’Aït Baâmrane

Photo H. Faouzi, 2014

40 L’échelle locale a été constamment privilégiée par les producteurs locaux d’aknari. L’extension à une ou plusieurs régions voisines a été abordée, notamment par des élus soucieux de développer des stratégies marketing/communication plus performantes. Mais les divergences partisanes, le problème du partage d’une même identité territoriale, l’absence de soutien-relais de tous les acteurs de la filière et l’affaiblissement de la dynamique du groupe, entravent toute action entreprise dans ce sens.

41 Les démarches de valorisation se focalisent souvent sur la dimension festive en ayant recours au support de spectacles publics, gratuits, sans intégrer la dimension économique. Cela s’est révélé peu intéressant d’un point de vue économique pour les organismes de commercialisation. D’ailleurs, ces derniers sont rarement informés des initiatives locales (Manouvrier, 2008). Outre l’inexistence d’une communication publicitaire distinctive, l’absence de groupements et d’entente entre tous les acteurs de la filière, s’avère une autre pierre d’achoppement majeure dans toutes les tentatives de valorisation du fruit. Tout cela les rend moins compétitifs et incapables d’obtenir des rendements réguliers, et de répondre plus facilement à la demande du marché.

42 Toutefois, malgré les innombrables contraintes que rencontre la filière du cactus, on assiste à la genèse de plusieurs coopératives de production, de transformation et de commercialisation des produits dérivés du cactus. L’expérience de la coopérative Aknari permet de mettre en exergue l’importance des différents produits du cactus (confiture, huile, filets de raquettes…) et de soulever le problème de commercialisation rencontré.

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Coopérative Aknari

43 La coopérative Aknari a été créée le 23 janvier 2001 dans la commune rurale de Sbouya à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Sidi Ifni. Elle compte une cinquantaine d’adhérentes. La coopérative commercialise ses principaux produits au niveau national (Marrakech, Tiznit, Sidi Ifni, Guelmim, Agadir et Laayoune). Les produits transformés sont constitués essentiellement de jus et confitures, de filets de raquettes de cactus, de figues de Barbarie séchées, de farine des raquettes de cactus et de l’huile de graines du cactus. Pour assurer la continuité de son activité toute l’année et pour diversifier ses axes de développement, la coopérative commercialise d’autres produits d’arganier (huile d’argan) et de palmier dattier (confiture de dattes). Elle envisage de produire d’autres dérivés du cactus afin de mieux valoriser cette culture hautement prometteuse, notamment les fleurs de cactus emballées, les blocs fourragers de cactus et également des produits cosmétiques à base de cactus.

44 Malgré la diversification des produits et leur originalité, la coopérative Aknari a encore besoin d’appui et d’accompagnement pour accéder à un marché plus vaste. Elle reste immobilisée face aux exigences imposées par le marché européen tant que la totalité des produits n’est pas certifiée et les normes de qualité imposées par les demandeurs ne sont pas maîtrisées. De plus, la coopérative manque de moyens de conditionnement et de stockage des fruits (chambre froide) ce qui limite la possibilité de disposer de suffisamment de matière première durant toute l’année. Malgré le désir d’augmenter la commercialisation à l’extérieur de la coopérative et la recherche des points de distribution pour ses produits de manière à accroître ses ventes, la coopérative ne fait aucune promotion de publicité, elle est aussi peu active au niveau des contacts avec l’étranger pour les opportunités d’exportation, tout ceci dans un contexte économique difficile, et face à une concurrence farouche du secteur privé. En effet, plusieurs coopératives et entreprises privées entrent en compétition puisqu’elles commercialisent des produits semblables sous des bannières différentes.

45 Face à cette situation, les collectivités territoriales et les acteurs de la filière se sont engagés dans plusieurs actions. C’est ainsi que deux GIE se sont créés : le « GIE du Sabbar d’Aït Baâmrane » qui regroupe cinq sociétés et trois coopératives et le « GIE Jbal Aït Baâmrane », dont l’objectif est de structurer la filière cactus et de représenter l’ensemble des producteurs. On note aussi la création d’une unité industrielle de conditionnement des fruits de cactus qui semble fonctionner moins bien que prévu, conséquence d’une mauvaise entente entre les acteurs de la filière.

46 Il est légitime de se demander à quel point la mutation de la filière a contribué à résoudre le problème de la dégradation et de l’érosion des sols et à améliorer le niveau de vie de la population locale ? Ou n’a-t-elle pas pour conséquence d’aggraver davantage la situation ? La pertinence l’efficacité et la portée de la mise en marché de ce produit du terroir peuvent être discutés en se référant à un autre produit du terroir, l’arganier : la valorisation et l’évolution du marché de son huile n’ont eu aucun effet positif, ni sur le tissu socio-économique, ni sur le système agraire de l’arganeraie.

Discussion

47 Nous avons montré que pour faire face à la raréfaction des ressources naturelles et aux fragilités socio‐économiques et écologiques, le Maroc a fait le choix de la promotion

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d’un développement durable et de qualité à travers un ensemble « d’initiatives économiquement viables qui peuvent être génératrices de richesse et de progrès » (Petit, 1996), grâce notamment à une meilleure utilisation du territoire à travers plusieurs vecteurs essentiels dont l’utilisation des ressources locales (les produits de terroir). La promotion de la culture du cactus répond donc à plusieurs objectifs notamment l’amélioration du niveau de vie des populations rurales et la lutte contre la désertification. Elle pourra constituer l’une des meilleures cultures de substitution économes d’eau. Le cactus représente un potentiel de développement infini, mais il est souvent mal utilisé et mal valorisé.

48 Certes, le bien-fondé des démarches de valorisation des produits de terroir ne saurait être remis en cause. Dans un contexte de mondialisation, ils restent un outil remarquable pour la valorisation des territoires marginalisés. Cependant, leur mise en œuvre reste délicate et périlleuse et ne peut se concevoir sans mise en place d’outils de concertation et de négociation (Cormier-Salem et Roussel, 2009).

49 Les contraintes sont nombreuses : faiblesse des relations des populations rurales avec l’environnement institutionnel, faible capacité de participation des populations rurales, faiblesse des organisations professionnelles qui n’ont pas encore atteint le niveau nécessaire pour prendre en charge et/ou participer aux importants programmes lancés en direction du milieu rural. Le chemin reste encore long et il est nécessaire que les canaux d’information et de communication soient au diapason des possibilités de production et d’extension de la filière de produits aknari (Sahli, 2009).

50 Le producteur de terroir a généralement besoin de développer ses ventes au-delà de son territoire, sur une échelle large pouvant être nationale ou internationale, afin de maintenir sur le long terme un niveau de profitabilité satisfaisant, vis-à-vis de normes sociales elles-mêmes en évolution. Nous pensons que ne pas accepter l’émergence de nouvelles formes de marketing condamne à terme les produits du terroir (Fort et Fort, 2006). La valorisation des produits du cactus nécessite l’adoption d’une stratégie globale à deux composantes interactives : une composante stratégique orientée filière (développement agro-industriel) et une composante stratégique orientée marché (développement marketing et stratégique). La dimension économique mérite d’être partie intégrante de la valorisation du produit. Cela paraît utopique de dissocier un produit de terroir de sa filière et de son organisation économique et commerciale.

51 Dans un tel contexte en prise directe avec la mondialisation, la question d’un développement local à travers la valorisation des produits de terroir soulève de nombreuses inquiétudes. Les expériences passées ont montré que tout projet de développement n’est possible que s’il tient compte des spécificités des systèmes agraires existants et de la nécessité de valoriser les savoirs et savoir-faire traditionnels des paysans (Andrieu et Tonneau, 2007 ; Piraux et al., 2010). L’expérience de valorisation de l’huile d’argan doit servir de leçon : la construction de la filière économique de l’arganier visant une demande internationale a eu des conséquences négatives sur les populations locales qui ont été marginalisées. Elle a eu aussi un effet boomerang sur l’écosystème arganeraie (Faouzi et Martin, 2014). N’est-on pas en train de revivre le même scénario avec la filière cactus ? Une chose est sûre, plusieurs signes avant-coureurs d’un bouleversement du système agraire de la région se profilent à l’horizon : conflits dans la forêt domaniale autour de la terre, modification du paysage de la région, éclatement des relations familiales et sociales, émergence de l’individualisme, extension de la culture du cactus au détriment de l’orge et de

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l’élevage, deux productions majeures du système agraire de l’arganeraie des Aït Baâmrane, etc.

52 Un processus de développement local qui serait basé sur la valorisation et la promotion des produits de terroir doit être conditionné par un système d’organisation conduit par des professionnels bien coordonnés entre eux à l’intérieur de réseaux (Sahli, 2009), afin de faciliter l’accès à ces produits et de se rapprocher le maximum possible du consommateur. Cela peut favoriser la création de consortiums locaux, aider à l’émergence de démarches collectives (lobbying) et créer des effets de co-branding. Un autre levier de marketing pourrait consister à faciliter la formation et les apprentissages des acteurs de terroir et promouvoir les meilleures pratiques et à faire émerger des actions en liaison avec le secteur du tourisme : il existe d’importantes opportunités pour faire émerger un tourisme de montagne basé sur la valorisation et la promotion des produits de terroir (Sahli, 2009).

Conclusion

53 Le potentiel de la région laisse entrevoir une grande marge de manœuvre dans les objectifs de développement socio-économique des Aït Baâmrane, car les améliorations possibles sont nombreuses et flexibles. Malgré la domination des techniques de production très rudimentaires, la culture d’aknari se trouve parfaitement intégrée dans le système d’exploitation traditionnel de la région. Elle constitue la base de ces systèmes géographiques archaïques et le pilier de l’économie familiale, dans ces contrées où la céréaliculture, moins adaptée à ces conditions d’aridité, connaît de plus en plus de repli. L’Opuntia a aussi montré son adaptation à des sols pauvres. Il s’agit même d’une plante à grand intérêt environnemental puisqu’elle contribue à la fertilisation des sols et à leur conservation contre l’agressivité érosive dont ils sont victimes.

54 Le cactus est également la culture la plus adéquate pour cette région. Elle fournit des fruits pour l’homme et du fourrage là où l’herbe fait souvent défaut. Mais le cadre archaïque des pratiques culturales laisse cette activité confrontée à une série de contraintes. Le recours à la fertilisation est très rare et les soins ne sont jamais apportés à ces plants. Le milieu, quant à lui, n’encourage pas cette culture. Les pluies dépassent rarement les 100 mm/an et la prépondérance des terrains pauvres très accidentés limite la production.

55 L’infrastructure routière ne favorise pas une intense intégration de cette culture dans les flux commerciaux. La majorité des douars dont la production est très considérable est encore enclavée. Cette situation a créé un climat dans lequel les grands vendeurs et médiateurs qui ont des moyens de transport retirent plus de bénéfices de cette activité que les producteurs. Ces contraintes parmi tant d’autres expliquent la sous- exploitation des potentialités de production de la région. Au-delà, c’est la complexité du système géographique « terroir » qu’il faut prendre en compte pour en mobiliser tous les ressorts. Et parmi eux, on cite le système d’action, lieu des jeux conflictuels entre les acteurs du terroir : « La question de l’avenir des produits de terroir ne devient-elle pas, dès lors, celle de la gouvernance locale » (Hinnewinkel, 2007).

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Manouvrier É., 2008 - « L’endive, un produit de terroir du Nord-Pas-de-Calais ? », Ruralia, 15/2004, [en ligne 1/07/2008], http://ruralia.revues.org/1031

Nakhli F., 2013 - Cactus, l’or vert d’Aït Baâmrane, l’Économiste, n° 4017, 24 avril 2013.

Piraux M. et al., 2010 - La transition agroécologique comme une innovation socio-territoriale. Le cas du territoire de la Borborema dans le semi-aride brésilien, ISDA 2010, Montpellier, 9 p.

Sahli Z., 2009 - Produits de terroir et développement local en Algérie : cas des zones rurales de montagnes et de piémonts. In : Tekelioglu Y., Ilbert H. et Tozanli S., dir., Les produits de terroir, les

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indications géographiques et le développement local durable des pays méditerranéens. Options Méditerranéennes : Série A. Séminaires Méditerranéens, nº 89, p. 305-338.

NOTES

1. Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, Maroc et Conseil général du développement agricole, France. 2. Appellation d’origine contrôlée et appellation d’origine protégée. 3. La région du Souss Massa Draa est située dans le sud du Maroc, au sud du Haut Atlas ; avant le découpage territorial de 2015, elle englobait la plaine du Souss, une partie de l’Anti-Atlas et la région de Ouarzazate. Elle s’étendait sur 70 880 km² et comportait, lors du recensement de 2014, 3 601 917 habitants. Son chef-lieu est Agadir. Dans le nouveau découpage territorial de 2015, les provinces du Drâa sont rattachées aux provinces du Tafilalet pour former la nouvelle région Drâa-Tafilalet, alors que la province de Sidi Ifni est rattachée à la nouvelle région de Guelmim- Oued Noun ; le reste de la région ainsi que la province de Tata forment la nouvelle région Souss- Massa. 4. Selon le Haut-Commissariat au Plan du Maroc, l’indice de pauvreté est de 64 %. 5. Direction provinciale de l’agriculture. 6. Règlement (CEE) N° 2081/92 du Conseil des communautés européennes du 14 juillet 1992 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires.

RÉSUMÉS

Aujourd’hui on assiste, presque partout dans le monde, à un regain d’intérêt pour les produits locaux et les pratiques traditionnelles ce qui témoigne du mouvement d’opportunités qui affecte les économies contemporaines. Au Maroc, les terroirs et les produits de terroir sont aujourd’hui l’objet d’enjeux économiques majeurs et sont érigés en véritables outils du développement durable. C’est le cas du figuier de Barbarie marocain, appelé aussi aknari, qui entame un nouveau destin. Longtemps marginalisé, il est devenu très répandu dans les paysages du Sud marocain, surtout dans la région des Aït Baâmrane (Anti-Atlas occidental). Sa culture est en nette progression, au vu de son importance socio-économique et environnementale, remettant ainsi en cause un système agraire traditionnel basé sur l’arganier, l’élevage de la chèvre et la culture de l’orge. La culture du figuier de Barbarie se présente comme une ressource économique importante pour les populations de l’Anti-Atlas marocain et elle est considérée comme une filière efficace de lutte contre la dégradation des sols. Un nouveau champ de recherche scientifique s’ouvre donc : comment mobiliser le terroir au service du territoire.

Local products and traditional practices in agriculture are back and more and more significant in contemporary economies. Countries and country products upraise major economic stakes and suggest opportunities for a local sustainable development. In Morocco those new trends focus on the prickly pear, also called “aknari”. South Morocco experimented a large and recent spreading of this crop, especially in the region of Aït Baâmrane (Western Anti-Atlas). This culture challenges traditional agrarian systems based on the argan tree, goat breeding and culture of the

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barley. This culture increased and actually has a significant impact on socioeconomic and environmental dynamics. The culture of the prickly pear appears as a substantial economic resource for the populations of the Moroccan Anti-Atlas and is considered as efficient in land degradation control. A new scientific field of research thus opens : how to mobilize the country to work for the territory.

INDEX

Keywords : cactus, prickly pear, local products, local development, Aït Baâmrane, Anti-Atlas, Morocco Mots-clés : cactus, figuier de Barbarie, produit de terroir, développement local, Aït Baâmrane, Anti-Atlas, Maroc

AUTEUR

HASSAN FAOUZI Université de Lorraine, Metz. Courriel : [email protected]

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Espèces ligneuses du Ferlo-Nord, Sénégal : état actuel et usage Woody species in Ferlo-North, Senegal : current state and usage

Aissatou Thiam Ndong, Ousmane Ndiaye, Madiara Ngom Faye, Didier Galop et Aliou Guissé

Nous adressons nos sincères remerciements à l’Observatoire Hommes-Milieux (OHM) Téssékéré et la Fondation Veolia-Environnement qui ont financé ces travaux.

Introduction

1 Au Sahel, en provoquant la raréfaction du tapis herbacé et la quasi disparition des graminées pérennes, les sécheresses récurrentes ont mis en évidence l’importance du rôle des ligneux dans les écosystèmes (Le Houerou, 1980). Or l’économie de la plupart des pays sahéliens est basée sur l’exploitation de ces ligneux, qui fournissent le pâturage naturel pour l’alimentation du bétail (Niang, 2009) et permettent aux populations rurales de subvenir à leurs besoins (Lykke, 2000). Cependant, ces ligneux connaissent aujourd’hui une importante régression sous l’effet combiné de la pression humaine et de la péjoration climatique (Diouf et al., 2002). Les manifestations de cette détérioration sont observées au Ferlo-Nord, zone sahélo-sénégalaise située au sud de la vallée du fleuve Sénégal, où les enjeux de cette évolution commencent à être mieux cernés grâce aux nombreux travaux de recherche menés depuis près de 30 ans (Ndiaye et al., 2014 ; Diallo et al., 2011 ; Akpo, 1995 ; Boudet, 1989 ; Barral et al., 1983 ; Klug, 1982 ; Gaston et al., 1982 ; Valenza, 1981 ; Poupon, 1980). Toutes ces études, ont fortement contribué à éclairer l’avancement de cette dégradation mais elles ont aussi soulevé de nouveaux questionnements. La question de la perception locale de cette dynamique du milieu a particulièrement été posée.

2 L’objectif de la présente étude est de contribuer à une meilleure connaissance de l’état actuel des espèces ligneuses du Ferlo-Nord et des différents usages dont elles font objet.

3 C’est à travers des observations directes faites sur le terrain et d’entretiens auprès des populations locales que cette étude a été abordée.

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Matériel et méthodes

Zone d’étude et ses caractéristiques biophysiques

4 L’étude a été menée dans le Ferlo-Nord, situé au cœur du Sahel sénégalais, approximativement entre les latitudes 16°15’ à 14°30’ Nord et les longitudes 12°50’ et 16° Ouest.

5 Les sites sélectionnés comprennent le lac de Guiers (Keur Momar Sarr, Syer et Mbar Toubab), siège d’activités agro-pastorales, et la zone des six forages (Widou Thiengoly, Téssékéré et Labgar), essentiellement marquées par le pastoralisme (fig. 1).

6 De type sahélien le climat est caractérisé par l’alternance d’une saison longue sèche de neuf mois pendant laquelle souffle l’harmattan et d’une saison humide de trois mois soumise au passage de la mousson. Pour les deux stations les plus proches (Louga et Linguère), la pluviométrie enregistrée est habituellement comprise entre 100 et 500 mm (ANAMS, 2013) avec une répartition irrégulière des précipitations. Les moyennes pluviométriques de 1978 à 2012 enregistrées dans ces stations sont respectivement 295,3 et 405,5 mm/an. Cela traduit un gradient pluviométrique décroissant d’est en ouest. Entre 1934 et 2012 la variation interannuelle pluviométrique de la zone montre l’alternance de deux périodes (fig. 2) : de 1934 à 1969 une période excédentaire par rapport à la moyenne 1978-2012 puis de 1970 à 2008 une période déficitaire. Cependant, les années 2010, 2011 et 2012, sont marquées par une nette amélioration des cumuls annuels.

7 Sur le plan morphopédologique, la zone appartient aux formations sédimentaires du Continental terminal. Les sols sont sableux, sablo-argileux et argilo-sableux et supportent une végétation composée de ligneux à dominance arbustive, avec un tapis herbacé en majorité composé de graminées annuelles, plus ou moins continu, pouvant atteindre 0,5 à 1 m de hauteur (Akpo, 1992) à la fin de la saison des pluies.

8 La zone est peuplée de Peuls (85 %), de Wolofs, de Maures et de Sérères (Santoir, 1973). À cette population s’ajoutent des transhumants venus du bassin arachidier, de la vallée du fleuve Sénégal mais aussi des autres pays voisins (Mauritanie et Mali, notamment).

Observations directes

9 L’échantillonnage a consisté à répartir de manière aléatoire 120 placettes de 2 500 m2 chacune géoréférencée, soit 20 placettes par site. Cette surface correspond à l’aire minimale pour l’étude de la végétation ligneuse au Sahel (Boudet, 1984, in Akpo et al., 2003a).

10 Sur chaque placette préalablement délimitée, la liste floristique a été établie et des mesures dendrométriques effectuées sur tous les individus ayant une circonférence à 0,30 m supérieure à 10 cm, car tout individu dont la circonférence du tronc à 0,30 m du sol est inférieure à 10 cm est considéré comme rejet.

11 Les paramètres mesurés sont : la hauteur totale, le diamètre du tronc et celui de la couronne des arbres dans les deux directions et la distance entre les individus.

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Entretien avec la population locale

12 Le contenu du questionnaire a abordé des sujets liés à la composition floristique, l’état actuel et l’usage des ligneux de la zone. Des personnes-ressources âgées de 40 à 90 ans ont été questionnées, afin de bénéficier de leur bonne connaissance du milieu. Ces personnes ressources (chefs de campements, bergers, agriculteurs, groupements féminins, autorités locales, etc.) ont été choisies avec les agents du développement (Service de l’élevage, Service des Eaux et forêts, etc.) de la localité.

13 La dénomination des espèces a été effectuée sur la base de la Flore du Sénégal (Berhaut, 1967), de l’ouvrage Noms vernaculaires des plantes (Adam, 1970) et du catalogue des plantes vasculaires du Sénégal (Lebrun et Stork, 1997).

Traitement des données floristiques

14 Les données collectées à partir des relevés de végétation ont été analysées, la liste des espèces inventoriées et leurs taxonomies dressées afin d’évaluer la composition floristique. D’autres paramètres écologiques (fréquences de présence, densité, surface terrière, couvert aérien, taux de régénération et d’anthropisation du milieu) essentiels à la caractérisation et à la connaissance de l’état actuel des ligneux ont été évalués.

15 La fréquence de présence a permis d’apprécier la distribution des espèces à travers les relevés. Elle est donnée par la formule suivante :

F = fréquence de présence exprimée en pourcentage ( %)

Nri = nombre de relevés où l’on retrouve l’espèce i

Nr = nombre total de relevés

16 La densité observée ou réelle permet d’apprécier l’abondance par site et par espèce. Elle se calcule par le rapport du nombre d’individus obtenu sur la surface échantillonnée. Théoriquement, elle est calculée par le rapport de la surface d’un hectare (en m2) sur le carré de la distance moyenne entre les arbres (Wouters et Notelaers, 1999).

17 La dominance des espèces se traduit par leur surface terrière (Ste) exprimée en m²/ha (Rondeux, 1993). La surface terrière de chaque espèce est obtenue en faisant la somme des surfaces terrières de tous ses individus dont la circonférence basale (C) est supérieure ou égale à 10 cm :

18 Le couvert aérien correspond à la surface de la couronne en m²/ha. Il peut aussi exprimer la dominance et s’obtient pour une espèce en faisant la somme de la surface de couronne de tous ses individus calculée à partir du diamètre moyen de leurs houppiers (D) :

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19 Les capacités de régénération de la zone et des sites d’étude ont été appréciées par le calcul du taux de régénération du peuplement (TRP) qui est donné par le rapport en pourcentage entre l’effectif total des jeunes plants et l’effectif total du peuplement (Poupon, 1980). Le caractère juvénile est attribué à tout individu dont la circonférence à la base du tronc (30 cm du sol) est inférieure à 10 cm (Diallo et al., 2011).

Traitement des données de l’enquête

20 Un dépouillement manuel des questionnaires a été effectué puis suivi d’une saisie des réponses à l’aide du logiciel Sphinx Plus² qui génère directement les résultats en fonction des variables de saisie. Le traitement des données a été effectué avec le tableur Excel de Microsoft Office 2007.

21 Nous avons ensuite évalué la valeur usuelle (UV) des espèces pour chaque catégorie d’usage afin de montrer l’importance que la population accorde à une espèce donnée dans la localité (Sarr et al., 2013). Elle est obtenue par la formule suivante : UV = ∑ U / N U : nombre de fois qu’une espèce est citée pour une catégorie d’usage N : nombre total d’enquêtés

22 Enfin, nous avons calculé le niveau de fidélité (FL, Cheikhyoussef et al., 2011) qui permet de dégager l’importance que les populations accordent à une espèce pour son rôle. Il est calculé par la formule suivante : FL ( %) = Np / N × 100 Np : nombre de citations d’une espèce pour son rôle N : nombre total d’utilisations à toutes fins.

Résultats

23 Les échantillonnages écologiques et ethnobotaniques ont permis d’obtenir un certain nombre de résultats sur l’état de la flore ligneuse et quelques services écosystémiques offerts par ces espèces ligneuses.

État actuel de la végétation ligneuse

24 Par observation directe, nous avons inventorié au total 42 espèces ligneuses réparties dans 33 genres et 18 familles (tabl. 1). Fabacées et Combrétacées sont les familles les plus représentées avec 18 espèces. Les sites de Widou Thiengoly et Labgar renferment le plus grand nombre d’espèces (23 espèces), suivis de Téssékéré (22 espèces), Mbar Toubab (20 espèces), Syer (18 espèces) et Keur Momar Sarr (13 espèces).

25 Globalement, Balanites aegyptiaca (75 %), Boscia senegalensis (75 %), Leptadenia hastata (58 %), Calotropis procera (51 %) et Acacia tortilis var. raddiana (50 %) sont les espèces les plus fréquentes de la zone.

26 La densité réelle de la zone est de 100,22 individus à l’hectare. Elle varie d’un site à l’autre : 121 ind./ha à Téssékéré, 119 ind./ha à Widou Thiengoly, 107 ind./ha à Labgar,

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99 ind./ha à Mbar Toubab, 77 ind./ha à Syer et 76 ind./ha à Keur Momar Sarr. Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis, Calotropis procera et Acacia tortilis var. raddiana sont les espèces les plus abondantes de la zone (tabl. 1). Elles regroupent à elles seules 80 % des 2 998 individus recensés, avec des densités respectives de 24,5 ; 23 ; 21,5 et 10,3 ind./ha.

27 La distance moyenne entre individus varie aussi ; elle est de 7 m à Keur Momar Sarr, 6,9 m à Syer, 6,8 m à Widou Thiengoly, 6,1 m Labgar, 5,3 m à Téssékéré et 5,2 m à Mbar Toubab, donnant ainsi respectivement des densités théoriques de 204,1 ind./ha, 210 ind./ha, 216,3 ind./ha, 268,7 ind./ha, 356 ind./ha et 365 ind./ha.

28 La surface terrière de la zone est de 27,5 m²/ha mais varie en fonction des sites : 5,4 m²/ ha à Labgar, 5 m²/ha à Widou Thiengoly, 4,8 m²/ha à Keur Momar Sarr, 4,6 m²/ha à Téssékéré, 4,45 m²/ha à Mbar Toubab et 3,2 m2/ha à Syer. Par rapport à ce paramètre, les espèces qui dominent le peuplement sont Adansonia digitata, Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis, Calotropis procera et Leptadenia hastata.

29 Le couvert aérien de la zone est de 7 112,66 m²/ha. Il est de 1 273,4 m²/ha à Keur Momar Sarr soit une couverture de 13 % de la surface échantillonnée. Par contre, il est de 750 m²/ha et de 857,35 m²/ha respectivement à Syer et Mbar Toubab, où seulement 9 % de la surface échantillonnée est couverte. Il en est de même à Téssékéré où seulement 10 % sont couverts, soit un recouvrement de 951,31 m²/ha. Enfin, à Widou Thiengoly et Labgar, les valeurs sont un peu plus élevées (1 926,3 et 1 354,3 m²/ha) avec des couvertures ligneuses respectives de 16,5 et 14 % de la superficie totale échantillonnée. En fonction des espèces, cette surface aérienne a varié de 0,5 m²/ha (Acacia pennata) à 1 826,10 m²/ha (Balanites aegyptiaca) avec une moyenne de 181,53 m²/ha. Donc, sur les 42 espèces recensées, seulement neuf ont une couverture aérienne supérieure à la moyenne. Il s’agit de Balanites aegyptiaca (1 826,10 m²/ha), Acacia tortilis var. raddiana (993,46 m²/ha), Boscia senegalensis (614,74 m²/ha), Sclerocarya birrea (551,2 m²/ha), Adansonia digitata (453,15 m²/ha), Calotropis procera (415,36 m²/ha), Dalbergia melanoxylon (296,2 m²/ha), Leptadenia hastata (250,85 m²/ha) et Acacia senegal (204,96 m²/ha).

30 La distribution des jeunes plantes dans la zone montre que les ligneux régénèrent à plus de 47 %. Ces jeunes plantes sont constituées majoritairement de Balanites aegyptiaca (26 %), Calotropis procera (25 %), Boscia senegalensis (18 %), Acacia tortilis var. raddiana (17 %) et Leptadenia hastata (10 %).

31 À travers les entretiens, 35 espèces reparties en 29 genres et 17 familles ont été mentionnées par les populations (tabl. 2). Donc, seulement sept espèces inventoriées sur le terrain n’ont pas été citées, il s’agit de Acacia pennata, Cocculus pendulus, Combretum nigricans, Tamarix senegalensis, Maerua cracifolia, Terminalia avicennioides et Jatropha chevalieri.

32 Balanites aegyptiaca (7,3 %) est la plus fréquemment citée, suivie de Boscia senegalensis (7,1 %), Calotropis procera (6,3 %), Acacia senegal (6,1 %), Acacia tortilis var. raddiana (6,1 %), Adansonia digitata (6,1 %) et Sclerocarya birrea (5,7 %).

33 7 % des enquêtés soulignent une augmentation de la densité des espèces ligneuses et exceptionnellement, les sites de Widou Thiengoly (10 %) et Téssékéré (9 %) ont les taux de réponse les plus élevés. Les espèces ligneuses, pour lesquelles les populations observent une augmentation de la densité sont : Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis et Calotropis procera.

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Tableau 1 - Liste des espèces recensées au Ferlo-Nord suivant les sites échantillonnés

Noms d’espèces Kms Sr Mt Wt Ts Lr Familles

Sclerocarya birrea (A.Rich.) Hochst. + + + + + + Anacardiaceae

Calotropis procera (Aiton) W.T.Aiton + + + + +

Leptadenia hastata (Pers.) Decne. + + + + + + Asclepiadaceae

Leptadenia pyrotechnica (Forssk.) Decne. + + + +

Balanites aegyptiaca (L.) Delile + + + + + + Balanitaceae

Stereospermum kunthianum Cham. + Bignoniaceae

Adansonia digitata L. + + + + + + Bombacaceae Adenium obesum (Forssk.) Roem. & Schult. + + + +

Boscia senegalensis (Pers.) Lam. ex Poir. + + + + Capparaceae Cadaba farinosa Forssk. + +

Maytenus senegalensis (Lam.) Exell + + + Celastraceae

Piliostigma reticulatum L. + Cesalpiniaceae

Anogeissus leiocarpus (DC.) Guill. & Perr. ++

Combretum aculeatum Vent. + +

Combretum glutinosum auct. + + + + +

Combretum micrantum G.Don + + Combretaceae Combretum nigricans Lepr. ex Guill. & Perr. +

Commiphora africana (A.Rich.) Engl. + +

Guiera senegalensis J.F.Gmel. + + + +

Terminalia avicennioides Gill. & Perr. + +

Euphorbia balsamifera Ait. +

Jatropha chevalieri Beille + + Euphorbiaceae

Maerua crassifolia Forssk. +

Acacia nilotica (L.) Delile + + + + + Fabaceae

Acacia pennata auct. +

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Acacia tortilis var. raddiana Forssk. + + + + +

Acacia senegal (L.) Willd. + + + + + +

Acacia seyal auct. + + + + +

Bauhinia rufescens Lam. + +

Dalbergia melanoxylon Guill. & Perr. + +

Faidherbia albida (Delile) A.Chev +

Prosopis glandulosa Torr. + + + +

Tamarindus indica L. + +

Cocculus pendulus (J. R. Forst. & G.Forst.) + Menispermaceae Tinospora bakis (A.Rich.) Miers + + +

Ziziphus mauritiana auct. + Rhamnacées

Feretia apodanthera Delile + Rubiaceae Mitragyna inermis (Willd.) K. Schum. +

Salvadora persica L. + + Salvadoraceae

Sterculia setigera Delile + Sterculiaceae

Tamarix senegalensis DC. + Tamaricaceae

Grewia bicolor Juss. + + + Tiliaceae

Kms : Keur Momar Sarr ; Sr : Syer ; Mt : Mbar Toubab ; W.T : Widou Thiengoly ; Ts : Téssékéré ; Lr : Labgar)

34 Concernant la diversité floristique, 62 % des enquêtés estiment la végétation ligneuse actuelle moins diversifiée qu’auparavant. Les taux de réponses les plus importants sont obtenus dans les sites de Keur Momar Sarr et Syer situés en bordure du lac de Guiers.

35 Seulement sept espèces sont citées par les populations comme taxons qui régénèrent bien dans la zone. Il s’agit de Balanites aegyptiaca, Acacia tortilis var. raddiana, Boscia senegalensis, Acacia senegal, Calotropis procera, Leptadenia hastata et Leptadenia pyrotechnica.

36 Aussi 27 espèces parmi les 35 citées, sont considérées comme menacées de disparition (tabl. 2). Les plus importantes sont : Sclerocarya birrea (16,5 %), Grewia bicolor (14,2 %), Dalbergia melanoxylon (7,8 %), Adansonia digitata (7,7 %), Sterculea setigera (7,3 %) et Ziziphus mauritiana (5,4 %). Les causes énumérées sont multiples ; on peut citer entre autres la rareté des pluies (70 %), les coupes répétitives (68 %), les feux de brousses (34 %), le surpâturage (30 %), l’absence de régénérations (28 %), le vieillissement des individus (20 %), les vents (4 %) et les termitières (2 %).

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37 Enfin, 88 % des populations enquêtées ont cité six espèces comme totalement disparues dans la zone (tabl. 2). Il s’agit de : Lannea acida, Dichrostachys glomerata, Securidaca longipedunculata, Acacia ataxacantha, Capparis tomentosa et Pterocarpus erinaceus.

Tableau 2 - Perception locale sur l’état actuel des ligneux

Noms d’espèces Kms Sr Mt Wt Ts Lg

Balanites aegyptiaca (L.) Delile r r r r r r

Acacia tortilis var. raddiana Forssk. r r r r r

Adansonia digitata L. m mm m mm

Ziziphus mauritiana auct. m m m m mm

Sclerocarya birrea (A.Rich.) Hochst. m m m m m m

Boscia senegalensis (Pers.) Lam. ex Poir. r r r r r r

Guiera senegalensis J.F.Gmel. m m m m m m

Acacia senegal (L.) Willd. r r r r r r

Calotropis procera (Aiton) W.T.Aiton r r r r r r

Grewia bicolor Juss. mmmmm

Combretum glutinosum auct. m m m m

Acacia nilotica (L.) Delile m m m d mm

Anogeisus leiocarpus (DC.) Guill. & Perr. m m m m m m

Acacia seyal (L.) Willd. m m

Commiphora africana (A.Rich.) Engl. d dd mm

Sterculea setigera Delile mmmm

Dalbergia melanoxylon Guill. & Perr. d d mmm

Mitragyna inermis (Willd.) K.Schum. m ddd

Adenium obesum (Forssk.) Roem. & Schult. d mmm

Bauhinia rufescens Lam. d m mmm

Leptadenia hastata (Pers.) Decne. r r r r r r

Combretum micrantum G.Don d m mm

Leptadenia pyrotechnica (Forssk.) Decne. r rr

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Faidherbia albida (Delile) A.Chev m mmd md

Ferretia apodanthera Delile d m d m

Stereospermum kunthianum Cham. d mmmmm

Combretum aculeatum Vent. m mmmmm

Maytenus senegalensis (Willd.) K.Schum mmm

Piliostigma reticulatum L. mddd

Prosopis glandulosa Torr. m

Cadaba farinosa Forssk. m m d

Euphorbia balsamifera Ait. m m

Tamarindus indica L. d mmd d

Salvadora persica L. d d m

Tinospora bakis (A.Rich.) Miers d d d m

(Kms : Keur Momar Sarr, Sr : Syer, Mt : Mbar Toubab, Wt : Widou Thiengoly, Ts : Téssékéré, Lg : Labgar) (r : régénère bien dans la zone, m : menacé de disparition, d : disparue et case vide : pas de réponse)

Usage des ligneux

38 Comme dans toutes les zones à vocation agropastorale, les ressources ligneuses jouent un rôle important dans la vie des populations. Elles nourrissent la quasi-totalité des troupeaux, surtout des petits ruminants grâce à leurs feuilles, fruits et fleurs.

39 Au total, 25 espèces ont été citées comme taxons intervenant dans divers domaines d’usages de la zone. Les niveaux d’intervention sont le fourrage, l’alimentation humaine, la pharmacopée, la construction et l’énergie domestique – charbon de bois et bois de chauffe.

40 Parmi celle-ci, 21 ont un rôle fourrager (tabl. 3). En considérant leur valeur usuelle, les plus appétées par le bétail sont Balanites aegyptiaca (0,80), Boscia senegalensis (0,66) et Sclerocarya birrea (0,58). Les feuilles sont les parties les plus consommées. Les fleurs, les fruits et l’écorce de certaines espèces sont aussi utilisés. Pour mettre à la disposition des animaux certaines parties qui leur sont inaccessibles, les populations ont recours à l’émondage (52 %), l’écorchage (21 %), l’effeuillage (16 %) et l’abattage (11 %). Ces types d’exploitation s’effectuent en général pendant la période sèche, après épuisement du fourrage herbacé.

Tableau 3 - Usages de chaque espèce ligneuse citée

Espèces Usages

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Fourrage, alimentation humaine, médecine traditionnelle, Balanites aegyptiaca (L.) Delile construction, énergie domestique

Acacia tortilis var. raddiana Fourrage, médecine traditionnelle, construction Forssk.

Adansonia digitata L. Fourrage, alimentation humaine, médecine traditionnelle

Ziziphus mauritiana auct. Fourrage, alimentation humaine, médecine traditionnelle

Sclerocarya birrea (A.Rich.) Fourrage, alimentation humaine, médecine traditionnelle, Hochst. construction, énergie domestique

Boscia senegalensis (Pers.) Lam. Fourrage, alimentation humaine, médecine traditionnelle, ex Poir. construction, énergie domestique

Anogeisus leiocarpus (DC.) Guill. Alimentation humaine & Perr.

Fourrage, médecine traditionnelle ; construction ; énergie Guiera senegalensis J.F.Gmel. domestique

Acacia senegal (L.) Willd. Fourrage

Cadaba farinosa Forssk. Alimentation humaine

Calotropis procera (Aiton) Médecine traditionnelle, construction, énergie domestique W.T.Aiton

Fourrage, médecine traditionnelle, construction, énergie Grewia bicolor Juss. domestique

Combretum glutinosum auct. Fourrage, médecine traditionnelle, énergie domestique

Acacia nilotica (L.) Delile Fourrage

Acacia seyal (L.) Willd. Fourrage, alimentation humaine

Commiphora africana (A.Rich.) Fourrage ; alimentation humaine Engl.

Sterculea setigera Delile Fourrage, alimentation humaine

Mitragyna inermis (Willd.) Médecine traditionnelle K.Schum.

Bauhinia rufescens Lam. Fourrage

Fourrage, alimentation humaine, médecine traditionnelle ; Combretum micrantum G.Don énergie domestique

Faidherbia albida (Delile) A.Chev Fourrage

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Ferretia apodanthera Delile Fourrage

Maytenus senegalensis (Willd.) Fourrage K.Schum

Piliostigma reticulatum L. Fourrage, médecine traditionnelle ; construction

Tamarindus indica L. Fourrage, alimentation humaine, médecine traditionnelle

41 Nous avons 62 % des essences fourragères avec un niveau de fidélité supérieur ou égal à 50 %, ce qui montre le rôle fourrager considérable des ligneux. Au regard de l’importance relative que les populations accordent à chacune d’entre elles, nous avons identifié cinq groupes classés en fonction de leur niveau de fidélité : • Groupe 1 : constitué d’espèces avec un niveau très élevé de fidélité (100 %) avec des espèces comme Balanites aegyptiaca, Sclerocarya birrea et Boscia senegalensis. • Groupe 2 : constitué d’espèces avec un niveau de fidélité compris entre 80 et 100 %. Il regroupe des espèces comme Guiera senegalensis, Combretum micrantum et Grewia bicolor. • <#ITALIQUES#>Groupe 3 : avec un niveau de fidélité compris entre 60 et 80 % regroupant Adansonia digitata, Acacia tortilis var. raddiana, Ziziphus mauritiana, Guiera senegalensis, Combretum glutinosum, Piliostigma reticulatum et Tamarindus indica. • Groupe 4 : avec un niveau de fidélité compris entre 40 et 60 % avec Calotropis procera, Acacia seyal et Commiphora africana. • Groupe 5 : avec un niveau de fidélité inférieur ou égal à 20 % associant des espèces comme Acacia senegal, Cadaba farinosa, Acacia nilotica, Mitragyna inermis, Bauhinia rufescens, Faidherbia albida et Maytenus senegalensis.

42 Douze espèces ont aussi été citées comme étant utilisées par les humains comme supplément alimentaire (tabl. 3). Les deux espèces les plus consommées sont Balanites aegyptiaca et Adansonia digitata. Elles apparaissent comme étant les espèces à usage alimentaire les plus importantes de la zone avec des valeurs usuelles respectives de 0,84 et 0,80. Elles sont suivies par Ziziphus mauritiana (0,48), Sclerocarya birrea (0,40) et Boscia senegalensis (0,40). Les espèces devenues rares (Tamarindus indica et Combretum micrantum) dans la localité présentent des valeurs usuelles faibles : en effet la consommation d’une espèce dépendrait de sa disponibilité.

43 Concernant le domaine de la pharmacopée, 12 espèces ont été citées (tabl. 3). Les plus mentionnées sont : Balanites aegyptiaca, Adansonia digitata, Ziziphus mauritiana et Acacia tortilis var. raddiana avec des valeurs usuelles respectives de 0,62 ; 0,60 ; 0,52 et 0,48. Toutes les parties de la plante peuvent être utilisées, mais certaines sont réputées comme étant plus efficaces. Les maladies traitées sont le diabète, le rhume, l’ulcère, la diarrhée, la bouffée de chaleur, la constipation, les maladies cardio-vasculaires et d’autres « maladies surnaturelles ».

44 Les ligneux de la localité fournissent également aux populations du bois d’œuvre nécessaire à la réalisation de leurs habitats (tabl. 3). Seulement huit espèces ont été mentionnées et les plus fréquemment citées sont Balanites aegyptiaca (UV = 0,64), Calotropis procera (UV = 0,46), Sclerocarya birrea (UV = 0,24) et Acacia tortilis var. raddiana (UV = 0,22).

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45 Ces ligneux pourvoient également les populations en bois de chauffe et en charbon de bois (tabl. 3), qui représentent plus de 90 % de la consommation énergétique de la zone. Les populations utilisent le plus souvent du bois de Calotropis procera (UV = 0,62). Elles utilisent également des bois de Balanites aegyptiaca (UV = 0,26), Boscia senegalensis (UV = 0,22), Sclerocarya birrea (UV = 0,20) et Guiera senegalensis (UV = 0,16).

Discussion

46 Au total, le cortège floristique est riche de 42 espèces avec une forte dominance de la famille des Fabacées et des Combrétacées qui regroupent à elles seules 43 % des espèces recensées. Selon la classification de Daget & Poissonet (1997), cette flore demeure assez riche.

47 La composition floristique varie selon les sites. Elle est plus élevée à Widou Thiengoly, Labgar et Téssékéré (zone des six forages) et plus faible à Mbar Toubab, Syer et Keur Momar Sarr (zone du lac de Guiers). La composition floristique est donc plus riche en zone des six forages (à l’est). En dehors du gradient pluviométrique croissant d’ouest en est, cela pourrait s’expliquer par le développement intense d’activités de maraîchage et d’agriculture sous pluie accompagnées d’élevage, surtout de petits ruminants dans la zone du lac de Guiers (à l’ouest).

48 Globalement, seules deux espèces apparaissent dans les trois quarts des relevés et sont aussi les plus fréquemment cités par les populations : il s’agit de Balanites aegyptiaca et Boscia senegalensis. La forte fréquence de ces espèces témoigne de leur adaptation aux conditions climatiques et édaphiques du Sahel (Konaté, 1999). De plus, Poupon (1980) leur avait attribué un degré de sclérophyllie élevé : 1,24 pour Boscia senegalensis et 0,84 pour Balanites aegyptiaca.

49 Faible à l’échelle de la zone ? La densité réelle du peuplement ligneux est variable d’un site à l’autre (plus élevée à Téssékéré et plus faible à Keur Momar Sarr). Parallèlement, la densité théorique est deux fois plus élevée que la densité réelle dans tous les sites avec des coefficients de variation très élevés donnant ainsi une distribution agrégative des individus. Cette distribution en agrégats a été signalée par d’autres études antérieures menées dans la même zone (Diallo et al., 2011 ; Niang 2009 ; Akpo et al., 2003a ; Diouf et al., 2002).

50 La surface terrière aussi varie selon les sites et les espèces. Elle est plus élevée à Labgar et Widou Thiengoly et plus faible à Keur Momar Sarr et Syer. Il faut noter l’importante contribution des espèces à grande circonférence comme Adansonia digitata et Faidherbia albida, malgré leurs faibles densités. Cela confirme donc l’absence de corrélation entre densité et surface terrière.

51 Le recouvrement aérien est aussi faible dans la zone en raison du pâturage et des défrichements qui entraîneraient un effet dépressif sur le développement des arbres (Akpo et al., 2003b). Seule Balanites aegyptiaca représente plus de la moitié du couvert ligneux à Widou Thiengoly, Labgar et Téssékéré ; alors qu’à Keur Momar Sarr elle est associée à Acacia tortilis var. raddiana.

52 Les caractéristiques écologiques actuelles des ligneux sont parfaitement corrélées à la perception des populations locales de ces écosystèmes. Ces dernières parviennent à caractériser avec le minimum de biais la flore actuelle de leur terroir. Ainsi, sur les 42 espèces inventoriées, seules sept n’ont pas été mentionnées lors de l’enquête.

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53 Les espèces considérées comme meilleures contributrices au potentiel de régénération des six sites ont aussi été toutes citées par les populations locales comme taxons qui régénèrent bien dans leur localité. Cette régénération se présente sous différents aspects selon elles. Cette différence est liée à la variabilité du type d’activité exercée dans la zone mais aussi aux caractères d’adaptation des espèces face à la sécheresse. Ainsi, à Keur Momar Sarr et Syer où l’agriculture sous pluie, le maraîchage et l’élevage des petits ruminants dominent, les espèces qui régénèrent mieux sont : Acacia tortilis var. raddiana, Balanites aegyptiaca et Leptadenia pyrotechnica. En revanche, dans les autres sites où le pastoralisme domine, Balanites aegyptiaca, Calotropis procera et Boscia senegalensis présentent des taux de régénération plus importants.

54 L’anthropisation du peuplement ligneux la plus importante a été observée à Mbar Toubab et la plus faible à Widou Thiengoly. Elle entrave considérablement les processus naturels d’évolution et de renouvellement de cet écosystème (Ngom, 2008). Dès lors, un certain nombre d’espèces ont été citées comme menacées de disparition. Les facteurs responsables sont selon les populations : la rareté des pluies, les coupes répétitives, les feux de brousses, le surpâturage, les mauvaises régénérations, le vieillissement des individus, les vents et les termitières. Donc, plus que la péjoration climatique, la forte exploitation peut entraîner la raréfaction voire la disparition totale des espèces. Selon Gillet et Depierre (1971), parmi toutes les causes de destruction des arbres, l’action humaine, même si elle demeure souvent localisée, reste plus radicale parce que plus rapide. L’homme coupe ce dont il a besoin pour lui ou son bétail, et détruit tout ce qui le gêne. Ainsi, Le Houerou (1980) soutient-il que la surexploitation est plus néfaste que la sécheresse. Cette exploitation temporaire ou permanente n’est pas sans conséquence sur la pérennité des espèces. Ainsi, les populations disent ne plus rencontrer dans la zone, des espèces comme Lannea acida, Dichrostachys glomerata, Securidaca longipedunculata, Acacia ataxacantha, Capparis tomentosa et Pterocarpus erinaceus.

55 Dans la zone, l’arbre est au centre de toutes les activités des populations. Un total de 25 espèces ligneuses est noté, intervenant à la fois dans tous les domaines d’activité (l’alimentation des hommes et du bétail, la pharmacopée, la construction…).

56 Parmi ces 25 espèces, 21 sont utilisées dans le fourrage. Ce qui montre que le rôle fourrager des ligneux est prépondérant par rapport aux autres types d’usages dans la localité. Cela est dû à l’importance de l’élevage dans la zone. Cette importante utilisation fourragère des ligneux est aussi notée par Lykke et al., (2004). Ces derniers, en étudiant 56 espèces ligneuses dans le Sahel, notent que 95 % d’entre elles sont des fourrages importants. Cependant, on constate une certaine hiérarchisation de ces fourrages ligneux. En effet, 12 espèces sur les 21 fourragères présentent un niveau de fidélité supérieur ou égal à 50 % et la plupart d’entre elles sont présentées comme étant les fourrages préférés : Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis, Sclerocarya birrea, Adansonia digitata, Grewia bicolor, Guiera senegalensis, Calotropis procera, Acacia tortilis var. raddiana et Ziziphus mauritiana. La préférence de ces espèces peut être liée à leur concentration en nutriments digestibles (Niang, 2009), mais aussi à leur disponibilité. Cependant, la faible fidélité des espèces comme Acacia nilotica, Sterculea setigera, Mytragyna inermis, Bauhinia rufescens, Faidherbia albida, Feretia apodanthera et Maytenus senegalensis relèveraient plus de leur rareté voire de leur absence. Ce qui laisse croire que les populations accordent plus d’attention aux espèces les plus abondantes dans la zone.

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57 Les ressources ligneuses sont aussi utilisées par les populations comme denrées alimentaires (fruits, condiments, corps gras, etc.) pour l’homme. Ceci confirme les propos de Le Houerou (1980), qui avancent qu’outre ce rôle fourrager, les ligneux des parcours sahéliens jouent des rôles multiples et essentiels tant dans l’équilibre des écosystèmes que dans la vie des populations. Bekker (1983) et Lykke (2000) font le même constat et notent l’importance de l’arbre dans l’alimentation humaine. En effet, les espèces les plus consommées sont des essences fruitières comme Balanites aegyptiaca, Adansonia digitata, Ziziphus mauritiana, Sclerocarya birrea et Boscia senegalensis. Leurs feuilles et fruits sont souvent consommés ou vendus dans les marchés hebdomadaires. Ces fruits sont soit ramassés, soit récoltés après maturation par abattage ou secouement des branches.

58 Outre un service alimentaire et fourrager, la pharmacopée, à l’origine de guérisons aussi bien de maladies humaines qu’animales, se fait essentiellement à base d’espèces ligneuses. Les plus citées sont Balanites aegyptiaca, Sclerocarya birrea, Calotropis procera et Adansonia digitata. Toutes les parties de la plante peuvent être utilisées mais certaines sont réputées comme plus efficaces. Le recours systématique des agro-éleveurs et pasteurs à l’arbre pour se soigner explique le nombre de tradipraticiens (Ndiaye et al., 2010).

59 L’utilisation des ligneux dans la construction est aussi fréquente. Chaque espèce est choisie en fonction du rôle qu’elle peut jouer. Selon les enquêtés, les cases d’hivernage sont construites avec des branches de Grewia bicolor, de Sclerocarya birrea et de Boscia senegalensis. Les clôtures des champs et des habitations, ainsi que les enclos des animaux sont faits dans la plupart des cas de branches de Guiera senegalensis, Grewia bicolor, Calotropis procera et Balanites aegyptiaca.

60 Enfin, la collecte du bois mort pour l’usage combustible (bois ou charbon) n’a qu’un impact secondaire sur l’écosystème de la zone lorsqu’il alimente les besoins des populations rurales. L’impact s’aggrave lorsque le marché est urbain et que les prélèvements ne se réduisent pas à du bois mort, mais qu’ils s’accompagnent de coupes plus ou moins sévères.

Conclusion

61 Ce travail met en évidence l’état actuel et les usages multiples des espèces ligneuses du Ferlo-Nord. L’analyse de l’importance spécifique a révélé une dominance nette de Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis, Calotropis procera et Acacia tortilis var. raddiana. Ces dernières sont utilisées dans tous les domaines d’activité, plus particulièrement dans l’alimentation animale et humaine ou encore dans la pharmacopée. Cependant, ces ligneux sont victimes de leur propre utilité. Leur état de dégradation avancé révèle leur statut extrêmement précaire et leur déclin rapide sous l’influence de perturbations anthropiques incontrôlées (défrichement, incendies, drainage, pollution…)

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RÉSUMÉS

Au Sahel, les ligneux jouent un rôle important dans l’alimentation du cheptel, en toute saison. La présente étude est une analyse de l’état actuel et de l’usage de ces espèces ligneuses dans six

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villages (Keur Momar Sarr, Syer, Mbar Toubab, Widou Thiengoly, Téssékéré et Labgar) du Ferlo- Nord suivant un gradient de facteur écologique est-ouest. Elle combine une approche écologique et des enquêtes ethnobotaniques auprès des populations locales. Les 120 relevés dendrométriques menés sur le terrain et les 52 entretiens, ont permis de répertorier 42 espèces réparties en 33 genres et 18 familles. Les Fabacées et les Combrétacées sont les familles les plus représentées. Certaines espèces (Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis, Calotropis procera et Acacia tortilis var. raddiana) sont prépondérantes dans la zone malgré l’intérêt porté par la population (fourrage, alimentation, médecine traditionnelle et énergie domestique). La richesse floristique, le couvert aérien ainsi que la densité réelle sont plus importants à Widou Thiengoly, Téssékéré et Labgar (situés à l’est dans la zone des six forages) comparés aux autres sites situés à l’ouest dans la zone du lac de Guiers.

In the Sahel, woody species play an important role in feeding livestock in any season. This study is an analysis of the current status and the use of these woody species in six villages (Keur Momar Sarr, Syer, Mbar Toubab, Widou Thiengoly, Téssékéré and Labgar) of Ferlo-North along an east- west ecological gradient factor. It combines an ecological approach and ethno-botanical surveys of local populations. The 120 dendrometric field surveys and the 52 interviews, allowed us to list 42 species belonging to 33 genera and 18 families. Fabaceae and Combretaceae are the most represented families. Some species (Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis, Calotropis procera and Acacia tortilis var. raddiana) despite their interest for the population (fodder, food, traditional medicine and household energy) are predominant in the area. Floristic richness, aerial cover and the actual density are more important in Widou Thiengoly, Téssékéré and Labgar (east of the area of six holes) compared to other sites located west of Lake Guiers area.

INDEX

Keywords : woody species, plants sampling, floristic readings, ethno-botanical survey, uses, North-Ferlo, Senegal, Africa Mots-clés : Espèces ligneuses, relevé floristique, enquête ethnobotanique, usages, Ferlo-Nord, Sénégal, Afrique

AUTEURS

AISSATOU THIAM NDONG Aissatou Thiam Ndong, département Biologie végétale, Faculté des Sciences et techniques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, B.P. 5005, Dakar-Fann (Sénégal) et Laboratoire GEODE- UMR 5602-CNRS, Maison de la recherche, Université Jeans Jaurès, Toulouse II, Boite postale 31058, Toulouse, France. Auteur correspondant, Mèl : [email protected]/ [email protected]

OUSMANE NDIAYE Ousmane Ndiaye, département Biologie végétale, Faculté des Sciences et techniques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, B.P. 5005, Dakar-Fann (Sénégal).

MADIARA NGOM FAYE Madiara Ngom Faye, département Biologie végétale, Faculté des Sciences et techniques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, B.P. 5005, Dakar-Fann (Sénégal).

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DIDIER GALOP Didier Galop, Laboratoire GEODE-UMR 5602-CNRS, Maison de la recherche, Université Jeans Jaurès, Toulouse II, Boîte postale 31058 Toulouse, France et Observatoire Hommes-Milieux (OHM- Téssékéré), Université Cheikh Anta Diop de Dakar, B.P. 5005, Dakar-Fann (Sénégal).

ALIOU GUISSÉ Aliou Guissé, département Biologie végétale, Faculté des Sciences et techniques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, B.P. 5005, Dakar-Fann (Sénégal) et Observatoire Hommes-Milieux (OHM-Téssékéré), Université Cheikh Anta Diop de Dakar, B.P. 5005, Dakar-Fann (Sénégal).

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Le végétal dans le système agraire de Barani (Burkina Faso) Relationship between the inhabitants of Barani’s village (Burkina Faso) with vegetation in the agrarian system

Jean Louis Yengué et Maude Cochonneau

1 Depuis plus d’un demi-siècle et encore plus aujourd’hui, quand on parle d’agriculture, on pense, entre autres, à la crise alimentaire. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)1, 925 millions de personnes souffraient de la faim en 2010 dont plus de 25 % en Afrique subsaharienne. L’International Food Policy Research Institute (IFPRI, 2012) constate que sur 122 pays en développement étudiés, 50 atteignent un niveau grave sur « l’échelle de la faim », dont le Burkina Faso. L’Institut national d’études démographiques (INED), prévoit que nous serons en 2050 près dix milliards d’individus qu’il faudra nourrir. Cette demande croissante en aliments, accompagnée d’une raréfaction des ressources naturelles, commande de produire plus et durablement. Les avis sont partagés sur les moyens de faire face aux triples défis de la croissance de la production, de la conservation de la biodiversité et de la lutte contre le réchauffement climatique. Certains estiment que la meilleure façon d’atteindre ces objectifs est une augmentation des rendements par unité de surface par l’intensification de l’agriculture afin de générer une réserve de terres (Green et al., 2005 ; Gockowski et Sonwa, 2011). D’autres suggèrent une gestion plus extensive des systèmes agricoles plus gourmande en terres pour atteindre un niveau équivalent de production, mais qui a l’avantage de fournir des niveaux de biodiversité et un impact carbone meilleurs (Perfecto et al., 2005, Schroth et al., 2004). Cette deuxième approche est cependant critiquée pour la médiocrité de ses rendements à l’échelle des cultures individuelles, même s’il est reconnu que la productivité globale du système est améliorée.

2 Cet article s’inscrit dans le programme BIOSOL (Stimulation biologique des sols et gestion socio-économique des agrosystèmes au Burkina Faso) financé par la Région Centre Val de Loire (France) qui souhaite explorer les voies d’un nouveau modèle de production agricole, plus écologique et à haute productivité, moins impactant pour

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l’environnement, économiquement rentable et socialement acceptable. Il a pour but de « promouvoir de nouvelles connaissances innovantes pour lutter contre la pauvreté en rendant les paysans du Sud autonomes et en augmentant les rendements culturaux par l’intensification écologique ». Le projet, qui rassemble de manière inédite sciences biophysiques, humaines et acteurs français et burkinabè de l’aide au développement, s’inscrit dans le souci présent et mondial de « nourrir la planète » de façon durable et d’en réduire les contrastes de pauvreté par l’utilisation de techniques agricoles performantes, endogènes et autocentrées. Il tente ainsi d’apporter une réponse aux défis multiples, régionaux et locaux, du changement climatique en zone sahélo- soudanienne (désertification, perte de fertilité des sols, paupérisation, insuffisance alimentaire, migrations forcées, enclavement…). Dans ce programme, nous posons l’hypothèse que la réussite de toute action d’innovation passe par une connaissance fine des pratiques en place.

3 Cette contribution a donc pour objectif de décrypter un système agraire et de comprendre les logiques d’un terroir, préalable de l’aide pour une agriculture durable. Le territoire d’étude choisi, situé aux confins des zones sahélienne et soudano- sahélienne, est très durement touché par les changements climatiques (accroissement de la violence des précipitations en saison des pluies et intensification et rallongement de la saison sèche) alors même que les activités agricoles, essentiellement autarciques, soumettent les populations au risque de famine. Très difficile d’accès, notamment en saison des pluies, du fait de sa position marginale par rapport aux grands axes de circulation du pays, la commune rurale de Barani est quasiment vierge de toute étude et action de recherches sur ses pratiques agricoles.

Matériel et méthodes

4 Barani est un village d’un peu moins de 4 000 âmes situé au nord-nord-ouest du Burkina Faso à la frontière avec le Mali (Limet, 2011). L’activité principale des Baraniens reste l’agriculture, entre cultures traditionnelles (petit mil, fonio, sorgho, haricot, pois de terre, arachide, sésame, bissap, maïs, etc.) et élevage extensif de bovins (zébus), de caprins (chèvres et moutons) et de volailles (pigeons, pintades et poules). Cette agriculture est fortement tributaire des contraintes climatiques. Barani est situé sur l’isohyète 700 mm, dans un climat soudano-sahélien (Lerebours Pigeonnière et Ménager, 2001) à deux saisons (une saison sèche, une saison des pluies) dont l’alternance dépend du balancement du front intertropical (FIT).

5 Ici, la saison sèche, qui s’étale d’octobre à mai, est caractérisée par des précipitations presque nulles et par un vent chaud qui assèche la région. Toute agriculture est alors impossible, les cultures irriguées n’étant pas pratiquées. A contrario, la saison des pluies de juin à septembre apporte avec elle précipitations et vents humides. C’est la belle saison. Les paysans s’activent dans les champs afin de faire pousser ce qui est, pour la plupart, l’unique source d’alimentation.

6 Afin de comprendre ce système agraire complexe et y caractériser la place du végétal, nous avons mené une série d’enquêtes pendant quatre semaines auprès du groupement des agriculteurs du village qui compte 14 membres. Les entretiens, semi-directifs, se sont déroulés dans les champs selon un guide préalablement préparé. Ils prenaient la forme de longs échanges (une journée par enquêtée) puisque toutes les parcelles de l’agriculteur étaient parcourues à pied.

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7 Durant notre séjour, de nombreux relevés ont également été effectués, aussi bien dans que hors des champs, le mode de vie étant ici lié à l’agriculture et aux pratiques agricoles. Nous avons parcouru les unités d’habitation et noté les nombreux stigmates des champs : greniers, bétail, charrues et autres instruments aratoires, fosses fumières, etc.

8 Au final, pour chaque agriculteur, pour chaque champ, en plus de la connaissance relativement fine des pratiques culturales, nous disposons d’une riche information sur les points suivants : • techniques culturales : préparation du champ et semis, traitement des résidus de récoltes, gestion des indésirables, orientation des sillons, utilisation ou non de la charrue ; • amendement : interactions élevage-agriculture, fosse fumière, engrais chimique ; • rotation des cultures : calendrier agricole, jachère, rotation des cultures ; • typologies des plantes dans le champ : cultures (commerciales et vivrières), végétation non cultivée mais tolérée (herbacée, ligneux), végétation non cultivée et indésirable (ligneux et herbacées) ; • rendements annuels par type de culture ; • informations sur l’agriculteur : nombre de personnes à nourrir, propriété foncière, force de travail au champ.

Résultats et discussion

9 Les agriculteurs que nous avons rencontrés entretiennent un rapport au végétal complexe, loin d’une approche binaire, bon/mauvais, utile/inutile. Dans les champs, les cultures ne s’opposent pas forcément à la végétation spontanée. De même, les cultures ne sont possibles que grâce aux délaissées, trivialement appelées jachères mais qui en réalité revêtent de nombreuses formes.

Les cultures ou « miroirs » de la société

10 Les paysans de Barani ont organisé un système agricole autour de différentes cultures qui constituent la principale source d’approvisionnement du village. Trois types de cultures sont pratiqués dans les champs et chacun a une place particulière dans le système agraire et la société (tabl. 1).

Tableau 1 - Espèces végétales cultivées par les paysans de Barani (hors arbres)

Catégorie Nom courant français Nom scientifique latin

Petit mil Pennistetum glaucum

Sorgho Sorghum bicolor Cultures vivrières Fonio Digitaria exilis

Maïs Zea mays

Cultures « d’agrément » Haricot ou niébé Vigna unguiculata

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Pois de terre Vigna subterranea

Arachide Arachis hypogaea

Sésame Sesamum indicum Cultures de rente Bissap Hibiscus sabdariffa

11 La part la plus importante des espèces cultivées revient aux plantes qui sont la base de l’alimentation locale : trois céréales – le petit mil, le sorgho et le fonio – sont massivement cultivées, le plus souvent en monoculture et un soin particulier y est apporté. Ces graminées rythment la vie dans le village et sont l’une des clés de compréhension de la culture locale.

12 Les récoltes sont entreposées dans les greniers, éléments centraux des unités d’habitation et garants de la survie de la famille. Le mil et le sorgho sont alors prélevés tout au long de l’année pour être vannés puis longuement pilés. La farine obtenue est tamisée afin de la débarrasser du péricarpe des grains. Ces résidus servent à l’alimentation animale, au compost ou entrent dans la composition du banko, le matériau de construction à base de terre. Les différentes farines servent principalement à faire le tô, consommé toute l’année. Il est toujours accompagné d’une sauce faite à base de « plantes d’agrément ».

13 C’est la deuxième catégorie des plantes cultivées aussi appelées plantes de sauce. Elles fournissent l’ingrédient principal de l’accompagnement du tô.

14 Enfin, il existe des espèces cultivées pour leur valeur marchande, ce que Chaléard (1996) appelle le vivrier marchand. Les deux exemples les plus courants sont le sésame et le bissap qui font partie d’une alimentation plus rare ou ponctuelle, que nous qualifions « d’alimentation de loisirs ». Le sésame est transformé en galettes sucrées et le bissap en jus et vendu à l’étalage sur les marchés, à proximité de l’école, du dispensaire, etc.

15 Ces trois types de culture n’ont pas la même place dans la société. Le paysan mettra plus d’énergie à réussir les céréales, garants de la vie. Ensuite, il s’attachera aux cultures de rente pour améliorer son quotidien grâce aux revenus financiers qu’elles procurent. La culture des plantes de sauce sera la moins considérée. Cette hiérarchie se traduit spatialement dans la taille des parcelles. Étant dans un système monocultural extensif, les surfaces les plus grandes correspondent aux cultures les plus consommées (céréales) ou celles qui rapportent des revenus complémentaires (sésame par exemple).

16 Mais des formes de complexification viennent nuancer cette répartition : • D’une part, les associations régénératrices et productives. En cas d’impossibilité de mise en jachère (terroir trop petit, nombre important de personnes à nourrir, etc.) une terre épuisée peut néanmoins être mise en culture. On y sème en association des plantes reconnues, d’après les savoirs locaux, comme moins exigeantes voire régénératrices pour le sol. C’est le cas du sésame. D’autres associations, dans le but de gagner en productivité, sont également pratiquées. C’est le cas notamment de haricot/petit mil ou de haricot/sésame qui, selon les paysans, « ne se gênent pas ». L’inconvénient, toujours selon eux, est que le haricot arrive à maturité plus tôt. Il faut alors prêter une attention plus grande pendant sa récolte afin de ne pas saccager le reste des cultures.

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• D’autre part, la qualité du sol, la microtopographie dans les champs ou d’autres éléments encore plus subtils, peuvent rentrer en jeu. Les bas-fonds présents dans un champ sont précieux puisqu’ils concentrent l’eau de pluie. Ils sont réservés au sorgho, plus exigeant que les autres céréales. Dans la même logique, les points hauts, les tâches stériles, les terres épuisées, les terres tassées par le passage fréquent du bétail, etc. seront réservés aux cultures les moins exigeantes (le sésame par exemple) ou les moins importantes (plantes de sauce).

17 Enfin, l’organisation des champs suit un gradient entre le centre du village et la brousse. Plus la parcelle est proche du village, moins la variété des végétaux cultivée est large. Les parcelles sont souvent consacrées uniquement au petit mil, élément indispensable de l’alimentation. Plus le champ est éloigné du village, plus la gamme des plantes cultivées s’élargit. Nous avons identifié trois catégories de champs avec comme élément discriminant la distance au centre du village, une répartition spatiale des productions agricoles renvoyant ici à la théorie de Von Thünen qui repose sur des principes d’optimisation et d’équilibre (Baron, 1993) : • les champs les plus éloignés, les champs de brousse : ils sont caractérisés par un apport de fumure moindre, une large gamme de végétaux cultivés et enfin par une mise en jachère quasi systématique ; • les champs proches du village, les champs de case : les paysans n’y cultivent quasiment que du mil, sous surveillance rapprochée. L’apport en fumure y est systématique et la mise en jachère absente. Ces champs sont légèrement plus petits que la moyenne ; • entre ces deux extrêmes se trouve un ensemble de champs moyennement éloignés dans lesquels le panel de végétaux cultivés est moins varié que dans la première catégorie et amendé de manière moins systématique. Ce sont les champs de l’entre-deux.

18 À l’opposé de cette végétation plantée et entretenue se situe la jachère qui paraît moins organisée, plus sauvage mais qui constitue néanmoins un élément essentiel du terroir villageois.

La jachère aux formes multiples

19 Après plusieurs années consécutives de culture, la terre se fatigue et « trahit », comme disent les paysans de Barani. Les rendements ne sont plus au rendez-vous. Il est alors temps de la laisser au repos. Malgré tout, la jachère n’est pas unique et chaque paysan a ses propres méthodes et fréquences comme l’ont déjà souligné de nombreux auteurs (Nkamleu, 1999 ; Floret et Pontanier, 2001 ; Guengant et al., 2006). Mais à Barani, les combinaisons sont subtiles. Le repos dure entre un et 10 ans avec une plus grande fréquence d’un à deux ans. Les jachères présentent donc plusieurs formes en fonction des raisons de la mise en repos.

20 Les plus petits propriétaires terriens ne pratiquent pas ou peu le repos du sol car le manque de terre rend la jachère impossible.

21 Quand les moyens matériels (charrues, animaux de traction, semences) ou humains (maladie, exode rural) viennent à manquer, le travail des champs devient difficile. Alors des stratégies combinant la quantité d’eau tombée, la qualité du sol, les forces de travail se mettent en place pour estimer la bonne surface à exploiter. Les agriculteurs ne peuvent pas se permettre d’engager du temps, des semences et parfois de l’argent pour des cultures qui ont de fortes chances de ne pas aboutir. Ils en profitent donc pour laisser des parcelles au repos. C’est ce que nous appelons : la jachère contrainte.

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22 Dans d’autres cas encore, la jachère est maintenue pour les produits qu’elle procure : le fourrage pour les animaux, les fruits et baies sauvages pour améliorer le quotidien, le bois pour la construction ou pour la confection des manches d’outils, les feuilles et autres écorces pour la pharmacopée, etc. C’est bien la fourniture de ces produits qui est le motif premier du maintien de la jachère, bien avant la régénération du sol. C’est ce que nous qualifions de jachère utile.

23 Certaines parties du terroir sont totalement délaissées. La culture ne pourrait à nouveau y être pratiquée qu’au prix de profonds changements dans les pratiques, notamment les abords des parcours de transhumance à la terre tassée due au passage répété des animaux. Ces parties du terroir sont abandonnées faute de pouvoir les exploiter. Elles sont donc laissées à la dynamique spontanée de la végétation. Ce sont des jachères d’abandon.

24 Enfin, et ce n’est pas la jachère la plus pratiquée à Barani, il existe la jachère choisie ou encore la jachère pour la régénération du sol, bien décrite par Floret (2000). À Barani, la durée de cette jachère ne peut être très longue à cause, entre autres, de la pression sociale. Le long repos attire la convoitise des voisins. Le propriétaire s’astreint donc à une culture permanente ou à réduire la durée de sa jachère pour ne pas être obligé de prêter ses terres. En effet, il est fréquent d’être sollicité par les voisins « lorsqu’on peut se payer le luxe de laisser ses terres sans cultures ».

25 Sur le plan spatial, les jachères les plus anciennes (plus de 10 ans) et les plus grandes en superficie vont se retrouver les plus éloignées du village. Il s’agit le plus souvent des jachères utiles. Au fur et à mesure qu’on se rapproche du village, les jachères seront de courte durée (jachères contraintes). Les champs de cases quant à eux seront exploités sans repos. Non seulement ce sont les plus faciles à cultiver puisque les distances à parcourir sont courtes, mais en plus ils bénéficient souvent d’un traitement « de faveur » comme un amendement supérieur par exemple. Seules les jachères d’abandon vont se retrouver sur tout le terroir et constituer les éléments unificateurs, avec les plantes spontanées.

Les plantes spontanées, paradoxe entre rejet et usage

26 L’ensemble du terroir est nervuré par des plantes non directement semées par les paysans mais qui participent totalement au système agraire. Elles sont à la fois considérées comme des plantes envahissantes et gênantes ou alors comme des alliées à la culture.

27 La saison des pluies est propice à la croissance des cultures semées comme à celles des plantes spontanées et des « mauvaises » herbes. Tous les paysans désherbent leurs champs, d’abord avant de semer et ensuite une à quatre fois durant la saison des pluies. Pour autant ces mauvaises herbes, qui nécessitent des sarclages répétitifs, ont une utilité. La plupart des paysans les laissent sur le champ après les avoir arrachées en guise de paillage ou de fourrage avec des retombées directes pour les cultures.

28 Les paysans sont partagés entre l’élimination de ces herbes qui seraient étouffantes pour les cultures et leur utilisation. Une herbe en particulier, la potasse (kata en fulfulde et seguin en dioula) semble être la bête noire des paysans et illustre bien ce dualisme. Cette herbe ralentit très fortement la croissance du mil mais entre dans la composition de la potasse utilisée en cuisine. Plusieurs parades sont développées pour limiter son expansion. Les produits chimiques désherbants sont la solution des plus

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fortunés et celle que tout le monde aimerait mettre en place. Les moins fortunés essaient de s’en débarrasser mécaniquement en arrachant, mais finissent souvent par capituler en mettant en jachère la parcelle atteinte (jachère contrainte).

29 Les plantes spontanées ne sont pas toutes considérées comme des éléments non productifs à éliminer. Certaines, dont les paysans vantent les mérites, sont conservées. C’est le cas de Hyparrhenia hirta (ou Cymbopogon giganteus ou Andropogon giganteus), une graminée qui peut atteindre trois mètres de hauteur et qui pousse spontanément dans les champs. Localement appelée seko, elle a de multiples usages : matériaux de construction, fourrage animal, limitation du drainage et de l’érosion des sols, etc.

30 Parmi les plantes spontanées, tolérées, voire appréciées, celles qui illustrent le mieux la symbiose entre la biodiversité locale, les pratiques sociales et l’activité agricole sont les arbres. Ils tiennent une place particulière dans le système agraire de Barani. On les retrouve dans toute l’Afrique. Pélissier (1980) et Seignobos (1982) les nomment « parcs arborés ». Ils se caractérisent par la présence répétitive de certaines espèces d’arbres qui dominent tout le paysage, une dominance d’autant plus évidente que le parc ne se développe que sur des champs dégagés pour les cultures (Libert, 1990). En effet, une des caractéristiques du parc est l’association couverture arborée/champ. Lahuec (1980) définit le parc comme « l’ensemble des espèces arborées figurant sur le terroir ». C’est un paysage construit par l’homme où l’arbre profite d’une gestion aussi méticuleuse que celle de la terre (Yengué, 2002).

31 Les différentes espèces sont souvent connues pour leurs vertus thérapeutiques, agronomiques, leur signification symbolique, etc. Un paysan disait « plus il y a d’arbres, plus la terre est bonne et plus il y a de pluie ». Les boisements dans les champs ne sont pourtant pas les mêmes. Chaque espace, chaque arbre a un rôle bien particulier (tabl. 2).

Tableau 2 - Espèces d’arbre présentes dans les champs à Barani

Nom Nom latin Caractéristiques Usages agroforestiers français (famille)

Acacia albida ou Grand épineux de savane africaine, Clôtures bois sec, haies - Faidherbia phénologie inversée, racines profondes : vives, ombrage, albida non-concurrence avec les cultures en place. fourrage

Petit arbre ou arbuste épineux à cime - Acacia hockii étalée et ouverte, floraison en début de Fourrage saison sèche.

Arbre épineux atteignant 20 m de haut ; Clôtures bois sec, haies - Acacia nilotica espèce de sols lourds et mal drainés ; vivres, fourrage graines transformées en colle.

Clôtures bois sec, Balanites Petit arbre à feuilles persistantes vert- Balanites fixation des sols, aegyptiaca foncé ; fruits comestibles. fourrage

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Très reconnaissable ; jusqu’à 25 m de Adansonia hauteur ; feuilles utilisées en cuisine et Baobab digitata graines consommées comme bonbon ou en jus.

Jusqu’à 30 à 35 m. Les fruits, comme Khaya Caïlcédrat l’écorce sont utilisés dans la médecine Ombrage senegalensis traditionnelle

Petit arbre épineux à feuilles persistantes Citronnier Citrus limon Ombrage de 3 à 8 m de haut. Citrons.

Bornage, clôtures bois Eucalyptus Arbre à feuilles persistantes, atteignant 12 sec, haies vives, Eucalytpus camaldulensis à 20 m. ombrage, ornemental, reboisement, fourrage.

Brise-vent, clôtures Ziziphus Arbuste buissonnant et épineux ; fruits Jujubier bois sec, haies vives, mauritiana comestibles : les jujubes. ombrage.

Kapokier Bombax Environ 20 m, fût droit, fruits utiles. rouge costatum

Arbre trapu à rameaux épais, pulpe du fruit Vitellaria Karité comestible, amande riche en graisse paradoxa (beurre de karité).

Combretum Arbuste touffu et buissonnant ; 4 à 5 m, Kinkeliba micranthum pyrorésistant.

Brise-vent, engrais, Azadirachta Provenance : Inde ou Iran ; diffusion ombrage fertilisation, Neem indica rapide ; agent de diffusion : chauve-souris. ornemental, restauration des sols.

De 10 à 15 m de haut, très utilisé (feuilles consommées en poudre, fleurs sucées, fruits transformés en jus, graines Néré Parkia biglobosa fermentées pour condiment, etc.) ; traditionnellement protégé, fertilise les sols grâce à ses feuilles caduques.

Palmier Hyphaene Palmier de 12 à 15 m, amandes mangées

doum thebaica crues ou cuites.

Palmier Borassus Palmier atteignant 30 m ; bas-fonds inondés

rônier aethiopum temporairement.

Sclerocarya Arbre moyen ; développement en - Haies vives birrea couronne ; fruits fortement utilisés.

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Tamarindus 10 à 20 m ; croissance lente ; feuilles Tamarin Ombrage indica persistantes ; pulpe utilisée pour jus.

Arbonnier, 2009 ; Maydel, 1990 ; Yengué, 2000

32 Les espèces et les formes de boisement ne se ressemblent pas et chaque champ présente une particularité. Il y a, dans un premier temps, une dualité entre les espèces locales ou en place depuis plusieurs décennies et celles introduites plus récemment. Les espèces endogènes sont rentrées dans les usages locaux (Thiombiano, 2012). C’est le cas du baobab (Adansonia digitata) dont les feuilles sont comestibles (sauce baobab) et du kad (Faidherbia albida) omniprésent dans les champs. Il a un cycle végétatif inversé (couvert de feuilles en saison sèche et dénudé en saison de pluie), ce qui ne gêne pas les cultures et fournit du fourrage aux animaux en période de soudure. Ainsi, il attire le bétail dans les champs pendant la morte-saison participant par ses déjections à l’amendement. On peut aussi citer le karité (Vitellaria paradoxa) utilisé notamment par les femmes pour produire le beurre de karité extrait de ses noix.

33 L’arbre possède également différents usages comme celui de brise-vent, d’ombre pour le repos des hommes et des animaux, fourniture de perches, de fruits, et autre produits utilisés dans la pharmacopée locale, etc.

34 Malgré tout, certains arbres ne sont pas les bienvenus dans les champs. Sclerocarya birrea par exemple est accusé d’empêcher le bon développement des cultures à ses pieds et entraîne une baisse des rendements. Le palmier doum (Hyphaene thebaica) serait, selon certains paysans, assez néfaste pour les cultures. Certains épineux acidifient le sol et donc altèrent les cultures. Le kapokier rouge (Bombax costatum), quant à lui, est parfois considéré comme ayant une relation saine avec les cultures alors que d’autres diront qu’il augmente la présence de potasse. Ils sont néanmoins conservés du fait de leur poids symbolique, de l’interdiction d’abattage des services municipaux ou tout simplement du manque d’outillage adapté.

35 Les espèces nouvellement introduites le neem (Azadirachta indica) et l’eucalyptus (Eucaluptus camaldulensis) bien en place dans les villages et le long des routes ont moins bien trouvé leur place dans les champs. Ils ont été imposés dès les années 1970 par l’administration pour lutter contre « l’avancée du désert ». Aujourd’hui, les paysans n’en veulent plus car, sous ces arbres, les cultures poussent mal, ce qui est également constaté sur d’autres terroirs en Afrique (Tchawa et Tsayem-Demaze, 2002).

*

36 L’agriculture à Barani est fondée sur quelques cultures dont la plus importante est le mil. Le choix des cultures et leur répartition sont faits avec une extrême minutie. Ces cultures sont tributaires de la végétation spontanée, aussi bien celle des champs qui bénéficie du soin apporté aux cultures, que celle des délaissées à la dynamique plus sauvage. Cette végétation, au cœur du système agraire, est le fruit d’un subtil équilibre entre les contraintes environnementales qui impriment la trame de fond du capital végétal (le climat, les précipitations et le type de sol ne permettent que des végétaux adaptés aux conditions soudano-sahéliennes), les besoins et les moyens des populations, le tout guidé par les habitudes culturelles. La prise en compte de ces

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dernières doit être au cœur de tout projet d’accompagnement vers de nouvelles pratiques agricoles.

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NOTES

1. . http://www.fao.org/news/story/fr/item/45232/icode/ (consulté le 22 juillet 2016).

RÉSUMÉS

Cette contribution souhaite décrypter le système agraire de Barani, un village enclavé du Burkina Faso à la frontière malienne. Une série d’entretiens avec le groupement d’agriculteurs et plusieurs relevés font ressortir une complexité dans le rapport au végétal, loin d’une approche binaire, bon/mauvais, utile/inutile. Ici, l’agriculture est fondée sur quelques cultures dont la plus importante est celle du mil. Le choix de ces cultures et leur répartition sont faits avec une extrême minutie. Elles sont tributaires de la végétation spontanée, aussi bien celle des champs qui bénéficie du soin apporté aux cultures, que celle des délaissées à la dynamique plus sauvage. Cette végétation, au cœur du système agraire, est le fruit d’un subtil équilibre entre les

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contraintes environnementales qui impriment la trame de fond du capital végétal, les besoins et les moyens des populations, le tout guidé par les habitudes culturelles.

This contribution (a research program supported by the Région Centre, France) aims to decrypt the relationship between the inhabitants of Barani, a landlocked Burkina Faso’s village on the border with Mali, and vegetation. A series of interviews with farmers and field surveys reveal a complex relationship to plants, away from a binary approach, good/bad, useful/useless. Barani’s agriculture is based on a few crops, the most important being millet. The choice of these crops and their distribution are done with extreme care. They are dependent on spontaneous vegetation, for the fields where a special attention is drawn to the crops as well as the wilder areas. This vegetation, at the heart of the agrarian system, is the result of a subtle balance between the environmental constraints, the needs and resources of people, all guided by cultural habits.

INDEX

Mots-clés : Burkina Faso, jachère, parc arboré, système agraire, agriculture, Sahel, Afrique de l’Ouest Keywords : Burkina Faso, fallow, wooded park, agrarian system, agriculture, Sahel, Western Africa

AUTEURS

JEAN LOUIS YENGUÉ Maître de conférences HDR, UMR CITERES 7324, 33 allée Ferdinand de Lesseps, BP 60449, 37204 Tours Cedex 3 ; Université de Tours, UFR Droit, Sciences économiques et sociales, Département de Géographie, BP 0607, 37206 Tours Cedex 3 ; mél : [email protected]

MAUDE COCHONNEAU Master II Environnement, Territoire, Paysage, Université de Tours, UFR Droit, Sciences économiques et sociales, BP 0607, 37206 Tours Cedex 3, mél : [email protected]

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L’ouest forestier ivoirien : enjeux et problèmes d’une zone grise West Ivorian forest, stakes and problems of a grey zone

Bertin G. Kadet

Introduction

1 Les territoires faisant l’objet de la présente étude sont constitués du District des Montagnes comprenant notamment les régions administratives de Tonkpi (Man), Guémon (Duékoué) et Cavally (Guiglo)1. À l’intérieur des terres ivoiriennes, ces territoires sont limités par les régions de Bafing (Touba) au nord, Worodougou (Séguéla) au nord-est, Haut-Sassandra (Daloa) et Nawa (Soubré) à l’est, enfin San Pedro (San Pedro) au sud. L’extrême ouest de l’ensemble ainsi délimité représente la frontière que la Côte d’Ivoire partage avec le Liberia et la Guinée.

2 À la fin des années 1980, l’Ouest ivoirien est devenu le théâtre d’un cycle de violences armées dont les effets destructeurs sur les populations et leurs environnements ont été accentués par la crise militaro-politique ivoirienne (2002-2011). Des bandes armées y occupent des forêts protégées de l’État, et règnent comme en territoire conquis, au mépris de la loi. La persistance de la violence qui sévit continuellement dans cette zone est certainement en rapport avec ses potentialités économiques susceptibles d’en faire une véritable locomotive du développement national.

3 Du fait des contradictions conflictuelles qui y règnent, la situation de l’Ouest ivoirien ressemble à divers degrés, à celle rapportée par les travaux de recherche.

4 Dans la littérature scientifique, la « zone grise » est une zone de violence et de non- droit. Ainsi, pour Rufin (2001), il s’agit d’une zone d’anarchie s’opposant à l’ordre établi. Gaïdz Minassian qui a conceptualisé ce type d’espace sous l’expression de « zones grises », le définit comme un espace de dérégulation sociale, de nature politique ou socio-économique, […] où les institutions centrales ne parviennent pas à affirmer leur domination, laquelle est assurée par des micro-autorités alternatives. (Gaïdz Minassian, 2011 : 11)

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5 Philippe Boulanger abonde dans une perspective similaire, affirmant que « les zones grises sont des zones de non-droit, d’absence ou de faiblesse de l’État sur tout le territoire national ou sur une partie » (Boulanger, 2015 : 148). Pour cet auteur, le dynamisme des zones grises est lié à la mondialisation des échanges. Cependant, d’autres approches plus sociales soutiennent que la zone grise est un territoire où des populations sont en danger (Gayraud, 2005). Au final, toutes ces approches montrent que la zone grise est un espace qui évolue en marge des normes étatiques officielles, et dans lequel la violence est le mode d’expression dominant des acteurs.

6 L’intérêt porté par la communauté scientifique à la question de la violence armée, nécessite que des réflexions spécifiques soient menées, pouvant contribuer à infléchir les politiques publiques à l’échelle des pays, et ce, au-delà des réponses globales. C’est l’intérêt de la présente étude qui s’interroge sur les enjeux et les problèmes de l’Ouest forestier ivoirien. Par définition, un enjeu, c’est ce que l’on risque de gagner ou de perdre dans une compétition, alors qu’un problème est un obstacle ou une difficulté qui se dresse sur une voie à franchir. Concernant cette étude, l’enjeu régional est celui du développement économique et social. Or, la région en objet est marquée par des affrontements armés depuis plusieurs années, une situation qui risque de compromettre le développement si des solutions durables ne sont pas apportées.

7 La question de recherche porte sur les fondements des tensions sociales persistantes et des conflits armés ayant trouvé un terreau fertile dans cette partie du territoire ivoirien depuis 1990. Très clairement, il s’agit d’identifier les causes des conflits armés récurrents affectant un espace régional, pourtant doté d’immenses ressources économiques. Aussi, dans un contexte de sortie de crise, un processus de réconciliation nationale est engagé dans le pays mais, les violences armées ne finissent pas de détériorer l’environnement régional. Quels sont les enjeux et les problèmes de cette région qui est à la fois un territoire convoité et inquiétant ?

8 Depuis quelques années, des sociétés multinationales investissent dans les mines de manganèse, de fer et de nickel de l’Ouest, notamment les sociétés Tata Steel (indienne), Valleymist (britannique), Sama Nickel (canadienne) et China Geological and Mining Corporation (CGM). Paradoxalement, en juin 2012, une attaque menée par des bandes armées dans la localité de Taï a causé la mort de plusieurs civils, ainsi que celle de soldats de l’Opération des Nations unies pour la Côte d’Ivoire (ONUCI) en charge de la sécurité dans la zone. En février 2014 et en janvier 2015, la localité de Grabo, au sud de Taï, a encore fait l’objet d’autres attaques de bandes armées, faisant des victimes parmi les civils et les forces de sécurité ivoiriennes.

9 Cette contribution exploite les études réalisées sur les zones grises en général, notamment les publications actualisées sur la géographie des conflits dans le monde. Elle utilise également les travaux de recherche portant sur la Côte d’Ivoire, ainsi que les récentes décisions gouvernementales en matière de réformes institutionnelles du pays et enfin les données disponibles sur l’Ouest forestier ivoirien. La présentation est structurée en trois parties. Tout d’abord, l’analyse campe les fondements de l’essor économique de l’Ouest ivoirien. Ensuite, elle souligne le poids des différents conflits armés ayant contribué à la dégradation de l’environnement social et sécuritaire local. Enfin, l’exposé propose des mesures, en vue du renforcement de la sécurité et de la cohésion régionale.

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Les fondements de l’essor économique régional

10 L’Ouest ivoirien dispose d’importantes ressources forestières, indispensables pour la préservation de la biodiversité, la promotion du tourisme et la recherche scientifique. En outre, l’exploitation du potentiel agricole est loin d’être intensifiée, et les ressources minières du sous-sol régional sont dans une phase d’exploration, d’où l’importance des enjeux économiques de cette région.

Un enjeu environnemental, touristique et scientifique menacé

11 Dans le débat stratégique mondial, la question environnementale demeure une préoccupation permanente de la communauté internationale, due aux menaces multiformes affectant les espaces naturels. Dans cette perspective, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), créé en 1988 par l’ONU, a mis en évidence les conséquences du dérèglement climatique en Afrique, montrant que le réchauffement climatique sur ce continent, provoquera une aggravation de la sous- alimentation, à l’horizon 2050 (GIEC, nov. 2014). Cette situation expose les populations africaines à la précarité, dans la mesure où, d’après le 5e rapport du GIEC, plus de 350 millions d’Africains manqueront d’eau, sans compter la malnutrition et une augmentation du nombre de décès. L’une des conséquences du réchauffement climatique en Afrique, est son impact sur les conflits armés et sur les flux migratoires, dus à la concurrence exercée sur les ressources naturelles (Rivoal, 2015 : 22-24 ; Cournil, 2015 : 13-30). Au regard de cette évolution, l’existence d’un important couvert forestier dans l’Ouest ivoirien revêt un intérêt particulier pour la Côte d’Ivoire et la sous-région ouest-africaine.

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Figure 1 - Les principales ressources minières de l’Ouest ivoirien

Source : Atta K., Atlas de l’Ouest de la côte d’Ivoire, 1996 : 59

12 En effet, cette partie du territoire ivoirien est l’une des plus vastes du pays, représentant la troisième entité par son étendue (30 750 km2), soit 9,53 %, après la région des Savanes (12,53 %) et celle du Zanzan (11,82 %). C’est aussi la deuxième région la plus peuplée, avec 9,40 % de la population nationale, devant le Bas-Sassandra (9,07 %) et la région de Bouaké (7,03 %). En revanche, elle est loin derrière la région des Lagunes (Abidjan) qui regroupe à elle seule 24,29 % de la population ivoirienne (Institut national de la statistique – INS, 1998). Ce patrimoine forestier prédispose l’Ouest ivoirien à un avenir environnemental de premier plan, en Afrique de l’Ouest, grâce notamment à 17 forêts classées, quatre parcs nationaux et divers massifs forestiers protégés. Ces espaces abritent une faune abondante et diversifiée, incluant plus de 50 espèces de grands mammifères, d’oiseaux et de reptiles. Les représentants les plus remarquables sont l’éléphant (Loxdonta africana cyclotes), le buffle (Syncetus caffer nanus), le léopard (Panthera pardus), les céphalophes et les singes (Chaléard, 1996 : 127). Ces espèces participent à la préservation de l’écosystème ouest-africain, et les parcs constituent des endroits privilégiés pour la recherche scientifique. Par rapport à la configuration morphologique du territoire ivoirien, nous sommes ici dans une région de hautes terres dont la particularité physique est la présence des reliefs les plus vigoureux du pays. Un relief accidenté qui lui vaut le qualificatif de région des montagnes. L’originalité du relief montagneux et la variété de la végétation répartie en secteurs ombrophile et mésophile, lui confèrent une vocation touristique.

13 La morphologie du paysage naturel demeure cependant une source de difficultés et de problèmes. Les difficultés résident dans la faiblesse des liaisons interrégionales, et aussi avec le reste du pays. Les possibilités réduites pour l’implantation de grands blocs de cultures industrielles y constituent des obstacles à la mécanisation. Le mauvais état des

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routes aggrave la situation des populations, rendant difficile voire aléatoire, en saison des pluies, l’accès aux équipements et aux services sociaux divers. Il y a un sentiment d’isolement physique chez les populations de cette région qui souffre d’une absence de contrôle et de maîtrise, à cause de son enclavement prononcé. Cette situation en fait un terrain propice à la multiplication des bandes armées, qui y ont trouvé un terreau fertile depuis les conflits du Liberia et de la Sierra Leone. À cela, s’ajoutent la porosité des frontières libériennes et guinéennes et les difficultés de communication. C’est ce qui explique que la rébellion ivoirienne (2002-2011) y a causé le plus grand nombre de victimes et de dégâts, faisant de l’Ouest ivoirien une zone de tensions sociales permanentes.

14 Depuis 1970, ces forêts font l’objet d’occupations illicites et d’agressions, si bien qu’elles sont menacées de disparition. Ces tendances se sont accélérées avec les conflits armés du Liberia (1989) et la rébellion ivoirienne (2002). Parmi les occupants clandestins figurent des ex-combattants d’origine ouest-africaine, notamment des ressortissants burkinabès. Des pans entiers de forêt, y compris les parcs et les forêts classées, sont illégalement occupés, servant de zone de cultures de cacao, de café ou d’hévéa. Les espaces sauvages protégés ont tellement diminué qu’ils sont menacés de disparition à terme. C’est ce qui ressort de l’étude de Chaléard, qui fait remarquer que : Telle forêt de belle apparence vue d’une piste ou d’une route apparaît trouée de plantations dès qu’on pénètre à l’intérieur. La forêt de Taï, classée patrimoine de l’humanité par l’Unesco, vue de satellite, est constellée de taches correspondant aux défrichements des agriculteurs. (Chaléard, 1996 :123)

15 Ces occupations illicites du patrimoine forestier exposent cette région à des affrontements armés récurrents.

Le potentiel agricole

16 L’Ouest ivoirien offre un éventail de potentialités agricoles. Au fil du temps, l’agriculture de plantation a succédé à une économie de cueillette imposée par la nature. Le système colonial y a d’abord développé une économie de cueillette, au début du XXe siècle. Des rapports d’administrateurs coloniaux du Cercle de Man révèlent qu’entre 1920 et 1940, l’exploitation du caoutchouc naturel et de cola était généralisée dans cette zone (Côte d’Ivoire, 1921). Des sociétés capitalistes exploitaient plusieurs variétés de lianes à latex (Funtumia elastica, Liano landolphia) présentes dans les forêts environnantes. À cette époque, une unité industrielle de traitement de caoutchouc, appartenant à la société française Michelin, était installée à Zagoreta, près de Daloa. La présence de cette unité industrielle stimulait la production locale. La région produisait également le cola, un produit dont l’arbre pousse à profusion dans la forêt. La production du Cercle de Man, 350 tonnes, provenait en majorité (57 %) de la zone de Guiglo (Côte d’Ivoire, op. cit.). L’économie de cueillette a ensuite évolué vers une économie de plantation, d’abord grâce à la modernisation de l’hévéaculture, ensuite avec la culture du cacao, du café, et l’exploitation du bois. Concernant ce dernier, les variétés acajou, avodiré, azobé et framiré sont à la base de l’essor économique relatif de la Côte d’Ivoire moderne.

17 Outre l’agriculture de plantation, les cultures vivrières y occupent une place prépondérante. Elles sont présentes sur toutes les exploitations de la région. Les plantes les plus cultivées sont la banane plantain, le manioc, l’igname, le maïs, le riz et les légumes. L’activité agricole d’autosubsistance, traditionnellement pratiquée par les

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populations locales, a également évolué avec le développement de l’urbanisation ayant fait accroître les besoins des citadins. C’est ce qu’affirme une étude consacrée au lien entre les villes et les campagnes (Chaléard, op. cit.). Cette étude qui s’est intéressée au Sud forestier ivoirien, conclut que la région Ouest baigne dans un environnement caractérisé par des excédents agricoles. Bien que les cultures d’exportation y exercent une souveraineté écrasante sur la vie rurale, occupant plus de la moitié des superficies cultivées, les cultures vivrières ne sont pas négligées pour autant. À l’Ouest précisément, elles représentent plus de la moitié des surfaces cultivées, avec une prédominance des céréales par rapport aux féculents. Cette étude met en lumière le dynamisme agricole des départements administratifs de cette région, notant que la production dépasse 3 000 calories par habitant agricole, soit plus que le minimum vital. C’est ce qui fait dire à Chaléard (op. cit.) que le dynamisme agricole de l’Ouest ivoirien est le grenier du pays. Cette évolution démontre que le développement de cette région s’inscrit dans la vision stratégique mondiale, faisant des questions agricoles et alimentaires, un axe majeur de la géostratégie mondiale, telle que présentée par certaines études (Abis et Blanc, 2015 : 12- 16).

18 Enfin, l’Ouest ivoirien présente un cursus économique qui remonte à la colonisation. En atteste le passage d’une agriculture de cueillette à une agriculture de plantation intégrée à l’économie mondiale. Un tel destin nécessite que cette région soit sécurisée. Cependant, des inquiétudes pèsent sur les dynamiques foncières locales, dues aux affrontements armés incessants dans l’Ouest du pays. Depuis la fin des années 1990, les territoires ruraux de cette région sont devenus une préoccupation géopolitique, les Ivoiriens et les Burkinabès se disputant les terres arables (Nations unies, 2015 : 41)

Une province minière

19 La région est une province minière, à l’échelle nationale, renfermant d’importants gisements de fer dans le Mont Klahoyo, le Mont Gao et le Mont Nimba, à Man. Le potentiel productif de ces trois gisements est évalué à trois milliards de tonnes. S’ajoutent le nickel latéritique de Sipilou estimé à 205 millions de tonnes et la mine d’or d’Ity en exploitation (fig. 1). Le sous-sol régional recèle également du cuivre et du nickel à platinoïdes dans la zone de Samapleu à Biankouma, ainsi que d’autres minerais tels que la bauxite, le tungstène, la tantalite, le cobalt, l’étain et des pierres ornementales. Depuis 2000, plusieurs sociétés multinationales s’intéressent à ces minerais. Ainsi en est-il des sociétés, indienne Tata Steel, britannique Valleymist, canadienne Sama Nickel et chinoise China Geological and Mining Corporation (CGM). Toutes ces entreprises ont engagé des activités d’exploration dans la région. C’est le cas notamment de la société Tata Steel qui a investi 25 millions de dollars dans le programme d’exploration minière, pour un investissement global évalué à 2 milliards de dollars (Mieu, 2013). Les coûts des investissements nécessaires à l’exploitation de ces ressources dépassent les possibilités de l’État ivoirien engagé sur plusieurs fronts. Bien que la participation de l’État soit indispensable, sa part contributive sera toujours inférieure à celle des grandes multinationales. C’est ce qui ressort de la répartition du capital détenu en majorité (75 %) par l’indienne Tata Steel, le reste des parts étant réparti entre l’État et la Société de développement des mines (Sodemi). C’est le même constat concernant l’exploitation du cuivre et du nickel de la zone de Biankouma. La société canadienne Sama Nickel Corporation détient 100 % du capital jusqu’à la fin des études de faisabilité et, à la phase d’exploitation, sa part pourra s’établir à 60 %, la

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Sodemi et l’État auraient alors respectivement 30 % et 10 %. Le choix du mode d’évacuation du minerai par le chemin de fer, adopté par les opérateurs économiques, permettra d’ouvrir cette région à plusieurs possibilités de développement. Ainsi, le chemin de fer pourrait intégrer une stratégie globale de structuration de l’espace, contrairement aux logiques antérieures d’aménagement du territoire ivoirien (Chaléard, Dagnogo et Ninot, 2012).

L’impact des conflits armés régionaux

20 L’environnement régional a servi de théâtre à plusieurs conflits intra-étatiques. Les conséquences de ces conflits continuent d’y affecter la sécurité locale.

Conflits armés régionaux et rébellion ivoirienne

21 Cette région est victime des conflits armés de l’Afrique de l’Ouest depuis les années 1990. Les guerres civiles du Liberia (1990-1996), celle de la Sierra Leone (1991-2001) et le long conflit ivoirien (2002-2011), y ont durablement affecté la sécurité. Tout d’abord, la guerre du Liberia a provoqué un exode massif de populations civiles et militaires originaires de cet État frontalier, vers la Côte d’Ivoire. Le président Samuel Doe, un des protagonistes dans la crise libérienne, membre du groupe socioculturel Krahn, cousin libérien des populations Wè de Côte d’Ivoire, est opposé à Charles Taylor qui, lui, est originaire du groupe Gio. Les persécutions menées par les partisans de Taylor contre les Krahn, obligent alors ces derniers à se réfugier en territoire Wè, précisément dans les localités dépendant des départements de Toulepleu, Bloléquin, Guiglo et Duékoué. Alors que les réfugiés libériens et sierra-léonais affluaient vers la Côte d’Ivoire, leurs chefs, Charles Taylor (Liberia), Foday Sankho et Sam Boukary (Sierra Leone) y vivaient aussi, sous la protection du gouvernement ivoirien de cette période. En 1992, le quartier Nicla, dans le centre urbain de Guiglo, était essentiellement peuplé de réfugiés libériens dont la plupart intégrés aux natifs Wè, ne sont jamais retournés au Liberia.

22 En septembre 2002, la Côte d’Ivoire devient à son tour le théâtre d’un conflit armé préparé depuis le Burkina Faso. Dans le cadre du règlement de cette crise, un premier cessez-le-feu intervient le 16 octobre 2002, ouvrant des perspectives de négociations à Lomé (Togo). À la veille de ces négociations, la rébellion ivoirienne multiplie ses bases, afin de pouvoir disposer de plusieurs représentants à ces négociations. Ainsi, à côté du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) dirigé par Guillaume Soro, deux autres milices de mercenaires, dont le champ opérationnel est précisément l’Ouest forestier, apparaissent : le Mouvement pour la justice et la paix (MJP) du commandant Deli Gaspard et le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) de N’Guessan Saint Clair, alias Félix Doh. Ces mouvements rebelles lancent des attaques dans la région et y occupent les principales villes, malgré la présence d’une force d’interposition française. Les localités de Kouibly et Facobly (département de Man), Zouan-Hounien (département de Danané) sont annexées par ces milices. De même, Toulépleu, à la frontière libérienne (28 novembre 2002), Bloléquin (4 décembre 2002), Bangolo et le nord de Duékoué (20 décembre 2002) deviennent les bastions des bandes armées. Dans leur progression à partir de Bloléquin, elles arrivent à Bédi-Goazon, localité située à 25 km de Guiglo, dernier verrou avant d’atteindre la ville-carrefour de Duékoué, à 30 km de là, pour ensuite, faire la jonction avec Man, achevant ainsi la prise

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de tout l’Ouest. Les déplacés affluant des zones occupées, apportent les témoignages des atrocités et des massacres qui s’y déroulent : tueries massives, viols, éventrements de femmes enceintes, amputations de membres, pillages suivis d’incendies des habitations, qui sont les méthodes d’extermination de Foday Sankho et de Sam Boukary, pendant le conflit sierra-léonais (Souaré, 2007). Dans les zones attaquées, les milices du MPCI et leurs alliés se heurtent d’abord aux Krahn libériens installés dans les zones frontalières, ayant fui les persécutions des hommes de Charles Taylor. Ensuite les jeunes natifs de Toulepleu, Bloléquin, Guiglo et Duékoué s’organisent en groupes d’autodéfense, pour faire barrage à la coalition des milices du MPCI-MJP-MPIGO. Leurs actions aboutissent, en novembre 2002, à la libération de Bloléquin et Toulépleu (Guiriéoulou, 2012). Toutefois, ces groupes d’autodéfense apparus dans l’Ouest ivoirien en 2002, sont des réactions spontanées en dehors de tout cadre légal, contre les massacres du MPCI (Guillaume Soro), MJP (Deli Gaspard) et MPIGO (N’Guessan Saint Clair alias Félix Doh). Conformément aux accords de paix, le gouvernement ivoirien s’est employé à les désarmer, y compris les autres forces informelles présentes sur le territoire national. Ses efforts ont été partiellement récompensés grâce au désarmement du Front de libération de la région du Grand Ouest (FRGO) à Guiglo le 19 mai 2007, en présence des autorités ivoiriennes et des responsables de l’Opération des Nations unies pour la Côte d’Ivoire (ONUCI). Le suivi de ce désarmement n’ayant pas été fait comme il se doit, ces forces n’ont pas totalement disparu.

La menace du virus de l’Ebola

23 En plus de la violence armée, cette région vit également sous la menace du virus Ebola sévissant dans ses contrées immédiates libériennes et guinéennes. Dans des espaces communs où les frontières entre les États ne sont pas formellement matérialisées, et où la mobilité humaine et animale est difficile à contrôler, les risques de propagation de cette maladie sont réels en Côte d’Ivoire, à partir de cette région. C’est certainement la raison pour laquelle, dès l’apparition du virus Ebola, le gouvernement ivoirien a pris des mesures de fermeture de ses frontières avec les États concernés, refoulant ses propres ressortissants réfugiés au Liberia depuis la crise post-électorale de 2011. Ces exilés amorçaient pourtant un mouvement de retour dans leur pays, afin d’échapper à cette maladie. Les Nations unies ont adopté une résolution appelant les pays de la sous- région à mettre fin à l’isolement imposé aux pays affectés par cette pandémie. En effet, pour acheminer les médicaments et l’aide internationale vers les victimes du virus, les aéroports les plus proches se situent en Côte d’Ivoire. Or, à cause des réticences du gouvernement ivoirien, ce sont les aéroports ghanéens et espagnols qui ont servi de transit aux opérations d’aide et de secours (Abdulaye, 2014 : 3). L’expansion de l’Ebola constitue une hantise dans le pays, surtout dans cette zone de contact. Devant la menace persistante de cette pandémie, des mesures de prévention ont été prises par le gouvernement ivoirien, grâce à l’appui de l’Agence française de développement (AFD) et l’Union européenne. Ces acteurs internationaux ont dégagé pour l’ensemble des districts sanitaires de l’Ouest ivoirien, un appui financier d’un montant de 518 millions de F CFA, soit l’équivalent de 790 000 euros (Kpan, 2014 : 12). Au regard des multiples besoins sanitaires de la population régionale estimée à plus d’un million et demi de personnes, cette aide ne suffit certainement pas mais, elle montre à quel point la sécurité sanitaire est aussi une préoccupation.

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Les pressions exercées sur les espaces protégés

24 Une des conséquences du désordre sécuritaire ayant accaparé cette région, est la disparition des zones protégées. L’effritement progressif du couvert forestier y date des années 1970, suite à la construction du barrage de Kossou sur le fleuve Bandama, dans la région de Yamoussoukro (Centre). Commencés en 1969 dans le cadre du projet d’aménagement du territoire, sous l’Autorité pour la Vallée du Bandama (AVB), les impacts des eaux du barrage ont occasionné l’abandon de plusieurs villages. Les habitants, des agriculteurs pour la plupart, ont migré vers l’ouest et le sud-ouest forestier. Alors qu’environ 3 600 anciens paysans originaires du centre sont reconvertis en pêcheurs sur les eaux du lac ainsi généré, plus de 75 000 autres ont trouvé de nouvelles terres agricoles à l’ouest. Une partie des forêts acquises par les migrants l’ont été grâce à la bienveillance des populations d’accueil. Cependant, certaines acquisitions ont empiété sur les espaces protégés, illégalement défrichés à des fins agricoles. L’Autorité pour l’aménagement de la région du Sud-Ouest (ARSO), un organisme d’État créé en décembre 1969 et chargé de conduire les actions de développement, a réalisé la construction d’un port en eau profonde à San Pedro. Le schéma directeur de cet organisme intégrait l’Ouest ivoirien, en tant que zone d’exploitation forestière et agricole. Dans ce cadre, la culture de cacao, du café et de riz ont connu une extension. En outre, le plan de l’ARSO faisait également de la zone Ouest, une zone d’immigration (RCI, 1970). Dans le prolongement de ce projet, un Plan d’urbanisme directeur de Guiglo élaboré en 1977 prévoyait un développement local basé sur les effets induits des réalisations de l’ARSO. Cette perspective s’est traduite par une dynamique démographique suivie d’équipements infrastructurels, et de l’extension de la ville (Kadet, 1999 : 62). À la suite de différents chantiers, plusieurs milliers de migrants ont accouru vers les zones forestières de l’Ouest, où des villages destinés aux travailleurs sont apparus. La plupart des nouveaux arrivants, ivoiriens ou non ivoiriens, y ont développé des plantations de cacaoyers ou d’hévéa, empiétant sur les espaces forestiers protégés.

25 Les conflits armés des décennies précédentes ont accéléré les mouvements d’occupation illicite des espaces protégés qui existaient déjà. Durant la guerre de rébellion ivoirienne (2002-2010), plusieurs milliers de Burkinabès ont envahi les forêts classées de Man, Bangolo, Duékoué, Guiglo, Taï, Blolequin et Toulepleu. Ils y ont développé des plantations de cacaoyers, souvent sous le regard impuissant de l’autorité publique. Le Parc national du Mont Péko situé entre Duékoué et Bangolo, longtemps assiégé par le chef de guerre d’origine burkinabè, Rémi Amandé Ouedraogo et ses combattants, est devenu une zone de production de cacao. Jadis réputé pour la diversité de sa faune et ses espèces végétales, ce parc est morcelé et vendu par des prédateurs fonciers illégaux. Lorsque le gouvernement annonce le déguerpissement des occupants illégaux, ces derniers s’organisent en association de résistance, le Conseil représentatif des occupants du Mont Péko (CROMP), une structure dont les premiers soutiens se trouvent dans les instances dirigeantes de l’État (Naismon, 2014 : 3). Dans ces conditions, pourquoi s’étonner lorsque la zone du Mont Péko abrite des ports secs, dans les localités de Tabli-dabli, Ponan, Petit-Guiglo, Canada, Diebli, Gogozagnan ? Dans ces endroits, des cargaisons de cacao transitent, et un véritable commerce se développe autour de ce produit de rente. Cette situation contribue à perpétuer une économie parallèle dénoncée dans les rapports des Nations unies (Nations unies, 2015 : 41). Des barrages illégaux foisonnent dans le périmètre du parc, où des hommes en armes

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organisent le racket des producteurs, dans l’indifférence des officiels ivoiriens (Gueu, 2014 : 10). L’indifférence des autorités officielles face à la prédation, constitue un facteur aggravant de diminution du couvert forestier national qui, de 16 millions d’hectares en 1963, est passée à moins de deux millions d’hectares en 2014.

26 Finalement, la région se trouve dans une fragilité sécuritaire caractérisée par des conflits armés et par la hantise du virus Ebola déclaré sur son flanc occidental. Les prédations foncières s’y organisent sous le regard des pouvoirs publics officiels, ce qui ajoute au climat d’insécurité. Fatalement, dans ce contexte d’amenuisement du couvert forestier local, la course pour l’accès aux terres arables est certainement à l’origine des crispations et des déflagrations, dans l’environnement régional. Que faire pour mettre un terme à l’atmosphère conflictuelle, et permettre à cette région de retrouver durablement la paix et la sécurité ? C’est l’objet de la partie suivante.

Renforcer la sécurité régionale

27 Afin d’impulser une dynamique de développement, des mesures politiques doivent être prises, dans le sens d’un renforcement de la présence sécuritaire. Celles-ci doivent conjuguer les intérêts des différents acteurs, à savoir l’État, les investisseurs, les populations résidentes. L’attention des pouvoirs publics doit être portée sur la sécurité régionale, l’exploitation du sous-sol et le foncier rural.

En matière de sécurité, tirer les leçons du passé

28 La région a besoin d’être prise en charge par l’autorité publique. L’histoire de la sécurité locale montre que la présence militaire y a été quasi permanente à l’époque coloniale. Cette situation a maintenu les populations locales dans la peur durant plusieurs années. À partir des postes de Danané (avril 1906), Man (août 1908), l’action coloniale a organisé la mise sous tutelle de cette région selon trois trajectoires. D’abord, l’axe Man-Duékoué a permis la conquête des espaces constitués par l’interfluve Sassandra-Kô-Nzo et celui comprenant les fleuves Nzo et Cavally (frontière libérienne). Ensuite, l’axe Man-Sémien comprend les espaces situés au nord de Man, et enfin l’axe Danané-Toulepleu vise la zone comprise entre le fleuve Cavally et la rivière Nuon. Après la pacification de cette région qui était le dernier bastion colonial, l’administration militaire y est demeurée durant quatre décennies, avant que les civils ne prennent la relève. En témoigne la prise de service à Guiglo, le 6 juin 1946, de Georges Lefèvre premier commandant civil de cette localité. L’autorité militaire a persécuté les populations locales pendant ses années de gloire, si bien que les villages, jadis éparpillés à travers la forêt, ont été contraints au regroupement le long des voies principales (Kadet, op. cit.), abandonnant de vastes étendues de forêts dont la plupart constituent aujourd’hui des zones protégées.

29 À la faveur de la crise militaro-politique de 2002-2011, l’administration militaire a repris ses droits à l’ouest, l’État ayant nommé des préfets militaires (2005) à la tête des principales localités urbaines, pour faire cesser la violence. Bien qu’ayant contribué à calmer les tensions, cette option n’a pas éradiqué la violence dans la région. En outre, les actions de développement dont la région a bénéficié, ont davantage porté sur des promotions administratives et politiques des principaux centres urbains, non sur la réalisation d’infrastructures sociales et sécuritaires d’envergure. En effet, la gestion de

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l’espace était faite selon une logique coloniale d’exploitation. L’économie y reposait sur l’exploitation des produits tropicaux (café, cacao, bois) et des produits de cueillette (caoutchouc naturel, cola) et ce, en réponse à la conjoncture économique du début du XXe siècle. Dans ce contexte de mise en valeur agricole, les villes carrefour (Man, Duékoué, Guiglo) qui étaient des nœuds de commandement, sont passées d’un statut de postes coloniaux à celui de centres administratifs urbains de premier plan, sans pour autant qu’aient été réalisées les infrastructures militaires et sécuritaires adaptées à leurs fonctions régionales respectives. Jusqu’en 2005, ce sont les brigades de gendarmeries, les commissariats de police, les bureaux des douanes, et les bureaux des Eaux et Forêts qui ont fonctionné dans les principales capitales régionales (Man, Duékoué, Guiglo, Danané, Toulepleu), alors que les autres localités urbaines n’en disposent pas. Dans chacune des structures de sécurité, le nombre des agents inférieurs à 10 éléments, ne permet pas de réaliser un travail efficace. Duékoué, Guiglo, Toulepleu, Man, Bangolo ou Danané ne sont ni Région militaire, ni Légion de gendarmerie, alors que leur environnement est constamment exposé à des agressions armées. Pour assurer sa sécurité, cette zone Ouest dépend des unités des forces terrestres et de la gendarmerie de Daloa (Centre-Ouest).

30 Devant cette situation, il faut, évidemment, renforcer la présence sécuritaire, en érigeant des unités militaires et policières de dimension plus importante, en leur donnant les moyens nécessaires. Cependant, la littérature scientifique démontre que le recours à des politiques ultra-sécuritaires n’est pas forcément porteur de stabilité et de sécurité (Minassian, 2011). En exemple, entre 2001 et 2009, le gouvernement français a pris 17 lois sécuritaires consistant à augmenter les effectifs de police, à réorganiser les services de sécurité intérieure. Ces mesures n’ont pas enrayé la violence dans les départements concernés. Au Brésil, le déploiement des militaires dans les bidonvilles de Rio de Janeiro, en 2008, n’a pas fait disparaître les zones grises de cet État fédéral. Au contraire ces mesures renforcent la précarisation et les zones de non droit (Minassian, 2011 : 54).

31 En réalité, ce qui se passe dans l’Ouest ivoirien est la manifestation d’un échec social des États de l’Afrique de l’Ouest, illustré par les différents conflits (conflits libérien et sierra-léonais, rébellion ivoirienne, prédations foncières). Très clairement, plutôt que de promouvoir une politique ultra-sécuritaire, les pouvoirs publics ivoiriens doivent intégrer plus de social dans la gouvernance du pays. Autrement dit, l’Ouest forestier ivoirien a besoin d’infrastructures sociales de base et de formation dans ses localités urbaines et rurales (hôpitaux, école de foresterie, centres de formation technique, grandes écoles), d’infrastructures routières et d’unités industrielles. En outre, l’État doit y encourager des investissements en matière de rénovation de l’habitat aussi bien en zone urbaine et rurale. Afin d’aider les décideurs nationaux dans le choix des localités devant accueillir les différents équipements infrastructurels, les systèmes d’information géographique (SIG) mettent à leur disposition, des informations actualisées. Le rôle et l’importance des SIG dans l’approche spatiale sont mis en évidence par de nombreuses études dont celles de Régnier (2010). D’après cet auteur, le SIG permet de gérer et d’exploiter de manière combinée des informations issues de diverses sources, ce qui permet de mieux appréhender les détails d’un espace (Régnier, 2010 : 177, 181). La Côte d’Ivoire dispose de cette technologie qu’elle peut exploiter pour améliorer la sécurité des populations et des activités économiques.

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La gestion des ressources minières

32 Un aspect du renforcement de la sécurité dans l’espace régional réside dans la transparence de la gestion des ressources minières. L’on sait que les situations conflictuelles observées sur le continent sont la preuve que la répartition des revenus miniers est au cœur des conflits dans les différents pays (Nigeria, République démocratique du Congo, République centrafricaine). Cette situation soulève la question de la réglementation du secteur minier en Côte d’Ivoire. Le pays ambitionne de diversifier ses secteurs économiques grâce à l’exploitation de son sous-sol, longtemps mise en veilleuse au profit de l’agriculture. C’est donc maintenant que les problèmes liés à la redistribution des revenus de l’exploitation du sous-sol vont se poser. Très clairement, l’exploitation des ressources du sous-sol ne doit pas constituer une source de conflit, qui viendrait s’ajouter au climat d’insécurité qui règne déjà. Pour cela, la gestion de ces ressources doit obéir aux règles de bonne gouvernance et de transparence.

33 En 2013, le gouvernement ivoirien a adopté un nouveau code minier (Côte d’Ivoire, 2013b), en réponse à cette problématique. Dans le cadre de cette réforme, la société civile, à travers l’ONG Publiez ce que vous payez (PCQVP), a fait des recommandations pour améliorer le nouveau code minier, au moment de son élaboration. Celles-ci portent sur la publication des contrats miniers, sur l’adhésion de la Côte d’Ivoire aux principes de l’Initiative de transparence des industries extractives (ITIE) et du Processus de Kimberley. La coalition PCQVP propose, également, la création d’un Fonds des générations futures, ainsi que l’indemnisation des populations riveraines. Au final, le nouveau code minier n’a pas retenu la publication des permis et des titres. Cependant, certaines recommandations ont été prises en compte, telle que l’interdiction de l’utilisation des enfants dans les mines, le respect et les exigences de l’ITIE, l’obligation accordée aux sociétés minières de déclarer toutes informations concernant les paiements qu’elles font à l’État, y compris les réalisations sociales.

34 À l’inverse, le nouveau code minier, dont l’objectif premier est d’attirer les investisseurs extérieurs, accorde des avantages importants à ces derniers. En exemple, alors que l’ancien code minier exigeait du titulaire d’un permis d’exploitation, le paiement d’une taxe sur le profit additionnel (Côte d’Ivoire, 1995), le nouveau code supprime cette taxe. En outre, la durée maximale d’un permis minier passe de dix ans (ancien code) à douze ans (nouveau code). Sous l’ancien code, le permis de recherche avait une durée initiale de trois ans renouvelable deux fois, chaque fois de deux ans. Un renouvellement exceptionnel de trois ans pouvait être accordé, ce qui donne une durée maximale de dix ans pour un permis. Avec le nouveau code, la durée initiale du permis de recherche est de quatre ans, renouvelable deux fois, chaque fois de trois ans, un renouvellement exceptionnel de deux ans pouvant être accordé. La durée maximale du permis passe ainsi à douze ans. Enfin, l’État garantit la stabilité du régime fiscal et douanier au titulaire du permis d’exploitation (nouveau code, art. 164). Concernant le règlement des litiges, la réforme associe le recours à l’arbitrage des juridictions internationales, alors que l’ancien code exigeait la seule compétence des juridictions ivoiriennes. Cette évolution constitue un motif de sécurité supplémentaire pour les investisseurs.

35 Le nouveau code minier présente également des avantages pour l’État. Tout d’abord, les titulaires de permis d’exploitation signent une convention minière (art. 12) avec lui.

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Cela signifie que l’État peut faire prévaloir ses intérêts au moment des négociations. Ensuite, la superficie des permis de recherche passe de 1 000 km2 (ancien code) à 400 km2 maximum (nouveau code). Ce choix devrait permettre l’intervention d’un plus grand nombre d’investisseurs, ce qui est un objectif visé. Au moment du renouvellement du permis, un terrain de 1 000 km2 sera scindé en deux permis distincts, et le titulaire aura 200 km2 en moins. Dans l’ancienne loi, l’État participe à la société d’exploitation et cette participation, non soumise à contribution financière, est limitée à 10 %. Tout en maintenant cette disposition, la nouvelle loi autorise à l’État, une participation additionnelle contributive ne pouvant excéder 15 % du capital social. Enfin, en cas de non-respect de la loi, le nouveau code aggrave les sanctions pénales, grâce à l’institution d’une amende maximale de 50 millions de F CFA et trois ans d’emprisonnement maximum, contre uniquement une amende de 2,5 millions F CFA sous l’ancien régime minier.

36 Tel qu’il est décliné, le nouveau code minier demeure un compromis entre l’État et les investisseurs, dans lequel ces derniers bénéficient d’avantages certains. Il demeure malgré tout, un dispositif de compétitivité économique, c’est-à-dire, un ensemble de mesures adoptées pour attirer les investisseurs dans le pays. Toutefois, les décrets du texte d’application qui contiennent les modalités de la mise en œuvre du code n’étant pas encore publiés, le gouvernement devrait saisir cette opportunité pour corriger certaines faiblesses du nouveau dispositif de gouvernance des ressources minières, notamment la prise en compte des revendications spécifiques des populations riveraines.

La nécessaire gestion foncière

37 Le renforcement de la sécurité régionale passe également par une gestion foncière transparente. En effet, la Côte d’Ivoire vient de réformer sa législation sur le domaine foncier rural ainsi que celle portant sur la nationalité. Le conflit armé ivoirien a fait officiellement 3 000 morts dont plus de 800 dans la seule ville de Duékoué, une localité située à l’Ouest du pays. Des milliers d’autochtones wê issus de cette région sont contraints à l’exil, dans les pays limitrophes ou ailleurs, abandonnant leurs villages et leurs plantations désormais occupés par des Burkinabès et des Maliens. La plupart de ces nouveaux occupants, qui se sont arrogé des parcelles de forêts protégées, sont des membres de l’ex-rébellion ayant combattu pendant la guerre post-électorale de 2010. Ces derniers n’ont pas l’intention de rétrocéder leurs butins de guerre aux vrais propriétaires terriens, dont certains amorcent un mouvement de retour dans le pays, dans le cadre de la réconciliation nationale.

38 Dans ce contexte de tension prévisible, le gouvernement adopte les deux mesures institutionnelles. La nouvelle loi sur la nationalité reconnaît la qualité d’Ivoirien à plusieurs millions de personnes d’origine étrangère (Côte d’Ivoire, 2013a). Quant à la réforme sur le foncier rural, elle prolonge de 10 ans, le délai accordé par la loi du 23 décembre 1998 aux propriétaires coutumiers, de faire reconnaître leurs droits sur leurs terres (ibid.). De l’avis de nombreux experts, en prenant ces deux mesures, le gouvernement veut rendre de facto, ces nouveaux nationaux éligibles à la propriété foncière (Oulaye, 2013 : 1-3 ; Kouakou, 2013). Dans un contexte où le pays négocie une sortie de crise par les moyens de la réconciliation, ces deux réformes gouvernementales

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risquent de perturber l’équilibre social précaire dans le pays, en particulier dans la région forestière Ouest.

39 Au total, une politique sécuritaire orientée vers l’augmentation des unités militaires et sécuritaires, et à la retouche de lois (foncière, minière et sur la nationalité), pourrait accroître les risques conflictuels dans cette région, si elle n’intègre pas une dimension sociale. Pour éviter la résurgence de la violence, l’autorité publique doit pouvoir rassurer les milliers de jeunes sans emploi, en attente d’un véritable processus de resocialisation et d’intégration. Sous ce rapport, tout en appliquant les dispositions de la loi du 23 décembre 1998 sur le domaine foncier, il conviendrait de promouvoir une politique de retour des exilés sur leurs terres et d’accélérer le processus de réconciliation entre les différentes communautés. Ce processus de réconciliation passe par la restitution aux villageois des plantations dont ils ont été dépossédés sous les injonctions des armes. En plus de ces mesures, l’État doit pouvoir déclasser une partie des forêts protégées, et aménager certains bas-fonds fluviaux, pour installer les jeunes sans emploi, pour pratiquer des activités agricoles. À cette fin, un programme spécial de promotion agricole mérite d’être soutenu et financé, dans un cadre multilatéral. Très clairement, pour une solution durable dans cette région, le concept de sécurité doit dorénavant être appréhendé comme un droit social partagé, que l’État a la responsabilité de promouvoir. Cela requiert des investissements en matière d’égalité des chances et d’intégration.

Conclusion

40 La présente étude a mis en évidence les contradictions géo-économiques de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, une partie de l’espace national situé le long de la frontière libérienne et guinéenne. Du fait de ses ressources économiques, cette région pourrait devenir le nouvel eldorado ivoirien, pour les prochaines décennies. Cependant, ce potentiel économique régional baigne dans un environnement de conflictualité, lui conférant les caractéristiques d’une zone à risques.

41 Pour parvenir à cette conclusion, l’analyse a d’abord établi un état des lieux des possibilités économiques de l’espace régional, montrant qu’au regard de la morphologie des paysages naturels et des caractéristiques du sous-sol, et également compte tenu de son cursus économique, l’Ouest ivoirien présente des enjeux économiques importants, à la fois pour la région et pour le pays tout entier. En revanche, depuis le déclenchement de la guerre du Liberia (1989), cette région est en proie à la déstabilisation permanente, à cause des conflits armés récurrents. La géographie des conflits atteste cependant, qu’à l’instar d’autres pays, le cas ivoirien s’éclaire de causes identiques. En effet, dans la Côte d’Ivoire forestière, c’est la présence des ressources économiques (ressources forestières, ressources minières, ressources agricoles) qui est au cœur des stratégies des acteurs, et qui explique la récurrence de ces conflits. Car ici, suite à la crise post-électorale ivoirienne, plus de 28 000 Burkinabès (Nations unies, 2015) sont illégalement installés dans les forêts classées où ils pratiquent l’agriculture de rente. Face à la difficulté de déloger les occupants illégaux, l’État contourne le problème par des réformes institutionnelles (réforme du code de la nationalité, réforme du code foncier, réforme du code minier), dans le but de renforcer l’intégration de cet espace à l’économie nationale. Dans le contexte d’un pays en quête de réconciliation et de cohésion nationales, après deux décennies de crise socio-

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politique, la paix et la stabilité nationales dépendent de la sécurité dans l’Ouest ivoirien. Pour ce faire, la gouvernance sociale doit être suffisamment concertée et constructive, en vue d’une meilleure intégration et de la resocialisation des différentes communautés.

Tableau : Forêts classées et parcs de l’Ouest ivoirien

Source : Kadet à partir des données officielles Sodefor 2014

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NOTES

1. L’Ordonnance no 2011-262 du 28 septembre 2011 réorganisant l’administration territoriale en Côte d’Ivoire a hiérarchisé les circonscriptions territoriales en districts, régions, départements, sous-préfectures et villages ; elle a changé la dénomination de certaines entités. Toutefois, elle n’a pas modifié le ressort territorial des deux anciennes régions des Montagnes et du Moyen- Cavally qui s’étendent sur 30 750 km2, soit 9,53 % du territoire national.

RÉSUMÉS

L’Ouest de la République de Côte d’Ivoire, est une zone grise, en raison des contradictions socio- spatiales qu’elle connaît depuis plusieurs décennies. Troisième entité nationale par son étendue (30 750 km2) et la deuxième par sa population (1 500 000 habitants), cette zone qui s’étend sur trois régions administratives (Tonkpi, Guémon, Cavally) constitue l’avenir économique du pays, grâce à la présence de ressources forestières, agricoles et minières, mais c’est également un lieu de manifestation de conflits armés récurrents, conséquences des guerres civiles ayant affecté certains États ouest-africains (Libéria, Sierra Leone, Côte d’Ivoire). Cette situation qui comporte de nombreuses conséquences, mérite d’être enrayée par des mesures démocratiques de renforcement de la sécurité dans cette zone, faute de quoi, la stabilité économique nationale peut être affectée.

The Western part of the Republic of Côte d’Ivoire, is a grey zone owing to the socio-spatial contradictions it has experienced for several decades. This zone which ranks third widest national entity (30.750 km2) and second most populated entity (1.5 million inhabitants) is a set of three administrative regions (Tonkpi, Guemon, Cavally) and is both the economic future of the country due to the presence of forest, agricultural and mining resources, and a place of recurrent armed conflict deriving from civil wars suffered by some West African States (Liberia, Sierra Leone, Côte d’Ivoire). This situation which comprises many consequences, deserves to be stopped through security strengthening democratic measures in this area at the risk of affecting the country’s economic stability.

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INDEX

Mots-clés : Côte d’Ivoire, zone grise, ressources forestières, ressources agricoles, ressources minières, conflits armés, guerre civile, sécurité, politiques publiques, gouvernance, Afrique de l’Ouest Keywords : Côte d’Ivoire, Ivory Coast, grey zone, forest resources, agricultural resources, mining resources, armed conflicts, civil war, security, public policies, governance, West Africa

AUTEUR

BERTIN G. KADET Bertin G. Kadet, École normale supérieure, Abidjan, BP 254 Grand-Bassam, RCI, [email protected]

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Cazenave-Piarrot A., Ndayirukiye S., Valton C. (coord.), 2015, Atlas des Pays du Nord-Tanganyika Marseille, IRD Éditions, 144 p.

François Bart

RÉFÉRENCE

Cazenave-Piarrot A., Ndayirukiye S., Valton C. (coord.), 2015, Atlas des Pays du Nord- Tanganyika, Marseille, IRD Éditions, 144 p.

1 Cet ouvrage, éminemment géographique, est tout à fait bienvenu, tant son actualité compense les lacunes bibliographiques que les tensions persistantes limitent dans cette partie de l’Afrique des Grands Lacs. D’emblée, le territoire de référence choisi par les auteurs, tous deux géographes spécialistes du Burundi, intrigue. Que sont ces « pays du Nord-Tanganyika ?

2 Les préfaces des deux principaux acteurs du projet proposent des éclairages : la première, rédigée par Jean-Paul de Gaudemar, recteur de l’AUF, évoque un « espace important pour la Francophonie » dont les composantes « s’inscrivent aussi dans un long cortège d’événements douloureux » (p. 12) ; la deuxième, de Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD, parle de « cette région charnière de l’Afrique subsaharienne » qui est « parmi les plus riches, mais aussi les plus vulnérables » (p. 13). On le voit, les préoccupations liées aux événements récents et contemporains et aux enjeux de développement sont sous-jacentes, ce qui rend l’ouvrage très intéressant. L’introduction, signée par les deux premiers coordinateurs, précise le dessein et les contours géographiques de l’entreprise. D’une part il s’agit « de réfléchir dans un cadre territorial différent des territoires nationaux et de l’espace des institutions internationales, celui de la "sous-région" des Grands Lacs africains ». D’autre part, on retrouve cette notion d’espace « charnière entre Afrique centrale et Afrique orientale » possédant « de fortes potentialités intégratives […] au moyen du formidable corridor

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lacustre que constitue le lac » (Tanganyika), qualifié de « deuxième littoral » (p. 18), comme l’écrivit Jean-Pierre Chrétien, à propos de cette région des lacs à partir des années 1840, « une sorte de deuxième rivage intérieur […] devenant une zone d’influence swahili »1.

3 On le voit donc, cet ouvrage revisite et actualise une idée ancienne, celle de la situation charnière, stratégique de cet espace enclavé ; et c’est ce qui en fait son originalité et son intérêt.

4 Sur cette base ancrée dans une histoire de contacts et de flux entre océan Indien et continent, l’atlas interroge, dans le contexte géopolitique et économique contemporain, l’actualité de cette entité spatiale de 183 000 km2 peuplée d’environ 33 millions d’habitants, partagée entre deux petits États, le Rwanda et le Burundi, et deux provinces, Nord et Sud Kivu de l’immense République Démocratique du Congo. Il est structuré en quatre parties, intitulées respectivement « Une nature soumise à de nombreuses contraintes » (7 planches), « Une population nombreuse et en croissance rapide » (7 planches), « L’intégration régionale dans le système monde » (5 planches), et « Découpages régionaux et villes » (7 planches). La structure est donc classique et donne les informations essentielles sur ce territoire composite. La présentation est claire ; les 26 cartes, 24 figures, 7 tableaux et 33 illustrations, et les textes qui les accompagnent sont de bonne facture et contribuent à enrichir la connaissance du Rwanda et du Burundi – qui avaient déjà fait l’objet d’atlas et d’ouvrages de géographie depuis les années 1970 – et à produire une connaissance géographique, en grande partie inédite, sur le Kivu congolais.

5 Sans prétendre à un compte rendu exhaustif, je tiens à souligner l’intérêt spécifique, et aussi les limites, de quelques planches. Dans la première partie, « L’hydrologie et la limnologie autour du lac Tanganyika » (pl. 2) et « La gestion des ressources naturelles » (pl. 7) sont fondées sur des travaux récents qui touchent à des enjeux physiques majeurs. Dans la deuxième, les planches 9 et 10 sont riches de données démographiques actualisées, qui intègrent de façon judicieuse les conséquences des conflits récents, qui, curieusement, précèdent les données historiques de la planche 14. La troisième partie, plus disparate, comprend une planche ambitieuse (15), bien centrée sur le questionnement précédemment évoqué – « Une région charnière de l’Afrique subsaharienne » –, qui, de façon un peu décalée par rapport au titre de l’atlas, ne souligne guère la place du lac Tanganyika, en dehors des ports de Bujumbura et Kigoma ; de plus on est surpris par l’absence du corridor essentiel Dar es Salaam- Arusha-Nairobi, qui joue un grand rôle dans le trafic des camions desservant l’espace de référence, et l’aéroport du Kilimandjaro, bien relié à Kigali et Bujumbura, ne figure pas. La planche 18, dédiée aux langues, est bienvenue, même si le principe de représentation cartographique d’aires linguistiques aux limites étanches est bien loin d’une réalité faite de fluidité et de mélanges. Dans la dernière partie, si les planches consacrées aux deux pays et aux deux provinces apparaissent à la fois inévitables et un peu sommaires, celles consacrées aux villes-capitales sont particulièrement stimulantes ; les plus originales, parce que vraiment inédites, sont incontestablement celles consacrées aux deux villes congolaises frontalières du Rwanda, Bukavu et Goma-Rubavu. Les cartes de ces deux agglomérations sont des produits rares, précieux ! Pour cette dernière l’utilisation des travaux du géographe Martin Doevenspeck aurait néanmoins été judicieuse.

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6 La matière est donc d’une grande richesse, et la qualité graphique est au rendez-vous. Une fois l’ouvrage parcouru, la question de l’existence réelle de ces pays du Nord- Tanganyika demeure, d’autant plus qu’à considérer la liste des auteurs, le Burundi est surreprésenté, par rapport au Rwanda surtout. La notion même de Nord-Tanganyika semble privilégier un regard burundais, le Rwanda étant géographiquement et culturellement éloigné du lac Tanganyika. De même l’absence de références aux rives tanzaniennes (autres que Kigoma) et katangaises (Kalémié) du lac ne constitue-t-elle pas une question qui aurait dû au moins être posée ? D’autant que l’ancienne province du Katanga a été remplacée en 2015 par quatre entités nouvelles, dont l’une, celle de Kalémié, est devenue la province… du Tanganyika…

7 Peut-être n’est-ce pas là le rôle premier d’un atlas ; au-delà de ces aspects, je retiens d’abord l’originalité, l’audace et l’ambition de l’ouvrage, le premier du genre sur cet espace. Il s’avère donc indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à cette partie, très sensible, du continent.

NOTES

1. Chrétien J.-P., 2010, L’invention de l’Afrique des Grands Lacs, Paris, Karthala, p. 14.

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